(EU V RE S D E J. J. ROUSSEAU. TOME DIX-SEPTIEME.   SUPPLEME NT A U X (K U V R E S D E JEAN-JAQUES ROUSSEAU, CONTENANT LES P IE CES MANUSCRITES, PUBLIÊES APRÈS SA MO R T. T OME S I X l E M E, A AMSTERDAM, Chkz D. J. C HANG UI ON. et BARTHELEMY VLAM. MDCCLXXXIV.   CONSIDERATIONS SUR L E GOUVERNEMENT DE POLOGNE, ET SUR SA RÊFORMA TION PROJETTÉE. (*) CHAPITRE PREMIER. Etat de la queftion. Le tableau du gouvernement de Pologne fait par M. le Comte Wielhorski & les réflexions qu'il y a jointes, font des pieces inftrudHves pour quiconque vondra forraer un plan régulier pour Ia réforme de ce gouvernement. Je ne connois perfonne plus en état de tracer ce plan que lui-même, qui joint aux connoiiïances générales que ce travail exige, toutes celles du local & des détails particuliers, impoffibles a donner par écrit & néanmoins néceffaires a favoir pour approprier une inflitution au peuple auquel on la deftine. Si f on ne connoit (_*) Ecrites en Avril 17721 Supplém, Tom. VI. A  4 Gouvernement a fond la nation pour laquelle on travaille, 1'ouvrage qu'on fera pour elle, quelque excellent qu'il puilTe' être en lui-même, péchera toujours par 1'application, & bien plus encore lorfqu'il s'agira «j'une nation déja toute inflituée, dont les goüts, les mceurs, les préjugés & les vices font trop enracinés pour pouvoir être aifdment étouffés par des femences nouvelles. Une bonne inftitution pour la Pologne ne peut être 1'ouvrage que des Polonois, ou de quelqu'un qui ait bien émdié fur les lieux la nation Polonoife & celles qui 1'avoifinent. Uu étranger ne peut gueres donner que des vues gênéwies, pour éclairer, non pour guider 1'inftituteur. Dans toute la vignet» de ma lête je n'aurois pu faifir 1'enfemble de ces grands rapports. Aujourd'hüi qu'il me refle a peine la faculté de lier des idees, je dois me bomer, pour obéir a M. le Comte Wleïhdfski & faire aae de mon zele pour fa patrie, a lui rendre compte des impreffions que in'a fait la lefture de fon travail & des réflexions qu'il m'a fuggérées. En lifant 1'hiftoire du gouvernement de Pologne, on a pdne a comprendre comment un état fl bizirrement conftitué a pu iubfifter fi longiem.-. ün grand corps formé 4'un grand nombre de membres morts & d'un petit nombre de membres défunis, dont tous les mouvemens, prefqu'in lépendans les uns des autres , loin d'avoir une fin commune s'emie-détruifent mutuelUment, qui s'agiie beaucoup pour ne rien faiie, qui ne peut faire aucune  nt Pologne. 3 réfiRance a quiconque veut 1'entamer , qui tombe en diilblution cinq 011 fix fois chaque fiecle, qui tombe en psralyfie a chaque effort qu'il veut faire , a chaque befoin auquel il veut pourvoir, & qui, raalgré tout cela, vit & fe conferve en vigueurj voila, ce me femble, un des plus finguliers fpeftacles qui puiflènt frapper un être penfant. Je vois tous les Etats de 1'Europe courir a leur ruine. Monarchies, Répubüques, toutes ces nations fi magnifiquement inftituées, tous ces beaux gouvernemens fi fagement pondérés, tombés en décrépitude menacent d'une mort prochsine;& la Pologne, ceite région dépeuplée, dévaftée, opprimée, ouverte a fes agrefléurs, au fort.de fes malheurs & de fon anarchie, montre encore toot le feu de la jeuneiTe; elle ofe demander un gouvernement & des loix, coinme fi elle ne faifoit que de naltre. Elle eft dans les fers & difcute les moyens de fe conferver libre! elle fent en elle cette force que celle de la tyrannie ne peut fubjuguer. Je crois voir Rome affiégée régir tranquilkment les terrei fur lefqtielles fon ennemi venoit d'afleoir lbn camp. Braves Polonois, prenez garde; prenez gaidi. que pour vouloir trop bien être, vous n'tmpinez votre fituation. En föngtant a ce que vous vouiez acquérir , n'oublitz pas ce que vous pouvez perdre. Corrigtz , s'il fe peut, les abus de voire conitimtion; mais ne méprifez pas celle qui vous a faiis ce que vous êtes. Vous aimez la liberté, vous en êtes digries; A 2  4 Gouvernement vous 1'avez défendtie contre un agrelTeur puiflant & rufé, qui, feignant de vous préfenter les liens de 1'amitié, vous chargeoit des fers de Ia fervitude. Maintenant, las des troubles de votre patrie, vous foupirez après Ia tranquillité. Je crois fort aifé de f obtenir; mais Ia conferver avec Ia liberté , voilü ce qui ine paroit difficile. C'eft au fein de cette anarchie qui vous eft odieufe, que fe font formées ces araes patriotiques qui vous ont garantis du joug. Elles s'endormoient dans un repos le'thargique; I'orage les a réveillées. Après avoir brifé les fers qu'on leur deftinoit, elles fentent Ie poids de la fatigue. Elles voudroient allier la paix du defpotifme aux douceurs de la liberté. J'ai peur qu'eiles ne veuillent des chofes contradi&oires. Le repos & la liberté me paroifient incompatibles; il faut opter. J e ne dis pas qu'il faille laifler les chofes dans 1'état oü elles font; mais je dis qu'il n'y faut toucher qu'avec une circonfpeftion extréme. En ce moment on eft plus frappé des abus que des avantages. Le tems viendra, je Ie crains, qu'on feniira mieux ces avantages, & malheureufement ce fera quand on les aura perdus. q ü'il foit aifé, fi 1'on veut, de faire de meilleures loix. I) eft impoflible d'en faire dont les paffions des hommes n'abufent pas comme ils ont abufé des premières. Prévoir & pefer tous ces abus a venir eft peut-être une chofe impoflible a 1'honme d'état le plus confommé. Mettre Ia loi audeflus de 1'homme eft un problême en poliiique,  de Pologne. 5 que je compare a celui de la quadrature du cercie en géométrie. Réfolvez bien ce probléme, & le gouvernement fondé fur cette folution fera bon & fans abus. Mais jufques-la, foyez fürs qu'oü vous croirez faire regner les loix, ce feront les hommes qui regneront. Il n'y aura jamais de bonne & folide confthution que celle oü la loi regnera fur les cceurs des citoyens: tant que la force légiilative n'ira pas jusquea-la, les loix feront toujours éludées. Mais comment arriver aux cceurs? c'eft a quoi nos in, ftituteurs qui ne voient jamais que Ia force & les chatimens, ne fongent gueres, & c'eft a quoi les récompenfes matérielles ne meneroient peut-être pas mieux; la juftice même Ia plus integre n'y mene pas, paree que la juftice eft, ainfi que la fanté, un bien dont.on jouit fans le fentir, qui n'infpire point d'enthoufiafme & dont on ne fent le prix qu'après 1'avoir perdu. Par oü donc émouvoir les cceurs & faire aimer la patrie & fes loix? L'oferai-je dire? par des jeux d'enfans; par des inftitutions oifeufes aux yeux des hommes fuperfjeiels, mais qui forment des habitudes chéries & des attachemens invincibles. Si j'extravague ici, c'eft du moins bien compléte^ ment; car j'avoue que je vois ma folie fous tous les traits de la raifon. A 3  6 GoUVEBNJTMENT CHAPITRE II. Efprit des anciennet inftitutions. Qoand on lit l'hifioire ancienne, on fe croit tranfporté dans un autre univers & parmi d'auues êtres. Qu'ont de commun les Francois, les Anglois, les Ruffes avec les Romaiiis & les Grecs? Rien prefque que la figure. Les fortes ames de ceux - ci paroiflent aux autres des exagérations de 1'hiftoire. Comment eux qui fe fentent fi petits, penferoientils qu'il y aic eu de fi grands hommes? Us exifterent pourtant , & c'écoient des humains comme nous: qu'eft- ce qui nous empêche d'étre des hommes comme eux? Nos préjugés, notre baflè philofophie & les paflïons du petit intérét, coneentrées avec Pégcffine dans tous les cceurs, par des inftitutions ineptes que le génie ne dkta jamais. J e regarde les nations modernes. J'y vois force faifeurs de loix & pas un légiflateur. Chez les anciens, j'en vois trois principaux qui méritent. une attention particuliere. Moïfe, Lycurgue & Numa. Tous trois ont mis leurs principaux foins a des objets qui paroltroient a nos dofteurs dignes de rifée. Tous trois ont eu des fuccês qu'on jugeroit impoffibles, s'ils étoient moins atteftés. Le premier forma & exécuta fétonnante entreprife d'inftituer en corps de nation un eflaiin de mal-  de Pologne. 7 heureux fugkifs fans arts, fans arraes, fant talens, fans vertus, fans courage & qui n'ayant pas en propre un feul pouce de terrain, faifoient une troupe étrangere fur la face de la terre. Moïfe ofa faire de eette troupe errante & fervile un corps politique, un peuple libre; & tandis qu'elle erroit dans les dérerts fans avoir une pierre pour y repofer fa tête, il lui donnoit cette inttitution durable, i 1'épreuve du tems, de la fortune & des conqué» rans, que cinq mille ans n'ont pu détruire ni raöme altérer & qui fubfifte encore aujourd'hui dans toute fa force, lors même que le corps de la nation ne fubfifte plus. Po uit empêcher que fbn peuple ne fe fondlt parmi les peuples étrangers, il lui donna des moeurs & des ufages inalliables avec ceux des autres nations; il le furchargea dft'j-itefc, ,de cérémonies particulieres; il le géna de milleifacons pour le tetiïr fans cefle en.haleine & le rendre toujours étranger parmi les autres hommes , & tous les Hens de fraternité qu'il mit eutre les membres de fa répu. blique, étoient autant de barrières qui le tenoient féparé de fes voifins & 1'empêchoient de fe mêler avec eux. C'eft par-la que cette finguliere nation, fi fouvent fubjuguée, fi fouvent difperfée & détruite en apparence, mais toujours idolatre de fa regie, s'eft pourtant cnnfervée jufqu'a nos jours éparfe parmi les autres fans s'y confondre , & que fes moeurs, Fes loix, fes rites fubfiftent & dureront A 4  8 Gouvernement amant que Ie monde, malgré la haine & la perfécution du refte du genre humain. Lycubgue entreprit d'inftituer un peuple déja_ dégradé par la fervitude & par les vices qui en font 1'effet. 11 lui impofa un joug de fer, tel qu'aucun autre peuple n'en porta jamais un femblable; mais il 1'attacha , 1'identifia, pour ainfi dire, a ce joug, en 1'occupant toujours. II lui montra fans ceiTe la patrie dans fes loix, dans fes jeux, dans fa maifon, dans fes amours, dans fes feftins. II ne lui laiiTa pas un inftant de relache pour être a lui feul, & de cette continuelle contrainte, ennoblie par fon objet, naquit en lui eet ardent amour de la patrie, qui fut toujours la plus forte ou plutót 1'unique paffion des Spartiates, & qui en fit des êtres au - deiTus de 1'humanité. Sparte n'étoit qu'une ville, il eft vrai; mais > par- Ia feule force de fon inftitution , cette vfllê 'donna des loix a toute la Grece, en devint la capitale & fit trembler 1'empire Perfan. Sparte étoit le foyer d'oü fa légiflatioa étendoit fes effets tout autour d'elle. C i. u x qui n'ont vu dans Numa qu'un inftituleur de rites & de cérémonies religieufes, ont bien mal jugé ce grand homme. Numa fut le vrai fondateur de Rome. Si Romulus n'eüt fait qu'asfembler des brigands qu'un revers pouvoit difperfer, fon ouvrage imparfait n'eüt pu réfifter au tems. Ce fut Numa qui le rendit folide & durable en uniflant ces brigands en un corps indiflbluble, en les  de Pologne, p les transformant en citoyens, moins par des loix\ dont leur ruflique pauvreté n'avoit gueres encore befoin, que par des inftitutions douces qui les at. tachoient les uns aux autres, & tous a leur fol, en rendant enfin leur ville facrée par ces rites frivoles & fuperftitieux en apparence, dont fi peu de gens fentent la force & 1'efFet, & dont cepen. dant Romulus, le farouche Romulus lui-même, avoit jetté les premiers fondemens. L e méme efprit guida tous les anciens légiflateurs dans leurs inftitutions. -Tous chercherent des liens qui attachalTent les citoyens a la patrie & les uns aux autres, & ils les trouverent dans des ufages particuliers, dans des cérémonies religieufes qui par leur nature étoient toujours exclufives & nationale* (*), dans des jeux qui tenoient beaucoup les citoyens rafJemblés , dans des exercices qui augmentoient avec leur vigueur & leurs forces leur fierté & 1'eflitne d'eux-mêmes, dans des fpeftacles qui leur rappellmt 1'hiftoire de leurs ancètres, leurs malheurs, leurs vertus, leurs viftoires, intérefToient leurs cceurs, les enflammoient d'une vive émulation & les attachoient fortement è cette pairie dónt on ne ceiToit de les occuper. Ce font les poéfies d'Ho> mere récitées aux Grecs folemnellement allèmblés, non dans des cofFres, fur des planches & 1'argent a la main, mais en plein air & en corps de na. tion ; ce font les tragédies d'Efchyle, de Sopho- C*D Voyez la fin du Contral SoaaL A 5  Ip Gouvernement cle & d'Euripide, repréfentées fouvent devant eux; ce font les prix dont, aux acclamations de toute la Grece, on couronnoit les vainqueurs dans leurs jeux, qui les embrafant continuellement d'émulation & de gloire, porterent leur courage & leurs vertus a ce degré d'énergie dontrien aujourd'hut ne nous donne 1'idée, & qu'il n'appartient pas même aux raodernes de croire. S'ils ont des loix, c'eft nniquemeut pour leur apprendre a bien obéir a leurs maitres, a ne pas voler dans les poches, & a donner beaucoup d'argent aux fripons publiés. S'ils ont des ufages, c'eft pour favoir amufer 1'oifiveté des femmes galantes & promener la leur avec grace. S'ils s'aflemblent, c'eft dans des temples pour un culte qui n'a rien de natipnal, qui ne rap. pelle en rien la pairie; c'eft dans des falies bien fermées& a prix d'argent, pour voir fur des théaues «iFéminés, diflblus ,oü 1'on ne fait parler que d'amour, déclamer des hiftrions, roinauder des proftituées, & pour y prendre des lecons de corrupnon, les feules qui profitent de toutes celles qu'on fait femblant d'y donner; c'eft dans des fètes oü le peuple toujours méprifé eft toujours fans influenee, oü le blame & 1'approbation publique ne p^oduifenc rien; c'eft dans des cohues licencieufes pour s'y faire des liaifons fecretes , pour y chercher les plaifirs qui féparent, ifolent le plus les hommes, & qui relachent le plus les cceurs. Sont-ce-la des ftimulans pour le pauiotifme? Faut-il s'étonner que ces manieies de vivre fi diffeaiblables ptoduifent  de Pologne. rr des effets fi différens , & que les modernes ne retrouvent plus rien en eux de cette vigueur d'ame que tout infpiroit aux anciens ? Pardonnez ces digreffions a un refte de chaleur que vous avez ranimée. Je reviens avec plaifir a celui de tous les peuples d'aujourd'hui qui m'éloigne le moins de ceux dont je viens de parler. CHAPITRE III. Application, Lr a Pologne eft un grand Etat environné d'Etats encore plus confidérables, qui par leur delpotifme & par leur difcipline militaire ont une grande force offenfive. Foible au contraire par fon anarchie, elle eft, malgré la valeur Polonoife, en butte a tous leurs outrages. EUe n'a point de places fortes pour arréter leurs incurfions. Sa dépopulation la met prefque abfoluraent hors d'état de défenfe. Aucun ordre économique, peu ou point de troupes, nuile difcipline militaire, nul ordre, nulle fubordination; toujours divifée au-dedans, toujours menacée audehors, elle n'a par elle-même aucune confiflance & dépend du caprice de fes voifins. Je ne vois dans 1'état préfent des chofes qu'un feul moyen de lui donner cette confiftance qui lui manque. C'eft d'infufer, pour ainfi dire, dans toute la nation 1'ame des confédérés ; c'eft d'établir tellement Ia A 6  n Gouvernement république dans les cceurs des Polonois, qu'elle y fubfifte malgré tous les efforts de fes oppreiïeurs. C'eft-la, ce me femble, 1'unique afyle oü la force ne peut ni Patteindre ni la détruire. On vient d'en voir une preuve a jamais mémorable. La Pologne étoit dans les fers du Rufle, mais les Polonois font reftés libres. Grand exemfjle qui vous montre corr> inent vous pouvez braver la puifTance & l'ambition de vos voifins. Vous ne fauriez empêcher qu'ils ne vous engloutiflent, faites au moins qu'ils ne puisfent vous digérer. De quelque facon qu'on s'y prenne, avant qu'on ait donné a la Pologne tout ce qui lui manque pour être en état de réfifter a fes ennemis, elle en fera cent fois accabtée. La vertu de fes citoyens, leur zele patriotique, Ia forme particuliere que des inftitutions nationales peuvent donner a leurs ames, voila le feul rem» part toujours prét a la défendre & qu'aucune armée ne faurok forcer. Si vous faites en forte qu'un Polonois ne puiiïe jamais devenir un Rufte, je vous réponds que la Ruffie ne fubjuguera pas la Pologne. Ce font les inftitutions nationales qui forment le génie, le earaaere, les gouts & les mceurs d'un peuple, qui le font être lui & non pas un autre, qui lui infpirent eet ardeut amour de la patrie fondé fur des habitudes impofltbles a déraciner, qui le font mourir d'ennui chez les auttes peuplea tu fein des délices dont il eft privé dans fon pays. Souvenez - vous de ce Spartiate gorgé des vokiptés de la cour du grand roi, a qui Ton reprochoit de.'  de pologne. 13 regretter Iafaucenoire. „ Ah!" dit - il au Satrape en foupirant : „ je connois tes plaifirs ; mais tu ne „ connois pas les nótres." Il n'y a plus aujourd'hui deFrancois, d'Allemands, d'Efpagnols, d'Anglois même, quoiqu'on en dife; il n'y a que des Européens. Tous ont les mémes goüts, les mêmes paffions, les meines, moeurs, paree qu'aucun n'a recu de forme nationale par nne inftitution particuliere. Tous dans les mêmes circonftances feront les mêmes chofes ; tous fe diront défintéreifés & feront fripons; tous parleront du bien public & ne penferont qu'a eux - mêmes; tous vanteront la médiocrité & voudront être des Créfusr ils n'ont d'ambition que pour le luxe, ils n'ont de pafïïon que celle de 1'or. Sürs d'avoir avec lui tout ce qui les tente, tous fe vendront au premier qui voudra les payer. Que leur importe h quel maitre ils obéiflent, de quel état ils fuivent les loix? Pourvu qu'ils trouvent de 1'argent a voler & des femmes a corrompre , ils font pariout dans leur pays. Donnez une autre pente aux paffions des Poionbis, vous donnerez a leurs ames une phyfionomie nationale qui les diftlnguera des autres peuples, qui les empêchera de Ie fondre, de fe plaire, de s'allier avec eux , une vigueur qui reroplacera le jeu abufif des vains préceptes; qui leur fera faire par goót & par pafïïon, ce qu'on ne fait jamais affez bien quand on ne Ie fait que par devoir ou par intérêt. C'efi fur ees ames - la qu'une légifktioo A 7  ia, Gouvernement bien appropriée aura prife. Ils obéiront aux loix & ne les éluderont pas, paree qu'elles leur conviendront & qu'elles auront 1'aflentiinent interne de leur volonté. Aimant la patrie, ils la ferviront par zele & de tout leur cceur. Avec ee feul fentiment, la légiflation fut-elle mauvaife , feroit de bons citoyens; & il n'y a jamais que les bons citoyens qui fafient la force & la profpérité de 1'Etat. J'expliquerai ci-après le régime d'adrniniflration qui, fans prefque toucher au fond de vos loix, me paroit propre a porter le patriotifme & les vertus qui en font inféparables, au plus haut degré d'intenfité qu'ils puiffent avoir. Mais foit que vous adoptiez ou non ce régime, commencez toujours par donner aux Polonois une grande opinion d'eux.mêmes & de leur patrie: après la facon dont ils viennent de fe montrer, cette opinion ne fera pas fauffe. II faut ftifir la circonftance de 1'événement préfent pour monter les ames au ton des ames antiques. II eft certain que la confédération de Bar a fauvé la patrie expirante. II faut graver cette grande époque en caraéteres facrés dans tous les cceurs Polonois. Je voudrois qu'on érigeat un monument en fa mémoire, qu'on y mit les noms de tous les confédérés, même de ceux qui dans la fuite auroient pu trahir la caufe commune; une fi grande aétion doit effacer les fautes de toute la vie; qu'on inftituat une folemnité périodique pour la célébrer tous les dix ans avec une pompe non brillante & frivole, mais fimple, fiere & républi-  de Pologne. 15 caine; qu'on y fit dignement, mais fans emphafe, 1'éloge de ces vertueux citoyens qui ont eu 1'honneur de fouffrir pour la patrie dans les fers de 1'ennemi ; qu'on accordat même a leurs families quelque privilege honorifique, qui rappellat toujours ce beau fouvenir aux yeux du public. Je ne voudrois pourtant pas qu'on fe permit dans ces folemnités aucune inveétive contre les Ruffes, ui même qu'on en parlat. Ce feroit trop les honorer. Ce filence , le fouvenir de leur barbaiie, & 1'éloge de ceux qui ltur ont refifté, dhonc a'eux tout ce qu'il en faut dire; vous devez trop les méprilèr pour les hai'v J e voudrois que par des honneurs , par des récompenfes publiques, on donnat de 1'éclat a toutes le? vertus patriotiques, qu'on occupat fans cclïè les citoyens de la patrie, qu'cn en fit leur plus gnnde affaire , qu'on la tint inceflamment fous leurs yeux. De cette maniere ils auroient moins, je 1'avoue, les moyéns & Ie tems de s'enrichir, mais ils en auroient moins aufll le defir & lebefoin: leurs cceurs apprendroient a connoitre un autre bonheur que celui de la fortune, & voiia 1'art d'enno» blir les ames & d'en faire un iiifirument plus puisfant que 1'or. L'Exposi fuccint des moeurs des Polonois qu'a bien voulu me communiquer M. Wielhorski, ne fuffit pas pour me mettre au fait de leurs ufages civils & domeftiques. Mais une grande nation qui nes'eiï jamais trop mélde avec fes voifins, doit en  lrj Gouvernement avoir beaucoup qui lui foiem propres"" & qui peut» étre s'abatardiffent journellement pat la pente gênérale en Europe de prendre les goüts & les mceurs des F'-anfois. II faut maintenir, rétablir ces anciens ufag s & en introduire de convenables, qui foient propres aux Polonois. Ces ufages, fuffent - ils indifférens, fulTent-ils mauvais même a certains égards, pourvu qu'ils ne le foient pas efientiellement, auront toujours 1'avantage d'affedtiomier les Polonois a leur pays & de leur donner une répugnance naturelle a fe m&Ur avec 1'étranger. Je regarde comme un borheur qu'ils aient un habillement particulier. Confervez avec foin eet avantage: faites exaétement le contraire de ce que fit ce Czar fi vanté. Que le roi ni l?s fénateurs, ni aucun homme public ne portent jamais d'autre vêtement que celui de la na. tion, & que nul Polonois n'ofe paroitre a la cour vêtu a la francoife. Beaucoup de jeux publics, oü la bonne mere patrie fe plaife a voir jouer fes enfans. Qu'elle s'occupe d'eux fouvent, afin qu'ils s'ocenpent toujours d'elle. II faut abolir, même ii la cour, a caufe de 1'exemple , les amufemens or.linaires des cours, le jeu, les théatr.s , comédie , opéra, tout ce qui effémine les hommes, tout ce qui les ditlrait, les ifole, leur fait oublier leur patrie & leur devoir, tout ce qui les fait trouver bien partout, pourvu qu'ils s'amufent t il faut inventer des jeux , des fêies, des folemnités qui foient fi propres il cette cour-la, qu'on ne les retrouve dans aucune autre.  o e Pologne. 17 II faut qu'on s'amufe en Pologne plus que dans les autres pays, mais non pas de la même maniere. 11 faut en un mot renverfer un exécrable proverbe & faire dire a tout Polonois au fond de fon cceur: Ubi patria, ibi bene. R11 n s'il fe peut, d'exclufif pour les grands & les riches. Beaucoup de fpeélacles en plein air, oü les rangs foient diftingués avec foin, mais oü tout le peuple prenne part également, comme chez les anciens, & oü dans certaines occafions la jeune nobleife fafle preuve de force & d'adrelTe. Les combais des taureaux n'ont pas peu contribué a maintenir une certaine vigueur chez la nation Efpagnole. Ces cirques oü s'exer^it jadis Ia jeuneflè en Pologne cevroient être foigneufement rétablis: on en devroit faire pour elle des théaires d'honneur & d'émulation. Rien ne feroit plus aifé que d'y fubftituer aux anciens coinbats, des exercices moins cruels, oü cependant la force & 1'adrefTe auroient part & oü les viétorieux auroient de même des honneurs & des récompenfes. Le maniement des chevaux eft par exemple un exercice très-conve. nable aux Polonois & très-fufceptible de 1'éclat du fpeclacle. Les héros d'Homere fe diftinguoient tous par leur force & leur adrefle, & par-la montroient aux yeux du peuple qu'ils étoient faits pour lui com» mander. Les tournois des paladins fortnoient des hommes non-feulement vaillans Sc courageux , mais avides d'honneur & de gloire, & propres a toutes  18 Gouvernement les vertus. L'ufage des srmes a feu rendant ces f*» eultés du corps moins unies a la guerre les a fait tomber en difcrédir. II arrivé de-la que, hors Ks qualités de f efprit qui font fouvent équivoques, déplacées, fur lefquelles on a mille moyens de tromper & dont le peuple eft mauvais juge, un homme avec Pavantage de la naifTance n'a rien en lui qui le diftingue d'un autre, qui juftifie la fortune , qui momre dans fa perfonne un droit naturel a la fupériorité, & plus on négligé ces ilgnes extérieurs, plus ceux qui nous gouvernent s'efteminent & fe corrompent impunément. II importe pourtant, & plus qu'on ne penfe, que ceux qui doivent un jour commander aux autres, fe montrent dés leur jeuneffe fupérieurs a eux de tout point, ou du moins qu'il* y tachent. 11 eft bon de plus, que le peuple fe trouve fouvent avec fes chefs dans des occafions agréables, qu'il les Connoifle, qu'il s'accoutume k les voir, qu'il partage avec eux fes plaifirs. Pourvu que la fubordination foit toujours gardée & qu'il ne fe confonde point avec eux, c'eft le moyen qu'il s'y affeétionne & qu'il joigne pour eux 1'attachement au rerpeét. Enfin le goüt des exercices corporels détourne d'une oifiveté dangereufe, des plai« firs tffuninés & du luxe de PefpiH. C'eft furtout a caufe de 1'ame qu'il faut exercer le corps, & voila. ce que nos petits fages font loln de voir. Ne négligez point une certaine décoration publique; qu'elle foit noble, impofante & que la aiagniCcence foit dans les hommes plus que dans  ükPolocnf. \$ les chofes. On ne fiuroit croire a quel point le creur du peuple fuit fes yeux & cornbien la majefté du cérémotiial lui en impofe. Cda donne a 1'autotité un air d'ordre & de regie qui infpire la confiance & qui écarté les idéés de caprice & de fan. taille attachées a celles du pouvoir arbitraire. II faut feulement éviter dans fappareil des folemnités, le clinquant, le papillotage & les décoraiions de luxe qui font d'ufage dans les couts. Les fétes d'un peuple libre doivent toujours refpirer la décence & la gravité, & fon n'y doit préfenter a fon admiration que des objets dignes de fon cfiïme. Les Romains dans leurs triomphes éialoient un luxe énorme; mais c'étoit le luxe des vaincus: plus il brilloit, moins il féduifoir. Son éciat même é:oit une grande lecon pour les Romains. Les rois captifs étoient enchainés avec des chaines d'or & de pierreries. Voila du luxe bien entendu. Souvent on Vient au même but par deux routes oppofées. Les deux balles de laine mifes dans la cbambre des pairs d'Angleterre devant la place du chancelier, forment a mes yeux une décoration touchante & fublime. Deux getbes de bied placées de même dans le fénat de Pologne, n'y feroient pas un moins bel elfet h mon gré. L'immense diftsnce des fortunes qui fépsre les feigneurs de la petiie nobleiie, eft un grand obftacle aux réformes néceftaires pour faire de 1'a. mour de la patrie la paffion dominante. Tant que le luxe ieg.nera chez les grands,la cupidité regnera  ao Gouvernement dans tous les coeurs. Toujours Tobjet de 1'admirstion publique fera celui des vceux des particuliers, & s'il faut être riche pour briller, la paffion dominante fera toujours d'étre riche. Grand moyen' de corruption, qu'il faut affoiblir autant qu'il eft pofiïble. Si d'autres objets attrayans, fi des marqués de rang diüinguoient les hommes en place, ceux qui ne feroient que riches en (èroient privés, les vceux fecrets prendroient naturellement la route de ces diftinaions honorables, c'eft - a - dire, celles du mérite & de la vertu , quand on ne parviendroit que par- la. Souvent les confuls de Rome étoient tréspauvres, mais ils avoient des liaeurs: fappareil de ces liaeurs fut convoité par le peuple, & les plébéi'ens parvinrent au confulat. Oter tout-a-fait le luxe oü regne 1'inégalité, me paroit, je 1'avoue, une entreprife bien difficile. Mais n'y auroit- il pas moyen de changer les objets de ce luxe & d'en rendre l'exemple moins pernicieux? Par exemple, autrefois la pauvre noblelfe en Pologne s'attachoit aux grands qui lui donnoient 1'éducation & la fubfiftance a leur fuite. Voila un luxe vraiment grand & noble, dont je fens parfaitement 1'inconvénient, mais qui du moins loin d'avilir les ames, les éleve, leur donne des fentimens, du reftbrt & fut fans'abus chez les Romains tant que dura la 'république. J'ai lu que le Duc d'Epernon rencontrant un jour le Duc de Sully vouloit lui chercher querelle, mais que, n'ayant que fix cents genülshommes a fa fuite, il n'oi'a attaquer Sully qui  de Pologne. 21 cn avoit huk cents. Je doute qu'un luxe de cette efpece laifle une grande place a celui des colifi • chets, & 1'exemple du moins n'en féduira pas les pauvres. Ramenez les grands en Pologne a n'en avoir que de ce genre, il en réfultera peut-être des divifions, des partis, des querelles, mais il ne corrompra pas la nation. Aprês celui la tolérons 1» luxe militaire, celui des armes, des chsvaux, mais que toute parure efféminée foit en mépris, & fi 1'on n'y peut faire renoncer les femmes, qu'on leur apprenne au moins a 1'improuver & dédaigner dans les hommes. Au refte, ce n'eft pas par des loix fomptuaires qu'on vient about d'extirper le luxe. C'eft du fond des cceurs qu'il faut 1'arracher, en y imprimant des goüts plus fains & plus nobles. Défeiidre les chofes qu'on ne doit pas faire eft un expédient inepie & vain, fi 1'on ne commence par les faire haïr & méprifer,& jamais 1'improbation de la loi n'eft efficace que quand elle vient a 1'appui de celle du jugement. Quiconque fe mêle d'inftituer un peuple doit favoir dotniner les opinions & par elles gouverner les paffions des hommes. Ce/a eft vrai furtout dans 1'objet dont je parle. Les loix fomptuaires irritent le defir par la contrainte, plutót qu'elles ne 1'éteignent par le chatitncnt. La fimplicité dans les moeurs & dans la parure eft moins le fruit de la loi que celui de 1'éducation.  •8.1 Gouvernement CIIAPITRE IV. Edttcation. £/est 'C1 1,art1cle important. C'eft 1'éducation qui doit donner aux ames la forme nationale & diriger tellement leurs opinions & leurs goüts qu'elles foient patriotes par inciination, par paflion , par nécefïïté. Un enfant en ouvrant les yeux doit voir la patrie & jufqu'a la mort ne doit plus voir qu'elle. Tout vrai républicain fuct avec le lait de fa mere 1'amour de fa patrie, c'eft-a-dire, des loix & de la liberté. Cet atnour fait toute fon exittence ; il ne voit que la patrie, il ne vit que pour elle; fitót qu'il eft feul, il eft nul: fitót qu'il n'a plus de patrie, il n'eft plus; & s'il n'eft pas mort, il eft pis. L'eoucATioN nationale n'appartient qu'aux hommes libres; il n'y a qu'eux qui aient une exiftence commune & qui foient vraiment liés par Ia loi. ün Francois, un A'.glois, un Efpagnol, un Italien, un Rufle font tous a peu prés le même homme; il fort du college déja tout fnconné pour la Iicence, c'eft a-dire, pour la fervitude. A vingt ans un Polonois ne doit pas être un autre homme; il doit être un Polonois. Je veux qu'en apprenant è lire il life des chofes de fon pay,; qu'a dix an? il en connoifle toutes les produtfions; a douze toutes les provinces, tous les chemin?, toutes les villes; qu'a quinze il en fachj toute 1'hiftoire,  r> e Pologne. 23 a feiae toutes les loix ; qu'il n'y ait pas eu dans toute la Pologne une belle aftion ni un homme illuftre dont il n'sit la mémoire & le cceur pleins & dont il ne puifle rendre compte a 1'inftant. On peut jugerpar-la que ce ne font pas les études ordinaires dirigées par des étrangers & des prétres, que je voudrois faire fuivre aux enfans. La loi doit régler la matiere, 1'ordre & la forme de leurs étu« des. Ils ne doivent avoir pour inüituteurs que des Polonois, tous mariés s'il eft poffible, tous diftin. gués par leurs mceurs, par leur probité, par leur bon fens, par leurs Iumieres, & tous deftiués a des emplois, non plus imporrans ni plus honorables, car cela n'eft pas poffible, mais moins pénibles & plus éclatans, lorfqu'au bout d'un certain nombre d'années ils auront bien rempli celui-la. Gardezvous furtout de faire un métier de 1'état de pédag^gue. Tout homme public en Pologne ne doit avoir d'autre état permanent que celui de citoyen. Tous les poftes qu'il remplir & furtout ceux qui font importans comme celui - ci, ne doivent être confidérés que comme des places d'épreuve & des degrés pour monter plus haut après l'avoir mérité. J'exhorte les Polonois a faire attention a cette maxime, fur laquelle j'infifterai fouvent: je la crois la clef d'un grand relfott dans i'E'at. On verra ciaprès co nment on peut, a mon avis, la rendre praticable fans excuption. n'aime point ces diflimftions de colleges & d'aeauemies, qui tuut que la uobteffe riche & lt  fi4. GOUVEUNEMEN'T noblefie pauvre font élevées dirTéremment & féparément.Tous étant égauxpar la conftitution de 1'Etat, doivent être élevés enfemble & de la même maniere, & fi fon ne peut établir une éducation publique tout-a-fait gratui'te, il faut du moins la mettre a un prix que les pauvres puilfent payer. Ne pourroit-on pas fonder dans chaque college un certain nombre de places purement gratuïtes, c'efta-dire, aux frais de 1'état & qu'on appelle en France des Bourfes? Ces places données aux enfans des pauvres gentilshommes qui auroient bien mérité de la patrie, non comme une aumóne, mais comme une récompenfe des bons fervices des peres, deviendroient a ce titre honorables & pourroient produire un doublé avantage qui ne feroit pas a négliger. II faudroit pour cela que la nomination n'en füt pas arbitraire, mais fe fit par une efpece de jugement dont je parlerai ci-après. Ceux qui rempliroientces placts feroient appelles enfans de 1'Etat & diftingués par quelque marqué honorable, qui donneroit la préféance fur les autres enfans de leur ège, fans excepter ceux des grands. Dans tous les colleges il faut établir un gym. nafe ou lieu d'exercices corporels pour les enfans. Cet article fi négligé eft felon moi la partie la plus importante de 1'éducation, nou-feulement pour former des tempéramens robuftes & fains, mais encore plus pour 1'objet moral qu'on négligé ou qu'on ne remplit que par un tas de préceptes pédantefques & vains, qui font amant de paroles perdues. Je ne redirai  3 E PoLOGNf, 1£ redirai jamais aflez que la borme éducation doit êtra négstive. Empêchez les vices de naJtre, vousaurez aflez fait pour la vertu. Le moyen en eft de la derniere faeilité dans la bonne éducation publique; c'eft de tenir toujours les enfans en haleine, non par d'ennuyeufes études oü ils n'entendent rien & qu'ils prennent en haine par cela feul qu'ils font forcés de refter eu place; mais par des exercices qui leur plaifent en faiisfaifant au befoin qu'en croiflaut a leur corps de s'agiter, & dont 1'agrément pour eux ne fe bomera pas la. O n ne doit point permettre qu'ils jouent féparé. ment a leur fantaifie, mai$ tous enfemble & en pu« blic, de maniere qu'il y ait toujours un but comnjun auquel tous afpirent & qui excite la concur* rence & 1'émulation. Les parens qui préféreront 1'éducation domeftique & feront éleve'r leurs enfans fous leurs yeux, doivent cependant les envoyer a ces exercices. Leur inflruétion peut étre doraeftf. que & particuliere, mais leurs jeux doivent toujours être publics & communs a tous; car il nö s'agit pas feulement ici de les occuper , de leur former une conftitution robufte, de les rendre agi. les & découplés; mais de les accoutumer de bonne heure a la regie, a 1'égalité, a la fraternité, aux concurrences, a vivre fous les yeux de leurs con. citoyens & a defirer 1'approbation publique. Pour cela il nefaut pas que Ie prix & les récompenfes des vainqueurs foient difttibués arbitrairement par les maltres des exercices, ni par les chefs des celle. Supplèm. Tom, VI. B  aó* Gouvernement ges, mais par acclamation & au jugement des fpeftateurs; & 1'on peur. compter que ces jugemens feront toujours justes, furtout fi 1'on a foin de rendre ces jeux attirsns pour le public, en les ordonnant avee nn peu d'appareil & de facon qu'ils falTent fpedïacle. Alors il eft a préfumer que les honnêtes - gens & tous les bons patriotes fe feront un devoir & un plaifir d'y affifter. A Berne il y a un exercice bien fingulier pour les jeunes patriciens qui fortent du college. Ceft ce qu'on appelle Fitat extérieur. C'eft une copie en petit de tout ce qui compofe le gouvernement de la république. Un fénat, des avoyers, de« officiers, deshuiffiers, des orateurs, des caufes, des jugemens, des folemnités. L'état extérieur a mém» ün petit gouvernement & quelques rentes, & cette fnflitution autorifée & protégée par le fouverain, eft ia pépiniere des hommes d'état qui dirigeront un jour les affaires publiques dans les mêmes emplois qu'ils n'exercent d'abord que par jeu. Quel que forme qu'on donne a 1'éducation puNique, dont je n'entreprends pas ici le détail, il convient d'établir un college de magiftrat du premier rang qui en ait la fuprême adminiftration , & qui nomme, révoque & change a fa volonté tant les principaux & chefs des colleges, lefquels feront eux-mêmes, comme je 1'ai déja dit, des candidats pour les hautes magiftratures, que les maitres des exercices dom on aura foin d'exciter auffi le zele-  i) Ti Pologne. a? & la vigilance par des places plus élevées, qui leut feront ouvertes ou fermées felon la maniere dont ils auront reuipli celles-la. Comme c'eft de ces établillemens que dépend 1'efpoir de la république, la gloire & le fort de la nation, je les trouve, je 1'avoue, d'une importance que je fuis bien furpris qu'on n'ait fon gé a leur donner nulle part. Je fuis affligé pour 1'humanité que tant d'idées qui me paroiiï'ent bonnes & utiles fe trouvent toujours, quoi. que trés - praticables, fi loin de tout ce qui fe fait. Au refte, je ne fars ici qu'indiquer, mais c'eft aflez pour ceux a qui je m'adreffe. Ces idéés mal développées niontrent de loin les routes inconnue» aux modetnes, par lefquelles les anciens menoient les hommes a cette vigueur d'ame, a ce zele patriotique, a cette eftime pour les qualités vraiment perfonnelles, fans égard a ce qui n'eft qu'étranger a 1'homme, qui font parmi nous fans exemple, mais dont les levains dans les cceurs de tous les hommes n'attendent pour fermenter que d'être mis en aftion par des inftitutions convenables. Dirigez dans eet efprit 1'éducation, les ufages, les coutumes, Iet mceurs des Polonois, vous développerez en eux ce levain qui n'eft encore éventé par des maximes cor« rompues, par des inftitutions ufées, par une phU lofophie égoïfte qui prêche & qui tue. La nation datera fa feconde naifl'ance de la crife terrible dont elle fort, & voyant ce qu'ont fait fes membres encore indifciplinés, elle attendra beaucoup & obtiendra davantage d'une inftitution bien pondérée j elle B 2  aï Gouvernement chérira, elle refpeétera des loix qui flatteront foa noble orgueil, qui la rendront, qui la maintiendront heureufe & libre; arrachant de fon fein les palïïons qui les éludent, elle y nourrira celles qui les font airaer. Enfin fe renouvellant pour ainfi dire elle-même , elle reprendra dans ce nouvel age toute la vigueur d'une nation naifTante. Mais fans ces précauüons n'attendez rien de vos loix ; quelque fages , quelque prévoyantes qu'elles puiffent étre, elles feront éludées & vaines, & vous aurez corrigé quelques abus qui vous bieffent, pour en introduire d'autres que vous n'aurez pas prevos. Voila des prélirainaires que j'ai cru indifpenfables. Jectons maintenant les yeux fur la conftitution. GHAPITRE'V. Vice radical. 32r vito ns, s'il fe peut, de nous jetter dès las premiers pas dans des projets chimériques. Quelle entreprife , MefÏÏeurs, vous occupe en ce moment? Celle de réformer le gouvernement de Pologne, c'eft - a - dire, de donner a Ia conftitution d'un grand Royaume la confiflauce & la vigueur de celle d'une petite République. Avant de travailler a 1'exécution de ce projet, il faudroit voir d'abord s'il eft pofïïble d'y ïéufïir. Grandeur des nations! Etendue des états! première & principale fouree  de Pologne. 29 des malheurs du genre humain, & furtout des c* lamités fans nombre qui minent & detruifent les peuples policés. Prefque tous les états, républtques &. monarchies indifféremment, profperent par oela feul qu'ils fontpetits, que tous les citoyens sy connoificnt mutuellemeut & s'entre- gardent, que les chefs peuvent voir par eux-mêmes le mal qui fe fait, le bien qu'ils ont a faire & que leurs ordres s'exécutent fous leUrs yeux. Tous les grands peuples écrafés par leurs propres mafles gémiffènt, ou comme vous dans 1'anarehie, ou fous les oppreffions fubalternes qu'une gradation néceffa.re torce les rois de leur donner. II n'y a que Dieu qm puiffe gouverner le monde, & il raudroit des f* cultés plus qu'humaines pour gouverner de grandes nations. II eftétounant, il eft prodigieux que 1» vafte étendue de la Pologne n'ait pas déja cent fois opéré la converfion du gouvernement en defpotisme, abatardi les ames des Polonois & corrompu la maffe de la nation. C'eft un exemple unique dans rhiftoire qu'après des fiecles un pareil état nen foif encore qu'a fanarchie. La lenteur de ce progrês «0 due a des avan.ages inféparables des inconvénietfs dont vous voulez vous délivrer. Ah! je ne fat», rois trop le redire; penfez-y bien avant de toucher a vos loix & furtout a celles qui vous fireat ce que vous êtes. La première réforme dont vous «rriez befoin feroit celle de votre étendue. Vos v*ïlés ptovinces ne comporteront jamais la fevere B 3  Gouvernement adminiftration des petites républiques. Coramencez par reflerrer vos limites, fi vous voulez réformer votre gouvernement. Peut-être vos voifins fongentils h vous rendre ce fervice. Ccferoit-fans doute un grand mal pour les parties démembrées; mais ce feroit un grand bien pour le corps de la nation. Que fi ces retranchemens n'ont pas lieu, je ne vois qu'un moyen qui pilt y fupple'er peut-être, & ce qui eft heureux, ce moyen eft déja dans 1'efprit de votre inftitution. Que la féparation des deux Polognes foit auffi marquée que celle de la Lithuanie: ayez trois états réunis en un. Je voudrois, s'il étoit poffible, que vous en euffiez autant que de Palatinats; formez dans .chacun autant d'adminiftrations particulicres. Perfcdionnez la forme des Diétiues , étendez leur autorité dans leurs Palatinats reipectifs ; mais marquez-cn iüigneufement les bornes, & faites que rien ne pui.fa rompre entr'elles le lien de la commune légiflation & de la fubordination au corps de la répubjique. En un mot, appliquez-vous a étendre cc perfeclionner le fyftême des gouvernemens fédéra. tifs, le feul qui réunifTe les avantages des grands & des petits états, & par-la le feul qui puille vous convenir. Si vous négligez ce confeil, fe doute que jamais vous puiffiez faire un bon ouvrage^  DE POLOG-NE. 31 C H A P I T R E VI. Oueflion des trois ordrts. Jan'entends gueres patier de gouvernement fans trouvet qu'on remonte a des principes qui me paroifTentfaux ou louche.. La république de Pologne, a-t-on fouvent dit & répété, eft oompofée de trois ordres: 1'ordre équeftre, le fénat & le roi. Vaimerois mleux dire que la nation Polono.fe eft compofée de trois ordres; les nobles qui font tout, les bourgeois qui ne font rien, & les payfan, qm font moins que rien. Si 1'on compte le fenat pour nh ordre dans 1'état, pourquoi ne compte-t-oa pas aufïï pour tel la chambre des nonces qui n ett pas moins diftiufte & qui n'a pas moins d autorité? Bien plus; cette divifion, dans le fens même quon la donne eft évidemment incomplete: car il _y Mr loit ajouter les Miniftres, qui ne font ni Rois, m Sénateurs,ni Nonces ,& qui dans la plus grande indépendance n'en font pas moins dépofitanes de toutle pouvoir exécntif. Comment me fera-1-on jamais comprendre que la partie qui n'exifte que par le tout, forme pourtant par rapport au tout un ordre indépendant de lui? La Pairie en Angleterre, atteudu qu'elle eft héréditaire, forme, je 1'avoue, un ordre exiftant par lui - même. Mais en Pologne ètez 1'ordte Equettie, il n'y a plus de Sénat, puuB +  '33 Gc-ÜVBRNEMENr que nul ne peut être Sénateur, s'il n'eft premiérement ïtfoble Polonois. De même il n'y a plus de Roi, puifque c'eft 1'ordre Equeftre qui le nomme, & que leRoi ne peut rien fans lui; mais ótez leSénat & Ie Roi, 1'ordre Equeftre & par lui 1'Etat & le Souverain demeurent en leur entier; & dês dernain s'il lui plait, il aura un Sénat & un Rui comme auparavant. Mais pour n'^tre pas un ordre dans 1'Etat, il re s'enfuit pas que le Sénat n'y foit rien, &. quand il n'auroit pas en corps le depót des loix, fes membres indépendamment de 1'autorité du corps, ne le ièroient pas moins de la puiffance légiflative, & ce feroit leur óter le droit qu'ils tfennent de leur naisfance que de les empêcher d'y voter en pleine Diete, toutes les fois qu'il s'agit de faire ou de réroquer des loix: mais ce n'eft plus alors comme fénateurs qu'ils votent, c'eft fimplement comme citoyens. Sitót que la puiiïance légiflative parle, tout renire dans 1'égalité; toute autre autorité fe tait devant elle ; fa voix eft la voix de Dieu fur la terre. Le Roi même qui préfide a la Diete, n'a pas alors, je le foutiens, le droit d'y voter, s'il n'eft Hoble Polonois. On me dira fans doute lei que je prouve trop, & que fi les Sénateurs n'ont pas voix comme tels' i hvDiete, ils ne doivent pas non plus 1'avoir comme citoyens, puifque les membres de 1'ordre tiqueffre D'y votent pas par eux-mêmes, mais feulement par leurs repréfentans, au nojnbre délquels les fénateurs  de PaLOONE. 33 m font pas. Et routquoi voteroient - Ils comme pBnicrtier. dans la Diete, puifqu'aucun autre noble, ' „ eft Nor.ce, n'y peut voterf Cette rtpfto. me parolt folide dans té* F**» *~ *f* quand les changemens projettés feront Bi», elle Tle fera plus, paree qu'alors les^fénateurs eux mêmes feront des repréfentans perpétuels de la nation, mais qui ne pourront agir en matiere de legislation qu'avec le concours de leurs collegues. Qu'on «e dife donc pas que le concours du Roi, du Sénat & de 1'ordre Equeftre eft néceffaire pour former une loi. Ce droit n'appartient qu au feul ordre Equeftre, dont les Sénateurs font membres comme les Nonces, mais oü le Sénat en corps n'emre pour rien. Telle eft ou doit être en Pologne la loi de 1'Etat: mais la loi de la nature, cette loi fainte , imprefcriptible , qui parle au cceur de fhomme & a fa raifon , ne permet pas qu-t>o reiTcrre ainfi 1'autorué légiflative, & que les loix oblUent quiconque n'y a pas voté perfonnellement comme les Nonces, ou du moins par fes repréfenuns comme le corps de la NobleiTe. On ne vlole point impunêment cette loi facrée, & 1 etat de fotbleffe oü une fi grande nation fe trouve rédutte, eft 1'ouvrage de cette barbajie féodale qui fan retrancher du corps de 1'Etat fa partie la plus nombreufe & quelquefois la plus faine. A Dieu ne plaife que je croie avoir befoin de prouver ici ce qu'un peude bon fens & d'entrailles foffiftnt pour faire fentir a, tout le monde. Et d'oü B 5  34 Gouvernement la Pologne prétend-elle tirer la puifliuce & les forces qu'elle étouffe a plaifir dans fon feit, ? Nobles Polonois , foyez plus, foyeZ hommes. Alors feulement vous ferez heureux & libres; mais ne vous flattez jamais de f étre tant que vous tiendrez vos freres dans les fers. Je fens la difficulté du projet d'affranchir vos peuples. Ge que je crains, n'eft pas feulement Iintérêt mal-emendu, 1'amour - propre & les préjugés des roaltres. Cet obftacle vaincu, je craindrois les vices & la Mcheté des ferfs.. La liberté eft un aliment de bon fuc, mais de forte digeftionj il faut des eftomacs bien fains pour le fupporter. Je ris de ces peuples avilis qui fe lailTant ameuter par des ligueurs, ofent parler de liberté fans même en avoir 1'idée, &, & le cceur plein de tous les vices des efclaves, s'imaginent que pour être .libres il fuffit d'êire des mutins. Fiere & fainte liberté 1 fi ces pauvres gens pouvoient te connoltre, s'ils favoient a quel prix on t'acquiert & te conferve, s'ils fentoient combien tes loix font plus aufteres que n'eft dur le joug des tyrans; leurs foibles ames, sfclaves de paffions qu'il fan«droit étouffer, te craindroient plus cent fois que la fervitude;-ils te fuiroient avec effioi, comme un fardeau prét a les écrafer. Affranchik les peuples de Pologne eft une grande & belle opération, mais bardie, périlleufe & qu'il ne faux pas temer inconfidérement. Parmi les précautions a prendre, iL en. eft une indifpea-  de Pologne. 35 fable & qui demaude du teras. C'eft avant toute chofe de rendre dignes de la liberté ck capables de la fupporter les ferfs cru'on veut affiauchir. T'expoferai ci-après un des moyens qu'on peuc employer pour cela. II feroit téméraire a moi d'ea garantir le fuccès , quoique je n'en doute pas. S'il eft quelque meilleur moyen, qu'on le prenne. Mais quel qu'il foit, fongez que vos ferfs font des horomes comme vous, qu'ils ont en eux 1'étoffe pour devenir tout ce que vous êtes : travaillez d'abord a la mettre en oeuvre , & n'affranchilTez leurs corps qu'après avoir affranchi leurs ames. Sans ce préliminaire comptez que votre opération réuffira mal. CHAPITRE VII. Moyens de maintenir la conftitution. L a légillation de Pologne a été faite fucceflivement de pieces & de morceaux, comme toutes celles de 1'Europe. A mefure qu'on voyoic un abus , on faifoit une loi pour y remédier. De cette loi naiiToient d'autres abus qu'il falloit corriger encore. Cette maniere d'opérer n'a point de fin & mene au plus terrible de tous les abus, qui eft d'énerver toutes les loix i force de lei multiplier. L'ajm'oiblissëment de la légillation j>'eft £ ó  £j5 Gouvernement fait en Pologne d'une maniere bien particuliere & peut-être unique. C'eft qu'elle a perdu fa force fans avoir été fubjnguée par la puiflance exécutive. En ce moment encore la puiflance légiflative conferve toute fon autorité; elle eft dans 1'inaction , mais fans rien voir au-deiTus d'elle. La-Diete eft aufli fouveraine qu'elle fétoit lors de fon établiflement. Cependant elle eft fans force; rien ne la óomine, mais rien ne lui obéit. Cet état eft remarquable & mérite réflexion. Qu'est-ce qui a confervé jiifqu'ici l'airorité légiflative? C'eft la préfence contiooeH» du Légillateur. C'eft la fréquence des Dietel, c'eft le fréquent renouvellement des Nonces qui ont maintenu la république. L'Angleterre qui jouit du premier de ces avantages, a perdu fa liberté pour avoir négligé 1'autre. Le même Parlement dure fi.longtems, que la cour qni s'épuiferoit a l'atheter tous les ans trouve "fon compte a 1'acheter pour f-pt & n'y manque pas. Première lecon pour vous. Un fecond moyen par lequel la puiflance légiflative s'eft confervée en Pologne, eft premiérement le partage de la puiifance exécutive, qui a empêché fes dépofitaires de concert pour 1'opprimer, & en fecond lieu le pafl'age fréquent de cette même puisfence exécutive par différéfites mains, ce qui a empêché tout fyftême fuivi d'ufurpation. Chaque Roi faifoit dans le cours de fon regne quelques pas vers la puiflance arbitraire. Mais 1'éleftion de fon fuccefieur fercok celui. ci de rétregrader, au lieu de  DE P O I- O" G N H- 37' pourfuivre, & les rois au commencement de chaque regne étoient contraints par les paSa convent* . de partir tous du même point. De forte que , malgré la pente habhuelle vers le defpotifme ,. il n'y avoit aucun progrès, réel. Il en étoit de même des Miniftres & grands Officiers. Tous indépendsns,, & du Sénat & les uns des autres, avoiem dans leurs départemens refpeclifs une autorité fans bornes: mais outre que ces places fe balancoient mutuellement, en ne fe perpétuam pas dans les mêmes families, elles n'y ponoient-aucune force abfolue, & tout le pouvoir, même ufurpé, retournoit toujours a fa fource. M n'en eut pas été de même fi toute la puiflance esécutive eut été, foit dans un feul corps comme le Sénat, foit dans une familie par 1'hérédhé de ia cóurónne. Cette familie ou ce corps auroient probablement opprimé tót ou tard la puiflance légiflative, & pat-la mis les Polonois fous le joug que portent toutes les nations & dont eux feuls font encore exerspts ; ear je ne compte déja plus la Suede. Deuxieme lecon-. Voila l'avantage. 11 eft grand, fans doutef mais voici 1'inconvénient qui - n'eft gueres moindre. La puiflance exécutive partagée eture plufieurs individus manque d'harmonie entre fes- parties & caufe un tiraillement continuel, incompatible avee le bon - ordre. Chaque dépofltaire d'une partie de cette puiflance fe met ea vertu de cette partie a tous égards au-defius des raagiftrats & des loi* B 7  38 G o u v h r ' n ~ b m e n t II reconnott a Ia vérité 1'autorité de Ia Diete; mais ne reconnoifTant que celle -Ia, quand la Diete' eft diflbute il n'en reconnoit plus du tout; il méprife les tribunaux & brave leurs jugemens. Ce font autant de petits defpotes qui, fans ufurper précifément 1'autorité fouveraine, ne laiflènt pas d'opprimer en détail les citoyens, & donnent 1'exernple funefle & trop fuivi de violer fans fcru■pule & fans ciainte les droits & la liberté des particuliers. J e crois que voila la première & principale eaufe de 1'anarchie qui regne dans 1'Etat. Pour óter cette caufe , je ne vois qu'un moyen : ce n?eft pas d'armer les tribunaua particuliers de Ia force publique contre ces petits tyrans; car cette force, tantót mal adminiflrée & tantót furmontée par une force fupérieure, pourroir exciter des troubles & des défordres capables d'aller par degrés jufqu'aux guerres civiles : mais c'eft d'armer de toute la force exécutive un corps refpeétable & permanent tel que Ie Sénat, capable par fa con-fiüance & par fon. autorité de contenir dans leur de voir les Magnats tem és de s'en écarter. Ce moyen me paroit efficace , & la feroit certainement; mais le danger en feroit terrible & trésdifficile a éviter. Car, comme on peut voir dans le Contrat Social , tout corps dépofitaire de la puiflance exécutive, tend fortement & continuellement a fubjuguer la puiflance légiflative Sc y parvient tót ou tard..  i> e P o l o O n e. Pour parer eet inconvénient, on vous propofe de partager le Sénat en plufieurs confeils ou départemens préfidés chacun par le Miniftre, chargé de ce département, lequel Minillre, ainfi que les membres de chaque Confeil, changeroit au bout d'un tems fisé & rouleroit avec ceux des autres départemens. Cette idéé peut êire bonne, c'étoit celie de 1'Abbé de Saint - Pierre, & il Fa bien développée dans fa Polyfynodie. La puiffance exécutive ainfi divifée & paftagere fera plus fubordonnée a la léaiflative, & les diverfes parties de fadminifiration feront plus approfonuies & mieux traitées féparément. Ne comptez pourtant pas trop fur ce moyen: fi elles font toujours féparées, elles manqueront de concett, & bientót, fe contrecarrant' mutuellement , elles uferont prefque toutes leurs forces les unes conire les autres, jufqu'a ce qu'une d'entr'elles ait pris 1'afcendant & les domine toutes: ou bien fi elles i'accordent, & fe concertent, elles ne feront réellement qu'un même corps & n'auront qu'un même efprit, comme les chambres d'un Parlement; & de toutes manieres je tiens pöur Irnpos»fible, que 1'indépendance & 1'équilibre fe rriaintiennent fi bien entr'elles, qu'il n'en réfulte pas toujours un centre ou foyer d'adminiftration , oü toutes les forces particulieres fe réuniront toujours pour opprimer le Souverain. Dans prefque toute, nos républiques, les confeils font ainfi diftribués era départemene,. qui dans leur origine étoient indépea»  4« Gouvernement dany les uns des autres, & qui bientót ont cetfe de 1'être. L' In vent ion dè cette divifion par chsmbres' ou départemens eft moJerne. Les anciens qui favoient mieux que nous comment fe maintient la liberté, ne connurent point eet expédient. Le Sénat de Rome gouvernoit la moitié du monde connu, & n'avoit pas même 1'idée de ces partages. Ce Sé. nat, cependant, ne parvint jamais a opprimer la puiflance légiflaiive, quoique les Sénateurs fuflent a vie. Mais les Loix avoient des Cenfeurs, le Peuple avoit des Tribuns , & le Sénat n'élifoit pss l*s Confuls. Poos que fadminiflrarion: foit forte, bonne & marche bien a fon but, toute la puiflance exécutive doit être dans les mê.nes mams: mais il ne fuffit pas que ces njains changent; il faut qu'elles n'agiflent, s'il eft pollible, que fous les yeux du légiflateur & que ce foit lui qui les guide. Voila Ie vrai fecret pour qu'elles n'ufurpent pas fon autorité. Tant que les Etats s'affembleront & que les Nonces changeront fréquemment , il fera difficile qne le Sénat ou le Roi oppriment ou ufurpent 1'autorité légiflative. II eft rc-marquable que jufqu'ici les Rois n'aient pas tenté de rendre les Dietes plus rares, quoiqu'ils ne fuflent pas forcés comme ceux d'Angleterre, 4 les afiembler fréquemment fous peiue de manquer d'argent. II faut, ou que les xhofas fe foient toujours trouvées dans un état de  BE P G L 0 G N E. 4* crife qui ait rendu Paotorité royale infufïïfante pour y pourvoir, ou que les Rois fe foient afïurés par leurs brigues dans les Diétines d'avoir toujours la pluralité des Nonces a leur dil'pofition, ou qu'a la faveur du liberum veto ils aient été ftirs d'arrêtet toujours les délibérations qui pouvoient leur déplaire & de diffoudre les Dietes a leur volonté, Qnand tous ces motifs ne fubfifteront plus, on doit s'attendre que le Roi, ou le Sénat, ou tous les deux enfemble feront de grands efforts pour fe dé> livrer des Dietes & les rendre suffi rares qu'il fe pourra. Voila ce qu'il faut furtout prévenir & etnpècber. Le moyen propofé eft le feul, il eft fimple & ne peut manquer d'ètre efïïeace: il eft bien fingulier qu'avant le Contrat Sociai,oü je le donne, perfonne ne s'en fut avlfé! U n des plus grands inconvéniens des grands Etats,. celui de tous qui y rend la liberté le plus difficile a conferver, eft que Ia puiflance légiflative ne peut s'y montrer elle - même & ne peut agir que par députation. Cela a fon ni;il & fon bien, mais le mal 1'emporte. Le légiflateur en corps eft impoffible a corrompre, mais facile a tromper. Ses repréfentans font difficilement trempés, mais ajfément corrompus , & il arrivé rarement qu'ils ne le foient pas. Vous avez fous les yeux fexemple du Pürlement d'Angleterre , & par le liberum vetv celui de votre propre Nation. Or, ou peut éclairer celui qui s'abufe, mais corutnent retenir celui qui fe vend? Sans être inilxuit des affaites de Pologno,  42 Gouvernement je parierois tout au monde qu'il y a plus de lumieïes dans la Diete & plus de vertu dans les Diétines- Je vois deux moyens de prévenir ce mal terrible de la corruption, qui de 1'organe de la- liberté fait finftrument de Ia fervitude. Le premier eft, comme j'ai déja dit, la fréquence des Dietes, qui changeant fouvent les re* préfentans rend leur féduftion plus coüteufe & plusdifficile. Sur ce point votre conftitution vaut mieux que celle de Ia Grande Jiretagne, & quand on aura été ou modifié le liberum veto, je n'y vois aucun autre changement 4 faire, fi ce n'eft d'ajouter quelques difficultés a 1'envoi des rnêmes Nonces a deux Dietes confécutives, & d'empécher qu'ils ne foient élus un grand nombre de fois. Je reviendrai ciaprés fur eet article. Lu fecond moyen eft. d'aflujettir les repréfentans a ftiivre exaéleinent leurs intlruétions, & a rendre un compte févere a leurs conftituans de leur conduite a la Diete. La - deiTus je ne puis qu'admirer la négligence, 1'incurie, & j'ofe dire, la ftupidité de la nation Angloife, qui après avoir armé fes députés de la fuprême puiiTance, n'y ajoute aucun frein pour régler 1'ufage qu'ils pourront en faire pendant fept ans entiers que dure leur comraiffion. Je vois que les Polonois ne fentent pas alTez 1'importance de leurs Diétines, ni tout ce qu'ils leur doivent, ni tout ce qu'ils peuvent en obtenir ?nétendant leur autotité & leur donnant me forme plus réguliere. Pour moi je fuis convaincu que fi.  de Pologne. 43- les Confédérntions ont fauvé la patrie, ce font les Diétines qui font confer-vée, & que c'eft-14 qu'efl ie vrai Palladium de la Liberté. Les inftruaions des Nonces doivent être dres. fées avec grand foin, tast fur les anicles annoncés daus les univerfaux que fur les autres befoins préfens de 1'Etat ou de la province, & cela par une Gloraroiffion-, préfidée fi 1'on veut, par le Maréchal de la Diétine; mats compofée au refte de membreschoifis i la pluralité des voix, & la nobleffe ne doit point fe féparer que ces hrftuiöions n'aieut été lues, difcuiées & confenties en plsine aifembiée. Outre 1'original de ces inftruaions remis aux Nonces avec leurs pouvoirs, il en doit refter un double figné d'eux dans les regiftres de la Diétine. C'efl fur ces inftruaions qu'ils doivent a leur retour rendre compte de leur conduite aux Diétines de relation qu'il faut abfolument rétablir, & c'eft fur cecompte rendu qu'ils doivent être excltis de toute autre nonciature fubféquente , ou déclarés derechef admiffibles, quand ils auront fuivi leuis inftruaions a la fatisfaaion de leurs conftituans. Cet examen^ eft de la derniere importance. On n'y fauroit donner trop d'attention, ni en marquer 1'efiët avec trop* de foin. II faut qu'a chaque mot que le Nonce dit a la Diete, i chaque démarche qu'il fait, il fe voie d'avance fous les yeux de fes conftituans & qu'il fente 1'infiuence qu'aura leur jugement, «ant fur fes projets d'avancemenr.que fur 1'eftitne de fescompatriotes , indifpenfable pour leur exécutloiw  44 G o V v e 11 n e m k n t car enfin, ce n'eft pas pour y dire leur feminien: particulier, mais pour y déclarer les volontés de la Naiion, qu'elle envoye des Nonces è la Diete. Ce frein eft abfolument néceflaire pour les contenir dans leur devoir & prévenir toute corruption, de quelque part qu'elle vienne. Quoi qu'on en puhTe dire, je ne vois aucun inconvénient a cette gêne, puifque !a chambre des Nonces n'ayant ou ne devant avoir aucime part au détail de radminiftration, ne peut jamais avoir a traite* aucune matiere imprévue: d'ailieurs, pourvu qu'un Nonce ne fafTe rien de contraire a 1'exprefle volonté de fes conftituans, iis ne lui feroient pas un crime d'avoir opiné en bon citoyen fur une matiere qu'ils n'auroient pas prévue , & fur laquelle ils n'auroient rien déterminé. J'ajoute en6n que, quand il y auroit en effet quelque inconvénient a tenir ainfi les Nonces a'Jer/is a leurs inflructions , il n'y auroit point encore a balancer vis-a-vis 1'avamage immenfe que la loi ne foit jamais que 1'expreffion réelle des volontés de la Nation, Maïs auffi, ces précautions prifes, il ne doit jamais y avoir confiit de jurifiliétion entre la Diete & les Diétines , & «juand une lot a été portée en pleine Diese, je n'accorde pas même &■ celles-ci droit de proteftation. Qu'elles punifl'ent leurs Non. ces, que s'il le faut elles leur faflent même couper la tête qm.nd ils ont prévariqué; mais qu'elles «béiflent pleinement , toujours, fans excep:ion, fans protUhtiou; qu'elles porem, comme il eft  de Pologne. 4Ï jufte, la peine de leur maitvais choix; Tauf a faire a la prochaine Diete, fi eliës le jugent a propos, des repréfentations atiflï vives qu'il leur plaira. L e s Dietes étant fréquentes out moins befoin d'dtre longues, & fix femaines de dnrée me paroufent bien fuffifantes pour les befoins ordinaires de 1'Etat. Mais il eft contradictoire que 1'autorité fouveraine fe donne des entraves a elle-même, furtout quand elle eft immédiatement entre les mains de la nation. Que cette durée des Dietes ordinaires continue d'être fixée a fix femaines, a la bonne heure. Mais il dépendra toujours de 1'aiTemblée de prolonger cc terme par une délibération exprelTe, lotfoue les affaires le demanderont. Car enfin, fi la Diete qui f»i fa nature eft au-deffus de la loi, dit; Je veux refter, qui eft - ce qui lui dira; Je ne veux pas que Ut reftes. 11 n'y a que le feul cas qu'une Diete voulüt durer plus de deux ans qu'elle ne le pourroit pas; fes pouvoirs alors finiroicm, & ceux d'une autre Diete commeficeroient avec la troifieme année. La Diete qui peut tout , peut fans contredit prefcrire un plu? long intervalle entre les Dietes: mais cette nouvelle loi ne pourroit regarder que les Dietes fubféquentes, & celle qui la porte n'en peut profiter. Les principes dont ces regies fe déduifent, font établis dans le Contrat Social. A 1'égard des Dietes extraordinaires , le bon ordre exige en effet qu'elles foient rares & convoquées uniquemeat pour u'urgentes néeeffités.  H$ G O V » E H N li M E N T Q«and Ie Roi les juge telles, il doit, je I'avoue en être cru; mais ces néceffités pourtoient exifter & qu.1 nen convint pas; faut- il alors que le Sé m en juge? Dans un Et« libre on doit prévoir tout ce qui peut attaquer la liberté. Si les Confédé. ranons reftent, elles peuvent en certains cas fupPlcer les Dietes extraordinaires: mais fi vous aboMeZ les Confédérations, i, faUt un régieinent pour ces Dietes néceflairement. U meparoit impoffible que Ia loi pui/Je fixer ranonnablement Ia durée des Dietes extraordinair : Pu.fquelle dépend abfolument de la nature des f! faires qui la font convoquer. Pour Ordinaire la céénté y eft néceflaire; mais cette célérité étant ela ,ve aux matieres a traiter qui ne font pas dans u°eHa T e Pologne. 49 perdre un tems fi précieux , mais c'en eft un bien plus grand qu'un bon citoyen n'ofe parler quand il a des chofes utiles ii dire. Dés qu'il n'y aura dans les Dietes que certaines bouches qui s'ouvrent, & qu'il leur fera défendu de tout dire, elles ne diront bientót plus que ce qui peut plaire aux puiflans. Après les chaugemens indifpenfables dans la nominaüon des emplois & dans la diftribution des graces, il y aura vraifemblablement & moins de vaines harangues & moins de flagorneries adrefleesf au Roi fous cette forme. On pourroit cependant, pour élaguer un peu les tortillages & les amphigouris, obliger tout harangueur a énoncer aucommencement de fon difcours la propofuion qu'il veut faire» &, après avoir déduit fes raifons, de donner fes coiiclufions fommaires, comme font les gens da Roi dans les tribunaux. Si cela n'abre'geoit pas lest difcours, cela contiendroit du moins ceux qui na veulent parler que pour ne rien dire, & faire confumer le tems a ne rien faire. J e ne fais pas bien quelle eft la forme e'tablie danst les Dietes pour donner la finction aux loix; mais je fais que pour des raifons dites ci-devant, cetta forme ne doit pas être la même que dans le Parlement de la Grande-Bretagne, que le Sénat de Po. logne doit avoir "'autorité d'adminiltration , non da légillation, que dans toute caufe légiflative les Sé* nateurs doivent voter feulemetï comme membres dd la Diete, non comme membres du Sénat, & quj les voix doivent être comptées par tête égaiement Supi'linn Tom. Ft, C  50 G o u v k n n e u ent dans les deux chambres. Pjut-être l'ufiige du liberum veto a-t-il empêché de faire cette diftin£Hon, mais elle fera trés - néceflaire , quand le liberum veto fera óté, & cela d'autant plus que ce fera un avantage immenfe de moins dans la chambre des Nonces; car je ne fuppofe pas que les Sénateurs, bien moins les Miniflres, aient jamais eu part a ce droit. Le veto des Nonces Polonois repréfente celui des Tribuns du peuple a Rome; or ils n'exerfoient pas ce droit comme citoyens, mais comme repréfentans du Peuple Romain. La perte du liberum veto n'eft donc que pour la chambre des Nonces, & le corps du Sénat n'y perdant rien, y gagne par conféquent. Ce ci pofé, je vois un défaut a corriger dans la Diete. C'eft que le nombre des Sénateurs égalant prefque celui des Nonces , le Sénat a une trop gronde iofluence dans les délibérations & peut aifément, par fon crédit dans 1'ordre Equeftre, gsgnei le petic nombre de voix dont il a befoin pour ê^re toöjours prépondéranr. Je dis que c'eft un défaut; paree que le Sénat étant un corps particulier dans 1'Etat, a nécefTaireinent des intéréts de corps différens de ceux de la nation, & qui même a certains égards y peuvent être contraires. Or la loi, qui n'eft que 1'exprefïïon de la volonté générale, eft bien le réfultat de tous ks intéréts particuliers combinés & balarcés par leur multitude; mais les intéréts du corps fa.fant un poids trop confidérable romproient 1'équüibre, K  r> k Pologne. 5! ne doivent pas y entrer colleétivement. Chaque individu doit avoir fa voix, nul corps que! qu'il foit n'en doit avoir une. Or, fi le Sénat avoit trop de poids dans la Diete, non-feulement il y porteroit fon intérêt, mais il le ren droit prépondérant. Un remede naturel a ce défaut fe préfente da lui - même , c'eft d'augmenter le nombre des Nonces; mais je craindrois que cela ne fit trop de mouvement dans 1'Etat & n'approchat trop du tumulte démocratique. S'il falloit abfolument chauger la proportion , au lieu d'augmenter le nombre des Nonces, j'aimcrois mieux dimlnuer le nombre des Sénateurs. Et dans le fond, je re vois pas trop pourquoi, y ayant déja un Palatin a la tête de chaque province, il y faut encore de grands Caftellans. Msis ne perdons jamais de vue 1'importante maxime de ne rien changer fans néceffité, ni pour retrancher ni pour ajouter. Il vaut mieux, è mon avis» avoir un confeil moins nombreux & laiffer plus de liberté a ceux qui le compofent, que d'en augmenter le nombre & de gêner la liberté dans les délibérations, comme on eft toujours forcé dé faire quand ce nombre devient trop grand: a quoi j'ajouterai, s'il eft permis de prévoir le bien ainfi que Ie mal, qu'il faut éviter de rendre la Diete aufii nombreufe qu'elle peut 1'étre, pour ne pas s'óter le moyen d'y admettre un jour fans confufion de nouveaux Députés, fi jamais on en vient a 1'auobliITement des villes & a 1'affranchiire- C 2  $i Gouvernement ment des ferfs, comme il eft a defirer pour la farce & le bonheur de la nation. Cherchons donc un moyen-de remédier h ce défaut d'une autre maniere & avec le moins de changement qu'il fe pourra. Tous les Sénateurs font nommés par leRoi, & conféquevnment font fes créatures. De plus ils font a vie, & a ce titre ils forment un corps indépendant & du Roi & de 1'ordre Equeftre qui, comme je fai dit, a fon intérêt a part & doit tendre 4 fufurpation. Et 1'on ne doit pas ici m'accu. fer de contradiftion, paree que j'admets le Sénat comme un corps difiinét dans la République, quoi. que je ne 1'admette pas comme un ordre compofant de Ia République: car cela eft fort différew. Prem it* rem ent, il faut óter au Roi la nomination du Sénat, nou pas tant a caufe du pouvoir qu'il confe-tve par - la fur les Sénateurs & qui peut n'ètre pas grand , que par celui qu'il a fur tous ceux qui alpirent a 1'ètre, & par eux fur le corps eniier de la mtion. Outre 1'effet de ce changement dans la conftitution, il en réfultera 1'avantage ineftimable d'amortii parmi la Nobleffe 1'efprit couttifan & d'y fubftituer 1'efprit patriotique. Je ne vois aucun inconvénient que les Sénateurs foient nommés par la Diete, & j'y vois de grands biens trop clairs pour avoir befoin d'être détaillés. Cette nomination peut fe fair? tout d'un coup dans la Diete, ou ptemiérement dans les Diétines, pa* ja  d e P o l o g n e. 53 préfentation d'un certain nombre de fujets pour chaque place vacante dans leurs Palatinats refpeétifs. Entre ces élus la Diete feroit fon choix, ou bien elle en éliroit un moindre nombre , parmi lefquels on pourroit laifTer encore au Roi le droit de choifir.: pour aller tout d'un coup au plus fimple, pourquoi chaque Palaiin ne feroit- il pas élu défmitivement dans la Diétine de fa province? Quel inconvénient a -1 - on vu uaitre de cette élection pour les Palatins-de Polock, de Witebsk & pour le Starofte de Samogitie, & quel mal y auroit il que le privilege de ces trois prövinces devint un droit eommun pour toutes? Ne perdons pas de vue 1'importance dont il eft pour la Pologne de tourner fa conftitution vers la forme fédérative, pour écarter, autant qu'il eft pofiible, les maux attachés a la grandeur, ou plutót a 1'étendue de 1'Etat. E n fecond lieu , fi vous faites que les Sénateurs ne foient plus a vie, vous affoiblirez confidérable-. ment 1'intérêt de corps qui tend a 1'ufurpation; mais cette opération a fes difficultés: premiérement, paree qu'il eft dur a des hommes accoutumés a manier les sfLires publiques, de fe avoir réduits tout d'un coup a 1'état priyé fans avoir démérité: fecondemtnt, paree que les places de Sénateurs font unie* a des titres de Palatins & de Caftellans & a 1'autorité locale qui y eft attachée, & qu'il réfulteroit du dé?ordre & des mécontentemens du paifage perpétuel de ces titres & de cette autorité d'un individu a un aiure. Enfin cette amovibilité ne peut C 3  54 Gouvernement pas s'étendre aux Evéques, & ne doit peut-être pas s'étendre aux Miniftres, dout les places enigeaut des talens particuliers ne font pas toujours faciles a bien remplir. Si les Evéques feuls étoient a vie, l'autorité du clergé, déja trop grande, augmenteroit confidérablement , & il eft important que cette autorité foit balancée par des Sénateurs qui foient a vie, ainfi que les Evéques, & qui ne craignent pas plus qu'eux d'être déplacés. Voict ce que j'imaginerois pour remédier a ces divers inconvéniens. Je voudrois que les places de Sénateurs du premier rang continualTent d'être a vie. Cela feroit, en y comprenant outre les Evéques & les Palatins, tous les Caftellans du premier rang, quatre-vingt- neuf Sénateurs inamovibles. Quant aux Caftellans du fecond rang, je les voudrois tous a tems, foit pour deux aui, en faifant a chaque Diete une nouvelle élection, foit ppur plus longtems, s'il étoit jugé a propos; mais toujours fortant de place k chaque ttrme , fatif it élire de nouveau ceux que la Diete voudroit continuer , ce que je permettrois un certain nombre de fois feulement, felon le projet qu'on trouvera ci • aprês. L'obstacle des titres feroit foible, paree que ces titres ne donnant prefque d'autre fonction que de fiéger au Sénat, pourroient être fupprimês fans inconvénient, & qu'au lieu du titre de Caftellans a bancs, ils pourroient potter fitnp'einent celui ue Sénateurs députés, Comme pjt la réïotoie, le  de Pologne. 55 Sénat revêtu de la puiflance exécutive feroit perpé. tuellement aflemblé dans un certain nombre de fes membres , un nombre proportionné de Sénateurs députés feroient de même tenus d'y affifter toujours a tour de róle; mais il ne s'agit pas ici de ces fortes de détails. Par ce changement a peine fenfible, ces Cas> tellans ou Sénateurs députés deviendroient réellement autant de repréfentans de la Diete,qui feroient contre-poids au corps du Sénat & renforceroient 1'ordre Equeftre dans les afiemblées de la nation; en forte que les Sénateurs a vie, quoique devenus plus puiflans, tant par 1'abolition du veto que par la diminution de la puiflance royale, & celle des Miniftres fondue en partie dans leur corps, n'y pourroient pourtant faire dominer 1'efprit de ce corps, & le Sénat, ainfi mi - parti de membres a tems & de membres i vie, feroit auffi bien conflitué qu'il eft poiïble pour faire un pouvoir intermédiaire entre la chambre des Nonces & le Roi, ayant a la fois aflez de confiftance pour régler 1'admiuiftration & aflez de dépendance pour être foumis aux "loix. Cette opération me parott bonne , paree qu'elle eft fimple & cependant d'un grand efFet. On propofe pour rcodérer les abus du veto, de ne plus compter les voix par tête de Nonce, mais de les compter par P.ilatinats. On ne fiuroit trop réfiéchir fur ce changement avant que de ftutopter, quoitjö'i! Bit fès avantages & qu'il foit C 4  56 Gouvernement favorable a la forme fédérative. Le.« voix prifes par malfes & collectivement vont toujours moins direftement a fintérêt commun que piifes fégrégativement par individu. II arrivera tres-fouvent que parmi les Nonces d'un Palatinat , un d'entr'eux dans leurs délibérntions psrticulieres prendra 1'afcendant fur les autres & déterminera pour fon avis ia pluralité, qu'il n'auroit pas fi chaque voix dcmeuroit indépendante. Ainfi les corrupteurs auront moins a faire & fauront mieux a qui s'adrefler. De plus, il vaut mieux que chaque Nonce ait il répondre pour lui feul a fa Diétine, afin que nul ne s'exctife fur les autres , que 1'innocent & le coupable ne foient pas confondus & que la juftice diiïributive foit mieux obfervée. II fe préfente bien des raifons contre cette forme qui reUJieroit beaucoup le lieu commun & pourroit a chaque Diete expoftr 1'Etat a fe divifer. En rendant les Nonces pius dépendaas de leurs inftruétions & de leurs conftituans, on gsgne a peu prés le même avantage fans inconvénient. Ceci fuppofe, il eft vrai, que les (Iffrages ne fe donnent point par fcrutin, mais a haute voix x afin que la conduite & 1'opinion de chaque Nonce a la Diete foient connues & qu'il en réponde en fon propre & privé nom. Mais cette matiere des fufrlages étant une de celles que j'at difcutées avec le plus Ie foin dans Ie Contrat Social, il eft fuperUu de me répéter ici. Quant aux éketions, on trouvera peut-être d'abord quelque embarras a nèmrr/er a la fois dans chaque  de Pologne. 5? chaque Diete tant de Sénateurs députés, & en général aux éledions d'un grand nombre fur un plus grand nombre qui reviendront quelquefois dans le projet que j'ai a propofer; mais en recourant pour eet article au fcrutin, 1'on óteroit aifément eet era'barras au moyen de cartons imprimés & numérotés qu'on diüribueroit aux Elefteurs la veille de 1'élection, & qui contiendroient les noms de tous les Candidats entre lefqutls cette éleftion doit être faite. Le lendemain les Eledeurs viendroient a la file rapporter dans une corbeille tous leurs cartons, aprês avoir marqué chacun dans le fien, ceux qu'il élk ou ceux qu'il exclut, felon 1'avis qui feroit en tête des canons. Le déchiffrement de ces mêmes cartons fe feroit tont de fuite en préfence de 1'asfcmblée pat le fecrétajre de Ia Diete, affifte de deux autres fecrétaires aS aCtum nommés fur le champ par le Maréchal dans Ie nombre des Nonces préfens. Par cette méthode l'opération deviendroit fi courte & fi fimple, que fatis difpute & fans bruit tout le Sénat fe rempliroit aifément dans une féance. II ett vrai qu'il faudroit encore une regie pour déterminer Ia lifle des candidats; mais eet article aura fa place & ne fera pas oublié. Reste a parler du Roi, qui préfide 4 la Diete & qui doit être par fa place le fuprêras adminiltrateur des loix. C 5  51 Gouvernement CHAPITRE VIII. Du Roi. C^'est un grand mal que le chef d'une nation foit l'ennemi né de la liberté dont il devroit être le défenfeur. Ce mal, & mon avis, n'eft pas tellernent inhérent a cette place qu'on ne püt f en détacher, ou du moins 1'atnoindrir confidérablemenr. Il n'y a point de tentation fans efpoir. Rendez 1'ufurpation impoffible i vos Rois, vous leur en óterez la fantaifie, & ils mettrcnt a vous bien gouverner & a vous défendre tous les efforts qu'ils font maintenant pour vous alfervir. Les inftituteurs de la Pologne, comme fa remarqué M. le Comte Wielhorski, ont bien fongé è óter aux Rois les moyens de nuire, mais non pas celui de corrom. pre, & les graces dont ils font les diftributeurs leur donnent abondamment ce moyen. La difficulté eft qu'en leur ótant cette diftribution, 1'on paroit leur tout óter: c'eft pourtant ce qu'il ne faut pas faire; car autant vaudroit n'avoir point de Roi, & je crois impoffible a un auffi grand Etat que Ia Po. Jogne de s'en pafler; c'eft - a-dire, d'un chef fuprême qui foit a vie. Or a moins que le chef d'une nation ne foit tout-a-fait nul, & par conféquent jnutile, il faut bien qu'il puilié faire quelque chofe, & fi peu qu'il faflè, il faut néceilairement que c» foit du bien ou du mal.  de Pologne. S9 Maintenant tout le Sénat eft I la nomi. nation du Roi: c'eft trop. S'il n'a aucune part i cette nomination, ce n'eft pas aflez. Quoique It Pairie en Angleterre foit aufli a la nomination du Roi, elle en eft bien moins dépendante, paree que cette Pairie une fois donnée eft héréditaire, au lieu que les Evêchés, Palatinats & Caftellanies n'écant qu'a vie, retournent,a la mort d» chaque titulaire, è la nomination du Roi. J' a i dit comment il me paroit que cette nomination devroit fe faire, favoir les Palatins & grands Caftellans a vie & par leurs Diétines refpectives. Les Caftellans du fecond rang a tems & par la Diete. A 1'égard des Evéques, il me paroit diffieiie, & moins qu'on ne les falfe élire par leurs Chapitres, d'en ö:ef la nomination au Roi, & je crois qu'on peut la rui laiiTer, excepié toutefois celle de 1'Archevêque de Gnefne qui appartient naturellement k la Diete, a moins qu'on n'en fépare la Priraatie, dont elle feule doit difpofer. Quant aux Miniftres, funout les Grands Généraux & Grands Tréforiers, quoique leur puiflance qui fait contre-poids a celle du Roi, doive êrre diminuée en proportion de Ia fienne, il ne me paroit pas prudent de laifler au Roi le droit de remplir ces places par fes créatures & je voudrois au moins qu'il n'eüt que le choix fur un petit nombre de fujets préfentés par la Diete. Je conviens que ne pouvant plus óter ces places après les avoir données, il ne peut plus compteif abfolumenr, fur ceux qui les remplüïent; mais e'..* C 6  f>o Gouvernement aflfez du poiTvoir qu'elles lui donnent fur les afpi. raus, finon pour Ie raettre en état de changer "la face du gouvernement, du moins pour lui en I-aTer lefpérance, & c'eft furtout cette efpérance qu'il importe de lui óter a tout prix. Poua le Grand Chancelier, il doit, ce me femb!e, être de nomination royale. Les Rois font les juges - nés de leurs peuples; c'eft pour cette fonftion, quoi qu'ils 1'aient tous abandonnée, qu'ils out été établis-, elle ne peut leur être ó:ée; & quanj ils ne veulent pas la remplir eux - mênes, la nomination de leurs fubftituts en cette partie eft de leur droit, paree que c'eft toujours a eux de répondre des jugemens qui fe rendent en leur nom. La na«on peut, il eft vrai, leur donner des aiTefleurs, & le doit lorfqu'ils ne j.gent pas eux-mêmes: ainfi le tribunal de la Conronne, oü préfide, non ie Roi, mais le Grand Chancelier, eft fous fin. fpeaion de la nation, & c'eft avec raifon que les Piétines en nomment les autres membres. Si le Hoi jugeoit en perfonne, j'efti.ne qu'il auroit le droit de juger feul. En tout état de caufe fon intérêt feroit toujours d'être jufte , & jamais des juge. mens iniques ne furent une bonne voie pour parvenir a 1'ufurpation. A 1'égard des autres dignités, tant de Ia Courortre que ces Palatinats, qui ne font que des titres honorifiques & donnent plus d'éclat que de crédit, on ne peut mieux faire que de lui en IailTer la pleine dilpofition; qu'il puifle honorer le mérite  de Pologne. 61 & flatter la vanité, mais qu'il ne puifle confére? la puiflance. L a majefté du iróne dort être emretenue avec iplendeur: mais il irnporte que de toute la dépenfe r.éceflaire è eet effet on en laifle faire au Roi le moins qu'il eft poffible. II ftrok a defirer que tous les officiers du Roi fuflent aux gpges de la République & non pas aux ficns, & qu'on réduisit eu même rapport tous les revenus royaux, afin de diminuer amant qu'il fe peut le maniement des deniers p;r les mains du Roi. On a propofé de rendre Ia Couronne héréditaiie. Aflurez- vous qu'au moment que ceue loi fera portce, la Pologne peut dire adieu pour jamsis a la liberté. On penfe y pourvoir fuffifamment en borBant la puiflance royale. On ne voit pas que ces bornes pofécs psr les loix feretn frnnchies a trait de tems par des ufurpaiions graduelles, & qu'un iyflëme adopté & fuivi fans intenuption par une familie royale, doit 1'emporter a la longtie fur une légillation qui par fa nature t,.nd fans cefle au relèrchement. Si le Roi ne peut corrompre les Grands par desgraces, il peut toujours ks corrompre par des promefles dont lés fucccfléurs- font garans; & comme les plans formés par la familie royale fe perpétuent avec elle , on prendra bien plus de confiance en fes engagemens & 1'on comptera bienplus fur leur accompliflèment, que quand la Couronne élective montre la fin des projets du Monarque avec celle de fa vie. La Pologne efl Irbre, C 7 .  6i Gouvernement paree que chaque regne eft précédé d'un intervalle, oü la nation rentree dans tous fes droits & reprenant une vigueur nouvelle, coupe Ie progrès des abus & des ufurpations, oü la légillation fe remonte & reprend fon premier reflort. Que deviendront les Pacla conventa, 1'égide de la Pologne, qunnd nne familie établie fur le tróne a perpétuité le reroplira fans intervalle & ne lailfera a la nation , entre la mort du pere & le couronneraeut du rils, qu'une vaine ombre de liberté fans effet, qu'atiéantira bientót la fimagrée du ferment fait par tous les Rois a leur facre & par tous oublié pour jam.iis 1'inflant d'après ? Vous avez vu le Dannemarck s vous voyez 1'Angleteire, & vous allez voir la Suede: profitez de ces exemples pour apprendre une fois pour toutes que, quelques précautions qu'on puifte entaflèr, hérédité dans le tróne & liberté dans la nation, feront a jamais des chores incompatibles. Les Polonois ont toujours eu du penchant a tranfmettre la coutonne du pere au fils , ou aux plus proches par voie d'héritage, quoique toujours par droit d'éleétion. Cette inclination, s'ils continuent a la fuivre, les menera tót ou tard au malheur de rendre Ia couronne héréditaire, & il ne faut pas qu'ils efperent lutter aufïï longtems de cette maniere contre la puiflance royale, que les membres de 1'Empire Germanique ont lutté contre celle de 1'Empereur; paree que la Pologne n'a point en elle - même de contre - poids fuilifant pour  »e Pologne. 63 maintenir un Roi héréditaire dans la fubordination légale. Malgré Ia puiflance de plufieurs membres de 1;Empire, fans 1'éleftion accidentelle de Charles VU , les capitulations impériales ne feroient déjft plus qu'un vain formulaire, comme elles 1'étoient au comtnencement de ce fiecle; & les pafta conventa cieviendront bien plus vains encore, qucnd la familie royale aura eu le tems de s'aflermir & de mettre toutes les autres au- deflbus d'elle. Pour dire en un mot mon fentiment fur eet article. ie penfe qu'ime Cotironne' élective avec le plus abfolu pouvoir, vaudroit encore mieux pour la Pologne qu'une Cuuronne héréditaire avec un pouvoir prefque nul. A u lieu de cette fatale loi qui rendroit Ia Couronne héréditaire, j'en propoferois une bien contiaire, qui, fi elle étoit admife, maiutiendioit ia liberté de la Pologne. Ce (eroit d'ordonner par une loi fondamentale que jamais la Coutonne ne paflejoit du pere au fils & que tout fils d'un Roi de Pologne feroit pour toujours exclu du tróne. Je dis que je propoferois cette loi fi elle étoit nécesfaire: mais occupé d'un projet qui feroit le méme effet fans elle, je renvoie a fa place 1'explication de ce projet, & fuppofaut que pat fon effet les fils feront exclus du tróne de leur pere, au moins immédiitement, je crois voir que la liberté bien aflurée ne fera pas le feul avantage qui réfultera de cette exclufion. II en naitra un autre encore trèsconfidéiable; c'eft en ótaut tout efpoir aux Rois  54 G* O U V E R N E M E N T d'ufurper & de tranfnettre k leurs enfans un pouvoir arbitraire, de porter route leur aftivité vers la gloire & la profpérité de 1'Etat, la feule voie qui rede ouverte fi leur ambition. C'efl ainfi que le chef de la nation deviendra, non plus 1'ennemi-né, mais le premier citoyen. C'efl ainfi qu'il fera fa grande affaire d'illuflrer fon regne psr des étaWifTe» mens utiles qui le fénderft cher a fon peuple , refpeélable a fes voifins, qui faffent bétiir après lui fa mcmoire, & c'efl ainfi que , ho's les moyens de nuire & de féduir'e qu'il ne faut jamais lui lanter il conviendra d'augmenter fa puiflance en tout ce qui peut concourir au bien public. 11 aura peu de force imraédiate & direfle pour agir par ■ lui - même-,. Ötais il aura beaucoup d'autorité, de ftirveillance & d'infpeétion pour cotitenir clncuu dans fjn devoir, & pour diriger le gouvernement a fon véritable but. La préfidence de la Diete, du Sénat, & de tous les corps, un févere examen de la conduite detous les gens en place, un grand foin de maintenir Ia jtifliee & 1'intégrité dans tous les tribunaux-, de conftrver l'ordre & la tranquilité dans 1'Etat, de lui donner uue bonne afïïette au-dehors, le commandement des arraées en tems de gtierre , les établilfemens utiles en tems de paix, font des devoirs qui tiennent partictiliérement a fon office de Roi, & qui 1'occuperont afiez s'il veut les remplir par luimême ; car les détails de 1'adminiflration étant confiés a des Miniflres établis pour cela, ce doit étre un crime a uu Roi de Pologne de confier au.  h e P o L o c n e. S6 enne partie de la fienne a des favoris. Qu'il Fafle fon métier en peifonne, ou qu'il y renonce. Amde important, fur lequel la nation ne doit jamais f; relacher. Cf. st fur dz femblables principes qu'il faut é:ab!ir 1'équilibre & la pondération des pouvoirs qui compofent la légillation & 1'admin.iftration. Ces pouvoirs, dans les mains de leurs dépofitaires & dans la raeilieure proporücn poflible, devroient être en raifon directe de leur nombre & inverfe du tems qu'ils reftent en place. Les parties compofantes de la Diete fuivront d'sflez- prés ce meilleur rapportLa chambre des Nonces la plu? nombréure fera aufli la plus puiflahte, mais tous fes membres ch.ingeront fréquemment. Le Sénat moins norabreux aura une moindre part k la légiflation, mais une plus grande a la puiflance exécutrice, & fes membies participant k la conflituiion des deux extrêmes r feront partie k tems & partie k vie, comme il convient a un corps intermédiaire. Le Roi qui préfideil tout continuera d'être k vie, & fon pouvoir toujours nés-grand pour l'infpe&ion, fera borné par la chambre des Nonces quant a la légiflation, & psr le Sénat quant a i'adminiftrarion. Mafs, pour maintenir 1'égalité , ptincipe de la conftitution, rien n'y doit être héréditaire que la noblefle. Sila Couronne étoit héréditaire, il faudroit pour con. fcrver 1'équilibre, que la Pairie ou l'ordre Sénatorial le fiit-aufli comme en Angleterre. Alors l'ordre Equeftre- abaiflé pcrdroit fon pouvoir, la chatubtd  66 Gouvernement des Nonces n'ayant pas, comme celle des Communes , celui d'ouvrir & fermer tous les ans le tréfor public, & Ia conftitution Poionoife feroit renverfée de fond en comble. CHAPITRE IX. Cauf 4  öo Goü»BUt»Ï.ME3t, en corrigeant fa conftitution. Si vous ne voulez que devenir bruyans, brillans, redoutables, & iafluer fur les autres peuples de 1'Europe, vous avez leur exemple; appliquez - vous a 1'imiter. Cuitivez les fciences, le» arts, le commerce, 1'induftrie; ayez des troupes réglées, des places fortes, des académies, furtout un bon fyftéme de finance qui faiTe bien circuler 1'argent, qui par-la le muit:püe, qui vous en procure beaucoup; travaillez a le rendre trés-nécellaire, afin de tenir le peuple dans une plus grande dépendance, & pour cela fo. mentez & ie luxe matériel, & le luxe d'efprit qui en eft inréparable. De cette maniere vous formerez un peuple intrigant, ardent, avide, ambitieux, fervile & fripon comme les autres, toujours fais aucun milieu k 1'un des deux extrêmes de la mifere ou de 1'opulence, de la licence ou de 1'efclavage: mais on vous comptera parmi les grandes puüTances de l'Europe? vous entrerez dans tous les fyüémts politiques, dans toutes les négoeiations ou rechercheta votre alliance, on vous liera par des traités: il n'y aura pas une guerre en Europe oü vousn'ayez 1'honneur d'être fourrées; fi le bonheur vous en veut, vous pouirez rentrer dans vos anciennes pofteffions, peut-être en conquérir de nouvelies, & puis dire comme Pyrrhus, ou comme les Ruffes, c'eft-4-di re comme les enfans: Qiiand tout le monde fera mot, je tnangerai bien du fucre. Maïs fi par hafard vous «imiez mieux former une nation libre, paifible & fage, quj n'a ni peur ni befoiu  DEP0L9GNE. Bi befoin de perfonne , qui fe fuffit a elle-même & qui eft heureufe; alors il faut prendre une méthode toute différente, maintenir, rétablir chez vous des moeurs fitnples, des goüts fair», un efprit^ mam al fans ambition;former des ames courageufes & dél.ntéreffées; appliquer vos peuples k 1'agnculture & aux arts néceffaires a la vie; rendre 1'argent mépriftble & s''l ^ Pem inutile; chercher, trouver pour'opérer de grandes chofes, des refforts plus pu;ffms & plus rürs. Je conviens qu'en fui'/aut cette route vous ne remplirez pas les gazettes du bruit de vos fêtes,de vos négociaiions, de vos explotts; que les philofophes ne vous encenferont pas, que les poëtes ne vous chanteront pas, qu'en Europ« on pariera peu de vous: peut être même affeéterat.on de vous dédaigner; mais vous vivrez dans la véritable abondance, dans la juftice & dans la liberté; mais on ne vous cherchera pas querelle.on vous crslndra fans en faire femblant, & je vous ré« ponds que les RufTés ni d'autres ne viendtont pjus faire les mdtres chez vous, ou que, fi pour leur malheur ils y^viennent, ils feront beaucoup preffés d'en fortii. Ne tentez pas furtout d'allier ces deux proiets; ils font trop contradictoirs, & vouloiraüer aux deux par une marche compofée, c'eft vouioir les manquer tous deux. Choififfez. donc, & (1 vous préférez le premier parti, ceffez ici de me lire; car de tout ce qui me refte a propofer, rien ne fe rapporte plus qu'au fecond. Il y a fans comredit d'excellentes vu« écono D 5  *2 Go UVERNEMENT miques dans les papiers qui m'ont éte communiqués. Le défaut que j'y vois eft d'être plus favorables a la richefle qu'a la profpérité. En fait de nouveau* AablifTemens, il ne faut pas fe contenter d'en voir 1 effet immédiat; il faut encore en bien prévoir les conréquenceséloignées.mais nécefTaires. Le projet par exemple, pour la vente des Starofties & pour Ja mamere d'en employer le produit, me paroit bien entendu & d'une exécution faciie dans le fyflê. me établi dans toute 1'Europe de tout faire avec de 1 argent. Mais ce fyftême eft-il bon en lui -même & va-t-il bien a fon but? Eft-il für que 1'argent foit le nerf de la guerre ? Les peuples riches ont toujours été battus & conquis par les peuples pauvres. Eft-il für que 1'argent foi, le reffort d'un bon gouvernement? Les fyftêmes de finances font modernes. Jé n'en vois rien fortir de bon ni de grand. Les gouvernemens anciens ne connoiffoient Pas même ce mot te finance t & ce qu'ils faifoient avec des hommes eft prodigieux. L'argent eft tout au plus lefupplément des hommes%& le fupplément ne vaudra jamais la chofe. Polonois, laiffezmoi tout eet argent aux autres, ou contèntéz-vous Je celui qu'il faudra bien qu'ils vous donnent,puif«Ju ils ont plus befoin de vos bleds, que vous de leuror. II vaut mieux, croyez-moi, vivre dans i'abondance que dans 1'opulence; foyez mieu.v que pécunieux, foyez riches, cultivez bien voschamps lans vous foucier du refte, bientót vous moilTon■erez de Tor, & plus qu'il n'en faut pourvous  Dg Pologne. *3 procurer tW\* & le *N qui vous manquent, puif- de tout. Pour vous maintenir heureux & Ubes, ce ontdestêtes, des cceurs & des bras ,u ,I vous faut: c'eft-U ce qui fait la force d'un état & la profpérité d'un peuple. Les fyftêmes de Lmancesfont des ames vénales, & dés qu'on ne veut que gagner, on gagne toujours plus 4 être ftipon quhonnetetomme. L'emploi de 1'argent fedévoie& fe cache; il eft deftiné a une chofe & employé & une autre. Ceux qui le manient apprennent bientót a ledétour. ner & que font tous les furveillans qu'on leur don„e, finon d'autres ftipons qu'on envoie partager avec eux« S'il n'y avoit que des richelTes publique. & manifeftes; fi la marche de 1'or laiffoit une mar.que oftenfible & ne pouvoit fe cacher, ilny auroit point d'expédiem plus commode pour acheter des fe vices, du courage, de la fidélité, des vertus mais vu facirculation fecrete, 11 eft plus commode encore pour faire des pülards & des traitres,pour mettre 11'enchere le bien public & la liberté. un mot, 1'argent eft a la fois le reflbrt le plus fotble & le plus vain que je connoifle pour fa.re mar.cher a fon but la machine politique, le plus fort & Ie plus für pour f en détourner. On ne peut faire agir les hommes que par leur intérêt, je le fais; mais 1'intérêt pécuniaire eft le plusmauvais de tous, le plus vil-, le plus propre i la corruption, & même, je le répete avec ^confiance & le fouüendrai toujours, le raomdre & ie Dó  H GouvERNETBkht plus foible aux yeux de qui connoit bien Ie ccaur humain. II eft naturellement dans tous les cceurs de grandes pafïïons en réferve; quand il n'y refte plus que celle de 1'argent, c'eft qu'on a énervé, étonfté toutes les autres qu'il falloit exciter& développer. L'avare n'a point proprement de paffion qui le do! mine, il n'alpire a 1'argent que par prévoyance, pour contenter celles qui pourront lui venir. Sa. chez les fomenter. & les contenter direftement ; fans cette reffource bientót elle perdra tout fon prix. Les dépenfespubliques font inévitables;j'enconviens encore. Faites-les avec toute autre chofe qu'avec de 1'argenr. De nos jours encore, on voit en Suifle les officiers, magiflrats & autres ftipendiaires publics, payés avec des denrées. Ils ont des dltnes, du vin, du bois, des droits utiles, honoriflques. Tout Ie fervice public fe fait parcorvées, 1'Etat ne paye prefque rien en argent. li en faut, dira-t-on, pour Ie payernent des troupes ? Cet article aura fa place dans un moment. Cette maniere de payernent n'eft pas fans inconvéniens, il ya de Ia perte, du gafpillage; 1'adminiftration de ces fortes de biens eft plus embarraiïante; ejle déplatt furtout a ceux qui en font chargés, paree qu'ils y trouvent moins è faire leur compte. Tout cela eft vrai; mais que Ie mal eft petit en comparaifon de la foule de mai-x qu'il fauve! Un bomme voudroit malveifer qu'il ne Ie pourroit pas, du moins üns qu'il y parüt. On m'objeclera les fiailüfj  ne Pologne. ?5 de quelques Cantons Suifles; mais d'oü viennent leurs vexations? des amendes pécuniaires qu'ils impotent. Ces amendes arbiiraires font un grand mal déj& par elles - mêmes; cependant s'ils ne les pouvoient exiger qu'en denrées, ce ne feroit prefque rien. L'argent extorqué fe cache aifément, des ma', gafins ne fe cacheroient pas de même. Cherchez e» tout pays, en tout gouvernement & par toute terre ; vous n'y trouvertz pas un grand mal en morale & en politique, oü l'argent ne foit mêlé. O n me dira que 1'égalité des fortunes qui regne en Suitïe rend la parcimonie aifée dans 1'adminiftration: au lieu que tant de puiflantes maifons & de grands feigneurs qui font en Pologne, demandenc pour leur entretien de grandes dépenfes& des finances pour y pourvoir. Point du tout. Ces. grands feigneurs font riches par leurs patrimoines, & leurs dépenfes feront moindres, quand le luxe ceffera d'être en houneur dans 1'Etat, fans qu'elles les di, ftinguent moins des fortunes inférieures, qui fuivtont la même proportion. Payez leurs fervices par de 1'auiorké, des honneurs, de gtandes places. L'inegalité des rangs eft compenfée en Pologne par 1'avantage de la noblelTe,qui rend ceux qui lesremplifTent plus jaloux des honneurs que du profit. La République, en graduant & diftii'uant 4 propos ces récompenfes purement honorifiques, fe ménage un tréfor qui ne la ruinera pas & qui lui donnera des héros pour citoyens. Ce tréfor des honneurs eft une reflTource inépuifable chez un peuple qui. a D 7  85 GOVTESHCUtlff de 1'honneur; & plat a Dieu que la Pologne eüt 1'efpoir d'épuifer cette reflburce! O heureufe la na. tion qui ue trouvera plus dans fon fein de dJfiinctions poffibles pour Ia vertu 1 Au défaut de n'étre pas dignes d'elle, lesrécompenfes pécuniaires joignent celui de n'étre pas aiTéz publiques, de ne parler pas fans cefie aux yeux & eux cceurs , de difparoltre auffiióc qu'elles font ■accordées, & de ne lailTer aucune tracé vifible qui excite 1'émulation en perpétuant 1'honneur qui doit les accompagner. Je voudrois que tous les grades, tous les eraplois, toutes les récompenfes honorifiques fe marquafient par des fignes extérieurs; qu'il 'ne füt jamais permis a un homme en place de marcher incognito, que les marqués de fon rang ou de fa dignité le fuiviffent partout, afin que le peuple le refpeétlt toujours & qu'il fe refpeclat toujours luimême; qu'il put ainfi toujours dominer 1'opulence: qu'un riche qui n'efi que riche, fins cefle ofFufqué par des citoyens titrés & pauvres, ne trouvat ni confidération, ni agrément dans fa patrie ; qu'il füt forcé de la fervir pour y briller, d'être integre par ambition, & d'afpirer malgré fa richefie k des rangs oü Ia léule approbation publique mene, & d'oü Ie blame peut toujours faire déchoir. Voilé comment on énerve Ia force des richeflés, & comment on fait des hommes qui ne font point a vendre. J'infifte beaucoup fur ce point, bien perfuadé que vos -voifins, & furtout les Rulfes, n'épargneront rien 'pdur corrompre vos geus en place & oue la grande  » B P O L O O N E. *? affaire de votre gouvernement eft de travailler « les rendre iacorrupübles. S, 1'on me dit que je veux faire de la Pologne un peuple de Capucins, je réponds d'abord que ce n-eft.la qu'un argument a la francoife, & que plaifanter n'eft pas raifonner. ]e réponds encore qu il ne faut pas outrer mes maximes au-dela de mes inlentions & de la raifon , que mon denera n'eft pas de fupprimer la circulation des efpeces , mais feulement de la ralentir, & de prouver furtout combien il importe qu'un bon fyftême économique ne foit pas un fyftême de nuance & d'argent. Lycurgue pour déraciner la cup.dite dans Spatte n'anéantit pas la monnoie, mais il en fit une de fer Pour moi je n'entends profcrire ni 1 argent, ni por, mais les rendre moins néceffaires, & faire que celui qui n'en a pas, foit pauvre fans être gueux. Au fond l'argent n'eft pas la richefTe ,« n en eft que ' le fitne; ce n'eft pas le flgne qu'il faut multiplier, mais la chofe repréfentée. J'ai vu, malgré les fables des voyageurs, que les Anglois au m.l.eu de tout leuror n'étoient pas en détail moins uéceffiteux que les autres peuples. Et que m'importe après tout d'avoir cent guinées au liêu de dlx.fi ces een, guinées ne me rapportent pas une fubfiftance plus aifée? La richefTe pécuniaire n'eft que relative, & felon'des rapportsquipeuventcbanger par mille eaufes on peut fe trouver fucceffivement r.che ck pauvre avec la même fomme, mais non pas avec des ea nature; car comme imuaédiatement unies  SS GoUVjtHJÏEMaN,, 4 1'homme, ils ont toujours leur valeur abfolu«q«i ne dépend point d'une opératiou de commerce. |'ac. corderai que Ie peuple Angtois ell plus riche que les autres peuples, mais il „e g'enfiüt pas qu'un bourgeois de Londres vive plus 4 fon aife qu'un bourgeois de Paris. De peuple 4 peuple, celui qui a plus d'argent a de 1'avantage; mais ce!a „e fait rien au fort des particuliers, & ce n'eft pas 14 que •git la profbérité d'une nation. F a v o ri s 8 z 1'agriculture & les arts utiles, non pas en enrichiflant les cultivateurs, ce qui ne feroit ■que les esciter 4 quitter leur état, mais en le leur rendant honorable & agréable. EtablifTez les rnanufactoes de première néccfiïté , multipliez fans ceife vos bleds& vos hommes, fans vousmettre en fouei ■ du refte.- Le fuperftu du pro luit de vos terre* quj par les monopoles raultipliés va mauquer au'refte de 1'Europe, vous apportera néceffairement plus dargent que vous n'en aurez befoin. Au-deI4 de ce produit nécetfaire & für., vous ferez pauvres tant que vous voudrez en avoir; fi.ót que vous feurez vous en paffe, vous ferez riches. Voil4 1'efpnt que je voudrois faire regner dans votre fyftême économique. Peu fonger 4 1'étranger, peu vous foucier du commerce 4 mais multiplier chez vous autant qu'il eft poflible & la denrée & le, confommateurs. L'eff,t infaillible & naturel d'un gouvernement libre & jufte eft |, populatioa. Plus donc vous perfeélionnerez votre gouvernement, pl«s tous multiplierez. votre peuple fans même y fonger  dePolocne. 85 Vous n'aurez ainfi ni tnendiaw ni miuionnaires. Le ruxe & findigence difparoitront enfemble infenfib evmïJk lescuoyens, guéris des goüts ft.voles que donne 1'opulence, & des vices attachés H« mifere, meur,m leurs foins & leur gloire a bien fervir la patrie $ cc trouveront leur bonheur dans^ leurs devoirs. Te voudrois qu'on impofat toujours les bras dei hommes plus que leurs bourfes; que les chem.ns, les ponts, les édifices publlcs, le fervice du Pimce & de 1'Etat, fe fiffent par des corvées & non point a prix d'argent. Cette forme d'impot ,* a* fond la moins onéreufe, & furtout celle dont on peut le moins abufer: car l'argent difparoit en ft»«nt des mains qui le payent, mais chacun vo.t i quoi les hommes font employés & 1'on ne peut les ftircharger a pure perte. Je fais que cette méthode eft impraiicable oü regnent le luxe, Ve commerce & les arts: mais rien n'eft fi frette cto:u. peuple fimple & de bonnes moeurs, &rien net plus utile pour les confetver telles: c'eft une r* fon de plus pour la préférer. Te reviens donc aux Starofties, & je conv.en. derechef que le projet de les vendre pour en faire valoir le produit au profit du tréfor pubhc, eft bon & bien entendu quant a fon ob}« économique;maquant 4 1'objet politique & moral, ce projet til' M peu de mon goüt que fi les Starofties étoient vendues, je voudrois qu'on les rache.at pour en faire le fonds des falaires & récompenfcs de ceux q*  Gouvernement J2^*»'« «rofc-t bien mérité dele. En un mot je voudrois, s'il étoit poffible, q»1 ny eut point de tréfor public & que le fifc « connüt pas même les payemens en argent. Te fens que ,a chofe a „ riglleur tf J m is lefpntdu gouvernement doit toujours tendrê la rendre te.le, & rien n'ell plus contraire a .ca efpw que la vente dont il s'agit. La rt „„ en feroit plus riche, il eft vrai, mais Ie reff 4 gouvernement en feroit plus foible en proportion. J^vouEquelarégiedesbienspublicsen deviendro„ pJus diffic,e & fur[ou£ mo.ns régiifeurs, quand tous ces biens feront en nature & pomt en argent: mais il fi„t f8ire aIors de M|M ,é. «ie & de fon mfpeétion autant d'épreuves de bon iw, de vigilance & f„rtont d'intégrité, pour parvemr 4 des places plus éminentes. On ne fera qutrntter 4 eet égard 1'adminiflration municipale étaW«e 4 Lyon, oü il faut commencer par être admi«iftrateur de 1'HoteI-Dieu pour parvenir aux cha . ges de la ville; c'eft fur la maniere dont on s'ac quitte de celle-14, qu'on fait juger fi Pon eft ditrue dn autres II n> avoit rie„ de -■ • Quefteurs des armées llomaines, paree que la Que «ure étoa:1e premier pas peur arriver aux chïges Curules Dans ]es pJaces qn, peuvent «_ P-dué, il Faut faire en forte que 1'arnbition ia réprime Le plus grand bien qui réfulte de-14, n'eft pas lépargne des friponneries j m.is c'eft de mettra en honneur le défintéreffement, & de rendre la psu.  B E P O L O O N E. 9» treté refpeaable, quand elle eft le fruit de 1'inté- 6tULES revenus de la République n'égalent pas fa dépenfe; je le croisbien; les citoyens ne ventónt iien payer du tout. Mais des hommes qui veuieni être libres ne'doivent pas être efclaves de leurbourfe, & oü eft 1'Etat oü la liberté ne s'achete pas & même trés cher? On me citers la Snifte; mais, comme je 1'ai déja dit, dans la SuilTe les citoyens rempliiTent eux-mêmes les fonaions que partout ailleurs ils aiment mieux payer pour les faire remplir par d'autres. Ils font foldats, officiers, magiftrats, ouvriers: ils font tout pOur le ferv.ce de 1'Etat, & touiours prêts a payer de leur perfonne, ils n'ont pas befoin de payer encore de leur bourfe Quand les Polonois voudront en faire autant, ns n'auront pas plus befoin d'argent que les Suiffea» mais fi un grand Etat refufe de fe conduire fur les maximes des petites Républiques, il ne faut pas qu'il en recherche les avantages, ni qu'il veuilie 1'effet-en rejettantles moyens de 1'obtenir. Si la Pologne étoit, felon mon defir,une Confédération de tKiite- trois petits Etats, elle réuniroit la force des grandes Monarchies & la liberté des petites Républiques; mais il faudroit pour cela renoncer U'oftentatiou , & j;ai peur que eet article ne foit le plus difficile. De toutes les manieres d'afleoir un impöt, ia plus commode & celle qui coüte le moins de frais eft fans contredit la capitation; mais c'eft aufli la  9* G0UVERNEMHMT plusforcée [ap,us arbitraire,&c'eftfans doutepour cela que Montefquieu la trouve ferVile, quoioTüT Iareu,epra,quéep9r)esRoraai; extfte encore en ce moment enplufieurs i ques, fOÜS d'autresnoms alavérité, comme * Geneve, oü 1'on appelle cela payer Te .a,de5 & oülesfeu.s citoyen, & bourgeois p'ayent cette a'.e and1S queles titans & „atifs en payent d'autre! | « qui eft exaéiement le contraire de ndée de Montefquien. Ma., comme il eft injufte& déraifonnable d'irn- vale n toujours mteux que les perfonnelles: feuIe. cde& coüteufe,& celles furtout qu'on élude paria contrebande qui fait des nnn ™. r ) cta,t aesnon-valeurs, remplit 1'état de fraudeurs & de brigands, & corrompr Ia fid 1. e de, * n faur que f. ^ ^ b-en propornonnée, que i'embarras de Ia fraude en ie cacbe «fa-ment,comme Ia deutelle & lesbijou*• ner. En Fnmce on excite a plaifir Ia tentation da a contrebande, & ce!a me fa, ^ que ^£èS*°i **** * £n 6 y L%'e eft abo«"-'^le & contraire a ton bon rcns. Lexpérience .pprend que le papier Hmb eftunnnpötfmgaliéretnent onere J L u-  de Pologne. ^3 peuple p'arrout oü ii eft érabli; je ne confeillerois pas d'y penfer. Celui furies beftiaux me paroi: beaucoup meiHeur, pourvu qu'on évite la fraude, car toute fraude poffible eft toujours une fource de maux. Mais il peut être onéreux aux contribuables en ce qu'il faut le payer en argent, & le produit des contributions de cette efpece eft trop fujet a être dévoyé de fa deftination. L'impót le meilleur a mon avis, le plus naturel & qui n'eft point fujet a la fraude, eft une taxe proportionnelle fur les terres, & fur toutes les ter« res fans exception, comme font propofée le Maréchal de Vauban & 1'Abbé de Sünt-Pierre; car enfin c'eft ce qui produit qui doit payer. Tous les biens royaux, terreftres, eccléfiaftiques & en roture doivent payer également, c'eft-4-dire, proportionnellement a leur étendue & ü leur produit, quel qu'en foit le propriétaire. Cette impofition paroitroit dcmander une opération préliminaire qui feroit longue & coüteufe, favoir un cadaftre général. Mais cette dépenfe peut trés • bien s'éviier, & même avec avantage, en afieyant l'imp3t non für la tetre direélement, mais fur fon produit, ce qui feroit encore plus jufte; c'eft - a • dire, ei établif. fant dans la proportion qui feroit jugée convenable une dtme, qui fe leveroit en nature fur la récolte, comme la d!me eccléfiaftique, & pour éviter 1'embarras des détails & des magafins, on affer i meroit ces dlmes a 1'enchere, comme font les curés. En forte que les particuliers ne feroient tenus de  54 Gouvernement payer Ia dtine que fur leur récolte, & ne payeroient de leur bourfe que lorfqu'ils 1'aimeroient mieux ainfi, fur un tarif réglé par le gouvernement. Des fermes réunies pourroient étre un objet de com« merce par le débit des denrées qu'elles produiroient & qui pourroient paffer 4 1'étranger par Ia voie de Dantzick ou de Riga. On éviteroit encore par-Ia tous les frais de perception & de régie, toutes ces nuées de commis & d'employés fi odieux au peuple, fi incommodes au public, & ce qui eft Ie plus grand point, la République auroit de l'argent, fans que les citoyens fufient obligés d'en donner: car je ne répéterai jamais affez que ce qui rend Ia taille & tous les impóts onéreux au cultivateur, eft qu'ils font pécuniaires, & qu'il eft premiérement obligé de vendre pour parvenir a payer. CHAPITRE XII. Syflême militaire. D e toutes les dépenfes de la République, 1 en« tretien de 1'armée de la couronne eft la plus confidérable, & certainement les fervices que rend cette armée, ne font pas proportionnés a ce qu'elle coüte. II faut pourtant, va-t-on dire auflïtót, des troupes pour garder l'Etat. J'en conviendrois, fi ces troupes le gardoient en effet: mais je ne vois pas que cette armée fait jamais garanti d'aucune inva-  »e Pologne. 95 fïon, & j'ai grand'peur qu'elle ne 1'en garantifle pas plus dans la fuite. L a Pologne eft environnée de puiflances belliqueufes, qui ont continuelleraent fur pied de nombreufes troupes parfaitementdifcipline'es,auxquelles, avec les plus grands efforts, elle n'en pourra jamais oppofer de pareilles fans s'épuifer en trés - peu de tems, furtout dans 1'état déplorable oü celles qui Ja défolent vont la laiffer. D'ailleurs, on ne la laifferoit pas faire, & G avec les relTources de la plus vigoureufe adminiftration, elle vouloit mettre fon armée fur un pied refpeétable, fes voifins attentifs a la prévenir 1'écraferoient bien vite, avant qu'elle püt exécuter fon projet. Non, fi elle ne veut que les irniter, elle ne leur réfiftera jamais. La nation Polonoife eft différente de naturel,de gouvernement, de mceurs, 'de langage, non «feulement de celles qui 1'avoifinent, mais de tout le refte de 1'Europe. Je voudrois qu'elle en différat encore dans fa conftitution militaire, dans fa tactique, dans fa difcipline, qu'elle füt toujours elle & non pas une autre. C'eft alors feulement qu'elle fera tout ce qu'elle peut être, & qu'elle tirera de fon fein toutes les refiources qu'elle peut avoir. L a plus inviolable loi de la nature eft la loi du plus fort. II n'y a point de légiflation, point de conftitution qui puiflè exempter de cette loi. Chercher les moyens de vous gatantir des invafions d'un voifin plus fort que vous, c'eft chercher une chi. mere. C'en feroit une encore plus grande de vouloii  j5 Gouvernement faire des conquêtes & vous donner une force offenfive; elle eft incompatible avec la forme de votre gouvernement. Quiconque veut être libre, ne doit pas vouloir être conquêrant. Les Romains le furent par néceflité &, pour ainfi dire, malgré eux-mémes. La guerre étoit un remede néceffaire au vice de leur conftitution. Toujours attaqués & toujours vainqueurs, ils étoient le feul peuple difcipliné parmi des barbares, & devinrent les raaltres du monde en fe défendant toujours. Votre pofition eft fi différente, que vous nefauriez même vous défendre con> tre qui vous attaquera. Vous n'aurez jamais la force offenfive; de longrems vous n'aurez Ia défenfive; mais vous aurez bientót, ou pour mieux dire vous avez déja la force confervatrice qui, même fubjugués, vous garantira de la deftruétion & confervera votre gouvernement & votre liberté dans fon feul & vrai fanétuaire, qui eft le cceur des Polonois. Les troupes réglées, pefle & dépopularion de 1'Europe, ne font bonnes qu'è deux fins: ou pour attaquer & conquérir les voifins, ou pour enchainer & affervir les citoyens. Ces deux fius vous font également étrangeres; renoncez donc au moyen par lequel on y parvient. L'Etat ne doit pas refter fans défenfeurs, je le fais, mais fes vrais défenfeur» font fes membres. Tout citoyen doit être foldat par devoir, nul ne doit 1'étre par métier. Tel fut le fyftême militaire des Romains; tel eft aujourd'hui celui des Suiffes; tel doit être celui de tout Etat libre & furtout de la Pologne. Hors d'état de folder  de jpologne. 97 folder une armée fuffifahte pour la défendre, il faut qu'elle trouve au befoin cette armée dans fes habitans. Une bonne milice, une véritable milice bien exercée, eft feule capable de rempür eet objet. Cette milice coütera peu de chofea la République, fera toujours prête a la fervir & la fervira bien, paree qu'enfin 1'on défend toujours mieux fon propre bien que celui d'autrui. M ons ie uk le Comte Wielhorskï propofe de lever un régiment par Palatinat & de 1'entretenir toujours fur pied. Ceci fuppofe qu'on licencieroit 1'armée de la couronne, ou du moins 1'infanterie; car je crois que 1'entretien de ces trente-trois régimens furchargeroit trop la République, fi elle avoit outre cela farmée de la couronne a payer. Ce changement auroit fon utilité & me paroit facile a faire; mais il peut devenir onêreux encore & 1'on préviendra difficilement les abus. Je ne ferois pas d'avis d'éparpiller les foldats pour maintenir l'ordre dans les bourgs & villages; cela feroit pour eux une mauvaife difcipline. Les foldats , furtout ceux qui font tels par métier , ne doivent jamais étre livrés feuls a leur propre conduite, & bien moins chargés de quelque infpeétion fur les citoyens. Ils doivent toujours marcher & féjourner en corps : toujours fubordonnés & furveillés, ils ne doivent étre que des inllrumens aveugles dans les mams de leurs officiers. De quelque petite infpeétion qu'on les chargeat, il en réfulteroit des violences, des vexations, des abus fans nombre; les foldats & SuppUm. Tom. VI. E  o8 G o u v e p »' e h e n, t les habitans devienJrofcnt enuerr.is les uns des autres, c'eft un mslh, ;.r attaché partont aux trcqpes réglées: ces tégimcns toujours fubfifians en prendroient 1'efprit,1 & jamais eet efprit n'eil favorable a ia liberté. La république Romaine fut cétruite par fes légions, quand féloignement de fes conquêtes la forca d'en avoir toujours fur pied. Encore une fois les Polonois ne doivent point jetter les yeux autour d'eux, pourimiterce qui s'y fait même ce bien. Ce bien relatif a des conftituiions toutes diflêrentes feroit. un mal dans la leur. Ils doivent rechercher uniquement ce qui leur eft convenable & non pas ce que d'autres font. Pour quoi donc , au lieu des troupes réglées cent fois plus onéreufes qu'utiles a tout peuple qui n'a pas 1'efprit 'de conquêtes, n'établiroit-ou pas en Pologne une véritable milice, exaétement comme elle eft établie en Suifle, oü tout habitant eft foldat, mais feulement quand il faut 1'être. La fervitude établie en Pologne ne permet pas , je 1'avoue, qu'on arme fitót les payfans: les armes dans des maius fcrviles feront toujours plus dangereufes qu'utiles a 1'Etat; mais en attendant que 1'heureux moment de les affranchir foit venu, la Pologne fourmille de villes , & leurs habitans enrégimentés pourroient foutnir au befoin des troupes nombreufes dont, hors le tems de ce même befoin, 1'nitretien ue coüteroit rien a 1'Etat. La plupart de ces habitans n'ayant point de teires, payeroient ainfi leur contingent en fervice, & ce fervice pourroit  de Pologne. 90 aifément étre diftribué de maniere a ne leur être point onéreux, quoiqu'ils fuiTent futEiamment exercés. E N Suiffe tout particulier qui fe marie eft obligé d'être fourni d'un uniforme qui devient fon habit de fête, d'un fufil de calibre & de tout l'équipage d'un fantafïïn, & il eft infcrit dans la compagnie de fon quartier. Durant 1'été, les dimanches & les jours de fêtes, on exerce ces milices felon l'ordre de leurs róles, d'abord par petites efeouades, enfuite par compagnies, puis parrégimens;j'ufqu'a ce que leur tour étant venu ils fe raiïemblent en campagne & forment fuccefïïvement de petits camps, dans lefquels on les exerce a toutes les manoeuvres qui couviennent a 1'infimterie. Tant qu'ils ne fortent pas du lieu de leur demeure , peu ou point détournés de leurs travaux, ils n'ont aucune paye, mais fitót qu'ils marchent en campagne, ils ont le pain de munition & font a la folde de 1'Etat, & il n'eft permis a perfonne d'envoyer un autre homme a fa place, afin que chacun foit exercé lui-mè.ne & que tous faflent le fervice. Dans un Etat tel que la Pologne, on peut tirer de fes vaftes provinces de quoi remplacer aifément 1'armée de Ia couronne par un nombre fuffifint de milice toujours fur pied, mais qui changeant au moins tous les ans, & prife par petits détachemens fur tous les corps, feroit peu onéreufe aux particuliers dont le tour viendroit a peine de douze a quinze ans une fois. De cette maniere toute la' nation feroit exer» E a  ioo Gouvernement cée; on auroit une belle & nombreufe armée toujours prête au befoin, & qui coüteroit beaucoup moins, furtout en tems de paix, que ne coü'e aujourd'hui 1'armée de la couronne. Mais pour bien réuffir dans cette opération, il faudroit commencer par changer fur ce point 1'opinion publique fur un état qui change en effet du tout au tout, & faire qu'on ne regardat plus en Pologne un foldat comme un bandit qui pour vivre fe vend a cinq fois par jour, mais comme un citoyen qui fert la patrie & qui efi a fon devoir. 11 faut remettre eet état dans le même honneur oü il étoit jadis, & oü il eft encore en Suiffe & a Geneve, oü les meilleurs bourgeois font auffi fier» a leur corps & fous les armes, qu'a 1'hótel de-ville & au confeil fouverain. Pour cela il importe que dans le choix des officiers on n'ait aucun égard au rarg, au crédit & a la fortune, mais uniquement a 1'expérience & aux talens. Rien n'eft plus aifé que de jetter fur le bon manierrient des armes un point d'honneur, qui fait que chpeun s'txerce avec zele pour le fervice de la patrie aux yeux de fa familie tk des fiens; zele qui ne peut s'allumer de même chez de la canaille enrólée au hafard & qui ne fent que la peine de s'exercer. J'ai vu le tems qu'a Geneve les bourgeois mrmceuvroient beaucoup mieux que des troupes réglée*; mais les magiflrsts trouvant que cela jettoit dans la bourgeoifie un efprit militaire qui u'aLoit pas & leurs vues,  de Pologne. 101 ont pris peine a étouffer cette émulation & n'ont que trop bien réufïï. Dans 1'exécution de ce projet on pourroit fans aucun danger, rendre au Roi 1'autorité militaire naturellement attachée 4 fit place; car il n'efi pas concevable que la nation puifTe être employée a s'opprimer elle-même, du moins quand tous ceux qui la coropofent auront part a la liberté. Ce n'eft jamais qu'avec des troupes réglées & toujours fubfiftantes que la puiflance exécutive peut afïervir 1'Etat. Les grandes armées Romaines furent fans abus tant qu'elles changerent a chaque conful, & jufqu'a Marius il ne vint pas même a fefprit d'aucun d'eux qu'ils en puffent lirer aucun moyen d'affervir la République. Ce ne fut que quand lu grand éloignement des conquêtes for9a les Romains de tenir longiems fur pied les mêmes armées, de les recruter de gens fans aveu , & d'en perpétuer le commanderaent a des Proconfuls, que ceux • ci commencerent a fentir leur indépendance & a vouloir s'en fervir pour établir leur pouvoir. Les armées de Sylla, de Pompée & de Céfar devinrent de véritables troupes réglées, qui fubflituerent fefprit du gouvernement militaire a celui du répubücain; & cela eft fi vrsi que les foldats de Céfar fe tinrent trés-offer,fes, quand dans un mécontentement réciproque il les traita de citoyens, Quirites. Dans le plan que j'imagine & que j';;cheverai bientót de traeer, toute la Pologne deviendra guerriere, autant pour la défeufe de fa liberté contre les entreprifes E 3  ica Gouvernement du Prince, que contre celles de fes voifins, & j'oferai dire que ce projet une fois bien exécuté, 1'on pourroit ftippriirysr la charge de Grand - Géneral & la réurfr a la Couronne, fans qu'il en réfultat le moindre danger pour la liberté, a moins que la nation ne fe laifTat leurrer par des projeis de conquétes, auquel cas je ne répondrois plus de rien. Quiconque veut óter aux autres leur liberté, finit prefque toujours par perdre la fienne: cela eft vrai méttte pour les rois & bien plus vrai furtout pour les peuples. Pour quoi l'ordre equeftre en qui réfide vélitablement la République, ne fuivroit-il pas luiméme un plan pareil a celui que je propofe pour 1'infanterie ? Etnbliflez dans tous les Palatinats des corps de cavalerie oü toute la nobleflè foit infciite, & qui ait fes officiers, fon état-major, fes étendards, fes quartiers affignés en cas d'alarmes, fes tems marqués pour s'y raflèmbler tous les ans: que cette brave nobleflè s'exerce a efcadronner, a faire toutes fortes de mouvemens, d'évolutions, a mettie de l'ordre & de la précilion dans fes manoeuvres, a connoïtre la fubordination militaire. Je ne voudrois point qu'elle imitat fervilement la taflique des autres nations. Je voudrois qu'elle s'tn fit nne qui lui fótpropre, qui développat & perfectibrinat fes difpofitions naturelles & nationales; qu'elle s'txerfat furtout a la viteffe & a la légéreté, a fe rompre, s'éparpilltr & lé raiTembler fans peine & fans confufion; qu'elle excellat dans ce qu'on  p E P O 1. O G N, E. IOJ appelle la petite guerre, dans toutes les manoeuvres aui conviennenra des troupes légeres, dans lart d'iuonder un pays comme un torrent, d attenjdre partout & de n'étre jamais atteinte, d'ag.r toujouis de concert; quoique féparée , de couper les Communications, d'intercepterdesconvois, de cbarger des aniere-gardes, d'enlever des détachemens, de harceler de grands corps qui msrchent & camper* réunis; qu'elle prtc la maniere des anciens 1 artbes, comme elle en ala valeur, & qu'elle apprlt comme eux a vaincre & détruire les armées te» uueux Ces Ufies rO II f.ut dans ces eftjpations avoir beaucoup plus ffégards m petfonnes qu'a quelques aétions ilolées Le v at bien fel avec peu d'écUt. C'eft par une conduu „„■forme & foUtenue, par des venus pr.vees & domen» ques, par tous les devoirs de fon état bten rcn.pl.», P* des aaions enfin qui découlent de fon caracte.e & de les principes, qu'un homme peut monter des honneurs, pk»* qae par quclqucs grands coups de théitre , qui t.ouvent déji  ïiö" Gouvernement feroient envoyées au Sénat & au Roi pour y avoir égard dans 1'occafion & placer toujours bien leurs choix & leurs préférences, & c'eft fur les indications des mêmes alTemblées, que feroient données dans les colleges par les adminiflrateurs de 1'éducation les places gratuïces dont j'ai parlé ci- devanr. - Mais la principale & plus importante occupation de ce comité feroit de drelfer fur de fideles mémoires & fur le rapport de la voix publique bien Vérifié, un róle des payfans qui fe diftingueroient par une bonne conduite, une bonne culture, de bonnes mccmrs, par le foin de leur familie, par tous les devoirs de leur état bien remplij. Ce róle feroit enfuite préfenté a la Diétine, qui y choifiroit un nombre fixé par la loi pour être aifranchi, & quJ pourvoiroit par des moyens convenus au dédomma. gement des patrons, en les faifant jouir d'exemp. nous, de prérogatives, d'avantages enfin proportionnés au nombre de leurs payfans, qui auroient été trouvés dignes de la liberté. Car il faudroit abfolument faire enfortequ'au lieu d'être onéreux au maitre, 1'arTranchiiTement du ferf lui devint hocorable & leur rt'conpenfe dans 1'admiration publique. L'oftentatioti philofopliique aime beaucoup les aelions d'éclar; mais rel avec cinq oti fix actions de cette elpece bien brillantes, ner, bmyantes & bleu pröuées, n'a pour but que de donner Ie change fur Gm compte & d'être toute 6 vie injulte & dur impunénent Domsz-nous Unnonmh desgrante aStlont. Le mot de femme eft un mot trés -juiikieux.  de Pologne. 117 avantageux. Bien entendu que pour éviter 1'abus, ces affrauchiffemens ne fe feroient point par les maitres, mais dans les Diétines par jugement & feulement jufqu'au nombre fixé par la loi. Quand on auroit affranchi fucceflivement un certain nombre de families dans un canton, 1'on pourroit affranchir des villages entiers, y farmer peu a peu des communes, leur affigner quelques biensfonds , quelques terres communales, comme en Suiffe, y établir des officiers communaux, & lorfqu'on auroit amené par degrés les chofes jufqu'a pouvoir fans révolution fenüble achever 1'opération en grand, leur rendre enfin Ie droit que leur donna la nature, de participer k 1'adminiftration de leur pays en en voyant des Députés aux Diétines. Tout cela fait, on armeroit tous ces payfans devenus hommes libres & citoyens, on les enrégimenteroit, on les exerceroit, & fon fmiroit par avoir une milice vraiment excellente, plus que fuf> fifante pour Ia défenfe de 1'Etat. O n pourroit fuivre une méthode femblable pour rannobliffement d'un certain nombre de bourgeois, & même fans les annoblir leur deftiner certains poftes brillans qu'ils rempliroient feuls a 1'exclufion des nobles, & cela a 1'imitation des Vénitiens ff jaloux de leur nobleffe, qui néanmoms, outre d'autres emplois fubalternes, donnent toujours a un Citadin Ia feconde place d'Etat, favoir celle de Grand Chancelier , fans qu'aucun Patricien puiffe jamais y prétendre. De cette maniere, ouvrant i  Il8 Gouvernement la bourgeoifie la porte de Ia nobleflè & des honneurs, on 1'attacheroit d'affeétion a la patrie & au maintien de la conflitution. On pourroit encore fans annoblir les individus, annoblir colleclivement certaines villes, eu préférant celles oü fleuriroient davantage le commerce, l'induflrie & les arts, & oü par conféquent^radminiflration municipale feroit la meilleure. Ces villes annoblies pourroient, a 1'inftar des villes impériales, envoyer des Nonces a la Diete, & leur exemple ne manqneroit pas d'exciter dans toutes les autres un vif delir d'obtenir le méme honneur. L e s comités cenforiaux chargés de ce département de bienfaifance, qui jamais k Ia honte des rois & des peuples n'a encore exiflé mille part, feroient, quoique fans éledion, compofésde la maniere Ia plus propre a remplir leurs fonftions avec zele & intégrité, aitendu que leurs membres afpirans aux places fénatoriales oü menent leurs grades refpeftifs, porteroient une grande attention a mériter par 1'approbation publique les fuffrages de Ia Diete, & ce feroit une occupation fuffifante pour tenir ces afpirans en haleine & fous les yeux du public dans les intervalles qui pourroient féparer leurs éleélions fucceffives. Remarquez que cela fe feroit cependant fans les tirer pour ces intervalles de 1'état de fimples citoyens gradués, puifque cette efpece de tribunal, fi utile & fi refpeétabie, n'ayant jamais que du bien a faire,ne feroit revétu d'aucune iPuiflance coaftive: ainfi je ne multiplie point ici  DE 1' OLOGNI. 11$ les magiftratures, mais je me fers, cherain faiïant, du paffage de 1'une a fautre pour tirer parti de ceux qui les doivent remplir.' Sun ce plan, gradué dans fon exéctition par une marche fucceflive qu'on pourroit précipiter, ralentir, ou même arrêter felon fon bon ou mauvais fuccês, on n'avanceroit qu'a volonté, guidé par 1'expérience, on allumeroit dans tous les états inférieurs uu zele ardent pour comribuer au bien public, on paiviendroit enfin a vivifier toutes les parlies de la Pologne & a les lier de maniere a ne faire plus qu'un même corps, dont la vigueur & les forces feroient au moins décuplées de ce qu'elles peuveut être aujourd'hui, & cela avec 1'avantage inefttmable d'avoir évité tout changement vif & brufque & le danger des révolutions. Vous avez une belle occafion de commencer cette opération d'une maniere éclatante & noble, qui doit faire le plus grand effet. II n'eft pas poflible que dans les malheurs que vient d'effuyer la Pologne, les confédérés n'aient regu des afliftances & des marqués d'attachement de quelques bourgeois & même de quelques payfans. Imitez la magnaui» mité des Romains, fi foigneux , après les grandes calamités de leur République, de combler des témoignages de leur gratitude les étrangers, les fujets, les efclaves, & même jufqu'aux animaux, qui dutant leurs difgraces leur avoient rendu quelques fervices fignalés. O le beau début a mon gré, que de donner folemnellement la nobltffe i ces bourgeois  120 Gouvernement & la franchife a ces payfans, & cela avec toute la pompe & tout fappareil qui peuvent rendre cette cérémonie augufte, touchante & mémorable! Et ne vous en tenez pas a ce début. Ces hommes ainfi diflingués doivent demeurer toujours les enfans de choix de la patrie. II faut veiller fur eux, les protéger, les aider, lesfoutenir, fuflent - ils même de mauvais fujets. II faut a tout prix les faire profpérer toute leur vie, afin que par eet exemple. mis fous les yeux du public, la Pologne montre a 1'Europe eniiere ce que doit attendre d*elle dans fes fuccês, quiconque ofa l'aflifter dans fa détrefle. Vol la quelque idéé grofliere & feulement par forme d'exemple de la maniere dont on peut procéder, pour que chacun voye devant lui la route libre pour arriver a tout, que tout tende graduelleraent en bien fervant la patrie aux rat gs les plus honorables, & que la vertu puifle ouvrir toutes les portes que la fortune fe plalt a fermer. Maïs tout n'eft pas fait encore, & la partie de ce projet qui me refte a expofer, eft fans contredit la plus tmbarralfante & la plus difficile; elle offre a furmonter des obftacles, contre lefquels la prudence & 1'expérience des politiques les plus confommés ont toujours échoué. Cependant il me femble qu'en fuppofant mon projet adopté , avec le moyen trèsfimple que j'ai a propofer, toutes les difficultés font levées, tojis les abus font prévenus, & ce qui fembloit faire un nouvel obftacle, fe tourne en .vantage dans i'exécution. C H A-  de Pologne. i21. C II A P I T R E XIV. ElePtion des Rois. T outes ces difïïculfés fe réduifent h celle de, donner a 1'Etat un chef, dont le choix necaufe pa? des troubles & qui n'attente pas a la liberté. Ce qui a.ugmente la même difficulté, eft que ce chef doit être doué des grandes qualités nécefïaires a quiconque ofe gouverner des hommes libres. L'hérédité de la couronne prévient les troubles, mais elle amene la fervitude ; l'élection maintient la liberté, mais a chaque regne elle ébranle 1'Etat. Cette alternative eft facheufe , mais avant de parler des moyens de 1'éviter, qu'on ine permette un moment de réflexion fur la maniere dont les Polonois difpofent ordinairement de leur couronne, D'abord je le demande; pourquoi faut• il qu'ils fe donnent des rois étrangers? Par quel fingulier ayeuglement ont ■ ils pris ainfi le moyen Ie plus für d'alTervir leur nation, d'abolir leurs ufages, de fe rendre le jouet des autres cours & d'augmenter a plaifir 1'orage des interregues? Quelle injuftice envers eux-mêmes, quel affront fait a leur patrie, comme fi, défefpcrant de trouver dans fon fein un homme digna de les comraander, ils étoient forcés de Palier chercher au loin! Comment n'ontils pas fenti, comment n'ont-ils pas vu que c'étoit Supplém. Tom, VI. F  ,a2 gouvernement tont le contraire Wuvrez les annales de votre nation, vous ne la verrez jamais illuftre & triomp.hante que lous des Rois Polonois;vous la verrez prefque toujours opptimée & avilie fous les étrangers. Que 1'expérience vienne enfin a 1'appui de la raifon; voyez quels jnauxvous vous falies & quels biens vous vous ótez. Car, je le demande encore, comment la nation Polonoife ayant tant fait que de rendre fa cou,onne éleftive, n'a t-elle point fongé a lirer para •de cette loi pour jètter parmi les membres de 1 adminiftraiion , une émulation de zele & de gloire, „ui feule eüt plus fait pour le bien de la patrie que toutes les autres loix enfemble? Quel rellen ■puiflant fur dés ames grandes & ambitieules, que cette couronne defUnée au plus digne & mue en perfp^tive devaüt les yeux de tout citoyen qui laura mériter 1'éflime publique 1 Que de vertus,qu3 de nobles efforts 1'efpoir d'en acquérir le plus haut prix ne doit il pas e.xciter dans la nation! quel feimtnt de patriotifme dans tous les cceurs, quand on fauroit bien que ce n'eft que par - la qu'on peut •obtenir cette place, devenue 1'objet fectet des vceux «de tous les particuliers, fitót qu'a force de merite ■& de fervices 1F dépendra d'eux de s'en approcher ,oujours davauiage, & fi la fortune les feconde, d'y parvenir enfin tout a-fait 1 Cherchonsle me.1leur moyen de mettre en jeu ce grand reffort, I ruiffant dans la république, & fi négligé jufquici. L'on me dira qu'il ne iuffit pas de ne donner la couronne. qu'il des Polonois pour lever les difhculK. dont il s'ag": c'eft ce que nous venons toui-  de Pologne. a-fheure, après quej'aurai propofé mon expédient; eet expédient eft fimple, mais il paroiira d'abord manquer le but que je viens de marquer moi - même , quand j'aurai dit qu'il confifte a faire entrer le fort dans 1'éleétion des Rois. Je demande en grace qu'on me IailTe le tems de m'expliquer, ou feulement qu'on me relife avec attention. Car fi 1'on dit, comment s'alïïirer qu'un Roi tiré au fort ait les qualités requifes pour remplir dignement fa place, on fait une objection que j'ai déja réfolue; puifqu'il fuffit pour eet effet que le Roi ne puifTe étre tiré que des Sénateurs a vie, car puifqu'ils feront tirés eux-mêmes de l'ordre des Gardieas des loix , & qu'ils auront palfé avec honneur par tous las grades de la république, 1'épreuve de toute leur vie & 1'approbation publique dans tous les potles qu'ils auront rernplis, feront des garans fuffifans du mérite & des vertus de cbacun d'eux. Je n'entends pas néanmoins que même entre les Sénateurs a vie Ie fort décide feul de Ia préférence. Ce feroit toujours manquer en partie le grand but qu'on doit fe propofer. Il faut que le fort falfe quelque chofe, & que le choix fa (Te beaucoup, afin d'un cóté d'amortir les brigues & les menéss des Piuflances étrangeres & d'engager de 1'autre tous les Palatins par un fi grand intérêt a ne point fs relacher dans leur conduite, mais a continuer de fervir la patrie avec zele pour mériter la préférenca fur leurs concurrens. J'avoue que la clafTe de ces concurrens me F a  12.1. Gouvernement paroit bien nombreufe , fi 1'on y fait entrer les grands Caftellans, prefque égaux en rang aux Palatins par la conftitution préfente; mais je ne vois pas quel inconvénient il y auroit h donner aux feuls Palatins 1'accès immédiat au Tróne. Cela feroit dans le même ordre un nouveau grade que les grands Caftellans auroient encore a palTer pour devenir Palatins, & par conféquent un moyen de plus pour tenir Ie Sénat dépendant du Légiflateur. On a déja vu que ces grands Caftellans me paroiffent fuperflus dans la conftitution. Que néanmoins pour éviter tout grand changement on leur laifle leur place & leur rang au Sénat, je 1'approuve. Mais dans la graduatien que je propofe, rien n'oblige de les mettre au niveau des Palatins, & comme tien n'en empêché non plus, on pourra fans inconvénient fe décider pour le parti qu'on jugera Ie meilleur. Je fuppofe ici que ce parti préféré fera d'ouvrir aux feuls Palatins faccês immédiat au Tróne. Aussitói donc après la mort du Roi, c'efta dire, dans le moindre intervalle qu'il fera poflible & qui fera fixé par la loi, Ia Diete d'élcétion fera folemnellenient convoquée; les noms de tous les Palatins feront mis en corxurrence, & il en fera tiré trois au fort avec toutes les précautions poflibles, pour qu'aucune fraude n'altere cette opération. Ces trois noms feront a haute voix déclarés a 1'aflemblée, qui, dans Ia même féance & a la pluralité des voix, choifira celui qu'elle préfère .& il fera proclamé Roi dés le même jour. On trouvera dans cette fotme d'éleclion un  de Pologne» 135 grand inconvénient, je 1'avoue; c'eft que la nation ne puifté choifir libreraent dans le nornbre des Palatins celui qu'elle bonore & chérit davantage 6c qu'elle juge le plus digne de la royauté. Mais eet inconvénient n'eft pas nouveau en Pologne, oü 1'on a vu dans plufieurs éieétions que, fans égard pour ceux que la nation favorifoit, on 1'a forcée de choifir celui qu'elle auroit rebuté: mais pour eet avantage qu'elle n'a plus & qu'elle faciifie, combien d'autres plus importans elle gagne par cette forme d'éleétion i PttEMiBiiEMEKT 1'action du fort amortit tout d'un couples faétions & brigues des nations étrangeres quinepeuventinfluer fur cette éleétion, trop incertaines de fuccês pour y mettre beaucoup d'eftbrts, vu que la fraude même feroit infuffifante en faveur d'un fujet qtte la nation peut toujours rejetter. La grandeur feule de eet avantage, eft telle qu'il allure le repos de la Polo* gne,étouffe Iavénalité dans la République, &laifls a 1'éleftion prefque toute la tranquilité de 1'hérédité. Le même avantage a lieu contre les brigues mêmes des candidats; car qui d'entre eux voudra fe mettre en frais pour s'aflurer une préférence qui ne dépend point des hommes, & facrifier fa fortune a un événement qui tient a tant de chr.nces contraires pour une favorable? Ajoutons que ceux que le fort a favorifés ne font plus a tems d'acheter des éleéïeurs, puifque l'éleétion doit fe faire dans la même féance. ' Lf. choix iibre de la nation entre trois candidans, la préferve des iacoavénijns du fort qui,par F 3  Jaö GOUVERHEMBMT fuppofition, tomberoit fur un fujet indigne: car dans cette fuppofition, la nation fe gardera de le cboifir, & il n'eftpas pofliblequ'entretrente-troishommesillufires, 1'élite de Ia nation, oü 1'on necomprend pas même comment il peut fe trouver un feul fujet indigne, ceux que favorifera le fort le foient tous les trois. Ainsi , & cette obfervation ell d'un grand poids , nous réuniflbns par cette forme tous les avantages de 1'eleétion k ceux de 1'hérédité. Car premiérement la couronne ne paflant point du pere au fils, il n'y aura jamais continuité de fyftême pour 1'afferviflement de la République. En fecond lieu, le fort même dans cette forme eft 1'inUrumtnt d'une éleftion éclairée & volomaite. Dans le corps refpcétable des Gardiens dts loix & des Palatins qui en font tirés, il ne peut faire un choix, quel qsi'il puifle être, qui n'ait été déja fait par Ia nation. Mais voyez quelle émulaiion cette perfpeétive doit porter dans le corps des Palatins & grand* Caftellans, qui dans des places a vie pourroient fe relacher par la certitude qu'on ne peut plus.les leur tier. Ils ne peuvent plus étre contenus par la crainte ; iflais Pefpoir de remplir un tróne que chacun d'eux voit fi prés de lui, eft un nouvel aiguillon qui les ticnt fans ceflè attentifs fur eux - mêmes. lis favent que le fort les favoriferoit en vain s'ils font rejettés a féleétion, & que le feul moyen d'être choifis eft de le mériter. Cet avantage eft trop grand , trop évident, pour qu'il foit néceflaire d'y infifler. Supposons un moment pour aller au pis, qu'on ne peut éviter la fraude dans 1'opération du  • DE TOLOCWE. 127 fort, & qu'un des concurrens vint a tromper la vigilance de tous. les autres fi intérefles k cette opération. Cette fraude feroit un malheu; pour les candidats exclus, mais 1'effet pour fa république feroit le même que fi !a décifion du fort eüt été fidele: car on n'en auroit pas moins 1'avantage de 1'éleaion , on n'en préviendroit pas moins les troubles des interregnes & les dangers de 1'hérédité; le candidat que fon ambition féduiroit jufqu'a recourir a cette fraude, n'en feroit pas moins au furplus un homme de mérite, capable au jngement de la nation de porter la couronne avec botweur; & enfin , même aprês cette fraude, il n'en dépendroit pas moins pour en profiter du choix fubfequent & formel de la république. pAR ce projet adopté dans toute fon étendue. tout eft lié dans 1'état, & depuis le demier particulier jufqu'au premier Palatin, nul ne voit aucun moyen d'avancer que par la route du devoir & de 1'approbation publique. Le Roi feul, une fois élu , ne voyant plus que les loix au deiTuy de lui > n'a »ul autre frein qui le contienne, & n'ayant plus befoin de 1'approbation publique, il peut s'en pasfer fans riflme fi fes projets le demandent. Je ne vois gueres a cela qu'un remede, auquel même il ne faut pas fonger. Ce feroit que la couronne füc en quelque maniere amovibfe, & qu'au bout de certaines périodes les Rois eulfent befoin d'êtte confirmés. Mais encore une fois eet expédient n'eft pas propofable; tenant le tróne &. 1'état dans F 4  i2<$ Gouvernement une agitation continuelle , il ne laiüéroit jamais 1'adminiftration dans une affiette affez folhie pouf pouvoir s'appliquer uniquemen; & utilement au bien public. Il fut un ufage antique qui n'a jamais été pratiqué que chez un feul peuple, mais dont il eft étonnant que le fuccês n'en ait temé aucun autre de 1'imiter. II eft vrai qu'il n'eft gueres propte qu'a un royaume électif, quoiqu'inventé & pratiqué dans un royaume héréditaire. Je parle du jugement des Rois d'Egypte après leur mort, & de 1'arrét par lequel la fèpulture & les honneurs royaux leur étoient accordés ou refufés felon qu'ils avoient bien ou mal gouverné 1'état durant leur vie. L'indifférence des modernes fur tous les objets moraux & fur tout ce qui peut donner du reHort aux ames, leur fera fans doute regarder Hidée de rétabür cei> ufage pour les Rois de Pologne comme une folie ;• & ce n'eft pas a des Francois, furtout a des philofophes que je voudrois tenter de la faire adopter; mais je crois qu'on peut la propofer a des Polonois. J'ofe même avancer que eet établilTement auroit chez eux de grands avantages, auxquels il eft impoffible defuppléer d'aucune autre maniere,& pas un feu! inconvénient. Dans 1'objet prélent on voit qu'è moins d'une ame vile & infenfible k 1'honneur de fa mémoire, il n'eft pas poffible que 1'intégrité d'un jugement inévitable nVn impofe au Roi, & ne mette a fes paffions un frein plus ou moins fort. je 1'avoue, mais toujours capable de les corjtenir r '«f & commê il arriveroit infailliblement dans un royaume héréditaire, plutót une oraifon funebre du Roi défunt, qu'un jugement jufte & levére fur fa conduite. II vaut mieux en cette occafion donner davantage a la voix publique & perdre quelques lumieres de détail, pour conferver 1'intégrité & 1'auftérité d'un jugement qui fans cela deviendroit inutile. A 1'égard du tribunal qui prononceroit cette fentence, je voudrois que ce ne füt ni le Sénat, ni la Diete, ni aucun Corps revêtu de quelque auto' rité dans le gouvernement, mais un ordre entier de citoyens qui ne peut être aifément ni trompé ni corrompu. II me paroit que les Ctves eleüi, plus ïnftruits, plus expérimentés que les Servans d'Etat, & moins intérelfés' que les Gardiens des loix déja trop voifins du Tróne , feroient précifément le Corps intermédiaire oü 1'on trouveroit k la fois le  de Pologne. 131 plas da lumieres & d'intégrité, le plus propre è ne porter que des jugemens fürs & par - la préférables aux deux autres en cette occafion. Si même il arriveroit que ce corps ne füt pas alTez nombreux pour un jugement de cette importance, j'aitnerois mieux qu'on lui donnat des adjoints tirés des Servans d'Ettlt, que des Gardiens des loix. Enfin, je voudrois que ce tribunal ne füt préfidé par aucun homme en place , mais par un Maréchal tiré de fon corps, &i qu'il éliroit lui - même comme ceux des Dietes & des Confédêrations: tant il faudroit éviter qu'aucun intérêt particulier n'influat dans eet aéte, qui peut devenir très-augufte ou trés-ridicule , felon la maniere dont il y fera procédé. E n finiflant eet article de 1'éleétion & du jugement des Rois, je dois dire ici qu'une chofe dans vos ufages m'a paru bien choquante & bien contraire & fefprit de votre conftitution; c'eft de la voir prefque renverfée & anéantie è la mort du Roi, jufqu'a fufpendre & fermer tous les tribunaux; comme fi cette conftitution tenoit tellement k ca Prince, que la mort de 1'un füt la deftruftion de Fautre. Eh, mon Dieu! ce devroit être exaélement le contraire. Le Roi mort, tout devroit aller commj» s'il vivoit encore; on devroit s'appercevoir a peine qu'il manque une piece a la machine, tant cer e piece étoit peu elfentielle a fa folidité. Heureufement cette inconféquence ne tient it rien. II n'y a -qu'a dire qu'elle n'exiftera plus, & rien au furplus ne doit etic changé: mais il ne faut pas Isifier F 6  13» Gouvernement fubfifter cette étrange contradiétion; car fi c'en eft une déja dans Ia préfente conftitution, c'en feroit une bien plus grande encore après la réforme. CHAPITRE XV. Canclufion. "Voila mon plan fiiffifamment efquiffé. Je rn'arrête. Quel que foit celui qu'on adoptera, 1'on ne doit pas oublier ce que j'ai dit dans le Contrat Social de 1'état de foiblefi'e & d'anarchie oü £ê trouve une nation, tandis qu'elle établit ou réforme fa conftitution. Dans ce moment de défordre & d'effervefcence, él-Ie eft hors d'état de faire aucune réfiftance, & le moindre choc eft capable de tout renverfer. II importe donc de fe ménager a tout prix un intervalle de tranqaülisé, durant lequel on puifle fans rifque agir fur foi - même & rajeunir fa conftitution. Quoique les ehangemens a faire dans la vóire ne foient pas fondamc-niaux & ne paroiiïlnt pas fort grands, ils font fuffifans pour exiger cette précaution, & il faut nécefTairement un certain tems pour fentir Peffèt de la meilleure réforme & prendre la confiftance qui doit en être Ie fruit. Ce n'eft qu'en fuppofaut que le fuccês réponde au coulage des Confédérés & & la juftice de leur caufe, qu'on peut fonger a 1'entreprife dont il s'agit. Vous  be Pologne. 133 ne ferez jamais libres tant qu'il reflera un feul fbl* dat Rulle en Pologne, & vous ferez toujours menacés de celfer de 1'être tant que la Ruflie Je mêlera de vos affaires. Mais fi vous parvenez il la forcer de traiter avec vous comme de puiflance a puiflance, & non plus comme de proteéteur a protégé, profitez alors de Fépuifement oü 1'aura jettée la guetre de Turquie pour faire votre ceuvre avant qu'elle puifle la troubler. Quoique je ne faffe aucun cas de la fóreté qu'on fe procure au • dehots par des traités, cette circonftance unique vous forcera peut-être de vous étayer, amant qu'il fepeut, de eet appui, ne füt-ce que pour connoitre la difpofnion préfente de ceux.qui traiteront avec vous. Mais ce cas excepté & peut-être en d'autres tems quelques traités de commerce, ne vous fatiguez pis a de vaines négociations, ne vous ruinez pas en ambafliadeurs & minifb-es dans d'autres cours, & ne comptez pas les alliances & traités pour quelque chofe. Tout cela ne fert de rien avec les Puit fances chrétiennes: elles ne conuoiiïent d'autres liens que ceux de leur intérêt; quand elles le trou» .veront a remplir leurs engsgemens, elles les rempliront; quand elles le trouveront a les rompre, e'les les romprontj autant vaudroit n'en poititpren■dte. Encore fi eet intérêt étoit toujours vrai. Ia connoiflance de ce qu'il leur convient de faire pourroit faire prévoir ce qu'elles feront. Mais ce n'eft prefque jamais la raifon d'Etat qui les guide, c'eft fintérét momentané d'un miniftre, d'une fille,d'un F 7  134 G 0 u* * r n e m r n t favori; c'eft le motif qu'aucune fageiTe humaine n'a pu prévoir, qui les détermine taniót pour, tantöc contra leurs vrais intéréts. De quoi peut-on s'aflurer avec des gens qui n'ont aucun fyftême fixe, & qui ne fe conduifent que par des impulfions fortui', tes? Rien n'eft plus frivole que la fcience politique des cours: comme elle n'a nul principe alfuré, 1'on n'en peut tirer aucune conféquence certaine, & toute cette belle doctrine des intéréts des Princes -eft un jeu d'enfans qui fait rire les hommes fenfé*. Ne vous appuyez donc avec confiance ni fur vos alliés, ni fur vos voifins; vous n'en avez qu'un fur lequel vous puifïiez un peu compter. C'eft le Grand-Seigneur, & vous ne devez rieh épargner pour vous en faire un appni: non que :fes maximes d'Etat foient beaucoup plus certaines que celles des autres Puiflances. Tout y dépend également d'un Vifir, d'une Favorice, d'une intrigue de Serrail; maisTititérét de la Porte eft clair, fimple, il s'agk de tout pour elle, & généralement il y regne, avec bien moins de lumierés & de fineffe, ■plus de droiture & de bon fens. On a du moins •avec elle eet avantage de plus qu'avec les Puiffan. •ces chrétiennes, qu'elle aime a remplir fes enga-gemens & refpeéle ordinairement les traités. II ïaut tacher d'en faire avec elle un pour vingt ans , auffi fort, auiïï clair qu'il fera.poflible.- Ce traité, ^ant qu'une autre Puilfrmce enchcra fes projets, fera le mciüeur peut-étre, le ielll garant que vous 'püilïïez avoir, & dans 1'état oü la préfeute guerre  "o t Pologne. 13S laiffera vraifemblablement la Ruffie, j'eftime qu'H peut vous fuffire pour entreprendre avec füreté votre ouvrage; d'autant plus que l'intérêt commun des puiflances de rEutope,& furtout de vos autres voifins, eft de vous laiffer toujours pour barrière entr'eux & les Ruffes, & qu'a fotce de changer de folies il faut bien qu'ils foient fages au moins quelquefois. ünï chofe me fait croire que généralement on vous verra fans jaloafie travailler Ü la réforme de votre conftitution. C'eft que eet ouvrage ne tend qu'H 1'affermiflement de la légiflation, par conféquent de la liberté, & que cette liberté pa (Te dans toutes les cours pour une manie de vifionnaires qui tend plus il affoiblir qu'a renforcer un Etat. C'eft pour cela que la France a toujours favorifé la liberté du Corps Germanique & de la HollanJe, & c'eft pour cela qu'aujourd'bui la Ruffie favorifé le gouvernement préfent de Suede & contrecarre de toutes fes forces les projets du Roi. Tous ces grands miniftres qui, jugeant les hommes en général fur ■«ux- mêmes & ceux qui les entoutent, croierit les connoitre, font bien loin d'imaginer quel reflbr't 1'amour de la patrie & 1'élan de la vertu petit donner a des ames libres. lis ont beau être les dupes de la balTe opinion qu'ils ont des République» & y trouver dans toutes leurs entreprifes uric réfiftance qu ils n'attendoient pas, ils ne reviendrotic ' jamais d'un préjügé fondé für le mépris dont ils fe fenterit dignès & fur lequel ils apprécient le genre-  ij5 Gouvernement huvna'n. Malgré 1'expérience affez frappante que les Ruffes viennent de faire en Pologne, rien ne les fera changer d'opinion. Ils regarderont toujours les hommes libres comme il faut les regarder eux-mêmes, c'efr-a-dire, comme des hommes nuls, fur lefquels deux feuls inflrumens ont prife , favoir l'argent & le knout. S'ils voient donc que la République de Pologne , au lieu de s'appliquer a remplir fes^coffres, a grofïïr fes finances, a lever bien des troupes réglées, fonge au contraire a liccncier fon armée & a fe paffer d'argent, ils croiront .qu'elle travaille a s'affoibür, & perfuadés qu'ils n'auront pour en faire la conquéte, qu'a s'y préfenter quand ils voudront, ils la lailferont fe régler tout i fon ailé, en fe moquant en eux • mêmes de fon travail. Et il faut convenir que 1'état de liberté óte a un peuple la force oifenöve, & qu'en fuivant le plan que je propofe on doit renoncer a tout efpoir de conquéte. Mais que, votre oeuvre- faite, dans vtngt ans les Ruffes tentent de vous env thir, & ils connoitront quels foldats font pour la défenfe de leurs foyers, ces hommes de paix qui ne favent pas attaquer ceux des autres & qui ont oublié le prix de l'argent. Quant a la maniere d'entamer 1'ceuvre dont il s'agit, je nepuis goürer toutes les fubtilités qu'on vous propofe pour furpreudre & tromper en quelque forte la nation fur les changemens a faire a fes loix. Je ferois d'avis feulement, en montrant votre plan dans toute fon étendue, de n'en point com-  d e Pologne. 137 mencerbruiquementfexécmioh parrempllrla RépiH büque de mécontens, de laiflér en place la plupart de ceux qui y font, de ne conférer les emplois, felon la nouvelle réforme, qu'& mefure qu'ils viendront a vaqucr. N'ébranlez jamais trop brufquement la machine. Je ne doute point qu'un bonplan une ibis adopté ne change même fefprit de ceux qui auront eu part au gouvernement fous fin autre. Ne pouvaut créer tout d'un coup de nouveaux citoyens, il faut commencer par tirer parti de ceux qui exiftent & offiir une route nouvelle ii leur ambition; c'eit le moyen de les difpofer i U fuivre. Que fi , malgré le courage & ia couflance des Confédérés & malgré la juftice de leur caufe , la fortune & toutes les Puiflances l:s abanJounent- & livrem la patrie a. fes oppreiTeurs filais je n'ai pas f honneur d'être Polonois; & dans une fituation pareille k celle ou vous êtes, il n'eft permis de donner fon avis que par fon exemple. Je viens de remplir, felon la mefure de mes forces, & plüt ■ a Dieu que ce feit avec autant de fuccês que d'ardeur, la tache que M. le Comte Wielhorrdri m'a impofée. Peut-être tout ceci n'eft - il qu'un tas de chimères, mais «rilaJ mes idéés: ce n'eft pas ma faute fi elles reffemblent fi peu h celles des autres hommes, & il n'a pas dépendu de moi d'organifer ma tê e. d'une autre facon. . J'avoue même que quel-. q-ueu fingularité qu'on leur trouve, je n'y vois rien quant a moi que de bien adap.c-é au. ece-wr  138 Gouvernement, &c. humain, de bon , de praticable, furtout en Pologne, m'étant appliqué dans mes vues a fuivre fefprit de cette République, & a n'y propofer que le moins de changemens que j'ai pu pour en corriger les défauts. II me femble qu'un gouvernemement monté fur de pareils rel* forts doit marcher a fon vrai but, aufli direétement, aufli fürement, aufli longtems qu'il eft poflible j n'ignorant pas, au furplus, que tous les ouvrages des hommes font iinparfaits, paflagers & périflables, comme eux. J'ai omis & deflein beaucoup d'anicles trêsimportans, fur lefquels je ne me fentois pas les lumieres fuffifantes pour en bien juger. Je lailfe ce foin a des hommes plus éclairés & plus fages que moi , & je mets fin & ce long fatras, en faifant a M. le Comte Wielhorski mes excufes de Pen avoir occupé fi longtems. Quoique je penfe autrement que les autres hommes, je ne me flatte pas d'être plus fage qu'eux, ni qu'il trouve dans mes réveries rien qui puifle réellement être utile a fa patrie; mais mes vceuS pour fa profpérité font trop vrais, trop purs, trop défintérefles pour que 1'orgueil d'y contribuer puifle ajouter a mon zele. Puifle-telle triompher de fes ennetnis, devenir, demeurer paifible, heureufe & libre, donner un grand exemple a 1'univers, & , profitant des travaux patriotiques de M. le Comte Wielhorski, trouver & former dans fon fein beaucoup de citoyens qui lui rellemblentl  PROJET CONCERNANT DE NOUVEAU X SIGNES POUR LA MUSIQUE, Lu par ï'Auteur a t'Académie des Sciences, le 22 Aoüt 1742. V^» e projet tend a rendre la mufique plus commode a noter, plus aifée a apprendre & beaucoup moins düïüfe. I l paroit étonnant que les fignes de la Mufique étant reftés aufïï longtems dans 1'état d'imperfeétion oü nous les voyons encore aujourd'hui, la difficulié de 1'apprendre n'ait pas averti le public que c'étoit la faute des caraéteres & non pas celle de 1'art. II eft vrai qu'on a donné fouvent des projets en ce genre , mais de tous ces projets qui, fans avoir les avantages de la mufique ordinaire, en avoient prefque tous les inconvéniens; aucun que je fache, n'a jufqu'ici touché le but, foit qu'une pratique trop fupeificielle ait fait échouer ceux qui font voulu confidérer théoriquement, foit que le génie étroit & borné des muficiens ordinaires les ait empêché d'embraffer un plan général & raifounJ, & de fentir les viais inconvéniens  MO projet concernant de leur art; de la perfedtion actuelle duquel ils font d'ailletirs pour 1'ordinaire trés eutêtés. Cette quantité de Iignes, de clefs, de ttant1 pofitions, de diefes , de bémols, debécarres, de mefures fimpies & compofées , de rondes , de blanches, de noires, de croches, de doublés, de triples-croches, de paufes, de demi-paufes, de foupirs, de demi-foupirs, de quarts - de -foupirs, &c. donne une foule de fignes & de combinaifons, . d'oü réfultent deux inconvéniens principaux, 1'un d'occuper un trop grand volume, & 1'autre de furcharger la mémoire des écoliers, de facon que f'oreille étant formée & les organes ayant acquis toute la facilité nécefiaire, longtems avant qu'on foit en état de chanter a livre ouvert, il s'enfuit que la diffifulté eft toute dans 1'obfl-rvation des regies, & uo:i dans 1'exécutiou du chant. L ic moyen qui remédiera a fun de ces inconvéniens, remédiera auffi a f autre; & dés qu'on aura inventé des fignes équivalens, mais plus fimpies & en moindre quantité, ils auront'par-la même plus de préeifion & pourront exprimer autaut de chofes en moins d'efoace. Il eft avantageux outre cela, que ces fignes foient déja connus, afin que 1'attention foit moins partagée, & facties a figurer, afin derendre ia mufique plus commode. Il fiat pour eet effet conGJérer deux objets principaux, chacun en particulier. Le premier doit c:re 1'expreïïïou de tous les ftms poübles; & 1'au  be k o 1' v E J 0 X StéU t't, 141 tre, celle de toutes les dilféremes durées, tart des fons que de leurs filences relatifs; ce qui comprend aufli la différence des mouvemens. Comme la mufique n'eft qu'un enchainement de fons qui fe font entendre, ou tous enfemble, ou fuccefiivement; il fiiifit que tous ces fons aient des expreflions relatives qui leuf afiignent a chacun la place qu'il doit occuper par rapport a un certain fon fondamental, pourvu que ce fon foit nettement exprimé, & que Ia relation foit facile a connoiire. Avantsges que n'a déja point la mufique ordinaire, oü le fon fon jamental n'a nulle évidence particuliere, & oü tous les rapports des notes ont befoin d'être longtems étudiési Prenant ut pour ca fon fondamental, auquel tous les autres'doivent fe rapporter, & 1'exprimant par Ie chilfre i , nous aurons a fa fuite 1'exprL-flïon des fept fons naturels, ut re mi fa fol la fi par les 7 chiffres, i , 2 , 3., 4, 5 , 6, 7, de facon que tant que le chant roulera dans l'étendue des fept fons, il fufïïra de les noter chacun par fon chilfre correfpondant, pour les exprimer tous fans équivoque. Mais quand il eft queftion de fortir de cette étendue pour pafler dans d'autres oétaves, alors cela forme une nouvelle difitculté. Poür laréfoudre, je me fers du plus fimple de tous les fignes, c'eft-adire, du point. Si je fors de 1'oclave par laquelle j'ai commencé, pour fair; une note dans l'étendue de .1'oftave qui eft  I4« Projet concbrnant ,au deffus & qui commence a Vut d'en haut, alors je mets un point au-deflus de cette note par laquelle je fors de mon oftave, & ce point une fois placé, c'eft un indice que, non - feulement la note fur laquelle il eft, mais encore toutes celles qui la fuivront fans aucun figne qui le détruife, devront étre prifes dans l'étendue de cette oftave fupérieure .oü je fuis entré. Au contraire, fi je veux palier & 1'oétave qui eft au-deflbus de celle oü je me trouve, alors je mets le point fous Ia note par laquelle j'y entre. En un mot, quand le point eft fur la note, vous paflez dans 1'oétave fupérieure; s'il eft au-deflbus, vous paflez dans l'inférieure, & quand vous chan. geriez d'oétave a chaque note, ou que vous voudriez monter ou defcendre de deux ou trois oéhves tout d'un coup ou fucceffivement, la regie eft •toujours générale, & vous n'avez qu'a mettre autant de points au-deflbus ou au-deflus que vous avez d'oétaves a defcendre ou a monter. C E n'eft pas a dire qu'a chaque point vous montiez ou defcendiez d'une oétave, mais a chaque point vous paflez dans une oétave différente de celle oü vous êtes par rapport au fon fondamental ut d'en bas, lequel ainfi fe trouve bien dans la même oétave en defcendant diatoniquement, mais non pas en montant. Sur quoi il faut remarquer que je ne me fers du mot d'oaave qu'abufivement & pour ne pas multiplier inutilement les termes, paree que proprement cette étendue n'eft compo-  DE nouve,aux SlflNI], I43 fée que de notes, l'i d'en-baut qui commence une autre oétave n'y étant pas compris. Mais eet ut qui par la tranfpofition dolt tonjoürs étre le nom de la tonique dans les tons majeurs & celui de la médiante dans les tons mineurs, peut, par conféquent, étre pris fur chacune des douze cordes du fyftême chromatique; & pour Ia défigner, il fuffira de mettre a la marge le chiffre qui exprimeroit cette corde fur Ie clavier dans l'ordre naturel; c'eft-a-dire, que le chirTre de la marge qu'on peut appeller la clef, défigne la touche du clavier qui doit s'appeller ut & par conféquent être tonique dans les tons majeurs & médiante dans les mineurs. Mais, a le bien prendre, la connoisfance de cette clef n'eft que pour les inflrumens, & ceux qui chantent n'ont pas befoin d'y faire attention. Par cette méthode, les mêmes noms font toujours confervés aux mêmes notes: c'elt-a-dire, que Part de folfier toute mufique poflible confifte précifément a connoitre fept caraileres uniques & invariables qui ne changent jamais ni de nom ni de pofition; ce qui me paroit plus facile que cette multitude de tranfpofitions & de clefs qui, quoiqu'ingénieufement inventées, n'en font pa» moins le fupplice des commencans. Une autre difficulté qui nait de l'étendue da clavier & des différentes oftaves oü le ton peut étre pris, fe réfout avec la même aifance. On concoit le clavier divifé par oftaves depuis la première toni-  1.14 PaOJET C O N' C f tt N A N t que; U plus balie oétave s'appelle A, la.feconde B, la troifieme C ,-&c. de facon qu'écrivant au commencement d'un air la leure correfpondante a . 1'oétave dans laquelle fe trouve la première note de eet air, fa pofition précife eft connue, & les points vous conduifent enfuite partout fans équivoque. De-li découle encore généralement &c fans eiception le moyen d'exprimer les rapports cc tous les intervalles, tant en montant qu'en defcen• dant, des reprifes & des rondenux, comme on le verra détaillé dans mon grand Projet. La cotde du ton, le mode (car je le diflingue aufli) & 1'oclave étant ainfi bien défignés, il fau* dra fe fervir de la tranfpofition pour les inllrumens, .comme pour la voix; ce qui n'aura nullc difficulté pour les muficiens iuflruits, comme ils doivent 1'être , destons&des intervalles naturels a chaque mode, cc de la maniere de les trouver fur leurs inftrumens: il en réfultera, au contraire, eet avantage important, qu'il ne fera pas plus difficile de traufporter toutes fortes d'airs, un demi-ton ou un ton plus haut ou plus bas, fuivant le befoin, que de les jouer fur Jetir ton naturel, ou. s'il s'y trouve quelque peine, elle dépendra uniqueraent de 1'inftrument & jamais de la note qui, par le changement d'un feul figne, repréfentera le même air fur quelque ton que 1'on veuille propofer; de forte, enfin, qu'un orchefire entier, fur un fimple avertiflement du maitre , exé« cuteroit fur le champ en mi ou en fol une piece cotée en fa , en Ia, en fi bémol ou en tout autre ton  DE N0UVËAUX SlGNES. I45 ton imaginable: chofe impoffible a pratiquer dans Ia mufique ordinaire & donc 1'utilité fe fair affez fentir a ceux qui fréquentenc les concerrs. En gé' néral, ce qu'on appelle chanter & exécuter au naturel, eft peut-être ce qu'il y a de plus mal imaginé dans Ia mufique. Car fi les noms des notes ont quelque utilité réelle, ce ne peut être que pour exprimer certains rapports, certaines affeftion» déterminées dans les progreffions des fons. Or, dés que le ton change, les rapports des fons & la pro* greflïon changeant auflï, Ia raifon dit qu'il faut de même changer les noms des notes en les rapportant par analogie au nouveau ton, fans quoi 1'on renverfe le fens des noms & 1'on óte aux mots le feul avantage qu'ils puiflent avoir, qui eft d'excker d'autres idees avec celles des fons. Le paSfage dus mi au fa , ou du fi il Vut excite naturellemen t dans 1'elprit du muficien 1'idée du demi-ton. Cependant, fi Ton eft dans le ton de fi ou dans celui de mi , 1'intervalle du fi a Vut, ou du mi au fa eft; toujours d'un ton & jamais d'un demi-ton. Donc au lieu de conferver des noms qui trompen t fefprit & qui choquenf 1'oreille exercée par une différente habitude, il eft important de leur en appliquer d'autres, dont Ie fens connu, au lieu d'être contradidoire, annonce les intervalles qu'ils doivent exprimer. Or, tous ks rapports des fons du fyftême diatonique fe trouvent expriinés dans le majeur, tant en montant qu'en defcendant, dans l'oÉtave comprife entre deux ut, fuivant l'ordre Supplém. Tom. FI. G  14Ö Projet concernant naturel, & dans le mineur, dans 1'oétave comprife entre deux la, fuivant le même ordre en defcendant feulement. Car, en montant, le mode mineur eft aflujetti a des affeétions différentes, qui préfentent de nouvelles réflexions pour la théorie, lefquelles ne font pas aujourd'hui de mon fujet & qui ne font rien au fyfiême que je propofe. J'en appelle ft 1'expérience fur la peine qu'ont les écoliers ft entonner par les noms primitifs, des airs qu'ils chantent avec toute la facilité du monde, au moyen de la tranfpofition, pourvu toujours qu'ils aient acquis la longue & néceflaire habitude de lire les bemols & les diefes des clefs, qui font avec leurs huit pofitions, quatre-vingts combinaifons inutiles & toutes retranchées par ma méthode. Il s'enfuit de-li, que les principes qu on donne pour jouer des inflrumens, ne valent rien du tout, & je fuis fur qu'il n'y a pas un bon muficien, qui, après avoir préludé dans le ton oü il doit jouer, ne fafle plus d'attention dans fon jeu au degré du ton oü il fe rrouve, qu'au diefe ou au bémol qui 1'sffeae. Qu'on apprenne aux écoliers a bien connoitre les deux modes & la difpofition réguliere des fons convenables ft chacun, qu'on les exerce ft préluder en majeur & en mineur fur tous les fons de 1'inflrument, chofe? qu'il faut toujours favoir, quelque méthode qu'on adopte. Alors qu'on leur nette ma mufique entre les mains, j'ofe répondre qu'elle ne les embarraffera pas un quart - d'heure.  » E n0uveaux SlGNES. I47 On feroit furpris fi 1'on faifoit sttention k Ia quantité de livres & de préceptes qu'on a donnés fur la tranfpofition; ces gammes, ces échelles, ces clefs fuppofées font le fatras le plus ennuyeux qu'on puiiïe imaginer, & tout cela, faute d'avoif fait cette réflexion très-flmple que, dés que la corde fondamentale du ton eft connue fur Ie clavier naturel, comme tonique, c'eft-a-dire, comme ut ou la, elle détermine feule le rapport & Ie ton de toutes les autres notes, fans égard a l'ordre primitif. Ava nt que de parler des cliangemens de ton, il faut expliquer les altérations accidentelies des fons qui s'y préfentenc a tout moment. Le diefe s'exprime par une petite Iigne qUf croife la note en mon tant de gauche a droite. Sol diéfé, par exemple, s'exprime ainfi g ƒ>* diéfé ainfi ^. Le bétnol s'exprime aufli par une femblable ligtie qui croife Ja note en defcendant x , -j??, & ces fignes plus fimples que ceux qui font en ufage, fervent encore a montrer a 1'ceil le genre d'altération qu'ils caufent. Le bécarre n'a d'utilité que par le mauvais choix du diefe & du bémol, & dés que les fignes qui les expriment feront inhérens k Ia note, le bé« carré deviendra entiérement fuperflu: je Ie retranche donc comme inutile; je le retranche encore comme équivoque, puifque les muficiens s'en fer. vent en deux fens abfolument oppofés & laiflèat G a  i48 Projet concernant ainfi Técolier dansuneincertia.de continuelie fur Jon véritable effet. . I P A f égard des changemens de ton, foit pour paiTerdu majeur au mineur, ou d'une tonique ft une autre; il n'eft queftion que d'esprimer la premiere note de ce changement, de maniere i repr,fcntcr' ce qu'elle étbir dans le ton croü 1 on fort, & ce qu'elle eft dans celui oü 1'on entre; ce que fon fait par ur.e doublé note feparee par une pe.ite iigne horizontale, comme cms L fraarons, le chiffre qui eft au-deflus exp;une la note dans le ton d'oü Ion fort, cc celui de deiïous repréfente la même note dan^ le ton oül'on entre: en,un:mor, ^»"$* rieur indique le nom de la note, & le chiffre fupéiieur feit ft en trouver le ton. . Vo.la pour exprimer tous les fons imngmables ,„ quoique ton que 1'on puifTe être ou que 1 on Luëemre, II faut paffer ft préfent ft la fecond paitie, qui traite des valeurs des notes & de leurs mouvemens, Les muficiens reconnoilTent au moins quatorze mefures différentes dans la mufique: mefures dont la diftinaion brouille 1'efprit des écoliers pendant un ,ems infini. Or, je foutiens que tous les mouvemens de ces différentes mefures fe réduifent uni, cuementft deux; favoir, mouvement ft deux tems & mouvement ft trois tems; & j'ofe défier 1 oreiUe la plus fine d'en trouver de naturels qu'on ne puifle «primer avec toute la préciÜon poflible par 1'une  dè nouveatjxsighes. I4Q de ces deux mefures. Je comraencerai dor.c par faire main-baife fur tous ces chiffres bizarres, iéfervant feulement le deux & le trois, par lefquels, comme on verra tout-i- Fheuré, j'exprimerai tous les monvemens poflibles. Or, afin que le cbifïre qui annonce la mefure ne fe confonde point avec ceux des notes, je 1'cn diftingue c>; le faifanc plus grand & en le féparant par une doublé ligue perpendiculaire. I l s'agit i préfent d'expriiner les tems & les valeurs des notes qui les rempliiTcnr. U n défaut conlidérable dans ia mufique eft de repréfentcr comme valeurs abfolaes, des notes qui n'en ont que de rclatives, ou du moins d'en maf appliquer les relotions: car il eft für que la durée des rondes, des blanches, noires, croches, &c. eft déterminéc , non par la qtialiré de la note ,mais par celle de la mefure 'on elle fe trouve; de-li vient qu'une noire dars une certahe mefure panera beaucoup plus vite qu'una croche dans une autre; laquelle crocbo ne vaut cependant que la moitié dé cette noire; & de-li vient encore que les mufi. ciens de province ,• trómpés par ces faux rapports, donneront aux airs- des monvemens tout diiTJreus de ce qu'ils doivent être, en s'attacbanc fcrupuleufement i la valeur abfolue des notes, tandis qu'il fandra qticlquefb's palier une mefure i trois tems fimples, beaucoup 1 lis vite qu'une autre i troishuit; ce qui dépend du caprice du compoficcur, g 3  150 Projet concernant & de quoi les opéra préfentent des exemples a ehaque inftant. D'ailleuhs, la divifion fous■ doublé des notes & de leurs valeurs, telle qu'elle eft établie, ne fufiit pas pour tous les cas, & fi, par exemple, je veux palier trois notes égales dans un tems d'une mefure a deux, a trois ou a quatre, il faut, ou que le muficien le devine, ou que je 1'en inftruife par un figne étranger qui fait exception k la regie. Enfin, c'eft encore un autre inconvénient de ne point féparer les tems; il arrivé de-la que dans le milieu d'une grande mefure , 1'écolier ne fait oü il en tft, furtout lorfque, chantant le vocal, il trouve une quantité de croches & de doublés» croches détacbées, dont il faut qu'il fafle Iui-même la diftribution. La féparaiion de chaque tems par une virgule, remédié k tout cela avec beaucoup de fimplicité ; chaque tems compris entre deux virgules contient une note ou plufieurs; s'il ne comprend qu'une note, c'eft qu'elle reinplit tout ce tems-li, & cela ne fait pas la moindre difficulté. Y a -t - il plufieurs notes comprifes dans chaque tems, la chofe n'eft pas plus difficile. Divifez ce tems en autant de parties égales qu'il comprend de notes, appliquez chacune de ces parties a chacune de ces notes & paflez-les de forte que tous les tems foient égaux. Les notes dont deux égales rempliront un tems, s'appelleront des derais; celles dont il en faudr»  BE NOUVEAUX S i G N E S. IJl trois, des tiers; celles dont il en faudra quatre, des quarts, &c. M ais, lorfqu'un tems fe trouve partagé, d* forte que toutes les notes n'y font pas d'égale valeur, pour reptéfcnter, par exemple, dans un feul tems une noire & deux croches, je confidere ce tems comme divifé en deux parties égales, dont la noire fait la première, & les deux croches en. femble la feconde; je les lie donc par une 1'gne droite que je place au-delfns ouau-deiTous d'elles, & cette ligne marqué que tout ce qu'elle embiafle ne repréfente qu'une feule note, laquelle doit être fubdivifée en deux parties égales, ou en trois, ou en quatre, fuivaut ie nombre des chilT.es qu'elle couvre, &c. S i Ton a une note qui remplifle feule une mefure entiere, il fuffit de la pïacer feule entre les deux lignes qui renferment la mefure, & par la même regie que je viens d'étabR, cela fignifie que cette note doit durer toute la mefure entiere. A l'égard des tenues, je me fers_auiïi du point pour les exprimer, mais d'une maniere bien plus avantageufe que celle qui efi en ufage: car, au lieu de lui faire valoir précifément la moitié de la note qui le précede, ca qui ne fait qu'un cas particulier, jelui donne, de même qu'aux notes, ut.e valeur qui n'eft déterminée que par la place qu'il occupe , c'eft-a-dire , que fi le point remplit feul un tems ou une mefure, le fon qui a précédé doit être aufli foutenu pendant tout ca tems ou G 4  152 Pr o jet concerjsant toute cette mefure; & fi le point fe trouve clans tn tems avec d'autres notes, il fait nombre auffi bien qu'elles & doit étre compté pour un tiers ou pour un quart, fuivant le nombre de notes que renferme ce tems-la en y comprenant le point. Au refle, il n'eft pas ft craindre, comme on le verra par les exemples, que ces points fe confondent jamais avec ceux qui fervent ft chsnger d'oftaves, ils en font trop bien diftingués par leur pofition, pour avoir befoin de 1'être par leur figure; c'eft pourquoi j'ai negligé de le faire, évitant avec foin de me fervir de fignes extraordinaires, qui diftrairoient 1'attention & n'exprimeroient rien de plus que la fimplicité des miens. Les filences n'ont befoin que d'un feul figne. Le zéro paroit le plus convenable, & les regies que j'ai établies ft 1'égard des notes étant toutes applicables ft leurs filences relatifs, il s'enfuit que le zéro, par la feule pofition & par les points qui le peuvent fuivre, lefquels alors exprimeront des filences, fuffit feul pour remplacer toutes les paufes, foupirs, cfemi • foupirs & autres fignes bizarres & fupetflus qui rempliffent la mufique ordinaire. Vol la les principes généraux d'oü découlent les regies pour toutes fortes d'expreffions imaginables, fans qu'il puilTe naitre ft eet égard aucune difficulté qui n'ait été prévue & qui ne foit réfolue, eu conféquence de quelqu'un de ces prin» cipes. c£  DE N0UVEAUX SlGNES. I53 Ce fyftême renferme, fans contredit, des avantages «Tentiels par- delfus la méthode ordinaire. E n premier lieu. La mufique fera du doublé & du triple plus aifée a apprendre. Pak ce qu'elle comient beaucoup moins de fignes. 2". Par ce que ces fignes font plus fimples. 3". Par ce que fans autre étude, les caracteres mêmes des notes y repréfentent leurs intervalles & leurs rapports, au lieu que ces rapports & ces intervalles font trés - difficiles k trouver & demandent une grande habitude par la mufique ordinaire. 4". Parcb qu'un même caractere ne peut jamais avoir qu'un même nom , au lieu que dans Je fyftême ordinaire chaque pofition peut avoir fept noms dilferens fur chaque clef, ce qui caufe une confnfion dont les écoliers ne fe tirent qu'a force de tems, de peine & d'opiaiacreté. 5'. Par ce que les tems y font mieux diftingués que dans la mufique ordinaire, & que les valeurs des filences & des notes y font déterminées d'une maniere plus fimple & plus générale. 6*. Parce que le mode étant toujours conno, il eft toujours aifé de préluder & de fe mettre au ton : ce qui n'arrive pas dans la mufique ordinaire , oü fouvent les écoliers s'embarraiTent ou chanteur faux, faute de bien connoltre le ton oü ils doivent chanter. En fecond lieu, la mufique en eft plus commode & plus aifée a noter, occipe moins de vo G 5  154 Projet c o n c e e n a n t, &c. lume; toute forte de papier y eft propre, & lei carafteres de rimprimerie fuffifant pour la noter, les compofiteurs n'auront plus befoin de faire de fi grands frats pour la gravure de leurs pieces, ni les particuliers pour les acque'rir. Enfin les compofiteurs y trouveroient encore eet autre avantage non moins confidérable, qu'outre la facilité de la note , leur harmonie & leurs accords feroient connus par la feule infpeétion des fignes & fans ces fauts d'une clef a 1'autre, qui demandent une habitude bien longue & que plufieurs a'atteignent jamais patfaitement.  DISSERTATION SUR LA MUSIQUE MODERNE. G &   P R É F A C £. S'il eft vrai que les circonftances & les préjugés décident fouvent du fort d'un ouvrage , jamais auteur n'a dü plus craindre que moi. le public eft au. jourd'hui fi indifpofé contre tout ce qui s'appelie nouveauté, fi rebuté de fyflêmes & de projets, furtout en fait de mufique, qu'il n'eft plus gueres poflible de lui rien offrir en ce genre, fans s'expofer a l'eflèt de fes premiers mouvemens , c'eft-adire , a fe voir condamné fans être entendu. D'ailleurs, il faudroit furmonter tant d'obflacles, rcunis non par la raifon , mais par 1'habitude & les préjugés bien plus forts qu'elle, qu'il ne paroit pas poflible de forcer de fi puiflantes barrières ; n'avoir que la raifon pour foi, ce n'eft pas combattre è armes égales, les préjugés font prefque toujours furs d'en triompher, & je ne connois que le feul intétêt capable de les vaincre a fon tour. J e feiois rafluré par cette derniere confidération, 11 le public étoit toujours bien attentif a juger de fes vrais intéréts: mais il eft pour 1'ordinaire alfez noncha» lant pour en laifler la direflion a des gens qui en ont de tout oppofés, & il aime mieux fe plaindre éternelIement d'être mal fervi, que de fe donner des foins pour 1'être mieux. C'itsT précifémentce qui arrivé dans Ia mufique • on fe récrie fur la longueur des maitres & fur la difficulté de 1'art, & 1'on rebute ceux qui propofenc del'éclaircir & del'abréger. Tout le monde convient que lescarséteres de la mufique font dans un état d'im. pérfeélion peu proportionné aux progrês qu'on a fait» G 7  I58 P r i f a c e. dans les autres parties de eet art: cependant on fe défend contre toute propofition de les réformer, comme contre undanger affreux; imaginer d'autres fignes que ceux donts'eft fervi le divin Lulliefl non-feulement la plus haute extravagance dont fefprit humain foitcapable, mais c'eft encore une efpece de facrilege. Lullieftun Dieu dont le doigt eft venu fixer a jamais 1'état de ces facrés carafteres: bons ou mauvais, il n'importe, il faut qu'ils foient éternifés par fes ouvrages; il n'eft plus permis d'y toucher fans fe rendre criminel, & il faudra , au pied de la lettre, que tous les jeunes gensqui apprendront déformais Ia mufique, paientun tributde deux ou trois ans de peine au mérite de Lulli. S1 ce ne font pas la les propres termes,c'eft du moins le fens des objeétions que j'ai ouï faire cent fois contre tout projet qui tendroita réformer cette partie de la mufique. Quoi! faudra-t-il jetter au feu tous nos auteurs? toutrenouveller? La Lande, Bernier, Correili? Tout cela feroit donc perdu pour nous ? Oü prendrions-nous de nouveauxOrphées pour nous en dédommager, & quels feroient les muficiens qui voudroient fe réfoudre a redevenir écoliers? Jb ne fais pas bien comment 1'entendent ceux qui font ces objeétions; mais il me femble qu'en les réduifant en maximes & en détaillant un peu les conféquences, on en feroit des aphorifines lort finguliers, pour arrêter tout court Ie progrés des lettres & des beaux. arts. D'a 1 l l e u a s, ce raifonnement porte abfolument a faux, & 1'établiflement des nouveaux catac%  P R £ F A C E. 155 teres, bien loin de détruire les anciens ouvrages, les conferveroit doublemeöt, par les nouvelles éditions qu'on eu feroit & par les anciennes qui fubfifteroient toujours. Quand on a traduit un auteur, je ne vois pas la néceffité de jetter 1'original au feu. Ce n'eft donc ni 1'ouvrage en lui.même, ni les exemplaires qu'on rifqueroit de perdre, & remarquez, furtout, que quelqu'avantageux que püt être un nouveau fyftême, il ne détruiroit jamais Tanden avec aflez de rapidité pour en abolir tout d'un coup 1'ufage; les livres en feroient ufés avant que d'être inutiles, & quand ils ne ferviroient que de reflburce aux opiniatres, on trouveroit toujours aflez a les employer. Je fais que les muficiens ne font pas traitablei fur ce chapitre. La mufique pour eux n'eft pas la fcience des fons, c'eft celle des noires, des blanches, des doublés - croches, & dès que ces figu. res cefleroient d'aiTeéter leurs yeux, ils ne croiroient jamais voir réellement de la mufique. La crainte de redevenir écoliers, & furtout le train de cette habitude, qu'ils prennent pour la fcience même, leur feront toujours regarder avec mépris ou avec effroi tout ce qu'on leur propoferoit en ce genre. Il ne faut donc pas compter fur leur approbation; il faut même compter fur toute leur réfiftance dans 1'établilfement des nouveaux carafteres, non pas comme bons ou comme mauvais en eux-mêmes, mais fimplement comme nouveaux. Je ne fais quel auroit été le feminiene particu-  '1(5o tui face. lier de Lulli fur ce point, mais je fuis prefque für qu'il étoit trop grand - homme pour donner dans ces petiteffes; Lulli auroit fenti que fa fcience ne tenoit point ft des carafteres; que fes fons ne cefferoient jamais d'être des fons divins, quelques fignes qu'on employat pour les exprimer, & qu'enfin, c'étoit toujours un fervice important ft rendre ft fon art & au progrès de fes ouvrages, que de les publier dans une langue aufli énergique, mais plus facile ft entendre, & qui par la deviendroit plus univerfelle, düfil en coüter 1'abandon de quelques vieux exemplaires, dont afluréraent il n'auroit pas cru que le prix füt ft comparer ft la perfeétion générale de 1'att. Le malheur eft que ce n'eft pas ft des Lulli que nous avons ft faire. II eft plus aifé d"héricer de fa fcience que de fon génie. Je ne fais pourquoi la mufique n'eft pas amie du raifonnement; mais fi fes éleves font fi fcandalifés de voir un confrère réduire fon art en principes, 1'approfondir, & le traiter méthodiquement, ft plus forte raifon ne fouffriioient - ils pas qu'on ofat attaquer les parties mêmes de eet art. Po u tt juger de la facon dont on y feroit recu, on n'a qu'ft fe rappeller combien il a fallu d'années deïutte& d'opiniatreté,pourfubftituerl'ufaged-iy? ft ces groflieres nuances, qui ne font pas raêine encore abolies partout. On convenoit bien que 1'échelle étoit compofée de fept fons dilférens; mais on ne pouvoit fe perfuader qu'il füt avantageux. d*  p 11 é FACE. l6l leur donner a chacun un nom particulier, puit qu'on ne s'en étoit pas avifé jufques- la & que la mufique n'avoit pas laiffé d'aller fon train. Toutes ces difficultés font préfentes a mon efprit, avec toute la force qu'elles peuvent avoir dans celui des lefteurs. Malgré cela, je ne faurois ctoire qu'elles puilfent tenir contre les vérités de démondrauon que j'ai a établir. Que tous les fyftêmes qu'on a propofés en ce genre aient échoué jufqu'idv je n'en fuis pas étbnné: mème a égalité d'avantages & de dëfauts, Panciénne méthode de« voit fans contredit 1'emportet, puifque pour détruire un fylléme éiabli, il faut que celui qu'on veut fubftituer lui foit préférable, non-feulement en les confidérant chacun en lui-même & par ce qu'il a de proFre , mais encore en joignant au premier toutes les raifons d'ancienneté & tous les préjugés qui le fortifient. Ce s t ce cas de préférence oü le mien me paroit être & oü 1'on reconnoltta qu'il eft en effet, s'il conferve les avantages de la méthode ordinaire, s'il en fauve les inconvéniens, & enfin s'il réfouc les objeétions extétieures qu'on oppofe k toute nouveauté de ce genre, indépendamment de ce qu'elle eft en foi - mème. A 1'égard des deux premiers points, ils feront difcutés dans le corps de 1'ouvrage, & 1'on ne peut favoir k quoi s'en tenir qu'aprês 1'avoir lu; pour le troifieme, rien n'eft fi llmple k décider. II ne faut, pour cela, qu'expofer le but même de  J6i P x i t a c e. inon projet & les elfets qui doivent réfulter de foa exécution. Le fyftême que je propofe roule fur deux objets principaux; 1'un de noter ia mufique & toutes fes difficultés d'une maniere plus fimple, plus commode & fous un moindre volume. Le fecond & le plus confidérable, eft de Ia rendre aufli aifée a apprendre qu'elle a été rebutante jufqu'a préfent, d'en réduire les fignes a un plus petit nombre, fans rien retraucher de 1'expreffion, & d'en abréger les regiesde f>.con ii faire un jeu de Ia théorie, & k n'en rendre la pratique dépendante que de 1'habitude des erganes, fans que la difficulté de la note y puiile jamais entrer pour rien. Il eft aifé de juftifier par 1'expérience qu'on apprend la mufique en deux & trois fois moins de tems par ma méthode que par la méthode ordinaire, que les muficiens formés par elle feront plus fürs que les autres k égalité de fcience, & qu'enfin fa facilité eft telle que, quand on voudroit s'en tenir a la mufique ordinaire, il faudroit toujours commencer par la mienne, pour y parvenir plus fürement & en moins de tems. Propofition qui, toute paradoxe qu'elle paroit, ne laifle pas d'être exaftement vraie, tant par Ie fait que par la démonftration. Or, ces faits fuppofés vrais, touies les objeétions tombent d'elles-mêmes & fans reflburce. En premier lieu , la mufique notée fuivant 1'ancien fyftême ' ne fera point inutile, & il na faudra point fe tour.  P r é r a c e. 16*3 menter pour Ia jetter au feu , puifque les éleves de ma méthode parviendront k chanter a livre ouvert fur la mufique ordinaire, en moins de tems encore , y compris celui qu'ils auront donné a la mienne, qu'on ne le fait communément; comme ils fauront donc également 1'un & 1'autre, fans y avoir employé plus de tems, on ne pourra pas déja dire k 1'égaid de ceux-la que Tancienne mufique eft inutile. Süpi'osons des écoliers qui n'aient pas des années a facrifier & qui veulent bien fe contenter de favoir en fept ou huit mois de tems chanter a livre ouvert fur ma note, je dis que la mufique ordinaire ne feta pas même perdue pour eux. A la vérité, au bout de ce tems-la, ils ne la fauront pas exécmer a livre ouvert: peut-être même ue la déchiffreront-ils pas fans peine: mais enfin, ili la déchilfreront; car, comme ils auront d'ailleurs 1'habitude de la mefure & celle de 1'intonation, il fuffira de facrifier cinq ou fix lecons dans le feptieme mois, a leur en expliquer les principes par ceux qui leur feront déja connus, pour les mettre en état d'y parvenir aifément par eux-mêmes & fans le fecours d'aucun maitre; & quand ils ne voudroient pas fe donner ce foin , toujours ferontils capables de traduire fur le champ toute forte de mufique par la leur, & par conféquent, ils feroient en état d'en tirer parti, même dans un tems oü elle eft encore indéchifirable pour les écoliers ordinaires.  IÖ4 P ii e f a c e. Les maltres ne doivent pas craindre de redeveuir écoliers: ma méthode elt fi fimple qu'elle n'a befoin que d'être lue & non pas étudiée, & f-ai lieu de croire que les diflicuhés qu'ils y" trouveroieut, viendroient plus des difpofitions de leur efprit que de Tobfcurké du fyftême, puifque des Datnes a qui j'ai eu 1'honneur de 1'expliqner, ont chanté fur le champ & a livre ouvert, de la mufique notée fuivant cette méthode, & ont elles-mêmes noté des airs fort correcte.nent, tandis que des muficiens du piemicr ordre auroient peutêtre cff.été de n'y rien comprendre. Les muficiens, je dis du moins le plus grand nombre , ne fe piquent gueres de juger des chofes fans préjugés & fans paiïion, & communément ils les confiderent bien rnoins par ce qu'elles font en elles-mêmes, que par le rapport qu'elles peuvent avoir il leur intérêt. II eft vrai que, mème en ce fens-la, ils n'auroient nul fujet * C E. ,|g continues, de maniere a rendre Ia modulation & la bafie - fondamentale toujours parfaitement connues de 1'accompagnateur, fans qu'il lui foit poflïble de s'y tromper. Suivant cette méthode on peut, fans voir la bafle-figurée, accompagner trés jufte par les chiifres feuls, qui, au lieu d'avoir rapport h cette bafie figurée, 1'out direaement a la fonda. mentale; mais ce n'eft pas ici le lieu d'en dire da. vantage fur eet article. Stippiém. Tom. FI. jj  DISSERTATION S U K. LA MUSIQUE MODERNE. Immutat animus ad priflina. — Lucr. Il paroit étonnant que les fignes de la mufique étant reftés auffi longtems dans 1'état d'imperfeétion oü nous les voyons encore aujourd'hui,la difficulté de 1'apptendre n'ait pas «verti le public que cétott la f-ute des caraéleres & non pas celle de lart.ou cue s'en étant aPperCu, on n'ait pas daigné y remedier il eft vrai qu'on a donné fouvent des projets en ce genre: mais de tous ces projets, qui, fans avoir les avantages de la mufique ordinaire , en avoi^nt les inconvéniens, aucun, que je fache, jnfqn'ici touché le but; foit qu'nne pratique trop fuperficielle ait fait échouer ceux qui lont voulu confidérer tbéoriquement, foit que le génie étroit & borné des muficiens ordinaires les ait em„echés d'embrafler un plan général & raifonné, & Je fentir les vrais défauts de leur art, de la perfeaion aauelle duquel ils font, pour 1 ordinaire, »ré» - entêtés. . Lx mufique a eu le fort des arts qui ne fe per-  DlJIERIATI OS, &t. I7I feétionnent que fuccelïïvement. Les inventeurs de fes carafteres n'ont fongé qu'a 1'état oü elle fe trou. voit de leur tems, fans prévoir celui oü elle pou* voit parvenir dans la fuite. II eft arrivé de-li que leur fyftême s'eft bientót trouvé défeétueux, & d'autant plus défeftueux que 1'art s'eft plus perfec* tionné. A mefure qu'on avancoit, on établiiToit des regies pour remédier aux inconvéniens préfens, & pour multiplier une exprelïïon trop bornée, qui ne pouvoit fuffire aux nouvelles combinaifons dont on la chargeoit tous les jours. En un mot, lei inventeurs en ce genre, covnme Ie dit M. Sauveur, n'ayant eu en vue que quelques propriétés dei fons, & furtout la pratique du chant qui étoit en ufage de leur tems, ils fe font contentés de faire, par rapport 4 cela, des fyftêmes "de mufique que d'autres ont peu i peu changés, i mefure que le goüt de la mufiqüe changeoit. Or, il n'eft pas poflible qu'un fyftême, füt-il d'ailleurs le rneilleur du monde dans fon origine, ne fe charge i la fia d'erabarras Sc de difficultés, par les changemens qu'on y fait & les chevilles qu'on y ajoute, & cela ne fauroit jamais faire qu'un tout fort embrouillé & fort mal aflbrti. C'asT le cas de la méthode que nous pratiquons aujourd'hui dans la mufique, en exceptant, cependant, la fimplicité du principe qui ne s'y eft jamais rencontrée. Comme le fondement en eft abfolument uiaOVais, 011 m I'a pas propreraent gaté, oa n'a H a  ,72 D i s s eu t at i o n fait que le rendre pire, par les additions qu'on a ére contraint d'y faire. Il reit «as aifé de favoir précifément en quel Mi étoit la mufique, quand Gui d'Arezze ( ) s'avifa de fupprimer tous les carafteres qu'on y émoloyoit, pour leur fubflituer les notes qui font en'ufage aujourd'hui, Ce qu'il y a de vraifemblable c'eft que ces premiers carafteres étoient les mêmes, avec lefquels les anciens Grecs exprimoient ce.te mufique merveilleufe , de laquelle, quoiqu on en dife, la tótre n'approchera jamais, quant a fes fffets-, & ce qu'il y • de für, c'eft que Gui rend» un fort mauvais fervice a la mufique, & q« " eft facheux pour nous qu'il n'ait pas trouvé en fon cbemin des muficiens aufli indociles que ceux d aujourd'hui. IL n'eft pas douteux que les lettres de 1 alphabet des G/ecs ne fuflent en même tems les carafteres de leur fttfique & les cb.ffres de leur arithmétiQue: de -foite qu'ils n'avoient befoin que d'une feule efpece de fignes, en tout au nombre de vingt-quatre, pour oprimer lomes les variations du difcours, tous les .rapports des nombres & toutes les combinaifons des fous; en quoi ils étoient bien pius rages ou plus heuteux que nous, qui fommes O Sok Gui dWe, fok Jeande MUte ,lénomde tUé "e BfÉ rien au tfftême & je ne parle du pM*k que paree qu'il eft plus comm.  SUR LA MUSIQUE MODERNE. IJ'S contraints de travailler noire imagination fur uqe multitude de fignes inutilement diverfifiés. Maïs, pour ne in'arrêter qu'a ee qui regarde mon fujet, comment fepeut-il qu'on ne s'appercoive point de cette foule de difficultés que 1'ufage des notes a introdiiites dans la mufique, ou que , s'en nppercevant , on n'ait pas le courage d'en tenter le reuede, d'elTayer de la ratnener a fa première firaplicité, & , en un mot, de faire pour fa perfeftion ce que Gui d'Arezze a fait pour la gater: car, envérité, c'eft le mot & je le dis malgré moi. J'ai voulu cherclier les raifons dont eet auteur dut fe fervir pobr faire abolir i'ancien fyRéme en faveur du fien , & je n'en ai jamais pu trouver d'autres que les deux fuivantes: 1. Les notes font plus apparentes que les chiffres: 3, Ec leur pofition exprime mieux a la vue la hauteur & fabaiffement des fons. Voiia donc les feuls principes fur lefquels notre Aretin batit un nouveau i'yftême de mufique, anéantit toute celle qui étoit eu ufage depuis deux mille ans & apprit aux hommes a chanter difficilement. Fous trouver fi Gui raifonnoit jnfte, mêflie en admettant la vérité de fes deux propofitions, Ia quellion fe réduiroit il lavoir fi les yeux doivent éire ménagés aux dépens de fefprit, & li la perfeftion d'une méthode confifte a en rendre les fignes plus fenfibles en les rendant plus embarrafl'ans: car c'eft précifément le cas de la fienne. Maïs nous fommes difpenfés d'entrer la-deffus H i  J74 DlSSERTATlON en difcuffion, puifque ces deux propofitions, étant également fauiTes & ridicules, elles n'ont jamais pu fervir de fondement qu'a un très-mauvais fyftême. En premier lieu; onvoit d'abord que les notes de la mufique remplilTant beaucoup plus de place que les chiffres auxquels on les fubftitue, on peut, en faifant ces chiffres beaucoup plus gros, les rtndre du moins aufli vifibles que les notes, fansoccuper plus de volume. On voit, de plus, que la mufique notée ayant des points, des quarts-de-foupirs, deslignes, des clefs, des diefes & d'autres fignes néceffaires, autant & plus menus que les chiffres, c'eft par ces fignes-la, & non paria groffeur des notes, qu'il faut déterminer le point de vue. E n fecond lieu; Gui ne devoit p?s faire fonner fi baut 1'utilité de la pofition des notens: puit que, fans parler de cette foule d'inconvéniens der.t elle eft la caufe, 1'avantage qu'elle procure fe trouve "déja tout entier dans la mufique naturelle, c'eft-èdire, dans la mufique par chiffres; on y voit du premier coup-d'ceil, de même qu'i 1'autre, fi un fon eft plus haut ou plus bas que celui qui le pré* cede ou celui qui le fuit, avec cette différence feulement, que dans la méthode des chiffres, fintervalle, ou le rapport des deux fons qui le compofent, eft précifément connu par la feule infpeétion; au lieu que dans la mufique ordinaire vous connoiffez a 1'ceil qu'il faut monter ou defcendre, & vous ne connoiffee rien de plus.  SÜR LA MWÏiqïJE MOBERNE. I7S On ne fauroit croire quelle application, quelle perfévérance, quelle adroite mécanique eft néceffaire dans Ie fyftême établi pour acquérir paffablement la fcience des intervalles & des rapports ; c'eft 1'ouvrage pénible d'une habitude toujours trop longue & jamais affez étendue , puifqu'aprês une pratique de quinze & vingt ans, le muficien trouve encore des fauts qui l'einbarraffent, non-feulement quant 4 1'intonation , mais encore quant a la connoiffance de 1'intervalle, furtout, lorfqu'il eft queftion de fauter d'une clef a 1'autre. Cet article mé» rite d'être approfondi & j'en parlerai plus au long. Le fyftême de Gui eft tout-a-fait comparable, quant a fon idéé, it celui d'un homme qui, ayant fait réflexion que les chiffres n'ont rien dans leur* figures qui réponde a leurs différentes valeurs, propoferott d'étabür entr'eux une certaine groffsuï relative & proportionnelle aux nombres qu'ils expriment. Le deux, par exemple, feroit du doublé plus gros que 1'unité, le trois de la moiiié plus gros que le deux-, & ainfi de fuite. Les défenfeurs de ce fyftême ne manqueroient pas de vous prouver qu'il eft trés - avantageux dans 1'arithtnétique, d'avoir fous les yeux des caraéteres uniformes qui, fans aucune diiïerence par la figure , n'en auroient que par la grandeur & peindroient en quelque forte aux yeux les rapports dont ils feroient 1'expreffion. A u refte , cette connoiffance oculaire des hautJ, des bas &. des intervalles eft fi néceffaire duns ii 4  i^fi DisserTation la mufique, qu'il n'y a peifonne qui ne fente fe ïidicule de certains projets qui ont été quelquefois donnés pour noter fur une feule ligne, par les carafteres les plus bizarres, les plus mal imaginés & les moins analogues S leur fignification; des queues tournees i droite, è gauche, en haut, en bas & de biais, dans tous les fens, pour repréfenter des *//, des re, des mi; &c. des têtes & des queues différemment fituées pour répondre aux dénominations, pa, ra, ga, fo, bo , io, do, ou d'autres fignes tout aufli fingutiérement appliqués. On fent d'abord que tout cela ne dit rien aux yeux & n'a nul rapport a ce qu'il doit fignifier, & j'ofe dire que les hommes ne trouveront - jamais' de carafteres convenables ni naturels, que les iéuls chiffres :pour enin'mor les fons & tous leurs rapports, On en connoitra mille fois les raifons dans le cours de cette lefture; en attendant, il fuffit de remafquer que les chiffres étant l'expreffion qu'on a donnée aux nombres , & les nombres eux-mêmes é.taut les expofans de la génération des fons , rien n'eft fi naturel que l'exprefliori des divers fons par les chiffres de l'arithméiique, I l ne faut donc pas être furpris qu'on ait tenté quelquefois de ramener Ia mufique a cette expreftion naturelle. Pour peu qu'on réfléchifié fur eet art, non en muficien, mais en philofophe, on en fent trientót les défauts: l'on fent encore que ces déi'.tits font inhérens au fond même du fyftême, & d.pcndans uniquement du mauvais choix & non pas du  SUR LA MÜSIQUE MODERNE. \fj du mauvais ufage de fes carafteres: car, d'ailleurs, on ne fauroit difconvenir qu'une longue pratique, fuppléant en cela au raifonnement,ne nous ait appri? è les combiner de la maniere la plus avantageufe qu'ils peuvent 1'être. Enfin, le raifonnement nous mene encore jufqu'a connotcre fenfiblement que la mufique, dépendant des nombres, elle devroit avoir Ia même expreffion qu'eux; nécefiïté qui ne nalt pas feulement d'une certaine convenance générale, mais du fond même des principes pbyfiques de eet arr. Quand on eft une fois parvenu-la, par une fuite de raifonnemens bien fondés & bien contéquens, c'eft alors qu'il faut quitter la philofophie cc redevenir muficien, & c'eft juftement ce qua n'ont fait r.ucuns de ceux qui jufqu'a 'préfertt out propofé des fyftêmes en ce genre. Les uns, pnrtanc quelquefois d'une théorie très-fine, n'ont jamais fu venïr a bout de les ramener a 1'ufage, & les autres, n'embraffant proprement que le mécanique de leur art, n'ont pu remonter jufqu'aux grands principes qu'ils ne connoiflbient pas, & d'oü cependant M faut néceflairement partir pour embraffer—-;i fyftêrne lié. Le défaut de pratique dans les uns, le défaik de théorie dans les autres, & peut-étre, s'il faut le dire, Ie défaut de génie dans tous, ont fait que jufqu'a pré fent aucun des projets qu'on a publiés n'a remédié aux inconvéniens de la mufique ordinaire ,- en confervant fes avantages. C £ n'eft pas qu'il fe trouve une grande difEcufté H 5  I78 DlSSE STATION' dans 1'expreffion des fons par les chiffres, puifqu'on pourroit toujours les repréfenter en nombre, oupar les degrés de leurs intervalles, ou par les rapports de leurs vibrations; mais fembarras d'emp'loyer une certaine multitude de chiffres fans ramener les inconvéniens de la mufique ordinaire, & le befoin de fixer le genre & la progreffion des fons par rapport a tous les différens modes, demandent plus d'attention qu'il ne paroit d'abord: car la queftion eft proprement de trouver une méthode générale pour repréfenter, avec un trés petit nombre de carac teres, tous les fons de la mufique confidérés dans chacun des vingt-quatre modes. Maïs la grande dffficulté oü tous les inventeurs de fyftêmes ont échoué, c'eft celle de 1'exprefflon des différentes durées des filences & des fons. Trompés par les fauffes regies de la mufique ordinaire, ils n'ont jamais pu s'élever atv deffus de 1'idée des rondes, des noires & des croches; ils fe font rendus les efclaves de cette mécanique, ils ont adopté les mauvalfes relations qu'elle établit: ainfi , pour donner aux notes des valeurs déterminées, il a fallu inventer de nouveaux fignes, introduire dans chaque note une complication de figures, par rapport a la durée & par rapport au fon, d'oü s'enfuivant des inconvéniens que n'a pas la mufique ordinaire, c'eft avec raifon que toutes ces méthodes font tombées dans le décri; mais enfin, les défauts de eet art n'en fubfiftent pas moins, pour avoir été comparés avec des défauts plus grands; &  sub. la musique moderne. I79 quand on publieroit encore mille méthodes plus mauvaifes , on en feroit toujours au même point de la queftion, & tout cela ne ren droit pas plusparfaite celle que nous pratiquons aujourd'hui. Tout le monde, excepté les artiftes, ne celle de fe plaindre de 1'extréme longueur qu'exige l'étude de la mufique, avant que de la pofféder paiTable> ment: mais, comme la mufique eft une des fciencesfur lefquelles on a moins réfiéchi, foit que le plaifir qu'on y prend ,nuife au féns-froid néceffaire pour. méditet^ foit que ceux qui la pratiquent ne foient pis trop communétnen: gens a réflexions ,on ne s'eft gueres avifé jufqu'ici de rechercher les vérhabies caufes de fa. difficulté , & 1'on a injufte. ment taxé Tart même des défauts que 1'artifte y avoit introduits. O n fent bien , a la vérité, que cette quantité delignes, de clefs, de tranfpofiüons, de diefes, de bémols, de bécarres, de mefures fimples & compofées, de rondes, de blanches, de noires, de croches, de doublés, de triples-croches, de paufes, de demi-paufes, de foupirs, de demifoupirs, de quarts-de-foupirs, &c.doane une foule de fignes & de c-jmbinaifons, d'oü réfulte bien de 1'embatras & bien des inconvéniens: mais quels font précifément ces inconvéniens? Naiffent - ils direétement de la mufique eile-même, ou de la mauvaife maniere de l'exprimer?Sont-ils fufceptibles de correftion, & quels font les remedes conveaables qu'on y poutroit apporter? II eft rare qu'on H 6 m  180 DlSSERTAHOW- poufle 1'examen jufques-lft; & après avoir eu fa patience pendant des armées entieres de s'emplir la tête de fons & la mémoire de verbiage, il arrivé fouvent qu'on eft tout éfonné de ne rien concevoir ft tout cela, qu'on prend en dégoüt la mufique & le muficien, & qu'on'laiffe-lft1'un & 1'autre , plus convaincu de i'ennuyenfe dilficulté de eet art, que de fes charmes fi-vantés. J'entreprknds dé juftifier la mufique des torts dont on 1'accufe, & de montrer qu'on peut, par des routes plus courtes & plus faciles, parvenir ft la pofféder plus parfaiiement & avec plus d'intelligence, que par la méthode ordinaire, afin que fi le public perfifte ft vouloir s'y tenir, il ne s'en prenne du moins qu'a-lui-même des difficultés.qu'il y trouvera. Sans vouloir entrer ici dans le détail de tous les défauts du fyftême établi, j'aurai, cependant , occafion de parler _ des plus confidérables, & il fera bon d'y^ remarquer toujours que ces inconvéniens étant ' des* fuites nécelfaires du -fond même de la méthodi, il eft' abfolument impoffible de les corriger amrement que par une refonte générale, telle que je la propofe; il refte ft examiner fi mon fyftême remédié en effet a tous ces défauts, fans en introduire d'équivalens, & c'eft ft eet examen que ce petit ouvrage eft deftiné.' En général, on peut réduire tous les vices de la mufique ordinaire ft trois clafTcs principale?. La yremiere eft la multitude des fignes & de leurs conv  sur.la musique moderne. l8l binaifons, qui furchargent inutilement 1'efprit & Ia mémoire des commencans, de fscon que 1'oreille étant fotmée, & les organes ayant acquis toute Ia facilité néceffaire, longtems avant qu'on-foit en état de chanter a livre ouvert, il s'c-nfuit que la difficulté eft toute dans 1'obfervation des regies & nulleraent dans 1'exécution du chant. La feconde eft Ie défaut d'évidence dans Ie genre des intervalles exprimés fur la même ou fur différentes clefs. Péfaut d'une fi grande étendue, que, non-feulement il eft Ia caufe principale de la lenteur du progrès des écoliers, mais encore qu'il n'eft point de muficien formé qui n'en foit quelquefois incommodé dans 1'exécution. La troifieme enfin, eft 1'extrême diffufion des carafteres & le trop grand volume qults'occupent, ce qui, joint a ceslignes & a ces portées fi ennuyeufes a tracer, devient une fource d'embarras de-plus d'une efrcce. Silepremiec mérite des fignes ri'inftitution eft d'être clair, le fecond éft d'être concis, quel jugement doit-on porter des notes de notre mufique, a qui 1'un & 1'autre manquent? ' i l paroit d'abord affez •difficile de trouver une méthode qui püiflê remédier a tous ces inconvéniens a la fois. Comment donner plus d'évidence & -nos fignes, fans les augmenter en nombre? Et comment les augmenter en nombre, fans les rendre d'un cóté plus longs h apprendre, plus difficiles a letenir, & de 1'autre-, - plus éteadus dans. léd volume ? H 7  t$2 01 S S fr » T A X' J O N Ce pendant,- a confidérer Ia chofe de prés, on fent bieutót que tous ces défauts patteut de la mème fource; favoir , de la mauvaile inftitution des fignes & de la quantité qu'il en a fallu établir pour fuppléer a 1'expreffion bornée & mal-entendue qu'on leur a donnée en premier lieu; & il eft démon, ftratif que dés qu'on aura inventé des fignes équivalens, mais plus fimples & en molndre quantité , ils auront par-14 méme plus de précifion & poutrout exprimer autant de chofes en moins d'efpace. I l feroit avantsgeux , outre cela , que ces fignes fuflent déja connus, afin que 1'attention füt moins partagée , & facües 4 figurer , afin de rendre la mufique plus commode.. Voila les vues que je me fuis propofées, en méditant le fyftême que je préfente au public. Comme je deftine un autre ouvrage au détail de ma méthode, telle qu'elle doit être-enfeignée aux écoliers, on n'en trouvera ici qu'un plan général , qui fuffita pour en donner la parfaite intelliger.ee aux perfonnes qui cultivent a&uellement la mufique, & daas lequel j'efpere, malgré fa briéveté, que Ia fimplicité de mes principes ne donnera lieu ni 4 Tobfcurité, ni 4 1'équivoque. I l faux d'abord confidérer dans la mufique deux objets principaux , chacun féparément. Le premier, dqif être 1'exprelïïon de tous les fons poflibles, & .fautre, celle de. toutes. les différentes durées, tant  SUR EA MUSiqUT. MOO-EBNE. 1.83 des fons que de leurs filences rèlatifs, ce qui comprend aufli la différence des mouvemens. Comme la-mufique n'eft qu'un enchainemeut de fons qui fe font entendre, ou tous enferable, ou fucceflivement, il fuffit que tous ces fons aient des expreflions relatives qui leur aflignent a chacun la place qu'il doit occuper, par rapport a un certain fon fondamental naturel ou arbitraire, pourvu que ce fon fondamental foit neutment exprimé & que la relation foit facile a connoisre. Avantages que n'a déja point la mufique ordinaire , oü le fon fondamental n'a nulle évidence particuliere, & qü tous les rapports des- notes ont befoin d'être longtems étudiés. Maïs comment faut-il procéder pour déterminer ce fon fondamental de la maniere la plus avan. tageufe qu'il eft poflible ; c'eft d'abord une queftion qui mérite fort d'être examinée? On voit déja qtfil n'eft aucun fon dans la nature qui contienne quelque propriété particuliere. & connue, par laquelle on puifle le diftinguer, toutes les fois qu'on 1'entendra. Vous ne fauriez déciderfur un fon unique, que ce foit un ut plutót qu'un la,, ou un re, & tant que vous 1'entendrez feul, vous n'y pouvez rien appercevoir qui vous doive engager a lui attribuer un nom plutót qu'un autre. C'eft ce qu'avoit déja leraarqul Monfieur de Mairan. II n'y a, dit- ij., dans la nature, ni ut, ui fol qui foit quinte ou quarte. par foi-même, paree que ut., fol ou  I84 DlSSERTATION n'exiftent qu'hypothétiquement felon le fon fondamental que 1'on a adopté. La fenfition de chacun des tons n'a rien en foi de propre a la place qu'il tient dans l'étendue du clavier, rien qui le diftingue des autres pris féparément. Le re de 1'opéra pourroit êtve tut de chapelle, ou au contraire: la même vltefle , la même fréquence de vibrations qui conftitue 1'un, pourra fervir, quand on voudra, a conftituer 1'autre 5 ils ne different dans Ie fentiment qu'en qualité de plus haut ou de plus bas, comme huit v vibrations, par exemple, different de neuf, & non pas d'une différence fpécifique de fenfaiion. V o 11 a donc tous les fons imaginables réduits a la feule faculté d'exciter des fenfations par les 'vibrations qui les produifent, & la propriété fpécifique de chacun d'eux réduité au nombre particulier de fes vibrations, pendant un tems déterminé: or,-comme il eft impoffible de compter ces vibrations, du moins d'une maniere direéle, il refte démontré qu'on ne peut trouver dans les fons aucuhe propriété fpécifique, par laquelle on les puiffe recoimoltre féparément, & a plus forte raifon qu'il n'y a aucun d'eux qui mérite par préférence d'être diftingné de tous les autres & de fervir de fondement aux rapports qn'ils ont entr'etixr IL eft vrai que M. Siuvcur avoit propofé un moyen de déterminer un fon fixeiqui eüt fervi de bafe a tous lés rons de l'échelle générale: mais fes -tailöhnettfcns mêmes prouvent qu'il n'eft point de  SUR la musique moderne. l85 fon fke dans la nature, & 1'anifice trés-ingénieux & três-impraticable qu'il imagina pour en trouver un arbitraire, prouve encore combien il y a loin des hypothefes, ou même, fi 1'on veut, des vérités de fpécuiation , aux fimples regies de pratique. Voïoks, cepenJant, fi en épiant la nature de plus prés nous ne pourrons point nous difpenfer de recourir a 1'art, pour établir un ou plufieurs fons foudaraentaux, qui puiflent nous fervir de principe de cornparaifon pour y 'rapporter tous les autres. D'abord, comme nous ne travaillons que pour la pratique, dans la recherche des fons, nous ne -paridons que de ceux qui compofent le fftême tëmpéré , tel qu il eft nniverfellement adopté ,ccroptant pour tien ceux qui n'entrent point dans la pratique de notre mufique, & confidérant comme jufles, fans exception, tous les accords qui réfultent du tempérament. On verra bientót que cette fuppofition, qui eft la même qu'on admet dans la mufique ordinaire, n'ótera rien a la variété que le fyftême tempéré introduit dans i'cffet des différentes modulations, E n adoptant donc la fuite de tous les fons du clavier, telle qq'elle eft pratiquée fur les orgues & les clavecins, 1'expérience m'apprend qu'un certain fon auquel on a donné le nom d'«/, rendu par un tuyau long de feize pieds, ouvett, fait entendre affez diftinétement, outre le fon. principal, deux autres fous plus foibles, 1'un a la tiercé majeure,&  1-SÖ DlSIBRTATIOM 1'autre a la quinte , (*) auxquels on a donné les jon» de mi & de [al. J'écris a pare ce» trois noms; & cherchant un tuyau a la quinte du premier , qui rende le même ton que je viens d'appeller fol ot» fon oétave, j'en trouve un de dix> pieds huit pou-^ ces de longueur, lequel, outre le fon principai ful, en rend aufli deux autres, mais plus foibiement; je les appelle fi & re, & je ttouve qu'ils font précifément en même rapport avec le ful, que Ie fol & le mi 1'étoient avec IWj je les écris a la fuice des autres, omettant comme inutile d'écriré le fol une fcconde fois. Cherchant un troifieme tuyau a 1'uniflbn de la, quinte re, je trouve qu'11 rend encore deux autres fons outre Ie fon principai re, & toujours en même proportion que los précédensj je les appelle fa- & la (fj & je les O) C'eft • i - dire , a h douzieme, qui efl la rep.lique ét la quinte , & a la dix - ièptienie., qui eft la duplique de. la tiercé mnjcure. L'octave, même plufieurs oftaves seinenden! auffi atllz-- difljnftement, & s'entendroient bien mieux encore, fi l'oreille ne les confyndoii quelquefois avec le fon principai. (t) Le fa , qui fait la tiercé majeure du re, fe trouve, par eonféquejit, diefe dans cetie progrefiion, cc il faut avoutr qu'il n'eft pas aifé de déVelopper 1'origine du fa naturel coiifiJéré comme qüatriémé note du ton; mais il y auroit lil - detllis c!es obiervations a faire qui nous meiieioient loin & qui ne feroient pas propres a eet ouvrage. Aurefta, nous devons d'autant moins nous arfAcet a certe légeie .«cciition, qu'on peut demontier que ^./«. naturel ue  sur £a musio.ue moderne. 187 écris encore a la fuite des précédens. En continuant de même fur le la, je trouveroisencore deux autres fans: mais comme j'appercois que la quinte eft ca même mi, qui a fait la tiercé du premier fon ut, je m'arrête - la, pour ne pas redoubler inutilement mes expériences, & j'ai les fept noms fuivans, répondans au premier fon ut & aux fix autres que j'ai trouvés de deux en deux , Ut, mi, fol, fi, re, fa, la. Rapprochant enfuite tous ces fons par oftaves, dans les plus petits imervalles oü je putsles placer, je les trouve rangés de cette forte : Ut, re, mi, fa, fel-, la, fi. Et ces fept notes ainfi rangées, indquent ju& tement le progrös diatonique affeété au mode majeur, par la nature même: or, comme le premier fon ut a fervi de principe & de bafe a tous les autres » nous le prendrons pour ce fon fondamental que nous avions cherché, paree qu'il e(t bien réellement la fource & 1'origine d'oü font émanés tous ceux qui le fuivent. Parcourir ainfi. tous les.fors de cette échelle, en. commei^ant & finiffani par le;fon fondamental.,- & en préférant toujours ks fauroit étre traité daus le ton A'ut, que comme ditTo'nancs. ou préparation a la diffbnance.  If>8 DlSSEKHTION premiers engendrés aux derniers; c'eft ce qu'on appelle moduler dans le ton <ïut majeur, & c'eftla proprement la gamme fondamentale, qu'on eft convenu d'appeller naturelle préférablement aux auires, & qui fert de regie de comparaifon, pour y conformer les fons foudamentaux de tous les tons pratiquables. Au refte, il eft bien évident qu'en prenant le fon rendu par tout autre tuyau pour le fon fondamental ut, nous ferions parvenus par des fons différens k une progreftïon toute 1'emblable, & que, par confequent, ce choix n'eft que de pure convention & tout aufïï arbitraire que celui d'un tel ou tel me'ridien pour détcrminer les degrés de longitude. I l fuit de-la, que ce que nous avons fait en prenant ut pour bafe de notre opération, nous le pouvons faire de même en commencant par un des fix fons qui le fuivent, a notre choix, & qu'appellant ut ce nouveau fon fondamental, nous arriverons a la même progreffion que ci-devant, & nous trouverons tout de nouveau: üt, re, mi, fa, fol, Ia, li. A vf.c cette unique différence, que ces derniers fons étant placés a 1'égard de leur fon fondamental de Ia même maniere que les précédens 1'étoient a 1'égard du leur, & ces deux fons fondamentaux étant pris fur différens tuyaux , il s'enfuit que leurs fons correfpondans font aufli tendus par dif-  SUR LA MUSIQUE MODERNE. 189 férens tuyaux, & que le premier ut, par exemple, n'étant pas le méme que le fecond, le premier re n'eft pas non plus le même que le fecond. A prêfent fun de ces deux tons étanc pris pour le naturel, fi vous voulez favoir ce que les différens fons du fecond font a 1'égard du premier, vous n'avez qu'a chercher a quel fon naturel du premier ton fe rapporte le fondamental du fecond, & le même rapport fubfiflera toujours entre les fons de même dénomination de 1'un & de 1'autre ton dans les oftaves correfpondantes. Suppofant, par exemple, que Vut du fecond ton foit un fol au naturel, c'eft-a-dire, a Ia quinte de Vut naturel, le re du fecond ton fera fürement un la naturel, c'eft-a-dire , la quinte du re naturel, le mi fera un ft, le fa un ut, &c. & alors on dira qu'on a pris le fol naturel pour en faire le fon fondamental d'un autre ton majeur. Mais fi, au lieu de m'arrêter en la dsns 1'expérience des trois fons rendtis par chaque tuyau, j'avois continué ma progreflion de quinte en quinte jufqu'a me retrouver au premier ut d'oü j'étois parti d'abord, ou a 1'une de fes oftaves, alors j'aurois paffé par cinq nouveaux fons altérés des premiers, lefquels font avec eux la fomine de douze fons différens , renfermés dans l'étendue de 1'oftave, & fai« fant enfemble ce qu'on appelle les douze cordes du fyftême chromatique. Ces douze fons repliqués è différentes oftaves, font toute l'étendue de 1'échelle générale, fans qu'il  s(t0 DisstiiinioN puifle jamais s'en préfenter aucun autre, du moins dans le fyftême tempéré, puifqu'après avoir parcouru de quinte en quinte tous les fons que les tuyaux faifoient entendre, je fuis arrivé a la replique du premier par lequel j'avois commencé, & que, par conféquent, en pourfuivant la même opération, je n'aurois jamais que les repliques, c'eftt-dire, les, oftaves des fons précédens. La méthode que la nature m'a indiquée & que j'ai fuivie pour trouver la génération de tot-s les fons pratiqués dans la mufique, m'apprend donc en premier lieu, non pas ft trouver un fon fondamental, proprement dit, qui n'exifte point, mais ft tirer d'un fon établi par convention, tous les mêmes avantages qu'il pourroit avoir, s'il étoit réetlement fondamental, c'eft-ft-dire, ft en faire réellemennt 1'origine & le générateur de tous les autres fons qui font en ufage , & qui n'y peuvent étre qu'en conféquence de certains rapports détetminés qu'ils ont avec lui, comme les touches du clavier ft f égard du C fol ut. Elle m'apprend en fecond lieu , qu'aprês avoir déterminé le rapport de chacun de ces fons avec le fondamental, on peut ft fon tour le confidérer comme fondamental lui-même, puifque .le tuyau qui le rend, faifant entendre fa tiercé majeure & fa quinte aufli bien que le fondamental ,on trouve, en partant de ce fon-lft comme générateur, une gamme qui ne differe en rien, quant ft fa progreflion, de la gamme établie en premier lieu \ c'eft-  SÜR LA 'MU SI QUE S|»IJIJt!KI. IfJ-ï a-dire, en un mot, que chaque touche du clavier peut & doit même étre confidérée fous deux fens tout-4-fait différens; fuivant le premier, cette touche repréfente un fon relatif au Cfel ut, & qui, en cette qualité , s'appelle re, ou mi, ou fol,(kc. felon qu'il eft le fecond, le troifieme ou le einquieme degré de 1'oétave renfermée entre deux ut naturels. Suivant le fecond fens elle eft le fondement d'un ton majeur, & alors elle doit conftamment porter le nom dW, & tomes les autres touches nedevant étre confidérées que par les rapports qu'elles ont avec Ia fondamentale, c'eft ce rapport qui détermine alors le nom qu'elles doivent porter fuivant le degré qu'elles occupent: comme 1'oétave renferme douze fonj, il faut indiquer celui qu'on chorflt & alors c'eft un la ou un re, &c. naturel, cela détermine le fon: mais quand il faut le rendre fondamenfal & y fixer le ton, alors c'eft conftamment un ut & cela détermine Ie prognès. 1 l réfulte de cette explieation que chacun des douze fons de 1'oétave pent étre fondamental ou relatif, fuivant la maniere dont il fera employé, avec cette diftinétion que la difpofition de Vut naturel dans 1'échelle des tons, ie rend fondamental naturellement, mais qu'il peut toujours devenir relatif h tout autre fon que 1'on voudra choifir pour fondamental; au lieu que ces autres fons, naturellement relatifs è celui A'ut, ne deviennent fondamentaux que par une détermination particuliere. Au refte, il eft évident que c'eft la nature même qui nca s  jpS DmintAiios conduit a cette diftinaion de fondement & de rapports dans les fons: chaque fon peut être fondamental naturellement , puifqu'il fait entendre fes harmoniques, c'eft-a-dire, fa tiercé majeure & fa quinte, qui font les cordes eflentielles du ton dont il eft le fondement, & chaque fon peut encore étre naturellement relatif, puifqu'il n'en eft aucun qui ne foit une des harmoniques ou des cordes effentielles d'un autre fon fondamental, & qui n'en puiffe être engendré en cette qualité. On verra dans la fuite pourquoi j'ai infifté fur ces obfervations. Nous avons donc douze fons qui fervent de fondemens ou de toniques aux douze tons majeurs, pratiqués dans la mufique, & qui, en cette qualité, font parfaitement femblables, quant aux modifica. tions qui réfultent de chacun d'eux, traité comme fondamental. A 1'égard du mode mineur, il ne nous eft point indiqué par la nature, & comme nous ne trouvons aucun fon qui en faffe entendre les harmoniques , nous pouvons concevoir qu'il n'a point de fon fondamental abfolu, & qu'il ne peut exifter qu'en venu du rapport qu'il a avec le mode majeur dont il eft engendré, comme il eft aifé de le faire voir (*). Le premier objet que nous devons donc nous . propofer (*) Voyez M. Rameau, Nouv. Syft. p. *t. & Traité de FHarin. p. ia & 13.  sxir la musique m0oterne. ip3 propofer dans 1'inftitution de nos nouveaux fignes, c'eft d'en imaginer d'abord un qui déiigne nette« ment, dans toutes les occafions, la corde fonda» mentale que 1'on prétend établir, & le rapport qu'elle a avec la fondamentale de comparaifon, c'cft-a-dire, avec Tut naturel. Supposons ce figne déja choifi. La fonda* mentale étant déterminée , il s'agira d'exprimei tous les autres fons par le rapport qu'ils ont avec elle, car c'eft elle feule qui en détermine le progtès & les altérations: ce n'eft pas , a la vérité, ce qu'on pratique dans la mufique ordinaire, oüi les fons font exprimés conftamment par certainsi noms déterminés, qui ont un rapport direct aux touches des iuftrumens &. a la gamme naturelle, lans égard au ton oü 1'on eft, ni a la fondamentale qui le détermine; mais comme il eft ici que& tion de ce qu'il convient le mieux de faire, & uon pas de ce qu'on fait aftuellement, eft- on moins en droit derejetter une mauvaife pratique, fi je fais voir que celle que je lui fubflitue mérite la préférence, qu'on le feroit de quitter un mauvais guide pour un autre qui vous montreroit un chemin plus commode & plus court? Et ne fe moqueroiton pas du premier, s'il vouloit vous contraindre a le fuivre toujours, par cette unique raifon qu'il vous égare depuis longtems. C e s confidérations nous menent direftement au choix des chiffres pour exprimer les fons de la mufique, puifque les chiffres ne taarquent que des Suppkm. Tom, VI, \  J94.' © i s s e a t a t i o n rapports, & que 1'cxpreffion des fons n'eft Söffi que celle des rapports qu'ils ont entr'eux. Aufïï avons-nous déja remarqué que les Grecs ne fe fervoient des lettres de leur alphabet ft eet ufage, que paree que ces lettres étoient en même tems les chiffres de leur arithmétique , au lieu que les caracteres de nbtré alphabet ne portant point communément avec eux les idéés de nombre, ni de rap. pons, ne feroient pas,'ft beaucoup prés, fi pro» pres ft les exprimer. I l ne faut pas s'étonner aprês cela fi1'on a tenté fi fouvent de fubftituer les chiffres aux notes de la mufique; c'étoit affurément le fervice le plus important que 1'on eüt pu rendre ft eet art, fi ceux qui font entreptis avoient eu la patience ou les lumieres néceffaires pour embraffer un fyftême général dans toute fon étendue. Le grand nombre de tentatives qu'on a faites fur cé point, fait voir qu'on fent depuis longtems les défauts des caracteres établis. Mais il fait voir encore qu'il eft bien plus aifé de les appercevoir que de les corriger; iaut.il conclure dt.lft que la chofe eft impoffible ? Nous voilft donc déja déterminés fur le choix des caraéteres: il eft queftion maintenant de réfléehir fur la meilleure maniere de les appliquer. II eft für que cela demande quelque foin; car s'il n'étoit queftion que d'exprimer tous les fons par autant de chiffres différens, il n'y auroit pas lft grande difficulté: mais auffi n'y auroit - il 'pas non plus grand mérite, & ce feroit ramener dans la mufique une  sur la musique moderne. Ï55 confufion encore pire que celle qui nait de la polition des notes. Pour m'éloigner Ie moins qu'il eft poflible de fefprit de la méthode ordinaire, je ne ferai d'abord attention qu'au clavier naturel, c'eft-a-dire, aux touches noires de 1'orgue & du clavecin, réfervant pour les autres des fignes d'altératiou femblables a ceux qui fe pratiqtient communément: ou plutót, pour me fixer par une idéé plus univerfelle, je confiJérerai feulement le progrés & le rapport des fons affeétés au mode majeur, faifant abftraftion a Ia modulation & aux changemens de ton, bien für qu'en faifant réguliérement 1'application de mes carafteres, la fécondité de mon principe fuffira a tout. De plus: comme toute l'étendue du clavier n'eft qu'une fuite de plufieurs oftaves redoublées, je me contenterai d'en confidérer une a part, & je chercherai enfuite un moyen d'appliquer fucceflïvement a toutes, les mêmes carafteres que j'aurai aflvftés aux fons de celle-ci. Par-la, je me conformerai 4 la fois a 1'ufage qui donne les mémes noms aux notes correfpondantes des différentes oftaves, il mon oreille qui fe plait a en confondre les fons, h la raifon qui me fait voir les mé« mes rapports multipliés entre les nombres qui les expriment; & enfin, je corrigerai un des grands défauts de la mufique ordinaire, qui eft d'anéantir par une pofition vicieufe, 1'analogie & la refletnblance qui doit toujours fe trouver entre les différentes oftaves. I s  DlSSERTATION Il y a deux manieres de confidérer les fons & les rapports qu'ils ont emr'eux, Tune, par leur génération, c'eft-a-dire, par les différentes Iongueurs des cordes ou des tuyaux qui les font entendre; & 1'autre, par les intervalles qui les féparent du «rave a faigu. _ « A 1'égard de la première, elle ne fauroit etre de nulle couféquence dans 1'établiflement de nos fignes; foit paree qu'il faudroit de trop grands nombres pour les exprimer; foit enfin, paree que de .els nombres „e font de nul avantage pour la facilité de finten»don, qui doit être ici notre grand objet. Au contraire, la feconde maniere de confidérer les fons par leurs intervalles, renferme un nombre infini d'utilités: c'eft fur ellequ'eft fondéle fyftême de la pofnion , tel qu'il eft pratiqué aétuel ement. 11 eft vrai que, fuivant ce fyftême, les notes n'ayant rien en elles-mêmes, ni dans 1'efpace qui les fépare, qui vous indique clairement le genre 1 1'irtervalle, il faut anoner un tems infini avant cue d'avoir acquis toute 1'habitude néceffaire pour l reconnoltre au premier coup-d'ceil. Mais comme ce défaut vient uniquement du roauvais choix des fignes, on n'en peut tien conclure conire le prm, cipe fur lequel ils font établis, & 1'on vetra bientot comment, au contraire, on tire de ce principe ,ous les avamages qui peuvent rendre lintonation aifée 4 apprendte & a pratiquer. Prenant ut pour ce fon fondamental, auquel tous les autres doivent fe rapporter & 1'esprimaat  SUR IA MUSIQ'UE MO DÉR NE. par le chiffre I, nous aurons a fa fuite 1'expref" fion des fept fons naturels, ut, re, mi, fa, fol, la, fi, par les fept chiffres 1', 2> 3, 4, 5, 6, 7 •, de fscon que tant que le chant roulera dans 1'éundue de ces fept fons, il fuffira de les noter chncnn par fon chiffre correfpondant , pour les e.sprimer tous fans équivoque. 1 l eft évident que cette maniere de noter,con. ferve pleinement l'avautage li vanté de la pofition: car, vous connoiffez a 1'ceil, aulïï clairement qu'il eft poflible, fi un fon eft plus haut ou plus bas qu'un autre ; vous voyez parfaitement qu'il faut monter pour aller de l'i au 5, & qu'il faut defcendre pour alle» du 4 au 2 : cela ne fouffre pas Is moindre replique. Mais je ne m'étendrai pas ici fur eet article, & je me contenterai de toucher, & la fin de eet ouvrage, les principales réflexions qui naiflent de la comparaifon des deux méthodes; fi 1'on fuit mon projet avec quelque attention, elles fe préfente' ront d'elles - mêmes & chaque inftant, &, en laiffant a mes leéteurs le plaifir de me prévenir, j'efpere de me procurer la gloire d'avoir peufé comme eux. Les fept premiers chiffres ainfi difpofés, marqueront, outre les degrés de leurs intervalles, celui que chaque fon occupe a 1'égard du fon fondamen" tal ut, de facon qu'il n'eft aucun intervalle dont 1'expreflion par chiffres ne vous préfente un doublé lapport-; le prémier, entre les deux fons qui le 1 3  jji8 Dis sertation compofent, & Ie fecond, entre chacun d'eux & Je fon fondamental. Soit donc établi que le chiffre I, s'appellera toujours ut; s, s'appellera toujours re; 3 , toujours vsi, &c. conformément a l'ordre fuivant: », 2, 3» 4> 5» 6, 7. ut, re, mi, fa, fol, la, fi. Mais quand il eft queftion de fortir de cette étendue, pour palTer dans d'autres oftaves, alors cela forme une nouvelle difficultéj car il faut uécef« fairement multiplier les chiffres, ou fuppléer a cela par quelque nouveau figne qui détermine 1'oflave oü 1'on chante; autrement fut d'en-haut e'tant écrit ï, aufïï-bien que Vut d'en -bas, le muficien ne pourroit éviter de les confondre & l'équivoque auroit lieu néceffairement. C'est ici Ie cas oü la pofitkm peut étreadmife, avec tous les avantages qu'elle a dans la mufique ordinaire, fans en conferver ni lesembarras, ni la difficulté. EtablifTons une ligne horizontale, fur laquelle nous difpoferons toutes les notes renfer. méés dans la méme oétave, c'eft - a - dire, depuis & compris Vut d'en-bas jufqu'a celui d'en-haut exclufivement. Faut-il j>affer dans 1'oftave qui commence a Vut d'en - haut ? Nous phtcerons nos chiffres au-deffus de la ligne. Voulons-nous, au contraire, paffer dans 1'oflave inférieure, laquelle commence en defcendant par le fi, qui fuit Vut  sur la mo sique moderne. i<,'9 pofé fur la ligne ? Alors nous les placerons au - deffous de la. mêuie ligne: c'eft. a-dire, que la pofition qu'on eft contrahit de changer ft chaque degré dans Ia mufique ordinaire, ne changera dans la mienne qu'a chaque oétave, & aura, par conféquent, fix fois moins de combinaifons. (Foyez la Pianche , Exemple i.) Après ce premier ut, je defcends au fol de 1'oftave inférieure: je reviens «mon.»/, ék, après avoir fait le mi & le fol de Ia même oétave, je paffe a Vut d'eiirhaut,,c'eft -ft-dire, ft Vut quicooimence 1'oftave fupérieure; je redefcends enfuite jufqu'au fol d'en.bas, par lequel je reviens finir ft mon premier ut. Vous pouvez voir dans ces exemples (voyez la "PI. Ex. i, & 2.) comment le progrès de la voix eft toujours annoncé aux yeux, ou par les différ rentes valeurs des chiffres, s'ils font de Ia même oétave, ou par leurs différentes" pofitions, fi leurs oftaves font différentes. Cette mécanique eft fi fimple qu'on Ia concoit du premier regard, ,& la praiique en eft la chofe du monde la plus aifée. Avec une feule ligne vous modulez dans l'étendue de trois oftaves, & s'il fe trouvoit que 'vous vouluffiéz paffer encore au - delft, ce qui n'arrivera gueres dans une mufique fage, vous avez toujours la liberté d'ajouter des lignes accidentelies en haut & en-bas, comme dans Is mufique ordinaire, avec Ia différence que dans celleci il faut onze lignes pour trois oftaves, tandis I 4  90C Dl SS E R T * tl O N' qu'il n'en faut qu'une dans la miemie, & que fe puis exprimer l'étendue de cinq, fix & prés des fept oftaves, c'eft-a- dire, beaucoup plus que n'a d'étendue le grand clavier, avec trois lignes feulement. Il ne faut pas confondre la pöfition, telle que ma méthode 1'adopte, avec celle qui fe pratique dans la mufique ordinaire: les principes en font tout différens. La mufique ordinaire n'a en vua que de vous indiquer des intervalles & de difpofer en quelque facon vos organes, par 1'afpeft du plus grand ou moindre éloignement des notes, fans s'embarralfer de diftinguer aflez bien le genre de ces intervalles, ni le degré de eet éloignement, pour en rendre la connoiffance indépendante de flubitnde. Au contraire, la connoiffance des-intervalles qui fait propreraent le fond de la fcience du muficien m'a paru un point fi important, que j'ai cru en devoir faire 1'objet effentiel de ma méthode* L'explication fuivante montre comment on parvient par mes carafteres ft déterminer tous les intervalles poflibles par leurs genres & par leurs noms, fans autre peine que celle de lire une fois ces re» marques. n Nous diftinguons d'abord les intervalles en direfts & renverfés, & les uns & les autres encore en fimples & redoublés. Je vais définir chacun de ces intervalles confidéré dans mon fyftême. L'iNTERvALLii direft eft celui qui eft conij  s Üa' l a m VS ique moderne. 201 pris entre deux fons, dont les chiffres font d'accord avec le progrês, c'eft - 4-dire, que le fon le plus haut doit avoir aufli le plus grand chiffre, & Ie fon Ie plus bas, le chiffre lê plus petit. (Foyez Ia pl. Exempl. 3 ) L'intervalle renverfé eft celui dont Ie progtés eft contrarié par les chiffres, c'eft-ft-dire que fi 1'intervalle monte, le fecond chiffre eft le plus petit, & fi fintervalle defcend, le fecond erfff.-e eft le plus grand. (Foyez la pl. Ex. 4.) L'intervalle fimple eft celui qui ne paffe pas l'étendue d'une oétave. (Foyez Ia pl. Ex 5.) L'intervalle redoubié eft celui qui paffe l'étendue d'une oétave. II eft toujours la replique d'un intervalle fimple. (Foyez Exemple 6.) Quand vons entrez d'une oétave darts Ia fufvante, c'eft-ft-dire, que vous paflez de la ligne au.deffus ou au-deflbus d'elle, ou vice ver/J', l'intervalle eft fimple s'il eft renverfé , mais s'il eft direft, i! fera toujours redoublê. Cette courte explicatiön fuffit pour connottre ft fond le genre de tour intervalle poflible. II faut ft préfent apprendre ft en trouver le nom fiir ie champ. Tous les intervalles peuvent étre rconfidéré"s cornme formés des trois premiers intervalles firn» pies, qui font la fecoude, la tiercé, la quartej dont les complémens ft Toéhve font la feptieme; la fixte & Ia quinte; ft quoi, fi vous ajoutez cette oétave elle-mêine, vous aurez tous les intervalles fimples fans excepdon. 1-5  202 DlSSERIATION Pour trouver donc le nom de tout intervalle fimple dircft, il ne faut qu'ajouter funité a la différence des deux chiffres qui 1'expriment. Soit, par exemple, eet intervalle i, 5; la différence des deux chiffres eft 4 , a quoi ajoutant funité vous avez 5, c'eft- a-dfre, la quinte pour le nom de eet intervalle; il en feroit de même fi vous aviez eu 2, 6; ou 7, 3, &c. Soit eet autre intervalle 4 , 5; la différence eft 1, 4 quoi ajoutant funité vous avez 2, c'eft-a-dire, une feconde pour le nom de eet intervalle. La regie eft générale. Si l'intervalle direct eft redoubié, après avoir procédé comme ci devant, il faut ajouter 7 pour chaque oétave, & vous aurez encore trés - exactement le nom de votre intervalle: par exemple, vous voyez déjft que —1 _3 eft une tiercé redoublée, ajoutez donc 7 i 3, & vous aurez 10 , c'eft-a-dire une dixieme pour le nom de votre intervalle. S1 l'intervalle eft renverfé , prenez le complément du direft, c'eft le nom de votre intervalle: ainfi, paree que la fixte eft le complément de la tiercé, & que eet intervalle —1 , eft une tiercé renverfée, je trouve que c'eft une fixte :fi de plus jl eft redoubié, ajoutez-y autant de fois 7 qu'il y 4 d'octaves. Avec ce peu de regies, dans quelque cas que vous foyez, vous pouvez nommer fur le champ & fans le moindre embarras quelque intervalle qu'on vous préfente. Voyons donc, fur ce que je viens d'expli.  sur la musique moderne. £oj quer, a quel point nous fommes parvenus dans Part de folfier par la méthode que je propofe. D'abord toutes les notes font connues fans exception; il n'a pas falhi bien de la peiue pour retenir les noms des fept carafteres uniques, qui font les feuls dont on ait a charger fa mémoire pour l'expreffion des fons; qu'on apprenne a les entonner jufte en montant & en defcendant, diatoniquement & par intervalles, & nous voilft tout d'un coup débarralfés des difficultés de la pofition. A le bien prendre, la connoiffance des irtervaN les, par rapport a la nomination, n'eft pas d'une nécefïïté abfolue, pourvu qu'on connoifie bien le ton d'oü 1'on part & qu'on fache trouver celui oit 1'on va. On peut entonner exafternent Vut & le fa fans favoir qu'on fait une quarte: & fürement cela feroit toujours bien moins néceffaire par ma méthode, que par le commune, oü la connoiffance nette & préeife des notes ne peut fuppléer a celle des intervalles, au lieu que dans la mienne, quand 1'jntervalle feroit inconnu, les deux notes qui le compofènt feroient toujours évidentes, fans qu'on püt jamais s'y tromper dans quelque ton & a quelque clef que, 1'on füt. Cependant tous les avantages fe trouvent ici tellement réunis, qu'au moyen de trois ou quatre obfervations trés fimples, voili mon écolier en état de nommer hardiment tout •intervalle poflible, foit fur la même partie, foit en fautant de 1'une a 1'autre, & d'en favoir plus è eet égard dans une beure d'appiicaiïon , que des  S04 D i s s e r- t a t i o n muficiens de dix & de douze ans de pratique: car on doit remarquer, que les opirations dom je viens de parler, fe font tout - d'un - coup par 1 efpnt & aveC une rapidité bien éloignée des longue» gradations indifpenfables dans la muQque ordinaire, Lur arriver a la connoiiTance des intemlles & qu'eufin les regies feroient toujours préférables a 1'habitude, foit pour la certitude, foit pour la br.éveté , quand même elles ne feroient que produire le même effeti . Mais ce n'eft tien d'être parvenu Kqujch h eft d'autres objets* confidérer-&- d'autres difficultés k fnrmonter. Quasd j'ai ci-dèvant aff=aé le nom iut au fon fondamental de la gamme naturelle , je n'at fait que me conförmer a 1'èfprit de la première indttuJon du nom des notes & a 1'ufage général des muficiens; & q^nd j'ai dit que la fondamenta e de chaque ton avoit le même droU de porter le „om tftf que ce premier fon,. qm H neft arTeaé paraucunepropriété partleuliere, j'ai encore été autoJé par la pratique univetfelle de cette méthode, L'on appelle «ranfpomion, dan, la mufique vocale. Pour effacer tout fcrupule qu'on pourroit conceVoir a eet égard, il faut expliquer ma penféeavec un peu plus d'étendue: le nom d«tf do.tïl étre néceflaitement & toujours celui- dune touche fixe du clavier, oudoit-il au contraire être apphlé préféiablement a la fondamemale de chaque „n* c'eft-la queftlon qu'il s'agit da difcuterï A f entendre énoncer de cette maniere, on pour-  sur la musique moderne. 20$; roit, peut-être, s'imaginer que ce r.'eft ici qu'un* queftion de mots. Cependant elle ir.flue trop dans la pratique pour étre méprifée: il s'agit moins des noms en eux • mêmes, que de déterminer les idéés qu'on leur doit attacher & fur lefquelles on n'a pas été bien d'accord jufqu'ici; Db ma No ez a une perfonne qui chante , ce que c'eft qu'un ut, elle vous dira que c'eft le premier ton de la gamme: demandez la même chofe a un joueur d'inftrumens, il vous répondra que c'eft une telle touche de fon violon ou de fon clavecin. lis ont tous deux raifon; ils s'acccrdent même en un f.ns, & s'accorderoient tout-a-fait, fi 1'un ne fe repréfentoit pas cette gam;ne comme mobile-, & 1'autre eet ut comme invariable. Pu is que 1'on eft convenu d'un certain fón a peu pré- fixe pour y régler la portée des voix & le diapafon des inftrumens, il faut que ce fon ait nécelfairement un nom & un nom fixe comme le fon qu'il exprime; donnons- lui le nom d'ut, j'y confens. Régtons enfuite fir ce nom-la tous ceux des différens fons de 1'échelle générale , afin que nous puiflïons indiquer le rapport qu'ils ont avec lui & avec les différentes touches des inftrumens-t j'y confens encore; & jufques-la le fymphonifte a raifon. Maïs ces fons au:;quels nous venons de donner des noms, & ces touches qui les font entendre , font difpofés de telle maniere qu'ils ont en» tr'eux & avec la touche ut cettains rapports. qui 17  20<5 Djssertation conftituent proprement ce qu'on appelle ton, & ce ton dont ut eft la fondamentale eft celui q-e font entendre les touches noires de 1'orgue & du clavecin quand on les joue dans un certain otdre, fans qu'il foit poffible d'employer toutes les mêmes touches pour quelque autre ton dont ut ne feroit pas la fondamentale, ni d'employer dans celui d'»f •aucune des touches Manches du clavier, lefquelles n'ont même aucun nom ptopre, & en prennent de différens, s'appellant tantót diefes & tantót bémols fuivant les tons dans lefquels elles font employécs. O r , quand on veut. établir une autre fondamentale , il faut néceffairement faire un tel choix des fons qu'on veut employer, qu'ils aient avec elle précifément les mêmes rapports que tere, le 'mi., le fol & tous les autres fons de la gamme natu. relle avoient avec Vut. C'eft le cas oü Ie chanteur a droit de dire au fymphonifte: pourquoï ne vous fervez-vous pas des mêmes noms pour exprimer les mêmes rapports? Au refte , je crois peu néceffaire de remarquer qu'il faudroit toujours déterminer la fondamentale par fon nom naturel, & que c'eft feulement après cette détermination qu'elle prendrott le nom d'»f. Il eft vrai qu'en affeéhnt toujours les mêmes noms aux mêmes touches de 1'inftrument & aux mêmes notes de la muGque, il femble d'abord qu'on établit un rapport plus direft entre cette note & cette touche, & que 1'une excite plus aifément fidée de 1'autre, qu'on ne feroit en cherchant  sur la mus1qub moderne. 207 toujours une égalité de rapport entre les chiffres des notes & le chiffre fondamental d'un cóté; & de 1'autre, entre le fon fondamental & les touches de i'inflxument. O n peut voir que je ne tache pas d'énerver Ia force de fobjetfion; oferai.je me flatter a mon tour, que les préjugés n'óteront rien a celle de mes réponfes? D'abord, je remarquerai que le rapport fixé par les mêmes noms entre les touches de 1'inftrument & les notes de la mufique, a bien des excep» «ons & des difficultés, auxquelles on ne fait pas toujours aflez d'attention. Nous avons trois clefs dans Ia mufique, & ces trois Clefs ont huit pofitions; ainfi, fuivant ces différentes pofitions, voila buit touches différentes pour Ia même pofition, & huit pofitions pour la même touche & pour chaque touche de 1'inflrument: il eft certain que cette multiplicatioa d'idées nuit a leur nettere j il y a même bien des fymphoniftes qui ne les poffedent jamais toutes i un certain point, quoique toutes les huit clefs foient d'ufage fur plufieurs inflrumens. Mais renfermons-nous dans 1'examen de ce qui arrivé fur une feule clef. On s'imagine que la même note doit toujours exprimer 1'idée de la même touche, & cependant cela eft trés-faux: car par des accidens fort communs, caufés par les diefes & les bétnols, il arrivé a tout moment, nonfeulement que la note ft devient la touche ut, qua  m 2<8Ö* D l S S E 11 T Kt t O h note mi devient la touche fa & réciproquemenr; mais encore qu'nne note diéfée a la clef & diéfée par accident, monte d5un ten tout entier, qu'un fa devient un fol, un ut, un re, &c. Et, qu'au contraire,par un doublé bémol, un mi deviendra un re, un ft-, un la , & ainfi des autres. Oü en eft douc la préeifion de-nos idéés? Quoi! je vois Mn fol & il faut que je touche un la! Eft-ce-la ce rapport fi jufte, fi vanté, auquel on veut facrifier celui de la modnlation? Je ne nie pas cependant qa'il n'y ait quelque chofe de trés ingénieux dans 1'invemion des accii dens ajoutés a la clef, pour indiquer, non pas lei différens tons, car ils ne font pas toujours connus par-la, mais- les différentes altérations qu'ils cau^ fent. Ils n'expliquent pas mal la théorie des progreffions, c'eft dommage qu'ils faffent acheter fi cher eet avantage par la peine qu'ils donnent dans lapratique du chant & des inftrumens. Que me ferr, a moi, de favoir qu'un tel demi-ton a changé de place, & que de-laon 1'a tranfporté-la pour en faire une note fenfible, une quairieme ou une fixieme note? fi d'ailleurs je ne puis venir a bout de 1'exécuter fans me donner la torture, & s'il faut que je ine fouvienne exacleinent de ces cinq diefes ou de ces cinq bémols pour- les appliquer a toutes les notes que je trouveraifur les mêmes poft. lions on k 1'oétave, & cela précifémênt dans le tems que 1'exécution devient la plus embarraffante par la difficulté particuliere de i'inttrument? Mais  SUR LA MUSIQUE MODERNE. 20^ ne nous imaginons pas que les muficiens fe do'ïi nent cette peine dans la pratique; ils fuivetu une autre route bien plus commode, & il n'y a pas un habile homme parmi eux qui, après avoir préludé dans le ton oü il doit jouer, ne faffe plus d'atten» tion au degré du ton oü il fe trouve & dont it eonnoit la progrelSon, qu'au diefe ou au bémol qui rafiiiite.. E n général, ce qu'on appelle chanter & exéi cuter au naturel eft, peut-être, ce qu'il y a da plus mal imaginé dans la mufique'. car fi les noms des notes ont quelque utilité réelle, ce ne peut être que pour exprimer certains rapports, certaines affec* tions déterminées dans les progreffions des fonsi Or, dès que le ton change, les rapports des fons & la progteffion changeant auiïï, la raifon dit qu'il faut de même changer les noms des notes en les rspponant par analogie au nouveau ton , fans qnoi 1'on renverfé le fens des noms & 1'on óte aux mots le feul avantage qu'ils puilfent avoir, qui eft d'exciter d'autres idees avec celles des fons. Le palfage du f»*' au fa ou du fi a Vut, excire naturellement daus fefprit du muficien 1'idée du demiton. Cependant, ft 1'on eft dans le ton de fi ou dans celui de mi-, l'intervalle du fi a \'ut, ou du mi au fa eft toujours d'un ton & jamais d'un demiton. Donc, au lieu de leur conferver des noms qui trompent l'efprit & qui choquent 1'oreille exercée par une différente habitude, il eft important de leur en appliquer d'autres dont le fens connu n*  210 DlSSERTATION foit point contradictoire & annonce les intervalles qu'ils doivent exprimer. Or, tous les rrpports des fons du fyftême diatonique fe trouvent expritués dans le majeur tant en montant qu'en defcendant, dans 1'oétave comprile entre deux ut, fuivant l'ordre naturel, & dans le mineur, dans 1'oétave comprile entre deux la fuivant le même ordre en defcenJant feulement, car en montant le mode mineur eft affujetti a des; affeftions différentes, qui préfenteut de nouvelles réflexions pour la théorie, lefquelles re fout' pas aujourd'hui de mon fujet & qui ne font rien au fyilême que je propofe. Je ne difconviens pas qu'a 1'égard des inftrumens rra méthode ne s'écarte beaucoup de fefprit de la méthode ordinaire: mais comme je ne crois pas Ja méthode ordinaire extrêmement; eftimable, & que je crois même d'en démontrer les défauts, 11 faudroit toujours avant que de me condamner par« Is, fe mettre en état de me convaincre, non pas de la différence, mais du défavantage de la mienne. Continuons d'en expliquer la mécanique, Je reconnois dans la mufique douze (ons ou cordes originales, 1'un defquels eft le C fol ut qui fert de fondement a la gamme naturelle: prendre un.des autres fons pour fondamental, c'eft lui attribuer toutes Jes propriétés de Tut; c'eft proprement trant porter Ia gamme naturelle plus haut ou plus bas. de tant de degrés. Pour déterminer ce fon fondamental, je me fers du mot correfpondant, c'eft-a-dire, du fol, du re, du la, &c. & je féctis a ia  svk la mu si que moderne. 2h marge au haut de 1'air que je veux noter: alors ce fol ou ce re qu'on peut appelier la clef, devient ut, & fervant de fondement a un nouveau ton & a une nouvelle gamme , toutes les notes de clavier lui deviennent relidves, & ce n'eft alors qu'en vertti du rapport qu'elles ont avec ce Ion fondamental , qu'elles peuvent étre employees. Ce3r-la, quoiqu'on en puifle dire, le vrai principe auquel il faut s'attacher dans la compofition, dans le prélude & dans le chant; & fi vous prétendez conferver aux notes leurs noms naturels, il faut néceflairement que vous les confidériez tout a la fois fous une doublé relation, favoir, par rapport au C fol ut & a la gamme naturelle, & par rapport au fon fondamental particulier , fur lequel vous étes contraint d'en régler le progrès & les altérations. I! n'y a qu'un ignorant qui joue des diefes & des bémoJs fans pertfer au ton dans lequel il eft; alors Dieu fait quelle juiïefle il peut y avoir dans fon jeu! Pour former donc un éieve fuivant ma tnéthode, je parle de 1'inftrument, car pour le chant la chofe eft fi aifée qu'il feroit fuperflu de s'y arrêter; il faut d'abord lui apprendre k connoitre & k toucher par leur nom naturel, c'eft-a-dire, fur la clef tint, toutes les touches de fon inflrument. Ces premiers noms lui doivent fervir de regie pour trouver enfuite les autres fondamentales, & toutes les modulations poflibles des tons majeurs auxquels feul il fuffit de faire attention, comme je 1'expliquerai bientót.  gï2 Tri s s e b. t a t i o s Je viens enfuite k la clef fol, & après lui avoir fait toucher le fol, je 1'avertis que ce fol devenant la fondamentale du ton, doit alors s'appeller uf, & je lui fais patcourir fur eet ut toute la gamme naturelle en-haut 6e en-bas, fuivant l'étendue de fon inftrument: comme il y aura quelque différence dans la touche ou dans la difpofuion des doigis a eaure du demi-ton tranfpofé, je la lui ferai remarquer. Après l'avoir exercé quelque tems fur ces deux tons, je 1'amenerai a la clef re, & lui faifant appeller ut le re naturel, je lui fais recommencer fiir eet ut une nouvelle gamme, & parcourant ainfi toutes les fondamentales de quinte en quinte, il fe trouvera enfin dans le cas d'avoir préludé en mode majeur fur les douze cordes du fyftême chromatique» & de connoitre parfaitement le rapport & les affeétions différentes de toutes les touches de fon inftrument, fur chacun de ces douze difféicns tons.- Ai-ors je lui mets de la mufique aifée entre les mains. La clef lui montre quelle touche doit prendre la dénomination Sut, & comme il a appris a trouver le mi & le fol, &c. c'eft-a-dire, la tiercé majeure & la quinte, &c. fur cette fondamentale, un 3 & un 5 font bientót pour lui des fignes familiers, & fi les mouvemens lui étoient connus & que finftrument n'eüt pas fes difficultés particulieres, il feroit dés - lors en état d'exécuter k livre ouvert toute forte de mufique, fur tous les tens &- fut toutes les- clefs. Mais avant que d'e»  S.ÜR iLA MUS.IQ.UE MODERNE. ÜJJ dire davantage fur eet article, il faut achever d'expiiquer la partie qui regarde 1'expreiïïon des fous. A 1'égard du mode mineur, j'ai déja remarqué que la nature ne nous .1'avoit point enfeigné directement. Peut-être vient-il d'une fuite de la progreffion dont j'ai parlé dans 1'expérience des tuyaux, .oü 1'on trouve qu'ft Ia quatrieme quinte eet ut qui avoit fervi de fondement ü 1'opération, fait une tiercé mineure avec le la, qui eft alors Ie fon fondamental. Peut-être eft • ce aufïï de-la que nait cette grande correfpondance entre le mode majeur .ut & le mode mineur de la fixieme note, & réciproquement entre le mode mineur Ia & le mode majeur de fa médiante. D e plus; la progrefïïon des fons affeétés au mode mineur eft précifément Ia même qui fe trouve dans 1'oétave comprife entre deux la, puifque, fuivant M. Rameau, il eft elfentiel au mode mi. neur d'avoir fa tiercé & fa fixte mineures,& qu'il n'y a que cette oétave oü, tous les autres fons étant ordonnés comme i!s doivent 1'être, la tiercé & la fixte fe trouvent mineures naturellement. Prenant donc Ia pour Ie uom de Ia tonique des tons mineurs, & 1'exprimatit par le chiffre 6", je laifferai toujours 4 fa médiante ut Ie privilege d'être, non pas tonique, mais fondamentale caractériftique; je me conformerai en cela a la nature qui ne nous fait point connolire de fondamentale proprement dite dans les tons mineurs, & je cou« ferverai ft Ja fois J'un/formité dans les noms des  ÏJ4 . D i s s e r t a t i o n noces & dans les chiffres qui les expriment, & 1'analogie qui le trouve entre les modes majeur & mineur pris fur les deux cordes ut & la. Maïs eet ut qui par la tranfpofuion doit toujours être le nom de la tonique dans les tons majeurs, & celui de la médiante dans les tons mineurs, peut par conféquent être pris fur chacune des douze cordes du fyftême chromatiqüe, ;& pour la défigner il fnffira de mettre ft la marge le nom de cette corde prife fur le clavier dans 1'ordre naturel. On voit par-la que fi le chant eft dans le ton d'«/ majeur ou de la mineur, il faudra écrire ut ft la marge; fi le chant eft dans le ton de re majeur ou de fi mineur, il faut écrire re ft la marge; pour le ton de mi majeur ou &Ü diefe mineur, on écrira mi ft la marge, & ainfi de fuite, c'eft-ft-dire, que la note écrite ft la marge, ou la clef défigne précifément la touche du clavier qui doit s'appeller ut, & par conféquent être tonique dans le ton ma» jeur, médiante dans le mineur & fondamentale dans tous les deux: fur quoi 1'on remarquera que j'ai toujours appellé eet ut fondamentale & non pas tonique, paree qu'elle ne 1'eft que dans les tons majeurs, mais qu'elle fert également de fondement a la relation & au nom des notes, & même aux différentes oélaves dans 1'un & 1'autre mode: mais ft le bien prendre, Ia connoiffance de cette clef n'eft d'ufage que pour les inftrumens, & ceux qui chantent n'ont jamais befoin d'y faire attention. Il fuit de-la que la même clef fous le même  sur. la musique m o o 1, r n e. 215 nom d's/, défigne cependant deux tons .différens, favoir, le majeur dont elle eft tonique & Ie mineur dont elle eft médiante , & dont, par conféquent, la tonique eft unetierce au-cleffous d'elle. Il fuit encore que les mêmes noms des notes & les notes affectées de la même maniere, du moins en defcendant, fervent également pour 1'un & 1'autre mode , de forte que non • feulement 011 n'a pas befoin de faire une étude particuliere des modes mineurs, mais que même on feroit ft la rigueur difpenfé de les connoltre, les rapports exprimés par les mêmes chiffres n'étant point différens, quand la fondamentale eft tonique, que quand elle eft médiante: oependant pour 1'évidence du ton & pour la facilité du prélude,011 écrira la clef tout fimplement quand elle fera tonique, & quand elle fera médiante on ajoutera au - deffous d'elle une petite ligne horizontale. (Foyez Ia pl. Ex. 7. & 8.) I l faut parler ft préfent des changemens de ton: mars comme les altérations accidentelies des fons s'y préfentent löuvent, & qu'elles ont toujours lieudans le mode mineur, en montant de la dominante ft la tonique, je dois auparavant en expliquer les fignes. Le diefe s'exprime par une petite ligne oblique , qui croife la note en montant de gauche, ft droite, fol diefe, par exemple, s'exprime atofi > $■ fa diefe ainfi , Le bémol s'exprime aulfi par une femblable ligne qui croife la ligne en defcendant, >< , %, & ces ügnzs, plus fimples  4I5 DissertatIon Sue ceux qui font en ufage, fervent encore ft fnontrer ft 1'ceil le genre d'altération qu'ils caufent. Po u r le bécarre, il n'eft devenu néceffaire que par le mauvais choix du diefe & du bémol, paree qu'étant des carafteres féparés des notes qu'ils alterent, s'il s'en trouve plufieurs de fuite, fous 1'un ou 1'autre de ces fignes, on ne peut jamais diftin. guer celles qui doivent être affeétées de celles qui „e le doivent pas, fans fe Tervir du bécarre. Mais comme par mon fyftême, le figne de 1'altéraiion, outre la fimplicité de fa figure, a encore 1'avantage d'être toujours inhérent ft la note altérée, il eft clair que toutes celles auxquelles on ne Ie verra point, devront être exécutées au ton naturel qu'elles doivent avoir fur la fondamentale oü 1'on eft. Je retranche doncle bécarre comme inutile , & je le retranche encore comme équivoque, puifqu'il eft commun de le trouver employé en deux fens tout oppo. fés-. car les uns s'en fervent pour óter 1'altération caufée par'les fignes de la clef, & les autres, au contraire, pour remettre la note au ton qu'elle doit avoir coiiformément ft ces mêmes fignes. A 1'égard des changemeiis de ton, foit pour paffer du majeur au mineur, ou d'une tonique ft une autre, il pourroit fuffire de changer la clef; mais comme il eft extrêmement avantageux de ne point rendre la connoiffance de cette clef néceffaire ft ceux qui chantent, & que,d'ailleurs,il faudroit une certaine habitude pour trouver faCilement le rapport d'une clef ft 1'autre , voici la précaution qu'il y faut  sur la musiqce moi) git ne, 2ij» • faut ajouter. II n'eft queftion que d'exprimer la première note de ce changement, de maniere a repréfenter ce qu'elle étoit dans le ton d'oü 1'on fort & ce qu'elle eft dans celui oü 1'on entre. Pour cela , j'écris d'abord cette première note entre deux doublés lignes peipendiculaires par le chiffre qui la repréfente dans le ton précédent, ajoutant au - deflus d'elle la clef ou le nom de la fondamen. tale du ton oü 1'on va entrer : j'écris enfuite cette même note par le chiffre qui 1'exprime dans le ton qu'elle commence. De forte qu'eu égard a la fuite du Chant , le premier chiffre exprime le ton de la note & le fecond fert a en trouver le nom. Vous voyez (Pl. Ex. p.) non• feulement que du ton de fol vous palfez dans celui d'ut, mais que la note fa du ton précédent eft la même que la note ut qui fe trouve la première dans celui oü vous entrez. Dans eet autre exemple, ( Foyez Ex. io. ) la première note ut du premier changement feroit le mi bémol du mode précédent , & la première note mi du fecond changement feroit Vut diefe dit mode précédent, comparaifon trés-commode pour les voix & même pour les inftrumens, lefquels ont de plus 1'avantage du changement de clef. On y peut remarquer aufli que dans les changemens de mode , la fondamentale change toujours, quoique Ia tonique refte Ia même ; ce qui dépend des regies que j'ai expliquées ci-devant. 1 l refte dans l'étendue du clavier une difficulte' Supplém. Tom. FI. K  2lg DlSSERTATlON dont il eft tems de parler. II ne fuffit pas de connoitre le progrès affefté a chaque mode, la fondamentale qui lui eft propre, fi cette fondamentale eft tonique ou médiante, ni enfin de la favoir rapporter a la place qui lui convient, dans l'étendue de la gamme naturelle ; mais il faut encore favoir k quelle oftave, & en un mot k quelle touche précife du clavier elle doit appartenir. L it grand clavier ordinaire a cinq oftaves d'étendue & je m'y bornerai pour cette explication, en remarquant feulement qu'on eft toujours libre de Je prolonger de part & d'autre , tout aufïï loin qu'on voudra, fans rendre la note plus diffufe ni plus incommode. Süp pos ons-donc que je fois k la clef d'«/, c'eft-a-dire au fon iïut majeur, ou de la mine*; qui conftitue le clavier naturel. Le clavier fe trouve alors difporé de forte que depuis le premier ut d'enbas jufqu'au dernier ut d'en-haut, je ttouve quatre oftaves completes, outre les deux portions qui reftent ■en bant & en bas entre Put & le fa, qui termine le clavier de part & d'autre. yappelle A, la première oftave comprife entre 1'»** d'en - bas & le fuirant vers la droite , c'efta - dire ,.tout ce qui eft enfermé entre I & 7 exclufivement. J'appelle B , 1'oftave qui commence au fecond ut, comptant de même vers la droite; C la troifieme , D la quairie.r.c , &c. jufqu'a E , oü commence une cinquieme oftave qu'on poufferoit plus haut fi fön vouioit. A 1'é'gard de la portion  SUR t.A MUSIQUE MODERNE. 2lp d'en ■ bas, qui commence au premier fa & fe termine au premier fi , comme elle eft imparfaice, ne conimencant point par la fondamentale , nous i'appellerons 1'oftave X , & cette lettre X fervira dans 'toute forte de tons , a défigner les notes qui refteront au bas du clavier au - deflbus de la première tonique. Supposons que je veuille noter un air a la 'clef d'»/, c'eft-a-dire, au ton d'ut majeur, ou de la mineur; j'écris ut au baut de la page a la marge, & je le rends médiante ou tonique, fuivant que j'y ajoüte ou non la petite ligne horizontale. Sa chant ainfi quelle corde doit être Ia fondamentale du ton , ii n'eft plus queftion que de trouver dans laquelle des cinq oftaves roule davantage le chant que j'ai a exprimer, & d'en écrire la lettre au comraencement de la ligne fur laquelle je place mes notes. Les deux efpaces au-deflus & au deflbus repréfenteront les étages contigus, & ferviront pour les notes qui peuvent excéder en haut ou en bas 1'oftave repréfentée par la lettre que j'ai mife au comraencement de la ligne. j'ai déja remarqué que ■fi le chant fe trouvoit aflez bizarre pour pafler cette étendue , on feroit toujours libre d'ajouter une ligne en haut ou en bas, ce qui peut quelquefois avoir lieu pour les inftrumens. Maïs, comme les oftaves fe comptent toujours d'une fondamentale a 1'autre, & que ces fondamen. tales font difTérentes, fuivant les différens tons oü 1'on. eft , les oftaves fe prennent aufli fur différens K 2  S20 DlSSEKTATIOM degrés, & Tont, tantót plus hautes ou plus baffes, fuivant que leur fondamentale eft, éloignée du C jol ut naturel. Pour repréfenter clairement cette mécanique, j'ai joint ici ( Foyez la Planche) une table générale de tous les fons du clavier, ordonnés par rapport aux douze cordes du fyfiéme chromatique, prifes fucceffivement pour fondamentales. On y voit d'une maniere fimple & fenfible le progrès des différens fons, par rapport au ton oü 1'on eft. On verra aufïï par fexplication fuivante, comment elle facilite la pratique des inftrumens, au point de n'en faire qu'un jeu, non-feulement par rapport aux inftrumens it touches marquées, comme le baflbn, le hautbois , la flüte, la baffe-de-viole & le clavecin, mais encore è 1'égard du violon, du violoncelle & de toute autre efpece fans exception. Cette table repréfente toüte l'étendue du clavier, combiné fur les douze cordes: le clavier naturel , oü Vut conferve fon nom propre, fe trouve ici au fixieme rang marqué par une étoiie a chaque extrémité, & c'eft a ce rang que tous les autres doivent fe rapporter, comme au terme commun de comparaifon. On voit qu'il s'étend depuis le fa d'en bas jufqu'a. celui d'en-haut, & la diftance de cinq oftaves, qui font ce qu'on appelle le grand clavier. Vai déja dit que l'intervalle compris depuis le premier i jufqu'au premier 7 qui le fuit vers la droite, s'appelle A; que l'intervalle compris^de-  3TJK la MUSlQUE MODERNE. 231 puis le fecond 1 jufqu'a 1'autre 7, s'appelle 1'oftave B ; f autre, 1'oftave C , &c. j.ufqu'au cinquieme 1 , oü commence 1'oftave E, que je n'ai porté ici- que jufqu'au fa, A 1'égard des quatre notes qui font a la gauche du premier ut, j'ai dit encore qu'elles appartiennent a 1'oftave X, a laquelle je donne ainfi une lettre hors de rang, pour exprimer que cette oftave n'eft pas complete , paree qu'il faudroit, pour parvenir jufqu'a tutj defcendre plus bas que le clavier ne Ie permet. M ai s fi je fuis dans un autre ton , comme, par exemple, h la clef de ra , alors ce re change de nom & devient ut; c'eft pourquoi 1'oftave A, Comprife depuis la première tonique jufqu'a la feptieme note, eft d'un degré plus élevée que 1'oftave correfpondante du ton précédent, ce qui eft.aifé de voir par la table , puifque eet ut du troifieffle rang, c'eft-a-dire, de la'clef de re, correfpond au re de la clef naturelle dut , fur lequel il tombe perpendiculairement, & par la même raifon , 1'oftave X y a plus de notes que la même oftave de Ia clef a'ut, pnrce que les oftaves en s'élevant davantage, s'éloignent de la -plus baffe note du clavier. Voila pourquoi les oftaves montent depuis Ia clef d'»/ jufqu'a la clef de mi , & defesndent depuis la même cfef A'ut jufqu'a celle de fa ; car ce fa qui eft Ia plus baffe note du clavier, devient alors fondamentale & commence, par conféquent, la première oftave A. Tb ui- ce qui eft donc compns entre les deux I 3  £22 DlSSEttTA TIOB premières lignes obliques vers la gauche, eft toujours de 1'oftave A, mais a différens degrés , fuivant le tou oü 1'on eft. La même touche , par exemple , fera ut dans le ton majeur de mi, re dans celui de re , mi dans celui tfut, fa dans celui de fi, fol dans celui de la , la dans celui te fol, fi dans celui de fa. Ceft toujours la même touche , paree que c'eft la même colonne, & c'eft la même oétave, paree que cette colonne eft renfermée entre les mêmes lignes obliques. Donnons un exemple de la facon d'exprimer le ton , 1'oftave & la touche fans équivoque. ( Foyez la Pl. Exemple n.) Cet exemple eft a la clef de re, il faut donc le rapporter aü ■quatrieme rang,répondant a la même clef: 1'oftave B, marquée fur la ligne , montre que l'intervalle fupérieur dans lequel commence Ie, chant , répond a 1'oftave fupérieure C : ainfi la note 3, marquée d'un a dans la table , eft juftement celle qui répond S la première de cet exemple. Ceci fuffit pour faire entendre que dans chaque pattie on doit mettre fur le commencement de la ligne, la lettre correfpondante & 1'oftave , dans laquelle le chant de cette partie roule.le plus, & que les efpaces qui font au-deflus & au-deflbus, feront pour les oftaves fupérieure & inférieure. Les lignes horizontales -fervent a féparer, de demi-ton en demi-ton , les différentes fondamentales, dont les noms font écrits a la droite de la table. Les lignes perpendiculaires montrent que toutes les notes traverfées de la même ligne, ne font tou-  sur la musique moderne. 223 jours qu'une même touche, dont le nom naturel, fi elle en a un, fe trouve au fixieme rang, & les autres noms dans les autres rangs de la méme colonne fuivant les différens tons oü Ton eft. Ces lignes perpendiculairs font de deux fortes; les unes noires, qui fervent a montrer que les chiffres qu'elles joignent repréfentent une touche naturelle, & les autres ponétuées, qui font pour les touches blanches ou altérées, de facon qu'en quelque ton que 1'on foit, on peut connoltre fur le champ, par le moyen de cette table, quelles font les notes qu'il faut altérer pour exécuter dans ce ton-la. Les clefs que vous voyez au commencement, fervent ft déterminer quelle note doit porter le nom d'w/, & a marquer le ton comme je 1'ai déja dit; il y en a cinq qui peuvent être doublés, paree que le bémol de la fupérieure marqué *, & Ie diefe de 1'inférieure marqué d, produifant le même effet (*). 11 ne fera pas mal cependant de s'en tenir auxdénominations que j'ai choifies , & qui, abflraftion faite de toute autre raifon , font du moins préférables, paree qu'elles font les plus ufitées. v I l eft encore aifé , par le moyen de cette table, de marquer précifément l'étendue de chaque partie, tant vocale qu'inftrumentale , & la place qu'elle C * 5 Ce n'eft. qu'en vertu du tempérament que la meme touclie peut fervir de diefe ft Tune & de bémol ft 1'autre , puifque d'ailleurs perfonne n'ignore que la 1'oiniiie de deux «tsmi-tons mineurs ne fkuioic faire un ton. K 4  224 Dl SSERTATION occupera dans ces différentes oftaves fuivant le ton oü 1'on fera. Je fuis convaincu qu'en fuivant exaftement les principes que je viens d'expliquer, il n'eft point de chant qu'on ne foit en état de foifier.en trés-peu de tems & de trouver dé même fur quelque inftrument que co foit, avec toute la faciliié poflible. Rappellons un peu cn détail ce que j'ai dit fur cet article. Au lieu de commencer d'abord a faire exécuter machinalement des airs a cet écolier; au lieu de lui faire toucher, tantót des diefes, tantót des bémols, fans qu'il puiffe concevoir pourquoi il le fait, que le premier foin du maltre foit de lui faire connoltre a fond tous les fons de fon inftrument, par rapport aux différens tons fur lefquels ils peuvent être pratiqués. Poui cela , après lui avoir appris les noms natutels de toutes les touches de fon inftrument, il faut lui préfenter un autre point de vue & le rappeller a un principe général. II connoit déja tous les fonds de 1'oftave fuivant 1'échelle naturelle; il eft queftion, a préfent, de lui en faire faire 1'analyfe. Suppofons-le devant un clavecin. Le clavier eft divifé en foixante & une touches : on lui explique que ces touches prifes fuccefïïvement & fans diflinftion de blancbes ui de noires, expriment des fons qui, de gauche k droite, vont en s'élevant de demi - ton en demi-ton. Prenant la touche ut pour fondement de notre opération, nous trou\ verons  sur la mus1que moderne. 225 verons toutes les autres de 1'échelle naturelle, difpofées a fon égaid de la maniere iüivante. L a deuxieme nbte , re, a un ton d'intervafle vers la droite, c'eft-a-dire, qu'il faut lailfer une touche intermédiaire entre Vut & le re, pour la divifion des deux demi-tons. La troifieme , mi, ft un autre ton du re & a fleux tons de Vut; de forte qu'entre le re & le wi, il faut encore une touche intermédiaire. L a quatrieme, fa , ft un ton du mi & ft deux fons & demi de Vut : par conféquent, le fa eft la touche qui fuit le mi immédiatement, fans eu laiffer aucune entre deux. La cinquieme, fol, ft un ton de fa & a trois rons & demi de Vut , il faut lailfer une touche intermédiaire. L n fixieme, la', i> un ton du fol & h quatre tons & demi de Vut ; autre touche intermédiaire. La feptieme, fi, a un ton du la & a cinq tons & demi de Vut; autre touche intermédiaire. La huitieme-, ut d'en-haut, a demi-ton du fi, & ft fix tons du premier ut dont elle eft 1'octa. ve, par conféquent le fi eft contigu ft Vut qui le fuit, fans touche intermédiaire. En continuant ainfi tout le long du clavier, on n'y trouvera que la replique des mémes intervalles, & 1'écolier fe les rendra aifément familiers , de même que les chiffres qui les c-xpriment & qui marquent leur diftance de Vut fondamental. On lui ttt* remarquer qu'il y a une touche intermédiaire entre K 5  2ïfj D I s s e r t A t I o n chaque degré de 1'oftave, excepté entre le mi & le fa , & entre le fi & Vut d'en haut, oü 1'on trouve deux intervalles de demi-ton chacun, qui ont leur pofition fixe dans 1'échelle. O n obfervera auffi qu'a la clef d"ut, toutes les touches rioires font juftement celles qu'il faut prent dre > & que toutes les blanches font les interméüiaires qu'il faut lailfer. On ne chsrchera point ft lui faire trouver du myftere dans cette diftributton» & 1'on lui dira feulement que comme le clavier, feroit trop étendu ou les touches trop petites, fi elles étoient toutes uniformes , & que d'ailleurs la clef d'«r eft la plusufitée dans la mufique, on a, pour plus de commodité, rejetté hors des intervalles les touches blanches, qui n'y font que de peu d'ufage. On fe gardera bien aufli d'affefter un air favant en lui parlant des tons & des demi-tons majeurs & mineurs, des comma, du tempérament; tout cela eft abfolument inutile ft la pratique, du moins pour ce tems-la ; en un mot , pour peu qu'un maltre ait d'efprit & qu'il pofi'ede fon art, il a tant d'occafions de briller en inftruifant, qu'il eft inexculable quand la vanité eft ft pure pene pour le difciple. Quand on trouvera que fécolier poflede aflez bien fon clavier naturel, on commencera alors ft le lui faire tranfpofer fur d'autres clefs, en choilïf. fent d'abord celles oü les fons naturels font les moins altérés. Prenons, par exemple,la clef de fol. C e rnoi fol, direz ■ vous ft fécolier, écrit ainfi  SÜR LA MUSIQUE MODERNE. 4 la marge, fignifie qu'il faut tranfporter au fol & a fon oftave le nom & toutes les propriétés de Vut & de la gamme naturelle. Eufuite, après favoir exhorté 4 fe rappeller la dilpofition des tons da cette gamme, vous 1'inviterez 4J'appliquer dans le même ordre au fol confidéré comme fondamentale, c'eft-a-dire, comme un ut; d'abord , il fera queftion de trouver le re; fi fécolier eft bien conduit, il le trouyera de lui-même, & touchera le la naturel, qui eft précifément par rapport au fol dans la même fitusJou que le re par rapport 4 Tut;pour trouver le mi, il touchera le ft; pour trouver le ,il touchera l'«r,& vous lui ferez remarquer qu'effeftivement ces deux dernieres touches donnent un demi-ton d'intervalle intermédiaire, de même que le mi & le fa dans 1'échelle naturelle. En pourfui. vant de même, il touchera le re pour le fol, & le mi pour le la. Jufqu'ici il n'aura trouvé que des touches naturelles pour exprimer dans 1'oftave fol 1'échelle de 1'oftave ut; de forte que fi vous pourfuivez , & que vous demandiez le fi fans rien ajouter, il eft prefque immanquable qu'il touchera le fa naturel : alors vous 1'arrêterez-14 , & vous lui demanderez s'il ne fe fouvient pas qu'entre le la & le fi naturel, il a trouvé un intervalle d'un ton & une touche intermédiaire : vous lui montrerez en même tems cet intervalle a la clef aut , & revenant 4 celle de fol, vous lui placerez le doigt fur le mi naturel que vous noinrnerez la en demanüant oü eft le fi; alors il fe corrigera fürement & K 6  228 D i S S E 'tt t A' i i O N touchera Ie fa diefe; peut - être touchera -1 il le fol: mais au lieu de vous impatienter, il faut faifii cette occafion de lui expliquer fi bien la regie de» tons &* demi - tons, pat rapport a 1'oftave ut, & fans diltinftion de touches noires & blanches, qu'il ne foit plus dans le cas de pouvoir s'y tromper. A l oK s il faut lui faire parcourir le clavier de haut en bas , & de bas' en haut, en lui faifant' nonrmer les touches conformément a ce nouveau ton; vous lui ferez aufli obferver que la touche blanche qu'on y emploie , y devient néceffaire pour conftituet le demi-ton, qui doit être entre 1'e fi & ïut d'en -haut, & qui feroit fans cela entre le la & le fi ; ce qui eft contre l'ordre de la gamme. Vous aurez foin , furtout, de lui faire Concevoir qu'a cette clef*la, le fol naturel eft réellement un ut, le la un re , [cfi un mi , &c. De forte que ces noms & la polkion de leurs touches relatives lui deviennent aufli familieres qu'a la clef Wttt', & que tant qu'il eft è la clef de fol, il n'envifage le clavier que par cette feconde expofition. Quand on le trouvera fuffifamment exercé, on le mettra a la clef de re, avec les mêmes précautions, & on 1'amenera aifément a y trouver de lui-même le mi & le fi fur deux touches blanches: cette troifieme clef achevera de 1'éclaircir fur la Stuation de tous les tons de 1'échêlle, relativement is quelque fondamentale qüé ce foit, & vraifembla* blement il n'aura plus befoin d'expflcation pour  sur la müs1que moderne. 229 trouver l'ordre des tons fur toutes les autres fondamentales. Il ne fera donc plus queftion que de 1'habitude, & il dépendra beaucoup du maitre de contribuer a la former, s'il s'applique a faciliter a fécolier Ia pratique de tous les intervalles , par des remarques fur la pofition des doigts , qui lui en rendent bientót la mécanique familiere. Après cela, de courtes explications fur le mode mineur , fur les altérations qui lui font propres , & fur celles qui naiflém de la modulation dans Ie cours d'une même piece, un écolier bier» conduit par cette méthode doit favoir a fond fon clavier fur tous les tons dans moins de trois mois; donnons - lui en fix, au bout defquels nous parti», rons de-la pour le mettre a 1'exécution , & je foutiens que s'il- a d'ailleurs quelque connoiiljnce des mouvemens, il jouera dès-Iors a livre cuvert» les airs notés par mes carafteres, ceux, du moins, qui ne demanderont pas une grande habitude dans lé doigter. Qu'il niette fix autres mois a fe perfeftionner la main & 1'oreille, foit pour 1'harmonie, foit pour la mefure; & voila dans 1'efpace d'un an un muficien du premier ordre , pratiquant également toutes les clefs , connoiflant les modes & tous les tons, toutes les cordes qui leur font propres, toute la fuite de la modulation, & tranfpofant toute piece de mufique dans toutes fortes de tons avec la plus parfaite facilité. C'est ce qui me paroit découler évidemmeut ' K 7  239 DlSSERTAXION de Ia pratique de mon fyftême, & que je fuis prét de confirmer, non - feulement par des preuves de raifonnement, mais par 1'expérience, aux yeux de quiconque en voudra voir i'effet. Au refte, ce que j'ai dit du clavecin s'applique de même a tout autre inftrument, avec quelques légeres différences par rapport aux inftrumens a manche, qui naiflent des différentes altérations propres è chaque ton : comme je n'éctis ici que pour les maitres a qui cela eft connu, je n'en dirai que ce qui eft abfolument néceffaire, pour mettre dans fon jour une objeétion qu'on pourroit m'oppofer & pour en donner la folution. Ce s t un fait d'expérience que les différens tons de la mufique ont tous certain caraftere qui leur eft propre & qui les diftingue chacun en particulier. VA mi la majeur, par exemple, eft brillant; VF ut fa eft majeflueux; le fi bémol majeur eft tragU que; le fa mineur eft trifte; Vut mineur eft tendrej & tous les autres tons ont de même, par préfé* rence, je ne fais quelle aptitude è exciter tel ou tel fentiment, dont les habiles maitres favent bien fe prévaloir. Or, puifque la modulation eft la même dans tous les tons majeurs, pourquoi un ton majeur exciteroit-il une palïïon plutót qu'un autre ton majeur? Pourquoi le même palfage du re au fa produit-il des effets différens, quand il eft pris fur différentes fondamentales, puifque le rapport deroeure le même ? Pourquoi cet air joué en A mi la ne rend. il plus cette expreffion qu'il avoit en G re  SUR LA.MU.SIQ.aE MODERNE. 231 fol? II n'eft pas poflible d'attribuer cette différence au changement de fondamentale; puifque, comme je f ai dit, chacune de ces fondamentales, prife féparément , n'a rien en elle qui puifle exciter d'autre fentiment que celui du fon haut ou bas qu'elle fait entendre: ce n'eft point proprement par les fons que nous fommes touchés: c'eft par les rapports qu'ils ont enti'eux, c'eft unisuement par le choix de ces rapports charmans, qu'une belle compofition peut émouvoir le cceur en flattant 1'oreille. Or , fi Ie rapport d'un ut 4 un fol, ou d'un re a un la eft le méme dans tous les tons, pourquoi produit-11 différens effets? Peut-être trouveroit ■ on dés muficiens embarraflês d'en expliquer la raifon; & elle feroit, en effet, trés-inexplicable, fi 1'on admettoit 4 la rigueur cette identité de rapport dans les fons exprimés par les mémes noms & repréfentés par les intervalles fur tous les tons. . Mais ces rapports ont entr'eux de légeres différences, fuivant les cordes fur lefquelles ils font pris, & ce font ces différences, fi petites en apparence, qui caufeut dans la mufique cette variété d'expreffions fenlible 4 toute oreille délicate , & fenlible 4 tel point, qu'il eft peu de muficien, qui en écoutant un concert, ne connoiffe en quel ton 1'on exécute aétuellement. CoMr-ARONs, par exemple, Ie C fol ut mineur, & le D la re. Voil4 deux modes mineurs defquels tous lei fons font exprimés par les mêmes  D i s s ejia' a.t i.o-n intervalles & par les meines noms, chacun relativement a fa tonique ; i cependant 1'aifeélion n'eft point la même, & il eft inconteftable que le C fol ut eft plus touchant que le D la re. pour en trouver Ia raifon, il faut emrer dans une recherche affez longue dont voici a peu prés le réfultar. L'intervalle qui fe trouve entre la tonique re & fa feconde note, eft un peu plus petit que celui qui fe trouve entre la tonique du C fol ut & fa feconde note ; au contraire, le demi-ton qui fe trouve entre la.feconde note. & Ia'médiante du D ia re, eft un peu plus grand que' celui qui eft entre ia feconde note & la médiante da C fol ut; de forte que la tiercé mfneure reftant a peu prés égale de part & d'autre elle eft. parragée dans Ie C fol ut en a répondre a tout cela. En premier lieu; le tempérament eft un vrai défaut.; c'eft une altération que 1'art a caufée a l'haruiorfie-, faute d'avoir pu mieux faire. Les ■harmoniques d'une corde ne nous donnent point de quinte tempérée, & la mécanique du tempérament introduit dans la modulation des tons fi durs, par exemple, le re & le fol diefes, qu'ils ne font pas fupportables a'l'oreille. Ce ne feroit donc pas une faute que d'éviter ce défaut, & furtout dans les •carafteres de la mufique, qui, ne participant pas au vice de 1'inftrument, devroient, du moins par leur fignification , conferver toute la pureté de fharmonie. De plus; les altérations caufées par les différens tons, ne font point pratiquées par les voix ; 1'on n'entonne point, par exemple,l'intervalle 45, autrement que 1'on entonneroit celui ci 56, quoique cet intervalle ne foit pas tout - a- fait le même, & 1'on module en chantant avec la même jufteffe dans tous les tons, malgré les altérations particu. iieres que 1'imperfeétion des inftrumens introduit dans ces différens tons, & a laquelle la voix ne fe conforme jamais, a moins qu'elle n'y foit contrainte par 1'uniflbn des inftrumens. La nature nous apprend k moduler fur tous les tons , préeilément dans toute la jufteffe des intervalles; les voix conduites par elle le pratiquent exaétement. Faut - il nous éloigner de ce qu'elle  sur la musique moderne. 235 prefcrit pour nous affujettir a une -pratique défectueufe, & faut-il facrifier, non pas a 1'avantage, mais au vice des inftrumens, fexpreffion naturelle du plus parfait de tous ? C'eft ici qu'on doit fe rappeller tout ce que j'ai dit ci-devant fur li génération des fons , & c'eft par • la. qu'on fe convaincra que 1'ufage de mes fignes n'eft qu'une expreffion très-fidelle & trés exafte des opérations de la nature. E n fecond lieu ; dans les plus confidérables inftrumens , comme 1'orgue , le clavecin & la viole, les touches étant fixées, les altérations différentes de chaque ton dépeudent uniquement de 1'accord , & elles font égalernent pratiquées par ceux qui en jouent, quqiqu'ils n'y penfent point. 11 en eft de même des flütes.des hautbois, ballons & autres inftrumens a trous; les difpofitious des doigts font fixées pour chaque fon & le feront de même par mes carafteres, fans que les écoliers praiiquent moins le tempérament pour n'en pas connoltre fexpreffion, D'ailleurs, on ne fauroit me faire Ih-defius aucune difficulté qui n'attaque en même tems la mufique ordinaire, dans laquelle bien loin que les petites différences des intervalles de même efpece foient indiquées par quelque marqué, les différences fpécifiques ne le font même pas, puifque les tiercés ou les fixtes, majeures & mineures, font exprimées par les mêmes intervalles & les mêmes pofitions; au lieu que dans mon fyftême les diffé-  235 DiSSERTATlON rens chiffres employés dans les intervalles de même dénomination , font du moins connoltre s'ils font majeurs ou mineurs. Enfin, pour trancher tout d'un coup toute cette difficulté, c'efl au maltre & k 1'oreille a conduire fécolier dans la pratique des différens tons & des altérations qui leur font propres: la mufique ordinaire ne donne point de regies pour cette pratique que je ne puifle appliquer k la mienne avec encore plus d'avantage, & les doigts de fécolier feront bien plus heureufement conduits en lui faifant pratiquer fur fon violon les intervalles, avec les altérations qui leur font propres dans chaque ton, en avancmt ou reculant un peu le doigt, que par cette foule de diefes & de bémols qui, faifant de plus petits intervalles entr'eux, & ne contribuant point a former 1'oreille, ttoublent fécolier par des différences qui lui font longtems infenfibles. S t Ia perfeélion d'un fyflème de mufique confifloit a y pouvoir exprimer une plus grande quantité de fons, il feroit aifé en adoptant celui de M. Sauveur, de divifer toute l'étendue d'une feule oétave en 3010 décamérides ou intervalles égaux, dont les fons feroient repréfentés par des notes différemmeut rigurées; mais de quoi ferviroient tous ces caraéteres , puifque la diverfité des fons qu'ils exprime» roient ne feroit non plus k Ia portée de nos oreilles, qu'4 celle des organes de notre voix? II n'eft donc pas moins inutile qu'on apprenne a diftinguer Vut doublé diefe , da re natuiel, dés que nous fom-  SUR la MUSlQUt MODERNE. 53? {■■■(Times comfaints de ie pratiquer fur ce même re, & qu'on ne fe trouvera jamais dans Ie cas d'exprimer en note la différence qui doit s'y trouver, paree que ces deux fons ne peuvent être relatifs a la même modulation. Ten ons pour une maxime certaine que tous les fons d'un mode doivent toujours étre confidérés, par le rapport qu'ils ont avec la fondamentale de ce mode la-, qu'ainfi les intervalles correfpondans de•vroient être parfaitement égaux dans tous les tons de même efpece; auffl les confidere -1-on comme iels dans la compofition, & s'ils ne Ie font pas a la riguéur dans la pratique, les fafteurs épuifent du moins toute leur habileté dans 1'accord, pour eH rendre la différence infenfible. Mais ce n'eft pas ici le lieu de m'étendre davantage fur cet article: fi de 1'aveu de la plus favante Académie de 1'Europe, mon fyftême a des avantages marqués par - deffus la méthode ordinaire pour Ia mufique vocale , il me femble que ces avantages font bien plus confidérables dans la partie inftrumentale; du moins, j'expoferai les raifons que j'ai de le croire ainfi; c'eft 4 1'expérience è confirmeC leur folidité. Les muficiens ne manqueront pas de fe récrier & de dire qu'il-. exécutent avec la plus grande facilité, par la méthode ordinaire, & qu'ils font de leurs inftrumens tout ce qu'on en peut faire par quelque méthode que ce foit. D'accord; je les admire en ce point, & il ne femble pas en effet qu'on puifTe pouffer 1'exécuiion a un plus haut degré Supplém. Tom. li\ L  É38 D i s S li a t4t10 N de perfection que celui oü elle eft aujourd'hui: mais enfin quand on leur fera voir qu'avec moins de tems & de peine on peut parvenir plus füremenc a cette même perfection, peut-être feront-ris contrahits de convenir que les prodiges qu'ils operent, ne font pas tellement inféparables des barres, des noires & des croches, qu'on n'y puilTe arriver par d'autres chemins. Proprement, j'entreprends de leur prouver qu'ils ont encore plus de merite qu'ils ne yenfoient, puifqu'ils fuppléent par la force de leurs «alens aux défauts de la méthode dont ils fe fervent. S1 1'on a bien compris la partie de mon fyftême que je viens d"expliquer, on fentira qu'elle donne une méthode générale pour exprimer fans excepiion tous les fons ufités dans la mufique , non pas, 4 la vérité, d'une maniere abfolue, mais relativemetit 3 un fon fondamenial dérerminé; ce qui produit un avantage confidérable en vous rendant toujours préfent le ton de la piece & la fuite de la modulation. 11 me refte mainteuant 4 donner une autre méthode encoie plus facile, pour pouvoir noter tou» ces mêmes fons , de la même maniere, fur un rang horizontal , fans avoir jamais befoin de lignes ni d'intervalles pour exprimer les différentes octaves. Pour y fuppléer donc, je me fers du plus fimple de tous les fignes, c'eft - 4 • dire, du point; & voici comment je le mets en ufage. Si je fors «e 1'oétave par laquelle j'ai commencé pour faire une note dans l'étendue de 1'oétave fupérieure, & tjui commence 4 fut d'en-haut, alors je mets un  sur la musique moderne. 239 point au-deffbs de cette note par laquelle je fors de mon oftave, & ce point une fois placé, c'eft rfn. avis que non-feulement la note fur laquelle il eft, mais encore toutes celles qui la fuivront, fans aucun figne qui le détruife , devront être prifes dans l'étendue de cette oftave fupérieure oü je fuis entré, Par exemple, Ut c i 3 5 1 3 3 L e point que vous voyez fur Ie lècond ut marqué que vous entrez-la dans l'o:'tave au-deflus da celle oü vous avez coramencé, & que par conféquent le 3 & le 5 qui fuivent, font aufli de cette mème oftave fupérieure & ne font point les mêmes que vous aviez entonnés auparavanr. Au contraire, fi je veux fortir de 1'oftave oük je me tjouve pour pafler a celle qui eft au-deflbus, alors je mets le point (bus la note par laquelle j'y entte. Ut d 5 3 I 5 3 1 Ainsi ce premier 5 étant Ie même que le der* nier de 1'exemple précédent, par le point que vous voyez ici fous le fecond 5, vous êtes averti que vous fortez de 1'oftave oü vous étiez monté, pour rentrer dans celle par oü vous aviez coramencé précédemment. En un mot: quand le point eft fur Ia flo:e, L a  3"4* . D i s s e r t a t- i o n vous paflez dans 1'oftave fupérieure• s'il efl andeflbus, vous paflez dans 1'inférieure, & quand vous changeriez d'oftave a chaque note, ou que vous voudriez monter ou defcendre de deux ou trois oftaves tout d'un coup ou fucceflivement, la regie éti toujours générale, & vous n'avez qu'ft mettre autant de points au deflbus ou au- deffus, que vous avez d'oftaves ft defcendre ou ft monter. Ce n'eft pas ft dire qu'ft chaque.point vous montiez ou vous defcendiez d'une oétave: mais ft chaque point vous entrez dans une oftave différente, dans un autre étage, foit en montant, foit en defcendant, par rapport au fon fondamental ut, lequel ainfi fe trouve bien de la méme oftave, en defcendant diatoniquement, mais non pas en montant: le point, dans cette facon de noter , équivaut aux lignes & aux inrervalles de la précédente;' tout ce qui eft dans la même polltion appartierrt au même point, & vous n'avez befoin d'un autre point que lorfque vous paflez dans une autre pofition, c'efta-dire, dans une autre oftave. Sur quoi il faut remarquer que je ne me fers de ce mot d'oftave qu'abufivement & pour ne pas multiplier inuti.. lement les termes , paree que proprement l'étendue que je déiigne par ce mot, n'eft remplie que d!un étage de fept notes , Vut d'en-haut n'y étant pas compris. Voici une fuite de notes qu'il fera aifé de folfier par les regies que je v-iens d'établir.  SUR la m USIQUE MODERNE. 2.p Sol d 17*231545<^?5176543242176534. * 5 5 i« Et voici (Voyez Pl. Ex. 12 ) ie même exemple noté fuivant la première méthode. Dans une longue fuite de chant, quoique les points vous conduifent toujours trés jufte, ils ne vous font pourtant connoftre 1'oflave oü vous vous trouvez , que relativément a ce qui a précédé; c'eft pourquoi, afin de favoir préciièment 1'éndroit du clavier oü vous étes, il faudroit aller en remontant jufqu'a la lettre qui eft au commencement dè fair; opétation exacïe, a la vérité, mais d'ailleurs un peu trop longue. Pour m'en difpenfer, je mets au commencement de chaque ligne la lettre de 1'oc«ave oü fe trouve, non pas la première note de c'éWe ligne, mais la derniere de la ligne précédente, cc cela afin que la regie des points n'ait pas d'exceptfon. Exemple. Fa d 1712345675-5-'s 3143 21765jS4<54 e 4275^45.' L'e que j'ai mis au commencement de la feconde ligne marqué que lc/i qui fiuit la première, eft de L 3  -242 DlSSERTATIÖN Ia cinquieme oftave , de laquelle je fors pour rentrer dans tp quatrieme d par Je point que vous Voyez au - deflbus du fi de cette feconde ligne. Rien n'eft plus aifé que de trouver cette lettre correfpondante k la derniere note d'une ligne, & en voici la méthode. Comptez tous les points qui font au-deflus des notes de cette ligne: comptez aufli ceux qui font au - deflbus; s'ils font égaux en nombre avec les premiers , c'eft une preuve que la derniere note de la ligne eft dans Ja méine oftave,que la première, & c'eft le cas du premier exemple de Ja précédente page, oü après avoir trouvé trois points deffus & autant deflbus , vous concltiez qu'ils fe détruifent les uns les autres, & que par conféquent Ia derniere note fa de la ligne eft de la même oftave 4 que la première note ut de la même ligne, ce qui eft toujours vrai de quelque maniere que les points foient rangés, pourvu qu'il y en ait autant deffus que deflbus. S'Jj-s ne font pas égaux en nombre, prenez !et:r différence: comptez depuis Ia lettre qui eft au commencement de la ligne & reculez d'autant de lettres vers Va, fi 1'excês eft au-deflbus, ou' s'il eft at> deffus, avancez au contraire d'autant de lettres dans 1'alphabet, que cette différence contient d'unités, & vous aurez exaftement la lettre correfpondante a ia derniere note.  sur la musique moderne, H$ Exemple. Ut c 63071217615-2243213^073. e 27i67j'ól4321*62i76334*5/<««7d 27*6. Dans la première ligne de cet exemple, qui commence ft 1'étage c, vous avez deux points audeflbus & qua"e au-deflus; par conféquent deux d'excês, pour lefquels il faut ajouter ft la lettre c autant de lettres, fuivant l'ordre de 1'alphabet & vous aurez la lettre e correfpondante ft la derniere note de la même ligne. Dans la feconde ligne vous avez au contraire un point d'excès au-deCbus, c'eft-4-dire qu'4 faut depuis la lettre e, qui eft au commencement de la ligne, reculer d'une lettre vers ï'a, & vous aurez d pour la lettre correspondame ft la derniere note de la feconde ligne. Il faut de même obferver de mettre la lettre de t'oétave après chaque première & derniere note des reprifes & des rondeaux, afin qu'en partant de-tt on fache toujours fütement fi 1'on doit monter ou defcendre, pour reprendte ou pour recommencerTou: cela s'éclaircira mieux par 1'exemple fuivant» dans lequel cette marqué ^ eft un figns de rernfe. h 4  244 D i s s ï d i * t i ö s Mi c 34571*23432M32'7625^^5055 b)( 64462751257 ic. La lettre b que vous voyez après Ia derniere aote d&Ja première partie, vous apprend qu'i! faut monter d'une fixte pour revenir au mi du commencement , puifqu'il eft de 1'oéhve fupérieure c , & 3a lettre c que vous voyez également après Ia première & la detniere note de la feconde partie, vous apprend qu'elles font toutes deux de la méme oétave, & qu'il faut par conféquent monter d'une quinte, pour revenir de la finale a la reprife. Ces obfervations font fort fitnples & fort aifées a retenir. U faut avouer cependant que la méthode des points a quelques avantages de moins que cei;:« de la pofition d'étage en étage que j'ai enfeignée la •première, & qui n'a jamais befoin de toutes ces différences de Iettres; 1'une & 1'autre ont pourtantleur commodité, & comme elles s'apprennent pat Je? mémes regies & qu'on peut les favoir toutes deux enfemble, avec la méme facilité qu'on a pour en apprendre une féparément , on les pratiquera chacune dans les occafions oü elle paroltra plus convenable. Par exemple, rien ne fera fi commode que Ia méthode des points pour ajouter fair a des paroles déja écrites pour noter des petits airs, des morceaux détachés, & ceux qu'on veut envoyer ea prayince, & en général pour Ia mufique vocale. D'un  $ h r la musique m09erke, 245 D'un autre có:é , la méthode de pofition fervira pout les partitions & les grandes pieces de mufique, pour la mufique inftrumemale , & furtout pour commencer les écoliers, paree que la mécanique en eft encore plus fenfible que de 1'autre maniere, & qu'en partant de celle.ci déja connue, 1'autre fe concoit du premier inftaut. Les compofiteurs s'en ferviront aufli par préférence 4 caufe de la diflinétion oculaire des différentes oélaves. Ils fentiront en la pratiquant toute l'étendue de fes avantages, que j'ofe dire tels pour 1'évidence de 1'hsrmonie, que, quand ma méthode n'auroit nul cours dans la pratique, il n'eft point de coinpofiteur qui ne düt 1'employer pour fon ufage particulier & pour i'mftruftion de fes éleves. Voila ce que j'avois a dire fur la première partie de mon fyftêrne, qui regarde Fexpreffion des fons ; pafibns » ia feconde , qui traite de leurs durées. L'arti-cle dont-je viens de parler n'eft pas, ï beaucoup prés, aufli difficile que celui-ei, du moins dans la pratique qui n'admet qu'un certain nombre de fons, dont les rapports font fixés & a peu prés les mêmes dans tous les tons; au lieu que les différences qu'on peut introduire dans leurs durées, peuvent varier prefque a finfmi. Il y a beaucoup d'apparence que 1'établiffement de la quantité dans la mufique a d'abord été reratif a celle du langage , c'eft-a-dire, qu'ön faifoit palier plus vite ies fons par lefquelt on exprimok L 5  346 DlSSERTATION les fyllabes breves, & durer un peu plus longtems ceux qu'on adaptoit aux Iongues. On poufla bieutót les chofes plus loin, & 1'on établie ft 1'imitation de la poéfie ut:e cenaine régularité dans la durée des fons, par laquelle on les affujettiffoit ft des retours uniformes, qu'on s'avifa de mefurer par des mouvetnens égaux de la main ou du pied; & d'oü, a caufe de cela , ils prirsnt Ie nom de mefures. L'analogie eft vifible ft cet égard entre la mufique & la poéfie. Les vers font relatifs aux mefures, les pieds aux tems & les fyllabes aux notes. Ce n'eft pas aflurérnent donner dans des abfurdités, que de trouver des rapports aufli naturels, pourvu qu'on n'aille pas, comme le P. Souhaitti, appliquer ft 1'une les fignes de 1'autre, & ft caufe de ce qu'elles ont de femblable, confondre ce qu'elles ont de différent. Ce n'eft pas iel le lieu d'examiner en phyficien d'oü nalt cette égalité merveilleufe que nous éprouvons dans nos mouvemens, quand nous battons la mefure ; pas un tems qui paffe 1'autre ; pas Ia moindre différence dans leur durée fuccefiive, fans que nous ayons d'autre regie que notre oreille poui la déterminer: il y a lieu de conjeéturer qu'un effet aufli fingulier- part du méme principe qui nous fait entonner naturellement toutes les confonnances. Quoi qu'il en foit, il eft clair que nous avons un fentim«nt für pour juger du rappert des mouvemens tout comme de celui des fons, & des organes toujours prêts ft exprimer les uns & les autres, felon  sur la musiq.ue moderne. 2,4? les mêmes rapports, & il me fuffit, pour ce que j'ai ft dire» de remarquer le fait fans en recherche: la caufe. L e s muficiens font de grandes diftinftions dans ces mouvemens, non feulement quant aux divers degrés de vitefle qu'ils peuvent avoir, mais aufli quant au genre même de la mefure, & tout cela n'eft qu'une fuite du mauvais principe par lequel ils ont fixé les différentes durées des fons: car pour trouver le rapport-des uns aux autres, il a fallu établir un terme de comparaifon, & il leur a plu de choifir pour ce terme une certaine quantité de dutée qu'ils ont déterminée par une figure ronde; ils ont enfuite imaginé des notes de plufieurs autres figures, dont la valeur eft .fixée, par rapport ft cette ronde, en proportion fous - doublé. Cette divifion feroit aflez fupportable, quoiqu'il s'en faille de beaucoup qu'elle n'ait 1'univerfalité néceffaire, fi le terme de comparaifon, c'eft-ft-dire, fi la durée de la ronde étoit quelque chofe d'un peu moins vagüe: mais la ronde va tantót plus vite, tantót plus lentement, fuivant le mouvement de la mefure oü 1'on 1'emploie, & 1'oa ne doit pas fe flatter de donner quelque chofe de plus précis, en difant qu'une ronde eft toujours fexpreffion dè la durée d'une mefure ft quatre, puifqu'outre que li durée même de cette mefure n'a rien dè déterminé, on voit communément en Italië des mefures ft quatre & ft deux contenit deux & quelquefois quatre sondes.  fi"4 3 D-1 s s- E 8 t a T t o n- C*£st pourtant ce qu'on ruppofe dans les chiffres des mefures doublés ; le chiffre inférieur- marqué Ie nombre de notes d'une certaine valeur contenues dans une mefure a quatre tems, & le chiffre fupérieur marqué combien il faut de ces mêmes notes pour rernplir une mefure de fair que 1'on va noter: mais pourquoi ce rapport de tant de différentes mefures a celle de quatre tems qui leur eft fi peu. femblable, ou pourquoi ce rapport de tant de différentes notes a une ronde dont Ia durée eft fi peu déterminée? On diroit que les inventeurs de Ia-mufique ont pris a tache de faire tout Ie contraire de ce qu'il falioit; d'un cóté, ils ont négligé la diftinaion du fon fon iamental , indiqué par la nature & fi néceffaire pour fervir de terme commun au rapport de tous les autres; & de 1'autre, ils ont voulu établir une durée abfolue fondamentale , fans pojjvoir en déterminer Ia valeur. Faut-il s'étonner fi Terreur du principe a tam caufé de défauts dans les conféquences ; défauts effentiels a Ia pratique & tous propres a retardet longtems les progrès des écoliers. Les muficiens reconnoiffent au moins quatorzs mefures différentes, dont voici les fignes. 2, 3, c, ft. I. 3-. ^ 9 13 S S o ij 3 6 3 ■j ■** 4) 4j ♦ J ï> ii §, | , ff» t5» SS • O r fi ces fignes font infti.tués pour, déterminer ttiiant de mouvemens différens en efpece, 2L$ en a  SUR LA MUS1QUF. MODERNE. 24J beaucoup trop, & s'ils la font, outre cela, pouf exprimer les différens degrés de viieffe de ces mou. vemens, il n'y en a pas alfez. D'ailleurs, pourquoi fe tourmenter fi fort pour établir des fignes qui ne fervent k rien, puifqu'indépendamment. du genre de 3a mefure, on eft prefque toujours contraint d'ajouter un mot au commencement de l'air, qui déterrnlne 1'efpecc & le degré du mouvement,. Cupendant, on né fauroit contefter que. la diverfité de ces mefures ne brouille les commencsns, pendant un tems infini, & que tout cela ne nnilTe de la fantaifie qu'on a de les vouloir rapporter a la mefure a quatre tems, ou d'en vouloir rapgoiter les notes. k la valeur de la ronds. Don nep. aux mouvemens & aux notes des rag? pons entiérement étrangers a la mefure oü 1'on les. emploie , c'eft proprement leur donner des valeurs abfolues , en confervant 1'embarras des relations; aufli voit-on fuivte de-14. des équivoques terribles; qui font autant de pieges k la préejfion de la mufiqu» & au goüt du muficien. En effet , n'eft-il pas évident qu'en déterminant la durée des rondes, blanches, noires, croches, &c. non par la qualité de la mefure oü elles fe rencontreut, mais par celle de Ia note méme, vous trouvez k tout moment la relation en oppofition avec le fer>s propre. De-la vient, par exemple, qu'une blanche dans une certaine mefure , paflera beaucoup plus vite qu'une noire dans une autre, laquelle noire ne vaut cependant que la moitié de cette blanche , & de-la L 7  £50 DiSSERTATION Vient encore qne les muficiens de province, trompe's par ces faux rapports, donnent fouvent .aux airs des mouvemens tout différens de ce qu'ils doivent être , en s'attachant fcrupuleufement ft cetie faulTe relation , tandis qu'il faudra quelquefois paiTer une mefure ft trois tems fimples plus vite qu'une autre ft trois huit, ce qui dépend du caprice des compofiteurs & dont les opéra préfentent des, exemples ft chaque inftanu I l y auroit fur ce point bien d'autres remarques a faire, auxquelles je ne m'arrêteraipas. Quand ona imaginé, par exemple, la divifion fous-doublé des notes, telle. qu'elle eft établie, apparemment qu'on n'a pas prévu tous les cas, ou bien 1'on n'a pu les embralïer tous dans une regie générale; ainfi, quand il eft queftion de faire la divifion d'une note ou d'un tems en trois parties égales, dans une mefure ft deux, ft trois, ou 4 quatre, il faut néceflairewent que le muficien le devine, ou bien qu'on 1'en avertilTe par un figne étranger qui fait exception ft la regie. Cr. s r en examinant les progrès de la mufique que nous pourrons trouver le remede ft ces défauts. 11 y a deux cents ans que cet art étoit encore extrêmement groftier. Les rondes & les blanches étoient prefque les feules notes qui y fuflent employées, & fon ne regardoit une croche qu'avec frayeur. Une mufique aufli fimple n'ameuoit pas de grandes difficultés dans la pratique, & cela faifoit qu'on ne prenoit pas non plus grand foin pour lui  sur la musique moderne. 2$i donner de la précifion dans los fignes; on négligeoit la féparation des mefures, & 1'on fe contentoit de ks exprimer par Ia figure des notes. A mefure que Part fe petfectionna & que les difficultés augmenterent, on s'appercut de 1'einbarras qu'il y avoit, dans une grande diverfité de notes, de faire la diflinctioti des mefures, & 1'on commenca a les féparer par des lignes perpendiculaires; on fe mit enfuite a lier les croches pour faciliter les tems, & 1'on s'en trouva fi bien, que, depuis lors, les carafteres de la mufique font toujours reftés è peu prés dans le même étac. Une partie des inconvéniens fubfifte pourtant encore; la diftinftion des tems n'eft pas toujours trop bien obfervée dans la mufique inftrumëntale& n'a point lieu du tout dans le vocal: il arrivéde • 14 qu'au milieu d'une grande mefure, l'écolier ne fait oü il en eft', furtout lorfqu'il trouve une quantité de- croches & de doublés-croches détachées , dont il faut qu'il faflè lui- même la diftribution. Une réflexion toute fimple fur l'ufage des lignes perpendiculaires pour la féparaiion des mefures, nous foarnira un moyen afluré d'anéomir ces inconvé;.ien>%. Toutes les notes qui fout rjnfermées entre deux de ces lignes dont je viens de parler, font juftement la valeur d'une mefure: qu'elles foient en grande ou petite quantité, cela n'iniérefie en rien la durée de cette mefure qui eft toujours la même; feulement fe divife -1 - elle en parties égales ou inégales, felon  -5* Dis I-B R.T 4 tl ON. la vrleur & le nombre des notes qu'elle rcnfeime-: mais enfin fans conuoltre précifément le nombre de ces notes ni. la valeur de chacune d'elles, on fait certainement qu'elles forment toutes enfemble une durée égale ft celle de la mefure oü elles fe trouvent. SipAROKs les tems par des virgules, comme nous féparons les mefures par des lignes , & railbnnons fur chacun de ces tems- de la même maniere que nous raifonnons fur chaque mefure: nous aurons m principe univerfel pour la durée & la quantité des notes, qui nous difpenfera d'inventer de nou» ^ veaux fignes pour Ia déterminer, & qui nous mettra * ft portée de dimimier de beaucoup Ie nombre des d.fférenies. mefures ufitées dans la mufique , fans tien óter ft la variété des mouvemens.. Quand une note feule eft reafermée entre les deux lignes d'une mefure, c'eft un figne que cette noie remplit tous les tems de cette' mefure & doit durer autant qu'elle: dans ce cas, la féparation des tems feroit inutile.; on n'a qu'ft fouteriir le même fon pendant toute la mefure. Quand la mefure eft divifée en autant de notes égales qu'elle contient de tems, on pourroit encore fe difpenler de les leparer; chaque note marqué un tems, & chaque tems eft rempü par une note. n]aJs dans ^ cajj ^ ^ mefure foit chargée de notes d'inégales valeurs, ' alors il faut néceflalrement pratiquer Ia féparation des tems par des virgules, & nous la pratiquerons même dans le cas précédent, pour conferver dan» nos fignes la plus parfaite uniformüé.  sur LA MUSI^UK möde'UNE. ïJ3 Chaque tems compfis entre deux virgules, ou entre une virgule & une ligne perpendiculaire, renferme une note ou plufieurs. S'il ne contient qu'une note, on concoit qu'elle remplit tout ce tems li, tien n'eft fi fimple: s'il en renferme plufieurs, la chofe n'eft pas plus difficile; divifez ce tems en autant de parties égales qu'il comprend de notes: appliquez chacune de ces parties ft chacune de ces notes, & paflez-les de forte que tous les tems ibient égaux. Exemple du premier eau Re 3lSdi,2,3|7»,»2!ö'7»lU'#'3| d \,2,d\7,i>ï\>7>S |&«Exemple du fecond. Ut a||ci7. 'i2\3*>'3i\S4*S*\?6, 75f'4>55'! 1CExemple de tous ks deux. Fa 3|1d3,415|ó'5,43,2i|2,5,i|i, d 3 »6{ns de ceile - ci, mais jamais par d'aurres nombres qui ne feroient pas multiples de deux on de trois. Ou, qu'une mefure foit ft deux on ft trois tems, & que la divifion de chacun de fes tems foit en deux ou en trois parties égales, ma méthode eft toujours générale & exprime tout avec la même facilité. On fa déj'a pu voir par le dernier exemple précédent, & Ton ie verra encore par celui-ci, dans lequel chaque tems d'une mefure a deux, par* tagé en trois- parties égales, exprime le mouvement de fix huit dans la mufique ordinaire. Ut 2 || d, 36 i|i/6, 6g6\7 3 1', 7 1' aj d 176, t7*7^\f ,36 i\i 76,6g' d 6|7 3 1 ,1 4.7(2 , 2 1 7] 1 7 6, 3 6 jf|6. Les notes, dont deux égales rempliront un tems, s'appelleront des demis; celles dont il en faudra trois, des tiers; celles dont il en faudra quatre, des quans, &c. Mais lorfqu'un tems fe trouve partagé, de forte que toutes les notes n'y font pas d'égale valeur: pour repréfenter, par exemple, dans un feul tems une noire & deux croches, je confidere ce tems comme divifé en deux parties égales, dont Ia noire fait Ia première, & les deux croches enfemble, la fe-  SUR la MüSIQUE mo dek ne. SSJ" feconde; je les He donc par une ligne droite que je place au- delfus ou au-deffous d'elles, & cette ligne marqué que tout ce qu'elle embralTe ne repréfente qu'une feule note, laquelle doit être fubdivifée enfuite en deux parties égales, ou en trois, ou en quatre, fuivant le nombre des chiffres qu'elle couvre. Exemple. Fa 2 ]|d, i 7 6*\7> - 2 1 7 1 6(73 ,17 6jz\ d 3252,176712121,76s7\ 321,7 16". L a virgule qui fe trouve avant la première note dans les deux eximples précédens, défigne la fin du premier tems & marqué que le chant commence par le fecond. qu ano il fe trouve dans un même tems des fubdivifions d'inégalités , on peut alors fe fervir d'une feconde liaifon; par exemple, pour exprimer un tems compofé d'une noire, d'une croche & de deux doublés-croches, on s'y prendroit ainfi: Sol a ||d 1 3» 5 - 2 i|7 »» 57 - 7|ï 34 3la4»7 23211434, 5511 d Supplém, Tom. FI. M  aj!» Dissertat ion Vous voyez - Ia que le fecond teins de Ia première mefure contiem deux parties égales, équivaIentes a deux noires, favoir le 5 pour Tune, & pour 1'autre la fomme des trois notes 1 2 1 qui font fous Ia grande liaifon; ces trois notes font fubdivifées en deux parties égales, équivalentes a deux croches dont 1'une eft le premier 1 , & fauire les deux notes 2 & 1 jointes par la feconde liaifon, lefquelles font ainfi chacune le quart de la valeur comprife fous la grande liaifon & Ie liuitieme du tems ecticr. En général , pour exprimer réguliérement Ia valeur des notes, il faut s'attacher i Ia divifion de chaque tems par parties égales; ce qu'on peut toujours faire par la méthode que je viens d'enfeigner, en y ajoutant 1'ufage du point dont je parlerai tout. a-l'hetire, fans qu'il foit poflible d'être arrêté par a'ucune exception. II ne fera même jamais néceffaire, quelque bizarre que puiffe être une mufique, de mettre plus de deux liaifons fur aucunede fes notes, ni-d'-e-n accompagner aucune de plus de deux points, » moins qu'on ne voulüt imaginer dans de grandes inégalités de valeurs des quintuples & des fextuples croches, dont la rapidité comparée n'eft nullemenr e la portée des voix ni des inflrumens, & dont a peine trouveroit-on d'exemple dans la plus grande débauche de cerveau de nos compofiteurs. • A 1'égard des tenues & des fyncopes,. i& puis , comme dans la mufique ordinaire, les exprimer avec des notes liées enfemble, par une ligne courbe  SUR LA MUSiqtJE MODERNE. 25J) que nous appellerons liaifon de tenue ou chapeau, pour la diftiuguer de la liaifon de valeur dont je viens de parler & qui fe marqué par une ligne droite. Je puis auiïi employer le point au même ufage en lui donnant un fens plus univerfel & bien plus commode que dans la mufique ordinaire. Car au lieu de lui faire valoir toujours la moitié de la note qui Ie précede, ce qui ne fait qu'un cas particulier, je lui donne de même qu'aux notes une valeur déterminée uniquement par la place qu'il occupe, c'eft-a-dire, que fi le point remplit feul un tems ou une mefure, le fon qui a précédé doi: être aufli foutenu pendant tout ce tems ou toute cette mefure, & fi le point fe trouve dans un tems avec d'autres notes, il fait nombre aufli bien qu'elles& doit étre compté pour un tiers ou pourunquart, fuivant la quantité de notes que renferme ce temsla, en y comprenant le point: en un mot, le point vaut autant, ou plus, ou moins, que la note qui 1'a précédé, & dont il marqué la tenue, fuivant la place qu'il occupe dans le tems oü il eft employé. Exemple. , . . m s||c,i| 54V3]'2»43l'2,' i |55»*4l c6"4,-2|543 s,M 17ff, i |', j\\ A u refte, il n'eft pas a craindre, comme on le voit par cet exemple, que ces points fe confondent M 2  icTo ■SintBiiiio a jamais avec ceux qui fervent h changer d'oétaves, ils en font trop bien diftingués par leur pofnion pour avoir befoin de 1'étre par leur figure. C'eft pourquoi j'ai négligé de le faire, évitant avec foin de me fervir de fignes extraordinaires qui diftrairoient 1'attention fans exprimer tien de plus que la fimplicité des mieny. A 1'égard du degré de mouvement, s'il n'eft pas déterminé par les caraéteres de ma méthode, il eft aifé d'y fuppléer par un mot mis au commencement de l'air, & 1'on peut d'autant moins tirer de - la un argument contre mon fyftême , que la mufique ordinaire a -befoin du même fecours; vous avez, par exemple, dans la mefure a trois tems fimples, cinq ou fix mouvemens trés • différens les uns des autres, & tous exprimés par une noire a chaque tems; ce n'eft donc pas la qualité des notes qu'on emploie qui fert a déterminer le mouvement, & s'il fe trouve des maitres négligens qui s'tn fient fur ce fujet au caraétere de leur mufique & au goét de ceux qui la liront, ieur confiance fe trouve fi fouvent punie par les mauvais mouvemens qu'on dor.ne Jt leurs airs, qu'ils doivent aflez fentir combien il eft néceffaire d'avoir a cet égard des indications plus précifes que la qualité des notes. L'imperfection groffiere de Ia mufique fur 1'article dont nous parions, feroit fenfible pour quic.nque auroit des yeux: mais les muficiens ne la voient point, & j'ofe prédire hardiment qu'ils ne verront jamais rien de tout ce qui pourroit tendre  SUR Vft MUSIQ.UE M3BÏKNE. SfJl ft corriger les défauts dë leur'art. Elle n'avoit pas échappé ft M. Sauveur, & il n'eft pas néceffaire de métliter fur la mufique autant qu'il l'avoit fait, pour fentir combien il feroit important de ne pas laiflër aux mouvemens des différentes mefures une expreffion fi vague & de n'en pas abandonner la détermination ft des- goüts fouvent fi mauvais. L e fyftême fingulier qu'il avoit propofé, & en général tout ce qu'il a donné fur 1'acouftique, quoiqu'affez chimérique felon fes vues, ne laiffoit pas de renfermer d'excellentes chofes qu'on auroit bien fu mettre ft profit dans tout autre art. Rien n'auroit été plus avantageux , par exemple, que 1'ufrigede fon Echometre général, pour déterminer précife'ment la durée des mefures & des tems, & cela, par la piatique du monde la plus aifée, il n'auroit été queftion que de fixer fur une mefure connue, la Icngueur du pendule fimple, qui auroi* fait un tel nombre jufte de vibrations pendant un tems, ou une mefure d'un-mouvement de telle efpece. Un feul chiffre mis au commencement d'un air auroit exprimé tout cela, & par fon moyen on auroit pu déterminer le mouvement avec autant de précifion que 1'auteur même. Le pendule n'auroit été néceffaire que pour prendre une fois 1'idée de chaque mouvement: sprés quoi, cette idéé étant réveillée dans d'autres airs par les chiffres qui 1'auroient fait naltre, & par les airs mêmes qu'on y auroit déja chantés, une habitude affurée, acquife M 3  202 DlSSERTATION par une pratique auffi exaéte, auroit bientót tenu lieu de regie & rendu Ie pendule inutile. Mais ces avantages mêmes qui devenoient de vrais inconvéniens, par la faciliié qu'ils auroient donnée aux commencans de fe paffer de maitres & de fe former le goüt par eux-mêmes, ont peutêtre été caufe que le projet n'a point été admis dans la pratique; il femble que li 1'on propofoit de rendre 1'art plus difficile, il y auroit des raifons pour être plulót écouté. Qüoi qu'il en foit, en attendant que 1'approbation du public me mette en droit de m'étendre davantage fur les inoyens qu'il y auroit a prendie pour faciliter 1'intelligence des mouvemens, de même que celle de bien d'autres parties de la mufique, fur lefquelles j'ai des remarques a propofjr, je puis me borner ici aux expreffions de la méthode or in .ire, qui par des mots mis au commencen ent de chaque air en indiquent pflcz bien le mouvement. Ces mots, bien choifis, doivent, je crois, éédo nmager & au-dela de ces doublés chiffres & de toutes ces différentes mefures qui, malgié leur nombre, laiifent le mouvement indéterminé & n'apprennent rien aux écoliers ; ainfi , en adoptant feulement le 2 & le 3 pour les fignes de la mefure, j'óte la confufiondes caraéïeres, fans altérer la variété de fexpreffion. Revenons ft notre projet. On fait combien de figures étrangeres font tmployées dans la mufique pour exprimer les filences; il y en a autant que de  SUR tA MUSIÖ.UE MODERNE. 263 différentes valeurs, & par conféquent autant que de figures différentes dans les notes relatives: on eft même contraint de les employer ft proponion en plus grande quantité, paree qu'il n'a pas plu ft leurs inventeurs d'admettre le point après les filences de la même maniere & au même ufage qu'aptès les notes, & qu'ils ont mieux aimé multiplier des foupirs, des demi foupirs, des quarts-de-fo«pirs ft la file les uns des autres, que d'étabür entre des fignes relatifs une analogie fi naturelle. Mais, comme dans ma méthode il n'efl point néceffaire -de . donner des figures particulieres aux notes pour en déterminer la valeur, on y eft auffi difpenfé de la même précaution pour les filences, «Si un feul figne futSt pour les exprimer tous fans confufion & fans équivoque. II paroit aflez indifférent dans cette unité de figure de choifir tel caraétere qu'on voudra pour 1'employer ft cet ufage. Le zéro a cependant quelque chofe de fi convenable ft cet effet , tant par 1'idée de privation qu'il porte communément avec lui, que par fa qualité de chiffre, & furtout par la fimplicité de fa figure, que j'ai cru devoir le préférer. Je 1'employerai donc de la même maniere & dans le même fens par rapport ft la valeur, que les notes ordinaires, c'eft-ft-dire, que les chiffres i, 2, 3 , &c. & les regies que j'ai établies ft 1'égard des notes étant toutes applicables ft leurs filences relatifs, il s'enfuit que le zéro, par fa feule pofition & par les points qui le peuvent fuivre, lefquels alors exprimeronc des filences, M 4  26*4 DlSSERTATION fuffit feul, pour remplacer toutes les paufes, foupirs, demi-foupirs & autres fignes bizarres & fuperfius cjui rempliilent Ia mufique ordinaire. Exemple tiré des legons de M. Monteclair. F* ^AAl>W5>S\7>5\i\'°Y,5\i,°7\ dó"505| 4, 0321)7,0 12 3| 43, s '1 | 1. Les chiffres 4 & 2 placés ici fur des zéro, marquent le nombre de mefures que 1'ou doit palfer en filence. Tels font les principes généraux d'oü découlent les regies pour toutes fortes d'expreffions imagirables, fans qu'il puiffe naitre ft cet égard aucune dilficulté qui n'ait été prévue & qui ne foit réfolue en conféquence de quelqu'un de ces principes. Je finirai par quelques obfervations qui naiffent du parallele des deux fyftêmes. Les notes de Ia mufique ordinaire font-elles plus ou moins avantageufes que les chiffres qu'on leur fubftitue ? C'eft proprement le fond de la queftion. I l eft clair, d'abord, que les notes varient plus par leur feule pofition, que mes chiffres par leur figure & par leur pofition tout enfemble; qu'outre cela, il y en a de fept figures différentes, autant que j'admets de chiffres pour les exprimer; que les notes n'ont de (ignification & de force que par le fe-  SOK Ï.A MÜSI^ÜE MODERNE. 2CT5 fecours de Ia clef: & que les variations des clefs donnent un grand nombre de fens tout différens aux notes pofées de la méme maniere. 1 l n'eft pas moins évident que les rapports des notes & les intervalles de 1'une a 1'autre n'ont rien dans leur expreffion par la mufique ordinaire qui en> indique le genre, & qu'ils font exprimés par des pofitions difliciles è retenir & dont la connoiffance dépend uniquement de 1'habitude & d'une trés longue habitude: car quelle prife peut avoir fefprit pour faifir jufte & du premier coup-d'ceil un intervalle de fixte, de neuvieme, dedixieme dans la mufique ordinaire, a moins que Ia coutume n'ait familiarifé les yeux a lire tout d'un coup ces intervalles ? N'est-CEpas un défaut terrible dans la mufique de ne pouvoir rien conferver, dans fexpreffion des odaves, de 1'analogie qu'elles ont entr'elles ? Les oftaves ne font que les repliques des mémes fons; cependant ces repliques fe préfentent fous des expreffions abfolument différentes de celles de leur premier terme. Tout eft brouillé dans la pofition a la diftance d'une feule oftave, la replique d'une note qui étoit fur une ligne fe trouve dans ua efpace, celle qui étoit dans 1'efpace a fa replique fur une ligne; montez-vous ou defcendez-vous de deux oftaves? Autre différence toute contra re a la première: alors les repliques font placées-furdes lignes ou dans des efpaces comme leurs premiers termes; ainfi la difficulté augmente en changeant d'objets, & 1'on a'eft jamais afluré de connoltre au M S  26(5 DlS SER TAT I O s jufte 1'efpece d'un intervalle traverfé par un fi grand nombre de 1 gnes; de forte qu'il faut fe faire d'octave en oftave des regies particulieres qui ne finiffent point & qui font de f étude des intervalles, le te.me effrayant & trés - raremem atteint de la fcience du m ficien. De u cet autre défaut prefque aulïï nuifible, de ne pouvoir diflinguer 1'intervalle fimple dans l'intervalle redoubié ; vous voyez une note pofée entre la première & la feconde ligne , & une autre note pofée fur la feptietne ligne •, pour connoitre leur intervalle vous décomptez de 1'une a 1'autre, & après une longue & ennuyeufe opération , vous trouvez une douzieme; or, comme on voit aifément qu'elle paffe 1'oftave, il faut recommeneer une feconde recherche pour s'affurer enfin que c'elt une quinte redoubiée; encore pour déterminer lVpece de cette quinte faut il bien faire attention aux fignes de la clef, qui peuvent la rendre jufie ou faufie, fuivant leur nombre & letr pofi ion. J e fais que les muficiens fe font communément des regies plus abrégées pour fe faciliter 1'habitude & la conno ffance des intervalles: mais ces regies mêmes prouvtnt le défaut des fignes, en ce qu'il laut toujours compter les lignes des yeux, & en ce qu'on elt contiaint de fixer fon imagination tl oftave en oftave pour fauter de - la a l'intervalle luivant, ce qui s'appelle fuppiéer de génie au TÏC« de fexpreffion.  SUR LA MUSiqUE MODERNE. 267 D'ailleurs, quand a force de pratique cm viendroit a bout de lire aifément tous Jes genres d'imervalles , de quoi vons fervira ceite connoiffance, tant que voos n'aurez point de regie sifurée pour en diflinguer 1'efpece? Les tiercés & les iixtes majeures & mineures, les quintes & les quartes diminuées & fuperfiues, &, en général, tous les intervalles de mème nom, juftes ou altérés, font esprimés par la même pofition indépendamment de leur qualité; ce qui fait que fuivant les différentes fituations des deux demi-tons de 1'oflave, qui changent de place a chaque ton & a chaque clef, les intervalles changent auffi de qualité fans chanj'er de nom ni de pofition ; de-la i'incertitude fur 1'intonaiion & 1'inutilité de 1'habitude dans les cas oü eile feroit la plus néceffaire. L a méthode qu'on a adoptée pour les inftrumens, eft vifiblement une dépendance de ces défauts , & le rapport direft qu'il a fallu établir entre les touches de rinftrumetu & la pofition des notes, n'eft qu'un méchant pis ■ aller pour fuppléer a la fcience des intervalles cc des relations toniques, fans laquelle on ne fauroit jamais éire qu'un mauvais muficien. ' Quelle doit étre la grande attention du mufi- * cien dans 1'exécution? C'eft, fans doute, d'entrer dans fefprit du compofiteur & de s'approprier fes idéés pour les rendre avec toute la fidéiité qu'exige le goüt de la piece. Or, 1'idée du compofiteur daas le choix des fons, eft toujours relative a la M 6  &6è DlSÏER t1tioh tonique, &, par exemple, il n'employera point le fa diefe comme une telle touche du clavier, mais comme faifant un tel accord, ou un tel intervalle avec fa fondamentale. Je dis donc que fi le muficien confidere les fons par les mêmes rapports, il fera fes mêmes intervalles plus exacts, & exécutera avec plus de juftelfe qu'en rendant feulement les fons les ons après les autres, fans liaifon & fans dépendance que celle de la pofuion des notes qui font devant fes yeux, & de ces foules de diefes & de bémols qu'il faut qu'il ait inceffarameiit préfens a fefprit; bien entendu qu'il obfervera toujours les modifications particulieres a chaque ton , qui font, comme je 1'ai déja dit, 1'effet du tempérament, & dont la connoiffance pratique , indépendante de tout fyftême.. ne peut s'acquérir que par 1'oreille & par fhabitude. Quand onprend une foisun mauvaisprincipe, on s'enfile d'inconvéniens en inconvéniens, & fou« vent on voit évanouir les avantages mêmes qu'on s'étoit propofés. C'eft ce qui airive dans la pratique de la mufique inftrumentale; les "difficultés s'y préfentent en foule. La quantité de pofitions diffétentes, de diefes, de bémols, de changemens de clefs, y font des obftacles éteruels au progrès des muficiens; & après tout cela, il faut encore perdre, la moitié du tems, cet avantage fi vanté du rapport direct de la touche è la note, puifqu'il airive cent fois pa» ia force des fignes d'altération fimples ou redoublés, que les mêmes notes deviea*  8 vu la musique moderne. 2£ nent relatives ft des touches toutes différentes de ce qu'elles rtptéfentent, comme on 1'a pu remarquer ci • devant. Voulez-vous pour la commodité des voix, tranfpofer la piece un demi-ton, ou un ton plus haut ou plus bas? voulez-vous préfenter ft ce fymphonifte de la mufique notée fur une clef étrangere ft fon infirument ? le voila embarraffé & fouvent arrèté tout court, fi la mufique eft un peu uavaillée. Je crois, a la vérité, que les grands muficiens ne feront pas dans le cas; mais je crois auffi que les grands muficiens ne le font pas devenus fans peine & c'eft cette peine qu'il s'agit d'abréger. Paree qu'il ne fera pas tout-ft - fait impoffible d'arriver ft la perfection par la route ordinaire, s'enfuitil qu'il n'en foit point de plus facile? Suvposons que je veuille tranfpofer & exécuter en B fa fi, une piece notée en C fol ut, ft la clef de fd, fur la première ligne: voici tout ce que j'ai ft faire; je quitte 1'idée de la clef de fol, & je lui fubftitue celle de la clef d'ut, fur la troifieme ligne: enfuite j'y ajoute les idéés des cinq diefes pofés, le premier fur le fa , le fecond fur Vut, le troifieme fur le fol, le quatrieme fur le re, & le cinquieme fur le la; ft tout cela je joins enfin 1'idée d'une oétave au-deflus de cette clef d'ut, & il faut que je tetienne continuellement toute cette complication d'idées pour 1'appliquer ft chaque note, fans quoi me voilft ft tout inftant hors de ton. Qu'on juge de la faoilité de tout ceU l M 7  Ü70 DlSSERTATION Les chiffres employés de la maniere que je lê propofe, produifent des elfets abfolument différent. Leur force eft en eux-mêmes & indépendante de tout autre fignc. Leurs rapports font conntis par la feule infpeétion & fans que fhabitude ait a y entrer pour rien ; l'intervalle fimple eft toujours évident dans l'intervalle redoubié: une lecon d'un quart- d'heure doit mettre toute perfonne eu état de folfier, ou du moins de nommer les notes dans quelque mufique qu'on lui préfente; un autre quartd'heure fuffit pour luiapprendre a nommer de même & lans héfiter tout intervalle poflible , ce qui dépend , comme je 1'ai déja dit, de la coiinoilfance difiinéte de trois intervalles, de leursrenverfemens, & réciproquement du renverfement de ceux-ci, qui revient aux premiers. Or, il me femble que fhabitude doit fe former bien plus aifément, quand fefprit en a fait la moitié de 1'ouvrage, éi qu'il n'a luimême plus rien a faire. Non-seulemekt les intervalles font canons par leur genre dans mon fyftême, mais ils le font encore par leur efpece. Les tiercés & les fixtes font majeures ou mineures, vous en faites la diftinction fans pouvoir vous y tromper; rien n'eft fi aifé que de favoir une fois que l'intervalle 24 eft une tiercé mineure ; f intervalle 24, une fixte majeute; l'intervalle 31, une fixte mineure ; l'intervalle 31 , une tiercé majeure, &c. les quartes & les tiercés, les fecondes, les quintes & les feptiemes, jufles, diminuées ou fuperflues, ne coutent pas plus a  SUR LA MUS1QUE MODERNE. O? I connoitre; les fignes sccidentels embarraffent encora moins & l'intervalle naturel étant connu, il eft fi facile de déterminer ce même intervalle, altéré par un diefe ou par un bémol, par 1'un & fautre tout a la fois, ou par deux d'une même efpece, que ce feroit prolonger le diieours inuiilement que d'entrer dans ce détail. Appliquez ma méihode aux inftruraens, les avantages en feront frappans. II n'eft queftion que d'apprendre ft former les fept fons de la gamme naturelle , & leurs différentes oftaves fur un ut fondamental, pris fucceffivement fur les douze cordes (*) de 1'échelle; ou plutót, il n'eft queftion que de favoir fur un fon donné, trouver une quinte, une quatte, une tiercé majeure, &c. & les oftaves de tout cela, c'eft - ft - dire, de poiféder les connoiffances qui doivent être le moins ignorées des muficiens, dans quelque fyftême que ce foit. Après ces préliminaires fi facties ft acquérir & fi propres ft former 1'oreille, quelques mois donnés ft 1'habitude de la mefure, mettent tout tl'un coup fécolier en état d'exécuter ft livre ouveit: mais d'une exécu- (*} lc dis ks douze con'es, pour n'omettre aucune des difficultés noffibles, puifqu'on pourroit (e contenter aes lep: cordes naturelles, & qu'il eft rare qu on érabhfle la londainènule d'ua ton lilt un des cinq fans altérés. exceptéV, Deut-ênè le fi bémol. 11 eft vrai qu'on y paivit-nt aüea tréuueminent par la fuite de la raodulation! mais alors, SS aitchaWé de ton, la mfme fondamentale fui.fiaé tlujours & le Cfiaagemem eft aiasné pu des altenuoui particuliere*  27* DlSSEETAIIOjl tion incomparablement plus intelligente & plus fére que celle de nos fymphoniftes ordinaires. Toutes les clefs lui feront également farailieres ; tous les tons auront pour lui la même facilité, & s'il s'y trouve quelque différence, elle ne dépendra jamais que de la difficulté particuliere de 1'intlrument & non d'une confufion de diefes, de bémols & da pofitions différentes , fi facheufes pour ïes comEiencans. Ajoutez a cela une connoiffance parfaite des tons de toute la moduladon, fuite néceflairedes principes de ma méthode, & furtout 1'univerfalité des fignes qu. rend avec les mêmes notes les mêmes airs dans tous les tons par le changement d'un feul caraétere; d'oü réfulte une facilité de tranfpofer un air en tout autre ton, égale a celle de 1'exécuter dans celui oü il eft noté; voilé ce que faura en trés-peu de tems un fymphoniiïe formépar ma méthode. Toute jeune perfonne avec les talens & les d.Tpofitions ordinai. ïes, & qui ne connoitroit pas une note de mufique doit, conduite par ma méthode , être en état d'accompagner du clavecin, a livre ouvert, toute mufique qui ne paffera pas en difficulté celle de nos opéra, au bout de huit mois, & au bout de dis celle de uos cantates. ' Git, fi dans un fi court efpace on peut enfeigner a la fots affez de mufique & d'accompagnement pour exécuter a livre ouvert, a plus fone raifon un rnaiire de flüte ou de violon, qui n'aura que la aote a joindre a la pratique de 1'infirumeat, pourta.  sur la. musique moderne. 2.73 t-il former un éleve dans le même tems pat les mêmes principes. ] k ne dis rien du chant en particulier, paree qu'il ne me paroit pas poffible de difputer la frpériotité de mon fyftême 4 cet égard & que j'ai fut ee point des exemples ft donner plus forts & plus convaincans que tous les raifonnemens. Après tous les avantages dont je viens de parler, il eft permis de compter pour quelque chofe le peu de volume qu'occupent mes caraaeres, comparé ft Ia diffufion de 1'autre mufique , & la facilité de noter fans tout cet embarras de papier rayé, ou les cinq lignes de la portée ne fuffifant prefque jamais, il en faut ajouter d'autres ft tout moment, qui fe rencontrent quelquefois avec les portées voifines ou fe mêlent avec les paroles, & caufent une cor.f.fion ft laquelle ma mufique ne feta jamais expofée. Sans vouloir en établir leprix fur cet avantage, ilne laiiTé pas cependant d'avoir une infiueuce. ft mériter de 1'attention ; combien fera -t-il commode d'entretenir des correfpondances de mufique, faas auomenter le volume des lettres? Quel embanas n'évitera-fon point dans les fymphonies & dans les partitions, de toureer la feuille a tout moment?. Et quelle relTource d'amufement n'aura-t-on pas de pouvoir porter fur fol des livres & des recueils de mufique, comme on en porte de belles-lettres fins fe furcharger par un poids ou par un volume, embasiafiant; & d'avoir, par exemple, ft f opéra un extrait de la mufique joint aux parules, ptellLue  £>7 n w v> n .. kï » . ~~ „ * " " I. - W*2.C 'w 5 " n 5 -v, jjf - 5 ~; O, r. " r. Oi t*> _ - ~z •» |:: • ë « u ö * § — g — ? i - ? > L s- "* ^" - • s * " I 2 - - ~g - 2 —-I „ g ïv,h: „ < " * £ ^ 2 Ol O w O Nj — _ • w • -a „ ?r E w -sr1 p. ? °* s - 5 r v carillon  Z?3 DlSSEflTATION a » ►« sj Cu ' I 5? S • • l.l o , (I , , — t-H h-H •ni s> t» - - ^ § P «• 3 » o. O . £ & w re 0  SUU LA MUSJQl'E MODEIISE. 270 «« v' 3 o" ƒ : w *s x^>3 "jj>- o on >-« : - : - - - - - ^ • : ■sj ; .nj 5" » 5" _ » »n* . « H. K »- 3 /_. : - : : : l et • • » . ^ ; ; • *m & : °3 • • • • : w. - ,, ï' | * : « : : • !? * j v» • • ° . CU ; • • c\ «° w • m . ; u ; ,H —-. j l 1 „• **o\ r *J « sl * \J t ■>» sl ° o oa • 5? ai 3 § ^ 3 03 & CfX & „ _, - »-t ~ ' 1 . r-t t> «■ J » (O » ^ »-» f—I • •—I »""  DlSSEllTATÏON cr e- cu tr na, o » » 3 *j *j vj _ _ • tf £- Ou O» Q* t—i • O 03 O _ _ 3 _ B" CO & Ut & 3^^^," • O-é 2 w 5:W & 3 3 3 I — —< — 3 3 _ 3 p- Q_ O. 3 «$ «« - - -v " 3 3 3 Ou — O- 4a. O- ö 3 w 2 oa 2 %* vt s» Cu _ « 5' f-t a Cauipa  . p 5 " 10 ' ° W £ ^ £ J - ■* U "g !A 'S o *^ ! p '. ( ! , ,—1 ■ o s» ' 10 oj g, <-n g» ■ - ©v - •. m ^ •5» r" p • • c-s g es» tn jij . . •—j . — „ "' ' • Cs 3 * . „ . s. • » w wtj:>taON,S l3 O 4^. O S' 5'- _ "» ^ B T ^ „ tO _ b • S lo ï1 ï1 Supplêm. Torn. f7. N SBK. LA MUSIQUE MODERNE. s8l  S?2 Dl SSERTATION «* •'» ' • ' • O "v| 3 (o g ." £, ! _u" " * C\ & M & ~- ! . . . i -h ~? B B Ul • co • Ol • ft, Cu Cu K> • -i* • CO §• C\ 3 w«3 • M * co * 3 - ^ * ; •;.' ^. t'» t -T " H' • w • w g'-N 3 10 3 3 U P ^ —• . •—< . ON g- g' W» ' . *> . 4». —i — ~ . * . - . wr ft* ^ ft -Ni §- 4*. . . CO . ~ 3 3 v» 3 «* • ~ • co ^ ~. ^ 0;>- S3 <-v <-A _ «-t t-i ON.-cA-M«-3«gwo *t s • • » s t0 2 . *ï* . _ » _ . ~ co ~ 13 * ° " • V) n K> ff -ü. 5  SUR LA MUSIQUE MODERNE. C$3 »V !'•-». I £| r. : ? : —< ?r . .-xj . p . | es | - • § * • OS * « ; 'j.r • -xj ■ ».« • ■** §■ o i° | ". D. °» • CA • « • ' Cu g* w » ~ s. «S^a ° >ON 5 ^ s m w , ^ *~' "* ^ Cu Cu c . , cu p fe o « 5' 5' fc/w Si ,, 3 On 3 w » o. &. ••xj 9; " fe _, fe oj 5" 5' 51 on = ^ 3 «-1 ^ fe fe *cn o w'3 cn S ;-3 CU _ Cu Cu -xj fe p fe a 3 3 • ^ M . Cu <_Q Cu w §* w 3 p 3 Cv fe - f N 2  2°4 DlSSERTATION Cd C/5 tei & M > °" n °- • a- ^ 8 g F> a ,_ er» g W § ° °i S" f * ' C/2 - - Ir. ^ -^i* r 3 ; -* _ ï & - ~ G CO .- •*>  SUR LA M USIQ.UE MODERNE. 285 .Cis ^ p I* : . WI Ij- >Vl pp xj en w 0 ^ " ItA • ca o ~ lw ^ ° * w. «S» cn ,ca l|w p ^ . ca i o\ »-< • xl jen "» m m p . ca ca * P' I' ^ - ' * ^ *■ G\l ■ x OV - , s. ca. ca —' — j ca —. co.oi pxca % cn I y. co I « .1*1,.,! wl '•*■>* r ''ca ca *x w • - - cn -v, 00 CO ^ —> N h en p • • co . . ,o\ en '[A -en « co| I4" - - «ca j ^1 4^ p N p <* °_ - ~* t y» . t/i x . 00 **S ril «>te > g N 3  S8fj DlSSEKTATlQS °" ° "^ï^^^ST mm^r^mm^£ *"^™^31"* ^ ~ 3 OO *. W .CA Or» * fc «A CA M ' njca's. W V. . « o iCA Os . xp vX( D w 'w °» • ca — CA ; « II M -N, 4, on " - : - p. cn : : : C |ï - ; ^ Nt *V . |w * CN <* . 'LH - 1 - - ~ x « x », *»« ca =3 m* ca on |-o\ g £ «. ||S ^ Z  gUU LA MUSIQUE moderns» üt? mSmm^rmm "n^m—*^ q- ° *m — - • v -»* - - - - - S Ico • "^l . -I W « 8" . <-r> 1 OO * _ . 1-1 . « f 10 x* Os J> Ht w I ^ CA s b - a — O '00 «■ os 1 j^j g ui w w j 3- K j  DlSSERTATION • * I : * f ^ 3. rs ~* '. —. —_ es °* si ° - : f-&f ^ . % f 'cu . rx n !- ■ « s, v* J"^ J^, *a ! vo'if 13 I■ ^ll— — — CA . . _ ^ 1 ^» x » g I } ^ • 011 <*.» „. 2. " ' ^ Os \ * I, S 0\X K> . ia .M'. ° w e' • . ° * N} , — — g. - ,CA (J • . xj | ' c, ,v» • ° e w .I'ca . . .ca'' ca . »• a • --j 4,  ' SUR LA MUSIQUE MODBRNE. 01 g on *ca 2Xfel o CO ^ >& . . ^ o ^' o, o * * r : -l0 co -ri> ~ o, . 1 ^ M U..O\ C * rt . —I •-,^» _ Cft *«*' '5 »? 1-. o Uil -1 ^ < « " • ' * T-<- 33 1°* §. w»l p ; | o • ^> fc> • 'tof CO | " t "XJ ,*xl I p " I t>> en 0- ^ v» CO * « ' ^ ~ £ o ~ - ■ ~ . • " «ia 1 to. t,. :? ► CU * * ? ' " ' «l-N £ - os - ° - - • r~ co ,w -"• oi M. ju p On " . 1-1 co * - *N ISI s  *B I SS E R T ATI 0 H ^^CS*1'°^ ^m^^um %rrmama7F ■■ *" 0\ re» - « « '■ÏS'"" "y ii ii in ij |' • 5 r». Cu ^ « O r's^ i •; . . On • ON 3 • OnI - 1 ON* ^ to l3..S*,l-.-.ai_< cji « - .g- " On .' O re CA ^'-U, ^ . • | * ^ I CA ,3 . „ . — — m _ » I " p Ü * „ XW • CA *N| . CA I P # I CA Cu p w *■«• ►+[ re • ■ •r* * to. © o — :- - ^. -IJ " ■ - »ë * tO « • 2. •IO*C —l — . _ CA . re .«^ CO ~ o ;* « R°.v»x, CA . —< _ g> . ^ . N) ■ 1 *S * - ~ »b s ^ o\- y1 r» ^ s.o,-. * - Cu v. I Ov Os • ♦ NI ♦ ON w o • w. K' CA CN jNï'g.o,  SUR LA MUSIQÜE MODERNE. 201 6tT"o o er o p/ p cr ^ cr ^. lo g> CA S'^ . • CnxCO g M ~. 3 'CA I T, 1 . o\ . * -t-> Oca ^ " b - 1 , 4» ' _ _ t-r -o* Cn g Cft» O w « >i co ca re ° . - . co • ^ 8 wl co ca . co ° lCO 3 • • . - I p O ^ c\ . co l cn - ~ cn ; " v p • _ —I —< —1 CA " -re co Ir w co - Cx*^ re V> 1 to * cn l M. ca * ' - - . . co I »• 0 r • H ~ *,: Z »■ b x _ f *"1 —i . .-njX jj. Cn "I 13 g ca 1 x,: r ~ ^ ~ - O Cn . l co p to ' -2 2 : - , >-l M CA , • ■—I b «3 * £■ p » X * | K> • - I CA ? p»| ° co | w. * i—i <—>•—< •  292 DlSSERTATIOJi cr o .. P- er o ""TTT!" cr^^"™:^ "* ? ON «. Wl ' ?, . c/i I „ e °V ' - ca I ,^ ■ ; -N i3 ; " w . w| * %»3 * X P ; . . • * P .x. " . . " • s |, - ,v\ *3 . co * M . p * , CN ^ . * ^ . - * ~ • ... • Vj " Wh ■ .. ' • ON ' v. ' „ . ■ •' ilt ? ~ - ~*4 : N ' W _ . ■*» _ — •• „ ;l ^ : 3 °* . w M w • co ° "> O . » o. • —, —f •->-:».• .v» ■ , . a co on * • r, . • *M *-| g „ g. - . _ _ „ 1 co ^ a  SUB L.A MUS.IQUE MODERNE. tfpj """^""^T""? O P O cr <"i el. v-< ,„ cn ^ ju knlj • « -en onx x-sjVisx 13 " CA «- . • „cn. . 'ca >- . o. w I •y - Ij j. 4-1 Cn ' " _ ~:_ - : _ -I : - s> - -— - . .-x» cn ° |w .4> ^ j ca " I! CÏT-^ - -h ' 1 4> ' C\ y o "*"" 4* - 'ca ■ w Wl , .4- •CA 'CA ^ l -il . —< —1 'CO H CO „ fcd A CA p S * W _ x — • ^ r .• >h - - jg * CA JU - „ ^ ^ N 7  5p4 DlSSERTATIO». •é^ tt' _,. T ,0s C\ |" - " ^| w » co • - w.. ^ cs • - 1 Os • .CA u ^ S (xos - co.; r' « eg ca • Os w . co • ■ « y ». •m o» s -o ~ „ ; 2? ' * ^ | |w w| ;.ov ; co u ^ » — , . nj - y c w' w S w . - *- * co' ro »-, _ •• _ co • • • ?f * co • ih • o cry * ^l!-^ tr-$ » « » O,- -* » _ O .ON a CO .CA -.CA. . • 0\ U -  SUR LA MUSICUS MODERNE. 20? y • o • Ln - Ê' **s O o " co c u co CO £Q ■—> r~' ' ' v • £ Q -ü. v. 10. on \ >. \ w a y o ° ■£1» J ° a _ - «S-^ I" * • r os * ■vj 1- Ju, y y ^ on *** &cn « ^ CO X 1 <, v, 0\ —' ^ „ —^ * -r* r• | CO „. g. -fu S W> _ co cn o —1 ■—1 r-1 r-.- C — ^ j> x» n> CS  E S S A I SUR V ORIGINE DES LANGUE S, Oü il eft parlé de la Mélodie & de Tlmfr tation Mufieale. , Chapitke I. Des divers moyens de communiquer ms penfées. La parole diftingue 1'homme entre les animaux: le langage diftingue les nations entr'elles ; on ne connoit d'oü eft un homme qu'aprês qu'il a parlé. L'ufage & le befoin font apprendre a chacun la kngue.defon pays;mais qu'eft-ce qui fait que cette langue eft celle de fon pays & non pas d'un autre? II faut bien remonter, pour le dire, a quelque raifon qui tientre au local & qui foit antérieure aux moeurs mêmes: Ia parole étant la première in. flitution fociale ne doit fa forme qu'a des caufes narurelles. Sn ót qu'un homme fut reconnu par un autre pour un étre fentant, penfant & femblable a lui, le defir ou le befoin de lui communiquer fes fentimees & fes penfées,lui en fit chercherles moyens. Ces moyens ne peuvent fe tirer que des fens, les  Èssaj sus l'Originf. des Langues. 297 feuls inftrumens par lefquels un homme puifle agir fur un autre. Voilh donc 1'inftitution des fignes fenfibles pour exprimer la penfée. Les inventeurs du langage ne firent pas ce raifonnement , maïs finflio® leur en fuggéra la conféquence. Lks moyens généraux , par lefquels nous poule-ons agir fur les fens d'autrui, fe bornent a deux , j'avoir, ie mouvement & la. voix. L'adion du joouvemesu eft immédiate par le toucher,011 médiate par lq gefte; la première ayant pour terme la Ionguem du bras, ne peut fe tranfinetire a diftance, mais 1'autre atteint aufli loin que le rayon vifuel. Ainfi reftent feulement la vue & 1'ouïe pour prga» nes pafïïfs du langage entre des hommes difpeifés. Quoique la langue du geile ■& celle de Ia yuix foient également naturelles , touttfois la première eft plus facile & dépc-nd moins des conventions: ear plus d'objets frappent nos yeux que nos oreilles, & les figures ont plus de variété que les fons; elles font auffi plus expreffives & difent plus en moins de tems. L'anaour, dit on , fut 1'inventeur du deflein. 11 put inventer auffi la parole, mais moins heureufement. Peu content d'elle, il la dédaigne, il a des manieres plus vives.de s'exprimer. Qua celle qui trscoit avec tant de plaifir 1'ombre de fon amant, lui difoit de chofes! Quels fons eüt - elle employés pour rendre ce mouvement de baguette? Nos geftes ne fignifient rien que notre inquiétude naturelle; ce n'eft pas de ceux-la que je  20$ ESSAI SUR L* ORIGINE veux parler. II n'y a que les Européens qui gefliculent en parlant: on diroit que touce la force de leur langue eft dans leurs bras; ils y ajoutent encore celle des pouinons & tout cela ne leur fert de gueres. Quand un Franc s'eft bien démené, s'eft bien tourmenté le corps adire beaucoup de paroles, un Turc óte un moment la pipe de fa bouche, dit deux mots a demi. voix & 1'écrafe d'une fentence. Depuis que nous avons appris a gefticuler, nous avons oublié 1'art des pantomimes ; par la même raifon qu'avec beaucoup de belles grammaires nous n'entendons plus les fymboles des Egypiiens. Ce que les anciens difoient le plus vivement, ils ne 1'exprimoient pas par des mots , mais par des fignes; ils ne le difoient pas, ils le montroient. Ouvkez fhiftoire ancieune, vous la trouverez pleine de ces manieres d'argumenter aux yeux, & jamais elles ne manquent de produire un effet plus afluré que tous les difcours qu'on auroit pu mettre a la place. L'objet offert avant de parler, ébranle f imagination , excite la curiofiié, tient 1'efprit en fufpens & dans 1'attente de ce qu'on va dire. J'ai remarqué que les Italiens & les Provencaux, ches qui pour 1'ordinaire le gefte précede le difcours, trouvent ainfi le moyen de fe faire mieux écouter & même avec plus de plaifir. Mais le langage le plus énergique eft celui oü le figne a tout dit avant qu'on parle. Tarquin, Trafibule abattant les tétes des pavots; Alexandre appliquant fon cachet fur la-  des LaNGUES- 299 bouche de fon favori; Diogene fe promenant devant Zénon, ne parloient ils pas mieux qu'avec des mots? Quel circuit de paroles eüt auffi bien exprimé les mêmes idéés? Darius engagé dans la Scythie avec fon armée , regoit de la part du Roi des Scythes une grenouille, un oifeau, une fouris & cinq fleches: le héraut remet fon préfent en filence & part. Cette terrible harangue fut entendue, & Darius n'eut plus gtande haie que de regagner fon pays comme il put. Subftituez une lettre a ces fignes, plus ellefera menaeante, moins elle effiayera ; ce ne fera plus qu'une gafconade, dont Darius n'auroit fait que rire. Quand le Lévite d'Ephraïm voulut venger lamort de fa femme, il n'écrivit point aux tribus d'Ifraè'1; il divifa le corps en douze pieces & les leur envoya. A cet horrible afpeft, ils courent aux, armes, en criant tout d'une voix : non, jamais rien de tel n'eft arrivé dans Ifraël, depuis le jour que nos peres fortirent dEgyple jufqu'a ce jour.. Et la nibu de Benjamin fut exterminée (*). De nos jours 1'affaire tournée en plaidoyers, en difcuffions, peut-être en plaifanteries, eüt trainé en Jongueur & le plus horrible des crimes fut enfin demeuré impuni. Le Roi Saül, revenant du labourage dépéca de même les bceufs de fa charruë & ufa d'un fïgne lemblable pour faire marcher Ifraël au fecours de la ville de Jabès. Les Prophetes desJuifa, les Légifiateurs des Grecs offrant fouvent au f O H n'en refta que üx cents bomraes, fans femmes ni enfans.  K— éi ttri L"Oiie:iE ■ ~ - . _ rir : ~: ~ - ~ rr :r r i ; e_7>- . : 7- -5 ---- . h - =: L-'::r» u ™c éta?«etee««BBe, dar felst x*ct ps kAb nes ha n-TOL Araiirapfc set 7«m bies n ^ UU-*J: * »'T» jfiHmi, «■ ae Gme * wéns» da J^sewt #Haace s cet égrd. O» «es - - — "--•-n = r-5 . - j rz 7 " ---^ e ?-= :'^2,ïf, zz - -5 ; :-: 7 -~—~i -i ;5_: _^ L~-"r:" 5 -- - ~zzi 1 cc:r-: :r- r = . ~,re - = i - rï 2 — *:rt-: —-—-i. : z z'zi f: " • -" - r-; 1 - --: --. zz- ^ "f"-""= t:.5 ^ z _:_ i-2 «■aai pïesrsr; kas W le km de «■ e: r . ^ z z= z< ~zzj in trss. Ce a'z* «aaM «ne ks fca— de i^mé i»it«tfa ^'j. n Teli i—ii— r~— — r-- -■ 7^ c . .  PEiLASCDtS. 1| Icix, choiür oei efceffs u-vexer ces sis, curs-ii teksns oè ex» Jagac eft c« b&ec  302 Essai sur 1,'Origine oriëntale il travers ïes harems les mieux gardés. Les muets du Grand Seigneur s'enrendent entr'eux & entendent ibut ce qu'on leur dit par fignes, tout aufli-bien qu'on peut le dire par Ie difcours. Le Sieur Pereyre, & ceux qui, comme lui, appren. nent aux muets, non■ feulement a parler, mais a favoir ce qu'ils difent, font bien forcés de leur apprendre auparavant une autre langue non moins compliquée, a 1'aide de laquelle ils puifleiit leur faire entendre celle-Ia. Chakuin dit qu'aux Indes les fafteurs fe prenant la main 1'uu a Fautre , & modifiant leurs attouchemens d'une maniere que perfonne ne peut appercevoir, traitent ainfi publiquement, mais en fecret, toutes leurs affaires, fans s'être dit un feul mot. Suppofez ces faéteurs aveugles , fourds & muets, ils ne s'entendront pas moins entr'eux. Ce qui montre que des deux fens par lefquels nous fommes aétifs, un feul fuffiroit pour nous former un langage. Il paroit encore par les mêmes obfervations, que 1'invention de 1'art de communiquer nos idéés, dépend moins des organes qui nous fervent a cette communication, que d'une faculté propre a Phomrne, l cta^plusde cent pour dire unglaiye, &c O 3  3'o Essai St'r l'Origine sYgalifent, on fupplée par des combinaifons grammaticales & par de nouvelles aniculatfons: mais ce n'eft qu'a force de tems que fe font ces changemens. A mefure que les befoins croifTent, que les affaires s'embrouillent, que les li.mieres s'étendent, le Iangage change de caraftere: il devient plus jufte & moins pafïïonné ; il fitbflfaie aux feminiens les idéés, il ne paile plus au cceur, mais a la raifon. Par - la-même 1'accent s'éteint,l'articulations'étend, la langue devient plus exafte, plus claire, mais plus tralnante, plus fporde & plus froide. Ce progrès me paroit tout è - fait naturel. Un autre moyen de comparer les langues & de juger de leur ancienneté, fe tire de 1'écriture, & cela en raifon inverfe de la perfection de cet art. Plus 1'écriture eft grofïïere, plus la iangue eft antique. La première maniere d'écrire n'eft pas de peindre les fons , mais les objets mêmes , foit direftcment, comme faifoient les Mexicains, foit par des figures allégcriques, comme firent autrefois les Hgyptiens. Cet état répond a la langue pafïïonnée & fuppofe déja quelque fociété & des befoins que les pafïïons ont fait naltre. La feconde maniere eft de repréfenter les mots & les propofitions par des carafteres conventionnels, ce qui ne peut fe faire que quand la langue eft tout a-fait formée & qu'un peuple entier eft ui;i par des loix con.munes; car il y a déja ici doublé conventions telle eft 1'écriture des Chinois, c'eft-la vériiablement peindre les fons & parler aux yeux.  DES LiNCDES, SI» L a troifieme eft de décompofer la voix portante » un certain nombre de parties élémentaires, foit vocales, foit articulées; avec lefquelles on puifle former tous les mots & toutes les fyllabes imaginabies Cette maniere d'écrire, qui eft la nótre, a dü etre imaginée par des peuples commercans qui, vovaseant en plufieurs pays & ayant a parler plufieurs langues, furent forcés d'inventer des caraéteres qui puffent être comrauns a toutes. Ce n'eft pas précifément peiudre la parole, c'eft 1'analyfer. Ces trois manieres d'écrire répondent aflez «aétement aux trois divers états, fous lefquels 011 peut confidérer les hommes raflemblés en nations. La peinture des objets convient aux peuples fauvages • les fignes des mots & des propofitions aux Luples barbares & 1'alphabet aux peuples policés. Il ne faut donc pas penfer que cette derniere invention foit une preuve de la haute autiquité du peuple inventeur. Au contraire , il eft probable que le peuple qui 1'a trouvée avoit en vue une communication plus facile avec d'autres peuples pariant d'autres langues, lefquels du moins étoient fes contemporains & pouvoient être plus anciens que lui. 0,i ne peut pas dire la même chofe des deux autres méthodes. J'avoue, cependant, que fi 1'on s'en tietu a 1'hiftoire & aux faits connus, 1'écriture par alphabet paroit remonter aufli haut qu'aucune autre. Muis il n'eft pas furprenant que • nous manquions de monumens des tems oü 1'oa n'éctivoit pas. O 4  312 Essai sur l'Origine Il eft peu vraifemblable que les premiers qui s'aviferent de réfoudre la parole en fignes éiémeniaires, aient fait d'abord des diviiions bien exaftes. Quand ils s'appercurent eofuite de 1'infuffifanee de* leur analyfe, les uns, comme les Grecs, rouiii, plietent les carafteres de leur alphabet, les autres fe contenterent d'en varier le fens ou le fon par des pofyions ou combinaifons différentes. Ainfi paroiffeht écrites les infcripiions des mines de Tchelroinar , dont Ghardin nous a tracé des Eftypes. On n'y diftingue que deux figures ou carafteres (*), mais de diverfes grandeurs & pofés en différens fens. Cette langue inconnue & d'une antiquité prefque effrayante, devoit pourtant étre alors bien formée, * en jugei par la perfeftion des arts qu'annoncent la beauté des carafteres (f) & les monument adou- ra- (*) Des geus s'Üonnent, dit Chardin, que deux figures puifent faire tant de lettres, mats pour moi je r.e vois pas la de quoi s'(tonner ft fort, puifque les iettrrs de notre r.lphabet, qui font au nombre de yingt-trois , ne font pourtant compoffes que de deux lignes, la droite & la circulaire, c'eft-a-dire qu'avec un C & un I on fait toutes les lettres qui compofent nos mots. CjO Ce carattcre parott fort beau & n'a rien de confus ni de barbare. L'on diroit que les lettres auroient (té dor (es; car il y cn a plufieurs & furtout des mc.jufcuhs, oh il p'groft eucori de lor, & c'eft ajfuntnent quelque chofe dadmirable £? d'inconcevable que Vair n'ait pu manger cette dorure durant tant de ftecles. Du refte, Ci n'eft pas meryeiüe qu'aucuns de  des Langues. 3'i3 rsbles oü fe trouvent ces mfcriptions. Je ne fais pourquoi 1'on parle fi peu de ces étonnantes ruines: quand j'en lis la defcription dans Chardin, je me crois tranfporté dans un autre monde. 11 me femble que tout cela donne furieufement a penfer. L'a it ï d'écrire ne tient point a celui de parler. II tient a des befoins d'une autre nature, qui naiflenc plus tót ou plus tard felon des circonftances touta-fait indépendantes de la durée des peuples , & qui pourroient n'avoir jamais eu lieu cbez des natious trés ■ anciennes. On ignore durant combien de fiecles 1'art des hyéroglypbes fut peut-étre la feule écriture des Egyptiens , & il eft prouvé qu'une telle écriture peut fuffire a un peuple policé, tous les forum du monde n'aient jamais rien comptis g celle écriture, puifqu'elle n'approche en aucune maniere d'aucun: écriture qui jolt ventte a notre connoijjance ; au lieu que toutes ksécritures connues aujaura"hui, cxceplé leChinois, ont beaucoup cCaftnitê enlr''elles £? paroifeut yenir de la même fource. Ce qu'il y a en ceci de plus msrvtttleux , eft ü"e les Guebres qui font les rejles des anciens Ver fes, & qui en confervent & perpétuent la religion , non-feulanent ne connoifent pas mieux ces carafteres que nous, mals que leurs caracleres n'y rejfemblent pas plus que les nóires. D'oii il s'enfuit, ou que c'eft un taraUere de cabale, ce qui n'eft pas vraifemblable, puifque ce caractere eft le commun & naturel de l'édifice en tous endroits, if qu'il n'y en a pas d'auires du même cifeau, ou qu'il eft a'une fi grande antiquué que nous n'oferions prefque le dire. E» effet, Chardin feroit préfumer, fur ce paffage, grave, entre IV & IV ouvert, &c. C'eft ce que chacun peut éprouver en paf. fant d'une voyelle a 1'autre par une voix continue & nuancée; car on peut fixer plus ou moins de ces nuances & les marquer par des carafteres particuliers , felon qu'a force d'habitude on s'y eft rendu plus ou moins fenfible, & cette habitude dépend des fortes óe voix ufïtdes dans le langage, auxquelles 1'organe fe forme infenfiblement. La même chofe peut fe dire è peu prés des lettres arti. culées ou confonnes. Mais la plupart des nations n'ont pas fait ainfi. Elles ont pris 1'alphabet les unes des autres, & repréfenté par les mêmes carac» teres, des voix & des aniculations trés - différentes. Ce qui fait que, quelque exacte que foit 1'orthographe , on lit toujours ridiculeraent une autre langue que la fienne, a moins qu'on n'y foit exuêmement exercé. L'é c r i i u u e , qui femble devoir fixer la langue , eft précifément ce qui 1'altere; elle n'en change pas les mots, maij le génie; elle fubftitue rior qu'wque commcmorctt, y ydut graca njeüa. Wart. Cape!. J...UI.  des Langues. 3'? l'exaftitude a 1'expreflion. L'on rend fes f.ntjniens quand on paria & fes idees quand on écrit. En écrivant on eft forcé de prendre tous les mots dans 1'acception commune; mais celui quiparle, varie les acctptions par les tons, il les détermine comme il lui plaït; moins gêné pour être clair, il donne plus a la force, & il n'eft pas poflible qu'une langue qu'on écrit, garde longtems la vivacité de ce'.le qui n'eft que parlée. On écrit les voix & non pas les fons: or dans une langue accentuée ce font les fons, les accens, les infiexions de toute efpece qui torn la plus grande énergie du langage & ren. dent une phrare, d'ailleurs commune, propre feu. lement au lieu oir elle eft. Les moyens qu'on prend pour fuppléer a celui - la , étendent, alongent la langue écrite, & pafïant des livres dans le difcours énervent la parole même (*). En difant tout comme on l'éciiroit.on ne fait plus que lire en patlant. (*) Le meilleur de ces moyens & qui n'auroit pas ce dcfaut, reroit la ponctuation, fi on 1'éöt laifiée moins imparfaite. Pourquoi, par exemple,n'avons-nous pas de point vocatif? Le point interrogant que nous avons éioit beaucoup moins ntouaires car, par la feule conftruétioii, ou voit fi 1'on interroge ou fi Ton n'interroge pas , au moins dans notre langue. Paien-vous & vous vtncz ne font pas la mime chofe. Mais comment diflinguer, par étrit , un homme qu'on nomme d'un homme qu'on appelle? C'efl-lk vraiment une équivoque qu'eüt levé le point vocatif. La même équivoque fe ttouve dans ("ironie, quand 1'accent ne la fait pas fentir. O 7  318 Essai sur l'Origine C 11 A p i t r e VI. S'il eft probable qtfHomere ait fu écrire. Qu o i qu'on nous dife de 1'invention de 1'alphabet Grec, je la ctois beaucoup plus moderne qu'on ne la fait, & je fonde principalement cette opinion fur le caractere de la langue. 11 m'eft venu bien fouvent dans fefprit dedouter non-feulement qu'Homere fut écrire, mais même qu'on écrivit de fon tems. J'ai grand regret que ce doute foit fi formellement démenti par 1'hiftoire de Bellerophon dans 1'Iliade; comme j'ai le malheur, auffi bien que le Pere Hardouin, d'être un peu obftiné dans mes paradoxes, fi j'étois moins ignorant, je ferois bien tenté d'étendre mes doutes fur cette hiftoire même & de 1'accufer d'avoir été fans beaucoup d'examen interpollée par les compilateurs d'Homere. Nonfeulement dans le refte' de 1'Iliade on voit peu de traces de cet art ; mais j'ofe avancer que toute 1'Odyffée n'eft qu'un tiflu de bêtifes & d'inepties, qu'une lettre ou deux euffent réduit en fumée; au lieu qu'on rend ce> poê'me raifonnable & même afiez bien conduit, en fuppofant que fes héros aient ignoré 1'écriture. Si 1'Iliade eüt été beaucoup moins chantée, les Rhapfodes euflent été moins recherchés & fe feroient moins multipliés. Aucun autre Poëte n'a été ainfi chanté, 11 ce n'eft Ie Taffe a Venife, encore n'eft - ce que par les Gondoliers  des Langues. 3U> qui ne font pas grands lefteurs. La diverfité des dialeftes employés par Homere forme encore un préjugé trés-fort. Les dialeftes diftingués par la parole fe rapprochent & fe confondest par 1'écriture , tout fe rapporte inrenfiblement a ua modele commun. Plus une nation lit & s'inftruit, plus fes dialeftes s'tffacent, & enfin ils ne reftent plus qu'en forme de jargon chez le peuple qui lit peu & qui n'écrit point. Or, ces deux poëmes étant poftérieurs au fiege de Troye, il n'eft gueres apparent que les Grecs qui firent ce fiege connuffent 1'écriture & que le poëte qui le chanta ne la connüt pas. Ces poëmes refterent longtems écrits, feulement dans la mémoire des hommes; ils furent raffemblés par écrit aflez tard & avec beaucoup de peine. Ce fut quaqd la Grece commenca d'abonder en livres & en poéfie écrite, que tout le charme de celle d'Homere fe fit fentir par comparairon. Les autres poëtes écnvoient, Horaere feul avoit chanté & ces chants divins n'ont ceffé d'être écoutés avec raviflement que quand 1'Europe s'eft couverte de barbares, qui fe font mêlés de juger ce qu'ils ne pouvoient fentir. Chapitre VII. De la Profodie moderne. Nous n'avons aucune idéé d'une langue fonore & harmonieufe, qui parle autant par les fons que  2*0 Essai sur l'Origine par les voix. Si 1'on croit fuppléer a 1'accent par les accens , on fe irorape ; ou n'inveme les accens que quand 1'accent eft déja. perdu (f). (t) Quelques favans prétendent, contre 1'opinion commune & contre la pretwe tirée de tous les anciens bariup «ks que les Grecs. ont connu cc pratiqué dans l'éfcrkure les figne. .Bpeltós accens, & ils fondent cette opinio,, fur deux palliges que je vais tranfcrire 1'un c* l'auue , afin que lc kcteur pu,ü"c juger de leur vrai fens. Voici le premier tiré de Cïcéron, dans Ton traité de 1 Orateur, L. III. N". 44, Ham atgkntiam fuhfeqmtur modus eiiam &> firma verborum* quoi ,am yertor ne fe* Catuh vidtatur efe puerile. Krfus emm vcte,cs HU in hac filutd oraUone proptmodum, hoe eft, numero, quofdam, nabis efe adhibendos putayerunt. luterfcranonis enim, „on defatigativüs noftr* ; neque libra. mrum nou,, fed yerborum & fenteiuiarum modö, interpunStas tmJm Tmh"ibl'S ^yoluerunc: idque Muceps IfieraUs budfapulus ejus Naueratrs} „umeris adft.ingeret. Numque hao duo, muftei, qui eram quondam iidem fioëu, ™2 ad ^"memfunt yerfum, a,que cantum „t 9 v rborum numero, & vocum modo , ^ f ZZ f""etatCm- duo, voeis dico moderationcm & poetud ad eloquemiam tradueenda duxerunt Vo,c, le fecond tiré d'Ifidore, dans fes Origine*. L. I. C. *o re TZr,k"r ******* "** ^Grimas auell in Huer* 152?^^^ t j <« , aa demonftrandum unamquamjue  des Langues, 32* II y a plus; nous croyons avoir des accens dans notre langue & nous n'en avons point: nos prétendus accens ne font que des voyelles ou des fignes de quantité;ils ne marquent aucune variété de fons. La preuve eft que ces accens fe reudent tous, ou par des tems inégaux , ou par des moJitications des levres, de la langue ou du palais qui font la diverfité des voix, aucun par des modifications de la glote qui font la diverfifé des fons. Ainfi quand notre circonflexe n'eft pas une fimple voix, il eft une longue ou il n'eft rien. Voyons a préfeat ce qu'il étoit chez les Grecs. Denis iHalfcarnaffe dit, que filévatien du ton dans l accent aigu & Vabaifment dans le grave étoient wie quinte; ainfi Vacant prvfodique étoit verbi fcntentiarumque ac yerfuum rationem. Nota autem ver. fibus apponuntur, numero XXfA i** fünt nominïbus infra fcriptis, &c. Puur moi , je vois - Ut que du tems de Cicéron les bons copiftes pratiquoient la féparation des mots & certains fignes équivalens a notre ponétóation. J'y vois encore «ftvention du nombre & de la déclamation de la nrofe artrifeuée a ifocrate. Mais je n'y vois point du tout les fignes écrits, les accens , & quand je les y verreis, on n'en pourroit conclure qu'une chofe que je ne difpute pas & qui rentte tout-a-fait dans mes principes; favoir que, quand les Romains commencerenl a étudicr le Grec, les copiltes , pour leur en indiquer la prononciation . invemerent les fignes des accens, des efprits & de la profedie; mais il ne s'enfuivroit nullernent que ces fignes fufi'ent eu ufage parad les Giecs qui n'en avoient aucun befoin.  322 E SS AI sur l'Origike auffi muftcal, furtout le circonflexe, oü la voix après avoir monté d'une quinte defcendoit d'une autre quinte fur la mime fyllabe (*). On voit allèz par ce paffage & par ce qui s'y rapporte , que M. Duclos ne reconnoit point d'accent mufical dans notre iangue, mais feulement 1'accent profodique & 1'accent vocal ; on y ajoute un accent orthographique, qui ne change rien a la voix, ni au fon, ni a la quantité, mais qui tantót indique une lettre fupprimée comme Ie circonflexe , & tantót fixe le fens équivoque d'un monofyllabe , tel que 1'accent prétendu grave qui didingue oü adverbe de lieu, de ou particule disjonftive, & a pris pour anicle du mëme a pris pour verbe; cet accent diftingue a 1'ceil feulement ces monofyllabes, rien ne les diflingue a la prononciation (f). Ainfi la définition de 1'accent que les Francois ont généralement adoptée, ne convient a aucun des accens de leur langue. Je m'attends bien que plufieurs de leurs grammairiens, prévenus que les accens marquent élé- (*) M. Duclos, Remarques fur Ia gramniaire gt'nérale & raifonnée, p. 30. (t) On pourroit croire que c'eft par ce même accent que les Italiens diftinguent , par exemple, è verbe de e conjonition : mais Ie premier fe diftingue a 1'oreille par un fon plus fort & plus appuyé, ce qui rend vocal 1'accent dont il eft marqué : obfervatiön que le Buonmattei a eu tott de ne pas faire.  des Langues. 3*3 vation ou abaiffeinent de voix, fe récrieront encore ici au paradoxe, & faute de mettre aflez de foins a 1'expérience, ils croiront rendre par les^modincadons de la glote, res mêmes accens qu'ils rendent uniquement en variant les ouvertures de la bouche ou les pofitions de la langue. Mais voici ce que j'ai a leur dire pour conftater 1'expérience & rendre ma preuve fans replique. Prenez exaétement avec la voix 1'uniffon de quelque inllrument de mufique, & fur cet tiniffon prouoncez de fuite tous les mots francuis les plus diverfement accentués que vous potnrrz n.flembler; comme il n'eft pas ici queftion de 1'accent oraroire, mais feulement de 1'accent grammatical, il n'eft pas même néceffaire que ces divers mots aient un fens fuivi. Obfervez en parlant ainfi, fi vous ne marquez pas fur ce même fon tous les accens auffi fenfiblement , auffi nettement que fi vous prononciez fans gêne en variant votre ton de voix. Or, ce fait fuppofé, & il eft inconteftable, je dis que puifque tous vos accens s'expriment fur le même ton , ils ne marquent donc pas des fons différens. Je n'imagine pas ce qu'on peut répondre è cela. Toute langue oü 1'on p II n'y avoit-la rien d*aflez animé pour dénouer la langue, rien qui pilt arracher aflez fréquemment les accens des paflions ardentes, pour les tourner en inftitutions, & fon en peut dire autant des befoins rares & peu preffans, qui pouvoient porter quelques hommes a concourir a des travaux com- (*) II fallut bien que les premiers hommes époufaflènt leurs faürS. Dnns la fimplicité des premières moeurs, cet ufage fe perpétua fans inconvénient, tant que les families refterent ifolées & même apres la réunion des plus anciens peuples j mais Ia loi qui 1'abolir, n'eft pas moins facrée pour être d'inftitution humaine. Ceux qui ne Ia regardent que par la üaifon qu'elle forme entre les families , n'en voient pas le cóté le plus important. Dans la familiarité que le commerce domeftique établit néceffiiremeht entre les deux fexes, du moment qu'une fainte loi celTcroit de parler au cceur & d'en impofer aux fens, il n'y auroit plus dhonnêteté parmi les hommes & les plus effioyables ttoeurs cauferoient bientót la deftructiou du genre-humain.  des Langues. 347 muns: 1'un commencoit le baffin de la fontaine, & 1'autre 1'achevoit enfuite, fouvent fans avoir eu befoin du moindre accord. & quelquefois même fans s'être vus. En un mot, dans les climats doux, dans les terreins fertiles, il fallut toute la vivacité des paffions agréables pour commencer a faire par* Ier les habitans. Les premières langues, fiUes^du plaifir & non du befoin, porterent longtems^ 1'enfeigne de leur pere;leur accent féduéteur ne s'effaga qu'avec les fentimens qui les avoieut fait naltre', krfque de nouveaux befoins introduits parmi les hommes, forcerent chacun de ne fonger qu'a luimême & de retirer fon cceur au • dedans de lui. Chapitre X. Formation des langues du Nai-d. A. la longue tous hommes deviennent femblables mais l'ordre de leur progrès eft différent. Dans'les climats méridionaux, oü la nature eft prodigue, les befoins naiffent des paffions; dans les paysfroids oü elle eft avare, les paffions naiffent des befoins, & les langues, triftes fiïles de la né. ceffité, fe fentent de leur dure origine. Quoique 1'homme s'accoutume aux intempéries de rak, au froid, au mal-aife, même a la faim, il y a pourtant un point oü la nature fuccombe. En proie a ces cruelles épreuves, tout ce  34* Essai sur i/Origine qui eftdébile pérk; tout le refte fe renforce, & « a y a point de milieu entre la vigueur & ]a mort. Voilé d'oü vient que les peuples feptentriomux font fi robuftes; ce n'eft pas d'abord le ciimas qui les a rendus tels, mais il n'a fouffert que ceux quiletoient, & r) n'eft pas étonnant que les enfans gardent la bonne conftitution de leurs peres On voit déja que les hommes, plus robuftes, doivent avoir des organes moins délicats, leurs voix doivent étre plus apres & plus fortes. ü'ail*eurs, quejje différence entre les inflexions touciiantes qui viennent des mouvemens de i'ame, aux cns quarrachent les befoins phyfiques? Dans ces a ,tix c}lmts ou t°ut eft rriort durant neuf mois de lannée, oü le foleil n'échauffe 1'air quelques lemames que pour appendre aux habitans de quels biens ils font privés & prolonger leur mifere , dans ces lieux oü la terre ne donne rien qu'a force de travail & oü la fource de la vie femble étre plus dans les bras que dans le coeur, les hommes, fan, ceffe occupésa pourvoir a leur fubfiftance, fongeo.ent a peine a des liens plus doux; tout fe bornoit a 1'impulfion phyfique, 1'occafion fmfoit le choix, la facilité faifoit la préférence. L'oifiveté qu. nourrit les paffions, fit place au travail qui les répnrne. Avant de fonger a vivre heureux, il falloit fonger a vivre. Le befoin mutuel uniffant les hommes, bien mieux que le fentiment n'auroit fait, hfociéte ne fe forma que par 1'induftrie, le continue! danger de périr ne permettoit pas de fe bor-  «is Langues. U9 tiet a la langue du' gefte , & le premier mot ne fut pas chez eux, almez-moi, mais aiclez-moi. Ces deux termes, quoiqu'affez femblables, fe prononcent d'un ton bien différent. On n'avoit rien a faire fentir, on avoit tout a faire entendre; il ne s'agiffoit donc pas d'énergie.mais de clarté. A 1'accent que le cceur ne fonrniffoit pas, on fubftitua des ardculations fortes & fenfibles, & s'il y eut dans la forme du langage quelque imptefïïon naturelle , cette impreffion contribuoit encore a fa dureté. E n effet, les hommes feptentrionaux ne font pas fans paffions, mais ils en ont d'une autre efpece. Celles des pays chauds font des paffions voluptueufes, qui tiennent a 1'amour & a la mollefle. La nature fait tant pour les habitans qu'ils n'ont prefque rien a faire. Pourvu qu'un Afiatique ait des fem. mes & du repos , il eft content, Mais dans ie Nord, oü les habitans confomment beaucoup fur un fol ingrat, des hommes foumis a tant de befoins font faciles a irriter; tout ce qu'on fait autour d'eux les inqutete:" comme ils ne fubfiftent qu'avec peine, plus ils font pauvres, plus ils tiennent au peu qu'ils ont; les approcher c'efl attenter a leur vie. De-la leur vient ce tempérament irafcible, fi prompt a fe tourner en fureur contre tout ce qui les blefle. Ainfi leurs voix les plus naturelles font celles de la colere & des menaees, & ces voix s'accompagnent toujours d'articulations fortes qui les ren> dent dures & bruyantes.  350 Essai sub l'Oeigine Chapitue XI. Réflexiens fur ces diférenccs. , felon mon opinion, les caufes phyfiques les plus générales de la différence caraétériftique des primitives langues. Celles da Midi durent être vives, fonores, accentuées, éloquentes, & fouvent obfeures a force d'énergie: celles du Nord durent étre fourdes, rudes, articulées, criardes, monotones, claires a force de mots plutót que par une bonne conftruétion. Les langues modernes cent fois mélées & refondues, gardent encore quelque chofe de ces différences. Le Francois, 1'Anglois, PAUemah'd font le langage privé des hommes qui s'entre-aident, qui raifonnent entr'eux de fangfroid, ou de gens emportés qui fe fachent : mais les miniftres des Dieux, annoncant les myfferes facrés, les fages donnant des loix aux peuples, les chefs entralnant Ia multitude doivent parler Arabe ou Perfan (*). Nos langues valent mieux écrites que parlées, & 1'on nous lit avec plus de plaifir qu'on ne nous écoute. Au contraire, les langues orientales écrites perdent leur vie & leur chaleur. Le fens n'eft qu'è inoitié dansles mots, toute fa force eft dans les accens. Juger du génie des Orientaux par leurs livres, c'eft vouloir peindre un homme fur fon cadavre.' C) Le Turc eft une langue feptentrionale.  des Langues. 351 Pour bien apprécier les aétions des hommes, il faut les preudre dans tous leurs rapports, & c'eft ce qu'on ne nous apprend point a faire. Quand nous nous mettons a la place des autres, nous nous y mettons toujours tels que nous fommes modifiés, non tels qu'ils doivent 1'être , & quand nous penfons les jager fur la raifon, nous ne faifons que comparer leurs préjugés aux nótres. Tel pour favoir lire un peu d'Arabe, fourit en feuilletant 1'Alcoran, qui, s'il eüt entendu Mahomet 1'annoncer en perfonne dans cette langue éloquente & cadencée, avec cette voix fonore & perfuafive qui féduifoit 1'oreille avant le coetir, & fans ceffe anitnant fes fentences de 1'accent de 1'enthoufiafme , fe füt profterné contre terre en criant: „ grand prophete , „ envoyé de Dieu , menez-nous a la gloire, au „ martyre; nous voulons vaincre ou mourir pour „ vous."Le fanatifme nous paroit toujours rifible , paree qu'il n'a point de voix parmi nous pour fe faire entendre. Nos fanatiques même ne font pas de vrais fanatiques , ce ne font que des fripons ou des foux. Nos langues, au lieu d'inflexions pour des infpirés, n'ont que des cris pour des poffédés du diable. Chapitre XII. Origine de ia mufique cj? fes rapports. J\vec les premières voix fe formerent les pre-  35* Ess ai suIt l'0ri • ine mieres articulations ou les premiers fons, felon le genre de la pafïïon qui diétoit les uns & les autres. La colere arrache des cris menacans, que la langue & le palais articulent; mais la voix de Ia tendreffe eft plus douce, c'eft la glote qui la modifie & cette voix devient un fon. Seulement les accens en font plus fréquens ou plus rares, les inflexions plus ou moins aiguê's , felon le fentiment qui s'y joint. Ainfi la cadence & les fons naiffent avec les fyllabes , la pafïïon fait parler tous les organes & pare la voix de tout leur éclat; ainfi les vers , les chants , la parole ont une origine commune. Autour des fontaines dont j'ai parlé, les premiers difcours furent les premières chanfons: les retours périodiques & mefures du rhythme, les inflexions mélodieufes des accens firent naitre Ia poéfie & Ia mufique avec la langue, ou plutót tout cela n'étoit que Ia langue même pour ces heureux climats & ces heureux tems, oü les feuls befoins prelTans qui demandoient le concours d'autrui, étoient ceux que le cceur faifoit naitre. Les premières hifioires, les premières harangues, les premières loix furent en vers; la poéfie fut trouvée avant la profe;cela devoit étre, puifque les paffions parierent avant Ia raifon. II en fut de même de Ia mufique ;il n'y eut point d'abord d'autre mufique que la mélodie , ni d'autre mélodie que le fon varié de la parole; les accens formoient le chant, les quanïiiés formoient la mtfure & i'on parloit autant par les fons & par le ihyihme, que par  bes Langues. 353 par les articulations & les voix. Dire & chanter étoient autrefois la mème chofe, dit Straboa; c; qui montre, ajoute-t-il, que la poéfie eft la fotirce de 1'éloquence (*). II falloit dire que fune & 1'autre eurent la méme fource & ne furent d'aboid que la même chofe. Sur la maniere dont fe lierent les" premières fociétés, étoit-il étonnant qu'on mie cn vers les premières hiftoires & qu'on chantAt les premières loix ? Etoit • il étonnant que les premiers grammairiens foumiflent leur art a la mufique & fuflent a la fois profeffeurs de 1'un & de 1'autre (f)? Une langue qui n'a que des articulations & des voix, n'a dor,c que la moitié de fa richefle; elle rend des idees, il eft vrai; mais pour rendre des feminiens, des images, il lui faut encore un rhyfhme & des fons, c'eft-a-dire, une mélodie: voilk ce qu'avoit la langue Grecque & ce qui raanque a la nótre. Nous fommes toujours dans 1'étonnement fur les effets ptodigieux de 1'éloquence, de la poéfie &; de la mufique parmi les Grecs; ces effets ne s'arrangent point dans nos têtes, paree que nous n'en éprouvons plus de pareils, & tout ce que (*) Giogr. L. I. (f) Archilas at que Ariftoxenes etiam fubjettam gramnalkett mttfk* putaverunt, & eoftlem utriufque rei praceptores fuife... Turn Eupolis apud quem ProJamus & muftcen & lilteras clocet. Et Maricas, qui eft Hyperbolus, nihil fe ex muftcis fcire, tiifi lilteras confitelur. Quiatil. Li 1. C. X. Supplém. Tom. VL Q  354 Essai sur l'Oricine nous pouvons gagner fur nous en les voyant fi bien aucties, eft de faire fetnblant de les croire parcomplaiönce pour nos favans (*). B.r^tte ayant traduit, comme il put, en notes de notre mufique •certains morceaux de mufique Grecque, eut k fimplicité de faire exécuter ces morceaux a 1'Académie des Belles-Lettres & les Académiciens eurent la patience de les écouter. j'admire cette expérience dans un pays dont la mufique eft indéchiffrable pour toute autre nation. Donnez un monologue d'ope'ra franfois a exécuter par tels muficiens étrangers qu'il vous plalra, je vous défie d'y rien reeonnolire. Ce ("0 Sans doute il faut faire en toure chofe diiduftion de l'exagération grecque, mais c'eft auffi trop donner au prdjugé moderne que de poufler ces déduétions jufqu'a faire 'évanouir toutes les dMKrepces. „ Quand la mufique des „ Grecs , die 1'Abbé Terrafion , du tems d'Amphion & „ d'Orphée, en étoit au point oü elle eft aujourd'hui dans „ les villes les plus éloignées de la capitale, c'eft alors „ qu'elle fufpendok le cours des fieuves, qu'elle attiroit les ,, cbfaei & qu'c-lle faifoit mouvoir les rochers. Aujourd'hui „ qu'elle eft arrivée a un tres haut point de perfection, on „ 1'aime beaucoup, on en pénetie mime les beautés, mais „ elle laifie tout a fa place. II en a été ainfi des vers d'Ho„ n.erc, poëte né dans les tems qui fe reffentoient encore „ de l'enfance de 1'erprit humain, en comparaifon de ceux „ qui 1'ont fuivi. On s'eft extafié lür fes vers & 1'on fe „ contente aujourd'hui de goüter & d'eftiiner ceux des „ bons poëtes". On ne peut nier que 1'Abbé Terrafion n'cüt quelquefois de la philofophie, mais ce n'eft lVirement pas dans ce pafiage qu'il en a mOmré.  des Langues. 355 font pourtant ces mêmes Francois qui prétendoient juger la mélodie d'une ode de Piadare, mife en mufique il y a deux mille ans I J'ai lu qu'autrefois en Atnériqne, les Indiens voyant 1'effet étonnant des armes a feu, ramaflbient a terre des balles de moufquet; puis les jettant avec la mail en faifant un grand bruit de la bouche, ils étoient tout furpris de n'avoir tué performe. Njs orateurs, nos muficiens, nos favans reffemblent a ces Indiens. Le prodige n'eft pas qu'avec notre mufique nous ne fafïïons plus ce que faifoient les Grecs avec la leur; il feroit, au contraire, qu'avec des inftrumens fi différens on produisit les mê;nes effets. Chapitre XIII. De t'Harmonie. Ivhomme eft modifïé par fes fens; perfonne n'en doute; mais faute da diftinguer les modifications, nous en confondons les caufes; nous dounons trop & trop peu d'empire aux fenfations; nous ne voyons pas que fouvent elles ne nous aTeétent point feulement comme fenfitions , mais comme fignes ou images, & que leurs effets moraux .ont auffi des caufes morales. Comme les fentimens qu'excite en nous la peinture ne viennent point des couleurs, 1'etnpire que la mufique a fur nos araes n'eft poiut 1'ouvrage des fons. De belles couleurs Q 2  355 EsSAI !UR L'ORIGINE bien nuancées plaifent a Ia vue, mais ce plaifir eft purement de fenfation. C'eft le deffein, c'eft 1'imitition qui donne a ces couleurs de Ia vie & de fame, ce font les paffions qu'elles expriment qui vicnnent émouvoir les nótres, ce font les nótres, ce font les objets qu'elles repréfentent qui viennent nous affecter. L'intérét & le fentiment ne tiennent point aux couleurs; les traits d'un tableau touchant nous touchent encore dans une efiampe; ótez ces traits danste tableau, les couleurs ne feront plus rien. La mélodie fair précifement dans la mufique ce que fait le deffein dans la peinture: c'eft elle qui marqué les traits & les figures, dont les accords & les fons ne font que les couleurs: mais, diraton, la mélodie n'eft qu'une fuccefiion de fons; fans doute; rnajs le deffein n'eft auffi qu'un arrangement de couleur?. Un orateur fe fert d'encre pour tracer fes écriis; eft-ce a dire que 1'encre foit üne liqueur fort éloquente? Supposez un pays oit 1'on n'auroit aucune idéé du deffein, mais oü beaucoup de gens, paffant leur vie a combiner, mèler, nuer des couleurs, croiroient ex celier en peinture; ces gens Ia raifonneroient de la nóire , précifément comme nous raifonnons de Ia mi fique des Grecs. Quand on leur parleroit de 1'émoiion que nous caufent de beaux tableaux & du charme de s'attendrir devant un fujet paihétique, leurs favans approfondiroienr auffitót la matiere , compareroient leurs couleurs aux nótres, examineroient ft notre verd eft plus tendte  des Langues. 357 ou notre rouge plus éclatant; ils chertheroient quels accords de couleurs peuvent faire pleurer, quels autres peuvent mettre en colere? Les Burettes de ce pays.la raffembleroient fur des guenilles quelques lambeaux défigurés de nos tableaux; puis on fe demanderoit avec furprife ce qu'il y a de fi merveilleux daus ce coloris? Que fi dans quelque nation voifine on commen?oit a former quelque trait, quelque ébauche de deffein, quelque figure encore imparfeite, tout cela pafferoit pour du barbouillage, Four une peinture capricieufe & baroque, & 1'on s'en tïendroit, pour conferver le goüt, a ce beau fimple, qui véritablement n'expiime rien , mais qui fait briller de belles nuances, de grandes plaques bien colorées, de lor.gues dégtadations de teintes fans aucun trait. Enfin, peut- être a force de progrès on viendroit a 1'expérience du piifme. Aufiuót quelque arüfie célebre établiroit la-deffus un beau fyftême. Meflieurs, leur ditoit-il, pour bien philofopher il faut remonter aux caufes pliyfiques. Voila la décompofition de la lumlere, voila toutes les couleurs primitives, voila leurs rapports, leurs proportionsi voila ks viais principes du plaifir que vous ftu la pchm.re. Tous ces mots myftérieux de deffein, de repiéfentation , de figure, font une pure charlatanerie des peintres Francois, qui, par leurs iinitations, penfent donna je ne fais quels mouvemens a f urne, tandis qu'on fait qu'il n'y a que des Q 3  358 Essai sur l'Origine fenfations. On vous dit des merveilles de leurs ubleaux, mais voyez mes teintes. Les peintres Francois, continueroit-il , ont peut • étre obfervé 1'arc - en - ciel; ils ont pu recevoir de la nature quelque goüt de nuance & quelque inftinft de coloris. Moi, je vous ai montréles grands, les vrais principes de 1'art. Que dis-je de 1'art? de tous les arts, Meflieurs, de toutes les fciences. L'analyfe des couleurs , le calcul des ïéfrsctions du prifme vous donnent les feuls rapports exséts qui foieöt dans la nature, Ia regie de tous les rapports. Or, tout dans funivers n'eft que rap. port. On fait donc tout quand on fait peindre, on fait tout quand on fait affortir des couleurs. Que dirions-nous du peintre affez dépourvu de fentiment & de goüt pour raifonner de la forte & borner ftupidement au phyfique de fon art le plaifir que nous fait la peinture? Que dirions-nous du muficien qui, plein de préjugés femblables y croiroit voir dans la feule harmonie la fource des grands effets de Ia mufique? Nous enverrions Ie premier mettre en couleur des boiferies & nous condamne. rions 1'autre a faire des opéra francois. Comme donc la peinture n'eft pas 1'art de combiner des fons d'une maniere agréable a Ia vue, la mufique n'eft pas non plus 1'art de combiner des fons d'une maniere agréable a 1'oreille. S'il n'y avoit que cela , 1'une & 1'autre feroient au nombre des fciences naturelles, & non pas des beaux-arts. C'eft l'imitation feule qui les éleve a ce rang. Or, qu'eft-ce qui fait de la peinture un  des Langues. 359 ,tt «ÉtöÉflO-t C'eft le deffein. Qu'eft-ce qui de la mufique en fait un autre? C'eft la mélodie. C H A P I T R E XIV. De P Harmonie. La beauté des fons eft de la nature j leur effet eft purement phyfique; il réfulte du concours des diverl'es particules d'air mifes en mouvement par le corps fonore, & par toutes fes aliquotes, peutêtre a l'infini? ie tout enfemble donne une fenfation agréable: tous les hommes de 1'univers prendror.t plaifir a écouter de beaux fons; mais fi ce plaifir n'eft animé pnr des inflexions mélodieufes qui leur foient familieres, il ne fera point délicieux, il ne fe changera point en volupté. Les plus beaux chants, a notre gré, toucheront toujours médiocröment une oreille qui n'y fera point accoutumée v c'eft une langue dont il faut avoir le diétionnaire. L'üAR M.o NIE proprement dite eft dans un cas bien moins favorable encore. N'ayant que des beautés de convention, elle ne flatte a nul égard les oreilles qui n'y lont pa, exercées; il faut en avoir une longue habitude pour la fentir & pour la gonter. Les oreilles ruftiques n'entendent que du bruit dans nos confonnances. Quand les propörtióBS naturelles fout altérées, il n'eft pas étonnant que le plaifir naturel n'exifte plus. Un fon porte avec lui tous fes fons harmoniques 0. 4  3&> Essai sun l'Origine concomitans, dans les rapports de force & dïntervaües qu'ils doivent avoir entr'eux pour donner la plus parfaite harmonie de ce même fon. Ajoutez-y Ja tiercé ou la quinte, ou quelque autre confon»»nce, vous ne 1'ajoutez pas, vous la redoublez, vous laiiTez le rapport d'intervalle , mais vous altérz celui de force: en renforcant une confonnance & non pas les autres, vous rompez la proportionen voulant faire mieux que Ia nature, vous faites Plus mal. Vos oreilles & votre goüt font gatés par »n art mal entendu. Naturellement il n'y a point d autre harmonie que l'uniiTon. M. Rameau prétend que les deffus d'une certaine limphcHé fuggerent naturellement leurs balles, & <9u\m homme ayant 1'oreille jufte & non exercée emonnera naturellement cette baf/e. C'eft-la un Préjugé de muficien, démenti par toute expérience Non.feulement celui qui n'aura jamais entendu ni baffe, ni harmonie, ne trouvera de lui-même ni cette harmonie, ni cette baffe, mais même elles lui deplairpnt fi on les lui fait entendre, & il ain,eia bcüiicoup mieux Ie fimple uniffon. Q uand on calculeroit mille ans les rapports des fons & les loix de 1'harmonie, comment fera-t-on jamais de cet art un art d'imitation, oü eft le pnn. cipe de cette imitation prétendue, de quoi 1'har. «nonie eft.elle figne & qu'y a-t-il de commun entre des accords & nos paffions? Qu'on fafTe la méme queflion fur ]a mélod; Ia reponfe vient d'elle - même , elle eft d'avauce dans  DES LANGUES. 86i ks tours «Koe» feulement., mouvemens de Urne, elle ojdjuc y " oSa es'oW de modulation, en rendant les par quelque> as progrès re font ni fortuits, ni arbitraires, ils tiennent aux viciflitudes des chofes. Les langues fe forment naturellement fur les befoins des hommes; elles changent & s'alterent felon les chan-  des Langues. WÏ9 gemens de ces mêmes befoins. Dans les anciens tems, oü la periuafion tenoit lieu de force publi« que, 1'éloquence étoit néceiTaire. A quoi ferviroit-elle aujourd'hui, que la force publique fupplée a la perfuafion ? L'on n'a befoin ni d'art,- ni de figure pour dire, tel eft mon plaifir. Quels difcours reftent donc a faire au peuple affemblé ? Des fermons. Et qu'importe a ceux qui les font de perfuader le peuple, puifque ce n'eft pas lui qui nomme aux bénéfices? Les langues populaires nous font devenues auffi patfaitement inutiles que 1'éloquence. Les fociétés ont pris leur derniere forme; on n'y change plus rien qu'avec du canon & des écus, & comme on n'a plus rien a dire au peuple , finon, donnez de l'argent, on le dit avec des placards au coin des rues, ou des foldats dans les maifons; il ne faut affembler perfonne pour cela: au contraire, il faut tenir les fujets épars, c'eft la première maxime de la politique moderne. Il y a des langues favorables a la liberté , ce font les langues fonores, profodiques, harmonieufes, dont on diftingue le difcours de fort loin. Les nótres font faites pour le bourdonnement des divans. Nos prédicateurs fe tourmentent, fe mettent en fueur dans les temples, fans qu'on fache rien de ce qu'ils ont dit. Après s'être épuifés a ctier pendant une heure, ils fortent de la chaire a demi • morts. AiTttrémeut ce n'étoit pas la peine de prendre tant de fatigue. R a  38o E 8 s Al sur l'Origine Crntz les anciens on fe faifoit entendre aifément au peuple fur !a place publique ; on y parloit tout un jour fans s'incommoder. Les généraux haranguoient leurs troupes; on les entendoit & ils ne s'épuifoient poinr. Les hiftoriens modernes qui ont voulu mettre des harangues dans leurs hiftoires, fe font fait moquer d'eux. Qu'on fuppofe un homme haranguant en Francois le peuple de Paris dans la place de Vendóme. Qu'il crie a pleine tête, on entendra qu'il crie, on ne diftinguera pas un mot. Hérodote lifoit fon hiftoire aux peuples de la Grece , affemblés en plein air , & tout retentiffoit d'applaudiffemens. Aujourd'hui 1'académicien qui lit un mémoire, un jour d'affemblée publique, eft a peine entendu au bout de la fnlle. Si les charlatans des places abondent moins en France qu'en Italië , ce n'eft pas qu'en France ils foient moins écoutés , c'eft feulement qu'on ne les entend pas fi bien. M. d'Alembert croit qu'on pourroit débiter le récitatif Francois a 1'ltalienne; il faudroit donc le débiter a 1'oreille, autrement dn n'entendroit rien du tout. Or, je dis que toute langue avec laquelle on ne peut pas fe faire entendre au peuple affemblé, eft une langue fervile; il eft impoffible qu'un peuple demeure libre & qu'il parle cette langue-la. Je finirai ces réflexions fuperficielles, mais qui peuvent en faire naitre de plus profondes, par le paflage qui me les a fuggérées.  Bes Langues. 3«t C e feroit la mature ttun examen ajfez philo. fop/uque, que dobferver dans le fait, & de montrer , par des exemples , combien le caraclere , les moeurs & les intéréts d'un peuple , influent fur fa langue (*) Remarques fur la £ramniaire générale & raifonnée, par M. Ductos, pr.g, II. R 3  LETTRE A M. L'A B B É RAYNAL, Au fujet d'un nouveau Made de Mufique, in ven té par M. Blainville, Paris, Ie 30 Mai 1754, au fortir du Concerr. V ous ètes bien aife, Monfieur, vous le oanégyrifte & 1'ami des ans, de la tentative de Af. Blainville, pour 1'introduétion d'un nouveau mode dans notre mufique. Pour moi, comme mon feutiment la-deffus ne fait rien a 1'affaire, je paffe immédiatement au jugement que vous me demandez fur la découverte même. Autant que j'ai pu faifir les idees de M. Dlain. ville, durant la rapidité de 1'exécution du morceau que nous venons d'entendre, je trouve que le mode qu'il nous propofe, n'a que deux cordes principales, au lieu de trois qu'ont chacun des deux modes nfités. L'une de ces deux cordes eft la tonique, 1'autre eft Ia quarte au-deffus de cette tonique; & cette quarte s'appellera, fi 1'on veut, dominante. L'auteur me paroit avoir eu de fort bonnes raifons pour préférer ici la quarte a la quinte, & celle de toutes ces raifons qni fe préfente la première, en parcourant fa gamme, eft le danger de tomber dans !es fauffes relations. Cette gamme eft ordonnée de Ia maniere fuivante; il monte d'abord d'un femi-ton majeur de la tonique fur la feconde note, puis d'un ton fur  Leïïre a M. l'Asné Raynal. 3?3 la troiGeme: & montant encore d'un ton, il arrivé a fa dominante fur laquelle il établit le repos, ou, s'il m'eft permis de parler ainfi, 1'hémiftiche da mode. Puis recommencant fa marche un ton audeirus de la dominante, il monte eufuite d'un femiton majeur, d'un ton, &, encore d'un ton, & 1'oftave eft parcourue felon cet ordre de notes, mi fa , fol, la: fi , ut, re , ml. II redefcend de même , fans aucune altération. S t vous procédez diatoniquement, foit en montant , foit en defcendant de la dominante d'un mode mineur a 1'oftave de cette dominante, fans diefes pi bémols accidentels, vous aurez précifément la gamme de M. Blainville; par oü 1'on voit, I. que «*fa marche diatonique eft direftement oppofée è la nótre, ou, partant de la tonique, on doit monter d'un ton, ou defcendre d'un femi-ton; 2. qu'il a fallu fubftituer une autre harmonie a 1'accord fenfible ufité dans nos modes & qui fe trouve exclus du fien; 3. trouver, pour cette nouvelle gamme, des accompagnemens différens de ceux que 1'on emploie dans la regie de 1'oftave; 4. & par conféquent d'autres progreffions de baffe fondamentale que celles qui font admifes. La gamme de fon mode eft précifément femblable au diagramme des Grecs; car fi 1'on commence par la corde hypate, en montant, ou par la note en defcendant , a parcourir diatoniquement deux tétracordes disjoints, on aura précifément la nouvelle gamme; c'eft notre ancien mode plagal, qui R 4  3^4 L e t t n e fubfifte encore dans le plein - chanr; c'eft proprement un mode mineur dont le dispafon fe prcndroit, non d'une tonique a fon oétave, en paflbnt par la dominante, mais d'une dominante a fon oftave, en paflant par la tonique; & en effet, Ia tiercé majeure que 1'auteur eft obligé de donner a fa finale , joinre a la maniere d'y defcendre par femi-ton, donne a cette tonique tout-a-fait fair d'une dominante. Ainfi, fi 1'on pouvoit, de ce cóté-Ia, difputera M. Blainville Ie mérite definvention, on ne pourroit du moins lui difputer celui d'avoir ofé braver, en quelque cbofe, la bonne opinion que notre fiecle a> de foi-même & fon mépris pour tous les autres ages en matiere de fciences & de goüt. Maïs ce qui paroit appartenir inconteftablement a M. Blainville, c'eft 1'harmonie qu'il affefte a un mode inftitué dans des tems oü nous avons tout lieu de croire qu'on ne connoiffoit point 1'harmonie, dans les fens que nous donnons aujourd'hui è ce mot. Perfonne ne lui a fuggéré de nouvelles progreffions fondamentales, ni 1'art avec lequel il 1'a lü mettre en oeuvre pour ménager nos oreilles, bien plus délicates fur les chofes nouvelles, que fur les mauvaifes chofes. Dès qu'on ne pourra plus lui reprocher de n'avoir pas trouvé ce qu'il nous propofe, on lui reprochera de favoir trouvé. On conviendra que fa découverte eft bonne, s'il veut avouer qu'elle n'eft pas de lui: s'ilprouve qu'elle eft de lui, on lui foutiendra qu'elle  a M. l'ABui Raynal. 3§5 qu'elle eft banrotte s & il ne feta pas le premier contre lequel les artiftes auront argumenté de la forte. On lui demandera fur quel fondement il prétend déroger aux loix établies & en introduire d'autres de fon autorité. On lui reprochera de vouloir ramener a l'arbitraire, les regies d'une fcience qu'on a fait tant d'effort pour réduire en principes; d'enfreindre dans fes progreffions la liaifon harmonique, qui eft la loi la plus générale & 1'épreuve la plus füre ds toute bonne harmonie» O n lui demandera ce qu'il prétend fubftituer a 1'accord fenfible, dont fon mode n'eft nullement fufceptible, pour annoncer les changemens de ton. Enfin on voudra favoir encore pourquoi, dans 1'effaï qu'il a donné au public, il a tellement entremêlé fon mode avec les deux autres, qu'il n'y a qu'un trés-petit nombre de connoiffeurs , dont 1'oreille exercée & attentive ait démêlé ce qui appartient en propre a fon nouveau fyftême. Ses réponfes, je crois les prévoir apeu prés. II trouvera aifément en fa faveur des analogies, du moins aufli bonnes que celles dont nous avons la bonté de nous contenter. Selon lui, le mode mineur n'aura pas de meilleurs fondemens que Ie fien. II nous foutiendra que 1'oreille eft notre premier maltre d'harmonie, & que, pourvu que celui • la foit content, Ia raifon doit fe bomer a chercher pourquoi il 1'eft, & non a lui prouver qu'il a totde 1'êue. Qu'il ne cherche, ni a introduire dans R 5  38f5 Lettre, &c. les chofes 1'arbitraire qui n'y eft point, ni a dilïïïnuler celui qu'il y trouve. Or, cet arbitraire eft fi conftant que, même dans la regie de focbve, il y a une faute contre les regies; remarque qui ne fera pas, fi 1'on veut, de M. Blainville, mais que je prends fur mon compte. Il dira encore que cette liaifon harmonique qn'on lui objetfe, n'eft rien moins qu'indifpenfable dans 1'harmonie, & il ne fera pas embarraffé de le prouver. Il s'excufera d'avoir entremêlé les trois modes, fur ce que nous fommes fans ceffe dans le même cas avec les deux nótres, fans compter que, par ce mélange adroit, il aura eu le plaifir, diroit Montagne, de faire donner a nos modes des nazardes fur le nez du fien. Mais quoi qu'il faffe, il faudra toujours qu'il ait tort, par deux raifons fans replique; 1'une qu'il eft iuventeur, 1'autre qu'il a a faire a des muficiens. Je fuis, &c.  EXAMEN D E DEUX PRINCIPES Jvancês par M. Rameau dans fa Brochure intitulée : ERREURS SUR LA MUSIQUE, DANS U ENCYCLOPEDIE. R 6  AVERTISSEMENT. % jettal cet Ecrit fur le papier en t7S, lt>rr que parut la Brochure de M. taveau §>' avoir déclarépuUiquement, fur !, grande \J* Plus > mes aaverfaires. Content même taJZ note de mes obfervations fur l'écrit de M. RaJ' je ne les publiai point; & k ne fa . JJ> nant ,cj , que paree qu'elles fervent a Péclair CilTe ment de quelques Articles de mon Diclionnaire 0!i la forme de Pouvrage ne me permettoit pas tentZ dant de plus longues difcujftons. EXAMEN  EXAMEN D E DEUX PRINCIPES Avancés par M. Rameau dans fa Brochure intitulée: ERREURS SUR LA MUSIQUE, DANS U ENCTCLOPEDIE, C'est toujours avec plaifir que je vois parolire de nouveaux écrits de M. Rameau; de quelque maniere qu'ils foient accueillis du public, ils font précieux aux amateurs de 1'art & je me fais honneur d'être de ceux qui tachent d'en profiter. Quand cet illuftre artifte releve mes fautes, il m'infiruit, il m'honore, je lui dois des remercimens; & comme en renoncant aux querelles qui peuvent troubler ma tranquillité , je ne m'interdis point celles de pur amufement, je difcuteraipar occafion quelques points qu'il décide, bien für d'avoir toujours fait une chofe utile, s'il en peut réfulter de fa part de nouveaux éclaircifiemens. C'eft même entrer en cela dansles vues de ce grand muficien, qui dit qu'on ne peut contefter les propofitions qu'il avance, que pour lui fournir les moyens de les mettre dans ua R 7  29° E x a m e w plus grand jour ; d'oü je conclus qu'il elï bo» qu'on les contefte. Je fuis, au refie, fort éloigné de vouloir défendre mes articles de 1'Encyclopédie; perfonne, & la vérité, n'en devroit étre plus content que M. Rameau , qui les attaque; mais perfonne au monde' n'en eft plus mécontent que moi. Cependant, quand on fera inftruit du tems oü ils ont été fairs, de celui que j'eus pour les faire & de 1'impuilTance oü j'ai toujours été de reprendre un travail une fois fini; quand on faura, de plus, que je n'eus point la préfomption de me propofer pour celui-ci, mais que ce fut, pour ainfi dire, une tache impofée par 1'amitié, on lira peut.étre, avec quelque indiligence, des articles que j'eus è peine le tems d'écrire dans 1'efpace qui m'étoit donné pour les méditer & que je n'aurois point entrepris , fi je n'avois confulté que le tems & mes forces. Mais ceci eft une juflification envers le public & pour un autre lieu. Revenons ft M. Rameau que j'ai beaucoup loué & qui me fait un crime de ne l'avoir pas loué davantage. Si les leéteurs veulent bien jetter les yeux fur les articles qu'il attaque, tels que Chiffber, Accoru, Accomfagnement; &c. s'ils diflinguent les vrais éloges que 1'équité mefure aux talens, du vil encens que 1'adulation prodigue a tout le monde; enfin s'ils font inftruits du poids que les procédés de M Rameau, vis a vis de moi, ajoute a Ia juftice que j'aime a lui rendre, j'efpere qu'en blamant les fautes  be deux Principes. 39 i que j'ai pu faire dans 1'expofition de fes principes% ils feront contens, au moins des hommages que j'ai rendus h 1'auteur. Je ne feindrai pas d'avouer que 1'écrit intitulé; Erreurs fur la Mufique, me paroit en effet fourmillei d'erreurs & que je n'y vois rien de plus jufte que le titre. Mais ces erreurs ne font point dans les lumieres de M. Rameau, elles n'ont leurfource que dans fon cceur; & quand la paffion ne 1'aveu. glera pas, il jugera mieux que perfonne des bonnes regies de fon Art. Je ne m'attacherai donc point a relever un nombre de petites fautes qui difparoitront avec fa haine; encore moins défendrai-je celles dont il m'accufe, & dont plufieurs en effet ne fauroient étre niées. 11 me fait un crime , par exemple, d'écrire pour étre entendu; c'eft un défaut qu'il impute a mon ignorance & dont je fuis peu tenté de la juflifier. J'avoue avec plaifir, que, faute de chofes favantes, je fuis réduit a n'en dire que de raifonnables, & je n'envie a perfonne le pro fond favoir qui n'engendre que des écrits inintelligibles. Encore un coup, ce n'eft point pour ma juftifkation que j'écris, c'efl pour le bien de la chofe. Laiflbns toutes ces difputes perfonnelles qui ne font rien au progrès de 1'art, ni a 1'inftruaion du public. II faut abandonner ces petites chicanes aux commeccans, qui veulentfe faire un nom aux dépens des noms déja connus, & qui, pour une erreur qu'ils corrigent, ne craignent pas d'en commettre cent. Mais, ce qu'on ne fauroit examinei  39* Examen avec trop de foin, ce font les principes de 1'art même , dans lefquels la moindre erreur eft une fource d'égaremens, & oü 1'artifte ne peut fe tromper en rien , que tous les effbrts qu'il fait pour perfeétionner 1'art n'en éloignent la perfeftion. Je remarque , dans les Erreurs fur la mufique, deux de ces principes importans. Le premier qui a guidê M. Rameau dans tous fes écrits, &, qui pis eft, dans toute fa mufique, eft que 1'harmonie eft 1'unique fondement de 1'art, que la mélodie en dérive & que tous les grands efFets de la mufique naiffent de la feule harmonie. L'autue principe ,nouve!Iement avancé par M. Rameau, & qu'il me reproche de n'a voir pas ajouté a ma définition de 1'accompagnement, eft que cet accompagnement repréfente le corps fonore. J'examinerai féparément ces deux principes. Commenpons par le premier & le plus important, dont la vérité ou la fauffeté démontrée doit fervir en quelque maniere de bafe a tout 1'art mufical. Ir. faut d'abord remarquer que M. Rameau fait dériver toute 1'harmonie de la réfonance du corps fonore. Et il eft certain que tout fon eft accompagné de trois autres fons harmoniques concomitans ou acceffoires , qui forment avec lui un accord parfait, tiercé• majeure. En ce fens, 1'harmonie eft naturelle & inféparable de Ia mélodie & du chant, te! qu'il puiffe être, puifque tout fon porte avec lui fon accord parfait. Mais, outre ces trois fons harmoniques, chaque fon principalen donne beaucoup  de deux Principes. 293 d'autres qui ne font point harmoniques & n'entrent point dans 1'accord parfait. Telles font toutes les aliquotes non réduftibles par lears oftaves a quel* qu'une de ces trois premières. Or, il y a une infinité de ces aliquotes qui peuvent échapper a nos fens, mais dont la réfonance eft démontrée par h> duftion & n'eft pas impoffible a confirmer par e» périence. L'art les a rejettéeS de 1'harmonie , & voila oü il a commence a fubftituer fes regies & celles de la nature. VüUT-on donner aux trois fons qui conftituent 1'accord parfait, une pre!rogaiive particuliere, paree qu'ils forment entr'eux une forte de proportion qu'il a plu aux anciens u'appeller harmonique, quoiqn'elle n'ait qu'une propriété de calculf ]i dis que cette propriété fe trouve dans des rapports de fons qüi ne font nullement harmoniques. Si les trois fons repréfentés par les chiffres i f f-, lefquels font en proportion harmonique, forment un accord confonnant, les trois fons repréfentés par ces autres chiffres font de méme en proportion harmonique c* ne forment qu'un accord difcordant. Vous pouvee divifer harmoniquement une tiercé-majeure , une tiercé-mineure , un ton majeur, un ton mineur, &c. & jamais les fons donnés par ces divifions, ne feront des accords confonnans. Ce n'eft donc, ni paree que les fons qui compofent 1'accord parfait réfonnent avec le fon principai, ni paree qu'ils répondent aux aliquotes de la corde entiere, ni paree qu'ils font en proportion harmonique, qu'ils ont été  39+ Examen choifis exclufivement pour compofer 1'accord parfait , mais feulement paree que, dans l'ordre des Intervalles, ils ofFrent les rapports les plus fimple, Or, cette fimplicité des rapports eft une regie commune a 1'harmonie & a Jamélcdie; regie dont celle-ci s'écarte pourtant en certains cas, jufqu'a rendre toute harmonie impraticable; ce qui prouve que la mélodie n'a point re9u la loi d'elle & ne lui eft point naturellement fubordonnée. Je n'ai parlé que de 1'accord parfait majeur. Que fera-ce quand il faudra montrer la génération du mode mineur, de la diffonance & les regies de la modulation i A l'inflant je perds la nature de vue, 1 arbitraire perce de toutes parts, le plaifir même de oret.le eft 1'ouvrage de 1'habitude; & de quel droit 1-harmonie, qui ne peut fe donner a elle-même un fondement naturel, voudroit-elle être celui de Ia mélodie, qui fit des prodiges deux mille ans avant quil füt queftion d'harmonie & d'accords.? Q o'u n e marche confonname & réguliere de baffefondamentale engendré des harmoniques quj proce denr diatoniquement & forment entr'eux une forte de chant, cela fe connoit & peut s'admettre. On pourroit même renverfer cette génération ; & com. me, felon M. Rameau, chaque fon n'a pas feulement la puiffance d'ébranier fes aliquotes en-deflus ma,s fes multiples eu-deflbus, le fimple chant pour' rott engendrer une forte de bafTe, comme la baff» engendré une forte de chant, & cette génération ferou aufïï naturelle que celle du mode mineur ;  re deux principes. 395 jnds je voudrois demar.der è M. Rameau deux Chofes: 1'une, fi ces fons ainfi engendrés font ce qu'il appelle mélodie; & 1'autre, fi c'eft ainfi qufi trouve la fienne , ou s'il penfe même que jamais perfonne en ait trouvé de cette maniere? Poiffion* nous préferver nos oreilles de toute mufique dont Pauteur commencera par établir une belle baffe-fondrmemale; & pour nous mener favamment de diilonïnce en diflbnance, changera de ton ou de mode a chaque note , entaffera fans cefie accords fut accords , fans fonger aux accens d'une melodie fimple, naturelle & pafiionnée, qui ne tire pas fon expreffion des ptogreffions de la baffe , mais aes inflexions que le fentiment donne a la voix! Non, ce n'eft* point la fans doute ce que M. Rameau veut qu'on laffe, encore moins ce qu'il fait lui • même. II entend feulement que 1'harmonie guide 1'artifte, fans qu'il y forge, dans 1'invenuon de fa mélodie , & que toutes les fois quil fan un beau chant, il fuit une harmonie réguliere; ce qui doit être vrai , par la liaifon que 1'art a mife entre ces deux parties, dans tous les pays oü 1'harmonie a dirigé la marche des fons, les regies du chant & 1'acceut mufical: car ce qu'on appelle chant prend alors une beauté de convention, laquelle n eft point abfolue, mais relative au fyftême harmonique, & a ce que, dans ce fyftême, on eftime plus que le chant. Maïs fi la longue routine de nos fucceflion? haimomques guide 1'homme exercé & le compofi-  E X a m e lt teur de profeffion; quel fut le guide de ces ignorans, qui n'avoient jamais entendu d'harmonie, dans ces chants que la nature a diétés longtems avant liivention de 1'art? dvoient-ils donc un fentiment d harmonie antérieur a 1'expérience; & fi quelqu'un leur eüt fait entendre la baffe-fondamentale de fair qu'Us avoient. compofé, penfe-1 - on qu'aucun d'eux eüt reconnu-Ia fon guide & qu'il eüt trouvé le moindre rapport entre cette baffe & cet air? Je dirai plus. A juger de Ia mélodie des Grecs par les trois ou quatre airs qui nous en reflent comme il eft impoffible d'ajufter fous ces air» une' bonne baffe -fondamentale , il eft impoffible auffi que le fentiment de cette baffe, d'autant plus réguhere qu'elle eft PrBs naturelle, leur ait fuggéré ces mêmes airs. Cependant cette mélodie qui ies tranfportoit, étoit excellente ü leurs oreilles, & l'on ne peut douter que la nótre ne leur eüt paru d'une barbarie infupportable, Donc ils en jugeoient fur un autre principe que nous. Les Grecs n'ont reconnu ponr confonnances que celles que nous appellons confonnances parfaites; ils ont rejetté de ce nombre les tiercés & les fixtes. Pourquoi cela? C'eft que 1'intervalle du ton mineur étant ignoré d'eux ou du moins profcrit de la pratique, & leurs confonnances n'étant point tempérées, toutes leurs .ierces majeures étoient trop fortes d'un comma , & leurs tiercés mineures trop foibles d'autant, & par conféquent leurs (mes majeures & mineures altérées de même. Qu'on penfe maintenaut  »e deux Principes. 397 quelles notions d'harmonie on peut avoir fk quels modes harmoniques on peut établir, en banniffant les tiercés & les fixtes du nombre des confonnances! Si les confonnances mêmes qu'ils admettoient, leur euffent été connues par un vrai fentiment d'harmonie , ils les euffent dü fentir ailleurs que dans la mélodie ; ils les auroient, pour ainfi dire, fotisentendues au-deflbus de leurs chants: la confonnance tacite des marches fondamentales leur eüt fait donner ce nom aux marches diatoniques qu'elles engendroient; loin d'avoir eu moins de confonnances que nous, ils en auroient eu davantage, & préoccupés, par exemple, de la baffe tacite ut fol, ils euffent donné le nom de confonnance a l'intervalle mélodieux d'ut a re. „ Quoique 1'auteur d'un chant, dit M. Ra, meau , ne connoiffe pas les fons fondamentaux dont ce chant dérive , il ne puife pas moins dans cette fource unique de toutes nos produftions en mufique". Cette doarine eft fans doute fort favante , car 11 m'efl impoffible de 1'entendre. Tachons, s'il fe peut, de m'expliquer ceci. La plupart des hommes qui ne favent pas Ia mufique & qui n'ont pas appris combieu il eft beau de faire grand bruit, prennent tous leurs chants dans le medium de leur voix, & fon diapafon ne s'étend pas communément jufqu'a pouvoir en entonner la baffb-fondamentale, quand même ils la fauroient. Ainfi, non-feulement cet ignorant qui compote un air, n'a nulle notion de la baffe • fonda-  SOS E X A M E X mentale 'de cet air, il eft même également hors d'état & d'exécuter cette baffe lui-même, & de la reconnoltre, lorfqu'un autre 1'exécute. Mais cette baffe - fondamentale qui lui a fuggéré fon chant, & qui n'eft ni dans fon entendement, nf dans fon organe, ni dans fa mémoire, oü eft-elle donc? M. Rameau prétend qu'un ignorant entonnera naturellement les fons fondamentaux les plus fenS. bles, comme, par exemple, dans le ton ffut un fol fous un re, & un Ut fous un mi. Puifqu'il dit en avoir fait 1'expérience, je ne veux pas en ceci rejetter fon autorité. Mais quels fujets a-t-il pris pour cette épreuve! Des gens qui, fans favoir la mufique, avoient cent fois entendu de 1'harmonie & des accords; de forte que 1'impreffion des intervalles harmoniques & du progrès correfpondant des parties dans les paffages les plus fréquens, étoit reftée dans leur oreille & fe tranfinettoit a leur voix fans même qu'ils s'en doutaffent. Le jeu des racleurs de guinguettes fuffit feul pour exercer le peuple des environs de Paris a 1'intonation des tiercés & des quintes. J'ai fait ces mêmes expériences fur des hommes plus ruftiques & dont 1'oreille étoit jufte; elles ne m'ont jamais rien donné de femblable. ils n'ont entendu la baffe qu'autant que je la leur fouf. flois; encore fouvent ne pouvoient-ils la faifir: ils n'appercevoient jamais le moindre rapport entre deux fons différens entendus a la fois: cet enfemble même leur déplaifoit toujours, quelque jufle que füt I7n« tervalle ; leur oreille étoit choquée d'une tiercé,  de deux Principes. 399 comme la nótre 1'eft d'une diflbnance, & je pui* aflürer qu'il n'y en avoic pas un pour qui la cadenca rompue n'eüt pu terminer un air tout auiïi bien que la'cadence parfaite, fi 1'uniiTon s'y füt trouvé de même. Quoique le principe de 1'harmonie foit naturel, comme il ne s'offre au fens que fous 1'apparence de 1'uniffon, le fentiment qui le développe eft acquis & faêtice, comme la plupart de ceux qu'on attribue il la nature , & c'eft furtout en cette partie de la mufique qu'il y a, comme dit trés-bien M. d'Alembert, un art d'entendre, comme un art d'exécuter. J'avoue que ces obfervations, quoique jufles, rendent a Pari* les 1'expérience difficiles, car les oreilles ne s'y préviennent gueres moins viie que les efprits: mais c'eft un inconvénient inféparab'.e des grandes villes, qu'il y faut toujours chercher la nature au loin. ün autre exemple dont M. Rameau aftend tout, & qui me femble a moi ne prouvet rien, c'eft l'intervalle des deux notes ut fa diefe, fous lequel, appliquant différentes baffes qui marquent différentes tranfuions harmoniques, il prétend montrer par les diverfes affeétions qui en naiffent, que la force de ces affeétions dépend de 1'harmonie & non du chant. Comment M. Rameau a-t-il pu fe laifTer abufer par fes yeux, par fes préjugés, au point de prendre tous ces divers paffages pour un même chant, paree que c'eft le même intervalle  aoo Examen apparent fans fonger qu'un intervalle ne doit étre cenfé le même , & furtout en mélodie , qu'autant qu'il a le même rapport au mode; ce qui n'a lieu dans aucun des paffages qu'il cite. Ce font bien fur le clavier les mêmes touches, & voila ce qui trompe M. Rameau, mais ce font réellement ajitant de mélodies différentes; car non • feulement elles fe préfentent toutes a 1'oreille fous des idéés diverfes, mais même leurs intervalles exaéts different prefque tous les uns des autres. Quel eft le muficien qui dira qu'un triton & une fauffe quinte, une feptieme diminuée & une fixte majeure, une tiercé mineure & une fixte majeure, une tiercé mineure & une feconde fupcrflue forment la même mélodie, paree que les intervalles qui les donnent font les mêmes fur le clavier? Comme fi 1'oreille n'apprécioit pas toujours les intervalles felon leur jufteffe dans le mode, & ne corrigeoit pas les erreurs du tempérament fur les rapports de la modu!a;ion 1 Quoique la baffe détermine quelquefois avec plus de promptitude cV d'énergie les changemens de ton, ces changemens ne laifferoient pourtant pas de le faire fans elle, & je n'ai jamais prétendu que 1'accompagnement füt inutile a la mélodie, mais feulement qu'il lui devoit être fuberdonné. Quand tois ces paffages de Vut au fa diefe feioient exaétement le même intervalle, employés dans leurs différentes places, ils n'en feroient pas moins autant de chants différens, étant pris ou fuppofés fur différentes cordes du mode , & compofés de plus ou moins de de-  de deux Principes. 401 degrés. Leur variété ne vient donc pas de 1'harmonie , mais feulement de la modulation qui appartient inconteftablement a la mélodie. Nous ne parions ici que de deux notes d'une durée indéterminée; mais deux notes d'une durée iridéterminée ne fuffifent pas pour conftituer un chant, puifqu'elles ne marquent ni mode ni phrafe,' ni commencement ni Cis. Qui eft-ce qui peut imagincr un chant depourvu de tout cela? A quoi penfe M. Rameau, de nous donner pour des acceffoires de la mélodie, la mefure, la différence du haut ou du bas , du doux ou du fort, du vite & du lent; tandis que toutes ces chofes ne font que la mélodie elle-même, & que fi on les en féparoit, elle n'exifleroit plus. La mélodie eft un langage," comme la parole; tout chant qui ne dit rien p'eft rien, & celui-la feul peut dépendre de 1'harmonie. Les fons aigus ou graves repréfentent les accens femblables dans le difcours, les breves & les longues, les quantités iemblables dans la profodie, la mefure égale & conftante, le rhythme & les pieds des vers, les doux & les forts, Ia voix remiffe ou véhémehte de 1'orateur. Ya- t-il un homme au monde aflez froid, aflez dépourvu de fentiment pour dire ou lire des chofes paflionnées, fans jamais adoucir ni renforcer la voix? M. Rameau, pour comparer la mélodie a 1'harmonie, commence par dépouiller la piemiere de tout ce qui lui-étant propre, ne peut convenir a 1'autre: il ne confidere pas Ia mélodie comme un chant, mais comme un Supplim, Tom. FI. S  402 Examen rernpliffage; il dit que ce rempliffage nait de 1'harmonie & il a raifon. • Qu'est-ce qu'une fuite de fons indéterminés, quant a la durée? Des fons ifolés & dépourvus de tout effet commun qu'on entend, qu'on faifit féparément les uns des autres, & qui, bien qu'engen* drés par une fucceffion harmonique , n'offrent aucun enfembie a 1'oreille, & attendent, pour former une phrafe & dire quelque chofe, la liaifon que la mefure leur donhe. Qu'on préfente au muficien une fuite de notes de valeur indéierminée, il en va faire cinquante mélodies entiérement différentes, feulement par les diverfes manieres de les fcander, d'en combiner & varier les mouvemens; preuve invincible que c'eft a la mefure qu'il appartient de fixer toute mélodie. Que fi Ia diverfité d'harmonie qu'on peut donnet a fes fuites, varie auffi leur», efféts, c'eft qu'elle en fait réellement encore autant de mélodies différentes , en donnant aux mêmes intervalles, divers emplacemens dans 1'échelle du mode; ce qui, comme je 1'ai déja dit, change entiérement les rapports des fons & le fens des phrafes. L a raifon pourquoi les anciens n'avoient point de mufique purement inftrumentale , c'eft qu'ils n'avoient pas 1'idée d'un chant fans mefure, ni d'une autre mefure que celle de la poëfie; & la raifon pourquoi les vers fe chantoient toujours & jamais la profe, c'eft que la profe n'avoit que la partie du chant qui dépead de 1'intonation-; au lieu que les  de deux Principes» 403 ▼ers avoient encore 1'autre partie conftitutive de la mélodie, favoir le thyihrne. Jamais perfonne, pas même M. Rameau, n'a divifé la mufique en mélodie, harmonie & mefure , mais en harmonie & mélodie; après quoi 1'une & 1'autre fe confidere par les fons & par les tems. M. Rameau prétend que tout le charme, toute 1'énergie de la mufique eft dans 1'harmonie, que la mélodie n'y a qu'une part fubordonnée & ne donna a 1'oreille qu'un léger & ftérile agrément. 11 faut 1'entendre raifonner lui-même. Ses preuves perdroienc trop a étre rendues par un autre que lui: Tout chotur de mufique , dit • il, qui eft lent £? dont la fucceffion harmonique efi bonne, plait toujours fans le fecours daucun dejfein , ni d'une mélodie qui puife afecïer d'elle - même ; & ce plaifir eft tout autre que celui qu'on éprouve ordinairement d'un chant agréable ou flmplement vif & gai. (Ce parallele d'un chceur lent & d'un air vif & gai me parott affez plaifant). L'un fe rapporte direêtement a 1'ame. (Notez bien que c'eft le grand chceur 4 quatre parties.) L'autre ne pafte pas le canal de i'oreille. (C'eft le chant, felon M. Rameau). J'en appelle encore a l'Amour triomphe, déja cité plus dune fois. (Cela eft vrai.) Que 1'on compare le plaifir qu'on éprouve a celui que caufe un air, foit vocil, foit infirumental. J'y confens. Qu'on me laiffe choifir la voix & l'air, fans me reftreindre au feul mouvement vif & gai, car cela n'eft pas jufte; S 2  +C-4 Examen & que M. Rameau vienne de fon cóté avec fon chceur VAmour triomphe & tout ce terrible appareil d'inflrumens & de voix, il aura beau fe choifir des juges qu'on n'affcéte qu'a force de bruit & qui font plus touchés d'un tambour que du rofïïgnol, ils feront hommes enfin. Je n'en veux pas davantage pour leur faire fentir que les fons les plus capables d'sffeéter 1'ame ne font point ceux d'un chceur de mufique. L'hak mon ie eft ene caufe purement phyfique; firoprefilon qu'elle produir refte dans le même ordiej des accords ne peuvent qu'imprimer aux nerfs un ébranlement paffager & ftérile; ils donneroient plutót des vapeurs que des paffions. Le plaifir qu'on prend a entendre un chceur lent, dépourvu de mélodie , eft purement de fenfaiion & tourneroit bientót a 1'eunui, fi 1'on n'avoit foin de faire ce ci.ceur très-court, furtout lorfqu'on y met toutes les voix dans leur tr.edium. Mais fi les voix font remiffes & baffes, il peut affeeïer 1'ame fans le fecours de 1'harmonie; car une voix remifl'e & lente eft une expreffion naturelle de trifteffe; un chceur a 1'uniffoB pourroit faire le même effet. Les plus beaux accords , ainfi que les plus belles couleurs, peuvent porter aux fens une impreffion agréable, & rien de plus. Mais les accens de la voix paffent jufqu'a 1'ame ,• car ils font 1'ex. preffion naturelle des paffions, & , en les peignant, jls les excitent- C'eft par eux que la mufique devient oratoire, éloquente, imitaiive; ils ea forment  DE DEUX FlUNCIïES. 4°5 lë langage; c'eft par eux qu'elle péint a Pimagjnarion les objets, qu'elle porte au cceur lesfenumenrj. La mélodie eft dans la mufique ce qu'eft le deffein dans la peinture, 1'harmonie n'y fait que 1'effet des couleurs. C'eft par le chanf, non par les accords que les fons ont de fexpreffion , du feu, de la vie; c'eft le chant feul qui leur donne les effots rooraux qui font toute 1'énergie de la mufique. En ua mot, le feul phyfique de 1'art fe réduit a bien peu de chofe & 1'harmonie ne paffe pas au-dela. Que s'il y a quelques mouvemens de 1'ame qui femblent excités par la feule harmonie , comme 1'ardeur des foldats par les inftrumens militaires , c'eft que tout grand bruit, tout bruit éclatant peut être bon pour cela ; paree qu'il n'eft queftion que d'une certaine agitation qui fe tranfmet de 1'oreille au cerveau , & que 1'imagination, ébranlée ainfi, fait le refte. Encore cet effet dépend-il moins de 1'harmonie que du rhythme ou de la mefure, qui eft une des parties conftitutives de la mélodie, comme je 1'ai lait voir ci - deffus. J a ne fuivrai point M. Rameau dans les exemples qu'il tire de fes ouvrages pour illuftrer- fon prüv cipe. J'avoue qu'il ne lui eft pas difficile de montrer, par cette voie , 1'infériorité de la mélodie; mais j'ai parlé de la mufique, & non de fa mufique. Sans vouloir démentir les éloges qu'il fe donne, je puis n'étre pas de fon avis fur tel ou tel morceau; & tous ces jugemens particuliers, pour ou contre, ne font pas d'un grand avantage au ptogtés de 1'art» i S 3  4c6* Examen Apre s avoir établi comme ona vu, lefait, vrat par rapport a nous, mais trés-faux généralement parlant, que 1'harmonie engendré la mélodie, M. Rameau finit fa differtation dans ces termes: Ainfi, ïoute mufique étant cofnprife clans 1'harmonie, on en doit conclure que ce n'eft qu'a cette feule harmonie qu'on doit comparer quelque fcience que ce foit , pag. «4. J'avoue què je ne vois rien a répondre a cette merveiileufe conclufion. Le fecond principe avancé "par M. Rameau, & duquel il me rede a parler, eft que Tharmonie re. préfente le corps fonore. 11 me reproche de n'avoir pas ajouté cette idéé dans la dc'finition de .'accompagnement. Jl eft a croire que fi je 1'y etiffe aioutée, il me 1'eüt reproché davantage, ou du moins avec plus de raifon. Ce n'eft pas fans répugnance que j'entre dans 1'examen de cette addition qu'il exige: car, quoique le principe que je viens d'cxaminer, ne foit pas en lui-même plus vrai que celui, ci, 1'on doit beaucoup 1'en diftinguer, en ce que fi c'eft une erreur, c'eft au moins Terreur d'un grand muficien qui s'égare a force de fcience. Mais ici je ne vois que des mots vuides de fens, & je ne puis pas même fuppofer de la bonne foi dans 1'auteur qui les ofe donner au public, comme nn principe de 1'art qu'il profcffe. L'harmonie repréfente le corps fonore! Ce mot de corps fonore a un certain éclat fcientifique , il annonce un phyficien dans celui qui 1'emploie ; mais tn mufique que fignifie.t il? Le muficien ne coafi-  be deux Principes. 4°f dére pas le corps fonoie en lui-rnême, il ne Ie confidere qu'en aftion. Or, qu'eft - ce que le corps fonore en aftion? c'eft le fon: 1'harmonie repréfente donc le fon. Mais 1'harmonie accompagne le fon. Le fon n'a donc pas befoin qu'on le repréfente, puifqu'il eft-la. Si ce galimathias paroit rifible, "ce n'eft pas ma faute affurément. Mais ce n'eft peut - être pas le fon mélodieux que 1'harmonie repréfente , c'eft la colleftion des luns harmoniques qui 1'accompagnent: mais ces fons ne font que 1'harmonie elle-même; 1'harmonie repréfente donc 1'harmonie , & 1'accompagnement , 1'accompagnement. Si 1'harmonie ne repréfente ni Ie fon mélodieux, ni fes harmoniques , que repréfente-1 • elle donc? Le fon fondamental & fes harmoniques, dans lefquels eft compris le fon mélodieux. Le fon fondamental & fes harmoniques font donc ce que M. Rameau appelle le corps fonore. Soit; mais voyons. Si 1'harmouie doit repréfenter le corps fonore, la baffe ne doit jamais contenir que des fons fondamentaux ; car, a chaque renverfement, le corps fonore ne rend point fur la baffe 1'harmonie renverfée du fon fondamental, mais 1'harmonie direfte du fon renverfé qui eft a la baffe, & qui, dans le corps fonore, devient ainfi fondamentale. Que M. Rameau prenne la peine de répondre a cette feule objection, mais qu'il y reponde clairement & je lui donne gain de caufe. Jamais le fon fondamental ni fes harmoniques, S 4  4o8 Examen pris pour Ie corps fonore , ne donnent d'accord mineur; jamais ils ne donnent Ia diffonance; je par'e dans le fyftême de M. Rameau. L'harmonie & 1'accompagneraent font pleins de tout cela, principa. lementdansfa pratique: donc l'harmonie & 1'accompignement ne peuvent repréfenter le corps fonore. I l faut qu'il y ait une différence inconcevable entre la maniere de raifonner de cet auteur & Ia miemie; car voici les premières conféquences que fon principe, admis par fuppofition, me fuggere. S i 1'accompagnement repréfente Ie corps fonore, il ne doit rendre que les fons rendus par le corps Tonore. Or, ces fons ne forment que des accords parfaits. Pourquoi donc hériilér 1'accompagnemcnt de diffonances? Selon M. Rameau, les fons concomitans rendus par le corps fonore , fe bornent a deux , favoir la tiercé-majeure & Ia quinte. Si 1'accom-' pagnement repréfente le corps fonore, il faut donc le fimplifier. ' L'instrument dont on accompagne, el un corps fonore lui même, dont chaque fon eft toujours accompagné de fes harmoniques naturels. Si donc 1'accompagnement repréfente le corps fonore, on ne doit frapper que des uniffons; car les harmoniques des harmoniques ne fe trouvent point dans Ie corps fonore. En vérité ,".fi ce principe que je combats m'étoit venu, & que je 1'euife trouvé folide, je m'en ferois fervi contre le fyftême de M. Rameau & je 1'aurois cru renverfé. Mais  nr. deux Princtpes. 409 Maïs donnons, s'il fe peut, de la précifion a fes idéés; nous pourrons mieux en fentir lajufteffe eu la faulfeté. Pour concevoir fon principe, il faut entendre que le corps fonore eft repréfenté par la balTe & fon accompagnement, de faeon que la baffe-fondamentale repréfente le fon généTateur, & l'accompagnement fes productious harmoniques. Or , comme les fons harmoniques font produits par la baffe. fondamentale, la baffe-fondamentale, a fon tour, eft produite parle concours des fons harmoniques: ceci n'eft pas un principe de fyftême, c'eft un fait d'expérience, connu dans 1'Italie depuis longtems. I l ne s'agit donc plus que de voir quelles conditions fontrequifes dans 1'accbmpagnement, pour repréfenter exaétement les produétions harmoniques du corps fonore, & fournir par leur concours ia baffe- fondamentale qui leur convient. 1 l eft évident que la première & la plus effen* tielle de ces conditions eft de produire, a chaque accord, un fon fondamental unique; car, ü vous produifez deux fons fondamentaux, vous repréfentez deux corps fooorei au lieu d'un , & vous avez duplicité d'harmonie, comme il a déja été obfervé par M. Serre. Or, 1'accord parfait, tiercé-majeure, eft le feul qui ne donne qu'un (on fondamental; tout autre accord le multipne : ceci n'a befoin de démonftraiion pour aucun théoricien , & je me contenterai d'un exemple fi fimple, que fans figure ni note, il puiffi S 5  410 Examen étre entendu des lefteurs les moins verfés en mufique, pourvu que les termes leur en foient connus. Dans 1'expérience dont je viens de parler, on trouve que la titrce majeure produit pour fon fondamental ,. 1'oflave du fon grave, & que la tiercemineure produit la dixieme majeure, c'eft-a-dire, que cette tiercé-majeure ut ?»; vous donnera 1'oftave de Vul pour fon fondamental, & que cette tiercé • mineure mi fol, vous donnera encore la même ut pour fon fondamental. Ainfi , tout cet accord entier ut mi fol ne vous donne qu'un fon fondamental; car la quinte ut fol qui donne i'uniflbn de fa note grave , peut être cenrée eu donner 1'oftave, ou bien en defcendant ce fol a fon oftave, 1'accord eft un a la derniere rigueur; car le fon fondamental de la fixte mnjeure fol mi eft a la quinte du grave, & le fon fondamental de la quarte Jol ut eft encore a la quinte du grave. De cette maniere, l'harmonie eft bien ordonnée & repréfente exaftement le corps fonore: mais au lieu de divifer liarmoniquement la quinte , en mettant la tierceinajeure au grave, & la mineure a l'aigu, tranfpofons cet ordre en ladivifant arithmétiquement, nous aurons cet accord parfait tiercé • mineure , ut mi b.'mol fol, & prenant d'autres notes pour plus de commodité, cet accord femblable la ut mi. A l o r s on trouve la dixieme fa pour fon fondamenal de la tiercé-mineure la ut. & 1'oftave ut pour fon fondamental de la tierde - majeure ut mi. On ne fauroit donc frapper cet accord complet,  de deux Principes. 411 fa„s produire a la fois deux fons fondamentaux. Il y a pis e.,core , c'eft qu'aucun de ces deux fon, fondamentaux n'étant le vrai fondement de 1'accord & du mode, il nous faut une troifieme bafie la qui donne ce fondement. Alors il eft manifefte que 1'accompagnement ne peut repréfenter le corps fonore qu'en prenant feulement les notes deux k deux;'auque' cas on aura la pour baffe engendrée fous la quinte la mi, fa fous la tiercé-mineure ia ut & ut fous la tiercé-majeure ut m. Sitot donc que vous ajouterez un troifieme fon, ou vous ferez un accord parfait majeur, ou vous aurez det.x fons fondamentaux & par conféquent la repréfentation du corps fonore difparoltra. Ce que je dis ici de l'accord parfait mineur, doit s'entendre a plus forte raifon de tout accord d.flonant complet , oü les fons fondamentaux fe multipliem par la compoütion de l'accoru, 6t Ion ne doit pas oublier que tout cela n'eft dédun que du principe même de M. Rameau, adopté par fuppofition. Si 1'accompagnement devoit repréfe.uer le corps fonore, combien donc n'y devroit-on paa être circonfpeft dans le choix des fons cc des diflb. nances , quoique régulieres & bien ftuvées? Voila la première conféquence qtt'11 faudroit t.rer de ce principe fuppofé vrai. La raifon , l'ore,l;e, 1'ex. périence , la pratique de tous les peuple» qui om ' le plus de juftefle & de f nübilité dans 1'organe, tout fuggéroit cette conféquence a M. Ram au. il en the pourtant une toute contraire; &, pour S 6  412 Examen 1'établir, il réclame les droits de la nature, mots qu'en qualité d'artifte il ne devroit jamais prononcer. I l me fait un grand crime d'avoir dit qu'il falloit retrancher quelquefois des fons dans 1'accompagnement, & un bien plus grand encore d'avoir compté la quinte parmi ces fons qu'il falloit retrancher dans 1'occafion. La quinte, dir-il, qui eft t'are ■ bon. tant de F harmonie, & quon doit par conféquent priférer partout oü elle doit être employee. A la bonne heure, qu'on la préfere quand elle doit être cmployée: mais cela ne prouve pas qu'elle doive toujours 1'être: au contraire, c'eft juftement paree qu'elle eft trop harmonieufe & fonore qu'il la faut fouvent retrancher , furtout dans les accords trop éloignés des cordes principales, de peur que 1'idée du ton ne s'éloigne & ne s'éteigne, de peur que 1'oreille incertaine ne partage fon attention entre les deux fons qui forment la quinte ,' ou ne la donne précifément a celui qui eft étranger a la mélodie & qu'on doit le moins écouter. L'ellipfe n'a pas moins d'u Examen, &c.. réelles: car .'harmonie ne confifte pas dans les ra», pons de vibrations, mais dans le concours des fons qui en réiuitent; & fi ces fons font nuls, comment toutes les proportions du monde leur donneroient* elles une exiftence qu'ils n'ont pas ? I l eft tems de m'arréter. Voila jufqu'ou l'examen des erreurs de M. Rameau peut importer a la fcience harmonique. Le refle n'intéreffe ni les lecteurs, ni moi-même. Armé par le droit d'une jufte défenfe , j'avois a combattre deux Principes de cet auteur, dont 1'un a produit toute la mauvaife mufique dont fon école inonde le public depuis nombre d'années; 1'autre le mauvais acccompagnement qu'on apprend par fa méthode. J'avois a montrer que fon fyilême harmonique eft infuffifant, mal prouvé, fondé fur une fauffe expérience. J'ai cru ces recherches intéreflames. J'ai dit mes raifons, M. Rameau a dit ou dira les Hennes; le public nous jugtra. Si je finis fitót cet écrit, ce n'eft pas que la matiere me manque; mais j'en ai dit aflez pour 1'utiHté de 1'art & pour 1'honneur de la vérité ; je ne crois pas avoir a défendre le mien contre les outrages de M. Rameau. Tant qu'il m'attaque en artifte, je me fais un devoir de lui répondre & difcute avec lui volontiers les points conteftés. Sitót que 1'homme fe montre & m'attaque perfonnellement, je n'ai plus rien a lui dire? ö: ne vois en lui que le muficien.  LETTRE A M. B U R N E Y SUR LA M U S I Q U E, Avec Fragment dOifervatiom fur PAkefle halten de M. le Chevalier Gluck.  AVERTISSEMENT DES ÈDITEURS. 'Les Pieces [uivantes ne fent que des Fragmens d'un Ouvrage que M, Rottffeau'n acheva point. 11 donna fon manufcrit, prefque indéchijfrable, a M. Prévoft de l''Académie Royale des Sciences & BellesLettres de Berlin, qui a bien voulu nous le remettre. 11 y a joint la Copie qu'il en fit lui même fous les yeux de M. Roujfeau, qui la corrigea de fa main & diftribua ces Fragmens dans l'ordre oa nous les donnons. M. Prévoft, 'connu du public par une excellente TraduQion de l'Orefle d'Euripide, a fuppléê, dans ks Obfervations fur l'Alcefte, quelques paffages dont le fens étoit reftê fufpendu & qui ne fembloit point fe lier avec le refte du Dif. cours ; noui avons fait écrire ces paffages en haltqv.es: fans cette précaution il auroit été difficile de les diftinguer du texte de M. Roufeau.  LETTRE D E J. J. ROUSSEAU A M. LE DOCTEUR BURNET, Auteur de niifioire générale de la Mufique.. Vous m'avez fait fucceffivement , Morüeur, plufieurs esdoorn prédeux de vos éerks; chacun defquels méritoit bien un remerclment exprès. La prefque abfolue impoffibilité d'éciire m'a jufqn iffl empêché de reinplir ce devoir; mais le premier volume de votre hiftoke générale de la nuGqofr, en ranimant en moi un refte de zele pour un art auquel le vótre vous a fait employer tant de travaux, de tems, de voyages & de dépenfes, m excite it vous en marquer ma reconnoiflbuce en m enk tretenant quelque tems avec vous du fujet favoit de vos recherches, qui doit immortalifer votre nom chez les vrais amateurs de ce bel art. S! j'avois eu le bonheur d'en conférer avec vous un peu a loifir, tandis qu'il me reftoit quelques idéés encore fnnchei , pu tirer des vótres bien des inftruaions, dont le pubiic pourra profiter , mais qui feront perdues pour moi, deformais privé de mémoire & hors d'étar de rien lus. Mais je puis du moins conllgner ici fommairement quelques-uns des points fur lefquels j'auro.s defiré vous confuker, aün que les aniftes ne foient pas  420 O' B S E R V A ï I 0- N S privés des éclairciffemens qu'ils leur vaudront de votre part, & laiflant bavarder fur k mufique en belles phrafes, ceux qui, fans en favoir faire, ne laiiTent pas d'étonner )e public de leurs favantes Ipiculations; je me bornerai a ce qui tient plus immédiatement a la pratique, qui ne donne pas U'ie prife fi commode aux oracks des beaux efprits, mais dont 1'étude eft feule mik aux véritabks pro grês de 1'art. i. Vous vous enêtes trop occupé, Monfïeur, pour n'avoir pas fouvent remarqué combien notre maniere d'écrire Ia mufique eft confufe, embrouillée & fouvent équivoque ; ce qui eft une des caufes qui rendent fon étude fi longue & fi difficile» Frappé de ces inconvéniens, j'avois imaginé, il y a une quarantaine d'années, une maniere de 1'écrirs par chiffres, moins volumineufe, plus fi.npk, &, felon moi, beaucoup plus claire. J'en lus le projet en 1742 a 1'Académie des Sciences, & je le propofai 1'année fuivante au public, dans une brochure que j'ai 1'honneur de vous envoyer. Si vous prenez la peine de la parcourir, vous y verrez a quel point j'ai réduit le nombre & fimplifié 1'ex. preffion des fignes. Comme il n'y a dans 1'échelle que fept notes diatoniques, je n'ai non plus que fept caraéteres pour ks exprimer. Toutes les autres, qui n'en font que les repliques, s'y préfentent a leur degré, mais toujours fous le figne primiiif; les intervalles majeurs, mineurs, fuperfius & diminués ae s'y confoudent jamais de pofuion, comme dans  sur l'Alceste de M. Glück. 421 la mufique ordinaire, mais chacun a fon caractere inhérent & propre qui, fans égard a la pofition ni a la clef, fe préfente au premier coup-d'ceü; je profcris le bécarre comme iniitile, je n'ai jamais ni bémol ni diefe a la clef ;, enfin , les accords, l'harmonie & fenchaluement des modulations s'y montrent dans une partition, avec une clarté qui ne laifle rien échapper a 1'ceil; de forte que la fuo ceflion en eft aufli claire aux regards du keaeur , que dans 1'efprit du compofiteur mème. Maïs la partie la plus neuve & la plus utile de ce fyilême ck celle cependant qu'on a le moins rernarquée, eft celle qui fe rapporte aux valeurs des notes & a fexpreffion de la durée & des quantités dans le tems. C'eft la grande timplicité de cette partie qui 1'a empêché de faire fenfation. Je n'ai point de figures particulieres pour les rondes, blanches, noires, croches, doublés-croches; &c. tout cela, rameué par la pofition feule a des aliquotes égales, préfente a 1'ceil les divifions de la mefure & des tems, fans prefque avoir befoin, pour cela, de fignes propres. Le zéro feul fuflit pour exprimer un filence quelconque; le point, aprês une note ou un zéro, marqué tous les prolongemens poffibles d'un filence ou d'un fon. 11 peut repréfenter toutes fortes de valeurs; ainfi, les paufes, demipaufes, foupirs, demi-foupirs, quarts-de-foupirs, &c. font profcrits, ainfi que les diverfes figures de notes. J'ai pris en tout le contre • pied de la note ordinaire; elle repréfente les valeurs par des figu<  432 Observations res, & les intervalles par des pofitions; moi, j'exprime les valeurs par la pofition feule, & les intervalles par des chiffres, &c. Cet ie maniere de noter n'a point étéadoptée, comment auroit-elle pu 1'étre? elle étoit nouvelle & c'étoit moi qui la propofois? Mais fes défauts, que j'ai remarqué le premier , n'empêchent pas qu'elle n'ait de grands avantages fur 1'autre, furtout pour la pratique de la compofition, pour enfeigner la mufique a ceux qui ne Ia favent pas, & pour noter commodément , en petit volume, les airs qu'on entend & qu'on peut defirer de retenir. Je 1'ai donc confervée pour mon ufage, je 1'ai perfeétionnée en la pratiquant, & je 1'emploie furtout a noter la baffe fous un chant quelconque, paree que cette baffe, écrite ainfi par unejigne de chiffres, m'épargne une portée, doublé mon efpace & fait que je fuis obligé de tourner la moitié moins fouvent. 2. En perfeétionnant cette maniere de noter, j'en ai trouvé une autre avec laquelle je 1'ai combi, née & dont j'ai maintenant a vous rendre compte. Dans les exemples que vous avez donnés du chant des Juifs, vous les avez , avef raifon, notés de droite a gauche. Cette direction des ügnes eft la plus ancienne, & elle eft reflée dans 1'écriture oriëntale. Les Grecs eux-mémes la fuivirent d'abord; enfuite ils imaginerent d'écrire les lignes en fiilons, c'eft-a-dire, alternativement de droite a gauche, & de gauche i droite. Enfin, la difficulté de lire  sur l'Alceste de BI. Gluce. 423 & d'écrire, dans les deux fens, leur fit abandonner tout-a-fait 1'ancienne diredion, & ils écrivirenr, comme nous faifons aujourd'hui , uniquement de gauche a droite, revenant toujours a la gauche pour recommencer chaque ligne. Cette marche a un inconvénient dans le faut que 1'ceil eft forcé de faire de la fin de chaque ligne au commencement de la fuivante, & du bas de chaque page au haut de celle qui fuit. Cet inconvénient, que 1'habitude nous rend infenfible dans la lefture , fe fait mieux fen.ir en lifant la mufique, oü les lignes étant plus longues, 1'ceil a un plus grand faut a faire, & oü la rapidité de ce faut fatigue è la longue , • furtout dans les mouvemens vites; en forte qu'il arrivé quelquefois dans un concerto, que le fymphonifte fe trompe de portée & que 1'exécution eft arrêtée. J'a 1 penfé qu'on pourroit remédier a cet inconvénient & rendre la Mufique plus commode & moins fatigante a lire, en renouvellant pour elle la méthode d'écrire par fillons, pratiquée par les anciens Grecs, & cela d'autant plus heureufement que cette méthode n'a pas pour la Mufique, la même difficulté que pour 1'écriture; car la note eft également facile a lire dans les deux fens , & fon n'a pas plus de peine, par exemple, a lire le plein-chant des Juifs, comme vous 1'avez noté , que s'il étoit noté de gauche a droite comme le nótre. C'eft un faie d'expérience que chacun peut vétifier fur le champ, que qui chante a livre ouvert de gauche a droite,  424. Observations chantera de méme h livre ouvert de droite a gauche fans s'y être aucuneraent preparé. Ainfi point d'embarras pour Ia pratique. Puur m'aflurer de cette méthode par 1'expértence, prévoir toutes les objeétions & lever toutes les difficultés, j'ai écrit de cette maniere beaucoup de mufique tant vocale qu'inftrumentale , tant en parties féparées qu'en partition , ni'attachant toujours è cette conftante regie , de difpofer tellement Ia fucceffion des lignes & des pages, que 1'ceil n'eüt jamais de faut a faire, ni de droite a gauche, ni de bas en haut, mais qu'il recommencat toujours Ia ligne ou la page fuivante, méme en tournant, du lieu même oü finit la précédente; ce qui fait procéder alternativement Ia moitié de mes pages de bas en haut, comme la moitié de mes lignes de gauche a droite. J e ne parlerai point des avantages de cette ma. niere d'écrire Ia mufique, il fuffit d'exécuter une fonate notée de cette facon pour les fentir. A 1'égard des objeétions, je n'en ai pu trouver qu'une feule & feulement pour la mufique vocale; c'eft Ia difficulté qui revient de deux en deux lignes, & j'avoue que je ne vois nul autre moyen de la vaincre, que de s'exercer quelques jours a lire & écrire de cette facon, comme font les Imprimeurs, habitude qui fe contrnéte trés promptement. Mais quand on ne voudroit pas vaincre ce léger obftacle pour les parties de chant, les avantages refteroient toujours lous emiers fans aucun inconvénient pour les parties- in-  sua l'Alceïïe de M. Gluck. 425 Jnftrumentales & pour toute efpece de fymphonies; & certainetnent dans 1'exécution d'une fonate ou d'un concerto , ces avantages fauveront toujours beaucoup de fatigue aux concertans & furtout a 1'inftrument principai. 3. Les deux facons de noter dont je viens de vous parler, ayant chacune fes avantages, j'ai imaginé de les réunir dans une note combinie des deux, afin furtout d'épargner de la place & d'avoir a tourner moins fouvent. Pour cela je note en mufique ordinaire , mais a la Grecque , c'eft-a« dire, en fillons les parties chantantes & obligées , & quant a la baffe qui procédé ordinairement par notes plus fimples & moins figurées, je la note de même en fillons, mais par chiffres dans les entrelignes qui féparent les portées. Do cette maniere chaque accolade a une portee de moins, qui eft celle de la baffe, & comine cette baffe eft écrite a la place oü. 1'on met ordinairement les paroles, j'écris ces paroles au-deflus du chant, au lieu de les mettre au-deflbus; ce qui eft indifférent en foi & empêché que les chiffres de la baffe ne fe confondent avec 1'écriture. Quand il n'y a que deux parties, cette maniere de noter épargne la moitié de la place. 4. Si j'avois été a portee de conférer avec vous avant la publication de votre premier volume, oü vous donnez 1'hiftoire de la mufique ancienne, je vous aurois propofé , Monfieur, d'y difcuter quel. ques points concemant la mufique des Grecs , defquels l'éclairciflement me paroit devoir jetter da Supplém. Tom. PI. T  4:6 Observations grancies lumieres fur Ia nature de cette mufique, tam jugée & fi peu connue ; points qui néanmoins n'ont jamais excité de queftion chez nos érudits, paree qu'ils ne fe font pas même avifés d'y penfer. J e nerenouvelle point, parmi ces queftions, celle qui regsrde notre harmonie , demandant fi elle a été connue & pratiquée des Grecs, paree que cette queftion me paroit n'en pouvoir faire une pour quiconque a quelque notion de 1'Art: & de ce qui nous refte , fur cette matiere , dans les auteurs Grecs, il faut lailfer chamailler la - delfus les érudits & fe contenter de rire. Vous avez mis, fous fair antique d'une Ode de Pindare , une fort bonne baffe. Mais je fuis trés • für qu'il n'y avoit pas une oreille Grecque que cette baffe n'eüt écorchée au point de ne la pouvoir endurer. Mais j'oferois demander, i. fi Ia poéfie Grec» que étoit fufceptible d'être chantée de plufieurs manieres, s'il étoit poflible de faire plufieurs airs différens fur les mêmes paroles, & s'il y a quelque exemple que cela ait été pratiqué? 2, Quelle étoit la diftinétion caractériftique de la poéfie lyrique ou accompagnée, d'avec la poéfie purement oratoire ? Cette diflinftion ne confiftoit - elle que dans le metre & dans Ie flyle , ou confiftoit-elle aufli dans le ton * de la récitation? N'y avoit-il rien de chanté dans la poéfie qui n'étoit pas lyrique , & y avoit- il quelques cas oü 1'on pratiquat, comme parmi nous, le rhythme cadencé fans aucune mélodie ? Qu'eft-ce que c'étoit proprement que la mufique inftrumentale  " SUR l'ALCSSTE DR M. GtüCK. A--7 des Grecs ? avoient-ils des fymphonies proprement dites, compoféesfans aucunes paroles? Ils jouoient des airs qu'on 'ne chantoit pas, je fais cela; mais n'y avoit-il pas originairement des paroles fur tous ces airs, & y en avoit -il quelqu'un qui n'eüc point été chanté ni fait pour 1'être ? Vous fentez que cette queftion feroit bien ridicule, fi celui qui la fait , ctoyoit qu'ils euffent des accompagnemens femblables aux nótres , qui euffent fait des parties différentes de la vocale; car, en pareil cas, ces accompagnemens auroient fait de la mufique purement inftrumentate. II eft vrai que leur note étoit différente pour les inftrumens & pour les voix , mais cela n'empêclioit pas, felon moi, que l'air noté des deux faeons ne füt le même. J'ignoris fi ces queftions font fuperficielles; mais je fais qu'elles ne font pas oifeufes. Eiles tiennent toutes par quelque có;é a d'autres queftions intéreffantes. Comme de favoir s'il n'y a qu'une mufique, comme le prononcent magiftralement nos doéteurs, ou fi peut-être, comme moi & quelques autres efprits vulgaires avons ofé Ie penfer, il y a effentiellement & Héceffairement une mufique propre a chaque langue , excepté pour les langues qui, n'ayant point d'accent & ne pouvant avoir de mufique a elles, fe fervent comme elles peuvent de celle d'autrui, précendant, a caufe de cela, que ces mufiques étrangeres qu'elles ufurpent au préjudice de nos oreilles , ne font a perfonne ou font a tous: corxm.e encore a 1'éclairciffement de ce grand prirtT 2  428 Obseevations cipe de futiité de mélodie , ftiivi trop exnctement par Pergolefe & par Léo , pour n'avoir pas été connu d'eux \ fuivi trés-fouvent encore , mais par inflinct & ians le connoitre , par les compofiteurs ftaliéns modemes; fuivi trés rarement par hazard, par quelques compofiteurs Allemands, mais ni connu par aucun compofiteur Francois, ni fuivi jamais tians aucune autre mufique fiancoife que le feul Dcvin du Village , & propofé par l'auteur de la Lettre fur la Mufique Francoife , & cu Diftionraire de Mufique, fans avoir été, ni compris, ni fuivi, ni peut-être lu par perfonne; principe dont la mufique moderne s'écarte journellement de plus en plus, jufqu'a ce qu'enfin elle vienne a.dégénérer en un tel charivari, que les oreilles ne pouvant plus la li;uiTrir, les auteurs foient ramems de force a ce principe fi dédaigné & a la marche de Ia nature. Ceci, Monfieur, me meneroit a des difctifïïons rechniques qui vous ennuyeroient peut-être par leur longueur. Cependant, comme il pourroit fe t ouver par hazard , dens mes vieilies rêveries mufiéate., quelques bonnes idéés, je m'étois propofé d'en jetter quelques-unes dans les remarques que 'ivl. Gluckm'avoit prié de faire fur fon Opéra Iialien d'Alcefie, & j'avois commencé cette befogne quand il me retira fon Opéra , fans me demander mes r. marqués qui n'étoitnt que commencées, & dont l'iudéchillrable brouillon n'étoit pns en éiat de lui èire remis. J'ai imsginé de tranlcrire ici ce fiagn.tnt dans cette occafion , ck de vous Ttnvojer,  suu l'Alceste de M, Gluck. 430 afin que fi vous avez la fantaifie d'y jetter les yeux, mes informes idéés fur la mufique lyrique puiffepc vous en fuggérer de meilleures, dont le public prefitera dans votre hiftoire de la mufique moderne. Je ne puis ni compléter cet extrait, ni donner a fes membres épars la liaifon néceflaire, paree que je n'ai plus 1'opéra fur lequel il a été fait Ainfi je me borne a tranferire ici ce qui eft fait. Comme 1'opéra d'Alcefte a été imprimé a Vienne, je fuppofe qu'il peut aifément pafler fous vos yeux, & au pi» aller , il peut fe trouver par ■ ci, par ■ la, dans ce fragment, quelque idéé générale qu'on peut enten» dre fans exemple & fans application. Ce qui rre donne quelque conflance dans les jugemens que je portois ci-devant dans cet extrait, c'eft qu'ils or,t été prefque tous confirmés depuis lors par le public, dans 1'Alcefle Francois que IVI. Gluck nous a donnó cette année a 1'opéra & oü i! a , avec raifon , employé, tant qu'il a pu, la mème mufique de fou Alceile Itaïien. F R A G M E N S D'OBSERVATIONS Sur l'Alcefte halten de M. le Chevalier Gluck. X-z'itxAMEN de 1'opéra d'Alcefte de M. Gluck, eft trop au-deffus de mes forces, furtout dun, l'éut de dépérilfement oü font, depuis plufieurs années, mes idéés , ma mémoire ck toutes mes facultés, T 3  430 Observations -pour que j'euiTe eu la préfomption d'en faire de moi - méme la pénible entreprife, qui d'ailkurs ne peut être bonne a rien; mais M. Gluck m'en a fi fort prefié, que ie n'ai pu lui refufer cette complaifance, quoiqu'aufli fatigante pour moi, qu'inutile pour lui Ja ne fuis plus capable de donner 1'attention nécefÏMire a un ouvrage aufli travaillé, Toutes mes obfervations peuvent être fauffes & mal fondées; & , loin de les lui donner pour des regies, je les foumets a fon jugement, fans vouloir, en aucune facon, les défendre: mais quand je me ferois trompé dans toutes, ce qui refiera toujours Téel & vrai, c'eft le témoignage qu'elles rendent a M. Gluck de ma déférence pour fes delirs & de mon eftime pour fes ouvrages. E n confidérant d'abord la marche totale de cette piece, j'y trouve une efpece de contre • fens géncial, en ce que le premier aéte eft le plus fort de mufique & le detnier le plus foible; ce qui eft dirt élement contraire a la bonne gradation du drame, oü 1'intérêt doit toujours aller en fe renforcant. Je conviens que le grand pathétique du premier aéte feroit hors de place dan* les fuivans, mais les forces de la mufique ne font pas exclufivement dans le pathétique, mais dans 1'énergie de tous les fentimens, & dans la vivacité de tous les tableaux. Partout cü 1'intérêt eft plus vif, la mufique dok être plus animée, & fes refiburces ne font pas moindres dans les expreffions brillantes & vives, que dans les gémüTemens & les pkurs.  sur. l'Alceste de M. Gluck. 431 Je conviens qu'il y a plus ici de la faute du poëte que du muficien ; mais je n'en crois pas celui-ci tout-a-fait difculpé. Ceci demande un peu d'explication. Jf. ne connois point d'ope'ra, oü les paffions foient moins variées que dans 1'Alcefte; tout y roule prefque fur deux feuls fentimens, 1'affliction & 1'effroi; & ces deux feniLnens toujours prolongés ont dü coüter des peines incroyables au muficien , pour na pas tomber dans la plus lamentable monotonie. En général, plus il y a de chaleur dans les fituations & dans les expreffions, plus leur paffage doit être prompt & rapide, fans quoi la force de 1'émotioti fe ralentit dans les auditeurs, & quand la mefure eft paffée, facteur a beau continuer de 1 fe démener, le fpeétateur s'attiédit, fe glacé & finit par s'impatienter. Il réfulte de ce défaut que 1'intérêt, au lieu de s'échauffer par degrés dans la marche de la piece, s'attiédit au contraire jufqu'au dénouemem qui, n'en déplaife a Euripide lui-même, eft froid, plat & prefque rifible a foice de flnplicité. St 1'auteur du drame a cru fauver ce défaut par la petite fête qu'il a mife au fecond acte, il s'eft trompé. Cette fête , mal placée & ridiculement amenée, doit choquer a la repréfentation, paree qu'elle eft contraire a toute vraifemblance & a toute bienféance, tant il caufe de la promptitude avec laquelle elle fe prépare & s'exécute, qu'a caufe de 1'abfence de la Reine. dont on ne fe met point T 4  432 O Bi El V 1 I 1 O K ) en peine, jufqu'a ce que le Roi s'avife a la fin d'y penfer (*). J'osekai dire que cet auteur, trop plein de fon Euripide, n'a pas tiré de fon fujet ce qu'il pouvoit lui fournir pour foutenir 1'intérét, varier la fcene & donner au muficien de 1'étoffe pour de nouveaux carafteres de mufique. II falloit faire mourir Alcefle au fecond afte & employer tout le troifieme a préparer, par un nouvel iniérét,faréfurrection; ce qui pouvoit amener un coup de thcatre aufïï admirable & frappant que ce froid retour eft infipide Mais, fans m'arrêter a ce que 1'auteur du drame auroit dü faire, je reviens ici a la mufique. Son auteur avoit donc a vaincre 1'ennui de cette uniformité de pafïïon & a prévenir i'accablement qui devoit en être 1'effet. Quel étoit le premier, le plus grand moyen qui fe préfentoit pour cela? C'étoit de ftippléer a ce que n'avoit pas fait 1'auteur du drame, en graduant tellement fa marche, que la mufique augmeniat toujours de chaleur en avancant, & devlnt enfin d'une véhéinence qui tranfponat .'auditeur; & il falloit tellement ménager ce progrès, que cette agitation finit ou changeat d'objet avaut de jetter 1'oreille & le cceur dans 1'épuifement. C'est ce que M. Gluck me paroit n'avoir pas fait, (*) J'ai donné, pour mieux encadrer cette féte & la rendre touchante & déchirante par fa gafté méttie , une idéé dont M. Gluck a profité dans fon Alcefte Frangois.  suu l'Alceste »e M. Gluck. 433 fait, puifque fon premier ade, aufli fort de mufique que Ie fecond, 1'eft beaucoup plus que le troifieme , qu'ainfi la véhémence ne va point en croiffant; & , dès les deux premières fcenes du fecond aéte, 1'auteur ayant épuifé toutes les forces de fon art, ne peut plus dans la fuite que foutenir foiblement des émotions du mème genre, qu'il a trop tót portées au plus haut degré. L'objection fe préfente ici d'elle-même. C'étoit il 1'auteur des paroles de renforcer, par une marche graduée, la chaleur & 1'intérêt: celui de la mufique n'a pu rendre les affeaions de fes perfonnages, que dans le même ordre & au même degré que le drame les lui préfentoit. II eüt fait des contrefens, s'il eüt donné a fes expreflions d'autres nuances que celles qu'exigeoient de lui les paroles qu'il avoit a rendre. Voila l'objeftion: voici ma réponfe. M. Gluck fentira bientót qu'entre tous les muficiens de 1'Europe, elle" n'eft faire que pour lui feul. T11 o 1 s chofes concourent a produire les grands tiTets de la mufique dramatique; favoir 1'accent, l'harmonie & le rhyime. L'accent eft déterminé par le poè'te, & le muficien ne peut gueres, fans faiie des contre-fens, s'écarter en cela, ni pour le choix , ni pour la force de la jufte expieflion des paroles. Mais, quant aux deux autres parties qui ne font pas de même inhérentes a la langue, ii peut, jufqu'a certain point, les combiner a fon gré, pour modifier & graduer 1'intérêt, felon qu'il T 5  434 Observations convient & Ia marche qu'il s'eft prefcrite. . . . J'oserai même dire que le plaifir de 1'oreille doit quelquefois 1'emporter fur la vérité de fexpreffion; car la mufique ne fauroit aller au cceur que par le charme de la mélodie & s'il n'étoit queftion que de rendre 1'accent de la pafïïon, 1'art de la déclamation fuffiroit feul, & la mufique, devenue inuiile, feroit plutót importune qu'agréable: voila 1'un des écueils que le compofiteur, trop plein de fon exprtffion , doit éviter foigneufemeut. II y a , dans tous les bons opéra, & furtout dans ceux de M. Gluck, mille morceaux qui font couler des larmes par la mufique , & qui ne donneroient qu'une émoiion médiocre ou nulle, dépourvus de fon fecours, quelque bien déclamés qu'ils puffent être. . I l fuit de - la que, fans altérer la vérité de 1'exprefïïon, le muficien qui module longtems dans les mêmes tons & n'en change que rarement, eft maitre d'en varier les nuances par la combinaifon des deux parties acceffoires qu'il' y fait concourir; favoir, l'harmonie & le rhythme. Parions d'abord de la première. J'en diftingue de trois efpeces» L'harmonie diatonique, la plus fimple des trois, & peut-éire la feule naturelle. L'harmonie chromatique, qui confifte en de continuels changemens de ton , par des fuccefïïons fondamentales de quintef» Et enfin l'harmonie que j'appelle pathétique, qui «onfifte en des entrelacemens d'accords fupeiflus &  9U11 L'ALCESTE DE M..GLÜCK. 4JÏ diminués, a la faveur defquels ou parcourt des tons qti ont peu d'analogie entr'eux; on affefte l'oredle d'intervalles déchirans, & 1'ame d'idées rapides cic vives, capables de la troubler. L'ti a u m o n t e diatonique n eft mille part déplacée, elle eft propre a tous les carafteres,, * 1'aide du rhythme & de la mélodie, elle peut fuffire a toutes les expreffionselle eft néceffaire aux deux autres harmonies, & toute mufique oü elle n'entreroit point, ne pourroit jamais être qu'une mufique déteflable. L'harmonie chromatique entre de menie dans l'harmonie pathétique ; mais elle peut fort bien s'era pafler & rendre, quoiqu'a fon défaut, peut-être plus foiblement, les expreffions les plus pathétiques. Ainfi par la fucceffion ménagée de ces trois harmonies, le muficien peut graduer & renforcer les feminiens de même genre que le poëte a foutenus trop longtems au même degré d'éncrgie. Il a pour cela une feconde reflburce dans iamélodie , & furtout dans fa cadence dirafemenc fcandée par le rhythme. Les mouvemens extréme» de viceffe & de lenteur, les mefures contraftées» les valeurs inégales, mêlées de lenteur & de rapidité; tout cela peut de même fe graduer pour foutenir & ranitner 1'intérêt & 1'attention. Enfin, 1'on» a le plus ou moins de bruit & d'éclat, l'harmonie plus ou moins pleine , les filences de 1'orcheftre,, dont le perpétuel fracas feroit accablant pour l'oreille> quelques beaux qu'en pnffent être les effet*. T 6-  43^ Obsesvations Quant au rhythme, en quoi confifte la plus grande force de Ia mufique , il demande un grand art pour étre heureufement traité dans la vocale. j'ai dit & je le crois, que les tragédies Grecques étoient de vrais opéra. La langue Grecque, vrai. ment harmonieufe & muficale, avoit par ellemême un accent mélodieux, il ne falloit qu'y joindre le rhythme , pour rendre la déclamation muficale-* ainfi, non - feulement les tragédies, mais toutes les poélies étoient néceffairement chantées; les poé'tes difoient avec raifon, je chant'e, au commencement de leurs poëmes; formules que les nótres ont trésridiculement confervées: mais nos langues modernes, production des peuples Barbares, n'étant point naturellement muficales, pas 1'Itaiienne, il faut, quand on veut leur appliquer Ia mufique, prendre de grandes précauiions pour rendre cette UDion fupportable, & pour la rendre affez naturelle dans la mufique imitative, pour faire illufion au théatre; mais de quelque facon qu'on s'y prenne, on ne parviendra jamais a perfuader a fauditeur, que le chant qu'il entend n'eft que de la parole; & fi 1'on y pouvoit parvenir, ce ne feroit jamais qu'en fortifiant une des grandes puiffances de la mufique, qui eft le rhythme mufical, bien différent pour nous du rhythme poétique, & qui ne peut même s'affocier avec lui que trés rarement & très-imparfaitement. C re s t vin grand & beau prcblême a réfoudre, de déterminer jufqu'a quel point on peut faire chan. m la langue & psiler la mufique. C'eft d'une bonne  sur l'Alceste de M. Gluck. 437 folmion de ce probléme que dépend toute la théorie de la mufique dramatique. L'inftinct feul a conduit, fur ce point, les Italiens dans la pratique, aufli bien qu'il étoit poflible, & les défauts énormes de leurs opéra ne viennent pas d'un mauvais genre de mufique, mais d'une mauvaife application d'un bon genre. L'Accknt oral par lui-méme, a fans doute une grande force , mais c'efl feulement dans la dé' elamation; cette force eft indépendante de toute mufique; & avec cet accent feul on peut faire entendre une bonne tragédie, mais non pas un bon opéra. Siiót que la mufique s'y mêle, il faut qu'elle s'arme de tous fes charmes pour fubjuguer le cceur par 1'oreille; fi elle n'y déploye toutes fes beautés, elle y fera importune, comme fi 1'on faifoit accompagner un orateur par des inftrumens; mais en y .mêlant fes richeffes, il faut pourtant que ce foit avec un grand ménagement, afin de prévenir 1'épui. fement oü jetteroit bientót nos organes une longue aétion toute en mufique. De ces principes il fuit qu'il faut varier dans un drame, 1'application de la mufique, tantót en lailfant dominer 1'accent de la langue & le rhythme poétique, & tantót en faifant dominer la mufique a fon tour, & prodiguant toutes les richeffes de la mélodie , de l'harmonie & du rhythme mufical, pour frapper 1'oreille & toucher le cceur par des charmes auxquels il ne puifle réfifter. Voila les raifons de la T 7  433 Obskrvations divifion d'un opéra, en récitatif fimple, rechatif obligé & airs. Quand le difcours, rapide dans fa marche, doit .étre fimplement débité, c'eft le cas de s'y livrer uniquement a 1'accent de la déclaination, & quand la langue a in accent, il ne s'agit que de rendre cet accent appréciable, en le notant par des intervalles muficaux; en s'attachant fidélement a la profodie, au ihythme poéiique & aux inflexions paflionnées qu'exige le fens du'difcours. Voila le récitatif fimple, & ce réciiatif doit étre aufli prés de la fimple parole qu'il eft poflible; il ne doit tenir a la mufique que paree que la mufique eft la langue de 1'opéra , & que pailer & chanter alternativement, comme on fait ici dans les opéra comiques, c'eft s'énoncer fucceflivement dans deux langues différen. tes, ce qui renj toujours choquant & ridicule le paffage de 1'une a 1'autre, & qu'il eft fouveraine-, ment abfurde qu'au moment oü 1'on fe paiïïonne, on change de voix pour dire une chanfon. L'accompagncment de la baffe eft néceffaire dansle réci. tadf fimple, non - feulement pour foutenir & guider facteur, mais aufli pour déterminer 1'efpece des intervalles, & marquer avec précifion les entrelacemens de modulation qui font tant d'effet dans un beau récitatif: mais loin qu'il foit néceffaire de rendre cet accompagnement éclatant, je voudrois au contraire qu'il ne fe fit point remarquer & qu'il produnlt fon eikt fans qu'on y fit aucune attention. Ainfi je crois que les autres iuftxumens ne doivent  sos l'Alceste de M. Gluck. 439 ■point s'y mêler, quand ce ne feroit que pour lailfer repofer, tant les oreilles des auditeurs que 1'orcheftre, qu'on doit tout-a-fait oublier & dont les rentrées . bien ménsgées font par la un plus grand effet; au lieu que quand la fymphonie regne tout le long de la piece, elle a beau commencer par plaire, elle flnit par accabler. Le récitatif ennuye fur les théatrcs d'Italie, non feulement paree qu'il eft trop long , mais paree qu'il tft mal chanté & plus mal placé. Des fcenes vives , intéreflantes , comme doivent toujours être celles d'un opéra, rendues avec chaleur, avec vérité, & foutenues d'un jeu naturel & animé , ne peuvent manquer d'émouvoir & de plaire a la faveur de lMlufion; mais débitées froidemeut & platement par des Caflrates, comme des lecons d'écolier, elles ennuyeront fans doute, & futtout quand elles feront trop longues; mais ce ne fera pas la faute du récitatif. Dans les momens oü Ie récitatif, moins récitant & plus paffionné , prend un caraftere plus touchant, on peut y placer avec fuccês un fimple accompagnement de notes tenues qui, par le concours de cette harmonie, donnent plus de douceur a fexpreffion. C'eft Ie fimple récitatif accompagné, qui revenant par intervalles rares & bien choifis, contrafte avec la féchéreffe du récitatif nud & produit un trés • bon effet. En vin, quand la violence de la pafïïon fiit emrecouper la parole par des propes commencés & interrompus, tant a caufe de la force des fenti-  44° ©bservations mens qui ne trouvent point de termes fuffifans peur s'exprimer, qu'a caufe de leur impétuofité qui lei fait fuccéder en tumulte les uns aux autres, avec une rapidité fans fuite & fans ordre, je crois que le mélange alternatif de la parole & de la fytnphonie peut feul exprimer une pareille fituadon. L'afteur livré tout entier a fa pafïïon n'en doit trouver que 1'accent.' La mélodie trop peu appropriée a 1'accent de la langue , & le rhythme müScaJ qui ne s'y prête point du tout , affoibliroient, énerveroient toute fexpreffion en s'y mélant ; cependant ce rhythme & cette mélodie ont un grand charme pour 1'oreille, & par elle une grande force fur le cceur. Que faire alors pour employer a la fois toutes ces efpeces de forces? Faire exaétement ce qu'on fait dans le récitatif obiigé; donner a la parole tout 1'accent poffible & conveuable a ce qu'elk exprime, & jetter dans des ritournelles de fymphonie toute la mélodie, toute la cadence & le rhythme qui peuvent venir a 1'appui. Le filence de 1'aéteur dit alors plus que fes paroles, & ces réticences bien placées, bien ménagées & remplies d'un cóté par la voix de 1'orcheffre, & d'un autre par le jeu muet d'un acteur qui fent & ce qu'il dit & ce qu'il ne peut dire; ces réticences, dis-je, font un effet fupérieur a celui.même de la déclamation & 1'on ne peut les óter fan^ lui óter la plus grande partie de fa force. 11 n'y a point de bon aékur qui dans ces momens violens ne faffe de longues paufes, & ces paufes remplies d'une expreffion anaiogue par une  sur l'alcrste t5e M. Gluck. 44^ ritoumelle mélodieufe & bien ménagée, ne doivent. elles pas devenir encore plus intéreflantes que lorfqu'11 y regne un filence abfolu? Je n'en veux pour preuve que 1'effet étonnant queue manque jamais de produire tout récitatif obligé bien placé Sr bien traité. PausuADi que la langue francoife deftituée de tout accent n'eft nullement propre a la mufique, & principalemeni au récitarif, j'ai imaginé un genre de drame, dans lequel les paroles & la mufique, au lieu de marcher enfemble, fe font entendre fucceftvement, & oü la phrafe parlée eft en quelque forte annoncée & préparée par la phrafe mupcale. La fcene de Pyg/ualion eft un exemple de ce genre de compofition , qui n'a pas eu d'imitateurs. En perfeBionnant cette méthode, on rèuniroit le doublé avantage defoulager VaEteur par de frèquens repos & d'ofirir au fpeciateur Francois 1'efpece de mélo. drame le plus convenable a fa langue. Cette réunion de 1'art déclamatoire avec 1'art mufical, ne produira quimparfaitement tous les efets du vrai récitatif, & les oreilles délicates s'appercevront toujours dèfagrêablement du contrafte qui regne entre le langage de 1'acteur & celui de Porcheftre qui l'accompagne ; mais un acteur fenfible & intelligent, en rapprochant ie ton de fa voix & 1'accent de fa déclamation de ce qu'exprime le trait mufical, mêle ces couleurs étrangeres avec tant dart, que le fpedateur n'en peut difcemer les nuances. Ainfi cette efpece d'ouvrage pourroit conftituer un genre moyen entre la fimple déclamation & le vèritable mélodrame , dont il  44* Observatiows tfateindra jamais la beauté. Au rejle, quelques difficultés quoffre la langue, elles ne font pas infur. montables; l auteur du Dsétionnaire de mufique (*} a invité les compofiteurs Frangois a faire de nou. veaux ejfitis & a introduire dans leurs opéra, le récitatif obligé qui, lorfqu'on Fcmploie apropos, produit les plus grands ejfets. Doü naït le charme du récitatif obligé, qu'eft-ce qui fait fon énerge ? L'accent oratoire & pathétique de facteur produiroit-il feul autant d'effet? Non, fans doute. Mais les traits alternatifs de fymphonie, réveiliantéx foutenant le fentiment de la mefure que le feul récitatif laifferoit éteindre , joignent a fexpreffion purement déclamatoire toute celle du rhythme mufical qui la renforce. Je diftingue ici le rhythme & la mefure , paree que ce font en effet deux chofes trés-différentes. La mefure n'eft qu'un retour périodique de tems égaux, le rhythme eft la combinaifon des valeurs ou quantités qui rempliffent les mêmes tems, appropriée aux expreffions qu'on veut rendre, & aux paffions qu'on veut exciter. II peut y avoir mefure fans thythme, mais il n'y a point de rhythme fans mefure.... C'eft en approfondijfant cette partie de fon art., que le compofiteur donne l'efor d fon génie , toute la fcience des accordt tte peut fuffire a fes befoins. Il importe ici de remarquer, contre Ie préjugé de tous les muficiens, que l'harmonie par elle-même, (*) Diétionnaire de Mufiijue, article Récitatif obligé.  suu l'Alceste de M. Gluck. 443 ne pouvant parler qu'a 1'oreille & **~**> ne peur avoir que de très-foibles effets. Quand elle entre avec fuccês dans la mufique imitative, ce n'eft jamais qu'en repréfentant, determinant & renforcant les accens mélodieux qui, par eux-memes, ne font p» toujours affez déterminés fansle fecours de 1'accompagnement. Des intervailes abfolus nont aucun caraaere par eux-mêmes; une feconde fuperflue & une tiercé mineure , une feptieme m.neure & une fixte fuperflue, une fauffe qu.nte & m triton, font le même intervalle & ne prennent les affeaions qui lesdéterminent, que par leur p.ace dans la modulation, & c'eft a f accompagnement^ leur fixer cette place, qui reftero.t fouvent équtvo que parle feul chant. Voila quel eft 1'ufage & effet de l'harmonie dans la mufique imitative & theatrale. C'eft par les accens de la mélodie, c'eft par la cadence du rhythme que la mufique, imitant les mflexions que donnent les paffions h la voix humaine, peut pénétrer jufqu'au cceur & 1'émouvw par des Limens; nu lieu que la feule harmonie n imitan rien, ne peut donner qu'un plaifir de fenfauon. De fimples accords peuvent flatter 1'oreille , comme de belles couleurs flattent les yeux; mais ni les uns, „i les autres ne porteront jamais au cceur la momdre émotion, paree que ni les uns, ni les autres nnuttent rien, fi le deffin ne vient animer les coufeurs, & fi la mélodie ne vient animer les accords. Mais, au contraire, le deffin par lui-même peut ans coloris, nous reptéfenter des objets attendnffans,  444 Obsehvation» & la mélodie imitative peut de même nous émou. voir feule, fans le fecours des accords Voila ce qui rend toute la mufique Franeoife fi languiffante & fi fade, paree que dans leurs froides fcenes, pleins de leurs fots préjugés & de leur fcience, qui, dans le fond, n'eft qu'une ignorance véritable, puifqu'ils ne favent pas en quoi confiftent les plus grandes beautés de leur art, les compofiteurs Francois ne cherchent que dans les accords, les grands effets dont 1'énergie n'eft que dans le rhythme. M. Gluck fait mieux que moi que le rhythme fans harmonie, agit bien plus puilTamnient fur 1'ame, que l'harmonie fans rhythme ; lui qui, avec une harmonie a mon avis un peu monotone, ne laifle pas de produire de fi grandes émotions, paree qu'il fent & qu'il emploie , avec un art profond, tous ies preftiges de la mefure & de la quantité. Mais je 1'exhorte a ne pas trop fe prévenir pour Ia déclamation, & a penfer toujours qu'un des défauts de la mufique purement déclamaroire, eft de perdre une partie des relfourcesdu rhythme, dont Ia plus grande force eft dans les airs. .... j' a i rempli la partie la moins pénible de la tdche que je me fuis impofée; une qbfervation générale fur la marche de lopéra d Alcejle, ma conduit a traiter cette queftion vraiment intérejfante: quelle e/l la liberté qu'on doit accorder au muficien qui travaille fur un poëme, dont il n'eft pas F auteur?  sur l'Alcïste ne M. Gluck. 445 J'ai diftingue les trois parties de la mufique imitative , &' en convenant que 1'accent eft détermini par lepoëte , f ai fait voir que l harmonie, &fur* tout le rhythme, ofroient au muficien des reffourcei dont il devoit profiter. Il faut entrer dans les détails; c'eft une grande fatigue pour moi de fuivre des partitions un peu chargées; celle d'Alcefte 1'eft beaucoup, & de plus trés embrouillée , pleine de faufles clefs, de faufles notes, de parties entaffées coufufément. . . . E n examinant le drame d'Alcefte , & la maniere dont M. Gluck s'eft cru obligé de le traiter, on a peine a comprendre comment il en a pu rendre la repréfentation fupportable. Non que ce drame, écrit fur le plan des tragédies Grecques, ne brille de rondes beautés, non que la mufique n'en foit admirable , mais par les difficultés qu'il a fallu vaincre dans une fi grande uniformité de carafteres & d'expreffion, pour prévenir 1'accablement & 1'ennui & foutenir jufqu'au bout 1'intérêt & 1'attention. . . L'ouverture d'un feul morceau d'une belle & fimple ordounance y eft bien & réguliérement deffinée; 1'auteur a eu fintention d'y préparer les fpeétateurs a la triftelfe, oü il alloit les plonger dès le comraencement du premier aéte & dans tout le cours de la piece, Et pour cela, il a modulé fon ouverture prefque toute entiere, en mode mineur, & même avec affeétadon, puifqu'il n'y a , dans  446 Obser vations tout ce morceau qui eft affez long, que la première accolade de la page 4, & la première accolade relative de la page 9 qui foient en majeur. II a d'ailleurs affeaé les diffmances fuperflues & diminuées, & des fous foutenus & forcés dans le haut, pour exprimer les gémiffemens & les plaintes,-tout cela eft bon & bien entendu en foi, puifque 1'ouverturene doit êire employée qu'a difpofer le cceur du fpeétateur au genre d'intérét, par lequel onva 1'émouvoir; mais il en réfulte trois inconvéniens: le premier, 1'emploi d'un genre d'harmonie trop peu fonore pour une ouverture deftinée a éveiller le fpeétateur, en rem« pliffant fon oreille & le préparant a 1'attention; 1'autre, d'anticiper fur ce méme genre d'harmonie qu'on fera forcé d'employer fi longtems & qu'il faut par conféquent ménager trés fobrement pour prévenir la fatiété; & le troifieme, d'anticiper auffi fur l'ordre des tems, en nous exprimant d'avance une douleur qui n'eft pas encore fur Ia fcene, & qu'y va feulement faire naitre 1'annonce du héraut public, & je ne crois.pas qu'on doive marquer dans >un ordre rétrograde, ce qui eft a venir comme déja paffé. Pour remédier a tout cela, j'aurois imaginé de compofer 1'ouvêrture de deux morceaux de caraétere différent, mais tous deux traités dans une harmonie fonore & confonnante; le premier, portam dans les cceurs le fentiment d'une douce & tendre galté , eüt repréfenté la féücité du regne d'Admete & les charmes de 1'union conjugale; !e fecond, dans une mefure plus coupée & par des  sur l'Alceste de M. Gluck. 44? mouvemens plus vifs & un phrafé plus intArompu, eüt exprimé 1'inquiétude du peuple fur la maladie d'Admete, & eüt fervi d'introduction trés-naturelle au début de la piece & a 1'annonce du crieur... . P;. gk 12. Aprês les deux mots qui fuivent ces mots Udite, je fen is cefler 1'accompagnement jufqu'a la fin du récitatif. Cela exprimeroit mieux le filence du peuple écoutant le crieur , & les fpedfteurs curieux de bien entendre cette annonce, n'ont pas befoin de cet accompagnement; la balie fuffit toute feule , & 1'entrée du chceur qui fuit en feroit plus d'effet encore. Ce chceur alternatif avec les petits folos d'Evandre & d'lfmene, me paroit un trés-beau début & d'un bon caraétere. La ritournelle de quatre mefures qui s'y reprend plufieurs fois eft trifle fans être fombre & d'une fimplicité exquife. Tout ce chceur feroit d'un trés-bon ton 6'il ne s'y mêloit fouvent, & dès la feconde mefure , des expreffions trop pathétiques. Je u'airne gueres non plus le coup de tonnerre de la page 14, c'eft un trait joué fur le mot & qui me paroit déplacé. Mais j'aime fort la maniere dont le même chceur repris page 34, s'anime enfuite a 1'idée du malheur prêt a le foudroyer E vuoi morire 0 mifera. Cette lugubre pfalmodie eft d'une fimplicité fubjime & doit produire un grand effet. Mais la même tenue répétée de la même maniere fur ces autres paroles, Alm nonpuoi raccogliere, me paroit froide & prefque plate. 11 efl  448 Observations naturel a la voix de s'élever un peu quand on parle plufieurs fois de- fuite a la même perfonne ; fi fon eüt donc fait monter la feconde fois cette méme pfalmodie , feulement d'un femi - ton , fur dis , c'eft-a-dire, fur mi bémol, cela eüt pu fuffire pour la rendre plus naturelle & même plus énergique: mais je crois qu'il falloit un peu la varier de quelque maniere. Au refte, il y a dans la huitieme & dans la dixieme mefure un triton qui n'eft ni ne peut être fauvé, quoi qu'il paroiife 1'être la deuxieme fois par le fecond violon; cela produit une fucceffion d'accordsqui n'ont pas un bon fondement & font contre les regies. Je fais qu'on peut tout faire fur une tenue, furtout en pareil cas; & ce n'eft pas que je défapprouve le palfage, quoique j'en marqué 1'irrégulaiité (Tmn d'une obfervation fur le chceur fuggiamo^ dont le commencement eft perdu.) C e ne doit pas étre une fuite de précipitation, comme ilevant 1'ennemi, mais une fuite de confternation qui, pour ainfi dire, doit être honteufe & clandeftine, plutót qu'éclatante & rapide. Si 1'auteur eüt voulu faire .de la fin de ce chceur une exhortation a ia joie, il n'eüt pas pu mieux réufïïr. . . Avrès le chceur fuggiamo j'aurois fait taire entiérement tout l'orcheftre , & déclamer le récitatif ove fon avec la fimple bafle. Mais immédiatement après ces mots: Vi chifanca dtal fegno, j'aurois fait  suu l'Alceste de M. Gluck. 449 fait cornmencer un récitatif obligé par une fymphonie noble, éclatante, fublime, qui annoncat dignement le parti que va prendre Alcefte, qui difpofat ''auditeur a fentir toute f énergie de ces mots ah vi fm io, trop peu annoncés par les deux mefures qui précédent. Cette fymphonie qui auroit offert 1'image de ces deux vers, qui tolk alla mia mente htminare ft moftra; la grande idéé eut été foutenue avec le même éclat durant toutes les ritournelles de ce récitatif. J'aurois traité l'air qui fuit ombre larve fur deux mouvemens contraftés, favoir un allegro fombre & terrible jufqu'a ces mots non vogliopiëta, & un adagio ou largo plein de trifteffe & de douceur. Sur ceux-ci, fe vi tolgo l amato conforte, M. Gluck qui n'aitnvi pas les rondeaux, me perraet* tra de lui dire que c'étoit ici le cas d'en employer un bien beureuferaent, en faifant du refte de ce monologue la feconde partie de l'air, & reprenant feulement 1'aïlegro pour fitiir L'. 1 b eterni Dei me paroic d'une grande beauté, j'aaroi* defiré feulement qu'on n'eüt pas été obiigé" d'en varier les expreffions par des, mefures différen> tes. ' Deux, quand elles font néceffaires. peuvenc former des contraftés agréables; mais trois c'eft trop , & cela rompt funité. Les oppofitions font bien plus belles & font plus d'effet quand elles fe font fans changer de mefure & pai les feules combinaifons de valeur & de quantité. La raifon pourquoi il vaut mieux contrafter fur le même mouvement Supplém. Tom. FI. V  450 Observations que d'en changer, eft, que pour produire 1'illufion & i'intérêt, il faut cacher 1'arc autan: qu'il eft pofflble, & qu'auflïtöt qu'on change le mouvement , Pari fe décele & fe fait fentir. Par la même raifon, je voudrois que dans un même air 1'on changeat de ton le moins qu'il eft poflible, qu'on fe con* tentat autant qu'on pourroit, des deux feules cadences principale & dominante eV qu'on cherchat plutót les effets dans un beau phrafé & dans les combinaifons mélodieufes, que dans une harmonie recherebée & des changemens de ton. L'a i k io non chiedo etemi Bei, eft furtout dam fon commencement d'un chant exquis, comme font prefque tous ceux du même auteur. Mais oü eft dans cet air funité de deffein, de tableau, de caraftere? Ce n'eft point la , ce me femble, un air, mais une fuite de plufieurs airs: les enfans y mêlent leur chant a celui de leur mere, ce n'eft pas ee que je défapprouve. Mais on y change fréquemment de mefure, non pour contrafler & alternerles deux parties d'un même motif, mais pour paffér faccefirvement par des chants abfolument différens: on ne fauroit raonirer dans ce morceau aucuti deffein commun qui le lie & Je faffe un. Cependant c'eft ce qui me paroit néceffaire pour conflituer véritablement un air. L'auteur après avoir module dans plufieurs tons, fe croit néanmoins oblïgé de finir en E la fa, comme il a commencé. 11 fent donc bien lui - même que le tout doit étre traité fur ua  sur l'Alceste de M. Gluck. 451 même dellein & former unité. Cependant je ne puis la voir dans les différens membres de cet air, k moins qu'on ne veuille la trouver dans Ia repétitlon jnodifiée de 1'allegro non comprende i mali miei, par laquelle fdi.t Ce morceau; de qui ne me, paroit pas fuffifant pour faire liaifon entre tous ies membres dont il eft compofé. J'avoue que le premier changement de mefure rend admirablament le fens & Ia ponctuation des paroles. Mais il n'en eft pas moins vrai qu'on pouvoit y parvenir auffi fans en changer} qu'en général ces changemens' de mefure dans un même air ,< doivent faire contrafte & changer aufli le mouvement; & qu'enfin celui-ci amene deux fois de fuite cadence fur Ia mêtae dominante, forte de monotonie qu'on doit éviter autant qu'il fe peur. Je prendrai encore la liberté de dire que la derniere mefure de Ia page 27, me paroit d'une expreffion bien foiblepour 1'accent du mot qu'elle doit rendre. Cette quirtte, qne le chant fait fur la baffe & la tiercé - mineure qui s'y joint, font a 'mon oreille un accord un peu languilfant. J'aurois mieux aimé rendre le chant un peu plus animé, & fubftituer la fixte a la quinte, a peu prés de la maniere fuivante, que je n'ai pas 1'impertinence de donner comme une correétion, mais que je pfopofe feulement pour mieux expliquer mon idée. y *  452 OUSBRVATIOftS  suft l'Alcests de M. Gluck. 453 Le feul reprocbe que j'aie a faire h ce récitatif, eft qu'il eft tron beau. Mais dans la place oü il eft, ce reproche en eft un. Si fauteur commence dés a préfent a orodiguer 1'enharmoniqne , que" feia-t-ii donc dans les fituations déchirantes qui doivent fuivre ? ®e récitatif doit étre touchant & pathétique, je le fais bien, mais non pas, ce me femble» a un fi haut degré, paree qu'a mefure qu'on avance, il faut fe ménaget des coups de force pour réveiller 1'auditeur, quand ï commence i fe laffer même des belles chofes. Cette gradation me paroit abfolument néceffaire dans un opéra. Page 55- L e récitatif du Grand • Prêtre eft un bel exemple de 1'effet du récitatif obligé , on ne peut mieux «nnoncer, 1'oraclè & la majefté, de celui qui va le rendre. La feule chofe que j'y defirerois, feroit ur e annonce qui füt plus brillante que terrible; car rl me femble qu'Apoüon ne doit ni paroitre, ni parler comme Jupiter. Par la même raifon, je ne voudrois pas dor.ner a ce Lieu qu'on nous repréfente fous la figure d'un beau jeune blondin une voix de baffe ■ taille Pag. 39' Dilegua il nero turbine Me fieme al trouo intomo, 0 faretrato Apolliné Col chiaro tuo fplendor. v a  454 O b s b r v a t i o n s Tout ce Chceur en rondeau pourroit être mieux, ces quatre vers doivent être d'abord chantés par le Grand ■ Prêtre, puis répétés en'iers par le Chceur, fans en excepter les deux derniers que .'auteur fait dire feul au Grand-Prêtre. Au contraire, le Grand • Prêtre doit dire feul les vers fuivans: Sai che ramingo, efule, T'accolfe AJmetto un di, Che del anfrifo al margine Tu fofii il fuo paftor. E t Ie Chceur, au lieu de ces vers qu'il ne doit pas répéter non plus que le Grand - Prêtre, doit reprendre les quatre premiers. Je trouve auffi que la réponfe des deux premières mefures en efpece d'imitation, n'a pas aflez de gravité. J'aimerois mieux que tout le Chceur füt fyllabique. Au refte, j'ai remarqué avec grand plaifir la maniere également agréable, fimple & favante dont 1'auteur paffe du ton de la médiante è celui de la fëptieme note du ton dans les trois dernieres mefures de la page 39. Et, après y avoir féjourné affez longtems, revient par une marche analogue a fon ton principai, en repaffant deréchef par la médiante dans la 2, 3 & 4e. mefure de la page 43; mais ce que je n'ai pas trouvé fi fimple a beaucoup prés, c'eft le récitatif mtme eterno ,pag. 52 J e ne parlerai point de l'air de danfe de la page  sur l'Alceste de M. Gluck. 455 i7, ni de tous ceux de cet ouvrage. J'ai dit dans mon article opéra, ce que je penfois des ballets coupantles pieces & fufpendant la marche de 1'intérêt. Je n'ai pas changé de fentiment depuis Iors fur cet article, mais il eft très.poffible que je me trompa J e ne voudrois point d'accompagnement que la baffe au récitatif d'iivandre, pag. 20, 21 & 22. Je trouve encore la Chceur, page 22,beaucoup trop pathétique, malgré les expreffions douloureufes dont il eft plein: mais les alternatives de la droite & de la gauche, & les réponfes des divers inftru. mens me paroiff.nt devoir rendre cette mufique trés- intéreflante au théatre Popoli di TeffagUa, pag. 24- Je citerai ce réci• tatif d'Alcefte en exemple d'une modulation toucbante & tendre fans aller jufqu'au pathétique, Q ce n'eft tout a la fin. C'eft par des renverfemens d'une harmonie aiTez fimple, que M. Gluck produit ces beaux effets. II eüt été le maitre de fe tenir longtems dans la même route fans devenir languiffant & froid. Mais on voit par le récitatif acconipagné mime etemo de la page 52, qu'il ne tarde pas a prendre un autre vol & V + mon  EXTRAIT D'UNE RÉPONSE D U PETIT FJISEUK A SON PRET E-NOM, Sur un morceau defOrphèe de M.leChev alt er Gluck, Qüant au paflïge enharmonique de 1'Orphée de M. Gluck , que vous dites avoir tanr de peine * entonner & méme a entendre, j'en fais bien h raifon: c'eft que vous ne pouvez rien fans moi, & qu'en quelque genre que ce puiiïé érre, dépourvu de mon afliftance vous ne ferez jamais qu'un ignorant. Vous fentez du moins la beauté de ce paffrge , & c'eft déja quelque chofe; mais vous ignorc-z ce qui ia produit; je vais vous i'apprendre. C'est que du même trait & qui plus eft, du même accord , ce grand muficien a Lu tirer dans toute leur force les deux effets les plus conrraires; favoir, la raviffante douceur du chant d'Orphée & leftrldor déchirant du cri des Furies. Quel moyen a-t-il pris pour cela ? Un moyen trés • fimple , comme font toujours ceux qui produifent lat grands effet». Si vous euffiez mieux médité 1'article Enharmenique que je vous diftai jadis, vous auriez compris qu'il falloit chercher cette caufe remarquable, non fimplement dans la nature des intervalles & dans la fuccefTion des accor ls, mais dans les idéés qu'ils excitent, & dont les plus grands ou moindres rapports,  La R é v o n se, &c. 457 fi peu connus des muficiens, font pour'ant, fans qu'ils s'en doutent, la fource de toutes les expreffions qu'ils ne trouvent que par intlinct. Le morceau dont il s'agit eft en mi bémol rasieur, & une chofe digne d'être obfervée eft qae "est adnfrable morceau eft, autant que je pu« me le rappeller, tout entier dans le même ton , ou duin )ins ft peu-modulé que 1'idée du ton principai ne s'efface pas un moment. Au refte, n'ay.mt plus ce ^ morceau fous les yeux & ne m'en fouvenant qu'imparfaitement, je n'en puis patier qu'avec doute. D'abokd ce tiö des Furies, frappé & réitéré de tems a autre pour toute réponfe, eft une des plus fublimes inventions en ce genre que je connoiffe, & fi peut - être e'le eft düe au pcëte, il faut convenir que le mufkien Fa faifie de maniere a fe 1'ap? proprier. J'ai ou dire que dans 1'exécuüon de eer opéra, 1'on ne peut s'empêcher de frémir a chaque fois que ce terrible tiö fe répete, quoi qu'il ne foit chanté qu'a 1'uniifon ou a 1'octave, & fans fortir dans fon harmonie de 1'accord parfait jufqu'au paffage d mt il s'agit. Mais au moment qu'on s'y attend le mo'ms, cette dominante diéfée forvne un glapiflèment affreux.auquel 1'oreille & le cceur ne peuvent tenir, tandis que dans le même inftant, le chant d'0 phéa redoubié de douceur & de charme, & ce qui met le comble a 1'étonneraent eft qu'en terminant ce coutt pafl'age , on fe retrouve dans le même ton par oü 1'on vient d'y entrer, fans qu'on pu;ffe prefque comprendre comment on a pu. nous traniporter fi loia V 5  45S La RipoNSE & nous ramener fi proche avec tant de force & de rapidité. Vous aurez peine acroireque toute cette magie s'opere par un paffage taciie du mode majeur au mineur, & par le retour fubit au majeur. Vous vous en convaincrez aifément fur Je CJavecin. Au moment que la Baffe, qui fonnoit la dominante avec fon accord, vient a frapper Vut bémol, vous changez non de ton, mais de mode , & paffez en mi bémol tiercé mineure: car non-feuiement cet ut, qui eft la fixieme note du ton, prend le bémol qui appartient au mode mineur; mais 1'accord précédent qu'il garde a Ia fondamentale prés, devrênt pour lui celui de feptieme diminuée fur le re naturel, & faccoid de feptieme diminuée furie re appelle naturellement 1'accord parfait mineur fur le mi bémol. Le chant d'Orphée, furie, lirve , -appartenant également au majeur & au mineur, refte le mème dans 1'un & dans 1'autre; mais aux mots ombre fdegnofe, "il détermine tout-a-fait le mode mineur: c'eft probablement pour n'avoir pas pris aflez tót 1'idée de ce mode, que vous avez eu peine a entonner jufte ce trait dans fon commencement ; mais i! rentre en finiffant en majeur; c'eft dans cette nouvelle tranfition , a la fin du mol fdegnofe, qu'eft le grand effet de ce paffage, & vous éprouverez que toute la difficulté de le chanter jufte s'évanouitquand, enquittantle/