iUVRES D £ J. J. ROUSSEAU. TOME DIX-NEVPIEME*   SUPPLEMENT meneer mon petit ménage; il ajouta même & peutêtre de fon chef, que le roi me feroit volontiers batir une petite maifon a ma famaifie, fi j'en vou-  ié L e s C ö n f e s s i ó itii iois cnoiflr remplacement. Cette derniére offre rhè toucha fort, & me fit oublier la mefquinerie dé 1'autre. Sans dccepter aucune des deux; je regardai Frédéric comme mon bienfaiteur & mon protec» teut, & je m'attachai fi fincérement a lui, que je pris dês-lors autant d'intérêt a fa gloire que j'avois trouvé jufqu'alors d'injuflice a fes fuccès. A la paix qu'il fit peu de temps après, je témoignai ma joié par une illumination de trés-bon goüt: c'étoit un cordon de guirlandes, dont j'ornai la maifon que j'habitoisj & oü j'eus, 11 eft vrai, la fierté vindicative de dépenfer prefque autant d'argeiit qu'il m'en avoit voulu donner. La paix cönclue, je Crus que fa gloire militaire & politique étalu au eomble j il alloit s'en donner une d'une autre efpêce, en revivifiant fes états, en y faifant régner ie eommeree, 1'agricnlture, en y créant un nouveau foi, en le couvrant d'un nouveau peupie, eh maintenant la paix cbez tous fes voifins, en fe faifant 1'arbitre del'Europe, après en avoir été la terreur. II pouvoit fans rifque pofer 1'épée, bien sur qu'on ne 1'obligeroit pas a la reprendre. Voyant qu'il ne défarraoit pas, je craignis qu'il ne profitat mal de fes avantages, & qu'il ne fut grand qu'a demi. 3'ófai lui écrire a ce fujet, & prenant le ton familier, fait pour plaire aux hommes de fa trempe, porter jufqu'a lui cette fainte voix de la vérité, que fi peu de rois font faits pour entendre. Ce ne fut qu'en fecret & de moi a lui que je pr's cette liberté. Je n'en fis pas même participant  L i v r i VIÏI. icj jnilórd Maréchal, & je lui envoyai ma lettre au roi toute cachetée; Milord envoya la lettre fans s'informer de fon contenu. Le roi n'y fit aucune réponfe, & quelque tetnps après, milord Maréchal étant allé a Berlin, il lui dit feulement que je 1'avois bien gronde. Je compris par-la que ma lettre avoit été mal recue, & qtre la francbife de mon zèle avoit paffe pour la rufticité d'un pédant, Dans le fond, cela pouvoit trés-bien être: peutêtre ne dis-je pas ce qu'il falloit dire, & ne pris° je pas le ton qu'il falloit prendre. Je fie puis répondre que du fentiment qui m'avoit mis la plume i la mairt. Peu de temps après mon établiffement it Mo-* tiers - Travers j ayant toutes les affurances poffibles qu'on m'y laiiTerolt tranquille, je pris 1'habit arménien. Ce n'étoit pas une idéé nouvelle. Elle) m'étoit venne diverfès fois dans le cours de ms' vie, & elle me revint fouvent aMontmorenci, out le fréquent ufage des foildes me condamnant a teller rbuvem dans ma chambre, me fit mieux lentlr tons les avantages de 1'habit long. La commodité d'un tailleur arménien, qui venoit fouvent voir un parefit qu'il avoit a Montmorenci, me tenta d'en profiter pour prendre ce nouvel équipage, au rifque du qu'en dira-t-on, dont je me fouciois trés-pen. Cependant, avant d'adopter cette nouvelle parure, je voulus avoir 1'avis de Mde. de Luxembourg, qui me confeilla fort de la prendre. Je me fis donc une petite garderobe  «O Les C o n f i i s i jJ s ii arméniefine; mais 1'orage excité contre moi m'en fit remettre 1'ufage a des temps plus tranquilles, & ce ne fut que quelques mois après, que, forcé par de nouvelles attaques de mes maux, je crus pouvoir, fans aucun rifque, prendre ce nouvel habiilement a Motiers, furtout après avoir confulté le pafteur du lieu, qui me dit que je pouvois le poner au temple même fans fcandale. Je pris donc la vefte, le caffetan, le bonnet fowré, Ia cekiture, & après avoir affifté dans cet équipage au fervice divin, je ne vis point d'inconvénient a Ie porter chez milord Maréchal. S. E. me voyant ainfi vêtu, me dit pour tout compliment falamal' chi; après quoi tout fut fint, & je ne portai plus d'autre habit. Ayant quitté tout-a-fait la littérature , je ne fotlgeai plus qu'a mener une vie tranquille & douce, autant qu'il dépendroit de moi. Seul, jen'ai jamais connu 1'ennui, même dans le plus parfait défceuvrement: mon imagination remplifiant tous les vuides, fuffit feule pour m'occuper. II n'y a que le bavardage inactif de chambre, ailis les uns vis-a-vis des autres, a ne mouvoir que la langue, que jamais je n'ai pu fupporter. Quand on marche,qu'on fe promène, encore paffe ; les pieds & les yeux font au moins quelque chofe: mais refter la, les bras croifés, a patier du temps qu'il fait, & des mouches qui volent, ou, qui pis eft, a s'entre- faire des complimens, cela m'eft un fupplice infupportable. Je m'avifai, pour ne pas vjN  Livre VIII. vre en fauvage, d'apprenJre a faire des lacets. Je portois mon coufïïn dans mes vifites, ou j'alfoiï, comme les femmes, tiavailler a ma porte, & eau. fer avec les pagans. Cela me faifoit fupporter l'inanité du babillage, & palier mon temps fans ennui chez ines voifines, dont plufieurs étoient alTez aimables, & ne manquoient pas d'efprit. Une entr'autres, appellée Ifabelle d'Ivernois, fille du Procureur-général de Neuchatel, me parut afièz eftimable pour me lier avec elle d'une amitié particuliere, dont elle ne s'eft pas mal trouvée, par les confeils utiles que je lui ai donnés, & par les foins que je lui ai rendus dans des occafions elfen* tielles; de forte que maintenant, digne & vertueufe mêre de familie, elle me doit peut-étre fa raifon, fon mari, fa vie & fon bonheur. De mon cóté, je lui dois des confolations trés-douces, & fur-tout durant un bien trifte hiver,.oü, dans le fort de mes maux & de mes peines, elle venoit pafler avec Thérèfe & moi de longues foirées, qu'elle favoit nous rendre bien courtes par I'agrément de fon efptit & par lef mutuels épanchemens de nos coeurs. Elle m'appelloit fon papa, je 1'appellois ma fille, & ces noms que nous nous donnons encore, ne ceiléront point, je 1'efpère, de lui étre auflr chers qu'a moi. Pour rendre mes lacets bons a quelque chore, j'en faifois préfent a mes jeunes amies, a leur mariage, a condition qu'elles nourriroient leurs enfans; fa foeur ainée en £ii eut un a ce titre, & Pi mérité; Ifabelle en eus  sa Les Confessies s, un de même, & ne l'a pas moins mérité par 1'in* tention. Mais elle n'a pas eu le bonheur de pouvoir faire fa volonté. En leur envoyant ces la, cets, j'écriyis a Tune & a 1'autre des lettres, dom la première a couru le monde; mais tant d'édat n'alloit pas a la feccyides 1'amidé ne marche pas avec fi grand bruit. Parmi les liaifons que je fis a mon voifinage, §c dans les détails defquelles je n'entrerai pas, je dois noter celle du colonel Pury, qui avoit une maifon fur la montagne, oii il venoit paiTer les étés. Je p'étois pas empreiTé de fa connoiffance, paree que je favois qu'il étoit trés-mal a la cour & auprès de Milord Maréchal, qu'il ne voyoit point. Cependant, comme il me vint voir & me fit beaucoup d'honnêtetés, il fallut 1'aller voir a mon tour; ceja continua, & nous mangions quelquefois 1'un chez 1'autre.. Je fis chez lui connoiiTance avec M. D. P....u,& enfuite une amitié trop intime, pour que je puifle me difpenfer de parler de lui. M. D. P....u étoit américain, fils d'un commandant de Sutinam, dont le fuccefleur, M. le Chambrier, de Neuchatel, époufa la veuve. Devenue veuve une feconde fois, elle vint, avec fon fils, s'établir dans le pays de fon fecond mari. D. P....u, filsunique, fort riche, & tendrewent aimé de fa mère, avoit été élevé avec aflez de foin, & fon éducation lui avoit profité. 11 avoit acquis beaucoup de connoiflances, quelque gojlt pour les arts, & il fe piquoit furtout d'avpir  Livre VIII. 23 euuivé fa raifons fon air hollandois, froid, philo? fophe, fon teint bafané, fon humeur filencieufe & cachée favorifoient beaucoup cette opinion. 11 étoit fourd & goutteux, quoique jeune encore. Cela rendoit tous fes mouvemens fort pofés, fort graves, & quoiqu'il aimat a difputer, généralejnent il parloit peu, paree qu'il n'entendoit pas. Tout cet extérieur m'en iinpofa. Je me dis, voici ut) penfeur, un homme fage, tel qu'on feroit heureux d'avoir un ami. Pour achever de me prendre, il m'adreflbit fouvent la paroIe,fans jamais mefajre aucun compliment. II me parloit peu de moi, peu de mes livres, trés-peu de lui; il n'étoit pas dépourvu d'idées, & tout ce qu'il difoit étoit jufte. Cette juftelTe & cette égalité m'attirèrent. II n'avpit dans 1'efprit ni 1'élévation, ni la fineiTe de milord Maréchal; mais il en avoit la fimplicité; c'étoit toujours le repréfenter en quelque chofe. Je ne m'en. gouai pas, mais je m'attachai par 1'eflime, & peu. a peu cette eftime amena 1'amitié, & j'oubliai tq. talement avec lui 1'objection que j'avois faite au baron d'H k, qu'il étoit trop riche. Pendant alTez Iongtemps je vis peu D. P.... h , paree que je n'allois point a Neuchatel, & qu'il ne venoit qu'une fpis 1'année a la montagne du colonel Pury. Pourquoi n'allois.je point a Neuchatel? C'elt. un enfantillage qu'il ne faut pas taire. Quoique protégé par le roi de PruiTe & par milord Maréchal, fi j'évitai d'abord la perfécutioa dans mon afyle, je n'évitai pas du moins les mur?  24 Les Contessions. i mures du public, des rangiflrats municipaux, des miniftres. Après le branie donné par la France, il n'étoit pas du bon air de ne pas rae faire au moins quelque infulte: on auroit eu peur de paroitre improuver mes perfécuteurs, en ne les imitant pas. La clalTe de Neuchatel, c'eft. a-dire, la compagnie des miniftres de cette ville donna le branie, en tentant d'émouvoir contre moi le confeil d'e'tat. Cette tentative n'ayant pas réuffi, les miniftres s'adretTèrent au magiftrat municipal, qui fit auffi-tót défendre mon livre, & me traitant en ioute occafion peu honnêtement, faifoit comprendre, & difoit méme que fi j'avois voulu m'établir Leyre, des témoignages d'amitié de Md. de C x, & même de Mde. D' y, avec laquelle j'étois alors Ie mieux du monde. A qui pouvoient importer ces lettres? qu'en vouloit-o-.i faire ? Ce n'elt que fept ans après que j'ai foupyonné l'afifreiix objet de ce vol. Ce déficit bien avéré me fit cherch.t parmi mes brouillons fi j'en découvrirois quelqu'autre. J'en trouvai quelques-uns qui, vu mon défaut de mémoire, m'en firent fuppofer d'autres dans la muititude de mes papiers. Ceux que je remarquai furent le brouillon de la Morale fenfitive, & celui de 1'extrait des Aventures de milord Edouard. Ce dernier, je 1'avoue, me donna des foupcons fur Mde. de Luxembourg. C'étoit la Roche, fon valet-de chambre, qui m'avoit expédié ces papiers , & jen'imaginai qu'elle au monde qui püt prendre intérêt a ce chilTon; mais quel intérêt pouvoit.elle prendre a 1'autre & aux lettres enlevées, dont,même avec de mauvais deil'eins, on ne pouvoit faire aucun ufage qui püt me uuire, a moins de les falfifier? Pour M. le B 4  32 Les Confessions. Maréchal, dont je connoifiois la droiture invaria» ble & la vérité de fon amitié pour moi, je ne pus le foupconner un moment. Je ne pus même srrêter ce foupcon fur Mde. laMaréchale. Tout ce qui me vint de plus raifonnable a l'efprit, après m'être fa- rigué long-temps a chercher 1'auteur de cevol, fut de l'imputer a d'A t, qui, déja faufilé chez Mde. de Luxembourg, avoit pu trouver le moven de fureter ces papiers, & d'en enlever ce qu'il lui avoit plu, tant en manufcrits , qu'en lettres, foit pour chercher a me fufciter quelque tracafle- rie, foit pour s'approprier ce qui lui pouvoit con« venir. Je fuppofai qu'abufé par le titre de la Mo- rale fenfitive, il avoit cru trouver le plan d'un vrai traité de matérialifme, dont il auroit tiré contre moi ie parti qu'on peut bien s'imaginer. Sür qu'il fetoit bientót détrompé par 1'cxamen du brouillon, & déterminé a quitter tout-a-fait la littéraiure, je m'inquiétai peu de ces larcins, qui n'étoient pas les premiers de la même main (*) que j'avois en- durés fans me plaindre. Bientót je ne fongeai pas plus a cette infidélité, que ft 1'on ne m'en eüt fait aucune, & je me mis a rafiembler les matériaux qu'on m'avoit laifles, pour travailler a mes Confeffions. Ta- Cj J'avois trouvé dans fes EJémens de Mufi.jue beauconp de clioles tirées de ce que j'avois écrit fur cet art pour l'Encyclopédie, & qui lui fut remis pjuljeurs amicfes avant la piiblicaf ion de ces liléniens J'ignore la part qu'il au pu KVcir a un livre intiiuléi Dicliunnaire des Beaux /!rts: muis j'y ai trouvé des nrticles. tranl'crits des mieris, mot a mot, & cela longtemps avant que ces aiticies fulïcnt imprimés iiurs rtncyclopcdie.  Livre XII. 33 J'avois long-temps cru qu'a Genève la Compagnie des Minifires, ou du moins les Cnoyens & Bourgeois réclameroient contre l'infradion de 1'Edit dans le dicret porté contre moi. Tout refia tranquille, du moins ft 1'extérieur; car il y avoit un mécontentement général, qui n'attendoit qu'une occafion pour fe manifefter. Mes amis, ou foi difans tels,m'écrivoient lettres fur lettres, pour m'exhorter a venir me mettre a leur tête, m'aiTuranit d'une répatation publique de la part du Confeil. La crainte du défordre & des troubles que ma préfence pouvoit caufer, m'empêcha d'acquiefcer k leurs inftances, & fidéle au ferment que j'avois fait autrefois, de ne jamais tremper dans aucune dilfention civile dans mon pays, j'aimai mieux laifi'er fubfiller 1'ofTenfe, & me bannir pour jamais de ma patrie, que d'y rentrer par des moyens violens & dangereux. II eft vrai que je m'étois attendu, de la part de la bourgeoifie, a des repréfentations légales & paifibles, contre une infraétion qui 1'intérelToit extrêmemenr. II n'y en eut point. Ceux qui la conduifoient, cherchoient moins le vrai redreffement des griefs, que 1'occafion de fe rendre néceflaires. On cabaloit, mais on gardoit le filence, & on lailToit clabauder les caillettes & les caffards, ou foi-difans tels, mis en avant pour ine rendre oriieux a la populace, & faire attribuer 1'iucartade au zèle de la Religion. Après avoir attendu vainement plus d'un an qne quelqu'un réclamat contre une procédure illégale, li 5  34 Les Confessions. je pris enfin mon pani, & me voyant abandonné de mes Concitoyens, je me déterminai a renon. eer a mon ingrate patrie, oü je n'avois jamais vécu, dont je n'avois recu ni bien ni fervice, & dont, pour prix de 1'honneur que j'avois taené de lui rendre, je me voyois fi indignement traité,d'un confentement unamine, puifque ceux qui devoient parler n'avoient rien dit. J'écrivis donc au premier Syndic de cette année-Ia, qui, je crois, étoit M. Favre, une lettre par laquelle j'abdiquois foleranellement mon droit de bourgeoifie, & dans laquelle, au refte, j'obfervai la décence & la modération que j'ai toujours mife aux aétes de fietté que la cruauté de mes ennemis m'a fouvent arrachés dans mes malheurs. Cette démarche ouvrit enfin les yeux aux Citoyens: fentant qu'ils avoient eu tort pour leur propre intérêt d'abandonner ma défenfe, ils la priient quand il n'étoit plus temps. Ils avoient d'autres griefs, qu'ils joignirent a celui-la, & ils en fitent Ia matière de plufieurs repréfentations trésbien raifonnées, qu'ils étendirent & renforeèrent a mefure que les refus du Confeil, foutenu par Ie Miniflére de France, leur firent mieux fentir le projet formé de les aflérvir. Ces altercations produifirent diverfes brochures qui ne décidoient rien, jufqu'a ce que parurent tout d'un coup les Lettres écrites de la campagne, ouvrage écrit en fa. veur du Confeil avec un art infini, & par lequel le parti repréfentant, réduit au filence, fut pour  Livre XIL 55 un temps écvafé. Cette pièce, monunent durabfè des rares talens de fon auteur, étoit du Procureurgénéral T...... homme d'efptit, homme éclairé, très-verré dans les lois & le gouvernement de la rcpubüque. Siluit terra. Les repréfentans, revenus de leur premier ahattement, entreprirent une réponfe, & s'en tirèrent paffablement avec le temps. Mais tous jetérent les yeux fur moi, comme fur le feul qui püt entrer en lice contre un tel adverfaire, avec efpoir de le terralTer. J'avoue que je penfai de même;& poufl'é par mes anciens concitoyens qui me faifoient un devoir de les aider de ma plume dans un embarras dont j'avois été 1'occafion, j'entrepris la réfutation des Lettres écrites de la campagne, & j'en parodiai Ie titre par celui de Lettres écrites de la montagne, que je mis aux miennes. Je fis & j'exécutai cette entreptife fi fecrètement, que dans un rendez - vous que j'eus k Thonon avec les chefs des repréfentans, pour parler de leurs affaires, & oü ils me montrèrent 1'efquiffe de leur réponfe, je ne leur dis pas un mot de Ia tnienne qui étoit déja faite, craignant qu'il ne furvlnt quelque obflacle a 1'impreiTïon, s'il en parvenoit le moindre vent, foit aux magillrats, foit a mes ennemis particulier?. Je n'évitai pourtant pas que cet ouvrage ne füt connu en France avant la publication; mais on aima mieux le laiffer paroitre, que de me faire comprendre comment on avoit découvert mon feeree. Je dirai la.de.ffus ce que j'ai fu, qui fe B 6  2,6 Les Confessions. borne ïi trés-peu de chofe;je me tairai fur ce que j'ai conjeéiuré. J'avois a Motiers prefque autant de vifites que j'en avois eu a 1'Hermitage & a Montmorenci, mais elles étoient la plupart d'une efpèce fort différente. Ceux qui m'étoient venus voir jufqu'alors étoient des gens qui, ayant avec moi des rapports de talens, degoüts, de maximes, les alléguoient pour caufe de leurs vifites, & me mettoient d'abord fur des matières dont je pouvpis m'entretenir avec eux. A Motiers, ce n'étoit pluscela, furïout du cóté de France. C'étoient des officiers ou d'autres gens qui n'avoient aucun goüt pour la littérature, qui, même pour la plupart, n'avoient jamais lu mes écrits, & qui ne laiilöient pas, a ce qu'ils difoient, d'avoir fait trente, quarante, foixante, cent lieues pour venir voir & admiier 1'homme illuftre, trés-célèbre , legrand homme, &c. Car dès-lors on n'a ceffé de me jeter groliièrement h la face les plus impudentes flagorneries, dont 1'eflïme de ceux qui m'abordoient m'avoit garanti jufqu'alors. Comme la plupart ne daignoient ni fe nommer,ni me dire leur état, que leurs conjioiflances & les miemies ne tomboient pas fur les mêmes objets, & qu'ils n'avoient ni lu ni parcouru mes ouvrages, je ne favois de quoi leur parler: j'attendois qu'ils parlaffent eux - mêmes, puifque c'étoit a eux a favoir & a me dire pourquoi ils me venoient voir. On fent que ceia ne faifoit pas peur moi des converfations bien intéreü"antes,quoi-  Livre XII. 37 qu'elles pufTent 1'être pour eux , felon ce qu'ils vouloient favoir: car, comme j'étois fans déliance, je m'exprimois fans reTetve fur toutes les queflions qu'ils jugeoient a propos de me faire, & ils s'en retournoient pour 1'ordinaire aufli favans que moi fur tous les détails de ma fituation. J'eus, par exemple, de cette facon M. de Feins, écuyer de la reine & capitaine de cavalerie dans le régiment de la reine; lequel eut la conIhnce de paiTer plu (leurs jours a Motiers, & méme de me fuivre pédeflrement jufqu'a la Ferrière, me» nant fon cheval par la bride, fans avoir avec moi d'autre point de réunion, finon que nous connoiiïious tous deux Müe, Fel, & que nous jouïous 1'un & 1'autre au bilboquet. J'eus avant & aprös M. de Feins une autre vifite bien plus extraordinaire. Deux hommes arrlvent a pied, conduifant chacun un mulet chargé de fon petit bagage, logent a 1'auberge , panfent leurs muiets eux-mêmes, & demandent a me venir voir. A 1'équipage de ces muletiers, on les prit pour des contrebandiers, & la nouvelle courut auffitót, que des contrebandiers venoient me ren» dre vifite. Leur feule facon de m'aborder m'apprit que c'étoient des gens d'une autre étofFe; mais fans être des contrebandiers, ce pouvoit être des avanturiers, & ce doute me tint quelque temps eu garde, lis ne tardèrent pas a me tranquillifer. L'un étoit M. de Moutauban, appellé le conite de la Tour-du-Pin, gentilhomme du Dauphiné; D 7  33 Les C o n r e s s ï o n s. 1'autre étoit M. Daftier, de Carpentras, ancien militaire, qui avoit fa croix de Saint Louis dans fa poche, ne pouvant pas 1'étaler. Ces Mefiïeurs, tous deux trés-aimables, avoient tous deux beau* coup d'efprit; leur converfation étoit agréable & intérelfante; leur manière de voyager fi bien dans ïr.on goüt & fi peu dans celui des gentilshommes Francois, me donna pour eux une forte detachement que leur commerce ne pouvoit qu'afFermir. Cette connoiffance méme ne finit pas la, puifqu'elle dure encore, & qu'ils me font revenus voir diverfes fois,non plus a pled cependant, cela étoit bon pour lc début; mais plus j'ai vu ces Mefiïeurs, moins j'ai trouvé de rapports entre leur goüt & les miens, moins j'ai fenti que leurs maximes fuflent les miennes, que mes écrits leur fuflent familiers, qu'il y eüt aucune véritable fympathie entre eux & rooi. Que me vouloientils donc? Pourquoi me venir voir dans cet équipage? Pourqnoi refter plufieurs jours? Pourquoi revenir plufieurs fois? Pourquoi defirer fi fort de m'avoir pour hóte? Je ne m'avifai pas alors de me faire ces queflions. Je me les fuis faites quelquefois depuis ce temps-la. Touché de leurs avances, mon cceur fe livroit fans raifonner, furtout a M, Daftier, dont fair plus ouvert me plaifoit davantage. Je demeurai même en correfpondance avec lui, & quand je voulus faire imprimer les Lettres de la Montfgne, je fongeai a m'adrefler a lui pour donner le change  Livre XII. $9 a ceux qui attendoient mon paquet fur Ia route de Iloliande. II m'avoit parlé beaucoup, & peutêtre ft deffein, de Ia liberté de la prefle ft Avignon; il m'avoit offert fes foins fi j'avois quelque chofe ft y faire imprimer; je me prévalus de cette offre, & je lui adreffai fucceiïivement par la pofte mes premiers cahiers. Après les avoir gardés aifez long»temps, i! me les renvoya , en me marquant qu'aucun libraire n'avoit ofé s'en charger, & je fus contraint de revenir aRey, prenant foin de n'envoyer mes cahiers que 1'un après l'au;re, & de ne Jftcher les fuivans qu'après avoir eu avis de la réception des premiers. Avant la publication de 1'ouvrage, je fus qu'il avoit été vu dans les bureaux des minilires, & d'Efcherny de Neuchlliel me paria d'un livre de F homme de li montagne que d'H k lui avoit dit être de moi. Je 1'affürai, comme il étoit vrai, n'avoir jamais fait de livre qui eüt ce titre. Quand les lettres paiurent, il éioit futieux, & m'accufa de menfonge, quoique je ne lui euffe dit que la vérité. Voilft comment j'eus 1'affutance que mon manufcrit étoit connu. Sur de la fidélité de Rey, je fus forcé de porter ailleurs mes conjectures; & celle i laquelle j'aimai le mieux m'arrêter, fut que mes paquets avoient été ouverts ft la pofte. Une au'.te connoiffance ft peu prés du même temps, mais qui fe fit d'abord feulement par let. tres, fut celle d'un M. L d, de Nimes, lequel m'écrivit de Paris, pour me prier de lui en-  4o Les Confessions. voyer mon profil a la filhouette, dont il avoit, difoit-il, befoin pour mon bufte en marbre, qu'il failbit faire par le Moine, pour le placer dans fa biblioihèque. Si c'étoit une crjolerie inventée pour m'apptivoifer, elle réuffit pleinement. Je jugeai qu'un homme qui vouloit avoir mon bufle en marbre dans fa biblioihèque, étoit plein de mes ouvrages, par conféquent de mes principes, & qu'il m'aimoit, paree que fon ame étoit au ton de Ia mienne. II étoit difficile que cette idéé ne me féduisit pas. J'ai vu M. L d dans la fuite. Je 1'ai trouvé ttès-zélé pour me rendre bcaucoup de petits fervices, pour s'emremêler beaucoup dans mes petites affaires. Mais, au refte, je doute qu'aucun de mes écrits ait été du petit nombre de livres qu'il a lus en fa vie. J'ignore s'il a une biblioihèque, & fi c'eft un meuble a fon ufage; & quant au bufte, il s'eft borné a une mauvaife efquilfe en terre, faite par le Moine, fur laquelle il a fait graver un ponrait hideux, qui ne lailTe pas de courir fous mon nom, comme s'il avoit avec moi quelque reflemblance. Le feul Francois qui parut me venir voir par goüt pour mes fentimens & pour mes ouvrages, fut un jeune officier du régiment de Limoufin, appellé M. S,....r de Sc. B n, qu'on a vu & qu'on voit peut-être encore briller a Paris & dans le monde par des talens aflez aimables, & par des prétentions au bel-efprit. II m'étoit venu voir a Montmorenci 1'hiver qui précéda ma cata-  Livre XIL 41. firophe. Je lui trouvai une vivacité de fentiment qui me plut. II m'écrivit dans la fuite a lVIotieis; & foit qu'il voulüt me cajoler, ou que réellement Ja téte lui toumat de l'Einile, il m'appric qu'il quittoit le fervice pour vivre indépendant, & qu'il apprenoit le métier de menuiiler. Il avoit un frêre ainé, capitaine dans le même régiment, pour lequel étoit toute la prédilecliou de ia mêre, qui, dévote outrée, & dirigée par je ne fais quel abbé TarturTe, er, ufoit trés mal avec le cadet, qu'elle accufoit d'irréiigion, & même du crime irrémiffible d'avoir des liaifons avec moi. Voiia les griefs fur Iefquels il vouluc rompre avec fa mêre, & prendre le parti dont je viens de parler, le tout pour faire le petit Emile. Alarmé de cette pétulance, je me hatai de lui écrire pour le faire changer de réfolution, & je mis a mes exhortations toute la force dont j'étoit capable: elles furent écoutées. 11 rentra dans fon devoir vis-a-vis de fa mêre, & il retira des mains de fon colonel fa démiiiïon qu'il lui avoit donnée, & dont celui-ei avoit eu la prudence de ne faire aucun ufage, pour lui laifTer le temps d'y mieux réfiéehir. St. B n> revenu de fes folies, en fit une un peu moins choquante, mais qui n'étoit guères plus de mon goüt: ce fut de fe faire auteur. II donna coup fur coup deux ou trois brochures, qui n'annorcoient pas un homme fans talens, mais fur lefquelies je n'auiai pas a me reprocher de lui  42 Les Confession». avoir donné des éloges bien encourageans pour pourfuivre cette carrière. Quelque temps après il me vint voir, & nous fitnes enfemble le pélerinage de rille de St. Pierre. ]e le trouvai dans ce voyage différent de ce que je 1'avois vu a Montmorenci. 11 avoit je ne ibis quoi d'affedté, qui d'abotd ne me choqtia pas beaucoup, mais qui m'eit revenu fouvent en mémoiré depuis ce temps - la. II me vint voir encore une fois è 1'hótel de St. Simon, a mon paffage a Paris pour aller en Angleterre. J'appris la ce qu'il ne m'avoit pas dit, qu'il vivoit dans les grandes fociéiés, & qu'il voyoit affez fouvent Mde. de Lusctnbourg. II ne me donna oucun iigne de vie a Trie, & ne me fit rien dire par fa parente M"üe. Séguier, qui étoit ma voifine, & qui ne m'a jamais paru bien favorablement difpofée peur moi. En un mot, 1'engouement de M. de St. B n finit tout d'un coup, comme la liaifon de M. de Feins: mais celui-ei ne me devoit rien, & 1'autre me devoit quelque chofe, a moins que les fottifes que je 1'avois empêché de faire, n'eusfent été qu'un jeu de fa part; ce qui, dans le fond, pourroit ttès-bien être. J'eus aulïi des vifites de Genève tant & plus. Les D...c père & fils me choifirent fucceffivement pour leur garde-malade : le père tomba malade en route; le fils 1'étoit en partant de Genève ; tous deux vinrent fe rétablir chez moi. Des  Livre XII, 43 rniniures, des pareus, des cagots, des quidams de toute efpèce venoient de Genève & de SuiiTe, non pas, comme ceux de France, pour m'adms' rer & me perfifffcr, mais pour me tancer & ca» théchirer: le feul qui me fit plaifir fut Moultou, qui vint paiTer trois ou quatre jours avec moi, & que j'y aurois bien voulu retenir davantage : le plus conftant de tous, celui qui s'opiniatra le plus, & qui mefubjugua a force d'importunités, fut un M. d'1 5, commercant de Genève, Francois réfugié, & parent du procureur général de Neuchaiel. Ce M. d'J s, de Genève paifoit a Motiers deux fois 1'an, tout exprès pour m'y venir voir, reiloit chez moi du matin au foir plufieurs jours de fuite, fe mettoit de mes promenades, m'apportoit mille fortes de petits cadeaux, s'infinuoit malgré moi dans ma confidence, fe mê. lok de toutes mes affaires, fans qu'il y eüt enire lui & moi aucune communion d'idées, ni d'inclinations, ^ni de fentimens, ni de connoiflances. Je doute qu'il ait lu dans toute fa vie un livre entier d'aucune efpèce, & qu'il fache même de quoi traitent les miens. Quand je commencai d'herborifer, il me fuivitdans mes courfes de botanique, fans goüt pour cet amufement, & fans avoir rien a me dire, ni moi a lui. II eut même Ie courage de palier avec moi trois jours entiers tête-a-tête, dans un cabaret a Goumoins, d'oü j'avois cru le chafler a force de Tennuyer & de lui faire fentir combien il m'ennnyoit; & tout cela fans qu'il m'ait  44 Les Co n fession s. été poflible jamais de rebuter fon iucroyable conflance, ni d'en pénétrer le motif. Parn.ï toutes ces liaifons, que je ne fis & n'entretins que par force, je ne dois pas omettre la feule qui m'ait été agréable, & è laquelle j'ai mis un véritable intérêt de cceur: c'ell celle d'un jeune Hongrois qui vint fe fixer a Neuchatel, & de-Ia a Motiers, quelques mois sprés que j'y fus éiabli moi - même. On 1'appelloit dans le pays le baron de Sauttern, nom fous lequel il y avoit été recommandé de Zurich. 11 étoit grand & bien fait, d'une figure agréable, d'une fociété liante & douce. II dit a tout le monde, & me fit eirendre ti moi-même, qu'il n'étoit venu a Neuchatel qu'a caufe de moi, & pour former fa jeunelTe a la vertu par mon commerce. Sa phyfionomie, fon ton, fes maniêres me parurent d'accord avec fes difcours, & j'aurois cru manquer a 1'un des plus grands devoirs, en éconduifant un jeune homme en qui je ne voyois rien que d'aimable, & qui me recherchoit par un fi refpeétable motif. Mon cceur ne fait point fe livrer a demi. Bientót il eut toute mon amitié, toute ma confiance; nous devlnmes inféparables. II étoit de toutes mes courfes pédeftres, il y prenoit goüt. Je Ie menai chez milord Maréchal, qui lui fit mille careiTes. Comme il ne pouvoit encore s'exprimer en francois, il ne me parloit & ne m'écrivoit qu'en latin; je lui répondois en francois, & ce mélange des deux langues ne rendoit nos entretiens ni moins cou<  Livre XII. ^ lans, ni moins vifs, a tous égards. II me paria de fa famiiie, de fes affaires, de fes aventures, de la cour de Vienne, dont il paroiflbit bien connoitre les détails domeitiques. Enfin , pendant prés de deux ans que nous pafsames dans la plus grande intimité, je ne lui trouvai qu'une douceur de caratfère a toute épreuve, des mceurs non ■ feulement honnêtes, mais élégantes, une grande propreté fur fa perfonne, une décence extréme dans tous fes difeours, enfin toutes les marqués d'un homme bien né, qui me le rendirent trop efiimable pour ne pas me le rendre cher. Dans le fort de mes liaifons avec lui, d'I s de Genève, m'écrivic que je priffe garde au jeu! ne Hongrois qui étoit venu s'établir prés de moi; qu'on 1'avok atTuré que c'étoit un efpion que Ie" mimttère de France avoit mis auprès de moi. Cet avis pouvoit paroitre d'autant plus inquiétant, que, dans le pays oü j'étois, tout le monde m'avertisfoit de me tenir fur mes gardes; qu'on me guettoit, & qu'on cherchoit a m'attirer fur le territoire de France pour m'y faire un mauvais partf. Pour fermer la bouche une fois pour toutes a ces ineptes donneurs d'avis, je propofai a Sauttern, fans le prévenir de rien, une promenade pé> dellre a Pontarüer; il y confencit. Quand nous fümes arrivés a Pontarlier, je lui donnai a lire la lettre de d'I s, & puis l'embrairant avec ar- deur, je lui dis: Sauttern rt'a pas befoin que je Ini prouve ma confiance, mais le public a befoin  46 Les Confessions. que je lui prouve que je la fais bien placer. Cet embrafl'ement fut bien doux ; ce fut un de ces plaifirs de 1'ame que les perfécuteurs ne fauroient connoltre, ni óter aux opprimés. Je ne croirai jamais que Sauttern füt un efpion, ni qu'il m'ait trahi; mais il tn'a trompé. Quand j'épanchois avec lui mon cceur fans réferve, il eut le courage de me fermer conftamment le iien, & de m'abufer par des menfonges. II me controuva je ne fais quelle hiftoire qui me fit juger que fa préfence étoit néceflaire dans fon pays. Je 1'exhortai a partir au plus v!te; & quand je le croyois déja en Hongrie, j'appris qu'il étoit a Strasbourg. Ce n'étoit pas la première fois qu'il y avoit été; il y avoit jeté du défordre dans un ménage: le mari fachant que je Ie voyois, m'avoit écrit. Je n'avois omis aucun foin pour ramener la jeune femme a la venu, & Sauttern a fon devoir. Quand je les croyois parfaitement détachés 1'un de 1'autre, ils s'étoient rapprochés, & le mari même eut la complaifance de reprendre le jeune homme dans fa maifon; dès- iors je n'eus plus rien a dire. J'appris que le prétendu baron m'en avoit iropofé par un tas de menfonges. 11 ne s'appelloit point Sauttern, il s'appelloit Sauttersheim. A 1'égard du titre de baron qu'on lui donnoit en Suisfe, je ne pouvois Ie lui reprocber, paree qu'il ne 1'avoit jamais pris; mais je ne doute pas qu'il ne füt bien gentilhomtne; & milord Maréchal, qui fe connoifloit en hommes & qui avoit été dans ion psys, 1'a toujours regardé & traité comme tel.  Livre XII. ^ Sitót qu'il fut parti, Ia fervante de 1'aufaerge ou. il mangeoit a Motiers, fe déclara grofle de fon fair. C'étoit une fi viiaine falope, & Sauttern, généralement eftimé & confidéré dans tout Ie pays par fa conduite & fes mceurs honnêtes, fe piquoit fi fort de propreté, que cette impudence choqua tout Ie monde. Les plus aimables perfonnes du pays, qui lui avoient inutilement prodigué leurs agaceries, étoient furieufes: j'étois outré d'indignation. Ja fis tous mes eiTorts pour faire arréter cette effrontée, orTrant de payer tous les frais & de cautionner Sauttersheim. Je lui écrivis dans la forte perfuafion, non - feulement que cette grosfelTe n'étoit pas de fon fait, mais qu'elle étoit feinte, & que tout cela n'étoit qu'un jeu joué par fes ennemis & les miens. Je voulois qu'il revint dans le pays confondre cette coquine, & ceux qui la faifoient parler. Je fus furpris de la mollefle de fa réponfe. II écrivit au pafteur dont la falope étoit paroiffienne, & fit enforte d'aflbupir 1'affaire; ce que voyant, je ceiTai de m'en mêler, fort éton. né qu'un homme aufli crapuleux eüt pu étre aflez maitre de lui-méme pour m'en impofer, par fa réferve dans Ia plus intitne familiarité. De Strasbourg, Sauttersheim fut a Paris chercher fortune, & n'y trouva que de la misère. II m'écrivit en difant fon peccavi. Mes entrailles s'étnurent au fouvenir de notre ancienne amitié; je lui eiivoyai quelque argent. L'année fuivante a mon paflage a Paris, je le revis a peu prés dans  48 LesConfessions. le méme état, mais grand ami de M. L.....d, fans que j'aye pu favoir d'oü lui venoit cette connoiflance, Sc fi elle étoit ancienne ou nouvelle. Deux ans après, Sauttersheim retouma a Stras, bourg, d'oü il m'écrivit, & oü il eft mort. Voila 1'hiftoire abrégée de nos liaifons, & ce que je fais de fes aventures: mais, en déplorant Ie fort de ce malheureux jeune homme, je ne ceiferai jamais de croire qu'il étoit bien né, Sc que tout le défordre de fa conduite fut 1'effer des fituations oü il s'eft trouvé. Telles furent les acquifiiions que je fis a Motiers en fait de liaifons & de connoilfmces. Qu'il en auroit fallu de pareilles pour compenfer les cruelles pertes que je fis dans le méme temps! La première fut celle de M. de Luxembourg qui, après avoir été tourmenté longternps par les médecins, fut enfin leur vielime, traité de la goutte qu'ils ne voulurent point reconnoitre, comme d'un mal qu'ils pouvoient guérir. Si 1'on doit s'en rapporter la-detTus a la relation que m'en éctivit la Roche, 1'homme de conliance de Mde. de Maréchale , c'eft bien par cet exemple auffi cruel que mémotable qu'il faut déplorer les misères de la grandeur. La pene de ce bon feigneur me fut d'autant plus fenfible, que c'étoit le feul ami vrai que j'eufle en France; & Ia douceur de fon cara&ere étoit telle, qu'elle m'avoit fait oublitr tout-ii-fait fon rang, pour m'attacher a lui comme a mon égal.  Livre XII. ^ égal. Nos liaifons ne cefsèrent point par ma retraite, & il continua de m'écrire comme auparavant. Je crus pourtant remarquer que 1'abfence ou mon malheur avoit attiédi fon affettion. II eft bien difficile qu'un courtifan garde le même atta. chement pour quelqu'un qu'il fait être dans la difgrace des puhTances. J'ai jugé d'ailleurs, que le grand afcendant qu'avoit liir lui Madame de Luxembourg ne m'avoit pas été favorable, & qu'elle avoit profité de mon éloignement pour ma nuire dans fon efprir. Pour elle, malgré quelques démonftrations affeétées & toujours plus ra. res, elle cacha moins de jour en jour fon changement a mon égard. Elle m'écrivit quatre ou cinq fois en Sui.ffe de temps a autre, après quoi elle ne m'écrivit plus du tout; & il falloit touie la prévention, toute Ia confiance, tout 1'aveuglement oü j'étois encore, pour ne pas voir en elle plus que du refroidilTement envers moi. Le libraire Guy, aflbcié de Duchefne, qui de. puis moi fréquentoit beaucoup 1'hótel de Luxembourg, m'écrivit que j'étois fur le teftament de M, le Maréchal. II n'y avoit rien Ia que de trés. naturel & de trés-croyable; ainfi je n'en doutsi pas. Cela me fit délibérer en moi-même comment je me comporterois fur ce legs. Tout bien pefé, je réfolus de 1'accepter, quel qu'il püt être, & de rendre cet honneur a un honnête homme qui, dans un rang oü I'amitié ne pénètre guéres, Suppl. Tom. VIII. c  *r« Les Confessions. en avoit eu une véritable pour moi. j'ai été difpenfé de ce devoir, n'ayant plus entendu parler de ce legs vrai ou faux; & en vérité j'aurois été reiné de bleffer une des grandes maximes de ma morale, en profitant de quelque chofe ft la mort c!e quelqu'un qui m'avoit été cher. Dtirant la derniére maladie de notre ami MuiTard, Lenieps me propofa de profiter de la fenfibilité qu'il matquoit a nos foins, pour lui infinuer quelques difpofuicns en coue faveur. Ah! cher Lenieps, lui dis-je , ne föuillons pas par des idéés d'intétêt les trifles, mais facrés dtvoirs que nous readons ft notre ami mourant; j'efpère n'être jamais dans le teflament de perfonne, & jamais du moins dans celui d'au* ét» de mes amis. Ce fut ft peu prés dans ce même temps-ci, que milord Maréchal me paria du fien, de ce qu'il avoit defftin d'y faire pour moi, & que je lui fis la réponfe dont j'ai parlé dans ma première partie. Ma feconde perte, plus fenfible encore & bien plus irrc'parahle, fut celle de la meilleure des femmes & des mères, qui, déja chargée d'ans & furchargée d'infirmités & de misères, quitta cette vailée de larmes pour paffer dans le féjour des bons, cü 1'aimable fouvenir du bien qu'on a fait ici-bas en fait 1'éternelle récompenfe. Allez, ame douce & bienffliftnte, auprès des Fénelons, d> Bernex, des Catinat, & de ceux qui, dans Sn état plus humble, out ouvert, comme eux, kurs ceeurs ft la charité véiitable; allez gofiter le  Livre XII. 51 fluit de la vóre, & préparer a votre élêve la place qu'il eipère un jour occuper auprès de vous. Heureufe dans vos infortunes, que le ciel, en les terminant, vous ait épargné le cruel fpeclacle des Hennes! Craignant de contrifter fon cceur par le récit de mes premiers défaftres, je ne lui avois point écrit depuis mon arrivée en Suifle: mais j'écrivis a M. de Conzié pour m'informer d'elle, & ce fut lui qui m'apprit qu'elle avoit cefle de foulager ceux qui fouffroient & de fotfivir elle-même. Bientót je cederai de fouffiir auflï; mais, fi je croyois ne la pas revoir dans 1'autre vie, ma foible imagination fe refuferoit a 1'idée du bonheur parfait que je m'y promets. Ma troifiême pene & la derniêre, car depuis lors il ne m'eft plus reflé d'amis a perdre, fut celle de milord Maréchal. Il ne mourutpas, mais Iss de fervir des ingrats , il quitta Neuchatel, cc depuis lors je ne 1'ni pas revu. I! vit & me furvivra, je 1'efpère: il vit, &, grace a lui, tous mes auachemens ne font pas rompus fur la terre, il y relle encore un homme digne de mon amitié; car fon vrai prix eft encore plus dans celle qu'oa fent que dans celle qu'on infpire: mais j'ai perdu les douceurs que la fienne me prodiguoit, & je ne peux plus le mettre qu'au rang de ceux que j'aime encore, mais avec qui je n'ai plus de liaiibn. 11 alloit en Angleterre recevoir fa grace du roi, &: racheter fes biens jadis confifqués. Nous ne nous fépatamcs point lans des projets de icunion, qm' C 2  54 Les Cónfessions. paroiflbient prefque aufli doux pour lui que pour"moi. II vouloit fe fixer a fon chateau de KehhIlall prés d'Aberdem, & je devois m'y rendre auprès de lui ; mais ce projet me flattoit trop pour que j'en pufle efpérer le fuccès. 11 ne rella poiut en Ecolfe. Les tendres follicitations du roi de PrufTe le rappelèrent il Berlin, & 1'on verra bientót comment je fus empêché de 1'y aller joindre. AvEtit fon départ, ptévoyant 1'orage qu'on commencoit a fufciter contre moi, il m'envoya de fon propre mouvement des lettres de naturalité , qui fembloient être une précaution trés süre pour qu'on ne püt pas me chafler du pays. La communauté de Couvet dans le Val-de-Travers irnita 1'exemple du gouverneur, & me donna des lettres de Cem* muiiier gratuites, comme les ptemiêres. Ainfi , devenu de tout point citoyen du pays, j'étois a 1'abii de toute expulfion légale, même de la part du prince: mais ce n'a jamais été par des voies légidmes qu'on a pu perfécuter celui de tous les hommes qui a toujours le plus refpeólé les lois. Je ne crois pas devoir compter au nombre des pertes que je fis en ce même temps, celle de 1'abbé de Mably. Ayant demeuré chez fon frère, j'avois eu quelques liaifons avec lui, mais jamais bien intimes, & j'ai quelque lieu de croire que fes feminiens a mon égatd avoient changé de nature depuis que j'avois acquis plus de célébrité que lui. Mais ce fut a la publication des Lettres de la Montagne que j'eus le premier figne de fit  Livre XII. $3 tnauvnife volonté pour moi. On fit courir dans Genève une lettre a Mde. Saladin, qui lui étoit attribuée, & dans laquelle il parloit de cet ouvra. ge comme des clameurs féditieufes d'un démagogua efFréné. L'eftime que j'avois pour 1'abbé de Mably, & le cas que je faifois de fes lumières, ne me permirent pas un indam de croire que cette extravagante lettre füt de lui. Je pris la-deflus Ie parti •que m'infpira ma franchife. Je lui envoyai une copie de la lettre, en 1'avertiiTant qu'on la lui attribuoit. II ne me fit aucune réponfe. Ce filence m'étonna; mais qu'on juge de ma ftirprife, quand M ie. de C. x me manda que la mienne 1'avoit fort embarrafle : car enfin , quand il auroit eu raifon, comment pouvoit il excufer une démarche éclatante & publique, faite de gaieté de cceur, fans obligation, fans néceffiré , a, 1'unique fin d'accabler au plus fort de fes malheurs un homme auquel il avoit marqué toujours de la bienveillance, & qui n'avoit jamais démétité de lui? Quelque temps aptès parurent les Dialogues de Phocion , oü je ne vis qu'une compilation de mes écriis, faite lans retenue & fans honte. Je fentis, è la leclure de ce livre, que 1'auteur avoit pris fon parti a mon égard, & que je n'au* rois point déformais de pire ennemi. Je crois qu'il' ne m'a pardonné ni le Contrat Social , trop audeiTus de fes forces, ni la Paix perpétuelle, & qu'il n'avoit paru deiirer que je fiffe un extrait de C 3  Si LeïContessions. 1'Abbé de Sr. Pierre, qu'en fuppofant que je xe m'en tirerois pas fi bien. Plus j'avance dans mes récits, moins j'y puis anettre o'ordre & de fuite. L'agitation du refte de ma vie n'a pas laiffé aux événemens le temps de s'atranger dans ma tête. lis ont été trop nombreux , trop mêlés, trop défagréables pour pouvoir être narrés fans confufion. La feule impresfion forte qu'ils m'ont laiifée eil celle de 1'horrible myflère qui couvre leur caufe , & de 1'état déplorabie oü ils m'ont réduit. Mon récit ne peut plus marcber qu'a 1'aventure , & felon que les idéés me reviendrotit dans 1'efprit. Je me rappele que dans le temps dont je parle, tout occupé de mes Ccnfeflions , j'en parlois trés - Imprüdgrrirrient tout le monde, n'imaginant pas même que perfonne eüt intérêt, ni volonté, ni poHvoir de mettre obllacle a cette entreprife; & quand je l'aurois cru, je n'en aurois guêres été plus difcret, par 1'impoflibilité totale oü je fuis par mon naturel de tenir caché iien de ce que je fens & de ce que je penfe. Cette entreprife connue fut, autant que j'en puis juger, la véritable caufe de 1'orage qu'on excita pour m'expulfer de la Suifle, & me livrer entre des mains qui m'empéchalJ'ent de 1'exécuter. j'en avois une autre qui n'étoit guère vue da meilleur ceil par ceux qui craignoient la première; c'étoit celle d'unë édition générale de mes écriis. Cette édition me paroiflbit nécefiaire pour confta« ter ceux des livres portant mon nom qui étoient  Livre XII. 55 véritablemem de moi, & mettre Ie public en état de les diftinguer de ces écrits pfeudonymes que mes ennemis me prêtoimt pour me décréditer & m'avilir. Outre cela, cette édition étoit un moyeti fimple & honnête de m'alTurer du pain , & c'étoit le feul; puifqu'ayant renoncé a faire des livres, mes mémoires ne pouvant paroitre de mon vivant, ne gagnant pas un fol d'aucune autre manière, & dépenfant toujours, je voyois la fin de mes reffources dans celle du produit de mes derniers écrits. Cette raifou m'avoit preiTé de donner mon Diflionnaire de mufique encore informe. II m avoit valu cent louis comptant & cent écus de rente viagère; mais erjcore devoit-on voir bientót la fin de cent louis, quand on en dépenfoit annuellement plus de foixante , & cent écus de rente étoient comme rien pour un homme fur qui les dams & les gueux venoient iuceflatnoiant fondre comme des étourneaux. II fe préfenta une compagnie de négocians de Neuchatel pour 1'entreprife de mon édition générale, & un imprimeur ou libraire de Lyon.appellé Reguillat, vint, je ne fais comment, fe fourrer parmi eux pour la diriger. L'accord fe fit fur un pied raifonnable & fuffifant pour bien rcmpbr mon objet. J'avois tant en ouvnges imprimés • qu'en pièces encore tnanufcrites, de quoi fou.nir fix volumes in-quarto; je m'engsgeois deplus a veiller fur 1'édition; au moyen de quoi ils de. voient nid faire une penfion viagère de feize cents C 4  56" Les Confessions. livres de France, & un préfent de müie écus une Ibis payé. Le traité étoit conclu.non encore figné,quand les Lettres écrites de la Montagne parurent. La terrible explofion qui fe fit contre cet infernal ouvrage & contre fon abominable auteur, épouvanta la compagnie, & 1'entreprife s'évanouit. Je comparerois 1'iffet de ce dernier ouvrage a celui de ia Lertre fur la mufique francoife ; .fi cette lettre, en m'attirant la haine & m'expofant au péril, ne m'eüt lailTé du moins la confidération & 1'eftime. Mais, üprès ce dernier ouvrsge, on parut s'éton- ner a Genève & a V. qu'on laifiat refpi- rer un monflre tel que moi. Le petit Confeil, ex- cité par le R t de F , & dirigé par le procureur général, donna une déclaration fur mon ouvrage, par laquelie, avec les qualifications les plus dures, il le déclare indigne d'être brólé par le bourreau, & ajoute avec une adrefle qui tient du burlefque, qu'on ne peut, fans fe déihonorer, y répondre, ni même en faire aucune mention. Je voudrois pouvoir tranfcrire ici cette curieufe pièce, jnais malheureufement je ne 1'ai pas & ne m'en fouviens pas d'un feul mot. Je defire ardemment que quelqu'un de mes leéteurs, animé du zèle de la vétiié & de 1'équité, veuille relire en entier les Lettres écrites de la Montagne: il fentira, j'ofe • le dire, la floï^ue modération qui règne dans cet ouvrage, après les fenfibles & cruels outrages dont on venoit. a 1'envi d'accabkr 1'auteur. Mais ne f ou-  Livre XII. 57 pouvant rdpondre aux injures, paree qu'il n'y ert avoit point, ni aux raifons, paree qu'elles étoient fans réponfe, ils prirent le parti de paroitre trop courroucés pour vouloir répondre; & il eft vrai que s'ils ptenoient les argumens invincibles pour des injures, ils devoient fe fentir fort injuriés. Les repréfentans, loin de faire aucune plainte fur cette odieufe déclaration, fuivirent la route qu'elle leur tracoir; & au lieu de faire trophée des Lettres de la Montagne, qu'ils voilèrent pour s'en faire un bouclier, ils eurent la lacheté de ne rendre ni honneur ni juftice a cec écrit, fait -pour leur défenfe & a leur follicitation, ni de ne le citer, ni de ne le noramer, quoiqu'ils en tiralTent tacitement tous leurs argumens, & que 1'exaétituds avec laquelle ils ont füivi Ie confeil par lequel finit cet ouvrage , air. été la feule caufe de leur falut & de leur victoire. Ils m'avoient impofé ce devoir; je 1'avois rempli, j'avois jufqu'au bout fervi la pattie & leur caufe. Je les priai d'abandonnerla miemie, & de ne fonger qu'a eux dan* leurs démêlés. Ils me prirent au mot, & je ne mer fuis plus mê'.é de leurs affaires, que pour les exhorter fans celTe a la paix, ne doutant pas que) s'ils s'obftinoient, ils ne fuflent écrafés par la France. Cela n'eft pas arrivé; j'en comprends la raifon, mais ce n'eft pas ici ie lieu de la dire. L'effet des Lettres de la Montagne , a Neuch4< tel, fut d'abord trés paifible. J'en envoyai urJ exemplaire a M. de Montmollin; il le reeut bkti, C 5  58 LesConfessions. & le lutfans objeétion, II étoit roalade, auffi bier» que moi; il me vint voir amicalement quand il fut rétabii & ne me paria de rien. Cependant la rumeur commencoit; on brüla le livre je ne fais oü. De Genève, de Berne, & de Verfailles peutéire, le foyer de l'e:rervefcence paiTa bien.ót a Neuchatel, & fur-tout dans le Val-de-Travers, oü, avant même que la ClalTe eüt fait aucun mou'. vement apparent, on ftvoit commencé d'ametner le peuple par des pratiques fouterraines. Je devois, j'ole le dire, être aimé du peuple dans ce pays-la , comme je 1'ai été dans tous ceux oü j!ai vécu, vsnant les aumónes a pleines mains, ne laiflant fans afiifiance aucun indigent autour de moi, ne refufant a perfonue aucun ftrvice que je puilè rendre & qui füt dans la jullice.me familiarifant trop peut être avec tout le monde , & me dérobant de tout mon pouvoir a toute diftinclion, qui pOC exciter la jaloufie. Tout cela n'empêcha pas que Ia populace, foulevée fecrètement je ne fais par SVh ne s'animat contre moi par degrés jurqu'a la fureur, qu'elle ne ni'infultat publiquement en piein jour, non feulemeni dans la campagne & dans les chemins, mais en pleine rue. Ceux a qui j'avois fait le plus de bien étoient les plus acharnés, & des gens même a qui je continuois d'en faire , n'ofant fe montrer , excitoient les Bittres, & fembloient vouloir fe venger ainfi de l'htimiliation de m'être obligés. Mommollin paroif. foit ce rien voir & ne fe momroit p„cucore, Mais,  Livre XII. 59 comme on approchoit d'un temps de communion, il vint chez moi pour me confeiller de m'abftenir de m'y préfenter, m'alTurant que du refte il ne m'en vouloit point, & qu'il me laifleroit tranquille. Je trouvai le compliment bizarre ; il me rappelok la lettre de Mde. de B s, & je ne pouvois concevoir a qui donc il importoit fi fort que je communialfe ou non. Comme je regardois cette condefcendance de ma part comme un afte de lacheté, & que d'ailleurs je ne voulois pas donner au peuple ce nouveau prétexte de crier a 1'impie, je refufai net le minifire,& il s'en retourna mécontent, me faifant entendre que je m'en répentirots. 11 ne pouvoit pas m'interdire Ia communion de fa feule autorité : il falloit celle du Confilloire qui m'avoit admis, & tant que le Confiftoire n'avoit rien dit, je pouvois me préfenter hardiment fans crainte de refus. Montmollin fe fit donner par la ClalTe la commiflion de me citer au Confilloire pour y rendre compte de ma foi, & de m'excommunier en cas de refus. Cettte excommunication ne pouvoit non plus fe faire que par le Coufiftoke & a la plutalité des voix. Mais les payfans qui, fous Ie nom d'Anciens , compofoietit cette afiemblée, préfidós &, comtne on comprend bien, gouvernés par leur minif-re, ne devoient pas natutellement étre d'un autre avis que le fien, principalement fur des matiéres ihéologsques, qu'ils entendoient encore moins qoe lui. Je fus donc cité, & je réfolus de comparoiire. C 6  Éo Les Co n'fession s. Quelle circonflance heureufe, & quel triomphe pour moi, fi j'avois fu parler, & que j'euiTe eu , pour ainfi dire, ma plume dans ma bouche! Avec quelle fupériorité, avec quelie facilité j'aurois ter» raflé ce pauvre minifire au milieu de fes fix payfini! L'avidité de dominer ayant fait oublier au clergé proteflant tous les principes de la réformation, je n'avois pour 1'y rappeler & le réduire au filence, qu?ft cotnmenter mes premières Lettres de la montagne, fur Iefqueiles il» avoient la bêtife de m'épiloguer. Mon texte étoit tout fait, je n'avois qu'a 1'étendre, & mon homme étoit confondu. Je n'aurois pas éié alfez foi pour me tenir fur la dé. fenfive; il m'étoit aifé de devenir agreiTeur fans même qu'il s'en appercüt, ou qu'il püt s'en ga. rsntir. Les preftolets de la ClalT'e, non moins ctourdis qu'ignorans, m'avoieht mis eux-mêmes dans la pofition la plus heureufe que j'aurois pu defirer, pour les écrafer a plaifir. Mais quoi? 11 falloit parler, & parler fur Ie charop, trouver les idéés, les tours, les mots au moment du befoin, avoir toujours 1'efprit préfent , êire toujours de fang-froid, ne jamais me troubler un moment. Que pouvois-je efpérer de rooi, qui fentois fi bien mon inaptitude ft m'expriiner in - promptu ? J'avois été réduit au filence Ie plus humiliant ft Genève, devant une aflemblée toute en ma faveur, déja réfolue ft tout approuver. Ici c'étoit tout le contraire: j'avois ft faire ft un tracaffier qui metten 1'afluce ft la place du ftvoir, qui me tendroit  Livre XII. cent piefges avant que j'en appercufïe un, & tout déterminé a me prendre en faute a quelque prix que ce fnt. Plus j'examinai cette pofition, plus elle me parut périlleufe; & fentant 1'impolTibilité de m'en tirer avec fuccès, j'imaginai un autre expediënt. Je méditai un difcours a prononcer devant le Confifloire, pour le récufer & me difpenfer de répondre: la chofe étoit très-facile. J'éctivis ce difcours, & je me mis a 1'étudier par cceur avec une ardeur fans égale. Thérèfe fe moquoit de moi en m'entendant marmotter & répéter incefTamment les mêmes phrafes, pour tacher de les fourrer dans ma tête. J'efpérois tenir enfin mon difcours; je favois que le Chatelain , comme Officier du Prince , affifteroit au Confifloire; que, malgré les manceuvres & les bouteilles de Montmollin, la plupart des anciens étoient bien difpofés pour moi: j'avois en ma faveur la raifon, la vérité, la juftice, la proteétion du Roi, 1'autorité du Confeil d'Etat, les vceux de tous les bons patriotes qu'intércffbi: 1'établiiTement de cette inquifition; tout contribuoit ii m'encourager. La veille du jour marqué, je favois mon difcours par cceur; je le récitai fans faute; je le remémorai toute la nuit dans ma tête. Le matin , je ne le favois plus: j'héfite a chaque mot: je me crois déja dans 1'illuflre aflemblée: je me trouble, je balbutie; ma tête fe perd. Enfin, prefque au moment d'aller,le courage me manqne lotalement; je refle chez moi,& je prends le parti d'éctire au C 7  6a Les C o n r e s $ 1 o n s. Confifloire, en difant mes raifons a la bate, & préiextanc mes incommodités, qui véritablement, dans 1'état oü j'étois alors, m'auroient difficilement lailVé foutenir Ia féance entiére. Le Miniflre, embarrafle de ma lettre, remit 1'sffaire a une autre féance. Dans 1'intervalle, il fe donna par lui-même, & par fes créatures, mille mouvemens pour féduire ceux des Anciens qui , fuivant les infpirations de leur confcience, plutót que les fiennes, n'opinoient pas au gré de la Clafle & au fien. Quelque puiflans que fes argumens tirés de fa cave duflent être fur ces fortes de gens, il n'en put gagner aucun autre que les deux ou trois qui lui étoient déja dévoués, & qu'on appelloit fes ames damnées. L'Officier du Prince & le Colonel Pury, qui fe porta dans cette affaire avec beaucoup de zèie, maintinrent les autres dans leur devoir ; & quand ce Montmollin voulut procéder a l'excommunication, fon Confifloire, a la pluralité des voix, Ie refufa tout a plat. lléduit alors au dernier expediënt d'ameuter la populace, il fe mit, avec fes confrères & d'autres gens, i y travailler ouvertement, & avec un tel fuccès que, malgré les forts & frdquens refcrits du Roi, malgré tous les ordres du Confeil d'E:at, je fu» enfin forcé de quirter le pays, pour ne pas expofer 1'Ofbcier du Prince a s'y faire allalfiuer lutmême, en me défendant. ]e n'ai qu'un fouvenk G confus de toute cette affaire, qu'jl m'tft iiiipoflible de mettre aucun 01-  Livre XII. 63 dra , aucune liaifon dans les idéés qui m'en viennent, & que je ne les puis rendre qu'épatfes & ifoiées, comme elles fe préfentent a mon efprir. Je me rappele qu'il y avoit eu avec la Clafie quelque efpèce de négociation, dont Montmollin avoit été 1'entremetteur. Il avoit feint qu'on craignoit que par mes écrits je ne troublaife le repos du pays, a qui 1'on s'en prendroit de ma liberté d'écrire. II m'avoit fait entendre que fi je m'engageois a quitter la plume, on feroit coulant fur le paflé. J'avois déja pris cet engagement avec moi* méme; je ne balancai point a le prendre avec la Clafie, mais conditionnel, & feulement quant aux maüères de religion. II trouva le moyen d'avoir cet écrit a doublé, fur quelque changement qu'il cxigea: la condition ayant été rejetée par la Clasfe, je redemandai mon écrit: il me rendit un des doublés, & garda 1'autre, prétextant qu'il 1'avoit égaré. Après cela, le peuple, ouvertement excité par les Miniilres, fe moqua des refcrits du Roi, des ordres du Confeil d'Etat, & ne connut plus de frein. Je fus prêché en chaire, nommé 1'Antechrift, & pourfuivi dans la campagne, comme un loup-garou, Mon habit d'Arménien fervoit de renfeiguement a la popuiace: j'en fentois cruel. lement 1'inconvénient; mais le quitter dans ces circonflances , me fembloit une lacheté. Je na pus m'y réfoudre, & je me ptomenois tranquillement dans le pays, avec mon caffstan & mon bonnet founé j entouré des huées de la canaille, &  64 Les Confessions. quelqueföis de fes caillonx. Plufieurs fois, en paffant devant des maifons, j'entendois dire ft ceux qui les habitoient: apportez - moi mon fufil, que je lui tire deifus. Je n'en allois pas plus vlte: ils n'en étoient que plus furieux; mais ils s'en tinrent toujours aux menaces, du moins pour l'article des armes a feu. Durant toute cette fermentation, je ne lailfai pas d'avoir deux fort grands plaifirs auxquels je fus bien fenfible. Le premier fut de pouvoir faire un aóte de reconnoiflance par le canal de milord Maréchal. Tom les honnêtes gens de Neuchatel, indignés des traitemens que j'effuyois & des manoeuvres dont j'étois la viétime, avoient les miniflres en exécration , fentant bien qu'ils fuivoient des impuifions étrangéres, & qu'ils n'étoient que les fatellites d'autres gens qui fe cachoient en les fai. fant agir, & craignant que mon exetnple ne tirat a conléquence pour 1'établiffement d'une véritable jnquifition. Les magiftrats & fur-tout M. Meuron , qui avoit fuccédé a M. d'Ivernois, dans la charge de Procureur-général, faifoient tous leurs efforrs pour me défendre. Le colonel Pury, quoique fimpie particulier, en fit davantage, & réuflït mieux. Ce fut lui qui trouva le moyen de faire bouquer Montmollin dans fon Confifloire, en retenant les Anciens dans leur devoir. Comme il avoit du crédit, il 1'employa tant qu'il put pour asrêter la fédition; mais il n'avoit que 1'auioriié des luis, de la juftice & de la raifon a oppofer a  Livre XII. 65 celle d'argent & du vin: la panie n'étoit pas égale , & dans ce point, Montmollin tfiompha de lui. Cependant, fenfible a fes foins & a fon zèle, j'aurois voulu pouvoir lui rendre bon office pour bon office, & pouvoir m'acquitter avec lui de quelque facon. Je favois qu'il convoitoit fort une place de confeiller d'état; mais s'étant mal conduit au gré de la cour dans 1'affaire du minillre Petit-pierre, il étoit en difgiace auptès dü prince & du gouverneur. Je rifouai pounant d'éctire en fa faveur a milord Maréchal: j'ofai même parler de 1'emploi qu'il defiroit , & fi heureufemenc que , contre 1'attente de tout le monde, il lui fut prefque auffïtót conféré par le roi. C'eft ainli que le fort qui m'a toujours mis en même temps trop haut & ttop bas, continuoit a me baloter d'une extrêmité a 1'autre; & tandis que la populace me couvroit de fange, je faifois un confeiller d'état. Mon autre grand plaifir fut une vifite que vint me faire Mde. de V n avec fa fille, qu'elle avoit amenée aux bains de Bouibonne, d'oü el Is poufia jufqu'a Motiers, & logea chez moi deux ou trois jours. A force d'attcntions & de foins , elle avoit enfin fbrmonté ma longue répugnance; & mon cceur, vaiucu par fes carelTes , lui rendoit toute 1'amitié qu'elle m'avoit fi l.ngtemps témoignée. Je fus touché de ce voyage, furiout dans la circonflance oü je me trouvois, & oü j'avois grand befoin pour foutenir mon courage des confolaiions de 1'amitié. Je craignois qu'elle ne  Cf5 Les C o n f e s s i o n s. s'affeéïat des infultes que je recevois de la popu» lace, & j'aurois voulu lui en dérober le fpeftacle pour ne pas contrifter fon cceur; mais cela ne me fut pas poflible; & quoique fa préfence comtnt un peu les infolens dans nos promenades, elle en vit alTez pour juger de ce qui fe paffoit dans les autres temps. Ce fut même durant fon féjour chez moi que je coniinuai d'être attaqué de nuit dans ma propre hnbitation. Sa femme-de• chambre trouva ma fenêtre couverte un matin des pierres qu'on y avoit jetées pendant la nuit. Un banc trés-mafiif, qui étoit dans la rue a cóté de ma porte & fortement attaché, fut détaché, enlevé, & pofé debout contre le porte; de forte que 11 1'on ne s'en füt appergu, la premier qui, pour fortir, auroit ouvert la porte d'entrée, devoit naturellement être aifommé. Madame de V......n n'ignoroit rien de ce qui fe paflbit; car, outre ce qu'elle voyoit elle.méme, fon domeflique, hom» me de confiauce, étoit très-répandu dans le village, y accoftoic tout le monde, & on le vit même en conférence avec Montmollin. Cependant elle ne parut faire aucune attention a rien de ce qui m'arrivoit, ne me paria ni de Montmollin, ni de perfonne, & répondit peu de chofe a ce que je lui en dis quelquefois. Seulement, paroiflant perfuadée que le féjour de 1'Angleterre me convenoit plus qu'aucun autre, elle me paria beaucoup de M. Hume, qui étoit alors è Patis, de fon amitié pour moi, du defir qu'il avoit de m'être  Livre XII. 67 utile dans fon pays. II eft temps de dire quelque chofe de M. Hume. 11 s'étoit acquis une grande réputation en Fran« ce, & furtout parmi les Eucyclopédiftes par fes traités de commerce & de poliiique, & en dernier lieu par fon hiftoire de la maifon Stuart, le feul de fes écrits dont j'avois lu quelque chofe dans la traduaion de 1'Abbé Prévót. Faute d'avoir lu fes autres ouvrages, j'étois perfuadé, fur ce qu'on m'avoit dit de lui, que M. Hume aflbcioit une ame trés - républicaine aux paradoxes anglois en faveur du luxe. Sur cette opinion, je regardois toute fon apologie de Charles I. comme un prodige d'impartialité, & j'avois une aufïï grande idéé de fa vertu que de fon génie. Le defir de connoitre cet homme rare & d'obtenir fon amitié, avoit beaucoup augmenté les tentations de paiTer en Angleterre, que me donnoient les folli- citatiotis de Mde. de B s, intime amie de M. Hume. Arrivé en SuiiTe, j'y recus de lui, par la voie de cette Dame, une lettre extrémement flatteufe, dans laquelle, aux plus grandes louanges fur mon génie, il joignoit la preiTante invitation de pafcr en Angleterre, & 1'offre de tout fon crédit & de tous fes amis, pour m'en rendre le féjour agréable. Je trouvai fur les lieux milord Maréchal, le compatiiote & 1'ami de M. Hume, qui me confirma tout le bien que j'en penfois, & qui m'apprit même a fon fujet une anecdote littéraire qui 1'avoit beaucoup frappé & qui me frap*  t58 Les Confessions. pa de même. Vallace qui avoit écrit contre Hume , au fujet de la population des anciens , étoit abfent tandis qu'on imprimoit fon ouvrage. Hume fe chargea de revoir les épreuves 65: de veiller a 1'édition. Cette conduite étoit dans mon tour d'efprit. C'eft ainli que j'avois débité des copies a iix fols piéce, d'une chanfon qu'on avoit faite contre moi. J'avois donc toute forte de préjugés en faveur de Hume, quand Mde. de V n vint •me parler yivemtnt de 1'amitié qu'il difoit avoir pour moi, & de fon empreffement a me faire les honneurs de 1'Angleterre; car c'eft ainfi qu'elle s'expriinoit. Eüe me prefia beaucoup de profiter de ce zèle & d'écrire a M. Hume. Comme je n'avois pas naturellement de penchant pour 1'Angle* tetre, & que je ne voulois prendre ce parti qu'a 1'extrémité, je refufai d'écrire & de promettre ; mais je la laiflai la maltrefle de faire tout ce qu'elle jugeroit a propos pour maintenir Hume dans fes bonnes difpofitions. En quittant Motiers, elle me laiiTa perfuadé, par tout ce qu'elle m'avoit dit de cet homme illuftre, qu'il étoit de mes amis, & qu'elle étoit encore plus de fes amies. Aprés fon départ, Montmollin poufta fes ma. nceuvres, & la populace ne connut plus de frein. Je continuois cependant a me promener tranquille. ment au milieu des huées; & le goüt de la botanique, que j'avois commencé de prendre auprès du dofleur d'Ivernois, donnant un nouvel intérêt a mes promenades, me faifoit parcourir le pays  Livre XII. 69 en herborifant, fans m'émouvoir des clameurs de toute cette canaille, dont ce fang-froid ne faifoit qu'irriter la fureur. Une des chofes qui vn'afTeétèrent le plus , fut de voir les families de mes amis (*) , ou des gens qui portoient ce nom, entrer affez ouvertement dans la ligue de mes perfécuteurs, comme les d'I.... s, fans en excepter même le père & le frère de mon Ifabelle B . . de la T . . ., paren: de famie chez qui j'étois logé , & Mde. G r fa belle - fceur. Ce Pietre B.. étoit fi butord, fi béte, & fe comporta fi brutalement, que, pour ne pas me mettre en colère, je me permis de le plaifanter, & je fis, dans le goüt du petit prophéte, une petite brochure de quelques pages, intitulée, la Vifion de Pierre de la Montagne, dit le Voyant, dans laquelle je trouvai le moyen de tirer aflez plaifamment fur les miracles , qui faifoient alors le grand prétexte de ma perfécution. D. fit itn- (* 1 Cette fatalité avoit commencé dès mon féjour a Yverdon: car le banneret R n étant mort un an ou deux apres mon départ de cette ville, le vieux papa k...n eut la bonne-foi de me marquer, avec douleur, qu on avoit trouvé daps les papiers de fon pn-cnt, des preuves qu'il écoic entré dans le complot pour m expulfer d Yverdon & de 1'état de Beme. Cela prouvon: bien clsireuient q-te ce complot n'étoit pas , comme on vouloit le iaire croire, une affaire de cagotifme, pm.fqiie:1e banneret R....n , Io n d'Ctre un dévoc, pouiVuit le matérialifme is. t mcrêduHté iufqu'a 1'intoléiance & au fanatiüne. Au rede, perion. ne ii Yverdon ne s'étoit li fort empavé de moi, ne m avoit tant prodigué de carefles, de louanges & de Bacterie que le.lit banneret. 11 fuivoit fidfctement le plan chén de^ mes pétfécuttuts.  7<3 Les Confessions. primer a Genève ce chiffon, qui n'eut dans le pays qu'un fuccès médiocre; les Neuchatelois avec tout leur efprit, ne fentant guères le fel' attique ni la plaifanterie, fitót qu'elle eft un peu fine. Dans la plus grande fureur des décrets & de la perfécution, les Genevois s'étoient particulierement fignalés en criant haro de toute leur force; & mon ami V..... entr'autres, avec une générofité vraiment héroïque, choifn précifément ce temps - la pour publier contre moi des lettres oü il ptétendoic prouver que je n'étois pas chrétien. Ces lettres, écrites avec un ton de fuffifance, n'en étoient pas meilleures, quoiqu'on affurat que le célèbre B....t y avoit mis la main: car ledit B....t, quoique matérialifte, ne laiffe pas d'être d'une orthodoxie trés-intolérante, fitót qu'il s'agit de moi. Je ne fus affurément p?s tenté de répondre a cet ouvrage: mais 1'occafion t'étant préfentée d'en dire un mot dans les Lettres de la Montagne , j'y inférai une petite note affez dédaigneu- fe, qui mit V en fureur. 11 remplit Genève des cris de fa rage, & d'I s me marqua qu'il ne fe poffédoit pas. Quelque temps apiès parut une feuille anonyme, qui fembloit écrite, au lieu d'encre, avec 1'eau du Phlégéton. On m'accufoit, dans cette lettre, d'avoir expofé mes enfims dans les rues, de trainer après moi une coureufe de corps-de-garde, d'être ufé de débauche , ....... & d'autres gentilleffes femblables. 11 ne  Livre XII. 7* me fut pas difficile de reconnoltre mon homme. Ma première idéé, a la leéture de ce libelle, fut de mettre a fon vrai prix tout ce qu'on appelle renommee & réputation parmi les hommes, en voyant traiter de coureur de b un homme qui n'y fut de fa vie,& dont le plus grand défaut fut toujours d'être timide & honteux comme une vierge, & en me voyant palier pour être , moi qui , non-feulement n'eus de mes jours la moindre atteinte d'aucun mal de cette efpèce, mais que des gens de 1'art ont même ctu conformé de manière a n'en pouvoir contracter. Tout bien pefé, je crus ne pouvoir mieux réfuter ce libelle, qu'en le faifant imprimer dans la ville oü j'avois le plus vécu, & je 1'envoyai a Duchefne pour le faire imprimer tel qu'il étoit ,avec un avertiflement oü je notnmois M. V , & quelques courtes notes pour 1'éclaircilTement des faits. Non content d'avoir fait imprimer cette feuille, je 1'envoyai a plufieurs perfonnes, & entr'autres a M. le prince Louis de Wurtemberg, qui m'avoit fait des avances trés - honnêtes, & avec lequel j'étois alors en correfpondance. Ce prince, Du Peyrou, & d'au- tres, parurent douter que V füt 1'auteur du libelle, & me blamèrent de 1'avoir nommé trop légèrement. Sur leurs repréfentations, le fcrupule me prit, & j'écrivis a Duchefne de fupprimer cette feuille. Guy m'écrivit 1'avoir fupprimée: je ne fais pas s'il 1'a fait; j'ai été trompé en tant d'occafioas, que celle-la de plus ne feroit pas une  li Les Co n fession s. merveille ; & dés-lors j'étois enveloppé de ces profondes ténêbres, a travers lefquelles il m'elt impollïble de pénétrer aucune forte de vérité. M. V fupporta cette imputation avec une modération plus qu'étonnante dans un homme qui ne 1'auroit pas méritée, après la fureur qu'il avoit montrée auparavant. 11 m'écrivit deux ou trois Iet» tres trés» mefurées, dont le but me parut être de tacher de pénétrer, par mes réponfes, a quel point j'étois infiruit, & fi j'avois quelque preuve contre lui. Je lui fis deux réponfes courtes, sèches, dures dans le fens, mais fans malhonnêteté dans les termes, & dont il ne fe facha point. A fa troifième lettre, voyant qu'il vouloit lier une efpèce de correfpondance, je ne répondis plus: il me fit parler par d'Ivernois. Mde. Cramer écrivit a Du Peyrou qu'elle étoit süre que le libelle n'étoit pas de V Tout cela n'ébranla point ma perfuafion. Mais comme enfin je pouvois me tromper, & qu'en ce cas je devois a V une réparation autheutique, je lui fis dire par d'I s que je Ia lui ferois telle qu'il en feroit content, s'il pouvoit m'indiquer le vétitable auteur du li. belle, ou me prouver du moins qu'il ne 1'étoit pas. Je fis plus; fentant bien qu'après tout, s'il n'étoit pas coupable, je n'avois pas droit d'exiger qu'il me prouvêt rien, je pris le parti d'écrire dans un mémoire afiez ample les raifons de ma perfuafion, & de les foumettre au jugement d'un arbitre que V..... ne put iécufer. Ou ne devineioit pas quel fut  Livre XII. 73 fut cet arbitre que je choifis. Je déclarai a la fin du mémoire que fi, après 1'avoir examiné & fait les perquifuions qu'il jugeroit nécelfaires, & qu'il étoit bien a portée de faire avec fuccès, le Confeil prononcoit que M. V n'étoit pas 1'auteur du mémoire, dés I'inftant je celferois fincèrement de croire qu'il 1'eft, je partirois pour m'aller jeter è fes pieds, & lui demander pardon jnfqu'a ce que je 1'eulfe obtenu. J'ofe Ie dire, jamais mon zèle ardent pour 1'équité, jamais Ia droiture, la générofité demon ame, jamlis ma confnnce dans cet amour de la juliice, inué dans tous les cceurs, ne fe montrèrenc plus pleinement, plus fenfiblement que dans ce fage & touchant mémoire, oü je prenois fans héfiter mes plus implacables ennercis pour arbitres entre le calomniateur & moi. Je lus cet écrit a D. P : il fut d'avis de Ie fuppri- mer, & je le fupprimai. II me confeilla d'atten- dre les preuves que V promettoit. Je les at- tendis, & je le,s attends encore: il me confeilla de me taire en attendant; je me tus & me tairai le refte de ma vie; blamé d'avoir chargé V d'une impuiation grave , faufle & fans preuve, quoique je refte intérfeurement perfuadé, convaiucu, comme de ma propre exiftence, qu'il eft 1'auteur du libelle. Mon mémoire eft entre les mains de M. D. P Si jamais il voit le jour, ou y trouvera mes raifons, & 1'on y connoiira, je 1'efpère, 1'ame de Jean Jacques, que mes contempo. rains ont fi peu voulu connoltre. Suppk Tom. FIJI. D  74 Les Confessions. II eft temps d'en venir a ma eataftrophe de Motiers, & a mon départ du Val-de-Travers , après deux ans & demi de féjour, & huit mois d'une conftance inébranlsble a fouffrir les plus indignes trahemens. 11 ni'eft impoffible de me rappeler nettement les détails de cette défagréable époque, mais on les trouvera dans la relation qu'en publia D. P , & dont j'aurai a parler dans la mite. Dtpuis le départ de Mde. de V n, Ia fer- mentation devenoit plus vive , & malgré les refcri's réitérés du Hoi, malgré les ordres fréquens du Confeil d'Etat, malgré les foins du Cbatelain & des magiflrats du lieu, le peuple me regardant tout de bon comme 1'Antechrift, & voyant toutes fes clameurs inutiles, parut enfin vouloir en venir aux voies de fait; déja dans les chemins les cailloux commeneoient a rouler après moi, lancés cependant encore d'un peu trop loin pour pouvoir m'atteindre. Erfin la nuit de la foire de Metiers, qui eft au commencement de Septembre, je fus attaqué dans ma demeure, de manière a mettre en danger la vie de ceux qui 1'habitoient. A minuit j'entendis un grand bruit dans la galelie qui régcoit fur Ie derrière de la maifon. Une gtéle de cailloux, lancés contre Ia fenêtre & la porte qui donnoient fur cette galerie, y tombérent avec tant de fracas, que mon chien, qui couchoit cons la galerie & qui avoit commencé par sboyer, fe tut de frayeur, & fe fauva dans un coin, ron-  L I V Tl E X II. «■$ gestie & grattant les planches pour tacher de fuir. Je me léve au bruit: j'allois fortir de ma chambre pour paiTer dans la cuifine, quand un caillou, lancé d'une main vigoureufe, traverfa la cuifine après en avoir cafle la fenétre, vint ouvrir la porte de ma chambre & tomber au pied de mon lit, de lorre que fi je m'étois prelTé d'une feconde, j'avois le caillou dans 1'ellomac. Je jugeai que le bruit avoit été fait pour m'attirer, & le caillou Jancé pour m'accueillir a ma furtie. Je faute dans ia cuifine. Je trouve Thérèfe qui s'étoit auflï levée, & qui, toute tremblante, accouroit a moi. Kous nous rangeons contre un mur hors de la direétion de Ia fenétre, pour éviter 1'atteinte des pierres, & délibérer fur ce que nous avions a faire; car, fortir pour appeller du fecours, étoit Ie moyen de nous faite aflbmmer. Heureufement la fervante d'un vieux bon homme qui logeoit audeffbus de moi, fe leva au bruit, & courut appelier M. Ie Chatelain, dont nous étions porte a porte. II faute de fon lit, prend fa robe de chatnbre a la hate, & vient è 1'inflant avec la garde, qui, a caufe de la foire , faifoit Ja ronde cette nuit-la, & fe trouva tout a portée. Le Chatelain vit le dégat avec un tel effioi qu'il en palit, & a la vue des cailloux dont la galerie étoit pleine, il s'écria: Mon Dieu ! c'eft une carrière! Ea vifitant le bas, on trouva que la porte d'une petite cour avoit été forcée, & qu'on avoit tenté da pénétrer dans Ia maifon par la galerie. En recherD 2  9* Les ConfessIons. chant pourquoi la garde n'avoit point appercu ou empêché le défordre, il fe trouva que ceux de Motiers s'étoient obflinés a vouloir faire cette garde hors'de leur rang, quoique ce füt le tour d'un autre village. Le lendemain le chatelain envoya fon rapport an Confeil d'Eiat, qui deux jours après lui envoya 1'ordre d'informer fur cette affaire, de proraettre une récompenfe & le fecret a ceux qui dénonceroient les coupables, & de mettre en attendant, aux frais du prince, des gardes a ma maifon & a celle du chatelain qui la touchoit. Le lendemain le colonel Pury, le procureur - général Meuron, le chatelain Maninet , le receveur Guyenet, le tréforier d'Ivernois & fon père , en un mot tout ce qu'il y avoit de gens diftingués dans le pays vinrent me voir, & réunirent leurs follicitations pour m'engager a céder a 1'orage, & a fortir au moins pour un temps d'une paroifTe oü je ne pouvois plus vivre en süreté ni avec honneur. Je m'appercus même que le chatelain effrayé des fut reurs de ce peuple forcené, & craignant qu'elles ne s'étendiflent jufqu'a lui, auroit été bien aife de m'en voir partir au plus vite, pour n'avoir plus 1'embarras de m'y protéger, & pouvoir le quitter lui-même, comme il fit après mon départ. Je cédai donc, & même avec peu de peine, car le fpedacle de la haine du peuple me caufoit un déchirement de cceur que je nepouvois plus fupporter.  Livre XI I. 77 J'avois plus d'une retraite ft choifir. Depuis le retour de Mde. de V n ft Paris, elle m'avoit parlé dans plufieurs lettres d'un M. Walpole qu'elle appelloit milord, lequel pris d'un grand zèle en ma faveur, me propofoit dans une de fes terres un afyle -dont elle- me faifoit les defcriptions les plus agréables, entrant, par rapport au logement & ft la fubfiliance, dans des détails qui marquoient ft quel point ledit milord Walpole s'occupoit avec elle de ce projet. Milord Maréchal m'avoit toujours confeillé 1'Angleterre ou 1'Ecoife, & m'y offroit aufli un afyle dans fes terres; mais il m'en offtoic un qui me tentoit beaucoup davantage ft Poizdam , auprès de lui. II venok de me faire part d'un propos que le roi iui avoit tenu ft mon iujet, & qui étoit une efpèce d'invitation de m'y rendre , & Mde. la ducheffe de Saxe - Gotha comptoit fi bien fur ce voyage, qu'elle m'écrivit pour me prelTer d'aller la voir en paflant, & de m'arrêter quelque temps auptès d'elle; mais j'avois un tel attachement pour la Suilfe, que je ne pouvois me réfoudre a la quitter, tant qu'il me feroit poülble d'y vivre, & je pris ce temps pour exécuter un projet dont j'étois occupé depuis quelques mois, & dont je n'ai pu parler encore pour ne pas couper le fil de mon récit. Ce ptojet confiflok ft m'aüer établir dans Fifle de St. Pierre, domaine de 1'hópital de Berne, au milieu du lac de Bienne. Dans un pélérinage pé- deflre que j'avois fait 1'été précédent avec D u, D 3  j 8 Les C" o n t e s- s i ó k s. nous avions vifité cette ifle, & j'en avois été teflement cnchanté que je, n'avois ceiïé depuis ce temps la de fonger aux moyens d'y faire ma demeure. Le plus grand obftacle étoit que 1'ifle appattenoit aux Bernois, qui, trois ans auparavant, m'avoient chatTé de chez eux; & ouire que.ma lifrté patiflbit a retourner chez des gens qui m'avoient fi mal. recu, j'avois lieu de craindre qu'ils ne me laiffalTent pas plus en repos dans cette ifle qu'ils n'avoient fait a Yverdon. J'avois confulté la - defius milord Maréchal qui, penfant comme moi, que les Bernois, bien aifes de me voir relégué dans cette ifle. & de m'y tenir en ótage pour les écrits que je pourrois être tenté de faire, avoit fait fonder la*deflus leurs difpoliuons par un M. Sturler, fon ancien voifin de Colombier. M. Sturjer s'adrtfla a des chefs de 1'Etat, & fur leur réponfe aflura milord Maréchal que les B:mois* fachés de leur conduite paflée, ne demandoient pas mieux que de me voir domicilié dans 1'ifle de St. Pierre & de m'y laiiTer tranquille. Pour furcroït de ptécaution, avant de rifquer d'y aller réfider, je fis prendre de nouvelles informations psr le colonel Chaillet, qui me confuma les mêmes chofea; & le receveur de 1'ifle ayant refu de fes raaitns la permifiion de m'y loger, je crus ne rien rifquer d'aller m'établir chez lui, avec 1'agrément tacite tant du fouverain que des propriétaires; car je ne pouvois efpérer que Mefiïeurs de Berne reconnufient ouvertement l'injuftice qu'ils m'avoient  Livre XII. 79 faite, & péchaflent ainfi corr.re la plus inviolable maxime de tous les fotiverains. L'ifle de St. Pierre, appellée ft Neuchatel L'ifle de Ia Motte, au milieu du Iac de Bienne ,g environ une demi-Iieue de tour; mais dans ce petit efpace, elle fournit toutes les principales produc» tions nécelfaires ft la vie. Elle a des champs, des prés, des vergers, des bois, des vignes; & le tout, ft la faveur d'un terrain vatié & montagneux, fotme une diflribution d'autant plus agréable, que fes patties ne fe découvrant pas toutes enfemble» fe font valoir mutuellement, & font juger l'ifle plus grande qu'elle n'ej en effet. Une terraffe fort élevée en forme Ia partie occidentale qui regarde Glerefle & Neuveville. On a planté cette tertaÜJ d'une longue allée qu'on a coupée dans fon milieu par un grand falon, oü durant les vendanges on fe raflemble les dimanches , de tous les rivages voifins, pour danfer & fe réjouir. II n'y a dans l'ifle qu'une feule maifon, mais vafle & commode, oü loge le receveur, & fituée dans un enfonce» ment qui la tient a 1'abri des vents. A ciuq ou fix cents pas de l'ifle eft du cóté du fud, une autre ifli beaucoup plus petite, inculte & déferte , qui parolt avoir été détachée autrefois de la grande par les orages, & ne produi: parmi fes graviers que des faules & des perficaites, mais oü eft cependant un tertre élevé, b'wa gazonné & trés - agréable. La forme de ce Iac eft un ovale prefque régulier. Ses rives, moins D 4  8o Les Confessions. riches qne celles des lacs de Genève & de Neufchatel, ne lailfent pas de former une aflez belle décoration , furtout dans la partie occidentale qui eft trèjj-peuplée, & bordée de vignes au pied d'une chaine de montagnes , a peu prés comme a Cóte-Rótie, mais qui ne donnent pas d'aufli bon vin. On y trouvé en allant du fud au nord le bailliage de St. Jean, Neuveville, Bienne & NU dau a 1'extremité du Iac; Je tout entre-mêlé de villages trés-agréables. Tel étoit 1'afyle que je m'étois ménagé, & oü je réfolus d'aller m'ctablir en quittant le Val deTravers (*}. Ce choix étgit fi conforme a mon goüt pacifique, è mon humeur folitaire & paresièufe, que je le compte parmi les douces rêvtries dont je me fuis le plus vivemenc pafiionné. II me fembloit que dans cette ifle je ferois plus féparé des hommes, plus è 1'abri de leurs outrages, plus oublié d'eux, plus livré, en un mot, aux douceurs du défceuvrement & de la vie contemplative. J'aurois voulu être tellement confiné dans cette ifle, que je n'eufle plus de commerce avec les mortelsj & il eft certain que je pris toutes les mefures ima- ginables (») II n'eft reut-être pas inutile d'avertir que j'y laiflbis un ennemi particulier dans un M. du T x, roaire des Verriercs, en tiès-médiocre eftune dans le pays, mais qui :i un fiére, qu'on dit honnête homme, dans les bureau* de M. iie St. Floremin. Le maire l'étoit allé voir quelque temps avant mon avemure. Les petites remarques de cecte efpecc, qui par elles-mëmes ne font rien, peuvent ine. ner dans la faite a la découverte de bien des foutertaius.  Livre XII. 81 ginables pour me fouftraire a la nécefllté' d'en entretenir. II s'agifToit de fubfifter; & tant par la cherté des denrées que par la difficulté des tranfpons, la fubfiftance eft chèie dans cette Ifle, oü d'ailleurs on eft a la difcrétion du receveur. Cette difficulté fut levée par un atrangement que Du Peyrou voulut bien prendre avec moi, en fe fubftituant è la place de la compagnie qui avoit entrepris & abandonné mon édition générale. Je lui remis tous les mstériaux de cette édition. J'en fis 1'arrangement & la diftribution. J'y joignis 1'engagement de lui remettre les mémoires de ma vie, & je le fis de» pofitaire généralement de tous mes papiers, avec la condition exprcffe de n'en faire ufage qu'aprés ma mort, ayant a cceur d'achever tranquillement ma carrière, fans plus faire fouvenir le public de moi. Au moyen de cela, la penfion viagère qu'il fe chargeoit de me payer fuffiföii pour ma fubfiftance. Milord Maréchal ayant recouvré tous fes biens,m'en avoit offert une de douze cents francs, que je n'avois acceptée qu'en la réduifant a la rooitié. II m'en voulut envoyer le capital que je refufai , par 1'embarras de le placer. 11 fit paffee ce capital a du Peyrou entre les mains de qui il eft reflé, & qui m'en paye la rente viagère fur le pied convenu avec le conftituant. Joignant donc mon traité avec du Peyrou, la penfion de milord Maréchal dont les deux tiers étoient reverfibles a Thérèfe après ma mort, & la rente de 300 francs D 5  fi Lts C»nt*sttcss. que j'avois f»t Ductüfte , je pouvois- compter ftif une lubfjiUnce lionoice, & pour moi, & après moi pour Thérèfe, 8 qui je laiflbls fept cents francs de rente, tant de 1» ftvfum de Rey, que de celle de milord Maréchal; ainfi je n'avois piu» & ctainrke que le pain M manqti.; non plus qu'a. moi. Mais il étoit écrit que 1'honneur me forceroit de repoufler toutes les reifources que la fortune & mort travail mettroient :X ma portée, &. que je mourrois auffi pauvre que j'ai vécu. On jugera fi, a moins d'être le dernier des infames, j'ai pu tenir des arrangemens qu'on a toujours pris foin de mi rendre ignominieux , en m'ó.ant avec foin toute autre reflöurce, pour me forcer de confemir a mon déthonneur. Comment fe feroient-ils doutés du parti que je prendrois dans cette okernaiive ? lis ont 'toujours jugé de mon cceur par les leurs. En repos du cóté de la fubllflance, j'étois fans fouci de tout autre. Quoique j'abandonnaife dans Ie monde le champ libre a mes ennemis, je laiffois, dans le noble enthoufiafme qui avoit diaé mes éctits, & dans la conftante unifoimité de mes principes, un témoignage de mon ame qui répondoit a celui que toute ma conduite rendoit de mon naturel. Je n'avois pas befoin d'une autre défenfe contre mes calomniateurs. Ils pouvoient peindre fous mon nom un autre homme, mais ils ne pouvoient tromper que ceux qui vouloient être mmfëti Je pouvois k-ur donner ma vie a épi-  Livre XII. 83 loguer d'un bout a 1'autre; j'étois sur qu'a travers mes fautes & mes foibleffes, a travers mon inaptitude is fupporter aucun joug, on trouveroit toujours un homme jufte, bon, fans fiel, fans haine, fans jaloufie , prompt a reconnolire fes propres torts, plus prompt a. oublier eens d'autrui, cherchant toute fa féltcité dans les padions airnantes & douces, & portant en toute chofe la Qncérité jufqu'a 1'imprudenca , jufqu'au plus incroyable défintérefl'ement. Je préhois donc en quelque forte congé de mon fiècle & de mes contemporains, & je faifois mes adieux au monde, en me confinant dans cette ifle pour le refte de mes jours; car telle étoit ma réfolution, & c'étoit-Ia que je comptois exécuter enfin le grand projet de cette vie oifeufe? auquel j'avois inutilement confacré jufqu'alors tout le peu d'adivité que le ciel m'avoit départie. Cette iili 'alloit devenir pour moi celle de Papimanie, ce bienheureux pays oü 1'on dort; Oit 1'on fait plus, oii 1'on fait mille chofe. Ce plus étoit tout pour moi, car j'ai toujours peu regretté le fommeil; 1'oifiveté me fuflic, & pourvu que je ne fafife rien, j'aime encore mieux rêver éveillé qi'en fonga. L'age des projets romanefques étant paffe , & la fumée de la gloriole m'ayant plus étourdi que flatté, il neme refloit, piut Jernière efpérance, que cille de vivre fans géne dans un loilir éternel. C'eft la vie das bieaD 6  Les Confessions. beurenx dans 1'autre monde, & j'en faifois déformais mon bonheur fupréme dans celui - ci. Ceux qui me reprochent tant de contradiaions ne manqueront pas ici de m'en reprocher encore une. J'ai dit que 1'oifiveté des cercles me les rendoit infuppcrtables: me voila recherchant la* fotliude uniquement pour m'y livrer a 1'oifiveté. Ceft pourtant ainfi que je fuis; s'il y a-la de la contradiaion, elle eft du fait de la nature, & non pas du mien; mais il y en a fi peu, que c'eft par-la précifément que je fuis toujours moi. L'oifiveté des cercles eft tuante, paree qu'elle eft de nécefiité. .Celle de la folitude eft chatmante, paree ce qu'elle eft libre & de volonté. Dans une compagnie, il m'eft cruel de ne rien faire, paree que j'y fuis forcé. II faut que je tefte-la cloué fur une cbaife ou debout, plmté comme un piquet, fans renner ni pied ni patie, n'ofant ni coutir, ni fauter, ni chanter, ni crier, ni gefliculer quand j'enaienvie, n'ofant pas même rêver; ayant a la fois tout 1'ennui de l'oifiveté & tout le tourmeut de la contrainte ; obligé d'être attentif a toutes les fottifes qui fe difent & a tous les complimens qui fe font, & de fatiguer inceflamment ma Minerve, pour ne pas manquer de placer a mon tour mon rébus & mem menfonge. Et vous appellez cela de 1'oifiveté! C'eft un travail de forcat. L'oifiveté que j'aime n'eft pas celle d'un fai. néant, qui refte-la les bras croifés dans une inac-  Livre XII. tion totale & ne penfe pas plus qu'il n'agit. C'elt a-la-fois celle d'un enfant qui eft fans ceffe en mouvement pour ne tien faire, & celle d'un radoteur qui bat la campagne, tandis que fes bras font en repos. J'aime a m'occuper a faire des riens, a commencer cent chofes, & n'en achever aucune, a aller & venir comme la tête me chante, a ehanger a chaque inliant de projet, a fuivre une moucbe dans toutes fes allures, a vouloir déraciner un rocher pour voir ce qui eft delfous, a entreprendre avec ardeur un travail de dix ans, & k 1'abandon. ner fans regret au bout de dix minutes, a mufer enfin toute la journée fans ordre & fans fuite, & è ne fuivre en toute chofe que le caprice du moment. La botanique telle que je 1'ai toujours conlidérée, & telle qu'elle commencoit a devenir paflion pour moi, étoit précifément une étude oifeufe, propre a remplir tout le vide de mes loifirs, fans y laiiler place au délire de 1'imagination, ni a 1'ennui d'un défceuvrement total. Errer nonchalam. ment dans les bois & dans la campagne, prendre machinalement ca & la, tantót une fleur, tantftt un rameau; brouter mon foin prefque au hafard, obferver mille & mille fois les mêmes chofes, & toujours avec le même intérêt, paree que je les oubliois toujours, étoit de quoi pafler 1'éternité fans pouvoir m'ennuyer un moment. Quelque élégante , quelque admirable, quelque diverfe que foit la flructure des végétaux, elle ne frappe pas D 7  86 Les Confessions. afTez un ceil ignorant pour 1'intéreiTer. Cette conftante analogie, & pourtant cette variété ptodigieufe qui règne dans leur organifation, ne tranfporte que ceux qui ont déja quelque idéé du fynéme végétal. Les autres n'ont, a fafpeft de tous ces tréfors de la nature, qu'une admiration ftupide & monotone. Ils ne voient rien en détail, paree qu'ils ne favent pas même ce qu'il faut regarder, & ils ne voient pas non plus 1'enfemble, paree qu'ils n'ont aucune idéé de cette cbaine de rapports & de combinaifons qui accable de fes merveilles 1'efprit de 1'obfervateur. J'étois, & mon défaut de mémoire me devoit toujours tenir dans cet heureux point d'en favoir alfez peu pour que tout me füt nouveau, & alTez pour que tout ms füt feniible. Les divers fols dans lefquels 1'ifle, quoique petite , étoit partsgée, m'offroient une fuffifante variété de plantes pour 1'étude & pour 1'amufement de toute ma vie. Je ne voulois pas laifler un poil d'herbe fans analyfe, & je m'arrangeois déja pour faire avec un recueil immeufe d'obfervations, U Flora Peliinfularis. Je fis venir Thérèfe avec mes livres & mes effet?. Nous nous mimes en penfion chtz le receveur de fifle. Sa femme avoit k Kidau fes feeurs qui la venoient voir tour a tour, & qui failoient a Thérèfe une compagnie. Je fis - la 1'eiTai d'une douce vie, dans laquelle j'aurois voulu palier la mieiine, & dont le goüt que j'y pris ne fervit qu'a  Livre XII. ff me faire mieux fentir i'amertume da celle qui de. voit fi promptement y fuccéder. J'ai toujours airaé 1'eau pafïïonndment, & fa vue me jette dans une rêverie délicieufe, quoique fouvent fans objet déterminé. Je ne inanquois pas ft mon lever,lorfqu'il faifoit beau,de courir fur la terraffe humerl'air falubre & frais du matin, & planer des yeux fur Phorizon de ce beau lac, dont les rives & les montagnes qui le bordent enchantoient ma vue. Je ne trouve point de plus digne hommage ft la Divinité que cette admiration muette qu'excite la contemplatión de fes ceuvres, & qui ne s'exprime point par des actes développés. Je cotnprends comment les habitans des villes, qui ne voient que des murs, des rues & des crimes, ont peu de foi; mais je ne puis comprendre comment des campagnards, & fur- tout des folitaires, peuvent n'en point avoir. Comment leur ame ne s'élève t - elle pas cent fois le jour avec extafe ft 1'auteur des merveilles qui les frappent?Pour moi, c'eli fur tout ft mon lever, affaiffé par mes infbmnies, qu'une longue habitude me porte ft ces élévations de cceur qui n'impofent point la fatigue de pe.ifer. Mais il faut pour cela que mes yeux foient frappés du ravilfant fpediacle de la nature. Dans ma chambre, je prie plus rarement & plus sèchitnent: mais ft 1'afpeét d'un beau payfage , je me fens ému fans pouvoir dire de quoi. j'ai lu qu'un fage Evèque, dans la vifite de fon diocèfe, trouva une vieille femme qui, pour toute prière,  J8 Les Confessions. ne favoir dire que <7;il lui dit: Bonne mère, continuez toujours de prier ainft ; votre prière vaut mieux que les nótres. Cette rneilleure prière eft aufli la mienne. Après le déjeüné , je me hatois d'écrire en rechignant quelques malheuteufes Iettres, afpirant avec ardeur a 1'heureux moment de n'en plus écrire du tout. Je tracaflbis quelques inftans autour de nies livres & papiers, pour les déballer & arranger, plutót que pour les lire; & cet arrangement, qui devenoit pour moi Tceuvre de Pénélope, me donnoit le plaifir de mufer quelques momens, après quoi je m'en ennuyois & le quittois, pour paiTer les trois ou quatre heures qui me reftoient de la matinée, a 1'étude de la botanique, & fur • tout du fyfléme de Linna;us, pour lequel je pris une paffion dont je n'ai pu bien me guérir, même après en avoir fenti le vide. Ce grand obfervateur, eft a mon gré, le feul avec Ludvvig qui aic vu jufqu'ici la botanique en naturalifte & en phiiofophe; mais il 1'a trop étudiée dans des her* biers & dans des jardins, & pas afiez dans la nature elle-même. Pour moi, qui prenois pour jardin 1'lle entière,frót que j'avois befoin de faire ou vérifier quelque obfervation, je courois dans les bois ou dans les prés, mon livre fous le bras : la, je me couchois par terre, auprès de la plante en queftion, pour 1'examiner fur pied tout a mon aife. Cette méthode m'a beaucoup fervi pour con» noitre les végétaux dans leur état naturel, avant  Livre XII. 8j? qu'ils ayent été cultivés & dénaturés par Ia main des hommes. On dit que Fagon, premier méde» cin de Louis XIV, qui nommoit & connotlfoit parfaitement toutes les plantes du jardln royal, étoit d'une telle ignorance dans la campagne, qu'il n'y connoiflbit plus rien. Je fuis précifément le contraire. Je connois quelque chofe a 1'ouvrage de la nature, mais rien a celui du jardinier. Pour les après -dinés, je les livrois totalement a mon humeur oifeufe & nonchalante, & a fuivre fans régie 1'impullion du moment. Souvent, quand 1'air étoit calme, j'allois, immédiatement en for-> tant de table, me jeter feul dans un petit bateau, que le receveur m'avoit appris a mener avec une feulerame; je m'avancois en pleine eau. Le moment oü je dérivois ine donnoit une joie qui alloit juf> qu'au trelTaillement, & dont il m'eft impoflible de dire ni de bien co-mprendre la caufe, fi ce n'étoit peut-être une félicitation feciète d'être en cet état hors de 1'atteinte des méchsns. J'errois enfuite feul dans ce lac, approchant quelquefois du rivage, mais n'y abordant jamais. Souvent laiflant aller mon bateau a la merci de 1'air & de 1'eau, je me livrois a des réveries fans objet, & qui, pour être flupides, n'en étoient pas moins douces. Je m'écriois par fois avec attendiiTement: O naturel ó ma mêre! me voici fous ta feule garde; il n'y a point ici d'hotnme adroit & fourbe qui s'interpofe entre toi & moi. Je m'éloignois ainfi jufqu'a demi • lieue de terre; j'aurois voulu que ce  90 Les Confessions. Iac eüt été focéan. Cependant, pour coroplaire a mon pauvre chien, qui n'aimoit pas autant que moi de fi longues ftations fur Peau ,je fuivois d'ordinaire un but de promenade; c'étoit d'aller débarquer a la petite ile, de m'y promener une heure ou deux, ou de m'étendre au fomraet du tertre fur le gazon, pour m'afibuvir du plaifir d'admirer ce lac & fes environs, pour examiner &. diiféquer toutes les herbes qui fe trouvoient a ma portée, & pour me baiir, comme un autre Robinfou , une demeure imaginaire dans cette petite 11e. Je m'aiiédtionnai fortement a cette butte. Quand j'y pouvois mener promener Thérèfe avec la receveufe & fes fceurs, comme j'étois fier d'être leur pilote & leur guide !* Nous y portarnes en pompe des lapins pour la peupler. Autre fête pour JeanJacques. Cette peuplade me rendit la petite ifle encore plus intéreflante. J'y allois plus fouvent & avec plus de plaifir depuis ce temps-Ia, pour rechercher des tracés du progtès des nouveaux habitans. A ces amufemens, j'en joignis un qui me rappelloit la douce vie des Charmettes, & auquel la faifon m'invitoit particulièrement. C'étoit un détail de foins ruftiques pour la récolte des légumes & des fruits, & que nous nous faifions un plaifir , Thérèfe & moi, de partager avec la receveufe & fa familie. Je me fouviens qu'un Bernois, nommé M. Kirkebergher, m'étant venu voir, me trouva perché fur un grand arbre, un fac attaché  Livre XII. 9t autour de ma ceinture, & déja fi plein de pommes, que je ne pouvois plus me remuer. Je ne fus pas facbé de cette rencontre & de quelque» auttes pareilles. J'efpérois que les Bernois, témoins de 1'emploi de mes loifirs, ne fongeroient plus a en troubler la tranquillité, & me lailferoient en psix dans ma folitude. J'aurois bien mieu* aimé y être confiné par leur volonté que par la miemie: j'aurois été plus afiuré de n'y point voir troubler mon repos. Voici encore un de ces aveux fur lefquels je fuis sür d'avance de 1'incrédulité des leéteurs, obflinés a juger toujours de moi par eux-mêmes, quoiqu'ils aient été forcés de voir dans tout le cours de ma vie, miife aff.'clions internes qui ne leifembloient point aux leurs. Ce qu'il y a de plus bizarre, eft qu'en me refufant tous les fennmens bons ou indifferens qu'ils n'ont pas, ils font toujours prêts a m'en prêter de fi mauvais, qu'ils ne fauroient même entrer dans un cceur d'hoinme ï Üs trouvent alors tout fimple de rae mettre en eon.tradiction avec la nature, & de faire de mol uu monftre tel qu'il n'en peut méme exifter. Rien d'abfurde ne leur paroit incroyable, dés qu'il tend jr me noircir \ rien d'extraordinaire ne leur paroit poffibie, dès qu'il tend a m'honorer. Mais, quoi qu'ils en puilTent croire ou dire» je n'en continuerai pas moins d'expofer fidèiement ce que fut, fit & penfa J. J. Roufleau , fans expliquer ni juftiücr les fingularités de fes fefH*i  pa Les Confessions. mens & de fes idéés, ni rechetcher fi d'autre» ont penfé comme lui. Je pris tant de goüt a l'ifle de St. Pierre, & fon féjour me convenoit fi fort, qu'a force d'infcrire tous mes defirs dans cette ifle, je formai celui de n'en point fortir. Les vifites que j'avois a rendre au voifinage, les couriés qu'il me faudroit faire a Neufchatel, a Bienne, k Y verdon, è Nidau, fatiguoient déja mon imagination. Un jour a paffer hors de l'ifle me paroiflbit retranché de mon bonheur; & fortir de 1'enceiute de ce lac, étoit pour moi fortir de mon élément. D'ailleurs 1'expérience du pafle m'avoit rendu craintif. II fuffi'bit que quelque bien flattèt mon cceur, pour que je duffe m'attendre a le perdre, & 1'ardent defir de finir mes jour's dans cette ifle étoit inféparable de la crainte d'être forcé d'en fortir. J'avois pris 1'habitude d'aller les foirs m'afleoir fur la grève, fur-tout quand le lac étoit agité. Je fentois un plaifir fingulier a voir les flots fe brifer a mes pieds. Je m'en faifois f image du tumulte du monde & de la paix de mon habitation, & je m'attendriflbis quelquefois a cette douce idéé, jufqu'a fentir des latmes couler de mes yeux. Ce repos dont je jouiflbis avec paffion, n'étoit troublé que par 1'lnquiétude de le perdre, mais cette inquiétude alloit au point d'en altérer la douceur. Je fentois ma fituation fi précaire que je n'ofois y compter. Ah 1 que je changerois volontiers, me difois.je, la liberté de foitir d'ici, dont je ne me foucie point, avec 1'aflurance d'y pouvoir refter  Livre XIL pj toujours! Au lieu d'y être fouffert par grace, que n'y fuis-je détenu par force! Ceux qui ne font que m'y fouffrir, peuvent a chaque inftant m'en chafler, & puis-je efpérer que mes perfécuteurs m'y voyant heureux , m'y laifleut continuer de 1'être? Ah! c'eft peu qu'on me permette d'y vivre; je voudrois qu'on m'y condamnat & je voudrois être contraint d'y refter pour ne 1'être pas d'en fortir. Je jetois un ceil d'en vie fur 1'heureux Micheli du Crêt, qui, tranquiile au chateau d'Arbourg, n'avoit eu qu'a vouloir être heureux pour 1'être. Enfin, a force de me livrer a ces réllexions & aux preflentimens inquiétans des nouveaux orages toujours prêts il fondre fur moi, j'en vins & defirer, mais avec une ardeur incroyable, qu'au lieu de tolérer feulement mon habitation dans cette ifle, on me la donnat pour prifon perpétuelle; & je puis jurer que s'il n'eüt tenu qu'a moi de m'y faire condamner,je 1'aurois fait avec la plus grande joie, préférant mille ibis la néceffité d'y pafler le refle de ma vie, au danger d'en être expulfé. Cette crainte ne demeura pas Iongtemps vaine. Au moment oü je m'y atrendois le moins, je recus une lettre de M. le bailli de Nidau, dans le gouvernement duquel étoit l'ifle de St. Pierre : par cette lettre il m'intimoit de ia part de LL. EE. 1'ordre de fortir de l'ifle & de leurs états. Je crus réver en la lifant. Rien de moins naturel, de moins raironnable , de moins prévu qu'un pareil ordre: car j'avois plutót regardé mes preiTentimens  9+ Les Confesstons. .comme les inquiétudes d'un homme effarouché pat fes malheurs, que comme une prévoyance qui pilt avoir le moindie fondement. Les mefures que j'avois ptifes pour m'alfurer de 1'agrément tacite du .Souverain, Ia tranquillité avec laquelle on m'avoit lailTé faire mon établiffement, les vifites de plufieurs Bernois & du bailli lui-méme , qui m'avoit cotablé d'amitiés & de prévenances, Ia rigueur de la faifon, dans laquelle 11 étoit barbare d'expulfer un homme infirme; tout me fit croire, avec beaucoup de gens, qu'il y avoit quelque mal-entendu dans cet ordre , & que les mal.inientionnés avoient pris exprès le temps des vendanges & de 1'infréquence du Sénat, pour me porter brufquement ce coup. Si j'avois écouté ma première indignation, je ferois parti furie champ. Mais oü aller? Que devenir a 1'entrée de 1'hiver, fans but, fans préparatif, fans conducteur, fans voiture ? A moins de Jaifler tout a 1'abandon, mes papiers , mes effets, toutes mes affaires, il me falloit du temps pour y pourvoir, & il n'étoit pas dit dans 1'ordre fi on m"en laiffoit ou nou. La continuité des malheurs commencoic d'affaifler mon courage. Pour la première fois je fentis ma fierté naturelle fléchir fous le joug de la nécefiité , & malgté les murmures de mon cceur, il fallut m'abaiffer a demander un délai. C'étoit a M. de Graffenried , qui m'avoit .envoyé 1'ordre, que je m'adreffai pour le faire interptéier. Sa lettre portoit une trés vive improbaliou de ce même ordre, qu'il ne m'intimoit qu'a-  Livre XII. 55 vee le plus grand regret, & les témoignages de ■ douIeurèV d'efliuie dont elle étoit remplie.me fembloient autant d'invitations bien douces de lui parIer a cceur ouvert; je le fis. Je ne doutois pas même que ma lettre ne fit ouvrir les yeux a mes perfécuteurs, & que fi 1'on ne révoquoit pas un ordre fi cruel, on ne m'accordat du moins un délai raifonnable & peut-être 1'hiver entier, pour me préparer a Ia retraite & pour en choifir Ie lieu. En attendant la réponfe, je me mis a réfléehir fur ma fituation & a délibérer fur Ie parti que j'avois a prendre. Je vis tant de diflïcultés de toutes parts, le chagrin m'avoit fi fort affeété , & ma fanté en ce moment étoit fi mauvaife, que je me laiflai tout-a-fait abattre , & que 1'effet de mon découragement fut de m'óter le peu de reflburces qui pouvoient me refter dans 1'efprit , pour tirer Ie meilleur parti poflïble de ma trifte fituation. En quelque afyle que je voulufie me réfugier, il étoit clair que je ne pouvois m'y fouflraire a aucune des deux maniéres qu'on avoit prifes de m'expulfer: 1'une en foulevant contre moi fc^populace par des manoeuvres fouterraines; 1'autre'en me chaflant a force ouverte, fan? en dire aucune raifon. Je ne pouvois donc compter fur aucune retraite aflurée è moins de 1'aller chercher plus loin que mes foroes & Ia faifou ne fetnbloient me le permettre. Tout cela me ramenant aux idéés dont je venois* de m'occuper, j'ofai defirer & propofer qu'on voulüt plutót difpofer de moi dans une captivité per-  pó LesConfessions. pëtuelle, q«e de me faite errer inceflamment fur la terre, éti m'expulfant fucceflivement de tous les afyles que j'aurois choifis. Deux jours après ma première lettre, j'en écrivis une feconde a M. de GraiTenried pour le prier d'en faire la propofuion a LL. EE. La réponfe de Berne a 1'une & a 1'autre fut un ordre concu dans les termes les plus formels & les plus durs, de fortir de l'ifle & de tout le territoire médiat & immédiat de la république, dansl'efpace de vingt-quatre heures, & de n'y rentrer jamais, fous les plus grièves peines. Ce moment fut afireux. Je me fuis trouvé depuis dans de pires angoifles, jamais dans un plus grand embarras. Mais ce qui m'affligea le plus fut d'être forcé de renoncer au projet qui m'avoit fait defirer de paiTer 1'hiver dans 1'ifle. II efl temps de lapporter 1'anecdote fatale qui a mis le comble a mes défaftres, & qui » entralné dans ma ruine un peuple infortuné , dont les naiffantes vertus pro. metioieiu déja d'égaler un jour celles de Spatte & de Rome. J'avois parlé des Corfes dans le ContratSocial, comme d'un peuple neuf, le feul de 1'Europe qui ne füt pas ufé par la lég flation , & j'avois marqué la grande efpérance qu'on devoit avoir d'un tel peuple, s'il avoit le bonheur de trouver un fage inllituteur. Mon ouvrage fut lu par quelques Corfes, qui furent fenfibles a la mamére honorable dont je patlois d'eux; & le cas oü Us fe trouvoient de travailler I 1'établiflement de leur république , fit penfer a leurs chefs de me de-  Livre XII. 97 mander mes idees fur cet important ouvrage. Un M. Buttafuoco, d'une des premières families du pays, & capitaine en France dans Royal - Italien, m'écrivit ft ce fujet, & mefournit plufieurs pièces que je lui avois demandées pour me mettre au fait de 1'hilloire de la nation Sc de 1'état du pays. M. Paoli m'écrivit aufli plufieurs fois; & quoique je fen:lfle une pareille entreprife au-deflus de mes forces, je crus ne pouvoir les refufer pour concourir ft une fi grande & belle oeuvre, lorfque j'aurois pris toutes les inflructions dont j'avois befoin pour cela. Ce fut dans ce fens que je répondis ft 1'un & ft 1'autre, Sc cette correfpondance continua jufqu'a mon départ. précifément dans le même temps j'appris que Ia France envoyoit des troupes en Corfe, & qu'elle avoit fait un traité avec les Génois. Ce traité, cet envoi de troupes m'inquiétèrent, & fans m'imaginer encore avoir aucun rapport a tout cela, je jugecis impoffible & ridicule de travailler ft un ouvrage qui demande un aufli profond repos que 1'inftitution d'un peuple, au moment oü il alloit peut- être être fubjugué. Je ne cachai pas mes inquiétudes ft M. Buttafuoco, qui me raflüra, par la certitude, que s'il y avoit dans ce traité des chofes contraires ft la libené de fa nation, un aulïï bon citoyen que lui ne refteroit pas comme il faifoit, au fervice de France. En effet, fon zêle pour la leg flation des Corfes & fes étroites liaifons avec M. Paoli, ne pouvoient me laifler auSuppl. Tom. mi. E  cj3 Les Confessions. cun fóupcon fur fon compte; & quand j'appris qu'il faifoit de fréquens voyages a Verfailles & a 1'omainebleau , & qu'il avoit des relations avec M. deChoifeul, je n'en conclus autre chofe, finon qu'il avoit fur les véritables intentions de la cour de France des süretés qu'il me laiflbit entendre , mais fur lefquelles il ne vouloit pas s'explïquer ouvertement par lettres. Tout cela me rafiuroit en panie. Cependnnt, ne comprenant rien a cet envoi de troupes frr.ncoi&s; ne pouvant raifonnabtement penfer qu'elles fuiTent lit pour protéger la liberté des Corfes, qu'ils étoient trés en état de défendre feuls contre les Génois, je ne pouvois me tranquillifer parfaitement., ni me mêler tout de bon de la légiflation propofée, jufqu'a ce que j'euilè des preuves folides que tout cela n'étoit pas un jeu pour me perilfttër. 1'aurois extrêmement defiré une entrevue avec M. Buttafuoco ; c'étoit le vrai moyen d'tn titer les éclaircifiémens dont j'avois befoin. 11 me H fit efpérer, & je 1'attendois avec la plus grande impatience. Pour lui, je ne fais s'il en avoit véritnbltraent le projet; mais quand il 1'auroit eu, mes défoflres m'auroient empêché d'en profiter. Pius je méditois fur 1'entreprife proporée, plus j'avat/cois dans 1'examen des pièces que j'avois entre les mains, & plus je fentois la néceffité d'éiudier de piés, & le peuple a inftituer, & le fol qu'il habitoit, & tous les rapports par lelquels a ld falloit approprier cette inflitution. Je com.  Livre XIL 9y prenois chaqüe jour davantage qu'il m'étoit iinposfible d'acquérir de loin toutes les lumiéres nécesfaires pour me guider. Je 1'écrivis a Buttafuoco; il le fentit lui-même; & fi je ne formai pas précifément la réfolution de paffer en Coife, je m'occupai beaucoup des moyens de faire ce voyage. J'en parlai a M. Daftier, qui ayant autrefois ktJi dans cette ifle fous M. de Maillebois, devoit la connoitre. 11 n'épargna rien pour me détourner de ce deflein , & j'avoue que la peinture cff/eufe qu'il me fit des Corfes & de leur pays, refroidic beaucoup le defir que j'avois d aller vivre au milieu d'eux. Mais quand les perfécutions de Motiers me firent fonger a quitter Ia SuiiTe, ce defir fe ranirna par 1'efpoir de trouver enfin chez ces infulaires ce repos qu'on ne vouloit me laiffer nulle part. Une chofe feulement m'cffaroucboit fur ce voyage: c'étoit l'inaptitude & Pa^erfion que j'eus toujours pour la vie adive a laquelle^j'allois être condainni. Fait pour méditer a loifir dans la foiitude, je ne 1'étois point pour parler, agir, traitér d'aflaires parmi les hommes. La nature qui m'avoit donné le premier talent, m'avoit refufé 1'autre. Cepen. dant, je fentois que, fans prendre part directe, ment aux affaires publiques, je ferois néceffité, fi ó; que je ferois en Corfe, de me livrer a 1'em' preilement du peuple, & de conférer trés-fouvent avec les chefs. L'objet même de mon voyage ex.geoit qu'au .lieu de chercher la retraite , je E 3  loo Les C o n * e s s i o n s. cherchafle, au fein de Ia nation, les lumières dont j'avois befoin. 11 étoit clait que je ne pourrois plusdifpofer de moi-même, & qu'entrainé malgré moi dans un tourbillon pour lequel je n'étois point né, j'y mènerois une vie toute contraire a mon goüt, & ne m'y montrerois qu'a mon défavantage. Te prévoyois que, foutenant mal par ma préfence 1'opinion de capacité qu'avoient Pu leur donner mes livres, je me décréditerois chez les Corfes, & perdrois, autant a leur préjudice qu'au mien , la confiance qu'ils m'avoient donnée, & fans laquelle je ne pouvois frire avec fuccès 1'ceuvre qu'ils attendoient de moi. J'étois sür qu'en fortant ainfi de ma fphère, je leur deviendrols mutile & me rendrois malheureux. Tourmenté, battu d'orages de toute efpèce, fatigué de voyages & de perfécutions depuis plufieurs années, je fentois vivement le befoin du repos, dont mes barbares ennemis fe faifoient un jeu de me priver; je foupirois plus que jamais 9Prè< cette aimable oifiveté, après cette douce quiétude d'efprit & de corps que j'avois tant convoitée, & " l«q»elle, revenu des chimères de 1'amour & de 1'amitié, mon cceur bornoit fa fe.icité fuprême. Je nenvifageois qu'avec efïroi les travaux que j'allois entreprendre, la vie tumultueufe a laquelle j'allois me livrer; & fi la grandeur, la beauté, 1'utilité de 1'obiet animoient mon courage, nmpoffibilité de payer de ma perfonne avec fuccès, me 1'ótoit abfolument. Vtogt ans de mé-  Livre XII. IOI ditation profonde, a part moi, m'auroient moins coüté que fix mois d'une vie active, au milieu des hommes & des affaires, & certain d'y mal réulïïr. Je m'avifai d'un expédient qui me parut propre a tout concilier. Pourfuivi dans tous mes refuges par les menées fouterraines de mes fecrets perfécuteuts, & ne voyant plus que la Corre oü je puffe efpérer, pour mes vieux jours, le repos qu'ils ne vouloient me lailTer nulle part, je réfolus de m'y rendre avec les directions de Buttafuoco, aufli tót que j'en aurois Ia poffibilité, mais pour y vivre tranquille, de renoncer, du moins en apparence, au-travail de la légiflation, & de me borner, pour payer en quelque forte a mes hótes leur hofpitalité, a écrire fur les lieux leur hiftoire, fauf a prendre fans bruit les infiruaions néceffaires pour leur devenir plus utile, fi je voyois jour a y réusfir. En commencant ainfi par ne m'engrtger a rien, j'efpirois étre en état de méditer en fecret & plus a mon aile, un plan qui püt leur convenir , & cela fans renoncer beaucoup a ma chére folitude, jii me foumettre a un genre de vie qui m'étoic" infupportable, & dont je n'avois pas le talent. Mais ce voyage, dans ma fituation, n'étoit pas une chofe aifée a exécuter. A la maniére dont M. Dafiier m'avoit parlé de la Corfe, je n'y devois trouver de plus fimples commodités de la vie que celles que j'y ponerois; linge, habits, vaisE 3  102 LEs Confessions. felle , batterie de cuifine , papier, livres, il falloit ttrót porter avec foi. Pour m'y tranfplanter avec ma gouvernante, il falloit franchir les Alpes, & dans un trajet de deux cents lieues, trainer ft ma fuke tout un bagage; il falloit pafler a travers les états de plufieurs fouverains, & fur le ton donné par toute 1'Europe, je devois naturellement m'attendte, après mes malheurs, ft trouver par-tout des obftacles, & a voir chacun fe faire un- bonrteui de m'accabler de quelque nouvelle difgrace & violer avec moi tous les droits des gens & de 1'humanué. Les frais imratnfes, les fatigues, les riscues d'un psreil voyage m'obligeo;ent d'en prévoir d'avance & d'en bien pefer toutes les difneuhes. L'idée de me trouver enfin feul, fans refiources ft mon age, & loin de toutes mes connoiflances, ft la merci de ce peuple batbare & féroce, tel que me le peignoir M. Daftier, étoit bien propre ft me faire rêver fur une pareille réfolution avant de 1'exécuter. Je defirois paffionnément 1'entrevue que Buttafuoco m'avoit fait efpérer, & j'en attendois 1'effet pour prendre tout-ft-fait mon parti. Tandis que je balancois, vinrent les perfécutions de Mottets, qui me forcèrent ft la retraite. Je n'étois pas prêt pour un long voyage & fur-tout pour celui de Corfe. J'attendois des nouvelles de Buttafuoco; je me réfugiai dans 1'ifie de SauitPierre, d'oü je fus chaffé ft 1'entrée de 1 h.ver, comme j'ai dit ci-devant. Les Alpescouver.es de neige rendoient alors pour moi cette ém.grauoa  Livre XII. 103 irnpraticable, fur-tout avec la précipitation qu'on me prefcrivoit. II elf vrai que 1'extravagance d'un pareil ordre Ie repdoit impoffihle a exécuter: car, du milieu de cette folitude enfermée au milieu des eaux, n'ayant que vingt-quatre heures depuis 1'intitnatiou de 1'ordre pour me préparer au départ, pour trouver bateaux & voitures pour fortir de fiflè1 & de tout Ie territoire; quand j'aurois eu des aileê, j'aurois eu peine a pouvoir obéir. Je i'écrivis a M. le biilli de Nidau, en répondant a fa lettre, & je m'emprclTii de fortir de ce pays d'iniquité. Voila comme il fallut renoncer a mon projet chéri, & comment, n'ayant pu, dans mou décourngement , obtenir qu'on difpofat de moi, je me déterminai, fur 1'iiivitation de milord Maréchal, au voyage de Berlin , laifïlint Thérèfe htverner a 1'ifle de Saint-Pierre, avec mes effets & mes livres, & dépofant mes papiers dans les mains de Du Peyrou. Je fis une telle diligence, que dés lé lendemain matin, je partis de Piile & me rendis a Bienne encore avant-midi. Peu s'en fallut que je n'y terminalTe mon voyage par un incident dont le récit ne doit pas étre omis. Sitót que le bruit s'ctoit répandu que j'avois ordre de quitter mon afyle, j'eus une affluence de vifites du voifinage, & fur-tout de B....s, qui 4ééoiM avec la pfus déteflable faufleté me flagorner, m'adoucir & me protefler qu'on avoit pris le moment des vacances & de 1'infréquence du Sénat, pour mmuter & m'imimer cet ordre, contre lequel diE 4  ,04 Les C o n f e s s i o n s. foiem-ils, tout le Deux - cent étoit indigné. Parmi ce tas de confolateurs, il en vint quelques-uns de la ville de Bienne, petit Etat libre & enclavé dans celui de Berne, & entr'autres un jeune homme appelé Wildreraet, dont la familie tenoit le premier iang, & avoit Ie principal crédit dans cette petite ville. Wildremet me conjura vivement, au nom de fes concitoyens, de choifir ma retraite au milieu d'eux, m'aiTutant qu'ils defiroient avec etnpreffement de m'y recevoir, qu'ils fe feroient une gloire & un devoir de m'y faire oublier les perfécutions que j'avois fouffertes , que je n'avois a craindre chez eux aucune influence des Bernois, que Bienne étoit une ville libre, qui ne recevoit des lois de perfonne, & que tous les citoyens étoient unanimement déterminés a n'écouter aucune fpllicitation qui me füt contraire. Wildremet voyant qu'il ne m'ébranloit pas, fe fasppuyerde plufieurs autres perfonnes, tant de Bienne & des environs, que de Berne même, & entr'autres du même Kitkeberguer, dont j'ai parlé, qui m'avoit recherché depuis ma retraite en SuilTe, & que fes talens & fes principes me rendoient jntérelfant. Mais des follicitations moins prévues & plus prépondérantes furent celles de M. Barthès, fectétaire d'AmbaiTade de France, qui vint me voir avec Wildremet, m'exhorta fort de me rendre a fon invitation, & m'étonna par 1'intérêt vtf & tendre qu'il paroiflöic prendre a moi. Je «e conncvlTois point du tout M. Barthès 5 cepenJant, le  Livre XII. 105 /e le voyois mettre a fes difcours Ia chaleur, le zéle de 1'amitié, & je voyois qu'il lui tenoit véritabkment au cceur de me perfuader de m'établir a Bienne, II me fit 1'éloge le plus potnpeux de cette ville & de fes habitans, avec lefquels il fe mon* troit fi intimement lié, qu'il les appela plufieurs fois devant moi fes patrons & fes pères. Cette démarche de Barthès me dérouta dans toutes mes conjedures. J'avois toujours foup- conné M. de C 1 d'être 1'auteur caché de toutes les perfécutions que j'éprouvois en Suilfe. La conduite du Réfident de France a Genève, celle de 1'Ambalfadeur a Soleure, ne confitmoient que trop ces foupcons; je voyois la France influer en fecret fur tout ce qui m'arrivoit a Berne, a Genève , a Neufchatel, & je ne croyois avoir en France aucun ennerai puifl'ant que le feul Djc de C 1. Que pouvois-je donc penfer de la vifite de Barthès & du tendre intérêt qu'il paroiflbit prendre a mon fort ? Mes malheurs n'avoient pa» encore détruit cette confiince naturelle a mon cceur, & l'expérience ne m'avoit pas encore ap. pris & voir par-tout des embüches fous les caresfes. Je cherchois avec furprife la raifon de cette bienveillance de Barthès; je n'étois pas alTez fot pour croire qu'il fit cette démarche de fon chef; j'y voyois une publicité, & même une aflsj&atlon qui marquoit une intention cacnée, & j'étois bien éloigné d'avoir jamais trouvé dans tous ces petits agens fubilternes c^tte intrépidité généreufe qui, E 5  io6 Les Confessions. dans nn pofte femblable, avoit fouvent fait bouülonner mon cceur. J'avois autrefois un peu connu le cbevalier de Beauteville chez M. de Luxembourg; il m'avoit témoigné quelque bienveiliance ; depuis fon ambsffade, il m'avoit encore donné quelques fignes de fouvenir, & m'avoit même fait inviter a 1'aller voir a Soleure: invitation dont, fans m'y rendre, j'avois été touché, n'ayant pas accoutumé d'être traité fi honnêtement par les gens en place. Je préfumai que M. de Beauteville, forcé de fuivre fes inftruaions en ce qui regardoit les affaires de Genève, me plaignant cependant dans mes malheurs, m'avoit ménagé, par des foins partïculiers, cet afyle de Bienne pour y pouvoir vivre tranquiüe fous fes aufpices. Je fus fenfible a cette attention, mais fans en vonloir profiter; & déterminé tout-a-fait au voyage de Berlin, j'afpirois avec ardeur au moment de rejoindre milord Maréchal, perfuadé que ce n'étoit plus qu'auprès de lui que je trouverois un vrai repos & un bonheur durable. A mon départ de l'ifle, Kirkebergner m'accomppgna jufqu'a Bienne. J'y trouvai Weldremet & quelques autres Biennois qui m'attendoient k la defcente du bateau. Nous dinames tous enfemble St 1'auberge; & en y arrivant, mon premier foin fut de faire chercher une chaife, voulant partir dès le lendemain matin. Pendant le diner, ces Mesftcurs reprirent leurs infiances pour me retenir parnai  Livre XII. "t'oj eux, & cela avec tant de chaleiir & des protefta*tions fi touchantes, que, malgré toutes mes réfo» lutioiis, mon cceiaf| qui n'a jamais fu réfifter aux carefl'es, le laifla émouvoir aux leurs: fitót qu'ils me virent ébranlé, ils redoubièrent fi bien leurs ef« forts, qu'enfin je me laitTai vaincre, & conletitis de refter a Bienne, au moins jufqu'au printemps prochain. Audi - tót Wildremet fe preffa de me pourvoir d'un logement, & me vanta comme une trouvaille, une vilaine petite chambre fur un derrière, au troifiême étage, donnant fur une cour, oü j'avois pour régal 1'étalage des peaux puantes d'un chamoifeur. Mon hóte étoit un homme de bafle mine & palfablement fripon, que j'appris le lendemain débauché, joueur, & en fort mauvais prédicament dans le quartier; il n'avoit femme, ni enfans, ni domefliques; & triftement reclus dans ma chambre folitaire, j'étois dans le plus riant pays du monde, logé de manière a périr de mélancolie en peu de jours. Ce qui m'affecla le plus, malgré tout ce qu'on m'avoit dit de l'emprelTeinent dés habitans a me recevoir, fut de n'appercevoir en pafi'ant aans les rues rien d'honnéte envers moi dans leurs manières, ni d'obligeant dans leurs re> gards. J'étois pourtant tout déterminé a refter-la, quand j'appris, vis, & fentis, méme dès le jour fuivant, qu'il y avoit dans Ia ville une fermentation terrible a mon égard; plufieurs empreifês vinrent obligeamment m'avertir qu'on devoit, dès le E 6  io8 Les Confessions. lendemain, me fignifier, le plus durement qu'on poiirroit , un ordre de fortir fur-le-champ de 1'Etat, c'eft - a dire, de la ville. Je n'avois per* fonne a qui me confier; tous ceux qui m'avoient retenu s'étoient éparpillés. Wildremet avoit difparu; je n'entendis plus parler de Barthès, & ü ne parut pas que fa recommandation m'eüt mis engrande faveur auprès des pairons & des pères qu'il s'étoit donnés devant moi. Un M. de Van - Travers, Bernois, qui avoit une jolie maifon proche de la ville, m'y oiTrir cependant un afyle, efpéraut , me dit - il, que j'y pourrois éviter d'être lapidé. L'avantage ne me parut pas aflez flaneur pour me tenter de prolonger mon féjour chez ce peuple hofpitaliter. Cependant, ayant perdu trois jours a ce retard, j'avois déja pafte de beaucoup les vingt-quatre heures que les Bernois m'avoient données pour fortir de tous leurs états , & je ne lailfois pas, connoiflant leur dureté, d'être en quelque peine fur la manière dont ils me les laifljroient traverfer, quand M. le Bailü de Nidau vint tout a propos me tirer d'embarras. Comme il avoit hautement improuvé le violent procédé de LL. EE., il crut dans fa générofué me devoir un témoignage public qu'il n'y prenoit aucune part; & ne craignit pas de fortir de fon bailliage pour venir me faire une vifite a Bienne. II vint la veille de mon départ; & loin de venir incognito, il alfeéta méme du cérémonial, vint in fioccki dans fon carolTe > avec fon  Livre XIL BQj) fecrétalre, & ra'apporta un paffe port en fon nom, pour traverfer l'Etat de Btrne a mon aiie & fans crainte d'être inquiété. La vifite me toucha plus que le paffe - port. Je n'y aurois guères été moins fenfible, quand elle auroit eu pour objet un autre que moi. Je ne connois rien de fi puiffan: fur mon cceur qu'un aéte de courage fait il propos, en faveur du foible injuftetnent opprimé. Etifin, après m'ètre avec peine procuré une chaife, je partis le lendemain matin de cette terre homicide , avant 1'arrivée de la députation dont on devoit m'honorer, avant même d'avoir pu revoir Thérèfe a qui j'avois marqué de me venir joindre, quand j'avois cru m'arréter ft Bienne , & que j'eus ft peine le temps de contremander par un mot de lettre, en lui marquant mon nouveau délaftre. On verra dans ma troifième partie, fi jamais j'ai ia force de 1'écrire , comment, croyant partir pour Berlin, je partis en effet pour 1'Angieterre, &comme les deux dames qui vouloient difpofer de moi après m'avoir, ft force d'intrigues, chaffé de la Suiffe oü je n'étois pas affez en leur pouvoir, parvinrent enfin ft me livrer ft leur ami. J'ajoutai ce qui fuit dans la lecture que je fis de cet écrit ft M. & Mde. Ia comteffe d'Egmont, ft M. le prince Pignatelli, ft Mde. la marquife de Mefme & ft M. le marquis de Juigné. J'ai dit la vérité: fi quelqu'un fait des chofes contraires ft ce que je viens d'expofer, fulfentelles mille fois prouvées, il fait des menfonges & E 7  Xio Les Confessions; des impoftures, & s'il refufe de les approfondir & de les éclaircir avec moi, tandis que je fuis en vie, il n'aime ni la juftïce ni Ia vérité. Pour moi, je le déclare hautcment & lans crainte: quiconque, même fans avoir ld mes écrits, exami. nera par fes propres yeux , mon naturel, mon ca. radère, mes raceurs, mes penchans, mes plai. firs, mes habitudes, & pourra me croire un mal» honnête homme, eft lui-même un homme a étouffer. J'achevai ainfi ma lecture, & tout le monde fe tut. Mde. d'Egmont fut la feule qui me parut émue; elle trelfaillit vifiblement, mais elle fe remit bien vlte, & garda le filence, ainfi que toute la compagnie. Tel fut le fruit que je tirai de cette lecïure & de ma déclaration.  NOUVELLES LETTRES D E J. J. ROUSSEAU   NOUVELLES LETTRES D E y. J. ROUSSEAU. Lettre a M. V , . . . s. A Paris, le 15 Oflobre 1754. Il faut vous tenir parole, Monfieur, & fatisfaire en même temps mon cceur & ma confcience} car, eftime, amitié, fouvenir, reconnoiflance, tout vous eft dó, & je m'acquitterai de tout cela fans fonger que je vous le dois. Aimons-nous donc bien tous deux, & batons- nous d'en venir au point de n'avoir plus befoin de nous Ie dire. J'ai fait mon voyage trés. heureufement , & plus promptement encore que je n'efpérois. Je remarque que mon retour a furpris bien des gens, qui vouloient faire entendre que Ia rentrée dans le royaume m'étoit iuterdite, & que j'étois relégué a Genève; ce qui feroit pour moi, comme pour un Evêque Francois, être relégué a la cour. Enfin m'y voici, malgré eux & leurs dents, en attendant que le cceur me ramène oü vous êtes, ce qui fe feroit dés a préfent, fi je ne confukois que lui. Je n'ai trouvé ici aucun de mes amis. Diderot eft a Langres, Duclos en Bretagne, Griuwn  tt4 Lettres de en Provence, d'Alembert même eft en campagne; de force qu'il ne me refte ici que des connoilfances dont je ne me foucie pas afléz pour déranger ma folitude en leur faveur. Le quatrième volume de XEncyclopédie paroit depuis hier; on Ie dit fupéricur encore au troifiètne. je n'ai pas encore ie mièn; ainfi je n'en puis juger par moi-même. Des nouveiles littéraires ou politiques, je n'en fais pas, Dieu merci, & ne fuis pas plus curieux des ford fes qui fe funt dans ce monde que de celles qu'on imprime dans les livres. J'oubiiai de vous laiffer, en partant, les cait' zoni que vous vous m'aviez demandées; c'eft une étourderie que je réparerai ce printemps, avec ufure, en y joignant quelques chanrons francoifes, qui feront nrteux du goüt de vos dames ,& qu'el' les chanteront moins mal. .Mille refpeéts, je vous fupplie, a M, votre père & a Mde. votre mère, & ne m'oubliez pas non plus auprès de Mde. votre fceur, quand vous lui écrirez; je vous prie de me donner particulièrement de fes nouveiles; je me recommande encore è vous pour faire une ample inention de moi dans vos voyages de Sécheron, au cas qu'on y foit encore. Item, a M., Mde. & Mlle. Muffard, a Chatelaine; votre éloquence aura de quoi briller a faire 1'apologie d'un homme qui, après tant d'honnêtetés recues, part & emporte le chat. J'ai voulu faire un article a part pour M. Abauzit. Dédommagez - moi, en mon abfence, de la  J. J. R O U S S E A ïj. tij gêne que m'a caufée fa inoieltie, toutes les fois que j'ai youlu lui tétnoigner ma profonde & fincère vénératiou. Déclarez-lui, fans quartier, tous les fentimens dont vous me favez pénétré pour lui, & n'oubliez pas de vous dire a vousméme quelque chofe des miens pour vous. S. Mlle. Le Vafïcur vous prie d'ngréer fes trés - humbles refpecTs, Je me propofois d'écrire a M. de Rochemont; mais cette raaudite parefl'e Que votre amitié fafTe pour la mienne auprès cte lui, je vous en fupplie. Lettre a M. F .... s. A Paris, le 6 Juillet 1755. V ▼ 01 ci, Monfieur, une longue interruption; mais comme je n'ignore pas mes torts, & que vous n'ignorez pas notre traité, je n'ai rien de nouveau k vous dire pour mon excufe, & j'aime mieux reprendre notre correfpondance tout uniment, que de recommencer è chaque fois mon apologie ou mes inutiles excufes. Je fuppofe que vous avez vu aétuellement 1'éctit pour lequel vous aviez marqué de i'empreiTement. II y en a des exemplaires entre les mains de M. Chapuis. J'ai recu, a Genève , tant d'honnêtetés de tout le monde, que je ne faurois la-deffus donner des préférences, fans donner en même  it6 LtTTRES DE temps des exclufions offenfames; mais il y auroit a voler M. Chapuis, une honnêteté dont 1'amitié feule eft capable, & que j'ai quelque droit d'at. tendre de ceux qui m'en ont témoigné autant que vous. Je ne puis exprimer ]a joie avec laquelle j'ai appris que Ie Confeil avoit agréé, au nom de la République, la dédicace de cet ouvrage, & je fens parfaitement tout ce qu'il y a d'indulgence & de grace dans cet aveu. J'ai toujours efpéré qu'on ne pourroit méconnoitre dans cette épitre les fent'tmens qui 1'ont didée, & qu'elle feroit approuvée de tous ceux qui les partagent; je compte donc fur votre fulfrage, fur celui de votie refpeétable père & de tous mes bons concitoyens. Je me foucie trés-peu de ce qu'en pourra penfer le refte de 1'Europe. Au refte, on avoit affecté de répandre des bruits terribles fur la violence de cet ouvrage, & il n'avoit pas tenu a mes ennemis de me faire des affaires avec le gouvernement; heureufement, 1'on ne m'a point condamné fans me lire, & après 1'examen, 1'tntrée a été permife fans diniculté. Donnez-moi des nouveiles de votre jourral. Je n'ai point oublié ma promeffe, mais ma copie me preffe fi fort depuis quelque temps, qu'elle ne me donne pas le loifir de travailler. D'ailleurs, je ne veux rien vous donner que j'aie pu faire mieux: mais je vous tiendrai parole, comptez-y, & le pis - aller fera de vous porter moi - même, le printemps prochain, ce que je n'aurai pu vous  J- J• R O V S S E A ü. n7 envoyer plutót; fi fe connois bien votre cceur, je crots qu'ft ce pris voui ne ferez pas ftch<- du retard. Bon jour, MonÜeur; prépare*: - vous i m'aimer plus que jamais, car j'ai bien réfolu de vous y forcer a mon retour. Lettre a M. V . . . , s, A Paris, ie 23 Novembre 17*55. Que je fuis touché de vos tendres inquiéru. des! je ne vois rien de vous qui ne me prouve de plus en plus votre amitié pour moi, & qui ne vous rende de plus en plus digne de la mienne. Vous avez quelque raifon de me croire mort en ne recevant de moi nul figne de vie, car je fens bien que ce ne fera qu'avec elle que je perdrai les fenttrnens que je vous dols. Mais toujours aufïï néghgent que d-devant, je ne vaux pasmieux que je ne faifois, fi ce n'eft que je vous aime encore davantage; & fi vous faviez combien il eft difficile d aimer les gens avec qui 1'on a tort vous fentiriez que mon attachement pour vous* n'eft pas tout a fait fans prix. Vous avez été malade & je n'en ai rien fu • mais je favois que vous étiez furchargé de travailj je crains que la fatigue n'ait épuifé votre fanté,& que vous ne foyez encore prét k la reperdre'de  Lettres de même; ménngez-la, je vous prie, comme un bien qui n'eft pas a vous feu! & qui peut contribuer a la confolauon d'un ami qui a pour jamais perdu la fienne. J'ai- eu, cet été , une rechü;e aflèz vive; 1'automne a été trés bien; mais les approches de 1'hiver me font ctuelles; j'ignore ce que je poutrois vous dire de celle du printemps. Le 5e. volume de 1'Encyclopédie paroit depuis quinze jours; comme la lettre E n'y eft pas méme achevée, votre article n'y a pu être employé-j'ai même prié M. Diderot de n'en faire ufage qu'autant qu'il en fera content lui-même. Car dans un ouvrage fait avec autant de foin que celui - ia , il ne faut pas mettre un article foible, quand on n'en met qu'un. L'article Encyclopédie, qui eft de Diderot, fait 1'admiration de tout Paris, & ce qui augmentera la votre, quand vous le lirez , c'eft qu'il 1'a fait étant malade. Je viens de recevoir d'un noble Vénitien une ^pitre ltalienne.oü j'ai lu avec plaifir ces ttois vers en fbonneur de ma patrie: Tlc-li! Cittadino rfi Citta ben retta E corapagno e fmtel d'otcime Gcnti. Cli' amor del giutlo ha r.igunaie inl'cme Cet ékge me paroit fiuiple & fublime, & ce n'eft pas d'ltalie que je 1'aurois attendu. Puiiïioiisnous le mériter I Bon jour, Monfieur, il faut nous quitter; car la copie me preiïé. Mes amitiés, je vous prie , a toute votre aimable familie; je \ous embtaflè de tout mon cceur.  j. j. 11 O ü S S E a u. up Lettre a M. F .... s, A l'Hertn&age , Ie 4 Avril 1757. V ' otre lettre, mon cher concitoyen , eft venue me confoler dans un moment oü je croyois avoir è me plaindre de i'amitié , & je n'ai jamais mieux fenti combien la vótre m'étoit chère. Je me fuis dit: je gagne un jeune ami; je me furvivrai dans lui, il aimera ma mémoire après moi, & j'ai fènti de la douceur a m'attendrir dans cette idee. J'ai lu avec plaifir les vers de M. Rouftan; il y eu a de très-beaux parmi d'autres fort mauvais; mais ces dilparates font ordinaires au génie qui commence. J'y trouve beaucoup de bonnes penfées & de la vigueur dans l'exprefTïon; j'ai grand' peur que ce jeune homme ne devienne affez bon pcè'ce pour être un mauvais prédicateur; & le métier qu'un honnête homme doit le mieux faire, c'eft toujours le fien. Sa piöce peut devenir fort bonne, mais elle a befoin d'être retouchée; & a moins que M. de Volraire n'en voulüt bien prendre la peine, cela »ne peut pas fe faire aüleurs qu'a Paris; car il y a une certaius pureté de goüt & une correftion de ftyle qu'on n'atteint jamais dans la province, quelqu'effort qu'on faffe pour cela. Je chercherai volontiers quelque ami qui corrige la piece & ne la gace pas; c'eft la maniére la plus honnête & la plus convenable dont je puiiie re« mercier 1'auteur; mais fon confeutement eft préalabkment néceffaire.  ISO Lettres di II eft vrai, mon ami, que j'efpérois vous etnbraiTer ce primemps, & que je compte avec impatience des minutes qui s'écoulent jufques a ma retraite dans la patrie, ou du moins a fon voifinage. Mais j'ai ici une efpèce de petit ménage, une vieille gouvernante de 80 ans qu'il m'eft impoffible d'emmener,& que je ne puis abandonner, jufqu'a ce qu'elle a'it un afyle, ou que Dieu veuille difpofer d'elle; je ne vois aucun moyen de fatisfaire mon empreflement & le vótre, tant que cet obftacle fubGftera. Vous ne me parlez ni de votre fanté ni de votre familie, voila ce que je ne vous pardonne point; je vous prie de croire que vous m'êtes cher & que j'aime tout ce qui vous appartient. Pour moi, je tralne & fouifre plus patiemment dans ma folitude , que quand j'étois obligé de grimacer devant les importuns; cependant je vais toujours; je me promène,je ne manque pas de vigueur, & vcici le temps que je vais me dédommager du rude hiver que j'ai paiTé dans les bois. Je vous prie inftamment de ne point m'adrelTer de lettres chez Mde. d'Epinay; cela lui donne des embarras & multiplie les frais; il faut écrire, envoyer des exprès, & 1'on évite tout cela en m'éciivant tout bonnement a xHertnitage fous Montmorenci, par Patis; les lettres me font plus promptement , auffi fidellement rendues , & a moindres frais pour Mde. d'Epinay & pour moi. A la vérité quand il eft quefiion de paquets un peu gros,  J. J. RoUSSEATT. 121 gros, comme le précédent, on peut mettre une enveloppe avec cette adrefle ia M. de Lalive d'Epinay, Fermier Cènéral du Roi, a F'hotel des fermes, a Paris. Car ce que je vois qu'on ne fait pas a Genève, c'eft que les Fermiers Généraux ont bien leurs pons francs a 1'faótel des fermes, mais non pas chez eux. Encore faut-il bien prendre garde qu'il ne paroilTe pas que leurs paquets contiennent des lettres a d'autres; & il y a dans cette économie une petite manoeuvre qua je n'aime point. Adieu, mon cher concitoyen, quand viendra le temps oü nous irons eufemble proliter des ntiles délalTemens de ce médecin du corps & de 1'ame, de ce Chryfippe moderne, que j'eftime plus que Tanden, que j'aime comme mon ami, & que je refpeéte comme mon maltrel P. S. Je vous envoie ouverte ma réponfe l M. Roüftan pour que vous en jugiez & que vous la fupprimiez, tl vous la croyez capable de lui dé» plaire; car aflurément ce n'eft pas mon intention. Lettre a M. V . . . s. Montmorenci, le 4 Juillet 1758. Je me hate, mon cher V....s, de vous ralTurer fur le fens que vous avez donné a ma dernière fefc Suppl. Tom. VIII. F  ,2a -lettres de tre & qu» furement n'étoit pas le mien. Soye2 -ar' que j'ai pour vous toute 1'eftime cc toute la confiance qu'un ami doit k fon ami; il eft vrai que j'ai eu les mêmes fentimens pour d autres qui m'ont trompé, & que plein d'une amertume en fecret dévorée, il s'en eft répandu quelque chofe fur mon papier; mais, mon ami, cela vous regardoit fi peu que dans la même lettre je vous ai, ce me femble, affez témoigné 1'ardeut défir que j ai de vous voir & de vous embraffer. Vous me connoiflez mal; fi j« vous croyois capable de me tromper, je n'aurois plus rien a vous dire. Vai fecu 1'exemplaire de M. Du Villard; je vous mie de 1'en remercier. S'il veut bien m'en adrefL deux autres, non pas par la même voie dont ils'eft fervi; mais a 1'adreffe de M. Coiudet, chez MM Thelufon, Necker & Compagnie, rue Mt. bandonne avec plaifir a votre direftion. Adieu, mon ami, fongez , non pas, grace au cel, aux Ides de Mars; mais aux Calendes de Sep. teinbre: c'eft ce jour-la que je vous attends. Lettre A M. V. . . . s. j Montmorenci, le a2 Ocïobre 1752* Te recois a 1'inflant, mon ami, votre dernière ïettre, fans date, dans laquelle vous m'en annonce/ une autre, fous le Pli de M. de Chenonceaux, que je n'ai point recue; c'eft une négligence de fes commis, j'en fuis sur; car tl vint me voir il y a peu de jours, & ne m'en patla point Quoi qu'il en foit, ne nous expofons plus au méme inconvénient; écrivez - mol direétement & n'arTranchilTez plus vos lettres, car je ne füis pas a portée ici d'en faire de même. Quoique ce paquet foit aflez gros pour en valoir. la peine, je ne crois pas que mon ami regrette 1'argent qu'il lui coütera, & je ne lui ai pas donné le droit, que je fache, de penfer moins favorablement de moi. Soyez aufli plus exatf aux dates, que vous êtes fujet a oublier. L'écrit a M. d'Alembert paroit en effet a Paris, depuis le 2 de ce mois; je ne 1'ai apptis que le  J. J. R O U S S E A u. 125 7. Le landi 8 , je re9us le petit nombre d'exemplaires que mon libraire avoit joint pour moi a cet envoi; je les ai fait diftribuer le même jour & les fuivans, enforte que le débit de cet ouvrage ayant été alfez rapide, tous ceux a qui j'en ai envoyé 1'avoient déjè: voila un des défagrémens auxquels m'affujettit 1'inconcevable négügence de ce libraire. Pour que vous jugiez s'il y a de roa faute dans les retards de 1'envoi pour Genève, je vous envoie une de fes lettres a demi - déchir'ée, & que j'ai heureufement retrouvée. Si vous avez des relations eu Hollande, vous m'obligerez de vous en faire informer a lui-méme. Selon fon compte, j'efpère enfin que vous aurez recu & diflribué ceux qui vous font adreifés. Je vous dirai fur celui de M. Labat, que nous ne 'nous fommes jamais écrit, & que nous ne fornmes par conféquent en aucune efpèce de relation; cependant je ferois bien aife de lui donner ce léger témoignage que je n'ai point oublié fes honnêtetés. Mais, mon cher V....Sj Rouflan eft moins en état d'en acheter un, je voudrois bien aufli lui donner cette petite marqué de fouvenir; & dans Ia balance entre le riche & ie pauvre, je penche toujours pour le dernier. Je vous laifle le maitre du choix. A 1'égar'd de 1'autre exemplaire, 11 faut, s'il vous plalt, ]e faire agréer a M. Soubeyran, avec lequel j'ai'de grands torts de négllgence, & non pas d'oublitachez , je vous prie, de 1'engager a les oublier. ' F 3  u6 Lettres de Je n'ignorois pas que Partiele Genève étoit en partie de M. de Voltaire; quoique j'aie eu la diC crétion de n'en tien dire,il vous fera aifé de voir, par lalefture de Pouvrage, que je favois, en fécrivant, ft quoi m'en tenir. Mais je trouverois bizarre que M. de Voltaire enk, pour cela, que je manquerois de lui rendre un hommage que je lui otTre de trés-bon cceur. Au fond, fi quelqu'un devoit fe tenir offenfé , ce feroit M. d'Alembert; car, après tout, il eit au moins le père putatif de Partiele. Vous verrez, dans fa lettre ci - jointe, comment il a recu la déclaration que je lui fis, dans le tems, de ma réfolution. Que maudit foit tout refpeft humain qui offenfe la droiture & la vérité 1 J'efpère avoir fecoué pour jamais cet indigne joug. Je n'ai rien ft vous dire fur la réimpreflïon de VEconomie politique, paree que je n'ai pas recu la lettre oü vous m'en parlez. Mais je vous avoue que, fur 1'offre de M. du Vlllard, j'ai cru que Vauteur pouvoit lui en demander deux exemplaires, & s'attendre ft les recevoir. S'il ne tieut qu'a les payer, je vous prie d'en prendre Is foin, & je vous ferai remboutfer cette avance avec celles que vous aurez pu faire au fujet de mon dernier écrii, & dont je vous prié de m'enYoyer la note. Je n'ai point lu le livre de VEJprit, mais j'en aime & eftime 1'auteur. Cependant, j'entends de fi terribles chofes de Pouvrage, que je vous  j. j. R. o u s s e a V. 127 prie de 1'examiner avec bien dn foin, avant d'en hafarder un jugement ou un extrait dans votre recueil. Adieu, mon cher V.... s, je vous aime trop pour répondre a vos amitiés ; ce langage doit étre profcrit entre amis. Lettre a M. V .... s. Montmorenci, le ai Novembre 1758. Cher V....s, plaignez - moi. Les approches de 1'hiver fe font fentir. Je fouffre, & ce n'crt pas le pire pour ma parelfe. Je fuis accablé de travail, & jamais mon dernier écrit ne m'a conté Ia raoitié de la peine & du temps a faire, que me coüteront a répondre les lettres qu'il m'attire. Je voudrois donner la préférence a mes concitoyens-mais cela ne fe peut fans m'expofer. Car, parmi les autres lettres, il y en a de très-dangereufes, dans lefquelles on me tend vifiblement des piéges auxquelles il faut pourtant répondre, & répondre promptement, de peur que mon filence méme ne foit iniputé a crime. Faites donc enforte, mon ami, qu'un retard de nécefliié ne foit pas attribué a négligence, & que mes compatriotes aient pour moi plus d'indulgence que je n'ai lieu d'en attendre des étrangers. J'aurai folu de réponF 4  ml Lettres de dre a tout le monde; je defire feulement qu'un délai forcé ne déplaife a petfonne. Vous me parlez des Critiques. Je n'en lirai jamais aucun; c'eft le parti que j'ai pris dès mon précédent ouvrage, & je m'en fuis très-bien trouvé. Après avoir dit mon avis, mon devoir eft rempli. Errer eft d'un mortel, & fur-tout d'un ignorant comme moi, mais je n'ai pas fentêtement de 1*1gnorance. Si j'ai fait des fautes, qu'on les cenfure, c'eft fort bien fait. Pour moi, je veux refter tranquille; & Q la vérité m'importe, la paix m'importe encore plus. Cher V.... s, qu'avons-nous fait ? Nous avons oublié M. Abaufit. Ah! dites, méchant ami! cet homme refpeftable, qui paffe fa vie a s'oublier foi-même ,doit-il être oublié des autres? II falloit oublier tout le monde avant lui. Que ne m'avez- vous dit un mot ? Je ne m'en confolerai jamais. Adieu. Je n'oublie pas ce que vous m'avez demandé pour votre recueil;mais du temps!du temps! Hélas'! je n'en fais cas que pour le perdre. Ne trouvez • vous pas qu'avec cela mes coroptes feront bien rendus? Let-  J. J. R o u s e a a. 129 L e t t r ë a M. V .... s. Montmorenci, ie 6 Janvier 1759. L e mariage eft un état de difcorde & de troubie pour les gens corrompus, mais pour les gens de bien il eft Ie paradis fur Ia terre. Cher V. ...s, vous allez être heureux, peut «être 1'étes-vous déja. Votre mariage n'eft point fecret; il ne doit point 1'être, il a 1'approbation de tout le monde, & ne pouvoit manquer de 1'avoir. Je me fais honneur de penfer que votre époufe, quoiqu'éttangere, ne le fera point parmi nous. Le mérite & Ia verin ne font étrangers que parmi les méchans; ajoutez une figure qui n'eft commune nulle part, mais qui fait bien fe naturalifer par - tout, & vous verrez que Mademoiielle C n étoit Genevoife avant de le devenir. Je m'attendris en fongeant au bonheur de deux époux fi bien unis, a penfer que c'eft le fort qui vous attend. Cher ami! quand pourrai-je en.être tétnoin? Quand verferai-je des larmes de joie en embraftant vos chers enfans? Quand me dirai-je, en abordant votre chere époufe 1 „ Voila la mère de familie que j'ai dépeintej „ voila Ia femme qu'il faut honorer." Je ne fuis point étouné de ce que vous avez fait pour M. Abaufit- je ne vous en remercie pas même- c'eft infulter fes amis que de les remercier de quelque chofe. Mais cependant vous avez F 5  ijó 'Lettres de donné votre exemplaire , & il ne fufiu pas que vous en ayez un, il faut que vous 1'ayez de ma main. Si donc il ne vous en refte aucun des miens, marques-le moi; je vous enverrai celui que je m'étois réfervé, & que je n'efpérois pas employer fi bien. Vous ferez le maitre de me le payer par un exemplaire de {'Economie politique; car je n'en ai point recu. M. de Voltaire ne m'a point écrit. 11 me met tout- a- fait a mon aife, & je n'en fuis pas faché. La lettre de M. Tronchin rouloit uniquement fur mon ouvrage, & contenoit plufieurs objections très-judicieufes, fur lefquelles pourtant je ne fuis pas de fon avis. Je n'ai point oublié ce que vous voulez bien defirer fur le choix littéraire-: mais, mon ami, mettez-vous a ma place; je n'ai pas le loifir ordinaire aux geus da lettres. Je fuis fi prés de mes pieces, que fi je veux diner, il faut que je le gagne! fi je me repole, il faut que je jeune, & je n'ai pour le métier d'auteur que mes courtes récréations. Les foibles honoraires que m'ont rapporté mes écrits, m'ont lailTé le loifir d'être malade, & de rnettre un peu plus de graifie dans ma foupe; mais tout cela eft épuifé, & je fuis plus prés de mes pieces que je ne 1'ai jamais été, Avec cela, il faut encore répondre a cinquante mille lettres \ recevoir mille importuns & leur offrir 1'bofpitalité. Le temps s'en va, & les befoins ïeiïent. Cher ami, laifibns paffer ces temps durs  J. j. R o u s s e a u. i3i de maux, de befoiiis, d'importunités, & croyez que je ne ferai rien fi promptement & avec tant de plaifir, que d'achever le petit morceau que je vous deftine , & qui malheureufement ne fera guères au goüt de vos Ieéteurs ni de vos philofaphes ; car il eft tïré de Piaton. Adieu, mon bon ami; nous fommes tous detsx occupés; vous, de votre bonheur; moi, de mes peines: mais 1'amitié partage tout. Mes maux s'al. légent, quand je fonge que vous les plaignez, ik s'eflkcent prefque par le plaifir de vous croire heureux. Ne montrez cette lettre ft perfonne, au moins le dernier article. Adieu derechef. Lettre a M. y,, , . f. Montmorenci, le 14 Juin 1759. Je fuis négligent, cher V....s, vous le favea bien; mais vous favez aufli que je n'oublie pas mes amis. Jamais je ne m'amufe de compter leurs lettres ni les miennes; & quelqu'exacls qu'ils puisfent être, je penfe 4 eux plus fouvent qu'ils ae m'écrivent. En rien de ce monde, je ne m'inquiète de mes torts apparens, pourvu que je n'en aie pas de véritables, & j'efpere bien n'en avoir jamais ft me reprocher avec vous. Quand M. Tronchin vous a dit que j'avois pris le parti de ne plus aller ft Genève, il a, lui, pris la chef* F 6  132 Lettres de au pis. II y a bien de ia diffërence entre n'avoir pas pris, quant- a-préfent, la réfolution d'alier a Genève, ou avoir pris celle de n'y aller plus. J'ai fi peu pris cette dernière, que fi je favois y pouvoir être de Ia moindre utilité a quelqu'un, ou feulement y être vu avec plaifir de tout le monde, je partirois dès demain; mais, mon bon ami, ne vous y irompez pas, tous les Genevois n'ont pas pour moi le coeur de mon ami V....s: tout ami de la vérité trouvera des ennemis par-tout, & il m'eft moins dur d'en trouver par- tout ailleurs que dans ma pairie. D'ailleurs, mes chers Genevois, on travaille a vous mettre tous fur un fi bon ton, & 1'on y réuflit fi bien, que je vous trouve trop avancés pour moi. Vous voila tous fi élégans, fi brillans, fi agréables, que feriez-vous de ma bizarre figure & de mes maximes gothiques? Que deviendrois-je au milieu de vous, a préfent que vous avez un maitre en plaifanteries qui vous in* firuit fi bien ? Vous me trouveriez fort ridicule, & moi je vous trouverois fort jolis; nous aurions grand-peine a nous accorder enfemble. Je ne veux point vous répéter mes vieilles rabacheries, ni aller chercher de 1'humeur parmi vous. II vaut mieux refter en des lieux, oü, fi je vois des chofes qui me déplaifent, f intérêt que j'y prends, n'eft pas aflez grand pour me tourmenter. Voila, quant a préfent, la difpofition oü je me trouve, & mes raifons pour n'en pas changer, tant que, ne convenant pas au pays oü vous êtes, je ne fe«  J. J. Tl O ü S S E a T7. rai pas dans ce pays-ci un hóte trop infupportable , & jufqu'ici je n'y fuïs pas traité comme tel. Que s'il m'arrivoit jamais d'être obligé d'en fortir, j'efpére que je ne rendrois pas fi peu d'honneur a ma patrie, que de la prendre pour un pisaller. Adieu, cher V....s, je n'ai pas oublié Ie temps oü vous m'ofïrïies de me venir voir, & oü quand je vous eus pris au mot, vous ne m'ert pariates plus. Je n'ai rien dit, quand vous étes refté garpon; & fi, maintenant que vous voila marié, & que Ia chofe eft impoflible, je vous en parle , c'eft pour vous dire que je ne défefpêre point d'avoir le plaifir de vous embraiTer, non pas ft Montmorenci, mais ft Genève. Adieu, de tout mon cceur. Lettre è Mr. Carrier. A Monttnorenci, le 10 Juillet 1759, Je te remercle de tout mon cceur, mon bon pa» triote, & de 1'intérêt que tu veux bien prendre ft ma fauté, & des offres humaines & généreufes que cet intérêt t'engage ft me faire pour la rétablir. Crois que fi la chofe étoit faifable, j'accepterois ces offres avec autant & plus de plaifir de toi que de perfonne au monde; mais, rnon cher, on t'a mal expofé 1'état de la maladie; le mal eft plus F 7  134 Lettres du grave & moins mérité, & un vice de conformation, apporté dès ma naiffance, achève de le rendre abfolument incurable. Tout ce qu'il y aura donc de réel dans 1'effet de tes offres, c'eft la reconnoiffance qu'elles m'infpirent, & le plaifir de connoitre & d'eftimer un de mes concitoyens de plus. Quant a ton ftyle, il eft bon & honorable: pourquoi veux - tu t'excufer, puifqu'il eft celui de 1'amitié? Je ne peux mieux te montrer que je 1'approuve qu'en m'efforcant de fimker, & il ne tient qu'a toi de voir que c'eft de bon cceur. Ne feroistu point par hazard un de nos frères les Quakers? Si cela eft, je m'en réjouis, car je les aime beaucoup , & a cela pres que je ne tutoye pas tout le monde, je me crois plus Quaker que toi. Cependant, peut-être n'eft-ce pas la ce que nous faifons de mieux 1'un & 1'autre; car c'eft encore une autre folie que d'être fage parmi les foux. Quoi qu'il en foit, je fuis trés - content de toi & de ta lettre, excepté la fin oü tu te dis encore plus a moi qu'a toi; car tu mens, & ce n'eft pas la peine de fe mettre a tutoyer les gens pour leur dire aufli des menfonges. Adieu, cher patriote, je te falue & t'embraffe de tout mon cceur. Tu peux compter que je ne mens pas en cela.  J. J. R o o s s u a u. Ï35 L E ï T tt E d AZ. M, . . . .u. A Montmorenci, Je 29 Janvier 1760. Si j'ai des torts avec vous, Monfieur, je n'ai pas celui de ne les pas fentir & de ne me les pas reprocber. Mon filence eft bien plus contre moi que contre vous; car comment répondre ft une lettre qui m'honore fi fort & oü je me reconnois fi peu ? Je IailTerai de votre lettre ce qui ne me convient pas; je ne vous rendrai point les étoges que vous me donnez; je fuppofe que vous n'aimeriez pas les entendre, & je tacherai de mériter dans la fuite que vous en penfiez autant de moi. M. Favre avoit un extrait de votre fermon fur le luxe; il me 1'a lu & je 1'ai prié de me le prêter pour le copier. M'entendez - vous, Monfieur ? Au refte vous étes le premier, que je fache, qui ait montré que la feinte charité du riehe n'eft en lui qu'un luxe de plus; il nourrit les pauvres comme des chiens & des chevaux. Le mal eft que les chiens & les chevaux fervent ft fes plaifirs, & qu'a la fin les pauvres 1'ennuient; ft la fin c'eft un air de les laifler périr, comme c'eu fut d'abord un de les aflifter. J'ai peur qu'en montrant 1'incompatibilité" du luxe & de 1'égalité, vous n'ayez fait le contraire de ce que vous vouliez: vous ne pouvez ignorer que les partifans du luxe font tous ennemis de 1'éga-  135 Lettres de lité. En leur montrant comment il ia dén-uit, vous ne ferez que le leur faire aimer davantage 5 il falloit faire voir, au contraire, que 1'opihion tournee en faveur de la richefle & du luxe, anéantit 1'égalité des rangs; & que tout crédit gagné par les riches, eft perdu pour les magiftrats. II me femble qu'il y auroit la - deflus un autre fermon bien plus utile a faire, plus profond , plus politique encore, & dans lequel, en faifant votre cour, vous diriez des vérités trés- importantes, & dont tout le monde feroit frappé. Ne nous faifons plus illufion, Monfieur: je roe fais trompé dans ma lettre a M. d'Alembert. Je ne croyois pas nos ptogtès fi grands , ni nos mceurs fi avancées. Nos maux font déformais fans remède; il ne vous faut plus que des palliatifs, & la comédie en eft un. Homme de bien, ne perdez pas votre ardente éloquence a nous prêcher 1'égalité; vous ne feriez plus entendu. Nous ne fommes encore que des efclaves; apprenez - nous, s'il fe peut, il n'être pas des méchans. Non ai vetera infiituta , qua jam pridem, corruptis moribus, ludibrio faut, revocans; mais en retardant le progrès du mal par des raifons d'intérét, qui feules peuvent toucher des hommes corrompus. Adieu, Monfieur, je vous embrafle.  j. }. R o V S s e a u. 137 Lettre a M. . . , . Montmorenci 17(10» L e mot propre ma vient rarement, & je ne Ie regrette guères en écrivant a des Ietfeurs aufli claif voyans que vous. La préface (1) eft imprimée ; ainfi je n'y puis plus rien changer. Je 1'ai déja coufue a la première partie; je 1'en détacherai pour vous I'envoyer, fi vous voulez, mais elle ne contient rien dont je ne vous aie déja dit ou écrit la fubftance, & j'efpère que vous ne tarderez pas a 1'avoir avec le livre même, car il eft en route; malheureufement mes exemplaires ne viennent qu'a. vee ceux du libraire. J'efpère pourtant faire enforte que vous ayez le votre avant que le livre foit public. Comme cette préface n'eft que 1'abrégé de celle dont je vous ai parlé, je perfide dans ia penfée de donner celle - ci a part; mais j'y dis trop de bien & trop de mal du livre pour la donner d'avance, il faut lui laifler faire fon effet bon on mauvais de lui-même, & puis Ia donner après. Quant aux aventures d'Edouard, il feroit trop tard, puifque Ie livre eft imprimé; d'ailleurs, craignant de fuccomber a Ia tentation, j'en ai jeté les cahiers au feu, & il 11'en refte qu'un court extrait que j'en ai fait pour Madame la Maréchale de Luxembourg, & qui eft entre fes mains. CO Celle de Ia nouvelle Héloïfe.  138 Lettres de A 1'égard de ce que vous me dites de Wolmar & du danger qu'il peut faire courlr a 1'éditeur, cela ne m'effraie point, je fuis für qu'on ne m'inquiétera jamais juftement, & c'eft une folie de vouloir fe précautionner contre 1'injuflice. II rede la-defius d'importantes vérités a dire, & qui doivem être dites par un croyanr. Je ferai ce croyantla, & fi je n'ai pas le talent néceflaire, j'aurai du moins 1'intrépidité. A Dieu ne plaife que je veuille ébranler cet arbre facré que je refpeéte, & que je voudrois cimenter de mon faDg. Mais j'en voudrois bien óter les branches qu'on y a greffées, & qui portent de fi mauvais fruits. Quoique je n'aie plus recu de nouveiles de mon libraire depuis la dernière feuille, je crois fon envoi en route, & j'eflime qu'il arrivera a Paris vers Noël. Au refte, fi vous n'êtes pas honteux d'aimer cet ouvrage , je ne vois pas pourquoi vous vous abftiendriez de dire que vous 1'avez lu, puifque ceia ne peut que fayorifer le débit. Pour moi, j'ai gardé le fecret que nous nous fommes promis mutuellement; mais fi vous me permettcz de le rompre, j'aurai grand foin de me vanter de votre approbation. Un jeune Genevois qui a du goüt pour lei beaux arts, a entrepris de faire graver pour ce livre un recueil d'eftampes dont je lui ai donné les fujets: comme elles ne peuvent être prêtes a temps pour paroltre avec le livre, elles fe débiteront a part.  j. j. R o u s s e A V. I39 Lettre a M. M. .. . . u. a Montmorenci, le 20 Mai 1761. Vous pardonneriez aifément mon filence, cher M u, fi vous connoifïïez mon état; mais fans vous écrire, je ne lailfe pas de penfer a vous, & j'ai une propofition è vous faire. Ayant quitté Ia plume & ce tumultueux métier d'auteur pour lequel je n'étois point né, je m'étois propofé, après Ia pubücation de mes rêveries fur 1'éduca. tion , de finir par une édition générale de mes écrits, dans laquelle il en feroit entré quelques-uns qui font encore en manufcrit. Si peut-être le mal qui me confume ne me laiflbit pas le temps de faire cette édition moi-même, feriez-vous homme a faire le voyage de Paris, è venir examiner mes papiers dans les mains oü ils feront laiffés, & a mettre en état de paroitre ceux que vous jugerez bons a cela ? II faut vous prévenir que vous uouverez des fentimens fur la religion , qui ne font pas les vótres, & que peut - être vous n'approuverez pas, quoique les dogmes efientiels a 1'ordre moral s'y trouvent tous. Or, je ne veux pas qu'il foit touché a cet article; il s'agit donc de favoir s'il vous convient de vous préter a cette édition avec cette réferve, qui, ce me femble, ne peut vous compromettre en rien, quand on faura qu'elle vous eft formellement impofée, fauf  i4« Lettres de * vous de téfuter en votre nom, & dans 1'euvrage méme, fi vous le jugez a propos, ce qui vous paroltra 'mériter réfutation , pourvü que vous ne changiez ni fupprimiez rien fur ce point; fur tout autre vous ferez le maltre. J'ai befoin, Monfieur, d'une réponfe fur cette propofition avant de prendre les derniers arrangemens que mon état rend néceflaires. Si votre fituation , vos affaires ou d'autres raifons vous empêchent d'acquiefcer, je ne vois que M. Rouftan , qui m'appelle fon maltre-, lui qui pourroit être le mien, auquel je puiffe donner la même confiance, & qui, je crois, rendroit volontiers cet honneur n ma mémoire. En pareil cas, 'comme fa fituation eft moins aifée que la vótre, on prendroit des mefures pour que ces foins. ne lui fuflent pas enéreux. Si cela ne vous convient ni a 1'un ni a 1'autre, tout reftera comme il eft, car je fuis bien déterminé a ne confier les mêmes foins a nul homme de lettres-de ce pays.- Réponfe précife & directe, je vous fupplie , le plutót qu'il Xe pourra, fans vous fervir de la .voie de M. C....t. Sur pareille matière le fecret convient, & je vouS le demande. Adieu, vettueux M. ...u; je ne vous fais pas des cpmplimens , mais il ne tjent qu'a vous de voir fi je vous eftime. Vous comprenez bien que la nouvelle Héloïfa ne doit pas entrer dans le recueil de mes éciits.  j. j. r o u s s ï a u. 141 Lettre a M. M.. . . , u. A Montmorenci, Ie 24. Juillet i^ör. Je ne doutois pas, Monfieur, que vous n'acceptatfiez avee plaifir les foins que je prenois la liberté de confier a votre- amitié, & votre confentemenr rn'a plus touché que furpris. Je puis donc, en quelque temps que je cefle de fouffrir, compter que fi mon recueil n'eft pas encore en état de voir le jour, vous ne dédaignerez pas de 1'y mettre, & cette confiance m'óte abfolument 1'inquiétude qu'il eft difficile de n'avoir pas en pareil cas pour le fort de fes ouvrages. Quant aux foins qui regardent 1'impreffion, comme il ne faut que de IV mitié pour les prendre, ils ferout reinplis en ce pays - ci par les amis auxquels je fuis attaché , & que je laiflerai dépofitaires de mes papiers pour en difpofer felon leur prudence & vos confeils. S'il s'y trouve, en manufcrit, quelque chofe qui mérite d'entrer dans votre cabinet, de quoi je doute, je m'eftimerai plus honoré qu'il foit dans vos mains que dans celles du public , & mes amis penferont comme moi. Vous voyez qu'en pareil cas un voyage a Paris feroit indifpenfable ■ mais vous feriez toujours le maltre de choifir le temps de votre coinmodité - & dans votre facon de penfer, vous ne tiendriez pas ce voyage pour perdu, non feulement par le fervice que vous rendriez a ma mé-  142 Lettres-de moiré, mais encore par le plaifir de connoltre des perfonnes eflimables & refpe&ables, les feuls vrais amis que j'aie jamais eus, & qui fürement deviendroient aufli les vóires. En attendant, je n'épargne rien pour vous abréger du travail. Le peu de momens oü mon état me permet de m'occuper font uniquement employés a mettre au net mes chiffons - & depuis ma lettre, je n'ai pas laiflTé d'avancer aiTez la befogne pour efpérer de 1'achever, h moins de nouveaux accidens. Connoiflez- vous un M. Mollet, dont je n'ai jamais entendu parler? II m'écrivit il y a quelque temps une efpèce de relation d'une fête militaire, laquelle me fit grand plaifir, & je 1'en remerciai. II eft parti de-la pour faire imprimer, fans m'en parler, non - feulement fa lettre, mais ma réponfe, qui n'étoit fürement pas faite pour paroitre en public. J'ai quelquefois efluyé de pareilles malhon» nétetés; mais ce qui me fache, eft que celle-ci vienne de Genève. Cela m'apprendra une fois pour toutes a ne plus écrire a gens que je ne connois point. Voici, Monfieur, deux lettres dont je groflïs a regret celle-ci; 1'une eft pour M. Rouftan, dont vous avez bien voulu m'en faire parvenir une, & 1'autre pour une bonne femme qui m'a élevé, & pour laquelle je crois que vous ne regretterez pas l'augmentation d'un port de lettre, que je ne veux pas lui faire coüter, & que je ne puis affranchir avec füreté a Montmorenci. Lifez dans mon  J- J. R o u s s e a d. i43 7Ur'.CherM« • le P"nc!pe de Ia familïarïté dom , avec V0USj & qui fero.t itjdifcrét.on Pour un auwe;; Ie vó;re ne lui donnera pas ce nom-k. Mjite chofes pour moi a 1'ami Vernes Adieu, je vous ernbraiTe tendrement. Lettue a Mr. R , . . Montmorenci, Ie 24 Odtobre i;ör. Votre lettre, Monfieur, du 30 Septembre, ayant pa (Té par Genève, c'efi - a - dire, ayant traverfé deux fois la France, ne m'eft parvenue qu'avant • hier. J'y ai vu avec une douleur mêlée d indignation , les traitemens afFreux que fouf. frent nos malheureux frères dans le pays 0Ü vous êtes, & qui m'étonnent d'autant plus, que 1'intérêt du gouvernement feroit , ce me femble, de les laiiTer en repos, du moins quant a préfent. Je comprends bien que les furieux qui les oppriment, confultent bien plus leur humeur fanguinaire que 1'intérét du gouvernement; mais j'ai pourtant quelque peine a croire qu'ils fe portaflent a ce point de cruauté, fi h conduite de nos frères n'y donnoit pas quelque prétexte. Je fens combien il efl dur de fe voir fans cefle a la merci d'un peuple cruel, fans appui, fans reffource, & fans avoir méme Ia confoiation d'enten. dre en paix la parole de Dieu. Mais cependant, Monfieur, cette méme parole de Dieu eft formelle  144 Lettres » e fur le devoir d'obéir aux loix des Princes. La Défenfe de s'affembler eft incontelhblement dans kurs droits; & apiès rout, ces affemblées n'éiant pas de 1'ciTence du Chriflianifme, on peut s'en abftenir fans renoncer il fa foi. L'entreprife d'enlever un homme des mains de la juftice ou de fes miniftres , füt - il même injuftement détenu, eft encore une rebellion qu'on ne peut juftifi-r, & que les puiflances font toujours en droit de punir. Je comprends qu'il y a des vexations fi dures, qu'elles laflent méme la patience des juftes. Cependant qui veut être chrétien, doit apprendre ft fouffiir; & tout homme doit avoir une conduite conféquente ft fa doarine. Ces objeétions peuvent être mauvaifes; mais toutefois, fi on me les faifoit, je ne vois pas trop ce que j'aurois ft répliquer. Malheureufement je ne fuis pas dans le cas d'en courir le rifque. Je fuis trés peu connu de M..., & je ne le fuis même que par quelque fervices, de foins & d'attachement. Je fais que le fleur Rey n'a pas une bonne réputation dans ce pays-ci, & j'ai eu moi-méme plus d'une om» fion de m'en plaindre, quoique jamais fur des. difcuflions d'intérêt, ni fur fa fidélité h faire bonneur a fes engagemens. Mais- il ert conftant aufli qu'il eft généralejueiit eflimé en Hullande , & G 5  154 Lettres de voila, ce me femble, un fait authemique qui doit effacer bien des imputations vagues. En voila beaucoup, Monfieur, fur une affaire dont j'ai le cceur plein, mais le. vótre eft fait pour fentir & pardonner ces chofes-la. Lettre & M. M «. Montmorenci, 30 Mat 176*. L'etat critique oü étoient vos-enfans, quand; vous m'avez écrit, me fait fentir pour vous la follicitude & les alarmes paternelles. Tirez-moi d'inquiétude aufïïtót que vous le pourrez: car, cher M u , je vous aime tendreraent. Je fuis très-fenfible au témoignage d'eflime que je recois de la part de M. de Reventlouv, dans la lettre dont vous m'avez envoyé l'extrait?. mais outre que je n'ai jamais aimé la poéfie francaife, & que n'ayant fait de vers depuis très-longtémps, j'ai abfolument oublié cette petite raécanique; Je vous dirai de plus, que je doute qu'une pareille entreprife eüt aucun fuccès, & quant a. moi du moins, je ne fais m;ttre en chanfon riei de ce qu'il faut dire aux priaces; ainfi je ne puis me charger du foin dont veat bien m'honoret M. de Reventlouv. Cependant, pour lui prouver que ce refus ne viatu point de mauvaife volonté, je na refufetai poiat d'écrire ua ïniiioire pour 1'in-  J. J. R O O S S E A O. 155 Uruction du jeune prince, fi M. de Reventlouv veut m'en prier. Quant a la récompenfe, je fais d'oü Ia tirer, fans qu'il s'en donne le foin, Aulü bien, quelque médiocre que puifie être mon travail en lui - même, fi je faifois tant que d'y mettre un prix, il feroit tel que ni M. de Reventlou» ni le roi de Dannemarck ne pourroient le payer. Enfin, mon livre paroit depuis quelques jours,, & il eft parfaitement prouvé par 1'événement que • j'ai payé les foins officieux d'un honnête homme des foupcons les plus odieux. Je ne me confo» lerai jamais d'une ingratitude aufli noire, & je • porte au fond de mon cceur le poids d'un remords ; qui ne me quittera plus. Je cherche quelque occafion de vons envoyer' des exemplaires, &, fi je ne puis faire mieux,. du moins le vótre a-zant tout. II y a une édition • de Lyon qui m'eft trés fufpefte, puifqu'il ne ra'a> pas été poflible d'en voir les feuilles; d'aillenrss, le libraire qui l'a faite s'ëft fignalé daas , cette affaire par tant de manoeuvres artificieufts, nuifibles a Néaulme & a Duchefne; que la ju*ftice, auffi bien que 1'honneur de 1'autenr, ïlé*> mandent que cette édition foit décriée autant qu'elle • mérite de 1'étre. J'ai grand' peur que ce ne fok k; feule qui fera connue oü vous êtes , & que' Gjnève n'en foit infecté. Quand vous aurex votre: exemplaire, vous ferez en état de faire la coaai paraifoiii & d'en dire votre avis.. Vous avez bien prévu que je ferois eabaa s (8 O 6  1$6 LlTTR.ES DE du tranfport des Fables de La Fontaine. Moi, que le moindre tracas effarouche, & qui lailfe dépérir mes propres livres dans les tranfports, faute d'en pouvoir prendre le moindre foin, jugez du fouci oü me met la crainte que celuila ne foit pas aflez bien emballé pour ne pas fouffrir en route, & la difficulté de le faire entrer a Paris, fans qu'il aille trainant des mois entiers a la chambre fyndicale. Je vous jure que j'aurois mieux aimé en procurer dix autres a la biblioihèque , que de faire faire une lleue è celui • la. C'eft une lecon pour une autre fois. Vous qui dites que je fuis fi bien voulu dans Genève, répondez au fait que je vais vous expofer. II n'y a pas une ville dans 1'Europe dont les libraires ne recherchent mes écrits avec Ie plus grand empreflement. Genève eft la feule oü Rey n'a pu négocier des exemplaires du Contrat Social. Pas un feul libraire n'a voulu s'en cherger. II eft vrai que 1'entrée de ce livre vient d'être défendue en France, mais c'eft précifément pour cela qu'il devroit être bien recu dans Genève; car, même j'y pretere hautement 1'ariftocratie a tout autre gouvernement. Répondez. Adieu, chei M. u. Des nouveiles de vos ent ans,  J. J. ït o u s s e a ü. 157 L e t t tt e a M. M. w. 6 Juillet 17S2, Je vols bien, cher concitoyen, que tant que je ferai malheureux, vous ne pourrez vous taire, & cela vraifemblablement m'aflfure vos foins & votre correfpondance pour le reile de mes jours. Plaife a Dieu que toute votre conduite dans cette affaire, ne vous faffe pas autant de tort qu'elle vous fera d'honneur! II ne falloit pas moins avec votre eftime, que celle de quelques vrais pères de la patrie, pour tempérer le fentiment de ma misère, dans un concours de calamités que je n'ai jamais dü pré voir: la noble fermeté de M. Jalabert ne me furprend point. J'ofe croire que fon fentiment étoit le plus honorabfe au Confeil, ainfi que le plus équitable: & pour cela même je lui fuis encore plus obligé du courage avec lequel il 1'a foutenu. G'eft bien des philofophes qui lui reiTemblent qu'on peut dire, que s'ils gouvernoient les états, les peuples feroient heureux. Je fuis aufli faché que touché de la démarche des citoyens dont vous me parlez, Ils ont cru dans cette affaire avoir leurs propres droits a dé« rendre, fans voir qu'ils me faifoient beaucoup de mal. Toutefois fi cette démarche s'eft faite avec la décence & le refpect convenables, je la trouve plus nuifible que repréhenfible. Ce qu'il y a de tri* G 7  iS3 L E T T R E. S* D' E sür, c'eft que je ne 1'ai ni fue ni approuvée, non plus que la requéte de ma familie, quoiqu'a dire le vrai, le refus qu'elle a produit foit furprenant, & peut - être inoui. Plus je pèfe toutes les confidérations , plus je rne confirme dans- la réfolution de garder le plus parfait filence. Car enfin que pourrok-je dire fans renouveller Ie crime de Cam? Je me tairai, cher M...U, mais mon livre pariera pour moi; chacun y doit voir avec évidence que 1'on m'a jugé fans m'avoir lu. Non-feulement j'attendrai le mois de Septembre avant d'aller a Genève, mais je ne trouve pas même ce voyage fort néceffaire depuis que le Confeil lui-même défavoue Ie décret, & je ne fuis guères en état d'aller faire pareille corvée. II faut être fou, dans ma fituation, pour courir a de nouveaux défagrémens , quand le devoir ne fexige pas. J'aimerai toujours ma patrie, mais je n'en peux plus revoir Ie féjour avec plaifir. Oft a écrit ici a,M. le Baillif que le fénat de Berne, prévenu par le réquifitoire imprimé dans la gazette, doit dans peu m'envoyer un ordre de fortir des terres de la république. J'ai peine a croire qu'une pareille délibération foit mife 4 exécution dans un fi fage Confeil. Sitót que je faurai mon fort, j'aurai foin de vous en inftruire: jus» ques-la gardez-moi le fecret fur ce point. Ce réquifitoire ou plutóc ce libelle me pourfuit d'état en état, pour me faire interdira par.tont.  J. J". ROUSSEAU. 159 le feu & 1'eau. On vient encore de rimprimer dans le Mercure de Neuchatel. Eft-il poffible qu'il ne fe trouve pas dans tout le public un feul ami de la juftice & de Ia vérité, qui daigne prendre Ia plume, & montrer les calomnies de ce fot libelle, lefquelles ne pourroient que par leur bêtife fauver 1'auteur du cMtiment qu'il recevroit d'un tribuna! équitable, quand 11 ne feroit qu'un particulier? Que doit-ce être d'un homme qui ofe employer Ie facré caraétère de Ia magiftratuce a faire le métier qu'il devroit punir? Je vous embralfe de tout mon cceur. Lettre au Roi de Prujfe. Septembre 176%. Sire, J'ai dit beaucoup de mal de vous; j'en dirsi peut-étre encore: cependant, chalfé de France, de Genève, du canton de Berne, je viens chercher un afyle dans vos états. Ma faute eft peutêire de n'avoir pas cominencé par-la: cet éloge eft de ceux dont vous étes digne. Sire, je n'ai mérité de vous aucune grace, & je n'en demande pas: mais j'ai cru devoir déclarer a votre Majefté, que j'étois en fon pouvoir , & que j'y voulois être; elle peut difpofer de moi, comme-j il lui plaira.  ïoa Lettres de Lettre au même. Octobre 1762. S i r e, V0 u s étes mon protefteur & mon bienfaiteur, & je porte un cceur fait pour la reconnoilTance: je viens m'acquitter avec vous, fi je puis. Vous voulez me donner du pain; n'y a-t-il aucun de vos fujets qui en manque? Otez de devant mes yeux cette épée qui m'éblouit & me bleue, elle n'a que trop fait fon devoir, & le fceptre eft abandonné. La carrière eft grande pour les rois de votre étoffe , & vous étes encore loin du terme; cependant le temps prelTe, & il ne vous refte pas un moment a perdre pour aller au bout. (*) PuilTé-je voir Frédéric le jufte & le redouté couvrir fes états d'nn peuple nombreux dont il foitle père, & J. J. Rouffeau, 1'ennemides rois, ira mourir aux pieds de fon tróne 1 l"0 Dans te brouillon de cette lettre il y avoit a la rface cette pbrafè: Sondez bien votre casur , 6 Frédéric ! vous ionvUut-'tt de mourir fans avoir été le plus grand des hommes ? & a la fin de la lettre cette autre phrafe: VoM> Sire, ce que favois a vous dire} U eft donné apou de rois de i'entendre , & il n'eft donné è aucun de l etitendte Éeux fois.  ]• ]• R o u ! ! e a u. l6l Lettre* Milord Maréchal. Novembre 1762. ■Non, Milord, je ne fuis ni en fanté ni content , mais quand je recois de vous quelque marqué de bonté & de fouvenir , je m'attendris, j'oublie mes peines; au furplus, j'ai le cceur abattu, & je tire bien moins de courage de ma philofophie que de votre vin d'Efpagne. Madame la comteffe de Boufflers demeure rue Notre-Dame de Nazareth , proche le temple ; mais je ne comprends pas comment vous n'avez pas fon adreife, puifqu'elle me marqué que vous lui avez encore écrit pour 1'engager 4 me faire accepter les offres du roi. De gtace, Milord, ne vous fervez plus de médiateur avec moi, & daignez être bien perfuadé, je vous fupplie, que ce que vous n'obtiendrez pas dire&ement, ne fera obtenu par nul autre. Madame de Boufflers femble oublier dans cette occafion le refpeét qu'on doit aux malheureux. Je lui réponds plus durement que je ne devrois peut-être, & je crains que cette affaire ne me brouille avec elle, fi même cela n'eft déjè fait. Je ne fais, Milord, fi vous fongez encore 4 notre chiteau en Efpagne; mais je fens que cette idéé, fi elle ne s'exécute pas, fera le malheur de ma vie. Tout me déplait, tout me gêne; tout  ifa .'Lettres dé m'importune; je n'ai plus de confiance & de 11berté qu'avec vous; & féparé par d'infurmontables obftacles du peu d'amis qui me reftent, je ne puis vivre en paix que loin de toute autre fociéte. C'eft, j'efpère , un avantage que j'aurai dans votre terre, n'étatit connu la-bas de perfonne, & ne fachant pas la langue du pays. Mais je crains que le defir d'y venir vous-même n'au eté plutót une fantaifie qu'un vrai projet. Et je futs monifié aufli que vous n'ayez aucune réponfe de M Hume. Quoi qu'il en foit, fi je ne puis vivre avec vous, je veux vivre feul. Mais il y a bien loin d'ici en Ecofle, & je fuis bien peu-en état d'entreprendre un fi long trajet. Pour Colom. bier, il n'y faut pas penfer: j'aimerois autant lubiter une ville. C'eft aflez d'y faire de temps en temps des voyages, lorfque je faurai ne vouspas importuner. J'attends pourtant avec impatience le retour de la belle faifon pour vous y aller voir, & déciier avec vous quel parti je dois prendre, fi j'ai encore long-temps a trainer mes chagrins & mes maux; car cela commence a devenïr long, & n'ayant rien pré vu de ce qui m'arrive, j'ai paine a favotr comment je dois m'en tirer. J'ai demandé a M. de Malesherbes la copie de quatre lettres que je lui écrivis 1'hiver dernier, croyant avoir. peu de temps encore a vivre, & n'imaginant pas que j'aurois tant a fouffrir. Ces lettres contiennent la peinture exafte .de mon caraétère & la clet de  J. J. R O U S S E A U. I63 toute ma conduite, autant que j'ai pu lire dans mon propre cceur. L'intérêt que vous daignez prendre a moi me fait croire que vous ne ferez pas faché de les lire, & je les prendrai en allant a Colombier. On m'écrit de Pétersbourg que 1'Impératrice fait propofer a M. d'Alembert d'aller élever fon fils. J'ai répondu la-delTus que M. d'Alembert avoit de Ia philofophie, du favoir & beaucoup d'efprit, mais que s'il élevoit ce petit garcon, il n'en feroit ni un conquérant ni un fage, qu'il eu feroit un arlequin. Je vous demande pardon, Milord, de mon ton familier ; je n'en faurois prendre un autre qaand mon cceur s'épanche, & quand un homme a de i'étoffe en lui -même, je ne regarde plus a fes habits. Je n'adopte nulle formule, n'y. voyant aucun terme fixe pour s'arrêter, fans être faux, J'en pourrois cependant adopter une auprès de vous, Milord, fans courir ce rifque; ce feroit celle du bon Ibrahim. (*) (*) Ibrahim, efclave Turc de Milord Maréchal, finifloit les lettres qu'il lui adreflbit par cette formule: je fuis plus votre ami aue jamais, Ibrahim.  iij4 Lettres de Lettre a M. M «• Ce 13 Novembr» 176a» Vous ne faurez jamais ce que votre filence m'a fait fouffrir; mais votre lettre m'a rendu la vie , & 1'affurance que vous me donnez, me: tranqu.1Hfe pour le refte de mes jours. Ainfi écr.vez déformais a votre aife; votre ülence ne m alarmera plus Mais, cher ami, pardonnez les inquiétudes d'un pauvre folitaire qui ne fait rien de ce qui fe paffe, dont tant de cruels fouvenirs affl.gent Hmagination, qui ne connoit dans la vie d autre bonheur que 1'amitié, & qui n'aima jamais perfonne autant que vous. RH* fe nfit amar(, dit le poëte; mais moi, je dis, feltx nefiit amare. Des deux cótés, les circonftances qui ont ferré notre attachement 1'ont mis a 1'épreuve, & lui ont donné la folidité d'une amitié de vinet ans. Je ne dirai pas un mot a M. de Montmollin pour la communication de la lettre dont vous me parlez U fera ce qu'il jugera convenable pour fon avantage; pour moi, je ne veux pas faire un pas.ni dire un mot de plus dans toute cette affaire, & je laifferai vos gens fe démëner comme ils voudront fans m'en méler, ni répondre a leurs chi. canes. Ils prétendent me traiter comme un enfant, a qui 1'on commence par donner le fouet,& puis  j. j. R o, u s s e a V. 165 on lui fait derajwder pardon. Ce n'eft pas touti- fait mon avis. Ce n'eft pas moi qui veux donner des éclairciflemens; c'eft le bon-homme De Luc qui veut que j'en donne, & je fuis très-ftché de ne pouvoir en cela lui complaire, car il m'a tout.a. fait gagné le cceur ce voyage, & j'ai été bien plus content de lui que je n'efpérois. Puifqu'on n'a pas été content de ma lettre, on ne Ie feroit pas non plus de mes éclairciflemens; quoi qu'on fafle, je n'en veux pas dire plus qu'il n'y en a, & quand on me prefleroit fur le refte, je craindrois que M. de Montmollin ne füt compromis j ainfi je ne dirai plus rien, c'eft un parti pris. Je trouve, en revenant fur tout ceci, que nous avons donné trop d'importance a cette affaire; c'eft un jeu de fots enfans dont on fe fache pour un moment, mais dont on ne fait que rire fitót qu'on eft de fang • froid. Adieu , cher M u. J'oubliois de vous marquer que le rol de Prufie m'a fait faire par milord Maréchal des offres trésobligeantes, & d'une manière dont je fuis pénétré. Lettre a M. M u. 05 Novembre iföa. Je m'étois attendu, cher ami, a ce qui vient de fe pafieri ainfi j'en fuis pen éimi. Peut - être n'a-,  i66 Lettres de t-il tenu qu'è moi que cela ne fe paiïat autremenr. JMais une maxime,dont je ne me départirai jamais, eft de ne faire du msl a perfonne. Je fuis chatmé de ne m'en être pas départi en cette occafion; car je vous avoue que la tentation étoit vive. Je fuis charmé que vous voyiez enfin que je n'en ai déja que trop fait. Ces Mefiïeurs les Génevois le prennent en vérité fur un Gngulier ton. On diroit qu'il faut que j'aille encore demander pardon des affronis qu'on m'a faits. Et puis,quelle extravagante inquifition? L'on n'en feroit pas tant chez les Turcs. Le bon-homme difpofe de moi comma de fes vieux fouliers; il veut que j'aille courir a Genève dans une faifon & dans un état oü je ne puis fortir; je ne dis pas de Motiers, muis de ma chambre. II n'y a pas de fens a cela. Je fouhaite de tout mon cceur de revoir Genève, & je me fens nn cceur fait pour oublier leurs outrages. Mais on ne m'y verra fürement jamais en homme qui demande grace, ou qui la recoit. Je vous ai parlé des offres du roi de PruiTe & de ma reconnoiffance. Mais voudriez - vous que je les euffe acceptés?£ft-il néceffaire de vous dire ce que j'ai fait? Ces chofes-la devoient fe devicer entre nous. Je dois vous prévenir d'une chofe. Vous avez dü voir beaucoup d'inégalité dans mes lettres.; c'eft qu'il y en a beaucoup dans mon humeur,& je ne la cache point a mes amis. Ma conduite ne fe  J. J. II O ü S s E A U. 167 règle point fur mon humeur; elle a une règle plus conftante; a mon age on ne change plus. Je ferai ce que j'ai été. Je ne fuis différent qu'en une chofe; c'eft que jufqu'ici j'ai eu des amis, mais a préfent je fens que j'ai un ami. Vous apprendrez avec plaifir qu'Emile a le plus grand fuccès en Angleterre. Ou eu eft a la feconde édition angloife. II n'y a pas d'exemple it Londres d'un fuccès fi rapide pour aucun livre étranger, &, nota, malgré le mal que j'y dis des Anglois. Lettre d M. M «. A Motiers, le 23 Janvier 1763. Comment avez-vous pu imaginer que fi j'avois écrit des mémoires de ma vie, j'aurois choifi M. de Montmollin pour 1'en faire dépofitaire? Soyez sür que la reconnoilfance que j'ai pour fa conduite envers moi ne m'aveugle pas a ce point ;& quand je me choifirai un confelfeur, ce ne fera fürement pas un homme d'églife: car je ne regarde pas mon cher M u comme tel. 11 eft certain que la vie de votre malheureux ami , que. je regarde comme finie, eft tout ce qui me refte a faire, & que 1'hiftoire d'un homme qui aura le courage de fe montrer intus & in cute peut être de quelque inllruclion a fes femblables 5 car maiheu-  Lettres de reufement n'ayant pas toujours vécu feul, je ne faurois me peindre fans peindre beaucoup d'autres gens; & je n'ai pas le droit d'être aufli fincère pour eux que pour moi, du moins avec le public, & de leur vivam. 1) y auroit peutêtre des arrangemens a prendre pour cela, qui demanderoient le concours d'un homme sur & d'un véritable ami; ce n'eft pas d'aujourd'hui que je médite fur cette entreprife, qui n'eft pas fi légère qu'elle peut vous paroltre, & je ne vois qu'un moyen de 1'exécuter ? duquel je voudrois raifonner avec vous. J'ai une chofe a vous propofer. Dites-moi, cher M....u, fi je reprenois affez de force pour être fur pied cet été, pourtiez • vous vous ménager deux ou trois mois a me donner pour les pafler a. peu-prés tête a tête? Je ne voudrois pour cela choifir ni Motiers, ni Zurich, ni Genève, mais un lieu auqnel je penfe & oü les importuns ne viendroient pas nous chercher, du moins de fitót. Nous y trouverions un hóte & un ami, & même des fociétés trèsagréables, quand nous voudrions un peu quitter notre folitude. Penfez k cela , & dites-m'en votre avis. II ne s'agit pas d'un long voyage. Plus je penfe a ce projet, .& plus je le trouve charmant. C'eft mon dernier chateau en Efpagne, dont 1'exécution ne tient qu'a ma fanté & k vos affaires. Penfez-y & me répondez. Cher ami, que je vive encote deux mois, & je meurs content. Vous  J. J. R o v s s e a o. t6& Vous me propofez d'aller prés de Genève,' chercher des fecours a mes maux! .Et quels fecours donc? Je n'en connois point d'autres quand je fouffre, que la patience & la tranquillité. Mes amis mêmes alors me font infupportables , paree qu'il faut que je me gêne pour ne les pas affliger. Me croyez-vous donc de ceux qui méprifent la médecine quand ils fe portent bien, & 1'adorent quand ils font malades? Pour moi, quand je le fuis, je me tiens coi, en attendant la mort ou la guérifon. Si j'étois malade a Genève, c'eft ici que je viendrois chercher les fecours qu'il me faut. Savez • vous qu'on entreprend è Paris une édition générale de mes écrits avec la permiilion du gouvernement.? Que dites-vous de cela» Savez-vous que 1'imbécille Néaulme & 1'infatigable Formey travaillent & mutiler mon Emile, auquel ils auront 1'audace de laiffer mon nom, après 1'avoir rendu aufli plat qu'eux? Adieu, je vous embralTe. Mon état eft toujous le même; mais cependant 1'hiver tend a fa fm. Nous verrons ce que pourra faire une faifon moins rude. Suppl. Tom. FUI. 11  j7» Lettres na Lettre èt M Pr. a Neuckdtel. Metiers 1763. J b n'ai point, Monfieur, de fatisfadion a faire au 'chriftianifme, paree que je ne 1'ai point offenfé; ainfi je n'ai que faire pour cela du livre de M. Denife. Toutes les preuves de Ia vérité de la religion cbrétienne font contenues dans la bible. Ceux qui fe mêlent d'écrire ces preuves ne font que les tirer de- la & les retourner a leur mode. 11 vaut mieux méditer 1'original & les en tirer foi - même, que de le» chereber dans le fatras de ces auteurs. Ainfi, Monfieur, je n'ai que faire encore pour cela du livre de M. Denife. Cependant , puifque vous rn'affurez qu'il eft bon, je veux bien le garder fur votre parole pour le lire quand j'en aurai le loifir, a condition que vous «urez la bonté de me faire dire ce que vous a coüté 1'exemplaire que vous m'avez envoyé, & de trouver bon que j'en remette le prix a votre commiffionnaire,faute de quoi le livre lui fera rendu fous quinze jours pour vous être renvoyé. Je paffe, Monfieur, 4 la réponfe a vos deux queftions. Le vrai chriftianifme n'eft que la religion naturelle mieux expliquée, comme vous le dites vousmême dans la lettre dont vous m'avez honoié. Par  £ J. RovsatAv. \f% confêqueiit profefler la teligion naturelle , n'eft point fe déclarer contre le chriftianifme. . Toutes les connoiftances humaines ont leurs objeétions & leurs difficultés fouvent infolubles. Le chriftianifme a les fiennes, que 1'ami de la véfité, 1'homme de bonne foi,les vrais chrétiens ne dofvent point difïïmuler. Rien ne me fcandalife davantage que de voir qu'au lieu de réfoudre ces difficultés, on me reproche de les avoir dites. Oü prenez-vous, Monfieur, que j'aie dit qua mon motif a profefler la religion chrétienne, eft le pouvoir qu'ont les efprits de ma forte d'édifier & de fcandalifer ? Cela n'eft afliirément pas dans ma lettre a M. de Montmollin, ni rien d'approchant-. & Je n'ai jamais dit ni écrit pareille fottife. i Je n'aime ni n'eftime les lettres anonymes,&ja n'y réponds jamais;mais j'ai cru, Monfieur,vous devoir une exception par refpetf pour votre age & pour votre zèle. Quant a la formule que vous avez voulu m'éviter en ne vous fignant pas, c'étoit un foin fuperflu, car je n'écris rien que je ne veuille avouer hautement, & je n'emploie jamais de formule.  l?% L i t-r r e s d e • l e t t r e * M. J. B. (•) A Motiers, le 21 Mars 1763. La réponfe ft votre objeftion , Monfieur, eft danj le livre même d'oü vous la tirez. Lifez plus attentivement le texte & les notes; vous trouverez cette objection réfolue. ■ Vous voulez que j'óte de mon livre ce qui eft contre la religion-, mais il n'y • dans mon livre rien qui feu contre la religion. Te voudrois pouvoir vous compla.re en faifant ,e travail que vous me prefcrivez. Monfieur, je fuis infirme, épiifé, je vieillis; fai fait ma tftcne, mal fans doute, mais demon mieux. J a. pro„ofé mes idéés ft ceux qui conduifent les jeunes gens 5 mais je ne fais pas écrire pour les jeunes ^"v'ous m'apprenez qu'il faut vous dire tout, ou que vous n'entendez rien. Cela me fait défefpéier, Monfieur, que vous ne m'entend.ez jamais; car je n'ai point,moi ,1e talent de parler aux gens ft qui il faut tout dire. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cceur. —" ~Z v „„- rp-i let'res font adreflees, avoit te- C?/l' M Rouffeau la {ubneation de la coi'ftffion de Fofd» Vtahe iSSSSd comre cette maxime «preffe du yiC^.^Ji\^e oue'qne bonne croyance parmiles bon,fc, „ Tant quil relte que1 j Bmes w s ,„ „ mes , il ne H»t pod difficultés qu'i s ne  J. J. ROUSSEAU. I73 Lettre au même. A Motiers, le 28 Mars 1753. ^olotios de 1'objectioa de M. B... Maii quand une fois tout eft ébranlé , on doit conferver le tronc aux dépens dei branches, &s. Emile, Tom. III, ou Tom. VIII Oeuvres Cowplettes, pag. 11S & uo de cette édition. Voila, je crois, ce que le bon vicaire pourroit dire & préfent au public. Ibid. pag. 81 note, même Volume. M. B. m'aiTure que tout Ie monde trouve qu'il y a dans mon livre beaucoup de chofes contre la religion chrétienne. Je ne fuis pas, fur ce point comme fur bien d'autres, de 1'avis de tout le monde, & d'autant moins que parmi tout ce monde-la , je ne vois pas un chrétien. Un homme qui cherche des explications pour compromettre celui qui les donne, eft peu géndreux; mais 1'opprimé qui n'ofe les donner eft un lache; & je n'ai pas peur de pafler pour tel. Je ne crains point les explications; je crains les dif. cours inutiles. Je crains, furtout, les défceuvrés, qui, ne fachant a quoi pafler leur temps, veulent difpofer du mien. Je prie Monfieur B. d'agréer mes falutatións. H 3  47I Lettres de Lettre au rnème, A Motiers, le 4 Avtil 1763» Je fuis trés content, Monfieur, de votre dernière lettre, & je me fais un uès-grand plaifir de vous le dire. Je vois avec regret que je vous avois mal jugé. Mais, de grace, mettez-vous a ma place. Je recois des milliers de lettres oü, fous prétexte de me demander des explications, on ne cherche qu'a me tendre des piéges. II me faudroic de la fanté, du loifir, & des fiècles pour entrer dans tous les détails qu'on me demande & pénétrant le motif fecret de tout cela, je réponds avec franchife, avec dureté même, a 1'intention plutót qu'a 1'écrit. Pour vous , Monfieur, que mon apreté n'a poiut révolté, vous pouvez compter, de ma part, fur toute l'efiime que mérite votre procédé honnête, & fur une difpofition a vous aimer, qui probablement aura fon effet, fi jamais nous nous connoiflbns davantage. En attendant, recevez, Monfieur, je vous fupplie, mes exeu. fes & mes fincères falutations.  J. J. Rousseaü. rm Lettre a M. M Ut A Motiers, Ie ai Mai 17-53. Voila, cher M.... .rr, puifque vous Ie voulez, un exemplaire de ma lettre a M. de Beaumont. J'en ai remis deux autres au meiTager depuii plufieurs jours; mais il différe fon départ d'un joor Jl'antre, & nepartira, je crois, que mercredi. J aurai foin de vous en faire parvenir davanta-e En attendant, ne mettez ces deux-Ia qu'en d-s mainsfüres, jufqu'a ce que l'onvrage paroilTe, èt peur de contrefaétion. J'ai attendu, pour juger les Genevois, qUe ie fuflè de fang.froid: ils font jugés. J'aurois dé a fi« la démarche dont vous me parlez, fi milord Maréchtl ne m'avoit engagé a différer, & » vol. que vous penfez comme lui. J'attendrai donc pour la faire, de voir 1'erTet de Ia lettre que ie' vous envoie: mais quand cet effet les rameneroit a leur devoir, j'en ferois, je vous jure, tré,. médiocrement flatté. Ils font fi fots & fi rogues que Ie bien méme ne ni'inréreiTeroit déformais dé leur part, guéres plus que Ie mal. On ne'tient plus guéres aux gens qu'on méprife, M. de Voltaire vou, . paru m.aima fan que vous m'aimez: foyez perfuadé qu'a vee J gens de fon parti, il tient un autre langage Cet habile comédien, dolis infiruSus & 0*eZJ£T H 4  l*-6 Lettres de fait changer dé ton felon les gens a qui 11 a a faire. Quoi qu'il en foit, fi jamais il arrivé qu'il revienne fincèremetu, j'ai déja les bras ouverts; car de toutes les vertus chrétiennes, 1'oubli des injures eft, je vous jure, celle qui me coüte Ie moins. Point d'avances, ce feroit une lacheté : mais comptez que je ferai toujours prêt a répondre aux fiennes, d'une manière dont il fera content. Partez de-la, fi jamais il vous en reparle. Je fais que vous ne voulez pas me compromettrei & vous favez, je crois, que vous pouvez répondre de votre ami en toute chofe honnête. Les manoeuvres de M. de Voltaire, qui ont tant d'approbateurs a Gerève., ne font pas vues du même ce.l a Pjris. Elles y om foulevé tout le monde, & balancé le bon effet de la proteaion des Calas. II eft certain que ce qu'il peut faire de mieux pour fa gloire, eft de fe raccommoder avec moi. Quand vous voudrez venir, il faudra nous concerter Je dois aller voir milord Maréchal, avant fon départ pour Betlin; vous pourriez ne pas me trouver. D'ailleurs, la faifon n'eft pas aifez avancée pour le voyage de Zurich, ni même pour Ia promenade. Quand je vous aurai, je voudrois vous tenir un peu longtemps. J'a.me mieux différer mon plaifir, & en jouir a mon a.fe. Doutezvous que tout ce qui vous accompagnera, ne foit bien recu? Lit-  J. J. R o V s s e a 17. i77 ■Lettre a M. M.. . . ,u. A Metier», le 4 Juin 1-63. J'ai fi peu de bons momens en ma vie, qu'a peine efpérois-je d'en retrouver d'aufiï doux que ceux que vous m'avez donnés. Grand merci, cher «mi: fi vous avez écé content de moi, Je Pij été encore plus de vous. Cette fimple vérité vaut bien vos éloges .-aimons-nous alTez 1'un & 1'autre, pour n'avoir plus a nous louer. Vous me donnez pour MUe. C une com- miflion dont je m'acquitterai mal, précifément' a caufe de mon eliime pour elle. Le refioidiffjment de M' G me fa" mal penfer de lui: j'ai rem fon livre; il y COurt aprés 1'efprit, il s'y guinde. m' Uneft Point mon homme; je ne puis croire qu'il foit celui de Müe C qui ne fent pas fon prix, n'eft pas digned'elle; mais qui l'a Pu fentir, & s'en détache , eft un homme a mé. pnfer. Elle ne fait ce qu'elle veut; cet homme la fert mieux que fon propre cceur. J'aime cent fois mieux qu'il Ja laiflè pauvre & libre au milieu de vous, que de 1'emmener étre malheureufe & riche en Angleterre. £n vérité je fenhaite que aL Gne vienne P«». Je voudrois me déguifer , mais je ne faurois; je voudrois bien faire. & je fens que je gaterai tout. Je tombe des nues au jugeaieu: de M. de MonH 5  jj>S lettres de dar Tous les hommes vulgaires, tous les pettt» litté'rateurs font faits pour crier toujours au paradoxe pour me reprocher d'être outré: mais lui que ie croyois philofoPhe,& du moins logicien: quoi, c'eft ainfi qu'il m'a lu; c'eft ainfi qu'il me jugei II ne m'a donc pas entendu? Si mes principes font vrais, tout eft vrai: s'ils font faux, tout eft faux ; car je n'ai tiré que des conféquences rigoureufes & „éceffaires. Que veut-il donc dite? Je ny comprends rien: je fuis aiTurément comblé & honoré de fes éloges, mais autant feulement que je peux 1'être de ceux d'un homme de mérite qui ne m'entend pas. Du refte, ufez de fa lettre comme il vous plaira; e4èe ne peut que m'être honorable dans le public: mais quoi qu'il dife, il fera tonjours clair entre vous &moi, qu'il ne m entend P0,Te fuis accablé de lettres de Genève: Vous ne fauriez imaginer a la fois la bêtife & la hautenr de ces lettres. 11 n'y en a pas une oü 1 auteur ne fe porte pour mon juge, & ne me cite a fon tnbuL pour lui rendre compte de ma conduite. Un M B . .-t, Potend que je n'ai point recu daf. front, '& que le confeil avoit droit de flétrir mon livre, fans commencer par citer 1'auteur. 9 me dit au fujet de mon livre brülé par le bourreau, cue' 1'honneur ne fouftre point du fait a"un tien; •se qui Cgnine (au moins fi ce mot de tiers veu| dite ici quelque chofe), qu'un homme qui recolt wi foufflet d'un autre, ne doit point fe tewr pour  J' * 11 » " M U ü. gfp. infulté. J'ai pourtant, parmi tout C9 fatras, recu une lettre qui m'a attendri jufqu'aux larmes;eile eit anonyme; & par une fimplicité qui m'a touché encore, en me faifant rire, rWtew a eu foin d v renfermer le port. * Je fouhaite de tout mpn cceur que ,es choCes foient laiffées comme elles font, & que je puilfe jouir tranquillenient du plaifir de voir mes ami- a Genève , fans affaires & fans tracas: je partirai fitót que , aurat recu de vos nouveiles. Je vous mandera. le ,our de no.re arrivée, & je vous ierai de nous louer une chaife, pour partir le lendemain maun. Adieu, cher ami, mille refpeds a Monfieur votre Pere & a Madame votre époufe; J^* point a fe platadre, j'efpère, de votre féjour l Motiers. Si vous y avez acquis le corps d'Emile vous n y avez point perdu Je cceur de Saint-ïW & je fuis bien für que vous aurez toujours fep & 1'autre pour elle. J^tmZV^^ refuespour voas' & L E T T E E a M. a. a. Motiers, 5 Juin 1763. Voici, Monfieur, la petite réponfe q«e vpas  i8o Lettr.es de demandez aux petites difficultés qui vous tourmenS tent dans ma lettre a M. de Beaumont Q. ,o Le Chriftianifme n'eft que le Judanme expliqué & accompli. Donc les Apótres ne trant ■ grelToient point les loix des Juifs, quand ils eur enfeignoient 1'Evangüe: mais les Jutfs les perfécutèrent, paree qu'ils ne les entendoient pas ou qu'ils feignoient de ne les pas entendre. Ce n elt pas la feule fois que le cas eft arrivé. . 2o. pal diftingué les cultes oü la religion effentielle fe trouve, & ceux oü elle ne fe trouve pas. Les premiers font bons, les autres mauvais; j ai dit cela. On n'eft obligé de fe conformer a la religion partieulière de 1'état, & « n'eft même permis de la fuivre que, lorfque la religion elfentielle s'y trouve, comme elle fe trouve, par exemple dans diverfes communions chrétiennes, dans ie Mahométifme, dans lejudaïfme: mais dans le Paganifme, c'étoit autre chofe; comme trés évidemment la religion elfentielle ne s'y trouvoit pas, il étoit permis aux Apótres de prêcher cöntre le Paganifme, même parmi les Payens , & même malgré eux. Vc^sVuf—e^dtWn, dans quelque religion qu'il v vedebonne foi,peut être fauvé. Mats je ne crois " Sas pour cela qu'on puffie légnimément mtrodu.re en n " SaysPdeS religions stnngètes fins la permiificm du Sou' verain; car fi ce n'eft pas dire&ement défobéir a Dieu , " Wdfcotófr a« loia; & lui défobétt auxloa, déf£ «Wit a Dieu.ï  J- J- R O V S S e A V. lSl 3°. Quand tout cela „e feroit pas vrai, que s'en fuivroit- ? Bien cm'il „«. r •/ ■> mes enmembres de I'ZV 0,t PM permis au* P ys, .1 ne s enfutt point que cela ne foit pas per. caLhifmT D,'eU r0rd°nne "P-iTénfent'L atéchffme vous apprend que c'eft le cas de Ia prédication de l'Evansile Pari,», j. Pal Hit u A» g le' Par,ant humiinement, J ai dit Ie devotr commun des hommes; mais u na, potnt dtt qu'ils ne duflent pas obéir, q nd D-eu a parlé. Sa loi peut difpenfer d'obéir ux 0 huraamfs;c.flunp.ndpe ^ vq o lil„PT C°TbattU' D°nc en introdui^ " re! •g.on étrangére, fans la permiflion du Souveraiu les Apótres n'étoient point coupables. Cetre pel' réponfe eft, /e penfe.a votre portée, ^'f *"te qu'elle fuffit. * ' Je penfe TranquiIlifez.V0US donc, Monfieur, je vous prie & fouvenez-vous qu'un bon Chrétien, Z£ & ignorant tel que vous m'alfurez être, devro t t borner a fervir Dieu dans Ia fimplicité de fon cL fans s'tnquiecer fi fort des feminiens d'autrui. ' H 7  l&ï Letts.es ne Letthe a M. Regnault, & Lyont Ju fujet d'une ofre d'argent dont il étoit chargé de la part d'un inconnu, qui, ayant sppris que M. Roujfeau relevoit d'une maladie dangereufe, avoit fuppofé que ce fecours pouvoit lui être utile, A Motiers, Ie 21 Oftobre 1763. J'igs ore, Monfieur, fur quoi fondé, 1'inconnu dont vous me parlez, fe croit en droit de me faire des préfens: ce que je fais, c'eft que fi jamais j'en accepje, il faudra que je commence par bien connoitre celui qui croira mériter la préférence, & que je penfe comme lui fur ce point. Je fuis fort fenfible aux offres obligeantes que vous me faites. N'étant pas, quant a préfent, dans le cas de m'en prévalouv je vous en fais mes remerciemens, & vous falue, Monfieur, de tout mon cceur. Lettre a M .... . Motiers . . . Décembre 1763. La vérité que j'aime, Monfieur, n'eft pas tant métaphytlque que morale. J'aime la vérité, paree  J. J. R O U S S E A U. IfJa que je hais le menfonge; je ne puis étre inconféquent la-deflus, que quand je ferai de mauvaife foi. J'aimerois bien auflj la vérité métaphyfique, fi je croyois qu'elle füt a notre portée; mais je n'ai jamais vu qu'elle füt dans les livres; & défefpérant de 1'y trouver , je dédaigne leur inftruc. tion , perfuadé que la vérité qui nous efl utile, efl plus prés de nous, & qu'il ne faut pas, pour I'acquérir, un fi grand appareil de fcience. Votre ouvrage, Monfieur, peut donner cette démonftration promife & manquée par tous les philofopbes; mais je ne puis changer de principe fur des raifons que je ne connois pas. Cependant votre confiance m'en impofe: vous promettez tant, & fi haute, ment; je trouve d'ailleurs tant de juftefle & de raifon dans votre maniére d'écrire, que je ferois furpris qu'il n'y en eüt pas dans votre philofophie, & je devrois peu 1'étre avec ma vue courie, que vous vifliez oü je n'avois pas cru qu'on poe voir. Or, ce doute me donne de 1'inquiétude, paree que la vérité que je connois, ou ce que je prends pour elle, efl trés-aimable, qu'il en réfulte pour n>ei un état trés - doux, & que je ne conpois pas comment j'en pourrois changer fans y perdre. Si mes fentimens étoient démontrés, je m'inquiéterois peu des vótres; mais a parler fincèrement, je fuis allé jufqu'a Ia perfuafion, fans aller jufqu'a la conviftion. Je crois, mais je ne fais pas; je ne fais pas méme fi Ia fcience qui me manque me fera bonne quand je 1'aurai, & fi  i$4 Lettres de. peut-être alors il ne faudra point que je difer alto quneftvit ccelo lucem, ingemuitque repertd. Voila, Monfieur, la folution, ou du moins 1'éclaircuTement des inconféquences que vous m'avez reprochées. Cependant il me paroit bifarre que pour vous avoir dit mon fentiment, quani vous me 1'avez demandé, je fois réduit a faire mon apologie. Je n'ai pris Ia liberté de vous juger que pour vous complaire; je puis m'être trompé fans doute ; mais fe tromper n'eft pas avoir tort. Vous me demandez pourtant encore un confeil fur un fujet très-grave, i& je vais peut.être vous répondre encore tout de travers. Mais heureufe. ment ce confeil eft de ceux que jamais auteur ne demande, que quand il a déja pris fon parti. Je remarquerai d'abord que la fuppofition que votre ouvrage renferme la découverte de Ia vérité ne vous eft pas particulière ; & fi cette raifon vous engage a publier votre livre, elle doit de même engager tout philofophe a publier le fien. | J'ajouterai qu'il ne fuffit pas de confidérer lebien qu'un livre contient en lui-même, mais le mal auquel il peu* donner lieu; il faut fonger qu'il trouvera peu de leéteurs judicieux, bien difpofés, & beaucoup de mauvais cceurs, encore plus de mauvaifes têtes. II faut, avant de le publier, comparer le bien & le mal qu'il peut faire, & les ufages avec les abus. Pefez bien votre livre fur cette régie, & tenez-vous en garde  j. j. R o u s s e a u. 185 contre la partialité ; c'eft par celui de ces deux effets qui doit 1'emporter fur 1'autre , qu'il efl bon ou mauvais a publier. Je ne vous connois point, Monfieur; j'ignore quel eft votre fort, votre état, votre age, & cela pourtant doit régler mon confeil par rapport a vous. Tout ce que fait un jeune homme a moins de conféquence, & tout fe répare ou s'efface avec le temps. Mais fi vous avez palTé la maturité.ah! penrez-y cent fois avant de troubléT Ia paix de votre vie; vous ne favez pas quelles angoifTes vous vous prdparez. Pendant quinze ans j'ai ouï dire a M. de Fonienelle que jamais livre n'avoit donné tant de plaifir que de chagrin a fon auteur; c'étoit 1'heureux Fonrenelle qui difoic cela Monfieur , dans Ia queftion fur laquelle vous me confultez , je ne puis vous parler que par mon exem» ple: jufqu'a quarante ans je fus fage; a quarante ans je pris la plurne , & je la pofe avec cinquante, malgré quelques vains fuccès, maudilfant tous les jours de ma vie celui oü mon fot orgneil me la fit prendre, oü je vis mon bonbeur, mon repos, ma fanté s'en aller en fumée, fans efpoir de les recouvrer jamais. Voila riiomme a qui vous demandez confeil. Je vous falue de tout mon cceur.  ï85 Lettres de Lettbe a M. I l faut vous faire réponfe , Monfieur, puifque vous Ia voulez abfolumenr, & que vous la demandez en termes fi honnétes. II me fembie pourtant qu'a votre place, je me ferois moins obfliné ft 1'exiger. Je me ferois dit, j'écris paree que j'ai du loifir, & que cela m'amufe; 1'homme ft qui je m'adrefle, peut n'éire pas dans le rt 3me cav, & nul n'eft tenu ft une correfpondance qu'il n'a point acceptée: j'oflre mon amitie a un homme que je ne connois point, & qui me connolt encore moins; je la lui offre fans autre titre auprès de lui, que les louanges que je lui donne, & que je me oonne; fans favoir s'il n'a pas déja plus d'atnis qu'il n'en peut cultiver, fans favoir fi mille autres ne lui font pas la même olrre avec le même droit, comme fi 1'on pouvoit fe lier ainfi de loin fans fe connoitre, & devenir infenfiblement 1'ami de toute la terre. L'idée d'écrire ft un homme dont on lit les ouvrages, & dont on veut avoir une lettre ft montrer, eft-elle donc fi finguliêre qu'elle ne pnifle être venue qu'a moi feul ? & fi elle étoit venue ft beaucoup de gens, faudroit-il que cet homme paffftt fa vie ft faire réponfe ft des foules d'amis iticonnus, & qu'il négligeat pour eux ceux qu'il s'eft choifis? On dit qu'il s'eft retiré dans une folitude, cela n'annonce pas un grand penchant ft  J. J. R O V S S E A U. 187 faire de nouveiles connoiffimces. On allure aufli qu'il n'a pour tout bien que le fruit de fon travail; cela ne laifle pas un grand loifir pour entretenir un commerce oii'eux. Si par deflus tout cela, peut-étre il eüt perdu la fanté, s'il étoit tourmenté d'une maiadie cruelle Sr douloureufe, qui le laifsat a peine eu état de vaquer aux foins indifpenfables, ce feroit une tyrannie bien injufte & bien cruelle de vouloir qu'il pafiat fa vie a répondre a des foules de défceuvres, qui ne fachant que faire de leur temps, uferoient trés-prodiguement du fien. Laiflbns donc ce pauvre homme en repos dans fa retraite; n'augmentons pas le nombre des importuns qui la troubient chaque jour fans difcrétion, lans retenue, & même fans humanité. Si fes écrits m'infpirent pour lui de Ia bienveillance, & que je veuille céder au penchant de la lui témoigner, je ne lui vendrai point cet honneur en exigeant de lui des réponfes; & je lui donnerois fans trouble & fans peine le plaifir d'apprendre qu'il y a dans le monde d'honnêtes gens qui penfent bien de lui, & qui n'en exigent rien. Voilé, Monfieur, ce que je me ferois dit, fi j'avois été a votre place; chacun a fa maniêre de penfert je ne blame point la vótre; mals je crois Ia mienne plus équitable. Peut-étre fi je vous connoiflbis, me féliciterois • je beaucoup de votre amitié; mais content des amis que j'ai, je vous déclare que je n'en veux point faire de nou-  j88 Lcttrei de veaux; & quand je le voudrois, il ne feroit pa» raifonnable que j'allafle choifir pour cela des inconnus fi loin de moi. Au refte, je ne doute ni de votre efprit, ni de votre mérite. Cependant Ie ton militaire & galant dont vous parlez de conquérir mon cceur, feroit, jecrols, plus de mife auprès des femmes qu'il ne le feroit avec moi. Lettre & Mde. De Luze. A Motiers, le 17 Mars 1764. Il eft dit, Madame, que j'aurai toujours befoin de votre indulgence; moi qui voudrois métiter toutes vos bontés. Si je pouvois changer une réponfe en vifite, vous n'auriez pas & vous plaindre de mon inexaétitude, & vous me trouveriez peutétre aufli importun qu'a préfent vous me trouvez négligent. Quand viendra ce temps précieux, oü je pourrai aller au Biez réparer mes fautes, ou du moins en implorer le pardon ? Ce ne fera point, Madame, pour voir ma naince figure que je ferai ce voyage; j'aurai un motif d'empreflement plus fatisfaifant & plus raifonnable. Mais permettezmoi de me plaindre de ce qu'ayant bien voulu loget ma reflemblance, vous n'avez pas voulu me faire la faveur toute entiêre, en perraettant qu'elle vous vint de moi. Vous favez que c'eft une vanité qu* a'eft pas permife, d'ofer offrir fon portrait; mais  J. J. R o u s e A O. ,g0 vous avez traint peut-étre que ce ne füt une trop grande faveur de ledemander; votre but étoit d'avoir une image, & non d'enorgueillir 1'original. Aufli pour me croire chez vous, il faut que j'y fois en perfonne, & il faut t0ut 1'accueil obligeant que vous daignez m'y faire pour ne pas me rendre jaloux de moi. Permettez, Madame, que je remercie ici Mdde Faugnes de 1'honneur de fon fouvenir & que je 1'affure de mon refpeét. Daignez agréer pour vous la méme aflurance, & préfenter mes falutations a M. De Luze. Lettres Mde. de F. A Motiers, le 13 Maf 1764, Quoique tout ce que vous m'écrivez, Madame, me foit intéreflant, Tarnde le plus important de votre derniêre lettre en mérite une toute entiére, & fera 1'unique fujet de celle-ci. Je parle des propofitions qui vous ont fait héter votre retraite a la campagne. La réponfe négative que vous y avez faite, & le motif qui vous 1'a inf. pirée, fcnt, comme tout ce que vous faites marqués au coin de la fagefle & de la vertuj mais' je vous avoue , mon aimable voifine, que les jugemens que vous portez fur la conduite de la perfonne, me paroiflènt bien févéres, & je ne puis  ,po Lettres dr vous difïïmuler que, facfaaat combien fincèrement il vous étoit attaché, loin de voir dans /on éfc* gnement un figne de tiédeur,j'y ai bien plutót vu les fcrupules d'un cceur qui croit avoir a fe défier de lui-même; & le genre de vie qu'il cho.fit è fa retraite montre affez ce qui 1'y a détetmmé. Si un amant, quitté pour la dévotion, ne doit pas fe croire oublié, findice eft bien plus fort dans les hommes; & comme cette reffource leur eft moins naturelle, il faut qu'un befoin plus puiffant les force d'y recourir. Ce qui m'a confitroé dans mon fentiment, c'eft fon empreffement a revenir, du moment qu'il a cru pouvoir écouter fon penchant fans crime; & cette démarche, dont votre délicateffe me paroit offenfée, eft a mes yeux une preuve de la fienne, qui doit lui mériter toute votre eftime, de quelque manière que vous envifagiez d'ailleurs fon retour. Ceci, Madame, ne diminue abfolument rien de la fol'idité de vos raifons, quant a vos devoirs envers vos enfans. Le parti que vous prenez eft , fans contredit, le feul dont ils n'aient pas a fe plaindre, & le plus digne de vous; mais ne gatez pas un aéïe de vertu fi grand & fi pénible, par un dépit déguifé, & par un fentiment injufte enters un homme aufli digne de votre eftime par fa conduite, que vous-même étes par la vótre digne de 1'eftime de tous les honnêtes gens. J'oferai dire plus; votre motif fondé fur vos devoirs de mêre eft grand & preffant; mais il peut n'être que fe-  J- J- R O ü « s E A U. m condaire. Vous étes „op jeBne e avez uu cceur trop tendre, & plein d,üne 1011 tr°P ™e,Pourn'étre pasobligéeVcol ter avec vous-même dans ce que vous devezX ce point a vos enfans. Pour bie„ re Vf" f" voirs, il ne faut point s'en impofer Spport bles: rien de ce qui eft jufte & honnêre ™ g.t,me; quelque chers que vous foient vos enfan ce que vous ieur devez fur cet anicle n'eft Z\ ce que vous devez » votre mari. Pefez ConM re mére' ma''S en ^nne , b e Confultez fi b.en votre cceur que VOus faffiez fë avance, mais fans vous rendre malheureufe c vous ne leur devez pas Jufques-tt. Aprés cel" fi vous perlïftez dans vos refus, je vous en e' fpeaerai davantage; raais fi ^ c™ vous en eftimerai pas moins. Je n'ai pu refufer a ^ ^ de 2 f "raenS fUf U"e mstiere « importante! & rerM °Ü V°"S étes. a tefflps de déibé- rer M. de ♦** ne 1D.a écrIt ni m ^ de fes nouveiles ni direftement ni indireftement; & quoique nos anciennes liaifons m'aient IailTé de rattachement pour lui, je n'ai eu nul égard è fon intérêt, dans ce que je viens de vous dire. Mais moi, que vous Mffiate» lire dans votre cceur, & qui en vis fi bien la tendrelfe & 1'honnéteté, moi, qui que que o,. vis couler vos larmes, je n'ai ^ oubhe limprc-ffion qu'elles m'ont faite, & je De  loa Lettres b e fuis pas fans crainte fur celle qu'elles ont pu vous laiffer. Mériterois - je Famitié dont vous m'honorez , fi je négligeois en ce moment les devoirs qu'elle impofe. Lettre a Mr. de S a Motiers, le 20 Mai 1764. Mette z-voo s a ma place, Monfieur, & jugez-vous. Quand, trop facile a céder a vos avances, j'épanchois mon cceur avec vous, vous me trompiez. Qui me répondra qu'aujourd'hui vous ne me trompez pas encore ? Inquiet de votre long filence, je me fuis fait informer de vous i la cour de Vienne; votre nom n'y eft connu de perfonne. lei votre honneur eft compromis, & depuis votre départ, une falope, appuyée de certaines gens, vous a chargé d'un enfant. Qu'êtes-vous allé faire a Paris? Qu'y faites.vous main. tenant , logé précifément dans la rue qui a le plus mauvais renom? Que voulez- vous que je penfe? J'eus toujours du penchant a vous aimer; mais je dois fubordonner mes gouts a la raifon, ik je ne veux pas être dupe. Je vous plains; mais je ne puis vous rendre ma confiance que je n'aie des preuves que vous ne me trompez plus. Vous avez ici des effets dans deux malles, dont une  J. J. Rousseau. 193 une eft k moi. Difpofez de ces efïèts, je vous prie; puifqn'ils vous doivent être utiles, & qu'ils m'embarrafferoient, dans le tranfport des miens, fi je quittois Motiers. Vous me paroiflez être daas le befoin; je ne fuis pas non plus trop a mon aife. Cependant fi vos befoins font prefians, ik que les dix louis, que vous n'acceptates pas 1'année dernière , peuvent y porter quelque remède, parlez-moi clairement. Si je connoiffois mieux votre état, je vous prévienJrois; mais je voudrois foulager, non vous offenfer. Vous êtes dans un age oü 1'ame a déja pris fonpli, & oü les retours a la vertu font difficiles. Cependant les malheurs font de grandes kpons; puiffiez-vous en profiter pour rentrer en vous! méme! II efl cenain que vous étiez fait pour être un homme de merite. Ce feroit graad dommage que vous trotnpaffiez votre vocation. Quant 4 moi, je n'oublierai jamais 1'attachement que j'eus pour vous, & fi j'achevois de vous en croire indigne, je m'en confolerois difficilement. Lettre d M. D. p . Sepiembre 1764. Je prends le parti, Monfieur, fuivant votre idéé d'attendre ici votre pafTage ; s'il arrivé que vous alltez » Creflïer, je pourrai prendre celui de vous Sappl Tom. Flll, \  ,p4 Lettres, pe y fuivre, & c'eft de tous les arrangemens celui qui me plaira le plus. En ce cas - la j'irai feul, c'eft a dire, fans Mlle. le Vaffeur, & je refterai feulement deux ou trois jours pour effai, ne ponvant guéres m'éloigner en ce moment plus longtemps d'ici. Je comprends, au temps que demande la Dame Guinchard pour fes préparatifs, qu'elle me prend pour un Sibarite. Peut-étre auifi veut-elle foutenir la réputation du cabaret de Cieffier, mais cela lui fera difficile; puifque les plats, quoique bons , n'en font pas la bonne chère, & qu'on n'y remplace pas 1'hóte par un cuifmier. Vous avez a Monlezt un autre hóte qui n'eft pas plus faclle a remplacer, & des hóteiTes qui le font encore moins. Monlezi doit être une efpèce de Mont Olympe pour tout ce qui 1'habite en pareille compagnie. Bon jour , Monfieur, quand vous reviendrez parmi les mortels, n'oubliez pas, je vous prie, celui de tous qui vous honore le plus, & qui veut vous offrir, au lieu d'encens, des fentimens qui le valent bien. L e t t n e a M. M. I Le 14 Oélobte 1764. Tai reen, Monfieur, au retour d'une tournee que j'ai faite dans nos montagnes, votre lettre du 4 Aofir, & fouviage que vous y avez joint. J'y  J. J. R o o s ï e a V. IJHf a? trouvé des feminiens, de l'homiêteté, du goüt; & il m'a rappellé avec plaifir notre ancienne connoiflance. Je ne voudrois pourtant pas qu'avec le talent que vous paroiflfez avoir, vous en bornaflïez 1'emploi a de pareilles bagatelles. Ne fongez pas, Monfieur, a venir ici avec une femme & douze eens livres de rente viagère pour toute fortune. La liberté met ici tout le monde a fon aife. Le comtnerce, qu'on ne gêne point, y fleurit; on y a beaucoup d'argent & peu de denrées; ce n'eft pas le moyen d'y vivre a bon marché. Je vous confeille aufli de biea fonger, avant de vous marier, a ce que vous allez faire. Une rente viagère n'eft pas une grande reflburee pour une familie. Je remarque, d'ailleurs, que tous les jeunes gens a marier trouvenc des Sophies ; mais je n'entends plus patier de Sopliies aufli • tót qu'ils font mariés. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cceur. Lettre A M. L d, A Motiers, le 14 Oétobre 1754. Vo j c 1, Monfieur, celle des trois eflampes que vous m'avez envoyées, qui, dans le nombre des gens que j'ai confultés, a eu la pluralité des voix. Plufieurs cependant préfêrent celle qui eft en habit francais, & 1'on peut balancer avec raifon, puifI a  ip 5 Lettres de que 1'une & 1'autre ont été gravées fur Ie méme portrait, peint par M. de la Tour. Quant a 1'efbinpe oü Ie vifage eft de profil, elle n'a pas la moindre reflèmblance; il paroit que celui qui fa faire ne m'avoit jamais vu, & il s'eft mêmetrompé fur mon age. Je voudrois, Monfieur, étre digne de 1'honneur que vous me faites. Mon portrait figure mal parmi ceux des grands philofophes dont vous me patlez; mais j'ofe croire qu'il n'eft pas déplacé parmi ceux des amis de la juftice & de la vérité. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cceur. Lettre a M. Dekyre. 17 Oétobre 1764. J'ai Ie cceur furchargé de mes rorts, dier De» leyre; je comprends, par votre lettre qu'il m'eü échappé, dans un moment d'humeur, des expreffions défobligeantes, dont vous auriez raifon d'être offenfé , s'il ne falloit pardonner beaucoup a mon tempérament & a ma fituation. Je fens que je me fuis mis en colère fans fujet, & dans une occalion oü vous méritiez d'être défabufé & non que. relié. Si j'ai plus fait, & que je vous aie outragé, comme il femble par vos reproches, j'ai fait, dans uu emportement ridicule, ce que dans nul autre temps je n'aurois fait ayeg petfonne, & bkn  J. J. R O O S S E A V. I97 moins encore avec vous. Je fuis inexcufable , je favoue, mais je vous ai offenfé fans le vouloir. Voyez moins 1'action que 1'inteniion, je vous en fupplie. II eft permis aux-autres hommes de n'êcre que juftes, mais les amis doivent être clémens. Je reviens de longues coutfes que j'ai faites dans nos montagnes, & méme jufqu'en Sivoie, oü je comptois aller prendre a Aix les bains pour une fciatique nailTante qui, par fon progrés, m'óroit le feul plaifir qui me refte dans la vie, favoir la promenade. II a fallu revenir, fans avoir été jufques-la. Je trouve en rentrant chez moi des tas de paquets & de lettres è faire rourner la tête. 11 ,faut abfolument répondre au tiers de tout cela, pour le moins. Quelle ta:he! Pour furcroit, ''e commence a fentir cruellement les approches de 1'hiver; fouffrant, occupé, furtout ennuyé, jugez de ma fituationI N'attendez donc de moi, jufqu'a ce qu'elle change, ni de ftéquentes ni de longues lettres, mais foyez bien convaiucu que je vous aime , que je fuis faché de vous avoir offenfé, & que je ne puis être bien avec moi-méme, jufqu'a ce que j'aie fait ma paix avec vous. I 3  ipg Lettres de Lettre d M. F . rt Ah fnjet du mémoire de M. de J fur les mariagcs des Protejlans. Motiers, i3 Oclobre 1764. Voicï, Monfieur, le mémoire que vous avez eu Ia bonté de ïn'envoyer. 11 m'a paru fort bien fait; il dit affez , & ne dit rien de trop. II y auroit feulement quelques petites fautes de Iangue a corriger, fi 1'on vouloit le donner au public. Mais ce n'tft rien; 1'ouvrage eft bon, & ne fent point trop fon théologien. II me paroit que depuis quelque temps, Ie gouvernement de France, éclairé par quelques bons écrits, fe rapproche aflfcz d'une tolérance tacite en faveur des Proteftans. Mais je penfe aufli que le moment de 1'expulfion des Jéfuites Ie force a plus de circonfpection que dans un autre temps, de peur que ces pères, & leurs amis, ne fe prévalent de cette indulgence , pour confondre leur caufe avec celle de la religion. Cela étant, ce moment ne feroit pas le plus favorable pour agir a la cour; mais en attendant qu'il vint, on pourroit continuer d'inftruire & d'intérefler le public par des écrits fages & modérés, forts de raifons d'état, claires & précifes, & dépouillées de toutes ces aigres & puériles déclamations trop ordi-  J. J. R o u s s e a u. 1$$ naires aux gens d'égüfe. Je ctois même qu'on doit éviter d'irriter trop le clergé Catholique; il faut dire ces faits fans les charger de réfiexions offenfantes. Concevez, au contraire, un mémoire adreffé aux Evéques de France en termes décens & refpecïueux, &oü, fur des principes qu'ils n'ofe* roient défavouer, on interpelleroit leur équité, leur charité , leur commifération, leur patriotifme, & mcine leur Chriftianifme: ce mémoire, je le fais bien, ne changeroit pas leur volonté, mais il leur feroit honte de la montrer, & les empê. cheroit peut-étre de perfécuter fi ouvertement & fi durement nos malheureux frères. Je puis ma tromper; voilü ce que je penfe. Pour moi je n'écrirai point; cela ne m'eft pas poffible: mais par-tout oü mes foins & mes confeils pourronc être utiles aux oppritnés., ils trouveront toujours en moi, dans leur malheur, 1'intétêt & le zèle que dans les miens je n'ai trouvé chez perfonne. Lettre d Mde. P**. Motiers, 24 Oflobre ijtfj. J'ai repu vos deux lettres, Madame: c'eft avouer tous mes torts; ils font grands, mais involontaires; ils tiennent aux défagrémens de mon état. Tous les jours je voulois vous répondre, & tous les jours des réponfes plus indifpenfables venoient 'I 4  Lettre* de renvoyer celle-la: car enfin avec la meilleure volonté du monde, on ne fauroit pafler la vie a faire des réponfes du matin jufqu'au foir. D'ail. leurs je n'en connois point de meilleure aux feminiens obligeans dont vous m'honorez , que de tacber d'en être digne , & de vous rendre ceux qui vous fons düs. Quant aux opinions fur lefquelles vous me marquez que nous ne fommes pas d'accord , qu'aurois-je a dire? Moi, qui ne difpute jamais avec perfomie, qui trouve trés bon que chscun ait fes idéés, & qui ne veux pas plus qu'on fe foumette aux mienncs, que me foumettre a celles d'autrui. Ce qui me fembloit utile & viai, j'ai cru de mon devoir de le dire; mais je n'eus jamais la manie de vouloir le faiie adopter, & je réclame pour moi la liberté que je laifle a tout le monde.. Nous fommes d'accord , Madame, fur les devoirs des gens de bien, je n'en doute point. Gardons, au reöe, vous vos femimens, moi les miens, & vivons en paix. Voila mon avis. Je vous falue, Madame, avec refpeft & de tout mon cceur. L e t t n e a M. du Peyrou. i A Motiers, le 29 Novembre 1764. Le temps & mes tracas ne me perrnettent pas, Monfieur, de répondre a préfent a votre derciète let-  J. J, R O U S S E A U. ÏOl lettre, dont plufieurs artic'.es m'ont ému & péné* uéi je deftine uniquement ceile-ci a vous confulrer fur un article qui m'intéreffe, & fur lequel je vous épargnerois cette importunité, fi je eonnoifiois quelqu'uu qui me patüt plus digne que vous de toute ma confiance. Vous favez que je médite depuis longtemps de prendre Ie dernier congé du public par une édition générale de nies éctits, pour pafler dans la retraite & le repos le refte des jours qu'il plairaa la Providence de me départir. Cette entreprife doit m'aflwer du pain, fans lequel il n'y a ni repos ni libertéparmi les hommes: Ie recueil fera d'ailleurs le monument fur lequel je compte obtenir de la poftériié le redrellement des jugemens iniques de mes contemporains. Jugez par-ia fi je dois regarder comraa importante pour. moi, une entreprife fur laquelie mon indépendance & ma réputation font iondées. Le libraire Fauche aidé d'une fociété, jugeni;t que cette affaire lui peut être avantageuie, deiira de f-'en charger, & preflentant i'obftacle qu-J vos Miniftraux peuvent mettre ii fon exécution, il projette, en fuppofant 1'agrément du Confeil d'Etat, dont pourtant je doute, d'établir fon imprimerie a Motiers. Ce qui me feroit trés-commode ; & il eft certain qu'a confidérer la chofe en hommes d'état, tous les membres du gouvernement doivent favotifer une entreprife qui verfera peut - être cent mille écus dans le pays. Cet agrément donc fuppofé, (c'eft fon affihe^ 1 5  202 Lettres de il refle a favoir fi ce fera Ia mienne de confemir $ cette propofition & de me lier par un traité en forme. Voila, Monfieur, fur quoi je vous confulte. Premièrement, croyez-vous que ces gensla ptiiffent ótre en état de confommer cette slfaire avec lionneur, foit du cóté de la dépenfe, foit du cóté de fexécution ? Car 1'édition que je pro» pofe de faire étant defiinée aux grandes biblioiheques, doit étre un chef-d'ceuvre de typographie, & je n'épiirgnerai point ma peine pour que c'en foit un de correélion. En fecond lieu, croyezvous que les engagemens qu'ils prendront avec moi, foient affez sürs pour que je puifle y comp»er & n'avoir plus de fouci la deflus le relle de ma vie? En fuppofant quoi, voudrez-vous bien m'aidc-r de vos foins & de vos confeils pour établir mes sutetés fur un fondement folide? Vous fentez que mes infirmités croiflint, & la vieilleffe avancant par-deflus le marché, il ne faut pas que, Stors d'état de gagner mon pain, je m'expofe ar> daager d'en manquer. Voila fesanten que je fou* mets ft vos lumières, & je vous prie de vous en ©ecuper par amitié pour moi. Voire réponfe, Monfieur, réglera la mienne. J'ai promis de la «lonner dans quinze jours. Marquez-moi, je vous jnie, avant ce temps !ft votre fentiment fur cette afïire, afin que je puifle me détermiuer,  J. J. ROUSSEAU. 203 Lettre a M. L d, A Motiers, le 9 Décembre 1764. Je voudrois, Monfieur, pour contenter votre obligeante fantaifie, pouvoir vous envoyer le profil que vous me demandez, mais je ne fuis pas en lieu ft rrouver ailément quelqu'un qui le fache traeer. j'efpérois me prévaloir pour cela de la vifite qu'un graveur hollandois qui va s'établir ft Morat» avoit deffein de me faire; mais il vient de me marquer que des affaires indifpenfables ne lui en laifToient pas le temps. Si M. Liotard fait un tour jufqu'ic , comme il pnrolt Ie défirer, c'eft une autre occafion dont je profiterai pour vous complaire, pour peu que Tétat cruel oü je fuis ra'en; iaiffe le pouvoir. Si cette feconde occafion me manque , je n'en vois pas de prochaine qui puifle' y fuppléer. Au refle je prends peu d'intétêt a mi figora, j'èti prends peu même ft mes livres; mais j'en prends beaucoup ft 1'cilime des honnêtes gens< dont les cceurs ont lu dans le mien. C'eft dans le vif amour du jufle & du vrai , c'eft dan» des penchans bons -& honnêtes qui, fans doute, m'.u.. tacheroient ft vous, que je voudrois vous faire' aimer ce qui eft vdritablement moi, & vous laifTer de mon eilsgie intéritt:rc na fouvenir qui vous fik. inréreffint. Je vous falue , Monfieur, de. tm*k san c®ar. Ë $  2C4 LïTTRES de Lettre^ M. d'hernois. A Motiers , le 29 Décembre i;6"4. Les vacherins que vous m'envoyez, feront difiribue's en votre nom dans votre familie. La cailfe de vin de Lavaux que vous m'annoncez, ne fera recue qu'en payant le prix, fans quoi elle reftera chez M. d'ivernois. Je croyois que vous feriea que'que attention a ce dont nous étions convenus ici: puifque vous n'y voulez pas avoir égard, ce fera déformais mon affaire; & je vous avoue que je commence a craindre que le train que vous avez pris, ne produife entre nous une ruputre qui m'affl-geroit beaucoup. Ce qu'il y a de psrfaitemenc iór, c'efi que petfonne au monde ne fera bien recu a vouloir me faire des préfens par force ; les vótres, Monfieur, font fi fréquens, & j'ofe dire, ft obilinés, que de la part de tout autre homme tn qui je reconnoltrois moins de franchife, je croitois qu'ils cachent quelque vue fecrète, qui ne fe découvriroit qu'en temps & lieu. Mon cher Monfieur, vivons bons amis, je vous en fupplie. Les foins que vous vous donnez pour mes petites commiffions, me font trés- préeieux. Si vous voulez que je croie qu'ils ne vous font pas importuns, faites - moi des comptes -fi exaéts qu'il n'y foit pas même oublié le psp;er pour lei paquets ou la ficelle des emballages. A cette coa-  J. J. ROUS S E A U. 205 ditïon j'accepte vos foins obligeans, & toute mon affeclion ne vous eft pas moins acquife que ma reconnoiftance vous eft düe. Mais de grace ne rendez pas la dtiTus une trcifième explication nécefr faire; car elie feroit la dernière bien surement. Vous trouverez ci-jointe Ia copie de Ia lettre de remerclment queM. C**. m'a écrire. Comment fe peut - il qu'a vee un cceur fi aimant & fi tendre, je 11e trouve par-tout que baine & que malveiilans? Je ne puis Ia-deflus me vaincre; 1'idée d'un feul ennemi, quoiqu'injufte, me fait fécher de douleur. Genevois, Genevois, il faut que mon amitié pour vous me coüte a la fin la vie. Lettre a M. D. P 31 Décembre 1764. VOT rc e lettre m'a touché jufqu'aux larmes. Je vois que je ne me fuis pas trompé , & que vous avez une ame honnête. Vous ferez un bomme précieux a mon cceur. Lifez 1'imprimé ci joint. (1) Voila, Monfieur , a queis enneïnis j'ai a faire; voilé les armes dont ils m'attaquenr. Renvoyez-moi cette pièce quand vous 1'aurez lue ; elle entrera dans les monumens de 1'hii'toire de ma vie. Oh! quand un jour le (O Ie libelle intitulé: Sentiment des Cifoyens. 1 7  205 Le TTRTiS DE voile fera tiré, que la poftérité m'aimeral qu'elle bénira ma mémoire! Vous, aitnez-moi maiutenant, & croyez que je n'en fuis pas indigne. Je vous embrafle. Lettre a M. de Gauffecourt. A Motiers-Travers , le is Janvier 1-65. J e fuis bien aife, mon cher Papa, que vous puiffiez envifager, dans la férénité de votre pai» fible apathie, les agitations & les traverfes de ma vie, & que vous ne laiiïiez pas de prendre aux foupirs qu'eiles m'atrachent, un intérêt digne' de notre ancienne amitié. Je voudtois encore plus que vous, que Ie «o» parüt moins dans les lettres écrites de la montagne; mais fans le moi, ces lettres n'auroknt point e.xifté. Quand on fit expirer le mal. heureux Calas fur la roue, il lui étoit dif&cile d'oublier qu'il étoit-Ia. Vous doutez qu'on permette une réponfe. Vous vous trompez, ils répondront par des libelles diffamatoires. C'eft ce que j'attends pour achever de les écrafer. Que je fuis heureux qu'on ne fe foit pas avifé de me prendre par des careffes! J'étois perdu ;je fens que je n'aurois jamais réfifié. Grace au cief, on ne m'a pas gaté de ce eöté- la., & je me fens inébtanltble par celui, au on  J. J. ROUSSEAC 20/ a choifi. Ces gens-la feront tant qu'ils me ren. dront grand & illuftre; au lieu que naturellement je ne devois être qu'un petit garcon. Tout ceci n'eft pas fint: vous verrez la fuite, & vous fentirez, je 1'efpêre, que les outrages & les libelies n'auront pas avili votre ami. Mes falutations, je vous prie, a M. de Quinfonas : les deux lignes qu'il a jolntes tt votre lettre me font précieufes ; fon amitié me paroit défirable, & il feroit bien doux de la former par un médiateur tel que vous. Je vous prie de faire dire a M. Bourgeois que je n'oublie point fa lettre, mais que j'attends pour y répondre , d'avoir quelque chofe de pofitif a, lui marquer. Je fuis faché de ne pas favoir fon adrefle. Bon jour, bon papa-, parlez-moi de temps en temps de votre fanté & de votre amitié. Je vous embrafle de tout mon cceur. P. S. 11 paroit a Genève une efpèce de défir de fe rapprocher de part & d'autre. Plüt a Dieu que ce défir füt fincère d'un cóté , & que j'eufle la joie de voir finir des divifions dont je fuis la caufe innocente! Plüt a Dieu que je puffe contri. buer moi - même i cette bonne oeuvre, par toutes les déférences & fatisfaétions que 1'honneur pent permetire! Je n'aurois rien fait de ma vie d'auffï bon cceur, & dès ce moment je me tairois pour jamais.  2oS Lettres de Lettre a Milord Maréchal. ...... 26 Janvier 1765. J'espekois, Milord, finir ici mes jours en, paix i je fens que cela n'eft pas poffiHe. Quoique je vive en toute süreié dans ce pays, fous la proteaion du Roi, je fuis trop prés de Genève & de Berne qui ne me laifleront point en repos. Vous lavez a quel ufage ils jugent a propos d'employer la religion. lis en font un gros torchon de paille enduit de boue qu'ils me fourrent dans la bouche i toure force, pour me mettre en pièces tout a leur aife, fans que je puifte crier. II faut donc fuir malgré mes maux, malgré ma parefle ; il faut chercher quelqu'endroit paifible oü je puiffe refpirer. Mais oü aller? voila, Milord, fur quoi je vous confuite. Je ne vois que deux pays è choifir : 1'Ang'etene,oui'italie. L'Angleietre fetoit bien plus ftlon mon humeur, mais elle eft moins convenable a, roa fanté, & je ne fais pas la langue , grand in* convénient quand on s'y tranfplante feul. D'ailleurs il y fait fi cher vivre qu'un homme qui manque de grandes refiburces, n'y doit point aller, ft moins qu'il ne veuille s'inttiguer pour s'en procurer, chofe que je ne ferai de ma vie; cela eft. plus décidé qee jamais. Le climac de 1'Italië me cocvieudcoit fort, &  J. J, R O U I S E A U. 2©9 «ion état, a tous égards, me le rend de beaucoup préférable ; mais j'ai befoin de proteftion pour qu'on m'y laiil'e tranquille. II faudroit que quelqu'un des Ptinces de ce pays-la, m'accordat un afyle dans queiqu'une de fes maifons, afin que Ie Clergé ne püt me chercher querelle, fi par hafard Ia fantaifie lui en prenoit: & cela ne me paroit ni bienféant a demander, ni facile a obtenir, quand on ne connott perfonne. J'aimerois aflez le féjour de Venife, que je connois déja. Mais quoique Jéfus ait défendu la vengeance a fes Apótres, SaintMarc ne fe piqué point d'obéir fur ce point. J'ai penfé que fi le Roi ne dédaignoit pas de m'honarer de quelque apparente commiffion ou de quelque titre fans fonétions, comme fans appointemens, (& qui ne fignifiat rien, que 1'honneur que j'aurois d'être a lui) je pourrois fous cette fauve-garde, foit a Venife, foit ailleurs, jouir en süreté du refpeét qu'on porte a tout ce qui lui appartient. Voyez, Milord , fi dans cette occurrence votre follicitude paternelle imagineroit quelque chofe , pour me préferver d'aller, (*) Ce qui me feroit finir allez triflement une vie bien malheureufe. C'eft une chofe bien précieufe a mon cceur, que le repos, mais qui me feroit bien plus précieufe encore, fi je la tenois de vous. 00 Cette lacune efl: radécbifiïable dans lc brouillon de Pauteur. 11 parotr qu'il y a fans ou bien fous les phml», expr^fiion que je ne comprends pas. Note de Féditcur.  2io Lettres de Au refte, ceci n'eft qu'une idéé qui me vient, & qui, peut-être, eft trés-ridicule. Un mot de votre part me décidera fur ce qu'il en faut penfer. Lettre a M. Balliere. A Motiers, le 28 Janvier 1765» Deux envois de M. Duchefne, qui ont demeuré' trés-long-temps en route, m'ont appoité, Monfieur , 1'un votre lettre, & 1'autre votre livre (*). Voila ce qui m'a fait tarder fi long-temps ft vous retnercier de 1'une & de 1'autre. Que ne donneroisje pas pour avoir pu confulter votre ouvrage ou Yos lumières, il y a dix ou douze ans, lorfque je travaillois ft raffembler les articles mal digérés que j'avois faits pour 1'Encyclopédie ! Aujourd'hui que cette collection eft achevée, & que tout ce qui s'y rapporte eft entièrement effacé de mon efprit, il n'eft plus temps de reprendre cette longue & ennuyeufe befogne, malgré les erreurs & les fautes dont elle fourmille. j'ai pourtant le plaifir de fentir quelquefois que j'étois, pour ainfi dire, ft la pifle de vos découvertes, & qu'avec un peu plus d'étude & de méditation , j'aurois pu peut-être en atteindre quelques-unes. Car, par exemple , j'ai trés-bien vu que 1'expérience qui fert de principe ft M. Rameau, n'eft qu'une partie (») Un exemplaire de la Théorie de la Mufijue.  j. j. R O ü S 5 e A V. SM de celle des aliquotes, & que c'eft de cette derniére, prife dans fa totalité, qu'il faut déduire le fyftême de notre harmonie: mais je n'ai eu du refte que des demi-lueurs qui n'ont fait que m'égarer. II eft trop tard pour revenir maintenant fur mes pas, & il faut que mon ouvrage refte avec toutes fes fautes, ou qu'il foit refondu dans une feconde édition par une meilleure main. Plüt a Dieu, Monfieur, que cette main füt la vótre! vous trouveriez peut-être aflez de bonnes recherches toutes faites pour vous épargner le travail du manceuvre, & vous laifler feulement celui de 1'architecte & du théoricien. Reccvez, Monfieur, je vous fupplie, mes tréskumbles falutations. Lbttre & M. du Peyrou. A Motiers, le 31 Janvier 1765. a »t .*, ikfrbv...-. t- Vo i c \, Monfieur, deux exemplaires de la pièce que vous avez déja vue, & que j'ai fait imprimer a Paris. C'étoit la meilleure réponfe qu'il me convenoit d'y faire. Voici aufli ia procuration fur votre dernier modèle, je doute qu'elle puiffe avoir fon ufage. Pour. vu que ce ne foit ni votre faute ni la mienne, il importe peu que 1'affaire fe rompe; naturellement je dois m'y attendre, & je m'y attends.  «la LlTTRES DE Voici, enfin, la lettre de M. de Buffon , de laquelle je fuis extrémeinent touché. Je veux lui écrire; mais la crife horrible cü je fuis ne me le permettra pas fitót. Je vous avoue cependant que je n'entends pas bien le confeil qu'il me donne, de ne pas me mettre ft dos M. de Voltaire j c'eft comme fi 1'on confeilloit ft un paffant attaqué dans un grand chemin, de ne pas fe mettre a dos le brigand qui 1'aiTaffine. Qu'ai-je fait pour m'attirer les perfécutions de M. de Voltaire, & qu'ai-je ft craindre de pire de fa part? M. de Buffon veut-il que je fiéchifle ce tigre altéré de mon fang? Il fait bien que rien n'appaife, ni ne fléchit jamais la fureur des tigres. Si je rampois devant Voltaire, il en triompheroit fans doute, mais il ne m'en égorgeroit pas moins. Des baffeffes me déshonoreroient, & ne me fauveroient pas. Monfieur, je fais fouffrir; j'efpère apprendre a mourir j & qui fait cela, n'a jamais befoin d'être lache. II a fait jouer les pantins de Berne ft 1'aide de fon ame damnée le Jéfuite B d; il joue ft préfent le même jeu en Hollande. Toutes les puiflances plient fous 1'ami des miniftres tant poliques que présbytériens. A cela que puis-je faire? Je ne doute prefque pas du fort qui m'attend fur le canton de Berne, fi j'y mets les pieds; cependant j'en aurai le cceur net & je veux voir jufqu'oü, dans ce fiècle aufli doux qu'éclairé, la philofophie & 1'humanité feront pouiTées. Quand 1'inquifueur Voltaire m'aura fait biüler, cela ne  J. J. R O V S S E A U. 113 fèra pas plaifant pour moi, je 1'avoue; mais avouez aufli que pour ia chofe, cela ne fauroic 1'être plus. Je ne fais pas encore ce que je deviendrai cet été. Je me fens ici trop prés de Genève & de Berne, pour y goüter un moment de tranquillité. Mon corps y eft en süreté, mais mon ame y eft incefiamtnent bouleverfée. Je voudrois trouver quelque afile oü je puffe au moins achever de vivre en paix. J'ai quelque envie d'aller chercher en Italië une inquifition plus douce, & un climat moins rude. J'y fuis défiré, & je fuis sür d'y être accueilli. Je ne me propofe pourtant pas de me tranfplanter brufquement, mais d'aller feulement reconnoitre les lieux, fi mon état me le permet, & qu'on me Iaifle les paflages libres, de quoi je doute. Le projet de ce voyage trop éloigné, ne me perraet pas de fonger ft le faire avec vous, & je crains qua robjet qui me le faifoit fur-tout défirer, ne s'éloigne. Ce que j'avois befoin de conaoitre mieux, n'étoit affurément pas la conformité de nos feminiens & de nos principes, mais celle de nos humeurs, dans la fuppofition d'avoir ft vivre enfemble comme vous aviez eu 1'honnê* teté de me le propofer. Q.telque parti que je prenne , vous connoitrez , Monfieur, je m'en flatte, que vous n'avez pas mon eftime & ma confiance ft demi; & fi vous pouvez me prouver que certains arrangemens ne vous porterout pas un öoiable préjudice, je vous remettrai, puifque vous  2i4 lettres de' le voulez bien, 1'embarras de tout ce qui regarde, tant la colleftion de mes écrits que 1'h.onneur de ma mémoire, & perdant toute autre idéé que de me préparer au dernier paflage, je vous devrai avec joie, le repos du refte de mes jours. J'ai 1'efprit trop agité maintenant pour prendre un parti: mais après y avoir mieux penfé, quelque parti que je prenne, ce ne fera point fans en caufer avec vous, & fans vous faire entrer pour beaucoup dans mes réfolutions dernières. Je vous embrafle de tont mon cceur. Lettre ü m. s. b. ..... 2 Février 1765. J'ai recu , Monfieur, avec la lettre que vous m'avez fait 1'honneur de m'écrire le 29 Janvier, 1'écrit que vous avez pris la peine d'y joindre. Je vous remercie de 1'une & de 1'autre. Vous m'affurez qu'un grand norobre de leacurs me tiaitent d'homme plein d'orgueil, de préfomplion, d'arrogance; vous avez foin d'ajouter que ce font-la leurs propres expreffions. Voila , Monfieur, de fort vilains vices dont je dois tacher de me corriger. Mais fans doute ces Meflieurs qui ufent fi libéralement de ces termes, font eux. mêmes G remplis d'humilité, de douceur, & de modeftie, qu'il n'eft pas aifé d'en avoir autans qu'eux.  J. J. R O u s f E a U. 215 Je vois, Monfieur, que vous avez de la fanté, du loifir, & du goüt pour la dilpute. Je vous en fais mon compliment; & pour moi qui n'ai rien de tout cela, je vous falue, Monfieur, de tout mon cceur. Lettre it M. p. Chappuis. Motiers, le 2 Février 1755. J'ai lu, Monfieur, avec grand plaifir la lettre dont vous m'avez honoré, le 18 Janvier. J'y trouve tant de juftefie, de fens, & une fi honnête franchife, que j'ai regret de ne pouvoir vous fuivre dans les détails oü vous y êtes entré. Mais, de grace, mettez-vous a ma place; fuppofez 'vous malade, accablé de chagrins, d'affaires, de lettres, de vifites, excédé d'importuns de toute efpèce qui, ne fachant que faire de leur temps, abforberoient impitoyablement le votre, & dont chacun voudroit vous occuper de lui feul & de fes idéés. Dans cette pofition, Monfieur, car c'eft la mienne, il me faudroit dix têtes, vingt mains, quatre fecrétaires & des jours de quarantehuit heures pour répondre a tout; encore ne pourrois-je contenter perfonne, paree que fouvent deux lignes d'objeaions demandent vingt pages de folutions. Monfieur, j'ai dit ce que je favois, & peut-  2Ig lettres de éire ce que je ne favois pas; ce qu'il y a de sur, c'eft que je n'en fais pas davar.tage ; ainfi je ne ferois plus que bavarder, il vaut mieux me taire. je vois que la plupart de ceux qui m'écrivent, penfent comme moi fur quelques points & diffétemment fur d'autres: tous les hommes en font apêu-près la; il ne faut point fe tourmenter de ces différences inévitables, fur - tout quand on eft d'accord fur 1'eflentiel, comme il me paroit que n jus le fommes vous & moi. Je trouve les chefs auxquels vous réduifez les éclairciflemens a demander au confeil affez raifonnables. II n'y a que le premier qu'il faut retrancher comme inutile, puifque ne voulant jamais rentrer dans Genève, il m'eft parfaitement égal que le jugement rendu contre moi foit ou ne foit pas redreffé. Ceux qui penfent que 1'intérêt, ou la paflïon m'a fait agir dans cette affaire, lirent bien mal le fond de mon cceur. Ma conduite eft une, & n'a jamais varié fur ce point; ii mes contemporains ne me rendent pas juflice en ceci, je m'en coiifole en me la rendant a moi - même, & je 1'attends de la poflérité. Bon jour, Monfieur; vous croyez que j'ai fait avec vous en finiflant ma lettre. Point du tout; ayant oublié votre adrefle, il faut maintenant la retourner chercher dans votre première lettre , perdue dans cinq eens autres , cü il me faudra peut-être une demi-journée pour la trouver. Ce qui achêve de m'étourdir eft que je manque d'or-  j. j. R o u s s e a V. «17 d'ordre: mais le découragement & la parede m'abforbent, m'anéanciifent, & je fuis trop vieux pour me corriger de rien. je vous falue de tout mort cceur. Lettre d Mde Guienet. ...... 6 Fe\'rier 1.765. Q u e j'apprenne a ma bonne amie mes bonnes nouveiles. Le sa Jmvier on a brülé mon livre a la Haye ; on doit aujourd'hui le briiler a Genève; on Ie brülera , j'efpère, encore ailleurs. Voila, par le froid qu'il fait, des gens bien brülans. Que de feux de joie brillenr a mon honneur dans l'£urope I Qu'ont donc fait mes autres écrits pour n'èsre pas auffl brülés, & que n'en ai-je a faire briller encore? Mais j'ai fiiii pour ma vie; il fauc favoir mettre des bornes a fon orgueil. Je n'en mets point a mon attachement pour vous, & vous voyez qu'au milieu de mes ttiomphes, je n'oublie pas mes amis. Augmentez- en bientót Ie nombre, chére Ifabelle. J'en attends I'heureure nou/elle avec Ia plus vive impatience. II ne manque plus rien a ma gloire, mais il manque a mon bonheur d'être grand-papa. (*). C*) M4e. Guienet appeloit M, Rouüeau fon papa. Suppl. Tom. VIII. K  biG Lettres de Lettue^ M. k Nieps. 8 Février 1765. Je commencois a être inquiet de vous, cher ami; votre lettre vient bien a propos me tirer de peine. La violente crife oü je fuis ,me force a ne vous parler dans celle- ci que de moi. Vous aurez vu qu'on a brülë, le 22, mon livre , a la Haye. Rey me marqué que le minitlre Chais s'eft donné beaucoup de mouvemens, & que 1'inquifiteur Voltaire a écrit beaucoup de lettres pour cette affaire. Je penfe qu'avant- hier le Deux Cent en a fait autant a Genève; du moins tout étoit préparé pour cela. Toutes ces brüleries font fi bêtes qu'elles ne font plus que me faire rire. Je vous envoie, ci-joint, copie d?une lettre (*) que j'écrivis avant- hier, la-deflus, a une jeune femme, qui m'appelle fon papa. Si la lettre vous paroit bonne, vous pou;vez la faire courir, pourvu que les copies foient .exacles. Prévoyant les chagrins fans nombre, que m'attireroit mon demicr ouvrage, je ne le fis, qu'avec répugnsnce, malgté moi, & vivement follicité. Le vöila fait, publié, brülé. Je m'en tiens- la. Non.feulemem je ne veux plus me mêler des aftaires de Genève, ni merrie en entendre parler, mais (•) c'tft celle ctctortre, da 6 Février.  J. J. KovsazAV. »X9 pour le coup, je quftter tout a fait la plume, èt foyez afluré que; rien au monde ne me la fera ra. prendre. Si 1'on m'eüt laiiïé faire, il y a long. temps que j'aurois pris ce parti; mais il eft pris fi bien que, quoi qu'il arrivé, rien ne m'y fera renoncer Je ne demande au ciel que quelqu'intervalle de paix jufqu'a ma dernière heure, & tous mes malheurs feront oubliés; mais dut-on me pourfuivre jufqu'au tombeau, je ceffe de me défendre. Je ferai comme les enfans & les ivrognes, qui fe laiffent tomber tout bonnement quand 01 les poufle, & ne fe font aucun mal;au lieu qu'un homme qui veut fe roidir, n'en tombe pas moins, & fe calle une jambe ou un bras par deflus le ïnarché. On répand donc que c'eft 1'inquillteur qui m'a écrit au nom des Cortes, & que j'ai donné dans un piège fi fubtil. Ce qui me paroit ici tout - afait bun, eft que 1'inquifiteur trouve plaifant de fe faire paiTer pour fauffiiire, pourvu qu'il me faflè p:fTer pour dupe. Suppofons que ma Xlupidité fut telle, que fans autre inforaia;ion j'eulfe pris cette prétendue lettre pour argent comptant : eftil concevable qu'une pareille négociation fe füt fioruée a cette unique lettre, fans. inftruétions, fans .éclairciflemens, fans mémoires, fans précis d'aucune efpèce? Ou bien , M. de Voltaire aurat-il pris la peine de fabiiquer aufïi tout cela ? Je veux qae fa profonde érudition ait pu trotnper, fur.ee poiat, mpn ignorance; tout cela n'a pu fa K 2  22<5 Lettres de faire au moins fans avoir de ma part quelque réponfe, ne füt. ce que pour favoir tl j'acceptois la propofuion. 11 ne pouvoit même avoir que cette réponfe en vue pour attefter ma crédulité: ainfi, fon premier foin a dü être de fe la faire écrire; qu'il la montre, & tout fera dit. Voyez comment ces pauvres gens sccordent leurs flütes. Au premier bruit d'une lettre que j'avois recue, *on y mit aufiitót pour emplètre que Mrs. Helvétius & Diderot en avoient recu de pareille?. Que font maintenant devenues ces lettres ? M. de Voltaire a-t-il aufli voulu fe moquer d'eux? Je ris toujours de vos Parifiens, de ces efprits fi fubtlls, de ces jolis faifeurs d'épigrammes, que leur Voltaire mène inceflamment avec des contes de vieilles, qu'on ne feroit pas croire aux enfans. J'ofe dire que ce Voltaire lui-même, avec tout fon efprit, n'eft qu'une béte, un méchant trés - maladroir. II me pourfuit, il m'écrafe, il me perfécute & peut-être me fera t-il périr a la fin; grande mc-rveille, avec cent mille livres de rente, tant d'amis pufflans a la cour, & tant de fi bafles cajoleries, contre un pauvre homme dans mon état. J'olè dire que fi Voltaire, dans une fituation pa■ reille a la mienne, ofoit m'attaquer; & que je daignaflè employer contre lui fes propres armes, il feroit bientót terraflé. Vous allez juger de la fiuefle de fes pieges par un fait qui peut-être a donné lieu au bruit qu'il a répandu, comme s'il eüt éié air d'avat.ee du fuccès d'une mie fi bien conduite.  J. J. R O ü g S E A U. 321 ün chevalier de Malte, qui a beaucoup bavardé daus Genève , & dit venir d'Italie, efl venu me voir, .1 y a quinze jours, de Ia part du général Paoli, faifant beaucoup 1'emprefié des comraiffions dont il fe difoit chargé prés de moi, mais me diftnt au fond trés-peu de chofe, & m'éta. lant d'un air important d'aflez chétives paperalTes fort pochetées. A chaque pièce qu'il me montroit, H éïoit tout étonné de me voir tirer d'un tiroir la méme pièce, & Ia lui montrer a mon tour. Pai va que cela le mortifioit d'autant plus, qu'ayant fait tous fes efforts pour favoir quelles relations je pouvois avoir eues en Corfe, il n-a pu Iè.deflüs m arracher un feul mot. Comme i! ne m'a ooint appor.é de lettres, & qu'il n'a voulu ne fe nommer, ni me donner la moindre noiion de lui ie M remercié des vifites qu'il vouloit continue/ de me faire. Il n'a pas laiiTé de pafler encore ici dix ou douze jours fans me revenir voir. Tout cela peut étre une chofe fort fimple. Peut-etre ayant quelque envie de me voir, n'aMl cherché qu'un prétexte pour s'introduire & peut-étre eft-ce un galant homme, très bien inten. nonné, & qui n'a d'autre tott dans ce fait, que davo.r fait un peu trop 1'empreflé pour rien. Mais comme tant de malheurs doivent m'avoir aPp is a me tenir fur mes gardes, vous m'avouerez que fi ceft un piêge, il n'eft pas fin. nnM'JrS m'a écrit 11110 >«»e honnête, pour.défavouer avec horreur le libelle. Je lui al K 3  122 Lettres r> e répondu très-honnêtement, & je me fuis oMgé de contribuer, autant qu'il m'efl poffib!e,a répan* dre Ion défaveu, dans le douce que quelqu'ün, plus meenam que lui, ne fe cacbe fous fon manteau. L u t t u e & M. D. />....». a Motiers , le 14 Février 17(55. Voici, Monfieur, Ie projet que vous avez pris.la peine de dreffer, fur. quoi je ne vous dis tien, par la raifon que vous favez. Je vous prie, fi cette affaire doit fe conclure,. de vouloir bien déctder de tout a votre vo!onté;je confirmerai tout: car pour moi, j'ai maimenaut 1'efprit a mille-lieues; de-la; & fans vous, je n'irois pas plus loin, par le feul dégoüt de parler d'affaires. Si ce que les. affociés difent dans leur réponfe, article premier de mon ouvrage fur la Mufique , s'entend du dierionnaire , je m'en rapporte la • deflus a la réponfe verbale que je leur ai faite. J'ai fur cette compilation des engagemens antérieurs, qui ne me permettent plus d'en difpofer , & s'il arrivoit que changeant de penfée, je le comprifle dans mon recueil, ce que je ne promets nullement, ce ne feroit qu'après qu'il auroit été imprimé a part par, lo libraire auquel je fuis engagé. Vous ne devez point, s'il vous plait, pafftr  J. J. R OUSSEAU. 223 outre, que les affociés n'aient le confentement formel du confeil d'Etat, que je doute fort qu'ils obtiennent. Quant a la permiffion qu'ils ont demandée a la cour, je doute encore plus qa'elle leur foit accordée. Müord Maréchal connolt tadeffus mes intentions; il fait que non ■ feulement je ne demande rien, mais que je fuis très-déterminé a, re jamais me prévaloir de fon crédit a la cour, pour y obtenir quoi que ce puiffe être, reiative* ment' au pays oü je vis, qui n'ait pas 1'agréraent du gouvernement particulier du pays même. Je n'entends me tnêier en aucune facon de ces chofesla, ni traiter qu'elles ne foient décidées. Depuis hier que ma lettre eft écrite, j'ai la preuve de ce que je foupconnois depuis quelquei jours, que 1'écrit de V. ...s trouvoit ici pat mi lei femmes autant d'applaudiffement qu'il a caufé d'indignation a Genève & a Paris, & que trois ans d'une conduite irréprochable fous leurs yeux mêmes, ne pouvoient garantir la pauvre Mlle. le Vaffeur de 1'effet d'un libelle venu d'un pays oü ni moi ni elle n'avons vécu. Peu furptis que ces viles- ames ne fe connoiffent pas mieux en vertu qu'en mérite, & fe plaifent a infulter aux malheureux, je prends enfin la ferme réiblution de quitter ce pays, ou du moins ce vilbge, & d'aller chercher une habitation oü 1'on juge les gens fur leur conduite, & non fur les libelles de leurs ennemis. Si quelque autre honnête étranger veut connolcre Motiers, qu'il y pafte, s'il peut,trcis K 4  524 Lettres be ans comme j'ai faic, & puis qu'il en dife des nouveiles. Si je trouvois a Neuchatel ou aux environs un logement convenable , je ferois homme a 1'aller occuper en attendant. Lettre d M,- D. ƒ>....». 4 Wars 1765. J e vous dols une réponfe, Monfieur, je le fais. L'horrible fituation de corps & d'ame oü je me trouve, ni'óte la force & le courage d'écrire. J'atrendois de vous quelques mots de confolation : mais je vois que vous comptez a la rigueur avec les malheureux. Ce procédé n'eft pas injufte, mais il efl un peu dur dans 1'amitié. Lettre au même. a Motiers, le 7 Mars 1765, Pour DieH ne vous fachez pas, & fachez par« donner quelques torts a vos amis dans leurs misè. res- Je n'ai qu'un ton, Monfieur, & il eft quelqnefois un peu dur; il ne faut pas me juger fur mes expreflïons, mais fur ma conduite; elle vous honore , quand mes teimes vous olfetifent. Dans le  J. J. ROUSSEAU, 225 Ie befoin que j'ai des confolations de 1'amitié, je fens que les vócres me manquent, & je m'en plains: cela efl - il donc fi défoblfgeam ? Si j'ai éctit a d'auires, commem n'avez-vous pas fenti 1'abfolue néceffité de répondre, & furtout dans la circonftance, a des perfonnes avec qui je n'ai point de correfpondance habimelle, & qui viennent au fort de mes malheurs, y prendre le plus généreux intérêt? Je croyois que fur ces lettres même vous vous diriez : U n'a pas k tems de m'écrire, & que vous vous fouviendriez de nos conventions. Falloit - il donc dans une occafion fi critique, abandonner tous mes intéréts, toutes mes affaires, mes devoirs méme, de peur de manquer avec vous a 1'exacTitude d'une réponfe dont vous 111'aviez difpenfé ? Vous vous feriez offenlë de ma ctainte , & vous auriez eu raifon. L'idée même, très-fauffe affurément, que voua avicz de m'avoir ch'griné par votre lettre, n'étoit-elle prs pour votre bon cceur un motif de réparcr le mal que vous fuppofiez m'avoir fait? Dieu vous préferve d'afflictions; mais en pareil ca?, foyez sur que je ne compterai pas vos réponfes. En tout autre cas, ne comptez jamais mes lettres, ou rompons tout de fuite, car aullï bien , ne tarderions-nous pas è rompre. Mon caractère vous eft connu,je ne faurois le changer. Toutes vos autres raifons ne font que trop boi.nes. Je vous plains dans vos tracas, & les sppioches de votre goutte me chagrinent furK 5  226 Lettres de ,'out vivement, d'autam plus que dans 1'extrême befoin de me difiraire, je me promettors des promenades délicieufes avec vous. Je fens encore que ce que je vais vous dire peiu Sire. bien déplacé parmi vos affaires, mais il laut vous mouirer fi je vous crois le cceur dur , & fi je msnque de confiance en votre amidé. Je ne fais pas des complimens, mais ja prouve. 11 faut quitter ce pays, je le fens; il eft: trop prés de Genève ;on ne m'y laifferoit jamais en repos. II n'y a guéres qu'un pays catholique qui me convienne; & c'eft de-la, puisque vos rriniftres veulent tant Ia guerre, qu'on peut leur en donner le plaifir tout leur foül. Vous fentez, Monfieur, que ce déménagetsem a fes embarras. Voulez -vöua être ddpoiitaire- de mes effen, en attendant que je me fi«tf Voulez.. _ vous acheter mes livres, ou m'aider a les vendre ? Voulez-vous prendre quelqu'anangcmeut, quant i, mes ouvrages,qui me délivre de 1'horreur d'y penfer, & de m'en occuper le refte de ma vie? Toute cette rumeur eft uop vive & trop km pour pouvoir durer. Au bout de deux on tiots ans toutes les difficultés pour 1'impreffion feiont ïevées, fur-tout quand je n'y ferai plus. En tout cas les autres lieux, même au voifinsge, „e rranqueront pas. 11 y a fur tout cela du détails qu'il feroit trop long d'écrire, & fur lefquels, fans que vous foyez maicband, fans qu* vous -me fsffez 1'aumóne, cet amrgcmcBt  J. J. R O U S S E A O*. 227 peut m'être utile, & ne vous pas être onéreux. Cela demande d'en conférer. 11 faut voir feulemetit fi vos affaires préfentes vous pcrmettent de penfer ft ce!le - la. Vous favez donc le trifte état de la pauvre Mde G t, femme aimable, d'un vrai merite, d'un efprit aufli fin que jufle , & pour qui Ia vertu n'étoit pas un vain mot; fa familie eft dans la plus grande défolation; fon mari efl au défefpoir, & moi je fuis déchiré. Voila, Monfieur, 1'objet que j.'ai fous les yeux pour me confoler d'un tiffu de malheurs fans exemple. J'ai des accès d'abattement; cela efl affez naturel dans 1'état de maladie: & ces accès font trésfenfibles, paree qu'ils font les momens oü je cherche le plus a m'épancher. Mais ils font courts, & n'mfluent point fur ma conduite. Mon état habitué! eft Ie courage, & vous le verrea peut-êtrj dans cette affaire, fi 1'on me pouffe ft bout; car je me fais une loi d'être patiënt jufqu'au moment ou 1'on ne peut plus 1'être fans lacheté. Je ne fai» quelle diable de mouche a piqué vos Mefiïeurs 5 mais i! y a bien de l'extravagance ft tout ce vacarme; ils en rougiront fitót qu'ils feront calmés. Mais que dites «vous, Monfieurde> fétourderie de vos miniftres, qui devroient tremblef qu'on apptrc jt qu'ils exiftent, & qui vont fottement payer pour les autres dans une affaire qui ne k-s regarde pas. Je fuis perfuadé qu'ils s'imagineiit que je vais refter fui la défenfive, & faïri le péK 6  228 Lettres de uitent & Ie fuppliant: Ie Confeil de Genève Ie croyoit aufli, je 1'ai défabufé; je me charge de les défabufer de même. Soyez-moi témoin , Monfieur, de mon amour pour la paix, & du plaifir avec lequel j'avois pofé les armes; s'ils me forcenr a les reprendre, je les reprendrai: car je ne veux pas me laiffer battre a terre, c'eft un point tout réfolu. Quelle prife ne me donnent-ils pas? A trois ou quatre prés que j'honore & que j'excepte, que font les autres? Quels mémoires n'aurai-je pas fur leur compte? Je fuis tenté de faire ma puix avec tous les autres Clergés, aux dépens du votre; d'en faire le bouc d'expiaiion pour les péchés d'Ifraël. L'invention eft bonne , & fon fuccès eft certain. Ne feroit» ce pas bien fervir 1'Etat, d'abattre fi bien leur morgue, de les avilir a tel point, qu'ils ne puiTent jamais plus ameuter les peuples? J'efpère ne me pas livrer a la vengeance; mais fi je les touche,comptez qu'ils font nortf. Au refte, il faut premiêrement attendre 1'exccmmunicatiou; car jufqu'a ce moment ils me ticnnsnt; ils font mes pafteurs, & je leur dois du refpecl. J'ai la- defliis des maximes dont je ne me départirai jamais, & c'eft pour cela même que je les trouve bien peu fages de m'aimex mieux loup que brebis*  J. J. R o u s s e a u. 2217 Lettre a M. Laliaud. A Motiers, le j Avril 1705. Pu is que vous le voulez abfblument, Monfieur, Voici deux mauvaifes efquiffes que j'ai fait faire, faute de mieux , par une manière de peintre qui a paiTé par Neuchatel. La grande efl un profil i la filhouette, cü j'ai fait ajouter quelques traits en crayon pour mieux déterminer la pofition des traits; 1'autre eft un profil tiré a Ia vue. On ne trouve pas beaucoup de reiTemblance a 1'un ni h 1'autre, j'en fuis laché, mais je n'ai pu faire mieux; je crois même que vous me fauriez quelque gré de cette petite attention, fi vous connoiffiez ia fituation, oü j'étois, quand je me fuis ménagé le moment de vous complaire. 11 y a un portrait de moi, trés refiemblanr, dans 1'appartement de Mde. la Maréchale de Luxembourg. Si M. le Moine prenoit la peine de s'y tranfportei & demander de ma part M. de la Roche, je ne doute pas qu'il n'eüt la cornpl&ifance de le lui montrer. Je ne vous connois, Monfieur, que par vos lettres, mais elles refpirent la droiture & 1'honnêreté ; elles me donnent la plus gtande opinion de votre ame; 1'eflime que vous m'y rémoignez me flatte, & je fuis bien aifè que vous fachiez qu'elle fait une des confolations de ma vie. K 7  230 Lettres de Lettre a M. du- Peyrou. . . Vendredi, 12 Avril 1765. Plus j'étois touché de vos peines, plus j'étois faché contre vous , & en cela j'avois tort; le commencement de votre lettre me le prouve. Je ne fuis pas toujours raifonnable, mais j'aime toujours qu'on me parle raifon. Je voudrois con« noftre vos peines pour les foulager, pour les partager du moins. Les vrais epanchemens du cceur veulent non- feulement 1'amitié, mais la familiarité, & la familiariié ne vicnt que par 1'habitude de vivre enfemble. PuiiTe un jour cette habitude fi douce, donner entre nous a 1'amitié tous fes charmes! je les feniirai ttop bien, pour ne pas vous les faire fentir aufli. Au train dont la neige tombe, nous en auronj ce foir plus d'un pied: cela & mon état encore empiré, m'óterout !e plaifir de vous aller "voir auf. fitót que je 1'efpérois. Sitót que je le pourrai, coinptez que vous veirez celui qui vous aime. L e t t r e a M. d. P.,..w. ...... 22 Avril 1765. X»' amitié efl une chofe fi fainte, que le nom  J. J. RoUSSEAÜ. £JI n'en doit pas même être employé dans Pbffige ordinaire. Ainfi nous ferons amis, & nous ne nous dirons pas mon ami. J'eus un furnom jadis que je crois mériter mieux que jamais. A Paris on ne m'sppeHoit que le Citoyen. Rendez - moi ce titre qui m'eft fi cher, & que j'ai payé fi cher; faites même en forte qu'il fe propage, & que tous ceux qui m'aiment, ne m'appellent jamais Monfieur; mais en parlant de moi, le Citoyen; & en m'écrivsnt, mon cher Citoyen. Je vous charge de fairé connoitre ce que je défire, & je ctois que tous vos amis & les miens me feront volontiers ce plaifir. En attendaut, commencez par donner 1'exemple.A votre égard, prenez un nom de fociété qui vous plaife, & que je puifle vous donner. Je me plais a fonger que vous devez être un jour mon cher hóte, & j'aimerois a vous en donner le ritfe d'avance; mais celui la, ou un autre, prenez en un qui foit de votre goüt, & qui fupprime entre nous le mauflade mot de Monfieur, que 1'ainirié & fa familiarité doivent profcrire. Je fcuffre toujours beaucoup. Je vous embrafle. L e t t r e d M. cTIvernois. A Motiers, le 22 Avril 1715. J' a 1 recu, Monfieur, tous vos e.ivois, dk ma  «32 Lettres db fenfibilité a votre amitié augmente de jour en jour: mais j'ai une grace a vous demander, c'eft de ne me plus parler des affaires de Genève, & de ne plus m'envoyer aucune pièce qui s'y rap. porte. Pourquoi veut-on abfolument, par de fi triftes images, me faire finir dans 1'afflicTion le refte des malheureux jours que la nature m'a comptés, & m'óter un repos dcnt j'ai fi grand befoin, & que j'ai fi chèrement acheté? Quelque plaifir que jne faffe votre correfpondance, fi vous continuez d'y faire entrer des objets dont je ne puis ni ne veux plus m'occuper, vous me forcerez d'y renoncer. Je vous remercie du vin de Lunel: mais, mon cher Monfieur, nous fommes convenus, ce me femble, que vous ne m'enverriez plus rien de ce qui ne vous coüte rien. Vous me paroiffez n'avoir pas pour cette convention Ia même mémoire qui vous fert fi bien dans mes commiflions. Je ne peux rien vous dire du Chevalier de Malte; il eft encore a Neuchatel. II m'a apporté une kure de M. de Paoli, qui n'eft certainement pss fuppofée. Cependant la conduite de cet homme» la eft en tout fi extraordinaire, que je ne puis prendre fur moi de m'y fier; & je lui ai remis pour M. Paoli, une réponfe qui ne fignifie rien, & qui le renvoiea notre correfpondance ordinaire, laquelle n'eft pas connue du Chevalier. Tout ceci, je vous prie, entre nous. Mon état esapire au lieu des'adoucir. II me vient  j. j. R O Ü S S E A u. £33 du monde des quatre coins de 1'Europe. Je prends Ie parti de laifler a la pofte les lettres que je ne connois pas, ne pouvant y fuffire. Selon toute apparence, je ne poutrai guéres jouir a ce voyage du plaifir de-vous voir tranquillemenr. 11 faut efpérer qu'une autre fois je ferai plus heureux. Lettres M. d. P . . . . ». 29 Avril 1755. J a 1 recu votre préfent (*): je vous en remercie; 11 me fait grand plaifir & je brüfe d'être a portée d'en faire ufage. j'ai plus que jamais la paflion 4e la botanique; mais je vois avec confufion , que je ne connois pas encore aifez de plantes empiriquement, pour les étudier par fyftême. Cependant je ne me rebuterai pas; & je me propofe d'aller dans la belle faifon pafler une quinzaine de jours prés de M. Ganebin, pour me mettre en état du moins de fuivre mon Lincaus. J'ai dans la tête que, fi vous pouvez vous foutenir jufqu'au temps de notre'caravanne, elle vous garantira d'être arrété durant le refte de 1'année, vu que Ia goutte n'a point de plus grand ennemi que 1'exercice pédeflre. Vous devriez prendre Ja botanique par remède, quand vous ne la prendriez (*) Les Ouvrages de Linnseus.  234 Lettres de pas par goüt. Au refte , je vous avertis que le charme de cette fcience confifte lurtout dans 1'étude anatomique des plantes. Je ne puis faire cette étude a mon gré, faute des inftrurnens né. celTaires, comme microfcopes de drverfes mefures de foyer, petites pinces bien menues, fembiables aux bfuiTeües des joailüers, cifeaux trés-fins a découper. Vous devriez taeher de vous pourvoir de tout cela pour notre courfe; & vous verrez que 1'ufage en eft trés-agréable & très-inflruaif. Vous me parlez du temp remis: il ne 1'eft aflurement pas ici; j'ai fait quelques eflais de fortie qui m'ont réufil médiocrement, & jamais fans pluie. II me tnrde d'aller vous embrafler; mais il faut faire des vifites, & cela m'épouvante un peu, furtout vu mon état. Quand verrez - vous la fin de ce vilain procés ? Je voudrois aufli voir déja votre batiment fini, pour y occuper ma celluie, & vous appelier tout de bon, mon cher hóte. Bon jour. L e t t k e au même. Jeudi 23 Mai 1765. J'espebe, mon cher hóte, que cette vilaine goutte n'aura fait que vous menacer. Danfez & marchez beaucoup; tourmentez - la fi bien, qu'elle nous laiflö en repos projeter & faire notre courfe;  J. J. -R O U ê 5 E A V. 23>J on dit que les péierins n'ont jamais Ia goutte; rien n'eft donc tel pour 1'éviter, que de fe faire pélerin. Sultan m'a tenu quelques jours en peine; fur fon état préfent, je fuis parfaitement raffuré: ce qui m'allarmoit Ie plus étoit la promptitude avec laquelle la plaie s'étoit refèrmée. II avoit a Ia jambe un trou fort profond: elle étoit enflée: 11 fouffroit beaucoup, & ne pouvoit fe foutenir. En cinq ou fix heures, avec une fimple application de thé. riaque, plus d'enfinre, plus de douleur, plus de trou, a peine en ai-je pu retrouver la place; il eft: gaillardement revenu de fon pied a Motiers, & fe porte a mervejlle depuis ce temps-la: comme vous avez des chiens, j'ai cru qu'il étoit bon de vous apprendre 1'hifloire de mon fpécifique ; elle efl aufli étonnante que certaine. II faut ajouter que je Pal mis au lait durant quelques jours; c'eft une précaution qu'il faut toujours prendre, fitót qu'un animal eft bleffé. II eft fingulier que depuis trois jours, je reffeiis les mêmes attaques que j'ai eues cet hiver; il eft conftaté que, ce féjour ne me vaut rien a aucun égard. Ainfi mon parti eft pris, tirez-moi d'ici au' plus vite. Je vous embraffe.  C36 Lettres de Lettre au même, Mardi n Juin 1765. S1 je refte un jour de plus, je fuis pris; je pars donc, mon cher hóte, pour la Ferriere, oü je vous attendrai avec le plus grand emprefïèment, mais fans m'impatienrer. Ce qui achève de rne déterminer, efl qu'on m'apprend que vous avez commencé a fortir. Je vous recommande de ne pas oublier parmi vos provifions, café, fucre, cafetière, briquet, & tout 1'attirail pour faire, quand on veut, du café dans les bois. Prenez Linneeui & Sauvages, quelque livre amufant, & quelque jeu pour s'amufer plufieurs fi 1'on eft arrêté dans une maifon par le mauvais temps. 11 faut tout prévoir pour prévenir le défceuvrement & 1'ennui. Bon jour, je compte partir demain matin, s'il fait beau, pour aller coucher au Locle, & diner ou coucher a la Ferriere le lendemain jeudi. Je vous embrafle. Lettre au même, A la Ferriere, le 16 Juin 1765. M e voici, mon cher hóte, a la Ferriere, oü je  J. J. R o v s s e a u. «37 ne fuis arrivé que pour y garder Ia chambre, avec un rhume affreux, une afTez groffe fiévre, & une efquinancie, mal auquel j'étois trés-fujet dans ma jeunefle, mais dont j'efpérois que 1'dge m'auroit exempté. Je me trompois; cette attaque a été violente; j'efpère qu'elle fera courte. La fièvre eft diminuée, ma gorge fe dégage, j'avale plus aifétnent, mais il m'eft encore impoffible de parler. Au peu que j'ai vu fur Ia botanique, je cora' prends que je repartirai d'ici plus ignorant que je n'y fuis arrivé; plus convaincu du moins de mon ignorance; puifqu'en vérifiant mes connoifTances furies plantes, il fe trouve que plufieurs de celles que je croyois connoltre, je ne les connoilTois point. Dieu foit loué; c'eft toujours apprendre quelque chofe que d'apprendre qu'on ne fait rien. Le meflager attend & me prefle; il faut finir. Bon jour, mou cher hóte; je vous embrafle de tout mon cceur. L z t t r e au même. A Brot, Ie Iundi 15 Juillet tfa Vos geus, mon cher hóte, ont été bien mouil. les & ie feront encore, de quoi je fuis bien faché; ainfi trouvant ici un char-a-banc, je ne les menerai pas plus loin. Je pars le cceur plein de vous , & aufli empreifé de vousrevoir, que fi  Ê33 lettresde nous ne nous étions vus depuis long-temps. puiflé•e apprendre a notre première entrevue, que tous vos tracas font finis, & que vous avez 1'efprit aufil tranquille, que votre honnête cceur doit être content de lui. même, & ferein dans tous les temps! La cérémonie de ce matin met dans le mien la fatisfafüon la plus douce. Voila, mon cher hóte , les traits qui me peignent au vrai 1'ame de Milord Maréchal, & me moutrent qu'il connolt la mienne. ]e ne connois perfonne plus fait pour vous aimer, & pour être aimé de vous. Comment ne verroisje pas enfin réunis tous ceux qui m'aiment? Us font dignes de s'aimer tous. Je vous embrafle. LuTTEE*. M. d'Ivernois. A RIoüers.le isAoüt 17(15. T.., recu tous vos envois, Monfieur, & je vous remercie des commiffions; elles font fort bien, & je vous prie aufli d'en faire mes remercïmcns a M. de Luc. A 1'égard des abricots, par refpetf pour Mde. d'Ivernois je veux bien ue pas les renvoyer; mais j'ai la - deflus deux chofes a vous dire, & je les dis pour la dernière fois. L'une, qu'a taire aux gens des cadeaux malgré eux, & a.lesfer.wr a notre mode & non pas a la leur, je vois plus de vanité que d'atnitié. L'autre., que je fuis ttesdéterruiné a fecouer toute efpèce de jong quon  J. J. R O V S S E A V. l39 peut vouloir m'impofer malgré moi , quel q„'jj puiffe être; que quand cela ne peut fe faire qu'en rompant, je romps, & que, quand une fois j'ai rompu, je ne renoue jamais, c'eft pour Ia vie Votre amitié , Monfieur , m'eft trop précieufe, pour que je vous pardonnaffe de m'y avoir fait renoncer. Les cadeaux font un petit commerce d'amitié fort agréable quand ils font réciproques. Mais ce commerce demande de part & d'autre de la peine & des foins; & Ia peine & les foins font le fléati de ma vie : j'aime mieux un quart d'heure d'oifi. veté que toutes les confitures de la terre. Voulezvous me faire des préfens qui foient pour mon cceur d'un prix ineftimable? Procurez-moi des loifirs, fauvez-moi des vifites, fourniffèz-moi des moyens de n'écrire a perfonne. Alors je vous devrai le bonheur de ma vie, & je reconnoitrai les foins du véritable ami. Autrement non. M. M... eft venu lui cinq ou fixiérne; j'étois malade, je n'ai pu Ie voir ni lui ni fa compagnie. Je fuis bien aife de favoir que les vifites que vous me forcez de faire m'en attirenr. Maintenant que je fuis averti, fi j'y fuis repris ce fera ma faute. Votre M. de F.... qui part de Bordeaux pour me vemr voir ne s'embarralTe pas fi cela me convient ou non. Comme il fait tous fes petits arrangernens fans moi, il neutron ven. pas mauvais, je penle, qUe je premie les miens fans lui. Qjsnt a M. Liotard, fon voyage ayant un but  a4A Lettres de déterminé, qui fe rapporte plus a moi qu'a lui, il mérite une exception, & il 1'auta. Les grands talens exigent des égards. Je ne réponds pas qu'il me trouve en état de me laiifer peindre, mais je réponds qu'il aura lieu d'être content de la récep. tion que je lui ferai. Au refle, avertilTez - le que pour être sür de me trouver libre, il ne don pas venir avant le + ou le 5 de feptembre. J'ai vu depuis quelque temps" beaucoup d'Anglois, mais M. Wilkes n'a pas paru que je fache. Lettre a M. de St. Britfon. 17654 T'ai recu, Monfieur, votre lettre du 27 Décem. bre J'ai aulïï lu vos deux écrits. Malgté le plaifir que m'ont fait 1'on & 1'autre, je ne me répens point du mal que je vous ai dit du premier, & ne doutez pas que je ne vous en. eufle dit du fecoud fi vous m'eufficz confulté. Mon cher St. BrifTo'n, je ne vous dirai jamais afTez avec queue douleur je vous vois entrer dans une carrière couverte de fleurs & femée d'abimes; oü 1'on ne peut éviter de fe conompre ou de fe perdre; oü 1'on devient malheureux ou méchant a metare qu'on avance, & trés-fouvent 1'un & 1'autre avant d'artiver. Le métier d'Auteur n'efi bon que pour qui veut feivir les paflions des gens qui mênent les au- tres,  J. J. ROUSSEAU. fi+l tres, mais pour qui veut fincèremeut le bien de 1'humanité, c'eft un métier funefte. Aurez-vous prus de zèle que moi pour Ia juftice, pour Ia vérité, pour tout ce qui eft honnête & bon ? Aurezvous des fentimens plus défintéreflés, une religion plus douce,plus tolérante , plus pure,plus fenfée? Afpirerez - vous è moins de chofes; fuivrez - vous une route plus folitaire; irez©vous fur le cherain de moins degens; choquerez - vous moins de ri. vaux & de concurrens; éviterez-vous avec plus de foin de croifer les intéréts de perfonne? Et toutefois vous voyez , je ne fais comment, tl exifte dans le monde un feul honnête homme a qui mon exemple ne fafTe pas tomber la plurae des mains. Faites du bien, mon cher St. Briflbn, mais non pas des livres. Loin de corriger les méchans., ils ne font que les aigrir. Le meilleur livre fait trés-peu de bien aux hommes & beaucoup de mal a fon auteur. Je vous ai déja vu aux champs pour une brochure qui n'étoit pas fort mal-honnête ; a quoi devez-vous vous attendre, fi ces chofes vous bleflent déja ? Comment pouvez-vous croire que je veuille pafler en Corfe, fachant que les troupes franpaifes y font ? Jugez - vous que je n'aie pas aftez de mes malheurs, fans en aller chercher d'autres? Non, Monfieur; dans 1'accablement oü je fuis, j'ai befoin de reprendre haleine, j'ai befoin d'aller plus loin de Genève chercher quelqaes moraens de repos ; car cn ne m'en laüTera nulle part un long fus SuppL Tom. MI. L  «4* Lettres de Ia terre; je ne puis plus 1'efpérer que dans fon fein. J'ignore encore de qnel cóté j'irai; il ne m'en refle plus guéres a choifirtje voudrois,chemin faifant, me chercher quelque retraite fixe pour m'y tranfplsnter tout-a-fait; oü 1'on eüt 1'humanité de me recevoir, & de me huiler mourir en paix. Mais oü la trouver parmi les chrétiens? La Turquie eft trop léta d'ici. Ne dcutez pas, cher St. BrifTon, qu'il ne me füt fort doux de vous avoir pour compagnon de voyage, pour confolateur, pour garde-malade; mais j'ai contre ce même voyage, de grandes objeftions par rapport a vous. Premièrement, ótezvous de 1'efprit de me confulter fur rien, & d'avoir la moindre reflburce contre 1'ennui dans mon entretien. L'étourdiflement oü me jettent des agitations fans relache, m'a rcndu ftupde; ma tête elt en léthargie; mon cceur méme eft mou. Je ne fens ni ne penfe plus. 11 me refle un feul plaifir dans Ia vie ; j'aime encore a marcher, mais en marchant je ne rêve pas même; j'ai les fenfations des objeta qui me frappênt, & rien de plus. je voulois effayer d'un peu de botanique pour m'a. mufer du moins a reconnoitre en chemin quelques ^tantes; mais ma mémoire eft abfolument éteinte; ■elle ne peut pas même aller jufques la. Imaginez le plaifir de voysger avec un pareil automate. Ce n'eft pas tout. Je fens le mauvais efl'et que VOtre voyage ici fera pour vous-même. Vous tfStes déja pas trop bien auptès des divots; voulez.  J. J. ROUISBAW. M3 vous achever de vous perdre? Vos compatriotes mêtae, en général, ue vous pardonnent pas de me confulter; comment vous pardonneroient • ils de m'aimer ? Je fuis trés-faché que vous m'ayez nommé a la tête de votre Arifle. Ne faites plus pareille fottife, ou je me brouille avec vous tout de bon. Dites - moi, furtout, de quel ceil vous croyez que votre familie verra ce voyage?Madame voire mêre en frémira. Je ftémis moi-méme a penfer aux funefies effets qu'il peut produire aup ès de vos proches; & vous voulez que je vous lailfe faire! C'eft vouloir que je fois le dernier des hommes. Non, Monfieur, obtenez 1'agrément de Madame votre mêre, & venez; je vous embrafle avec Ia plus grande joie; mais fans cela n'en parions plus. Lettre d M. D. />....«, A Strasbourg, le 17 Novembre 1765. Je recois, mon cher hóte, votre lettre. Vous aurez vu, par les mk-rnes, que je renonce abfolument au voyage de Berlin, du moins pour cet hiver, a moins que Milord Maréchal, a qui j'ai écrit, ne füt d'un avis contraire. Mais je Ie connois; il veut mon repos fur toute chofe, ou plu. tót il ne veut que cela. Selon teute apparer.ee, je paflerai 1'hiver ici. L'on ne peut rien ajouter L 3  344 Lettres de aux marqués de bienveillance, d'eftirae, & méme de refpeft qu'on m'y donne, depuis M. le Maréchal & les chefs du pays, jufqu'aux derniers du peuple. Ce qui vous furprendra eft que les gens d'églife femblent vouloir renchérir encore fur les autres. Ils ont 1'air de me dire dans leurs maniéres: Diflinguez - nous de vos miniffres; vous voyez qtte nous ne penfons pas comme eux. Je ne fais pas encore de quels livres j'aurai befoin; cela dépendra beaucoup du choix de ma demeure; mais en quelque lieu que cefoit, je fuis abfolument déterminé a reprendre la botanique. En conféquence , je vous prie de vouloir bien faire trier d'avance tous les livres qui en traitent, figures & autres, & les bien encailTer. Je voudrois aufli que mes hetbiers & plantes féebes y fuflent joints. Car ne connoifiant pas, a beaucoup prés, toutes les plantes qui y font, j'en peux tirer encore beaucoup d'inftruétion fur les plantes de'Ja SüiiTe que je ne trouverai pas ailleurs. Sitót que je ferai arrété,je confacrerai le goüt que j'ai pour les herbiers, a vous en faire un aufli complet qu'il me fera poffible, & dont je tacherai que vous foyez content. Mon cher hóte, je ne donne pas ma confiance a demi. Vifnez, arrangez tous mes papiers, lifez & feuilletez tout fans fcrupule. Je vous plains de fennui que vous donnera tout ce fatras fans choix, & je vous remercie de 1'ordre que vous y voudrez meute. Tftchez de ne pas changer les numéros  J. J. ROUSSEAU. S45 des paquets, afin qu'ils nous fervent toujours d'indication pour les papiers dont je puis avoir befoin. Par exemple, je fuis dans le cas de defirer beaucoup de faire ufage ici de deux pièces qui font dans le N°. 11. L'une eft Pygmaüon, & 1'autre, Y Engagement téméraire. Le directeur du fpeétacle a pour moi mille atteniions. 11 m'a donné , pour mon ufage, une petite loge gnllée; il m'a fait ftire une clef d'une petite porte pour entrer incognito; il fait jouer les pièces qu'il juge pouvoir me plaire. Je voudrois tacher de reconnoiire fes honnêtetés; & je crois que quelque barbouillaga de ma fiicon,bon ou mauvais, lui feroit utiie par la bienveillance que le public a pour moi, & qui s'eft bien matquée au D<->vin du Village. Si j'ofots efpérer que vous vous laifï'afliez tenter a la propofition de M. de Luze, vous apporteriez ces pièces vous-même, & nous nous amuferions a les faire répéter. Mais comme il n'y a nulle copie de Pyjjr* malion, il en faudroit faire faire une par précaution; fur-tout fi, ne venant pas vous-même, vous preniez le parti d'envoyer le paquet par la pofte a 1'adreiTe de M. Zollicoffer, ou par occafion. Si vous venez, mandez-le moi a 1'avance, & donnez-moi le temps de la réponfe. Selon les réponfes que j'attends, je pourrois, fi la chofe ne vous étoit pas ttop importune, vous prier de permettre que MUe. le Valfeur vint avec vous. Je vous embralfe. L 3  246 Lettres de Lettre au même. A Strajbourg, Ie 25 Novembre 176^» J'ai, mon cher hóte, votre numéro 8 & tous les précédens. Ne foyez point en peine du paffeport. Ce n'eft pts une chofe fi abfotument nécelfaire que vous le fuppofez, ni fi difEcile a renouveler au befoin; mais il me fera toujours précieux par la main dont il me vient & par les foins dont il eft la preuve. Quelque plaifir que j'eulfe a vous voir, Ie changement que j'ai été forcé de mettre dans ma manière de vivre, ralentit mon emprefiement a cet égard. Les fréquens dlnés en ville, & la fréquentation des femmes & des gens du monde, a quoi je m'étois livré d'abord, en retour de leur bienveillance. m'impofoient une gêne qui a tellement pris fur ma fanté, qu'il a fallu tout rompra & redjvenir ours par uéceflné. Vivant feul ou avec Fifcher, qui eft un trés • bon garcon, je ne ferois a portée de partager aucun amufement avec vous, & vous iriez fans moi dans le monde; ou bioti ne vivant qu'avec moi vous feriez dans cette ville, fans la connoltre. Je ne défefpère pas des moyens de nous voir plus agréablement & plus a notre aife. Mais cela eft encore dans les futurs contingens. D'ailleurs n'étant pas encore décidé fur moi-même: je ne le fuis pas fur le voyage de  j. j. R o v i s s a u. 447- Mile. Ie Vafleut. Cependant fi vous venez, vous étes süt de me trouver encore ici, & danï ce cas, je ferois bien aife d'en être inflruit d'avan» ce, afin de vous faire préparer un logeoienc dans cette maifon; car je ne fuppofe pas que vous vouliez que nous foyons féparés. L'beure preffe, le monde vient; je vous quitte brufquement, mais mon cceur ne vous quitte pas. Lettre au même. A Strasbcmrg, le 30 Novembre 1765. To u t bien pefé, je me détermine a paffer en Angleterre. Si j'étois en état, je partirois dès demain; mais ma rétention me toutmente fi cruellement, qu'il faut laiffer calmer cette attnque. Era. ployant ma refTource ordinaire, je compte être en état de partir dans huit ou dix jours; ainfi ne m'é. crivez plus ici;votre lettre ne m'y trouveroit pas; averthT;z, je vous prie, MUe. le Vaffeur de la même chofe; je compte m'arrêter a Paris quinze jous ou trois femaines ; je vou« enverrai mon adrelTe avant de partir. Au refle vous pouvez toujours m'écrire par M. de Luze, que je compte joindre a Paris, & faire avec lui le voyage. je fuis ttès-faché de n'avoir pas encore écrit i Mde. de Luze. Elle me rend bien peu de jufiice fi elle eft inquiête de mes fentiraens. Ils font tels L 4  048 Lettres de qu'el'e les mérite, & c'eft tout dire. Je m'attache aulH trés-véruablement a fon mari. li a 1'air ftoid & le cceur chaud; il relfemble en ceia a mon cher hóte, voila les gens qu'il me faut. J'approuve ttès-fort d'ufer fobrement de la pofte, qui, en SuilTe, eft devenue un brigandage public: elle eft plus refpectée en France; mais les ports y font exorbitans, & j'ai depuis mon arrivée ici plus de cent francs en ports de lettres. Retenez & lifez les lettres qui vous vienneut pour moi, ne m'envoyez que celles qui 1'exigent abfolument. II fuffit d'un petit extrait des autres. Je recois en ce moment votre paquet numéro 10. Vous devez avoir recu une de mes lettres, oü je vous priois d'ouvrir toutes celles qui vous venoient è mon adreffe. Ainfi vos fcrupules font fort déplacés. Je ue fais fi je vous écrirai encore avant mon départ; mais ne m'écrivez plus ici. Je vous embrafle de la plus tendre amitié. Lettre a M. cTlvemote. A Strasbourg, le 2 Décembre 1-65. Vous ne cloutez pas, Monfieur , du plaiör avec lequel j'ai recu vos deux lettres & celle de M. de Luc. On s'attache a ce qu'on aime a proportion des maux qu'il nous coüte. Jugez par • la fi mon cceur eft toujours au milieu de vous.  j. J. R O U S S E A ü. E4P voos. Je fuis arrivé dans cette ville, malsde & rendu de fatigue. Je m'y repofe avec le plailir qu'on a de fe retrouver parmi des humaius, en Rrïïbt du milieu des bêtes féroces. J'ofe dire que depuis le commandant de la province jufqu'au dernier bourgeois de S:rasbourg, tout le monJe défiroit de me voir paiTer ici mes jour;; rnais te :e n'eft pas ma vocaion. Hors d'état de foutenir la route de Beriin, je prends Ie parti de paiTer en Angleterre. Je m'arrétetai quinze jours ou trois femaines a Paris, & vous pouvez m'y donner de vos nouveiles chez la veuve Duchefne, libraire, rue Saint ■ Jacques. Je vous remercie de la bonté que vous avez eu de fonger a mes commiffions. J'ai d'eutres prunes è digérer, ainii difpofez des vótres. Quan: aux bilboquets & aux mouchoirs , je voudrois bien que vous puffiez me les envoyer a Pni?; ils me feroient grand plaiGr; mais * caufe que les mouchoirs font neufs, j'ai peur que cela ne feit difficile. Je fuis msintenant trés en état d'acquitter votre petit mémoire fans m'incommoder. II n'en fera pss de même lorfqu'après les fraix d'i.n voyage loog & coüteux, j'en ferai a ceux de mon premier étabiiflèment en Angleterre. Ainfi je voudrois bien que vous vouluffiez tirer foi moi è Paris a vue le moment du mémoire en queftion. Si vous voulez abfolument remettre cette affaire au temps oü je ferai plus tranquille, jé vous prie au moias de me msrquer I combi J| L 5  ,10 lettre* de tous vos débourfés fe montent, & perraettre que je vous en fafle mon billet. Confidétez, mon bon ami, que vous avez une nombreufe familie, ft qui vous devez compte de femploi de votre temps, & que le partage de votre fortune, quelque grande qu'elle puifie être, vous oblige ft n'en rien laifler diffiper, pour lailTer tous vos enfans dans une aifance honnête. Moi, de mon cóté, je ferai inquiet fur cette petite dette tant qu'elle ne fera pas ou payée ou réglée. Au refte, quoique cette violente expulfion me dérange, aptês un peu d'embarras, je me retrouverai du pain & le néceifaire pour le refle de mes jours, par des arrangemens dont je dois vous avoir parlé; & quant ft préfent, rien ne me nianque. J'ai tout 1'atgent qu'il me faut pour mon voyage & au-dela, & avec un peu d'économie, je compte me retrouver bientót au courant comme auparavant. J'ai cru vous de voir ces détails pour tranquillifer votre honnête cceur fur le compte d'un homme que vous aimez. Lettre & M. de Luze. Paris , 16 Décembre 1765. J'ARttiVE chez Mde. Duchefne plein du defir de vous voir, de vous embralTer, & de concerter avec vous le prompt voyage de Londres, s'il y  J. J. R o u s s e A 17. 251 a moven. Je fuis ici dans Ia plus parfaite süreté; j'en ai en poche 1'alTurance la plus précife (*). Cependant, pour éviter d'être accablé, je veux y reder le moins_ qu'il ma fera pofltole, & garder Ie plus parfait iucognito s'il fe peut. Ainfi ne me dicelez, je vous pris , a qui que ce foit. Je voudrois vous aller voir, mais pour ne pis promener mon bonnet dans les rues (J**), je déUre que voys puiffiez venir vous-mêuie Ie plutóc qu'il fe pourta. Je vous embrafle, Monfieur, ie tout mon cceur. Lettre au mime. 2,2 Décembre 1705. L'affmctio n, Monfieur, oü la pene d'un père tendrement aimé plonge en ce moment MJe. de V....i ne me permet pas de me livrer & des amufemens, tandis qu'elle efl: dans les larmes. Ainfi nous n'aurons point de mufique aujourd'imi. Je ferai cependant chez moi. ce foir, comme a 1'ordinaire, & s'il entre dans vos arrangemens d'y pafler, ce changement ne m'óiera pas le plaifir de vous y voir. Mille falutations. moi? 11 avoic un Paire-P°rt da Miniftre. bon pour troig C) H portoit encore J'inbii!em3iit d'Aniénicii. L 6  s5a Lettres de Lettre au mime. 16 Décembre 1765. Je ne faurois, Monfieur, durer plus longtemps fur ce theatre public. Pourriez- vous, par charité, accélérer un peu notre départ? M. Hume confent a partir le jeudi 2 a midi, pour aller coucher a Senlis. Si vous pouvez vous prêter a cet arrangement , vous me ferez le plus grand plaifir. Nous n'aurons pas Ia berline a quatre; ainfi vous prendrez votre chaife de pofte , M. Hume la fienne, & nous changerons de temps en temps. Voyez, de grace, fi tout cela vous convient, & fi vous voulez m'envoyer quelque chofe a mettre dans ma malle. Mille tendres falutations. Lettre a M. D. P . . . . u. A Paris , le 17 Décembre 1765. J'arrive d'hier ■au foir, mon simable hóte & ami. Je fuis venu en pofte, mais avec une bonne chaife , & a petites journées. Cependant, j'ai failli mourlr en route; j'ai étéforcé de m'arrêter a Epernay, & j'ai paffé une telle nuit, que je n'efpérois plus revoir le jour. Toutefois  J. J. ROUSSEAU. 253 me voici a Paris dans un état aflTez paffable. Je n'ai vu perfoone encore, pas même M. de Luze, mais je lui ai écrit en arrivant. J'ai le plus grand befoin de repos; je fortirai le moins que je pourrai. Je ne veux pas m'expofer derechef aux dlnés & aux fatigues de Strasbourg. Je ne fais fi M. de Luze, eft toujours d'humeur de paffer ft Londres. Pour moi je fuis déterminé a partir le plutót qu'il me fera poffible, & tandis qu'il me refte encore des forces, pour arriver enfin en lieu de repos. Je viens en ce moment d'avoir la vifite de M. de Luze qui m'a remis votre billet du 7 , daté de Berne. J'ai écrit en effet la lettre ft M. le Baillif de Nidau , mais je ne voulus point vous en parler pour ne point vous affliger; ce font, je crois, les feules réticences que 1'amitié permette. Voici une lettre pour cette pauvre fille qui eft ft 1'isle. Je vous prie de la lui faire paffe le plus proraptement qu'il fe pourra; elle fera utile ft fa tranquillité. Dites, je vous fupplie, ft Madame ** combien je fuis touché de fon fouvenir & de fintêrêt qu'elle veut bien prendre ft mon fort. J'aurois afiurémenc paffé des jours bien doux prés de vous & d'elle; mais je n'étois pas appellé ft tant de bien. Faute du bonheur que je ne dois plus attendre, cherchons du moins la tranquillité. Je vous embraffe de tout mpn cceur. L 7  254 L e t; t r, k $ » e Lettre d M. Avril 1766. J'appiiends, Monfieur, avec quelque furprife, de quelle maniere on me traite a Londres dans un public plus léger que je n'aurois cru. II me fembl* qu'il vaudroit beaucoup mieux refufer aux infortunés tout afile, que de les accueillir pour les in. fulter; & je vous avoue que 1'hofpitalité vendue au prix du déshonneur, me paroit trop chère. Je trouve aulïï que pour juger un homme qu'on ce connolt point, il faudroit s'en rapporter a ceux qui le connoifient; & il me paroit bizarre qu'emportant de tous les pays oü j'ai vécu, 1'eftime & la confidération des honnêtes gens & du public, 1'Angleterre oü j'arrive, foit le feul oü 1'on me la refufe, C'eft en même temps ce qui me confole; fsccueil que je viens de recevoir a Paris, oü j'ai paffe" ma vie, me dédommage de tout ce qu'on dit a Londres. Comme les Anglois, un peu légers a juger, ne font pourtant pas injuftes, fi jamais je vis en Angleterre aulïï longterops qu'en France, j'efpère a la fin n'y pas être moins eftimé. Je fais que tout ce qui fe paffe a mon égard n'eft point naturel , qu'une nation toute entiêre ne change pas immédiatement du blanc au noir fans caufe, & que cette caufe fecrète eft d'autam plus  j. j. rousseau. 255 dangereufe, qu'on s'en défie moins ; c'eft cel» même qui devroit ouvrir les yeux du public fur ceux qui le roèneut; mais ils fe cacheut avec trop d'adreiTe, pour qu'il s'avife de les chercher oü ils font. Un jour il en faura davantage, & il rougira dè fa légèreté. Pour vous, Monfieur , vous avez trop de fens, & vous étes trop équitablè, pour éire compté parmi ces juges plus févères que judicieux. Vous m'avez honoré de votre eflime; je ne mériterai jamais de la perdre, & comme. vous avez toute la mienne, j'y joins Ia eonfiance que vous méritez. Lettre d Mde, de Creqtsi. Mai 1766. Bien loin de vous oublies, Madame, je fais un de mes plaifirs dans cette retraite, de me rappeler les heureux temps de ma vie. Ils ont été rares ck courts, mais leur fouvenir les multiplie; c'efl le paffé qui me rend le préfent fupportable, & j'ai trop befoin de vous, pour vous oublier. Je ne vous écrirai pas pourtant, Madame, & je renonce a tout commerce de lettres, hors les cas d'abfolue néceffité. II eft temps de chercher le repos, & je fens que je puis n'en avoir, qu'en renoncant a toute correfpondance hors du lieu que  !5ó Lettres be j'habite. Je prends donc mon parti trop tard fans doute, mais affez tót pour jouir des jours tranquilles qu'on voudra bien me laiffer. Adieu , Madame; 1'amitié dont vous m'avez honoré me fera toujours préfente & chère; daignez aufli vous en fouvenir quelquefois. Lettre a M. de Luze. A Wootton, le 16 Mai 1766. Quojqüe ma longue lettre a Mde. de Luze foit, Monfieur, a votre inteniion comme a la fienne, je ne puis m'empêcher d'y joindre un mot pour vous remercier & des foins que vous avez bien voulu prendre pour réparer la banqueroute que j'avois faite a Strasbourg fans es rien favoir, & de votre obligeante lettre du 10 Avril. J'ai fenti, a 1'extrême plaifir que m'a fait fa lecture, combien je vous fuis attaché, & combien tous vos bons procédés pour moi ont jeté de relknti» ment dans mon ame. Comptezj Monfieur, que je vous aimerai toute ma vie, & qu'un des regrets qui me fuivent en Angleterre, eft d'y vivre éloigné de vous. J'ai formé dans votre pays des attachemens qui me le rendront toujours cher; & le défir de m'y revoir un jour, que vous voulez bitu {émoigner, n'eft pas moins dans mon cceur  J. J. RotJSSEAC Z57 que dans Ie vdtre; mais comment eipérer qa'U s'.ccomplifJe ? Si j'avois fait quelque fac:e qu* rn'eüt attiré la haine de vos compatriotes, G "ie m'éto's mil couduit en quelque cho.e, fi favois qae'qne ton ft me reprocher; j'efpererois, en le répirsct, parvenir ft le leur faire oubiïer & a obtenir lenr bienveillance: mais qo'ai-je fait pon* la perdre, en qaoi me fuis-je malcoaduit, a qui ai-Je manqué dans la moindre chofe, a qui ai-je pn rendre fervice que je ne 1'aye pas fait ? E: vous voyez comme ils m'ont traité. Metr-z-vocs ft ma place, & dites-moi s'il efl pofïïble de vivre parmi des gecs qui veolent afTommer tm homme fans grief, fans motif, fsns plsinte contre fa perfonne, & nniqnement paree qn'il efl malheareus. Je fens qu'il feroit ft déürer ponr 1'bonneur de ces Mefijenrs, qoe je retoarnafTe fiair mes jours su - u'eux, . j :*:rs cue .= le ui.;;e:w:s ~z> méme; mais je fens aufli que ce feroit une haute folie ft laquelle la prudence ne me permet pis de focger. Ce qui me refle ft efpérer en toot ceci, efl de conferver les amis que j'ai eu le bonheur d'y faire, & cfétre tonjoers aimé d'eux, quoiqu'abfent. Si quelque chofe pouvoit me dédommager de leur commerce, ce ftroit celui du galant homme dont j'habite la maifon, & qui n'épargne rien pour m'en rendre Je féjour agréable: tous les gentilshommes des environs; tons les miniflres ces paioiiTes voifines ont la bonté de me marquer des emprefTemtni qc: me toedient, es ce qu'ils me  -53 Lettres » e inomrent la difpofition générale du pays. Le peuple même, malgré mon équipage, oublie en ma faveur fa dureté ordinaire envers les étrangers. Mde. de Luze vous dira comment eft le pays; enfin j'y trouverois de quoi n'en regretter aucun autre, fi j'étois plus prés da foleil & de mes amis. Bonjour, Monfieur; je vous embrafie de tout mon cceur. Lettre a M. d'Ivernois. k Woortpn, 31 Mai 176Ö. Si mes vceux pouvoieut contribuer a rétablir parmi vous les loix & la liberté, je crois que ▼ous ne douiez pas que Genève ne redevlnt une république; mais, Mefiïeurs, puifque les tour» mens que votre fort futur donne a mon cceur, font a pure perte, permettez que je cherche a les adoucir, en penfant a vos aSaires le moins qu'il efl pofiible. Vous avez publié que je voulois écrire 1'b.iftoire de la médiation. Je ferois bien aife feulement d'en favoir 1'bifioire; mais mon intention n'eft affurément pas de 1'écrire, & quand je 1'écrirois, je me garderois de la publier. Cependant, fi vous voulez me ralTembler les pièces & mémoires qui regardent cette affaire, vous fentez qu'il n'eft pas pofiible qu'ils me foient jamais indifférens; mais girdez-les pour les apjKjrter avec  J- J. R o r » i e a c. 2.5a ».:; . L: z'ii iz;:r:z z.zi rn: zzzz. ~ la ?orj ea es piw faat £ aadwe, qae aacr» r:: ,s: p-ic;:;-: ='i ; ;e L>-~is :r. 4 •• I o 109a 3Tecir li pxöc qae f exil-, & aaa ce =a t e. 'i f: ; r;:i Bar aae £hk da dar de Btebare oaaas, f =ia cerrE-.—. i; ?:_:r_:. :.; r—; - 1 aYt pose les coueSob doe «are. aauaé m peraex de voos ebarw. VoBÜe ■ &k oprian & tndoas ka pat :« 6: j :r:u z:r;u 1 .-:_- i - :! il 'zizzi zt .i z: .-. zizz : t ; ij f aBri-aaroae, 3 a cmé ie fèoex d*ter u te= bbc crédit a cc oarll pets aae, «ae ca écra ae fin «A mini le aonk «aeToa xici poar Ifci. La tace kistE jt pee ce z-nrte bomce ati.: ;.. vï :;; ::r< iz :> oac 0 crotr £üre Ie priBce, & ae £ac ca e£i «ae le mncatim. 0 et ü boe. «a*2 ae aft «a*apprcadre a taat le aaade caaaaea 1 fe na»  2Ó0 Lettres de Lettre a M. D. P . . . 21 Juin i/66. J'ai recu, mon cher hóte, votre N°. 26, qui m'a fait grand bien. Je me ccrrigerai d'autant plus difficilement de 1'inquiétude que vous me reprochez, que vous ne vous en corrigez pas trop bien vous-même, quand mes lettres tardent avous arri-' ver. Ainfi, médecin , guéris-toi toi-même: mais non, cher ami, cette tendre inquiétude, & la caufe qui la produit, eft une trop douce maladie, pour que ni vous , ni moi, nous en voulions guérir. Je prendrai toutefois les mefures que vous m'indiquez, pour ne pas me tourmenter mal-kpropos; & pour commencer, j'infcris aujourd'hui. la date de cette lettre en commencant par N°. 1. «fin de voir fucceffivement une fuite de numéros bien en ordre. Ma première ferveur d'arrangement eft toujours une chofe admirable; malheureufement elle dure peu. J'aurois fort fouhaité que vous n'euffiez pas fait partir mes livres, mais c'eft une affaire faite; je fens que 1'objet de toute la peine que vous avez prife pour cela, n'étoit que de me fournir des amufemens dans ma retraite; cependant vous vous étes trompé. J'ai perdu tout goüt pour la leclure, & hors des livres de botanique, il m'eft impoffible de lire plus rien. Ainfi je prendrai Ie parti de ftire refter tous ces livres a Londres, & de m'en  J. J. R 9 p S i z A V. 26l s.::;:; r:;—:, iezzz zzi ~rz:- pnc jtaqu'id aas coaterok beaaman ma éefi de tenr «iccr j que cette depeafe « faam fan oaé«••H**»°**e* 8* ici, je se fenol; r^s aop oü les ■enre , ai qs*en fake. |e fiiü ckanaé «a'aa antas tocs n'syez pas cawoji as papien. &zxfsz ndzs ca peiae de aua (nawar, an eaer béte, & ne Ie fojez pofat de an fkaaioe. Le fejoer «ae faabire eü ion de aoa goat; ie Eïtre de la aal-ba «3 na tréi-gtliat house, poor qai trois feaaiaes de féjosr qaU a feit ici aaec fe fe-ri,le, oer chnea:é i'irracbiaieru qae fes boos procédés a'avoieat doaaé poar ha. Toot ce C-. Zizzzz' Zz tl izzz ;re r:.r = „ fefoor de fe aatfoa agréabe; il y a des rccocVé- choifir de aoaaa daas toate rAagtaetre, je ae caoaaoo pas dTaatre baböadoa aae ce3e-d; aaafi "y riJr i: - zi:ïzzzz;f :-e -? doés vme;&£ fy doit tauajii,Il pios grand -ui qae j'y troare,eft de anarir kra de voa? & aae :::e :e =" :2.r -e :'; : r:s =.2 c; ;i X] cendres;car ie me focrieccraj tonjocra arec ace* aUflèawat de notre presier projet; & fes idéct rrüre*, mais doe ces, cn*ïl ~e rappeüe, vaieot i-ii. Mi i ;i v-3 r;: ^ergs^: ;^ fajea aiélaasofioaes**ai aaoa fcraieat aal aaaaaal de maa ent préteat, aeoiqn'a ton. Et je toss s.1. . ZZ :.: ;j ;; - : j.  •(Ji Lettres o e gnie de Londres,hommes,& femmes,qui tous,a mon accutil, a mon air, a ma maniére de vivie, ont jugé, contre ce qu'ils avoient penfé avant de me voir, que j'étois heureux dans ma retraite ; & il efl vrai que je n'ai jamais vécu plus i mon aife, ni mieux fuivi mon humeur du matin au foir. II ell certain que la faufle lettre du Roi de PruiTe & les premières clabauderies de Londres m'ont alarmé, dans la crainte que cela n'influat fur mon repos dans cette province , & qu'on n'y voulót renouveller les fcènes de Motiers. Mais fitót que j'ai été tranquillifé fur ce chapitre, & qu'étant une fois connu dans mon vo;finage, j'ai vu qu'il étoit impofTible que les chofes y prifeut ce tourla, je me fuis moqué de tout le refle, & fi bien, que je fuis le premier a rire de toutes leurs folies. 11 n'y a que la noitceur de celui qui fous main fait aller tout ctla,qui me trouble encore. Cet homme a paflé mes idéés; je n'en imaginois pas de fairs comme lui. Mais parions de nous. II me man* que de vous revoir, pour chafler tout fouveiiir cruel de mon arce. Vous favez ce qu'il me faudroit de plus pour moutir heureux, & je fuppofe que vous avez recu la lettre que je vous ai écrite par M. d'Ivernois : mais comme je regarde ce projet comme une belle chimère, je ne me flatte pas de le voir réalifer. Laiflbns ia direction de 1'avenir è la Providence. En attend&nt, j'herborife, je me rromène, je médite le grand projet dont je fuis •ccupé; je compte même, quand vous vkndrez,  J- J. R o O s s e a V. 263 pouvoir déja vous remettre quelque chofe | mais la douce parefle me gagae chaque jour davantage, cc j'ai bien de la peine a me mettre a 1'ouvrage: j'ai pjurtant de 1'étoffe affureaent, & bien du défir de la mettre en oeuvre. Mlle Ie Vafieur eft trés-fenfible a votre fouvenir ; elle n'a pas appris un feul mot d'anglois ; j'en avois appiis une trentaine è Londres, que j'ai tous oubliés ici, tant leur terrible baragouin eft indéchiiFrabie a mon oreille. Ce qu'il y a de plaifant, eft que pas une ame, dans la maifon, ne fait un mot de francais. Cependant, fans s'entendre, on va, & l'on vit. Bon jour. Lettre i UI, d'hernois. A Wcotton, le 28 Juin 1766. Jevoïs, Monfieur, par votre lettre du p, qQ'a cette date, vous n'aviez pas recu ma précédeme quoiqu'elle düt vous étre arrivée, & qDe je vous 1'eufle adrelTée par vos correfpondans ordinaires comme je fais celle-ci. L'état critique de vos affaires me navre 1'ame; mais ma fituation me force a me bomer pour vous a des foupirs & des veeux inutiles. Je n'aorai pas même la témérité de rifquer des confeils fur votre conduite, dont le mauvais fuccès me feroit gémir toute ma vie, fi les chofes venoient I mal towner;& je ne vois  8Ö4 Lettres de pas affez clair dans les fecrètes intrigues qui déci. deront de votre fort , pour juger des moyens les plus propres a vous fervir. Le vif intérêt même que je prends a vous, vous nuiroic, fi je le laiffois paroltre, & je fuis fi infortuné, que mon malheur s'étend a tout ce qui m'intértfl'e. J'ai fait ce que j'ai pu , Monfieur; j'ai mal réuffi, je réuffnois plus mal encore; & puifque je vous fuis iKutile,n'ayez pas la cruauté de m'aflliger fans ceilé dans cette retraite, &, par humanité , refpeétez le repos dont j'ai fi gtand befoin. Je fens que je n'en puis avoir tant que je conferverai des relations.avec le continent. Je n'en recois pas une lettre qui ne contienne des chofes affligeantes, & d'autres raifons, trop longues a déduire, me forcent a rompre toute correipondance, méme avec mes amis, hors les cas de la plus grande néceflité. Je vous aime tendrement, & j'attends avec la plus vive impatience la vifite que vous me promettez; mais comptez peu fur mes lettres. Quand je vous aurai dit toutes les raifons du parti que Je prends, vous les approuverez vousmême; elles ne font pas de nature a pouvoir être mifes par écrit. S'il arrivoit que je ne vous écriviflé plus jufqu'a votre départ, je vous prie d'en prévenir dans le temps M. D. P....u, afin que s'il a quelque chofe a m'envoyer, il vous le remette; & en paffant a Paris, vous m'obligercz aufli d'y voir M. Guy, chez la venve Duchefne, afin qu'il vous remette ce qu'il a id'imprimé de mon  J. J. R o ü s s e a o. &6$ mon dictionnaire de Mufique, & que j'en ave par vous des nouveiles; car je n'en ai p.us depuis long • temps. JMon cher Monfieur, je ne ferai tranquille que quand je ferai oublié; je voudrois être mort dans la mémoire des hommes. Parlez de moi le moins que vous pourrez, même a nos amis; n'en parlez plus du tout è * *, vous avez vu comment il me renJ jultice.; je n'en attends plus que de la poflérité parmi les hommes, & de Dieu qui voit mon cceur dans tous les temps. Je'vous embrafle de tout mon cceur. Lett.ee a M. Cranville. 5i> witsycoa il» {, 3io«rji?i uïföh-Z't Q'joique je fois fort incommpdé, Monfieur, de. puis deux jours, je n'auroi? aflurément pas marcbandé avec ma fanté, pour la faveur que vous vouliez me faire, & je me préparois a en profiter ce foir. Mais voila M. Davenport qui m'arrive. II a 1'honnêteté de venir exprès pour me voir. Vous, Monfieur, qui étes fi plein d'bonnêteté, vousmême, vous ti'approuveriez pas, qu'au moment de fon arrivée, je commencafle par m'éloigner de lui. Je regrette beaucoup 1'avantage donr je fuis privé; mais du refte, je gagnerai peut-être a ne pas me montrer; fi vous daigniez parler de moi a. Mde. la Duchefle de Portland avec la même bonté Suppl. Tom. Flll. M  «fjo" Lettres de dont vous m'avez donné tam de marqués, il vaudra mieux pour moi qu'elle me voie par vos yeux que par les fiens, & je me confolerai par le bien qu'elle penfera de moi, de celui que j'aurai perdu moimême. Je dois une réponfe a un charmant billet, mais 1'efpoir de la porter me fait différer a la faire. Recevez, Monfieur, je vous fupplie, mes très-humb!es falutations. L e T T u e au même. Puis que M. Granville m'interdit de lui rendre des vifites au milieu des neiges, il permettra du moins que j'envoie favoir de fes nouveiles, & comment il s'eft tiré de ces terribles chemius. J'ef. rère que la neige , qui recommence, pourra reisrder affez fon départ, pour qoe je puiiTe trouver le moment d'aller lui fouhaiter un bon voyage. Mais qce j'aie ou non le plaifir de le revoir avant qu'il parte, mes plus tendres voeux 1'accompagneront toujours. Lettre au même. Voin, Monfieur, un petit morceau de poilTon de montagne qui ne vaut pas celui que vous m'avez envoyé; aufS je vous 1'oftre en hommage &  J. J. rousseau. 26> non pas en échange, faefaant bien que toutes vos bontés pour moi ne peuvent s'acquitter qu'avec les femimens que vous m'avez infpirés. Je me faifois une féte d'aller vous prier de me piéfenter ft Madame votre fceur, mais le temps me contrarie. Je fuis malheureux en beaucoup de chofes, car je ne puis pas dire en tout, ayant un voifin tel que vous. L e t t k e au méme. Je fuis fdché, Monfieur, que le temps ni ma fanté ne me permettent pas d'aller vous ren Jre mes devoirs, & vous faire mes remerciaens aulïï óc qae je le défirerois. Mais en ce moment, exirêmement incomtnodé, je ne ferai de quelques jours en état de faire, ni méme de recevoir des vifices. Soyez perfuadé, Monfieur, Je vous prie, que fi. tot que mes pieds pourront me porter jufqu'a vous, ma volonté m'y conduira Je vous fais Monfieur, mes trés• humbles laluiations. Lettre au mime. Je fuis três-fenGble ft vos honnétetés, Monfieur & ft vos cadeaux , & je le ferois encore plus s'ils revenoient moins fouvent. J'irai le plu, ,ór que le temps me le permettra, vous réi.érer mes reM 4  i65 Lettr.es de mercimens & mes reproches. Si je pouvois m'entretenir avec votre domeftique, je lui demanderois des nouveiles de votre fanté; mais j'ai lieu de préfumer qu'elle continue d'être meilleure; ainfi fQit-.il, Lettre au même, J'ai été, Monfieur, affez incommodé ces troiï jours, & je ne fuis pas fort bien aujourd'hui. j'apprends avec grand plaifir que vous vous portez bien; & fi le plaifir donnoit la fanté, celui de voue bon fouvenir me procureroit cet avantage. Mille trés-humbles falutations. Lettre d Mik. Dewes, (aujourd'hui Mde. de Port...') ■ 1766. Ne foyez pas en peine de ma fanté, ma belle voifine; elle fera toujours affez & trop bonne , tant que je vous aurai pour médecin; j'auiois pourtant grande en vie d'être malade, pour engager par charité Mde. la Comteffe & vous a ne pas partir fitót. Te compte aller lundi, s'il fait beau, voir s'il n'y a point de délai a efpérer, & jouir au moins du plaifir de voir encore une fois raflemWée la bonne & aimable compagnie de Cahvich, a laquelle j'offre, en attendant, mille trés-humbles falutations & refpefls.  J. J. R O U 5 S EAU. Rsponsej Aux quttons fait.'s pJr 31. de C'tauvel. 1766. Jamais, ni en 1759,0! en aucnn autre temp», M. Mare Chapais ne m'a propofé de Ia pan de M. de Voltaire tfhabner une petite ■nnba appellée I'Hermitage. En 1755, M. de Voltaire me preffaa: de revealr dans mi patrie, m'iaviroir d'aller boire dn lait de fes vacaes. Je lui répoadis. Sa letrre & la mienae fureat pubüques. Je ne rae reflbuviens pas tTavoir eu de fa part aacuoe autre in ri radon. Ce que j'éerivii a M. de Voltaire en 1760, n'étoit point une réponfe. Ayaat rerrouvé par ha. fard le brouiüoa de cette lettre, je Ia tranteis ici, pennettant a M de Chau.-el d'en faire i'n.age q.'j] lui plaira (*). Je ne me fouviens point exaétemenr de ce ene fécrivis il y a vingt - rrols ans a M. du Tneii: mais il eft vrai ene j'ai été domeflique de K de M u, Am'oaiTadeur de France a Venife, & que j'ai mangé fon pain, comme fes gentikhommes étoient fes domefiiques & macgeoient fon (*) On trouvera «ne Isnre ri-spras, pas» 2n f™-« 1. dite du 17 Juia i; v:;= é;::i .5 =3 1756 (*) a été iaanawe i Berlin , je dab tob* c: r:e r: :: .- ; 1 re: ïrs-i. ;c je rï-plaai ce deaoar aaec vérité £c fis:?bcLé- C.::; :=■:::= r.zzs ijizz .-t :tt izztzi s£k.";'is, : ceiisee 1 Tc \z : ; z z , .: —; : >: Li.: z ? 1 zzz,.- ; tr.'jfZH ü ,  s?4 Lettres de a qni les droirs de 1'ainiiié ne me permettoierrt pas de rien refufer de femblable, & a qui les mêmes droits permeitoient encore moins d'abufer de leur dépót en violant ieur promefle. Ces trois perfonnes font, Mde. de C*** , belle-fille de Mde. D***; Mde. la C. d*ü*f% & un Alle» mand nommé M. G***. Mde. de C*** fouhaitoit que cette lettre fut imprimée,& me demanda mort confentement pour cela, je lui dis qu'il dépendoit du vótre ; il vous fut demandé, vous le refusüces, & il n'en fut plus quellioii. Cependant M. 1'abbé Trublet , avec qui je n'ai nulle efpèce de liaifon, vient de m'éctire, pnr une attention pleine d'honnêteté , qu'ayanc recu les feuilles d'un journal de M. Forrney, il y avoit lu cette même lettre, avec un avis dans lequel i'édïteur dit, fous la date du 23 Oftobre 1759, qu'il Ta trouvèe, il 31 a quelques femaittes, thez les libraires de Berlin, ö? que , comme c'eft une de ces feuilles volant es qui difparoijfent bientót Jsns retour, il a cru devoir lui donner place dam fon journal. Voila, Monfieur, tout ce que j'en fais. II eft très-für que jufqu'ici 1'on n'avoit pas même ouï parler a Paris de cette lettre: il eft trés - für que 1'exemplaire, foit manufcrit, foit imprimé, tombé dans les mains de M. Formey, n'a pu lui \cnk médiatement ou immédiatement que de vous, ce qui n'eft pas vraifembiable, ou d'une des trois pafotmes que je vous ai nomasées: euüu il eü  J. J. R O ü S S E A ü. 2/5 trés fur que les deux Dames font incapables d'une pareille infidélhé. Je n'en purs favoir dnvanrage de ma retraite. Vous avez des correfpondances , au moyen defquelles il vous feroit aifé , fi la chofe en valoit la peine, de remonter a la fource & der vérifier le fait. Dans la même lettre, M. 1'abbé Trublet me marqué qu'il tient la feuille en réferve, & ne la> prétera point fans mon confentement, qu'affurément je ne donnerai pas; mais il peut arriver que cet exemplaire ne foit pas le feul a Paris. Je fouhaite, Monfieur, que cette lettre n'y foit pas impriraée, & je ferai de mon mieux pour cela. Mais fi je ne pouvois éviter qu'elle ne le füt, & qu'inflruit a temps, je puffe avoir la préférence, alors je n'héfiterois pas a la faire imprimer moiméme; cela me paroit jufle & naturel. Quant a votre réponfe a Ia même lettre, elle n'a été communiquée a perfonne, & vous pouvcz compter qu'elle ne fera jamais imprimée fans votre aveu (*), que je n'aurai pas 1'indifcrétion de vous demander, fachant bien que ce qu'un homme écrit a un autre, il ne 1'écrit pas au public. Mais ff vous en vouliez faire une pour être pubiiée, & me 1'adreiTer, je vous promets de la joindre fid'é* (*~) Cela s'cnteiKl de fon vivant & dn mien ; & affcrftncnt les plus exacts piocddés , furtout avee un hcnwnvt qui les foule tous au* pieds, n'tn f^auroienc exiaer da» M &  3-(5 Lettres be lement a ma lettre, & de n'y pas répliquer nn feul mot. Je ne vous sime point, Monfi-ur; vous m avea fait les maux qui pouvoient m'être les plus fcnftbles, a moi votre difciple & votre emhoufiafte. Vous avez perdu Genève,pour le prix de 1'afileque vous y avez ree-u; vous avez aliéué de moi mes concitoyens, pour le prix des applaudiiTemens que je vous ai prodigués parmi eux. C'eft vous qui me rendez le féjour de mon pays infupportable; c'eft vous qui rae ferez mourir en terre étrangère, privé de toutes les confolations des mourans, & jeté pour tout honneur dans une voirie, tandis que, vivant oumort, tous les honneurs qu'un homme peut attendre, vous accompagneront dans mon pays. Je vous hais, eniin; vous 1'avez voulu ï mais je vous hais c-n homme encore plus digne de vous aimer, fi vous 1'aviez voulu. De tous les feminiens dont mon cceur étoit pénétré pour vous, il n'y refte que 1'admiration qu'on ne peut refufer a votre beau génie, & 1'amonr de vos .écrits. Sife ne puis honorer en vous que vos taiens, ce n'eft pas ma faute. Je ne manquerai jamais an refpeft que je leur dois, ni aux procédés que ce reipèaexige. Adieu, Monfieur. Note firvant d'apojlille d cette lettre. O n temarquera que depuis prés. de fepr ans: qx. cette lettre ifl. éciite , je n'en ai parlé , ni ne  J. J. R o d s $ z i tk 277 Tü monrréa 2 srne vimte. II en a été de rnéae des ceux ietrres qae M. Hume rae forca Tété dernier de lui écrire, jcfqaa ce qu'il eu ait fait le v::::-e ::i z'z.zz.z L; zzz. z _ï V ; i :e de nes enrwmis, je le leur dis en fecret 2 eaxEèrae.'; pon: le bien, qaaai il y en a, je le du cr. r.b.;; ï ce zzz czsz:. Uns, ;i Mii 1.-55. Si M. ce Vchïke a dit, qu'au liea (fayoir é:é feuéuke de TAabafladeur de France a Venke, j'ai été fon valei, M. de Voltaire en a menti aaiaiaic na impudenu Si, r'Tvt les aaaees 1743 & 1744, je n'ai pis été premier feciéuire de rAmbafiadecr de F.i-re, fi je n'ai pas fait les fonciioas de fecré:_- c A—r-: "«ie, .1 .'e n'ea ai pis eu les biaueors an Séaat de Venife , fes aurai oerja LetTxe * a 7  8^8 Lettres de faire en queftion, je continuerai , quoi qu'il arrivé, de laiifer M. Hume faire du bruit tout feul; & je garderai, le refle de mes jours, le filence que je me fuis irapofé fur cet article. Au refle, fans affeaer uue tranquillité floïque, j'ofe vous affurer que dans ce déchainement univerfel, je fuis éinu aufli peu qu'il eft pofiible, & beaucoup moins que je n'aurois cru 1'être, fi d'avance on me 1'eüt annoncé. Mais ce que je vous protefte, & ce que je vous jure, mon refpedable hóte, en vétité & a la face du ciel, c'eft que le bruyant & triomphant David Hume , dans tout 1'éclat de fa gloire, me paroit beaucoup plus a plaindre que l'infortuné J. J. Rouffeau, livré a la diffamatiou publique. Je ne voudrois pour rien au monde être a fa place, & j'y préfère de beaucoup la mienne, même avec 1'opprobre qu'il lui a plu d'y attacher. J'ai craint pour vous ces mauvais temps paffés. J'efpère que ceux qu'il fait a préfent en répareront le mauvais effet. Je n'ai pas été mieux traité que vous, & je ne connois plus guère de bon temps* ni pour mon cceur, ni pour mon corps. J'excepte celui que je paffe auprès de vous; c\-ft vous dire affez avec quel empreffement je vous attends & votre chère familie que je remercie & falue de toute mon ame.  j. j. R o u i s e a u. *79 Lettre * M. du Peyeu. A Wootton, le ïC Aoiit :7fi(S. Je ne doute point, mon cher hóte, que les chofes incroyables que M. Hum? écrit par-tout, ne vous foient parvenues, & je ne fuis pas en peine de 1'efFet qu'elles feront fur vous. 11 promet au public une relation de ce qui s'eft paifé entre lui & moi, avec le recueil des lettres. Si ce recueil eft fait fidèlement , vous y verrez dans celle que je lui ai éctite Ie 10 Tuiliet, un ample détail de fa conduite & de la mienne, fur lequel vous pourrez .juger entre nous ; mais comme infailliblement il ne fera pas cette pu» blication, du moins fans les falfiftcations les plus énotmes , je me réferve a vous mettre au fait par le retour de M. d'Ivernois; car vous copier maintenant cet immenfe recueil, c'eft ce qui ne m'eft pas pofiible, & ce feroit rouvrir toutes mes plaies. J'ai befoin d'un peu de ttève pour reprendre mes forces prêtes a me manquer. Du refte je le laiffe déclamer dans le public, & s'emporter aux injures les plus brutales. Je ne fais point quereller en charretier. J'ai un défenfeur dont les opérations font lentes, mais süres ; je les attends, & je me tais. je vous dirai feulement un mot fur une penfion du Roi d'Angleterre dont il a été queftion,  4-8o Lettres de & dont vous m'aviez parlé vous-même. Je ne vous répondis pas fur cet article, non feuUment a caufe du fecret que M. Hume exigeoit au nom du Roi, & que je lui ai fidèlement gardé jufqu'a ce qu'il fait publié lui- même; mais paree que, n'ayant jamais bien compté fur cette penfiou, je ne voulois vous flatter pour moi de cette efpérance, que quand je ferois afluré de Is.voir remplir. Vous fentez que rompant avec M. Hume après avoir découvert fes trahifons, je ne pouvois fans infamie accepter des bienfaits qui me venoient par lui. H eft vrai que ces bienfaits & ces trahifons femblent s'accorder pourtant fort bien. Son plan étoit de me fervir publiquement avec la plus gtande oftemation, & de me dhTamer en fecret avec la plus grande adreffe; ce dernier objet a été parfaitement rempli : vous aurez la clef de tout cela. En attendant, comme il publie par-tout qu'après avoir accepté la penfion, je Pai malhonnêtement refufée, je vous envoie une copie de la lettre que j'écrivis a ce fujet au Miniftre , par laquelle vous verrez ce qu'il en eft. Je reviens maintenant a ce que vous m'en avez éctit. Lorfqu'on vous marqua que la penfion m avoit été offerte , cela étoit vrai; mais lorfqu'on ajotitaque je favois refufée,cela étoit parfaitement fauxCar au contraire, fans aucun doute alors fur la. fO Voyez Va lettre 5 M. le Gehéraï Omy, dn « MS.7ftö uxne XJ8IV des Oeuvres >n b. & m >*» *  J. J. R O U S S E A V. Cé>l fincétité de M. Hume, je ne mis, pour accepter cette penfion, qu'une condition unique, favoir, 1'agrérnent de Milord Maréchal, que, vu ce qui s'étoit paiTé a Neuchatel, je ne pouvois me difpenfer d'obtenir. Or nous avions eu cet agrémerrt avant mon départ de Londres; tl ne reftoit de la part de ia cour qu'& terminer 1'affaire, ce que je n'efpérois pourtant pis beaucoup : mais ni dans ce temps ■ la , ni avant, ni après, je n'en ai parlé a qui que ce fut au monde, hors le feul Milord Matéchal, qui süreiuent m'a gardé le fecret. II faut donc que ce fecret ait été ébruité de la part de M. Hume: or comment M. Hume a t - il pu dire que j'avois refuré, puifque cela étoit faux . & qu'alors mon intention n'étoit pas même de refufer ? Cette anticipation ne montre • t - elle pas qu'il favoit que je ferois bientót forcé k ce refus, & qu'il entroit même dans fon ptojet de m'y forcer, pour amener les chofes au point oü il les a mifes ? La chalne de tout cela me paroit importante k fuivre pour le travail dont je fuis occupé, & fi vous pouviez parvenir a remonter, par votre ami, a la fource de ce qu'il vous écrit, vous rendriez un grand fervice a la chofe & a moimême. Les chofes qui fe patiënt en Angleterre a mon égard, font, je vous aflure, hors de toute iraagination. J'y fuis dans la plus complette diffamation oü il foit pofiible d'être, fans que j'aie donné a cela la moindre occafion, & fans que pas  aJz Lettre* db une ame puiffe dire avoir eu perfonnellement le moindre mécontentement de moi. II paroit main. tenant que le projet de M. Hume & de fes affociés eft de me couper toute reffource, toute communication avec le continent, & de me faire péiir ici de douleur & de misère, j'efpère qu'ils ne rétiffiront pas; mais deux chofes me font trembler. L'une eft qu'ils travaillent avec force a détscher de moi M. Davenport, & que, s'ils y réufliffent, je fuis abfolument fans afile, & fans favoir que devenir. L'autre encore plus effrayante , eft qu'il faut abfolument que , pour ma correfpondance avec vous, j'aie un commiffionnaire a Londres, a caufe de faffranchiffement jufqu'a cette capitale, qu'il ne m'eft pas pofiible de faire ici. Je me fers pour cela d'un libraire que je ne connois point, mais qu'on m'affure être fort honnête homme. Si, par quelque accident, cet homme venoit a me manquer, il ne me refte perfonne a qui adreffer mes lettres en sóreté, & je ne faurois plus comment vous écrire. II faut efpérer que cela n'arrivera pas: mais, mon cher hóte, je fuis ft malheureux! il ne me faudroit que ce dernier coup. Je tache de fermer de tous cótés la porte aux nouveiles affligeantes. Je ne lis plus aucun papier public, je ne réponds plus a aucune lettre, ce qui doit rebuter a Ia fin de m'en écrire. Je ne pafle que de chofes indifférentes au feul voifm avec lequel je converfe,-paree qu'il eft le feul qui parle francais. 11 ne m'a pas été poflible, vu la  j. J. R o u S S e A V. 2?3 caufe, de n'étre pas affeété de cette épouvantable révolution qui, je n'en doute pas, a gagné toute 1'Europe; mais cette émotion a peu duté; la férénité eft revenue , & j'efpère qu'elle tiendra; car il me paroit difficile qu'il m'arrive déformais aucun malheur imprévu. Pour vous, mon cher hóte, que tout cela ne-vous ébranle pastj'ofe vous pré. dire qu'un jour 1'Europe portera le plus grand reIpeét & ceux qui en auront conferve pour moi dans mes difgraces. Lettre d Mde. la Comtefe de Boufflers. A Wootton, le 30 Aoüt 176Ö. Une chofe me fait grand plaifir, Madame, dans la lettre que vous m'avez fait 1'honneur de m'écri. re le 27 du mois dernier, & qui ne m'eft parvenue que depuis peu de jours; c'eft de connoltre a fon ton que vous étes en bonne fanté. Vous dites, Madame, n'avoir jamais vu de lettre femblable a celle que j'ai écrite a M. Hume; cela peutétre, car je n'ai, moi, jamais rien vu de femblable a ce qui y a donné lieu. Cette lettre ne reftemble pas du moins a celles qu'écrit M. Hume, & j'efpère n'en écrire jamais qui leur refr femblent. Vous me demandez quelles font les injures dont je me plains ? M. Hume m'a forcé de lui dire que  S84 Lettres de je voyois fes manoeuvres fecrèces, & je 1'ai fait. II m'a forcé d'entrer, la - defTus, en explication; je 1'ai fait eHCore, & dans le plus grand détail. II peut vous rendre compte de tout cela, Madame; pour moi, je ne me plains de rien. Vous me reprochez de me livrer a d'odieux foupcons; a cela je réponds que je ne me livre point a des foupcons. Peut-étre auriez-vous pu, Madame, prendre pour vous un peu des lecons que vous me donnez, n'étre pas fi facile a croire que je ctoyois fi facilement aux trahifons, & vous dire pour moi une partie des chofes que vous vouliez que je me difle pour M. Hume. Tout ce que vous m'aüéguez en fa faveur forme un'préjugé trés-fort, trés - raifonnable, d'un trés-grand poids, furtout pour moi, & que je ne cherche point a combattre. Mais les préjugés ne font rien contre les faits. Je m'abfiiens de juger du caradère de M. Hume, que je ne connois pas. Je ne juge que fa conduite avec moi,que je conaoi*. Peut-être fuis-je le feul homme qu'il alt jamais haï; mais aufli quelle haine! Un même cceur fuffiroit-il a deux comme celle-la? Vous vouliez que je me refufafle St 1'évidence; c'eft ce que j'ai fait autant que j'ai pu: que je démentifle le témoignage de mes fens; c'eft un confeil plus facile a donner qu'a fuivre : que je ne crufle rien de ce que je fentois, que je confultafle les amis que j'ai en France. Mais fi je ne dois rien croire de ce que je vois & de ce que je fens, ils  J. J. ROUSSEAU. 285* le croiront bien moins encore, eux qui ne le voient pas, & qui le lentent encore moins. Quoi, Madame! quand un homme vient entre quatre yeux m'enfoncer a coups redoublés un poignatd dans le fein, il faut, avant d'ofer lui dire qu'il me frappe, que j'aille demander a d'autres s'il m'a frappé? L'extrême emportement que vous trouvez dans ma lettre me fait préfumer, Madame, que vous n'ètes pas de fang-froid vous-méme ,ou que la copie que vous avez vue eft falfifiée. Dans Ia cir> conftance funefte oü j'ai écrit cette lettre, & oü M. Hume m'a forcé de 1'écrire, fachant bien ce qu'il en vouloit faire, j'ofe dire qu'il falloit avoir une ame forte pour fe modérer è ce point. II n'y a que les infortunés qui fentent combien,daus 1'excès d'une affliétion de cette efpèce, il eft difficile d'allier la douceur avec Ia douleur. M. Hume s'y eft pris autrement, je 1'avoue. Tandis qu'en réponfe a cette méme lettre, il m'écrivoit en termes décens & même honnêtes, il écrivoit a M. d'Holback & a tout le monde en termes un peu différens. II a rempli Paris, la France, les gazettes, 1'Europe entière de chofes que ma plume ne fait pas écrire & qu'elle ne répétera jamais. Etoit - ce comme cela, Madame, que j'aurois dü faire ? Vous dites que j'aurois dü modérer mon emportement contre un homme qui m'a réellement feryi. Dans la longue Lettre que j'ai écrite le  i86" Lettres de io Juillet a M. Hume, j'ai pefé avec la plus gran^ de équité les fetvices qu'il m'a rendus. 11 étoit digne de moi d'y faire partout pencher la balance en fa faveur, & c'eft ce que j'ai fait. Mais quand tous ces grands fervices auroient eu autant de réalité que d'oftentation, s'ils n'ont été que des piéges qui couvroient les plus noirs deffeins, je ne vois pas qu'ils exigenc une grande reconnoiffance. Les Hens de tamitiè font refpeftables, même après qu'ils font rompus: cela eft trés - vrai; mais cela fuppofe que ces lieni ont exifté. Malheurenfement ils ont exifté de ma part. Audi le parti que j'ai pris de gémir tout bas & de me taire, eft - il 1'eiTet du refpeet que je me dois. Et les feules apparences de ce fentiment le font auffi. Voila, Madame, laplus étonnante maxime dont j'aie jamais entendu parler. Comment? Gtót qu'un homme prend en public le mafque de 1'a. mitié pour me nuire plus a fon aife, fans même daigner fe cacher de moi; fi - tót qu'il me baife en m'afTalïïnant, je dois n'ofer plus me défendre , ni parer fes coups, ni m'en plaindre, pas méme a iui!..... Je ne puis croire que c'eft-la ce que vous avez voulu dire : cependant, en relifant ce paflage dans votre lettre, je n'y puis trouver aucun autre fens. i Je vous fuis obligé, Madame, des foins que vous voulez prendre pour ma défenfe, mais je ne les accepce pas. M. Hume a fi bien jeté le maf-  J. J. R O ü I f E j p. jfc qn'i prèfenr ft coadohe pafeftnle & dit »« aqiriae ren pv s'aaeogier. Whkqaxd ceb 2i :e =; ?: :: r;'o- =» paree «F* Je P» befoin de jafiifiarioa, & jé ne Tem pas qa'oa m'etcTjr-, paree que cefa eft IU ":1-;-5 ;- ■ :erc 3 fei -_a dam Tabtaw de auiaenrc on je foi, ptorigé, les perfoaaes cpe fnoaore m'écriviiTeni des lettres «*» if II aft, q« feniê M h = * e==.er.s: p;_- e..;s ::=4 :54 raens qa*elles m'aac iaQ>inS$. Lettier 1T. flrerwU. A Woooan, fe ;i Ao4t J'ai le, Hcmfieor, dans Tccrelenre dn 31 Jnület, rankte de la gazeae qae tous y arez asoC crit, & fiv lequel voos me deataodez des inflnjctioaapoBr saa defeme. Ealde qaoi,|e roos prie, v:.r:-r;j: De i'izi nn infame ? Moo boa ami, vont a*y penfez ^ L:: c.-:- v;.5 rr et ie ci: ic i;i ; :-« aactes lenre? qu'ecrê M. Iftnae, répondez Gaipfesaent: Je connoa mos. saai RomTean, de paacaV les accafidoas ne fcam-o-ent le regsróer. Da reïte, fi : = < ca-=s =: . zi:z-.z Ie 2 -re, 5c -ze> lez ea repos. Sax-toot se ne padez jdas de ce  tBS Lettres de qu'on dit dans le public & dans les gazettes ? II y a long-temps que tout cela eft mort pour moi. II y a cependant un point fur lequel je défire que mes amis foient inftruits, paree qu'ils pourroient croire, comme ils ont fait quelquefois & toujours a tort, que des principes outrés me conduifent a des chofes déraifonnables. M. Hume a répandu a Paris & ailleurs, que j'avois refufé brutalement une penfion de deux mille francs du Roi d'Angleterre, après l'avoir acceptée. Je n'ai jamais parlé a perfonne de cette penfion que le Roi vouloit qui füt fecrête, & je n'en aurois par. ré de ma vie, fi M. Hume n'eüt commencé. L'hiftoire en feroit longue a déduire dans une lettre; il fuffit que vous fachiez comment je m'en défendis, quand, ayant découvert les manoeuvres fecrètes de M. Hume, je düs ne tien accepter par la médiation d'un homme qui me trahifibit. Voici, Monfieur, une copie de la lettre que j'écrivis a ce fujet a M. le Général Conway, fecrétaire d'Etat (*). J'étois d'autant plus embarrailé dans cette lettre, que, par un excès de ménagement, je ne voulois ni nommer M. Hume, ni dire mon vrai motif. Je vous 1'envoie, pour que vousjugiez, quant a préfent, d'une feule chofe, favoir, fi j'ai refufé mal-honnêtement. Quand nous nous ver- rons, (*5 Voyez cette lettre fous la date du 12 Md nöö,Tomé XXIV des Oeuvies, óditions in ü. & in 12, ci Touw Xll in 4.  J. J. R O U S S E A U. SgO rons, vous faurez le refle: plaife a Dieu que ce foit bientót! Toutefois ne prenez rien fur vos affaires d'aucune efpèce. Je puis attendre, & dans quelque temps que vous veniez, je vous verrai toujours avec le même plaifir. Je me rapporte en toute chofe a Ia lettre que je vous ai écrite, il y a une quinzaine de jours, par voie d'ami. Je vous embrafle de tout mon cceur. P. S. II faut que vous ayez une mince opinion de inon difcernement, en fait de flyle, pour vous imaginer que je me trompe fur celui de M. de Voltaire, & que je prends pour être de lui ce qui n'en efl pas; & il faut en revanche que vous ayez une haute opinion de fa bonne foi, pour croire que dés qu'il renie un ouvrage, c'eft une preuve qu'il n'eft pas de lui. Lettre d M. du P . . . . u, A Wootton , Ie 15 Novembre 17Ö6. Je vois avec douleur, cher ami, par votre N°. 35 j que je vous ai écrit des chofes déraifonnables dont vous vous vous tenez off.-nfé. II faut que vous ayez raifon d'en juger ainfi, puifque vous étes de fang - froid en lifant mes Iettres, & que je ne le fuis guéres en les écrivant: ainfi vous étes plus en état que moi de voir les chofes telles qu'elles font. Mais cette confidératiou doit être aufli, de /oire part, une plus grande raifon d'inSuppl. Tom. VIII. jnj  200 Lettres de duigenee; ce qu'on écrit dans Ie trouble, ne doit pas être envilagé comme ce qu'on.écrit de fangfioid. Un dépit outré a pu me laiffer échapper des expreffions démenties par mon cceur , qui n'eut jamais pour vous que des feminiens honorables. Au contraire, quoique vos expreffions le foient toujours, vos idéés fouvent ne le font guéres; & voila ce qui, dans le fort de mes affliaions, a fouvent achevé de m'abaure. En me fuppofant tous les torts dont vous m'avez Charge , il falloit peut-être attendre un autre moment pour me les dire, ou du moins vous réfoudre a endurer ce qui en pouvoit réfulter. Je ne prétends pas , a Dieu ne plaife, m'excufer ici, ni vous chareer • mais feulement vous donner des raifons qui me'femblent jufles, d'oublier les torts d'un ami dans mon état. Je vous en demande pardon de tout mon cceur; j'ai grand befoin que vous me faccordiez; & je vous protefle avec vérité, que ie „'ai jamais celTé un feul moment d avoir pour vous tous les fentimens que j'aurois défiré vous trouver pour moi. U pumtion a fuivi de prés 1'offenfe. Vous ne pouvez douter du tendre intérêt que je prends» L ce qui tient . votre fanté; & vous refufez de me pa.ler des fuites de votre voyage de Bef. fort Heureufement vous n'avez pu être méchant qu'a demi, & vous me laiifezentrevoir un fuccès dont je brftle Apprendre la confirmauor, Ec,,. V€S moUa-deOos en détail, mon aimable hó.e,  J. J. R.oosseau. 201 donnez-moi tout a la fois le plaifir de favoir crae vos remèdes opdrent, & celui d'apprendre que je fuis pardonné. J'ai le cceur trop plein de ce befoin , pour pouvoir aujourd'hui vous parler d'autre chofe; & je finis en vous répétant du fond de mon ame, que mon tendre attachement & mon vrai refpeét pour vous ne peuvent pas plus fortir de mon cceur, que i'amour de la vertu. Lettre a M. Laliaud. ^ A Wootton , 1& 15 Novsmbre tj66. A peine nous connoiffons-nous, Monfieur, & vous me rendez les plus vrais fervices de 1'amitié: ce zéle eft donc moins pour moi que pour la chofe, & m'en eft d'un plus grand prix. Je vois que ce même amour de la juftice qui btüla toujours dans mon cceur, brüle aufli dans le vótre: rien ne lie tant les arnes, que cette confotmité. La nature nous fit amis; nous ne forames, ni vous, ni moi, difpofds a 1'en dédire. J'ai recu le paquet que vous m'avez envoyé par la voie de M. Dutens; c'eft, a mon avis , la plus sore. Le duplicata m'a pourtant déja été annoncé, & je ne doute pas qu'il ne me parvienne. J'admire 1'intrépidité des auteurs de cet ouvrage, & fur-tout s'ils le lailTent répandre a N s  20* Lettres de Londres, ce qui me paroit difficile a empêcher. Du refte, ils peuvent faire & dire tout a leur aifej pour moi je n'ai rien a dire de M. Hume, fom que je le trouve bien infultant pour un bon homme, & bien bruyant pour yn philofophe. Bon jour, Monfieur; je vous aimerai toujours, mais ie ne vous éctirai pas, a moins de néceftlté. Cependant, je ferois bien aife, par précaution , davoir votre adrefle. Je vous embrafle de tout mon cceur, & vous prie de dire a M. de Sauttershaim öTfe j» fuis fenfible a fon fouvenir, & n'ai point oublié notre ancienne amitié. Je fuis aulïï futpns cue faché qu'avec de 1'efptit, des talens, de la douceur & une affez jolie figure, il ne trouve rien ö faire a Paris. Cela viendra, mais les commencemens y font difficiles. Lettres Lord Vicomte de Nuncham, mijourd'Aui Comte de Harcourt. A Wootton, le 24 Décembre 1766. Te croirois, Milord, exécuter peu honnêtement ia réfolUtiPn q«e j'ai prifc de me défaire de mes eftarrpes & de mes livres, fi je ne vous pnois de vouloir bien commencer par en retirer les eflampes dont vous avez eu la bonté de me faite préfent. J'en fais affuréinent tout le cas pollible, & la néctffité de ne {iet? laiffer fous mes yeux  j. j. 11 0 u s s e a u. 203 qui me rappelle un goüt auquel je veux renon. eer, pouvoit feula en obtenir le facrifice. S'il y a dans mon petit recueil, foit d'eftampes, foit de livres, quelque chofe qui puiffe vous convenir, je vous prie de me faire 1'honneur de 1'agréer, & fur-tout, par préférence, ce qui me vient de votre digne ami M. Watelet , & qui ne doit pasfer qu'en main d'ami. Enfin, Milord, fi vous êtes 3. portee d'aider au débit du refte, je reconnoicrai dans cette bonté les foins officieux dont vous m'avez permis de me prévaloir. C'eft chez M. Davenport que vous pourrez vifiter le tout, fi vous voulez bien en prendre la peine. II demeure en Piccaddily, a cóté de Lord Egremont. Re. cevez, Milord, je vous prie, les affurances de ma reconnoiflance & de mon refpeét. Lettre^ SI. Davenport. 26 Décembre 1760". Quoique jufqu'ici, Monfieur, malgré mes follicitations & mes prieres, je n'aie pu obtenir de vous un feul mot d'explication , ni de réponfe fur les chofes qu'il m'importe le plus de favoir, mon extréme confiance en vous m'a fait endurer patiemment ce filence, bien que trés• extraordinaire. Mais, Moufieur, il eft temps qu'il celle; & vous pouvez juger des inquiétudes dont je fuis dévore, N 3  «94 Lettres de vous voyant prét a partir pour Londres fans m'accorder, malgré vos promeffes, aucun des éclaircifl'emens que je vous ai demandés avec tant d?ia> flances. Chacun a fon caroéïère; je fuis ouvert & confiant, plus qu'il ne faudroit peut-être. Je ne demande pas que vous le foyez comme moi ; mais c'eft aulïï poufler trop loin le myflêre, que de refufer couilamment de me dire fur quel pied je fuis dans votre maifon, & fi j'y fuis de trop ou non. Confidérez , je vous fupplie, ma Oma» tion, & jngez de mes embarras; quel parti puisje prendre, fi vous refufez de me parler? Doisje refier dans votre maifon malgré vous ? En puis» je fortir fans votre affifiance? Sans amis, fans connoiflanccs, enfoncé dans un pays dont j'ignore la langue, je fuis entiêrement a la merci de vos gens, C'eft a votre invitation que j'y fuis venu, & vous m'avez aidé a y venir; il convient, ce me femble, que vous m'aidiez de même a en partir, fi j'y fuis de trop. Quand j'y refterois, il faudroifs toujours, malgré toutes vos répugnances , que vous eufïïez la bonté de prendre des arrangemens qui rendiflent mon féjonr chez vous moins onéreux pour 1'un & pour 1'autre. Les honnêtes gens gagnent toujours a s'expliquer & s'entendre entre eux. Si vous entriez avec moi dans les détails dont vous vous fiez a vos gens, vous feritz moins trompé & je ferois mieux traité; nous y irouveiions tous deux notre avantage : vous avez trop d'efprit pour ne pas voir qu'il y a des  J. J. ROUSSEAU. £95 gens a qui mon féjour dans voire maifon déplait beaucoup, & qui feront de leur mieux pour me le rendre défagréable. Que fi, malgré toutes ces raifons, vous continuez a garder avec moi le filence , cette réponfe alors deviendra tr.^s - claire, & vous ne trottverez pas mauvais que, fans m'obftiner davantage inutile. ment, je pourvoie a ma retraite comme je pourrai, fans vous en parler davantage, emportant un fouvenirtrès-reconnoiiTant de 1'hofpitalité que vous m'avez offerte, mais ne pouvant me difïïmuler les cruels embarras oü je me fuis mis en 1'acceptant. Lettre a M Janvier 1767. C B que vous me marcjuez, Monfieur, que M. Deyverdun a un pofte chez le Général Conway, m'expüque une énigme a laquelle je ne pouvois lien comprendre, & que vous verrez dans la lettre dont je joins ici une copie faite fur celle que M. Hume a envoyée a M. Davenport. Je ne vous la communiqué pas, pour que vous vétifiez fi ledit M. Deyverdun a écrit cette lettre, chofe dont je ne doute nullement, ni s'il eft en effei 1'auteur des écriis en queftion mis dans le St. James Chronicle, ce que je fais parfaitement être N 4  20 cuue facon, je vous- ai cité & nomméy ave© M 6  300 Lettres de confiance, fur un fait qui étoit a fa charge, fans crainte d'êire démenii par vous. Je ne fuis pas affez itijufte pour juger mal par M. Hume de tous fes amis. 11 en a qui Ie connoiflenr, cV qui fonc trés-digiles de lui; mais i! en a aufli qui ne le connoiffent pas, & ceux-lè méritent qu'on les plaigne, fans les en eftimer moins. Je fuis tréstouché, Milord, de vos lettres, & ttês - fenfible f.ti courage que vous avez de vous montrer de mes amis parmi vos compauiotes & vos pareils; mais je fuis fa:hé pour eux qu'il faille a cela du courage; je connois des gens mieux inflruits, chez lefquels on y mettroit de la vmité. Je vous prouverai, Milord, mon entiére & jaleine coiifiance, en me prévalant de vos offres; & dés a préfent j'ai une grace a vous demander, c'eft de me donner des nouveiles de M. Watelet. 11 eft ancien ami de M. d'Alembert, mais il efl aufli mon ancienne connoiflance; & les feuls jugemens que je crains, font ceux des gens qui neme connoiffent pas. Je puis bien dire de M, Waielet, au fujet de M. d'Alembert, ce que j'ai dit de vous au fujet de M. Hume; mais je connois 1'incroyable rufe de mes ennemis capable d'enlacer dans fes piéges adroits la raifon & la vertu méme. Si M. Watelet m'aime toujours, de grace, preffez-vous de me le dire; car j'ai grand befoin de le favoir. Agréez, Milord, je vous fupplie, mestres humbles falutations & mon rcfpect.  J. J. Pv o u s s e A V. ■ 30I Lettre a M, Davenport. Le 7 Fdvrier 1767. Je recus hier, Monfienr, votre lettre du 3, nar laquelle j'apprends avec grand plaifir votre entier rétabliflement. Je ne puis pas vous annoncer le mien tout-a-fait de même. Je fuis mieux ce* pendant que ces jours derniers. Je fuis fort fenfible aux foins bienfaifans de M. Fitzherbert, furtout fi, comme j'aime è le croire, il en prend autant pour mon honneur que pour mes intéréts. II femble avoir hérité des empreflemens de fon ami M. Hume. Comme j'efpère qu'il n'a pas hérité de fes fentimens, je vous prie de lui témoigner combien je fuis touché de fes bontés. , Voici une lettre pour M, le duc de Grafton, que je vous prie de fermer avant de la lui faire pafler. Je dois des remercimens a tout Ie monde; & vous, Monfieur, a qui j'en dois le plus, étes ctlui S qui j'en fais le moins. Mais comme vous ne vous étendez pas en paroles, vous aimez fans doute k être imité. -Mes falutations, je votif fupplie, & celles de Mde. le Vafleur a vos chers enfans & aux Dames de votre maifon. Agréez fon refpect & mes trés-humbles falutations. N 7  3o2 Lettres de L e t t k e au même. Féviier 1767. Bien loin, Monfieur, qu'il puiffe jamais m'être entré dans 1'efprit d'être affez vain, affez fot, 8c affez mal appris, pour refnfer les graces du Roi , je les ai toujours regardées , & les regarderai toujours, comme le plus grand honneur qui me puiffe arriver. Quand je confuhai Milord Maréchal fi je les aecepterois, ce n'étoit certainement pas que je fuffe la-deffus en doute; mais c'eft qu'un devoir particulier & indilpenfable ne me permettoit pas de le faire que je n'euffe fon agrément. J'étois bien fur qu'il ne le refuferoit pas. Mais, Monfieur, quand le roi d'Ar.gleterre & tous les fouverains de 1'univers metroient a mes pieds tous leurs tréfors & toutes leurs couronnes, par les mains de David Hume , ou de quelque autre homme de fon efpèce,s'il en exil7e,je les rejetterois toujours ^vec autant d'indignation que dans tout autre casje les recevrois avec refpea & reconnotïïanceVoila mes feminiens dont rien ne me fera départirJ'ignore a quel fort, a quels malheurs la Providence me réferve enccre; mais ce que je fais c'eft que les ftmimens de droiture & d'honneur, qut font g'avés dans mon cceur, n'en foniront jamais qu'avec mon dernier foupir. j'efpère, pour cette fois, que je me ferai exptimé clairement. 11 ne faut pas, mon eher Monfieur, je vous en  J. J. RoüSSEAU. SP3 prie, mettre tant de formalités a i'affaire de mes livres. Ayez la bonté de montrer le catalogue k un libiatre, qu'il note les prix de ceux des livres qui en valent la peine. Sur cette eliirnation , voyez s'il y en a quelques »uns dont vous ou vos amis puiffiez vous accommoder; brülez le refte, & ne cédez rien a aucun libraire, afin qu'il n'aille pas fonner la trompette par la ville, qu'il a des livres a moi. II y en a quelques-uns, entre autres le livre ie fEfprit, in 40. de ia première édition, qui eft rare, & oü j'ai fait quelques notes aux marges; je voudrois bien que ce livre-lit ne tombat qu'entre des mains amies. j'efpère,mon bon & cher hóte, que vous ne me ferez pas le fenfible affront de refufer le petit cadeau de mes ouvrages. Les eliampes avoient été mifes par mon ami, dans le ballot des livres de botanique qui m'a été envoyé; elles ne s'y font pas trouvées, & les potte-feuilles me font arrivés vides : j'ignore abfolument oü Becket a jugé a propos de fourrer ce qui étoit dedans. Je voulois remettre a des momens plus tranquil. les de vous parler en détail de vos envois; ce qui m'en plalt le plus, eft que, fi vous emendez que je refte dans votre maifon jufqu'a ce quelamufcade & la canelle foieut conlbmmées, je n'en déraarrerai pas d'un bon fiècle. Le tabac eft ttès-bon, & même trop bon, puifqu'il s'en confomme plus vtte; je vous fais mon remerciment de 1'emplette , & nou pas de la chofe, puifque c'eft une coa>  3o4 Lettres de mifïïon, & vous favez les régies. L'eau de la Reine de Hongrie m'a faic le plus grand plaifir,& j'ai reconnu la un fouvenir & une attention de M» Luzonne, a quoi j'ai été fort fenfible. Mais qu'eflce que c'eft que des petits quarrés de favon parfurné? A quoi diable fert ce favon? Je veux mourir fi j'en fais rien, a moins que ce ne foit a faire la bsrbe aux puces. Le café n'a pas encore été éfiayé, paree que vous en aviez Iaiflé, & qu'ayant éié malade, il en fallu fufpendre 1'ufage. Je me perds au milieu de tout cet invtntaire. J'efpère que, pour le coup, vous ne ferez pas de même, & que vous recueillerez les mémoires des marchands, afin que, quand vous ferez ici, & qu'il s'agita de favoir ce que tout cela coüte, vous ne me difiez pas, comme a f ordinaire, je n'en fais rien. Tant de richefles me mettroient de bonne hu. meur, fi les défaflres de nos pauvres Génevois,& mes inquiétudes fur Milord Maréchal n'empoifon. noient toute ma joie. J'ai craint pour vous 1'imprtfïion de ces temps humides, & je la fens aufli pour ma part. Voici le plus mauvais mois de Pannée; il faut efpérer que celui qui le fuivra nous traitera mieux. Ainfi foit- il! MHe. le Vafleur & moi faifons nos falutations a tout ce qui vous appanient, & vous ptions d'agréer les nóires.  J. J. R o u s s e a u. 305. Lettre d Milord Comte de Harcourt. A Wootton, !e 14 FéVrier 1767. Vous m'avez donné, Milord, le premier vrai plaifir que j'ai goüté depuis long - temps, en m'apprenant que j'étois toujours aimé de M. Watelet. Je le mérite, en vérité, par mes fentimens pour lui; & moi qui m'inquiète trés« médiocreinent del'eftime du public, je fens que je n'aurois jamais pu me paffer de la fienne. 11 ne faut abfoluraent point que fes efiampes foient en vente avec les autres; & puifque, de peur de reprendre un goüt auquel je veux renoncer, je n'ofe les avoir avec moi, je vous prie de les prendre au moins en depót, jufqu'a ce que vous trouviez, a les lui renvoyer,ou a en faire un ufage convenable. Si vous trouviez par hafard a les changer entre les mains de quelque amateur, contre un livre de botanique, a la bonne heure; j'aurois le plaifir de mettre a ce livre le nom de M. Watelet; mais pour les vendre, jamais. Pour le refte, puifque vous voulez bien chercher a m'en défaire, je laifle a votre entiére dilpofition le foin de me rendre ce bon office, pourvu que cela fe faffe de la part des acheteurs fans faveur & fans préférence, & qu'il ne foit pas queftion de moi. Puifque vous ne dédaignez pas de vous donner pour moi ces petits tracas, ï'attends de la candeur de vos fentimens, que vous confulterez plus mon goüt que  2o6 Lettres de mon avantage; ce fera m'obliger doublement. Ce n'eft point un produit néceffaire a ma fubfiftance. Te le deftine en entier a des livres de botanique , feul & dernier amufement auquel je me fuis confacré. L'honneur que vous faites a MUe. le ValTeur de vous fouvenir d'elle, 1'autorife a vous aiTurer de fa reconnoiffance & de fon refpea. Agréez, Milord, je vous fupplie, les mêmes fentimens de ma part. P. S. 11 doit y avoir parmi mes eflampes, un p'etit porte-feuille contenant de bonnes épreuves de celles de tous mes écrits. Oferai-je me flatter que vous ne dédaignerez pas ce foible cadeau, & de placer ce porte-feuille parmi les vótres? Je prends la liberté de vous prier, Milord, de vouloir bien donner cours a la lettre ci- jointe. L e t t r e (i M. du P . . . • «• A Wootton, le 14 Février i77' Te confeffe, mon cher hóte, le tort que j'ai eu Je ne pas répondre fur le champ a votre N°. 3* Car, malgré la honte d'avouer votre creduhté, je vois que fautotité du voiturier Le Comte avoit fait une grande impreflion fur votre efprit. Je me fachois d'abord de cette petite foiblelle, qui me  J. J. R O V S S E A Ü. 307 paroifToit pen d'accord avec le grand fens que je vous connois; mais chacun a les fiennes, & il n'y a qu'un homme bien efiimable ,ö qui fon n'en puilfe pas reprocher de plus grandes que celles-la. J'ai été malade, & je ne fuis pas bien; j'ai eu des tracas qui ne font pas finis, & qui m'ont empêché d'exécuter la réfolution que j'avois prife de vous écrire au plus vite que je n'étois pas a Morges. Mais j'ai penfé que mon N°. 7 vous le diroit alfez; & d'ailleurs, qu'une nouvelle de cette efpèce difparoltroit bientót, pour faire place a quelque autre aufli raifonnable. Vous favez que j'ai peu de foi aux grsnds guérifleurs. J'ai toujours eu une médiocre opinion du fuccès de votre voyage de Belfort, & vos dernières lettres ne font que trop confirmée. Confolez ■ vous, mon cher hóte; vos oreilles refleront a peu prés ce qu'elles font; mais quoique j'aye pu vous en dire dans ma colère, les oreilles de votre efprit font affez ouvertes, pour vous confoJer d'avoir le tympan matériel un peu obflrué; ce n'eft pas le défaut de votre judiciaire qui vous rend crédule, c'eft 1'excès de votre bonié; vous eftimez trop mes ennemis, pour les croire capables d'inventer des menfonges, & de payer des piedsplats pour les divulguer: il eft vrai que fi vous n'êtes pas trompé, ce n'eft pas leur faute. Je tremble que Milord Maréchal ne foit dans le méme cas,mais d'une maniére bien plus cruelle, puifqu'il ne s'agit pas de moins que de perdre 1'a.  3©| Lettres de mitié de celui de tous les hommes a qui ja dois la plus , & a qui je fuis le plus attaché. Je ne fais ce qu'ont pu manceuvrer auprès de lui le bon David & le fils du Jongleur, qui eft a Berlin ; mais Milord Maréchal ne m'éctit plus, & m'a méme annoncé qu'il celTeroit de m'écrire, fans m'en dire aucuneautte raifon, finon qu'il écrivoit avec peine, qu'il avoit cclTé d'écrire a fes parens, &c. Vous jugez fi mon cceur eft la dupe de pareils prétexies. Madame la Duchefle de Portland, avec qui j'ai fait connoilTance 1'été dernier chez un voifin, m'a porté en même temps le plus fenfible coup, en me marquant que les nouveiles publiques 1'avoient dit a l'extrêmité, & me demandant de fes nouveiles. Dans ma frayeur, je me fuis haté d'écrire a M. Rougemont pour favoir ce qu'il en étoit. II m'a rafiuré fur fa vie, en me marquant qu'en effet il avoit été fort mal, mais qu'il étoit beaucoup mieux. Qui me rafturera maintenant fur fon cceur ? Depuis le 22 Novembre, date de fa dernière lettre , je lui ai écrit plufieurs fois; & fur quel ton 1 Point de réponfe. Pour comble, je ne fais quelle contenance tenir vis-a-vis de Madame de Portland , a qui je ne puis différer plus long - temps de répondre, & a qui je ne veux pas dire ma peine. E.endez-moi,je vous en conjure, le fervice effentiel d'écrire a Milord Maréchal; engagez - le a ne pas me juger fans m'enteudre; a me dire au moins de quoi je fuis accuié. Voila le plus cruel des malheurs de ma vie, & qui terminera tous les autres.  J. J, PvOUSSEA U. 30P J'oubliois de vous dire que M. le Duc de Graf. ton, premier Commilfaire de la Tréforerie, ayant appris la vexation exercée a la douane, au fujet de ines livres, a fait ordonner au Douanier de rem» bourfer cet argent k Beeket qui 1'avoit piyé pour moi, & que dans le billet par lequel il m'en a fait donner avis, il a ajouté un compliment tréshonnête de la part du Roi. Tout cela eft fort honorable, mais ne confole pas mon cceur de Ia peine fecrète que vous favez. Je vous embralfe , mon cher hóte, de tout mon cceur. Lettre & Milord Comte de Harcourt. a Woottou , le 5 Mars 1767. Je ne fuis pas furpris, Milord, de 1'état oü vous avez trouvé mes eftampes: je m'attendois a pis; mais il me paroit cependant fingulier qu'il ne s'en foit pas trouvé une feule de M. Watelet. Quoique parmi beaucoup de gravures qu'il m'avoit données, il y en eüt peu des fiennes, il y en avoit pourtanr. La préférence qu'on leur a donnée fait honneur a fon burin. J'en avois un beaucoup plus grand nombre de M. 1'Abbé de St. Non. Si elles s'y trouvent, je ne voudrois pas non plus qu'ellês fuf« fent vendues; car, quoique je n'aye pas 1'honneur de le connoitre perfonnellement, elles étoient un cadeau de fa part. Si vous ne les avie? pa?, Mi-  3I0 Lettres de lord, & qu'elles pulTent vous plaire, vous m'o« Migeriez beaucoup de vouloir les agréer, Le papier que vous avez eu la bonté de m'envoyer, eft de la main de Milord Maréchal, & me rappele qu'il y a dans mon recueil un portrait de lui, fans nom, mais tête nue & très-reffemblant, que pour rien au monde je ne voudrois perdre, & dont j'avois oublié de vous parler. C'eft la feule eftampe que je veuiile me réferver, & quand elle me lailferoit la fantaifie d'avoir les portraits des hommes qui lui reffemblent, ce goüt ne feroit pas ruineux. Je fens avec combien d'indifcrétion j'abufe de votre temps & de vos bontés; maïs quelque peine que vous donne la recherche de ce portrait, j'en aurois une infiniment plus grande a m'en voir privé. Si vous parvenez z le retrouver, je vous fupplie, Milord, de vouloir bien 1'envoyer a M. Davenport, afin qu'il le joigne au premier envoi qu'il aura la bonté de me faire. Comme,après tout,mon recueil étoit affez peu de chofe, que probablement il ne s'eft pas accru dans les mains des douaniers & des libraires, & que les retranchemens que j'y fais font du refte un objet de trés-peu de valeur, j'ai a me reprocher de vous avoit embarrafle de ces bagatelles; mais pour vous dire la vérité, Milord, je ne cherchois qu'un prétexte pour me prévaloir de.vos offres, & vous montrer ma confiance en vos bontés. 1'oubliois de vous parler de la découpure de M. lluber; c'eft effeftivement M. de Voltaire en  J. J. rousseau. 31 r habit de théatre. Comme je ne fuis pas tout-afait aulïï curieux d'avoir fa figure, que celle de Milord Maréchal, vous pouvez, Milord, a votre choix, garder ou jeter, ou donner ou brüler ce chiffon; pourvu qu'il ne me revienne pas, c'eft *out ce que je défire. Agréez, Milord, je vous fupplie, les affurances de mon refpeét. L e t t r e a M, D. P.,.,u. A Wootton', le 22 Mars 1767. Apostille d'une lettre de M. L. Dutens, da 19, confirmée par une lettre de M. Davenport de même date, en conféquence d'un meffage recu la veille de M. le général Conway. „ Je viens d'apprendre de M. Davenport Ia ' „ nouvelle agréable que le roi vous avoit accordé „ une penfion de cent livres fterling. La manière „ dont le roi vous donne cette marqué de fon „ eftime, m'a fait autant de plaifir que la chofe n même, & je vous félicite de tout mon cceur, „ de ce que ce bienfait vous eft conféré du plein „ gré de Sa Majefté & du fecrétaire d'état, fans ,, que la moindre follicitation y ait eu part." Le plus vrai plaifir que me faffe cette nouvelle, eft celui que je fais qu'elle fera a mes amis; c'eft pourquoi, mon cher hóte , je me preffe de vous la comrauuiquer. Fakes - Ia, par la même  312 Lettres de raifon, paiTer a mon ancien & refpeétable ami M. Roguin, & aufli, je vous en prie, & mon ami M. dTvernois. Je vous embiallê de tout mon cceur. Lettre & M. tTIvemois. A Wootton, le 6 Avril 17C7. J'ai recu, mon bon ami, votre derniêre lettre, & lu le mémoire que vous y avez joint. Ce mémoire efl fait de main de mai;re, & fondé fur d'excellens principes, il m'infpire une grandeeflime pour fon auteur, quel qu'il foit. Mais n'étaut plus capable d'attention férieufe & de raifonnemens fuivis, je n'ofe prononcer fur la balance des avantages refpeélifs, & fur la folidité de 1'ouvrage qui en réfultera. Ce que je crois voir bien clairemeut, c'eft qu'il vous offre, dans votre pofition, 1'accommodement le meilleur & le plus honorable que vous puifïïez efpérer. Je voudrois, tant ma pnffion de vous favoir pacifiés eft vive, donner la moitié de mon fang pour apprendre que cet acv cord a recu fa fanftion. Peut-être ne feroit-il pas a défirer que j'en fuffe 1'atbitre; je ctaindrois que 1'amour de la paix ne füt plus fort dans mon cceur, que celui de la liberté. Mes bons arms, fentez-vous bien quelle gloire ce feroit pour vous de part & d'autre, que ce faint & fiocère accord fut voire propre ouvrage , fans aucun concours  J. J. ROUSSEAU. 313 cours étranger! Au refte, n'attendez rien, ni de f Angleterre, ni de perfonne, que de vous feuls; vos reflburces font toutes dans votre prudence & dans votre courage; elles font grandes, graces au ciel. j'ai prié M. D...... de vous donner avis que le roi m'avoit gratifié d'une penfion. Si jamais nous nous revoyons, je vous en dirai davan. tage; mais mon cceur, qui défire ardemrnent ce bonheur, ne me le promst plus. Je fuis trop malheureux en toute chofe, pour efpérer plus aucun vrai plaifir en cette vie. Adieu mon ami, adieu mes amis. Si votre liberté eft expofée, vous avez du moins 1'avantage & la gloire de pouvoir Ia défendre & la réclarner ouvertement. Je connois des gens plus a plaindre que vous. Je vous embraffe. Lettre d M. Ie Ms. de Mirabeau. A Wootton, le 8 Avril 1767. Je différois, Monfieur, de vous répondre, dans 1'efpoir de m'eiiiretenir avec vous plus a mon aife, quand je ferois délivré de certaines diftraftions affez graves; mais les découvertes que je fais journellement fur ma véritable fituation, les augmentent, & ne me laiffent plus guéres efpérer de finir; ainfi , quelque douce que me fut votre corSupph Tam. PUI. o  3i4 Lettres de refpondance, il y faut renoncer au moins pour un temps, a moins d'une mlfe aufli inégaie dans la quantité que dans la valeur. Pour éclaircir un probléme fingulier qui m'occupe dans ce prétendu pays de liberté, je vais tenter, & bien a contrecceur, un voyage de Londres. Si, contre mon attente , je 1'exécute fans obftacle & fans accident, ie vous écrirai de-li plus au long. Vous admirez Ricbardfon, Monfieur le marquis? combien vous 1'admireriez davantage, fi, comme moi, vous étiez a portée de comparer les tableau* de ce grand peintre a la nature, de voir combien fes fituations, qui paroilTent romanefques, font naturelles-, combien fes portraits, qui paroiffent chargés, font vraisl Si je m'en rapportois uui. quement a mes obfervations , je croirois même aWA n'y a de vrais que ceux- la; car les capitaiEes Tomlinfon me pleuvent, & je n'ai pas appercu jufqu'ici veftige d'aucun Beifort. Mais j'ai va fi Ppu de monde, & l'ifle eft fi grande, que cela prouve feulement que je fuis malheureux. Adieu, Monfieur; je ne verrai jamais le chateau de Brie, & , cc qui m'afflige encore davan. SI» feloti toute apparence, je ne ferai jamais a portée d'en voir le feigneur; mais je 1'honorerai & chérirai toute ma vie; je me fouviendrai toniours que c'eft au plus fort de mes misères que ■fon noble cceur m'a fait des avances d'amitié; & la mienne, qui n'a rien de méprifable, lui eft ac■quife jufqu'a mon dernier foupir.  Ji J. R O U S S E A U. 315 Lettre^ Milord Comte de Harcourt. A Wootton , Ie 11 Avril 1707. Je ne puis, Milord, que vous réitérer mes trèshumbles excufes & remerclmens de toutes les peines que vous avez bien voulu prendre en ma faveur. Je vous fuis trés - obligé de m'avoir con • fervé Ie portrait du roi. Je le reverrai fouvent avec grand plaifir, & je me livre envers S. M. a toute la plénitude de ma reconnoiflance; trésaffuré qu'en faifant le bien, elle n'a point d'autre vue que de bien faire. Puifque vous favez au jutte a quoi monte le produit des eliainpes dont M. Ramfay avoit eu fhounêteté de me faire cadeau , vous pouvez y borner la diitribution que vous voulez bien avoir la bonté de faire aux pau. vres, & remettre Ie furplus a M. Davenport, qui veut bien fe charger de me 1'apporter. J'afpire, Milord, au moment d'aller vous rendre mes actions de graces & mes devoirs en perfonne, & il ne tiendra pas a moi que ce ne foit avant votre départ de Londres. Recevez, en attendant;-^ vous fupplie, Milord, mes trés-humbles falutations & mon refpeét. P. S. Je ne vous parle point de ma fanté, paree qu'elle n'eft pas meilleure, & que ce n'eft pes la peine d'en parler pour n'avoir que les mêmes chofes a dire. Celle de MUe. le Vafleur O 2  3i<5 Lettres de a laquelle vous avez la bonté de vous intérefler, eft très-rnauvaife, Sc il n'eft pas bien étonnant quelle empire de jour en jour. Lettre a Mr, Cranville. FcYricr 17.57. J'étois, Monfieur, extrêmement inquiet de votre départ mercredi^ au foir; mais je me raflurai le jeudi matin, le jugeant abfolument impraticable; j'étois bien éioigné de penfer même que vous le vouluffiez effayer. De grace, ne faites plus de pareils efiais, jufqu'a ce que le temps foit bien remis & le chemin bien battu. Que la neige qui vous retient a Calwich ne laiüe -1 - elle une galerie jufqu'a Wootton! j'en ferois fouvent la mienne; mais dans 1'état oü eft mainteuant cette route, je vous conjure de ne la pas tenter, bu je vous protefte que le lendemain du jour oü vous viendrez ici, vous me verrez chez vous, quelque temps qu'il falTe. Quelque plaifir que j'aye è vous voir, je ne veux pas le prendre au rifque de votre fanté. Je fuis très-fenfible a votre bon fouvenir; je ne vous dis rien de vos envois, feulement comme les liqueurs ne font point a mon ufage, & que je n'en bois jamais, vous permettrez que je vous renvoie les deux bouteilles, afin qu'elles ne foient pas perdues. J'enverrois chercher du mouton, s'il  J. Jtf R O V S S E A U. 317 n'y avoir tant de viande a mon garde-manger, que je ne fais plus ou la mettre. Bon jour, Monfieur; vous parlez toujours d'un pardon dont vous avez plus befoin que d'envie, puifque vous ne vous corrigez point. Cornptez moins fur mon indulgence, mais cornptez toujours fur mon plus fincère attacheraent. Lettre au même. 2? Février i^fi/. Que fait mon bon & aimable voifin ? Comment fe porte -1 ■ il ? J'ai appris avec grand plaifir fon beureufe arrivée a Bath, malgré les temps affreux qui ont dü traverfer fon voyage: mais maintenant comment s'y trouve-t-il? La fanté, les eaux, les amufemens; comment ya tout cela? Vous favez, Monfieur, que rien de ce qui vous touche ne peut m'être indifférent ; 1'attachement que je vous ai voué s'eft formé de liens qui font votre ouvrage; vous vous étes acquis trop de droits fur moi, pour ne m'en avoir pas un peu donné fur vous; & il n'eft pas jufte que j'ignore ce qui m'intéreflé fi véritablement. Je devrois aufli vous patier de moi, paree qu'il faur vous rendre compte de votre bien; mais je ne vous dirois toujours que les mêmes chofes. Paifible, oifif, fouffrant, prenant patience, peftant quelquefois contre O 3  3i8 Lettres de le mauvais temps qui m'empêche d'aller autour des rochers furetant des moufl'es, & contre 1'Wver qui retient Calwich défert fi longtemps. Amufezvous, Monfieur, je le défire, mais pas affez pour reculer le temps de votre retour, car ce feroit vous amufer a mes dépens. Mlle. le Vaffeur vous demande la permiifion de vous rendre ici fes devoirs, & nous vous fupplions 1'un & 1'autre d'agréer nos trés-humbles falutations. Lettre au même. De France, le i Aoüt 1767. Si favois eu, Monfieur, fhonneur de vous écrire autant de fois que je 1'ai réfolu , vous auriez été accablé de mes lettres; mais les tracas d'une vie ambulante , &: ceux d'une roultitude de iVrvenans, ont abforbé tout mon temps, jufqu'a ce que je fois parvenu a obtenir mi afile un peu plus tranquille. Quelque agréable qu'il foit, j'y fens fouvent, Monfieur, la privation de votre voifmage & de votre fociété, & j'en remplis fouvent la folitude, du fouvenir de vos bontés pour moi. Peu s'en eft ftllu que je ne fois retourné jouir de tout cela chez mon ancien & aimable hóte; mais la msnière dont vos papiers publics ont patlé de ma retraite, m'a déterminé a la faire endère, & a exécuter un projet dont vous avez  J. J. R o u s s e a u. 3T9 été le premier confident. Je vous difois alors qu'en quelque lieu que je fufle, je ne vous oublierois jamais j j'ajoute maintenanc qu'a ce fouvenir fi bien dü, fe joindra toute ma vie le regret de 1'entretenir de fi loin. Permettez du moins que ce regret foit tempéré par le plaifir de vous demander & d'apprendre quelquefois de vos nouveiles, & a réitérer de temps en temps les allurances de ma reconnoiiTance & de mon refpeét. Lettre a M. D. P . . . . u. A Calais, Ie 22 Mui 17-67. J'aurive ici tranfporté de joie d'avoir Ia communicttion ouverte & süre avec mon cher hóte, & de n'avoir plus 1'efpace des mers entre nous. Je pars demain pour Amiem, oü j'attendrai de vos nouveiles, fous le couvert de M***. Je ne vous en dirai pas davantage aujourd'hui; mais je n'ai pas voulu tarder a rompre, auflïtót qu'il m'étoit pofiible, le filence forcé que je garde avec vous depuis fi long- temps. O 4  340 Lettres de Lettre d M. le Ms. de Mirabeau. A Amiens, le a Juin 1767. J'/t différé, Monfieur, de vous écrire jufqu'a ce que je puffe vous marquer le jour de mon départ & le lieu de mon arrivée. Je compte partir demain, & arriver après - demain au foir a St. Denis, cü je- féjournetai le lendemain vendredi, pour y attendre de vos nouveiles. Je logerai aux Trois Mailleis; comme on trouve des fiacres a St. Denis, fans prendre la peine d'y venir vousmême, il fufïït que vous ayez la bonté d'envoyer un domeflique qui nous conduife dans 1'afile hofpitalier que vous voulez bien me defliner. II m'a été impoffible de refter inconnu comme je favois défité, & je ciains bien que mon aom ne mefuwe a la pifte. A tout événément, quelque nom que me donnent les autres, je prendrai celui de M. Jacques, & c'eft fous ce nom que vous pourrez me faire demander aux Trois Maillets. Rien n'égale le plaifir avec lequel je vais habiter votre maifon, fi ce n'eft le tendre empreflement que j'ai d'en embrafier le vertueux maltre. Let-  J. J. R O V S S E A U. $31 Lettre * M. D. P. . . . u. Le 5 Juin 1767. Je n'ai pu, mon cher hóte, attendre, comms je 1'avois cotnpté, de vos nouveiles a Atnieus, Les honneurs publics qu'on a voulu m'y rendre, & mon féjour en cette ville devenu trop bruyant, par les emprelTemens des citoyens & des militaires, m'a forcé de m'en éloigner au bout de huit jours. Je fuis maintenant chez le digne ami des hommes, oü, après une fi longue ' interruption , j'attends enfin quelque mot de vous, Mon intention eft de ne rien épargner pour avoir avec vous une entrevue, dont mon cceur, a le plus grand befoin i & fi vous pouvez venir jufqu'a Dijon, je pattirai pour m'y rendre a la réception de votre répoafe, pleurant d'attendriff fement & de joie, au feul efpoir de vous em. braffer. Je ne vous en dirai pas ici davantage. Ecrivez-moi fous le couvert de M. le Marquizde Mirabeau, a Paris. Votre lettre me pacviendra. Je vous embrafle de tout mou cceur. O 5  322 Lettres de Lettre^ M, le Ms. de hlhabeau. A Fleury (•>, ce vendrcdi a midi, 5 Juin i7fi7» Il faut, Mönfieur, jouir de vos bontés & de vos foins, & ne vous remercier plus de riem L'sir, la maifon, le jardin, le pare, tout eft admirable, & je me fuis dépêché de m'emparer de tout par la poflëflion , c'efl a-dire, par la jouilTance. J'ai parcouru tous les environs, & au retour j'ai trouvé M. Garpon qui m'a tiré de peine fur votre retour d'hier, & m'a donné 1'efpoir de vous voir deruain. Je ne veux point me lailfer donner d'inquiétudes. Mais quelque agréable & douce que me foit 1'habitation de votre maifon , mon intention eft toujours de les prévenir. Mille trés - humbles falutations & reipefts de Mlle. le VaiTeur. Lettre au méme. Ce mardi 9 Juin 1767. Votre préfence, Monfieur, votre noble hofpitalité, vos bontés de toute efpèce, ont mis le (*) Maifon cc campagne de M. le mr.rquis de Wi« rabeaü.  J. J. R O U S ! E A U. 323 comb'e aux fentimens que m'avoient infpirés vos écrits & vos lettres. Je vous fuis attaché par tous les liens qui peuvent rendre un homme refpeétable & cher a un autre; mais je fuis venu d'Angleterre avec une réfoiution qu'il ne m'eft même pas permis de changer, puifque je ne faurois devenir votre hóte a demeure, fans contracter des obligations qu'il n'eft pas en mon pouvoir ni même en ma volonté de remplir: & p.ur tépondre une fois pour toutes a un mot que vous m'avez dit en palTant, je vous répète & vous déclare que jamais je ne reprendrai la plume pour le public, fur quelque fujet que ce puiffe être; que je ne ferai ni ne laifferai rien imprimer de moi avant ma mort, même de ce qui refte encore en manufcrit; qué je ne puis ni ne veux rien lire déformais de ce qui pourroit réveiller mes idéés éteintes, pas même vos propres écrits; que dès a préfent je fuis mort a toute littérature, fur quelque fujet que ce puiffe être, & que jamais rien ne me fera changer de réfoiution fur ce point. Je fuis affurément pénétré pour vous de reconnoifiance, mais non pas jufqu'a vouloir ni pouvoir me tirer de mon anéantiffement mental. Wattendez rien de moi, a moins que, pour mes pécbés, je ne devienne tmpereur ou roi; encore ce que je ferai dans ce cas, fera -1- il moins pour vous que pour mes peuples, puifqu'en pareil cas, quand je ne vous devrois rien, je ne le feiois pas moins. O 6  324 Lettres de En ovttre, quoi qua vous puifïïez faire, aa Bignon , je ferois chez vous, & je ne puis être a mon aife que chez moi; je ferois dans le refTort du parlement de Paris, qui, par raifon de conve» nance, pent, au moment qu'on y penfera le moins, faire une excutfion nouvelle in animA vtfii je ne veux pas le laifler expofé a la tentation. J'irois pourtant voir votre terre avec grand plaifir, fi cela ne faifoit pas un détour inutile, & li je ne craiguois un peu, quand j'y ferois, d'avoir la tentation d'y refter. La-deflus toutefois votre volonté foit faite; je ne réfifterai jamais au bien que vous voudrez me faire, quand je le fentirai conforme a mon bien réel ou de fantaifie; car pour moi c'eft tout un. Ce que je crains n'eft pas de vous être obligé,mais de vous être inutile. Je fuis très-furpris & trés en peine ie ne recevoir aucune nouvelle d'Angleterre, & furtout de Suilfe dont j'en attends avec inquiétude. Ce retard me met dans le cas de faire a vous & a moi le plaifir de refter ici jufqu'a ce que j'en aye recu, & par conféquent celui de vous y embraffer quelquefois encore, fachant que les ceuvres de miféricorde plaifent a votre cceur. Je remets donc a ces doux momens ce qu'il me refte a vous dire, & fur - tout a vous remercier du bien que vous m'avez procuré dimanche au foir, & que, par la manière dont je 1'ai renti, je mérite d'avoir encote. Vak , & me ama.  J. J. R O V S S E A tl. 325 L E T T R E d M. le Ms, de Mirabeau, Ce vendredi 19 Juin 17CT7. Je lirai votre livre, puifque vous Ie voulez; en» fuite j'aurai fi vous remercier de l'avoir lu: mais il ne réfultera rien de plus de cette lefture , que la confirmation des fentimens que vous m'avez infpirés, & de mon admiration pour votre grand & profond génie, ce que je me permets de vous dire en paflaut & feulement une fois. Je ne vous réponds pas même de vous>fuivre toujours, paree qu'il m'a toujours été pénible de penfer, fatiguant de fuivre les penfées des autres, & qu'a préfent je ne le puis plus du tour. Je ne vous remercie point, mais je fors de votre maifon fier d'y avoir été admis, & plus défireux que jamais de conferver les bontés & 1'amitié du maltre. Du rede, quelque mal que vous penfiez de la fenfibilité prife pour toute nourriture, c'eft 1'unique qui m'eft rellée, je ne vis plus que par le cceur. Je veux vous aimer autant que je vous refpeéte. C'eft beau. coup , mais voila tout; n'attendez jamais de moi rien de plus. J'emporterai, fi je puis, votre livre de plantes; s'il m'embarraife trop, je le laiffersi, dans 1'efpoir de revenir quelque jour le lire plus a> mon aife. Adieu, mon cher & refpeétable héte, je pars plein de vous, & content de moi, puil» que j'emporte votre eftime & votre amitié. O 7  326* ■ Lettres d"e LL e t t r e au même. A Trie-le-Chateau, le 24 Juin 1767. J'ESprjR 01 s, Monfieur, vous rendre compte un peu en détail de ce qui regarde mon arrivée & mon habitation : mais une douleur fort vive, qui me tient depuis hier a la jointure du poignet, me donne a tenir la plume une difliculté qui me force d'a« bréger. Le chateau eft vieux , le pays eft agréable, & j'y fuis dans Un hofpice qui ne me laifieroit rien a regretter, fi je ne fortois pas de Fleury. J'ai apporté votre livre de plantes, dont j'aurai grand foin ; j'ai apporté votre philofophie rurale, que j'ai effayé de lire & de fuivre, fans pouvoir en venir a bout; j'y reviendrai toutefois. Je réponds de la bonne volonté, mais non pas du fuccés. J'ai aufii apporté la clef du pare; j'étois en train d'emporter touie la maifon. Je vous renverrai cette clef par la première occafion. Je vous prie de me garder le fecret fur mon afile. M. le Ptince de Conti le défire ainfi, & je m'y fuis engagé. Le nom de Jacques ne lui ayant pas plu, j'y ai fubfiiiué celui que je figne ici, & fous lequel j'efpéte , Monfieur, recevoir de vos nouveiles a 1'adrelTe fuivante. Agtéez, Monfieur, mes falutations très-humbles. Je vous révère & vous embrrdfe de tout mon cceur. R E N 0 U.  J. J. R.0usseau. 327 Lettre au même. A Trie, le 12 Aoftt 1767. Je fuis afïïigé, Monfieur, que vous me mettiez dans le cas d'avoir un refus a vous faire; mais ce que vous me demandez efl contraire h ma plus iné« branlable réfoiution , même a mes engagemens, & vous pouvez être afiuré que de ma vie une ligne de moi ne feta imprimée de mon aveu. Pour óter même, une fois pour toutes, les fujets de tenta. tion, je vo.us déclare que, dès ce moment, je renonce pour jamais a toute autre lecture que des livres de plantes, & même a celle des articles de vos lettres qui pourroient réveiller en moi des idéés que je veux & dois étouffer. Après cette déclaration, Monfieur, fi vous revenez a Ia charge, ne vous ofllnfez pas que ce foit inutilement. Vous voulez que je vous rende compte de Ia msnière dont je fuis ici, Non, mon refpeétable ami, je ne déchirerai pas votre noble cceur par un femblable récit. Les traitemens que j'éprouve en ce pays de la part de tous les habitans fans exception, & dès 1'inftant de mon arrivée, fout trop contraites a Pefprit de la nation, & aux intentions du grand Prince qui m'a donné cet hofpice, pour que je les puiffe imputer qu'a un efprit de vertige dont je ne veux pas même rechercher la caufe. Puiflèm-ils refler ignoiés de toute la terre, & puif-  328 Lettres de J fé-je par venir moi-même a les regarder comme noa avenus! Je fais des vceux pour 1'heureux voyage de ma bonne & belle compatrio:e que je crois déja panie. Je fuis bien fier que Mde. la Comtefie ait daigné fe rappeler un homme qui n'a eu qu'un moment 1'bonneur de paroiire a fes yeux, & dont les abords ne font pas briilans. Elle auroit trop a faire, s'il falloit qu'elle gardêt un peu des fouvenirs qu'elle lailfe a quiconque a eu le bonheur de la voir. Re« cevez mes plus tendres embraflemens. i Lettre au même. Ce 22 Aoüt 17(57. Je vous dois bien des remerelmens, Monfieur, pour votre dernière lettre, & je vous les fais de tout mon cceur. Elle m'a tiré d'une grande peine; car, vous étant aufïï fincèrement attaché que je le fuis, je ne pouvois reller un moment tranquille dans la crainte de vous avoir déplu. Grace a vos bontés, me voilé tranquillifé fur ce point; vous me trouvez grognorf; pslTe pour cela: je réponds du moins que vous ne me trouverez jamais ingrat: mais n'exigez rien de ma déférence & de mon amitié contre la claufe que j'ai le plus exprelfément llipulée, car je vous confirme pour la dernière fois que ce feroit inutilement.  J. J. R.0USSEAU. 329 J'ai torc de n'avoir rien mis pour M. 1'Abbé; mais ce tort n'eft qu'extérieur & apparent,je vous jure. II me femble que les hommes de fon ordre doivent deviner l'imprelïïon qu'ils fonc, fans qu'on la leur témoigne. La raifon même qui m'empêchoit de répondre a fa politefle, eft obligeante pour lui, puifque c'étoic la crainte d'être entrainé dans des difcuffions que je me fuis interdites, & oü j'avois peur de n'étre pas le plus fort. Je vous diiai tout franchement que j'ai parcouru ch:z vous quelques pages de fon ouvrage que vous aviez négligemment laiiTé fur le bureau de M. Garcon, & que fentant que je mordois un peu a 1'hamecon, je me fuis dépêché de fermer le livre avant que j'y fuilé tout-a-fait pris, Or préchez & patrocinez tout a votre aife. Je vous promets que je ne rou« vrirai de mes jours, ni celui-la, ni les vótres, ni aucun autre de pareil acabit: hors 1'Aflrée, je ne veux plus que des livres qui m'ennuient, 011 qui ne parient que de mon foin. Je crains bien que vous n'ayez deviné trop jufte fur la fource de ce qui fe pafle ici, & dont vous ne fauriez même avoir 1'idée: mais tout cela n'étant point dans 1'ordre naturel des chofes, ne fournit point de conféquence contre le féjour de la campagne, & ne m'en rebute aflurément pas. Ce qu'il faut fuir n'eft pas la campagne, mais les maifons des grands & des princes qui ne font point les maltres chez eux, & ne favent rien de ce qui s'y fait, Mon malheur eft premiérement d'habiter dans  S3o Lettres de un chateau & non pas fous un toit de chaume, chez autrui & non pas chez moi, & fur-tout d'avoir un hóte fi élevé, qu'entre lui & moi il faut néceifairement des intermédiaires. Je fens bien qu'il faut me détacher de 1'efpoir d'un fort tranquille, & d'une vie ruftique: mais je ne puis m'empêcher de foupirer en y fongeant. Aimezmoi , & plsignez-moi. Ah! pourquoi faut-il que j'aye fait des livres,j'étois fi peu fait pour ce trille métierl J'ai le cceur fetré; je finis, & vous embraffe. Lettre a M. D. P . . . . ». 97 Septembre 1767. Vous pouvez, mon cher hóte, joger du plaifir que m'a fait votre derrière lettre, par 1'inquiétude que vous avez trouvée dans ma précédente, & que vous blamez avec raifon. Mais confidérez qu'après tant de longues agitations fi propres a troubier ma tête, au lieu du repos dont j'avois befoin pour la rafrermir, je me trouve ici iubmergé dans des mers d'indignités & d'iniquités, au moment même oü tout paroifibit concourir a rendre ma retraite honorable & paifible. Cher ami, fi avec un cceur malheureufement trop fenfible , & fi cruellement & fi continuellement navré, il refte dans ma tête encore quelques fibres faines, il faut  J. J. R o u s s e * ü. 33ï que naturellemenr le tout ne füt pas trop mal conformé. Le feul remède efficace encore, & dont j'ofe efpérer tout, eft 1'emplatre du cceur d'un ami preffé fur le mien. Venez donc, je n'ai que vous feul, vous le favez;c'eft bien affez; je n'en regrette qu'un-, je n'en veux plus d'autre. Vous ferez déformais tout le genre humain pour moi. Venez verfer fur mes blelfures enflammées le baume de 1'amitié & de la raifon. L'attente de cet élixir falutaire en anticipe déja 1'effet. Ce que vous me marquez de Neuchatel n'eft pas un fpécifique bon pour mon état; je crois que vous le fentez fuffifamment. Et malheureufement mes devoirs font toujours fi cruels, ma pofition eft toujours fi dure, que j'ofe a peine livrer mon cceur a' fes vceux fecrets, entre le prince qui m'a donné afile, & les peuples qui m'ont perfécuté. M. le prince de Conti n'eft point encore venu; j'ignore quand il viendra; on 1'attendöit hier: je ne fais ce qu'il fera; mais je lis dans la contenance des complotteurs, qu'ils craignent peu fon arrivée, que leur partie eft bien liée, & qu'ils font fórs, malgré leur maltre, de parvenir è me chafier d'ici. Nous verrons ce qu'il en fera. Je crois que c'eft le cas de faire pouf. lis ne s'y attendent pas. Le parti que vous prenez de ne fortir du lit que patfaitement rétabli, eft trés fage; mais il ne faut pas fauter trop brufquement de vos rideaux dans la rue, cela feroit dangereux. Faites mettre des nattes dans votre chambre , au défaut  332' L .E. T. T R E S DE de tapis de pied. Donnez-vous tout le temps dei vous bien rétablir, avant de fonger a venir ;& en attendant, arrangez tellement vos affaires, que vous n'ayez a partir d'ici que quand vous vous y ennuiereZè Faites en forte de vous laifferl maltre de rout votre temps; je ne puis trop vous recoinmander cette précaution. J'aime vous avoir plus tard, & vous garder plu3 longtemps. Enfin je vous conjure deréchef, avec inflance,de pourvoir fi bien d'avance a toute chofe, que rien ne puiffe vous faite partir d'ici que votre volonté. i Nous avons ici des échecs; ainfi n'en apportez pas. Mais fi vous voulez apporter quelques volans, vous ferez bien, car les miens font gatés, ou ne valent rien. Je fuis bien aife que vous vous renforciez affez aux échecs,pour me donner du plaifir a vous battre. Voila tout ce que vous pouvez efpérer. Car, & moins que vous ne receviez avantage, mon pauvre ami, vous ferez battu, & toujours battu. Je me fouviens qu'ayant 1'honneur de jouer, il y a fix ou fept ans,avec M. le prince de Conti, je lui g3gnai trois parties de fuite, tandis que tout fon cortége me faifoit des grimaces de poffédés. En quittant le jeu , je lui dis gravement: Monfeigneur, je refpeéte trop votre Alteffe, pour ne pas toujours gagner. Mon ami, vous ferez battu , & bien battu. Je ne ferois pas même füché que cela vous dégoüiat des échecs, car je n'aime pas que vous preniez du gout pour des amufemens fi fatigans & 11 fédeutaires.  J. J. Rousseau. 333 A propos de cela, parions de votre régime. II eft bon pour un convalefcent, mais très-mauvais a prendre a votre age, pour quelqu'un qui doit agir & marcher beaucoup. Ce régime vous affoiblira, & vous ótera le gout de 1'exercice. Ne vous jetez point comme cela, je vous conjure, dans les extrêmes fyftématiques; ce n'eft pas ainfi que la nature femène: croyez-moi, prenez-moi pour le médecin de votre corps, comme je vous prends pour le médecin de mon ame: nous nous en trou. verons bien tous deux. Je vous préviens même qu'il me feroit impoffibie de vous. tenir ici aux Iégumes,attendu qu'ity a ici un grand potager d'oü je ne faurois avoir un poil d'herbe, paree que fort AltelTe a ordonné a fon jardinier de me fournir de tour. Voila, mon ami, comment les princes, fi puifians & fi craints oü ils ne font pas, font obéis & craints dans leur maifon. Vous aurez ici d'excellent bceuf, d'excellent potage , d'excellent gibier. Vous mangerez peu: je me charge de votre régime, & je vous promets qu'en partant d'ici vous ferez gras comme un moine , & fain comme une béte:car ce n'eft pas votre eftomac, mais votre cervelle que je veux mettre au régime frugivore. Je vous ferai brouter avec moi de mon foin. Ainfi foit - il. Bon jour. Mille chofes de ma part a M. de Luze. Hélas, avec qui nous nous fommes vus! Dans quel moment nous nous fommes quittés 1 Ne nous reverïous-nous point ?  33* Lettres de Lettre au même. 9 Oftobre 1767. Je vous écris un mot a la bate, pour vous dire que le patron de la cafe eft venu ici mardi feul, & n'a point chafle ; de forte que j'ai proiïté de tous les momens que ce grand prince, &, pour plus dire, que ce digne homme a palTés ici. II me les a donnés tous; vous connoiflez mon cceur , jugez comment j'ai fenti cette grace. Hélas, que ne peut-il voir'le mal & en couper la fource 1 Mais il ne me refte qu'a me réfi. gner; & c'eft ce que je fais aufli pleinement qu'il fe peut. Cher hóte, venez; nous aurons des légumes, non pas de fon jardin, car il n'en eft pas le maltre: mais un bon homme qu'on trompoit, s'eft détaché de la ligue; & je compte m'arranger avec lui pour mes foumiiures, que je n'ai pu faire jufqu'ici , ni fans payer, ni en payant. Mardi , foupant avec fon Altefle, je mangeai du fruit pour la feule fois depuis deux mois; je le lui dis tout bonnement. Le lende» main, il m'envoya le baflin qu'on lui avoit fervi la veille, & qui me fit grand plaifir; car il faut vous dire que je fuis ici environné de jardins & d'arbres, comme Tantale au milieu des eaux. Mon état, è tous égards, ne peut fe  J. J. R o u s s e a u. 33J repréfemer. Mais venez , il changera, du moins tandis que vous ferez avec moi. Votre précaution d'aller par degrés eft excellente. Continuez de même, & ne vous prelTez point. Mais je vous conjure de fi bien faire, que vous vous preffiez encore moins de partir d'ici, quand vous y ferez. Vous faites trés- bien de porter a vos pieds, vos nattes & vos tapis de pied. La facon dont vous me propoièz cette terrible énigvne, m'a fait mourir de rire. Je fuis 1'Oedipe qui fera 1'erTort de la deviner: c'eft que vous avez des pantoufles de laine garnies de paille. Si vos attaques d'échecs font de la force de vos énigtnes, je n'ai qu'a me bien tenir. Bon jour. Les oreilles ont dü vous tinter pendant que fon A'telTe étoit ici. Bon jour deréchef: je ne croyois écrire qu'un mot, & je ne fcaurois finir. L e t t n e au même. Samedi Odïobre 1767. J'ai, mon cher hóte, votre lettre du 13, & j'y vois avec la plus grande joie, que vos forces revenues graduellement, & par-la plus folidement, vous mettent en état de faire a Paris le grand garcon; mais je voudrois bien que vous n'y fiffiez pas trop 1'homme, & que vous viufliez ici affermir votre virilité, de peur d'être tenté de 1'exercer  33 commodités infinies d'une habitation ifolée pour un, étranger a mon age & dans mon état; la dépenfe au. moins triple, les idéés terribles auxquelles ja  380 Lettres de dois étre en proie,ainfi féqueftré du genre-humaln, non volontairement & par goüt, mais pat force & pour aflbuvir la rage de mes opprefleurs : car d'ailleurs je vous jure que mon même goüt pouf la folitude eft plutót augmenté que diminué par mes infortunes, & que fi j'étois pleinement libre & maltre de mon fort, je choifirois la plus profonde retraite pour y finir mes jours. Bien plus, uue captivité déclarée n'auroit rien de 'pénible & de trifte pour moi. Qu'on me traite comme on voudra, pourvu que ce foit ouvertément: je puis tout foufftir fans mutmure; mais mon cceur ne peut tenir aux flagorneries d'un fot fourbe,qui fe croit fin paree qu'il eft faux; j'étois tranquille aux cailloux des aflaflins de Motiers, & ne puis 1'être aux phrafes des admirateurs de Grenoble. II faut vous dire encore que ma fituation pré» fente eft trop défagréable & violente, pour que je ne faififie pas la première occafion d'en fortir; ainfi des arrangemens d'une exécution éloignée , ne peuvent jamais être pour moi des engagemens abfolus qui m'obligent a renoncer aux reflburces qui peuvent fe préfenter dans 1'intervalle. J'ai dü, Monfieur, entrer avec vous dans ces détails, auxquels je dois ajouter que 1'efpêce de liberté de difpofer de moi, que mes reflburces me laiffent, n'eft pas illimitée, que ma fituation la reflreint tous les jours, que je ne puis former des projets que pour deux ou trois années, palfé lefquelles d'autres loix ordonneront de mon fort & de celui de ma  J. J. R O U S S E A U. 381 compagne; mais 1'avenfr éloigné ne m'a jamais effrayé. Je fens qu'en général, vivant ou mort, le temps eft pour moi; mes ennemis Ie fentent aufli & c'eft ce qui les défole; ils fe prelfent de jouer de leur refte; dès maintenant ils en ont trop fait, pour que leurs manoeuvres puiflent refler Iong-temps cachées, & le moment qui doit les mettre en évidence fera précifément celui oü ils voudront les étendre fur 1'avenir. Vous étes jeune, Monfieur; fouvenez-vous de la prédiftion que je «ous fais, & foyez sür que vous la verrez accompHe. Il rae' refte maintenant a vous dire que,pré?«ra de tout cela, vous pouvez agir comme votre cceur vous infpirera, & comme votre raifon voos éclaireraplein de confiance en vos fentimenj & en vos lu.' miéres.certain que vous n'êtes pas homme & ferviï mes intéréts aux dépens de mon honneur, je vous donne toute ma confiance. Voyez Mde. la Maréchale, la mienne en elle eft toujours Ia même Je compte également & fur fes bontés, & fur celles de M. le Prince de Conti; mais 1'un eft fubjugué, 1'autre ne 1'eft pas, & je ra.ifie d'avance tout ce que vous réfoudrez avec elle, comme fait pour mon plus grand bien. A 1'égard du titre dont vous me parlez, je tiendrai toujours è trés-grand honneur d'appartenir a S. A. S., & ü ne tiendra pas a moi de le mériter; mais ce font de ces chofes qui s'acceptent, & qui ne fe demandent pas Te ne fuis pas encore a la fin de mon bavardage mais je fuis a Ia fin de mon papier; j'ai pourtanl  3§2 Lettr.es be .encore a vous dire que 1'aventure de Thevenin a .produit fur moi 1'effet que vous défiriez. Je me trouve moi-même fort ridicule d'avoir pris a cceur une pareille affaire; ce que je n'aurois pounant pas fait, je vous jure, fi je n'euffe été sür que c'étoit un dióle apofté. Je défirois, non par venseance alTurément, mais pour ma süreté, qu'on dévoilAt fes inftigateurs: on ne 1'a pas voulu, foit; il en viendroit mille autres, que je ne daignerois pas même répondre a ceux qui m'en parleroient. Bon jour, Monfieur; je vous embrafle de tout mon ficeur. P. S. J'oubliois de vous dire que mon chamoifeur eft bien le cordonnier de M. de Tanlay; U apprit le métier de chamoifeur a Yverdun aprês fa retraite. J'ai fait faire en Suiife des informations, avec la dépofition juridique & légalifée du caba. retier Jeannet. Lettre au même. A Bourgoin, le a Nc-vembre 1703. Depuis ladernière lettre, Monfieur,que je vous ai écrite, & dont je n'ai pas encore la réponfe, j'ai recu de M. le Duc de Cboifeul un paffe • port que je lui avois demandé pour fortir du royaume, il y a prés de fix femaines, & auquel je ne fongeois plus. Me fentant de plus en plus dans 1'abfolue néceflité  J. J. R O U S S E A U. 383 de me fervir de ce pafte • port, j'ai délibéré, dans la cruelle extrêmité oü je me trouve, & dans la faifon oü nous fommes, fur f ufage que j'en ferois, ne voulant ni ne pouvant le laiffer écouler comme 1'autre. Vous ferez étonné du réfultat de ma délibération, faite pourtant avec tout le poids, tout le fang-froid, toute la réflexion dont je fuis capable; c'eft de retourner en Angleterre Sc d'y aller finir mes jours dans ma folitude de Wootton. Je crois cette réfoiution la plus fage que j'aie prife en ma vie, & j'ai pour un des garans de fa folidité, 1'horreur qu'il m'a fallu furmonter pour la prendre, & telle qu'en cet inftant même je n'y puis penfer fans frémir. Je ne puis, Monfieur, vous en dire davantage dans une lettre; mais mon parti eft pris, & je m'y fens inébranlable, a proportion de ce qu'il m'en a coüté pour Ie prendre. Voici une lettre qui s'y rapporte, & a laquelle je vous prie de vouloir bien donner cours. J'écris a M. 1'Ambafladeur d'Angleterre, mais je ne fais s'il eft a Paris. Vous m'obligeriez de vouloir bien vous en informer, & fi vous pouviez même parvenir a favoir s'il a recu ma lettre, vous feriez une bonne ceuvre de m'en donner avis; car, tandis que j'attends ici fa réponfe, mon pafle-port s'écoule, & le temps eft précieux. Vous étes trop clairvoyant pour ne pas fentir combien il m'importe que la réfoiution que je vous communiqué demeure fecrête, & fecrête fans exception : toutefois je  384 Lettres de n'exige rien de vous que ce que la prudence & votre amitié en exigetont. Si M. 1'Ambafladeur d'Angleterre ébruite ce deflein, c'eft route autre chofe, & d'ailleurs je ne 1'en puis empêcher. En prenant mon parti fur ce point, vous fentez que je 1'ai pris fur tout le refte. Je quitterai ce continent comme je quitterois le féjour de la lune. L'autre fois ce n'étoit pas la même chofe; j'y laiflbis des attachemens, j'y croyois laifler des amis. Pardon, Monfieur , mais je parle des anciens. Vous feniez que les nouveaux, quelque vrais qu'ils foicnt, ne laiffent pas ces déchiremens de cceur qui le font faigner durant toute la vie, par la rupture de la plus douce habitude qu'il puiffe contrafter. Toutes mes bieffures faigneront, j'en conviens, le refte de mes jours; mais mes erreurs du moins font bien guéries, la cicattice eft faite de ce cóté-la. Je vous embrafle. Lettre a M. Moultou.} a Bourgoin, le 5 Novembre 1768. Vous avez fait, cher Moultou, une perte que tous vos amis & tous les honnêtes gens doivent pleurer avec vous, & j'en ai fait une particulière dans votre digne père, par les fentimens dont il m'honoroit, & dont tant de faux amis, dont je f-iis la viaime, m'ont bien ,fait connoitre le prix, C'eft  J. J. ROUSSEAU. 3^5 C'eft ainfi, cher Moultou, que je meurs en détail dans tous ceux qui m'aimenr, tandta que ceux qui rae tiattTènt & me trahuTcnt, femblent trouver dans Tage & dans les années une nouvelle vigueur pour me tourmenter. ]e vous entretiens de ma perte au lieu de parler de la votre: mais la veritable douleur qui n'a point de co:tfola:ion, ne fait guéres en trouver pour autrui; on confole les indilférens, mais on s'sfflige avec fes amis. II me femble que fi j'étois prés de vous, que nous nous embraffaiïions, que nous pleuraffions tous deux fans nous rien dire, noj cceurs fe feroient beaucoup dir. Cruel ami, que de regrets vous me préparez dans votre deieription de Lavagnac.' Hélas, ce beau féjour étoit 1'afile qu'il me falloit; j'y aurois oublié, dans un doux repos, les ennuis de ma vie: je pouvois efpérer d'y trouver enfin de paifibles jours, & d'y atteudre , fans impatience, la mort qu'ailleurs je défirerai fans cefië. II eft trop iard. La fatale deüinée qui m'entralne, ordonne autrement demon fort. Si j'en avois été le maltre, li Ie Prince lui-même eüt été le maltre chez lui, je ne ferois jamais forti de Trie, dont il n'avoit rien épargné pour me rendre le féjour agréable. Jamais Prince n'en a taut fait pour aucun particulier, qu'il en a daigné faire pour moi: Je le mets ici & ma place, difoit-ila fon officier; je veux qu'il ait la même autorité que moi, je n'entends pas qu'on lui ojfm rien , paree que je le fais le maitre Suppl. Tom. Vlll. R  3R6 Lettres de de tout. I! a même daigné me venir voir plufieurs fois, fouper avec moi tête-è-tête, me dire, en piéfence de teute fa fuite, qu'il venoit exprès pour ctla, &, ce qui m'a touché plus que tout le rede, s'abftenir même de cbalTer, de peur que le motif de fon voyage ne foit équivoque. Hé bien cher Moultou, malgré fes foins, fes ordres le* plus abfolus, malgré le défir, la psfiïcn, j'ofe dire , qu'il avoit de me rendre heureux uan3 la reiraite qu'il m'avoit donnée , on eft parvenu a m'en chaffër, & cela par des moyens telt que 1'hortible récit n'en fortira jamais de ma bouche ci de ma plume. Son Aliefle a tout fu, & n'a pu délapprouver ma retraite; les bontés, la proteclion , 1'amitié de ce grand homme m'ont fuivi dans cette province, & n'ont pu me garantir des indignilés que j'y ai fouffertes. Voyant qu'on ne me lüifferoit jamais en repos dans le royaume, j'ai réiülu d'en fortir; j'ai demandé un paffe-port a M. de Choiftul, qui, après m'avoir laiifé long - temps ' mus réponfe, vient enfin de m'envoyer ce paflepott. fa lettre eft três-polie, mais n'eft que cela; il m'en avoit écrit auparavant d'obligeantes. Kè point mlinvker .a ne pas faire ufage de ce pafil-roit, c'eft m'iuviter eu-quelque forte è en faiie ufage. II ne convient pas d'ivr.portuner les miniftres pour rien. Cependant, depuis Ie moment oü j'ai demandé ce pafte-pon jufqu'a celui oü je 1'ai obrenu, ln faifon s'eft avancée, les Aipes fe tont couvenes de glacé & de neige; il n'y a  ]. J. ROUSSEAU» $87 plus moven de fonger a les palFer dans mon état. Mille conüdéraiions impoffiblea a détailier daus uuü lettre, m'ont forcé a prendre le parti le pluj violent, le plus terrible, auquel mon cceur püt jamais fe réfoudre, mais le feul qui m'ait parti me refter; c'eft de repaffer en Angleterre, & d'aller finir mes malheureux jours dans ma trifte folitude de Wooiton , oü , depuis mon départ, le propriétaire m'a fouvent rappelé par force cajoleries. Je viens de lui éctire en conféquence de ceue réfoiution; j'ai méme écrit aulli & 1'Ambafladeur d'Angleterre : fi ma propofition eft accepiée, comme elle le fera infailliblement, je ne puis plus m'en dédire, & il faut partir. Rien ne peut égaler 1'horreur que m'in fpire ce voyage; mais je ne vois plus de moyen d» m'en tirer fans mériter des reproches; & a touc die, furtout au mieu, il vaut mieux être malheureux que coupable. J'aurois doublement tort d'acheter p^r rien de répréhenlible le repos du peu de jours qui me reftent a pdf.;r. Mais je vous avoue que ce beau féjour de Lavagnac, le voifinage de M. Venei , 1'avantage d'è're auprès de fon ami, par conféquert d'un honnête homme, au lieu qu'a Trie j'étois entre les mains du dernier des malheureux; tout cela me fuivra en iJee dans uir, fombre retraite, & y augmentera ma mi'ère, pour n'avoir pu faire mon bonheur. Ce qui me tourmente encore plus en ce moment, eft une lueur de vaiue efpérance dont je vois 1'illulioii, mais qui m'inquiète, malgré que R a  388 Lettres de j'en aie. Quand mon fort fera parfaitement décidé, & qu'd ne me reftera qu'a m'y foumettre, j'aurai plus de tranquillité. C'eft, en attendant, un grand foulogement pour mon cceur, d'avoir épanché dans le vótre tout ce détail de ma fituation. Au refte, je fuis attendri d'imaginer vos Dames, vous & M. Venei, faifant enfemble ce pélerinage bienfaifant, qui mérite mieux que ceux de Lorette , d'être mis au nombre des ceuvres de miféricorde. Recevez tous mes plus tendres remerciraens & ceux de ma femme; fakes agréer fes refpects & les miens a vos Dames. Nous vous faluons & vous embrafiöns 1'un & 1'autre de tout notre cceur. J'ai propofé 1'altemative de 1'Angleterre & de Minorque , que j'aimerois mieux a caufe du climar. Si ce dernier parti eft préféré , ne pourrions - nous pas nous voir avaut mon départ, foit a Mompellier, foit & Marfeilie? L e t t k e a M. LaHaud. A Bourgoin, le 7 Novembre 176O. Depuis ma dernière lettre, Monfieur, j'ai reen d'un ami 1'inctufe, qui a fort augmenté mon regret d'avoir pris mon parti fi brufquement. La fituation charmante de ce chateau de Lavagnac, le maiire auquel il appartient .rhonnête homme qu'il a pour agent, la beauté, la douceur du climat fi couve-  J. J. ROUSSEAU. 380 nable a mon paavre corps délabré, ie lieu affez folhaire pour être tranquille, & pas afl'ez pour être un défert; tout cela, je vous 1'avoue, fi je pafle en Angleterre, ou même a Mahon, car j'ai propofé 1'alternative, tout cela, dis-je, me fera fouvent tourner les yeux & foupirer vers cet agréable. afile, fi bien fait pour me rendre heureux, fi 1'on m'y laiifoit en paix. Mais j'ai écrit: fi 1'Ambafladeur me répond honnêtement, me voila engagé; j'aurois 1'air de me moquer de lui, fi je changeois de réfoiution , & d'ailleurs ce feroit en quelque forte marquer peu d'égard pour le paffe-port que M. de Choifeul a eu la bonté de m'envoyer a ma prière* Les miniftres font trop occupés, & d'afïaires trop importantes, pour qu'il foit permis de les inportuner inutilement. D'ailleurs, plus je regarde autour de moi, plus je vois avec certitude qu'il fe brafle quelque chofe, fans que je puifle deviner quoi. Thevenin n'a pas été apofté pour rien ; il y avoit dans cette farce ridicule, quelque vue qu'il m'eft impoffible de pénétrer; & dans la profonde obfeurité qui m'environne, j'ai peur au moindre mouvement de faire un faux pas. 'fout ce qui m'eft arrivé depuis mon retour en France, ck depuig mon départ de Ttie, me montre évidemment qu'il n'y a que M. le Prince de Conti parmi ceux qui tn'aiment, qui fache au vrai le fecret de ma fituation , & qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour la reu. dre tranquille, fans pouvoir y réufïïr. Cette perfuafion m'arrache des élans de reconnoiflance & u'atR 3  3<;0 Lettres öb tendrilTement vers ce grand Prirce, & je me reproche vivement mon irnpatience au fujet du filen« ce qu'il a gardé fur mes deux derrières lettres; car il y a peu de temps que j'en ai écrit k S. A. une feconde, qu'elle n'a prut - êire pas plus recue que la première ; c'eft de quoi je défirerois extrêmement d'être inftruit. Je n'ofe en ajouter une pour elle dans ce paquet, de peur de le groffir au point de donner dans la vue: mais fi, dans ce moment cri« tique, vous aviez pour moi la charité de vous pré> fenter a fon sudience, vous me reudriez un office bien fignalé de 1'informer de ce qui fe paffe, & de me faire parvenir fon avis, c'eft -k. dire, fes ordres;car dans tuut ce que j'ai fait de mon chef, je n'ai fait que des fonifes qui me ferviront au moins de lecons a 1'avenir, s'il daigne encore fe mêier de moi, Deniandez-lui aufli de ma part, je vous fupplie, la permiffion de lui écrire déformais fous votre couvert, puifque, fous le Gen, mes lettres ne paffent pas. La tracafltiie du fleur Thevenin efl enfin terminée. Après les preuves fans réplique que j'ai données k 1V1. de Tonnerre, de 1'impofture de ce coquin, il m'a offert de le punir par quelques jours de prifon. Vous fen.ez bien que c'eft ce que je n'ai pas accepté, & que ce n'eft pas de quoi il étoit queftion. Vous ne fcauriez imaginer les angoifles que m'a données cette fotte affaire, non j;our ce miférable, a qui je n'aurois pas daigné iijxüti'e, mais pour ceux qui Tont apoflé, &  J. J. RoUSSEAU. 30t que rien n'étoi; plus aifé que de démafquer, il on 1'cüt voulu. Rien ne m'a mieux fait fentir combien je fuis inepie & bete en pareil cas; le feul, a la vérité, de cette efpèce oü je me fois jamais ttouvé. J'étois navré, cotifterné , prefque tremblant; je ne favois ce que je di'ois en quefiiorsnant 1'impofleurj & lui, tranquille & calme dans fes abfurdes menfonges , portoit dans 1'auJace du crime, toute 1'appatence de la fécurité des innocens. Au refle, j'ai fait pafler a M. de Tonnerre 1'arrét imprimé concernant ce miférable, qu'un ami m'a envoyé, & par lequel M. de Tonnerre a pu voir que ceuX qui avoient mis cet homme en jeu, avoient fu choi« lir un fujet expérimenté dans ces fortes d'affaires. Je ne me trouvci jamais dans des embarras pareils a ceux oü je fuis & jamaii je ne me fentisplus tranquille. Je ne vois d'aucun cóté nul efpoir de repos; & loin de me défefpérer, mon cceur me dit que mes maux touchent a leur fin. II en feroit bien temps, je vous allure. Vous voyez, Monfieur, comment je vous écris, comment je vous charge de mille foins, comment je remets mon fort en vos mains, & a vous feul. Si vous n'nppellez pas cela de la confiance & de 1'amitié , aufii bien que de 1'importunité & de l'indifcréiion peutétre , vous avez tort. Je vous tmbraflé de tout mon cceur. R 4  352 Lettres de L e t 1 r e même. A Bourgoin, Ie ï8 Novembre ij-63. Je ne puis pas mieux vous dt'tromper, Monfieur, i'ur Ia réferve dont vous me fonpconnez envers vous, qu'en fuivant en tout vos idéés, & vous efl confiant. fexécution; & c'eft ce que je fais, je vous jiiie, avec une cor.fiance dont mon cceur eft content, & dont le vóire doit 1'étre. Voici une lettre pour M. le Prince de Conti,oü je parle comme vous le défirez ,& comme je penfe. Je n'ai jamais ni défiré nj cru que ma lettre a M. 1'Ambafladeur d'Angleterre düt ni püt être un fecret pour Son Altelfe, ni pour les gens en place, mais feulement pour le public ;& je vous préviens, une fois pour toutes, que quelque fecret que je puifle vous demander fur quoi que ce puifle être, il ne regwdera jamais M. le Prince de Conti, en qui j'ai autant & plus de confiance qu'en moi-même. Vous m'avez promis que ma lettre lui feroit remife en main propre, je fuppofe que ce fera par vous; j'y compte, & je vous le demande. Vous aurez pu voir que le projet de pafler en Angleterre,qui me vint en recevant le pafle-port, a éié prefque aulïïtót révoqué que formé: de nouveiles lumiêres fur ma fituation m'ont appris que je me devois de refler en France, & j'y refterai. M. D.venport m'a fait une réponfe três-engageante & trés-  J. J. R o v s s E a v. 393 irès-honnête. L'Ambafladeur tfe m'a point répondu. Si j'avois fu que le Sieur W**. étoit auprès de lui, vous jugez bien que je n'aurois pas écrit. Je m'imaginois bonnemtnt que toute 1'Angleterre avoit concu pour ce miierable & pour fon eatnarade, tout le mépris dont ils font dignes. J'ai toujours agi d'aprés la fuppofition des fentimens de droiture & d'honneur innés dans les cceurs des hommes. Ma foi, pour le coup, je me tiens coi, & je ne fuppofe plus tien 5 me voila de jour en jour plus dêplacé parmi eux,& plus etnbarraffé de ma/igure. Si c'eft leur tort ou le roien, c'eft ce que je les laiffe décider a leur mode; ils peuvent continuer a ballotter ma pauvre machine a leur gré, mais i!s ne m'óteront pas ma place j elle n'eft pas au milieu d'eux. J'ai été trés-bien pendant une dixaine de jours, J'étois gsi, j'avois bon appétit, j'ai fait è mon herbier de bonnes augmentations. Depuis deux jours je fuis moins bien, j'ai de la fièvre, vin gtand mal de tére que les échecs on j'ai joué hier, onraugmenté. Je les aime,& il faut que je les quitte. Mes plantes ne m'aniufent plu3. Je ne fais que chanter des ftiophes du Tafl'e; il eft étomiant quel charme je trouve dans ce chanr avec ma pauvr» voix caffée & déja tremblotante. Je me mis hier tout en larmes, fens prefque m'en apptrcevoir, eu chautant l'hilloire d'Olinde & de Sophronie. Si j'avois une pauvre petite épinette pour foutenii as peu ma voix ioiblilfante, je cbamerois du aatua R 5  :.94 Lettres de jufqu'r.u foir. II ell impoflïble a ma mauvaife tête de renoncer aux cfcaieaux en Efpagne. Le foin de la cour du cliateau de Lavagnac, uneépinette, & mon Tafi'e, \oi\i celui qui m'occupe anjourd'hui malgré moi. Eon jour, Monfieur; ma femme vous irdue de tout fon cceur; j'en fais de même: nous vous aimons tous deux bien fmcêremeut. Lettre r.a mênte. h Bourgoin , ce 7 Décembre 17(^8. Voi ci, Monfieur, une lettre a laquelle je vous prie de vouloir bien donner cours. Elle eft pour M. Davenport, qui m'a écrit trop honnêiement, pour que je puifle me difperrer de lui doiinrr avis que j'ai chargé de réfoiution. J'efpère que ma précédente avec 1'inclufe vous feta bien parvenue, & j'en attends la réponfe au premier jour. Je fuis aifez content de mon état préfent; je paffe, entte mon Têffe & mon heibier, des heuies dfez ispides pour me faire fentir combien il eft ridicule de donner tant d'importance a une exiflence aufli fugilive. J'attends fans impatience que la mienne loit fixée; elle 1'eft par tout ce qui dépendoit de rr.oi; le refle qui devient tous les jouis moindre, eft a. la merci de la nature & des hommes: ce n'eft plus la peine de ie leur difputer; j'aimeiois a pafler ce refle dans la grcite de la lidice, fi les chatve-  j. j. R o v s s e a u. 395 fouris ne rempuantiflbient pas. I! faudrs que nous 1'allions voir enfemble, quand vous pallerez pa ici. Je vous embrafle de tout mon ccejr. Lettre*. M, D, P ». A Bourgoin,Ie 19 Décembre 1768. Ce que vous me marquez de la fin de vos brouilleries avec la cour, me fait grand plaifir, & j'en ajgure que vous pouirez encore vivre agréableracnt oit vous étes, & oü vous étes retenu par des liens d'attacbement qu'il n'eft pas dans votre cceur de rampre aifément. II me femble que le Roi fe conduit réellement *en trés-grand Roi, lorfqu'il veut premièrement éire le malire, & .puis étre jrite. Vous penferez qu'il feroit plus gtanJ & plus beau de vouloir tranfpofer cet ordre; cela peut ésre : mais cela eft au deflus de 1'humnnité; & c'eft bien sfllZjpour honorer le génie & l'arae du plus grand Prince, que le premier article ne lui fafl'e pas négüger 1'autre; fi Fhbi>£kic ratifie le rétablilTenient de tous vos priviléges, comme je 1'efp.ire, il aura mérité de vous le plus bel éloge que puifle mériter un Souverain , & qui 1'approche de Dieu même, celui qu'Artnide faifok de Go« defroi de Bouillon: Tu, ent eoticrfe il cielo e tt'icV ti il fato, yoier il gii'fto , e poter oio clu-.yuii, K 6  3P<5 Lettres de Je m'imagine que fi lesdéputés, qu'en pareil cas vous lui enverrez probabletrent pour le remercier, lui récitoient ces deux vers pour toute harargue, ils ne feroient pas mal recus. Je fuis bien touché de Ia commifiion que vous avez donnde a Gagnebin; voila vraiment un foin d'amitié, un foin de ceux auxquels je ferai tou-. jours fenfible, paree qu'ils font choifis felou mon cceur & felon mon goüt. Je dois certainement la vie aux plantes; ce n'eft pas ce que je leur dois de bon; mais je leur dois d'en couler encore avec sgrément quelques intervalles , au milieu des amertumes dont elle eft inondée: tsnt que j'herborife , je ne fuis pas malheureux ; & je vous réponds que fi 1'on me laiflbit faire, je ne cefierois, tout le refle de ma vie, d'herborifer du maiin au foir. Au refle, j'aime mieux que le recueil de M. Gagnebin foit uès • petit, & qu'il ne foit pas compofé de plantes communes qu'on trouve par - tout; je ne vous difïï* mulerai même pas que j'ai déja beaucoup de plan* tes Alpines & des plus rares; cependant, cemme 11 y en a encore un trés-grand nombre qui me mmquent, je ne doute pas qu'il ne s'en trouve dans votre envoi qui me feront grand plaifir par elles - mémes, outre celui de les recevoir de vous. Par exemple, quoique je fois affez riche en Gentianes-Jl y en a une que je n'ai pu trouver encore, & que je convoite beaucoup, c'eft la grande Gett' tinne pcurprée, la feconde en rang du Species de Ur.naus. J'ai le Tozzia d'tpina, Linn.: mais il y  J. J. ROUSSEAU. gp7 manque la racine qui eft la panle la plus curieufe de cette plante , d'ailleurs difficile a fécher & conferver. J'ai Xüva urfi en fruits, mais je ne 1'ai pas en fleurs. J'ai 1''Azalea procumbens , mais il me manque d'autres beaux Chamarhodo. deniros des Alpes. Je n'ai qu'un müèrable pe« lit Androface. Je n'ai pas le Cortufa MutthioU, &C. La lifte de ce que j'ai feroit longue; celle de ce qui me manque plus longue encore:mais fi vous vouliez m'cnvoyer celle de ce que vous enverra Gagnebin, j'y pourrois noter ce qui me manque, afin que le refle étant fuperflu dans n.on heibier, püt demeurer dans le vóire. Je me fuis tuiné en livres de botanique, & j'avois bien réfölu de n'en plus acherer; cependant je fens que, rn'affeftionnant aux plantes des Alpes, je ne puis me pafler de celui de Ilaller. Vous m'obligerez de vouloir bien me marquer exaclement fon tiire, fon prix & le lieu oü vous 1'avez trou» vé; car Ia France efl fi barbare encore en botani» que, qu'on n'y trouve prefque aucun livre de cette fcience; & j'ai été obligé de faire venir a grands frais de Hollande & d'Angleterre, le peu que S*en ai; encore ai-je chetché par-tout ceux de Clufius facs pouvoir les trouver. Voila bien du bavardags fur la botanique, donje vois avec grand regret que vous avez toutfait perdu le goüt. Cependant, puifque vous avez nn peu fété mon Apocytt, j'ai grande envie de vous envoyer quelques gtaines de 1 arbre de foie;, R 7  Sp8 Lettres de & de la pomme de cannelle, qu'on m'a dernièrement apportées des Ifles. Quand vous commencerez a meubler votre jardin , je fuis jaloux d'y contribuer. Bon jour, mon cher hóte, nous vous embraffons & vous faluons 1'un & 1'autre de tout notre cceur. Lettre a M. Laliaui. A Bourgoin, le ig Décembre 1768. Pauvbe garcon, pauvre Sauttershaiml Trop occupé de moi duraat ma détreire, je favois un peu perdu de vue, mais il n'étoit point forti de mon cceur, & j'y av°is 1*>vm le défir fecret de me rapprocher de lui, fi jamais je trouvois quelque intervalle de repos entre les malheurs & la mort. C'étoit 1'homme qu'il me falloit pour me fermer les yeux ; fon caracière étoit doux; fa fociété étoit fimple; rien de la pretimaille francoife; encore plus de fens que d'efprit; un goüt fain, formé par la bonté de fon cceur; des talens siTez pour parer une folimde, & un naiutel fait pour 1'aimer avec un ami 1 c'étoit mon homme; la Providence me 1'a óté; les hommes m'ont óté la jouiflance de tout ce qui dépendoit d'eux ; ils me vendent jufqu'a la petite mefure d'air qu'ils permettent que je refpiie; il ne me refloii qu'une efpérance illnfoite; il ne m'eÉ relïe plus du tout. Sans doute  J. J. Rousseav. j-pgi Ie ciel me trouve digne de tirer de moi feul toutes mes reflburces, puifqu'il ne m'en laiiï'e plus aucune autre. Je fens que !a perte de ce pauvre garcon m'affecte plus a proportion, qu'aucun de mes au* tres malheurs. 11 falloit qu'il y eüt une (impathie bien fone en:re lui & moi, puifqu'ayant déja appris a me mettre en garde contre les empreiTés, je le recus a bras ouverts üïót qu'il fe préfenta, & dès les premiers jours de Dotre liaifon elle fut intime. Je me fouviens que dans ce même temps on m'écrivit de Genève que c'étoit un efpion apoflé pour tacher de m'auirer en France, oü 1'on vouloit, difoit la lettre, me faire un mauvais parti. La-deflus, je propofai a Sauttetshaim un voyage si Pontailier, lans lui parler de ma lettre. li y corilèm ,• nous partons: en arrivant a Pontarlier, je 1'embraöe avec tranfport, & puis je lui montre Ia lettre; il la lit fans s'émouvoir; nous nous embraflbns derechef, & nos larmes coulent. J'en veife derechef en me rappelant ce délicieux moment. J'ai fait avec lui plufieurs petits voyages pédeflres; je commericois dnerborifer, il prenoit le même goüt; nous allions voir Milord Maréchal, qui, lachsnt que je 1'aimois, le recevoit bien,& le prit bientót en amitié lui • même. 11 avoit raifon ! Siuttershaim étoit aimable; mais fon mérite ne pouvoit être fenti que des gens bien nés, il ghfiuit fur tous les autres. La génération dans liquelle il a vécu, n'étoit pas faite pour le coniioiite; aufli n'a - t- il ïien pu, faire a Paris ni alk  aoo Lettres de leurs. Le ciel 1'a retiré du milieu des hommes, oü il étoit étranger: mais pourquoi m'y a-t-il laiiTé? Pardon, Monfieur; mais vous aimiez ce pauvre garcon, & je fais que 1'efïufion de mon attachement & de mon regret ne peut vous déplaire. Je fuis fcnfible a la peine que vous avez bien voulu prendre en ma faveur auptès de M. le Prince de Conti; mais vous avez été bieu payé par le plaifir de con. verfer avec le plus aimable & le plus généreux des hommes, qui fürement cüt aimé & favorifé notre pauvre Sauttenhaim, s'il 1'avoit connu. Je vois, par ce que vous me marquez de fes nouveiles bontés pour moi, qu'elles font inépuüables,. comme la générofité de fon cceur. Ah! pourquoi faut il que tant d'intermédiaires qui nous féparent, détournent & anéantiii'ent tout 1'effet de fes foins? J'apprends que fon tréfotier, qui m'a fait chafiei du chateau de Trie a force d'intrigues, eft er» liaifon avec 1'agc-nt du P. a celui de Lavognac, & qu'il a déja é:é queftion de moi entre eux deux. II ne m'en faut pas davantage pour juger d'avance du fort qu'on m'y prépare; mais n'importe, me voila prêt, & i! n'y a rien que je n'endure,. plutót que de mériter la difgrace du Prince en me rétraftant fur ce que j'ai demaiidé moi-même, & en lailfant iautiles, par ma faute, les démarches qu'il veut bien faire en ma faveur. De tous les malheurs óont on a téfolu de m'accabler jufqu'è ma dernière heure, il y en a un du mokis dont je fauui me  J. J. R O U S S E A V. AC garantir, quoi qu'on fafTe; c'eft celui de perdre fa bienveillance & fa protcftion par ma faute. Vous avez la bonté, Monfieur, de me chefcher une épinette. Voila un foin dont je vous fuis trés • obligé, mais dor.t le fuccès m'embarrafTeroit beaucoup; car, avant d'avoir ladite épinette, il faudroit premièrement me pourvoir d'un lieu pour la placer, &.... d'une pierre pour y pofer ma tête. Mon herbier & mes livres de botanique me coütent déja beaucoup de peine & d'argent a tranfporter de gtte en glte , & de cabaret en cabaret. Si nous ajoutions de furcroit unc épinette, il faudroit donc y attacher des courroies, afin que je pufte la porter fur mon dos, comme les Savoyards portent leurs vielles: tout cet attirail me feroit un équipage allez digne du roman comique; ma's auffi peu lifible qu'uiile pour moi. Dans les douces rêveries dont je fuis encore aiTez fou pour me bercer quelquefois, j'ai pu faire entrer le défir d'une épinette; mais nous ferons alfez a temps de fonger a cet article, quand tous les autres feront réalifés, & il me femble que de tous les fetvices que vous pourriez me rendre, celui de me pourvoir d'une épinette doit étre lauTé pour le dernier. 11 elt vrai que vous me voyez déja tranquille au chateau de Lavagnsc. Ah! mon cher M. Laliaud, cela me prouve que vous avez la vue plus longue que moi. Bon jour, Monfieur; nous vous fsluons tous deux de tout notre cceur. Je vous donpe  402 Lettres de 1'exemple de fmir fans complitnens;vous ferez bien de le fuivre. LzTTRzaM. Moultou. A Bourgoin, Ie 30 Décembre 1768. J'attendois, cher JVrbultou, pour répcndre è votre derniêre lettre, d'avoir recu les ordres que M. le P. de C. m'avoit fait annoncer enfuite de 1'approbation qu'il a donnée au projet de ma retraite a Lavagnac; mais ces ordres ne font point encore venus, & je crains qu'ils ne viennent pas fitót; car S. A. m'a fait prévenir qu'il falloit, avant de m'écrire, qu'elle prlt, pour ce projet, des arrangemens femblables a ceux qu'elle a cru a propos de prendre pour mon voyage en Dauphiné; ces airangemens dépendent de 1'accord de perfounes qui ne fe rencontrent pas fouvent, & quelle que foit la générofité de cceur de ce grand Prince, de quelque extréme bonté qu'il m'honore, vous fentez qu'il n'eft pas ni ne fcauroit êire occupé de moi feul; & la chofe du monde qui fait le mieux fon éloge, eft qu'il ne fe foit pas encore ennuyé de tous les foins que je lui ai coütés. j'attends donc fans impatience; mais, en attendant, ma fituation devient, a tous égards, plus critique de jour en jour; & l'air marécageux & 1'eau de Bourgoin m'ont fait contraéier, depuis quelque temps, une  J. J. R O V S S E A U. 403 maladie fingulière, dont, de manière ou d'aune, il faut lacher de me délivrer. C'eft un gonflement d'eftomac très-confidérable & fenfible même au dthors, qui m'opprefle, m'étouffe & me gêne au point de ne pouvoit plus me baifler, & il faut que ma pauvre femme ait la peine de me mettre mes fouliers, &c. Je croyois d'abord d'engraiifer, mais la gtailTe n'étouffe pas; je n'engraifle que de 1'eflomac, & le refte eft tout aufli* maigre qu'a '"ordinaire. Cette incommodité, qui crolt a vue d'ceil, me détermine a tacber de fortir de ce mauvais pays le plutót qu'il me fera pofiible, en attendant que le Prince ait jugé a propos de difpofer de moi. II y a dans ce pays, a demilietie de la ville, une maifon a mi-cóie, agréable, bien fituée, oü 1'eau & 1'air font trés - bons, & oü le propriétaire veut bien me céder un petit logement que j'ai delïein d'occuper. La maifon eft feule, loin de tout village, & inhabitée dans cette faifon. J'y ferai feul avec ma femme & une fervante qu'on y tiem: voila une belle occafion, pour ceux qui difpofent de moi, de fe délivier du foin de ma garde , & de me délivrer moi des misères de cette vie. Cette idéé ne me détourne, ni ne me détermine. Je compte allerfa dans quelques jours, a la merci des hommes, & a h garde de la Providence, en attendant que je fache s'il m'eft permis d'aller vous joindre, ou ü je dois refter dans ce pays; car je fuis déterminé a ne prendre aucun parti fans 1'aveu du Prince,  404 Lettres be pour qui ma confiance efl égale a ma reconnoiffance, & c'eft tout dire. Cher Moultou, adieu; je ne' fais ni dans quel temps, ni a quelle occafion je cefferai de vous écrire; mais tant que je vivrai, je ne cefferai de vous aimer. L e t t r e a M. D. P . . . • «• A Bouigoin, le 18 Janvier 1,-60. | J' apprends, mon cher hóte, par le plus Gngulier hafard, qu'on a imprimé a Laufanne un des chiffons qui font entre vos mains, fur cette queftion : Qtielle eft la première vertu du Héros ? Vous croyez bien que je comprends qu'il s'agil d'un vol: mais comment ce vola-t-il été fait, & par qui?.... Vous qui étes fifoigneux, & furtout des depóts d'autrui! j'ai des engagemens qui rendent de pareils larcins de trés-grande conféquence pour moi (*). Comment donc ne m'avez-vous point du moins averti de cette impreflion? De grace, mon cher hóte, tachez de remonter a la fource; de favoir comment & par qui ce torchecul a été imprimé. Je vis dans la fécurité la plus profonde fur les papiers qui font entre vos mains; fi vous fouffiez que je perde cette fécurité, que (•) ii avoit pris des engagemens de ne rien faire imprimer de 1'on vivant.  J. J. R o U S s e a V. 405 deviendrai- je ? Met'tez- vous ft ma place, & pardonnez 1'importunité. J'ai cru niourtr cette nuit. Le jour je fuis moins mal. Ce qui me confole, eft que de femblabies nuits ne fcauroient fe multiplier beaucoup. Ma femme, qui a été fort mal aufïï, fe trouve mieux. Je me prépare a déloger, pour aller dans le féjour élevé qui m'eft deftiné, chercher un air plus pur que celui qu'on refpire dans ces val. léés. Je vous embrafle. Letteen M. Laliaud. A Monquin , le j8 Janvier 1769. Je ne connois poiht M. de Ia S **. Je fais feulement que c'eft un fabricant de Lyon; il accompagna cet automne le fils de Mde. Boy-de-IaTour mon amie, qui vint me voir ici. Me voyant logé fi triftement & dans un fi mauvais air, il me propofa une habitation en Dombes. Je ne dis ni oui ni non. Cet hiver, me voyant dépérir, il efl: revenu a Ia charge; j'ai refufé, il m'a prefle: faute d'autres bonnes raifons a lui dire, je lui ai déclaré que je ne pouvois fortir de cette province fans 1'agrément de M. le Prince de Conti. II m'a preflé de lui permettre de demander cet agrément, je ne m'y fuis pas oppofé. Voila tout. J'apprends par le plus grand hafard du monde,  qo6 Lettres de qu'on vient d'impiimer a Laufanne un ancien chiffon de ma fa9on. C'eft un difcours fur une queftion propofée en 1751, par M. de Curzay, tandis qu'il étoit en Corfe. Quand il fut fait, je Ia trouvai ft mauvais , que je ne voulus ni 1'euvoyer ni le faire imprimer. Je le remis avec tout ce que j'avois en manufcrit , a M. du p Uj avant mon départ pour 1'Angleterre. Je ne 1'ai pas revu depuis, & n'y ai pas même penfé; je ne puis me rappsler avec certitude fi ce barbouillage eft ou n'eft point un des ma- nüfciits inlifibles que M. D. P u m'en- voya a Wootton pour les tranfcrire, & que je lui renvoyai, copie & brouillon, par fon ami M. de**, chez lequel, ou durant le tranfport, le vol aura pu fe faire; ce qu'il y a de sür, c'eft que je n'ai aucune part a ceite impreffion, & que fi i'euffe été affez infenfé pour vouloir mettre encore quelque chofe fous la preffe, ce n'eft pas un pareil torche - cul que j'aurois choifi. Vignore comment il eft paffe fous la preffe; mais je crois M. D. P....u parfaitemc-nt inca. pable d'une pareille infidélité. En ce qui me regarde, voila la vérité, il m'importe que cette vérité foit connue. Je vous embraffe & vous falue, mon cher Monfieur, de tout mon cceur.  j. j. R o u 1 se a U. 4»7 L E t t R s au même. A Monquin, le 4 F 'vrier 1769. J'ai recu, Monfieur, vos deux derniéres lettres, & avec la première la refcription que vous avez eu la bonté de m'envoyer, & dont je vous re» mercie. Quoi! Monfieur, le barbouillage académique imprimé a Laufanne 1'avoit aufli été a Paris!.... Et c'eft M. Fiéron qui en eft 1'éditeur!.... le temps de 1'imprefïïon, le choix de Ia pièce, Ia moindre & Ia plus plate de tout ce que j'ai laifTé en manufcrit, tout m'apprend par quelles efpêces de mains & a quelle intention cet écrit a été publié. L'édition de Laufanne, fi elle exifte, aura probablement été faite fur celle de Paris. Mais Ie filence de M. D. me fait douter de cette feconde édition, dont Ia nouvelle m'a été donnée d'aflez loin pour qu'on ait pu confondre; & de pareils chiffons ne font guère de ceux qu'ou imprimé deux fois. Vous avez pris le vrai moyen d'aller, s'il eft pofiible, a Ia fource du vol, par 1'examen du manufcrit; cela vaut mieux qu'une lettre imprimée, qui ne feroit que faire fouvenir de moi le public & mes ennemis, dont je cherche a être oublié , & fur laquelle les coupables n'iront füreraent pas fe déclarer. Vous m'apprenez aufli qu'on a imprimé un nouveau volume de mes écrits vrais ou  •408 Lettres de faux. C'eft ainfi qu'on me difféque de mon vl. vsnt, on plutót qu'oa difféque un autre corps fous mon nom. Car quelle part ai je au recueil dont vous me parlez ? Si ce n'eft deux ou trois lettres de moi qui y font inférées, & fur lefquelles,pour faire croire que le recueil entier en étoit, on a eu 1'impudence de le faire imprimer a Londres fous mon nom, tandis que j'étois en Angleterre , en fupprimant la première édition de Laufanne faite fous les yeux de facteur, 1,'entrevois que 1'impreflïon du chiffon académique tient encore a quelque autre manoeuvre fouterraine de méme aeabir. Vous m'avez écrit quelqtiefois que je faifois du noir; 1'expreflion n'eft pas jufte; ce n'eft pas moi, Monfieur, qui fais du noir; mais c'eft moi qu'on en barbouille. Patience. Ils ont beau vouloir écarter le vivier d'eau claire, il fe trouvera quand je ne ferai plus en leur pouvoir, & au moment qu'ils y penfcront le moins. Aufli, qu'ils faflént déformais a leur aife, je les mets au pis. J'attends fans aiatmes 1'explofion qu'ils comptent faire apiès ma mort fur ma mémoire, femblables aux vils corbeaux qui s'acharnent fur les cadavres. C'eft alors qu'ils croiront n'avoit plus 4 craindre le trait de lumière qui, de mon vivant, ne ceffe de les faire trerubler, & c'eft alors que 1'on connoitra peut-être le prix de ma patience & de mon filence. Quoi qu'il en foit, en quittant Bourgoin, j'ai quitté tous les foucis qui m'en ont tendu le féjour auffi dcplaifant que nuifible. L'état oü  j. j. R o u s S e a u. 4«9 •ü je fuis b plas fait pour ma tranquillité, que les lecons de Ia philofophie & de Ia raifon. j'ai vécu, Monfieur; je fuis content de 1'emploi de' ma vie, & du même ceil que j'en vois les refles, je vois aulïï les évènemens qui les peuvent remplir. Je renonce donc a favoir déformais rien de ce qui fe dit, de ce qui fe fait, de ce qui fe paffe par rapport a moi; vous avez eu la difcrétion de ne m'en jamais rien dire. Je vous conjure de continuer. Je ne me refufé pas aux foins que votre amitié, votre équité peuvent vous infpirer pour la vérité, pour moi, dans 1'occafion; paree qu'après les fentimens que vous profefTez envers moi, ce feroit vous manqtier è vous-même. Mais dans 1'état oü funt les chofes, & dans Ie train que je leur vois prendte, je ne veux plus m'occuper de tien qui me rappelle hors de moi, de rien qui puiffe óter a mon efprit la méme tranquillité dont jouit ma confeience. Je vous écris fans y penfer de longues lettres qui font grand bien a, mon cceur, & grand mal i mon eflomac. Je remets a une autre fois le détail de mon habitation. Mde. Renou vous remercie & vous falue ; & moi, mon cher Monfieur, je vous embraffe de tout mon cceur. Suppl. Tom, FIJI. 8  410 I- e t t r e d M. MoultOU. A Monnuin, le 14 Février 1769. Lettres de Je fuis déïogé, cher Moultou; j'ai quitté 1'air marécageux de Bourgoin, pour venir occuper fur li hauteur une maifon vide & folitaire, que la Bamea qui elle appartient, m'a offerte depuis longtemps, & oü j'ai été recu avec une hofpiwlué tiès-noble, mais trop bien pour me faire oublier que je ne fuis pas chez moi. Ayant pris ce parti , 1'état oü je fuis ne me laiife plus penfer a une auire fcabttation; 1'honnêteté même ne me pcrmetttoit pas de quitter fi promptement celle ci, après avoir eonfenti qu'on 1'arrangeat pour moi. Ma fituation , la néceffité, mon goüt, tout me porte a bomer mes défirs & mes foins a finir dans cette folitude, «les jours dont, grace au ciel, & quoi que vous M puifiiez dire, je ne crois pas le terroe bien éloirmé. Accabié des maux de la vie & de finiuflice des hommes, j'approche avec joie d'un f» krar oó tout cela ne pénetre point, &, en attend*ht, jece veux plus m'occuper, fi je puis, qu'a me rapprocher de moi-même, & a goüter ici entre la compagne de mes infortunes, & mon cceur, & Dieu qui le voit, quelques heures de douceur & de paix, en attendant la derniére. Ainfi, mon bon ami, parlez-moi de votre amitié pour moi, elle me fera toujours chéte; mais ne  J. J. R O U 3 S E A U. 4!I Bia parlez pius de projets. II n'en eft plus pour moi d'autre en ce, monde, que celui d'en fortir avec la méme innocence que j'y ai vécu. J'ai vu, mon ami, dans quelques • unes de vos lettres, notamment dans la derniéte, que le torrent de la mode vous gagne, & que vous commencez a vaciHer dans des fentimens oü je vous erayois inébranlable. Ah! cher ami, comment avez-vous fait? Vous en qui j'ai toujours cru voir un cceur fi fain, une ame li forte; cef!ez-vous donc d'être content de vous-méme, & le témoin fecret de vos fentimens commenceroit - il a vous, devenir importun ? Je fais que la foi n'eft pas in» difpenfable, que 1'incrédulité fincére n'eft point un crime, & qu'on fera jugé fur ce qu'on aura fait, & non fur ce qu'on aura cru. Mais prenez garde, je vous conjure, d'être bien de-bonne foi avec vous-même; car il eft trés-différent de n'avoir pas cru, oj de n'avoir pas voulu croire, & je puis concevoir comment celui qui n'a jsmais cru,.'ne croira jamais, mais non comment celui qui. a cru, peut celler de croire. Encore un coup,ceqge je vous demande n'eft pas tant la foi, que la boune foi. Voulez-vous rejeter 1'intelligence univerfelle? les caufes finales vous crèveut les yeux. Voulez-vous étouffer l'inftinct moral? la voix interne s'élêve dans votre cceur, y fondroie les petits argumens a la mode, & vous crie qu'il n'eft pas vrai que 1'honnête homme & Ie fcélcrat, Ie vice & la vertu ne foient rien. Car vous étes S s  412 Lettres de trop bon raifonnenc pour ne pas voir a 1'inflant , qu'en rejetant Ia caufe première, & faifant tout a<-ec la matière & le mouvement, on óte toute moralité de la vie humaine. Ehl quoi, mon Dieu, le jufte infortuné, en próie a tous les maux de cette vie, fans en excepter même 1'opprobre & le dés» honneur, n'auroit nul dédommagement a attendre après elle, & mourroit en béte après avoir vécu en Dieu? Non, non! Moultou; Jéfus, que ce fiècle a méconnu , paree qu'il eft indigne de le conlioitreï Jéfus, qui mourut pour avoir voulu faire nn peuple illuftre & venueux de fes vils compatriotes, le fublime Jéfus ne mourut point tout entier fur la croix, & moi qui ne fuis qu'un chéiif homme plein de foibleffes, mais qui me fens un cceur dont un fentiment coupable n'approcha jamais, c'en eft affez pour qu'en fentant approeher la diffolution de mon corps, je fente en même temps la certitude de vivre. La nature entiêre m'en eft garante; elle n'eft pas contradictoire avec ellemêine; j'y vois régner un ordre pbyfique admirable & qui ne fe dément jamais. L'ordre moral y doit c'orrefpondre. Jl fut pounant renverfé pour moi durant ma vie; 11 va donc commencer a ma moit. Pardon, mon ami, je fens que je rabache; mais mon cceur, plein pour moi d'efpoir & de confiance , & pour vous d'intérêt & d'attachement, ne pouvoit fe refufer a ce court épanchement.  J. J. ROUSSEAU. 413 Je ne fonge plus a L. & probablement mes Voyages fout finis. J'ai pounant recu derniètement mie lettre du patron de la cafe , auffi plelne de bontés & d'amitié qu'il m'en ait jamais écrit, & qui donne fon approbation a une autre propofiticm qui m'avoit été faite; mais toujours projeter ne me convient plus. Je veux jouir, entre la nature & moi, du peu de jours qui me relient, fans plus me laifler promener, fi je puis, parmi lei hommes qui m'ont fi mal traité, & plus mal connu. Quoique je ne puifle plus me baiffer pour herborii'er, je ne puis renoncer aux plantes; je les obferve avec plus de plaifir que jamais. Je 11e vous dis point de m'envoyer les vó:res, paree que j'efpère que vous les apporterez ; ce moment, cher Moul tou , me fera bien doux. Adieu, je vous em> btaffe; partagez tous les fentimens de mon cceur avec votre dignj moitié, & recevez 1'un & 1'autre les refpefts de la mienne. Elle va refler a plaindre. C'eft bien malgré elle, c'eft bien malgré nous, qu'elle & moi n'avons pu remplir de grands devoirs. Mais elle en a rempli de bien refpeétables. Que de chofes qui devroient ê>re fues, vont étre enfevelies avec moi, & combien mes crucls ennemis tirerent d'avamages de 1'impofiibilité oü ils m'ont mis de patier 1 S 3  414 Lettres ë e L e t t r e a m. D. P. u. A Monquia, le 2 £ FéVrier 1769. Je fuis fur ma montagne, mon cher hóte, oü mon nouvel établilTement & mon eftomac me ren. dent pénible d'écrire, fans quoi je n'aurois pas attendu fi longteraps a vous demander de fréquentes nouveiles de Mde. ** jufqu'a 1'entière guérifon, dont, fur votre pénultiême lettre, 1'elpoir fe joint au défir. Pour moi, mon état n'eft pas cmpiré depuis que je fuis ici; mais je fouffre toujours beaucoup. J'ai eu tort de ne vous pas marqner le rétabliflement de Mde. Renou, qui n'a tenu le lit que peu de jours: mais imaginez ce que c'étoit que d'être tous deux en même temps prefque a 1'extrémité , dans un mauvais cabaret. II n'y a pas eu moyen de tirer de Ftéron Ie manufcrit fur lequel le difcours en queftion a été imprimé; mais je vois, par ce que vous me raarquez, que la copie furtive en a été faite avant les corrections, qui cependant font aflez anciennes. Elles n'empêchetu pas que i'ouvrage, ainfi corrigé, ne foit un miféiable torche-cul; jugez de ce qu'il doit être dans .'état oü ils font imprimé. Ce qu'il y a de pis, eft que Rey & les autres ne manqueront pas de 1'iuférer en cet état, dans Ie recueil de mes écrits. Qu'y puis-je faire? II n'y a point de ma faute. Dans 1'état oü je fuis,  J. ]. R O ü S S E A U. tout ce qu'il refte a faire, quand tous les nïaux (ont fans remède, eft de refter tranquille, & de ne plus fe tourmenter de iien. M. Séguier, célèbte par le Plant* Feronenfes que vous avez peut-étre, ou que vous devriez avoir, vient de m'envoyer des plantes qtü m'ont remis fur mon hetbier & fur mes bouquins. Je fois maintenant trop richt, pour ne pas fenür Ut ptivation de ce qui me manque. Si parmi celles que vous promet le Parolier, pouvoient fe trouver la grande Gentiane pourprée, le Thora valdenfium, XEpimedium, & quelques autres, le tout bien confervé & en fleurs, je vous avoue que ce cadeau me feroit le plus grand plaifir; car je fens que malgré tout, la botanique m.' domme. J'herboriferai, mon cher hóte, jufqu'a la mort, & au dett; car s'il y a des fleurs aux champs élyfées, j'en formerai des couronnes pour les hommes vrais, francs, droits, & tels qu aiTuréraent j'avois mérité d'en trouver fur la terre. Bon jour, mon trés-cher hóte; mon eftomac m'avertit de finir avant que la morale ine gagne', car cela me mèneroit loin. Mon cceur vous fuit au pied du lit de la bonne maman. J'embrafle le bon M. Jeannin. S 4  4i6 Lettres de L e t t r e d M. Laliaud. A Monquin, le 27 Aoüt 1769. Un voyage de botanique, Monfieur, que j'ai fait au mont Pilat prefque en arrivant ici, m'a privé du plaifir de vous répondre aufli - tót que je 1'aurois dü. Ce voyage a été défaflreux, toujours de la pluie; j'ai trouvé peu de plantes, & j'ai perdu mon chien bleffé par un autre, & fugitif; je le croyois mort dans les bols de fa blelTure, quand, a mon retour, je 1'ai trouvé ici bien portam , fans que je puifle imaginer comment il a pu faire donze lieues, & repafler le Rhóue dans 1'état oü il étoit. Vous avez, Monfieur , la douceur de rtvoir vos pénates, & de vivre au milieu de \os amis. Je prendrois part a ce bonheur, en vous cn voyant jouir; mais je doute que-le ciel me dcfline n ce partage. J'ai trouvé Mde. Rmou cn eflcz bonne fanté-, elle vous remercie de votre fouvenir, & vous falue de tout fon cceur. J'en fais de méme, étant foicé d'être brief, a caufe du foin que demandent quelques plantes que j'ai rapportées & quelques gtaines que je deflinois a Mde. de Portland , le tout étant arrivé ici a demi pourri par la pluie. Je voudrois du moins en fauver quelque chofe, pour n'avoir pas perdu tout-è-fait mon voyage, & la peine que j'ai prifa a les recueillir. Adieu, mon cher Mon'  J. J. R o u s 9 e a u. 417 Monfieur Laliaud, coufervez ■ vous, & vivez content. L e t t b e d M. Moultou. A Monquin, le 8 Septembre i?6p. Sans une foulure a Ia main, cher Moultou, qui me fait fouffrir depuis plufieurs jours, je me livrerois a mon aife au plaifir de caufer avec vous; mais je ne défefpère pas d'en retrouver une occafion plus commode. Eu attendant, recevez mon remerclment de votre bon fouvenir & de celui de Mde..Moultou>dont ie me confolerai difficilement d'avoir été fi prés, fans la voir. Je veux croire qu'elle a quelque part au plaifir que vous m'avez fait de m'amener votre fils, & cela m'a rendu plus touchante la vue de cet aimable enfant. Je fuis fort aife qu'il foit un peu jaloux, daas ce qu'il fait, de mon approbation. II lui eft toujours aifé de s'en aflurer par la vótre: car fur ce point, comme fur beaucoup d'autres, nous ne fcaurions penfer différemment vous & moi. Je ne fuis poins furpris de ce que voui me marquez des difpofitions fecrètes des gens qui vous entourent. II y a long-temps qu'ils ont changé le patriotifme en égoïfme, & 1'amour prétendu du bien public n'eft plus dans leurs cceurs, que Ia haine des partis. Garamiflez le vótre, 6 cher S 5  4i3 Lettres de Moultou! de ce fentiment pénrble, qui donne toujours plus de tourment que de jouiflance, & qui, lors même qu'il 1'alTouvit, venge dans le cceur de celui qui 1'éprouve, le mal qu'il fait a fon ennemi. Paradis aux bienfaifans, difoit fans ceire le bon Abbé de St. Pierre. Voilé un paradis que les méchans ne peuvent óter a perfonne, & qu'ils fe donneroient , s'ils en connoilfoient le prix. Adieu, cher Moultou; je vous embrafle. Lettre a M. D. P u. A Monquin, le 16 Septembre 1769. ds aviez grande raifon, mon cher hdte, d'attendre la relation de mon herborifation de Pilat: car parmi les plaifirs de la faire , je comptois pour beaucoup celui de vous la décrire. Mais les pre. miers ayant manqué, me laiflent peu de quoi four« nir a 1'autre. Je partis a pied avec trois Meflieurs, dont un Médecin, qui faifoient femblant d'aimer la botanique, & qui, défirant me cajoler, je ne fais pourquoi, s'imaginèrent qu'il n'y avoit rien de mieux pour cela, que de me faire bien des facons. Jugez comment cela s'aifortit, non fculement avec mon humeur, mais avec 1'aifance & la gaité des voyages pédeflres. lis m'ont trouvé Hés - tnauflade} je le crois bien. Ils ne difent pas  J. J. R O U S S E A U. 4Tp que c'eft eux qui rn'ont tendu tel. II me fem'Ve que malgré la pluia, nous n'étions point mauffadcs a Brot, ni les uns ni les autres. Premier article. Le fecond eft que nous avons eu mauvais temps prefque durant toute la route; ce qui n'amufe pis quand on ne veut qu'herborifer, & que, faute d'une certaine intitnité, 1,1'on n'a que cela pour point de ralliement & pour reflburce. Le troitlème eft que nous avons trouvé fur Ia montagne un trés-mauvais gite; pour lit, du foin refluam & tout mouillé, hors un feul matelas rembourré de puces, dont, comme étant Ie Sancho de la troupe , j'ai été pompeufement gratifté. Le quatrième, des accidens de toute efpèce; un de nos RtelïfeuM a été mordu d'uu chien fur la montagne: Sultan a été demi■ malfrcré d'un autre chien; il a difparu: je 1'ai cru mart de fes bleuures, ou mang-ï du loup; & ce qui me confond, eft qu'a nwi retour ici, je 1'ai trouvé tranquille & parfaitement guéri, fans que je puilfe imaginer conrnent, dans 1'état oü il étoit, il a pa faire douze grandes lieues, & fur-tout repaffer le Rhórie, qui n'eft pas un petit ruifleau , comme difoit du llhin M. de Chazeron.- Le cinquiè;ne article &lepire, eft que nous n'avons prefque rien trouvi, étant allés trop tard pour les fleurs, trop tót pour les grai • nes: n'ayant eu nul guide pour trouver les bons endroits. Ajoutez que la montagne eft fort trifte , inculte, déferte, & n'a rien de 1'admirable vaiiete* des montagnes da Suifle. Si vou3 n'étiez pas reS 6  120 Lettres de devenu un profane, je vous ferois ici fénnméra. tion de notre maigre colleaion: je vous parlerois du meum, du raifin Jours, du doronk, de la biftorte, du napel, du thymelea, &c. Mais j'efpère que quand M. *** qui a appris la botanique en trois jours, fera prés de vous, il vous expliquera tout cela. Parrni toutes ces plantes Alpines trés-communes, j'en ai trouvé trois plus curieufes, qui m'ont fait grand plaifir. L'une eft 1'Or.agra (CEnothera biennts, Lin.) , que j'ai trouvée au bord du Rhóne, & que j'avois déja trouvée, a mon voyage de Nevers, au bord de la Loire. La feconde eft le laiteron bleu des Alpes tSonchus Alpinus), qui m'a fait d'autant plus de plaifir, que j'ai eu peine a le déterminer, m'obftinant a le prendre pour une laitue. La troifième eft le Lichen Islandicus, que j'ai d'abord reconnu aux poils courts qui bordent fes feuilles. Je vous ennuie avec mon pédant étalage ; mais fi votre Henriette prenoit du goüt pour les plan* tes, comme mon foin fe transformeroit bien •vtte en fleurs 1 II faudroit bien alors, malgré vous & vos dents, que vous devinfliea botanifte.  J. J. ROUSSEAU. 42I Lettre au même. A Monquin , Ie 15 Novembre 17(59. V0 u s voila , mon cher bóte, grace a la rechüce dont vous étes délivré, dans un de ces intervalles heureux durant lefquels, n'emrevoyant que de loin le retour des atteintes de goutte, vous pouvez jouir de la fanté & même Ia prolonger; & je fuis bien sür que le plus doux emploi que vous en pourrez faire, fera de rendre la vie heureufe a cette aimable llenriette qui verfe tant de douceurs & de confolations dans la vótre. Les détails que vous me faites de la manière dont vous cultivez le fonds de fentiment & de raifon que vous avez trouvé en elle, me font juger de 1'agrément que vous devez trouver dans une occupation fi chérie, & me fout défirer bien des fois dans la journée, d'avoir la douceur d'en être le témoin. Mais appelé par de grands & ttiftes devoir a des foins plus> nécelfaires, je ne vois aucune apparence & me flatter de finir mes jours auprès de vous. J'en fens le défir, je 1'exécuterois même, s'il ne tenoit qu'a ma volonté: la chofe n'eft peut - être pas abfolument impoflible; mais je fuis fi accoutumé de voir tous mes vceux éconduits en toute chofe, que j'ai tout-a fait ceflè d'en faire, & me borne a tacher de fupporter le refte de mon fort en homme, tel qu'il plaife au Ciel de me 1'eavoyer. S 7  422 Lettres de' Ne parions plas de botanique , mon cher hóte; quoique la pilTion que j'avois pour elle n'ait fait qu'augmenter jufqu'ici, quoique cette innocente & aimablo diflraéïion ine füt bien uéceiTaire dans mon état, je la quitte, il le faut; n'en parlous plus. Depuis que j'ai cornmencé de m'en occuper, j'ai fait une affez confidérable collection de livres de botanique, parmi lefquels il y en a de rares & de recherchés par les boianophiies, qui peuvent donner quelque prix a cette colleétion. Outre cela, j'ai fait fur la plupart de ces livres un grand travail par rapport a la fynonymie, en ajourtant a la plupart des defcriptions & des figures le nom de Linnasus. II faut s'êire elfayé fur ces fortes de concordances, pour comprendre Ia peine qu'elles coütent, & combien celle que j'ai prife peut en éviter a ceux a qui palferont ces mêmes livres, s'ils en veulent faire ufage. Je cherche a me défaire de cette colleélion, qui me devient inutile, & difficile a tranfporter. Je voudrois qu'elle püt vous convenir, & jenedéfefpèrepas, quand vous aurez un jardin de plantes, que vous ne repreniez le goüt de Ia botanique, qui, felon moi, vous feroit très-avantageux. En ce cas, vous auriez une collection toute faite , qui pourroit vous fuffire, & que vous formeriez difficilement aufli compléte en détail. Ainfi j'ai cru devoir vous la propofer, avant que d'en parler a perfonne. J'en vais faire le catalogue. Voulez-vous que je vous Ie fafle paffer ?  J. Ji ROUSSEAU. 423 Je ne fuis point furpris des foins, des longtieurs, des frais inattendus, des ernbarras de toute efpèce que vous caufe votre batirntm. Vous avez dü vous y attendre, & vous rappeler ce que je vous ai écrit & dit ace fujet, quand vous en avez formé 1'entreptife. Cependant vous devez être a la fin de la groife befogne, & ce qui vous refte a faire n'tft qu'un amufement en comparaifon de ce qui eft fait: a moins pourtant que vous ne donniez dans la manie de défaire & refaire, car en ce cas vous cn avez pour la vie, & vous ne jouirez jamais. Refufez-vous totalement a cette tentation dangereufe, ou je vous prédis que vous vous en trouverez trés-mal. Lettre a M. Moultou. Monquin, 28 Mars 1770. Je tardois, cher Moultou, pour répondre a votre dernière lettre, de pouvoir vous donner quelque avis certain de ma marche; mais les neiges qui font revenues m'afSéger, rendent les chemins de cette montagne tellement impraticables, que je ne fais plus quand j'en pourrai partir. Ce fera, dans mon projet, pour me rendre a Lyon, d'oü je fais bien ce que je veux faire, mais j'ignore ce que je ferai. J'avois eu le projet que vous me fuggérez,  424 Lettres de d'aller m'établir en Savoie; je.demandal & obtins, duraut mon féjour a Bourgoin, un paffe.port pour cela, dont, fur des lum'êres qui me vinrent en même temps, je ne vouius point faire ufage; j'ai réfolu d'achever mes jours dans ce royaume, & d'y lai.fer a ceux qui difpofent de moi, le plaifir d'affouvir leur fantaifie jufqu'a mon dernier foupir. Je ne fuis point dans le cas d'avoir befoin de la bourfe d'autrui, du moins pour le préfent, & dans la pofition oü je fuis, je ne dépenfe guère moins en place qu'en voyage: mais je fuis faché que 1'offre de votre bourfe m'ait óté la reffource au befoin; ma maxime la plus cbérie eft de ne jamais rien demander a ceux qui m'offrent. Je les punis de m'avoir óté un plaifir, en les privant d'un autre; & quand je me ferai des amis a mon goüt, je ne les irai pas choifir au Monomotapa, quoi qu'en dife La Fontaine. Cela tient a mon tour d'efprit particulier, dont je n'excufe pas la bizarrerie, mais que je dois confulter quand il s'agit d'être obligé; car autant je fuis touché de tout ce qu'on m'accorde, autant je Ie fuis peu de ce qu'on me fait accepter. Aufli je n'accepte jamais rien qu'en rechignant, & vaincu par la tyranuie des importunités. Mais 1'ami qui veut bien ufobliger a ma mode & non pas a la fienne, fera toujours content de mon cceur. J'avoue pourtant que fè-propos de votre offte mérite une ex« ception; & je la fais en tachant de 1'oublier, afin de ne pas óter a notre amitié 1'un des droits qui 1'inégalité de fortune y doit mettre.  J. J. ROUSSEAU. 425 II faut afTurément que vous foyez peu difficile en reffemblance, pour trouver la mienne dans cette figure de Cyclope qu'on débite a fi grand bruit fous mon nom. Quand il plut a 1'honnête M. Hume de me faire peindre en Angleterre , je ne pus jamais deviner fon motif, quoique dès ■ lors je viffe affez que ce n'étoit pas 1'amitié. Je ne 1'ai compris qu'en voyant 1'eftampe, & fur-tout en spprenant qu'on lui en donnoit pour pendant une auire repréfentant ledit M. Hume, qui réellement a la figure d'un Cyclope, & a qui 1'on danne un air charmant. Comme ils peignent nos vlfages, ainfi peignent-ils nos ames, avec la même fidélité. Je comprends que les bruyans éloges qu'on vous a faits de ce portrait vous ont fubjugué; mais regardez-y mieux, & ótez-moi de votre chambre cette mine farouche qui n'eft pas la mienne afiürément. Les gtavures faites fur le portrait peint par la Tour, me font plus jeune a la vérité, mais beaucoup plus reffemblant; remarquez qu'on les a fait difparoltre, ou conirefaire hideufement. Comment ne fentez- vous pas d'oü tout cela vient, & ce que tout cela fignifie ? Voici deux actes d'honnêteté, de juftice & d'amitié a faire. C'eft a vous que j'en donne la commifïion. 10. lley vient de faire une édition de mes écrits, z laquelle, & a d'autres marqués j'ai reconnu que mon homme étoit enrólé. J'aurois dü prévoir , & que des gens fi attentifs ne 1'oublie  426 Lettres de roient pas, & qu'il ne feroit pas a fépreuve. Entre autres remarques que j'ai faites fur cette édition, j'y ai trouvé avec autar.t d'indignaiion que defurprife, trois ou quatre lettres de M. le Comte de Treffan avec les réponfes, qui furent écrites, il y a une quinzaine d'années, au fujet d'une tracafferie de PalilTot. Je n'ai jamais communiqué ces lettres qu'au feul V**, auquel j'avois alors & bien ma!heureufemcnt la même confiance que j'ai maintenant en vous. Depuis lors, je ne les ai montrées a qui que ce foit, & ne me rappelle pas même en avoir parlé. Voila pourtant Rey qui les imprimé: d'oü les a-t-il eues? ce n'eft certainement pas de moi; & il ne m'a pas dit un mot de ces lettres en me parlant de cette édition. Je com. prends aifément qu'il n'a pas mieux rempli Ie devoir d'obtenir 1'agrément de M. de Treffan, qui probablement ne 1'auroit pas donné uci) plus que moi. Du cercueil oü 1'on me tient tnlctmé tout vivant, je ne pols pas éctire a M. de Tuffm, dont je ne fais pas 1'adreffe, & 4 qui ma lettre ne prrviendroit certainement pas. Je vous prie de remplir ce devoir pour moi. Dites - lui que ce ne feroit pas envers lui que j'honore, que j'aurois enfreint uu devoir dont j'ai porté 1'obfervation jufqu'A un fcrupule peut-être inouï envers Voltaire, que j'ai laiffé falfifier & défigurer mes lettres, & taire les fiennes, fans que j'aye voulu jufqu'ici montrer ni les unes ni les autres a perfonne. Ce n'eft lüreraent pas pour me faire honneur, que ces lettres ont été  J. J. RoüSSEAU. 427 itnprirnées; c'eft uniquoraent pour m'attirer 1'inimi. tié de M. de Treffan. 20. J'ai fait, ii y a quelques mois, a Mde. la Ducheffe douairière de Portland, un envoi de plantes que j'avois été herborifer pour elle au mout Pilat, & que j'avois préparées avec beaucoup de foin , de même qu'un sffortiment de graines que j'y avois joint. Je n'ai aucune nouvelle de Mde. de Portland ni de cet envoi, quoique j'aye écrit, & a elle, & & fon commiffionnaire: mes lettres font reftées fans réponfe, & je comprends qu'elles ont été fupptimée3, ainfi que 1'envoi, par des motifs qui ne vous feront pas difficües a pénétrer. Les manoeuvres qu'on emploie font trés - afforties a 1'ob. jet qu'on fe propofe. Ayez, cher Moultou, la complaifance d'écrire a Mde. de Portland ce que j'ai fait, & combien j'ai de regret qu'on ne me laiffe pas remplir les fonétions du titre qu'elle m'avoit permis de prendre auptês d'elle, & que je me faifois un honneur de mériter. Vous fentez que je ne peux pas entreteuir des correfpondances malgré ceux qui les interceptent. Ainfi la-deffus, comme fur toute chofe oü la nécefïïté commande , je me foumets. Je voudrois feulement que mes anciens correfpondans fuffent qu'il n'y a pas de ma faute, & que je ne les ai pas négligés. La même chofe m'eft arrivée avec M. Guan de Mompellier, a qui j'ai fait un envoi fous l'adreffe de M. de St. Prieft. La méme chofe m'arrivera peut-étre avec vous. Accufez-moi du moins, je vous prie, la  ai8 Lettres de réception de cette lettre , fi elle vous parvient encore; la vótre, fi vous 1'écrivez a la réception de la mienne, pourra me parvenir encore ici. Le papier me manque. Mes refpeéts & ceux de ma femme a Mde. Moultou. Nous vous embraffons conjointement de tout notre cceur. Adieu, cher Moultou. Lettre au même. Monquin, Ie 6 Avril 1770. (Pauvres aveug'es que nous fommes 1 &c.) Votre lettre, cher Moultou, m'afflige fur votre fanté. Vous m'aviez parlé, dans la précéJente, de votre mal de gorge comme d'une chofe pjflee, & je le regardois comme un de ceux auxqnels j'ai moi-même été fi fujet, qui font vifs, courts, & ne laiffent aucune tracé. Mais fi c'eft une humeur de goutte, il fera difficile que vous ne vous en reffentiez pas de temps en temps: mais fur> tout n'allez pas vous mettre dans la téte d'en vouloir guérir, car ce feroit vouloir guérir de la vie, mal que les bons doivent fupporter, tant qu'il leur refte quelque bien a faire. D. P u, pour avoir voulu droguer la fienne, 1'efTaroucha, la fit remonter , & ce ne fut pas fans beaucoup de peines que nous parvlnmes a la rappeler aux extrémités.  J. J. 'R O ü S S E A U. 420 Vous favez fans doute ce qu'il faut faire pour cela; j'ai vu 1'effet grand & prompt de la momarde a la plante des pieds; je vous Ia recommande en pareille occurrence, dont veuille Ie ciel vous préferver. Si jeune, déja la goutte: que je vous plains 1 Si vous euffiez toujours fuivi le régime que je vous faifois faire è Motiers, fur-tout quant a 1'exercice, vous ne feriez point atteiut de cette cruelle maladie, Point de foupés, peu de cabinet, & beaucoup de marche dans vos reldches: voila ce qu'il i me refte a vous recommander. Ce que vous m'apprenez qui s'eft paffe derniè. rement dans votre ville, me fache encore, mais ne me furprend plus. Comment I votre Confeil Souverain fe met a rendre des jugemens criminels? Les Rois, plus fages que lui, n'en rendent point. Voila ces pauvres gens, prenant a grands pas le train des Athéniens, & courant chercheT la même deftinée, qu'ils trou.veront, hélasl affez tót fans tant courir. Mais, Qtios vult perdtre Jupitir, demsntat. Je ne doute point que les Natifs ne miffent a leurs ptétentions 1'infolence de gens qui fe fentent foufflés, & qui fe croient foutenus; mais je doute encore moins que, fi ces pauvres citoyens na fe laiflbient aveugler par la profpérité, & féduire par un vil intérêt, ils n'euffent été les premiers a leur offrir le partage, dans le  430 Lettres de fond trés • jufle, trés - raifonnable, &très.avautigeux a tous, que les autres leur demandoient. Les voila aufli durs Ariflocrates avec les habitans, que les Magillrats furent jadis avec eux. De ces deux Ariftocraties, j'aimerois encore mieux la première. Je fuis fenfible k Ia bonté que vous avez de vouloir bien écrire a Mde. de Portland & a M. de Treffan. L.'équité, üamitié diéleront vos lettres', je ne fuis pas en peine de ce que vous direz. Ce que vous me dites de 1'amérieure imprtffion des lettres du dernier, difculpe abfolument R*. fur cet article,!, mais .n'infirme point au refle les fottes raifons que j'ai de'le tenir tout au moins pour fulp eet; & je connoii trop bien les gens a qui j'ai affaire , pour pouvoir croire que, fongeaut ö tant de monde & al tant de chofes, ils t.ient oublié cet homme.la. Ce que vous a dit M. G**\ du bruit qu'il fait de fon amitié pour moi, n'eft pas propre a m'y donner plus de confiance. Cette affcétation eft fingulièrement dans le plan de ceux qui difpofent de moi. G***. y brilloit par excellence, & jamais il ne parloit de moi, fans verfer des larmes de tendreffe. Ceux qui m'aiment véritablement fe gardent bien, dans les circonlhn. ces préfentes, de fe mettre en avant avec tant d'emphafe. Ils gémiffent tout bas, au contraire, obfervenc & lè taifent, julqu'a ce que le temps foit venu- de parler. VoilaT cher Moultou, ce que je vous prie  J. J. R O V S S E A V. 43I & vous confeille de faite, Vous compromettre ■e feroit pas me fervir. 11 y a quinze ans qu'on travaille fous terre; les mains qui fe prêtent a cette oeuvre de ténebres, la rendent trop redoutable, pour qu'il foit permis a nul honnête homme d'en apptocher pour i'examiner. 11 faut, pour monter fur h mine, attendre qu'elle ait fait fon exp'.ofion; & ce n'eft plus ma perfonne qu'il faut fonger a. défendre, c'eft ma mémoire. Voila, cher Moultou, ce que j'ai toujours attendu de vous. Ne croyez pas que j'ignore vos liaifons; ma confiance n'eft pas celle d'un fot, mais celle au contraire de quelqu'un qui fe connolt en hommes, en diverfité d'étoffis d'ames, qui n'attend rien des C***, qui attend tout des Moultou. Je ne puis doucer qu'on u'ait voulu vous féduire; je fuis perfuadé qu'on n'a fait tout au plus que vous tromper. Mais avec votre pénétration vous avez vu trop de chofes, & vous en verrez trop encore, pour pouvoir être trompé long. temps. Qaani vous verrez la vérité, il ne fera pas pour cela temps de la dire; il faut attendre les révolutions qui lui feront favorables, & qui viendront tót ou tard. C'eft alors que le nom de mon ami, dont il faut maintenant fe cacher, houorera ceux qui 1'auront porté, & qui rempliront les devoirs qu'il leur impofe. Voila ia ttlche, ó Moultou! elle eft belle, elle eft digne de toi, & depuis bien des années, mon cceur t'a choifi pour la remplir. Voici peut-éue la dernière fois que je vous  432 Lettres de &c. écrirai. Vous devez comprendre combien II me feroit intéreffant de vous voir: mais ne parions pies de Chambéri; ce n'eft pas la oü je fuis appellé. L'honneur & le devoir crieni; je n'entends plus que leur voix. Adku, recevez 1'embrafiement que mon cceur vous envoie. Toutes mes lettres font ouvertes; ce n'eft pas la ce qui me fslche; mais plufieurs ne parviennent pas. Faites en forte que je fache fi celle-ci aura été plus heureufe. Vous n'ignorez pas oü je ferai; mais je dois vous prévenir qu'après avoir été ouvettes a la pofte, mes lettres le feront encore dans la maifon oü je vais Ioger. Adieu derechef. Nous vous embrafïbns 1'un & 1'autre avec toute Ia tendreffe de notre cceur. Nos hommages & refpects les plus tendres a Madame. II eft vrai que j'ai cherché a me défaire de mes livres de botanique, & méme de mon herbier. Cependant, comme 1'herbier eft un préfent, quoique non tout - k fait gratuit, je ne m'en déferai qu'a la dernière extrémité, & mon intention eft de le laifler, fi je puis, a celui qui me 1'a donné , augmenté de plus de trois cents plantes que j'y ai ajoutées. FRAO  Fragment, &c. ♦33 FRAGMENT trowé parmi les papiers de J. j. Rousseau, a h fuite de ce recutil de lettres. QuicokQüe, fans urgente néceflité, fans affaires indifpsnfables, recherche & même jufqu'a 1'importunité un homme dont il penfc mal, fans vouloir s'éclaircir avec lui de la juftice ou de 1'injuftice du jugement qu'il en porte , foit qu'il fe trompe ou non dans ce jugement, e£l lui-méme un homme dont il faut mal penfer. Cajoler un homme préfent, & le diffamer ab.' fent, eft certainement la duplicité d'un traitre, & vraifemblablement Ia manoeuvre d'un impofteur. Dire, en fe cachant d'un homme pour le diffamer, que c'eft par ménagement pour lui qu'on ne veut pas le confondre, c'eft: faire un menfonge non moins inepte que lache. La diifamation étant le pire des maux civils, & celui dont les eifets font les plus terribles, s'il étoit vrai qu'on vou'.ftt ménager cet homme, on le confondroit, on le menaceroit peut - étre de Ie dif. famer, mais on n'en feroit rien. On lui repro^heroit fon crime en particulier, en le cachant a tout le monde: mais le dire a tout le monde en le cachant a lui feul , & feindre encore de s'intéreffer a lui, eft le raffinement de la haine, le comble de Ia barbarie & de la noirceur. Faire 1'aumóne par fupercherie a quelqu'un i malgré lui, n'eft pas le fervir; c'eft 1'avilir.- ce n'eft pas un acte de bonté, c'en eft un de malignité : fur-tout fi rendant 1'aumóne mefquine Suppl. Tom. VIII. T  434 F H A ü M 2. 8 T, &C. inutile, mais bruyante, & inévitable a celui qui «o eft 1'objet, on fait difcrècement en forte que tout le monde en foit inftruit, excepté lui. Cette fourberie eft non feulement cruelle, mais bafle. En fe couvrant du mafque de la bienfaifance , elle habiile en vertu la méchanceté, & par conue-coup en ingratitude i'indignation de l'honneur outragé. Le don eft un contrat qui fuppofe toujours le confentement des deux parties. Un don fait par force ou par rufe, & qui n'eft pas accepté, efl: vol. 11 eft tyrannique, il eft horrible de vouloir faire en trahifon un devoir de la reconnoiffance a celui dont on a mérité la haine, & dont on eft juftement méprifé. L'honneur étant plus précieux & plus impor tant que la vie, & rien ne la rendant plus a charge que 1" perte de l'honneur, il n'y a aucun cas pofiible oü il foit permis de cacher a celui qu'on diffame , non plus qu'a celui qu'on punit de mort, 1'accufation, 1'accufateur & fes preuves. L'évidence même eft foumife a cette indttpetfable loi; car fi toute la ville avoit vu un hotr.me en aflsffiner un autre, encore ne feroit-oarj, point mourir i'accttfé fans 1'interroger & 1'enrendre. Autrement il n'y auroit plus de füreté pour pcrfonne, & !a fociété s'écrouleroit par fes fondemens. Si cette loi facrée eft fans exception , elle eft auffi fans abus ; puifque toute 1'adreffe d'un accufé ne peut empêcher qu'un délit dé. montré ne continue a 1'être, ni Ie garantir, en pareil «as, d'être convaiaca. Mais fans cette  FRA 6MEMT, &C. 435 conviction 1'évidence ne peut exifter. Elle dépend elTentiellement des réponfes de 1'accufé ou de fon filence; paree qu'on ne fcauroit préfumer que des ennemis, ni même des indifférens, donneront aux preuves du déÜt la même attention a faifir le foible de ces preuves, ni les éclairciffemensqui les peuvent détruire, que 1'accufé peut naturellement y donner ; ainfi perfonne n'a droit de fe mettre a fa place, pour le dépouiller du droit de fe défendre en s'en chargeant fans fon aveu; & ce fera beaucoup même fi quelquefois une difpofidon fecrète ne fait pas voir a ces gens qui ont tant de plaifir a trouver 1'accufé coupable, cette prétendue évidence, oü lui-même ent démontré l'impofture, s'il avoit été entendu. II fuit de la que cette même évidence eft contre 1'accufateur, loifqu'il s'obftine & violer cette loi facrée. Car cette lacheté d'un accufateur qui met iout en oeuvre pour fe cacher de 1'accufé, de quelque prétexte qu'on Ia couvre , ne peut aroir d'autre vrai motif que Ia crainte de voir dévoiler fon impofture & juftifier 1'innocent. Donc tous ceux qui dans ca cas approuvene les manoeuvres de 1'accufateur & s'y prêtent, font dej fatellites de 1'inlquité, Nous fouffignés acquiefcons de tout notre cceur è ces maximes, & croyons toute perfonn» raifonnable & jufte, tenue d'y acquiefcer, F I AT T 2  TAB E Des Lettres contenues dans ce Volume. Ipeuf Lettres & M. V....s. Page 113 Lettre a M. Cartier. jgg ■ a M. M..„.u. jgj h M..... I3? 2 Lettres a M. M.....U. j^g Lettre a M. R 143 2 Lettres a M. M.....U. 145 Lettre a M, de ***. 153 2 Lettres a M. M. .. u. 1 54 2 ou roi de Pruffe. 159 Lettre h milord Maréchal. 161 3 Lettres a M. M...«. 164 Lettre i M. Pr. a QFeucIidtel. jjq 3 Lettres a M. J. B, J72 a ——— a M. M ...... 175 Lettre a M. A. A. j-p > h M. Regnault & Lyon. 182 —— b M..„. ibid. ■ è M..... 186 t l a MJe. de Luie 188 —— a Mde. de V..... i8p >■ ■ ■ a M. de S ips 1 a M. d. P.....fi. 193 —i Mr, M. ibid.  T A B L t. 437 Lettre a M. L d. Page 194- d M. Deleyre. 196 a M. F. r. 198 d Mde. P***. 199 ; d M. Du Peyrou. 200 d M. L. ...d. 20 3 a M. d'Ivernoh. 204 d M. D. P 2C5 a M. de Gauffecourt. 206 _____ d mihrd Maréchal. 2c8 d M. Ballière. 210 a M. Du Peyrou. "I a M. S. B. 214 a M. P. Ciappuisi 215 — d Mde, Guienet. 217 & M. Lt Niefs. 218 3 Lettres» M. D. ?..,.«. 220 Lettre h M. Laliaud. 229 —— d M. Du Peyrou. 23° d M. D. P...M. ibid. a M. d'Ivimois, 231 5 Lettres d M. D. P....U. , 233 Lettre d M. d'Ivemois. 238 è M. deSt. Brijjon. 240 5 Lettres è M. M. D. P 0. *43 Lettre d M. d'Ivernois. 248 3 Lettres d M. de Luze. 250 Lettre d M. D. P..*«. 252 d Mr «54 —— d MF. de Crevui. 255  438 T a b i, ï. Lettre « M. d« Lz«*. page 25$ " ■ 1 - d M. d'Ivernois. 258 ■■ * « d M. 297 — au comte de Harcourt. 299 2 Lettres d M. Davenport. 301 Lettre au comte de Harcourt. 305 Lettre d M. D. P «. 306 «■ 1 - au comte de Harcourt. 309 a M. D. P....u. 3rr - - a M. d'Ivernois. 312 —-—«- i M. le mathui: de Mirabeau. 313  T -*. n l 2. 43* Lettre m comte de Harcourt. Page 315 3 Lettres d Af. Granville. 316" Lettre d Af. D. P...U. 318 - d M. le marquis de Mirabeau, 320 a M. D. P ...«. 321 6 Lettres d M. le Af. de Mirabeau. 32a 3 Lettres d M. D. t....u. 330 Lettre d M. le M. de Mirabeau. 338 a M. D. P....m, 339 . au comte de Harcourt. 341 d M. Ie M. de Mirabeau. 343 a M Granville. 345 a M. It M. de Mirabeau. 347 2 Lettres a M. D. P....U. 349 Lettre a M. d'Ivernois. 354 , a M. le M. de Mirabeau, 35Ö d M. d. I. L. 358 2 Letires d M. d'Ivernois. 360 Lettre d M. D. P u. 363 d M. Laliaud. • 365 2 Lettrtsd M. D. P...«. 367 3 d M. L'diaui. 372 Lettre d M. Moultou. 384. 3 Lettres d Af. Laliaud. 388 Lettre d Af. Z). P....u. 39S —, d Af. Laliaud. 398 — d Af M'ultou. 402 d Af D. P...M. 404 2 Lettres d M. Laliaud. . 405 Lett.e k Af. Moultou. 410  44» T a b l e. Lettre a M. D. P....11. Page 414 a M. Laliaud. ai 6 a M. "Mmltou. 417 2 Lettres a M. D. P...m. 418 2 — a M. Moultou. 423 Fragment fowé parmi les papiers de j. J. Rousseau a lafuite de ce ie. cueil de lettres. 433 Fin de la Table,