01 2066 7944 UB AMSTERDAM   MÉMOIRES SECRETS SUR LES RÈGNES DE LOUIS XIV ËT DE LOUIS XV* ï O M E PREMIER,   MÉMOIRES SECRETS SUR LES RÈGNES DE LOUIS XIV ET DE LOUIS XVj Par feu M. Duclos, de 1'Académie Fran?oife$ Hiftoriographe de France, &c. TOME PREMIER, A PARIS^ Èt fi trouve A MA E S TRICH Chez J. P, Roux & Compagnie, Imprimetirt» Libraires, aflbciés. 1 7 9 *»   ( v) AVERTIS SE MENT. Il n'eft pas poffible de douter de 1'authenticité de ces mémoires dont on connoiffoit déja 1'exiftence, & dont on defiroit depuis long-tems la publication. Tous les gens de lettres favent qu'en fa qualité d'hiftoriographe de France, feu M. Duclos s'eft long-tems occupé des derniers tems de notre hiftoire; & que très-répandu dans la fociété , il a connu perfonnellement la plupart des importans perfonnages qu'il a voulu traduire au jugement de la poftérité. II a eu communication des correfpondances des ambaffadeurs & des divers dépots du miniftère, comme il 1'annonce dans fa préface. Sa probité févère, fon incorruptible amour pour le bien & la vérité, percent a chaque page de ce précieux monument. D'ailleurs , nous poftédons le manufcrit même avec des correéKons & des renvois de fa propre main. Nous croyons qu'on n'oppofera rien a de pareilles preuves. Nous avons même lieu de préfumer que ceux qui annoncent, en ce moment, de a üj  Vj AvERTISSEMENT, prétendus mémoires de Duclos & d'autres hommes céièbres, n'en ont pas de tels a produire, & qu'ils fe vantent de connoïtre les fources„ pour qu'on leur en indique : ïirtifice ufé qui ne peut plus faire de dupes, M. Duclos n'a malheureufement compofé qu'une partie du règne de Louis X V; nous le donnons tel qu'il Pa lailTé; nous n'y changeons pas un feut mot : trèséloignés de la manie de ces intrépides éditeurs, qui favent délayer deux ou trois eens pages d'anecdates en une douzaine de volumes \ & qui n'étant arrêtés par rien, pas même par le ridicule, le pouffent jufqu'a faire parler en démocrates effrénés , des hommes qui n'ont ceffé d'exercer & d'afficher le defpotifme pendant plus de foixante ans. M, Duclos avoit eu communication des mémoires de Saint -Simon,. qui, de fon tems, étoient encore affez rares, II a ufé du droit qu'a tout écrivain de refondre les mémoires particuliers dans l'hiftoire générale : mais il en a ufé avec difcernement , & en homme qui fe tient en garde contre toute prévention, Un très^grand nombre de particularités ignorées , qui peignent les mceurs poftérieures  Atertissement, vij a celles du fiècle de Louis XIV, étoient venues a fa connoiffance d'une manière plus dire&e. Quelques-uns des afteurs de cette déplorable comédie, exiftent encore, & pourront juger de la fidélité des tableaux qu'a tracés l'hiftorien. II paroit qu'en 1763 , après avoir décrit le commencement du miniftère du cardinal deFleury, il fufpendit ce travail, pour configner, dans un morceau féparé, les caufes fecrètes de la guerre de 1756, qui venoit de fe termmer par le traité de Paris, & dont il avoit la mémoire encore toute fraiche. Ce morceau eft neuf a tous égards; car aucun écrivain de quelque poids n'avoit encore entrepris de rien écrire fur cette malheureufe époque j & perfonne ne pouvoit s'en acquitter comme M. Duclos qui a eu la connoiffance la plus intime des fecrets refforts qui ont caufé la guerre, & qui Tont prolongée. Quant au ftyle, nous croyons que, dans ces mémoires, il eft inconteftablement trèsfupérieur a celui des autres ouvrages hiftoriques du même auteur. Son récit eft femé de traits dont quelques-uns rappallent la profondeur & Fénergie de Tacite. Nous n'avons pas fuivi i'orthographe du manufcrit, qui eft ceile qu'avoit adoptée a iv  VÜj AVERTISSEMENT. M. Duclos, & que 1'ufage n'a pas confacrée. II écrit fame pour femme , cèle pour cellen il retranche par-tout les doublés lettres, & fe permet d'autres innovations dont il eft inutile de parler plus au long. Nous avons penfé que ces bizarreries ne ferviroient qu'a bleffer les yeux du le&eur; & nous y avons fubftitué 1'orthographe de 1'académie, N. B. On peut voir le manufcrit original che^ le (ieur BuiSSON, libraire, rue Haute-* feuille.  ( K ) N O T I C E sur la VlE ET les OuvRAGES de feu M, DUCLOS (i). La vie de eet académicien reffemble a celle de la plupart des gens de lettres : elle eft moins féconde en événemens qu'en produclions. M. Duclos en a laiffé plufieurs, qui, malgré les dérra&eurs qu'il a eus de fon vivant, lui affurent un rang diftingué dans notre littérature j & il 1'a honorée par la droiture la plus foutenue , qualité qui finit toujours par conquérir l'eftime univerfelle. Ceft ce que va prouver le peu de détails que nous avons pu raffembler fur eet écrivain. Charles^Dineau Duclos, né k Dinant en Bretagne d'un marchand chapelier, recut une éducation cultivée. Venu a Paris pour tacher de s avancer , comme beaucoup d'autres jeunes gens de provinces, il travailloit chez un avocat au confeil, II eut (i) On a fait ufage , pour cette notice, de 1'artida Puclos du di&ionnaire hiftoriqne, ainfi que des difcours prononcés a 1'académie francoife par M. Beaufèe & M. de Beauvecu.  x Notice bientöt 1'occafion de fe faire connoïtre de plufieurs gens de lettres, & même d'une fociété d'hommes de cour , qui prétèndoient au même titre, fans ofer le prendre ouvertement. De ce nombre étoient MM. de Pont - de - Véle, de Caylus , de Surgères, &c. Bien convaincus de 1'extravagance du préjugé qui attachoit du ridicule a la culture des lettres chez les gens d'une certaine claffe, ils avoient pris le parti de s'y fouftraire en fecret, & d'avoir pourtant 1'air de le refpe&er. Jufques-Ia, certaines perfonnes, que Ia voix publique défignoit, avoient paffe pour s'attribuer, ou même pour acheter, tout fimplement, les ouvrages des auteurs avec lefquels ils étoient en liaifon. II arriva ici tout le contraire. Les amis de MM. de Caylus & de Surgères répandirent que les écrivains qui approchoient ces nobles beaux - efprits , n'étoient que leurs prête-norns. » Comme on vouloit du bien a Duclos, ajóutoientils, on mit fur fon compte ce qu'on crut devoir lui faire honneur, & cela réuffit ". Ainfi , felon eux, les Confejjions du comte de * *, Acajou & la baronne de Lu^, font des produéh'ons de cette fociété. M. Duclos peut fans doute avöir mis en ceuvre quelques idéés éparfes, ou quelques fituations  sur M. Duclos. xj qu'il^ voyoit efquiffer; c'eft le droit de tout écrivain qui obferve & recueüle ce qui eft propre a fervir dè marière a fes travaux ; mais n'eft-il pas abfurde de fe fervir dun tel prétexte pour lui en ravir la légitime propriété ? L/efpèce d'aumöne littéraire qu'il acceptoit, ü Pon en croit les complaifans panégyriftes de ces meffieurs , n'auroit - elle pas mis un obftacle invincible au ton de franchife & de hardiefïe , par lequei il ne tarda pas de fe faire remarquer ? Les gens de lettres lui rendirent plus de juftice. En effet, il ne falloit que converfer un quart-d'heure avec Duclos, pour s'appercevoir que c'étoit un des hommes les moins faits pour s'attribuer les ouvrages d'autrui. Les Confdérations fur les moeurs ne lui furent pas conteftées, malgré les difcours équivoques des gens du bel air. Elles étoient trop au-deffus des légères ébauches qui échappoient au libertinage de leur imagination. On y trouva des défimtions ëxacles, de la finefTe, des penfées neuves, des cara&ères bien faifis 5 & Ton convint que, fans pouvoir être mis au rang des cara&ères de la Bruyère, c'étoit un des raeilleurs ouvrages de ce genre qui eüt pam depuis le grand fiècie de Louis XIF} un de ceux qui annoncoit le  xij Notice plus de ■ connoiffance du cceur humain, &: de zèle pour la pratique de toutes les vertus civiles & morales. Cefl lelivre d'un honnête homme, dit Louis XV, lors de fa publication. On a reproché a Pauteur trop de recherches & de petits détails, de la féchereffe, de 1 obfcurité même dans quelques endroits. Ce qui patoiffoit découfu dans ces obfervations, Pauteur le mit en aftion dans les Confejjions du comte de * *. Un -bon juge s'eft exprimé ainfi fur ce roman qui eut beaucoup de fuccès : » A Texception de deux ou trois cara&ères de fantaifie, plus bizarres que vrais , le refte eft tracé de main de maitre. Les fituations, a la vérité, n'y font pas auffi développées qu'elles pourroient Pêtre; Pauteur a négligé les gradations, les nuances : mais Phiftoire intéreffante de madame de Selve, prouve que M. Duclos favoit achever auffi bien qu'efquiffer ". Les Mémoires fur les moeurs du dix-huitiéme fiécle, autre ouvrage de notre auteur, offrent des idéés juftes fur les femmes, fur les hommes a la mode, fur 1'amour : mais ils manquent d'imagination & d'intérêt. L'hiftoire de Louis XI qu'il donna en 1745, fit fenfation dans le public , & fut fott critiquée. La narration en eft vive & précife, mais le ftyle brufque  sur M. Duclos. xiij & tranchant. Ce qui cataclérife la méthode adoptée par 1'hiftorien du Tibère francois, eft qu'il s'eft moins occupé du détail exa6t & circonftancié des faits, que de leur enfemble & de leur influence fur les moeurs & les révolutions. Malgré fes défauts, on ne peut nier que cette produclion ne foit eftimable , & que cette méthode n'ait de grands avantages. Nous penfons qu'on ttouvera le fyftême hiftorique de M. Duclos très-perfeclionné dans les mémoires que nous publions aujourd'hui, & qui feront vraifemblablement regardés comme un des premiers titres de fa réputation. II les avoit entrepris en fa qualité d'hiftoriographe, ne voulant pas encourir le reproche fait a Defpréaux & a Racine, de toucher les revenus de cette place, fans en remplir les fonétions. Son intention n'a jamais été de les rendre publics de fon vivant: ce qui alots eüt été dangereux. II étoit loin de prévoir que le tems de Ia vérité s'approchoit a grands pas , & qu'il feroit inutile d'attendre que tous fes acteurs difparufïent de la fcène. M. Duclos étoit bon gtammairien; il a fait imprimer des remarques fur la grammaire générale de Port-Royal, & il a eu plus de part que perfonne a 1 edition de  xiv Notice ij6z da diclionnaire de l'académie francoife, dans laquelle on retrouve toute la ïuftefle & la précifion de fon efprir. Ces divers travaux lui ouvrirent les portes des plus célèbres académies de la capitale, des provinces & des pays étrangersi Celle des inlcriptions l'adopta en 1739, & l'académie francoife en 1747. Elu après la mort de Mirabaud, fecretaire perpétuel de cette dernière compagnie, il remplit cette place en homme qui aimoit les lettres, & qui favoit les faire refpe&er. Quoique domicilie a Paris, il fut nommé , en 1744, rnaire de Dinant, & en 1755, il fut ennobli par des lettres-patentes du roi, en récompenfe du zèle que les états de Bretagne avoient témoigné pour le bien général du royaume. Cette province ayant eu crdre de défïgner les fujets les plus dignes d'obtenir des graces, M. Duclos fut unanimement nommé par ce qu'on appelloit alors le tiers-état. II mouruta Paris le 26 mars 1772, regretté de tous ceux qui 1'eftimoient, c'eft-a-dire, de tous ceux qui l'avoient bien connu. On l'accufoit d'aimer è dominer dans la converfation : mais ce défaut tournoit au profit de la fociété qu'il occupoit toujours de quelque point iutéreffant & d'anecdotes piquantes  SUR M. D U C L O S. XV qu'il avoit puifées dans le commerce du grand monde & des gens aimables avec lefquels il avoit paffé (a vie. II étoit brufque, mais ami chaud. Ennemi de 1'oppreffion , connohTant plus que perfonne 1'iniquité de certains miniftres dont les viles paffions difpofoient de la liberté des citoyens, il avoit pris parti pour M. de la Chalotais, dont Paffaire retentifïbit alors dans toute la France; & il défendoit fes intéréts avec une véhémence qui paffoit pour de 1'inconfidération. M. Beau^ée, qui avoit été très-lié avec lui, & qui lui fuccéda dans l'académie francoife , avoue qu'on a reproché a fon ami de la vivacité dans le ton , peut-étre quelque chofe de plus dans la dijpute. Si l'on cherchoit a obfcurcir la vérité, il ne tiroit pas le voile, il le déchiroit. S'il rencontroit des. objlacles au bien , il ne les détournoit point , il les renverfoit. Ces aveux d'un ami & dun panégyrifte, prouvent que la franchife de M. Duclos dégénéroit fouvent en rudefle. Mais ce qui avoit perdu d'autres hommes de mérite, avoit été précifément la caufe de fa fortune & d'une partie de fa réputation. Dès qu'il fut connu & recherché, on le vit parler aux plus grands feigneurs avec une liberté févère a laquelle ils n'é-  xvj Notice ioient pas accoutumés : il furent d'abörd furpris, & paffèrent bientöt de 1'étonne■ ment a 1'eftime. On peut avoir de la confiance en un hiftorien qui a dit toute fa vie la vérité avec fi peu de ménagement. Ce n'eft pas le feul trait honorable du cara&ère de M. Duclos. II répandoit tous les ans d'abondantes aumönes dans la ville de Dinant, fa patrie, & les doubloit , lorfque 1'augmentation de la mifère publique 1'avertiffoit de doubler les fecours. M. de Beauveau , dans fa réponfe k M. Beau^ée, nous apptend que fur la fin de fa vie , Vage, l'expérience , un grand fond de bonté, avoient injlruit M. Duclos a devenir indulgent pour les particuliers , & a ne plus dire quau public des vérités dures. » C'étoit parmi les gens de lettres qu'il avoit formé les liaifons les plus intimes; il connoiffoit les devoirs & le prix de 1'amitié ; il favoit fervir courageufement fes amis, & le mérite oublié : il avoit alors un art dont on ne fe défioit pas, & qu'on n'auroit pas même attendu d'un homme qui aima mieux toute £a vie montrer la vérité avec force, que 1'infinuer avec adrefle ". II étoit lié avec le parti encyclopédique, fans pattager fes excès. L'honnêteté de fon ame  sur Mt Duclos, xvij ame 1'empêcha toujours de fortir des bofnes de la modération. On fait qu'il secfioiï quelquefois ; Ils en feront tont, qiiils int rendront dévöt. Nous terrainerons cette notice par un paffage fjngulief des Confidéradons fur le» mceurs; c'eft un monument authentique de3 vrais fentimens de 1'auteur; » On déclame beaucoup depuis un tems contre les préjugés; peut-être en a-t-on trop détruit'j le préjugé eft la loi du commun des hom* mes Je ne puis me difpenfef, a ce fujet, de blamer les écrivains, qui, fouS prétexte d'attaquer la fuperftition, ce qui feroit un motif louable & utile, fi 1'on s'y renfermoit en philofophe citoyen > cher partie du gouvernement plus ou moins imparfaite chez les différentes nations s & qui n'eft chez aucune au point de perfeétion oü 1'on voit, oü Ton fent du moins qu'elle pourroit atteindre. II feroit d'autant plus utile d'en rechercher les principes , pour les configner dans Thiftoire, que la finance eft, dit-on, le nerf de toutes les opérations civiles & militaires. Axiöme inconteftable, fi par la finance d'un état, on entend Tart de procurer l'opulence nationale qui exclut également la mifère commune & le luxe particulier, 1'épuifement des peuples & 1'engorgement des richeffes dans la moins nombreufe partie de la nation ; 1'art enfin d'opérer une circulation prompte & facile, qui feroit refluer dans le peuple la totalité de 1'argent qu'on y auroit puifé. II n'y a donc eu jufqu'ici que des financiers, & nulle finance de 1'état.  P R É F A C E. xxiij Les hiftoriens de tous les pays & de tous les ages, ne nous apprennent rien a eet égard. Ils nous parient de féditions , de révoltes a 1'occafion des impöts; mais ils ne nous mettent pas en état de juger, fi c'étoit par la furcharge feule , ou , ce qui eft plus vraifemblable, par une adminiftration vicieufe. Mézerai , qui s'éiève fouvent contre les financiers, inftruit des maux pafles, témoin des maux préfens , crioit avec les malheureux contre leurs oppreflèurs; mais il ne révèle pas IeTecret de leurs crimes. Pourquoi ? C'eft qu'il 1'ignoroit, & n'étoit pas plus en état de s'en inftruire, que ne 1'avoient été les hiftoriens antérieurs. Je me luis trouvé, en écrivant 1'hiftoire d'un règne, dans la même difette de monutnens. Des politiques ont développé leurs négociations; des guerriers ont laiffé des mémoires & des ouvrages didaétiques. Quels financiers eftiment aflez fincérement leurs opérations pour faire gloire de les publier ? Leurs mémoires ne donneroient pas, fans doute , les vrais principes d'une finance d'état; mais ils feroient connoitre les erreurs qu'on doit éviter. C'eft ainfi, qu'avant d'élever un édifice, il faut nettoyer 1'emplacement de tout ce qui peut embar- b iv  XXiV - P R É F 4 C E. raffer la conftru£Hon. Ce n'eft pas qu'il rj'y ait eu dans tous les tems des financiers eftiraables, qui, n'étant pas en état ou en droit de tracer la vraie route, fuivent le plus honnêtement qu'ils peuvent les voies tortueufes ou on les fait entrer, & laiffént leurs ftupides confrères adrnirer ce qu'ils appellent une belle machine, Le fecret de la finance eft couvert d'un voile que chaque intéreffé s'eflorce d'épaifïir. Depuis quelques années, la philofophie fe portoit fur eet objet important; le voile alloit fe déchirer ; ceux qu'il couvre étoient déja dans la confternation , lorfqu'a une occafion dont je parlerai, on intercepta la Jumière. On a renouvelié ce que Julien ïmagina, dit-on , contre les chrétièns, en ïermant leurs écoles, Tout miniftre affez. préfomptueux pour méconnoitre fon ignorance, ou qui craint de la manifefter en cherchant k s'inftruire, veut tenir le peuple dans les ténèbres, & ne veut avoir que des aveugles pour témojns de fes démarches. S'il a des lumières, & qu'il ait intérêt d'en abufer , il les redoute dans les auttes : on couvre les yeux de ceux que 1'on condamne a tourner la meule. Les gens en place favent que le plus audacieux dans fon defpotifme eft tot ou tard  P R É F A C E. XXV forcé de fubir Ia loi d'un peuple éclairé. Cet efprit de fervitude qu'on veut infpirer k une nation, n'eft pas la moindre caufe de la dépravation des mceurs; & les mceurs une fois corrompues, fortifient enfuite le defpotifme qui les a fait naïtre ou favorifées. Tout amour de la gloire s'éteint , & fait place au deur des richeffes qui procurent le feul bonheur dont on jouhTe dans 1'aviliffement. Nos aïeux afpiroient a la gloire, bien ou mal entendue; ce n'étoit pas, fi l'on veut, le fiècle des iumières : mais c'étoit celui de 1'honneur. On ne s'intrigue aujourd'hui que pour 1'argent. Les vrais ambitieux deviennent rares. On recherche des places oü l'on ne fe flatte pas même de fe maintenir j mais Populence qu'elles auront procurée, confolera de la difgrace. Les exemples en font affez communs. Si Thiftoire que j'écris n'eft ni militaire, ni politique, ni économique, du moins dans le fens que je concois pour ces différentes parties, on me demandera quelle eft donc celle que je me propofe d'écrire. C'eft l'hiftoire des hommes & des mceurs. Je rapporterai fans doute,, dans tous les genres, les principaux faits qui me ferviront de bafe; j'en rechercherai les caufes,  XXVJ P R É F A C E. & j'efpère en développer quelques - unes d'affez ignorées. Je m'arrête peu fur ces événemens qui fe reffemblent dans tous les ages, qui frappent ft vivement les auteurs & leurs contemporains, & deviennent ft indifférens pour la génération fuivante. Au moral, comme au phyfique, tout s'affoiblit & difparoit dans leloignement. Mais 1'hiftoire de 1'humanité intérefle dans tous les tems, paree que les hommes font toujours les mêmes. Cet intérêt eft indépendant des perfonnages & des époques. Si je rapporte quelques faits peu importans par eux - mêmes , le le&eur jugera bientöt que ces faits particuliers font mieux connoitre 1'efprit d'une nation & les hommes que j'aurai k peindre, que ne le feroient des détails de fièges & de batailles. On dit ordinairement que 1'hiftoire ne doit paroitre que long-tems après la mort de < ceux dont eile parle : autrement on craint que lecrivain n'ait pas eu les moyens de s'inftruire , ou n'ait trahi la vérité par égard pour ceux qui exiftent encore, ou pour leur familie. J'ai préVenu la première de ces craintes, en rendant compte des fecours que j'ai eus, & des foins que j'ai pris. La leébre feule  P R É F A C E. XXVlj de mon ouvrage diffipera pleinement la feconde. Je penfe, au contraire , que 1'hiftoire , pour être utile , ne fauroit paroitre trop tot. II feroit a defirer que ceux qui ont eu part au gouvernement , puffent entendre d'avance la voix de la poftérité, fubir la juftice hiftorique, recueillir 1'éioge ou le blame qu'ils méritent (i) , apprécier les louanges infeöes de leurs adulateurs, connoitre les vrais jugemens du public , lë voir enfin tels qu'ils font dans le miroir de 1'hiftoire. On m'a fouvent preffë de donner quelques morceaux du règne préfënt. J'ai toujours répondu que je ne vöulois ni me perdre par la vérité, ni m'aviiir par 1'adulation j mais je n'en remplis pas moins mon emploi. Si je ne puis; parler k mes contemporains, j'apprendrai aux fils ce qu'étoient leurs pères. De quelle utilité peuvent être des exemples bons ou mauvais, pris de Fantiquité ? Mais un fils qui voit la juftice prompte qu'on rend k (i) Pracipuum munus annalium, ne virtutes fileantur, utque pravis diftis fattifque ex pofteritate & ïnfamid me~ tus fit. T A C I T E.  XXVÏij P R É F A C E.1 fon père, s'efforce de mériter le méme éloge, ou craint d'encourir un pareil blame. Averti par des faits récens, il peut etre touché de 1'honneur ou de la honte que fa mémoire répandra bientöt fur fes enfans. II fe dira quelquefois : On écrit aftuellement , & le public', une partie de mes contemporains, ne tardera pas a me juger; peut-être moi-même en ferai-je temoin. L'intérêt qu'on prend k des ancêtres reculés de plufieurs fiècles, eft d'une toute autre nature. On fe glorifie avec raifon de defcendre d'un grand homme; mais on ne rougit pas d'avoir pour auteur de ia race , un fameux fléau de 1'humanité. Le grand objet eft de venir de loin. J'ai entendu des bourgeois de Paris, excellens citoyens, très-attachés a la monarchie , fe faire honneur de defcendre de quelquesuns des fei{e de Ia ïigue, qui furent pendus. Ils ne pouvoient fe flatter de prouver par-la que 1'ancienneté de leur bourgeoifie. II y a encore fur eet article une fingulanté affez bizarre : la plupart des hommes aimeroient mieux pour auteur un illuftre & heureux brigand ■ qu'un homme uniquement connu par fa vertu. Ils préféreroient Attila a Socrate. II femble que le  P R É F A C E. XXÏX temple de la gloire ait été élevé par des laches qui n'y placent que ceux qu'ils craignent. Mes réflexions m'ont donc convaincu que ft 1'hiftoire doit être écrite après des recherches exa&es, & une ^difcuflion impartiale, elle ne peut auffi paroitre trop tot. La vérité ne pouvant parler aux grands que par la voix de 1'hiftoire , qu'elle la fafïe donc entendre, quand elle doit faire le plus d'impreffion. Quoique bien des gens prétendent jouer un röle dans le monde, il y en a peu qui fe furvivent, & les noms d'hijloire ne font pas communs. Ceux qui ont bien mérité de la patrie, & ceux qui 1'ont deflervie , ou en ont corrompu les mceurs, font également du reflbrt de 1'hiftoire. Les premiers ont droit d'y occuper une place honorable; les autres, grands ou petits , doivent en mbir la juftice. Perfuadé qu'on ne doit punir que pour 1'exemple, révéler les fautes que pour en prévenir de pareillesj je ne tirerai point de 1'oubli des faits ifolés, fans conféquence pour 1'état, & dont tout le fruit feroit de monifier gratuitement une familie. Mais je montterai, quels qu'ils foient, les coupables envers la nation. D'après ce plan, je parlerai de fubakernes qui  XXX P R É F A C E. ont influé dans les affaires. L'éclat de leur opulence a&uelle & de leurs titres ufurpés, fervira k porter la lumière dans l'obfcurité primitive oü ils fabriquoient les refforts de leur fortune & des malheurs de 1'état, fans prévoir qu'ils duffent jamais comparoitre aü tribunal de 1'hiftoire. Ce font les cadavres des criminels que l'on expofe k la vue des fcélérats de leur efpèce. Comme il y a fouvent plus a blamer qu'k louer dans la plupart des hommes, un hiftorien fidéle peut aifément être foup^onné de fatyre. Mon cara&ère en eft fort éloigné. Ceux qui m'auront connu, & peut-être y en aura-t-il encore beaucoup, quand mon ouvrage paroitra, attefteront ma probité, ma franchife, & j'ofe dire la bonté de mon cceur; Je n'ai point eu d'ennemi qui ne Ie fut par fon propre vice, & la réputation de mes amis pourra cautionner la mienne. Ma facon de penfer, de parler & d'écrire, étoit affez publique, lorfqu'on m'a confié la fon&ïon d'hiftoriographe. On favoit que je n'étois pas un écrivain fervile, & quelques gens maccufoient du contraire. Je demanderois pardon au lefteur de ce que je dis de moi, s'il n'y avoit pas des circonftances,  P R É F A C E. XXxj & celle-ci en eft une, oü il eft permis & même de devoir de fe rendre une juftice aufli libre qu'exa&e. Si l'on trouve quelques-uns de mes jugemens trop févères, qu'on examine les faits, & qu'on juge foimême. On remarquera quelquefois dans ces mémoires, 1'indignation d'un citoyen, & je ne prétends pas la diffimuler; mais tout leéteur défintéreffé ne m'accufera jamais de partialité ni d'injuftice. II fentira avec quelle fatisfaöion je rapporte une aftion louable, & combien je fuis affligé de n'en pas avoir des occafions plus fréquentes. Je n'ai cherché que la vérité; je ne la trahirai point; je n'ai 'jamais penfé qu'en me chargeant d'écrire une hiftoire, on m'ait pris pour Porgane du menfonge. En tout cas, on fe feroit fort trompé.  MÉMOIRES  MÉMOIRES SECRETS sur les règnes DE LOUIS XIV et DE LOUIS XV. L I F R E PREMIER. L'histoire du règne de Louis XV commence prefqu'a la naiffance de ce prince né le 15 février 1710, il parvint a la couronne le ier. feptembre 1715 , a lage de cinq ans & demi. Pour mieux faire connoïtre les changemens qui font arrivés dans le gouvernement & dans les mceurs de la nation, je remonterai aux dernières années de Louis XIV. La guerre de la fucceflion d'Efpagne, la feule peut-être que ce prince ait entreprife avec juftice , mit la France k deux doigts de fa mine; Sc fi l'on réfléchit fur nos malheurs, on verra que nous ne devons les imputer qu'k nous-mêmes, & attribuer notre falut a la fortune. Louis XIV , en placant un de fes petit-fils fur le tröne d'Efpagne , devoit bien fuppofer que eet accroiffement de puiffance dans fa maifon, réveilleroit la jaloufie & la crainte de 1'Europe. L'Angleterre & la Hollande reconnurent d'abord Philippe V. La Savoie &c la Bavière fe dédarèrent pour lui ; 1'empereur feul fit des pro- Tornt ƒ„ A  R Ê G N È teftations, les autres puiffances reftèrent neutfes, Tout paro-jïbit tranquille , & tout fut bientöt en armes. Puhegur fe mit, fans obftacle, en poffeffion des Pays-Bas. Si l'on eüt pris la précaution de retenir les garnifons hollandoifes, qui occupoient les places, jufqu'a ce que Philippe V fut affermi fur le tröne, on mettoit la Hollande hors d'état d'entrer en guerre. II n'y a jamais eu d'expérience pour notre gouvernement; nous éprouvons toujours les mêmes difgraces , paree que nous faifons toujours lés mêmes fautes. Nous venons de voir dans la guerre préfente, en 1755 » les Anglois enlever nos matelots, fans crainte de repréfailles. En faifant parade de modératiön , nous n'avons excité que le mépris, & nous nous fommes mis hors d'état de défenfe. Suivons notre conduite dans la guerre de la fucceflion. La voix publique oblige d'envoyer d'abord en Italië Catinat, : d'autant plus capable d'y infpirer la confiance, qu'il y avoit remporté deux viöoires è Stafarde & a la Marfaille; mais on corrfie en même-tems les troupes d'Efpagne au prince de Vaudemont Lorrain , créature née de 1'empereur, ami déclaré du roi d'Anglêterre Guillaume III, & père d'un général de 1'armée ennemie. Catinat s'appercoit que le duc de Savoie (1), notre allié apparent, notre ennemi caché, en combattant pour nous en foldat, nous trahit comrne général; il en donne avis. Le caraclère connu xle Viftor fuffit pour appuyer les foup^ons: mais Catinat n'a pas la faveur de la cour ; & lorf- (1) Vifiot-Amédée, duc de Savoie, depuis roi de Sicile, & enfuite de la Sardaigne.  di Loüis XIV, 3 qu'on eft forcé de le croire, il eft déja rappellé, pour prix de fa prudence, & remplacé par le maréchal de Villeroi, protégé de madame deMain» tenon. Les choix du roi n'étoient pas toujours ap~ prouvés, mais ils étoient toujours applaudis. La cour s'emprefia de complimenter le nouveau général. Le maréchal de Duras (i) fut le feul qui lui dit : Je garde, mon compliment pour votre retour / il en fut difpenfé. Villeroi s'étant laiffé prendre dans Crémone, les^ ennemis le rendirent fans rangon, ce qui nous coütaplus cher que fi on Peut payée pour le faire revenir. Le chevalier de Lorraine, fon ami, voulut lui perfuader de quitter Parmée pour la cour. Villeroi le refufa, prétendant, difoit-il, par des fuccès brillans, réparer fon malheur; car c'eft toujours ainfi que Pineptie nomme fes fautes. Après la perte de la bataille de Ramillies , 6c quatre ans d'incapacité prouvée en Flandres comme en Italië, bafoué du public, chanfonné par lesfoldats, bons juges des généraux, il ne céda qu'aux órdres du roi en quittant Parmée. Sa prote&rice n'ofa le foutenir; on écoutoit encore la voix de la nation. ; Si la faveur placoit les généraux, il en étoit ainfi des miniftres. Le département de la guerre étoit entre les mains du plus honnête homme, mais auffi du plus incapable de fon emploi. Chamillart, produit è la cour pour faire la partie du roi au billard, étoit confeiller au par» (i) Mort en 1704 , père du auréchal d'aufcuré'hui en 1760,; A ij  4 R EG N E lement. La diffipation du courtifan nuifit a l'ap plication du magiftrat. II négligea un procés dont il étoit rapporteur. La partie condamnée lui fit voir qu'il avoit oublié une pièce décifive; & il s'agiffoit de 20,000 kV. Chamillard, dont la fortune étoit trés - bornée , fe condamna lui - même fur-le-champ, courut tout Paris, pour emprunter la fomme, la reftitua au plaideur, & renonga, des ce moment, a. fa profefiion. Ce trait m'en rappelle un du même genre, que le- lefteur honnête ne regardera pas comme une digreffion déplacée. Courtin , intendant de Picardie, ménagea tellement les terres du duc de Chaulne, fon ami, ï qu'il s'appergut enfin qu'il avoit furehargé de 40,000 liv. d'autres paroifles; il les paya & demanda fon rappel. Sur les infiances qU?on lui fit, pour le faire refter, il répondit qu'il ne vouloit ni fe ruiner, ni paffer fa vie k faire du mal (1). Le goüt du roi pour Chamillart, lui fit fuppofer tous les talens du miniftère ; d'ailleurs ce prince croyoit les infpirer. Les malheureufes in■fluences des miniftres incapabks ne fe bornent .pas a leurs perfonnes. II fallut que le duc de la Feuillade , dont 1'unique mérite étoit d'être gendre de Chamillart-, -coirimandat notre armée • au ftège ?de Turin-; car le duc d'Orléans, depuis régent , -• chef en apparence , étoit en tutelle fous Ja Feuillade &L Marfin. Ce prince, qui avoit des (1) Courtin _fut depuis ambaffa'deur a Londres, & confeiller d'état. II Tmaria fa fille avec Roque de Varangeville , gentühomme Normand', ambaffadeur a Venife. La préfidente de Maifons & la maréchale de Villars, étoient fiJles ds ce VaïangeviUe.  de Louis' XIV. 5 talèns militaires, voulut inutilement fortir des lignes pour attaquer le prince Eugène; la Feuillade s'y refufa ; & Marlin, intérieurement de 1'avis du prince , n'ofa pas infifter contre celui d'un gendre de miniftre; tout fon courage fe borna a ié faire tuer en combattant. Tels font les efFets de la puiffance des miniftres. Ce fut ce qui donna occafion au comte de Gramniont, de répondre au roi qui s'étonnoil de la ftupiclité d'un ambaffadeur a notre cour : Vous verre^, Jïre, que c'ejl le parent de quelque minijlre. Cependant le cara&ère de la nation étoit encore entier, &c le coeur, du foldat francois a toujours été le même. Après la bataille d'Hochftet, Marleboroug ayant reconnu,. parmi les prifonniers bleffés, un foldat qu'il avoit remarqué dans l'a&ion, lui dit : Si ton maïtre avoit beaucoup dc foldats comme toi, il feroit invincible. Ce ne font pas, répondit le prifonnier , les foldats, comme ^moi, qui lui manquent, ce font les généraux .comme vous. II y en avoit, mais.... Si Louis XIV n'eüt fuivi que fes propres lumières , il eüt puni &c récompenfé avec affez de difcernement. II a fait des exemples dont nous avons perdu 1'ufage, quoique nous en ayons eu des occafions trés- graves." La Boulaie fut mis k la Baflille, pour avoir rendu Exiles; la Mothe exilé, pour avoir remis Gand; la Jonquière dégradé des armes, pour avoir mal défendu le Port-Mahon; le prince de la Tourd'Auvergne ( 1 ) , Langallerie ( z) & Bonne- (1) Ce prince d'Auvergne étoit neveu du cardinal de Bouillon , & frère cadet de 1'abbé , de'puis cardinal d'Auvergne , . qui lui avoit cédé fon droit d'aineffe. (*) Des Gentils, marquis de Langallerie, lieuten3Rt-géné- A iij  6 R E G KT E val (i) fufent pendus en effigie, pour défertion aux ennemis. Le même efprit de juftice fit donner Ia pairie au maréchal de BoufHers, qui fit dans Lille la plus belle défenfe. Les ennemis avoient été les premiers a lui donner des marqués de diftinftion. Le prince Eugène le cOnduifit lui-même a Douai, ie placant avec le chevalier de Luxembourg (x) dans lefond du carroffe, fe mettant feul fur le devant, & fit commander 1'efcorte par le prince d'Auvergne, déferteur de France. Ces honneurs de la part du prince Eugène étoient d'autant plus remarquables, que, dans tout le cours de cette guerre, il traita généralement nos prifonniers avec hanteur & dureté. II haïflbit perfonnellement le roi. Après la bataille d'Oudenarde, en 1708, adreffant la parole a Biron, pnfonnier, Sc depuis maréchal de France, en 1735, qui dmoit entre lui & Marleboroug, il loua beaucoup la valeur que les Suifies avoient montrée. Cefi untbelle charge, ajouta-t-il, que celle de colonel général des Suifes ; mon pho ral, après avoir déferté aux ennemis en 1706 , ïmagina enrune de fe faire chef d'une efpece de theocratie. II s'eneagea , par un traité figné avec un bacha, a s'emparer de Rome & de 1 Itahe pour Ie fultan, moyennant un fecours de troupes foudoyees par les Turcs, & quelques vaifleaux. II devoit avoir pour recompenfe quelques ifles de 1'Archipel , qu'il tiendroir en fouverainete , fous la proteftion de la Porte. Ses folies ftrent tam deciat, que 1'empereur le fit enlever & enferme* dans le chateau de Raab ou Javarin, en Hongrie, oü il mourut en 1717. 0 ' (1) C'eft ce comte de Bonneval qui revint pendant la régence, & obtjnt des lettres de grace, époufa une Biron, & palla depuis en Turquie , oü il eft mort dans la dignité de flacha a trois queues. (2) Le chevalier de Luxembourg, nommé enfuite prince de Tingn, enfin maréchal de Montmorenci.  de Louis XIV. 7 F avoit; a fa mort, mon frère pouvoit lui fucccder ; le roi lui préféra un fils naturel. Le roi ejl le maitre ; mais on nejl pas fdcké quelquefois de faire repentir du mépris. Marleboroug, bien différent du prince Eugène, ent toujours les plus grands égards pour fes prifonniers, & donna 1'exemple des procédés d'humanité qui ont régné depuis dans les guerres. Louis, que la profpérité avoit enivré, ne manqua ni de conftance ni de courage dans fes difgraces. A 1'age de 70 ans, il forma le projet de commander fes armées en perfonne, & de reprendre Lille. II n'étoit plus queftion, comme dans fes premières campagnes , de trainer a fa fuite un fafle afiatique : tout devoit être porté au néceffaire. Le plan de cette campagne fe concertoit entre le roi, Chamillart, les maréchaux de Boufflers & de Villars. On ne vouloit le déclarer a madame de Maintenon, qu'au moment du départ, pour la difpenfer du voyage. Elle en fut inftruite, & fit avorter le projet; mais elle réfolut auffi de punir Chamillart d'avoir été fidéle au fecret du roi. Tant que le miniftre n'avoit fait des fautes que contre 1'état, il avoit été protégé. Dès ce moment, elle releva tout ce qu'elle avoit excufé, & la place de Chamillart fut donnée a Voilin , nouvelle créature de madame de Maintenon, & qui n'étoit pas d'un caraftère a fuivre fon devoir au préjudice des volontés de fa proteclrice. On n'étoit pas encore dans 1'ufage d'exiler les minifires qu'on renvoyoit. Le roi revoyoit fans peine ceux qu'il avoit difgraciés, témoin Arnaud de Pompon ne, qui revint en place, témoin Chamillart lui - même, a qui le roi permit dans k A iv  * R E G N E fuitè de le venir voir, & qu'il recevoit avec arrendriüement. Madame de Maintenon fut plus implacable. Chamillart s'etoit retiré dans une petite terre (1'Etang) peu diftante de Verfailles; fes parens & amis allerent 1'y voir. Elle en fut choquée^, & le trouvant trop prés de la cour, lui fit dire de s'en eloigner; de forte qu'il fut obligé d'acheter, dans le Mame, la terre de Courcelle, oii il fe refiigia contre une perfécution ignorée du roi Jeul. Nos armes ne furent pas plus heureufes fous Voiiin que fous Chamillart. Je ne m'arrête point iiir des evenemens dont les hiftoires font pleines. SuTii c?nfidérer a cette occafioB, des riiites comme frères du dauphin,  de Louis XIV. 27 princes font abandonnées k des femmes ignorantes , foibles, préfomptueufes, adulatrices, & ne leur parlant que de leur puiiTance future. Quand les enfans de 1'état paiTent entre les mains des hommes , ces gouverneurs , s'ils font dignes de leur place, trouvent plus k détruire qu'a édifier dans leur élève. Le jeune prince, élevé au milieu d'une cour fuperflitieufe oü la dévotion &c encore plus 1'hypocrifie commengoient a être k la mode , ne fut inftruit que des pratiques d'une dévotion minutieufe qu'on fubftitua a des principes de vertu. Telles furent les legons de fon enfance. II paffa heureufement entre les mains des hommes, il y en avoit alors, & quand les rois les cherchent, ils les trouvent ou les font naitre. Le fage Beauvilliers , le vertueux Fénelon, 1'un gouverneur , 1'autre précepteur , éprouvèrent combien il efl difEcile d'effacer les premières imprellions. Leur élève, avec toutes fes habitudes dévotes , ne laiffoit voir que hauteur, dureté, inapplication, mépris de tous les devoirs qui ne fe remplifToient pas k 1'églife. Dans la campagne qu'il fit en Flandre , il fut accompagné par le roi d'Angleterre Jacques III, qui, fous le nom de chevalier de Saint-Georges, fervit comme volontaire dans 1'armée. Au-lieu de lui témoigner le refpeft dü k un prince malheureux, il le traitoit avec une légéreté ofFenfante. Gamache, un des menins du duc de Bourgogne, révolté d'une indécence fi foutenue , lui dit en franc chevalier : Votre procédé avec le chevalier de Saint-George ejl apparemment une gageure ; Ji cela ejl, vous l'ave£ gagnée : ainfi traieti le mieux dorémvant, Une autre fois ennuyé des  R È G N E puérilités du prince; vous ave^, lui dit-il , beau faire des enfantillages : le duc de Bretagne votre fils feroit encore votre maüre. Après une longue ftation a Péglife , pendant qu'on difpofoit les troupes : Je ne fais, lui dit Gamache ,Jï vous aure^ le royaume du ciel • mais pour celui de la terre, le prince Eugène & Marleboroug s'y prennent mieux que vous. Enfin , les germes d'un bon naturel , prefqu'étoufres par la première éducation , fe développèrent tout-a-coup. Beauvilliers ÖC Gamache fe firent écouter. Boffuet n'avoit pu communiquer fes lumières a fon éleve, Fénelon infpira fes vertus au fien. Mais la régénération fut fi prompte , que le duc de Bourgogne la dut principalement a lui-même. Socrate fe glorifioit d'avoir rectifié par les efforts de la philofophie, le para&ère vkieux qu'il tenoit de la nature. Le duc de Bourgogne auroit pu fe donner le même éloge; mais il attribuoit fon changement a un principe qui lui défendoit de s'en glorifier; il en donnoit tout 1'honneur a la religion ; ce qui lui faifoit une vertu de plus qu'a Socrate. II étoit né intempérant, colère , violent, orgueilleux, méprifant, faftueux , diffipé. II fe fit tempérant, indulgent , patiënt , modefte, humain, économe, appliqué a fes deVoirs. Ses maximes étoient que les wis font faits- pour les fujets, & non les fujets pour les rois ; qu'ils doiyent punir avec jujlice , paree quils font les gardiens des loix • donner des récompenfes, paree que cc font des dettes; jamais de préfens, paree que n'ayant rien a eux, ils ne peuvent donner quaux dépens des peuples. Ces paradoxes étoient 1'efTet de fon dif-  de Louis XIV. 29 cerneihent, & ïl avoit le courage de les avancer au milieu de la cour. S'étant refufé un méuble dont il avoit envie, mais qu'il trouva trop cher, il répondit a un courtifan qui lui cönfeilloit de fe fatisfaire i Les fujets ne font ajfurés du néceffaire, que lorfque les princes s'interdifent le fuperflu. En rempliffant les devoirs religieux qui infpirent aux penples le refpect pour la divinité , il y facrifioit les plaifirs, non pas les affaires. Le roi fon aïeitl, embarraffé quelquefois,~& peut -être un peu humilié d'une dévotion plus gênante que la fienne, lui dit un jour de fête, de fe trouver au confeil de 1'après-midi; a moins, ajouta-t-il, que vous n'ahnie^ mieux aller a. vêpres. Le princè vint au confeil; mais il refufa le même jour d'affifter a un bal, paree que ce n'étoit pas un devoir, & qu'il préféroit le repos de la nuit, qui le préparoit au travaiï du lendemain. II approuva fort que Ia princefTe, fa femme, s'y trouvat; fon devoir étoit de plaire. II ne blamoit aucun des plaifirs, tels que bals, fêtes , fpeöacles; mais il ne les pardonnoit qu'èt 1'oifiveté. Plein de refpeft pour le roi eil de reten ue fur le gouvernement, il n'en faifoit la critique que par fa-conduite. Les libertins aifroient pu craindre fon règne ; les philofophes 1'auroient bérti ; les prêtres n'airroient peuf-être pas été les plus contens d'un prince qui auroit mis les intéréts de la religipn avant les leurs. Le roi, reconnoiflant de jour en jour les qualités fupérieurés de fon petit-flls, ordoUna aux miniftres d'aller travailler chez lui. Infenfiblement' il fe trouva a la tête de toutes les affaires, &  36 R È G N Ë .s'attira, de la part de fon aïeul même, ce refpect perfonnel qui eft du k la vertu. Les püiffances étrangères efpéroient que ce prince, en faifant refpefter la France, fans la faire redouter, pourroit affurer la paix & le bonheur de 1'Europe. Sa mort fut donc un malheur pour 1'humanité entière. Le pape Clément XI (Albani) témoigna fa douleur par des obfèques pontificales (i). La ducheffe n'avoit précédé que de fix jours fon mari au tombeau. Jamais princeffe n'eut plus qu'elle l'art de plaire. Séduifante par mille agrémens , elle gagna bientöt 1'amitié du roi & de madame de Maintenon. N'ofant, par difcrétion, donner le nom de mère a la vieille fultane, elle la nommoit fa tante. A la faveur des careffes , elle hafardoit fouvent des plaifanteries affez fortes. Save^-vous bien, ma tante, difoit-elle un jour devant le roi, pourquoi les reines en Angleterre gouvernent mieux que les rois? C'ejl que les hommes gouvernent fous le règne des femmes, & les femmes fous celui des rois. Sa vivacité 1'emportoit quelquefois trop loin , mais elle failiffoit bien les momens. Un jour qu'elle remarqua que le roi étoit importuné de la dévotion du duc de Bourgogne , je de~ jïrerois t dit-elle, mourir avant mon mari, cv revenir enfuite pour le trouver marié avec une fceur grife , ou une tour\ere de Sainte - Marie. Elle favoit aufli prendre un ton plus férieux, & le fentiment le (i) Ces obfèques fe faifoient anciennement a Rome pour nos rois, & a Paris pour les papes. La cour de Rome les refufa pour Henri III, qu'elle regardoit comme excommuniéj & l'on ceffa de les faire a Paris pour les papes.  de Louis XIV. 31 lui infpiroit dans les occafions. Un jour qu'on la preffoit de jouer dans le fallon de Marly pendant le plus grand feu de la guerre : Eh! avec qui voulei-vous que je jouer Avec des femmes qui tremblent pour leurs maris, leurs enfans, leurs frères , & moi qui tremble pour 1'état ? S'étant appercue que madame la ducheffe & la princeffe de Conti, deux filles naturelles du roi, jaloufes des progrès qu'elle faifoit dans le cceur de leur père, avoient hauffé les épaules de toutes ces petites folies, elle affefta de dire devant elles, en fautant & riant : Je fais bien que tout ce que. je dis & fais devant le roi, n'a pas le fens commun; mais il lui faut du bruit de ma part, & il en aura. Cela n'empéchera pas, ajouta-t-elle en les regardant & continuant de rire, que je ne fois un jour leur reine. Cette enfant fi féduifante &fi chere au roi, n'en trahiffoit pas moins 1'état, en inftruifant fon père, alors duc de Savoie, & notre ennemi, de tous les projets militaires qu'elle trouvoit le moyen de lire. Le roi en eut la preuve par les lettres qu'il trouva dans la caffette de cette princeffe après fa mort. La petite coquine, dit-il a madame de Maintenon, nous trompoit. Comme j'aurai k traiter ce qui concerne les jéfuites , je ferai connoïtre d'avance ici, a Poccalion de la mort de Ia ducheffe de Bourgogne, 1'opinion qu'on avoit d'eux a la cour, dans le tems le plus brillant de leur règne. L'afte de catholicité, qui doit être le plus libre, eft fans doutela confeflion, quant au choix du miniftre, & jamais il n'y en eut de plus contraint dans la maifon royale, & fur-tout dans ]a  1% R"È G N É familie. Le dauphin a communément pout con« feiTeur celui du roi fon père. Cet ufage pourroit faire regretter la confeflion aux rois proteftans. Toutes les confciences de la maifon royale étoient, fous Louis XIV, entre les mains des jéfuites ; mais il ne tint qu'a lui de s'appercevoir combien la crainte qu'il infpiroit, ou le defir de lui plaire, y avoient de part. Dès que la ducheffe de Bourgogne parut en danger, le jéfuite la Rue, fon confeffeur ordinaire , fe préfenta pour la difpofer k la mort. Dans ce moment, oü l'on né craint plus les rois mêmes , elle montra une telle répugnance, que 1'habile jéfuite, pour épargner k fa compagnie un plus grand éclat, dit a la princeffe, que fi elle avoit plus de confiance en un autre que lui, il ïroit le chercher. Elle lui nomma fur-le-champ Bailli, prêtre de la paroiffe de Verfailles. Celuici ne s'étant pas trouvé, elle demanda un père Noël, récollet; ce qui prouve un éloignement très-décidé pour les jéfuites, d'autant plus que Bailli étoit fort fufpect de janfénifme, la plus noire des taches aux yeux du roi. Les janféniftes avoient alors 1'eftime publique. Ce dégout marqué pour la fociété n'étoit pas un exemple unique. HenriJules de Bourbóh-Condé avoit réclamé en möurant le P. de Latour, général de IfOratoire , 1'horreur des jéfuites (i) > & peu agréable au roi. . (i) Lès jéfuites cherchërent long-tems & inutilement i perdre le père Lat our. Le roi, fatigué des tentatives multipliées„ impofa filence. II y a deux aiu, dit-il, que je le fais obferver, fans qu'il m'en foie tien revenu de repréhenfible. II faut qu'il foit plus fage q/uon me dit, eis plus fin que mus; qu'en ne m'en pdrle plus.f  de Louis XIV. 33 roi. II eft. vrai que Henri - Jules fe conduifit en courtifan jufques dans la manière de mourir. II envoyoit chercher le P. la Tour dans un carrofie de louage, & on Pintroduifoit, comme en bonne fortune, par un efcalier dérobé; tandis que, fous prétexte d'un mieux dans la maladie ou du fommeil du prince, on refufoit la principale porte de 1'appartement a un P. Lucas , jéfuite, confeffeur en titre, & qui, fur la nouvelle du danger, étoit accouru de Rouen, pour fe faifir de 1'ame du prince; mais elle lui échappa. Tous les ans, a PSques, le prince envoyoit une chaife de pofte qui amenoit de Rouen 6c ramenoit ce P. Lucas. Pour cette fois-ci, il en vint par la meffagerie, &c retourna par la même. voie. La princeffe Louife-Marie-Stuart, fille de Jacques II, répudia, en mourant, fon jéfuite, pour le curé de Saint - Germain. Son frère en fit autant, lorfqu'il fut en danger de mourir de la petite-vérole. La reine d'Efpagne', première femme de Philippe V, changea, en mourant, fon jéfuite contre un dominicain. Les jéfuites voyoient fouvent fe vérifier le mot du premier préfident de Harlai, Des jéfuites fe trouvant a fon audience avec des oratoriens : Mes pères, dit le cauftique magiftrat, en s'adreffant aux premiers, il faut vivre avec vous; & fe tournant vers les oratoriens, & mourir avec vous. Les malheurs domeftiques de Louis XIV, tels que nous venons de les voir , n'étoient pas adoucis par la certitude de la paix. On efpéroit y parvenir, depuis que la négociation étoit entamée avec les Anglcis; mais il fe trouvoitvencore bien Terne I, Q  34 R È G N E des obftacles de la part de leurs alliés (i). La victoire que le maréchal de Villars remporta fur eux a Denain les rendit plus traitables. Villars, d'une figure diftinguée, d'un airavantageux, d'un caratlère qui 1'étpit encore plus, fanfaron, mais trè;-brave, fachant mieux que perfonne fe prévaloir de la part qu'il avoit a un heureux fuccès , &c en ufurper le refle, étoit un général fait pour des Francois, k qui la gaieté, unie au courage , infpire la confiance. Un homme de ce caractère frappe & faifit plus leur imagination qu'un homme modefte , a moins qu'il ne foit d'un ordre fupérieur & reconnu, tel qu'un Turenne. Lorfque Villars entra dans le monde, fa mère lui dit:i» Parlez toujours de vous au roi, & jamais a d'autres ". II paria de lui a tout le monde, & n'en réuffit que mieux. Quoi qu'il en foit, il a été utile a la France. L'afFaire de Denain, fuivie de plufieurs autres fuccès, fit regretter aux. alliés de n'avoir pas accepté les conditions offertes a Gertruidenberg, & tous les articles de la paix furent bientöt arrêtés. Celui qui demanda le plus de dilcuffion, regardoit les renonciations. "Nous'avons vu que PAngleterre exigeoit pour préliminaire, que jamais les couronnes de France Sc d'Efpagne ne puiTent fe réunir fur une même (ij Les préliminaires cbnvenus entre la France & 1'Angleterre, furent communiqués aux autres puiffances dès le mois de février 1711.'Les conférences pour la paix générale s'ou"vrirent a Utrecht le 29 janvier Ï712, Les miniftres Hollandois effayèrent d'abord d'y parler comme a Gertruidemberg; mais le cardinal de Polignac leur impofa filence : Mcflieurs, leur 'dit-il, les circönftances font changéss , il faut changtr de ros. Nous traiterens (hei veus > d$ r9US > * f"7" yous'  dé Louis XIV. 35 tête. II s'agiffóit donc de faire renoncer Philippe V, pour lui & fa poftérité, a la couronne de France, & que les ducs de Berri & d'Orléans fiffent une pareille renonciation a la couronne d'Efpagne, fur laquelle ils avoient des prétentions communes du chef d'Anne d'Autriche, femme de Louis XIII, aieule du duc d'Orléans , & bilaïeule du duc de Bern. Celui-ci avoit de plus les droits qu'il tenöit de Marie - Thérèfe fon aïeule, femme de Louis XIV. Ces renonciations étoient jugées d'autant plus nécelTaires, que Philippe V, avant que de paffer en Efpagne, avoit pris, pour la confervanon de fes droits a la couronne de France, des lettres-patentes, telles que Henri III les avoit en allant régner en Pologne. D'ailleurs, Philippe V, des le commencement de fon règne (en 1703,) avoit donné une déclaration interprétative du te'ftament de Charles II, pour aifurer les droits du duc d'Orléans a la couronne d'Efpagne; & ceux; du duc de Berri faifoient un article du teftament meme. Notre miniftère oppofoit » que par les loix » fondamentales de France, le prince , le plus » proche de la couronne, eft 1'héritier nécefiai» re; qu'il fuccède, non comme héritier fimple , » mais comme maitre du royaume; non par » choix , mais par le feul droit de naiflance; » qu'il ne doit fa couronne ni a la volonté de » fon prédéceffeur, ni au confentement de qui » que ce foit, mais k la conftitution de la mo- narchie, k Dieu feul; qu'il n'y a que Dieu quï » puifTe la changer, c5c que toute renonciation ■» ieroit inutile ". Mylord Bolinbrock répondit: wVous êtes perC ij  36 R È G N Ê » fuadés, en France, qu'il n'y a que Dieu qui ?> puiffe abolir cette loi fur laquelle le droit de » votre fucceffion eft fondée ; mais vous nous » permettrez auffi de croire , dans la Grande» Bretagne, qu'un prince peut renoncer a fes droits » par une ceffion volontaire , & que celui en » faveur de qui cette renonciation fe fait, peut» être foutenu avec juftice dans fes prétentions » par les puiffances qui ont accepté la garantie » du traité. Enfin, monfieur, la reine m'ordonne » de vous dire que eet article eft d'une fi grande » conféquence, tant a fon propre égard, qu'a t> celui de toute 1'Europe, qu'elle ne cenfentira » jamais a. continuer des négociations de paix, p a moins qu'on n'accepte 1'expédient qu'elle a » propofé, ou quelqu'autre auffi folide (i) " Louis qui avoit fi fouvent dicté des conditions, n'étoit plus en état de rejetter, pas même de difcuter celles qui lui étoient prefcrites. II fallut confentir aux renonciations. Les Anglois n'étoient pas encore féparés de leurs alliés, PafFaire de Denain n'étoit pas arrivée, & il y avoit autant de vérité que de compliment dans la lettre du maréchal de Villars au duc d'Ormond, général anglois , qui venoit de remplacer Marleboroug : Les ennemis du roi ont dé/a fenti qu'ils n'ont plus avec eux les :braves Anglois. \ Le miniftère de -France parut & oppofe k la renonciation que celui d'Angleterre ofFritpour Philippe V 1'alternative ou de garder 1'Efpagne & les (i\ Vovez le rapport du comité fecret imprimé a Londres, oü le trouve le mémoire du 23 mai 171a, de la cour de Londres , la. réponfe du marquis de Torcy , mimftre de France, & la'repHque du lord Boliabrock.  de Louis XIV. 37 Indes, en renoncant actuellement pour lui & fa poftérité au tröne de France, ou d'y conferver tous fes droits, en cédant la couronne d'Efpagne au duc de Savoie, & recevant en échange les royaumes de Naples & Sicile, la Savoie , le Piémont, le Montferrat & le duché de Mantoue; & au cas que lui ou quelqu'un de fes defcendans parvint a la couronne de France, tous ces états échangés y feroient réunis , a 1'exception de la Sicile , qui paiïeroit a la maifon d'Autriche. Louis XlV n'oublia rien pour engager fon petitfils a accepter le dernier parti ; mais Philippe avoit recu trop de preuves de 1'attachement des Efpagnols pour les abandonner. II ne balanca pas, & (le 5 novembre 1712) fit en plein conh (1) fa renonciation a la couronne de France. Le jour fuivant, il en donna avis a fon frère, le duc de Berri, par une lettre communiquée a la junte, &: qu'il accompagna d'un modèle de renonciation k la couronne d'Efpagne, pour les ducs de Barri & d'Orléans. La renonciation faite au nom de ces deux princes dans les conh d'Efpagne y avoit toute la force & 1'authenticité poffibles. II n'en étoit pas ainfi de celle de Philippe en France. II falloit qu'elle y fut ratifiée avec le même appareil que les deux autres 1'avoient été a Madrid. Louis XIV offroit de faire enregiftrer au parlement une déclaration contenant les renonciations refpectives; mais les Anglois, & fur - tout leurs alliés, pour rompre la négociation, & pour continuer la guerre, exi- (1) Les états généraux fe nomment en Efpagne las cortes. La Junte en Efpagne répond au confeil d'état en FraRce. Cii;  38 R È G N E geoient la fanction des états-généraux de France." Ils favoient combien les renonciations & les fermens avoient déja été illufoires. Louis XIII les avoit faits, lors de fon mariage avec Anne d'Autriche. Louis XIV les avoit renouvellés a la paix des Pirénées, en époufant Marie - Thérèfe. Cela n'avoit pas empêché l'invalion de la FrancheComté & d'une partie des Pays-Bas Efpagnols, après la mort de Philippe IV. Quelle forme plus facrée pouvoit-on donner aux nouvelles renonciations , fans la fanftion des états ? Louis, accoutumé a concentrer tout 1'état dans fa perfonne, ne concevoit pas qu'on put réclamer une autorité confirmative de la fienne. Cependant la paix devenoit tous les jours plus néceflaire, & il fatloit contenter les alliés. Un comité compofé des ducs de Beauvilliers, de Chevreufe, de Charoft, de Humières, de St. Simon & de Noailles, fut chargé de chercher un moyen de parvenir au but qu'on fe propofoit, fans 1'affemblée des états. On propofa de convoquer les princes du fang, les ducs & pairs, les ducs vérifiés ou héréditaires non pairs, les officiers de la couronne, les gouverneurs des provinces & les chevaliers de 1'ordre qui repréfenteroient la nobleffe. Mais le corps de la noblefle. ne pouvoit être réguliérement repréfèrité que par des députés nommés par elle-même; le clergé ne fe croiroit pas repréfenté par les pairs eccléfiaftiques, fi la noblefle ne croyoit pas 1'être par les ducs & les officiers de la couronne. Le tiers paroitroit a 1'inftant, & les pariemens, qui en font la principale partie, ne feroient pas fatiffaits de 1'unique perfonne du chancelier qui d'ail-  de Louis XIV. 39 leurs ne feroit regardé que comme officier de la couronne. On en concluoit que cette affemblée ne feroit qu'une fauiTe image d'états , qui, fans en avoir le poids & Pautorité, n'en blefferoit pas moins le roi qui n'en voudroit ni la réalité, ni 1'apparence. St. Simon, ivre, jufqu'^ la manie, de fon titre de duc & pair , prétendoit que 1'afïemblée des princes du fang, des pairs, des ducs héréditaires & des officiers de la couronne , reptéfenteroit parfaitement les pariemens de la première , de la feconde Óc du commencement de la troiiième race. Les monumens de ces tems-la font fi obfcurs, qu'ils fe prêtent a toutes fortes de fyftêmes. Le duc de St. Simon avangoit que dans ces parkmens, placita, il ne fe trouvoit que les grands vaiTaux laïques & eccléfiaftiques, ces derniers par leur titre feul de grands vaflaux. L'armée, qui étoit proprement la nobleffe, affemblée dans le champ de mars, fans délibérer elle - même, attendoit Sc recevoit les décifions, les loix des placita. Les difcuffions de notre comité ne décidoient pas 1'afFaire; Bolinbrock la termina fur la formê avec les alliés , comme il avoit déja fait fur le fonds avec notre miniftre. Depuis long-tems, la France & 1'Angleterrö jouent le principal röle dans les guerres générales de PEurope. Dès que ces deux puiffances, qui fourniffent les fubfides, font d'accord, les autres font bientöt obligées d'accéder. Dans le fyftême actuel, la nation la plus riche fait la loi. La reine d'Angleterre confentpit h k paix ie C iv  40 R È G N E Bolinbrock, fon miniftre, avoit intérêt de la faire,; pour abaiffer le parti de Marleboroug. D'ailleurs „ dans un voyage qu'il avoit fait en France pour difcuter les préliminaires, il avoit été très-fenlïble aux égards que le roi lui rnarquoit. Quoique ce prince fut alors dans un état d'humiliation, FEurope étoit depuis fi long-tems accoutumée a le regarder comme le grand roi, que 1'imprefiion en fubfiftoit encore. Un étranger , quel qu'il fut, fe trouvoit trés - flatté des moindres diftinctions de ce monarque. Buis , plénipotentiaire des Hollandois, qui dans les conférences avoit déclamé fi indécemment contre le roi, étant venu enfuite ambaffadeur en France , devint un de fes plus paffionnés admirateurs. Bolinbrock fit donc approuver aux alliés le projet de déclaration que le roi avoit offert fur les renonciations. II leur fit voir que fi la France étoit jamais affez puiffante pour revenir contre fes engagemens, rien ne 1'arrêteroit; mais que 1'intérêt des puiffances réunies de 1'Europe, feroit la plus fiïre des garanties: la force étant toujours entre les princes 1'interprete des traités. Les principes, ou les préjngés nationaux, font inaltérables. On eft généralement perfuadé en France, que fi la familie royale, la branche directe venoit a s'éteindre, I'ainé de la branche efpagnole pafferoit fur le tróne de France, au préjudice de tous les princes du fang qui ne feroient pas fortis de Louis XIV, Louis XV, &c. On n'eft pas moins convaincu que les deux couronnes ne feroient pas réunies fur la même tête (i). (l) Louis XV ayant Ia petite-vérole au mais d'o&obre 172S  de Louis XIV. %r La forme des renonciations étant conventie, les ducs de Berri & d'Orléans fe rendirent (le 15 mars 1713) au parlement, oü fe trouvèrent le duc de Bourbon, le prince de Conti, princes du fang; les deux légitimés, le duc du Maine Sc le comte de Touloufe ; cinq pairs eccléfiaftiques, & ce qu'il y avoit de pairs laïques en état d'y a/ïiiter. Le chancelier (de Pontchartrain) n'ayant point eu ordre du roi d'y aller, ne fut pas faché de s'en difpenfer, fachant mieux que perfonne la valeur de cette cérémonie. Le duc de Shrevsburi & Prior, plénipotentiaires d'Angleterre , le duc d'Offone , plénipoJentiaire d'Efpagne a Utrecht, & qui étoit pour lors k Paris , étoient placés dans une des lanternes ou tribunes; chacun ayant une copie des pièces dont on alloit faire le rapport, pour en fuivre la lecture. Les gens du roi ayant expofé le fujet de 1'affemblée, le doyen du parlement (le Nain) lut la lettre de cachet & les lettres patentes du mois de decembre 1700, qui confervoient a Philippe V& k fa branche, quoiqu'abfente & non réonicole, les droits k la couronne de France. On lut tout & le courier ayant manqué un jour en Efpagne, Philippe V fuppola que le roi fon neveu, étoit mort; il fit auffi-tot affembler la Junte & déclara qu'il alloit paffer en Francl avec le fecond de fes fils, hiffant la couronne d'Efpaene au prince des Aftunes, fon ainé, qui la préféroit, & qui St dans Ia chapelle fa renonciation en forme a celle de France Les ordres étoient donnés pour partir le lendemain; mais Ie'courier apporta au moment du départ, la nouvelle de la convalefcence du roi. Je tiens ce fait de la ducheffe de SaTn"Pierre, dame du pala.s de la reine d'Efpagne, & du maréchal de Brancas, ambaffadeur de France a Madrid, préfenfi Ia ceremonie de Ia renonciation du prince des Aftunes. "  42 R È G N E de fuite fa renonciation qui fut mife en marge des regiftres, pour annuller les lettres patentes. De-la on paffa aux renonciations des ducs de Berri & d'Orléans k la couronne d'Efpagne, pour eux & pour leur poftérité male & femelle. Les conclufions du procureur-général, & 1'arrêt du parlement furent lus & approuvés; les magiffrats fortirent pour prendre la robe rouge , revinrent fe placer aux hauts fièges , & 1'arrêt fut prononcé en pleine audience & a portes ouvertes. Je dois obferver que le roi d'Efpagne, prenant dans fes qualités celles de roi de Navarre & de duc de Bourgogne, le parlement mit dans 1'enregiftrement, fans approbaüon des titres. Je me permettrai de rapporter ici un fait affez puérile en foi; mais qui n'en fera que mieux connoïtre dans quel efprit un gouverneur & un précepteur, alors deux hommes de mérite, étoient cependant obligés, fous les yeux de Louis XIV, d'élever des princes qui pouvoient éventuellement monter fur le tröne, ce qui venoit même d'arriver a Philippe V. Le premier préfident (de Mefmes) ayant ouvert la féance par un compliment au duc de Berri; ce prince qui avoit appris une réponfe de fix lignes, dit & répéta plufieurs fois , monfieur....; mais fa timidité naturelle, augmentée par le fpeétacle de 1'affemblée, ne lui permit pas d'ajouter un mot, de forte que le premier préfident ayant attendu le peu de tems qu'auroient pu durer deux phrafes, s'inclina profondément, comme fi la réponfe eut été finie, &c termina 1'embarras du duc de Berri èt des afliftans.  de Louis XIV. 43 Ce prince affligé du déconcertement oii il s'étoit trouvé , ne levoit pas les yeux , & garda un filence morne jufqu'a Verfailles. Pour ajouter le dépit a la douleur, a fon arrivée, la princeiTe de Montauban, Bautru - Nogent, vint au-devant de lui, & avec une flatterie plate & un enjouement de femme-de-chambre, félicita le pauwe prince fur 1'éloquence qu'il avoit fait paroitre au parlement. Elle ne difoit pas un mot qui ne fut un coup de poignard pour une ame déja noyée dans la douleur. Le prince n'y pouvant plus tenir, s'échappa brufquement, & lorfqu'il fut en liberté, s'abandonna aux larmes &c aux cris. N'ofant nommer le roi, il s'emportoit contre le duc de Beauvilliers, fon gouverneur, qu'il accufoit de fa mauvaife éducation. J'étois cadet, difoit-il, en fanglottant, j'avois autant de difpofitions que mes aïnés, on a ëu peur de moi; on ne m'a appris qu'a chaiTer; on n'a cherché qu'a m'abrutir, on y a réuffi; on m'a rendu incapable de tout. Cet état violent dura deux heures, avec des apoftrophes réitérées a la princeffe de Montauban. On eut beaucoup de peine a le calrner, & a lui perfuaderque le compliment qu'elle lui avoit fait, n'étoit qu'une fade adulation fans malice. Pour donner encore un échantillon des platitudes te cour, je noterai ici, que la ducheiTe de Berri étant accouchée d'un fils qui vint a fept mois, les plus robufres courtifans fe trouvèrent nés a pareil terme , ce qui n'empêcha pas 1'enfant de mourir au bout de hiiit jours. Les renonciations ayant été acceptées, la paix fut bientöt conclue entre la France & les alliés, excepré Fempereur. Elle fut fignée è Utrecht,  44 R È G N E le ii avril, & publiée a Paris, le 25 mai 1713. Ce traité, & ceux qui en furent la fuite , font fi connus & fe trouvent dans un fi grand nombre de livres, que je n'en rapporterai pas les articles. Une chofe peu importante, mais affez fingulière, c'eft que 1'abbé de Polignac, un de nos plénipotentiaires a Utrecht, obtint le chapeau de cardinal k la nomination de Jacques III, comme roi d'Angleterre, dans le tems que 1'abbé fignoit les articles qui excluoient ce prince du tröne, dont on affuroit la poffeffion a la branche proteftante d'Hanovre. Par un accord particulier de la reine Anne avec Louis XIV, cette princeffe convint de faire payer 750,000 liv. de douaire k la reine, Mar ie d'Eft, veuve du roi Jacques II, Sc pour éviter toute difficulté fur les quittances qu'elle n'auroit pas pu figner : Reine d'Angleterre de France, &c.; il fut convenu qu'elle figneroit fimplement, Marie, reine. Quoique 1'union des royaumes d'Angleterre , d'Ecoffe & d'Irlande eut été faite fous le titre de Grande-Bretagne, les Stuarts y avoient encore beaucoup de partifans. Une affociatiön nombreufe d'Ecoffois avoit préfenté , en 1711, a la reine Anne, une adreffe, par laquelle ils 1'affuroient de leur fidélité, puifqu'ils 1'avoient reconnue, quoiqu'elle ne dut pas être leur reine, ayant un frère k qui ils la fupplioient d'affurer la couronne, Sc de lui donner, en attendant 100,000 liv. fterlings de penlion. La reine auroit travaillé de grand coeur k fe donner ce frère pour fucceffeur, fi elle eut eu la moindre efpérance d'y réuffir, Sc avoit toujours fu gré k Louis XIV d'avoir donné. afyle k cette  DE Louis XIV. 45 familie malheureufe, & ces fentimens n'avoient pas peu contribué a la difpofer a la paix. Dès qu'elle fut conclue, cette princeffe defira que Louis XIV acceptat, en figne d'amitié, 1'Ordre de la Jarretière, & ce prince ne s'y fut pas refufé, fans la crainte qu'il eut d'affliger la reine Marie. Le 6 mars , de 1'année fuivante, le prince Eugène , au nom de 1'empereur , & le maréchal de Villars, au nom du roi, fignèrent la paix a Raftadt, & le 7 feptembre elle fut conclue avec 1'Empire a Bade, par le maréchal de Villars, le comte du Luc-Vintimille & Conteft, maitre des requêtes. On ne fit dans le traité de Bade aucune men* tion de Philippe V, que 1'empereur ne reconnoiffoit pas pour roi d'Efpagne, comme Philippe ne reconnoifïoit pas Charles VI pour empereur. Les conditions de la paix n'étoient pas affez agréables au roi, pour qu'il en recüt les complimens avec plaifir ; aufli , refufa-t-il d'en recevoir (1). Croiroit-on, fi l'on ne favoit jufqu'oü peut aller la témérité d'une favorite, que la princeffe des Urfins arrêta, pendant plufieurs mois, la concluflon de la paix ? Cette femme a joué un röle fi fingulier, même dans les affaires générales, qu'il eft a propos de la faire connoïtre. Anne-Marie de la Trémoille, veuve de Taley- (0 Louis XV a pareillement, & par les mêmes raifons, reful'é les complimens fur la paix avec les Anglois, conclue a Paris le 10 février 1763, & publiée le 2.t juin de la mêms année. Les prélitninaires furent fignés ïe 3 novembre 176a.  40 R È G N £ ran, prince de Calais, époufa enfuite le duc de Bracciano, de la maifon des Urfins, dont elle refta encore veuve en 1698. Le duché de Bracciano ayant été vendu pour payer les dettes de la maifon Urfins, elle prit le nom de princeffe des Urfins. Lorfqu'on fit la maiforf de la première femme de Philippe V, fille du duc de Savoie, VictorAmedée, la princeffe des Urfins fut nommée dame d'honneur de la reine, fe rendit bientöt maïtreffe abfolue de Pefprit du roi 6c de la reine, 6c rien ne fe faifoit en Efpagne que par fes confeils. Quoiqu'elle eut par elle - même le plus grand crédit, elle étoit encore appuyée par la France. La marquife de Maintenon ayant intérêt de prévenir favorablement Louis XIV pour la princeffe des Urfins , la lui peignoit comme une Francoife zélée, dont il pouvoit fe fervir pour gouverner lui-même fon petit-fils. C'étoit le prétexte : le vrai motif de madame de Maintenon étoit d'être inftruite paf fa protégée de tous les fecrets de la correfpondance d'Efpagne. Torci, uniquement attaché k Louis XIV, ne s'étoit jamais affervi a communiquer fes dépêches a madame de Maintenon; auffi ne 1'aimoit-elle point. Aucune femme régnante ne pardonne k un miniftre de ne la pas préférer a fon maitre. La princeffe des Urfins , ivre de fa faveur, crut pouvoir tout fe permettre. Elle intercepta une dépêche que 1'abbé d'Eftrées , ambaffadeur de France a Madrid, écrivoit au roi, Sc dans laquelle, en faifant un tableau de la cour d'Efpagne, il difoit que la princeffe des Urfins exerqok un empire defpotique fur-tout ce qui 1'appro*  ■ö e Louis XIV. 47 choit, excepté fur un nommé Boutrot d'Aubigni, fon intendant, par qui elle étoit fubjuguée , & avec qui elle couchoit. II ajoutoit, par égards, qu'on les croyoit mariés. La princeffe ne fe trouvant offenfée que du dernier mot, eut Pimpudence d'envoyer la lettre a Louis XIV, & d'écrire en. marge : pour mariée, non. Un procédé fi lefte n'étoit ni dans les mceurs du roi, ni dans la pruderie de madame de Maintenon. Le prince renvoya la lettre a fon petu> fils, & en exigea de chaffer madame des Urfins. L'afcendant qu'elle avoit fur Philippe, céda , pour le moment, a la dévotion, & a 1'obéiffance que Louis avoit toujours infpirée a fa familie. La princeffe des Urfins , éloignée de la cour d'Efpagne, & rejettée de celle de France, refta quelque tems dans une efpèce d'exil a Touloufe. Madame de Maintenon n'ofa d'abord la défendre; mais elle regrettoit fa correfpondance d'Efpagne. Elle laiffa donc refroidir le reffentiment du roi, fit valoir, par degrés, la douleur qu'avoit caufée au roi & a la reine d'Efpagne le facrifice de leur favorite, 1'utilité dont elle pouvoit être a Madrid, les remords qu'elle avoit de fa conduite & furtout d'avoir déplu au roi; de forte que ce prince croyant corriger , quand il puniffoit , confentit au retour de j'exilée , rappella 1'abbé d'Eftrées qui ne pouvoit être déformais que défagréablement k Madrid; & pour 1'en dédommager, on lui donna 1'ordre du St. Efprit. C'eft le premier exemple de cette grace accordée a un eccléfiaftique non prélat. Le roi & la reine d'Efpagne avoient un goüt fi décidé pour Ia princeffe des Urfins, que fon  4 R fe G N £ abfence la leur avoit rendu plus chère. Elle reparut a Madrid avec plus d'éclat & d'autorité que jamais. Dans un voyage qu'elle fit aux eaux de Bagnères pour fa fanté, elle fut accompagnéè par un detachement des gardes-du-corps. Elle continua fon commerce avec d'Aubigni, mais avec plus de difcrétion, par la crainte qu'elle avoit de Louis XIV, & fur-tout qu'on ne la foupconnat d'être mariée. D'Aubigni, refpectueux en public pour fa maitrelTe, la traitoit quelquefois en particulier avec 1'empire qu'un amant trop inférieur, foit mépris, foit fyftême, prend communément fur une femme d'un haut rang, ce qui ne contribue pas peu a la lui attacher. Quelque brillante que fut la pofition de la princeffe des Urfins , elle ne la crut pas füre. Elle s'étoit déja vue facrifiée aux volontés de Louis XIV, elle pouvoit 1'être encore, elle réfolut donc de fe faire un état indépendant, en fe procurant une fouveraineté, & jetta fes vues fur la ville & le canton de la Roche, en Ardenne , Rupes Ardennce , a 12 lieues de Luxembourg. Elle engagea le roi d'Efpagne qui ne favoit rien lui refufer, a faire de eet article une des conditions de la paix qui fe traitoit a Utrecht. Pour rendre Louis XIV plus favorable è cette prétention, elle ofFroit de ftipuler dans le traité la reverfion après fa mort de la fouveraineté de la Roche a la couronne de France. Elle avoit un projet ultérieur qu'elle ne déclaroit pas encore, c'étoit de propofer dans la fuite au roi de la faire jouir des droits de fouveraineté enTouraine, en échange de la Roche. Elle goutoit d'avance le plaifir d e- talej?  t> ë Louis XIv. 49 taler fa gloire dans fa patrie, & doutoit li peu de 1'acceptation du roi qu'elle envoya d'Aubigni choifir prés de Tours un Canton agréable, un terrein propre k batir un chateau vafte & commode , & l'étendue néceffaire pour les jardins. D'Aubigni exécuta les ordres de la princeife de la manière la plus conforme k la deftination du chateau. On étoit étonné de voir faire une fi prodigieufe dépenfe par un fimple particulier que l'on connoiffoit pour fils d'un procureur de Paris, & dans un lieu fans juftïce ni feigneurie,' circonftances qui auroient paru affez indifférentes, fi l'on eut fu pour qui & pour quoi fe faifoit un tel établiffement. Nous allons voir que la princeffe des Urfins n'a jamais pu en jouir. Ce chateau nommé Chanteloup refta a d'Aubigni pour prix de fes fervices. II fe maria après la mort de fa maïtreffe, & mourut en 1733, laiffant une fille unique très-riche qui époufa le marquis d'Ar» mantières-Conflans (1). Les plénipotentiaires d'Efpagne étant chargés par leurs inftru&ions d'appuyer la demande de la princeffe des Urfins, elle crut qu'il étoit de fa cügnité d'avoir k Utrecht une .manière de miniftre k elle, ce fut le baron de Capres Bournonville qui fe fit affez méprifer par le contrafte de fa naiffance & de fa cömmiflion. Aucun des miniftres ne voulut traiter avec lui ni le reconnoïtre. Les dégoüts, les humiliations qu'il affronfa dans Utrecht, firent fa fortune en Efpagne, & il fe (1) Cette tetre accrue de beaucoup d'autres poffeflïons, yient d'ette achetée par le due de Choifeul, miniftre de 1* gu'.Tre. Tome I, D  3O R E G N E crut bien décioramagé. L'honneur qui fe vend, fi peu qu'on en donne , eft toujours payé plus qu'il ne vaut. Les reconrmandations de Philippe V, & les follicitations de la princeffe des Urfins, furent inutiles. Louis XIV avoit d'abord vu avec affez d'indifférence, les prétentions de cette ambitieufe; mais la marquife de Maintenon, réduite a voiler fa grandeur réelle, ne put digérer que fa protégée prétendït fe faire oftenfiblement fouveraine, chercha les moyens de la perdre dans 1'efprit du roi, & ne tarda pas a les trouver. Les plénipotentiaires d'Efpagne follicitoient vivement en faveur de madame des Urfins; mais ceux de Hollande ne voulurent abfolument confentir k rien : la paix ne fe concluoit point. Louis XIV, impatient d'en recevoir la nouvelle, apprit les motifs du retardement, en fut indigné; &c madame de Maintenon, approuvant fort la colère oü il étoit, il fit ordonner aux plénipotentiaires de fon petit-fils , de figner fur le champ , fans quoi, ajouta-t-il, 1'Efpagne ne devoit plus rien efpérer de la France. La princeffe des Urfins, voyant échouer fon projet de fouveraineté perfonnelle , ne fongea plus qu'a régner précairement k Madrid ; mais elle concut bientöt de plus hautes efpérances. La reine d'Efpagne, attaquée d'humeurs froides , languiffoit depuis long-tems, & mourut le 14 février 1714. Madame des Urfins s'imagina qu'il ne feroit pas impoflible de lui fuccéder. Voici fur quoi elle fe fondoit. Philippe V, né avec un caraéière doux & pareffeux, élevé dans la foumifiion k 1'égard du  de Louis XIV. 5 f duc de Bourgogne fon frère ainé, k qui il étoit d'abord deftiné a obéir, en avoit contracté toutes les difpofitions k fe laiffer conduire, & madame des_ Urfins en faifoit depuis plufieurs années 1'expérience par elle-même. Ce prince d'ailleurs nourri dans la dévotion, avec une ame timorée, étoit partagé d'un tempérament brülant, qui lui rendoit une femme nécefiaire. II n'avoit découché d'avec la fienne, que cinq jours avant fa mort; & quoiqu'elle fut dans un état fort dégoutant, il ufa toujours des droits d'époux. II avoit plus de befoins que de fentimens; car le jour même qu'on portoit a 1'Efcurial le corps de la reine, il alla k la chaffe, & en revenant a cheval, ayant appergu de loin le convoi, il s*en approcha pour le voir paffer. Madame des Urfins étoit trop agée pour avoir des enfans; mais le roi avoit trois fils qui paroiffoient affurer la fuccefïïon, & avec fon ardeur & fes fcrupules , il lui fuffifoit de trouver une femme, & qu'elle fut la fienne. Pour refferrer de plus en plus 1'intimité, madame des Urfins fe fit nommer, 011 fe conftitua elle-même gouvernante des infans, qui ne pouvoient pas être en meilleures mains pour leur confervation, que dans celles de la perfonne dont c'étoit le plus grand intérêt. Elle tira le roi du palais oü la reine étoit morte; & au-lieu de le mener dans un autre, tel que Buenretiro, oii la cour pouvoit être logée, elle le conduifit k 1'hötel de Medina-Cceli, afin que le peu de logement en écartat 1'affluence des courtifans. II n'approchoit du roi que trois ou quatre hommes pour 1'amufer, fous le nom de Récréadores, dont la Dij  p RÈGNE princeffe étoit fïïre. Son appartement n'étoit féparé de celui du roi, que par une galerie découverte. Le prétexte de conduire les infans chez leur père, autorifbit affez la gouvernante k traverfer librement la galerie; mais elle vouloit voir le roi a d'autres heures; &c pour ne pas avoir de témoins de fon affiduité, elle donna ordre d'enclorê de planches cette galerie. II fe trouva que 1'ordre fut donné un famedi au foir. Les ouvriers faifant fcrupule dè travailler ün dimanche, le controleur des batimens demanda au P. Robinet , jéfuite Francois, confeffeur du roi, fi l'on pouvoit travailler un tel jour. Le courtifan voufut d'abord éluder la queftion; mais étant preffé de répóndre, 1'honnête homme prit le deffus : Oui, dit brufquement le P. Robinet, travaille^ le dimanche , même le jour de Pdques, fe cejl pour détruire la galerie. La princeffe des Urfins ayant donné les difpenfes, la galerie fut faite. Dès ce moment, la cour ne douta point que le roi n'époufat madame des Urfins; mais Robinet fompit abfolument ce mariage. Le roi, aimant a s'entretenir des nouvelles de France avec fon confeffeur, lui demanda un jour ce qui fe difoit de nouveau k Paris : Sire, répondit Robinet, on y dit que V. M. va époufer madame des Urfins. Oh ! pour cela, non, dit le roi féchement, & paffa. Madame des Urfins, inftruite de ce dialogue court, mais intéreffant, ccmprit qu'elle devoit abandónner fon projet; mais ne pouvant monter fur le tröne , elle 'fongea du moins k y placer celle qui lui paroitroit la moins propre a 1'occuper, qui lui en eut 1'obligation, & la laiffat  de Louis XIV. 53 régner. Elle jetta les yeux fur Elifabeth Farnèfe, nièce du duc de Parme (1). Elle imagina que cette princeffe \ renfermée dans le petit palais de Parme, n'ayant recu aucune éducation relative a un grand état, devoit ignorer toute efpèce d'affaires , & fe trouveroit trop heureufe, non-feulement d'un choix fi inattendu, mais d'avoir, en arrivant dans une grande cour, une amie quivoulüt bien la conduire. Elle confia fes deffeins a 1'abbé Jules Albéroni, agent du duc de Parme a Madrid, & lui demanda des éclairciffemens fur la princeffe de Parme. L'abbé, qui vit dans 1'inftant la porte de la fortune ouverte devant lui, répondit fuivant les defirs de celle qui 1'interrogeoit, & lui dit, vrai ou faux, tout ce qui pouvoit la confirmer dans fon projet. Madame des Urfins, füre de faire accepter par le roi quelque femme qu'elle eut propofée, lui en paria, la fit agréer, & la demande en fut faire en forme. Pendant que le mariage fe traitoit , & prefque au moment de la conclufion , madame des Urfins apprit que la princeffe de Parme avoit en effet eu peu d'éducation, mais qu'elle avoit beaucoup d'efprit naturel & du caractère. Ce njétejjt pas des qualités que madame des Urfins defirat dans fon élève. Elle en fut allarmée, & dépêcha un courier pour fufpendre tout. II arriva a Parme le jour même, 16 aoüt, que le mariage alloit y être célébré par le cardinal Gozzadini, (1) Ehfabeth Farnèfe, née le 25 oflobre 1692, étoit fi'I? dOdoard Farnèfe & de Dorothée-Sophie, fille de Èéle&eür palatm Phihppe-Guillaume, de la branche de Neubouro- Cette meme Dorothée-Sophie étant veuve, époufa Francois Fsrnefe duc de Parme , frère' de fon premier mari Odoar'd. ' D iij  54 RÈGNE légat a Latèré, en vertu de la procuration du roi d'Efpagne, envoyée au duc de Parme, oncle de la princeffe, pour repréfenter fa majefté catholique. L'oncle & la nièce prirent fur le champ leur parti. On enferme le courier; on lui propofe 1'alternative, on de mourir k Pinfiant, ou de recevoir une fomme confidérable , moyennant quoi al refteroit caché jufqu'au lendemain , qu'il paroitroit en public, comme ne faifant que d'arriver. II eft inutile de dire que le courier ne balanga pas fur le choix. Le mariage fiu\célébré , & le courier ne parut que le jour fuivant. On en avoit dépêche un autre dés la veille avec une lettre, par laquelle la princeffe mandoit au roi d'Efpagne, que le mariage avoit été célébré, & qu'elle partoit pour fe rendre auprès de fa majefté. Elle partit en effet, & s'embarqua k Seftri di Levanti; mais n'ayant pu fupporter la mer, elle débarqua k Gênes, fe rendit par terre,k Antibes , & traverfa une partie de la France, jufqu'a la frontière d'Efpagne. Le roi lui fit rendre fur la route & dans les lieux oü elle féjóurna, tous les honneurs qu'elle voulut recevoir. En arrivant a Pampelune, elle trouva Albéroni, & lui dit qu'elle étoit réfolue de chaffer madame des Urfins, dès le premier moment qu'ellé la verroit. Albéroni lui repréfenta le danger de ce deffein , & tacha de la détourner par la crainte du roi, fur qui madame des Urfins avoit le plus grand empire. Pour réponfe, Ia reine tira une lettre de fa poche, &c la jettant fur une table, lifez, dit la reine, & vous ne ferez plus fi effrayé. Cette lettre étoit du roi d'Efpagne , qui mandoit k la reine de chaf-  de Louis XIV. 55 fer madame des Urfins, 8c finiflbit pas ces mots: Au moins, prene^ bkn garde a. ne pas manquer votre coup tout d'abord; car Ji elle vous voit feulement deux heures, elle vous enchainera, s Urfins le fit répandre pour embarraffer  6% R È G N E le cardinal Del Giudice, & le mettre dans la néceffité de fe perdre comme miniftre avec les cours de France & d'Efpagne, ou comme grand inquifiteur avec celle de Rome. Le cardinal auroit bien defiré garder la neutralité, cela ne lui fut pas poffible. Le nonce &C 1'inquifition d'Efpagne jettèrent les hauts cris, écrivirent au grand inquifiteur , le forcèrent de fe montrer fur la fcène, & de donner un mandement contre Macannas & fon livre. Un mandement d'inquifiteur, daté de Marly & affiché dans Paris, y parut une chofe fort bizarre. C'étoit contre un Efpagnol; mais eet Efpagnol foutenoit des maximes francoifes, & qui devroient être de tout pays. i D'un autre cötéj le roi d'Efpagne, encouragé par madame des Urfins, protégea Macannas ; le cardinal fut rappellé de France, & recut en chemin 1'ordre de ne pas rentrer dans Madrid. Les chofes en étoient-la, lorfque tout changea de face par la difgrace de madame des Urfins. La nouvelle reine voulant détruire tout ce qu'avoit fait cette favorite, fit rappeller le cardinal Del Giudice, qui fut chargé du miniftère. La cabale Italienne commenga a fe former a la cour. La reine , le cardinal & Albéroni en étoient le point de réunion. Les grands & tous ceux qui avoient le cceur efpagnol, formoient le parti contraire, &c la domefticité intime du roi, prefque toute compofée de Francois, influoit dans les affaires, & fe faifoit confidérer. Les Frangois vivant bien avec les Efpagnols , devinrent fufpeefs a la reine. Le plus confidérable d'entre eux, étoit le père Robinet, jéfuite, qui avoit fuccédé  df. Louis XIV. 63 dans la place de confeffeur au père d'Aubenton, que madame des Urfins avoit fait renvoyer, pour avoir quelquefois lutté de crédit contre elle. Quoique Robinet fut le parfait contraire de d'Aubenton , ion pofte feul lui donnoit une autorité qu'il tfambitionnoit point, & fa vertu lui procura bientöt tout ce que fon prédéceffeur tenoit de 1'intrigue. Madame des Urfins eut fujet de s'appercevoir qu'elle n'avoit pas autant gagné au change que le roi & 1'Efpagne. Jamais confeffeur ne convint mieux k fa place, & n'y fut moins attaché que le père Robinet. Plein de vertus & de lumières, pénétré des plus faines^ maximes , zélé Frangois , également paffionné pour 1'honneur de 1'Efpagne fa feconde patrie; ce fut lui qui confeilla au roi de fermer la nonciature, lorfque le pape reconnut l'archiduc pour roi d'Efpagne. Une action jufte & raifonnable caufa fa difgrace. L'archevêché de Tolède, valant 900,000 liv. de rente, étoit vacant; le cardinal Del Giudice le fit demander au roi par la reine. Le prince , avant de fe déterminer, voulut confulter fon confeffeur. Celui-ci fut d'un avis tout différent , & repréfenta que le cardinal ayant déja toute la fortune convenable a fa dignité , il falloit répartir les graces , dont la maffe eft toujours inférieure k celle des demandes & fouvent des befoins. 11 propofa pour Tolède Valero Leza, Efpagnol, préférable a un étranger, & dont le choix feroit applaudi par toute la nation. Ce Valero étant curé de campagne, avoit rendu les plus grands fervices k Philippe V, dans le temps que la couronne étoit encore fïottante fur fa tête. Le roi lui avoit  64 RU NE donné 1'évêché de Badajos. II fut évêque comme il avoit été curé, ne voyant dans cette dignité que des devoirs de plus a remplir , Sc ne paroiffant jamais a la cour. II eft vrai que la réfidence n'eft pas un mérite ft rare en Efpagne qu'en France, oii le roi auroit toujours la commodité d'affembler fur le champ a Paris un concile national. Robinet fit fentir au roi que les Efpagnols è la valeur, a 1'amour, a la conftance defquels il devoit fa couronne , fe croiroient tous récompenfés dans la perfonne d'un compatriote tel que Valero, Sc que c'étoit enfin répandre fur les pauvres le revenu de Parchevêché de Tolède par les mains d'un prélat qui n'en favoit pas faire un autre ufage. Le roi le nomma. (Mars 1715.) La reine Sc fon miniftre furent outrés de la victoire de Robinet. Les fuites les effrayèrent. lis fe liguèrent contre une vertu ft dangereufe, Sc a force de féduótions Sc d'intrigues, ils parvinrent a faire renvoyer de la cour un homme qui ne demandoit qu'a s'en éloigner. Robinet emportant avec lui pour tout bien 1'eftime Sc les regrets de PEfpagne, fe retira dans la maifon des jéfuites de Strasbourg, oii il vécut Sc mourut tranquille, après avoir plus édifié fa fociété qu'il ne 1'avoit fervi. L'exil de Macannas avoit précédé la retraite de Robinet, Sc le roi, en ltxilant, lui donna une penfion confidérable. L'impulfion a laquelle ce prince obéiflbit , n'altéroit point fon jugement : vrai caraftère de la foiblefie. II ne fuffifoit pas d'avoir privé le roi de fon confeffeur, il falloit le remplacer. II ne pouvoit pas plus s'en paffer que de femme, quoiqu'une femme  de Louis XIV. 65 femme lui fut encore plus. néceffaire qu'un confeffeur. L'une étoit pour fes befoins, Pautre pour fes fcrupules. La reine ne crut pas mieux faire crue de rappeller d'Aubenton, que madame des Urfins avoit chaffé. C'étoit d'abord un mérite auprès de la reine, & d'ailleurs ce jéfuite ayant déja éprouvé que fa place n'étoit pas inattaquable , en feroit plus fouple. Elle en jugea bien pour elle, & PEfpagne s'en trouva plus mal. D'Aubenton étoit un de ces hommes que la fociété n'abandonne pas dans la difgrace, qui font quelquefois dans le cas d'être noyés, mais qui furnagent enfin. Elle ne s'y trompe guère. L'interrègne de d'Aubenton n'avoit pas été oifif. En fortant d'Efpagne, il avoit paffe a Rome , oü il fut fait affiflant du général, & employa fon loifir a fabriquer la fameufe bulle Unigenitus, dont il fera grandement queftion. Quoique ces mémoires regardent particuliérement la France, fes relations avec les différentes puiffances m'obligent de parler des autres cours, pour 1'intelligence de ce qui fe paffoit a la notre. Depuis que la paix étoit fignée, les peuples commengoient a refpirer, plus foutenus par 1'efpérance de 1'avenir que par leur fituation préfente; mais le roi auffi humilié par les conditions de la paix que par les malheurs de la guerre , avoit .«ncore Pame flétrie de fes difgraces domeftiques. Le duc de Berri mourut au milieu des réjouiffances de la paix. (4 mai 1714.) De toute la familie royale, il ne reftoit qu'un foible rejetton , qu'on n'efpéroit pas 'de conferver ; les princes du fang éloignés de Ia tige directe, étoient Tomé I. g  66 R È G N É en petit nombre. Le roi fe laiffa perfuader qu'il y pouvoit iuppléer par des princes adoptifs. II avoit deux fils. naturels, le duc du Maine & le comte de Touloufe. Le premier avoit époufé une princeffe du fang , de la branche de BourbonCondé, dont il avoit deux fils. Par un édit enregiflxé au parlement le % aoüt 1714 , le roi appella a la couronne les princes légitimés & leurs defcendans au défaut des princes du fang; & par une déclaration du 23 mai de Pannée fuivante 1715', le roi, en confirmant fon édit, rendit 1'état des princes légitimés égal en tout a celui des princes du fang. Quelque opiniort qu'il eut de fa puiffance , il fentit fi bien a quel degré il élevoit des enfans naturels, qu'il leur dit : Je viens de faire pour vous ce que j'ai pu, ceji a vous a. l'affermir par votre mérite. - Ce ne fut que par degrés que ces princes parvinrent. a une telle élévation. Louis XIV penfoit bien différemment , lorfqu'aux premières propo'fitions de marier le duc du Maine , il répondit e L.o u is XIV. 71 de 1'employer k plus d'une oeuvre. Elle avoit grand foin de ne laiffer approcher du roi que ceux qui, par une intrépide adulation, 1'affermiffoient dans 1'opinion oü il étoit, de concentrer en lui feul 1'état conftitutif de la monarchie. Cependant comme le roi laiffoit entrevoir des doutes fur le fuccès de fa volonté dans 1'avenir, on réfolut d'en tirer parti, en lui faifant donner a fes rils une telle puiffance, qu'ils puffent fe foutenir par eux-mêmes. Ils étoient déja en poffeffion des plus grands gouverr smens, du commandement des Suiffes, des carabiniers, de 1'artillerie & de 1'amirauté. II ne falloit plus que prévenir les dangers de la régence d'un prince qui, fortifié de. fon nom feul, pourroit s'emparer de la puiffance abfolue, & faire perdre aux enfans naturels tout ce qu'ils avoient obtenu de 1'a momde leur père. Madame de Maintenon craignoit d'ailleurs de tomber dans la dépendance d'un prince qui n'étoit pas content d'elle. On ranima les bruits que la mort des princes avoit fait naitre contre le duc d'Orléans. On perfuada au roi qu'il feroit également dangereux &Z injufte de laiffer 1'unique rejetton de la familie royale k la merci d'un prince , qui, depuis les renonciations , ne verrok entre le tröne & lui qu'un enfant dont il tiendroit la vie entre fes mains. On ajouta qu'il étoit de fa religion de prendre par un teftament toutes les précautions poffibles contre un ambitieux fans fcrupule &c fans remords, dont il falloit prévenir ou enchaiper le pouvoir. Le mot de teftament étoit cruel k 1'oreille d'un r,oi toujours traité en immortel; mais 1'idée de ' E iv  7^ R È G N E régner encore après fa mort en adöuciffoit 1'image. L'afïiduité que le travail de Voifm lui donnoit auprès du roi, le mettoit a portee de faifir les momens favorables, & d'en avertir les intéreffés. Ce fut lui qui écrivit de fa main le teftament que le roi figna le 2 aoüt, le jour même que 1'édit qui rendoit les légitimés habiles a fuccéder a la couronne fut enregiftré au parlement. On ignora abfolument pendant plus de trois ans ce qui s'étoit pafte k ce fujet; mais les domeftiques intimes & mefdames de Caylus, d'O, de Dangeau & de Lévi, qui formoient la fociété haEituelle du roi & de madame de Maintenon , remarquoient depuis quelque tems dans ce prince une inquiétude, une inégalité d'humeur, un air fombre qui déceloient une agitation intérieure , dont madame de Maintenon feignoit d'ignorer la caufe. Le roi forti t enfin de cette fituation , & s'adreffant au duc du Maine en préfence du fervice domeftique : Quelque chofe que je faffe, & que vous foye^ de mon vïvant, vous pouve^ nétre rien après ma mort; c'ejl d vous de faire valoir ce que j'ai fait. Deux jours après, la reine d'Angleterre fe trouvant avec le roi, vöulut le louer fur fon attention k pourvoir par un teftament au gouvernement du royaume. Je i'ai fait, lui dit-il; du refle, il en fera peut-être de ce teflament comme de celui de mon père ; tant que nous fommes, nous pouvons ce que nous vouïons, CV après notre mort, moins que les particuliers. Le jour fuivant, le premier préfident & le procureur-général ayant été mandés au lever du roi, le fuivirent feuls dans fon cabinet, oü ce prince  de Louis XIV. 7j leur mettant en main un paquet cacheté, leur dit : Meffieurs, voila mon teftament. Qui que ce foit (i) que moi nefait ce qu'il contient. Je vous le remets pour le dépofer au parlement, d qui je ne puis donner une plus grande preuve de mon efiime & de ma confiance. L'exemple du teftament du roi mon père ne me laiffe pas ignorer ce que celui - ci powra devenir. Ces deux magiftrats furent auffi frappes du ton que des paroles qu'ils venoient d'entendre. • L'édit du roi portant que fon teftament feroit depofe au greffe du parlement, pour netre ouvert qu'après fa mort, fut enregiftré le 30 aoüt. Par ce teftament, Louis XIV établiiToit un conieil de regence dont le duc d'Orléans devoit être Ie chef, & la perfonne du jeune roi étoit mife lous la tutelle & garde du confeil de régence Le teftament fut mis dans un trou creufé dans lepaifleur du mur d'une tour du palais, fous une grille de fer & une porte fermée de trois ierrures. Le difcours adrefte aux deux magiftrats, le propos tenu k la reine d'Angleterre, He dont elle fit part au duc & k la ducheffe de Lauzun, 1'apoftrophe faite au duc du Maine en préfence de temoms, ne laiflbient pas douter au duc d'Orleans que le teftament ne fut contre fes intéréts II fe tint dans le filence, & fentit dès-lors qu'on . il} Le c,!lan,ce!ier Voifin Ie favoit, puifqu'il avoit écrit le I^uchV. Madame de Mai««"on ne'dePvoi? pas HgnoreT & le duc du Maine en étoit vraifemblablement inftruit par elle £?més.' qU3nt 3UX difP°flti°ns> teftae.ent & le iSl  74 R È G N E pourroit attaquer un teftament que le teftateur même jugeoit attaquable. Ayant affez fait connoïtre combien les bruits femés contre le duc d'Orléans étoient calomnieux, j'oferai foutenir que le teftament n'en étoit ni moins fage, ni moins régulier. Quelque mal fondée que fut 1'opinion qu'on avoit du carattère du duc d'Orléans, elle étoit prefque générale. II n'étoit donc pas prudent de le rendre maitre abfolu de 1'état & de la perfonne du jeune roi, d'en confier la garde a celui qui avoit le moins d'intérêt a la confervation de eet enfant. La proximité du fang ne donne pas d'ailleurs un droit décidé a la régence. Charles V, dit le Sage, par un teftament de 1374 avoit préféré a fes trois ftères pour le gouvernement du royaume , fon. beau-frère le duc de Bourbon. Après la mort de Charles V, les arbitres que les quatre oncles de Charles VI choifirent pour régler leurs prétentions, déférèrent k la vérité la régence au duc d'Anjou, 1'ainé; mais ils remirent 1'éducation & ïa fur-intendance de la maifon du jeune roi aux ducs de Bourgogne & de Bourbon, les plus éloignés de la couronne. Louis XI confia le gouvernement, de la perfonne de Charles VIII, fon fils, & la principale adminiftration du royaume a la dame de Beaujeu , foeur aïnée de Charles, préférablement au duc d'Orléans qui fut depuis Lous XII. Les étatsgénéraux confirmèrent cette difpofition; & comme Charles VIII étant dans. fa quatorzième année, il ne pouvoit y avoir de régent, les états nommèrent au roi un confeil de dix perfonnes. Je ne m'étendrai pas davantage fur les exemples;  de L o u i s X I V. 75 mais j'en concturai que le teftament de Louis XIV pouvoit très-bien fe foutenir, fi le duc du Maine eut eu 1'ame d'un comte de Dunois, & que le parlement n'eüt pas été flatté de faire un régent, comme il avoit déja fait les deux dernières régences , les trois feules dont il ait décidé, ce qui ne contribua pas peu a 1'initier dans Padminiftration de 1'état vers laquelle il marche le mieux qu'il peut. Pendant que le roi s'occupoit d'affurer la tranquillité du royaume, il eut la douleur d'apprendre la mort de la reine Anne pour qui il avoit de Pamitié, de la reconnoiffance, & a qui il en devoit. Cette perte lui auroit encore été plus fenfible, fi elle fut arrivée avant la conclufion de la paix qui peut-être ne fe feroit. pas faite. L'électeur d'Hanovre, Georges premier, monta fur le tröne d'Angleterre, & le gouvernement changea abfolument. Le nouveau miniftère pourfuivit a outrance tout le confeil de la feue reine. Le duc d'Ormond qui avoit fuccédé a Marleboroug dans le commandement des troupes fe réfugia en France. Le grand tréforier Harley, comte d'Oxfort, fut cité au parlement, & prés de perdre la tête. Bolinbrock qui avoit eu plus de part que perfonne a la paix, ne fauva fa vie qu'en paffant.en France, pu je 1'ai fort connu. Dans plufieurs féjours que j'ai fait a fa campagne , j'ai appris de lui fur le gouvernement Anglois, des détails affez intéreflans que j'aurai peut-être occafion de rapporter. Le lord Stairs vint en qualité d'ambaffadeur relever en France le lord Schewsburi. Stairs étoit  76 R È G N E un Ecoffois de beaucoup d'efprit, inftruit, aimable dans la fociété particulière, & très-avantageux en traitant avec nos miniftres, audacieux jufques dans fon maintien, par caractère & par principe, il paroiffoit s'en être fait un fyftême de conduite. II effaya même d'être infolent avec le roi. Dans une audience particulière qu'il eut de ce prince, il lui paria avec peu de retenue fur les travaux qui fe faifoient k Mardick , & qui pouvoient, difoit-on, fuppléer au port de Dunkerque. Le roi 1'écouta tranquillement, & pour toute réponfe, lui dit : M. l'ambajfadeur,'j'ai toujours été maitre che[ moi, quelquefois che^ les autres ; ne men faites pas fouvenir. Ce fut ainfi qu'il le congédia. Stairs le raconta k plufieurs perfonnes, entr'autres au maréchal de Noailles, & ajouta : J'avoue que la vieille machine m'a impofé, Le roi refufa depuis de lui donner audience, & le renvoya pour les affaires au marquis de Torci dont Stairs recut une leeon affez vive. Croyant pouvoir abufer du caractère doux & poli du miniftre, il s'échappa un jour devant lui en propos fur le roi. Torci lui dit froidement : M. Pambaffadtur, tant que vos infolences n'oht regardé que moi , je les ai paflées pour le bien de la paix ; mais Ji jamais, en me parlant, vous vous écarté^ du rejpecl qui ejl du au roi, je vous ferai jetter par les fenêtres. Stairs fe tut, & de ce moment fut plus réfervé. Les dernières années de la vie du roi étoient auffi triftes que. les premières avoient été brillantes. La mort du duc, & fur-tout de la ducheffe de Bourgogne , faifoit un vuide affreux dans fa vie privée. Cette princeffe en étoit tout 1'agré-  de Louis XIV. 77 ment. Madame de Maintenon, auffi blafée pour lui qu'il 1'étoit pour elle, cherchoit inutilement a lui procurer quelque diffipation par des concerts, des prologues d'opéra pleins de fes louanges, par des fcènes de comédie, que des muficiens & les domeftiques de 1'intérieur jouoient dans fa chambre. L'ennui furnageoit, ce qui faifoit dire a madame de Maintenon : Qjiel fupplke d?avoir a. amufer un homme qui neft plus amufable! . Au défaut d'amufemens, le confeiTeur lui donna 1'occupation d'une guerre de religion par le projet de la conftitution Unigenitus , que fi peu de gens attaquent ou défendent de bonne foi. On a tant écrit fur cette matière, fi ennuyeufe de fa nature , que je n'en parlerai que pour développer quelques-uns des refforts peu connus, qui auront un rapport direct a 1'état, ou qui contribueront a faire connoitre 1'efprit de la cour. La confiitution, digne tout au plus d'exercer des écoles oifives, eft devenue une affaire d'état, qui 1'agite depuis un demi - fiècle , & qui, ayant commencé par 1'intrigue, continué par le fanatifme, auroit dü depuis long-tems avoir fini par le mépris. De tout tems la théologie s'eft alliée avec la philofophie régnante. Les premiers chrétiens inftruits étoient platoniciens. Le péripatétifme a été long-tems en Sorbonne auffi refpefté que la théologie. Si depuis la révolution que Defcaries a commencée, les théologiens fe font éloignés des philofophes , c'eft que ceux-ci ont paru ne pas refpecter infiniment les théologiens. -Une philofophie qui prenoit pour bafe le doute & 1'examen devoit les effaroucher. La queftion qui divife au-  ,^8 R É G N E jourd'hui 1'églife ou fes miniftres, remonte k la plus haute antiquité. Le libre arbitre, la diflinction du libre & du volontaire, ont occupé les philofophes avant la naiffance du chriffianifme; & la controverfe entre les janfénifies & les mo* liniftes n'étoit autre chofe dans fon origine que la queftion philofophique fur la liberté théologiquement traitée. Les difcufiions fur la grace étant devenues le fond du procés, le jargon & les fubtilités fcolaftiques ont tellement brouillé les idéés, que les uns ni les autres ne fe font entendus, ou ne 1'ont jamais été par les gens raifonnables» II femble qu'après tant de difputes & de difficultés infolubles, on auroit dü faire pour la philofophie , comme pour la théologie , un myftère de la liberté & de la grace. Quoi qu'il en foit, PafFaire du janfénifme & du molinifme exiftoit avant le régne de Louis XIV. Les plus célèbres partifans du janfénifme vivoient a 1'abbaye de Port-Royal-des-Champs , ce ber* ceau de la première philofophie & de la bonne littérature. Les jéfuites, puiiTans k la cour, avoient des principes oppofés a Port-Royal, plus humainement raifonnables, mais peut-être aufli moins conformes a la lettre de 1'évangile. Les premiers, favans logiciens, éloquens , amers ou plaifans, fuivant le befoin, avoient une févérité de mcenrs, affez ordinaire dans un parti perfécuté , & qui fait, finon des imitateurs, du möins des admirateurs , des difciples & des partifans. Les jéfuites fouples, adroits, infinuans, indtilgens en morale, aufli réguliers dans leur vie que leurs antagoniftes, pouvoient le paroitre moins, paree qu'ils étoient plus répandus dans le monde  de Louis XIV. y% & a la cour dont ils dirigeoient les confciences. t \e ne rappellerai point ici Baïns, Molina, Janfénius, & tant d autres athlètes de la théologie. Je laiiTe a 1'écart des difputes qui ont enfanté tant de volumes, lus par un très-petit nombre de contemporains, & que la poftérité laiffera dans 1'oubli oü font enfévelis les réaliftes, les nominaux, & tous ces difputeurs qui fe croyoient faits pour 1'immortalité. II y a eu tant de variation dans les opinions avant & depuis la conftitution Umgenitus, que des noms de fectes font devenus des noms de parti. Les fayans de Port-Royal feroient indignés, s'ils revenoient, de voir comprendre fous le même nom qu'eux, la canaille des convulfionnaires. Pour 1'intelligence des faits, il fuffit de prévenir que le public appelle communément aujourd'hui Molinifres, les jéfuites ou leurs partifans, & Janfénifies, leurs adverffaires, de quelqu'état que foient les uns & les autres. Les jéfuites ont été les premiers qui aient changé les notions primitives, pour perdre leurs adverfaires. Ils les firent envifager a la cour, non-feulement comme des hérétiques, mais comme des républicains, ennemis de 1'autorité royale. Ce fut fous ce doublé afpeft qu'on les fit regarder k Louis XIV dés fon enfance. Les Proteftans ayant un culte extérieur qui les faifoit reconnoitre, il les jugeoit bien moins dangereux que les Janfémftes, qu'il croyoit des ennemis cachés. Sa dévotion ayant augmenté a mefure que fes paffions diminuoient, & la jaloufie fur fon autorité n'ayant fait que fe fortifier avec 1'age , il crut devoir être de plus en plus en garde contre une fecte  S© R È G N É & un parti. Sa prévention fur eet article , étoit une efpèce de manie, & donna quelquefois des fcènes rifibles. Par exemple , le duc d'Orléans , allant (1706) commander l'armée d'Italie, voulut amener avec lui Angrand-de-Fontpertuis , homme de plaifir, & qui n'étoit pas dans le fervice. Le roi 1'ayant fu , demanda k fon neveu pourquoi il prenoit un janfénifte. Lui janfénifte, dit le prince ! N'eft-ce pas , reprit le roi, le fils de cette folie qui couroit après Arnaud ? J'ignore , répondit le prince , ce qu'étoit la mère ; mais pour le fils , loin d'être janfénifte, je ne fais s'il croit en Dieii. On m'avoit donc trompé , dit ingénument le roi , qui laiffa partir Fontpertuis, puifqu'il n'étoit d'aucun danger pour la foi. Les jéfuites profitoient de ces préventions , pour perdre leurs adverfaires ; & le confeflionnal du roi, dont ils étoient en poffeilions, leur étoit d'un merveilleux fecours pour leurs deffeins. La place de confeffeur eft chez tous les princes catholiques une efpèce de miniftère plus ou moins puiffant, fuivant 1'age, les paffions, le caractère & les lumières du pénitent. Le père de la Chaife occupa long-tems ce pofte , &c procura beaucoup de confidération k fa fociété. Souple, poli, adrcit, il avoit 1'efprit orné , des mceurs douces, un caractère égal. Sachant k propos allarmer ou calmer la confeience de fon pénitent, il ne perdoit point de vue fes intéréts , ni ceux de fa compagnie, qu'il fervoit fourdement* , laiffant au roi 1'éclat de la protection. Perfécuteur voilé de tout parti oppofé, il en parloit avec mo- dération,  d ë Loi'is xiv. Si üeïation, en lóuoit même qüelques particuliers. II montroit fur fa table le livre des réflexiorts morales du père Quefnel de POratoire, & difoit a ceux qui paroiffoieht étonnés dê fon eftime pour un auteur d'un parti oppófé a la fociété ; je n'ai plus le tems d'etudier ; j'ouvre ce livre, Sc j'f trouve toujours de quoi m'édilier & m'initruire. A fa mórt, en 1709, le roi en fit publiquement Péloge, rappella les occafions oü le père la Chaife avoit pris contre lui la défenfe de plufieurs gens accufës ou fufpects, Sc ajotita i Je lui difois quelquefois, vous êtes trop doux- Ce ti'ijl pas rtwi qui fuis trop doux, me répondoit-il, c'ejl vous, j7re, qui êtes trop dur. Ils fe connoifioient bien PurI 1'autre. Peu de jours avant fa mort, il dit au roi ï Sire, je vous demande en grace de choifir mon fuccefieur dans notre compagnie, Elle eft trés-attachée a votre majefté; mais elle eft fort étendue, fort nombreufe» Sc compofée de caractères frès* différens, tous parfionnés pöur la gloüe du corps. On n'en poufroit pas réportdre dans une difgrace» Sc un mauvais cöup eft bientöt fait, Le roi fut fi frappé de ce propos, Öu'it Ie redit a Maréchal fon premier chirürgien , qui, dans le premier mouvement de fon effroi, le rapporta a.Blöiün, premier valet-de-chambre, Sc a Böulduc ? premier apothicaire, fes amis particuliers, de qui j'ai ap* pris dans ma jeunéffe plufieurs anecdotes. Ce que le père la Chaife penfoit de fa Cörn* pagnie, doit fe fuppofer de tout atttfe ordrê re» hgieux attaché a la cöur par le COnfefllonhal. Il feroit k fouhaiter que ce miniftère ne fut j&mais confié qu'a urt féculier. Le roi de Safdaigne r Tome I, jf  31 R È G N E Victor-Amédée, dit a un de nos miniffres, vivant encore, & de qui je le tiens, que fon con^' feffeur jéfuite étant au lit de la mort, le firpr ier de le venir voir, Sc que le mourant lui tint ce difcours : Sire, j'ai été comblé de vós bontés ; je veux vous en marquer ma reconnoiffance. Ne prenez jamais de confeffeur jéfuite ; ne me faites pas de queftions ; je n'y répondrois pas. Le fujet le plus capable de faire regretter le père la Chaife», fut celui qui lui fuccéda, le père Tellier. Né en baiTe Normandie, il étoit le fils d'un procureur de Vire. Animé d'un orgueil de mauvais ange, avec un corps robufte, un efprit ferme & capable d'un travail opiniatre, fans la moindre vertu fociale, il avoit tous les vices d'une ame forte. Poffédé du.defir de dcminer, d'affervir tout k fa compagnie, &fa compagnie a lui-même, appliqué fans relache a fon objet, il étoit craint de ceux qu'il obligeoit, dont il faifoit des efclaves, Sc abhorré de tous les autres, même de fa compagnie qu'il rendit puiffante Sc odieufe. Si jamais les jéfuites font detruits en France, Tellier aura été le principal auteur de leur ruine. Tel étoit le directeur de la confcience de Louis XIV. Le premier inftant oü il parut a la cour, annonca ce qu'il alloit être. II étoit fort au-deffus de la foibleffe de rougir de fa naiffance. Le roi lui ayant demandé fur la reffemblance de nom, s'il étoit parent de Tellier de Louvois. Moi, Jire 1 répondit le confeffeur, en fe proflernant: je ne fuis que le fils d'un payfan , qui n'ai ni parens, ni amis. Cet aveu ne lui. fit tort ni honneur. dans Tefprit d'un roi accoutumé k regarder prefque du même ceil le peuple &c ce qu'il ap-  de Louis XIV. s3 pelloit de la bourgeoifie , & qui vouloit qu'on tut tout a lui. Fagon, premier médecin, en jugea mieux. Attentif au difcours , au maint'en % aux courbettes du jéfuite : Quet facrt, dit-il, en ie retournant vers Blouin ! , TelIiei" commenga par afHcher une vie reti-ree 6c prefque farouche. II fentit que poHr règner par-tout, il lui fuffiroit de fubjuguer fon pénitent, & n'y réuffit que trop. II favoit que madame de Maintenon ménageoit plus les jéfuite* qu elle ne les aimoit. Lors de PétabliiTement de iamt-Cyr , elle leur préféra les Lazariftes pointe direftion de cette communauté, & fur ce qu'on lui en demanda la raifon : c'eft, dit-elle , que je yeux etre maitreffe chez moi. Tellier ne pon* voit donc pas s'empêcher de voir dans les égards pour les jéfuites, moins de confïance en eux que de refpeft humain pour le roi. II en reflentoit un depit vif, s'en vengeoit dans 1'occafion, 8c accoutumoit le roi k partager fes fentimens, en le taiiant fervir d'inftrument k fa vengeance. On avoit fait beaucoup de bruit dans 1'égllfe, au fujet des cérémonies chinoifes; on accufoit les jéfuites de faire dans ce pays^la un monftrueux alliage de chriftianifme Sc d-idolatrie. L'affaire avoit trés-mal tourné pour eux, k Rome même, öc avec fletnffurre pour le P, Tellier, dont on avoit mis a 1'index' un aftez mauvais livre, qu'il s'étoit avifé de faire fur cette matière, L'orgueil» leux jéfuite voulut, par une oftentatiön de crédit en France, impofer au pape, Sc 1'obliger de compter déformais avec la fociété; mais il eut en même-tems 1'adreffe de choifir urt moyen qui put également élever les jéfuites 6c plaire k la F ij  #4 R £ G N £ cour de Rome: ce fut la deftruction de Port-Royal. Tellier prit la voie la plus fure/en repréfentant au roi cette maifon comme le foyer du janfénifme Sc de 1'efprit républicain. La première religion pour Louis XIV, étoit de croire k 1'autorité royale. D'aüleurs, ignorant dans les matières de " doctrine , fiïperftitieux dans fa dévotion, il pourfuivoit .une héréfie réelle ou imaginaire comme une défobéiffance, & croyoit expier fes faütes par ïa perfécution. Cependant, il balancoit encore.' Le" grand nombre d'hommes célèbres fortis de Port-Royal (i) combattoit dans fon efprit en faveur de cette maifon. II étoit dans cette perplexité, lorfque Maréchal, dont j'ai déja parlé, eut occafion d'aller dans ce canton-la. Le roi, plus fur de la candeur d'un bon domeftique, que du rapport d'un miniftre, le chargea d'obferver tout Sc de lui en rendre cömpte. Maréchal le lui promit, & a fon retour, lui dit : Ma foi, fire! j'ai bien examiné ; je n'ai vu la que des faints Sc des"faintes. Le roi foupira, & fe tut. Tellier revint a la charge, Sc perfuada a- fon pénitent qu'il n'y avoit rien de fi dangereux que ces vertus exférieures qui couvrent le póifon de 1'héréfie. Le lieutenant de police; d'Ar- (1) Tels que les trois Arnaud , Antoine , Henri & Robert, Nieole , Pafcal, Le Roi, abbé de Haute-Fontaine, a qui les lettres provinciales font adreffées, Le Nain de Tillemont. Leïnaitre de Saci, & le célèbre avocat Lemaitre, Hamont, Heranam , Lancelot, auteur des meilleures grammaires & méthodes générales francoife, latitie, grecque, italienne, efpagnole , dites de Port - Royal, Barcos de Saint - Cyran , Bourfeis , Le Tourneüx , Sainte - Marthe & qiiantité d'autres; fans compter ceux qui leur devoient leur éducation , tels que le duc de Beauvilliers, le duc de Luynes pour qui fut faite la logique de'Port-Royal.  de Louis XIV, 85 genfon, qui fut depuis garde-des-fceaux, ami des jéfuites, &.dont on peut faire des portraits dif■ férens Sc tous vrais, fut chargé de cette exécution militaire. Port-Royal fut- détruit avec la fureur quon eut employée contre une ville rebelle, & le fcandale qu'on déploie dans un mauvais lieu. Tellier voulant affermir de plus en plus fon empire fur 1'efprit du roi, par les démarches oü il 1'engageroit, entreprit de perdre le cardinal de Noailles, archevêque de Paris. Son premier crime étoit^ de ne rien devoir aux jéfuites & de s'être éleyé par fa naiffance & fa vertu; le fecond, de jouir dans le public d'une confidération qui lui donnoit auprès du roi beaucoup d'influence dans la diftribution des bénéfices, département qui procure tant de courtifans k celui qui en eft chargé (1). Tellier manceuvra tant k Rome par fes agens, qu'il y fit condamner les réflexions morales du P. Quefnel, fur le nouveau teftament, dont le (i) La feuille des bénéfices 'a toujours été adminiftrée fiiiyant le caraflere de celui qui 1'a eue. Lè p. la Chaife les donnoit volontters aux gens de condition; le mérite s'y trouvoit quand il pouvoit: mais en tout, les choix faifoient moins L? Pere Tellier donnoit au- fanatifme; le régent, aux: follicitations de toute efpèce-, le cardinal de Eleuryt a la politique, aux cönvenances bien ou mal jugées ; Boyer évêque de Mirepoix, au cagotifme ; le cardinal de la Rocnefoucault chercha communément la vertu & Ie mérite , dans Ie peu de tems qu'il a gouverné ce miniftère; 1'évêque d'Orléans daujourdhui eft celui qui a eu & qui aura toujours le moins d autorite dans fa place qu'il ne doit qu'a fon peu de confiftance. On y youloit quelqu'un qu'on püt déplacer fans choquer le public; & c'étoit, a eet égard, lemeilleur choix qu'on PU.VfairTe- Il.y en-a eu de Pllls baïs que lui, aucun de Ciméprile. Le regent fit fouvent des choix fcandaleux; les autres nominateurs ne les ont pas toujours évités; mais les plus permcieux a 1 eglife & a 1'état, ont été ceux de Boyer, pa.-ce que la fomfe & 1'ignorance ehoiuflent encore plus mal que le vtce eclaire. F iij  86 R È G N Ë cardinal avoit été 1'approbateur. Ce prélat retira aufli-töt fon approbation ; mais fans condamner 1'ouvrage , qui, depuis nombre d'années, faifoit Pédirkation de 1'églife, & avoit fait celle du pape même, Clément XI, que les jéfuites forgoient k Ie condamner. Tellier commenga par faire attaquer le cardinal par deux ou trois évêques de bas ordre, fans naiffance ni mérite, qui afpiroient a des fièges plus relevés que les leurs, 8c dont Pambition étoit wne infolence, Le fchifme entre le cardinal & Tellier fut bientot public, Le roi voulant rétablir la concorde, chargea le duc de Bourgogne de cette affaire, Le cardinal feroit allé au-devant de la paix; mais le jéfuite n'en vouloit point. Madame de Maintenon , dont la nièce avoit époufé le neveu du cardinal , s'intéreffoit fort k cette éminence, 8c pour éclairer les menées du confeffeur, engagea 1'évêque de Meaux, Biffi, a fe lier avec lui, comptant en faire fon efpion; mais Tellier en fit bientöt le lien auprès d'elle. Réfolu de perdre le cardinal , il prit la voie la plus courte 8C la plus fïire, qui fut de 1'accufer de janfénifme auprès du roi. Le livre de Quefnel avoit déja été condamné k Rome par un décret; Tellier entreprit de le faire condamner par une conflitution, Tous les évêques , valets de la föciété, regurent du confeffeur des ordres & des modèles de lettres Ou de mandemens. Malheureufement pour le jéfuite , une lettre priginale fur ce fujet tomba entre les mains du cardinal de Noailles 8c devint publique (i). (i) Cette matière feroit fi ennuyeufe pour U plupart 4es  de Louis XIV, 87 Le duc de Bourgogne qui, dans fon atrachement a la religion, favoit en féparer les miniftres, dit auiTi-töt qu'il falloit chaffer le P. Tellier. Le roi fut prés de le faire; mais fa répugnance a char^ ger un confident auffi intime qu'un confeffeur ; le retint; en peu de jours, tout fut oublié : Sz le duc de Bourgogne , par refpect pour le roi , prit le parti du filence. Tellier étant échappé de eet orage, -ri'en fut que plus furieux contre le cardinal, Sc chercha dans le livre de Quefnel les propofkions dont il pourroit faire le fujet de la conftitution. II eut foin d'en choifir qui fuffent contraires a. la doctrine molinhte; mais comme elles fe trouvoient conformes a celle de faint Paul, de faint Auguftin Sc de faint Thomas , un de fes ouvriers lui repréfenta'le danger d'attaquer ainfi de front les colonnes du chriftianifme. Saint Paul & faint Augufin, dit le fougueux jéfuite , étoient des têtes chaudes qu'on mettroit aujourd'hui a la Baftille , d l'egard de faint Thomas , vous pouve^ penfer quel cas je fais d'un jacob'm, quand je m'embarrajfe pat d'un apótre. Pour rendre 1'oeuvre agréable au pape, on eut foin de favorifer dans ce projet de bulle les maximes ultramontaines. Le tout fut envoyé au père d'Aubenton, affiftant du général des jéfuites , pour y mettre la dernière maih avec le cardinal Fabroni, penfionnaire de la fociété; Sc Tellier engagea le roi a demander lui-même au pape cette leöeurs , que je renvoie ceux qui voudrcient én être plu? particuliérement inftruits, aux mémoires fur la conftitution , au joumal de 1'aqbc Dorfannc, cic. F IV  S| R È G N £ conftitution defirée, difoit le confeffeur, par tous les évêques de France. La bulle étant dreffée, Fabroni & d'Aubenton allèrent la communiquer au pape. Quelque rapide qu'en fut la lecture, le faint père crut entendre un manifefte contre 1'écriture & les pères. II en fut effrayé ; mais Fabroni qui avoit tou'ours été le do&eur confultant du pape, avoit confervé fur lui 1'afcendant d'un précepteur fur fon difciple. II le prit donc avec fa hauteur ordinaire , tandis que d'Aubenton , d'un ton modefte , faifoit obferver au pontife combien cette bulle étoit favorable aux maximes de la cour de Rome, &c qiiel honneur ce feroit de les voir canonifer en France par une conftitution demandée par un roi abfolu qui la feroit enregiftrer dans tous les tribunaux du royaume. Quelque flatté que fut le pape d'une fi bellq viftoire en France , il craignoit 1'oppofition des cardinaux fur le dogme. La congrégation nommée pour en juger, n'avoit pas encore été confultée, Le roi d'aüleurs avoit exigé que la bulle feroit examinée, quant \ ce qui concerne les libertés de 1'églife Gallicane, par le cardinal de la Trémoille, notre ambaffadeur è Rome, & on ne lui avoit rien communiqué en forme, Le pape fe rendit enfin , ftir la promeffe pofitive , que toutes ces conditions feroient remplies avant que la conftitution parut. Les confulteurs les plus timides s'abfentèrent s les plus inftruits 6c les plus fermes furent éloignés, On ne montra que le difpofitif & la fin au cardinal de la Trémoille. II pouvoit demander plus, fans y entendre davantage, les cardinaux;  de Louis XIV. 89 Carpegua & Caffini, que le pape confulta avant la fignature, n'oublièrent rien pour rempêcher. Fabroni & d'Aubenton 1'emportèrent, & le bon pape céda avec des remords fur le fond & des craintes fur les fuites. La révolte des efprits k Rome fut générale ; les cardinaux crièrent hautement que la doctrine de 1'églife étoit renverfée. Le faint père en verfa des larmes; mais k chofe faite dans cette cour, il n'y a point de remède. Albani, neveu du faint père, & fes créatures firent fentir aux cardinaux oppofans, combien il feroit dangereux de fe féparer de leur père commun, de donner atteinte k fon infaillibilité, & au contraire 1'avantage de faire adopter en France les maximes de Rome. Ce qui acheva de les décider fut la confidence qu'Albani leur fit d'une lettre que Tellier avoit fuggérée k Louis XIV, & par laquelle ce prince promettoit au pape de faire rétracter par le clergé les quatre célèbres propofitions de 1'alfemblée de 1682. En peu de jours, les ignorans crurent k la bulle, les politiques la foutinrent. Cette bulle, préfentée au roi le 3 oöobre, recut d'abord en France le même accueil qu'a Rome; Bifli même en parut indigné; Tellier lui ferma la bouche , ce prélat avoit la promefle du chapeau de cardinal, mais la nomination n'étoit pas faite; il craignit de le perdre, & cette crainte en fit le plus vif apötre de la bulle. Le parlement ne fut pas fi docile. II n'y a rien de ft embarraflant pour la cour que ces hommes qui ont leur honneur k conferver, peu de chofe a perdre & rien k prétendre, quand ils fe renferment dans leur devoir.  90 R E G K É La 9iième propofition condamnée eft fi vraiej que la propofition contraire eft une héréfie politique dans tous les gouvernemens. La crainte d'une excommunication injufle, difoit Quefnel, ne nous doit jamais empécher de faire notre devoin Si ce principe condamné par la bulle eft faux, il n'y a aucun fouverain qui foit en füreté contre un fujet fuperftitieux. Tellier, prefle fur eet article, cherchoit a diftinguer 1'excommunication injufte de la faufle ; mais ces fubtilités fcholaftiques ne font pas faites pour les bons efprits, & font inintelligibles ou dangereufes pour le peuple. Aufii-töt que la conftitution fut traduite & entre les mains de tout le monde, chaque fociété devint une école de théologie. Toutes les converfations furent infecties de la fureur de dogmatifer , & comme le caractère national ne perd pas fes droits, une differtation dogmatique étoit coupée par un vaudeville. A voir Poppofition des pariemens, la divifion du haut clergé, la réfiftance du fecond ordre, la révolte de prefque tous les corps féculiers & réguliers, il eut été impoflible de prévoir la fortune que cette bulle a faite. II eft pourtant k defirer aujourd'hui, pour le bien de la paix, que cette conftitution ayant triomphé du mépris, foit 1'objet d'un refpect univerfel. C'eft 1'unique moyen de la faire oublier. Tellier fentoit bien que la plupart des évêques qu'il avoit a fes ordres , donnoient moins de poids k fa cabale qu'ils n'en recevoient eux-mêmes. Bifli ne procuroit pas un grand éclat au parti, le Tellier entreprit de lë décorer d'un nom  de Louis XIV. 9Ï qui put balancer la confidération perfohnelle du cardinal de Noailles. II n'y avoit a eet égard perfonne k préférer au cardinal de Rohan, prélat d'une naiffance iiluftre , formé par les graces pour 1'efprit & la figure, magnifique dans fa dépenfe , avec des mceurs voluptueufes & galantes, dont une repréfentation de grand feigneur couvroit le fcandale. Cet éminent prélat fe repofoit de la doctrine fur des fayans dont il étoit le bienfaiteur, & des fonctions épifcopales fur un domeftique mïtré. Ces premiers princes de 1'églife ne regardent pas autrement les évêques in partibus, quoique fouvent très-eftimables, qui leur font attachés (i). ': Le Cardinal de Rohan , comblé de biens & d'honneurs, paroiffoit n'avoir rien a prétendre, lorfque la mort du cardinal de Janfon fit vaquer la place de grand-aumónier (2). (1) Le cardinal d'Auvergne, qui n'avoit qu'une vanité d'éducat.on, car i etoit au-deffous de 1'orgueil, difoit un jour naivement (,e- t'ai entendu ) : tous mes domeftiques , excepté leveque de Mecenes, ont été malades cet hyver. cxcePte (2) Le cardinal de Janfon (Touffaint de Forbin) avoit été pauvre dans fa jeuneffe, comme le font prefque tous les ca! dets de nobleffe, qui recrutent le corps Ipifcopal. II n'avoit eu long-tems, pour fubfifter , que la chapelle du chateau dl L L'lWf' "t'3?' 80O1liv-><ï"e W ^oit donnéé le marquis de 1 Aigle. Janfon , dans fa plus haute fortune garda, par reconnoiffance, cette chapelle, dont il laiffoit lè Mem,Un,Vn deff£rvan,t- Etant g"nd-Sumönier, il difo t nob ement devant toute la cour, qu'il étoit toujours 1'aumömer du marquis de 1'Aigle. Sa fortune commen9a par la coaXtarene de 1'evêché de Digne. II faut que ce* fiège porte bonheur, merite ou non ; 1'evêque d'Orléans (Jarenfe) l'a occuné Janfon fut enfu.te evêque de Marfeille, puis de Beauvais. Et?nt ambaffadeur en Pologne, .1 contribua beaucoup a 1'élecïion de Jean Sobieski dont il eut la nomination au cardinalar II f, c fept ans chargé des affaires de France a Rome, grand-aumó«uer a fon retour, & mourut en mars j7i3 , la ffLt la r" pu-  *iX R È G N E Tellier profïta de la conjoncture pour engagef le cardinal. II alla le trouver , & lui propofa brufquement d'entrer dans la ligue, &c la grande aumönerie pour prix de 1'engagement. Le caractère du cardinal 1'éloignoit des intrigues qui pouvoient troubler fes plaifirs. D'ailleurs il étoit attaché d'inclination, de refpect & de reconnoiffarice au cardinal de Noailles qui Pavoit élevé comme fon fils, le chériffoit, &c qui ne pouvant en faire un faint, le laiffoit un homme aimable dans la fociété, &c un prélat tranquille dans Péglife. Rohan fut effrayé de la propofition; mais fa douceur naturelle Pempêcha de répondre avec la hauteur qui lui convenoit, ou avec 1'indignation que méritoit Pinfolent jéfuite. II chercha des excufes dans la reconnoiuance qu'il devoit au cardinal de Noailles , & que la princeffe fa mère lui avoit recommandée en mourant. Tellier traita fes fentimens d'enfances. Le cardinal preffé de plus en plus , offrit la neutralité; le jéfuite la rejetta, déclarant qu'il falloit opter, prendre parti pour ou contre la fociété. Le cardinal demanda du tems pour y réfléchir. Je vous donne trois jours, reprit Tellier en le quittant, pour y penfer; mais penfez auffi que la grande aumönerie ne peut pas être long-tems vacante. Le cardinal interdit de 1'audace du jéfuite, en tation d'un grand négociateur & d'un politique honnête-homme. Le roi dit plufieurs fois qu'il auroit fait Janfon miniftre, s'il ne favoit pas qu'il ne falloit jamais de cardinaux, ni même d'eccléfiaftiques dans le miniftère. C'étoit du cardinal Mazarin même qu'il tenoit cette le<;on. Le cardinal de Fleury a, diton, donné la même a fon élève.  de Louis XIV. 93 alfa re.idre compte au maréchal de Tkiart, dont le fils avoit époufé la nièce du cardinal. Le maréchal qui prétendoit fe fervir des Rohans pour entrer au confeil, ne vit dans I'impudence du jéfuite, que la preuve d'un énorme crédit, & dit au cardinal qu'il devoit être flatté du poids qu'on donnoit k fon nom; qu'il laifferoit k des prélats fulbalternes les difputes, & les platitudes fcholaftiques; qu'il ne feroit qu'un grand feigneur de reprefentation; qu'il devoit k fon honneur, & par conféquent a fa confcience, de ne pas laiffer échapper la place de grand - aumönier; que s'il cédoit * ?/.ains fcrupules, il fe verroit éclipfer par Biffi fait pour le fuivre par-tout. Le maréchal qui ne croyoit pas aux confciences de cour nï k la reconnoiffance , traita de fauffe délicat'effe celle dont le cardinal fe piquoit dans une occahon umque. II le féduifit par des louanges 1'effraya de la puiffance des jéfuites , & le livra enfin au père Tellier. Ce fut ainfi que le cardinal de Rohan devint malgré lui le chef d'une cabale. Une cómpaflion affez voifine du mépris le fauva de la haine publique. II ne prêta guère que fon nom, fon palais & fa tabie aux prélats du parti, & fa voix au père Tellier dont il recevoit bénignement les ordres, & 1'avouoit quelquefois avec humilité. Comme je n'écris pas une hiftoire eccléfiaftique, mais celle des hommes de mon tems, je ne rapporterai que des faits purement humains Le roi voulant faire recevoir une bulle que fon confeffeur lui faifoit croire qu'il avoit demandée il qrdonna une affemblée des évêques qui fe trou' voient a Paris. II y «n avoit quarante-huit, non  94 R £ G N t compris le cardinal de Noailles, & ils s'jffemblè" rent pendant quatre mois, fans pouvoir parvenir k 1'unanimité- de fentimens. Enfin , quarante, a la tête defquels étoit Rohan, & derrière eux Tellier, acceptèrent la bulle, & huit unis a Noailles , demandèrent des explications, Les acceptans ne s'accordoient pas trop entre eux, du moins quant aux propos qu'ils tenoient dans les cercles, oü la politique, la théologie, la philofophie , la morale, &c. fe traitent plits gaiement que dans les lieux qui y font coniacrés. Biffi, & ■quelques autres, crioient que la conftitution éto\t admirable. L'évêque de Soiffons , Brulart de Silleri, un des acceptans., avouoit, en foupirant, que toute 1'afFaire, du commencement a la fin , n'avoit été qu'un myftère d'iniquité contre le cardinal de Noailles; que tel parti qu'il eut choifi, a moins qu'il n'eüt été déshonorant pour lui, on eüt pris 1'oppofé. L'évêque du Mans, du Crevy , difoit : Je n'ai jamais Lu le livre de Quefnel; mais j'en^ai entendu 4 'ire beaucoup de bien ; 6" fi par notre acceptation de la bulle, nous avons mis la foi d couvert, nous n'y avons pas mis la bojine foi. Crillon, évêque de Vence , & depuis archevêque de Narbonne, demandoit k de Lahgle, évêque de Boulogne, un des oppofans, s'il prétendoit corriger le pape : Croyei-vous, répondit de Langle, que le pape foit incorrigible ? ' Le cardinal de Noailles, ayant donné un mandement pour fufpendre 1'acceptation de la bulle, les acceptans en devinrent furieux. Rien ne peint mieux Topinion qu'on avoit des acceptans, même  de Louis XIV. 95 a la cour, qu'une plaifanterie de la ducheffe de Bourbon , fille naturelle du roi. Ce prince fe plaignant devant elle chez madame de Maintenon, du chagrin que lui caufoit la divifion des évêques : Si L'on pouvoit, difoit - il, ramener les n-iuf oppofans , on éviteroit Le fchifme ; mais ceLa ne feta pas facile. Eh bien, fire, dit en riant la ducheffe ! que ne dhes-vous aux quarante de revenir d Pavis des neuf! 'ils ne vous refuferont pas. On voit quelle idéé l'on avoit de la fouple confcience des quarante prélats. Cette orageufe conftitution ne put être enregiftrée au parlement qu'avec des modifications, & cela ne fatisfaifoit pas les jéfuites, qui vouloient 1'enregiftrement pur & fimple. Tellier eut un nouveau défagrément. L'évêque de Soiffons, Silleri, mourut. Dans fes derniers momens, 1'horreur des intrigues, dont il avoit été complice, frappa fon imagination ; il déclama contre la bulle , exhalant fes remords par des hurlemens qu'on entendoit de la rue. Le pape n'étoit pas plus content des modifications de la bulle, que d'une oppofition formelle; on lui propofa un concile national, qu'il goütoit encore moins. On lui envoya cependant Amelot, en qualité de miniftre plénipotentiaire, pour en tirer du moins quelques explications , ou demander la tenue d'un concile national. , C'eft avec dégout que je m'arrête fur une'mattere qm n'intéreffera perfonne un jour ; mais ayant été la feule affaire dont le roi ait été occupé & tourmenté dans les derniers tems de fa vie , je fais céder le dégout au devoir d'hif. tonen.  9& R È G N ï La feule diftracïion que Louis XIV ait êuê dans fes malheurs domeftiqiies, fut 1'audience publique qu'il donna a un ambaffadeur de Perfe, qui venoit , difoit - on, témoigner Padmiration du roi fon maitre, pour le plus grand monarque de la chrétienté. Jamais le roi n'avoit paru avec plus de magnificence que le jour qu'il regut cet hommage. II portoit dans fa parure toutes les pierreries de la couronne; fa vieilleffe, fon air d'abattement même, infpiroient une forte de pitié refpeótueufe., Sc ajoutoient a la majefté. Beaucoup de perfonnes prétendirent que cet ambaffadeur n'étoit qu'un aventurier, produit pour tirer le roi de fa méiancolie, en lui rappellant fa grandeur paffee. Ce qu'il y a de certain , c'eft que Dipi, interprete des langues orientales, étant mort fubitement, entre le jour de 1'entrée Sc celui de 1'audience , on trouva un curé de cara* pagne qui, ayant voyagé en Perfe , fit les fonctions de Dipi, 8c ce curé, d'après les converfations qu'il eut avec cet ambaffadeur, en porta le même jugement. " II fallut en revenlr au défagréable objet de la bullen Tellier vouloit abfolument qu'elle fut enregiftrée fans la moindre modification, Sc perfuada a fon pénitent de tenir k ce fujet un lit de juftice. Le roi, pour s'en difpenfer, manda le premier préfident de Mefmes, le procureur-général d'Agueffeau, les trois avocats-généraux, Joly de Fleury, Chauvelin Sc Lamoignon, aujourd'hui chancelier. Le premier préfident Sc les deux derniers avocats-généraux, étoient livrés aux jéfuites. D'Agueffeau le plus inftruit des magiftrats du royaume, plein de probité, de candeur, Sc de religion a  ï> é Louis XIV. ireligion, étoit jaloux des droits de 1'églife &C dü ïoi; mais la douceur de fon Caractère fit craindre a fa femrrie (Ormeffon) qu'il ne fe laiffat ihtirnider par la préfence du monarque. 'lllè% lui dit-elle en 1'embraffant, bublie\ devant le roi femme & enfans; perde{ tout, hors thonneur, Il n'écoüta que fon devOir, & paria au roi avec autaht dé lumière & de force que de refpedt. Fleury le fe» conda, & les autres n'ofèretlt les contredire. Lê roi , moins touché des raifons qiie bleffé de la réfiftance, fut prés de priver d'Agueffeau & Fleury de leurs chargesi \ Le confeffeur ayant VU 1'inutilité de cette conférence , dit au roi qu'il ne reftoit d'autre móyerï qu'un lit de juftice, pour réduire un parlement rebelle & urt prélat herètique • qu'il falloit faire enlever le cardinal de Noailles, le conduire a Pierre-Encife & de-Ia k Rome, oii il feroit dé* gradé en plein confiftoire; fufpendre d'Agueffeau de fes fónctions & en charger par commiffiorj Chauvehn , qui feroit le requifitoire, Le roi répugnoit a tant dé violente; mais le fougeux confeffeur effraya fon pénitent du grand intérêt de Dieu, & le projet fut au moment de s'exécuter, Tellier en douta fi peu \ qu'il éérivit a Chauvelin pour lui détailier le plan de I'opération; mais Chauvelin ayant été ce jöurda même attaqué de la petite - vérole dont il mourut, la lettre tomba en main - tieree, & il s'en fépandit des copies4 J'ai fous les yeux, dans le moment oü j'écris, ce qu'on prétend être loriginal de cette lettre. & j avoue que la figriature ne m'en paroit pas exaaemeht conforme k celle de trois lettres de Tome l„ q  93 R È G N È Tellier, auxquelles je viens de la eonfronter aü dépot des affaires étrangères. Je foupconne cette lettre une de ces fraudes pieuiés que les différens partis fe perrnettent, & dont 1'ufage remonte k la primitive églife, Quoi qu'il en foit, je n'en fuis pas moins eertain du projet de Tellier & de la manière dont il échoua, qui a été ignoré du jéfuite même» Mademoifelle Chaufferaie en eut tout le mérite. II efl k propos de la faire connoïtre. Elle étoit fille d'un gentilhomme poitevin , norrimé le Petit de Verno & d'une Briffac, veuve du marquis de la Porte-Vefins. Ayant perdu père & mère , elle feroit reftée dans Pindigence, ou du moins dans 1'obfcurité, fi le marquis de Velins, fon frère utérin, n'en eut pas eu pitiéi II lui procura de 1'éducation, & engagea par fon exemple les Biron , les Villeroi , les Briffac k s'intéreffer pour une orpheline qui leur appartenoit de fort prés , du cöté maternel, &c dont ils ne vouloient pas d'abord entendre parler. Elle leur fut enfin préfentée ; bientot elle leur plut par fa figure & fes manières, & ils Ia firent entrer chez Madame. belle-foeur du roi, en qualité de fille d'honneur. Grande, bien faite &c d'une figure agréable, elle avoit beaucoup d'efprit & encore plus de jugement, une phyfionomie de candeur & une naïveté dont elle eut 1'adreffe de conferver 1'extérieur & le ton , lorfqiie. 1'ufage de la cour lui en eut fait acquérir toute Ia fineffe, Le roi qui la vit fouvent chez Madame, prit pour elle le go ut qu'infpirent naturellement celles qu'on nomme vulgairement de bonnes créatures, efpèce ü rare dans les cours, & k qui ce titre, uae  de Louis XIV; rois cónfirmé , permet des familiarités que d'autres n'oferoient pas prendre. Elle eut des amis dans tous les tems, dans toutes les clafles > dans les partis les plus oppofés, & obligea les miniftres a des égards pour elle, fans les rendre fes ennemis; Ils lui firent une fortune confidérable $ qu'elle augmenta encore dans la régencei Elle fe retira a un certain age de chez Madame dont elle conferva les bontés, & continua d'aller de tems en tems faire fa cour au roi, qui lui dónhoif toutes les audiences particulières qu'elle vouloit. Elle a paffe toute fa vie dans 1'intrigue, 6c 1'habitude lui en avoit fait un befoin. Elle a rendu gratuitement mille fervices; ignorés de ceux qui les recevoient 6c qu'elle ne cOnnoiffoit pas > fouvent par le feul plaifir d'intriguer, ou pour traverfer des intrigantes £ gages; elle en fit renoncer au métier. Ce fut elle qui fauva le cardinal de Noailles. Quand elle alloit paffer quelques jours k Verfailles , elle logeoit chez la ducheffe de Ventadour fon amie > le rendez-vöus de la Cabaie jéfuitique. L'intimité qui régnoit entre la ducheffe 6c elle, 1'indifférence, 1'inattention que celle-ci avoit 6c affeftoit encore davantage pour les affaires de la conftitution * faifoient que, fans lui confier précifément cé qui fe maehittöit, ön rie fè cachoit pas d'elle; Mais pour cette foisj le car= dinal de Rohan fuppofant que töut ce qui fe troüyoit dans fa fociété ne riouvoit pas avoir d'awtrés intéréts que les fieris s eonfia le fecret k la Chaufferaie , afin s dit - il, qu'étant notre amié j elle jouiffe davanee du triomphe de la bönrte caufe. II lui déelara donc que 1'ordre d'enlever le car- G ij  R È G N Ë dinal de Noailles, devoit s'expédier le lendemairi, Elle applaudit a cette fainte violence avec un tranfport dont Rohan fut la dupe, 6c concut a 1'inftant le projet de fauver Noailles, pour. qui elle avoit un refpect que lui avoit infpiré 1'abbé Dandigné, fon parent èc fon ami. Elle fe procura le jour même un tête-a-tête avec le roi. Elle avoit avec lui cette liberté qu'on prend avec quelqu'un qu'on a bien perfuadé qu'on 1'aime. Sire , lui dit-elle , je ne vous trouve pas auffi bon vifage quhier; vous ave^ Vair trifie; je crois qu'on vous donne du chagrin. Tu as raifon, répondit le roi, j'ai quelque chofe qui me tracaffe ; on veut nüengager dans une demarche qui me répugne, & cela me fiche.... Je rcfpecle vos fecrets , jire, pourfuivitelle, mais je parierois que c'efl pour cette bulle ou je n'entends rien. Je ne fuis qu'une bonne chrétienne qui ne m'embarrajfe pas de leurs difputes. Si ce nejl que cela, vous êtes trop bon, laijfe^-les s'arranger comme ils voudront. Ils ne penfent qua. eux, & ne s'inquïhtent ni de votre repos , ni de votre fante. Voila ce qui m'intérejfe, moi, & ce qui doit intérejfer tout le royaume. Tu fais bien , mon enfant, reprit le roi en fecouant la tête ; j'ai envie de faire comme toi. Faites donc, fire, dit-elle; au diable toutes ces querelles de prêtres ! reprene^ votre fantê, & tout ira bien. Ce fut avec de pareils propos que la Chaufferaie dérangea toute la machine. Le lendemain, dès quatre heures du matin , elle monta en chaife de pofte, & fe fit précéder k 1'archevêché par un homme de confiance, un peu plus que fon ami, & de qui je tiens ce détail. Elle rendit compte de tout au cardinal, lui recommanda de ne point  de Louis XIV. ÏOt fortir de Paris, ou l'on craindroit de révolter le public par tin/acte de violence, repartit auffi-töt pour Verfailles, & rentra dans fa chambre, avant que perfonne eut encore paru. Vers midi, elle trouva chez la ducheffe la cabale fort conffernee , & fut qu'après la prière, le roi avoit dit au pere Tellier, qu'il ne falloit plus penfer au parti propofe; que le confeffeur ayant voulu infifter, le roi avoit coupé court fi féchement & avec tant d'humeur, qu'il n'y avoit pas lieu d'y revenir, fans s'expofer k fe perdre. La Chaufferaie en mltruifit le cardinal par un exprès, & tout fut hm a cet égard. Tellier n'en fut que plus ardent k preffer le lit de juftice; mais il n'y réuffit pas mieux. Tout alloit bientöt changer de face. Le^ roi dépériffoit k vue d'ceil; cependant le 9 aout, il courut encore le cerf dans fa calèche quil mena lui-même. Le dimanche u, il tint confeil, & fe promena enfuite dans les jardins de Tnanon ; mais il en revint fi abattu, que ce tut fa dernière fortie. Le mardi 13 , il fit effort pour tlonner 1'audience de congé a 1'ambaffadeur de Perfe. II ne ceffa de s'habiller que le 19; mais ïlcontinua jufqu'au 23 de tenir confeil, de travailler avec fes miniftres ^ & de manger en préfence des courtifans qui avoient les entrées. Les foirs, madame de Maintenon, les dames familières de Caylus, d'O, de Dangeau & de Levi, les légitimés, le chancelier & le maréchal de Villeroi , fe rendoient chez le roi oii il y avoit concert. Cela dura jufqu'au 25 , jour de faint Louis. * Le roi qui avoit fait venir la gendarmerie, G Ê  101 R £ G N E s'étoit flatté , jufqu'au %i , d'en faire la revue lui-même, & s'étoit fait préparer un lit; mais fe trouvant trop foible, il en chargea le duc du Maine. Le duc n'auroit pas laiffé d'être embar-. raffé de remplir une telle fonction aux yeux du public, par préférence aux duc d'Orléans , &c en fa préfence, Pour éviter le parallèle, il rit fuggérer au jeune dauphin par la ducheffe de Ven-? tadour, fa gouvernante, 1'envie de voir la revue, afin que le duc du Maine ne parut la faire que fous les ordres du dauphin. Le roi y confentit; &c il falloit que Parrangement eut été préparé de loin : car le petit uniforme de capitaine de gen-r , darmede fe trouva fait a point nommé pour 1'en-r fant, qui, depuis quelques jours, venoit de quitter la robe. Le duc d'Orléans affecta de paroitre k la tête des compagnies de fon nom; il y falua le dauphin, & fe retira enfifite. Le 25 , jour de la Saintr Louis, fur les fept heitres du foir, les muficiens s'arrangeoient déja pour le concert, lorfque le roi fe trouva mal j on les fit fortir, & l'on appella les médecins qui jugèrent qu'il étoit tems de faire recevoir au roi les facremens. Tellier vint auflirtot le confefier ; & fur les onze heures, le cardinal de Rohan & le curé de la paroiffe arrivèrent, & l'on adminiftra au roi le viatique &c 1'extrême-onction. Cette cérémonie achevée , le roi fit venir le duc d'Orléans, &t lui paria bas environ un quartd'heure. Le duc d'Orléans prétendit depuis que le roi, en lui témoignant autant d'amitié que d'eftime , 1'avoit affuré qu'il lui confervoit tous les droits de fa naiffance, lui avoit recommandé le royau-  de Louis XIV. 103 me & la perfonne du roi futur, & avoit ajouté: S'il vientd manquer, vous fere[ le maitre, & la couronne vous appartient. J'ai fait les difpofitions que j'ai cru les plus fages ; mais, comme on ne fauroit tout prévoir, s'il y a quelque chofe qui ne foit pas bien, on le changera. Ce qu'il y a de fur, c'eft que perfonne n'entendit un mot de ce que dit le roi. Le lendemain 26 , le roi après la meffe fit approcher de fon lit les cardinaux de Rohan & de Biffi \ en préfence de madame de Maintenon, du Père Tellier, du chancelier, du maréchal de Villeroi, & des officiers du fervice intérieur : Je meurs , ditil , en s'adreffant aux deux prélats, dans la foi & la foumiffwn d L'égliJ'e ; je ne fuis pas injlruit des matières qui la troublent; je n'ai fuivi que vos con~ feils; j'ai fait uniquement ce que vous ave^ voulu; ji j'ai mal fait, vous en répondre^ devant Dieu , que j'en prends d témoin. Les deux cardinaux ne répondirent que par des éloges fur fa conduite * car il étoit deftiné a être loué jufqu'au dernier inftant de fa vie. Le moment d'après, le roi'dit : je prends encore Dieu a témoin que je n'ai jamais haï le cardinal de Noailles; j'ai toujours été faché de ce que j'ai fait contre lui ;'mais ön m'a dit que je le devois faire. La-deffus Blouin, Fagon & Maréchal fe demandèrent a demi-haut; ne ïatjfêrat-on pas voir au roi, fon archevêque, pour marqiur la réconciliation ? Le roi qui les entendit, déclara, que loin d'y avoir de la répugnance, il le defiroit, & ordonna au chancelier de faire venir 1'archevêque , fi ces meflieurs, dit-il, en regardant les deux cardinaux, n'y trouvent point d'inconvénient, Ils n'en trouvoient que trop pour eux., G iv  104 R £ G N E le moment étoit critique, Sc la réponfe embarraffante. Laiffer le vainqueur de Fhéréfie mourir entre les bras d'un hérétique étoit d'un grand fcandale a leurs yeux, Ils fe retirérent dans l'em« brafure d'une fenêtre, pour en délibérer avec le confeffeur, le chancelier 6c madame de Maintenon, Tellier &c Biffi jugèrent 1'entrevue fort dangereufe, & la fïrent juger telle a madame de Maintenon, Rohan & le chancelier portant leurs vues dans 1'avenir, ne contredirent ni n'approuvèrent; 6f tous fe rapprochant du lit, recommencèrent leurs éloges fur la délicateffe de confcience du roi, 6c lui dirent que cette démarche pourroit expofer la bonne caufe au triomphe de fes ennemis; qu'ils approuvoient cependant que 1'archevêque pfit venir, s'il vouloit donner fa parole au roi d'accepter la conftitution. Le timide prince fe foumit a leur avis, 6c le chancelier écrivit en conféquence a 1'archevêque, Noailles fentit douloureufement ce dernier trait de fes ennemis , répondit avec refpect ; mais n'accepta pas les conditions, & ne put voir le roi, Dès-rlors, ce ne fut qu'un ingrat, un rebelle, Sc l'on n'en paria plus, afin que le roi mourüt ep paix. Dans la même matinée , le roi fe fit amener le dauphin par la ducheffe de Ventadour, 6c lui adreffa ces paroles , que j'ai copiées littérale-? ment d'après celles qui font encadrées au chevet du lit du roi, au-deffus de fon prie-dieu : Mon cher enfant , vous alle{ être bientót roi d'un grand royaume; ce que je vous recommande le plus forument, efl de n'qublier jamais les obligations que  de L o u i s 'XIV; 105 vous avei a Dieu.... Souvene^-vous que vous lui deve^ tout ce que vous êtes.... Tachei de conferver la paix avec vos voifms. rui trop aimé la guerre; ne mimitei pas en cela, non plus que dans les trop grandes dipenfis que j ai jaites. J Prenei c™föt en toutes chofes, & cherche^ d connoitre le meilleur, pour le fuivre toujours. Soulagei vos peuples le plutót que vous pourrer 6- faites ce que f 'ai eu le malheur de ne pouvoir faire moi-même. tfoubliei jamais les grandes ohligations que vous ave^ a madame de Ventadour. Pour moi, madame, en fe tournant vers elle, je fuis bien fdché de n% tre plus en etat de vous en marquer ma reconnoipJance. ' II finit en difant k monfieur le dauphin : Mon {,,?.fant>Je vous don™ de tout mon cceur ma benediction; & il 1'embraffa enfuite deux fois avec de grandes marqués d'attendriffement. La ducheffe de Ventadour, voyant le roi s'attendrrr, emporta le dauphin. Le roi fit entrer lucceffivement les princes & les pnnceffes du ?ng^?wUr parIa a tous' mais féparément au duc dOrleans & aux légitimés qu'il fit venir les premiers II remercia tous fes officiers domeftiques des fervices qu'ils lui avoient rendus, & leur recommanda le même attachement pour le dauphin. L'après.dïnée, le roi s'adreffant k tous ceux qui avoïent les entrees , leur dit : Mejfieurs,je vous demande^ pardon du mauvais exemple que je vous fj donne;jai bien d vous remercier de la manière (lont vous mavei toujours feryi, de i'attachement  to6 R E G N E & de la fidélité que vous tnavt^ marquis : je fiuis bien fdché de n avoir pas fait pour vous tout ce que faurols bien voulu. Je vous demande pour mon petit-fils, la même applicatlon & la même fidélité que vous ave^ eues pour moi. J'efpere que vous contribueren tous a runion, & que fi quelquun s'en êcartoit, vous aidere^ a le ramener. Je fens que je m'attendrls y & que je vous attendris auffi; je vous demande pardon : adieu , Meffièurs , je compte que vous vous fouvlendre^ quelquefols de mol. Le mardi 27, le roi n'ayant auprès de lui que madame de Maintenon & le chancelier', fe fit apporter deux caflettes dont il fit tirer & briiler beaucoup de papiers, &c donna pour les autres fes ordres au chancelier. II fit enfuite appeller fon confeffeur, & après lui avoir parlé bas, il fk venir le comte de Pontchartrain , & lui ordonna d'expédier 1'ordre de porter fon cceur aux jéfuites , & de 1'y placer vis-a-vis celui de Louis XIII, fon père. Ce fut avec le même fang froid, qu'il fit tirer d'une caffette le plan du chateau de Vincennes, & 1'envoya k Cavoie, grand maréchal-des-logis, pour faire les logemens de la cour & y conduire le jeune roi, ce furent fes termes. II lui arriva même quelquefois de dire, dans le tems que fétols rol. Puis, s'adreffant a madame de Maintenon : J'avols toujours ouï dire quHl ejl dljficile de mourir; je touche a ce dernier moment, cr je ne trpuve pas cette réfolutlon fi pénlble. Madame de Maintenon lui dit que ce moment étoit effrayant, quand on avoit de 1'attachement au monde & des reffitutions k faire. Je ne- dols, comme particulier, reprit le roi, de refiltunons d perfonne ; pour celles me  de Louis XIV. 107 je 'dols au royaume, j'efphre en ta miférïcorde de Dieu^ Je mefuis bien confeffl, mon confeffeur veut que faie une grande confiance en Dieu, je fai toute entilre. Quel garant que le père Tellier pour la confcience d'un roi ! Le mercredi 28, le roi s'entretenant avec fon confeffeur, appercut dans la glacé, deux domeftiques qui pleuroient au pied de fon lit. Pourquoi pleurei-vous, leur dit-il ? m'aye^-vous cru immortel> mon dge a dü vous préparer d ma mort, Puis, regardant madame de Maintenon .- ce qui me confile de vous quitter, c'eft l'efpérancc que nous nous rejoindrons bientót dans réternité, Elle ne répondit rien a cet adieu, qui parut lui répugner beaucoup,. Bolduc premier, apothicaire , m'a affuré qu'elle avoit dit en fortant : Voye{ le rende^-vous qu'il me donne ! cet homme-ld n'a jamais aimé que lui. Ce propos, que je ne garantirois pas, paree que les pnncipaux domeftiques ne 1'aimoient point, feroit p lis de la veuve de Scarron , que d'une reine. Elle alla tout de fuite a Saint-Cyr , comptant y refter. r Un empyrique de Marfeille, nommé le Brun , fe préfenta avec un élixir qu'il annon?oit comme un remèdefür contre la gangrène, quifaifoit beaucoup de progrès k la jambe du roi. Les médecins, n'efpérant plus rien de fon état, lui laiffèrent prendre quelques gouttes de cet élixir, quï parut le ranimer; mais il retomba bientót. On lm en préfenta une feconde prife-, en lui difant que c'étoit pour le rappeller a la vie. A la vie, ou a la mort, dit-il, en prenant le verre, tout ce qiu plaira d Dieu. II demanda enfuite une abfplution générale a. fon confeffeur.  io8 Reöne Depuis que le roi s'étoit alité, la cour fe rapprochoit fenfiblement du duc d'Orléans, bientót la foule avoit rempli fon appartement; mais le jeudi 29, le roi ayant paru fe ranimer, ce mieux apparent fut fi exagéré, que le duc d'Orléans fe trouva feul. Le roi, s'étant appercu de 1'abfence de madame de Maintenon, en montra du chagrin, 8c la demanda plufieurs fois s elle revint auffi-tót, & lui dit qu'elle étoit allee unir fes prières a celles de fes filles de Saint-Cyr. Le lendemain 30 , elle demeura auprès du roi jufqu'au foir , que lui voyant la tête embarraffée, elle paffa dans fon appartement, partagea fes meubles entre fes domeftiques , 6c retourna a. Saint-Cyr , d'oü elle ne fortit plus. Depuis ce moment, le roi n'eut que de légers inftans de connoiffance , 6c paffa ainfi la journée du famedi 31. Sur les onze heures du foir, le curé, le cardinal de Rohan, 6c les eccléfiafliques du chateau , vinrent. dire les prières des agonifans. Cet appareil rappella le mourant a lui-même ; il répondit, d'une voix forte, aux prières, 8c reconnoiffant encore le cardinal de Rohan , il lui dit : ce font les dernihes graces de féglife. II répéta plufieurs fois, mon Dieu, venei k mon aide ; hdte^-vous de me fecourir, 6c tomba dans une agonie, qui fe termina par fa mort, le dimanche, premier feptembre, a huit lieures un quart du matin. Le letteur qui aura vu le journal hifloque du père Griffet, jéfuite, copié d'après celui du marquis de Quincy, trouvera quelque différence entre la relation qu'il a faite de la darnière maladie  De Louis XIV. «ju roi, & ce que je viens d'en écrire. Le père Gnffet en donne kii-même Ia raifon. Cette relatwn, dit-il, avoit hl cornmuniquée au père Tellier qm, n'ayant prefque pasx quitté le roi pendant fa del men maladie , devoit être infiruit mieux que perfonm de tout ce qm s'étoit pap dans la ckambre. Je le crois. II ajoute : Ce père ayant examiné cette relatien, y fit quelques obfervations que nous avons vues ecntes de fa main. Je le crois encore, comme fi ie lavois vumoi-même. Le marquis de Quincy, pourlmt-il fit plufieurs changemens d fin manufcrit 4 pour le conformer a ces obfervations. Je le voJs bien Pour moi, j'ai écrit d'après les mémoires les plus exaös, & les témoins oculaires les plus üdeles ; maïs je n'ai communiqué ma relation i perionne, qm eüt intérêt de 1'altérer. Auffi le pere Gnffet & moi ne fommes pas en contra?ai0DI n°US di,ffér°nS fe»lenient par nos omifiions, Gnffet, d'après Tellier, mpprime ce qui concerne le cardinal de Noailles. Ils ont fuppofé, lans doute, que d'autres s'en chargeroient, & ne ie lont pas trompés. J'ai omis 1'exhortation du cardinal de Rohan au roi, en lui adminiftrant le viatique On fuppofera aifément que le cardinal ht un dffcours très-pieux, & 1'on en trouvera des modeles dans les rituels. Revenons un peu fur nos pas, & voyons les divers mouvemens qui agitoient la cour, depuk quon prevoyoit la mort prochaine du roi Quelques ayantages que le duc du Maine put attendre du teftament, il ne pouvoit fe diffimuler ceux que le duc d'Orléans tireroit de fa naifiance. II n'ignoroit pas que 1'édit de I7i4, qui donnou aux légitimés le droit de fucceffion h\  sio R È G N e couranne, n'avoit pas eu 1'applaudiflement dé la ïiation, que les princes du fang réclameroient urt jour contre 1'édit; que le teftament de Louis XIII ayant été annullé (i), celui de Louis XIV pour-: roit avoir le même fort ; & qu'au point d'élévation oü il fe trouvoit, il avoit autant a craindre qu'a efpérer de 1'avenir; Le duc d'Orléans ne pouvoit pas döuter quë le teftament ne lui fut défavorable ; mais il ne doutoit pas davantage du parti qu'il tireroit de fe naiffance & de fes qualités perfonnelles. II fe" regardoit donc déja comme régent du royaumej & prenoit d'avance des mefures fur la forme du gouvernement; II fe propofoit d'établir des confeils pour les différentes parties de 1'adminiftrationi Nous verróns bientöt comment il exécuta ce plan; Celui qu'il approuva fur les jéfuites, mérite d'être rapporté, quoiqu'il foit refté fans exécutioni Le procureur-général d'Agueffeau j appuyé du duc de Noaüles & de 1'avocat-général Fleury > propofèrent de chaffer abfolument du royaume toute la fociété des jéfuites, comme on venoit de faire en Sicile. Le duc de Saint-Simon, qui ne les aimoit pas, prétend, dans fes mémoires, que ce fut lui qui fit rejetter ce projet, comme ne convenant pas dans un tems de régence, oit 1'on devoit menaget Rome &c 1'Efpagne (z). (i) Lorfque le teftament de Louis XIII fut caffé au lit dé juftice de 1643,1e préfident Barillon, foit dérifion, foit exces de flatterie pour la reine-mère Anne d'Autriche, propofa d'aller jufqu'a öter ce teftament des regiftres. , (2) Cette conférence fe tint a Verfailles chez le duc de Noailles, le dimanche 18 aoüt. Le mémoire doit fe trouver ians les porte-feuilles du maréchal de Noailles, & des héri-  de Louis XIV. tij On propofa enfuite de mander k Verfailks auffi-töt après 1'établiffement de la régence'j les fupérieurs des trois maifons de Paris. Le régent les recevroit avec bonté, leur témoigneroit de leftune pour leur compagnie, leur recommanderoit de ne soccuper que de leurs exercices, les exhorteroit avec une douceur mêlée de fermeté a concounr 5 la paix ; leur parleroit enfin de facon, que, fans menaces direftes, on leur fit comprendre qu'ils auroient tout k craindre en s'ecartant de la route qu'on leur tracoit. • L'inftant d'après le régent devoit faire venir le pere Tellier feul, lui déclarer que fes fonaions etant hnies , il etoit tems pour lui de fe repofer que les arconftances exigeoient qu'il fe rerirÉt k la Heche ou il trouveroit tout ce qui peut con* tnbuer k la commodité & k 1'agrément, oütre 6000 hy. de penfion, payée d'avance ; & le congédier fans attendre fa réponfe. Au fortir de cette courte audience , deux hom™es W*?. ferfef & Poüs, devoïent s'emparer du pere Tellier & de fon frère compagnon, les faire monter en carroiTe, & les conduire tout de fuite ala Weche, pendant qu'on enleveroit les papiers du jefuite. r 1 ! L'intendant de la province, prévenu des ordres du regent, auroit re9u & inflallé Tellier indépendant des jéfuites, en lui défendant de la part du roi d eenre ou de recevoir aucune lettre que par Ia voie de 1'intèndance oü elle feroit yUe, tiers de d'Agueffeau & de Fleury. J'en ai oarlé au fik a„ a  l i i. R k G N £ L'intendant devoit encore laiffer ou changer k ion gré le frère fervant, & les autres valets dë Tellier, payés par le roi, Sc répondre enfin de toute fa conduite. Dans t'intervale du voyage des trois fupérieurs k Verfailles, les pcres Tournemine, Doucin Sc 1'AUemand, devoient être enlevés Sc leurs papiers faifis ; les deux derniers mis au cachot claris des prifons féparées, ignorées du public, Sc k la place d'un grand nombre de malheureux qu'ils y avoienf fait périr. Tournemine, traité difFéremment en confidération de fa naiffance, confiné, pour le refte de fes jours dans le dongeon de Vincennes, avec tous les fecours pour la vie animale ; mais fans encre ni papier, ni la moindre efpèce de correfpondance extérieure. En renvoyant de Verfailles les trois fupérieurs, on les auroit avertis de ne tirer aucune conféquence facheufe pour la compagnie, de ce qu'ils apprendroient a leur arrivée a Paris, ni du traitement fait k trois brouillons, pernicieux a 1'état, tyrans de leurs confrères , k qui ils n'étoient pas moins odieux qu'au public. A 1'égard du pape &C de fa conftitution, le duc d'Orléans fe propofoit de prodiguer les termes de refpeft & de ibumiflion au faint père, de lui repréfenter qu'un tems de minorité , Sc 1'autorité précaire d'un régent n'étoient pas capables d'opérer, ce que le roi le plus abfolu n'avoit pu faire; 1'exhorter k donner la paix a 1'églife ; laiffer cependant voir toute la fermeté d'un parti pris ; enfin, en employant les expreffions les plus refpeftueufes, tenir la cour de Rome elle-même en refpecl:. La foibleffe de Clément XI, qui lui avoit fait donner la bulle ? 1'auroij: empêché de la  D_ï Louts XIV. ti5 la foutenir; iï 1'eÜt ou retirée ou regardée cömm' non avenue, B"lucc comniv Le procédé étoit encore möins émbarraffant avec le nonce Bentivoglio, homme fansTceÏs tZ iTdï eU e> qiÜ entretenoit Publique.' ment une fille d'opéra, dont il avoit un enfant que nous avons vu depuis fur le théatre, föïil Ie nom de la ZW, & que le public n'a kmaï voulu nommer autrement, que la ConJiilZZ a caufe de fon pere, porteur de la bulle. II ne s'agiffoit que d'inflruire le nonce du riouve u phl de gouvernement, lui accorder des audiences rï niftr?dCe?rff' k renVOyC1' commu"^ent au mimft e des affaires etrangères , & p0ur peu qu'il voulut cabaler, ou élever le ton U «J H j manrlpr u a 'u j . , * le rnenacer de mander le debordement de fa vie au pape, & dèlm faire perdre amfi le chapeau de cardinal, don! ch*Z^ 7' auJ°urjhui é^q»e de Sifteron» charge alors de cette affaire è Rome, oü il vivat comme Bentivoglio a Paris; av rti les 1 fSi? Vr ?ndrferolt édairée a R°-> a Paris & dans les Provinces, renvoyer tous les eveques chaturi dans fon diocèfe , les contenf par leurs narens qui cherchent 4 kvancer i faire tenir la mam a la réfidence par le proeureur-general ; remèttre eh Vigueur h règle oui né s'etoit relachée que depuis Paffaire det coX tution. Par cette règle, toute correfpondance avec lnZoT^mldl\e Wjm^¥^ Tellier en avoit affrancm les prélats, & jufqu'aux moines de ion parti. Auparavant aucun évêque nV pouvoit eenre , que par la voie du miniftre dl TolTnë ' ^ deVO" V°ir leS Iettres *  ÏI4 R Ê GN E les réponfes , & cette permiflion s'accordoit rarement. Le commerce néceffaire pour les bulles & pour les difpenfes fe faifoit uniquement par les banquiers. 11 y avoit peu d'années (en 1705) que 1'archevêque d'Arles, Mailly, depuis archevêque de Rheins fk cardinal, avoit été févérement réprimande par le roi, pour avoir écrit de iui-même au pape, & en avoir rec;u un bref, quoiqu'il ne fut queftion que d'un préfent de reliques. Les liaifons avec le nonce n'étoient pas moins interdites; prélats, prêtres ou moines, ne le voyoient que pour caufes connues du miniftre. Les bonnes loix ne manquent pas en France; mais il n'y a point de miniftre en faveur, qui, pour étendre fon pouvoir, n'en ait fait p\ier quelqu'une, & la longue compreffion d'un reffort en fait perdre 1'élafticité. f Le gouvernement des affaires eccléfiaftiques étoit deftiné au cardinal de Noailles. Ce triomphe de Mardochée éloignoit les cardinaux de Rohan & de Biffi. Peut-être n'auroient-ils pas fait beaucoup de réfiüance. Rohan auroit préféré la vie voluptueufe d'un grand feigneur au commerce dégoutant que la conftitution le for^oit d'avoir avec un tas de pédans qui, fans cela, n'étoient pas faits pour pafler au-delk de fes anti-chambres. Biffi, affranchi du joug du père Tellier, & n'ayant plus rien a prétendre, n'auroit pas été faché de faire oublier par quelles voies il s'étoit élevé. Tous ces projets pouvoient être bons, & le duc d'Orléans les approuvoit; mais pour les exécuter, il falloit d'abord qu'il fut régent, &c il y avoit très-grande apparence que Louis XIV nommoit par fon teftament un confeil de régence, & non  de Loüis XIV. u$ Mn régent; mais ce qui étoit encore plus difficile» il auroit fallu au duc d'Orléans un cara&ère plus ferme & plus fuivi qu'il ne 1'avoir. Le préfident de Maifons vint lui donner un confeil qui, s'il n'étoit pas d'un traïtre, étoit au moins d'un fou. II lui confeilla de venir k main armée au parlement, au moment de la mort du roi, de forcer le dépot, & d'enlever le teftament. Le duc d'Orléans le remercia de fon zèle, & rejetta un parti qui auroit indigné & aliéné toute la nation. On lui fuggéra un autre deffein, qu'il fut prés d'adopter, & qui, conduit avec prudence & fermeté , pouvoit téuffir. Comme il n'y avoit encore que les deux der» nieres régences oü le parlement fut intervenu , il falloit, difoit-on, par un coup d'éclat, lui faire perdre 1'idée qu'il püt prétendre k les donner,. Pour y parvenir, on fe propofoit d'aflembler dans une des pièces de 1'appartement du roi > au moment de fa mort, les pairs , les ducs héréditaires, les officiers de la couronne & les fecretaires d'état. Tous étant en féance, Ie duc d'Orléans , ayant a cöté de lui le duc de Bourbon, feul prince du fang en age, le duc du Maine & le comte de Touloufe, auroit, d'un air de confiance & d'autorité, déclaré que, vu la néceffitl preffante de pourvoir a 1'adminiftration de 1'état ^ & fon droit a la régence, il prenoit dès ce mo» ment # le timon du gouvernement, &c les prioit de 1'aider de leurs lumières; qu'il ne fbupconnoic pas que perfonne püt, ni voulüt s'y oppofer. Si le duc du Maine, ou quelques-uns de fes amis fecrets, euffent pris la parole, & montré de 1'op» H ij  ÏIÓ R Ê G N E pofition, les autres auroient applaudi a une ac~ tion qui relevoit leur dignité , les affocioit au gouvernement, & auroient impofé au peu de mécontens. L'adte dreffé , faire affcmbier les troupes , & marcher tout de fuite au parlement, non pour faire approuver, mais pour notifier la régence; y déclarer le plan de gouverner par des confeils, fans nommer encore ceux qui devoient y entrer, & tenir ainiï chacun en refpeft, par 1'efpérance ou la crainte de s'en ouvrir ou de s'en fermer 1'entrée. Flatter le parlement d'y être admis, &c prodiguer ces éloges qui perfuadent li aifément la tourbe, mais d'un ton qui ne'lui permet que 1'approba'tiori. Faire lire enfuite le teftament, pour en approuver les difpolitions qui ne regarderoient pas ,1a régence, & annuller le refte. Le duc du Maine, encouragé par le chancelier & le premier préfident, fes amis, fuppofé qu'ils fuflent demeurés tels après 1'opération de Verfailles, auroit peufètre entrepris de réclamer; le duc d'Orléans devoit lui impofer fdence avec hauteur. On étoit fur du lieutenant de police d'Argenfon, qui, difpofant de la populace , auroit fait recevoir le prince avec des acclamations fur le chemin, aux abords & dans les falies du palais. Reinold, colonel des gardes fuifles, étoit alors mécontent du duc du Maine; & le duc de Guiche , colonel des gardes francoifes, qui fe vendit 600,000 liv. au duc d'Orléans, pour le foutenir en cas de befoin, le jour qu'il vint demander la régence au parlement, fe feroit donné pour moins k un régent déja reconnu par les pairs. Le duc d'Orléans méditoit encore, dit-on, la  de Louis XIV. 117 réforme de quantité d'abus, 1'abolition des furvivances, le rembourfement fucceffif des brevets iï re!fr U6i r& bfaucouP d'a«^s régiemens que le public defire & n'aura jamais. II y a ione_ tems que de bons Francois en font réduits a founaiter 1 exces du mal d'oii fortira peut-être le remede Je vois dans tous les tems les mêmes fottifes & les memes clameurs; je n'efpère pas que la reformation nous foit réfervée. La reine de Pologne, d'Arquien ,'veuve de Jean Sobiesb , vmt fe retirer a Blois. Elle avoit voulu autrefois fe fane voir en France , fa patrie fous pretexte de prendre les eaux de Bourbon ' óc aller de-la k la cour; mais elle rompit fon voyage, fur ce qu'elle apprit que Ia reine ne lui' donneroit pas la main (1). Le dépit la rendit ennemie de. la France ; elle eut grande part k la hgue dAusbourg. Après la mort de Sobieski, elle alla a Rome, oii, n'ayant pu obtenir le traitement qifavcut eu Chriffine , reine héréditaire , elle en fortit, & vint fe fixer k Blois en i7xl . ra icem> fn ëpoufa le marquis de Bethune' etoit grand'mere de la maréchale de Belle-Ifle. H iij  ,j8 RUnê l IV RE S E C O N D. Avant de nous engager dans le récit des évenemens du règne prélent, rappellons quelques traits de la vie privée de Louis XIV, qui \e feront mieux connoitre que des portraits tracés par la paflion pour ou contre lui. Sa taille, fon port, fa beauté dans fa jeuneffe , la nobleffe de fes traits dans un age plus avancé, fes graces naturelles , la dignité de fes propos, la majefte de fa perfonne, 1'auroient fait diftinguer au milieu de toutes les cours. Tel fut 1'extérieur de Louis XIV, dont j'ai vu les reftes dans mon enfance. Voyons fon intérieur. Ce prince avoit 1'efprit droit, un iugement fain, un goüt naturel pour le beau &c pour le grand, le defir du vrai & du jufte. Une éducation foignée pouvoit étendre fon efpnt par des connoiffances : on ne penfa qu'4 la refferrer; ïortifier fon jugement par 1'ufage des alfaires : on ne chercha qu'a 1'obfcurcir, en 1'écartant du trayail; développer ou reaifier fon caraaère : on defirpit qu'il n'en eüt point. Une mère auffi avide qu'incapable de gouverner, fuhjuguée par le cardinal Mazarin, s'appliquoit k perpétuer 1'enfance de fon fils, qui ne fut, jufqu'a vingt-trois ans , que la repréfentation de la royauté. Elevé dans la plus groffière ignorance , il n'acquit pas les qualités qui lui manquoient, & ne conlerva pas tout ce qu'il avoit recu de la nature. A la mort du cardinal Mazarin , Louis an-  de Lo-Vis XIV. ïr<) nonca qu'il alloir gouverner par Iui-même; & des qu'il ne fut plus oftenfiblement affervi', il crut régner. En butte alors a tous les genres de féduftion , il fe laiffa perfuader qu'il étoit parfait , & dès ce moment , il fut inutile de 1'inftruire. II céda toujours aux impulfions de fes maïtrefles, de fes miniftres ou de fon confeffeur II croyoit voir une.obéiflance fervile a fes volöntes, & ne voyoit pas que fes volontés lui étoient fuggerees. Quelquefois les chofes n'en allèrent pas plus mal. Par exemple , Colbert fait fupprimer la charge de fur-intendant des financés, & le roi croit les gouverner, paree qu'il fe charge de toutes les iignatures que faifoit Fouquet. Cependant Colbert s'empare heureufement de la véritable adminiftration. II égale la recette a la dépenfe, forme une marine, étend le commerce; établit & multrphe , peut-être trop, les manufaöures ; encourage les lettres, les fciences & les arts. Toitt fleunt, c'eft alors le fiècle d'Auguue : voici le confrafle. Louyois , d'un génie puiffant, d'une ame féroce, jaloux des fuccès & du crédit de Colbert, excite la guerre, dont il a le département. II perfuade au roi de s'emparer de la Franche-Comté & des Pays-Bas efpagnols, au mépris des renonciations les plus folemnelles. Cette guerre en amène fuccemvement d'autres, que Louvois avoit le malheureux talent de perpétuer. Celle de 1688, dut fa naifTance a un dépit de 1'orgueilleux miniftre. Le roi faifoit batir Trianon; Louvois, qui avoit fuccédé a Colbert dans la fur-intendance des batiments , fuivoit le roi qui s'amufoit dans ces travaux. Ce prince s'apper^ut qu'une fenétre n'avoit H iv  Ï^O RiCNE . pas autant d'ouverture que les autres, & le dit a Louvois; celui-ci n'en convint pas, & s'opiniatre contre le roi qui infifloit, &c qui, fatigué de la difpute , fit mefurer les fenêtres. II fe trouva qu'il avoit raifon, & comme il étoit déja ému de la difcufïion, il traita durement Louvois devant tous les ouvriers. Aman (i) humilié, rentra chez lui la rage dans le coeur, & la exhalant fa fureur devant fes familiers, tels que les deux Colbert, Villacerf & Saint-Pouange, Tilladet & Nogent : Je fuis perdu, s'écria-t-il, fi je ne donne de Vouupation a un homme qui fe tranfporte fur des mifères. II n'y a que la guerre, pour le tirer de fes hdtimens ; & pardieu ! il en aura , puifqu il en faut a lui ou a moi. La ligue d'Ausboürg qui fe formoit pouvoit être défunie par des mefures politiques. Louvois fouffla le feu qu'il pouvoit éteindre; & 1'Europe fut embrafée, paree qu'une fenêtre étoit trop large ou trop étroite. Voila les grands événemens par les petites caufes. On doit diftinguer deux hommes dans Louvois, ce fondateur du defpotifme des fecretaires d'état. C'étoit, fans doute, un miniftre fupérieur pour conduire une guerre; ce qu'il fit pour faire réuflir le fiège de Gand, eft admiré par tous les militaires; mais fi on le confidère comme citoyen, c'étoit un monftre, II eut immolé 1'état a fon ambition, a fon humeur, au moindre élan de 1'amour-propre. Eh! que nous importent des talens, dont on auroit pu nous épargner le malheureux emploi! En lifant 1'hif- (i) C'eft fous ce nom (jue Racine a défigné Louvois dans U tragédie d'JEfter,  de Louis XIV, ut toire, je ne rencontre point d'éloge ampoulé d'un prince ou d'un miniftre, que je ne m'attende k quelque difgrace pour 1'état. Nous admirons quelques-unes de leurs opérations, & nous n'entendons plus les gémiflemens des malheureux qu'ils ont faits, & qui étoient nos pères. Préférons a. ces météores brillans & deftrufteurs, Padminiftration d'un honnête homme, qui regarde un état comme une familie dont il fait partie, & meurt fans laiffer aux hiftoriens une matière intéreflante pour les. lefteurs. Si le tems me permet d'écrire ces mémoires jufqu'a nos jours, j'aurai occafion de parler de certains miniftres auffi coupables que Louvois, & k qui je ne pourrai pas donner les memes éloges. Le chancelier le Tellier, père de Louvois, qui connoiffoit les talens de fon fils , & 1'opinion que le roi avoit des fiens, 1'avoit propofé k ce prince comme un jeune homme d'un bon efprit, quoiqu'un peu lent, mais propre au travail & capable de s'inftruire, fi fa majefté prenoit la peine de le diriger. Louis flatté d'être createiir, donna des lecons k Louvois, qui les recevoit en novice. Ses progrès furent graduels, mais rapides. Le roi s'étamt une fois perfuadé que c^étoit lui qui faifoit tout, le miniftre fit bientöt faire ^tout ce qu'il voüloit lui-même : il fe rendit maïtre abfolu du militaire, & comme 1'extérieur de la puiffance en procure fouvent la réahté, il s'attribua des honneurs & des privilèges jufqu'alors inconnus. II affujettit les généraux k lui rendre compte direftement. Le vicomte de Turenne fut le feul qui, ayant par lui-même une trop forte exiftence pour s'y foumettre, conlerva ayec le roi une correfpondance direéle; ce  'llï R E G N E qui n'enipêchoit pas le miniftre de voir toures les lettres, & de concerter avec le roi les réponfes. De la part d'un miniftre puiffant, une prétention vaut un droit; & 1'uiurpation le confirme, au point que le plus mince des fucceffeurs, dans quelque département que ce foit, en jouit & en peut librement abufer. La plus digne aftion de Louvois , donna la première atteinte a fa faveur. Louis XIV lui ayant communiqué, peu de tems après la mort de la reine (i), le deflein d'époufer madame de Maintenon, il n'oublia rien pour 1'en détourner; & voyant que c'étoit un parti pris, il tira du moins parole du roi, que le mariage ne feroit jamais déclaré. La cérémonie fe fit dans une chapelle des cabinets, par 1'archevêque de Paris (Harlay,) en préfence de Louvois, de Montchevreuil & de Bontems, premier valet-de-chambre, qui fervit la meffe, dite par le père de la Chaife. Quelque tems après, Louvois fut que le mariage alloit fe déclarer. II en donna avis è 1'archevêque , qui avoit aufti recu la parole du roi, & le pria de venir s'unir a lui, pour repréfen- (i) Elle mourut le 30 juillet 1683. Quelques-uns fixent ea 1686 le mariage du roi avec madame de Maintenon. II y a apparence qu'il fe fit plutöt. Louis avoit encore befoin de femme, étoit dévot; &. madame de Maintenon trop prude & trop arabitieufe, pour n'être pas fage. La maréchale de Noailles» mère du maréchal d'aujourd'hui, étoit fi perfuadée de la néccffité d'un fecond mariage, qu'elle dit a madame de Montefpan, après la mort de fa reine : 11 faut fe prejfer de marier eonvenablemcnt eet homme- la, fans quoi il cpoufera peut - itre la première blanchijfeufe qui lui plaira. La maréchale a tenu ce propos a plufieurs perfonnes, & emr'autres au préfident Hé» nault de qui je le tiens.  de Louis XIV. ia? ter les engagemens pris avec eux. Avant rnêrae 1'arrivée du prélat, Louvois, fe jettant aux pieds du roi, le conjura de lui öter la vie, plutöt que de faire eet affront a la couronne. Louis voulut 1'écarter; mais Louvois , lui ferrant les genoux, ne le quitta point qu'il n'en eüt obtenu une ra-tification de fa parole; & 1'archevêque, qui vint enfuite, la fit confirmer. Madame de Maintenon employa inutilement tous les reflbrts de la féduction; le roi la pria de ne lui en plus parler. On conc,oit le reffentiment qu'elle en conferva; elle réfolut de perdre Louvois, d'enpréparer les moyens, & d'en failir les occafïons. Les fureurs exercées dans le Palatinat en 1689, excitèrent une indignation générale. Madame de Maintenon n'eüt pas befoin d'en exagérer 1'atrocité; la religion étoit inufile : 1'humanité fuffifoit pour fervir de texte. Louvois, après avoir fait incendier "Wbrms & Spire , eut encore la barbarie de propofer de brüler Trèves, pour empêcher les ennemis d'en faire leur place d'armes. Le roi en fut révolté, & le lui défendit. Deux jours après, Louvois revint a la charge, & dit au roi, qu'une délicateffe de confeience 1'empêchoit, fans doute, de confentir a la deftruöion de Trèves ; mais que guerre & pitié ne s'accordant pas, lui, Louvois, pour en décharger la confeience du roi, avoit pris le tout fur foi, & venoit d'envoyer 1'ordre de cette exécution militaire. Le roi, ordinairement fi maitre de lui, fe tranfporte de colère, faifit les pincettes , & veut en frapper Louvois. Madame de Maintenon fe jette au-devant, & laiffe échapper le miniftre effrayé. Le roi Ie rappelle, & les yeux enflamraés : Dépt-  114 R È G N E chei un èoüritr. qu'il arrivé a tems ; s'il y a ? untx feuie, maifon de brülée , votre tête en répondra. II ne fallut point de fecond courier, le premier n'étok pas parti. Les dépêches étoient prêtes; mais Louvois, déja fur fes gardes, par la facon dont Ia première propofition avoit été reeue , avoit fufpendu le départ, jufqu'a ce qu'il eüt le fuccès de fa tentative. Lë premier courier paffa , dans I'efprit du roi, pour avoir porté 1'ordre fanguinaire; & le fecond, pour en avoir empêché 1'exécution. Cependant, le roi s'aliénoit de plus en plus; des chofes moins graves combloient la mefure, & quelquefois des aélions louables du miniftre, achevoient d'aliéner madame de Maintenon. Voici un exemple de 1'un & de 1'autre. Le roi voulut faire- en perfonne le fiège de Mons ; Louvois préférant, avec raifon, d'appliquer les fonds aux dépenfes néceffaires, diffuada ce prince d'emmener madame de Maintenon & fes familières , & Louis partit feul. Pendant le fiège , Louis fe promenant un matin autour du camp, trouva une garde de cavalerie mal placée, & la placa autrement. L'après-dinée, il retrouva cette garde changée de pofte, & demanda k 1'ofticier qui 1'avoit mis la. II répondit que c'étoit M. de Louvois. Lui ave^-vous dit que c étoit moi qui vous avois placé}^ — Oui, fire. —« IsTadmirei-vous pas Louvois , dit le roi k ceux qui le fuivoient ? il troit favoir la guerre mitux que moi. Que cela fut, ou non, le miniftre ne devoit pas en faire montre fi publiquement. Le roi en fut apparemment piqué; car il en reparloit encore après la mort de Louvois. '  de Louis XIV. 12.5 Au retour de Mons , le roi continuoit de travailler avec fon miniftre; mais c'étoit avec un froid, une humeur qui ne laiflbit pas douter d'une difgrace qui ne fut prévenue que par la mort de Louvois. Le 16 juillet, au milieu d'un travail avec le roi, chez madame de Maintenon, il fe rrouva fi mal, qu'il n'eut que le tems de fe retirer & de rentrer chez lui. Son fils , qu'il demanda en arrivant, accourut , & le trouva mort (1). Dès que le roi 1'apprit, il envoya chercher Chamlay : & lui offrit la place de fecretaire d'état de la guerre, quoique Barbefieux en eüt ïa ftirviyance, depuis fix ans qu'il travailloit fous fon père. Chamlay avoit toujours pafte pour le meilleur maréchal-des-logis d'une armée. Recherché par tous les généraux, eftimé du roi, & qui plus eft, de Turenne, iln'en étoit pas moinscher a Louvois ;^ ce qui prouve qu'il étoit néceffaire a tous. Le roi ne pouvant faire un meilleur choix (1) On fut, par 1'ouverture de fon corps, qu'il avoit ére empoifonne; & 1'on prétendoit que le poifon avoit été mis flans un pot-a-1 eau qu'il avoit toujours fur fa cheminée, dont i buyoit, quand il fe fentoit échauffé par le travail. Comme fa»o't fors tres-chaud, il avoit bu un coup de cette eau avant d aller chez le roi. On arrêta un frotteur : mais „ea de jours apres il fut relaché; & la familie garda la-deffus un filence qui fit beaucoup parler. Les propos commencoient a fe calmer, lorfqu'ils furent ranimés par la mort fingulière d'un ltalien nomme Serom, médecin, domeftique de Louvois & qui ecoit demeuré chez Barbefieux. Seroni s'étant enfermé d'aas lachambre, jetta les hauts cris, comme un homme tourmenré de convulfions , fans vouloir ouvrir fa porte , & criant a ceux qm vouloient lui apporter du fecours , qu'il n'avoit que ce qu d menton. II expiroit , quand on forja la porte. les bruits , etouffes avec le même foin que la première foii firent naitre mille foupcpns ; mais on ne favolt fur qui lei porter, ^ *  tl& R £ G N Ê pour le département de la guerre, le prefla forf de s'en charger. Mais Chamlay fit valoir les titres de Barbefieux, & finit par dire: fivotre majefté, ne veut pas abfolument donner la place au hls, je la fupplie de nommer tout autre que moi , qui ne puis me revêtir de la dépouille de fon père , mon ami & mon bienfaiteur. L'a&ion de Chamlay étonna tout le monde, excepté lui, qui ne fut étonné que des éloges. Un tel procédé mérite bien fa place dans 1'hiftoire; de pareils faits ne furchargeront pas ces mémoires. Barbefieux fut nommé le foir même. II n'étoit pas encore majeur; mais le roi qui s'imagina avoir créé le père , déclara qu'il formeroit également le fils. Avec beaucoup d'efprit, il avoit pour le travail une facilité qui devient inutile , quand elle eft fans fuite & fans application. II fut dix ans décoré du titre de miniftre, pourfuivi par les affaires , & courant après les plaifirs, qui le tuèrent, A fa mort (en 1701,) Chamillart, déja contröleur-général, eut de plus le département de la guerre. Le roi, en le nommant, s'expliqua encore , comme il avoit fait fur Barbefieux : la création de Chamillart étoit plus difficile ; il n'avoit pas 1'efprit de Barbefieux; & avec des vertus qui manquoient a Louvois, on auroit defiré qu'il en eut les talens. On a vu comment, & pourquoi il fut facrifié a. madame de Maintenon. Depuis la mort de Louvois, la guerre continuée pendant fix ans avec aflez de fuccès, n'en avoit pas rendu la paix moins néceffaire k 1'état. Par le traité de RifVick, oü elle fut conclue , Louis obligé de renoncer au projet de rétablir Jacques II fur le tröne d'Angleterre, & d'en re-.  de Loiris XIV.' 117 connoitre pour roi Ie prince d'Orange, Tous le nom de Guillaume III, n'en conferva que plus d'averfion pour ce prince. La haine de Louis , venoit de ce que le prince d'Orange , petit - fils de Charles premier , roi d'Angleterre, avoit refufé d'époufer la fille naturelle du roi & de la duchefle de la Valière. Louis ne concevoit pas qiAm prince • d'Orange püt dédaigner une telle alliance. Celui-ci n'avoit d'abord rien négligé, pour ramener le roi; mais n'y pouvant réuffir : Si je ne puis, dit-il, avoir fon amitiè, j'aurai d& moins fon eftime. II la méritoit k bien des égards, & ne parloit de Louis qu'avec dignité. Un jeune Lord, a fon retour de France, ayant dit a Guillaume , que ce qui lui avoit paru de plus fingulier k la cour de Louis, étoit que ce prince eüt une vieille maïtrefle (madame de Maintenon,) & un jeune miniftre (Barbefieux.) Cela doit vous apprendre, jeune homme, qu'il n'a befoin ni de 1'un ni de 1'autre (1). Louis ne pouvoit pas ignorer, combien il avoit fallu négocier, pour conclure la paix & gagner le duc de Savoie, que 1'orgueil de Louvois avoit fi fort aliéné. II devoit favoir que tous les reffentimens ne s'éteignent pas k la paix. Au-lieu d'en (1) Guillaume n'avoit pas toujours été fi circonfpefr NV tam encore que ftadhouder, & fe trouvant a la repréfentation dunepièce, a peine eut-il entendu le début d'un proloeué a fa louange. quHl fit retirer 1'afteur. Ce coquht, dit-il me prend pour le rot de France. On foupconna cette fcène d'avoir ete concertee. Le prince Eugène en ufa, après la bataille tlrlochftet, dune mamère encore plus offenfanre. II invita les prjfonniers Francois a un opéra ; & au-lieu d'une pièce fuiVle' ^c C lam" C,"CI Ptologues de Quinault, pleins d'élopes pour Louis XIV. Vous yoyCl, dit-il aux Francois, fM ,'I/°f" erutndre les louan^es de vair» maitrt.  128 R £ G N E profiter pour foulager les peuples, & réparer les malheurs de la guerre, on donna a Gompiègne le fpe&acle d'un camp de Darius; & cette image de la guerre exigea les mêmes dépenfes que la réalité. Depuis que le roi avoit prétendu gouverner par lui-même, il n'avoit admis dans fes confeils aucun prince du fang. Il ne vouloit élever que ceux qu'il pouvoit anéantir comme il les avoit créés. Un miniftre étoit tout dans la faveur, & rien après fa chüte. Le premier maréchal de Villeroi, gouverneur de Louis XIV, tenoit a ce fujet, un propos qui, pour être bas, n'en étoit que plus expreffif. lL.faut, difoit-il, tenir le potde - chambre aux miniftres, tant qu'ils font en place, Sc le leur verfer fur la tête, quand ils n'y font plus. II ajoutoit c quelque miniftre des finances, qui vienne en place, je déclare d'avance que je fuis fon ferviteur, fon ami, Sc même un peu fon parent. Voila de grandes qualités de courtifan; je doute que ce foient celles d'un homme propre k élever un roi. Louis n'aimoit que 1'efprit qui pouvoit contribuer k 1'agrément de fa cour, k fes plaifirs , k fes fêtes, k la gloire de fon règne; 1'efprit, enfin , dont il ne pouvoit être ni embarraffé ni jalbux. II protégea Molière contre les faux dévots; mais la dévotion, vraie ou faufle, n'avoit pas encore alors percé k la cour. A 1'égard de ceux qui 1'approchoient Sc qui pouvoient le juger, il préféroit la foumiffion aux lumières; Sc dilbit quelquefois, qu'il craignoit les efprits; crainte affez ordinaire aux princes , Sc k la plupart de ceux qui les repréfentent, k moins qu'ils n'aient eux-mêmes  de Louis XIV» iz9 eux-mêmes affez d'efprit pour ne pas craindre Ie parallèle. Ilgoütoit une fatisfaéïion puérile, k voir baiffer les yeux a ceux qu'il regardoit. Tout fléchiffoit devant un monarque, dont la plus forte paffion étoit d'être abfolu & de le paroitre. Son rils, fans aucun crédit, fut toujours devant lui, autartt dans la crainte, que dans ie refpeft. Tout mérite qui pouvoit le preffer , lui portoit ombrage. Son frère (Monfieur,) ayant remporté une vi&oire k CafTel, recut un froid éloge, & ne commanda plus. II n'oublioit rien de ce qui infpiroit une forte de vénération pour fa perfonne. Lorfque Monfieur venoit lui faire fa cóur au diner, il y reftoit debout, jufqu'a ce que le roi lui ordonnÉt de s'affeoir fur un tabouret, & quelquefois le faifoit mettre k table , pourvu qu'il arriyat avant que le rói fut afïïs. Si Louis faifoit fentir fa majefcé aux grands de fa cour, il la dé» pofoit dans fa domefiicité intérieure. Nul maitre ne fut plus aifé a fervir ; il laiffoit volontiers prendre k fes valets une efpèce de familiarité; & plufieurs en ufoient avec beaucoup d'adrefle; il n'étoit pas indifférent de les avoir pour amis. Ils ont élevé ou renverfé bien des fortunes; & peutêtre en eflr-il ainfi dans toutes les cours. Louis aimoit a leur voir marquer des égards par les • feigneurs. Ayant envoyé un Valet-de-pied porter une lettre au duc de Montbafon, ce duc, qui la recut au moment ou il alloit fe mettre k table, for^a le valet, aux yeux de la compagnie, d'y prendre la première place, & le recondiilit enfuite jufqu'a la cour, comme étant venu de Ia part du roi. Ce prince ne s'attendoit pas , fans don te, k eet excès de politefTe, qu'un autre eut Tome L I  130 R E G N E pu prendre pour une dérifion; mais il en fut gré, puifqu'il en reparla quelquefois avec complaifance. Tout ce qui pouvoit rappeller a Louis XIV un tems de foibleffe clans le gouvernement, ré-( voltoit fon ame. C'eft ce qui lui rendit toujours défagréable lé féjour de la capitale, d'oü il avoit été obligé de fortir dans fon enfance pendant les troubles de la Fronde. Cette répugnance pour Paris, a coüté des milliards au royaume pour les batimens du fuperbe & trifte Verfailles qu'on nommoit alors un favori fans mérite; aflemblage de richeffes Sc de chef - d'ceuvres de bon Sc de mauvais goüt. En fuyant le peuple dont la mifère n'auroit blefle que fes yeux , il vouloit que fa cour fut également nombreufe Sc brillante. II remarquoit exaftement 1'afiiduité Sc les abfences des courtifans. Si 1'on demandoit une grace pour un homme peu affidu , Sc fait pour la cour, il ne donnoit fouvent d'autre raifon du refus , finon que ne le voyant jamais il ne le connoiffoit pas. S'il adreffoit la parole k quelqu'un qui ne fut pas de fes familiers , c'étoit une diftiricfiön qui faifoit la nouvelle du jour. II choififfoit parmi ceux qui fe préfentoient pour Marly; mais il vouloit toujours qiron le demandat, dut-on être refufé. Si Louis n'habita pas fa capitale, il voulut être inftruit de tout ce qui s'y paffoit; Sc les rapports ténébreux de la police étoient fouvent des délations. Une autre efpèce d'inquifition dont Louvois fut 1'inventeur, Sc qui s'eft confervée, eft la violation du fecret de la pofte, attentat contre la foi publique. Tout citoyen eft comptable de fes  de Louis XIV. t%t a&ions ; k gouvernement a le droit de les eekirer : mais il n'en a aucun fur la penfée écrite, &r une lettre eft la penfée écrite. On ne doit pas entendre ce qui fe dit a 1'oreille d'un ami. On ne peut donner atteinte a eet égard a la liberté du citoyen , que lorfqu'il s'eft rendu juftement fufpect a 1'état. Un autre motif éloignoit encore Louis XIV de fa capitale; il craignoit d'abord d'expofer le fcandale de fes amours aux yeux de la bourgeoifie, la feule clafie de la fociété oü la décence des mceurs fubfifte ou fubfiftoit encore. Mais bientêt il fe laffa de tant de circonfpeöion. Madame de la Valière fut la première maitrefle déclarée, & il la fit ducheffe de Vaujour. Cette femme dsun caraftère doux, incapable de nuire , même de fe venger, en cédant a fa foibleffe pour le roi, regrettoit fa vertu. Ses remords encore plus que les dégoüts caufes par une rivale , la conduifirent aux Carmélites, oü elle vécut 36 aas dans la plus dure pénitence. Elle n'étoit pas encórê re» tirée de la cour , que la marquife de Montefpan (1) lui avoit déja enlevé le coeur du roi. (t) Elle rejetta d'abofd les propofitions du roi, & confè.'ÏIa a fon man de 1'emmener dans fes terres. Montefpan s'oóimatra a demeurer a la cour', Sc, lorfqae fa femme eut cedé aux pourfuites du roi, i! fut exïlé en Guyenne , après avoit ete quelque tems a la BaftiUe , pour le propos quril tenoit & la folie qu'il fit de prendre le deuil , comme veuf. La iemme, de fon cöté , quitta les armes & les livrées de fon man, & prït celles de fa maifon qui étoit Rochechouart* Gét exemple fut fuivi depuis par maüame de Maintenon s & 1'a ete de nos jours. Le roi, croyant ne pouvoir pas fairé dücheile madame de Montefpan, du vivant de fon matri öu'il fie vouloit ou n'ofoit faire duc , & qui fflême eut refufé d» I«tte pat un tel carial, la nomina fur-intendame dg lurneiföi* lij  !32 R È G N È Le fcandate d'un doublé adultère h*t le plus grand éclat ; & le roi s'en inquiéta fi pen, qu'il ie fit fuivre dans fes campagnes & dans les villes frontières par fes deux maitreffes, 1'une &C 1'autre dans le même carroffe que la reine. Les peviples accouroient, pour voir, difoient-ils, les trois reines. Louis ne gardoit plus de mefures. La cour fe tenoit chez la nouvelle favorite. Les couches de la première avoient été fecretes, fans être ignorées ; celles de la feconde étoient publiques. La marquife de Thianges, fa foeur, faifoit avec elle les honneurs des fêtes brillantes que le roi donnoit fans cefTe. L'abbeffe de Fontevrault, autre foeur pleine d'efprit, de graces ar fes refpefts, fes foumiffions, par fa honte même, fembloit lui demander pardon d'être aimée : auffi en fut-elle toujours traitée avec bonté (1). Je ne parle point de madame de Fontange dont la vie fut fi courte. Je ne réveille point les bruits fur madame de Soubife qui fortifia fouvent les foupcons par fon affeftation a les écarter. Je ne rappelle les^ galanteries du roi que pour mieux faire connoitre ce princê & fa cour. Je ne m'arrêterai point fur les commencemens de madame de Maintenon, fi connus par tant de mémoires. Je n'envifagerai que le changement de fcène qui fe fit a la cour par elle, ou a fon occafion. Tant que le roi avoit été occupé de fes amours, la cour avoit été galante; auffi-töt que le confeffeur s'en fut emparé, elle devint trifte & hypocrite. On s'étoit emprefie aux fêtes, aux fpectacles : on courut a la chapelle ; mais le roi (1) La reine etant allee la voir aux Carmélites, voulut la taire alleoir comme ducheffe; mais eet honneur lui rappellant les foibleffes, elle pria la reine de 1'en difpenfer. fe wffmi & ne doU plus, dit-elle, être que religitufe. Lorfqu'elle apprit la mort de fon fils, Ie duc de Vermandois : II faut donc, ditelle , que je pleurc fa mort, avant d'ayoir ackevé de plevrer fa naiJJafliK. i üi  134 R U k ! étoit toujours le dieu a qui s'adreflbit un n©ü~ veau culte. II ne tint qu'a lui de s'en appercevoir quelquefois. Un jour que ce prince devoit venir au falut, les travées étoient pleines de dévóts &c dévotes de cour. Briffac, major des gardes - du - corps, entre dans la chapelle , dit tout Juut aux gardes , que le roi ne viendroit point, & les fait retirer. Les travées fe vuident a 1'inftant; il n'y refte que la marquife de Dangeau & trois ou quatre autres femmes. Un quart-d'heure après, Briffac replace les gardes. Le roi en arrivant eft étonné d'une folitude fi extraordinaire : Briffac lui en dit la raifon, le roi en rit, & peutêtre excufa-t-il 1'indifférence qu'on marquoit pour le falut, par le refpecl: & la crainte qu'on témoignoit pour fa perfonne. Le roi ayant commencé a tourner vers la dévotion, madame de Maintenon 1'y porta de plus en plus. Dans les fituations facheufes &c fubalternes oü elle avoit paffé fa vie, elle avoit affiché la pruderie; il ne s'agiffoit pas de changer de röle a un ège oü tant d'autres le prennent. Ce n'étoit plus que par-la qu'elle pouvoit s'affurer du toi. Née dans la mifère , elle avoit fouvent été ©bligée, pour en fortir, de fe plier aux différens caracvtères; cette habitude lui fut d'un grand fecours auprès du roi. Elle favoit que le foible de ce prince, jaloux de fon autorité, étoit de paroitre tout faire par lui-même; elle en tiroit jufqu'aux moyens de le faire vouloir ce qü'elle defiroit. Toujours dans la contrainte, d'abord pour fubfifter, enfuite pour s'élever, enfin pour régner, elle ne fut jamais heureufe, & n'a mérité 1'excès ni des fatyres ni des éloges dont elle a été 1'objet»  de Louis XIV. 135 Le travail des miniftres & des généraux avec le roi, fe faifoit chez elle & en fa p: éfence. Ils comprirent qu'il ne luteroient pas de crédit contr'elle ; ne pouvant la renverfer, ils fe foumirent, & difcutoient avec elle les affaires avant de les rapporter devant \e roi. Jamais elle ne prenoit la parole qu'il ne 1'interrogeat, & elle répondoit avec une réferve, un air de défintéreffement qui écartoit toute apparence de concert entr'elle & le miniftre. Si le roi venoit a foupconner quelqu'intérêt de leur part , il prenoit le parti oppofé, & s'ils ofoient infifter, il leur faifoit une fortie terrible. II fe repaiffoit alors de 1'opinion de fon indépendance, & quand il avoit b'ien favouré cette idéé, femme, miniftre ou confeffeur avoient pour long-tems la faculté de lui faire adopter les leurs. Si le roi étoit flatté de 1'air foumis de madame de Maintenon dans les affaires, il 1'en dédommageoit par plus de marqués de refpeft & de galanteries, qu'il n'en avoit jamais témoigné k fes maïtreffes, ni a la reine. Aux promenades deMarly, enfermée dans une chaife, pour éviter les moindres impreffions de 1'air, elle voyoit le roi marcher k cöté, fe découvrant chaque fois qu'il fe baiffoit pour lui parler. C'étoit encore ainfi qu'on la vit placée fur une éminence au camp de Compiègne, entourée de toute la cour, le roi debout a cöté, pour répondre k fes queftions, & la ducheffe de Bourgogne affife fur un des batons de la chaife. Dans 1'appartement, il étoit encore moins poffible de méconnoitre une reine ; affife dans une efpèc'ede confeffional, elle fe levoit un inftant, I iv  136 R £ G N £ quand Monfeigneur ou Monfieur entroient, & paree qu'ils. venoient rarement dans eet intérieur. Elle ne fe dérangeoit nullement pour les princes & princefles du fang, qui n'y étoient admis que par audiences demandées , ou lorfqu'elle les envoyoit chercher pour quelque fèche reprimande. Jamais elle n'appella la ducheffe de Bourgogne que mignonnt, & celle-ci ne la nommoit que ma tante. A 1'égard des fils & petit-fils de France, c'étoit toujours, & même en préfence du roi, le dauphin, la dauphine, le duc de Berri, &c. fans addition de monfieur ni de madame, bagatelles qui ne mériteroient pas d'être rappellées, fi elles ne fervoient k conftater 1'état de madame de Maintenon. Le roi lui laiflbit tout 1'empire, qui ne le gênoit pas lui-même; car fur eet article, il étoit fans aucun égard. S'it arrivoit chez madame de Maintenon & qu'il la trouvat incommodée, quelquefois avec la fièvre, cela ne 1'empêchoit pas de faire ouvrir les fenêtres, paree qu'il aimoit Pair. II ne fouffroit pas Ia moindre contrariété fur fes voyages. On eflaya en vain de rompre celui de Fontainebleau, a caufe de la groffeflè de madame de Bourgogne, ou de la faire au moins difpenfer du voyage ; répréfentations inutiles, il fallut partir. Elle fit une faufle couche, & il en fut confolé par la fatisfadtion d'avoir été obéi. L'age & la dévotion femblcient endurcir un coeur naturellement peu fenfible. La révocation de 1'édit de Nantes fut Pafte le plus terrible de cette dévotion fanatique. Louis prétendoit régner fur les confeiences. La France déja ruinée par la guerre, le luxe & les fêtes, fut dépeuplée par les profcriptions; $c les étran*  de Louis XIV. 137 gers fe font enrichis de nos pertes. Louis ne fut que 1'inftrument aveugle de tant de barbarie. On lm peignoit des couleurs les plus noires ces hérétiques, a qui fon aïeul Henri devoit principalement la couronne; on ne lui parloit point de la ligue. Madame de Maintenon, née dans Ie fein du calvinifme, craignit de rendre fa foi fufpefte, en intercédant pour fes premiers frères. Louvois qui frémiffoit de devenir inutile , s'il n'entretenoit comme un feu facré , celui de la guerre, efpéroit enflammer tout le proteftantifme de 1'Etirope. Iln'eutpas même pour excufe 1'aveuglement du fanatifme, il ne fut que barbare. D'autre part, des moines ignorans, des prêtres forcenés, des eyeques ambitieux, crioient qu'il ne falloit qu'un Dieu, un roi, une religion, & perfuadoient k un prince enivré de fa gloire, que ce prodige lui etoit réfervé. Une telle entreprife paffe le pouvoir des rois. Les efprits fe féduifent, les cceurs savihffent; mais les confciences fe révoltent. Deux religions font fans doute un malheur dans un etat; mais un gouvernement éclairé, fage ferme & vigilant eft le feul & fur moyen de les contemr. Si 1'on fe bornoit k donner les places les dignités, les diftinöions k la religion nationale & dominante, la feöe méprifée tomberoit d'elle-même. Si deux religions ne peuvent refter abfolument tranquilles dans un état, le feul remède eft de les tolérer toutes, fubordonnées k la dommante. Les haines partagées s'affoibliflent; une emulation de régularité & de mceurs, peut naitre de la divifion. L'Angleterre & la Hollande doivent peut-être autant leur tranquillité religieufe k la m.'itiphcité des feéles qu'a leur police.  138 R £ G N E II eft facheux pour Phonneur de Boffuet, dont Ie nom étoit d'un fi grand poids dans les affaires de religion, qu'il n'ait pas employé fon éloquence a défendre 1'efprit de 1'évangile contre les furieux apötres du dogme. Au-lieu de ces volumes théologiques qu'on ne lit plus, il auroit donné des exemples du chriftianifme. Ce père la Chaife , dont on vantoit la douceur , ne pouvoit-il perfuader a fon penitent qu'il n'expieroit pas le fcandale de fa vie paffée, par des aftes de fureur. Mais ce confeffeur étoit un miniftre qui craignoit de hafarder fa place, un prêtre timide qui trembloit devant celui qu'il voyoit k fes pieds. Loin d'entreprendre de les excufer, ayouons que 1'un èc 1'autre furent complices de la perfécution. Le miniftre de la guerre fut un des cafuiftes du roi. Le chancelier le Tellier, digne père de Louvois, figna 1'édit de fang, qui profcrivoit trois millions de citoyens , & prêt k defcendre dans le tombeau, fe fit l'application facrilège du cantique de Siméon. Les gémiffemens des vrais chrétiens étoient étouffés par des acclamations de louanges fanatiques. Les thèfes d'apparat étoient dédiées au vainqueur de 1'héréfie. La fureur du panégyrique, avoit pafte du théatre dans les chaires. Les jéfuites, fur-tout, fe fignalèrent, en exaltant la puiffance & la piété de Louis ; ils flattoient fon orgueil & prévenoient fes remords. On ne lui parloit que de converfions opérées a fa voix; & des dragons étoient fes miftionnaires, portant le fer & la flamme. II fe croyoit un apötre, &c fe voyoit canonifé au milieu des monumens de fes adultères. Le jéfuite Tellier en ufa dans la fuite pour la  de L o ü i s XIV. 139 conftitution , comme Louvois avoit fait contre les proteftans. Mêmes intrigues, même inquifition , féductions, menaces & tourmens. Si Ia tyrannie fut plus fourde, elle n'en fut pas moins cruelle; & Louis en fut toujours 1'inftrument. Tel fut ce prince furnommé le Grand, titre fi prodigué aux princes, tant qu'ils vivent, & que la poltérité confirme fi rarement. Louis le dut a fes premières profpérités, au concours des hommes célèbres en tous genres, qui ont illuftré fon règne. Quand il n'en feroit que 1'époque, un prince en recueille la gloire, & 1'on peut en rapporter beaucoup a Louis XIV. Son ardeur pour la gloire, fon goüt pour le grand & le noble, le defir de lui plaire , dont il faut encore lui faire honneur , puifque fes qualités perfonnelles 1'infpiroient en partie, les récompenfes, les diffinctions qu'il accorda fouvent au mérite; tout concourut a rendre fon règne le plus brillant qu'il y ait eu depuis Augufte. Les lettres, les fciences, les arts , tous les talens naiffoient a fa voix, & portoient fon nom au-dela de 1'Europe; fes bienfaits allèrent chercher le mérite chez les étrangers. On fe glorifioit alors d'être Francois, ou " d'être connu en France. Les louanges idolatres que des gens de lettres lui prodiguoient, n'étoient pas abfolument fauffes de leur part , & pourroient être excufées. La majefté de fa perfonne, le fafle même de fa cour , le culte qu'ils lui voyoient rendre, faififfoit leurs imaginations; Penthoufiafme devenoit contagieux ; 1'encens des adorateurs les enivroit eux-mêmes (1). (1) Tous ne font pa-s de fi bonne foi. Quilques écrivains  jKfO RÈGNE Cependant les rayons qui partent du tröne n'échauffent que ceux qui en approchent. Ils éblouiffent au loin, & n'y portent point cette chaleur vivifiante, qui anime une nation. Tout fleuriffoit a la cour; & la fubftance du peuple étoit 1'aliment du luxe. Les graces, difons mieux, la reconnoiftance du monarque , car il en doit, ne s'étendoit point fur un peuple, dont il tiroit fa force & fon éclat; fur les cultivateurs , genre dhommes plus précieux que desartiftes, des poëtes & des orateurs. Malheureufement ceux-ci flattent 1'orgueil des princes , leur difpenfent la gloire, trompent la poftérité, & prefque les contemporains. On ne connoitroit pas la vérité , fi des écrivains défintérefTés, amis de 1'humanité, n'avoient le courage de réclamer pour les hommes contre leurs opprefleurs. Je crois remplir ce devoir facré. Je fuis très-éloigné de vouloir déprifer les talens par leurs abus. C'eft le premier, le plus beau, le feul luxeutile d'un grandétat; mais dans un édifice on ne doit pas préférer les orne* mens a la bafe. Je n'ai diflimulé ni les bonnes qualités ni les ne fe proftituent que trop a ceux, dont ils efpèrent, ou qu. ils craignent. Le plus médiocre des princes, avec huit ou dix peniions répandues fur des écrivains de différentes nations , feroit fur de fe faire célébrer comme un grand homme. Ces trompettes de la renommée ne font pas chères. J'ai eu la curiofité de relever^'dans les manufcrits de Colbert, 1'etat des penfions que Louis XIV donna aux gens de lettres Francois ou étrangers. Le total ne monte qn'a 66,300 hvres, fa voir 52,300 livres aux Francois, & 14,000 livres aux étrangers. Tous ceux qui en furent gratifiés , reconmlrent, fans difficulté , ce prince pour Louis-le-Grand. Leo Allatius, bibliothécaire du Vatican, refufa noblement la penfion de 1500 hv. pour laquelle il étoit nommé , paree que la cour de Rome etoit alors brouillée avec celle de France.  de Löüis XIV. i4t defauts de Louis XIV; mais il feroit injufte de lui reprocher toutes fes fautes. Nous avons vu le peu d'éducation qu'il avoit recu. Ajoutons le foin qu'on avoit pris d'altérer les vertus qu'il pouvoit avoir; & voyons ce qu'on doit imputer a ceux qui 1'approchoient. Jamais prince n'a été 1'objer de tant d'adorations. Les hommages qu'on lui rendoit, étoient un culte, une émulation de fervitude, une confpiration d'éloges , qu'il ne rougiffoit pas de recevoir , puifqu'on ne rougiffoit pas de les lui donner. La dédicace de fa ftatue a la place des Vi&oires fut une apothéofe. Les prologues d'opéra 1'enivroient de 1'encens le plus infect, au point qu'il les chantoit naïvement luimême. L'évêque de Noyon (Clermont-Tonnère), fi glorieux &li bas, fonde un prix k 1'académie, pour célébrer k perpétuité les vertus de Louis XIV, comme un fujet inépuifable. On venoit le matii* dans la chapelle du Louvre, entendre le panégyrique de Saint-Louis; & le foir, k 1'affemblée , on affiftoit avec plus de dévotion k celui de Louis XIV. Ce n'étoit point a fon infu; on alloit fans pudeur lui communiquer le fujet de chaque éloge. Ce n'a pas été fans contradidtion de la part de quelques ferviles académiciens, que je fuis venu a bout de dénaturer le fujet du prix : tant 1'ame qui a rampé , a de peine k fe relever (i). Le duc de Grammont, fils du premier i1! ^Ien ne Peint mieiix 1'impreffion que Ia préfence du roi faifoit dans les efprits, que ce qui arriva a Henri-Jules de Bourbon , fils du grand Condé. II étoit fujet a des vapeurs, que, dans tout autre qu'un prince, on auroit appeïlé tolie. 11 s imaginoit quélquefois être transformé en chien & aboyoit alors de toutes fes forces. II fut un jour faifi d'un  142 Règne maréchal de ce nom, demanda au roi un brevet d'hiftoriographe, pour être un flatteur en titre. Si on lui en préféra d'autres, la vérité n'y gagna pas davantage. Faut-il s'étonner qu'au milieu d'une cour d'empoifonneurs, Louis ait pu tomber dans un délire d'amour-propre & d'adoration de lui-même? Les maladies feules pouvoient lui rappeller qu'il étoit un homme. II ne concevoit pas qu'on put féparer 1'état de fa perfonne; on ne lui avoit pas appris que, pour accoutumer les fujets a confondre ces deux idees , le prince ne doit jamais féparer leur intérêt du fien. Louvois, en infpirant k Louis XIV un efprit de conquête, lui avoit perfuadé qu'il pouvoit difpofer des biens & du fang de fes peuples. Deda fortirent ces armées immenfes, qui forcèrent nos ennemis d'en oppofer de pareilles; mal qui s'eft étendu, & qui continue de miner la population de 1'Europe. J'ai obfervé dans ma jeuneffe, que ceux qui avoient le plus vécu fous fon règne , lui étoient le moins favorables. Ces impreffions fe font effacées k mefure que les malheureux qui gémiffoieht fous lui, ont difparu. Mais comme il fubfifte des monumens de fa gloire , fon règne fera toujours une époque remarquable dans les faftes de la monarchie. ■ . On peut regretter une certaine dignité qui faifoit alors refpe&er les hommes en place. II y a de ces acces dans la chambre du roi. La préfence du monarque impofa a la folie, fans la détruire. Le malade fe retira vers la fenêtre ; &, mettant la tête dehors, étouffa fa voix le plus qu'il put, en faifant toutes les grimaces de ïab^ ment.  de Louis XIV. 143 aujourd'hui moins de décence dans nos tnoeurs. ie fais que de tous tems on a exalté les vertus antiques. Ces difcours répétés d'age en age, prouvent que les hommes font au fonds toujours las mêmes. Cependant il y a des fiècles oü le vice fe montre plus ou moins a découvert, & jamais on ne s'eft moins caché que pendant & depuis la dernière régence; on pourroit m'objefter 1'hypocrifie, ce vice méprifable & odieux, fi connu dans les dernières années de Louis XIV; mais il y avoit de moins les vicieux que fait naitre 1'exemple. < Quelque foit ma facoa de voir & de juger, j'ai expofé fi fidélement les faits que je ne privé pas le leéteur de la faculté de porter un jugement différent du mien.  144 régence. RÉGENCE DU DUC D'ORLÉANS. Considérons maintenant les principaux perfonnages qui vont paroitre fur la fcène. Le duc d'Orléans étoit d'une figure agréable, d'une phylionomie ouverte , d'une taille médiocre ; mais avec une aifance & une grace qui fe faifoient fentir dans toutes fes aftions. Doué d'une pénétration & d'une fagacité. rares, il s'exprimoit avec vivacité & préciüon. Ses réparties étoient promp* tes, juftes & gaies... Ses premiers jugemens étoient les plus fürs, la réflexion le rendoit indécis. Des leftures rapides, aidés d'une mémoire heureufe, lui tenoient lieu d'une application fuivie; il fembloit plutöt deviner qu'étudier les matières. II avoit plus que des demi-connoiffances en peinture, en mufique, en chymie, en méchanique. Avec une valeur brillante, modefte en parlant de lui , & peu indulgent pour ceux qui lui étoient fufpecfs iur le courage, il eut été général, fi le roi lui eut permis de 1'être ; mais il fut toujours en fujétion a la cour , & en tutelle a 1'armée. Une familiarité noble le mettoit au niveau de tous ceux qui 1'approchoient ; il fentoit qu'une fupériorité perfonnelle ie djfpenfoit de fe prévaloir de fon rang. Suite du Lïvre II.  RÉGENCE. ï45 tang. tl ne gardoit aucun refientiment des torts qu'on avoit eus avec lui, & en tiroit avantage, pour fe comparer k Henri IV. Son infenfibilité, a eet égard, venoit de fon mépris pöur les hommes ; il fuppofoit que fes 'ferviteurs les plus dévoués auroient été fes ennemis , pour peu que leur intérêt les y eut portés. II foutenoit que 1'honnete - homme étoit celui qui avoit 1'art de cacher qu'il ne 1'eft point : jugement auffi injufte pour 1'humanité > que déshonorant pour celui qui le porte. II tenoit cette manière de penfer de 1'homme le plus corrompu, (1'abbé, depuis cardinal Dubois,) qui ne croyoit pas a la vertu, m a la probité; & n'étoit pas fait pour f croire. Le duc d'Orléans avoit eu fucceffivement quatre (i) gouverneurs, qui moururent k fi peu de diftance 1'un de 1'autre, que Benferade difoit qu'on ne_ pouvoit pas élever de gouverneur k ce prince, Saint-Laurent, Officier de Monfieur, & 1'homme du plus grand mérite, fut le précepteur; mais Ü mourut trop tot pour fon élève. II avoit pris , pour copier les thêmes du jeune prince, Pabbé Dubois, moitié fcribe , moitié valet du curé de Samt-Euftache. Lorfque Saint-Laurent mourut, le prince étoit affez grand, pour que les fous-gouverneurs, k qui Dubois s'étoit attaché a plaire, dilfuadaffent Monfieur de prendre un précepteur en tirre, & Dubois en continua les fon&ions. La memoire des gouverneurs & du précepteur fut rJc^l,"£réch.?il d| Navailles, le rnaréchal d'ÈftradeS, i« toVlnW le marquis d'Arcy t chevaher des or1S^£ttfS£^^ fo»sS°»verneursfuten£ Tome /, j£  146 RÉGENCE. toujours chère au duc d'Orléans; mais Dubois lui fit perdre celle de leurs lecons. II eft affez curieux de connoitre 1'origine de eet homme fingulier. Fils d'un apothicaire de Brive, après avoir fait quelques études, il fut précepteur du fils du préfident de Gourgues. On prétend qu'il fe maria enfuite fecrétement. La mifère lui infpirant le defir d'aller tenter fortune , d'accord avec fa femme qu'il laiffa en Limofin , il fe rendit a Paris. Ignoré par fa propre obfeurité, il entra au collége de Saint-Michel, pour y faire les fonctions les plus baffes. Né avec d^ 1'efprit, il acquit bientöt affez de littérature, pour qu'un dodteur de Sorbonne le retirat chez lui. Ce premier maitre étant mort, le curé de Saint-Euftache le prit a fon fervice. Ce fut-la qu'il fut connu de Saint-Laurent, ami du curé. Souple, infinuant, prévenant , il obtint , finon 1'amitié , du moins la compaffion de Saint-Laurent qui le prit & 1'employa fous lui, comme nous 1'avons vu. On 1'habilla convenablement , pour lui donner la vraie figure d'un abbé , relever un peu fon extérieur piètre & bas, & le rendre préfentable. II s'infinua, par degrés, dans 1'efprit du jeune prince , & finit par s'en emparer après la mort de SaintLaurent. Comme 1'intirnité laiffe bientöt voir le caractère, 1'abbé fentit qu'il feroit méprifé de fon élève, s'il ne le corrompoit lui-même; il n'y oublia rien, & malheureufement n'y réuffit que trop. On ne fut pas long-tems k s'appercevoir du crédit de 1'abbé fur le prince ; mais le peu d'importance du perfonnage le fauvant alors de la jaloufie, on ne fut pas fiché dayoir quelqu'un dont on püt  Régence, • *47 fe fervir, dans 1'occafion, comme d'un inftrumeni lans conféquence» Le deflein que le roi prit de faire épotifer ma* demoifelle de Blois, fa fille naturelle, au duc de Chartres, mit 1'abbé Dubois en oeuvre. Le roi qui fentit bien que Monfieur, tout foumis qu'il étoit , répugneroit k la propofition , & qUe la hauteur allemande de Madame en feroit indignée, penfa d'abord a s'affurer du confentement du duc de Chartres. II fut que perfonne n'y réiifliroit mieux que 1'abbé Dubois , & le fit charger de cette commiflion, L'abbé avoit déja perfuadé k fon difciple, qu'il n'y avoit ni vice, ni vertu t mais n'ayant pas été k pörtée d'attaquer, ni même de connoitre les maximes de 1'honneur du monde,, cela devenoit une entreprife. II étoit plus difficile de détruire des préjugés d'orgueil que des principes de mórale, & ces préjugés nê laiflbient pas d'être fondés en raifon. Dubois vint k bout d'en triompher, en effrayant le duc de Chartres de la puifiance du roi, & en lui préfentant 1'appat d'une augmentation de crédit & de dignité perfonnelle , par la continuation des honneurs de fils de France, fupérieurs a ceux de petlt-fils. Le mariage fut conclu, malgré les incertitudes du duc de Chartres , les répugnances de Mon» fieur & les fureurs de Madame qui donna un fouftlet a fon fils, k la première déclaration qu'il lui en fit. Le duc de Chartres trouvoit d'ailleurs dans la femme qu'il époufoit, figure, efprit, vertu &J nobleffe de Caraétère; mais elle s'étoit fait fur fa* naifïance une illufion' fingulière. Ëlle s'imaginoh tvoir fait k fon tnari amant d'honneur qu'êlte K ij  t$ RÉGENCE. en avoit recu. Fiére de fa naiflance, qu'elle devoit au roi, elle ne faifoit pas la moindre attention k la marquife de Montefpan , fa mère. On la comparoit affez plaifamment k Minerve , qui ne reconnoiffant point de mère, fe glorifioit d'être fille de Jupiter. Cette manie ne 1'empêchoit pas de fe prévaloir avec fes frères & fes fceurs des honneurs qu'elle ne devoit qu'a fon mariage» Moins fenfible k 1'amour qu'aux refpeös qu'elle exigeoit de fon mari, elle eut toujours plus de dépit que de jaloufie des maitreffes qu'il prit, & n'auroit pas fait les moindres avances pour le ramener. Tant de hauteur fortifia le goüt du duc d'Orléans, pour une vie libre qui devint quelquefois crapuleufe. Humain, compatiffant, il auroit eu des vertus , li 1'on en avoit fans principe; 1'abbé Dubois les lui avoit fait perdre. La fujétion oix le roi le tenoit, lui faifoit donner de grands éloges k la liberté angloife (1). II eft vrai que celle qu'il defiroit pour lui, il la laiffoit aux autres. II eut quelquefois des rivaux qui ne s'en cachoient pas trop. A 1'égard de fes fociétés, il n'y étoit ni difficile, ni gênant. Dès qu'on lui plaifoit, on devenoit fon égal. Malgré fes talens &c les reffources de fon ei'prit, il ne pouvoit fe fuffire long- (1) li aimoit a raconter que le grand-prieur de Vendöme ' exilé de la cour de Louis XIV, étoit allé a Londres, oü il devint amoureux d'une maitreffe de Charles II. Ce prince 3'dyant prié de ceffer fes pourfuites, fans pouvoir 1'obtenir, lui défendit 1'entrée de fun palais. Le grand-prieur n'en eut que plus d'affeêtation a, fuivre cette femme aux fpeftacles , aux promenades , Sc toujours aux yeux du roi qui fut enfin oblip;é de s'adrefier a Louis-XIV, & de le prier de rappeller Je grand-prieur. Louis fe fit obéir a Londres, 1'exilé revint «rembler a Verfaiüc-s. ;  RÉGENCE. 149 temps k lui-même ; la diffipation, le bruit, la débauche lui étoient néecffaires. II admettoit dans fa fociété des gens que tout homme qui fe refpeöe n'auroit pas avoué pour amis , malgré la naiffance & le rang de quelques-uns d'entr'eux. Le régent, qui pour fe plaire avec eux ne les en eflimoit pas davantage , les appelloit fes roués t en parlant d'eux & devant eux. La licence de eet intérieur étoit pouffée au point, que la comtefie de Sabran lui dit un jour, en plein fouper, que Dieu, après avoir créé 1'homme, prit un refte de boue dont il forma 1'ame des princes & des laquais. Le régent, loin de s'en facher , en rit beaucoup , paree que le mot, vrai ou faux, lui parut plaifant. Le curé de Saint-Cöme (Godeau) fit, dans un pröne, un tableau dont 1'application étoit frappante contre le régent. Le prince, a qui 1'qn en paria, dit, fans s'émouvoir : De quoi fe mêlet-il ? je ne fuis pas de fa paroifie. Quant a la religion, il feroit difficile de dire quelle étoit celle du régent; il étoit de ceux dont on dit qu'ils cherchent maitre. Sans faire attention que le refpecT: pour la religion importe plus aux princes qu'a qui que ce foit, le régent affeftoit & affichoit une impiété fcandaleufe. Les jours confacrés pour la dévotion publique étoient ceux qu'il célébroit par quelques débauches d'éclat; fon impiété étoit une forte de fuperftition. Ces excès ou ces petitefles décéloient un homme qui n'eft rien moins que ferme dans fes fentimens, & veut s'étourdir fur ce qui le gêne. En cherchant k douter de la divinité, il couroit les devins & les devinereffes, & montroit toute la curiofité crédule d'une femmelette. II y a grande Kiij  IjO R Ê C E N C E. apparenee que, s'il fut tombé dans une maladie de langueur, il auroit recouru aux reliques & k Peau bénite. J'ai rapporti le trait par lequel le roi 1'avoit fi bien caradtérifé. Madame ne le connoiiToit pas moins, lorfqu'elle difoit: les fées furent conviées k mes couches, & chacune douant mon fils d'un talent, il les eut tous; malheureufement on avoit oublié une vieille fée qui, arrivant après Jes autres, dit : il aura tous les talens, excepté celui d'en faire bon ufage. Madame aimoit tendrement fon fils, quoiqu'elle en blamat fort la conduite. Cette princeffe, avec un fens droit, étoit attachée k la vertu, k Yhonjieur, aux bienféances, k 1'étiquette de fon rang, Une fanté inaltérable qui 1'empêchoit de connoitre aucune délicatefie pour elle , la faifoit paroitre dure pour les autres, en qui elle ne fup^ pofoit pas plus de befoins. Franche jufqu'a. Ia groffiéreté, bienfaifante, capable d'amitié , elle ne cherchoit point a plaire, elle ne vouloit être aitnée que de ceux qu'elle eftimoit. Elle aimoit fort Ia nation , & il fuffifoit d'être Allemand, pour en être accueilli. Tous fes parens lui étoient chers, & fon jnclination fe régloit fur la proximité du fang, même k 1'égard de ceux qu'elle n'avoit jamais vus. Elle eftimoit fa belle-fille, & 1'auroit aimée , fi elle eüt été légitime. Sa févérité fur les devoirs excitoit en elle la plus forte indignation contre la ducheffe de Berri, fa petite-fille, On ne pouvoit louer dans celle-ci que la figure & les graces ; car beaucoup d'efprit, dont elle abufa toujours, n'eft pas un fujet d'éloge. Sans avoir les bonnes qualités de fon père , elle en OUtroit tous les vices, II avoit été fon précepteur  RÉGENCE. IJl a eet égard; elle devint bientöt fon émule & le furpaffa. Nous avons vu la vanité bizarre que la ducheffe d'Orléans tiroit de fa naiffance ; fa fille rougiffoit de lui devoir la fienne. Une telle oppofition d'idées &c une trop parfaite égalité d'orgueil ne devoient pas maintenir 1'union entre la mère & la fille; les diffentions étoient donc continuelles &c alloient fouvent jufqu'a Péclat. La ducheffe d'Orléans s'en affligeoit, paree qu'elle étoit mère, ce fentiment la préfervoit de la haine pour fa fille ; mais celle-ci qui avoit renoncé, a tout fentiment honnête , ne difïïmuloit ni fon mépris ni fon averfion. Le duc d'Orléans fe contentoit de la défapprouver , &c n'ofoit la réprimander. Le père & la fille vivoient dans une telle intimité, que des bruits, qui n'avoient été que des murmures fourds, devinrent des propos publiés, & allèrent jufqu'au duc de Berri. Sa religion ne lui permettoit pas de les croire; mais comme il aimoit éperduement fa femme, il étoit importune des afliduités de fon beau-père , & ce tiers incommode lui donnoit une humeur qu'il ne contenoit pas toujours. II étoit d'ailleurs effrayé des difcours impies que le père & la fiile affectoient devant lui. C'étoit entr'eux deux un affaut d'irréligion & de mépris des mceurs. Leur impiété étoit autant une manie qu'un vice. La princeffe railloit imprudemment fon mari fur une dévotion qiii étoit pourtant 1'unique préfervatif qu'il eut contre des foupcons qu'elle devoit tacher de detruire. Le père & la fille, n'avoient pour fe juftiner, que Fexcès d'tme folie imprudence; mais K iv  Ï5a RÉGENCE. la folie de leur conduite, & leur indifference fur les propos du public, n'étoient pas une preuve d'innocence; la cour, qui n'avoit ni la vertu, ni la religion du duc de Berri, n'étoit pas fi réfervée dans fes jugemens. Le duc d'Orléans en fut averti, & s'en indigna d'horreur; fa fille n'en fut révoltée que d'orgueil ; & ni 1'un ni 1'autre ne fe contraignirent pas davantage. Si le duc d'Orléans étoit amoureux de fa fille , il n'en étoit pas jaloux , & vit toujours avec affez d'indifFérence le débordement de fa vie. A peine eut-elle époufé le duc de Berri, qu'elle eut des galanteries, ou le refpeft qu'on devoit a fon rang , 1'obligeoit de faire les avances. Le commerce qu'elle eut avec la Haye, écuyer de fon mari, fut porté k un degré de frénéfie incroyable. Non contente de laifler éclater fa paffion , elle propofa a fon amant de 1'emmener en Hollande. La Haye frémit k cette propofition, & fe vit obligé, pour ne pas être la viótime de fa difcrétion fur un pareil délire, d'en faire part au duc d'Orléans. 11 fallut tour-a-tour effrayer & flatter eet efprit égaré , pour que le projet ne percat pas jufqu'au roi. Peu k peu 1'accès fe difiipa ; & cette furieufe céda enfin a 1'impoffibilité de fe fatisfaire, ou a la crainte de rendre fa folie funefte a fon amant. Lorfque fon mari fut attaqué k Marly de la maladie dont il mourut , au - lieu de venir de Verfailles , pour le voir , élle. fe contenta d'en demander la permifiion au roi, qui répondit qu'étant grafie, elle feroit peut - être une im-t prudence , mais qu'elle en étoit la maïtreffe, Elle ne vint point, & fon mari mourut fans  RÉGENCE. 155 1'avoir yue, 5c fans en avoir prononcé le nom. La ducheffe de Berri, malgré fon orgueil, trembloit devant le roi, & rampoit devant madame de Maintenon. Nous verrons bientöt le refte de fa vie, qui fut courte, répondre a fes commencemensy Reprenons la fuite des faits. Le lendemain de la mort du roi, le parlement s'affembla pour décider de la régence. Le duc d'Orléans , les princes & les pairs s'y rendirent, & dès huit heures tout étoit en place. On fait que Louis XIV nommoit par fon teftament , au-lieu d'un régent, un confeil de régence, dont le duc d'Orléans ne feroit que le chef, & que le duc du Maine devoit avoir le commandement des troupes de la maifon du roi. Comme le procés - verbal de cette féance du a feptembre, & celui du lit de juftice, oii le jeune roi vint fe faire reconnoitre le 12, font entre les mains de tout le monde , je me contenterai d'y renvoyer le lefteur , & rappellerai feulement quelques circonftances, qui ne fe trouvent pas dans Pimprimé. Le duc d'Orléans étoit également occupé & inquiet d'un jour fi décifif. Le premier préfident s'étant vendu au duc du Maine, le duc d'Orléans acheta le colonel des gardes francoifes (le duc de Guiche Grammont;) en conféquence, le régiment occupa fourdement les avenues du palais, & les officiers avec des foldats d'étfte, mais fans Puniforme, fe répandirent dans les falies. L'abbé Dubois affe&a de mener dans une des lanternes Stairs , ambaffadeur d'Angleterre, pour infinuer que la cour de Londres en cas d'événement, ap-  1J4 RÉGENCE. puyeroit le duc d'Orléans. Ces difFérentes mefiirès furent fuperflues , le perfonnel de deux concurrens décida de tout. Le duc d'Orléans , en réclamant les droits de fa naiflance, n'oublia pas de dire des chofes flatteufes pour le parlement. Sa contenance ne fut pas d'abord bien libre; mais il fe raffermit par degrés, a mefure que les efprits paroiflbient lui devenir favorables. Enfin, la régence lui ayant été déférée, il y eut encore fur la tutelle du jeune roi, & fur le commandement des troupes de fa maifon, quelques difcuflions qui donnoient au ré; gent & au duc du Maine un air de cliens aux pieds de la cour. Les amis du premier, fentant que la feule égalité de röle le dégradoit, lui confeillèrent de remettre la féance a 1'après - midi, pour régler le refte. Ce confeil fut un coup de parti. Le régent leva la féance, & fe rendit chez lui, oü il eut-le tems de reprendre fes efprits. II fit venir le procureur-général d'Aguefleau, & le premier avocat-général, Joli de Fleury. Ces deux magiftrats, les plus éclairés du parlement, n'ont point encore eu de fuccefleurs. Le premier, plein de lumières , de connoifiances & de probité, cherchoit, voyoit & vouloit toujours le bien. L'autre, avec autant d'efprit, mais plus fin, diftinguoit du premier coup-d'ceil, entre deux biens, celui qui lui convenoit le mieux, & favoit le faire envifager comme le meilleur. L'un & l'autre comprirent également qu'il ne s'agiffoit plus d'examiner fi 1'exécution du teftament eut été préférable, ou non, a la régence déja déférée au duc d'Orléans. Ils fentirent le danger de féparer 1'autorité militaire d'avec 1'admi-  RÉGENCE. IJ5 niftration politique. Le régent, appuyé des princes & des pairs contre les légitimés, fe feroit bientöt fervi de 1'autorité qu'il avoit déja obtenue , pour s'emparer de celle qui lui feroit refufée; ce qui ne pourroit fe faire fans troubler 1'état; aulieu que le duc du Maine étant dépouillé de tout, fa timidité répondoit de la paix. Les chofes ainfi difpofées au Palais-Royal, ne trouvèrent plus de difficulté dans la féance de l'après-midi. Le parlement aima mieux faire un régent, que de rifquer qu'il fe fit de lui - mêine. Quelques-uns, en annullant le teftament de Louis XIV, n'étoient pas fachés d'infulter au lion mort, & de paroïtre accorder librement ce qui ne manqueroit pas de leur échapper. Je vois dans les lettres du prince Cellamare, ambaffadeur d'Efpagne en France, que Philippe V s'étoit flatté d'obtenir la régence, Sc de la faire adminiftrer, en fon nom , par un repréfentant. Cellamare écrit qu'il a fondé les difpofitions de tous ceux qui pourroient fervir le roi d'Efpagne , & que tous déclarèrent que la propofition ièule révolteroit la nation entière; mais que tous aulli avouoient ouvertement que, fi le roi mineur venoit a manquer, Philippe V ne trouveroit aucuue difBculté a paffer fur le tróne de France. Cellamare cite, parmi ceux a qui il s'eft ouvert, la maifon de Condé , le duc de Guiche, colonel des gardes, Courtanvaux, capitaine des cent-fuiffes, le maréchal de Barwick, le cardinal de Polignac, le marquis de Torcy, fecretaire d'état, le duc de Noailles & le maréchal d'Eftrées, ces deux derniers particuliéremeht attachés au duc d'OrJéans. Les inftruttions de Cellamare alloient juf-  t)6 RÉGENCE. qu'a lui ordonner de faire une proteftation' contre tout régent qui feroit préféré a Philippe V; il fut affez fage pour n'en rien faire. Le duc du Maine, qui, fi le teftament eut fubfifté, devoit jouer un röle principal, en fit un bien miférable. Ce n'étoit pas un Dunois que fon mérite légitima. II ne fut ni retenir, ni remettre 1'autorité, & s'en laiffa dépouiller. La ducheffe du Maine, efpèce de petit monftre par la figure, vive, ambitieufe avec de 1'efprit, & ce qu'il peut refter de jugement a un vieil enfant gaté par les louanges de fapetite cour, entreprit, danslafuite, de relever fon mari, & penfa le perdre. Le régent, au fortir du parlement, fe rendit a Verfailles, auprès du roi, & paffa enfuite chez Madame., qui lui dit : Mon fils, je ne defire que le bien de 1'état & votre gloire; je n'ai qu'une chofe a vous demander pour votre honneur, & j'en exige votre parole. II la donna. C'eft de ne jamais employer ce frippon d'abbé Dubois , le plus grand coquin qu'il y ait au monde, & qui facrifieroit 1'état & vous au plus léger intérêt. La fuite fera voir que madame avoit plus de jument que fon fils n'avoit de parole. Le régent commenca par de grandes réformes dans la maifon, les batimens & les équipages du roi. Louis XIV n'ayant donné aucun ordre pour fes funérailles, on fe conforma a 1'économie que Louis XIII avoit prefcrite pour les fiennes. Les entrailles furent portées k Notre - Dame , & le coeur aux jéfuites. Louis XIV avoit ordonné qu'aufïi-töt après fa mort, on conduifit le jeune roi a Vincennes, k caufe de la falubrité de 1'air. Le régent le defi-  R É G £ N C E. 157 rok , pour être plus a portee de Paris & de fes plaifirs. Les médecins de la cour, plus commodément logés a Verfailles, qu'ils ne feroient a Vincennes, trouvoient que Pair le plus pur étoit celui du lieu qui leur étoit le plus commode; & toute la domefticité, par le même intérêt, approuvoit la médecine. Le régent manda les médecins de Paris, qui, par des raifons peut - être aiuTi défintéreflees que celles des médecins de la cour, fe déclarèrent pour Vincennes ; & le roi y fut conduit le 9 , fans traverfer Paris. Le même jour, le corps de Louis XIV fut porté a St. Denis. L'affluence fut prodigieufe dans la. plaine. On y vendoit toutes fortes de mets & de rafraichiffemens. On voyoit de toutes parts le peuple danfer, chanter, boire, fe livrer k une joie fcandaleufe, & plulieurs eurent Pindignité de vomir des injures, en voyant paffer le char qui renfermoit le corps. Le régent, dans fon premier travail avec les fecretaires d'état, fe fit repréfenter la lifte de toutes les lettres de cachet, &c il y en eut beaucoup dont ils ne purent lui dire les motifs. 11 fit rendre la liberté a tous ceux qui n'étoient pas détenus pour crime réel, & il s'en trouva peu de ceux ~lk ; prefque tous étoient des vidlimes de miniftres & du père Tellier. II "fortit, entr'autres, un chevalier d'Aremberg, d'un cachot oü il étoit depuis onze ans, pour avoir procuré 1'évafion du père Quefnel des prifons de Malines. Je 1'ai vu quelquefois depuis dans ma jeuneffe; & quoiqu'il ne fut pas agé, la rigueur de fa prifon lui avoit donné Pair de la décrépitude. II fe trouva encore a la Baftille un Italien arrêté depuis trente - einq  1 «(S RÉGENCE* ans, le jour qu'il étoit arrivé k Paris. II reprè* fenta que fa liberté feroit déforrnais fon plus grand malheur, & qu'il réelameroit inutilement des parens, qui, peut - être, ne vivroient plus , ou dont il feroit méconnu. Le régent ordonna qu'il fut bien traité k la Baftille, avec liberté de fortir Sc de rentrer. L'état dans lequel parurent les prifonniers de la bulle, faifoit horreur, Ce premier afte de juftice fit donner au régent les plus grands éloges; Sc il n'eft pas inutile d'obferver que 1'ouverture des prifons ne fe fit que deux jours après le convoi de Louis XIV, Sc par conféquent ne fut pas la caufe de la joie que le peuple y fit paroïtre; mais le deur Sc 1'efpoir d'un meilleur état, étant toujours le feul bien qu'on lui laiffe, il applaudit k toute révolution dans le gouvernement, en attendant qu'il fe détrompe encore. Dès que le roi eut tenu fon premier lit de juftice , le régent rendit au parlement le droit de remontrances (i), dont il n'étoit plus queftion depuis long-tems. II nomma aufli les différens confeils qu'il avoit annoncés. Celui de régence auquel tous les autres devoient être fubordonnés » (i) Par 1'édit de 1667, il avoit été ordonfté que dans les eas oü le parlement croiroit devoir faire des remontrances , elles feroient préfentées dans les huit jours après 1'envoi dès édits , ordonnances ou déclarations , paffe quel tems , les édits, &c. feroient cenfés enregiftrés. Par 1'édit de 1673, il fut ordonné que tout enregiftrement fe feroit fur le premier requifitoire du procureur - général, fauf a faire des remontrances dans les huit jours qui fuivoient ; mais fans que 1'exécution des édits , ordonnances, Sec. püt être fufpendue. Les remontrances étant devenues inutiles, on n'en faifoit plus, Le régent fit rendre au parlement le droit de remontrances, par une déclaration du roi du 15 feptembre ryjs,  RÉGENCE. 159 fut compofé en partie de membres nommés par le teftament. La Vrillière en fut le fecretaire; Pontchartrain y entra auffi, mais fans fonéf ion, & tous les deux fans voix. Le maréchal de Tallart, quoique nommé dans le teftament, ne pouvant fe faire employer , alloit criant par - tout qu'il ne lui reftoit. pour fon honneur que de fe faire écrire le teftament fur le dos. II fut dans la fuite admis au confeil de régence. Le public, touché de la vertu & de la perfécution qu'avoit éprouvé le cardinal de Noailles, applaudit a fa nomination de chef du confeil de confeience. II y avoit peu de jours que tout trembloit fous la bulle : en vingt-quatre heures tout devint ou fe déclara contre. Le parlement fut flatté de voir d'Agueffeau, Joli de Fleury, & 1'abbé Pucelle entrer au confeil de confeience, & Roujault, Goeslard & 1'abbé Mingui admis dans celui des affaires de 1'intérieur du royaume. Le père Tellier, nommé confeffeur par le codicile de Louis XIV, fe voyant fans fon&ion, attendu 1'Sge du roi, demanda au régent quelle étoit fa deftination préfente. Cela ne me regarde pas, répondit le prince, adreffez-vous k vos fupérieurs. A peine les confeils alloient-ils s'affembler, qu'il furvint une difficulté dans celui des finances, le feul oii il y eut des confeillers d'état. Pour connoitre fur quoi elle portoit, il faut fe rappeller que, lors de la fignature du traité de Bade, la Houffaye confeiller d'état & troifième ambaffadeur avec le maréchal de Villars & le comte du Luc, prétendit figner avant le comte , & ne ct-  ï6o RÉGENCE. der qu'aux gens titrés ou grands officiers de ia couronne. Le roi, au-lieu de décider la queftion, rappella la Houffaye, & envoya Saint - Conteft qui n'étant que maitre des requêtes, voulut bien figner après le comte du Luc. D'après eet exemple , les confeillers d'état demandoient la préféance fur le marquis d'Effiat, chevalier des ordres, mais ni titré, ni grand officier de la couronne. Le régent après force négociations , nomma d'Effiat vice-préfident du confeil des finances, &c les confeillers d'état y acquiefcèrent d'autant plus volontiers, qu'ils s'affuroient ainfi la préféance furtout autre qui, n'étant titré ni grand officier , deviendroit fimple membre du confeil. En effet, lorfqu'une affaire obligeoit les confeillers d'état de venir au confeil de régence, ils fe placoient après les maréchaux de France, & au-deffus des autres membres de la régence; & le maitre des requêtes rapportoit debout. Le fuccès des confeillers d'état, donna lieu a une prétention des maitres des requêtes, favoir, de rapporter aflïs au confeil de régence, k moins que ceux qui n'étoient ni ducs ni grands officiers , ni. confeillers d'état, ne fuffent aufli debout. Le régent toujours embarraffé d'ordonner, fouffrit pendant plus d'un an que les chefs ou préfidens des autres confeils, rapportaffent eux-mêmes les affaires, & la plupart s'en acquittoient fort mal. Le maréchal de Villars écrivoit de facon, que perfonne ni lui-même ne pouvoit lire fon écriture. Le maréchal d'Eftrées s'embrouilloit fi fort, en rappomnt, qu'il rendoit fouvent 1'affaire inintelligible. Cela ne finit qu'a la mort du chancelier Voifin. D'Agueffeau trancha la diffi- culté,  RÉGENCE; ï6x Eulté, en obligeant les maïtres des requêtes dé rapporter debout; Amelot > après aVoir inutilement follicité a Rome la tenue d'un concile national, revint k Paris > & difoit librement qüe le pape gémiffoit d'avoir donné fa cOnftitution. Le père Tellier ne cefloit d'écrire que le roi la defiroit, & le papê le dit formellement dans 1'exorde de la blille. Lë pontife qui fe piquoit de latinité, avoit cbmpöfé eet exorde; mais Jouvenci avoit corrigé le theme dont le cardinal Fabroni, & le jéfuite d'Aubenton avoient fourm la matière. Si le père Tellier, ajoutoit le pape, ne m'avoit pas perfuadé du pouvoir abfolu du roi, je n'aurois jamais hafardé cette conftitution. Amelot excité par la eonfiahcé du pape, lm dit : mais poürquoi, faint-père, aülieu de cette condamnation in globo de tant de propofitions différentes j ne vous êtes vous pas borne k quelques-unes devraiment repréhenfibles, qu'on ^peut trouver dans quelque livre que cë pmffe être, quand on lesrcherche bien ? Eh, mon ener Amelot, que pouvois-je faire? Le pere Tellier avoit dit au roi qu'il y avoit dans le livre de Quefnel , plus de 100 propofitions cenfurables il n'a pas voulu paffer pour menteur; on m'a temi le pied fur la gorge, pour en cenfurer plus dé cent; je n'en ai mis qu'une de plus, & 1'on én vouloit 103. Ce récit fimple difpenfe de toutes reflexions. Le défordre des finances exigeoit la plus forte attention du gouvernement. On a depuis quelques «mneesfait tant • d'ouvrages bons cu mauvais fur 1'agnculture, le commerce & les finances \ qu'il faut efpéref que les vrais principes feront enfiii Tornt li j_  ióï, RÉGENCE. connus. II ny aura plus qu'a defirer des mihif* tres inftruits, &C plus attachés a 1'état qu'a leurs piaces. Sans entrer dans une difcuffion fyftématique fur ces matières, je me bornerai k rapporter les événemens. Le maréchal de Villeroi, étoit le chef de repréfentation du confeil des finances, 6c n'a jamais été autre chofe, quelque pofte qu'il ait occupé. II avoit eu une des belles figures qu'on put raontrer dans un bal, un carröufel; magnifique avec l'air & les manières d'un grand feigneur, efprit borné & fans culture, de la vieille galanterie , un jargon de cour, de la morgue, haut ou plutöt glorieux, & plus bas que refpeftueux auprès du feu roi , & de madame de Maintenon. Le duc depuis maréchal de Noailles, préfident de ce même confeil des finances, en étoit le véritable maitre, & donnoit principalement fa conriance k Rouillé du Coudrai, parfaitement honnête homme avec beaucoup d'efprit & de littérature; mais aimant le vin jufqu'a 1'ivreffe , débauché jufqu'au fcandale , & ne fe retenant fur Tien. Un jour qu'en plein confeil, & en préfence du régent, il s'exprimoit avec fa liberté ordinaire , le duc de Noailles lui dit : M. Rouillé, il y a ici de la bouteille. Cela fe peut, M. le duc, repliqua Rouillé; mais jamais de pot de vin. Le trait fut d'autant mieux fenti que les Noailles paflbient pour ne fe pas contraindre fur les affaires ; & Rouillé avoit les mains fi nettes, qu'une compagnie de traitans lui ayant préfenté une lifte de leurs aftbciés, oü il trouva des noms en blanc, il leur en demanda la raifon, ils lui répondirent que c'étoiènt les places dont il pouvoit difpofer.  R i C fe H C Ê; ïg3 Mais fi jé partage avec vous, leur dit-il, com> ment pourrai^-je vous faire pendre, au cas qué vous foyez des frippons? A 1'égard du duc de Noailles , en le déeom* pofant* ön en auroit fait plufieurs hommes, dont quelques-uns auroient eu leur prix. II a$ car il vit encore, beaucoup & de toutes fortes d'efprit, une éloquence naturelle, flexible & aflbrtie aux différéntes matières, Séduifant dans la converfaïioh , prenant le ton de tous ceux a qui il partei, & fouvent par-li, leur faifant adopter fes idéés ^ quand ils croient lui communiquer les leurs. Une imagination vive & fertile, tóutefbis plus fecondfe en^ projets qu'en moyens. Sujet k s'éblouir lui* même, il concöit avec feu, commence avec chanteur , & quitte fubitement la route qu'il fuivoit pour prendre celle qui vient la traverferi, II n'a de fuite que pour fon intérêt perfönnel, qu'il ne perd jamais de vue. Maitre alors de lui-mê*me, il paroit tranquille^ quand ü eft le plus agité* Sa converfation vaut mieux que fes éerits ; car en voulant combiner fes idees j k force d'analy* fer, il finit par faire tout évaporer. Ses connoif» fances font étendues,, variees & peu profondes. II accueille fort les gens de lettres -, & s'en eft fervi inutilement pour des mémoires. Dévot ou libertin füivant les circonftances il fe fit difora? eier en Efpagne , en propofant une maïtrefle k Philippe. V> II fuivit enfuite madame de Maintenon k 1'églife, & entretint une fillé d'opéra au «ommencement de la régence, pour être au ton régnant. Le defir de plaire k tous les partis lui a fait jouer des röles embarraflans * fouvent ri-^ dicules, & quelquefois humilians. Cltoyen zélé» L ij  164 R É g e n e Ë. quand fon intérêt propre le lui permet, il s'appliqua k rétablir les finances, & y feroit peutetre parvenu, fi le régent 1'eüt laiffé continuer fes opérations. Quelque fortune que le duc de Noailles fe fut procurée, ce ne pouvoit être un objet pour 1'état. On auroit du moins évité la fecoufie du pernicieux fyftême de Law qui n'a enrichi que des frippons, grands ou petits, ruiné la moyenne claffe la plus honnête & la plus utile de toutes , bouleverfé les conditions , corrompu les mceurs, &c altéré le caractère national. Comme il n'y a rien de fixe dans 1'étiquette & le cérémonial de France, attendu que les minifires ont intérêt que .cela foit aihfi , pour être ioujours maïtres dans les occafions de décider fuivant leurs affeftions particulières; le fervice qui fe fit a Saint-Denis póur le feu roi, donna lieu è des' difcuffions affez vives, entre le parlemeat & les ducs & pairs, qui porto'ient les honneurs. Le régent fe garda bien de prononcer. 11 aimoit affez la divifion entre les corps, & difoit quelquefois , dividz & irnpera; mais il entroit -dans fa conduite , au moins autant de foibleffe que de politique. II affeaoit encore de méprifer Pétiquette; il y en a cependant des articles qui au premier coup d'ceil, paroitroient un pédantifme, & feroient approuvés par un jugement plus réfléchi. Dans beaucoup d'occafipns, 1'étiquette ehtretient la fubordination, fupplée aux mceurs & quelquefois les conferve. Elle eft fi peu indifférente de nation a nation, que c'eft toujours par .une diminution de puiffance & de confidéraüon , qu*un prince fe relache de fon étiquette k 1'égard d'un autre«  Régence. i6j Chacuh voyant dans la régence qu'on pouvoit •fégler fes droits fur fes prétentions, la ducheffe de Berri, plus autorifée que perfonne, prit quatre dames du palais, quoiqu'aucune fille de France n'eüt jamais eu qu'une dame d'honneur Sc une dame d'atours (i). Elle voulut auffi avoir une compagnie de gardes. Le régent lui repréfenta inutilement que jamais fille de France, ni reine, excepté la reine régente , mère de Louis XIV, n'avoit eu cette diftindtion, it fallut la fatisfaire; mais il donna en même-temps une pareille compagnie de gardes a fa mère, Madame, veuve de Monfieur. Au défaut du titre de reine , la ducheffe de Berri cherchant k s'en attribuer les honneurs Sc même a les outrepafler, traverfa Paris depuis le Luxembourg oii elle logeoit, jufqu'aux Tuileries, entourée de fes gardes, avec trompette Sc timbales fonnantes. Le maréchal de Villeroi repréfenta au régent, que eet honneur n'appartenoit a qui que ce fut, qu'au roi, dans le lieu oii il eft; or il habitoit alors les Tuileries oü on Pa~ mena le 30 décembre 1715 , pour la commodité des confeils Sc celle dü fervice. La ducheffe de Berri fut donc obligée de s'en tenir a ce premier effai de trompettes & de timbales qui refterent depuis au Luxembourg. Elle voulut s'en dédommager par une autre entreprife, qui ne lui réuffit pas mieux. Elle parut fous un dais a 1'opéra, & le lendemain k la comédie, quatre de fes gardes fur le théatre Sc les autres dans le parterre. Le cri fut général , Sc de dépit, elle fe renferma (i) Voyez les états de la France avant Ia régence. L iij,  j66 Régence. depuis dans une petke loge oü elle étoit incognito / & comme la comédie fe jouoit alors trois fois la femaine fur le théatre de 1'opéra au Palais-Royal, la loge fervoit aux deux fpectacles. Le chevalier de Bouillon qui fe faifoit alors nommer le prince d'Auvèrgne, donna le projet des bals de 1'opéra, qui détourneroient des bals particuliers, oü il arrivoit fouvent du défordre, au-lieu qu'une garde militaire maintiendroit la pc-« Hce a 1'opéra. Le projet fut approuvé, & valut éooo liv. de penfion au prince d'Auvèrgne pour fon droit d'avis. La proximité de 1'appartement du régent, fit qu'il s'y möntra fouvent, en fortant de fouper, dans uri état peu convenable a 1'adminifirateur du royaume. Dès le premier bal, le confeiller d'état Rouillé y vint ivre, paree que ■c'étoit fon goüt & fon ufage; & le duc de Noailles dans le même état, pour faire fa cour. Si le régent eut eu deffein de maintenjr les loix & le bon ordre, il auroit profité du duel entre Ferïa»t, capitaine au régiment du roi, & Girardin capitaine aux gardes, pour faire un exemple; mais il fe contenta de leur faire perdre leurs emplois. Sans s'expliquer trop ouvertement, il infinuoit que les duels étoient un peu trop paflés de mode. II permit a Caylus de venir fe purger du fien contre 1c comte d'Auvèrgne, Le régent défendit cependant les voies de fait au duc de Richeüeu, & au comte de Bavière, qui ayant eu enfemble quelques paroles vives, avoient pris un rendez-vous. Peu de tems après , le duc de Richelieu &C Gacé fils du maréchal de Matignon, fe battirent & fe bleffè^ rent légérement. Le parlement les décréta, & le régent les envoya a la BafKlle. Tout fe borna au  RÉGENCE. 167 plus amplement informé, fans garder prilbn. Peu de temps après, Jonfac d'Aubeterre & Vilette , frère de la comteffe de Caylus, fe battirent auflï. Le parlement procéda contre eux; mais ils fortirent du royaume. Cette affaire réveilla celle de Ferrant & Girardin, qui furent effigiés. Plus d'un an avant la mort de Louis XIV, Stairs, ambaffadeur d'Angleterre en France, avoit cherché a fe lier avec le futur régent. II fentit bien que fi le duc du Maine avoit 1'autorité , élevé dans les principes du roi , il feroit favorable a la maifon Stuart. II fe tourna donc vers le duc d'Orléans; & par le moyen de 1'abbé Dubois, eut des conférences fecrètes, & perfuada a ce prince que le roi Georges & lui avoient les mêmes intéréts. Pour gagner d'autant mieux fa confiance, il convenoit que Georges étoit un ufurpateur a 1'égard des Stuarts ; mais il ajoutoit que fi le foible rejetton de la familie royale en France venoit a manquer, toutes les renonciations n'empêcheroient pas, que lui duc d'Orléans, ne füt regardé comme un ufurpateur a 1'égard du roi d'Efpagne. II ne pouvoit donc, difoit Stairs, avoir d'allié plus fur que le roi Georges. L'abbé Dubois qui avoit les vues que nous verrons dans la fuite, s'appliqua continuellement a infpirer ces fentiment? a fon maitre. A peine le duc d'Orléans étoit-il déclaré régent , que Stairs vint le trouver. II lui paria d'une confpiration vraie ou fauffe, qui étoit, difoit-ils prés d'éclater a Londres contre le roi Georges , & lui propofa un traité de garantie pour les fucceffions de France & d'Angleterre. Quoi qu'il en fut de la confpiration de Londres, le comte de L iv  RÉGENCE. Marr a la tête d'un parti en Ecoffe, en faveu? du prétendant, faifoit affez de progrès, pour que. 1'on confeillat k ce prince d'aller le fortifier par fa préfence. II partit de Bar , &t traverfoit la France, pour aller s'embarquer en Bretagne, Stairs en fut averti, & vint demander au régent de faire arrêter ce prince qui devoit pafier a ChateaiH Thiéri. Le régent voulant è. la fois fomenter les troubles d'Ecoffe, &c faire montre de zèle pour le roi Georges, donna en préfence de Stairs des ordres a Contade , major des gardes , d'aller k Chateau-Thiéri, furprendre le prétendant k fon paffage. Contade, homme intelligent &c bien inftruit des intentions fecrètes du régent, partit bien réfolu de ne pas trouver ce qu'il cherchoit. Stairs fe fiant peu aux démonftrations du ré-. gent, réfolut de délivrer, par un coup de fcélérat, le roi Georges de toutes fes craintes. II apprit par fes efpions que le prétendant étoit caché k Chaillot, dans une maifon du duc de Lauzun, d'oii il devoit fe rendre en Bretagne. II chargea Douglas , colonel Irlandois , a la folde de France, d'aller s'embarquer a Nonancourt, avec trois affaffins. Ils demandèrent en arrivant & avec tant de vivacité, fi Pon n'avoit point vu pafTer une chaife, qu'ils en devinrent fufpecfs a une madame PHöpital, maitreffe de la pofte, femme d'efprit & de réfolution. La nouvelle du voyage du prétendant , s'étoit déja répandue, depuis qu'il avoit difparu de Bar, & 1'empreffement de ces couriers fit juger qu'ils avoient de mauvais deffeins. En effet, on fut depuis que les trois fatellites de Douglas étoient des fcélérats déterminés , qui, ayant que de partir de Londres, avoient fait leur,  RÉGENCE. i$y piarché pour leur familie, au cas qu'ils fuffent pns & exécutés après avoir fait leur coup La maitreffe de la pofte les affura que depuis quelques jours il n'étoitpas paffe de chaife; qu'il. étoit jmpoffible qu'il en paflat fans relayer, ou du moins fans être vues, & qu'ils pouvoient être fürs que nen ne leur échapperoit. Douglas, après être refte deux heures inutilement fur la porte, mit iin de fes gens en fentinelle, donna fes ordres au fecond, en lui parlant a 1'oreille, & amena le troifième avec lui pour aller en-avant fur le chemin de Bretagne. La maitreffe détacha auffi-töt un de fes gens fur la route de Paris, pour veiller a Parnvée de la chaife, & la détourner chez une arme fure qu'elle alla prévenir en fortant par les derrières de fa maifon. A fon retour, elle apprit quun des denx Anglois, qui par fon état paroiflort fupeneur k l'autre, s'étoit jetté fur un lit ou il repofoit. Elle dit k celui qui étoit fur la porte , qu'il feroit auffi-töt averti dans la maifon que dans la rue, & lui propofa de boire un coup. II rentra, & un pofiillon affidé , 1'ayant excité a boire , 1'enivra complétement. En même-tems elle enferma a doublé tour celui qui repofoit & envoya chercher la maréchauflee; PAnglois'enfermé fut faifi fur le lit oü. il dormoit. II entra en fureur de fe voir arrêté, & fe réclama de 1'Ambaffadeur.^ On lui répondit que jufqu'a ce qu'il eut juftifié qu'il appartenoit au comte de Stairs il demeureroit en prifon, oü 1'on fit auffi partir celui qm etoit ivre. Pendant ce tems-la le prétendant arriva, & fut conduit dans la majfon oü il étoit attendu. Ma-, dame 1'Höpital alla 1'y trouver, & lui expliqua  170 RÉGENCE. ce qüi fe paffoit. Le prétendant, pénétré de reconnoiffance , ne diffimula point qui il étoit, & demeura caché k Nonancourt pour y prendre des mefures contre ceux qui n'étoient pas arrêtés. Douglas bientöt inftruit de ce qui venoit de fe paffer a 1'égard des deux Anglois de Nonancourt, s'en retourna k Paris. Peu de jours après, le prétendant partit, déguifé en eccléfiaftique dans une chaifle que lui procura fa libératrice. II lui donna une lettre pour la reine d'Angleterre k qui elle alla rendre compte de tout k Saint-Germain. La reine lui donna fon portrait; le prétendant lui envoya aufli le fien, la fituation de la mère Sc du fils, ne leur permettant pas d'autres marqués de reconnoiffance. La bonne madame de 1'Höpital, contente du fervice qu'elle avoit rendu , ne demanda rien au régent de ce qu'elle avoit dépenfé, & demeura 25 ans maitreffe de la pofte, que fon fils & fa belle fille tiennent encore. L'audacieux Stairs, pour voiler fon crime, eut 1'impudence de parler de 1'emprifonnement de fes affaflins, comme d'un attentat au droit des gens. On lui fit fentir combien pour fon hónneur, il lui convenoit de fe taire, & il fe tut. Nefmond, évêque de Bayeux, mourut cette an~ née. C'étoit un homme fimple, naif, plein de vertu. II dit un jour a un curé qui s'excufoit de s'être trouvé k un repas de noce, fur 1'exemple de Jefus-Chrift aux noces de Cana : ce n'eft pas le plus bel endroit de fa vie. On ne connut qu'a fa mort fes charités cachées k de pauvres families de fon diocèfe. II faifoit remettre fecrétement cha« que année 30000 liv. au roi Jacques IL  Régence. 171 Le maréchal de Chamilli (Bouton), célèbre par fa belle défenfe de Grave, mourut aufli cette an« née. II avoit été beau & bien fait, & avoit fervi dans fa jeuneffe en Portugal, ou il avoit été fort aimé d'une religieufe. C'eft k lui que les lettres portugaifes font adreffées. Quoique le régent eut donné parole a Madame, de ae jamais employer 1'abbé Dubois, il lui donna une place de confeiller d'état, au grand fcandale de la magiftratiire. Ce qui détermina principalement le régent, fut qu'aucun prélat ne demanda la place, ne voulant pas être précédé au confeil par 1'abbé Bignon, fimple eccléfiaftique. On n'en fut pas moins révolté, de voir un tel perfonnage fuccéder a un des plus dignes prélats du royaume, Fortin de la Hoquette, archevêque de Sens, II avoit refufé l'ordre du SaintEfprit, n'ayant pas, dit-il, la naiffance exigée par les ftatuts. On lui offrit d'altérer fa généalogie ; il répondit , je ne veux pas dégrader l'ordre par ma naiffance, & encore moins me dégrader moi-même par un menfonge. Le roi lui ayant offert de le difpenfer des preuves , il répondit qu'il ne vouloit pas fervir d'exemple k la violation des régies, & perfifta daas, fon refus (1), Si 1'entrée de 1'abbé Dubois au confeil, marquoit peu de confidératipn pour le public , le (1) Le maréchal Fabert avoit déja refufé l'ordre du SaintEfprit, par les mêmes motifs que la Hoquette. Le maréchal £e *?at*nat 'e même refus, paree que fes preuves de nobïefle n'auroient pas été totalement complètes. Le roi loua leur modeftie, mais ne les preffa pas. Ce font les trois feuls exemples de pareils refus, quoique plufieurs chevaliers aient eu cc^sfion de les imi?er,  I7Ï RÉGENCE. régent & Ia ducheffe de Berri Ie refpe&oient "encore moins par leurs moeurs. Le régent donnoit aux affaires Ia matinée plus ou moins longue, fuivant 1'heure oü il" s'étoit couché. 11 y avoit un jour fixe deftiné aüx minifires étrangers ; les autres jours fe partageoient entre les chefs des confeils; vers les trois heures il prenoit du chocolat, & tout le monde entroit, comme on fait aujourd'hui au lever du roi. Après une converfation générale d'une demi-heure, il travailloit encore avec quelqu'un , ou tenoit confeil de régence. Avant ou après cë confeil ou ce travail, il alloit voir le roi, a qui il témoignoit toujours plus de refpecl: que qui que ce fut; & Fenfant le remarquoit très-bien. Entre cinq & fix heures toutes affaires ceffoient, il alloit voir Madame , foit dans fon appartement 1'hyver, foit a Saint-Cloud, dans la belle faifon, & lui a toujours marqué beaucoup de refpeft. II étoit rare qu'il paffat un jour fans aller au Luxembourg voir la ducheffe de Berri. Vers 1'heure du fouper, il fe renfermoit avec fes maïtreffes , quelquefois des filles d'opéra, ou autres de pareille étoffe , & dix ou douze hommes de fon intimité qu'il appelloit tout uniment fes roués. Les principaux étoient Broglie, 1'aïné du maréchal de France, premier duc de fon nom , le duc de Brancas , grand'pere de celui d'aujourd'hui, Biron qu'il fit duc , Canillac , coufin du commandant des moufquetaires, & quelques gens obfcurs par euxmêmes & diffingués par un efprit d'agrément ou de débauche. Chaque fouper étoit une orgie. La régnoit la licence la plus effrénée; les ordures, les impiétés, étoient le fonds ou 1'affaifonnement  RÉGENCE* I73 de tous les propos, jufqu'a ce que 1'ivreffe compléte mït les convives hors d'état de parler 6c de s'entendre. Ceux qui pouvoient encore marcher, fe retiroient; Pon emportoit les autres, 6c tous les jours fe reffembloient. Le régent, pendant la première heure de fon lever, étoit encore fi appefanti, fi offufqué des fumées du vin, qu'on lui auroit fait figner ce qu'on auroit voulu. Quelquefois le lieu de la fcène étoit au Luxembourg chez la ducheffe de Berri. Cette princeffe, après plufieurs galanteries de paffage, s'étoit fixée au comte de Riom, cadet de la maifon d'Aidie, 6c petit neveu du duc de Lauzun. II avoit peu d'efprit, une figure affez commune, 6c im vifagp bourgeonné;, qui auroit pu répugner a bien des femmes. II étoit venu de fa province pour tachar d'obtenir une compagnie, n'étant encore que lieutenant de dragons. Et bientöt il infpira a la princeffe la pafiion la plus forte. Elle n'y garda aucune mefure, 6c la rendit publique. Riom fut logé magnifiquement au Luxembourg entouré de toutes les profufions du luxe; on alloit lui faire la cour, ayant de fe préfenter chez la princeffe, 6c Pon en étoit toujours recu avec la plus grande politeffe; mais il n'en ufoit pas ainfi avec fa maitreffe , il n'y a point de caprices qu'il ne lui fit effayer. Quelquefois étant pret a fortir, il la faifoit refter, il lui marquoit du dégout pour 1'habit qu'elle avoit pris; & elle en changeoit docilement. II Pavoit réduite a lui envoyer demander fes ordres pour fa parure 6c pour Parrangement de fa journée; 6c après les avoir donnés, il les changeoit fubitement,-.lui faifoit des brufqueries, la réduifoit aux larmes, 6c % venir lui deman-  i74 RÉGENCE. der patdon des incartades qu'il lui avoit faiiésV Le régent en étoit indigné, & fut fouvent pret de faire jetter Riom par les *fenêtréS; mais fa fillé lui impofoit filencej lui rehdoit les traitemens qu'elle recevoit de fon amant; & il finiffoit par faire a fa fille les foumiffions que Riom exigeoit d'elle. Si ces différentes fcènes h'avöieht pas eu tant de témóins, elles feroient incroyables. Ce qui étoit encore ineóncevable, c'étoit la politeffe de Riom avèé tout le monde, & fon infolence avec la princeffe. II devoit ce fyftême de con^duite au duc de Lauzun fon oncle. Celui-ci s'applaudiffant de voir fon neveii faire au Luxembourg le même perfonnage qu'il avoit fait luimême avec mademöifelle de Montpenfier, lui don^noit des principes de familie, & lui avoit perfuadé qu'il perdroit fa maitreffe, s'il la g&töit pat une tendreffe refpeaueufe» & que les princeffe Vouloient être göurmandées. Riom avoit profité jufqu'au fcandale des lecons de fon oncle, & le fuccès en prouvoit 1'efficacité. Cette princeffe fi haute avec fa mère , fi impérieufe avec fon père, fi orgueilleufe avec tout 1'univers , rampoit devant un cadet de Gafcogne. Elle eut cependant quelques góüts de traverfe, notamment avec le chevalier d'Aidie, coufin de Riom ; mais ce ne fut que des fantaifies courtes; 8c la paffion trionvpha jufqu'a la fin. Les foupers, les bacchanales , les mceürs du Luxembourg étoient les mêmes qu'au Palais-Royal, puifque c'étoient a-peu-près les mêmes fociétés. La ducheffe de Berri, avec qui lés feuls princes du fang pouyoient manger, foupoit ouvertement avec des gens obfcurs que Riom lui produifoiti  R É G E N C È. ijtj il s'y trouvoit même uh certain père Reiglet , jëfuite , complaifant, commenfal, & foi-difanf confeffeur. Si elle avoit fait ufage de fon miniftère , elle auroit pu fe difpenfer de lui dire bien des chofes, dont il étoit témoin & participe. La marquife de Mouchy (i) , dame d'atour de la princeffe, en étoit la digne confidente. Elle vivoit en fecret avec Riom, comme la ducheffe y vivoit publiquement; & cette rivale, cachée & commode, réconcilioit les deux amans, quand les brouilleries pouvoient aller trop loin. Ce qu'il y avoit de fingulier, c'eft que lk ducheffe de Berri croyoit réparer ou voiler le fcandale de fa vie par une chofe qui 1'aggravoit encore. Elle avoit pris un appartement aux Carmeutes de la rue St. Jacques, oii elle alloit de tems en tems paffer une journée. La veille des grandes fêtes, elle y couchoit, mangeoit comme les religieufes , affiftoit aux offices du jour & de la nuit, & revenoit de-la aux orgies du Luxembourg. Le régent voulut auffi , de fon cóté , édifier le public, & n'y réuffit pas mieux que fa fille. 11 marcha en grand appareil k St. Euftache , le jour de Paques , & y communia. Le contrarie de fa vie habituelle & de eet acle de religion , fit le plus mauvais effet. Quoique la paix régnat pour nous dans 1'Europe, les négociations n'en étoient pas moins vives. L'Anglois traitoit a-la-fois avec la France (i) Fille de Forcade, commis des parties cafuelles, & d'une deTi^ • -le !?adamek.fle Be"y- Mouchy,gentUhomm? öe licardxe , navou d'autre bs«n que-fon nom.  ij6 RÉGENCE, & 1'Efpagne, & cherchoit a étendre fön cbmmerce , au préjudice des deux puiffances. Notre intérêt étoit de prendre pour modèle la conduite de la maifon d'Autriche, tant qu'elle avoit régné fur 1'Efpagne & dans 1'Empire ; mais 1'abbé Dubois entrainoit le régent vers 1'Angleterre dont il lui vantoit la puiffance & les fecours dans le eas oii le roi viendroit a mourir. D'un autre cöté, Albéroni, avec le feul titré d'envoyé de Parme a Madrid, gouvernoit la reine & par conféquent la monarchie. C'étoit un de ces hommes que la fortune offre quelquefois comme un objet d'émulation aux ambitieux nés dans la pouffière. Fils d'un jardinier, il fortit de fon état, en entrant dans celui de 1'églife qui les admet tous, & fouvent les confond. Le duc de Parme , ayant quelques affaires a communiquer au due de Vendöme , général de 1'armée efpagnole eri Italië , hu envoya Rancoveri , évêque de Borgo* Le duc de Vendöme étoit en chemife fur fa chaife percée, lorfqu'on lui annonca 1'évêque. II le fit entrer,. & ne fe contraignit pas plus en lui donnant audience , qu'il ne faifoit avec 1'armée. Tout en parlant d'affaires , il continua les différentes opérations de fa toilette devant le prélat qui s'en trouva très-fcandalifé , & a fon retour, affura que jamais il ne reparoitroit a une audience fi peu décente. Le duc de Parme fit chercher quelqu'un d'intelligent, qui ne fut pas en droit d'être difficile fur le cérémonial. On lui préfenta 1'abbé Albéroni. Le prince 1'ayant entretenu, jugea qu'il conviendroit fort a la négociation; & que le duc de Vendöme, du cara&èfe dont il étoit, s'embarrafleroit peu de la dignité du perfonnage , qui d'ailleurs  RÉGENCE, iyj «Tailleurs étoit mafqué de Phabit eccléfiaftique* Albéroni fut recu comme 1'évêque 1'avoit été; mais lans fe formalifer de rien, il entrecoupa la conference de plaifanteries afforties k U fituation , & qui rejouiffoient le duc de Vendöme. Ce eé* neral en fe relevant de deffus fa chaife, fe préienta de facon que 1'abbé s'écria : ah culo di Angdo ! Le duc de Vendöme fut fi content de I-humeur de 1'abbé, qu'Ü ne voulut traiter qu'avec lui. L affaire du duc de Parme fut bientöt terminee ; & 1'abbé en ayant rendu compte k fon maitre, vint s'établir commenfal de la maifon du duc de Vendöme. Son état n'y étoit pas bien decicle On le voyoit par fois aumönier, fecrétaire dans 1'occafion , & plus f0UVent cuifinier, raiiant des foupes au fromage pour le duc , & par-deflus tout, en poffeffion de 1'amufer par des contes orduriers. Cette faveur fubalterne procuroit dans la maifon fi peu de confidération k labbe, qu'un des officiers, offenfé de fes liberJes , lui donna un jour des coups de cannès ians que 1'abbé en parüt dégradé , & qu'il n'en fut autre chofe que de faire rire le duc , qui ne len prifa ni plus ni moins qu'il faifoit. A la fin de la campagne, Albéroni fuivit en France fon maitre , qui hu fit dónner une penfion de mille ecus. II eut alors Pair d'un fecretaire en titre, & retourna en Italië k la fuite du duc de Ven- • dome. Ce général y étant mórt, Albéroni fe retira a Parme ; & fon prince le connoiffant propre aux affaires , en fit fon réfident k Madrid, . fui « q»'ayant eu part au mariage de ïa princeffe de Parme avec Philippe V, 11 prit le vol qui leleva fi haut, II écarta fucceffivemênt tous Tom L M  jyB R É G £ N C E, ceux qui pouvoientbalancer fon crédit, Sc travailloit a fe faire .cardinal,. foit en fervant Rome? foit en s'y faifant craindre. La cour d'Efpagne étoit déja mal avec celle de Rome, au fujet de la Sicile, fur laquelle on avoit fulminé un interdit pour un fujet qui mérite d'être rapporté, II faut d'abord fe rappeller que vers naj, Roger, duc de Sicile, fit ériger fes états en royaume héréditaire par le pape, a condition de relever du Saint-Siège. Mais par le même a£te, il fut con~ venu qu'il y auroit en Sicile un tribunal perpétuellement fubfiftant, tout compofé de laïques k la nomination du roi, 6c abfolument indépendant du pape; que ce tribunal jugeroit fouverainement Sc fans appel toutes les cauïes civiles 8c criminelles, de laïque k laïque, de laïque a eccléfiaftique, 8c enfin entre eccléfiaftiques, archevêques, évêquïs, prêtres, moines 6c chapitres, même dans les cas de cenfures 6c d'excommunications, fans que ce tribunal fut jamais foumis a rendre compte de fa conduite qu'aux rois 6c jamais aux papes ; &c fans que le roi püt en aucuns cas être fujets k citations, cenfures ou excommunications. Ce tribunal de la monarchie avoit depuis fon établiffement.jouxde toute fa jurifdiftion, lorfqu'en 1711, un fermier de 1'évêque de Lipari porta des pois au rnarché. Les commis aux droits du roi voulurent faire payer le droit ordinaire d'étalage. Le fermier, fans dire.qui il étoit, refufa le payement, Sc fe fit faifir fes pois. L'évêqiie fe prévalant de 1'immunité eccléfiaflique, qui 1'exemptoit du droit, fans aucune information, excommunia les commis, Ceux-ci n'apprenant que par-  R E G E N C Es ty& la k qui les pois appartenoient, les rapportèrent auiTi-tot, & fe plaignirent du fermier, qui, par un mot, auroit préveniL 1'afFaire. L'évêque exigea des reparations fi ridicules, que les commis én rendirent compte a leurs fupérieurs, dont les repréfentations les firent excommunier eux-mêmes, Les tribunal de la monarchie, voulant coneilier les efprits, fe fit excommunier auffi ; troifième excommunication pour des pois chiches,. La cour de Rome, fupportant impatiemment ce tribunal de Sicile, avoit voulu, pour lë détruire, profiter d'un nouveau gouvernement qu'elle fe flattoit de trouver plus foible que le précédent, L'évêque jugeant que fa dignité iae le fauveroit pas de la pnfon, fe refugia k Rome. L'accueil qu'il y recut, enflamma le zèle de plufieurs autres évêques, & chacun ayant lancé fa foudre , s'enfuit prudemment k Rome, & le pape mit aufJköt la Si* cile en interdit. Alors une populace de prêtresl & de momes n'ofant s'expofer au chatimens dus a ceux qui obferveroient 1'interdit, fuivirent les prelats. Ce fchifme étoit dans toute fa force* lorfque, par le traité d'Utrecht, en 17i$ , la Sicile fut cedee au duc de Savoie , avec le titre de roi. Le pape ne crut pas d'avoir plus d'égards k Viftor qu'a Philippe V ; mais le nouveau gouvernement de Sicile tint ferme, d'autant qu^l y demeura affez de prêtres fenfés pour faire le fer* vice, & que les puiffances cathoÜques blalöèrent cette entreprife eccléfiaftique» Le parlement dê Paris prit fait & caufe k ce fujet; & par arrêt du 15 février 1716, recut le procureur-général appellant comme d'abus ; ee qu'il n'avoit ofé faire du vivant de Louis XIV» M ij  l8o R É G E N C- Ë. Les jéfuites voulant obferver 1'interdit, fans re* noncer a leurs établiffemens, employoient tous leurs manéges poiir fomenter la fédition. Le comte Maffeï, vice-roi de Sicile, prit fi bien fes mefures, qu'une nuit tous les jéfuites, fans exception de pères ni de frères, fains ou malades, furent enlevés, embarqués fur deux vaiffeaux, bientöt débarqués fur les cötés de 1'état eccléfiaftique , Sc abandonnés a leur bonne ou mauvaife fortune. Ils fe rendirent, comme ils purent, a Rome. Le pape, très-embarraffé de cette inondation de moines, n'en devint pas plus traitable ; mais la chambre apoftolique fe laffant bientöt de fournir la fubfiftance a tant de commen9aux , on vit tout d'un coup afficher dans Rome un ordre a tous les profcrits de fortir de la ville , fous des peines rigoureufes , 8c fans leur procurer aucuns moyens de fe retirer. II fallut cependant obéir. La faim refroidiffant le fanatifme , ils voulurent regagner la Sicile ; mais le comte Maffeï ne leur permit plus d'y rentrer. Ils fe répandirent dans les campagnes d'Italie oii la plupart périrent de mifère. Le roi de Sicile fut aufli ferme que le pape étoit opiniatre. Le pontife, fans lever 1'interdit, n'ofa pas ufer contre le prince ni fes miniftres , de cenfures dont il prévoyoit qu'ils feroient peu de cas. Les chofes reftèrent donc de part 8c d'autre dans le même état, jufqu'au tems oii 1'empereur devint maitre de la Sicile par la ceffion de la Sardaigne dont le roi Vi&or prit le titre. La prétention eccléfiaftique s'évanouit ; 1'interdit fe leva de lui-même ; le tribunal de la monarchie refta en pleine puiffance de fa jurifdittion , 6c le pape fe trouva  Régence; x$t'. très-heureux que 1'empereur, déja maitre de Naples & de Milan , voulut bien ignorer les fuites de 1'aventure des pois chiches, & qu'il n'en fut plus parlé. Je n'entreprends pas d'écrire , comme j'en ai prevenu, une hiffoire politique qui exigeroit les plus grands détails , & fatigueroit le plus grand nombre des lefteurs ; mais je rappellerai les différens objets de négociations qui feront néceffaires pour éclaircir, lier les faits, & faire connoitre le caraftère & les intéréts de ceux qui auront eu part aux affaires. II n'eft que trop vrai que les traites de paix ne font que des trèves. A peine a-t-on quitté les armes, que la guerre de cabinet commence. On négocie, on cherche des alliances, pour fe mettre en état de recommencer les hoftilites avec plus d'avantage. Jamais la fermentation des cours ne fut plus grande que dans la régence; mais 1'état fort agité dans fon intérieur, demeura tranquille avec fes voifins. Les difFérens intéréts des princes, en fe croifant réciproquement, entretenoient la paix. Le pape voyant avec frayeur un puiffant armement des Turcs, craignoit pour 1'Italie & demandoit des fecours a la France, a 1'Efpagne & au Portugal. L'empereur fongeoit en même-tecis a fe défendre contre le Turc, & k s'aggrandir en Itahe; de forte que le pape le redoutoit autant que le Turc. L'Efpagne négocioit avec 1'Angleterre, venoit de conclure le traité de 1'Affeinto , fi favorable aux Anglois, & la Hollande ayant traité de barrière, ne penfoit qu'a fe réparer par le com* merce. ' M iij  t8i RÉGIKC E. L'Angleterre, oü la fucceflion dans la ligne proteftante n'étoit pas encore bien affermie, craignoit toujours quelque révolution. Quoique le prétendant eut échoué dans fon entreprife , le parti Jacobite étoit encore puiflant. Les "Wigts 8c fes Toris (i) luttoient continuellement les uns contre les autres. Toutes les puiflances avoient befoin de conferver la paix, & la plupart craignant la guerre, étoient prés de la déclarer. . Le régent defvroit plus que perfonne de maintenir la tranquillité au-dedans $C au-déhors. Stairs & 1'abbé Dubois agiffant de concert, lui perfuadèrent donc que fi le roi venoit a mounr, les renonciations feroient regardées comme nulles; que le régent ne pourroit monter fur le tröne qu'en ufurpateur, & qu'alors lui & le roi Geor* ges , ayant des titres pareils , n'avoient d'autre parti a prendre que de s'unir étroitement d'avance pour fe foutenir 1'un l'autre, en cas d'é* venement, Dubois s'affuroit par cette union la proteftion du roi d'Angleterre, dont il connoiffoit le crédit fur 1'empereur ; quelle autorité celui-ci avoit fur le pape j & 1'abbé fe promit bien de profïter de toutes les circonftances que le tems & fes intrigues feroient naitre, Le régent n'eut jamais un defir vif de régner ; le foin qu'il prit de la confervation du roi, en eft une preuve convaincante : mais il croyoit qu'il eüt été de fon honneur, de foutenir les renonciations, fi) Ces soms ne fubfiftent plus en Angleterre. Les Wigts étoient originaitement le parti républicain , & les Toris, le parti du roi; mais les uns & les autres ayant change d in-, térêt, on ne connoit plus que le parti de la cour « le paru de l'oppofition.  RÉGENCE. 185 fi le cas en fut arrivé. En le difculpant des horreurs dont la calomnie Pa chargé, & dont les impreflions fubfifient encore dans quelques efprits, je fuis très-éloigné d'en faire le panégyrique: avec tout 1'efprit & les talens poflïbles, il fut toujours incapablé d'un bon gouvernement, & la régence quoique tranquille au-dehors, a été pernicieufe a 1'état, & fur-tout aux mceurs. Des mefures fa ges, des précautions, une défiance prudente de la maifon d'Autriche & de 1'Angleterre, une union confiante avec 1'Efpagne : tel étoit Pintérêt de la France ; mais ce n'étoit pas celui de Pabbé Dubois. S'il tachoit de femer la difcorde entre deux rois du même fang, il étoit parfaitement fecondé dans ce projef par Albéroni , autre fcélérat de même étoffe. Celui-ci , maitre de la monarchie d'Efpagne, impofoit au pape ; & le traité de 1'Affiente étoit fi favorable aux Anglois , qu'on ne doutbif point, qu'Albéroni n'en eut recu des fommes confidérables dont il comptoit acheter le chapeau , s'il ne pouvoit le conquérk. Comme il avoit remarqué le goüt que Philippe V confervok pour la France , il avoit foin de préfenter a ce prince les renonciations comme illufoires ; ainfi Dubois & Albéroni s'appliquoient également , chacun de fon cöté , a infpirer au roi d'Efpagne & au régent de Péloignement 1'un pour l'autre. Quoique la négociation fut déja entamée avec 1'Angleterre , Stairs continuok de donner des allarmes fur la France , pour procurer au roi Georges des fubfides que le parlement n'auroit pas accordés, s'il eut cru la paix aftermie. Cette manoeuvre a fouvent été employée par le mi- M iv  Ï84 RÉGENCE, niftère Aoglois, & prefque toujours avec fuccèsJ Ce miniftère travailloit en même-tems a rendre feptenaire le parlement qui n'étoit que triennal. La plupart des pairs , mécontens du gouvernement , étoient oppofés a ce projet, & defiroient un autre parlement, dont ils étoient toujours fürs d'être membres : au-lieu que ceux de la chambre bafle vouloient une prolongation , qui leur épargnoit les brigues qu'ils feroient obligés de faire pour obtenir les fuffrages dans une nouvelle éle&ion de députés. Les Wigts qui dominoient alors , avoient li cruellement perfécuté les Toris, qu'ils en craignoient le reffentiment, s'ils reprenoient le deffus dans un nouveau parlement. Les miniftres agirent fi vivement dans cette occalion, que le parlement fut prolongé. Le régent, déja affez occupé des négociations politiques , étoit encore perfécuté par le nonce Bentivoglio au fujet de la conftitution , tandis que Biffi & Rohan, bleffés de la faveur du cardinal de Noailles, cherchoient a lui donner des dégoüts. Ils s'aviferent de propofer de bénir de nouveau la chapelle des Tuileries, oir le fervice s'étoit toujours fait, tant que Louis XIV avoit demeuré k Paris , & oii le jeune roi entendoit journellement la mefle depuis fon retour de Vincennes. Leur objet étoit que le cardinal de Rohah eut l'honneur de faire Ia cérémonie de cette bénédiftion , en qualité de grand -aumönier, Ils ignoroient que cette queftion avoit déja été décidée k 1'oceafion de la chapelle de Verfailles , dont la bénédiftion avoit été déférée au cardinal de Noailles , contre la prétention du grandaumónier , le cardinal de Janfon. Tout le fruit  RÉGENCE. 185 que Rohan retira de cette tentative, fut de faire fes proteftations. II fit un autre errtreprife qui ne lui réuilit pas mieux. Le cardinal de Noailles , en interdifant les jéfuites, avoit confervé les pouvoirs aux pères Gaillard, de la Rue, Lignières Sc du Trevoux : ce dernier avoit le titre de confeffeur du régent. Le grand-aumönier a le droit de nomtner les prédicateurs de la chapelle du roi, & celui qui prêche a la Touffaint, prêche auflï 1'Avent. Rohan, en partant pour Strasbourg, affecta de choifir pour le fermon de la Touffaint, le père de la Ferté, parent ou allié de toute la cour , & dont les pouvoirs finiffoient au mois d'aoüt. Le cardinal de Noailles pouvoit 1'arrêter tout court, en lui faifant fignifier une interdiction perfonnelle. II n'en fit rien, voulut éviter un éclat, & fe contenta d'en écrire le lendemain du fermon au cardinal de Rohan, qui ne fit point de réponfe ; mais 1'archevêque , las d'attendre cette réponfe, fit fignifier une interdiftion générale aux jéfuites, & nommément au père la Ferté. II s'étöit fait jéfuite malgré le maréchal fon père, qui n'en parloit qu'avec emportement, comme de la dernière baffeffe. Le duc de la Ferté étant mort fans enfans, le jéfuite feroit devenu duc Sc pair , s'il n'eut pas fait fes vceux, Sc 1'humeur qu'il en montra quelquefois, en donna au jéfuites qui le releguèrent a la Fleche oh il eft mort. Pour prévenir les brigues des jéfuites le régent nomma pour confeffeur du roi, 1'abbé Fleury, fi célèbre par fon hiffoire eccléfiaftique, Sc fur-tout par les excellens difcours qu'il y a joints. II avoit été fous-précepteur des ducs de Bourgogne, d'An•jou & dé Berri.  l'86 RÉGENCE. Le régent, tourmenté par Stairs , & fatigué par Bentivoglio , pouvoit faire rappeller Pun & l'autre, le premier en calmant les inquiétudes du roi Georges, par Pabandon ouvert du prétendant, fans fe lier formellement par un traité avec 1'Angleterre ; le fecond , en inftruifant le pape des mceurs fcandaleufes de ce nonce. II eft vrai que le pape pouvoit objedter celles du jéfuite Laffiteau , notre miniftre a Rome, oü il paflbit par les grands remèdes, pendant que Bentivoglio s'y préparoit a Paris. La crainte de perdre le chapeau, récompenfe ordinaire de la nonciatüre de France (i), 1'auroit rendu aufli fouple que le régent 1'auroit voulu; mais il falloit plus de fermeté qu'il n'en avoit. S'il en montroit fi peu dans les affaires importantes, on peut juger de toutes fes complaifances pour tous fes entours. La ducheffe de Berri fe fit donner le chateau de la Meute; & le prix en fut payé par le roi a d'Armenonville, qui eut en outre la jouiffance du chateau de Madrid dans le bois de Boulogne, la furvivance pour fon fils Morville, &c un brevet de retenue de 400,000 livres fur fa charge de fecretaire d'état. La princeffe obtint encore pour la Haye, fon ancien amant réformé, une troifième place de gentilhomme de la manche du roi, avec 6000 liv. de penfion, & bientöt on en fit une quatrième pour un protégé de madame de Ventadonr. La ducheffe de Berri, ennuyée du deuil de (1) La France a toujours Ie choix du nonce. Le pape préfente trois fujcts entre lefquels elle choifit, & qu'elle peut rejetter tous trois. L'empereur & 1'Efpagne ont le même privilege.  RÉGENCE» ï§7 Louis XIV, obligea le ségent de rédnire tous les deuils a moitié, a 1'occafion de celui de la reinemère de Suède. Pour pafter les nuits d'été dans le jardin du Luxembourg , avec une liberté qui avoit plus beibin de complices que de témoins, elle en fit murer toutes les portes, a 1'exception de la principale , dont 1'entrée fe fermoit ou s'ouvroit fuivant les occafions. Le régent acheta pour fon fils naturel, le chevalier d'Orléans, la charge de général des galères , du maréchal deTeffé, qui y gagna 100,000 liv. Rouillé du Coudray perfuada auffi de rappeller les comédiens Italiens, qui avoient été chaffés par le feu roi, pour avoir joué la Faujfa Prude, dont le public fit 1'application a madame de Maintenon. La nouvelle troupe prit le titre de comédiens du régent, 6c fut fous 1'infpeftion de Rouillé , iudépendante des gentilshommes de la chambre. Cette nouveauté fit, pendant quelques temps, déferter le théatre francois, 6c les farces italiennes éclipférent les chef-d'oeuvres de notre fcène. Les brevets de retenue fe donnoient fans mefure 8c fans choix. Parmi tartf de graces prodiguées ou proftituées , le régent rendit juftice au mérite de Vittemant, en le nommant fous-précepteur du roi. Une harangue qu'il avoit faite k la tête de 1'Univerfité, dont il étoit re&eur, 1'avoit fait connoitre de Louis XIV, qui lui donna la place de leófeur du dauphin. A peine eut-il commencé les fonftions de fous-précepteur, que le jeune roi parut s'y attacher. Le régent qui le remarqua, 6c qui, pendant fon adminiftration ,  i88 RÉGENCE, s'étudia toujours a donnpr 1'exemple du refpe& pour le roi , & a chercher ce qui pouvoit lui plaire ,^ voulut lui procurer le plaifir de faire une grace a Vittemant. II apporta un jour au roi le brevet d'une abbaye de i j,ooo liv. de rente en faveur de Vittemant. L'enfant, charmé de faire lui-même eet acte de maitre, fit venir Vittemant, & en préfence du régent, du maréchal de Villeroi & de 1'évêque de Fréjus, lui donna le brevet , en le nommant par le titre de 1'abbaye^. Vittemant ne comprenant pas d'abord pourquoi le roi lui donnoit un nouveau nom, le régent prit la parole , & lui expliqua la grace que le roi lui faifoit. Vittemant fe confondit en remerciemens , & dit qu'il étoit comblé de bienfaits du roi; que fa fortune étoit déja au-dela de fes defirs, & que n'ayant point de parens dans le befoin, il ne fauroit a quoi employer une augmentation de revenus. Vous en ferez des charités , lui dit 1'évêque de Fréjus. Eh! pourquoi, répondit Vittemant, recevoir 1'aumöne pour la faire? D'ailleurs, je ne fuis pas a portée, a la cour, de connoitre ceux qu'il faudroit fecourir; un curé s'en acquittera mieux que moi. Le régent, Villeroi & 1'évêque, peu accoutumés a un tel langage, regardèrent d'abord Vittemant comme un habile hypöcrite ; & le prefferent, en fouriant, d'accepter : mais le refus étoit très-férieux, rien ne put vaincre fa réfiftance ; il fallut chercher pour cette abbaye un perfonnage moins étrange, & il ne fut pas difficile a trouver. Le modefte Vittemant ne s'occupa a la cour que de fon emploi; & lorfque fes foncfions furent finies, il fe retira a la Docfrine Chrétienne. Je n'ai pas du  RÉGENCE. xScy laiffer dans 1'oubli le nom d'un homme fi vertueux ; je n'aurai pas affez d'anecdotes pareilles pour en fatlguer le lecteur. La chambre de juflice, établie par un édit du mois de mars, commencoit fes opérations , dont les effets furent frès-différens de ceux qu'on s'en étoit promis. On s*étoit flatté de retirer par les taxes des fommes immenfes qui fourniroient aux dépenfes les plus urgentes. On devoit, difoit-on, rembourfer tous les brevets de retenue, les! charges militaires, les rendre libres, n'en plus laiffer/ vendre, de manière que le roi feroit toujours en état de récompenfer le mérite , &c d'entretenir 1'émulation. Beaux projets, fans doute, mais qui ne font jamais imaginés que par ceux qui n'ont pas le crédit de les effeftuer! Tout le fruit de cette chambre de juftice, qui fubfifta un an, fut d'ouvrir la porte a des milliers de délations vraies ou fauffes. La conflernation fe mit dans toute la finance & parmi leurs alliés; 1'argent fut caché, & la circulation totalement interceptée. On facrifia quelques financiers a la haine du peuple. Le crédit vendu, les proteftions achetées firent remettre ou modérer les taxes. Celles qui furent payées , devinrent la proie des femmes perdues ou intrigantes, & des compagnons de débauche du régent. L'inutilité de la chambre de juftice pour 1'état, faifoit chercher d'autres moyens de le libére,r', ^n a^a ïu^lu'^ propofer une banqueroute générale. Ceux qui préfentèrent ce cruel remcde 7 alléguoient qu'il étoit également impofiible de payer Pimmenfité des dettes Sc de laiffer fubfifter 1'énormité des impöts, dont le poids écrafoit le peuple. Parmi les créanciers de 1'état, beaucoup  R É G.E N C E. avoient abufé des malheurs publics; toutes lés créances, tant légitimes qu'ufuraires, fe bornoient prefque a la capitale:. cela ne regardoit ni le corps de la nobleffe, ni les laboureurs, ni les artifans. Les cris, difoit-on, feroient grands; mais la libération des impots exciteroit des applaudiffemêns capables d'étouffer toutes les clameurs, On comptoit dans le préambule de 1'édit s'appuyer fur des motifs de droit jufles ou fpécieux. La couronne, difoit-on , n'efl pas purement héréditaire comme les biens des particuliers, puifque les femmes n'y peuvent fuccéder. C'eft une fubf» titution de male en male. Le roi n'eft qu'un ufufruitier qui ne peut s'engager au-dela de fa vie. Les biens fubftitués des particuliers ne répondent pas des dettes : la couronne feroit-elle de pire condition ? Le fucceffeur n'eft donc pas tenu du fait de fon prédécelfeur; il ne tient rien de lui; mais de la loi. Si ce principe, ajoutoit-on, peut s'imprimer dans 1'efprit de la nation, 1'état ne pourra jamais fe trouver dans la fituation oü il eft. Chacun fera convaincu, qu'en prêtant au roi, il ne peut compter que fur la vie & la probité perfonnelle du prince. Le roi, hors d'état d'emprunter & de féduire par 1'appat du gain, fe trouveroit dans 1'heureufe impoffibilité de ruiner fes fujets , & réduit a un gouvernement économe. Les rentiers ne formeroient plus une claffe oilïve dans 1'état. La population exceffive de Paris re» flueroit dans les provinces. On pourroit craindre qu'un prince dilïipateur ne trouvant pas k emprunter, n'eüt recours a la multiplication des impots ; mais 1'excès en cette matière eft dangereux pour la perfonne même du prince,  RÉGENCE. igt On répondoit : n'y a-t-il point d'dlternative entre la banqueroute & la perpétuité des impöts ? Ne peut-on,'par la fuppreffions des dépenfes fuperflües ou abuiives, par une régie économe , par un examen réfléchi, une diftïnftion jufte de la nature des créances , & fur-tout en prouvant a la nation 1'intégrité d'une adminiftration nouvelle , & la bonne foi du gouvernement, infpirer la . confiance , rétablir la circulation, alléger le poids des impöts, & commencer la libérarion des dettes légitimes & urgentes ? Ne mettra-t-on au* cune différence entre ceux qui ont tout facrifié au fervice de 1'état, & ceux qui ont tiré leur fortivne de fes malheurs? Le régent fut touché de ces repréfentations, & le projet de la banqueroute fut rejetté. La pitié pour des créanciers légitimes & malheureux ne fervit que de prétexte au refus. Le vrai motif fut 1'intérêt perfonnel des adminiftrateurs des finances, qui trouvoient dans la liquidation , dans la continuation des impöts, dans le renouvellement des traités, mille moyens de fe faire des créatures & d'amaffer des mdlions. Lè fyftême de Law a fait autant ou plus de malheureux que la banqueroute, a corrompu les mceurs , & n'a eu aucun des avantages de 1'édit propofé. Ce fyftême, confidéré en lui-même, a eu fes apologiftes, qui ont prétendu qu'il n'a été pernicieux que par l'abus qu'on en a fait, & par la mauvaife volonté de ceux qui avoient intérêt de le faire échouer. D'autres ont foutenu avec plus de raifon qu'il étoit aufti vicieux dans fon principe, qu'il a été funefte dans fes effets. D'autres enfin 1'ont toujours réprouvé comme infou-  i$i Régence, tenable dans une monarchie abfolue , quelques avantages qu'il püt avoir dans une république & dans un gouvernement mixte. L'expérience n'a que trop juftifié ce fentiment. t La meilleure opération de Law fut 1'établiffe-' ment de la banque générale , compofée de douzé eens acfions de 3000 liv. chacune. L'avantage s'en fit d'abord fentir ; la circulation fut ranimée , Sc le fuccès en eüt été afluré , fi cette banque générale n'eüt pas dégénéré en banque royale : ce qui donna bientöt naiffance au malheureux fyftême. Quelques affemblées- de proteftans en Poitou, en Languedoc Sc en Guyenne, donnèrent de 1'inquiétude au gouvernement. Elle augmenta encore, par la découverte d'un grand amas de fufils & de baïonnettes, prés d'un lieu oü les proteftans s'étoient affemblés. La crainte d'un foulèvement, & Phorreur de renouveller les barbaries qui avoient füivi la révocation de 1'édit de Nantes, agitèrent fort 1'efprit du régent. II fut fur le point d'annuller 1'édit Sc de rappeller les proteftans. II en conféra féparément avec plufieurs membres du confeil , Sc prefque tous 1'en détournèrent. La queftion pour ou contre la liberté en fait de re ligion , fe décide communément par la paffion. L'irréligion, ainfi que la fuperftition, a fon fanatifme; Sc le régent étant tres - fufceptible du premier, il fallut lui faire envifager 1'affaire en homme d'état, Sc uniquement du cöté de la politique. .11 eft indubitable que les confeiences doivent être libres; mais la tranquillité de 1'état permetelle que le culte le foit ? L'exemple de 1'Angleterre &  RÉGENCE. êc de la Hollande n'eft pas exaftement applica» ble è la France dans fon état aftuel. i°, Les deux états allégués Ont comme nous, leur culte national; les autres religions n'y font que tolé* rées, i*. Elles y font multipliées, & il eft plus facile d'entretenir la paix entre quatre ou cinq religions, qu'entre deux également puiffantes, parcfe que la haine partagée s'affoiblit, & qu'on peut alors fe borner a une émulation de bonnes mceurs, 3°. En Angleterrö- & en Hollande , les hétérodoxes font aufti nombreux que les orthodoxen L'expérience de leurs malheurs paffes leur fak craindre de voir leur nation armée contre elle* même, En France, les proteftans font en petit nön> bre relativement aux catholiques. Si 1'on accorde aux proteftans un culte,. public, & en tout les mêmes avantages qu'aux autres citoyens, leur nombre croitra ; 1'attrait de la nouveauté leur fera des profélites parmi les catholiques mêmes, La diffention mitra dans les families ; le zèle religieux deviendra fanatifme; les efprits s'enflam» meront; une émeute populaire fera le fignal de la guerre civile t nous nous trouverons replongés dans les horreurs que nous ne pouvons nous rap» peller qu'avec effroi. L'uniformité de religion feroit le plus grand, bonheur de 1'état; mais ce h'eft pas 1'ouvrage des hommes» Bornons-nous aux efforts d'une prudeflCè humaine, Que, fans annuller formellement 1'édit de^révocation, ni remettre les proteftans dans le même état oü ils étoient auparavant, on leuf af» fure celui de citoyens par une déclaratfon due» ment enregiftrée» Qu'ils foient librës de leurs kn-  .194 R ï E N É E. .timens; nexigeons plus que, par une complaifance criminelle a leurs yeux, ils viennent partager notre culte : mais ne leur en permettons point d'extérieur. Que Pexercice de leur religion ie ^renferme dans 1'intérieur de chaque familie. Qu'ils jouiffent de tous les droits de citoyens, dont ils fupportent les charges; mais qu'ils ne puiffent afpirer a aucunes places ni emplois publiés. Chations févérement quiconque troublera leur tranquillité. Nullè perfécution , beaucoup d'indifference &. d'oubli, c'eft la mort de toutes les feöes. Ce qui en fubfifte par opiniatreté aveugle, ne fait plus que végéter dans le mépris. La vérité même, conftamment méprifée, mais non perfécutée, auroit peu de partifans. Je parle d'après l'expérience. J'ai vu dans ma jeuneffe une petite ville oü les proteftans étoient en i auffi grand nombre que les catholiques. Un feigneur,. d'un caracfère bienfaifant, qui en a Ie domaine, en rendant une exafte juftice aux proteftans , mais en procurant toutes les diftincfions aux catholiques, en favorifant les mariages , a amené les chofes au point , qu'il n'y refte plus que deux. vieillards, qui, en perfévérant dans leur .fedte, pnt-confenti eux-mêmes. a ,1'abjuration de leurs enfans. . La tqlérance civile eft de. droit naturel; mais, pour 1'imprimer dans 1'efprit d'une nation, il faudroit le règne long d'un prince abfolu, confervateur des moeurs - par 1'autorité & 1'exemple , obfervateur exadf & refpeclueux du culte dominant , fut - il indifférent fur tous. Le régent n'avoit malheureufement que la dernière de ces quaÜiés. Elie fuflifoit pour le rendre favorable au  R i G E ifc ï. f.^ tetour des proteftans; mais Pabbé Dubois, vou« lant k toute force devenir cardinal, fentit qu'il n'auroit rien k prétendre de Rome après un tel éclat; & comme il étoit le grand cafuifte du régent, en politique & en religion, il lui fit abandonner fon deflein. Dans ce temsda, les princes du fang préfentèrent une requête au roi, fignée de M. le duc, du comte de Charolois,& du prince de Conti, contre 1'édit de 1711 & la déclaration de 1715 , qui donnent au duc du Maine & au comte de Töuloufe, la qualité de princes du fang, & 1'habileté de fuccéder k la couronne- Auffi-tót.les ducs & pairs préfentèrent une re-* quête au roi, tandante a faire réduire les princes légitimes au rang de leur pairie» L'Angleterre , en négociant avec Ie regent» traitoit aufli avec 1'Efpagne dont elle vouloit tïrer beaucoup d'avantages pour le commerce; & le régent, qui ne defiroit que d'entretenir la paix fe prêta volontiers aux vues de 1'Angleterre. Pour eet effet, il repréfenta au roi Georges, que ce qui plairoit le plus a 1'Efpagne, feroit la reftitution de Gibraltar. Georges, avec une marine puif» fante, & maitre du Port-Mahon , ne tiroit pa« une grande utilité de Gibraltar, & y dépenfoit confidérablement. II confentit donc a faire ce faenfice; mais craignant de mécontenter les Anglois, ü.manda au régent que cette affaire ne pouvoit réuftir que par le plus grand fecret, qu'il falloir charger un homme fidéle a Madrid , de traiter direftement avec le roi d'Efpagne, fans la participation d'Albéroni. Le régent en ehargea Louyile, qui avoit été gentilhomme de la charo- N ii  j96 R É G E N C E. bre de Philippe V, & de tous les Francois celui que ce prince avoit le plus aimé. On favoit qu'il ne I'avoit facrifié qu'a regret a la princeffe des Urfins; i & 1'on ne doutoit pas que Philippe , en le revoyant ne reprit pour lui tout le goüt qu'il avoit eu dès 1'enfance. Les motifs qui firent choifir Louvile, furent précifément ce qui fit tout échouer. Muni de fes inftruftions, il partit fecrétement , & arriva a Madrid, chez le duc de Saint-Aignan notre ambaffadeur. Albéroni en tut inftruit par fes efpions dont il avoit grand nombre, concut les plus vives inquiètudes d'un voyage fi myfiérieux , & crut qu'il n'avoit d'autre objet que de le.perdre dans 1'efprit du rob A peine Louvile étoit-il arrivé qu'il recut ordre de fortir fur le champ d'Efpagne. II répondit qu'il-étoit chargé d'une. lettre de°créance du roi, & d'une autre du régent, qu'il devoit mettre en main propre a S. M. C., & qu'il ne partiroit pas fans avoir exécuté fa commiffion. La nuit même il eut une fi violente attaque de néfrétique , qu'on lui prépara un bain. Sa réponfe n'étant pas propre a raffurer Albéroni, il vint lui-même chez le duc de Saint-Aignan, &c trouva Louvile dans le bain. II lui dit que le roi étoit très-mécontent de fon arrivée, qu'il ne vouloit abfolument pas le voir, & qu'il n'avoit qu'i remettre fes dépêches, & repartir fur le champ. Louvile lui répondit que fon devoir lui défendoit le premier article, & que fon état ne lui permettoit pas le fecond. Albéroni ne pouvant douter de Timpoffibilité oii Louvile étoit de fe remettre e.n chemin , feignit de le plaindre , lui exagéra la ptétendue colère du roi, & promit.de faire fe?  RÉGENCE. I97 efforts pour faire agréer' une excufe J qui cependant ne pouvoit durer qu'autant que la maladie. Au bout de trois jours , Louvile recut de nouveaux ordres plus abfolus encore que les premiers. Voyant enfin qu'il ne pouvoit obtenir d'audience, Sc foupconnant qu'Albéroni abufoit du nom du roi, il hafarda de fe préfenter fur le paffage du prince, dans 1'efpérance d'en être appercu, Sc de préfenter fes lettres. Mais Albéroni qui faifoit veiller fur les moindres démarches de Louvile , rendit la tentative inutile, en enveloppant le roi d'un gros de créatures vendiies au miniftre. Le moment d'après, le fecretaire d'état, Grimaldo, vint trouver Louvile , & lui ordonna pofitivement de la part du roi de partir, le menaeant de le faire enlever de force, s'il différoit d'un inftant. Le duc de Saint-Aignan, peut-être mécontent du fecret qu'on lui faifoit de 1'affaire , Sc craignant quelque violence, prefia Louvile d'obéir. II partit donc fans avoir rien fait, & fans que le roi ait jamais rien fu de ce qui fe paflbit fous fon nom; Sc un infolent miniftre fit manquer k 1'Efpagne la feule occafion qui fe foit trouvée de recouvrer Gibraltar. Les mefures étoient fi bien prifes, que fi Louvile eut pu voir le roï d'Efpagne, il lui eut fait aifément accepter Sc' figner les conditions peu importantes qu'exigeoit le roi Georges; & celui-ci envoyoit auffi-töt au roi d'Efpagne l'ordre pour le gouverneur de remettre la place ; un corps de troupes paroiflbit a 1'inftant pour en prendre pofleffion, Sc Gibraltar eut été au pouvoir des Efpagnols, avant que le parlement d'Angleterre en eut eu la première nouvelle. Albéroni favoit qu'il étoit odieux aux N iij  ï58 Régence; Efpagnols; qu'il ne tiroit fon autorité que de la reine; qu'il étoit fufpec*. au roi, & que ce prince le chafferoit infailliblement, fi les plaintes fur 1'adminiftration parvenoient jufqu'a lui. II n'oublioit donc rien pour écarter tous ceux qui pouvoient décéler fes manoeuvres, ou traverfer fon crédit. Les deux hommes qui 1'inquiétoient le plus a la cour étoient le cardinal del Giudicé , premier miniftre de nom, grand inquifiteur & gouverneur du prince des Afturies. L'autre, le jéfuite d'Aubenton, confeffeur du roi. Celui-ci n'aimoit pas Albéroni; mais il n'ofoit pas lutter contre un miniftre cher k la reine; & fe fouvenoit que la princeffe des Urfins 1'avoit fait chafler, & ne redoutoit pas moins la reine qui n'aimoit pas les jéfuites, & n'en avoit jamais voulu aucun pour confeffeur, Albéroni, tout au defir du chapeau de cardinal, iavoit que del Giudicé étoit indigné qu'on lui deftinat un pareil confrère, & n'ignoroit pas que le pape avoit beaucoup de confiance en d'Aubenton, avec qui il étoit même en commerce de lettres. En conféquence, il prit le parti de s'attacher a celui-ci pour perdre l'autre; & tous deux y travaillèrent de concert, chacun dans fon genre. Albéroni repréfenta a la reine qu'il étoit dangereux pour elle de laiffer 1'héritier de la monarchie entre les, mains d'un homme qui lui 'infpiToit les principes de l'ancien gouvernement, & 1'éloigneroit d'une belle-mère; de forte que, fi «11e venoit a perdre le roi, elle fe trouveroit fans confidération, & peut-être réléguée dans un couTvent. D'Aubenton, de fon coté, fit entendre au roi  R É G E N C E. 199 que les fonólions de grand inquifiteur ne permertoient pas au cardinal del Giudicé de donner les foins néceflaires a 1'éducation du prince des Afturies, qui avoit befoin d'un homme uniquement occupé d'un emploi fi important. La reine Sc le confeffeur agirent fi efficacement, que la place de gouverneur du prince fut ötée au cardinal , & donnée au duc de Popoli, Napolitain , homme de beaucoup d'efprit, habile courtifan, fonciérement c ^rrompu , avec toutes les graces extérieures, qui, en voilant le vice, ne le rendent que plus dangereux. Ils étoit véhémentement foupconné d'avoir empoifonné fa femme, qui étoit de fa maifon, héritière de la branche ainée, Sc dont la mort le laiflbit maitre de tous les biens. Peu de jours après , le cardinal recut ordre de ne plus venir au confeil. II fe démit alors de la place de grand inquifiteur , Sc bientöt après fe retira a Rome. Le prince de Cellamare , fils du duc de Giovenazzo, frère du cardinal del Giudicé, étoit alors ambaffadeur d'Efpagne eri France. Dans la crainte de fe perdre auprès du puiflant & vindicatif Albéroni , il lui écrivit, le priant de ne pas le confondre avec fon oncle, Sc de lui conferver fa protedfion auprès de la reine. Albéroni tira grand parti de cette lèttre, & affe&oit de la montrer, en difant qu'il falloit que le cardinal eut bien des torts, puifqu'il étoit même abandonné par un neveu fi fage Sc fi éclairé. Cette lettre ne prouvöit que 1'ambition Sc la bafleffe de Cellamare. D'Aubenton fe vit obligé d'écriré au pape , pour lui exagérer les rares qualités, les vertus même d'Albéroni, mais fur - tout fon zèle pour N iv  RÉGEN C E. la cour de Rome & fa puiffance en Efpagne. Ce dernier article étoit le plus décifif pour prémunir le pape contre les accufations de Giudicé & des autres ennemis du miniftre, D'Aubenton comptoit qu'après avoir contribué au cardinalat d'Albéroni, celui-ci n'ayant plus rien a prétendre, 1'aideroit k y parvenir. C'eft ainfi que ce précieux chapeau peut mettre en mouvement tout le clergé d'une nation , & quelquefois de 1'Europe. Albéroni en connoiffoit tout le prix, jugeoit que la pourpre le mettroit k couvert de tous les événemens ; &C fa chüte même a prouvé qu'il n'avoit pas tort, Albéroni, ne craignant plus rien des Efpagnols auprès du roi, étoit encore inquiet des Parmefans, que la curiofité de voir la reine pouvoit attirer k Madrid , & n'oublioit rien pour les écarter. La facilité avec laquelle il avoit fubjugué la reine, lui faifoit craindre qu'un autre ne prit le même afcendant fur 1'efprit de cette princefie. II vit avec beaucoup de chagrin arriver la nourrice de la reine, avec une efpèce de payfan fon mari, & un fils capucin. Ces fortes de gens ne paroiffent pas ordinairement fur la fcène; mais ils placent & déplacent quelquefois les aöeurs qui jouent les plus grands róles. Albéroni étoit parti de trop bas pour être en droit de ne pas craindre un car purin, frère de lait de la reine ; heureufement celui-ci fe trouva un fot; mais la nourrice, avec la groffiéreté de fon premie? état, voulut être comptée pour quelque chofe, & y parvint. Elle étoit fine, adroite , & favoit employer k propos le manége Sc la hardiefle; la fuite le prouvera, Le régent offenfé de 1'infolence d'Aibérani s k  RÉGENCE. 201 1'égard de Louvile, & encore plus indigné de voir a quel point le roi d'Efpagne étoit affervi fous un audacieux miniftre, fe flatta de retirer ce prince de fa létargie, en lui écrivant direclement. La lettre étoit forte; la difficulté étoit de la faire parvenir k 1'infu d'Albéroni. Le régent chargea le père du Trevoux de 1'envoyer au pere d'Aubenton qui devoit la rendre uniquement au roi. D'Aubenton la recut; mais ayant déja été prés d'être perdu, pour s'être chargé d'une pareille commiflion de la part du pape, il porta la lettre au miniftre. Albéroni fentit 1'effet que cette lettre auroit pu produire fur 1'efprit du roi, avant qu'on 1'eut preparék la recevoir. II fe concerta avec la reine, & commen^a par écrire k Monti, qui étoit alors a Paris, une lettre qu'il le chargeoit de montrer au régent. II y difoit que le roi étoit trés-mécontent de celle que d'Aubenton avoit remife, comme on le verroit par la réponfe. Enfuite pour outrager le régent fous Ie nom d'autrui, il proteftoit d'un refpeft & d'un attachement infini pour ce prince, & ajoutoit qu'il étoit au défefpoir de tout ce qu'il entendoit dire a Madrid par les miniftres étrangers, fayoir que le régent ne penfoit qu'a s'affurer la couronne de France, que lorfque fes mefures feroient prifes, la perfonne du roi ne 1'embarrafTeroit pas, 8c que c'étoit l'opmion de toute 1'Europe. Albéroni, de concert avec la reine, s'arrangea pour fuggérer au roi une réponfe confirmative de la lettre écrite k Monti, tk cela ne fut pas difncile. La retraite continuelle oü Philippe V vivoit  102 RÉGENCE. depuis long-terhs, & fes excès avec la reine, 1'avoit fait tomber dans un état que par refpecr. on nommoit des vapeurs, & qui bientöt méritèrent tin autre nom, du moins de la part de ceux qui entfoient dans Pintérieur. La reine & Albéroni faifirent un moment favorable pour lui parler de la lettre du régent, & n'eurent qu'a lui répéter contre ce prince ce qu'ils faifoient dire par des étrangers dans la lettre a Monti; c'étoit toucher Pendroit fenfible. La reine ajouta qu'un roi aufli éclairé, aufli abfolu qu'il 1'étoit, ne devoit pas fouffrir qu'un régent dé France entreprit d'entrer dans le gouvernement d'Efpagne, &C que pour lui impofer filence , il fuflïroit au roi de répondre que tout fe faifoit par fes ordres, & qu'il vouloit être maitre chez lui. Rien ne flatte plus un homme foible, & ne 1'entretient mieux dans eet état de foibleffe, que les éloges qu'on lui donne fur fa fermeté. Philippe écrivit donc la lettre telle qu'Albéroni Pavoit dcfée a la reine qui eut foin d'y faire ajouter tous les éloges poffibles pour fon miniftre. Albéroni délivré d'inquiétude du cöté de la France , s'occuppa uniquement de fa promotion au cardinalat. Le pape vouloit engager Albéroni, par Pefpoir du chapeau, a terminer a 1'avantage de Rome les différends de cette cour avec celle d'Efpagne, bien réfolu d'ufer enfuite de défaites. Mais Albéroni, trop fourbe lui - même pour ne pas foupcoriner les autres, étoit trés - déterminé a ne rien accorder qu'il ne fut pourvu, fauf a éluder enfuite fes engagëmens. Cette hitte de dé-  RÉGENCE. 2.0> fiance & de manéges dura long-tems; mais comme «11e eft étrangère a ces mémoires, je ne m'y arrêterai pas. Le régent vit clairement par 1'obfeflion oü étoit le roi d'Efpagne, qu'il n'y avoit rien a en efpérer; & ne penfa plus qu'a conclure. avec 1'Angleterre un traité qui, par la méfintelligence de la France & de 1'Efpagne, devenoit néceffaire. Vabbé Dubois alla joindre k la Haye, Stanope miniftre du roi Georges. Les articles furent arrêtés entr'eux a la fin de novembre; mais on convint de tenir le traité fecret, pour donner le tems aux Hollandois de fe déterminer a y accéder. Le parlement enregiftra cette année un édit pour le rétabliffement de la fur - intendance des poftes en faveur de Torci, & de celle des batimens en faveur du duc d'Antin. L'enregiftrement fouffrit beaucoup de difficulté , paree que 1'édit de fuppreflion portoit qu'elles ne pourroient plus être rétablies ; & qu'on trouvoit d'ailleurs que plus de 80,000 liv. de gages pour ces deux places feroit une charge pour le peuple , fans utilité pour 1'état. Le prince de Courtenai, defcendant de male en male de Louis le Gros, préfenta au régent un mémoire en réclamation du titfe de prince du fang.^ Le drojt étoit inconteftable; mais on éluda la décifion, comme on avoit déja fait plufieurs fois. Ce prince de Courtenai avoit eu deux fils & une fille. L'ainé étant moufquetaire , fut tué au fiège de Mons en 1691 , & le roi fit a cette occafion une vifite au père. Le fecond eft tué d'un coup de piftolet en 1730, fans qu'on ait fu  104 RÉGENCE. Ie motif de cette fin défefpérée. II ne réfte au* jourd'hui, en 1761, de cette maifon, que Ia comtefle de Beaufremont, fceur cadette de deux frères. Le maréchal de Chateaurenaud, vice-amiral, mourut cette année. C'étoit un brave & honnête homme connu par de belles aöions fur mer. Le malheur de Vigo n'avoit point donné d'atteinte k fa réputation. La vice - amirauté fut donnéë a Coëtlogon, avec 1'applaudiflèment du public. Trois jours avant la mort de Chateaurenaud, dont le fils unique avoit époufé une foeur du duc de Noailles, celui-ci furprit au régent un brevet de retenue de 120,000 liv. fur la charge de vice-amiral, qui n'avoit jamais été vendue- Coëtlogon a qui on vint demander le payement de'ce brevet, répondit qu'il n'en payeroit pas un fou; qu'il avoit toujours mérité les honneurs ou il étoit parvenu, & n'en avoit jamais acheté. II s'expliqua enfin fi publiquement & fi énergiquement, que le duc de Noailles fe vit réduit a rapporter ce honteux brevet au régent qui fit payer les 120,000 liv. aux dépens du roi. La marine ni le public ne fe contraignirent pas la-deflus pendant quelque tems. Pour réunir ici ce qui concerne Coëtlogon , j'ajouterai que M. le duc, devenu premier miniftre, fit, le premier janvier 1724, une promotion de maréchaux de France, oii Coëtlogon fut oublié, quoique nommé par le public & par les étrangers. M. le duc crut apparemment le dédommager , en le faifant chevalier de l'ordre. Coëtlogon n'en jugea pas ainfi; mais il ne fit pas plus de plaintes, qu'il n'avoit fait de follicitations»  RÉGENCE. 205 Peu d'années après, il fe retira au noviciat des jéfuites, pour ne plus s'occuper que de fon falut. Sous le miniftère du cardinal de Fleury, le duc d'Antin, appuyédu comte de Touloufe, vinttrouver Coëtlogon, pour lui offrir, de la part du cardinal de Fleury, le Mton de maréchal, & telle fomme d'argent qu'il voudroit, pour fa démiflion de la viee-amirauté qu'ils vouloient faire avoir k un petït-fils du duc d'Antin. Coëtlogon , toujours le même, leur dit, que pour le baten de maréchal, il lui fuffifoit de 1'avoir mérité ; qu'a 1'égard de 1'argent, il n'en vouloit point, qu'il ne vendroit pas ce qu'il n'avoit pas voulu acheter, & ne feroit point cette injure a la marine. Rien ne put 1'ébranler. Le public applaudit k la vertu de Coëtlogon, rappella fes aftions paffées; & les éloges qu'on lui donna, firent enfin rougir le gouvernement. Quatre jours avant la mort de ce refpeétable vieillard, on lui envoya le baton de maréchal. Son confeffeur le lui annonca. II répondit qu'il y auroit été fort fenfible autrefois; mais que dans 1'état ou il étoit, il ne voyoit plus que le néant du monde, & pria fon confeffeur de ne lui plus parler que de Dieu. La veuve du fur - intendant Fo.uquet mourut cette année. Sa vie fut une pratique continuelle de vertus; elle étoit petite - fille, par fa mère, du célèbre préfident Jeannin , un des minilires de Henri IV. t L'abbé Servien, fils du fur-intendant Abel Servien, termina fa vie cynique. Avec des mceurs dépravées, & un efprit de faillies, il auroit été fait pour briller dans les foupers du régent, s'il eut été moins vieux. C'étoit lui qui, voulant af-  2o6 Régence. fifler a une affemblée de Pacadémie francoife , oü Pon recevoit un médiocre fujet, & ne pouvant percer la foule qui s'y trouve toujours, s'écria : II efi plus difficile d'entrer ici, que d'y être regu. Il n'y a que trop d'occafions de répéter la même chofe. Un autre jour, au parterre de 1'opéra , un jeune homme qu'il preffoit vivement, lui dit: Que me veut donc ce b... de prêtre > Monfieur, répondit 1'abbé avec le ton doux de fes pareils, te nai pas l'honneur d'être prêtre.  régence. LIVRE TRO IS IÈME. C^uelque fecret qu'on voulut garder fur le traité de la Haye , il fallut enfin en parler au maréchal. d'Huxelles, le chef du confeil des affaires étrangères, dont la fignature étoit néceffaire. Le maréchal,' piqué de n'avoir eu aucune communication d'une affaire qui étoit de fon département , refufa de figner. Le régent employa inutilement raifonnemens , excufes & careffes : k maréchal parut inflexible, difant qu'on lui couperoit plutöt le poing, que de lui faire figner-un pareil traité. Le régent, piqué de tant de réfiftance, lui envoya le traité, avec ordre de figner a 1'mftant, ou de quitter fa place, & le maréchal figna. D'Huxelles, avec une figure de philofophe auftèré, étoit ruftre& affez borné, jouant Ie fage,& le romain. Le maréchal de Villars-difoit affez plaifamment de lui : J'ai toujours entendu dire que d'Huxelles étoit, une bonne caboche; mais perfonne n'a jamais ofé dire que ce fut une bonne tête. II n'avoit pas montré beaucoup de capacité dans les conférences pour la paix d'Utrecht, & étoit fort étonné que Menager, un de nos plénipotentiaires, infiftat fort fur la pêche de la morue; il ignoroit que c'eft 1'école des meilleurs matelots. Pour peu' qu'on traitat d'affaires avec Ie maréchal d'Huxelles, on connoiffoit bientöt la portée de fon efprit ; 1'aventure du traité fit connoïtre fon ame. Lorfqu'on fit % 207  aoci R É G E N C Ë. confeil le rapport des articles, il fut de 1'avis du traité. Un des opinans, fachant ce qui s'étoit paffe pour la fignature, dit qu'il n'étoit pas affez inftruit de 1'affaire, pour opiner en connoiffance de caufe, mais qu'il ne rifquoit rien d'être de 1'avis du maréchal d'Huxelles, qui, fans doute, avoit bien examiné le tout. Les principales conditions du traité furent la retraite du prétendant hors d'Avignon , 1'expulfion de France de toutes les Jacobites, & la deftrucfion du canal de Mardik, qui pouvoit fuppléer au port de Dunkerque. Ce traité , après 1'acceffion des Hollandois, du 4 janvier, fut nommé la triple alliance. La nuit du 1er. au 1 de février, le chancelier Voifin mourut fubitement. Le régent 1'ayant appris a fon lever, envoya chercher le procureur-général d'Agueffeau, qui étoit & la meffe de fa paroiffe. Sur fa réponfe qu'il iroit après 1'officè, le régent fut obligé de lui envoyer ordre de venir fur le champ au Palais-Royal. Durartt ces meffages, la Rochepot, Vaubourg & Trudaine, confeillers d'état, le premier gendre, & les deux autres, beaux-frères de Voifin, apportèrent la caffette des fceaux. Auffi-töt que d'Agueffeau fut arrivé, le régent le préfentant k la foule que la curiofité avoit attiré dans 1'appartement ; vous voyez, dit-il, un nouveau & trèsdigne chancelier. II le fit tout de fuite monter en carroffe avec lui, le mena aux Tuileries faluer le roi, qui, inflruit par le régent, pofa la main fur la caffette, & la remit a d'Agueffeau. Le chancelier revint k 1'inftant chez lui, & entra dans 1'appartement de fon frère d'Agueffeau de  Régence. 209 de Valjouan. Celui-ci, homme de beaucoup d'efprit & de favoir, mais pareffeux, voluptueux très-fingulier, & fort indifférent fur tous les événemens, étoit encore en robe de chambre, & fumoit tranquillement une pipe auprès du feu, Mon frère, lui dit d'Agueffeau, je Viens vous annoncer une nouvelle qui vous fera grand plaifir • je fuis chancelier» Vous chancelier, lui dit froidement Valjouan, & fans fe détourner! qu'avez-vous fait de l'autre ? II eft mort fubitement, & le roi m'n donné fa place. Eh bien, mon frère .' j'en fuis bien aife, reprit Valjouan, j'aime mieux que ce foit vous que moi, & continua de fumer fa pipe, Le même jour la charge de procureur-général fut donnée a Joli de Fleury, premier avocatgenéral. Ces deux choix furent d'autant plus applaudis que perfonne n'étoit en droit d'en être jaloux. : Je ne tn'arrêterai pas k faire connoitre le mérite du nouveau chancelier. Son éloge que j'ai fait donner pour fujet du prix de 1'académie franCOife,^eft entre les mains de tout le monde ; mai* 1'intérêt de la vérité m'oblige de dire qu'on 1'a accufé d'une partialité outrée pour la robe. II a fouftrait au chatiment des juges coupables, pour ne pas décrier la magiftrature. Le duc de Gramont 1'ainé lui demandant un jour -*UVy auroit pas moyen d'abréger les procédures & de diminuer les fraix : j'y ai fouvent penfé, dit le chancelier , j'avois même commencé un réglement ladeffus ^ mais j'ai été arrêté, en confidérant la quantité d'avocats\, de procureurs & d'huiffiets que j'allois ruiner, Quelle réponfe de la part d'tfn homme d'état l Tomi I„ O  aio RÉGENCE. Son goüt pour les fcienees & belles-lettres hu prenoit un tems infini, au préjudice de 1'expédition des affaires. On lui reprochoit encore un efprit d'indécifion qu'il tenoit, foit de s'être trop exercé au parquet dans la difcuffion du pour & contre, foit de 1'abondance de fes lumières qui 1'éblouiffoient quelquefois au-lieu de 1'éclairer. Le comte de Cérefte-Brancas confeiller d'état d'épée, & ami du chancelier, m'a dit qu'il lui parloit un jour de la lenteur de fes décifions. Quand je penfe, répondit le magiftrat, qu'une décifion de chancelier eft une loi, il m'eft bien permis d'y réfléchir long-tems. Le régent, après avoir fi bien difpofé de la place de chancelier & de celle de procureur-généaral, fit un déluge de graces qui ne furent pas fi approuvées (i)> (i) II donna 1'adminiftration des biens de Saint-Cyr au duc de Noailles, qui eut fous lui d'Ormeflbn , beau - frère du chancelier. Noailles confeilla auffi de détruire Marly , dont les matériaux auroient été a fa . difpoiition; mais ón en dé» tourna le régent, Noaillés obtint du moins d'en faite vendre les meubles & le linge. Tout s'y donna a li bas prix, que ce fut plutöt un partage qu'une vente; & le remplacement a cotité des fommes immenfes au roi. Le prince de Rohan eut un brevet de retenue de 400,000 liv. fur le gouvernement de Champagne , & la furvivance de ia compagnie des gens-d'armes pour fon fils. Le duc de Chaulnes fit aufli donner a fon fils la furvivance de Ia compagnie des chevaux-légers , avec I'augmentation du brevet de retenue jufqu'a 400,000 liv. La furvivance de Defmarais , grand-fauconnier, lui fut accordée nour fon fils agé de fept ans. Mailleboi» fit potter jufqu'a 400,000 liv, fon brevet de retenue fur fa charge de maitre de la garde-robe. Le prince Charles de Lorraine , en époufant madame de Noailles, obtint du régent un brevet de retenue d'un million ïur la charge de grand-écuyer. Lc premier préfident recüt une fomme confidérable. La ducheffe de Ventadour, en remettant le roi entre les mains des hommes, eut pour foixantc mille écus dï pkrreries.  RÉGENCE. 2ft Les princes feroient trop heureux , s'ils n'aVoient a s'occuper que de la politique & du gouvernement temporel de 1'état. Malheureufement les affaires de I'églife s»y mêlent toujours; & comme elles font communément un tiffu de manoeuvres , de tracafferies & d'intrigues, elles caufent plus d'embarras aux princes que les négociations les plus épineufes avec les puiffances étrangères» L'affaire de la conffitution étoit précifément dans ce cas la ; & le régent qui travailloit k affermir la paix au-dehors,.defiroit la tranquillité alt-dedans du royaurüe. La ducheffe d'Albret fe crut auffi bien fondée cue les aucfes a demander des furv vances, & obtint celle de mnichambellat. pour fon fils ainé, & celle de premier gentllhomme dé neuf ans. II ny eut pas jufqu'a 1'abbe de Maulevrier, qui fe nie?9du rol "^^ P°Ur furvivancier da™ fa place d'aumo'- lesL'D^bctsDHe°HA^erChf1 * f°rtifier f0rt e*iftence de flr ?ieces.de ie.tAÜ a fa convenance, obtint la place de fecre a.re du cabmet avec la plume, vacante par Ia mon de Calheres homme de mérite. Peu de jours après, il fi entendre, quetant plus mitté que perfonne dans le nouveau fyftême polmque, il étoit convenaMe qu'il entrat au cönfeTi des affaires etrangeres j &, pouf déterminer le régent . ajouta quM ne fe prévaudroit point de fa place de conféi Ier d etat pour Ia préféance fur les membres dü confeil non titrés m officiers de la couronne. Quelques mépris que les autres confe,IlerS d'état fiflent du perfonnel de Dubois , ils ne vóulurent pas que fon titre de confeiller d'état fut dégradé, Ainfi, iV«gem' ?r0yant tout «öncilief, imagina de dolner a rabbé dEftrees, a Canillac & a ChevernyT tous trois du conïeü des affaires etrangeres, des brevets expeftatifs de confeiller* d'état, d>une d amérieure - celui A/Duboi afin°qnue ie€ur* contensCdenn/lPOint Ils pVwp r^ ii le Prece.der 1" * ce titre. D'autre part, les trok ,-nnf detar tfouvoient f°" ™*vais qu'on leur donnlt «ui fixe1eureSnnmHUmeraireS' COmre 'E ^<*™ de 1664 5. ,? ,eur .nom°i,e a trente , vmgt-quatre de robe , trois d'eghfe & trois d'épée. Cependant il flllut tecevol rJubo * pour compagnon, en attendanc tju'on 1'eüt pour maitre. O ij  R £ G .E N C E. Après avoir mis a la tête du confeil de confeience le cardinal de Noailles, avoir écarté des affaires le cardinal de Biffi Sc fa cabaie , avoir chaffé de la cour les jéfuites, exilé de Paris Tellier, Doucin, Sc les autres brouillons de la fociété, il n'avoit plus qu'a laiffer agir les pariemens foutenüs de la forbonne , des univerfités , des curés toujours refpedtés du peuple Sc de 1'honnête bourgeoifie. Les communautés féculières Sc regulières, les plus diftinguées dans les lettres Sc par leurs établiffemens, fe déclaroient hautement pour le cardinal de Noailles. Quoiqu'il eut confenti, ou ne fe fut pas oppofé k la deftrudtion de Port-Royal, la haine contre les jéfuites, 1'oppofition k la cour de Rome lui avoient ramené les janfénifies parmi lefquels il y en avoit encorè alors de très-diflingués par leur réputation ; les évêques acceptans n'étoient pas en état de foutenir le parallèle avec leurs adverfaires. L'ambition, 1'intérêt, le bon air fi puiffant en France, le vent de la cour, auroient décidé les indifférens Sc ramené les autres. Le petit nombre que 1'opiniatreté ou le point d'honneur d'un engagement public auroit retenu dans le parti de la conftitution, fe feroit éteint, comme il eft arrivé k celui des appellans. II n'en auroit pas beaucoup coüté au régent, trés-indifférent fur le fonds du dogme, d'afEcher iine neutralité pacifique. Le pape fe feroit plaint, le nonce auroit crié. Rien de plus facile que d'impofer filence au dernier, ou de le faire rappeller. A 1'égard du pape, le régent pouvoit lui écrire de ce ton de refpeft pour la perfonne, avec lequel on, fait cependant fentir la fermeté d'un parti  RÉGENCE. 113 pris. Clément XI auroit fürement donné les explications qu'on lui demandoit fur la bulle ; ou elle feroit infenfiblement tombée en oubli comme tant d'autres. Si d'après ce que je viens d'établir, on me foupconnoit de janfénifme, on fe tromperoit fort. Les janféniftes d'aujourd'hui ne rappellent pas 1'idée de Port-Royal, & il ne feroit pas a defirer qu'ils priffent le deffus. Quelque foit la conftitution pour le fonds, elle eft fi généralement acceptée, qu'il faut la regarder comme bonne pour la tranquillité du gouvernement. Les conféquences éloignées que les papes en pourroient tirer peur leurs prétentions,ne pafferoient pas jufqu'aux'effets. La cour de Rome ne hafardera pas déformais de ces coups qu'une partie del'Europe n'a repouffés qu'en fe féparant de 1'églife. Le régent, en cherchant h concilier les deux partis qui la'divifoient, n'en put contenir aucun. Celui de la conftitution en vint jufqu'a la faire déclarer règle de foi, par tin certain nombre de prélats. Auffi-töt quatre évêques & la forbonne publièrent leur appel au futur concile. Si' le cardinal de Noailles eut fait alors paroïtre le fien, prefque tous les corps du royaume 1'auroient fuivi. II temporifa, &c perdit tous fes avantages. Le régent piqué de 1'éclat de eet appel dans le tems qu'on tenoit au Palais-Royal des conférences pour trouver des tempérarnens , fit donner ordre aux quatre évêques de fe retirer dans leurs diocèfes. Ravechet, fyndic de forbonne, fut exilé a Saint-Brieux ; mais y allant, il mourut a Rennes chez les bénédiélins ou il eft inhumé. Pendant la guerre de la conftitution, les princes O iij  Ü4 RÉGEN.CE. du fang pouffoient vivement celle qu'ils avoient déclarée aux princes légitimes, a qui les ducs & pairs youloient aufli faire perdre le rang inter-médiaire accordé par 1'édit de 1694. Les mémoires refpeöifs font fi répandus, que je n'en donnerai pas même d'extrait. Le régent ne prit pas vifiblement parti avec les princes du fang. 1°. Pour ne pas offenfer la ducheffe d'Orléans, fa femme, fceur des légitimés. Pour ne pas paroitre juge & partie dans une affaire qui feroit portée au confeil de régence. La ducheffe du Maine, princeffe du fang par. elle-même, furieufe de voir attaquer le rang de fon mari & de fes enfans, eut recours a tous. les moyens qu'un intérêt fi cher lui fuggéroit. II femble qu'elle auroit du diriger tous fes efforts contre la requête des princes du fang, paree que fi le rang en étoit confervé k fon mari, la demande des ducs tomboit d'elle-même. Mais, comme elle craignoit d'échouer dans fa défenfe contre les princes, elle n'ouhlioit rien dé ce qui pouvoit retarder le jugement. D'ailleurs, fi elle étoit affligée de la pourfuite des princes, elle fe croyoit outragée par la réclamation des ducs, en faveur de la pairie. Elle imagina donc de leur fufciter des ennemis quipuffenc la venger, en les attaquant eux-mêmes. Elle fit entendre k un nombre de gentiishommes, que les ducs avoient des prétentions injurieufes k la nobleffe, dont ils vouloient fe féparer, en faifant entr'eux un corps particulier. Ces gemilshommes prirent aifément feu, & fonnèrent Pallarme ; leur nombre s'augmenta bientöt, cha-  RÉGENCE. 215 cun s'empreffoit de s'y joindre : les principaux, par jaloulie contre les ducs, les autres pour faire acfe de noblefTe ; il s'en trouva quelques-uns que la boilrgeoifie eut pu revendiquer, Le grand prieur de Vendöme intéreffé perfonnellement pour les légitimes, perfuada aux chevalièrs de Malthe qui étoient a Paris, d'entrer dans 1'affociation. Le Bailli de Nimes, ambaffadeur de la religion & frère du premier préfident, concourut aux defirs du grand prieur, 6c y étoit fourdement pouffé par le premier préfident, fecrétement lié avec le duc, la ducheffe du Maine, & grand ennemi des ducs depuis 1'affaire du bonnet. Cette confédération fe répandit d'abord en propos dans le public, & fix (1) des plus confidérables préfentèrent au régent un mémoire contre les ducs. Ce prince les recut très-féchement, leur dit qu'il trouvoit fort mauvais un pareil attroupement, refufa le mémoire, & fit défenfe k tous chevalièrs de Malthe de s'affembler que pour les affaires de leur ordre ; & un arrêt du confeil de régence défendit toute alfociation de gentilshommes & de figner aucune requête en commun fous peine de défqbéiffance (2). (1) Chatillon, de Rieux, de Lava!, de Pons, de Beaufremont & de Clermont-Tonnerre. (2) Cette partie de la nobleffe croyoit, en 1717, s'autorifer de I'exemple des cent foixante - fept gentilshommes qui, en 1649, préfentèrent une requête a la régente-mère de Louis XIV , contre le rang de prince accordé a la maifon de Bouillon , & contre les tabourets de la princeffe de Guémené , de la marquife de Senecay & de la comteffe de Fleix. L'afibciation de 1649 n'étoit pas plus légale que celle de 1717, mats elle avoit un objet plus fixe & plus déterminé. Les ducs & pairs préfentèrent alors leur requête mais le corps de la noblefl'c cuncouroit au même but. La régente & fon confeil craignant' O ïv  »I<5 R É « E N C 'E. Plufieurs gentilshommes de PalTociation ne diffimuloient pas trop leur paflion; Beaufremont difoit hautement qu'il vouloit détruire les ducs, puifqu'il ne 1'étoit pas. On a vu depuis le marquis de Chatillon , devenu duc , s'enthoufiafmer de ce titre, Cependant les princes du fang continuoient leurs pourfuites contre les légitimes. Le régent auroit peut-être éludé la décifion par égard pour fa femme; mais la ducheffe du Maine, emportée par la paffion, fit faire a fon mari une démarche qui lui nuifit beaucoup. II s'avifa de dire au régent que cette affaire, en étant une d'état, ne pouvoit être jugée que par un roi majeur, ou même par les étatsgénéraux. Le régent fentit quelle atteinte une telle prétention donnoit a, fon autorité. i°. C'eft une maxime que le roi eft toujours majeur, quant a la juftice. iQ. Ce qui s'étoit fait fans 1'intervention des états-généraux, n'en avoit pas befoin pour être défait. En conféquence il fut rendu le 6 juin un arrêt du confeil de régence qui «ommoit fix confeillers d'état, pour recevoir les mémoires refpedifs des princes du fang & des légitimes, & en faire le rapport au confeil. La ducheffe du Maine , confternée du maii^ais fuccès de fa démarche, perfuada k trenteneuf gentilshommes qu'ils pouvoient ftipuler pour le corps de la nobleffe , & les engagea a préfenter au parlement une requête tendante k de- les fuites de cette fermentation, les cooceffions furent révoquees pour le moment, Sc rétablies enfuite, lorfque 1'autoHté fut plus arFermie. ' • ' v  RÉGENCE. , mander qu'une affaire qui concernoit la fiiccef, fion a Ia couronne, fut renvoyée aux états-généraux (i). C'étoit du moins au roi feul qu'ils devoient s'adreffer, s'ils euffent eu miffion de l'ordre de la nobleffe. II étoit, d'ailleurs , affez fjnguher de voir un ordre qui range le parlement dans celui du tiers-état, intituler fa requête : A noffeigneurs du parlement, fupplient, &c. Le premier préfident Sc les gens du rol la portèrent au regent, qui fit mettre k la Baflille ou a Vincennes les fix pnncipaux gentilshommes. Le régent réfolut' fur le champ de faire juger 'affaire par le confeil. Les princes du fang, les légitimes & les ducs en furent exclus comme parties. L'archevêque de Bordeaux, d'Huxelles, Biron & Bénnghen les remplacèrent. Saint-Conteft ht le rapport ; & le premier juillet, le confeil de régence rendit un arrêt, en forme d'édit , qui revoque Sc annulle celui de 1714 & la déclaration de 1715 ; déclare le duc du Maine & le comte de Touloufe inhabiles k fuccéder k la couronne, les privé de la qualité de princes du iang, Sc leur en conferve feulement les honneurs leur vie durante , attendu la longue poffeflion, Cet edit fut enregiftré au Parlement le 8 juillet Les honneurs ont depuis été confervés aux deux nis du duc du Maine, accordés au duc de Penthievre , fils du comte de Touloufe , Sc ont mint EflLér?it ea fo.rmede P™teftation contre tout jugeSr en chèfte&Ventl0n dM états:gén«aux , & fignifiée au gretner en chef & au procureur-général. Le 10 juin, le duc narW™ V*5 ^ T°U,0ufe vinrent P™** place au rPSênt 5rprefemerent Un a«e Parcil. Voyez^jourual  2,ï8 RÉGENCE. paffe au comte de Lambale fils du duc de Pentbièvre. En rapportant ce qui concerne 1'affaire des légitimés , j'ai particuliérement nommé la ducheffe du Maine, paree qu'elle fut 1'ame de tout. Le duc du Maine, au défefpoir de fa chüte, mais naturellement timide, obéiffoit a toutes les paffions de fa femme. Le comte de Touloufe fe joignit a fon frère pour la défenfe de leur état ; mais il n'entra dans aucune des intrigues de la ducheffe du Maine. II avoit partagé le rang de fon frère, fans 1'avoir follicité ; il en prévoyoit le peu de ftabilité, 6c ne parut ni humilié ni affligé de la révolution de fon état. Pour la ducheffe du Maine , tranfportée 5c aveuglée de fureur , elle ne s'occupa donc que de projets. de vengeange contre le régent, & entretint des liaifons fecrètes avec cette partie de la.nobleffe, qu'elle avoit déja échauffée. Nous. la verrons bientöt former, une conjuration mal organifée, qui devint funefte a plufieurs gentilshommes, 6c qui penfa perdre abfolument le duc du Maine. Au milieu de toutes les affaires dont le régent étoit occupé, il fut obligé de donner fes foins a la réception du czar Pierre I"., qui vint cette année a. Paris. Ce prince, qui s'étoit créé lui-même, travailloit a devenir le créateur de fa nation, 6c y feroit parvenu, fi une telle entreprife pouvoit être 1'ouvrage d'un règne, 6c qu'il ne fallüt pas urte fuite de fiècles, pour former ou régénérer un peuple. Quelque génie qu'on remarquat dans le czar, il laiffoit quelquefois échapper des traits de féro-  RÉGENCE. 21^ cité, mais jamais rien de petit. II a fait entrer fon empire dans le fyftême politique de 1'Europe. La Ruffie y tient un rang diftingué ; mais les fciences & les arts y paroiftent des plantes exotiques, dont il failt renouveller la femence. On ne trouve point encore de noms ruffes dans la hfte des favans qui foutiennent 1'académie de Pétersbourg.^ Cette fociété, oü il y a des étrangers d'un mérite reconnu, n'a pas du moins pris, comme les nötres, une devife orgueilleufe. Elle s^eft bornée a celle qui conviendra toujours a 1'homme, & dont. les plus éclairés {entent la jufteffe. Paulatim : peu a peu. Quoi qu'il en foit, le czar, pour jetter les fondemens du grand édifice qu'il projettoit , avoit voyagé dans tous les états du nord de 1'Europe. Cherchant par-tout a. s'inftruire., pour inftruire enfuite fes fujets, il avoit travaillé lui-même dans les attehers d'Amfterdam. II y avoit long-tems qu'il defiroit de. voir la France, & il 1'avoit témoigné k Louis XIV dans les dernières années du règne ; mais le roi, déja attnfte par les infïrmités de 1'age, & k qui 1'état de fes finances ne permettoit plus d'étaler le fafte d'une cour brillante , comme il auroit fait autrefois , fit détourner le czar de fon projet le plus honnêtement qu'il fut poffible. Le czar voyant qu'il n'auroit pas beaucoup k attendre, n'en témoigna rien ; mais quelque tems après la mort de Louis XIV, il chargea le prince Kurakm , fon ambaffadeur , de faire part a notre cour du defir qu'il avoit de voir le roi , & d'annoncer qu'il partoit. Le czar & Kurakin avoient epoufe les deux fceurs; & quoique la czarine eut  HO RÉGENCE,' été répudiée & enfermée dans un couvent, Kurakin n'avoit pas perdu la confiance de fon maitre. Le czar lui en avoit même donné une preuve affez forte. Comme il avoit concu le projet d'allier la Rufïïe par des mariages avec lés premiers états de 1'Europe , particuliérement avec les maifons de France & d'Autriche, il jugea que la différence de religion y feroit un obftacle, Sc crut que la religion grecque, qu'on profeffe en Rufïie, n'étant pas fort éloignée de la romaine, il ne lui feroit pas difficile de faire adopter celle-ci pas fes fujets. Pour eet effet, il envoya Kurakin a Rome, & 1'y retint trois ans fans caraftère, mais y vivant en grand feigneur, Sc a portée de s'infiruire des principes politiques de la cour de Rome, Sc de fa conduite avec les puiffances catholiques. Le clergé romain, loin de cacher fes prétentions, les étala fi indifcrétement, que Kurakin, k fon retour, n'eut rien de fatisfaifant k dire a fon maitre. La cour de Rome manqua une fi belle acquifition par les mêmes maximes qui lui ont fait perdre tant d'autres états. Quelque defir qu'eüt le czar d'être catholique, il aimoit encore mieux être maitre chez lui, Sc prit le parti de laiffer en Rufiie la religion telle qu'elle eft, mais de s'en faire déclarer le chef. II avoit déja fenti la néceffité de réprimer le clergé Sc d'abaiffer le patriarche. C'étoit avec 1'appui des patriarches que la maifon régnante étoit montée fur le tröne ; Sc ceux qui 1'y avoient élevée, pouvoient 1'en faire defcendre. II préféra fa iüreté a la reconnoiffance, prit des mefures juftes, chaffa le patriarche de Mofcou , Sc parvint a fe faire chef de 1'églife ruffe.  RÉGENCE. ïif Les chofes étoient en eet état, lorfque le czar vint en France. Le régent auroit bien voulu fe difpenfer de receyoir un tel höte, non-feuleraent a caufe de la dépenfe que fon féjour exigeroit, mais encore par les inconvéniens qui pouvoient naitre du caractère & des mceurs encore barbares d'un prince, qui, très-populaire avec des artifans & des matelots , n'en feroit peut-être que plus exigeant avec la cour. Mais ce qui peinoit davantage le régent, alors plein d egards pour 1'Angleterre , étoit la haine que le czar avoit pour le roi Georges , & qu'il a confervée jufqu'a la mort. On fait que 1'ambition du czar étoit de faire fleurir le commerce dans fes états. Dans ce deffein , il avoit fait ouvrir plufieurs canaux. II y en eut un dont le roi Georges arrêta la continuation, paree qu'il auroit traverfé une petite partie de fes états d'AUemagne, & le czar ne put le lui pardonner. Son reffentiment lp porta a faire a Amfterdam, ce qu'on appelle une 'efpiéglerie de page, a 1'ambaffadeur d'Angleterre, qui envoya lui demander une audience. Ce prince' qui fortoit alors pour aller k bord d'un vaiffeau' lui fit dire de 1'y venir trouver. L'ambaffadeur s'y étant rendu, le czar, déja monté fur la hune, lui cria de venir recevoir fon audience. L'ambaffadeur, peu ingambe, auroit bien voulu s'en difpenfer; mais il n'ofa témoigner fa crainte. Le czar lui donna audience , & après'avoir joui'affez long-tems de la peur du miniftre fur ce plancher mobile, le congédia. Le régent envoya le marquis de Nefle & du Libois, gentilhomme ordinaire, avec les équipages du roi, attendre le czar a Dunkerque, le re-  11% RÉGENCE. cevoir au débarquement, le défrayer fur la rotité, &c lui faire rendre par-tout les mêmes honneurs qu'au roi. Le.maréchal de Teffé alla au-devant de lui jufqu'a Beaumont, Sc le conduifit k Paris, oü il arriva le 7 de mai. Le rang Sc le mérite perfonnel du czar exigent que je donne une efpèce de journal abrégé de fon arrivée & de fon féjour. Le czar defcendit k neuf heures du foir au Louvre , k l'appartement de la reinè, oii tout étoit éclairé Sc meublé fuperbement. II le trouva trop beau, demanda une maifon particuliere, Sc remonta fur le champ en carroffe. On le conduifit a 1'hötel de Lefdiguières , proche 1'arfenal. Comme les meubles n'en étoient pas moins magnifiques, il vit bien qu'il falloit prendre fon parti la-deffus. II fit tirer d'un fourgon qui le fuivoit un lit de camp, Sc le fit tendre dans une garde-robe. Verton, un des maïtres-d'hötel du roi, étoit chargé d'entretenir matin Sc foir au prince une table de quarante couverts , fans compter celles des officiers & des domefiiques. Le maréchal de Teffé avoit le commandement de toute la maifon , & devoit accompagner par-tout le czar, efcorté d'un détachement des gardes-du-corps. Ce prince étoit grand, très-bien fait, affez maigre, le teint brun Sc animé, les yeux grands Sc vifs, le regard percant, Sc quelquefois farouche, fur-tout lorfqu'il lui prenoit dans le vifage un mouvement convulfif qui démontoit toute fa phyfionomie. Ce tic étoit une fuite du poifon qu'on lui avoit donné dans fon enfance; mais lorfqu'il vouloit faire accueil a quelqu'un , fa phyfionomie devenoit riante Sc ne manquojt pas de grace .  Régence. 22.| quoiqu'il cónfervat toujours un peu de majefté farmate. Ses mouvemens brufques & précipités déceloient Pimpétuofité de fon caradfère & la violence de fes paffions. Aucune décence n'arrêtoit l'a&iyité de fon ame ; & un air de grandeur , mêlé d'audace , 'arihóncoit un prince qui fe fent maitre par-tout. L'habitude du defpotifme faifoit que fes volonfés, fes defirs, fes fantaifies fe fuccédöient rapidement, & ne pouvoient fouffrir la moindre eonfrarietë des tems, des lieux, ni des circonftances. Quelquefois importuné de Paffluence des fpeöateürs, mais jamais gêné, il les congédiÖit d'un mot, d'un gefte, ou fortoit pour aller a Pinftant oü fa curiofité 1'appelloit. Si fes équipages n'étoient pas prêts, il entroit dans la première voiture qu'il trouvoit; fut-ce un carroffe de place. II prit un jour celui de la maréchale de Matignon qui étoit venue le voir, & fe fit mener a Boulogne. Le maréchal de Teffé & les gardes couroient alors comme ils pouvoient 'pour le fuivre. Deux óu trois aventures pareilles firent qu'on tint toujours dans la fuite des car'roffes &c des chevaux prêts. Quelque peu occupé qu'il parut de 1'étiquette de fon rang, il y avoit des occafions oü il ne la négligèoit pas • il marquoit quelquefois par des nuances affez fines, la diffinéiion des dignités & des perfonnes. En voici des traits : Quoiqu'il eüt la plus grande impatience de parcounr la ville, dès le moment de fon arrivée, ü ne voulut jamais fortir de chez lui, qu'il n'eür recu la première vifite du rdi. Le lendemain de Parrivée du czar, le ré°enl alla le voir. Le czar fortit de fon cabinet, fit  ±2.4 R É G k N C É. quelques pas au-devant du régent, 1'embrafïa $ puis lui montrant de la ttiain la porte du cabinet, fe retoiirna aulïi-töt, Sc paffa le premier , fuivi du régent, puis du prince Kurakin, qui leur fervit d'interprete. Il y avoit deux fauteuils, dont le czar ocCupa le premier . Kurakin reftant debout. Après une demi-heure d'entretien, le czar fe leva, Sc s'arrêta oii il avoit recu le régent , qui, en fe retirant, fit une pfofonde révérence, k laquelle le czar répondit par une inclinatiön de tête. Le lundi iö mai , le rol vint faire fa vifite. Le czar defcendit dans la coür, tecut le roi k la defcente du carroffe, Sc tous detix marchant fur la même ligne, le roi k la droite, entrèrent dans 1'appartement oii le czar préfènta le premier fauteuil, cédant par-tout la main. Après avoir été affis quelques inftarts, le czar fe leva, prit le roi dans fes bras, 1'embraffa, a plufieurs reprifes, les yeux attendris, avec l'air Sc les tranfports de la tendreffela plus marquée. Le roi, quoiqu'enfant, ne fut nullement étonné, fit un petit compliment, Sc fe prêta de bonne grace aux careffes du czar. Les deux princes gardèrent en fortant le même cérémonial qu'a 1'arrivée. Le czar en donnant au roi la main fur lui jufqu'au carroffe, conferva toujours le maintien de 1'égalité; Sc s'il fe permit dans des inftans, Sc peut-être avec deffein, une forte de fupériorité que 1'Sge peut donner , il eut foin de la voiler par des careffes & des démonftrations d'amour pour 1'enfant qu'il prenoit dans fes bras. Le lendemain 11 , le czar rendit au roi fa vifite. II eut été recu k la clgffente du carroffe; mais auffi-tö.t  R É G Ë N C E. iï^ auffi-töt qu'il appercut fous le veftibule des Tuileries le foi marchant vers lui, il fauta du carroffe , courut au-devant du roi, le prit dans fes bras, monta ainfi 1'efcalier, & le pórta jufqu'a 1'appartement. Tout fe paffa exa&enient comme la veille , a 1'exception de la main, que le roi donna par-tout chez lui ali czar, comme il 1'avoit eue chez ce prince. Auffi-töt qu'il eut recu la vifite du roi, il ne Ceffa de fe promener dans Paris, entrant dans les boutiques, & chez les ouvriers, s'arrêtant k tout ce qui attiroit fon attention, queftionnant les ar* tiftes par le móyen du prince Kurakin, & donriant par-tout des preuves de fes lumières & de fes connoiffances. Les chofes de pur goüt & d'agrément le touchoient peu; mais tout ce qui avoit un objet d'utilité , trait a la marine, au commerce, aux arts néceffaires, excitoit fa curiofité, hxoit fon attention , faifoit admirer la fagacité d'un efprit étendu, jufte & auffi prompt a s'inftruire, qu'avide de favoir. II ne donna qu'un lé* ger coup-d'ceil aux diamans de la Couronne qu'on lui étala; mais il admira les ouVrages des Gobe* üns, alla deux fois a 1'Obfervatoire, s'arrêta long* tems au jardin des plantes, examina les cabinets de méchanique, & s'ehtretint aved lés char» pentiers qui faifoient le pont-tournant* On juge aifément qu'un prince de ce cara&ère, n'étoit pas recherché dans fa parure. . Un habit de bouracan , ou de drap , un large ceinturön öh pendoit un fabre, une perruque ronde, fans pöüdre, qui ne lui paffoit pas le cól, une chemife fans manchettes : tel étoit fonajuftefflëfit. II avoit Commandé une perruque. Le perruquier né dcuia. Tornt I, p  2.20 R É C E N C t. pas qu'il ne lui en fallüt une a la mode, qui étoit alors de les porter longues 6c fournies. Le czar fit donner un coup de cifeau tout autour, pour la réduire k la forme de celle qu'il portoit. Madame, mère du régent, la ducheffe de Berri, la duchefle d'Orléans s'étoient attendues k ïecevoir la vifite du czar, auffi-töt qujil auroit rendu celle du roi; mais n'en ayant point entendu parler , elles lui envoyèrent faire compliment , ehacune par fon premier ccuyér. Le czar alla enfuite les voir dans l'ordre ou je viens de les nommer, & y fut recu comme le roi 1'auroit été. Le jour qu'il fit fa vifite a Madame , vendredi 14, le régent vint 1'y trouver, 6c le conduifit a 1'opéra en grande loge, 6c tous deux y furent feuls fur le même banc. Vers le milieu de la repréfentation , le czar demanda de la bierre; le régent en fit apporter a l'inftant, fe leva, en préfenta un gobelet fur une foucoupe, 8c enfuite une ferviette. Le c/.ar but fans fe lever, remit le gobelet 6c la ferviette au régent toujours debout, éc le remercia par un fourire 6c un figne de tête, 8c fortit de 1'opéra au quatrième acte, pour aller fóuper, II dinoit k onzè heures, 6c foupoit a huit. L'état de cette dépenfe étoit de 1800 livres par jour. 11 étoit toujours fplendidement fervi , quoiqu'il eut ordonné des retranchemens dès le premier jour, Ce n'étoit point par fobriété; il aimoit la table, 6c n'en vouloit fupprimer que le luxe. II mangèoit èxceflivement k diner 6c <\ fouper, buvoit deux bouteilles de vin k chaque repas , 6c ordinairement une de liqueur au deffert; fans compter la Bierre & la limonade entre les repas. Plu-  R £ G E N C É; Hf fieurs de fes officiers lui tenöient tête la-delfuS* & entr'autres fort aumóriier qu'il aimoit & eftimoit beaucoup k eet égard la. II fe livroit quelquefois avec eux k des excès , dont les ftiites avoient befoin d'être enfevelies dans 1'obfcurité. Le czar fit Une vifite particulière au régent ^ mais il n'en'fit k aucun autre de la maifon royale> prince ou princeffe, qü'aux trois que je Viens de nommer. On lui avoit dit que les princes du fang viendroient lui rendre une vifite, s'il vouloit promettre d'aller enfuite voir les princeflesi II refufa avec hanteur cette vifite conditionnelle; & il n'en fut plus queftion. Si les vifites d'apparat, les fpectacles & les fetes 1'amufoient peu, il n'en étoit pas ainfi des chofes qui pouvoient 1'inftrüirei Le même jour qu'il fut a 1'opéra, il avoit pafte la matinée entière dans la galerie des plans , cona duit par le maréchal de Villars, & fiiivi des officiers généraux , qui fe trouvoient a Paris* Le maréchal Paccompagna encore aux Invalides le 16, jour de la Pentecöte. Le czar y voulut toüt Voir, tout exairtiner, & finit par le réfeéfoirè ote il demanda un coup du vin des foldats, büt k leur fanté, les traitant de camarades, & frappant fur 1'épaule de fes voifinst II remarqua parmi les fpeftatrices la maréchale de Villars, dont la figürë étoit frappante; il apprit qui elle étoit, & lui fit un accueil diftingué„ Le maréchal d'Eftrées lui donna a diner dans fa maifon d'Iffy le mardi i 8 j & lui plut beaucoup par les cartes êi plans dë marine qu'il lui móntra. Le czar paffant aux Tuiiêries le 2.4 > êntfa fchêz le maréchal de Villeroi, öü lè föi viiit cómffie par hafard, Tout cérémonial fut alörs füppfini## ï> ij  2.2.8 R É G E N C E. & le czar fe livra encore aux plus vifs tranfports de tendreffe. Le foir même- il fe rendit a Verfa illes, & paffa trois jours a voir le chateau, la Menagerie, Tranon, Marly, & fur-tout la machine , plus admirable alors qu'elle ne 1'efl aujourd'hui, que la méchanique efl plus perfectionnée. Ce prince coucha a Trianon -ou fes officiers avoient mené des filles , daps 1'appartement de madame de Maintenon ; ce que Blouin , ancien ferviteur de la favorite, regarda comme une profanation. Ces mceurs faifoient en effet un furieux contraire avec les dernières années de Louis XIV. On a prétendu que le czar & fes officiers s'étoient reffentis de la compagnie qu'ils avoient amenée. Le 30 mai, il alla diner k Petit-Bourg, chez le duc d'Antin, qui le conduifit lc même jour a Fontainebleau, ou le comte de Touloufe lui donna !e lendemain le plaifir de la chaffe. II ne voulut au retour, manger qu'avec fes gens dans 1'ifle de I'Etang. Le comte de Touloufe & le duc d'Antifl durent favoir gré au czar de les en avoir cxdus. II fallut porter ce prince &c fes gens dans les carrofles, pour revenir a Petit-Bourg, oii ils arrivèrent dans un état fort dégoutant. Le mardi premier juin, les fumces dc la veille étant difiipées , le czar s'embarqua fur la Seine pour defcendre a Paris. II s'arrêta a-Choify-, oü la princeffe de Conti, douairière, le recut. Après avoir parcouru les jardins, il rentra dans fa gondole, traverfa Paris, paffant fous tous les ponts, & deicendit au-deffous de la porte de la Conférence. Le 3 , il retourna pafler plufieurs jours k Verfailles 3 k Marly, k Trianon, qu'il vouloit revoir  Régence. aap avec plus de détail. Le 1i, il fe rendit a SaintCyr, vit toutes les claffes , fe fit expliquer les exercices des penfionnaires, & monta enfuite chez madame de Maintenon, qui, 1'ayant prévu, s'étoit mife au lit, fes rideaux & ceux de fes fenêtres fermés. Le czar, en entrant, tira les rideaux des fenêtres, puis ceux du lit , la confidéra attentivement , & fortit fans dire un mot, & fans lui faire la moindre politeffe. Madame de Maintenon fut pour le moins étonnée d'une fi étrange vifite, & dut fentir la différence des tems. Le jour qu'il alla voir la Sorbonne, il témoigna plus de confidération a Ia ftatue du cardinal de Richelieu, qu'il n'en avoit marqué a la perfonne de madame de Maintenon. Auffi-töt qu'il appercut le tombeau du cardinal, il courut embrafler la figure de ce miniftre, en lui adreffant ces paroles : Je donnerois la moitié de mon empire d un homme tel que toi , pour qu'd maiddt d gouverner Vautre. Le czar alla diner le 15 chez le duc d'Antin. Madame la ducheffe s'y rendit avec les princeffes, fes filles, pour te voir du moins une fois avant fon départ. Le duc d'Antin, voulant fatisfaire leur curiofité, engagea ce prince a fe promener. dans le jardin , & le conduifit le long de Pappartement du rez-de-chauffée ou les princeffes & leur fuite étoient aux fenêtres. En approchant d'elles , on prévint le czar que madame la ducheffe y étoit, & du defir qu'elle avoit de le voir. II ne répondit rien, ne demanda pas même laquelle c'étoit, marcha lentement , les regarda toutes, les falua en général d'une feule inclination de tête, 5c pafla. P iij  ^3Q Régence, Le czar , en entrant dans la falie a riianger j fut frappé de voir fous un dais le portrait de la czarine, que le duc d'Antin avoit trouvé moyen de fe procurer. Cette galanterie lui plut fi fort. qu'il s'écria qu'il n'y avoit que les Francois qui en fuffent capables, II ne tarda pas a en éprou-> ver une encore plus marquée, que je porterai 4 fa date, Le 16, il vit la revue de la maifon du roi. La magnificence des uniformes parut lui déplaire, Sans attendre la fin, il partit brufquement; 6c d'un tems de galop , fe rendit a Saint^-Ouen , oü il foupa chez le duc de Trefmes. Le czar parloit facilement le latin & baliemand ; il auroit pu fe faire entendre en francois qu'il entendoit affez bien; & on le foupconnoit de mettre de la dignité a fe fervir d'interprète. Le . 8 , il regut la dernière vifite du régent, Sc alla prendre congé du roi, qui le lendemain vint lui dire adieu. II n'y eut aiicun cérémonial d'obfervé; mais on remarqua toujours la même effufion de cceur Sc le même attendriffement de la part du czar. Le même jour, ce prince afMa, dans une tribune de la grand'chambre , aii jugement d'une caufe. L'avocat-général Lamoignon , aujourd'hui ■chancelier, en la réfumant, paria de 1'honneur que la cour recevoit ce jour-lè, 6c 1'on en fit regitre. L'après--midi , le czar affifta k 1'affemblée de Vacadémie des fciences , 6c enfuite a celle des belles-lettres, convoquée extraordinairement. Ces deux compagnies 1'occupèrent chacune dans leur genre. II prit féance k 1'une 6c a l'autre • 6c fit; glfeoir les académiciens,  RÉGENCE. .131- La galanterie qu'on lui fit & que j'ai annoncée , fut a la monnoie des médailles. Le czar , après avoir examiné la ftru&ure, la force & le jeu du balancier, fe joignit aux ouvriers , pour le mettre en mouvement. Rien n'égale la furprife oü il fut, quand il vit fortir de deffous le coin fon portrait, fupérieur, pour la reffemblance & pour l'art, k toutes les médailles qui avoient été frappées pour lui, & parut aufli fort fatisfait du revers. C'étoit une renommée paffant du nord au midi , avec ces mots de Virgile , vires qcqüirit eundo, par allufion aux connoiffances que ce prince acquéroit dans fes voyages. _ Le czar accepta du roi deux tentures de tapifferies des Gobelins, & refufa une épée garnie de diamans. II donna plufieurs médailles d'or & d'argent des principales a&ions de fa vie, & fon portrait enrichi de diamans, aux maréchaux d'Eftrées & de Teffé, au duc d'Antin & a Verton. II prit pour celui-ci, qui le fit fervir pendant fön féjour , une amitié Cngulière , & demanda au régent de le lui envoyer chargé des affaires de France en Rufïïe. II fit diftribuer 60,000 liv. aux domeftiques qui 1'avoient fervi. II témoigna le plus grand defir de faire une alliance d'amitié avèc nous; mais comme cela ne s'accordoit pas avec le nouveau plan politique du régent, ou plutót de 1'abbé Dubois , on ne lui répondit ^que par des démonftrations vagues d'attachement, qui n'eurent point de fuites. Le czar partit d'ici le 20 juin, pour fe rendre a Spa, oü il avoit donné rendez-vous k la czarine. II s'attendrit beaucoup en partant , fur la France , & dit qu'il voyoit avec douleur , P iv  »3* Régence. qu'elle ne tarderoit pas k fe perdre par le luxe. 11 arriva cette année un de ces événemens qui devroient fervir d'exemple k ceux qui, abiriant d'une autorité précaire, font quelquefois haïr 1'autorité légitime, Les habitans de la Martinique , excédés des vexations de la Varenne, gouverneur-général, 8c de Ricouart, intendant de cette ifle , avoient fouvent Sc inutilement fait paffer leurs plaintes au miniftère de France. Las de n'en point recevoir de réponfe, les infulaires fe concertèrent avec tant de juftefle Sc de fecret, qu'ils furprirent le gouverneur & 1'intendant, qui dirioient enfemble. Ils les empaquetèrent I'un Sc l'autre dans un batiment qui retournoit en France, remirent au capitaine un nouveau cahier de leurs griefs, Sc de proteftations de fidélité pour le roi, le firent jurer de le rendre fidélement, conduifiTent le vaiffeau k douze lieues au large, avec deux pirogues bien armées, pour s'affurer du départ, Sc défendirent aux deux vifirs dépofés, de remet?re jamais le pied dans 1'ifle. La conduite des infulaires après cette expédiïion, fut fi tranquille Sc fi foumife , l'ordre fi ijien maintenu dans Ia colonie , qu'on prit a la cour le parti de fermer les yeux fur ce qui s'étoit paffé. Les deux bannis furent obligés de dévorer leur rage, 8c ce qui eft le comble du chatiment «n France, fe virent 1'objet des ris Sc des ridicules qu'on ne leur épargna pas* Plufieurs fucceffeurs de la Varenne 8c de Ricouart , n'ont pas trop profité de 1'exemple. Nous venons de voir, par la facilité avec laquelle la Martinique s'eft rendue aux Anglois, combien il imporre a un gouvernement de ne fe pas rendre ©dieux,  RÉGENCE. 2->-j , Pendant que les Martiniquois fe faifoient juftice , tes habitans du Périgueux imploroient celle du régent, contre Courfon, intendant de Bordeaux. II étoit fils de Lamoigon de Bafville, le defpote du Languedoc, & avoit été intendant de Rouen. Le brigandage de fes fecretaires, & 1'arrogante proteöion qu'il leur donnoit, avoit penfé le faire lapider a Rouen , dont il étoit d'abord intendant : il fut obligé de s'enfuir; & le crédit de fon père le fit paffer k 1'intendance de Guyenne. L'efprit de defpotifme qu'il avoit puifé chez; fon père, fans en avoir la capacité, le porta k impofer des taxes de fon autorité privée. La ville du Périgueux lui porta fes plaintes, & pour réponfe, il fit mettre en prifon les Echevins. La ville envoya des députés k la cour, réclamer contre la tyrannie; mais ils furent plus de deux mois a affiéger le cabinet du duc de Noailles, fans pouvoir paffer 1'anti-chambre. Ce miniftre, ami de Courfon, vouloit, k force de longueurs , rebuter ces malheureux. D'ailleurs, une maxime des tyrans & fous-tyrans, eft de donner toujours raifon aux fupérieurs. Par bonheur le comte de Touloufe, parfaitement honnête homme, entendit parler de 1'affaire. II en inftruifit quelques membres du confeil de régence, & particuliérement le duc de St. Simon, ennemi juré du duc de Noailles, & qui mettoit a tout la plus erande vivacite. Le premier jour que le duc de Noailles vint rapporter au confeil de régence , le duc de St. Simon lui demanda quand il comptoit finir 1'affaire de Périgueux, en expofa fommairement , mais tres-vivement, 1'öbjet. Le comte de Touloufe  *34 RÉGENCE. 1'appuya de ce ton froid & d'indignation qu'un déni de juftice donne a un honnête homme. Tout Ie confeil tourna les yeux fur le duc de Noailles , qui dit, en balbutiant, que cette affaire exigeoit beaucoup d'examen , Sc que des objets plus importans 1'avoient empêché d'y travailler. Le comte de Touloufe Sc St. Simon repliquèrent qu'il n'y avoit rien de fi important que d'éclaircir des accufations vraies ou fauffes, qui, depuis trois mois, retenoient des citoyens dans les fers. Le régent ordonna donc au duc de Noailles de rapporter cette affaire dans huitaine. Noailles arri.va huit jours après au confeil, avec un fac trèsplein. St. Simon lui demanda fi 1'affaire de Périgueux y étoit; Noailles répondit avec humeur qu'elle étoit prête, qu'elle viendroit a fon tour, Sc commenca le rapport d'une autre, puis d'une autre encore. A la fin de chaque rapport, St. Simon demandoit toujours, eh! 1'affaire de Périgueux? C'étoit un jour d'opéra oii le régent alloit toujours, en fortant du confeil ; & Noailles s'étoit flatté d'amufer le bureau jufqu'a 1'heure du fpeftacle, Sc peut-être a la fin de faire oublier Périgueux. Enfin , 1'heure de 1'opéra étant arrivée, Noailles dit qu'il ne reftoit plus que 1'affaire en queftion , mais que le rapport en feroit long , qu'il ne vouloit pas priver M. le récent de fon délaffement, & fe mit tout de fuite a ferrer fes papiers. St. Simon 1'arrêtant par le bras, & s'adreffant au régent, lui demanda s'il fe foucioit fi fort de 1'opéra, Sc s'il n'y préféreroit pas le plaifir de rendre juftice a des malheureux qui 1'imploroient. Le régent fe raffit, Sc confentit a entendre le rapport.  RÉGENCE. a3j Noailles 1'entama donc avec une fureur concentrée; mais St. Simon, qui étoit k cöté de lui, avoit Pceil fur toutes les pièces, les relifoit après Noailles, & fuivoit le rapport avec la défiance la plus affichée & la plus outrageante. L'affaire étoit fi criante , que Noailles conclut lui -même a 1'élargiffement des prifonniers ; mais il voulut excufer Courfon , & s'étendit fur les fervices de Bafville fon père. Le pétulant St. Simon 1'interrompit, en difant qu'il ne s'agiffoit pas du mérite du père, mais de 1'iniquité du fils; & en opinant, ajouta qu'il falloit dédommager les prifonniers aux dépens de Courfon , le chaffer ■de 1'intendance, & en faire une juftice fi éclatante , qu'elle fervit d'exemple a fes pareils. Le régent dit qu'il fe chargeoit du dédommagement; qu'il layeroit la tête k Courfon , qui méritoit pis , mais dont le père méritoit aufli des égards ; qu'il caflbit cependant les ordonnances de Courfon , avec défenfes de récidiver. St. Simon demanda que 1'arrêt fut écrit a 1'inftant, n'ofant pas, dit-il, s'en fier k la mémoire du duc de Noailles, & le régent 1'ordonna. Noailles, tremfelant de fureur, pouvoit k peine tenir fa plume: St. Simon , pour le foulager , fe mit a lui dicter. Quand Noailles en fut k la caflation des ordonnances & a la défenfe de récidiver, il s'arrêta^: pourfuivez donc , lui dit St. Simon, tel eft 1'arrêt. Noailles regarda tout le confeil, pour voir s'il n'y auroit point d'adouciffement. St. Simon interpella toute la compagnie, qui fut, la-deffus, d'un avis unanime : ainfi finit l'affaire dé Périgueux. Pen de tems après, Courfon fut révoqué, &  136 RÉGENCE. dit, comme cela fe pratique en pareil cas, qu'il avoit demandé fon rappel. Si cela eft, la province lui en témoigna fa reconnoiffance par des feux de joie. Cela ne 1'a pas empêché d'avoir, dans la fuite, une place de confeiller au confeil royal des finances. Quoique ce ne foit ici qu'une affaire particuliere, j'ai cru devoir la rapporter, pour donner une idéé du manége des miniftres, des vexations qui fe commettent au nom du roi, de 1'impunité qui leur eft affurée, fans des circonftances uniques , telles que le hafard qui inftruifit le comte de Touloufe , dont 1'équité fut échauffée par le reffentiment du duc de St. Simon. On voit encore , par la fortune de Courfon, que ceux qui ont un nom dans leur clafle, y font, a-peu-près, le même chemin, mérite ou non. J'ai oublié de dire que le chancelier d'Agueffeau , tout jufte qu'il étoit, fut le feul du confeil qui chercha a adoucir 1'arrêt, paree que les gens de robe font toujours caufe commune qviand ils n'ont point d'intérêt contraire, & qu'ils craignent d'altérer le refpeft pour la magiftrature. II procura, cette année, la nobleffe aux confeillers du grand-conlèil, avec 1'exemption de lods & ventes pour les biens relevans du roi. A propos des égards pour la magiftrature , le régent avoit eu envie , 1'année dernière , d'aflïfter a la proceffion de la mi-aoüt, pour le vceu de Louié XIII. Le parlement prétendit avoir la droite , alléguant que Gafton n'avoit marché qu'a la gauche dans une pareille cérémonie pendant la minorité de Louis XIV, quoique Gafton fut fils de France, & alors lieutenant-général dé 1'état. Le régent,  RÉGENCE. 237 fans entrer en-difcuffiori la-deffus, s'abftint de la proceffion. Cette année le même defir lui reprit, 6c il anrronca qu'il précéderoit le parlement, fondé fur Pexemple du duc de Montpenfier, qui 1'ayoit précédé k la proceffion de Sainte - Genevieve, du 10 feptembre 1570. Le parlement lui oppofa que le duc de Montpenfief n'avoit eu cette préféance qu'en vertu d'une procuratión du roi, 6c pour le repréfenter; il ajouta que le régent étant lui-même membre du parlement, ne pourroit marcher qu'entre deux préfidens, s'il ne repréfentoit pas le roi. Le régent ne voulant pas fe prévaloir de fon autorité , ni facrifier une envie puérile, crut faire merveille de faifir 1'expédient du duc de; Montpenfier, 6c parut a cette cérémonie comme repréfentant le roi, avec gardesdu - corps, cent fuiffes , capitaine de quartier , premier gentilhomme de la chambre, enfin, tout 1'appareil de la royauté : cela réuffit fort mal. Les_ mécontens difoient que le régent faifoit un eflai public dé la couronne, pour y accoutumer le peuple en cas devénement; les amis de ce prince trouvoient fort mauvais qu'un régent de France ne précédat le parlement qu'en vertu d'une commiffion qui ne lui donnoit rien de perfonnel; le parlement gagnoit toujours du terrein , 6c le peuple n'y , voyoit qu'un de ces fpeöacles qui le confolent de tout : on ne les lui épargnoit pas. La fête de Saint-Louis fut célébrée aux Tuileries , par des feux d'artifice qui attiroient une fpule mnombrable dans le jardin 6c dans les cours. C'étoit dans ces occafions que le maréchal de Villeroi développoit fes grands talens pour 1'éducation. II men®it continuellement le roi d'une  I38 R É G E N C É. fenêtre a l'autre , en lui difant : voyez, mort maitre, voyez ce peuple! eh bien, tout cela eft a vous, tout vous appartient, vous en êtes le maitre! Belle lecon! au-lieu de lui faire remarquer Pamour des peuples, & lui infpirer la reconnoiffance que le roi leur doit; mais le maréchal n'en favoit pas tant. Le parlement, après avoir effayé, dans une proceffion, 1'égalité avec le régent, fit une en* treprife plus importante dans le gouvernement ï il fut queftion d'enregiftrer la fuppreflion du dixiè* me; le parlement demanda 1'état des revenus & des dépenfes du roi; le régent le refufa, & répondit qu'il ne fouffriroit pas qu'on donnat at* teinte a 1'autorité du roi pendant la régence. Le parlement pourroit, fans doute , être fort utile au peuple; mais il faifit communéfflent fort mal les occafions de réfiftance. II s'agiflbit, par exemple , ici d'une fuppreflion que le public attendoit avec impatience; & ce qu'il pouvoit y avoir i réformer dans quelques articles, n'étoit pas difficile arégler : ainfi, il fallut enregiftrer, D'ailleurs, il y eut du fchifme dans le parlement, fur la nomination des commiftaires. Les enquêtes commencoient k foupconner que le premier préfident étoit un frippon doublé entre fon corps & la cour. En effet, le premier préfident avoit déja recu deux fois fon brevet de retenue de 500,000 liv., & ne prétendoit pas encore avoir donné quittance : nous verrons dans la fuite qu'il avoit raifon. Pendant que le régent cherchoit k conferver la paix avec nos voifins, il vit, avec inquiétude, les préparatifs de guerre qu'on faifoit en Efpagne. Albéroni ayant terminé les diffcrends de fou  RÉGENCE. 2,39 maitre avec le pape, dont il tira. un indult pour mettre une impofition fur le clergé d'Efpaone , avoit préparé un armement confidérable, & faifoit entendre au pape que c'étoit pour s'oppofer aux entreprifes que les Turcs pourroient faire fur 1'Italie. Clément XI, pour reconnoitre tant de fervices, lui donna enfin, quoiqu'avec beaucoup de répugnance, le chapeau. Le facré collége cria beaucoup, le pape en pleura lui-même; mais enfin , Albéroni fut cardinal, & dit alors a fes familiers, que n'ayant plus rien a prétendre pour lui, il alloit travailler pour la gloire du roi. Le plan d'Albéroni étoit, difoit-il, i°. de fauver Phpnneur du roi d'Efpagne; zQ. de maintenir le repos de 1'Italie; 30. d'aifurer aux fils de la reine d'Efpagne les fucceffions de Tofcane & d« Parme, & d'obtenir, pour le roi d'Efpagne, Naples , Sicile, & les ports de Tofcane; 40. divifer 1'état de Mantoue , en donnant la ville & une partie du Mantouan aux Vénitiens, l'autre partie au duc de Guaftale. 50. Le Milanais entier , & le Montferrat.aTempereur. 6°. La Sardaigne au roi Viöor , pour le dédommager de la Sicile. 70. Reftituer Commachio au pape. 8°. Partager les Pays-Bas catholiques entre la France & la Hollande. Albéroni, pour établir dans la fuite un équilibre & une paix durables, commencoit par allumer un incendie, fans avoir les moyens, ni les forces fuffifantes pour exécuter fes projets. Tel eft eet Albéroni qu'on a cherehé a donner pour un grand homme, titre qu'on défère trop légérement aux hommes extraordinaires, & qu'ils ne doivent qu'èi ceux qui auroient le plus d'intérêt  i-p RÉGENCE. a les décrier, a des écrivains nés dans Ia claftë moyenne, qui eft la vi&ime, & porte le fardeatt des grandes entreprifes. Le grand homme eft celui qui, pour des objets grands & utiles, proportionne les moyens aux entreprifes, les couronne par les fuccès, & peut s'applaudir des événemens, puifqu'il a fu. les prévoir , les préparer & les amener. Ceux mêmes qu'on appelle a jufte titre de grands génies, peuvent élever ou détruire les états; mais ils ne font pas les plus propres a 1'adminiftration. Ils font des malheureux, ne laiffent qu'un grand nom, & pour comble de malheur, excitent 1'émulation de fuccefleurs médiocres qui ne caufent que des défordres. Albéroni, né dans la pouflière, s'élève par fon efprit, & parvient k une des plus hautes dignités. Cela n'eft pas d'un homme commun. Mais il engage fon maitre dans une guerre ruineufe , le met dans la néceflité de faire une paix foreée, & finit par fe faire chafler lui-même, pour aller k Rome, vivre dans 1'opulence & le mépris. II fut prés d'y être dégradé, & ne 1'évita que par 1'intérêt qu'ont tous les cardinaux, de rendre la pourpre invulnérable dans ceux - mêmes qui la déshonorent. Voila les faits. Que le lefteur juge. Auffi-töt que la flotte Efpagnole eüt abordé en Sardaigne, toutes les puiffances furent en mouvement, chacune foupconnoit les autres d'être d'intelligence avec 1'Efpagne. L'empereur, fier de fes viftoires en Hongrie, reprochoit au pape d'avoir accordé un indult au roi d'Efpagne , fous prétexte d'un armement contre le Turc, & de le vóir employé contre, les chrétiens, Tl menacoit *. Clément  RÉGENCE» &4?. Clément XI de porter inceffamment la guerre en Italië. Le pape effrayé, pleuroit amérement, St difoit dans fa douleur qu'il s'étoit damné en donnant le chapeau a Albéroni, a quoi le cardinal del Giudicé répondit qu'il fe feroit toujours honrteüt de fuivre fa fainteté , excepté en enfer. L'Angleterre étoit alors divifée dans fon intérieur par deux partis oppofés* La méfintelligertce entre le roi Georges Sc le prince de Galles» föü fils éclatoit en haine ouverte. Le roi, en faifant la revue de fa maifon, n'avoit pas voulu paffer devant le régiment de fort fils , a moins que ce prince ne fe retirat, Sc venoit même de le relé* guer dans le village de Richemónt, prés de Londres. Georges étoit outré d'avoir pour fuCcefTeur: un prince qu'il ne regardoit pas comme fon fils» Perfonne n'ignoroit ce qui s'étoit paffé k Hanö» vre, avant que Georges fut parvenu k la couronne d'Angleterre. Ce prince foupconnant un commerce crimmel entre fa femme Sc le comte de Conig* march , avoit fait jetter celui <- ei dans un four chaud, Sc avoit tenu long - tems 1'éleftricê en« fermée dans un chSteau. La naiffance du prince de Galles fut toujours fufpefte au roi Georges t qui ne put jamais le fo.uffrir. Albéroni, dans une fécurité réelle Oü appa* rante fur les puifiances etrangeres, eut Une vivê allarme en Efpagne. Le roi tömba dahgereufè* ment malade. La reinè & Albéroni tertoient ce prince en chartre privée. Prefque toüs les ofrl* ciers du palais , rédüits k des titres fans fonöions j, ne voyoient le prince que des momenS, k fes re* pas ou k la chapelle. Deux gentilshommes de k chambre, dont 1'un étoit même marjordöme da Tome ƒ, Q  242. RÉGENCE. la reine , & quelques domefiiques abfolument néceffaires, faifoient tout le fervice. La nourrice de la reine entroit feule dans la chambre, pour la chauffer, dans le moment que le roi fe levoit, & donnoit de fortes jaloufies a Albéi'oni; mais il n'y avoit pas moyen de 1'exclure, Sc il étoit dangereux de le tenter. La maladie du roi obligea d'appeller le premier médecin & les autres officiers de fanté. Le droit Sc le devoir du majordome major étant d'affifter a. la préparation Sc a Padminiftration de tous les remèdes, le marquis de Villena , duc d'Efcabone, voulut faire fa charge , vint dans Pintérieur & jufqu'au lit du roi. Albéroni chercha a lui faire infinuer que le prince en étoit importuné; Villena continua fon affiduité auprès du roi. Albéroni piqué défendit a Phuiffier de laiffer entrer Villena. Celui-ci s'étantpréfenté, Phuiffier, entrebaillant la porte, lui dit l'ordre qu'il avoit recu ; Villena le traited'infolent, pouffe la porte, entre Sc s'avance vers le lit du roi, qui étoit trop mal pour s'appercevoir de rien. La reine & Albéroni étoient au chevet, Sc les officiers de fer,y"ce a 1'écart. Albéroni voyant avancer le marq.iis, courut au-devant, voulut lui perfuader de fj>rtir, & le prit par le bras pour le faire retourn.rr. Villena , fortgoutteux, en fe débattant contre le cardinal, tomba dans un fauteuil; mais faifuTant Albéroni par la manche, il lui appliqua fur les épaules Sc fur les oreilles nombi e de coups de canne , le traitant de preüolet, de petit faquin, a qui il apprendroit le refpecl: qu'il lui devoit. Albéroni, étourdi d'un pareil traitement fait  RÉGENCE. £4* a un cardinal, & peut-être par un fentiment dé fon ancienne baffeffe, ne fongea qu'a fe débatrafter des mains du colère marquis , Sc fe réfu« gia auprès du lit, fans que la reine par dignité, Sc les domefiiques par un plaifir feéret, fuffent fortis de leurs places. Après cette expéditiórt , un des valets vint aider Villena a fè telever du faü* teuil j & k fortir de la chambre. Le roi ne s'ap* pergut pas le moins du monde de cette fcène* A peine le marquis fut-il rentré chez lui ? qu'il regut ordre de fe rendre dans une de fes tertes, Le cardinal n'ofa recourir aux cenfures, dans la crainte de rendre 1'aventure publique, qui ne le devint pas moins. Quelques mois après , Villena fut rappellé , fe refufa k toutes les avances du cardinal, 6c le traita toujours avec haltteiuv ■ Le roi fut affez mal, pöur que la reine hu fit faire un teftament, par lequel elle étoit Vraifemblablement nommée régente ; car on n'en a jamais fu les difpofitions, On fe contenta de fairè certifier Sc figner par fix grands d'Ëfpagne, k qui néanmoins on ne communiqua rien du cóntenu'\ que la fignature du roi étoit vraie. La fanté de ce prince fe rétablit; mais , quóiqu'il ait vécu prés de trente ans depuis, (il n'eft mort qu'en i 746,) fon efprit refta fort affoibli. Si je continue Ces mémoires jufqu'a fa mort, j'en dónneraii de fingulières preuves tirées de la correfpöndance de nos miniftres a Madrid. Albéroni, haï dü peuple, Sc Wiéprifé des grands, autant qu'un miniftre puiffant peut Pêtrë, n'ën montroit pas moins d'affurartcé k töütes lés puififances étrangères, Le nonge Aldövrandi % ayant 9 {i  244 R É G E N C E. recu.un bref du pape, qui révoquoit l'indult,iie put le notifler au roi toujours enfermé, & le remit au miniftre qui n'eri tint compte , & prétendoit , par dérifion lans doute, que le pape devoit lui être fort obligé d'avoir fait accepter la conftitution par les évêques d'Efpagne. Clément XI, qui auroit été flatté d'une telle acceptation en France, la trouva téméraire en Efpagne. La cour de Rome prétend que fes bulles foient recues par les évêques Efpagnols provoluti ad pedes, c'eft fon expreflion, & ne veut point du terme d'acceptation qui fuppofe examen, & qu'elle appelle une phrafe frangoife. D'un autre cöté , 1'empereur traitant toujours le pape avec fierté, lui faifoit dire, & même ordonner de révoquer le nonce Aldovrandi, de citer Albéroni a Rome, ou qu'on lui fit fon procés en Efpagne. Albéroni ne s'en émut pas davantage , promettoit au pape de le venger bientöt dé 1'empereur , & demandoit, en attendant, une difpenfe de réfider k Malaga, dont il venoit de fe faire donner 1'évêché, vallant 100,000 liv. Le pape fachant que cette difpenfe feroit un nouveau grief auprès de 1'empereur, la refufa extérieurement; mais n'ofant.!auffi. mécontenter Albéroni, lui fit dire par .le père d'Aubenton ^ qu'il lui accordoit la difpenfe pour fix mois par an , & que les conciles lui donnant fix autres mois, il auroit ainfi une difpenfe perpétuelle de réfider. Cependant toutes les puiffances de 1'Europe étoient en mouvement. Jamais les négociations n'avoient été plus attives, plus variables, ni les intéréts plus compüqués, Nous verrons quel en  RÉGENCE. 145 fut le réfultat, après avoir rapporté quelques événemens particuliers de cette année. Le roi ayant eu fept ans le 15 février, paffa entre les mains des hommes. II feroit 3 defirer que les princes leur fuffent remis dès la naiffance. C'eft aux femmes k les foigner, aux hommes a les élever, fur-tout quand on choifit des Montaulier, des Beauvilliers, des Boffuet, des Fénelon. On trouvera, on fera naïtre leurs égaux, quand on confultera la voix publique. C'eft une juftice qu'il faut rendre a Louis XIV. II a fouvent réglé fes choix fur la renommée. Louvois ne put jamais écarter Turenne. A Poccafion du paffage des femmes aux hommes , les premiers gentilshommes reclamèrent leur ancien droit de coucher dans la chambre du roi. Les premiers valets-de-chambre oppofèrent la longue poffeffion oü ils fe trouvoient; & le régent, voulant ménager tout le monde, renvoya la décilion k la majorité, toutes chofes reftanten état, & elles y font demeurées depuis. C'eft ainfi que par négligence & non ufage , plufieurs officiers de la cour font tout autres qu'ils n'étoient dans leur origine. C'eft encore par-la que le grand écuyer perdit fon procés contre le premier de la petite écurie, qui étoit devenu fucceffivement prefque fon égal, & s'eft maintenu dans 1'indépendance. Le prince éleftoral de Saxe , aujourd'hui roi de Pologne," fe fit oü fe déclara catholique cette année , afin de préparer fa fucceffion au tröne de fön père. Lorfque celui-ci s'étoit fait catholique , l'élecfrice, fa femme, zélée proteftante, ne voulut plus* avoir de commerce avec fon mari, ni recevoir aucuns honneurs de reine, Q »i  Ï46' RÉGENCE. Le chevalier d'Oppede, neveu du cardinal Janfon, mourut cette année. N'ayant d'autre bien que fa figure, il avoit époufé par befoin la marquife d'Argenton, maitreffe du régent, & mère du chevalier d'Orléans, & tint, par honneur, fon mariage fecret. Je ne rapporte un fait fi peu important, que pour faire voir qu'on vouloit encore alors fe marier honnêterrient. Je n'entends pas blamer par - la les mariages difproportionnés par la naiffance qu par la fortune, & juftifiés par le mérite. Maffillon, prêtre de 1'Oratoire , célèbre par fes fermons, & fur-tout par fon petit carême, fans autre proteétion que fon mérite, fut nommé u 1'évêché de Clermont. II n'auroit pas été en état d'accepter, fi Crozat le cadet {feut payé les huiles. La ducheffe de Berri mit parmi fes dames la -marquife d'Arpajon, fille de le Bas de Montargis, tréibrier de 1'extraordinaire des guerres, & mère de la comteffe de Noailles d'aujourd'hui. Avec une figure belle & noble, elle étoit encore plus diftinguée par fa vertu & fa piété. C'étoit d'elle & de la marquife de la Rochefoucaud, fille du financier Prondre, que la ducheffe de Berri fe faifoit accompagner aux carmélites, è qui elle difoit: je vous amène mes deux bourgeoifes, On prétendoit que Ie mal aux yeux que le régent eut dans ce tems-ci, venoit d'un coup d'é-i ventail qu'il avoit recu de la marquife d'Arpa-* jon, avec qui il avoit effayé de prendre des lipertés un peu vives. Ces deux femmes figuroient rnieux aux carmélites, qu'elles n'auroient fait dans  RÉGENCE. 147 les foupers que la princeffe faifoit avec les roués du régent, ó\i dont elles avoient 1'honneur d'être exclues. La ducheffe de Berri créa une charge; de maitre de la garde - robe qu'elle donna k, un marquis de Bonnivet, bStard de .Gouffier, & grand fpadaffirt. Elle étoit bien aife, difoit-elle, d'avoir un homme de main dans fa maifon, ce qui ne paroiffoit pas trop un meuble fait pour la première princeffe de France. Je ne rapporterai ce qui concernera cette princeffe, qu'a mefure que les occafions s'en préfenteront. Si 1'on vouloit réunir tout ce qui la regarde, le récit en feroit trop étendu. Louife- Adélaïde d'Orléans, fa fceur cadette , prit le voile dans 1'abbaye de Chelles, le 30 mars. Cette princeffe, avec de la beauté & beaucoup d'efprit, avoit la tête très-vive. Sa mère en craignit les fuites, & ne contribua pas peu a la vocation de fa fille (1). Sa clöture la détermina a (*J EIIe av0" pour maitre a chanter Caucherau , un desmeilleurs a£teurs de 1'opéra , d'une figure agréable , & avec de 1'efprit. Un jour qu'il chantöic une fcène très-paffionnée , la jeune princeffe, qui étoit dans une loge avec la ducheffe d'Orléans, fa mère. s'écria • Ah! mon eher Caucherau! La mère tïouva l'expreffion de fa fille trop expreffive, & fur le champ la deftina au cloitre, Tantöt auftère, tantöt diffipée , tour-a-tour religieufe ou princeffe, elle devint fort incommode a 1'abbeffe, fceur du maréchal de Villars , & trèsattachée a la règle. Après quelque tems de patience inutile . madame de Villars donna fa démiflion en faveur de la princeffe, & fe retira chez les Bénédictines du Cherche -midi , avec une penfion de 12,000 liv.; y fut 1'exemple de la maifon p & y eft morte fort regrettée. Une princeffe abbeffe n'eft pas aftreinte a une régie fort auftère; elle jouit d'une grande liberté; & 1'on prétend qu'elle en ufa beaucoup avec Augeard, fon intendant, aimable & jeune. Enfin, fatiguée elle-même de fes fantaiiïes, elle fe dcmit de fon abbaye , elle fe retira a la Madeleine d > Trefnel , & y vccut avec la plus gtande régularité ]u*fq3'a fa mort, Q iv  tS$ RÉGENCE. fe Hvrer a la chymie, a 1'anatomie, k 1'étude de Thiftoire naturelle. Elle avoit la plus grande facilité pour tout ce qu'elle vouloit apprendre, 6c trouva beaucoup de moyens de ne pas s'ennuyer. Elle écrivit une lettre qu'elle foufligna époufe de Jefus-Chrift, fur quoi le prince dit qu'il fe croyoit trés-mal avec fon gendre, plaifanterie plus digne d'un libertin que d'un philofophe, & mefféante h un homme dont toutes les paroles étoient remarquées. Les chanceliers n'ayant eu jufqu'alors d'autre logement que leur propre maifon, le régent attribua i\ la chancellerie, la maifon de la place Vendöme, qui faifoit partie de la taxe de Bourvalais. Le régent fit aufli pour la couronne, 1'acquifition du diamant le plus gros & le plus parfait qu'il y eut en Europe. On le nomme le régent & quelquefois le Pitt, du nom du vendeur, beaufrère de Stanope, fecretaire d'état d'Angleterre, &c oncle du célèbre Pitt d'aiijourd'hui. On en demandoit quatre millions ; mais faute d'acheteurs , on le donna pour deux, & de plus les rognures qui fortirent de la taille. 11 pèfe 600 grains. Pitt I'avoit acquis d'un öuvrier des mines du Mogol. Parmi ceux qu'on y emploie, il y a des hommes libres qui y paffent quelquefois des années; mais lorfqu'ils veulent en fortir , on prend la précaution de les purger, & de leur donner un lavement pour leur faire rendre ce qu'ils auroient pu avaler ou fe fourrer dans le fondement. L'ouvrier dont il eft queftion, avoit pris le dernier parti; mais aufu" - tót qu'il eut caché ainfi fon larcin, il fe' fit une large èntaille a la cuiffe y  R É G E N C Ei 249 comme s'il fut tombé fur une pierre tranchante' II cria enfuite au fecours ; la quantité de fang dont il étoit couvert, fit qu'on le tranfporta dehors, fans prendre la précaution accoutumée. II eut 1'adrefTe de retirer & de cacher le diamant dans le peu de tems qu'on le laifTa repofer, après avoir fimplement bandé fa plaie. II feign.it enenfuite d'être hors d'état de travailler, fe fit payer ce qui lui étoit dü de fon falaire, pour ne pas décéler fa fortune, óc trouva le moyen de paffer en Europe. Pour faire mieux entendre ce qui va fuivre , commencons par donner une idéé des différens intéréts qui mettoient les acteurs en mouvement. Le duc &c la ducheffe du Maine , défefpérés de la perte de leur procés contre les princes du fang , travaillèrent fourdement a fomenter des troubles , entretenoient des correfpondances en Efpagne, & cherchoient k fe faire des amis dans le parlement, dont le premier préfident leur étoit entiérement dévoué. D'ailleurs le parlement qui s'étoit flatté d'avoir part a 1'adminiftration faififfoit toutes les occafions de faire des remontrances; & le régent y fourniffoit fouvent matière. Le maréchal de Villeroi &c toute la vieille cour n'oublioient rien pour le décrier dans le public. Le maréchal affeöoit la-deffus des procédés auffi indécens que ridicules , mais qui en impofoient au peuple. II tenoit foiis la clef le linge & le pain du roi , délivroit avec une oflentation puérile , les chofes les plus communes pour le feryice, &c cherchoit a faire remarquef fes précautions fur la vie du prince. Les fots admiroient ; les mal intentionnés applaudiffoient; les gens fen-  2.50 RÉGENCE. fes rioient de mépris, Sc fentoient que s'iï y avoït eu du danger, les viandes, les boiftons, Sc mille autres moyens de crime, auroient rendu inutiles les rifibles précautions du gouverneur. II avoit le titre de chef du confeil des finances; 5c comme il étoit incapable d'y rien entendre , il n'en étoit que plus jaloux du duc de Noailles qui n'étant que le préfident, étoit cependant le maitre de toute 1'adminiftration. Celui - ei a fon toujf voyoit avec chagrin le crédit que Law prenoit auprès du régent. Cette concurrence dans la partie des finances étoit un obftacle au defir que Noailles eut toujours de devenir premier miniftre. L'abbé Dubois qui tendoit de loin au même but, appuyoit fecrétement Law , dont il tiroit beaucoup d'argent. Sans m'arrêter a difcuter la nature dn fyftême , je remarquerai fimplement que, vu le caraöère dii régent, La\r lui plaifoit par fon efprit, 8c fur-tout par des idéés extraordinaires hors de la route commune. C'étoit aufti par-la qu'elles déplaifoient au chancelier qui d'ailleurs étoit ami du duc de Noailles. Le régent les trouvant toujours oppofés a fes nouveaux projets, 1'un par intérêt, l'autre par droiture, fe dégoüta d'eux. On s'attadioit en même - tems a lui perfuader qu'il n'y a rien de moins propre au gouvernement que la magiftrature. Si 1'on entend par-la un corps nombreux tel qu'un parlement, on peut dire que fes formes arrêteroient fouvent l'aftivité néceflaire des reflbrts de 1'état. D'ailleurs des magiftrats habitués au pofitif des loix, font rarement propres a faire céder les préjugés de la routine aux vrais principes de 1'adminiftration. Mais doit-on plus attendre de eer-  Régence. 251 tains miniftres qui n'ont donné d'autres preuves de talent, que d'avoir paffe du fein.de la diffipation & des plaifirs k la tête des affaires. On pouvoit reprocher au chancelier fon indécifion; mais ce qu'il avoit de plus incommode, c'étoit fa vertu. Quoi qu'i! en foit, les remontrances du parlement du 16 janvier, furent fi fortes, & le chancelier fi foible, foit par un fentiment d'équité , foit par fa conlidération habituelle pour la magiftrature, que le régent réfolut de lui öter les fceaux qui furent donnés a. d'Argenfon , alors lieutenant de police, & le chancelier eut ordre de fe retirer a Frefiie. Le duc de Noailles ,, en apprenant la difgrace du chancelier, ne douta pas de la fienne, &c vint k 1'inftant donner fa démiffion des finances, dont 1'adminiftration fut remife k d'Argenfon, en même-tems que les fceaux. L'état ne gagna pas k ce changement qui favorifa le malheuréux fyftême de Law; mais Paris perdit le meilleur lieutenant de police qu'il y ait eu. D'Argenfon, avec une figure effrayante qui impofoit a la populace, avoit 1'efprit étendu, net & pénétrant, 1'ame ferme & toutes les efpèces de courage. II prévint ou calma plus de défördres par la crainte qu'il infpiroit, que par des chatimens. Beaucoup de families lui ont dü la confervation de leur honneur & de la fortune de leurs enfans, qui auroient été perdus fans reffource auprès du roi , fi ce magiftrat n'eüt pas étouffé bien des frafques de jeuneffe. Fontenelle a parfaitement peint le plan de la police de Paris , & d'Argenfon 1'a rempli dans toute fon étendue; mais comme fa fortune étoit fon principal  15^. RÉGENCE, objet, ü fut toujours plus flfcal qu'un magiftrat ne doit 1'être. Machault lui fuccéda dans la place de lieutenant de police, & la fit avec plus d'intégrité que d'intelligence. Le régent, pour confoler le duc de Noailles de la perte des finances, le placa dans le confeil de régence, & donna au fils, agé de cinq ans, la furvivance de la charge & des gouvernemens du père. La facilité que le régent avoit d'accorder tout a ceux qui 1'obfédoient, engagea le duc de Lorraine, fon beau-frère, a venir en France, oii il garda Yincognito fous le nom de comte de Blamont. Pour la ducheffe de Lorraine, elle parut toujours dans fa qualité de petite-fille de France, dont le rang étoit décidé. On leur donna toutes les fêtes poffibles pendant deux mois de féjour; mais le duc de Lorraine avoit un objet plus important que celui de s'amufer. II defiroit un arrondiffement en Champagne, & le titre d'alteffe royale. Sur le premier article, il tachoit de faire revivre de vieilles prétentions qui avoient toujours été rejettées & même anéanties par les derniers traités. II fondoit le fecond fur ce que le duc de Savoie , également beau-frère du régent, avoit eu le titre d'alteffe royale, que fa femme , petite-fille de France & alteffe royale, par ellemême, lui avoit communiqué, ce qui n'étoit pas exaclement vrai. Viflor - Amédée , avant d'avoir obtenu, en 1713 , le titre de roi, avoit été longtems marié & duc de Savoie, fans qu'il eut partieipé au titre de fa femme. Pour y parvenir , il renouvella celui de roi de Chypre, obtint a  RÉGENCE. 253 Rome la falie royale pour fes ambafTadeurs , & a Vienne, le ttaitement de ceux des têtes couronnées, ce qui s'établit fucceffivement dans toutes les cours. Ces artkles gagnés lui procurèrent lé traitement perfonnel d'alteffe royale; mais ce qui y contribua le plus, fut 1'importance de fes états, celle de fon alliance, &c fon influence dans les affaires d'Italie. Le duc de Lorraine alléguoit fon prétendu titre de roi de Jérufalem; mais fa puiffance étoit peu comptée, & il n'avoit de commun avec le duc de Savoie , que d'avoir un titre chimériqué de roi, & d'avoir époufé une petite-fille de France. L'amitié de Madame, paffionnée pour tout ce qui tenoit k 1'Allemagne, décida tout. Saint-Conteft qui, fous un extérieur fimple & groffier, étoit 1'homme le plus fin, le courtifan k plus adroit, fut chargé de rapporter au confeil de régence, l'affaire concernant les prétentions du duc de Lorraine en Champagne. Comme il avoit été long-tems intendant a Metz, perfonne n'étoit plus en état que lui de connoitre les inconvéniens de ce qu'on alloit accorder, & par conféquent de les déguifer dans fon rapport. 11 le fit tel qu'on le defiroit, & l'affaire paffa tout d'une voix, & ne fouffrit pas plus de difficulté-au parlement, qui 1'enregiitra fans la moindre repréfentation. Le duc de Lorraine gagna une fupériorité fur les princes du fang, quiprécédemment n'auroient pas foufcrit a 1'égalité. La réunion de la Lorraine a la France a obvié aux fuites_ facheufes que ce jugement. pouvoir avoir ; mais on ne pouvoit pas alors lè prévoir. Le grand duc de Tofcane, gendre de Gafton^  2^4 R É G £ N C È. & dont la maifon a donné deux reines a la France * de 1'une defquelles la branche régnante eft iffue, ne tarda pas a prétendre 1'alteffe royale. Le duc de Holftein - Gotorp fit la même demande; mais Pun & l'autre furent refufés. Quelque tems après, le régent accorda le traitement de majefté au roi de Danemarck, & le titre de hautes - puiffances aux états-généraux de Hollande. L'entrée du duc de Noailles au confeil de régence infpira aux autres chefs le defir d'y entrer, & ils 1'obtinrent, fans perdre leurs autres places. II s'y trouva a la fin prés de trente perfonne. II efl vrai que cela leur donnoit peu de part au gouvernement. L'abbé Dubois s'empara infenfiblement de tout le fecret des affaires étrangères , & celles de finances fe traitoient uniquement entre d'Argenfon óc Lav ; ce qui n'empêchoit pas que chacun ne tirat les émolumens de fes titres oififs. D'Argenfon demanda le tabouret pour fa femme , & 1'obtint. C'efl la première qui 1'ait eu a titre de femme d'un garde-des-fceaux (i). i ■ \ titaüp "" q (i) Avani Ie chancelier Séguier, aucun office de la couronne ne donnoit le tabouret a la fefrime de 1'officier. Séguier obtint de Lotus XIII, par la prote&ion du cardinal de Richelieu , que fa femme eüt le tabouret a la toilette de la reine, ce qui n'étoit qu'une efpèce d'entrée particuliere. Lorfque Séguier fut fait duc a brevet, fa femme fut affifé par-tout de droit ; mais cela tira fi peu a conféquence pour la place de chancelier , que Louis XIV trouva fort mauvais que la chancelière de Pontchartrain, qui étoit affife a la toilette de la ducheffe de Bourgogne, eüt pris le tabouret a une audience de cette princeffe, paree qüe c'étoit une óccafion publique. Le gardedes-fceaux d'Aligre , qui Ie fut , pendant deux ans, a la mort de Séguier, fans que 1'on nommat un chancelier, ne prétendit point de tabouret pour fa femme; mais elle le prit lorfque fon rfari fut chancelier. D'Argenfon, profitant de 1'afefence  RÉGENCE. 25? Le tems des ufurpations a la cour, eft néceffairement celui des tracafferies, qui 1'emportent fouvent fur les affaires. Le maréchal de Villars, en qualité de chef du confeil de la guerre, écri' vit aux colonefs des lettres circulaires. Aucun n'auroit ofé, fous le feu roi, fe plaindre du ftyle des fecreraires d'état. Le marquis de Beaufremont s'avifa de le trouver mauvais de la part d'un maréchal de France, & répondit une lettre fi infolente, qu'il fut mis a la Baftille , & les maréchaux de France demandoient qu'il fit de pluS des excufes au maréchal de Villars. Le régent qui voyoit les femmes & toute la jeunefie prendre parti pour Beaufremont, craignit de heurter un corps fi refpeöable , fe contenta de faire venir le jeune homme en préfence du maréchal , & de dire k celui-ci que Beaufremont n'avoit pas eu deflein de lui manquer ; de forte que Beaufremont n'ouvrant pas la bouche, il n'y eut que le regent qui fit 1'excufe. Poirier qui avoit fuccédé k Fagon dans la place de premier médecin, la feule qui fe perde k la mort des rois, étant mort, le regent déclara qu'il ne vouloit pas fe mêler du choix ; mais qu'il donnoit 1'exclufion a Chirac , paree qu'il étoit ion medecin, & a Boudin, pour les infolens propos qu'il avoit tenus contre lui, duc d'Orléans, a la mort du duc de Bourgogne & des autres prin- du chancelier, repréfenta la fimilitude extérieure des deux places, demanda qu'elle füt entre les femmes , comme d£ eto.t entre les maris; & le régent le permit : de foï ëL » femme du garde-des-fceaux Chauvelin a été affife en préfence  256 RÉGENCE. ces. La place fut donnée a Dodart, homme d'efprit, de mérite Sc de vertu, qui a laiffé deux fils dignes de lui. L'im eft aujourd'hui intendant deBourges; l'autre fert avec diftincfion dans les carabiniers. Le jeudi faint, le grand - aumönier étant abfent, le cardinal de Polignac, k la meffe , prétendit que c'étoit a lui a donner a baifer au roi le livre des évangiles, par préférence au premier aumönier. Cette difpute édifiante empêcha le roi de baifer 1'évangile, Sc 1'affaire fut enfuite jugée en faveur du premier aumönier. L'abbé de Saint-Pierre, premier aumönier de Madame, ayant donné fon livre de la polyfinodie , dans lequel il faifoit valoir 1'avantage de la pluralité des confeils , les ennemis de la régence voulurent voir dans 1'ouvrage une fatyre du gouvernement de Louis XIV, Sc tachèrent de mortifier le régent dans un officier de fa maifon. Mais ne pouvant rien faire de juridique contre l'abbé de Saint - Pierre , ils cabalèrent dans 1'académie francoife , dont il étoit membre, & 1'en firent exclure. II n'en refta pas moins 1'ami des académiciens lettrés, qui obtinrent que^ fa place ne feroit remplie qu'a fa mort. L'exclulion de eet excellent citoyen eft une preuye de 1'autorité que prennent dans les compagnies littéraires , ceux qui n'y entrent que pour ufurper un titre de protefteur qu'ils ne rempliffent jamais, & une réputation d'efprit qu'ils n'obtiennent pas toujours. Une affaire très-importante fut alors prompte"ment terminée, paree qu'on s'y prit bien. II y avoit trois archévêques, douze évêques, Sc quan- tité  RÉGENCË; tité d'abbés a qui le pape refufoit des bulles * s'ils ne fe foumettoient a des conditions contraires a nos libertés. Quelques - uns des prélats nommés' n'y répugnoient pas trop ; mais d'autres , plus francois, réclamoient contre cette fervitude. Le régent défendit au cardinal de la Trémoille 5 ho* tre ambaffadeur a Rome, de recevoir aucune de ces bulles, fi on ne les donnoit toutes, & nomina en même-tems une commiflioh prife du confeil de régence, pour ftatuer fur les moyens de fe paffer du pape, en cas d'opiniatreté de fa paru Hennequin, Petit - pied, & le Gros, doöeurs de Sorbonne, fournirent aux commiffaires des mémoires inftru&ift k ce fujet; mais la commiffion h'eut pas la peine de travaillen A peine en fut-on inftruit a Rome, que la confternation s'y mit» Le pape fit partir fur le champ un courier qui apporta toutes les bulles, On en auroit envoyé en blanc, fi 1'on en avoit demandé» Les négociations au fujet des difterertds entte 1'empereur & 1'Efpagne continuoient cette année avec la plus grande vivacité. L'empereur ne vouloit renoncer a aucune de fes prétentions fut plufieurs états de la fucceffion d'Efpagnei, Albéroni fe- flattant de recouvrer tout ce qui avoit appartenu a la branche Efpagnole de la maifon d'Aü^ triche , ne traitoit clans fes mahifeftes l'empereur que d'archiduc. Albéroni mettoit dans fes démarches une hauteur qui n'étoit pas d'une ame commune , & qui perfuadoit a chacune des pnif* fances que ce miniftre pouvoit s'être affur-é des autres. Albéroni vouloit pour préliminaires, iö. que l'empereur fit une renonciation abfolue è tous W Temt Ih R  258 RÉGENCE. états dont Philippe V étoit aftuellement pofieffeur. 20. Que les maifons de Médicis 6c de Farneze, venant a s'éteindre, les enfans de la reine, héritière de ces deux maifons y fuccédaffent. II comptoit chaffer a la fin d'Italie, tous les Allemands, 6c faifoit les plus grands préparatifs de guerre. La ducheffe de Saint - Pierre, qui fut placée auprès de la reine d'Efpagne par Albéroni, m'a dit qu'il 1'avoit affurée qu'il ne faifoit la guerre que pour obéir k Philippe V; mais il en impofoit fürement. Philippe n'étoit pas en état d'avoir une volonté. Sans ceffe frappé de 1'image de la mort, il fe confeffoit k chaque inftant, & le père d'Aubenton, afiidu auprès du lit de ce prince, rie le quittoit que lorfqu'il étoit endormi. D'ailleurs Albéroni affichoit 1'autorité la plus abfolue , 8c déclaroit aux fecretaires d'état, que s'il s'écartoient de fes ordres, ils le payeroient de leur tête. Les chofes ont fi fort changé de face ; 1'état de 1'Europe eft fi différent aujourd'hui, que le détail des négociations de ces tems-la n'intérefferoit aftuellement perfonne ; mais les intrigues , les artifices des miniftres, les manéges de cour étant de tous les lieux 8c de tous les tems, on peut, en peignant ce qui s'eft paffe, donner une idéé de ce qui fe paffe journellement. Albéroni s'étant fait nommer archevêque de Séville, le pape n'ofa lui donner des bulles, dans la crainte d'irriter de plus en plus l'empereur, & Albéroni ne pouvant les obtenir, s'empara 8c ïouiffoit a la fois, par provifiön, du revenu des églifes de Séville 6c de Malaga.  RÉGENCE. 4f£} te pontifé le menaca des cenfures eccléfiafti^ ques. Albéroni affectant une fenfibilité hypoerite è ces menaces , répondit qu'il eroyoit le faint père trop prudent, pour entreprendre cóntre le miniftre abfolu d'une grande monarchie} ee qu'il n'ofoit faire contre le cardinal de Noailles , chef d'une poignée d'hérétiqueSi Cependant il fit partir la flótte d'Ëfpagiie, qül aborda en Sicile, Le marquis de Lede , qui la commandoit, s'empara du chateau de Pakrme \ mais comme la fuite des opérations ne répondoit pas a 1'impétuofité d'Albéroni, & que Lede s'ex* cufoit fur la néceffité de ménager le foldat, AU béroni lui écrivit humainement que les foldats font faits pour mourir, quand cela Cönvient, Le peu de déference de ce miniftre pour la mé-= diation des différentes puiffances, fit eonclure k traite de la quadruple alliance entre la FranCe l'empereur, 1'Angleterre & la Hollande. Albéroni, funeux contre le régent, chercha tous les moyens d'exciter des troubles en France , & de profiter des mécontentemens du parlement. La fermentation y étoit très-grandè, & urt édit du mois de mai fut les monnoies , très-préjüdiciable au public, 1'augmenta encore, Le park* ment ayant fait des remontrances qui n'eurent aucün fuccès, défendit par arrêt 1'exécution de 1'édit. Le confeil de régence cafla 1'arrêt du parlement, comme attentatoire k Pautorité royale; mais cela ne la fit pas refpeóter daVantagë* ' tê parlement manda te prévót & ks fix corps des marchands , les prihcipaux bahqukrs, pour fe faire rendre compte de 1'état des rentes de la' Ville , & des inconvéniens de 1'édit des mon-  2Ö0 R E G É N C E. noies, & voulut entrer dans toutes les parties de 1'adminiftration. Le public qui croit voir des proteékurs dans les magiftrats, applaudiffoit a leurs démarches; la chaleur gagnoit tous les efprits , & une circonftance plus importante qu'elle ne le paroït. y contribuoit encore. Les mémoires du cardinal de.Retz venoient de paroitre. Chacun les lifoit avec avidité ; la plupart , faifis d'un ef~ prit de liberté , fe flattoient de voir renaitre la fronde, & d'y jouer un röle. Le parlement, dont les procédés ne font pas toujours aufli réguliers que fes plaintes font juftes , cherchoit a donner la loi au régent. L'ancienne cohue des enquêtes fe renouvellant, demanda , comme dans la minorité de Louis XIV, l'adjon&ion des autres cours fupérieures. Celles-ci s'en excufèrent, & fe contentèrent de faire leurs remontrances. Le parlement redoubloit les fiennes (i), & n'oublioit rien pour enflammer le public. Mais 1'efprit de la nation n'étoit plus le même. Un régne abfolu de foixante-douze ans avoit plié deux ou trois génératio.ns a 1'obéiffancë & a la crainte. Les édits les plus ruineux ne produifoient que des murmures ou des chanfonS. Cependant le régent n'étoit pas tranquille; le peuple Francois eft le feul qu'un inftant peut régénérer ou corrompre ; & la vie diffolue du régent lui faifoit plus de tort qu'il ne l'imaginoit. Son affeÉtation d'impiété excitoit le i "jlsycT ïitito'Jü'fi*! è aiioto aotts 9 «ut T""~ : • "' . (1) Les objets des délibérstions & des remontrances du parlement étoient 1'aliénation des domaines; les traités avec "les princes étrangers ,.les affaires de la cour de Rome; les rentes fur la viile; toutes les dettes du roi; la banque ,(.& Lsw' devemie banipé royale; enfin, toutes les affaires «fetat ' ' '  RÉGENCE. 261 mépris des fages, 1'indignation des hommes rer ligieux , &C accréditoit 1'imputation des crimes dont on le croyoit capable. La profufion des graces fur les courtifans', aigriffoit ,1a mifère des • peuples, & ne lui concilioit la reconnoiflance de jf perfonne ; on n'attribuoit fes bienfaits qu'a' la foibleffe & a la crainte, quand on les voyoit également répandus. fur amis & ennemis. La plupart de fes familiers, tels que d'Effiat, Canillac, Bezons, d'Huxelles étoient liés de longue main avec le duc du Maine. Une habitude de refpeft pour ' les volontés du feu roi, & le défordre des affaires faifoient regretter que le teftament n'eüt pas été fuivi. On craignoit pour les jours du jeune roi; on les auroit cru plus en fïireté entre les mains d'un prince qui n'auroit pas touché k la couronne de fi prés que le régent; & fes imprudences autorifoient les calomnies fomentées par les partifans de la vieille cour. Le public applaudiffoit aux entreprifes du parlement, qu'on regardoit comme juftes & néceffaires, dans les circonftances ou 1'état fe trouvoit. Le premier préfident de Mefmes ne s'appliquoit qu'a fe maintenir entre fa compagnie & le régent, dont il tiroit un argent prodigieux, & qu'il dépenfoit avec une magnificence qui donne toujours de la confidération. Le régent le connoiffoit bien; mais il comptoit en être maitre k force d'argent, & qu'il ne s'agiroit jamais que du prix. II fuppofoit que ce magiftrat pouvoit également retenir ou pouffer fa compagnie, en quoi il fe trompoit. Mathieu Molé , avec les meilleures intentions connues , & le refpeft dü a fa vertu, ne fut pas en état de modérer la fougue du parlement dans la fronde. R iij  %6% RÉGENCE. Aufli voyoit-on de Meimes déferté par les enquêtes toutes les fois qu'il entreprenoit de les eontenir, II en profitoit alors pour tirér du régent de nouvelles fommes, & ne ramenoit les fiigitifs, qu'en participant a leurs excès. Le régent devoit favoir qu'on n'eft jamais fur de ceux qui fe vendent, &c que le premier préfident étoit de tout tems livré au duc du Maine par goüt & par intérêt (i), En effet, dans le ceffein formé que le parlement montroit de partager 1'autorité royale, il devoit préférer au régent le duc du Maine qui, n'ayant pas les mêmes droits de naiffance ne feroit k la tête du gouvernement qu'un membre ou "Un inftrument du corps qui 1'auroit élevé. Ce que le régent avoit déja perdu d'autorité, faifoit croire k fes ennemis qu'on pourroit 1'en dépouiller totalement; & ceux qui devoient lui être le plus attachés , s'arrangeoient la - deffus , bien déterminés a fuivre la fortune. Le mécontentement de la capitale gagnoit les provinces, Le parlement de Rennes s'étoit ouvertement déclare pour celui de Paris. Les états de Bretagne, qui fe tenoient alors, étoient fort orageux, & 1'aliénation des efprits y avoit commencé dès Pannée précédente, Le maréchal de Montefquiou, commandant en (i) II y eut un jour une délibération par laquelle les enr fjuêtes arrêtèrent que qui que ce fut n'iroit chez Ie premier préfident, que pour affaire jndifpenfable, & de 1'aveu de Ia Compagnie. Le pr?fidenr Hénault, qui lui étoit particuliérexnent attaché , & de qui je tiens ces faits, 1'étant allé voip en fecret, pour 1'inflruire de cette délibération , vous les yerrez tous demain chez,moi, lui dit le premier préfident, En effet, ayant le lendemain montré de 1 humeur contre \e «gene, toute la cohue des enquêtes le fuivit chez lui,  RÉGENCE. 2.63 Bretagne, pour tenir les états a. Dinan, débuta fort mal avec la nobleffe. Quatre ou cirtq eens gentilshommes allèrent au-devant de lui a quelque diitance de la ville. Ils fe préfentèrent pour lui faire cortège, ne doutant pas qu'il ne montat a cheval avec eux, & ne fe mït k leur tête pour entrer ainfi dans la ville. II fe contenta de les faluer de fa chaife, & continua fa route, fans leur faire la moindre excufe. Ils furent, avec raifon, choqués de ce premier accueil. Le jour fuivant, il fit tout auffi mal. La députation des trois ordres étant allee a pied pour 1'inviter & 1'accompagner a 1'ouverture des états, au-lieu de marcher a leur tête, il entra dans fa chaife-a-porteurs, laiffant la députation le fuivre comme elle étoit venue (1). Dès ce moment, tout fe tourna de part & d'autre en procédés défagréables. Le lendemain de 1'ouverture des états, la demande du don gratuit fe fait par 1'intendant, en préfence du commandant & des autres commiffaires du roi. Après quoi , ils fe retirent, pour laiffer les états en délibérer. Anciennement, avant que de répondre a la demande, les états examinoient 1'état de leurs fonds, & conteftoient quelquefois long-tems fur la quotité de la fomme. II arriva fous le commandement du duc de Chaulnes, & dans les temps profpères de la France, que les états emportés par leur zèle, accordèrent le don gratuit par acclamation, & fans en délibérer. Cet exemple fut imité dans les états fu«- (1) La députation rentre anjourd'hui dans Ia falie des états, après avoir fait 1'invitation, & avant que les commiffaires du roi fe mettent en marche, R iv  3.64 Régence. vans , &C devint un nfage qui fubfifta jufqu'en J717, Alors, les états épuifés par les efForts qu'ils avoient faits pendant la guerre, &c déja indifpofés par le maréchal de Montefquiou, voulurent, avant de rien accorder, examiner 1'état de leurs affaires, Le maréchal s'en trouva offenfé , fut quelques jours £t lacher de ramener les états k 1'acclamation, &c ne pouvant y réuffir, fépara J'affemblee, On exila plufieurs gentilshommes des états & du parlement, ce qui ne ramena pas les efprits (1), Cependant les états furent raffemblés en 1718, èc 1'on y prit un mezzo terminé qui fut que les états délibéreroieut fur le don gratuit dans la même féance qu'il feroit demandé, & ne pourroient traiter de rien autre chofe, ni faire de repréfentations qu'après 1'avoir accordé, Cette forme fubfifte en* core aujourd'hui. Si les états de 1718 ne furent pas féparés, ils n'en furent guère plus tranquilles; le procureurgénéral-fyndic (2) fut exilé, & les efprits reftèrent plus aliénés que jamais, Nous en verrons les fuites, Le parlement de Paris, fier de fes fuccès, excité par le cri public, & calculant fes forces fur la foibleffe du régent , crut que rien ne devoit 1'arrêter, &. rendit le célèbre arrêt du 12 d'aoüt, par lequel il arrêtoit toutes les opérations de la banque, & faifoit défenles tous étrangers, même (1) Piré , Noyan, Bonamour & du Groefquer; le préfident de Rochefort, & Lambilly , confeiller, (2) Coëtlogon de Mejuffeaume,  RÉGENCE. l6j naturalifés, de s'immifcer dans 1'adminiftration dés; deniers royaux , &c. Non content d'avoir rendu eet arrêt, le parlement envoya les gens du roi demander au régent compte des billets qui avoient pafte a la chambre de juftice, a la compagnie d'occident ou a la monnoie. Le parlement différoit de quelques jours la publication de fon arrêt, paree qu'il vouloit inftruire fecrétement le procés de Law. Des commiffaires nommés d'office avoient déja entendu des témoins, & 1'on ne fe propofoit pas moins que de fe faifir du coupable, de terminer fon procés en deux heures de tems, de le faire pendre dans la cour du palais, les portes fermées , & de les ouvrir enfuite pour donaer au public le fpeftacle du cadavre. i L'arrêt & le projet du parlement furent révélés au régent. On prétend que ce fut par le préfident Dodun, qui depuis a été contröleur-général. Quoi qu'il en foit, le régent en fut inftruit, & lorfque les gens du roi vinrent le 12 aout lui faire la propofition dont ils étoient chargés, au fujet des billets d'état, il fe contenta de les écouter, & fans leur répondre, de rentrer dans fon cabinet. Ce filence froid & méprifant les déconcerta plus qu'une réponfe vive. Sur le rapport qui en fut fait au parlement, quelques-uns foupconnèrent que le régent méditoit un parti de vigueur, tel que de faire enlever les clefs de meute, ou de tenir un lit de juftice. D'autres prétendoient que ce prince n'oferoit ni 1'un ni l'autre, au milieu d'un peuple de mécontens. Ce prince, outré des entreprifes du parlement, n'avoit point encore de projet arrêté. Plufieurs  i66 RÉGENCE. de ceux qui Pentouroient, amis du premier préfident , entretenoient le régent dans la crainte de la magiftrature , Sc le maréchal de Villeroi ne cherchoit qu'a le rendre odieux au public. Le duc de Noailles, dépouillé des finances par les gardedes-fceaux & par Law, defiroit la perte de 1'un & de l'autre. De l'autre cóté, le duc de SaintSimon, plein d'un mépris maniaque pour la robe, ne voyoit qu'avec dépit la confidération du régent pour le parlement, Sc en parloit comme d'une affemblée de bourgeois que le moindre afte d'autorité feroit rentrer dans le devoir. Le régent auroit bien voulu fe le perfuader; mais les confeils de Saint-Simon, paflionné contre le parlement pour les prérogatives des ducs, lui étoient fufpects. L'indécifion du régent jettoit Law dans les plus cruelles angoiffes. II craignoit d'être pendu pendant qu'on cherchoit fi lentement les moyens de Pen garantir, & ne fe jugeant pas en füreté k la banque, qui étoit le lieu & le corps du délit, il fe réfugia au Palais-Royal. L'abbé Dubois , plus pendable encore que Law, fentoit qu'il pourroit devenir la feconde viöime du public ; que toute fon exiftence tenoit uniquement k la puiffance de fon maitre; & que, fi elle étoit une fois détruite, les dignités dont le miniftre étoit revêtu, loin de le fauver, feroient fon premier crime. Le nouveau garde-des-fceaux n'ignoroit pas combien le parlement étoit bleffé de fe voir fubordonné k celui qu'ils avoient long-tems traité en fubalterne. D'Argenfon , étant lieutenant de police, avoit plufieurs fois été cité k la barre de la cour; & la, debout & découvert, y avoit  RÉGENCE. 2.67 recu'des réprimandes avec plus de refpett que de timidité , & avec un mépris intérieur qu'il étoit aujourd'hui en état de manifefter. C'étoit 1'homme le moins orgueilleux, mais le plus ferme, & plein d'expédiens dans les affaires. Celui qui fe préfentoit naturellement, étoit de détruire dans un lit de juftice, tout ce que le parlement avoit fait. Le garde-des-fceaux, pour maintenir 1 autorité du roi, l'abbé Dubois, par des motifs moins nobles , mais non moins puiffans , afliégèrent le régent, lui firent honte de fa foibleffe. Le duc de Saint-Simon les feconda vivement, & monfieur le duc , par un intérêt perfonnel , s'uniffant k eux, le lit de juftice fut réfolu (1). Depuis que M. le duc étoit majeur , il fupportoit très-impatiemment de voir la fur-intendance de 1'éducation du roi entre les mams du duc du Maine, prétendoit que cette place ne devoit appartenir qu'au premier prince du fang majeur, & que depuis 1'arrêt de 1717, le duc du Maine n'avoit que les honneurs de prince , & ne 1'étoit plus. Le régent n'ofant rien lui refufer en face , chargea Saint - Simon de le diffuader d'une prétention qui ne feroit que multiplier les mécontens. En vain Saint-Simon repréfenta-t-il (0 Quoiqué ce Kt de juftice paroiffe aujourd'hui peu intéreffant, j'ai cru devoir en parler avec quelque détail; i°. c'eft le premier que le roi ait tenu chez lui; 2°. il fera de plus en plus connoitre le caraftère, les intéréts , les paffions des perfonnages de ce tems-la, & donnera une.idéé de ce qui fe paffe journellemént a la cour parmi ceux qui y jouent un role dans des intrigues , conduites & travaillées de main de courtifans. Les pnncipaux faits de ce lit de juftice & des preliminaires, font extraits des mémoires du duc de Saintsjrnon & d'un joiirnal du parlement.  X6& RÉGENCE. è M. le duc les dangers d'une guerre civile; que le changement de fur - intendant n'avoit pas be- • foin d'un lit de juftice; que le régent s'engageroit parole d'honneur, Sc même par écrit, de fatisfaire M. le duc, lorfque les affaires d'état feroient réglées. Celui-ci répondit qu'il ne fe fioit pas plus a 1'écrit qu'a la parole du. régent; qu'il ne vouloit pas laiffer au duc du Maine le tems de s'étaJblir dans 1'efprit du roi, ce qui arriveroit infailiiblement, s'il y reftoit jufqu'a la majorité,- St que c'étoit au régent a voir s'il préféroit un légitimé k un prince du fang dont 1'amitié ou la haine conftante feroit le prix de 1'acceptation ou du refus de fa demande. Les plus honnêtes gens de la cour n'oublient jamais leurs intéréts particuliers. Le duc de SaintSimon, voyant 1'opiniatreté de M. le duc, voulut en tirer parti pour lui-même. Monfieur, lui dit-il, puifque nulle confidération ne peut vous détourner de votre projet, je vais vous donner des facilités pour 1'exécution. Otez aux légitimés tout extérieur de prince du fang, en les faifant réduire au rang de leur pairie, alors la fur-intendance de 1'éducation tombe d'elle - même. Le maréchal de Villeroi ne peut plus être fubordonné a fon égal, Sc même fon cadet dans la pairie. Vous pourrez dans votre demande emplöyer cette confidération, avec un mot d'éloge pour le maréchal de Viileroi, dont fa vanité fera flattée. Par-la vous vous faites un partifan d'un des chefs de la cabale, vous vous fortifiez des ducs, 8c vous vous les attachez tous. II n'y en a pas un qui ne vous regarde comme 1'auteur du rang intermédiaire laiflé aux légitimés. M. le régent, foit pour  RÉGENCE. s'excufer envers les pairs, foit pour rejetter fur vous leur reffentiment, ne leur a pas laiffé ignorer que vous feul, fütes oppofé a la réduclion. des légitimés au rang de leur pairie, lorfqu'on leur öta le droit de fucceffion a la couronne. I! ne vous eft pas indifférent d'avoir pour ami ou pour ennemi un corps fi confidérable. Vous vénez de m'affurer qu'un reffentiment inaltérable s ou un attachement inviolable pour M. le régent , feroit le prix de votre demande refufée ou accordée. Comptez que tous les pairs vous font id par ma bouche , la même proteftation a votre égard, au fujet de la réduftion des légitimés. M. le duc accéda fivr le champ a la propofition du duc de Saint-Simon. Je confens, ajoutat-il, a la réduclion des légitimés; mais vous me les avez peint fi redoutables par leurs établiflèmens & par 1'accumulation de leurs dignités, qu'il faut les dépouiller totalement & ne leur laiffer que ce qui fera néceffaire, pour foutenir leur rang. de pair. C'eft a regretque je facrifïe le comte de Touloufe; mais le danger de laiffer fubfifter le duc du Maine tel qu'il eft, rend le facrifice néceffaire. Je veux d'ailleurs pour mon frère le comte de Charolois, un gouvernement convenable a fa naiffance, & il n'y en a pas de vacant; la dépouille du duc du Maine le procurera. Vous allez, Monfieur, beaucoup trop loin, reprit SaintSimon. II eft contre la juftice de dépouiller qui que ce foit, fans le déclarer criminel. Si 1'on en venoit a une telle violence , il n'y a perfonne dans le royaume qui n'en craignït autant pour foi. Tous ceux qui jouiffent des moindres places, regarderoient la caufedes légitimés comme la leur,  270 RÉGENCE. moi-même je m'y joindrois, & le foulevemelit feroit général. On pouvoit, k la mort du roi $ imputer aux légitimés le crime de léze majeflé contre la couronne (1), de s'être fait déclarer capables d'y fuccéder. Qu'en leur faifant grace dé la vie, de la liberté & de leurs biens, on leur eüt accordé le feul rang de duc & pair, par refpecf pour le fang de leur père, & qu'on les eüt dépouillés de tout le refte : tout étoit jufle alors. Mais aujourd'hui que leurs établiffemens ont été confirmés, vous ne pouvez les attaquer que par le vice de naiffance, toujours fubfiftant, & les réduire au rang de leur pairie. M. le comte de Charolois ne manquera pas d'établiffemens , &C vous pourrez lui en procurer , fans recourir k 1'injuftice 5e a la violence. A 1'égard du comte de Touloufe, il y a un moyen bien iimple de le diftinguer de fon frère ; c'eft de faire la réduction de 1'un & de l'autre par un édit, & tout de fuite de rétablir par une déclaration le comte de Touloufe dans le rang dont il jouit aujourd'hui, fans que ces honneurs puiffent jamais paffer a fa poftérité. Par-la vous faite juftice au mérite, & délüniffez les deux frères. Quelque déférence que le comte de Touloufe ait pour fon ainé , il eft trop fage pour s'unir au reffentiment de ce frère, (1) Voila un de ces excès du duc de Saint-Simon, dont j'ai parlé dans ma préface. II feroit peut-être a delirer que les rois, ne füt-ce que par refpeft pour les moeurs, ne reconnuffent jamais ^publiquement leurs enfans naturels , en leufr procurant neanmoins un fort convenable a leur naiffance., Mai* quoiqu'en penfe le duc de Saint-Simon, il y a gtande apparence, qu'au défaut de la race légitime pour une couronne héréditaire , la nation préféreroit a tout autre concurrent, les fils naturels ou leurs defcendans, pour peu que le choix ne fut pas contraint uat la forte.  RÉGENCE. zjt & aux fureurs de la ducheffe du Maine. Au refte, fi le comte de Touloufe fe laiffoit féduire au point de s'écarter de fon devoir, on le dépouilleroit de tout avec Papprobation publique. M. le duc charmé de pouvoir concilier fa haine contre le duc du Maine avec fon amitié pour le comte de Touloufe y confentit a tout ce que propofoit St. Simon; & celui-ci profitant des diipofitions de M. le duc : ce n'eft pas affez, lui dit-il, que de confentir, il faut que vous en fafficz votre propre affaire auprès du régent. C'eft vous qui avez perdu les ducs & pairs; c'eft k vous a les rétablir, & a faire fuccéder la reconnoiffance au reffentiment. J'en exige votre parole, paree que je fais qu'on y doit compter. M. le duc la donna & la tint. St. Simon vint rendre compte au régent de la conférence avec M. le duc; mais il ne lui déclara pas d'abord 1'engagement que ce prince avoit pris en faveur des pairs , & fe contenta de lui rappeller combien de fois il lui avoit fait efpérer le rétabliffement des pairs. Le régent, voulant ufer de faux-fuyans, s'engagea beaucoup plus qu'il ne penfoit, rejetta tout fur M. leduc; & dit, que s'il y confentoit, lui régent en feroit charmé. Le duc de St. Simon le laiffa paraphrafer fa bienveillance pour les pairs; & quand il le vit bien engagé, lui' déclara que M. leduc y feroit d'autant plus porté, qu'il vouloit fe décharger de la haine des pairs donton 1'avoit rendu 1'objet. Le régent devint tout-a-coup fombre & rêveur. St. Simon ne lui laiffa pas le tems de fe remettre, le pouffa vivement, &; enfin 1'obligea a dire , avec l'air d'un homme qui fevient k foi, qu'il concourreroit avec plaifir k ce que M. le  %y% RÉGENCE, duc voudroit en faveur des pairs. St. Simon lé quitta la-deflus, comptant cependant moins fur lui que fur M. le duc. En effet, celui-ci chargea Millain, long - tems fecretaire du chancelier de Pontchartrain , hommë très-intelligent, & qui, depuis la retraite de fon maitre, s'étoit attaché a la maifon de Condé, de dreffer le projet de 1'édit de la réducfion des légitimés. 11 n'étoit plus queftion que de prendre les mefures pour le lit de juftice dont le parlement ne devoit être averti que le matin du jour même, II n'y avoit dans le fecret, que le garde-des-fceaux, les ducs de St. Simon &c de la Force, Law, Fagon &£■ l'abbé Dubois. Ce dernier, qui n'avoit d'appui que le régent, vouloit tourner l'affaire en négociation, s'en faire le médiateur, & propofa de remettre a la St. Martin la caffation des arrêts du parlement. II étoit a craindre que eet avis, fi conforme a la molleffe du régent , ne 1'emportat; mais le garde-des-fceaux, toujours ferme, St. Simon, plus vif que jamais , & la Force , fe liguèrent contre l'abbé , & firent réfoudre le lit de juftice pour le vendredi z6, len* demain de la St. Louis. Tous les obftacles n'étoient pas levés. On fit réflexion que le duc du Maine & le maréchal de Villeroi, a la première propofition d'un lit de juftice, allégueroient la crainte d'expofer la fanté du roi a la chaleur, a la fatigue , au mauvais air de la ville, oii il régnoit alors beaucoup dé petites - véroles; qu'ils prendroient afte de leurs repréfentations, & en effrayeroient un enfant de huit ans, qui refuferoit d'aller au parlement. Ces réflexions commencoient-a décourager le comité , lorfque  RÉGENCE. 171 ioffque St. Simon propofa de tenir ce lit de juftice aux Tuileries; Cet expediënt ranirha tóüs lès acteurs. Nul prétexte fur la fanté du roi. Quoiqu'il foit par-tóut le maitre, il le paroitröit encore plus dans fon palais; 1'imaginatiön del ma» giftrats en feroit plus frappée. Ils s'y troüvéróient plus étrangers , & möins afiürés qüë für leurs fièges ordinaires. II teftoit ericorë des diffichlïéss II falloit, avant le lit de juftice, faire rapport au confeil de régence , des arrêts \, édits 51 déclarations, qu'on vouloit faire enregiftrër. Les légitimés étoient de ce Confeil, la majeüre part leur étoit dévouée, des réfolutionS fi importantës demandoient d'être approuvées au moirts dë la plüralité, & Pon n'y pouvoit pas cömptef. M. lë duc prétendit que Pon ne devoit rapportèr aü confeil que 1'arrêt de caffatiori, & ne rieii dire des autres ; mais le rifqlie n'étoit pas moindre | tous les membres du cönfeil, qui avoient féaflte aü lit de juftice, déja oppofés aü fonds de Paft faire, feroient offenfés du fecret qu'on leur en auroit fait. Le duc du Maine, & fes partifansj ne manqueroient pds de déclarer que rien n'avoit été Communiqué au confeil, & juftifieroieni ce que le^ parlement'ne ceflbk de.répandre dans le pli^ blic, que tout fe faifoit par la volorité feülë du régent K contre Pengagement authentiqueman't pris de fe conformer k la^ pluralité des füffrages j engagement qui avoit fervi comme de bafe k la régence. Le maréchal de Villeroi, difoit-on, aueftera les manes du' feu roi, répandra des larmes f déraiforineia ; mais, d\in ton pathétique , plus eontagieüx 'que ües raifon's, 1'audacieux Villars 7 le feul général francois décoré de viftolres t au-> Tornt L §  274. "RÉGENCE. teur ou inftrument du falut de la France a Denain, s'élevera avec une éloquence militaire qui lui eft naturelle, & qui perfuade ou entraïne. Le parlement, fe voyant appuyé , reprendra fes efprits. La préfence d'un roi de huit ans, loin de leur en impofer, peut même tourner a leur avantage. Si eet enfant, prédeux a 1'état, qui fera venu a une telle afTemblée, comme au fpectacle, vient a s'effrayer d'un tumulte fi nouveau; s'il vient a le laiffer toucher des larmes de fon vieux gouverneur, li lui-même en-répand, quel parti n'en tirera-t-on pas ? Le régent fera repréfenté comme un tyran qui abufe du nom 6c de 1'autorité d'un roi enfant. Ces confidérations frappèrent le régent, qui fut prés de revenir en-arrière. M. le duc, moins éclairé, mais d'une opiniatreté infurmontable , le raffermit fur un parti pris, déclarant que, la guerre civile düt-elle en être la fuite, il 1'aimoit encore mieux dans une minorité, que fous un roi majeur. 11 fut enfin arrêté qu'on prépareroit fecrétement tout le matéiïel du lit de juftice, qu'on ne le difpoferoit que le jour même aux Tuileries, en deux heures de tems; que le parlement, les pairs 6c les officiers de la couronne, ne feroient avertis qu'a fix heures du matin ; que le confeil fe tiendroit k huit; qu'on n'v rendroit compte que de 1'arrêt de caffation ; 6c que les autres actes , tout prêts 6c fcellés , ne fe manifefteroient qu'au lit de juftice. La crainte du régent fut extrêmement tempérée par celle que le parlement, le duc du Maine & le maréchal de Villeroi montrèrent, Un cöté  Régence.' &tjf» */ > de ïa balance ne peut baiffer, que Pautfe né s'élève. Le régent prit de la fermeté, dès qu'il Vit mollir fes adverfaires. Le duc du Maine lui ayant fait demander par le comte de Touloufe, S'il y avoit quelque fondement aux bruits qui fe répandoient que lui duc du Maine devoit être arrêté, il fit voir par-la qu'il avoit autre chofe k fe reprocher, qu'un mécontentement oifif, &c le régent ne répondit pas de facon k le tranqmllifer. Le maréchal de Villeroi, avec Une contenance embarraffée , demandant les mêmes éclairciffemens, le régent lui dit qu'il pouvoit fe raffurer> & ne le perfuada que foiblement; aufli, ne vouloit-il pas diffiper toutes fes eraintes. Le maréchal en paria a l'abbé Dubois bien étönné de voir s'éclipfer devant lui la morgue du fier feigneur. Le parlement eut une conduite encore plus ridicule. Ce Law, qu'il vouloit pendre il y avoit trois Jours, quitta Pafyle du Palais-Royal, revint hardiment dans fa maifon, & y recut les avances du parlement. Le duc d'Aumont > aufli avided'argent que le premier préfident, fon ami, & cherchant a plaire k Law, alla le trouver , lm dit qu'il n'y avoit que du makentendu de la part du parlement, & que lui duc d'Aumont Vouloit tout pacifier. II traitoit une convulfion dans 1'etat, comme une tracafferie de foüété , & fe vantoit fur-tout d'être ün médiateur fans intérêt, Lav, fachant k quoi s'en tenir fut le définté* reffement de nos courtifans , convïnt aVec celui-ci d'un rendez-Vous pour le , paree que töüt de^ voit être terminé le 26. Le régent vit clairement qüe la cabalë éröif defonentée, II eut envie.de frapper fur le premW S ij  275 RÉGENCE. préfident; mais on lui fit fentir qu'il valoit beaucoup mieux le rendre fufpecf. dans fa compagnie , en faifant croire qu'il étoit d'inrelligence avec la cour. Le jeudi' 25 fut employé a prendre les raefures néceffaires. On 'convint d'abord que le lit de juftice fe tiendroit portes ouvertes, paree qu'alors les affaires s'y traitent comme aux grandes audiences, 8c que le garde-des-fceaux, y prenant les voix tout bas , les rapporteroit comme il le voudroit; 8c 1'on étoit fur de lui. i°. Que M. le duc, lorfqu'il feroit queftion de la fur-intendance, fortiroit comme partie intéreffée, 8c obligeroit par-la. les légitimés de fortir aufli. Pour parer a tous les inconvéniens, on avoit prévu tous les cas. Si le parlement refufoit de venir, 1'interdiftion étoit prête , avec 1'attribuiion des caufes au grand confeil. Si une partie venoit, 8c qu'une autre ne vïnt pas , interdire les refufans. Si le parlement venu, refufoit d'opiner, paffer outre. Si , non content de ne pas opiner, il fortoit, tenir également le lit de juftice, 8c huit jours après, en tenir un autre au grand confeil, pour enregiftrer le tout. Si les légitimés, ou quelques - uns nde leur parti, faifoient de 1'éclat, les arrêter dans la féance ou a la fortie, fuivant les fignaux dont on conyiendroit avec les officiers des gardes-du-corps. Les ordres ne furent donnés aux commandans des troüpes de la maifon du roi, que le 26 a quatre heures du matin. Le duc du Maine, qui revenoit d'une des fêtes que fa femme recevoit fouvent, ou fe donnoit elle-même, ne faifoit que fe mettre au lit, lorfqüe Contade lui fut i  RÉGENCE. 277 annoncé. Le duc, craignant que ce ne fut pour Parrêter, demanda fi Contade étoit feul ; & fe raffura, lorfqu'il apprit que c'étoit pour aflembler les gardes-fuiffes. - A cinq heures, les troupes prirent leurs poftes ; & a fix, le parlement & tous ceux qui devoient fe trouver au lit de juftice, déja éveillés par le bruit des tambours, recurent les lettres-de-cachet & les billets d'invitation. A huit heures, le confeil de régence étoit déja affemblé aux Tuileries. Le garde-des-fceaux faifoit difpofer dans une chambre particulière tout 1'attirail du fceau ; & aufli froid que s'il ne s'étoit agi que d'une audience de police, déjeünoit tranquillement, pourfe préparer contre lalongueur d'une féance qui retarderoit fon diner. Chacun s'étant rendu dans la pièce du confeil , le régent y arriva d'un air riant & affuré. Tous n'avoient pas le maintien fi libre. Le duc du Maine, pale & embarraffé, prévoyoit qu'il feroit quefiion d'autre chofe que de caffation d'arrêts. Plufieurs fe joignoient, examinoient, fe parloient bas, cherchoient k deviner ce qui alloit fe paffer. Le duc du Maine & le comte de Touloufe étoient venus en manteau de pair , quoiqu'ils n'euffent point recu de billets d'invitation. On avoit affect é de ne leur en point envoyer, fous prétexte que , depuis 1'édit de 1717 , qui révoquoit celui de 17T4, ils ne vouloient plus fe trouver au parlement. Le régent s'étoit flatté la~ deffus qu'ils fe difpenferoient du lit de juftice ; ce qui 1'auroit fort foulagé. C'eft pourquoi, s'adreffant au comte de Touloufe : » Je fuis fur- S iij  R i G E N C E. pris, lui dit-il d'un ton d'amitié, de vous voir en manteau ; je ne vous ai pas fait avertir, fachant que vous n'aimez pas a vous trouver au parlement ", » Cela. eft vrai, répondit le comte de Touloufe ; mais quand il s'agit du bien de 1'état, j'y fais céder toute autre confidération ". Le régent, touché de cette réponfe, le prit en particulier, lui confia tout; & le comte de Touloufe ayant joint fon frère, lui en dit affez , pour qu'ils prifTent le parti de fe retirer. Le régent les voyant fortir, jugea qu'il n'y avoit plus d'inconvénient a faire au confeil le rapport de tout ce qu'on s'étoit propofé d'y tenue-acné, Hs étoient vingt en féance (i). Dès qu'on fut en place, le régent, avec un air d'autorité,ordonna au garde-des-fceaux de lire Ce qu'il avoit a rapporter. Le régent annoneoit chaque pièce par un difcours fommaire qüe le garde-des-fceaux paraphrafoit fuivant 1'importance de la matière. Le régent, dans ce confeil, opina le premier contre la règle ordinaire, & prit toujours les avis en commencant par la tête du confeil, pour que les préopinans dont il étoit fur, filTent preffentir aux autrés le parti qu'il y avoit a fuivre. (i) Le regent , M. Ie duc , le prince de Conti, le gardedes-fceaux d'Argenfon , les ducs de Saint-Simon, de la Force, és du dioeèfe , ;& quantité dè communautés féculières réguliere.? .adhérèrent a 1'ap-  3.8c? E. É G È N C È. peil Le cardinal fe retira le même jour du confeil de confeience, qui dès-lors ne fubfifla plus * 8e dont la chüte entraina celle des autres confeils. II y avoit déja du tems que ce n'étoit plus qu'une vaine repréfentation; Law faifoit tout dans les finances, 8c l'abbé Dubois dans les affaires étrangères. Celui-ci, fachant que le chapeau de cardinal, oü il tendoit, dépendroit du crédit qu'on lui verroit en France , fe fit nommer feul miniftre des affaires étrangères. Le Blanc fut déclaré en même-tems fecretaire d'état de la guerre, Tous les membres des différens confeils furent remerciés de leurs férvices ; 8c confervèrent leurs appointemens, qui étoient de 12,000 liv. Le marquis de Canillac les refufa ; mais il entra au confeil de régence , oü la place valoit 20,000 liv. Tous Ces nobles membres des confeils reffembloient è des gens qui, en fortant d'une maifon, en emportent les meubles. Le comte d'Evreux conferva le détail de la cavalerie, Coigny celui des dragons , d'Asfeld, les fortifications 6c le génie; le marquis de Brancas eut les haras ; le premier écuyer, Béringhem, les ponts 8c chauffées. L'archevêque de Bordeaux (Bezons) prit les économats, ainfi des autres. Le régent ne favoit rien refufer, 6c ce qu'il ne donnoit pas , on le lui arrachoit. II avoit des inconféquënces fingulières. -Le changement dans 1'état des légitimés emba:raffa fort 1'évêque deViviers (Chambonas) dont le frère 8c la belle-fceur étoient de la maifon du duc du Maine. Le prélat, chef de la députation - des états de Languedoc, demanda au régent de • quelle manière il traiteroit le prince de Dombes, • gouverneur en furvivance, Lé régent lui dit d'en ufer  Régence. 189 ilfer comme & 1'ordinaire; en conféquenee; 1'évêque traita d'alteffe féréniffime le prince de Dom* bes, qui n'y pouvoit plus prétendre. Le régent fe laiffa enfin fléchir en faveur des exilés. Ils revinrent fucceffivement, &c le parlement devenu fouple , en fit des remerciemens% comme d'une grace. Cela ne 1'empêcha pas de. faire des difficultés fur 1'enregifirement de la banque royale. On trOuvoit très-indécent de voir le roi devenu banquier. L'événement prouva que cela étoit encore plus malheureux. Lecoifp d'autorité frappé au lit de juftréê avöife étourdi les ennemis du régent, mais ne les avoif pas abattus. La fureur que la ducheffe du Maine étoit obligée de cacher, n'en étoit que plus viver & fa correfpondance avec 1'Efpagne plus fréquente* Le prince Cellamare , attentif a tout ce qui fe paffoit a Paris & en Bretagne , cherchoit a fairev des créatures au roi fon maitre, 6e beaucoup d'ofc ficiers ayoient jpris des engagemens avec lui. Le projet étoit de faire révolter tout le royaüme contre le régent, de mettre le roi d'Efpagne a la tête du gouvernement de France, 8c foUs lui le duc du Maine, On comptoit fur Püniórt des pariemens. Tout s'étoit traité affez énigmatiquement dans des lettres qui póuVoient être fürprifes; mais Albéroni voulut aVant d'éclater, vók les plans arrêtés &t lés Ooms de ceux dont On devoit fe fervir. II étoit très-dangereux de €Gn^ fier de pareils détails a Un courier que l'abbé Dubois n'auroit pas manqué de faire arrêtén Cellamare imagina qu'il n'y auroit riêri de ffióirïs fufpeft que le jeune abbé Pórtocatéro, neVeil du cardinal de ce nom. Ce jeune hömmé étoit dé* Tornt I, 'f  i^oo RÉGENCE. puis quelque - tems a Paris. Monteleon ; fils de 1'ambaffadeur d'Efpagne en Angleterre, étoit aufli venu de Hollande , & ces deux jeunes gens fe i-encontrant enfemble a Paris , fe lièrent naturellement, cherchoient les mêmes plaifirs, s'embarrafibient peu d'affaires, & firent partie de s'en retourner enfemble. Cellamare crut que de pareils couriers feroient a 1'abri de tout foupgon; l'abbé Dubois n'en prenoit point en effet, & cependant tout fut découvert. II y avoit alörs a Paris une femme, nommée la Fillon, célèbre appareilleufe; par conféquent très-connue de l'abbé Dubois. Elle paroiflbit même quelquefois aux audiences du régent, St n'y étoit pas plus mal recue que d'autres. Un ton de plaifanteries couvrcit toutes les indécences au Palais-Royal, & cela s'eft confervé dans le grand monde. Un des fecretaires de Cellamare avoit un rendez-vous avec une des filles de la Fillon , .le jour que partoit l'abbé Portocaréro. II y vint fort tard, & s'excufa fur ce qu'il avoit été occupé a des expéditions de lettres dont il falloit charger nos voyageurs. La Fillon laiffa les amans enfemble, & alla fur le champ en rendre compte a l'abbé Dubois. Aufli-töt on expédia un courier muni des ordres néceffaires pour avoir main-forte. 11 joignit les voyageurs a Poitiers, les fit arrêter, tous leurs papiets furent faifis, & rapportés i(Pbis le jeudi H décembre. Ce courier arriva chez l'abbé Dubois, précifément a 1'heure oii le régent en trok a 1'öpéra. L'abbé ouvrit le paquet, eut le tems de tout examiner &C de mettre en réferve ce -qu'il vou-  RÉGENCE. 3.9I lut, nous verrons pourquoi. Au fortir de 1'opéra , l'abbé joignit le régent, lui rendit compte de la capture. Tout autre prince auroit été preffé de s'éclaircir; mais c'étoit la précieufe heure du. fouper , & rien ne 1'emportok la-deffus. L'abbé eut jufqu'au lendemain affez tard, pour prendre fes meiiires, avant d'en conférer avec le régent $ qui, dans les premières heures de la matinée , avoit encore la tête offufquée des fnmées de la digeftion, n'étoit pas en état d'entendre affaires» & fignoit prefque machinalement ce qu'on lui préfentoit. L'abbé Dubois , en afpirant a töüt, fêntöït pourtant qu'il n'étoit rien par lui-même , prévoyoit les révolutions qui pouvoient arriver par la mort de fon maitre, & vouloit fe ménager des protecteurs, en cas d'événemens, II réfolut de s'emparer tellement dé 1'affaire» qu'il püt facrifier ceux dont la perte feroit fans conféquence , & fauver ceux auprès de qui il s'en feróit un mérite. Le régent ne vit rien dans cette affaire , que par les yeux de l'abbé. Le garde-des-fceaux & le Blanc en furent les feuls confidens , & l'abbé faili des pièces du procés fe trouva maitre de la condamnation ou de 1'ab" folution des coupables. Le prince Cellamare , inftrüit par üii eöüriét particulier, de ce qui étoit arrivé & Poitie'rs, & fe flattant que ces deux Efpagnols n'avoieSt été arrêtés que paree qu'ils voyageoient avec un banquier fugitif pour une banqueroute 4 prit un ai/ d'affurance, & alla le vendredi 9 fur le midi chez le Blanc , féekmér le paquet de lettres dönt il avoit, dit-il, chargé par occafiort l'abbé Póric-*- T ij  acii RÉGENCE. caréro. L'abbé Dubois étoit déja chez le Blanc. L'un & l'autre répondirent a Pambaffadeur, que ces lettres avoient été lues, & que loin de les lui rendre, ils avoient ordre de faire en fa préfence la vifite des papiers de fon cabinet, & tout de fuite le prièrent de monter avec eux en carroffe, pour fe trouver tous trois enfemble a eet ïnventaire. Cellamare, jugeant que les mefures étoient prifes, en cas de réfiffance, ne fit aucune difficulté, &c fut ramené a fon hotel, dont un détachement de moufquetaires avoit déja pris poffeffion. On ouvrit les bureaux & les calfettes. Le fcellé du roi, &c le cachet de Pambaffadeur furent mis fur tous les papiers, a mefure qu'on en faifoit Pexamen & le triage. Après cette opération , les deux miniftres fe retirèrenj , laiffant Pambaffadeur a la garde de du Libois , gentilhomme ordinaire du roi. Durant la vifite des papiers, Cellamare, d'un air libre, affecfa de traiter le Blanc avec politeffe, & l'abbé avec un mépris froid. Cela fut au point que, le Blanc allant ouvri»- une caffette, M. le Blanc, dit Pambaffadeur, cela n'eft pas de votre reffort, ce font des lettres de femmes ; laiffez cela a l'abbé, qui toute fa vie a été maquereau. L'abbé fourit, & feignit d'entendre plaifanterie. Le foir il y eut confeil, oü Pon rendit un compte fommaire de la confpiration ; on y lut des lettres de Cellamare au cardinal Albéroni, & le régent y juftifia très-bien fon procédé a 1'égard de Pambaffadeur , qui ayant violé lui-même le droit des gens, avoit perdu les privilèges de fon  RÉGENCE. 193 titre. Les lettres furent imprimées, répandues partout ; aucun des miniftres étrangers ne prit la défenfe de Cellamare, qui partit de Paris , accompagné de du Libois , & de deux capitaines de cavalerie. Ils s'arrêtèrent a. Blois, oü Cellamare fut gardé jufqu'a 1'arrivée en France du duc de Saint-Aignan, notre ambaffadeur k Madrid. Après quoi on le laiffa continuer librement fa route. Le matin du famedi 1 o, le marquis de Pompadour , dernier' de fon nom , père de la belle Courcillon , & aïeul de la princeffe Rohan, fut mis k la Baftille. Le comte Daidie coufin (1), beau-frère & du même nom que Riom, prit la fuite & fe retira en Efpagne, oü il eft mort long-tems après, affez bien établi. Le foir même que Cellamare fut arrêté, Daidie étant dans une maifon ou il devoit fouper, voyoit jouer une partie d'échecs. On vient dire que Cellamare étoit arrêté ; Daidie très-attentif a une nouvelle fi intéreffante pour lui, ne montra pas la moindre émotion. Un des joueurs ayant dit qu'il ne pouvoit plus gagner la partie , Daidie offrit de prendre le jeu , fuf accepté , joua tranquillement & gagna. Quand on fervit le fouper , il fortit fous prétexte d'incommodité, prit la pofte & partit. Foucault de Magni, introdu&eur des ambaffadeurs, &c fils du confeiller d'état, fe fauva auffi i c'étoit un fou qui n'avoit jamais rien fait de fagé que de s'enfuir. Un abbé Brigault, fort enfonca (1) Sa femme , fceur de Riom , mourut, en 1716, dame d'hpnneur de la ducheffe de Berri. Le chevalier & Vabhs Daidie étoient frères du comte, T iij  £94 RÉGENCE. dans cette affaire, fut arrêté k Montargis , fur fon fignalernent &C amené a la Baftille. II ne fe fit pas preffer pour déclarer tout ce qu'il favoit, ajoutant qu'on en verroit le détail dans les papiers qu'il avoit laiffés au chevalier de Menil, qui fut arrêté ; mais il avoit déja brülé les papiers que le régent regretta fort, On arrêta fucceflivement beaucoup de perfonnes avant d'en venir au duc & a la ducheffe du Maine, Cela ne tarda pas; le duc fut arrêté a Sxeaux, par la Billarderje , lieutenant des gardes-du-corps , conduit au chateau de Dourlens en Picardie , & laiffé fous la garde de FaYancourt , brigadier des moufquetaires. La duchefle, en confidération de fa naiffance, fut traitée avec plus de diftinftion. Ce fut le duc d'Ancenis, capitaine des gardes-du-corps , qui 1'arrêta dans une maifon de la rue Saint-Honoré, qu'elle avoit prife pour être plus a portée des Tuileries, Le duc d'Ancenis la quitta a Effone , d'oii un lieutenant , & un exempt des gardesdu-corps la conduifirent au chateau de Dijon, Le duc du Maine ne montra dans fon malheur que de la foumiflion , protefta fouvent de fon innocence, & de fon attachement au roi & au régent, Pour la ducheffe, elle 'fe plaignit beaucoup du traitement qu'on faifoit a une princeffe du fang, èl déclama avec fureur contre fon neveu M, le duc, quand elle fe vit dans le chateau de Dijon , dont il étoit gouverneur, & le, public n'approuva pas qu'il devint le geoher de fa tante. Tous les domefliques de la maifon du Maine, furent arrêtés en même - tems que leur maitre ,  RÉGENCE, 295 Se renfermés a la Baftille. Mademoifelle Delaunay, qui depuis a été Madame de Staal fut du nombre. Ses mémoires méritent d'être lus ; fes portraits font affez fidèles , a 1'exception de celui du chevalier de Menil , qu'elle aimoit trop pour en bien juger. Je 1'ai quelquefois rencontré chez elle, Sc il m'a paru au-deffous du médiocre. Pendant que ces chofes fe paffoient a Paris, le duc de Saint-Aignan, notre ambaffadeur a Madrid , y étoit trés - défagréablement. Quoiqu'on n'y fut encore rien de ce qui étoit arrivé a Paris , la rupture entre les deux couronnes paroiffoit fi prochaine , Sc la violence d'Albéroni fi connue, que le duc de Saint-Aignan ne fe crut pas en füreté. II partit fecrétement avec fa femme , Sc peu de domefliques, Se arriva au pied des Pyrénées. La , ne doutant point qu'Albéroni ne fit courir après lui, il prit des/malles pour lui, fa femme , Sc les valets abfolument néceffaires , traverfa les montagnes , Se ne s'arrêta qu'a Saint-Jean Pied-de-Port. II avoit pris la précaution de laiffer dans fon carroffe un valet-de- chambre Se une femme qui s'annoncoient, en continuant leur route , pour Pambaffadeur Sc 1'ambaffadrice. Le duc avoit a peine avancé une lieue dans les montagnes, que des gens détachés par Albéroni, inveftirent le carroffe. Les domeftiques jouèrent bien leur jeu, crièrent fort haut contre la violence , Sc furent ramenés a Pampelune. Lorfque le duc de Saint-Aignan fut arrivé a Bayonne , il envoya réclamer fes équipages qui furent rendus, Sc le gouverneur manda  3,96" Régence. la méprife au cardinal-miniftre, qui fut dans la' plus grande fureur. Pendant que la guerre s'allumoit au midi, le nord eut le bonheur d'être délivré du röi de Suède, Charles XII. Un coup de fauconeau en fit juftice au fiège de Fridérishal. Ce prince avoit des qualités eftimables qui 1'auroient fait chérir, s'il n'eüt été qu'un particulier; une frénéfie guerrière en fit unfléau pour le genre humain. Son père, tyran obfcur , avoit accablé fes fujets , abattu le fénat & la nobleffe, anéanti les loix. Le fils, deftrufteur plus éclatant, fut moins haï par le brillant de cette gloire qui en impofe au vulgaire , admirateur infenfé des héros qui font fon malheur. Charles fit celui de fes états & de fes voifins. Des milliers d'hommes détruits par le fer & le feu, furent les fruits de fon règne. La dévaftation , la dépopulation de la Suède , étoient k la mort de Charles XII, au point qu'il ne reftoit plus d'hommes, que des enfans &C des vieillards. On ne voyoit plus que des femmes & des filles labourer les terres, fervir les poftes , & jufques dans les bains publics. On étoit réduit k les employer a toutes les fonclions que la foibleffe & la décence femblent leur interdire. Je «iens ces faits du comte Cérefte-Brancas, 1'homme le plus vrai, &t notre miniftre en Suède, immédiatement après la mort de Charles XII. Les Suédois profitèrent des circonftances pour rentrer dans le droit d'élire leurs fouverains. Sans égard pour les prétentions du duc de Holftein , fils de la fceur aïnée de Charles, ils élurent pour reine, Ulrique-Eléonore, fa fceur cadette. Ils con-  Régence. %yf fentirent enfuite a lui affocier fon mari, le prince de Heffe; mais ayec une teÖe limitation de pouvoir dans leurs perfonnes &c celles de leurs defcendans , que le defpotifme ne püt renaïtre de long-tems. Fin du Tome premier,   MÉMOIRES SECRETS SUR LES RÈGNES DE LOUIS XIV ET DE LOUIS XV, TOME SECOND.   MÉMOIRES SECRETS SUR LES RÈGNES DE LOUIS XIV ET DE LOUIS XV; Par feu M. Duclos, de 1'Académie Francoife, Hiftoriographe de France, &c. TOME SECOND. A PARIS, Et fe trouvc A MAESTRICHT, Chez J. P. Roux & Compagnie, ImprimeursLibraires, aflbciés. i 7 9 i.   MÉMOIRES SECRETS SUR LES RÈGNES DE LOUIS XIV et DE LOUIS XV. LIVRE IV. Cette année s'ouvrit par la déclaration de guerre contre 1'Efpagne. Elle avoit été précédée d'un manifefte (i), pour prévenir les efprits fur la juftice de nos motifs. Les ennemis du gouvernement ne s'oublièrent pas dans cette occafion, & répandirent quatre pièces féditieufes. La première étoit un manifefte du roi d'Efpagne, adrefle aux trois états de la France. La feconde, une lettre de Philippe V au roi. La troifième, une lettre circulaire aux pariemens. Et la quatrième, une prétendue requête préfentée k Philippe V, de la part des trois états de France. Le parlement fe eontenta de fupprimer, par arrêt, ces libelles, qui méritoient beaucoup plus. Les officiers qui devoient fervir contre 1'Ef- (i) Ce manifefte fut compofé par Fontenelle, fur les mémoires de l'abbé du 3ois. Cette pièce & les quatre autres dont je parle enfuite , font imprimées par-tout, & principalemem: dans les Mémoires de la Régence, ouvrage d'ailleurs auffi mauvais que j'en connoiffe. L'auteur & 1'éditeur qui a joint des aotes , font également mal inftruits, Torne II,  % RÉGENCE. pagne furent nommés, & 1'on fut, pour le moins, furpris de voir le maréchal de Barwic , décoré de la grandeffe & de la toifon, & dont le fils, duc de..,*, jouiffoit des mêmes honneurs en Efpagne, accepter le commandement d'une armee contre Philippe V. D'Asfeld, depuis maréchal de France, fit un parfait 'contrafte avec Barwic, qui le demandoit pour fervir fous lui; il alla trouver le régent! Monfeigneur , lui dit-il, je fuis francois, je vous dois tout, & n'attends rien que de vous ; puis montrant fa toifon : que voulez-vous que je faffe de ceei, que je tiens du roi d'Efpagne ? Difpenfez-moi de fervir contre un de mes bienfaiteurs. II eüt été bien étrange que le régent, facile fur tout, n'eüt réfifté qu'a une aftion auffi honnête; auffi difpenfa-t-il d'Asfeld de fervir, & ne 1'en eftima que plus. Le roi d'Efpagne lui en fut beaucoup de gré, & les nations y applaudirent. Le prince de Conti eut le commandement de la cavalerie, tira beaucoup d'argentpour fes équipages, fit payer jufqu'a fes fraix de pofte, & ceBfut tout ce qu'il recueillit de gloire de fa campagne. Les jeux de hafard avoient été défendus. Le duc de Trefmes prétendoit , comme gouverneur de Paris, avoir le droit d'un de ces coupe-gorges privilégiés. Le lieutenant de police Machault, qui ne trouvoit pas ce privilège-lk dans les ordonnances , déclara qu'il toléreroit tous ces repaires , fi celui du gouverneur fubfiftoit. Le régent, pour ne mécontenter perfonne, achera le défiftement du duc de Trefmes, de 2,000 liv.  Régence. -j de penfion. Peu d'années après, fous le miniftèré de M. le duc , la devote princeffe de Carignan obtint de faire tenir un jeu dans fon hotel dé Soiffons. Auffi-töt le duc de Trefmes reprit le lien, en gardant fa penfion. Des frippons galonnés , brodés, & même décorés de croix de différens ordres, faifoient les honneurs de ces deux antres, oü les enfans des bourgeois venoient perdre ce qu'ils voloient a leurs families. Plufieurs aventures tragiques firent enfin connoitre que ces lieux étoient les féminaires de la Grève. Le cardinal de Fleury, devenu miniftre, les défendit. Ce vil droit de gouverneurs fubfifte encore dans plufieurs provinces. Les prote&eurs ne rougiffent point de la fource infame du revenu qu'ils en tirent , & penfent apparamment, comme Tibère, que 1'argent n'a point d'odeur. Ce fut dans ce tems-la que parurent les Philippiques, poè'me contre le régent, compofé par la Grange (i). Cet ouvrage , oü il n'y a que très-peu de ftrophes poétiques, eft un amas d'horreurs, oü la calomnie la plus effrénée s'appuie de quelques vérités. Les copies s'en répandirent par toute la France. Le régent en entendit parler, & voulut les voir. Le duc de Saint-Simon prétend que ce fut lui qui, preffé par les follicitations du prince, lui fit lire cet effroyable libelle. II ajoute que, lorfque le régent en fut a 1'endroit oü il eft repréfenté comme 1'empoifonneur de la familie royale , il frémit, penfa s'é- (i) La Grange avoit été page de la princeffe de Conti, fille de Louis XIV. II a fait plufieurs pièces oü 1'on trouve des fituations, de 1'intérêt, & toutes mal ou foiblement é crises A ij  4 RÉGENCE. vanowir , & , ne pouvant retenir fes larmes , s'écria: ah ! c'en eft trop! cette horreur eft plus forte que moi , j'y fuccombe ; il ne revint que difficilement de fon défefpoir. La Grange fut arrêté & envoye aux ïfles Sainte-Marguerite, d'oü il fortit pendant la régence même, & fe montra librement dans Paris. J'ai toujours cru que c'étoit pour détruire 1'opinion oü 1'on étoit que le régent 1'avoit fait affafliner , fans quoi c'eüt été le comble de 1'impudence. Un auteur qui en auroit fait la moitié jnoins contre un confeiller au parlement, eüt été envoyé aux galères. . On a pu voir jufqu'ici que je ne diilimule ni les mceurs dépravées ni la mauvaife adminiftration du régent; mais je dois rendre juftice a fa bonté naturelle. Quand on ne fait attention qu'a fon caraöère d'humanité , on ne peut s'empêcher de regretter qu'il n'ait pas eu plus de vertus de prince. Dès que le duc & la duchefle du Maine furent arrêtés, 1'allarme fe répandit dans leur parti. Le maréchal de Villeroi perdit fa morgue, Villars fon audace, d'Huxelles, Tallart, Canillac, d'Effiat &c le premier préfident montroient leur crainte par les efforts qu'ils faifoient pour la cacher. La meilleure proteftion que les accufés puffent avoir , étoit dans' le cceur du régent. Les bons & les mauvais procédés, les fervices & les offenfes le touchoient foiblement; il donnoit & ne récompenfoit point , pardonnoit facilement, n'eftimoit guère, & haïflbit encore moins. D'ailleurs, l'abbé du Bois fentoit qu'il feroit chargé, par le public , d'avoir animé, ou du  RÉGENCE. £ moins de n'avoir pas arrêté la févérité du régent. L'impétuofité de M. le duc faifoit craindre que, s'il étoit une fois délivré du contre-poids des légitimés &c de leurs partifans, il ne s'élevat lui-même fur les ruines du régent, & ne recueillït feul le fruit de tout ce que celui-ci auroit fait pour affermir 1'autoriré. L'abbé comptoit, en fauvant le duc du Maine &c le premier préfident , fe faire, en cas d'événement, une protection contre Ie parlement même, qui pouvoit le rechercher un jour. Ce qu'il faifoit pour fa propre företé , il perfuada aifément au régent qu'il en étoit feul 1'objet, t'effraya fur le caracfére de M. le duc , & lui fit entendre que le public ne regardoit pas abfolument les accufés comme criminels de lèze-majëfté; mais comme des hommes attachés a 1'état, & qui n'avoient cherché qu'a mettre lés jours du roi en füreté. Les mceurs du régent, fon irréligion affkhéë , les bruits anciens nouveaux ne favorifoient que trop ces idéés. Ce prince en fut frappé, fa païëffe naturelle, la crainte de troubler fes plaiftrs^fè joignant a fes réflexions, il laiffa l'abbé maitre unique de cette affaire, II n'y eut point de proces en règle, ni renyoi au parlement. Le garde-des-fceaux Sc le Blanc interrogeoient les prifonniers, & chaque jour on. en amenoit de nouveaux. On avoit vu, par les papiers de Cellamare, que ce miniftre entretenoit diftérentes correfpondances, qui n'avoient aucun rapport k la ducheffe du Maine , &c qui, toutes cependant, fe rapportoient a 1'Efpagne, fans que les coupables euffent aucune relation entr'eux. Par exemple, on mit a la Baftille le due (au- A iij  6 RÉGENCE. jourdlmi maréchal) de Richelieu , & le marquis de Saillans ( d'Efteing.) Le jour qu'ils furent arrêtés, le régent dit publiquement qu'il avoit dans fa poche de quoi faire couper, au duc de Richelieu , quatre têtes, s'il les avoit. C'étoient quatre lettres , adreffées au cardinal Albéroni, fignées du duc , & par lefquelles il s'engageoit i hvrer a 1'Efpagne Bayonne, oii fon régiment & celui de Saillans étoient en garnifon. Ce jeune étourdi, qui n'a guère changé de tête, comptoit être 1'auteur d'une révolution dans le royaume, & avoir, pour récompenfe, le régiment des Gardes. Ce complot, que le dernier officier de la place eüt fait échouer , n'excita que la rifée publique. Ce jeune homme fe crut un perfonnage en fe voyant traité en criminel d'état, & prit fa prifon avec la légéreté qu'il a toujours montrée en amour , en affaires & a la guerre. Le régent t qui trouva cela fort plaifant, fit procurer au jeune prifonnier tout ce qu'il demanda, valet-de-chambre , deux laqua^s, des jeux, des inflrumens, de forte qu'au-lieiftde-,;liberté, il eut toute la licence poffible. Pendant que le régent étoit occupé des affaires d'état, il étoit encore tourmenté de tracafferies domefliques. La ducheffe de Berri, emportée par le plus fol orgueil , ou avilie dans la crapule , donnoit des fcènes publiques dans 1'un 6c l'autre genre. L'ambaffadeur de Venife étant venu pour lui rendre vifite, elle s'avifa de le recevoir placée dans un fauteuil , fur une eftrade. de trois marches. L'ambaffadeur s'arrêta un moment, s'avanga enfuite avec lenteur, comme un homme qui mé-  RÉGENCE. 7 dite fon parti, fit une révérence, & auffi-tót tourna le dos , 6c fortit fans avoir dit un mot. 11 affembla le jour même les miniftres étrangers , Se tous déclarèrent publiquement qu'aucun d'eux ne remettroit le pied chez la princeffe, s'ils n'étoient aftlirés d'être recus comme il leur convenoit (i). La vie domeftique de cette princeffe faifoit un étrange contrafte avec fes faillies d'orgueil en public. J'ai déja parlé du vil efclavage ou le comte de Riom la tenoit, 6c il fe relachoit d'autant moins de fon infolence avec elle, qu'il s'en étoit fait un fyftême , 6c que fes duretés, fes humeurs, fes caprices affermiffoient la conftance de fa maitreffe. On n'a pas oublié non plus que des retraites aux Carmélites précédoient ou fuivoient des orgies. Une religieufe qui accompagnoit la princeffe a tous les offices du couvent, étonnée de la voir profternée, mêlant des foupirs aux prières les plus ferventes ; Bon Jefus, madame, eft-il poffible que le public puiffe tenir fur vous tant de propos fcandaleux qui parviertnent jufqu'a nous ? le monde eft bien méchant! vous vivez ici comme une fainte. La princeffe {q mettóit a rire. Ces difparates marquoient certainement un dégré de folie. C'étoit avec le plus violent dépit qu'elle apprenoit qu'on ofêt cenfurer fa conduite. Elle devint enfin groffe, 6c quand elle approcha de fon terme, elle fe tint affez renfermée, 6c fouvent au lit, fous des prétextes de migraine. Mais les excès de vin eft de liqueurs. (0 Jamais reine, qui ne l'eft pas de fon chef, n'a donnê d audience fur une ejuade» A iv.  g RÉGENCE.' fortes qu'elle continua toujours, lui allumèrent le fang. Dans fa couche, une fièvre violente la mit dans le plus grand danger. Cette femme hardie , impérieufe , bravant toutes les bienféances, qui avoit hautement affiche fon commerce avec Riom, fe flatta d'en cacher les fuites au public ; comme fi les aflions des princes pouvoient jamais être ignorées ! II n'entroit dans fa chambre que Riom, la marquife de Mouchy , dame d'atour , digne confidente de fa maitreffe, & les femmes abfolument néceffaires a la malade. Le régent même n'entroit que des inftans: quoiqu'il ne fut pas poffible de le fuppofer dans 1'ignorance de 1'état de fa fille , il feignoit devant elle de ne s'appercevoir de rien , foit dans la crainte de Taigrir , s'il paroifibit infrruit, foit dans 1'efpoir que fon filence arrêteroit 1'indifcrétion des autres. Tant de précautions n'empêchoient pas le fcandale , & alloient bientöt 1'augmenter. Le danger fut fi preffant, qu'il parvint k la connoiflance du curé de Saint - Sulpice Languet. II fe rendit au Luxembourg, y vit le régent, lui paria de la néceffité d'inftruire la princeffe du péril oii elle étoit , pour la difpofer a recevoir les facremens , & ajouta qu'au préalable il falloit que Riom & la Mouchy fortiflent du palais. Le régent, n'ofant ni contredire hautement le curé , ni allarmer fa fille par la propofition des facremens , encore moins la révolter par le préalable du palfeur , effaya de faire entendre au curé que 1'expulfion de Riom & de la Mouchy cauferoit le plus grand fcandale. II chercha des tempérammens; le curé les rejetta tous, jugeant bien que, dans une occafion d eclat, telle  RÉGENCE. 9 que celle-la, au milieu des querelles de la conftitution , oü il jouoit un röle , il fe feroit décrié dans le parti contraire, s'il ne fe montroit curé en toute rigueur. Le régent ne pouvant perfuader le curé , offrit de s'en rapporter au cardinal de Noailles. Languet y confentit, Sc n'eüt peut - être pas été faché que la complaifance du cardinal, en débarraffant un prêtre fubordonné, qui auroit eu 1'honneur de la morale févère, prétat le flanc aux conftitutionnaires, &c belle matière a paraphrafer. Le cardinal, prié de fe rendre au Luxembourg , y arriva , Se , fur 1'expofé du régent, approuva la conduite du curé , Sc infifta a congédier les deux fujets de fcandale. La Mouchy, ne pouvant fe diflimuler le danger 'oü étoit fa maitreffe , croyoit avoir tout prévu, en faifant venir un cordelier, pour confeffer la princeffe, Se ne doutoit pas que le curé n'apportat enfuite le viatique. Elle ne foupconnoit pas qu'elle fut elle-même le principal fujet de la conférence , lorfque le régent la fit demander. Elle entr'ouvrit la porte, Se le régent, fans entrer nt la faire fortir, lui dit quelles conditions on mettoit k 1'adminiftration des facremens. La Mouchy, étourdie du compliment , paya pourtant d'audace, s'emporta fur 1'affront qu'on faifoit a une femme d'honneur, affura que fa maitreffe ne la facrifieroit pas a des cagots , rentra, Sc, quelques momens après, vint dire au régent que la princeffe étoit révoltée d'une propofition fi infolente, Se referma la porte. Le cardinal, k qui le régent rendit la réponfe, repréfenta que ce n'étoit pas celle qu'il falloit chaffer qu'on dut char-  R É G É N C E. ger de porter la parole , que. c'étoit au père k s'acquitter de ce devoir. Se a exhorter fa fille a remplir le fien. Le prince, qui connoiffoit le caraftère violent de fa fille, s'en défendit, 8e, fur fon refus, le cardinal fe mit en devoir d'entrer 8e de parler lui-même. Le régent, craignant que 1'afpeft du prélat Sc du curé ne caufat k la malade une révolution qui la fit mourir , fe jetta au-devant du cardinal, 8c le pria d'attendre qu'on 1'eüt préparée a une telle vifite. II fe fit encore ouvrir la porte, 8c annonea k la Mouchy que 1'archevêque Sc le curé voukjient abfolument parler. La malade, qui 1'entendit, entra dans une égale fureur contre fon père Sc contre les. prêtres , difant que ces cafards abufoient de fon état Sc de leur cara&ère pour la déshonorer, Sc que fon père avoit la foibleffe Sc la fottife de le fouffrir , au - lieu de les faire jetter par les fenêtres. ■ Le régent, plus embarrafie qu'auparavant; vint dire au cardinal que la malade étoit dans un tel état de fouffrances , qu'il falloit différer. Le prélat, las d'infifler inutilement, fe retira, après avoir ordonné au curé de veiller attentivement aux devoirs de fon miniftère. Le régent, fort foulagé par la retraite du cardinal, auroit bien voulu être encore délivré du curé. Mais celui-ci s'établit a pofte fixe k la porte de la chambre; 8c, pendant deux jours 8c deux nuits, lorfqu'il fortoit pour fe repofer, ou prendre quelque nourriture , il fe faifoit remplacer par deux prêtres qui entroient en faftion. Enfin, le danger étant cefie ,. cette garde eccléfiaftique fut levée, 8c la malade ne penfa qu'a fe rétablir.  R É G.E N C E. II Malgré fes fureurs contre les prêtres, la peur de 1'enfer 1'avoit faifie. II lui en refta une imprefïïon d'autant plus forte , que fa fanté ne fe rétabliffoit pas parfaitement, &c que fa paffion étoit aufli vive que jamais. Riom, aidé des confeils du duc de Lauzun, fon oncle , réfolut de profiter des difpolitions de fa maitreffe pour 1'amener a un mariage qui tranquilliferoit fa confeience , & aflureroit fes plaifirs. Le duc de Lauzun imaginoit le plan, les moyens, les expédiens , & Riom agiflbit en conformité, Ils ne trouvèrent pas grande difficulté avec une femme éperdue d'amour, effrayée du diible, & fubjuguée de longue main, Riom n'avoit qu'k ordonner pour être obéi ; aufli le fut-il , Öc il ne fe paffa pas quatre jours du projet k 1'exécution. Quelques dates rapprochées le prouveront; & comme la ducheffe de Berri mourut fort peu de tems après, je rapporterai tout de fuite ce qui la regarde. Cette princeffe tomba malade le 2.6 mars; paque étoit le 9 avril, & dès le mardi-faint 4 elle fut hors de danger. II faut favoir que 1'ufage des paroiffes de Paris eft de porter, pendant la femaine-fainte, la communion k tous les malades, fans qu'ils foient dans le cas de la recevoir en viatique; il fuffit qu'ils foient hors d'état d'aller faire leurs paques k 1'églife, II y avoit donc une doublé raifon de porter les facremens a la princeffe, celle de fon état & celle du tem 5. Loin que le public eüt vu remplir ce devoir, les motifs du refus avoient éclaté, &z la ferarine de paque n'en étoit que plus embarraffante a paffer dans Paris.  12 RÉGENCE. Quoique cette princeffe fut en convalefcence, elle étoit encore loin de foutenir la fatigue d'un voyage; cependant, quelques repréfentations qu'on lui fit, elle partit le lundi de paque , & alla s'établir a Meudon. Son mariage étoit déja fait, c'eft- a-dire, qu'elle & Riom avoient regu la bénédi&ion d'un prêtre peu difficultueux & bien payé. Cela fuffifoit pour calmer ou prévenir des remords ; mais non pas pour confrater le mariage d'une princeffe du fang, petite-fille de France. Le régent le favoit & s'y étoit foiblement oppofé. II fuppofa que, fi fa fille retomboit dans 1'état oii elle avoit été, une confidence faite au curé le rendroit plus flexible, & lui feroit éviter un éclat. La complaifance de ce prince n'en eft pas moins inconcevable , & faifoit penfer qu'il y avoit eu entre le père & la fille une intimité qui paffoit la tendreffe paternelle & filiale, & que le père craignoit un aveu de fa fille dans un accès de dépit furieux. Malheureufement tout étoit croyable de la part de deux perfonnes fi dégagées de fcrupules & de principes. De toutes les horreurs des Philippiques , le régent n'avoit paru vraiment fenfible qu'a Partiele du poifon , dont il étoit incapablê. Quoi qu'il en foit, Riom , qui n'avoit pas defiré lè mariage par motif de confeience, ne pouvoit fatisfaire fon ambition que par la publicité. Les plus grands établiffemens en devenoient une fuite néceffaire. II échauffa la-deffus la tête de fa maitreffe, & 1'obligea d'en importuner le régent. Ce prince lui oppofoit en vain des raifons, elle y répondoit par des fureurs.  RÉGENCE. 13 Les altercations entre le père & la fille tranfpirèrent. Madame & fon alteffe royale ducheffe d'Orléans en apprirent la caufe. S. A. R. ne fut peut-être pas trop fachée de 1'humiliation d'une fille dont elle éprouvoit continuellement des hauteurs. A 1'égard de Madame , elle n'y voyoit aucun embarras ; & outrée de colère , elle ne trouvoit rien de fi fimple que de finir tout , en jettant Riom par les fenêtres , ou dans la rivière. Le régent étoit le plus peiné, & il auroit pu fuivre le confeil de Madame, s'il n'eüt craint la vengeance , & peut - être les aveux d'une fille effrénée. Pour éviter fes perfécutions , il la vit rarement, fous prétexte des affaires &c de 1'éloignement de Meudon; & pour gagner du tems, fit ordonner a Riom de joindre fon régiment , qui étoit de 1'armée du maréchal de Barwic. Tous les colonels étoient déja partis, & 1'honneur ne permettoit pas a Riom de différer. II obéit fur le champ, malgré les pleurs de fa maitreffe. Elle en fut au défefpoir, & déclara k fon père, qui la vint voir quelques jours après, qu'elle étoit réfolue de déclarer fon mariage ; qu'elle étoit veuve, maitreffe de fa perfonne & de fes biens; qu'elle en vouloit difpofer a fa volonté, & répéta enfin tout ce que Riom lui avoit appris de mademoifelle de Montpenfier. Le régent, excédé des emportemens de fa fille, lui donna des efpérances, lui demanda du tems, & la quitta bien réfolu de ne plus revenir. Au bout de quelques jours, la princeffe, inquiète de ne point revoir fon père, craignit que cette rareté de vifites ne parut une diminution  RÉGENCE. de crédit, le fit prier de venir fouper a Meudon, oü elle vouloit lui donner une fête. C'étoit dans les premiers jours de mai. Le régent n'ayant pu la refuiér, elle voulut que le fouper fe fit üir la terraffe, quelques remontrances qu'on püt lui faire fur la fraïcheur de la nuit, & fur le danger d'une rechüte, dans une convalefcence mal affermie. Ce fut précifément ce qui la fit s'opiniatrer, s'imaginant qu'une fête de nuit, & en plein air, détromperoit le public de 1'opinion qu'elle füt accouchée. Ce qu'on lui avoit annoncé arriva, la fièvre la prit, & ne la quitta plus. Le régent s'étant excufé fur les affaires de la rareté de fes vifites, elle prit le parti de fe faire tranfporter a la Muette, oü la proximité de Paris engageroit fon père a la voir plus fréquemment. Le trajet de Meudon è. la Muette aggrava encore les accidens de fa maladie. Elle fe trouva fi mal vers la mi - juillet , qu'on fut obligé de lui faire entendre le terrible nom de la mort. Elle n'en fut point effrayée , fit dire la mefie dans fa chambre, & recut la communion a portes ouvertes, comme elle auroit donné une audience d'apparat. L'orgueil infpiroit ou foutenoit fon courage; car, auffi-töt que la cérémonie fut achevéé, elle fit congédier les affiftans, & demanda è fes familiers fi ce n'étoit pas la mourir avec grandeur? Le même jour elle fit retirer tout le monde , a l'exception de la Mouchy, lui ordonna d'apporter fon baguier , qui valoit plus de deux cent mille écus, & lui en fit préfent. La Mouchy 1'ayant regu fans témoins, craignit qu'on ne 1'accufat de 1'avoir volé, accufa-  Régence. ïion que fa réputation n'auroit pas détruite. Elle jugea donc k propos de le déclarer pendant que la princefTe vivoit encore , & alla avec fon mari en rendre compte au régent. Ce prince, pour toute réponfe, demanda Ie baguier, le prit, examina s'il n'y manquoit rien, le ferra dans un tiroir, & les congédia, avec défenfes de retourner a la Muette. La mourante ne parut pas s'appercevoir, pendant deux jours qu'elle vécut encore, de Pabfence de la Mouchy; uniquement occupée de fon dernier moment, fans oftentation ni foibleffe, elle demanda fes derniers facremens , & fut adminiftrée en préfence du curé de Paffi, par l'abbé de Caftries, fon premier aumönier, nommé dèslors archevêque de Tours, & qui depuis Pa été d'Albi. Les médecins n'ayant plus d'efpérance , on propofa 1'élixir de Garus , qui étoit alors dans fa première vogue. Garus le donna lui-même, & recommanda fur-tout qu'on ne donnat aucun purgatif, fans quoi fon élixir tourneroit en poifon. En peu de momens , la malade parut ranimée, & le mieux fe foutint jufqu'au lendemain : on prétend que Chirac , par un point d'honneur de médecin, qui facrifieroit plutöt le malade, que de laiffer la gloire de la guérifon a un empinque , rit prendre un purgatif a la malade, & qu'auffi-töt elle tourna a la mort, tomba en aonie, & mourut la nuit du 20 au ai juillet. Garus cria au meurtre contre Chirac, qui nê s'en émut pas davantage, regarda Pempirique avec un mépris froid , & fortit de la Muette , oü il n'y avoit plus rien k faire. Ainfi hnit k vingt-quatre ans une princeffe éga-  l6 RÉGENCE. lement célèbre par 1'efprit, la beauté, les graces , la folie & les vices. Sa mère & fon aïeul apprirent cette mort avec plus de bienféance que de douleur. Le père fut dans la plus grande défolation; mais fans y faire peut-être réflexion, il fe fentit bientöt foulagé de ne plus éprouver les caprices, les fureurs d'une folie, & la perfécution d'un mariage extravagant. Cette princeffe ne fut d'ailleurs regrettée de perfonne, paree que les appointemens &t le logement furent confervés a toute fa maifon, a 1'exception de la Mouchy , qui fut exilée dans fes terres. Le duc de Saint-Simon prétend qu'a 1'ouverture du corps de la ducheffe de Berri, on trouva qu'elle étoit déja devenue groffe. En tout cas elle n'avoit pas perdu de tems depuis fa couche. SaintSimon devoit pourtant être inftruit, puifque fa femme avoit affiffé a 1'ouverture comme dame d'honneur de la princeffe. On porta le cceur au Val-de-Grace, & le corps h Saint-Denis. II n'y eut point d'eau bénite de cérémonie; le convoi fut fimple, & au fervice on s'abftint prudemment d'oraifon funèbre. Le deuil du roi fut de fix femaines; & quoique la cour ne porte les deuils de refpeéf. qu'autant que le roi, on le porta trois mois, comme le régent, & les fpecfacles furent fermés huit joius. Une bagatelle peut encore fournir un trait du cara&ère de la princeffe. Dans le commencement de fa maladie, elle voua au blanc pour fix mois elle & fa maifon ; & pour accomplir fon vceu, elle ordonna carroffe , harnois & livrées en argent, voulant du moins ennoblir, par le fafte, cette dévotion monacale. La  R É G E N C Ë. ij La filïè de Ia duchefle de Berri & du comte dê Riom i que j'ai vtie dans ma jeunefle, eft ac« tuêllement religieufe k Pontoife, avec 300 liv. de penfiom Une mort qui nè fit pas tant de bruit que celie dont je Viens de parler, fut la mort de madame de Maintenon, dont le nom avoit , pendant trentecinqansj retenti dans toute 1'Europe. Du moment qu'elle eüt perdu le roi, elle fe renferma dans Saint-Cyr, & n'en fortit plus. Elle y étóit avec une étiquette équivoque de reine douairière, Lorfque la reine d'Angleterre alloit diner avec elle, chacunë avoit fon fauteuil, les jeunes élèves de la maiföft la fervoient, & toüt annoncoit l'éga~ lité, Quelques anciens amis de la vieille cour lui rendoient des vifites, & toujours après Pen avoir fait prévenir, afin qu'elle donnet le jour & 1'heure» Aimée, crainte & refpeftée dans la maifon, elle partageoit toutes fes journées entre les exercices de piété & Péducation d'un certain nombre d'élèves qui étoient attachées k fa ehambra Le duc du Maine étoit le feul qui püt aller la voir, fans le lui faire demanden II lui rendoit des deVoirs fréquens, & en étoit toujours recu avec une tendrefle de mère. Elle fut plus fenfible k la dégradation de ce fils adoptif, qu'elle ne 1'ayoit été k la mort du roi. En apprenant qu'il étoit arrêté, elle fuccomba k la doufeur, la fièvre la prit, & après trois mois de langueur, elle mourut a quatre-vingt-trois ans, le famedl 15 d'avril. Les mémoires & les lettres de madame de Maintenon étant imprimés, me difpeufent de m'étenTome IL jg  i8 Régence. dre davantage a fon fujet. J'ajouterai feulement qu'elle n'a jamais nié ni affuré formellement qu'elle eüt époufé le roi, mais elle le laiffoit facilement croire. La belle princeffe de Soubife , mère du cardinal de Rohan, mort en 1749, ayant figné, avec refpeft, une lettre adreffée a madame de Maintenon : celle-ci finit fa réponfe , en difant : A 1'égard du refpeft, je vous prie qu'il n'en foit plus queftion entre nous ; vous n'en pourriez devoir qu'a mon age, & je vous crois trop polie pour me le reprocher. Cette réponfe , que j'ai lue, eft une défaite. Si elle avoit époufé le roi , la princeffe de Soubife lui devoit beaucoup de refpecl:, finon madame de Maintenon en devoit elle-même a madame de Soubife. Si elle fut morte avant le roi, c'eüt été un événement dans 1'Europe, & deux lignes dans la gazette apprirent fa mort a ceux qui ignoroient fi elle vivoit encore. La banque, le Miffiftipi, la conftitution, la guerre d'Efpagne, occupoient tous les efprits. L'union entre la France & 1'Angleterre étoit telle , que le marquis de Senefterre, nommé notre ambaffadeur a Londres , ayant demandé fes inftructions, l'abbé du Bois répondit qu'il n'en avoit point d'autre a donner, que de fuivre ce que lui prefcriroient les miniftres du roi Georges. Stairs, miniftre du roi d'Angleterre k Paris, étoit trop avantageux pour ne pas chercher les occafions de faire de nouvelles tentatives. II fit une des plus magnifiques entrées qu'on eüt vues , & quand il vint prendre fon audience. du roi, il prétendit entrer dans la cour en carroffe a huit chevaux. On 1'arrêta a la porte, oü il y eut une  RÉGENCE. j£ ^Cönteftation affez longue ; mais il fut a la fin óbïigé de faire dételer fix chevaux, & d'entrer a deux , fuivant 1'ufage. II ne s'en tint pas-l&. Après avoir fait fa vifite aux princes du fang, il attendoit la leur. Le prince de Conti, qui vint le premier pour la rendre , ne voyant point Stairs au bas de i'efcalier pour le recevoir , ce qui eft de règle, attendit quelque-tems dans fon carroffe; mais l'ambaffadeur ne paroiffant point, le prince fit tourner, & alla tout de füite fe plamdre au régent. Sur le champ, les princeffes, a qui Stairs avoit déja demandé audience , furent averties de ne le pas recevoir, qu'il n'eüt rendu aux princes Ce qu'il leur devoit. II fe paffa deux mois de difputes & de négociations la-deffus, & il fallut enfin que Stairs rentrat dans la règle. Le régent, toujours importuné des querelles fur la conftitution, les auroit arrêtées avec de la fermeté; il avoit des exemples de ce que peut tin prince qui parle en maitre. L'archevêque de Malines, de Boffu, ayant voulu fe faire un des apötres de la conftitution, l'empereur lui fit défendre de parler ni d'écrire fur cette matière, & le prélat demeura tranquille. Le roi de Sardaigne, inftruit des premières difputes^ fur le même fujet, manda les fupérieurs des jéfuites, leur déclara qu'il ne prétendoit pas qu'on en ufÉt chez lui comme en France, & que s'il étoit queftion, le moins du monde, de conftitution , il les chafferoit tous. Les refpeöueux pères effayèrent de lui perfuader qu'ils n'avoient aucune part k ces difputes. Je n'entre point, dit le roi, en éclairciffement la-deffus ; mais fi j'en entends parler davantage, je vous chaffe tous fans  20 RÉGENCE. retour. ïl lés congédia d'un ligne de tête , leur tourna le dos , & depuis n'entendit jamais parler de conftitution. II n'en étoit pas ainfi en France , oü il y avoit guerre ouverte entre les coi ftitutionnaires & les appellans. Le parlement, très-oppofé a la cour de Rome , en réprimoit les entreprifes, & rendit un arrêt contre le décret de 1'inquiiition, qui dénoncoit au faint office tous les oppofans. Quelque tems auparavant, un huiftier du Chatelet, nommé le Grand, étoit allé a Rome, oü, fe mêlant dans la foule de ceux qui préfentoient des placets au pape, il lui remit en mains propres 1'acte d'appel des quatre évêques , le foir il 1'afHcha au Vatican, au champ de Flore, & repartit en pofte. II rencontra en revenant le courier du nonce Bentivoglio , qui lui demanda ce qu'il y avoit de nouveau a Rome. Quand vous y ferez, lui répondit le Grand, vous y apprendrez de mes nouvelles. Paulucci , fecretaire d'état de Clément XI, fut fort étonné de trouver parmi les placets que le pape lui renvoya, une fignihcation faite k fa fainteté, parlant a fa perfonne. Cependant 1'armée de France agiffoit en Navarre. Fontarabie & Saint-Sébaftien étoient pris, & 1'armée d'Efpagne n'étoit pas en état de s'oppofer a. la nötre. Leur flotte avoit été battue 1'année précédente, par 1'amiral Bing, commandant de la flotte angloife, & le capitaine Bing, fils de 1'amiral Bing , en apporta la nouvelle a Paris. C'eft celui qui depuis a payé de fa tête le malheur qu'il avoit eu devant Mahon , au commencement de la guerre préfente. Son fang, juf-  RÉGENCE, 2r tement ou injuftement répandu, a été la fémence de toutes les vicfoires des Anglois. Quelques malheurs que nous ayons efluyés , nous pourrions nous relever un jour , fi nous avions appris de ces rivaux qu'il faut récompenfer 8e punir. Pendant qu'on faifoit la guerre, a 1'Efpagne, on s'appliquoit k découvrir ceux qui avoient eu des intelligences avec Albéroni. Le régent ne vouloit pas qu'on fit le procés en forme au duc 8e k la duchefle du Maine; mais il craignoit aufli qu'on ne lui reprochat de les avoir fait arrêter par une haine perfonnelle. C'eft pourquoi il exigea que la duchefle du Maine donnat une déclaration de toute fon intrigue avec Cellamare 8c Albéroni. De quelques détours qu'elle ufêt dans fes aveux, il en réfultoit toujours que le projet étoit de faire révolter , contre le régent , Paris , les provinces, 8c particuliérement la Bretagne, oü les vaiffeaux efpagnols devoient être recus. Pour difculper fon mari, elle déclaroit qu'il étoit trop timide pour qu'elle lui eut jamais confié un deftein dont il auroit été effrayé, 8c qu'il auroit furement dénoncé. Si le duc du Maine fut foulagé de fe voir juftifier , il ne dut pas être fort flatté des motifs* Elle nomma d'ailleurs tous ceux qui étoient entrés. dans la confpiration , parmi lefquels fe trouvoient plufieurs gentilshommes bretons. J'ai lu le proces de ceux qui furent exécutés k Nantes. Je me fuis. entretenu plufieurs fois de cette affaire avec quelques-uns des juges 8c de ceux qui furent effigiés, je n'ai jamais vu de complot plus mal organifé. Plufieurs ne favoient pas exa&ement de quoi il étoit queftion, ou ne s'ac- B iij  RÉGENCE» cordoient pas les uns avec les autres. Le plus grand nombre penfoit feulement qu'il fe feroit une révoluion, s'étoit engagé de la feconder, 8c beaucoup avoient donné leur parole 8c leur fignature fans entrer en plus d'examen. II y en a qui ra'ont avoué une folie dans laquelle je n'aurois pas cru poffible de donner, fi leur récit n'étoit pas confirmé par la déclaration de la duchefle du Maine. Ms comptoient, difoient - ils, enlever le roi a un voyage de Rambouillet, le conduire en Bretagne, 8c de-la faire la loi au régent. En fuivant les différens chainons de cette affaire , tel Breton s'y trouva impliqué a qui le nom de la ducheffe du Maine n'étoit jamais parvenu.. On ne pouvoit fè défendre de la compaffion pour certains complices que j'ai comnus , quand on confidéroit leur peu de valeur perfonnelle, Le duc 8c la ducheffe du Maine obtinrent enfin leur liberté , 8c le régent la fit rendre fucceffivement a tous ceux qui étoient a la Baftille pour la même affaire. II y a grande apparence qu'il en eüt ufé avec la même cléraence a 1'égard des gentilshommes bretons, fi 1'on ne lui eüt pas perfuadé de faire quelques aftes de févérité. On nomma donc une commiffion qui alla s'établir a Nantes pour inflruire le procés des accufés. Ainfi on facrifia les plus innocens ou du moins les, plus excufables. L'amour de ma patrie ne me rendra point partial, ni ne me fera trahir la vérité; mais je rendrai juftice a une province noblement attachée au roi, 8c qui réclamoit contre la violation de fes privilèges. Les peuples les plus jaloux de leurs droits font les plus attachés a leurs devoirs , êc le mécontentement des Bretons étoit fondt  RÉGENCE. ïjr dans fon origine. Les états avoient voulu faire rendre compte k Montaran, leur tréforier : rien n'étoit plus jufte & n'intéreffoit moins 1'état. Le régent devoit, au contraire, approuver une conduite fi réguliere. Malheureufement pour la province , Montaran avoit un frère capitaine aux gardes, gros joueur & fort répandu. Un tel fujet eft un homme intéreffant a Paris. II employa le crédit de plufieurs, femmes qui prouyèrent clairement qu'on devoit beaucoup d'égards au frère d'un homme fi utile at la fociété, & les états eurent le démenti de leur entreprife. De-\k 1'humeur gagna les bons citoyens, & s'ifs ceffèrent,  50 RÉGENCE. rent s'établir a Paris, oü le fils acheta une charge de maitre des requêtes, comme tant d'autres. II n'en fit prefqu'aucunes fonctions, époufa une fille de le Gendre , honnête & illuftre négociant de Rouen, & mourut cette année, laiffant une fille unique, mariée au duc de Briffac, frère ainé de celui d'aujourd'hui. Law s'étant déclaré catholique, prit des lettres de naturalité, & le régent lui trouvant alors toute 1'orthodoxie Sc les qualités néceffaires a fes deffeins, le déclara controleur - général. Le gardedes-fceaux, prévoyant dès-lors quelle feroit 1'iffue du fyftême, fè retira de 1'adminiftration des finances. II y avoit déja long-tems que Law étoit obfédé de folliciteurs qui foupiroient après fes graces; mais auffi-töt que fon état parut affuré, il eut. une cour dans toutes les formes. Des femmes titrées fe. montroient courageufement fur le devant du carroffe. de fa femme & de fa fille , & des hommes du plus haut rang afliégeoient fon anti-chambre. Ils croyoient fe difculper de leur baffeffe, en la tournant en plaifanterie. Mais le ton plaifant , déja ufé,-eft en cette matière le dernier fymptöme de 1'incurabilité. Cette nobleffe, qui facrifie fi gaiement fa vie a fon honneur immoloit, fans fcrupule, fon honneur a la fortune. Nous verrons dans la fuite la gangrène de la cupidité gagner la claffe de la fociété dévouée par état k 1'honneur (le. militaire). Si la régence eft une des époques de la dépravation des mceurs, le fyftême en eft une encore plus marquée de 1'aviliffement des ames. II n'étoit pas poffible qu'au milieu de tout 1'en-  RÉGENCE. cens^qu'on brüloit devant Lav, la fumée ne lui portat pas a la tête. II demanda que fon fils fut adnus parmi les jeunes feigneurs qui devoient dan.er avec le roi , dans un ballet que le maréchal de Villeroi avoit imaginé comme la plus preaeufe partie de 1'éducation. Le régent ne trouva rien d'étrange dans la demande de Law; mais le maréchal en fut avec raifon très-révoké. Le petit Law fut infcrit, & voulut vivre de pair avec les premiers enfans de 1'état. Ces petits feigneurs, qui n'avoient encore que 1'orgueil de leur naiffance , n'eurent point du tout la politique de leurs pères , & firent juftice du fils de 1'aventurier par toutes les niches poftïbles. Leurs pareus les répnmandoient; mais le public , plus jufte & moins poli que la cour, leur applaudiffoit; ainfi ils n'avoient garde de cefier. Heureufement pour le petit intrus, il tomba malade, ce qui le priva de danfer avec le roi, mais le délivra de müle defagremens. Le prince de Conti joua au père un tour un peu plus férieux. Lav , fatigué de prodiguer k ce prince les aöions & les billets , refufa k la fin de fe prêter k fa cupidité ; auffi-töt le prince envoya demander k la banque le paiement d'une fi grande quantité de billets, qu'on en ramena trois fburgons chargés d'argent. Law fe plaignit au régent d'un exemple , qui , s'il étoit fuivi alloit renverfer le fyftême. Le régent ne le fentit que trop , fit au prince de Conti la plus forte réprimande, le contint pour la fuite; & le public , également indigné de 1'avidité & de 1'ingratitude, fe déclara pour Lav contre le prince de Conti. D ij  KÉGENCE, C'étoient la en effet les attaques que Law redoutoit; il ne s'inquiétoit plus guère de celles du parlement ï cette cour avoit été fi confternée du lit de juftice, qu'au-lieu de s'occuper de remontrances fur les opérations de finances, elle s'étoit faornée a demander le rappel des exilés, comme une grace; & lorfque le régent rendit la liberté au préfident de Blamont, 1'arrêté du parlement fut qu'on feroit au prince les remerciemens les plus forts. Blamont, jugeant de-la que fa compagnie étoit un frêle appui , y fut depuis 1'efpion du régent. On a quelquefois vu dans le parlement de ces fortes de converfions. Le premier préfident, loin de ranimer alors le feu de fa compagnie , en craignoit la vivacité» Le régent avoit fur ce magiftrat un avantage qu'on ionoroit, & qui eft encore aujourd'hui une anecdote très-peu connue, fi ce n'eft de cinq ou fix perfonnes ; la voici. Lorfque le duc &c la ducheffe du Maine furent arrêtés, le premier préfident , qui ne fe fentoit pas net, & defiroit fort s'éclaircir de ce que le régent pouvoit en favoir, lui fit demander une audience fecrète , par ^ Mademoifelle Chaufléraye, dont j'ai déja parïé. Le régent la chargea de faire entrer le premier préfident par une petite porte de la rue de Richelieu qui eft au bas d'un efcalier dérobé répondant aux cabinets intérieurs, & pour cet effet on confia la clef a Dupleflis (i). Le premier préfi- (i) Ce Dupleflis, qu'on nommé aujourd'hui & depuis long temps , Buffy , très-honnête homme , étoit alors d'une figure aimable, fort connu du régent , & 1'homme de confiance de la Chaulferaye. Bufiy des affaires étrangeres, qui a ete deux •u trois fois miniftre de France a Londres, paffe pour le ne-  RÉGENCE. 53 dent introduit par Dupleffis dans le cabinet du régent, qu'il trouva avec Mademoifelle Chaufferaye, arrivée par la porte ordinaire,. débuta par un grand étalage de refpeö, de reconnoiffance , d'attachement inviolable , fentimens dont il étoit, difoit-il , bien aife de renouveller les afTurances dans un tems oü tant d'autres s'écartoient de leur devoir.. II cherchoit, en parlant, a lire dans les yeux du régent quelle impreffion faifoit fon difcours. Le prince s'obferva fi exaftement, que le ma-. giftrat n'appercevant aucun nuage, s,'échauffa en nouvelles proteftations , &c alloit fe retirer fort content de lui-même, lorfque le régent., lui préfentant im papier lui dit froidement : Reconnoiffez-votts cela?. lifez. C'étoit une lettre de la main du premier préfident par laquelle il répondoit du parlement a 1'Efpagne, & s'expliquoit fi. clairement, qu'il n'y avoit point de commentaire a propofer. Le premier préfident, frappé comme d'un coup-, de foudre, tomba aux pieds du régent, proteftant de fes remords & implorant fa grace. Le prince , fans lui répondre , lui lanea un regard d'indignation, & pafïa dans une autre chambre. La Chaufferaye, étourdie de la fcène, reprocha au premier préfident de 1'avoir engagée a de- v.cu de celui dont il s'agit, & il y a appnvence qu'il eft Ie truit de 1'intimité domeftique de Buffy & de la Chauffetaye ; au furplus, c'eft un homme de mérite. Je dïnai hier avec le vieux Buffy , & nous remimes fur le tapis l'affaire dont je parle il me la récapitula avec beaucoup d'autres qui étoient dans les mémoires de la Chaufferaye. Elle les fit tous brüler avant fa mort, a la perfuafion de 1'Abbé Daudigné, fon parent Sc fon direfteur. D iij  54 RÉGENCE.' mander cette audience , dont le régent la foupconneroit d'avoir eu des motifs. De Mefmes, pour toute juftification , la conjura de fiiivre le prince , &c de tacher de le fléchir. La Chaufferaye , émue de pitié, alla trouver le régent, qui fe récria fur ïe crime & 1'audace du magiftrat qu'il vouloit, difoit-il, faire arrêter. La Chaufferaye fachant a qui elle avoit k faire : Vous êtes trop habile, monfeigneur, lui dit-elle en fouriant p vous n'en ferez rien, cela elf trop heureux pour vous. Voilé un homme dont vous ferez tout ce que vous voudrez dans le parlement. Vous avez quelquefois befoin de pareils coquins. (Car elle ne ménagea pas le coupable afin de le fauver.) II fufEt, ajoutat-elle, monfeigneur, de le tenir entre 1'eïpérance & la crainte. Je vais lui remettre un peu 1'efprit, afin qu'il ait la force de fe retirer. La - deffus elle revint trouver le premier préfident,. le raffura & le remit entre les mains de Dupleffis, qui le foutint, comme il put, dans cet état d'abattement,, ■& le fit enfin fortir comme il 1'avoit fait entrer. Le premier préfident refla dans la plus cruelle inquiétude , tant que dura la prifon de la ducheffe du Maine, & la commiffion de Bretagne. Auffi-töt que l'affaire fut finie & l'amniftie publiée , il reprit un ton d'affurance , fe ménagea entre fa compagnie & le régent, fe fit acheter auffi cher que jamais, & retira toujours de fes différentes ïntrigues, tout 1'argent néceffaire k un faffe qui impofoit au prince même qui en fourniffoit les moyens. II y a apparence que l'abbé Dubois appuya le conreil de la Chaufferaye, dans la vue qu'il pouvoit un jour avoir befoin pour lui-même d'un juge corrompu.  R É G E N C E. 5J Le cardinal de la Tremoille étant mort aRome, laiffa vacant 1'archevêché de Cambray. L'effronté Dubois ne crut pas la place au-deffus. de lui, alla la demander au régent; 6c pour entrer en matière : Monfeigneur , lui dit - il , j'ai rêvé cette nuit que j'étois archevêque de Cambray. Le régent regardant l'abbé avec un fourire de mépris :. Tu fais des rêves bien ridicules, lui dit-il. L'abbé, d'abord déconcerté, fe remit auffi-töt. Mais pourquoi , monleigneur, ne me feriez-vous pas archevêque comme un autre?... Toi! archevêque de Cambray |- toi! c'eft aftuellement que tu rêves.... L'abbé, fans lacher prife, lui cita tous les mauvais, les plats , les ignorans fujets, les garnemens dont le régent 6c Tellier avoient farci 1'églife ; mais il n'y en avoit, aucun qui, a quelque égard de naiffance , de rang ou d'alliance , ne valüt mieux ; au-lieu qu'il réuniffoit en lui. feul ce qu'on pouvoit leur reprocher a tous.. Le régent,.. ennuyé de la lifte, 6c fatigué de la perféeution, efpéra s'en défaire en lui difant: Mais tu es un facre! eh quel eft l'autre facre qui voudra te facrer? Oh, s'il ne tient qu'a cela, mon affaire eft bonne; j'ai mon facre tout pret. -.... Eh que diable eft celui-la ? dis donc ? .... Votra premier aumönier, monfeigneur 1'évêque de Nantes (Treffan); il eft dans votre anti-chambre, je vais, vous 1'amener; il fera charmé de la préférence; car vous me promettez 1'archevêché; & la-deffus accabla le prince de remerciemens,. fort dans 1'anti-chambre, dit a Treffan la grace que, lui Dubois, vient d'obtenir, 6c le defir qu'a le régent que Treffan foit le confécrateur ; celui-ci accepte, Dubois le prend par la main, le pré- D iv  JÖ RÉGENCE. fente au régent, redouble de remerciemens , Sc Treffan ajoute 1'éloge du fujet. Le prince eft ü étonné, qu'il ne répond rien, & Dubois fort Sc publie qu'il eft archevêque de Cambray , pour anêter toute demande. Les roués applaudiffent, les libertins en rient, Sc les honhêtes gens les moins fcrupuleux témoignent leur indignation. Quoique le régent parut avoir de la répugnance pour cette nomination, ce n'étoit, de fa part, qu'une comédie : car Dubois étoit très-für d'obtenir 1'archevêché ; puifque, dans ce même-tems, le régent cherchoit k lui procurer le chapeau de cardinal, en avoit écrit au pape deux mois au* paravant, Sc que le jéfuite Laffiteau en étoit Ie négociateur a Rome. Je vois , dans la correfpondance des deux cours, que, dès 1718,, le prétendant, réfugié a Rome, étoit dans une telle détreffe, qu'il avoit offert fa nomination k Dubois , s'il lui faifoit payer la penfion promife par le régent, Sc qui étoit fort en retard. Mais l'abbé n'avoit garde d'accepter une nomination qui Pau~roit décrédité a Londres, auprès du roi Georges* II prit le parti de fe faire un mérite de fon refus pour engager ce prince k s'intéreffer lui-même auprès du régent, en faveur d'un miniftre auteur de leur union. Le roi Georges follicita, en effet, en faveur de l'abbé, Ie régent, Sc même l'empereur, fur qui il avoit beaucoup de crédit. Clément XI étoit affez difpofé k lui donner le chapeau, pourvu que la France voulut concourir k Poter au cardinal de Noailles, dont l'abbé Dubois auroit alors la dépouille. II n'étoit pas facile de fatisfaire le pape fur le cardinal de Noailles. Cependant, comme le faint père deftinoit alors le  RÉGENCE. 57 inême traitement au cardinal Albéroni fugitif d'Efpagne, Dubois effaya de le faire arrêter par les Génois, pour 1'envoyer prifonnier a Rome, mais ils le refufèrent. Pendant que Laffiteau intriguoit a Rome (i), pour la promotion de Dubois, celui-ci jugea que la dignité d'un fiège tel que Cambray prépareroit très-bien la décoration de la pourpre, & rendroit le candidat plus préientable. II prit donc, pour fe faire archevêque, la même voie qu'il fuivoit déja pour le chapeau. II écrivit k Néricault Deftouches , qu'il avoit laifie k Londres, chargé des aff iires k fa place , d'engager le roi Georges a demander au régent 1'archevêqué de Cambray pour le miniftre auteur de 1'alliance. Deftouches, homme d'efprit, fentant, que toute fa fortune dépendoit de l'abbé Dubois, & avec quelle ponctualité il vouloit être fervi, fit la propofition au roi d'Angleterre. Ce prince la recut d'abord avec un éclat de rire. II avoit de la bonté pour Deftouches, & lui permettoit une forte de familiarite ; Sire , lui dit-il, je fens, comme votre majeftê^ la Jingularité de la demande ; mais il eft de la plus grande importance pour moi de l'obtenir, Comment veux-tu, répondit le roi, en continuant de rire, quhm prince proteftant fe mêle de faire un archevêque en France ? le régent en rira lui-même, & n'en fera nen . Pardonne^-moi, fire, il en rira, mais il le fera ; premiêrement, par refpecl pour votre ma- (i) Dans Ia correfpondance de Dubois avec Laffiteau, pour prévenir I inconvément des Iettres perdues & cacher 1'intrifue . Dubois eft defigné fous le nom de la comteffe de Gadagne , «Me ventable objet de la négociation fous celui d'un procés qu on lolhcite a Rome pour cette comteffe.  58 RÉGENCE. jeflé; en fecond lieu , paree qu'il le trouvera plaifant. , D'ailleurs, l'abbé Dubois eft mon fupérieur ; mon fort eft entre fes mains ; il me perdra, fi je nobtiens de votre majejlé une lettre prejfante d ce fujet .la voici toute écrite, & les bontés dont votie majejlé m'honore, me font efpérer qu'elle voudra bien la figner» Donne, puïfque cela te fait tant de plaifir, dit le roi, & la figna (i). Deftouches, charmé d'avoir ce dimifloire, le fit partir a Pinftant. Le régent ne douta point que Dubois n'eüt fuggéré la lettre; mais la nomination fut décidée. Deftouches, pour avoir fi bien parlé, eut a fon retour une place a 1'académie franeoife, qu'il méritoit encore mieux par fon talent dramatique. C'eft de lui que je tiens une partie de ce que je viens de rapporter. J'en parlai au maréchal de la Fare, qui me ramenoit des états de Bretagne, dont j'étois député , a la cour : Je vois, dit-il, que cela ejl vraï, cV, ce qui me le. eonftrme, c'eft ce que j'ai entendu un jmr que Le duc de Brancas, Nocé & moi allions avec le régent d Saint-Cloud. Nocé, qui étoit mécontent de Dubois > voulut égayer la compagnie aux depens de l abbe.. Monfeigneur , dit-il, on prétend que ce coquin. de Dubois veut être archevêque de Cambray} Cela eft vrai, répondit le régent, & cela peut convenir d mes affaires. On fe tut la-deffus ;. le prince parut embarraffê , un peu honteux , & j'ai toujours remarqué qu'il riaimoit pas qu'on lui parldt fur cet article. Achevons, en reflerrant un peu les tems, ce qui concerne cette affaire. L'abbé Dubois n'étant (i) La lettre de remerciement de Dubois, au Roi Georges, eft du 4 février.  RÉGENCE. 59 que tonfuré , il falloit commencer par prendre les ordres. II ne douta point que le -cardinal de Noailles ne fut très-flatté de faire ce petit plaifir k un miniftre puiftant, & qui pouvoit influer fi fort dans le parti qu'on prendroit fur la conftitution. Dubois y fut trompé. II étoit, de tout point, un fujet fi indigne de 1'épifcopat, que le cardinal, ne voulant pas fe déshonorer par une complaifance baffe & criminelle , refufa nettement. On lui fit parler au nom du régent : il répondit avec modeftie & refpeft , fans s'expliquer fur les motifs, & fut inébranlable. Ce refus humiliant & généralement applaud!, fut un des plus forts argumens qui rendirent Dubois conftitutionnaire. II n'auroit pas manqué d'évêque qui auroient bngue 1'opprobre de 1'ordonner; mais il ne vouloit pas s'éloigner de la cour, & conftater, par une abfence, 1'affront qu'il venoit de recevoir. II s'adrefla k l'archevêque de Rouen, (Bezons) dont le diocèfe s'étend k quatre ou cinq heues pres de Paris. L'archevêque, très-faché de la préférence qui 1 expofoit a la honte de 1'acceptation ou au danger du refus , penchoit fort pour le dernier parti ; mais fon frère, le maréchal de Bezons, homme groflier & fin courtifan , 1'attaqua fur la reconnoifiance qu ils ^ devoient 1'un & l'autre au régent, & 1'entraina fous cette apparence de bon procédé. Dubois , muni d'un bref pour recevoir tous les ordres k la fois, & d'une permiflion de 1'archevêque de Rouen, fe rendit de grand matin , avec 1'évêque de Nantes , dans une paroiffe de  60 RÉGENCE. village du grand vicariat de Pontoife , la plus voifine de Paris, & y recut tous les ordres a une meffe baffe. II en repartit affez tót pour fe trouver au confeil de régence , quoique les premiers arrivés, euffent déja annoncé , en préfence du régent,, qu'il ne falloit pas attendre l'abbé, qui étoit allé faire fa première communion a Pontoife. On fe récria fur fa diligence , quand on le vit entrer ; le prince de Conti lui fit un compliment ironiqite fur la célérité de fon expédition, en fait d'ordres facrés.. Dubois 1'écouta fans fe démonter, & répondit froidement, que fi le prince étoit mieux inftruit de 1'hiftoire de 1'églife , il ne feroit pas fi furpris des ordinations. précipitées , & cita la-deffus celle de faint Ambroife. Chacun applaudit k 1'érudition & au parallèle. L'abbé ne s'en émut pas, laiffa continuer la plaifanterie tant qu'on voulut, 8c quand on en fut las, il paria d'affaires. Pendant que Paris & la cour s'amufoient de l'abbé & de faint Ambroife, on expédioit les bulles , & le facre fut fixé au dimanche 9 juin.. II fe fit au Val-de-Grace , avec la plus, grande magnificence. Toute la cour y fut invitée,. & s'y trouva. Les ambaffadeurs & autres miniftres des princes proteftans y affiftèrent dans une- tribune oppqfée a celle oü étoit le régent, dont les grands officiers, faifoient les honneurs de la cérémonie.. Ce fcandale eccléfiaftique fut le plus fuperbe fpe&acle. Le duc de Saint-Simon, qui fe vantoit d'être. le feul homme titré que l'abbé Dubois eüt affez refpefté pour 1'excepter de 1'invitation, offrit au régent de s'y trouver, fi ce prince vouloit fe refpe&er  RÉGENCE. 6f affez lui-même pour s'en abftenir, & le régent y avoit conlènti ; mais la comteffe de Parabère , ( la Vieuville ) la maitreffe alors régnante, ayant paffé la nuit avec lui, exigea qu'il iroit. II lui en repréfenta Pindéeence, elle en convint, mais elle ajouta: Dubois faura que nous avons couché enfemble cette nuit, il fe prendra k moi de vous en avoir détourné, &, avec 1'afcendant qu'il a pris fur vous , il finira par nous brouiller. Le régent effaya de la raffurer fur fes craintes , la traita de folie. Folie, tant qu'il vous plaira, lui dit-ellei mais vous irez, ou je romps avec vous, ne füt-ce que pour öter a l'abbé Phonneur de nous défunir lui-même ; & le régent alla du lit de la Parabère au facre de l'abbé Dubois, afin que toute fa journée fe reffemblat. Le cardinal de Rohan voulut être le confécrateur ; & comme 1'ambition, 1'intérêt & 1'orgueil réunis font de finguliers raifonnemens, il fe perfuada que le cardinal de Noailles feroit humilié de voir un homme a qui il avoit refufé les ordres , avoir pour confécrateur , un cardinal , prince de 1'Empire. Noailles ne fe tint pas pour humilié ; mais le régent, très-flatté, & Dubois, très-honoré du procédé du cardinal de Rohan , lui en firent les plus vifs remerciemens , tandis que le public étoit révolté de tant de baffeffe. A 1'égard des affiftans , 1'évêque de Nantes fut le premier. II avoit donné les ordres , il étoit naturel qu'il fuivit fon gibier. Dubois n'étoit pas fi aveuglé de la proftitution de tant d'honneurs, qu'il ne fentit que Paffiftance d'un évêque refpecfable feroit très-bien a la cérémonie. Le régent pria Maffillon , évêque de Clermont, d'ê-  6z RÉGENCE. tre le fecond afliftant. Mafïillog auroit bien voulu s'en difpenfer ; mais la grace fingulière d'avoir été fait évêque, n'ayant que du mérite, lui fit craindre que fon refus ne fut taxé d'ingratitude. II avoit fallu payer pour lui fes bulles , lui avancer de quoi fe procurer les meubles néceffaires a fa nouvelle dignité, afin qu'il n'humiliat pas trop les autres par fa pauvreté, & qu'il ne reffemblat pas abfolument a un évêque de la primitive églife. D'ailleurs, 1'étude & la retraite avoient pu 1'empêcher d'être parfaitement inftruit de toute la dépravation du nouveau prélat. Ajoutez a ces raifons, une forte de timidité que la vertu bourgeoife conferve au milieu de la cour. II obéit enfin a la néceffité. Les rigoriif.es le blamèrent , & les gens raifonnables le plaignirent & 1'excufèrent. Le mariage de mademoifelle de Valois avec le prince de Modène n'avoit pas tant fait d'éclat que le facre de l'archevêque de Cambray. Les fiancailles fe firent dans le cabinet du roi, ou il ne fe trouva guère que les princes & princeffes du fang, paree qu'il n'y eut point d'invitation (i). Le lendemain, le duc de Chartres, chargé de la procuration du prince de Modène, époufa , dans la chapelle des Tuileries , mademoifelle de Valois, dont la queue étoit portée par mademoifelle de Montpenfier fa fceur , depuis reine d'Efpagne. Le cardinal de Rohan donna la bénédic- (i) Les fils de France ne prient point, comme les fimples princes du fang, aux fiancailles de leurs enfans j mais le régent n'étoit que petït-fils de Franc».  RÉGENCE. 63 tïon, en préfence des curés de Saint-Euftache & de Saint-Germain. Après la meffe, le roi donna Ja main a la mariée , la conduifit jufqu'è fon carroffe , & fuivant 1'ufage, dit au cocher a Modène. A Quoiqu'elle eüt le même cortège que fi elle füt réellement partie, elle retourna au PalaisRoyal, Sc prolongea , autant qu'elle le put, fon féjour : la rougeole qu'elle eut, & fa convalefcence, lui fournirent encore des prétextes pour différer fon départ. II fallut enfin s'y déterminer; mais s'éloignant k regret, elle fit les plus petites purnées, les plus longs féjours fur fa route, Sc n'acheva fon voyage que par des ordres réitérés que lui attirèrent les plaintes du duc de Modène. Elle fongeoit dès-lors k profiter de la lecon de la grande ducheffe de Tofcane , qui lui dit, quand elles prirent congé 1'une de l'autre : Mon enfant, faites comme mol , aye^ un ou deux enfans , & tdchei de revenir en France. Il ny a que ce paysId de bon pour nous. Toutes nos princeffes ont en effet ce qu'on nomme la maladie du pays. Auffi la ducheffe de Modène y efl-elle revenue dès qu'elle a pu. Elle préféroit k la repréfentation de fa petite cour les agrémens de la fociété de Paris, oü elle eft morte. Auffi-töt qu'Albéroni eut été chaffé, la paix ne trouva plus de difficulté; le roi d'Efpagne accéda a la quadruple alliance, Sc même écrivit au régent une lettre d'amitié. Stanope Sc Dubois arrangèrent enfemble les articles que le miniftère efpagnol accepta. Philippe V, délivré d'Albéroni, ne prit point de premier miniftre en titre,  64 RÉGENCE. & chargea Grimaldo du rapport des affaires, en qualité de fecretaire des dépêches univerfelles. Grimaldo, Bifcayen, prit le nom de Grimaldi depuis fa fortune. C'étoit un homme de mérite, originairement commis dans les bureaux d'Orry, qui le fit connoitre de la princeffe des Urfins, & par elle du roi. 11 parvint par degrés a être fecretaire de la guerre; car on croit quelquefois en Efpagne, qu'un homme capable de remplir une place , peut 1'occuper préférablement k un noble ignorant, qui ne pourroit pas fe paffer des fubalternes : témoins Grimaldo , Patino, 1'Enfenada. Lorfqu'Albéroni s'empara du gouvernement d'Efpagne, il en écarta les créatures de la princeffe des Urfins. Grimaldo fut du nombre, confervant néanmoins fon titre de fecretaire d'état, mais fans foncnons. II avoit mérité 1'eftime publique dans fa faveur; il la conferva , & même 1'augmenta dans fa difgrace , par 1'attachement qu'il témoigna toujours pour la princeffe des Urfins & Orry, les premiers auteurs de fa fortune. Modefte dans la faveur , il n'eut point k changer de maintien après fa chüte. Quoique Philippe V 1'aimat, il n'ofa le foutenir contre Albéroni & la reine; mais il le mandoit quelquefois en fecret , & le voyoit avec plaifir. Grimaldo fe trouva donc naturellement en place k la chüte du premier miniftre, & la reine ne put du moins lui refufer fon eftime. Le régent, affuré de la paix au-dehors, ne jouiffoit pas de la même tranquillité dans 1'intérieur de 1'état; 1'illufion du fyftême commencoit a fe diffiper. On vint infenfiblement a com- prendre  RÉGENCE. K - prendre que toutes ces richeffes de papier n'étoient qu'idéales , fi elles ne portoient fur des fonds réels, & que des opérations qui peuvent convenir dans certaines conjonftures k un peuple libre, font pernicieufes dans une monarchie ou Pabus du pouvoir dépend d'une maitreffe ou d'un favori. Les profufions du régent charmoient la cour & rumoient la nation. Les grands payèrent leurs dettes avec du papier, qui n'étoit quune banqueroute légale. Ce qui étoit le fruit du travad & de 1'indufirie de tout .un peuple, fut la proie du courtifan oifif & avide. Le papier perdit bientöt toute faveur , par la furabondance feule : on chercha a le réalifer en efpèces ; au défaut de matières monnoyées, on achetoit, k quelque prix que ce fut, les ouvrages d'orfévrerie , de meubles , & généralement tout ce qui pourroit conferver une valeur réelle après la chüte des papiers. Chacun ayant le même empreflement , tout devint d'une cherté incroya-, ble, & la rareté des efpèces les faifoit refferrer de plus en plus. Le gouvernement voyant Pivreffe diffipée, & qu'il n'y avoit plus de moyen de feduire, ufa de violence. L'or , Pargent les pierreries furent défendus. II ne fut pas permis d'avoir plus de 500 livres d'efpèces. On fit des recherches jufques dans les maifons religieufes. II y eut des confifcations, on excita, on encouragea, on récompenfa les dénonciateurs. Les valets trahirent leurs maitres , le citoyen devint Pefpion du citoyen ; ce qui fit dire k mylord Stairs qu'on ne pouvoit pas douter de la Catholicité de Law, puifqu'il établiffoit Pinquifition , après avoir déja prouvé la tranfubftantiation, par le Tomc II, £  66 R É 'G E N CE. changement des efpèces en papier. Quand Ie fyftême n'auroit pas été pernicieux en foi, 1'abus en auroit détruit les principes. On n'avoit plus m plan ni objet déterminé : au mal du moment, on cherchoit aveuglément un remède, qui devenoit un mal plus grand. Les arrêts, les déclaratiöns fe multiplioient; le même jour en voyoit paroitre qui fe détruilbient les uns les autres. Jamais gouvernement plus capricieux , jamais defpotifme plus frénétique ne fe virent fous un régent moins ferme. Le plus inconcevable des prodiges, pour ceux qui ont été témoins de ce tems-la, Sc qui le regardent aujourd'hui comme un rêve, c'eft qu'il n'en ait pas réfulté une révolution fubite; que le régent Sc Law n'aient pas péri tragiquement. Ils étoient en horreur ; mais on fe bornoit a des murmures; un défefpoir fombre Sc timide , une confternation ftupide avoient faifi tous les efprits; les cceurs étoient trop avilis pour être capables de crimes courageux. On n'entendoit parler a la fois que d'honnêtes families ruinées, de mifères fecrètes, de fortunes odieufes , de nouveaux riches étonnés Sc indignes de Vérre, de grands méprifables, de plaifirs ïnfenfés , de luxe fcandaleux. La facilité , la néceffité même de porter fur foi des fommes confidérables en papier, pour le négocier , rendoient les vols très-communs; les affaffinats n'étoient pas rares. II s'en fit un, dont !e chatiment jufte Sc néceffaire fit une nouvelle dans une grande partie de 1'Europe. Antoine-Jofeph, comte de Horn, agé de vingtdeux ans , capitaine réformé dans la cornette blanche; Laurent de Mille, Piémontois, capitaine.  R e* g é n c e.' fëfornié dans le régiment de Brehenne, Allemand, & un prétendu chevalier d'Eftampes (i), comploterent d'affaffiner un riche agioteur, & de s'emparer de fon portefeuille. Ils fe rendirent dans ia rue Qiuncampoix, &, fous prétexte de négocier pour cent mille écus d'actions , conduifirent 1 agioteur dans un cabaret de Ia rue de Venife, (le 22 mars, vendredi de la paffion) & le poignardèrent. Le malheureux agioteur , en fe débattant, fit affez de bruit pour qu'un garqon du cabaret , paffant devant la porte de la chambre, oit étoit ia clef, 1'ouvrit ; & voyant un homme ïioyé dans fon fang, retira auffi-töt la porte, la referma k deux tours, & cria au meurtre. Les affaffins , fe voyant enfermés , fautèrent par la fenêtre. D'Eftampes, qui faifoit le guet fur 1'efcaher, s'étoit fauvé aux premiers cris, & courut a un hotel garni rue de Tournon,, oü ils logeoient tous trois, prit les effets les plus portatifs & s'enfuit. Mille traverfa toute la foule de la rue Quincampoix , mais fuivi par le peuple, d fut enfin arrêté aux halles. Le comte de Horn le fut en tombant de la fenêtre. Croyant fes deux complices fauvés, il eut affez de préfence d'efprit pour dire qu'il avoit penfé être aflafliné en voulant défendre celui qui venoit de 1'être. So'n plan n'étoit pas trop bien arrangé, & devint inutile par 1'arrivée de Mille, qu'on ramena (i) Ou Duterne , fuivant la déclaration des deux condamnes qui, ne le connoiffant que depuis peu, favoicnt imparfaitetnent fon nom. On fut depuis qu'il fe nommoit LeLng , age alors de vingt ans, & fils d'un banquier flamand. II a errl f^Xta^1"*' d3nS diff"WS ét3tS' &aP^dans  68 5 RÉGENCE. dans le cabaret, & qui avoua tout. Le comte de Horn voulut en vain le méconnoitre; le commiifaire du quartier le fit conduire en prifon. Le crime étant avéré, le procés ne fut pas long, & dès le mardi faint, 26 mars, 1'un & l'autre furent roués vifs en place de Grève. Le comtè de Horn étoit apparemment le premier auteur du complot : car , avant 1'exécution , & pendant qu'il refpiroit encore fur la roue , il demanda pardon a fon complice , qui fut exécuté le dernier, & mourut fous les coups. J'ai fu du chapelain de la prifon une particularité qui prouve bien la réfignation & la tranquillité d'ame du comte de Horn. Ayant été remis entre les mains du chapelain, en attendant le dofteur de Sorbonne, confeffeur (1) , il lui dit: je mérite la roue; j'efpérois qu'en confidération de ma familie, on changeroit mon fupplice en celui d'être décapité; je me réfigne a tout, pour obtenir de Dieu le pardon de mon crime. II ajouta tout de fuite : fouffre-t-on beaucoup quand on eft roué ? Le chapelain , interdit de cette queftion, fe contenta de répondre qu'il ne le croyoit pas, & lui dit ce qu'il imagina de plus confolant. Le régent fut affiégé de toutes parts pour accorder la grace, ou du moins une commutation de peine. Le crime étoit fi atroce qu'on n'infifta pas fur le premier article; mais on redoubla de follicitations fur l'autre. On repréfenta que le fupplice de la roue étoit fi infamant, que nulle (1) Guétet, curé de Saint-Paul, qui depuis 1'a été de Da-  RÉGENCE. 69 fille de la maifon de Horn ne pourroit, jufqu'a la troifième génération, entrer dans aucun chapitre. Le régent rejetta les prières pour la grace. Sur ce qu'on effaya de le toucher par 1'honneur que le coupable avoit de lui être allié par madame: eh_ bien , dit-il, j'en partagerai la honte; cela doit confoler les autres parens. II cita , a ce fujet , le vers de CorneiUe : Le crime fait la honte , & non pas Vèchafaud. Maxime vraie en morale, & fauffe dans nos mceurs. Dans un état oh la confidération fuit Ia naiffance,, le rang, le crédit & les rich.efles , tous moyens d'impunité , une familie qui ne peut fouftraire a la juftice un parent coupable, eft convaincue de n'avoir aucune confidération , & par conféquent eft méprifée ; le préjugé doit donc fubfifter. Mais il n'a pas lieu , ou du moins il eft plus foible, fous le defpotifme abfolu ou chez un peuple libre , par-tout ou 1'on peut dire : tu es un efclave comme moi, ou je fuis libre comme toi. Chez le defpote, 1'homme condarané n'eft cenfé coupable que d'avoir déplu.. Dans un pays libre, le coupable n'eft facrifié, qu'a la juftice; & quand elle ne fera. acception de perfonne , la plupart des families auront leur pendu, & par conféquent befoin d'une indulgence, d'une compaftion réciproque, Alors les fautes étant perfonnelles , le préjugé difparoïtra; il n'y a pas d'autre moyen de 1'éteindre. Le régent fut prés d'accorder la commutation de peine ; mais Lav & l'abbé Dubois lui firent voir la néceflité de maintenir la füreté publique dans un tems ou chacun étoit porteur de toute E iij  7© RÉGENCE. fa fortune. Ils lui prouvèrent que le peuple ne feroit nullement fatisfait, Sc lè trouveroit humilié de la diftin&ion du fupplice pour un crime fi noir 8c fi public. J'ai fouvent entendu parler de cette exécution, 8e ne 1'ai jamais entendu blamer que par des grands, parties intérefiees; Sc je puis dire que je n'ai pas dilfimulé mon fentiment devant eux. Lorfque les parens ou alliés eurent perdu tout efpoir de fléchir le régent, le prince de Robee Montmorenei Sc le maréchal d'Ifenghen d'aujourd'hui, que le coupable touchoit de plus prés que d'autres, trouvèrent le moyen de pénétrer jufques dans la prifon, lui portèrent du poifon, Se 1'exhortèrent a fe fouftraire, en le prenant, & la honte du fupplice; mais il le refufa. Va , malheureux, lui dirent-ils , en le quittant avec indignation , tu n'es digne de périr que par la mam du bourreau. Je tiens du grefBer criminel, qui m'a communiqué le procés, les principales circonftances. Le comte de Horn étoit, avant fon dernier crime, connu pour un efcroc , &, de tous points „ un mauvais fujet. Sa mere , fille du prince de Ligne, duc d'Aremberg, grand d'Efpagne, & chevalier de la toifon ; 6c fon frère ainé, Maximilicn-Emmanuel, prince de Horn, inftruits de la mauvaife conduite du malheureux dont il s'agit, avoient envoyé un gentilhomme pour payer fes dettes, le ramener de gré, ou obtenir du régent un ordre qui le fit fortir de Paris; malheurenfement il n'arriva que le lendemain du crime (i). (i) Ti? mnifon rie Horn a pris fon nom de !a petire ville de  RÉGENCE. 71 On prétendit que le régent, ayant adjugé la confifcation des biens du comte de Horn , au prince de Horn fon frère, celui-ci écrivit la lettre fuivante : Je ne me plains pas , monfeigneur, de la mort de mon frère; mais je me plains que V. A. R. ait violé, en fa perfonne, les droits du royaume , dela nobleffe , & de la nation. (Le reproche n'eft pas fondé ; 1'affaffinat prémédité eft puni de la roue, fans diftin&ion de naiffance. ) Je vous remercie de la confifcation de fes biens ; je me croirois aufji infame que lui, fi je recevois jamais aucune grace de vous. J'efpère que Dieu & U roi vous rendront un. jour une juftice aufji exacte que vous Cave^ rendue d mon malheureux frère,. Dans le même tems que le régent facrifioit 1e comte de Horn a la vindifte publique, il faifoit faire, en Bretagne, un autre facrifice a la tran- Horn en Brabant, de 1'ancien comté de Lootz, dans la feigneurie de Liege, prés & vis-a-vis de Ruremonde. II y a eu trois branches de cette maifon. Les deux premières font eteintes Le chef de la première époufa Anne d'Egmont, veuve de Jofeph de Montmorenei, feigneur de Nivelle. N'en ayant point eu denfant, ïladopta les deux Montmorenei qu'elle avoit eus de fon premier man, Philippe & Florh de Montmorenei. Philippe fut celui a qui le duc d'AIbe fit couper Ia tête, en 1568. iloris, fon frere, eut le même fort en Efpagne, en it.70, pour j}Y°'r P°rte a philippe II les plaintes des Pays Bas , contre l etabliffement de I inquifiti ,n. Leurs deux fceurs furent manees dans Ia maifon de Lallain. La feconde branche eft pareillement eteinte. La troifième branche fubfiftoic en 1720 . dans Maximdien Emmanuel, prince de Hom, & fon malheuleux frere. Leur-père, Philippe-Emmanpel, prince de Horn. avoit fervi en France, en qualité de lieutenant-général , aux fieges de Brizac & de Landau, a la bataille de Spire & a celle de Ramillies , oü il recut fept bleffures, & fut fait prifonnier. ILorlqua la paix d'Utrecht, les Pays-Bas paffèrent a la maifoa d-.Autnche, la maifoa de Horn. rentra fous la doraination de lempereur, E iv,  72 RÉGENCE, quillité de fa régence. La chambre royale, établie a Nantes, fit le même jour, 26 mars, trancher la tête a quatre gentilshommes bretons (1), pour crime de lèze-majefté & de félonie. II y en eut feize d'efügiés, & un trés-grand nombre d'autres dont le procés fut terminé par une amniftie. J'ai déja parlé de cette affaire. Tous ces malheureux gentilshommes , dont la plupart ne fe doutoient pas de ce dont il étoit queftion, furent les vi&imes des féduöions de Cellamare & de la folie de la ducheffe du Maine. Je n'ajouterai que peu de circonftances. Toute la ville fut garnie de troupes, défenfè aux bourgeois de fortir de leurs maifons, les canons du chateau tournés contre la ville. Montlouis , en montant fur 1'échafaud , voyant en pleurs ceux qui étoient autour , leur dit : Mes compatriotes , nous mourons pour vous , priez Dieu pour nous. D'Evry, rapporteur du procés » & qui vient de mourir, a dit plufieurs fois qu'il s'attendoit a la grace, après avoir vu rendre la liberté k la ducheffe du Maine; ce qui prouve affez qu'elle étoit la principale coupable. Le régent, ne fachant comment fournir au. paiement des rentes & des penfions , dont fes profufions augmentoient tous les jours la maffe , avoit ordonné, par arrêt du confeil du 6 février % le rembourfement en papier, ou la réduftion k deux pour cent de toutes les rentes, Par édit du mois de mars fuivant, toutes les conftitutions de rentes furent fixées au même denier cinquante r (1) De Guer Pontcallet, de Montlouis, le Mpyne , dit 1* chevalier de Talhouet, du Coëdic.  RÉGENCE. 73 comme fi le prix de 1'argent ne dépendoit pas uniquement de fa rareté ou de fon abondance. Le prince peut fixer le taux légal de 1'intérêt; mais jl ne peut contraindre les prêteurs. Le parlement refufa d'enregiftrer, tant 1'arrêt que 1'édit, & fit des remontrances qui ne conflatoient que le droit d'en faire, & leur inutilité. Le premier préfident , encore dans la crife de fon entrevue avec le régent, feignit d'être malade pour ne pas fe trouver en oppofition avec le prince ou avec le parlement Nous le verrons reparoïtre, quand il trouvera les conjonétures favorables pour lui. Elles ne tardèrent pas. , To«s les gens de la cour , obérés de dettes , s'en étoient libérés avec du papier, qui ne leur avoit coüté que des baffefles. L'honnête bourgeoifie étoit ruinée, & 1'on exerca, fur le bas peuple, desviolences inouies, al'occafion du Miffiffipi, aujourd'hui la Louifianne, Lav , voyant bien qu'il falloit donner aux aftions un fondement du moins fiétif, le fit porter fur les prétendues richeffes qui reviendroient du Miffiflipi. C'étoit, difoit-il, une terre de promifïïon , abondante en denrées de toutes efpèces, en mines d'or & d'argent. II ne s'agiffoit plus que d'y envoyer des colons, qui, en s'y enrichiflant eux-mêmes, feroient encore les auteurs des richeffes de la France. Cet appat ne réufliflant pas, on prit tous les garnemens & les filles perdues qui étoient dans les prifons & les maifons de force, & on les fit embarquer. On fe faifit enfuite des gens fans aveu , &, comme ceux qu'on emploie pour purger une ville de coquins, n'en différent guère, fous pré-  74 Régence. texte de vagabonds, ori enleva une quantité d'hoanêtes artifans &c de fils de bourgeois. Les archers en mettoient en charte privée, & leur faifoient racheter leur liberté. Les excès allèrent fi loin , que la patience du peuple s'en lafla. On repoufla les archers, il y en eut de tués, & le miniftère, ïntimidé a fon tour, fit cefler cette perfécution odieufe. On fut depuis que prefque tous les. malheureux , conduits k main armée , livrés, pour toute fubfiftance, a la charité des provinces qu'on leur faifoit traverfer, avoient péri en route , dans. la traverfée ou dans la colonie. Le régent &c Law ne fachant plus a quoi recourir pour faire face aux effets royaux, le confeil donna, le 21 mai , ce fameux arrêt, qui les, réduiioit tous k la moitié de leur valeur. Les. cris furent univerfels, quand on vit, par cette réduftion, le peu de fonds qu'il y avoit. k faire fur l'autre moitié. Le premier préfident, voyant que le régent avoit perdu terre& que tous les citoyens étoient dans un accès de fureur,, reparut fur la fcène ,, & affembla le parlement; mais.le régent envoya,. dès le 27 , la Vrillière fecretaire d'état,. fufpendre toutes délibérations, & annoncer un nouvel arrêt du confeil ,. qui fut publié le lende-* main , pour rendre aux effets. toute leur valeur. Le coup étoit porté. La confiance s'infpire par degrés; mais un inftant la détruit, & il eft. alors. comme impoflible de la rétablir ; aufli ne putelle fe relever. Le régent fut fi effrayé lui-même des cris , des rumeurs, des imprécations, des. libelles mérités, qu'il effaya de rejetter totalement fur Law la haine publique , en lui ötant 1'adroi-  RÉGENCE. 75 niftration des finances; Sc, lorfqu'bn le lui amena au Palais-Royal, il refufa hautement de le voir; mais , le foir même , il le fit introduire par une porte fecrète, pour lui donner quelques confolations, Sc lui faire des excufes. Comme la conduite de ce prince étoit auffi inégale qu'ïnconféquente , deux jours après il mena avec lui La\sr a 1'opéra. Cependant, pour le mettre k couvert de la fureur du peuple, il lui donna une garde de Suiffes dans fa maifon. La précaution n'étoit pas inutile; Lav avoit été affailli de coups de pierres dans fon carroffe , Sc, pour peu qu'il eüt été loin de chez lui, il auroit été lapidé. Sa femme & fa fille penfèrent avoir le même fort au cours, oü elles eurent 1'imprudence de fe montrer, fans faire attention que la multitude n'eft pas compofée de courtifans. D'ailleurs , la qualité d'étranger, en France, & dans quelque état que ce foit, aggrave bien les torts d'un miniftre. Si Richelieu eüt été italien, il auroit peut-être parmi nous, malgré les éloges de 1'académie, un auffi mauvais renom que le cardinal Mazarin, quoique d'un autre genre. Le régent fe faifoit intérieurement affez de juftice, pour fentir qu'il avoit plus de reproches a fe faire qu'a Law. Celui-ci fe réfugia au PalaisRoyal, paree que 1'émeute populaire fe renouvella plufieurs fois contre lui. II imputoit la chüte de fon fyftême au garde-des-fceaux, qui, forcé de céder 1'adminiftration des finances , en avoit barré toutes les opérations, Sc confeillé 1'arrêt du 21 mai. Dubois, k qui le fyftême avoit procuré tant d'argent, Sc qui en efpéroit encore, appuya le  76 RÉGENCE. reffentiment de Law , Se 1'un & l'autre déterminèrent le régent a rappeller le chancelier d'Agueffeau. La-w, Sc le chevalier de Conflans, premier gentilhomme de la chambre du régent, allèrent enfemble le chercher a Frênes , pendant que Dubois alloit, de la part du régent, demander a d'Argenfon les fceaux, qui furent rendus au chancelier, dont la réputation recut une telle atteinte d'avoir été ramené par Law , qu'elle ne reprit que très-difficilement fon premier luftre. Les honneurs de garde-des-fceaux furent confervés a d'Argenfon. Ces diftin&ions, Se la fortune pécuniaire qu'il s'étoit procurée, car il étoit né très-pauvre, ne le préfervèrent pas de la maladie de miniftre difgracié, efpèce de fpléen qui les failit prefque tous, 8c dont la plupart périffent. Dès le moment que le controle général fut öté a Law, qui ne conferva que la banque & la compagnie des Indes , Pelletier des Forts fut nommé commiffaire général des finances, Sc eut pour adjoints d'Ormeffon & Gaumont. Le régent, pour gagner la faveur du public, ou en diminuer la haine, parut d'abord affocier le parlement a fes opérations. Par arrêt du confeil du premier juin, il fut permis d'avoir chez foi telle fomme d'argent qu'on voudroit; mais peu de perfonnes étoient en état d'ufer de la permiffion. Cinq députés du parlement furent admis a conférer avec les commiffaires des finances. Pour retirer les billets de banque, on créa % 5 millions de rentes fur la ville, dont le fonds étoit a deux & demi pour cent, Sc les billets conftitués étoient brülés publiquement a Phötel-de-ville.  Régence. 77 Mais cela ne donnoit pas aux particuliers Pargent néceifaire pour les befoins preffans 8e journaliers. Les denrées les plus communes étant montées a un prix exceffif, 8c les billets refufés par tous les marchands, on fut obligé de diftribuer a. la banque un peu d'argent aux porteurs de billets. La foule y fut fi grande, qu'il y eut plufieurs perfonnes étouffées ; on porta trois corps morts a la porte du Palais-Royal. Ce fpeftacle fit une telle impreffion, que tout Paris fut prés de fe foulever. Le Blanc, fecretaire d'état, y accourut, manda le guet 6c la garde des Tuileries; mais en attendant leur arrivée, il prit fon parti en homme d'efprit, 6c appercevant fept ou huit hommes robuftes, qui pouvoient très-bien figurer dans une révolte populaire, 6c même la commencer : mes enfans, leur dit-il tranquillement , prenez ces corps , portez-les dans une églife, 8c revenez promptement me trouver pour être payés. II fut obéi fur le champ, 8c les troupes qui arrivèrent, difperfèrent, par leur feule préfence, la multitude, qui n'avoit plus devant les yeux les cadavres capables de faire tant d'impreffion. Une partie de la populace avoit déja quitté le Palais-Royal , pour fuivre les corps qu'on emportoit, foit par une curiofité machinale, foit pour participer a la récompenfe promife. Le même jour, on publia une ordonnance qui défendoit au peuple de s'attrouper fous les peines les plus rigoureufes. Le^ gouvernement étoit fi dépravé , qu'aucun honnête homme n'y avoit de confiance. On brülqit depuis quelques jours, k 1'hótel-de-ville, les billets qu'on retiroit du public; Trudaine, pré-  f% RÉGENCE, vöt des marchands, en préfence de qui cela fe faifoit , aux yeux de tout le corps- municipal, crut remarquer des numéros qui lui avoient déja paffé entre les mains , 6c manifefta affez crüment fes foupcons. Trudaine étoit un homme d'un efprit droit, plein d'honneur 6c de juftice , de mceurs févères , élevé dans 1'efprit 6c les principes de Pancienne magiftrature, ennemi des routes nouvelles , 6c encore plus de celles qui lui paroiffoient obliques, dés-la frondeur du fyftême, nullement politique, même un peu dur : fon fils, avec plus de lumières, lui reffemble affez; c'eft une bonne race. Les foupcons du prévöt des marchands pouvoient être mal fondés ; mais ils reffembloient fi fort a la vérité, fa place influoit tellement fur la confiance publique, que le régent la lui öta, 6c la donna a Chateauneuf. On repréfenta inutilement qu'il étoit contre toute règle de déplacer 'un prévót des marchands avant la fin de fa prévöté, 6c contre toutes les loix municipales d'y placer un étranger (i); que cette injuftice faite k un homme vertueux 8c cher au peuple, accréditeroit la défiance , loin de la détruire. Les régies n'arrêtoient guère le régent; ainfi Trudaine fut dépofé , .8c le feul qui ne fut point touché de cette injuftice. L'agiot trop refferré dans la rue Quimcampoix, avoit été transféré a la place Vendöme : la s'af. (i) Caftagrtères de Chateauneuf étoit né a Chambéry en Savoie : il avoit été premier préfident de la cour fupérieure de cette ville , puis naturalifé en France, ambaffadeur en Portugal , en Hollande, a la Porte, & préfident de la chambre royale 4q Nantes. . -  RÉGENCE. 79 fembloient les plus vils coquins & les plus grands feigneurs , tous réunis & devenus égaux par 1'avidité. On ne citoit guère a la cour que le chancelier, les maréchaux de Villeroi & de Villars, les ducs de Saint-Simon & de la Rochefaucault qui Te fuffent préfervés de la contagion. Le maréchal de Villars , fanfaron des qualités mêmes qu'il avoit, traverfant un jour la place dans un carroffe brillant chargé de pages & de laquais, voulut tirer pour fa vanité quelque profit de fon défintéreffement. Sa marche étant retardée par la foule, il mit la tête a la portière, déclama contre la honte de 1'agiot, 1'opprobre de la nation, ajoutant que pour lui il étoit bien intact, fur 1'argent. II partit k l'inllant une huée générale de gens qui crièrent : Eh les fauve-gardes ! eh les fauvegardes ! dont le maréchal avoit tiré grand parti, quand il cemmandoit 1'armée. Ces cris qui fe répétoient par écho, d'un bout de la place a l'autre , impofèrent fdence au maréchal, qui fe renfonca dans fon carroffe, paffa comme il put, & ne revint plus haranguer. M. le duc fe vantant un jour ingénuement de Ia quantité d'aftions qu'il poffédoit, Turmenies, ga- de du tréfor royal, homme d'efprit & qui s'étoit acquis un droit ou un ufage de familiarité avec les princes mêmes , lui dit : Monfeigneur, deux aöions de votre aïeul valent mieux que toutes celless-la. M. le duc en rit, de peur d'être obligé de s'en facher. Ce même Turmenies "fe trouvant k 1'arrivée du comte de Charolois, après trois ans de voyage, s'empreffoit, avec beaucoup d'autres , de marquer fa joie. A peine ce prince les regarda-t-il; fur quoi Turmenies fe tournant  80 R É Ü E N C £. vers 1'aftemblée : Meffieurs , dit-il, dépenfez bien de 1'argent a faire voyager vos enfans, voila comme ils en reviennent I Le comte de Charolois, en arrivant, entra au confeil de régence, & ne le fortifia pas. Le chancelier fe trouvant incommodé du tumulte de 1'agiot dans la place Vendöme, oii eft la ehancellerie, le prince de Carignan, plus avide d'argent que délicat fur fa fource, offrit fon hotel de Soiffons. 11 fit conftruire dans le jardin une quantité de petites baraques, dont chacune étoit louée cinq eens livres, par mois : le tout rapportoit cinq eens mille livres par an. Pour obliger les agioteurs de s'en fervir, il obtint une ordonnance qui, fous prétexte d'établir la police dans 1'agiot, &c de prévenir la perte des porte-feuilles, défendoit de conclure aucun marché ailleurs que dans ces baraques. Le parlement, depuis que fes députés conféroient avec les commiffaires des finances, fe flattoit déja de participer a 1'adminiftration ; cette , illufion ne dura pas. Un édit portant attribution de tout commerce a la compagnie des Indes, fut porté au parlement pour y être enregiftré, le 17 juillet, le jour même qu'il y eut des gens étouffés. Pendant qu'on difcutoit cette affaire avec chaleur, le premier préfident fortit un moment, dit en rentrant ce qui venoit d'arriver a la banque , & que le carroffe de Law avoit été mis en pièces. Tous les magiftrats fe levant en pied, avec un cri de joie peu digne de la gravité de la féance : Et Law ejl-ü déchirê par morceaux ? Le premier préfident répondit qu'il ignoroit les fuites du tumulte. Toute la compagnie rejetta 1'édit ,  Régence. Si dit, Sc rompit la féance, pour courir aux nou'velles. Le régent, outré du peu de complaifance du parlement, afiembla, le jeudi 18, un confeil fecre't oü il fut réfolu de transférer le parlement a Blois. Le chancelier y opina comme les autres, avec Pernbarras d'un homme ennuyé de 1'exil Sc qui craint d'y retourner. II obtint cependant du régent, après le confeil, de choifir Pontoife aulieü de Blois. Le dimanche li , fans que rien eüt tranfpirë, plufieurs compagnies des gardes s'emparèrent, dès quatre heures du matin, des cours Sc des dehors du palais ; une partie des moufquetaires occupa la grand'chambre, Sc d'autres 1'hötel du premier préfident, 'tandis que leurs camarades portoient a tous les magiftrats ordre de fe rendre a Pontoife. Cette tranflation du parlement a fept Tieues de Paris, loin de relever I'autorité, la rendit ridicule , Sc devint une fcène comique par les circonftances qui 1'accompagnèrent. Dès le foir, le régent fit porter au procureur-général 100,000 livres en argent Sc autant en billets, pour en aider ceux qui en auroient befoin. Le premier préfident eut une fomme encore plus forte pour foutenir fa table , Sc tira a diverfes reprifes plus de 500,000 livres du régent ; de forte que la féance de Pontoife devint une forte de vacance de plaifir. Le premier préfident tenoit table ouverre, & ceux qui, par incommodité ou autrement, defiroient de refter chez eux, envoyoient k la première préfidence chercher ce qu'ils vouloient. L'a- Tomg H. F  8z R £ G E N C Ë. près-midi-, des tables de jeu dans les appartemens des calèches toutes prêtes dans les cours pour ceux Sc celles qui préféroient la promenade. Le premier préfident montoit dans la plus diftinguée , èc de-la nommoit, au milieu de la compagnie rarigée fur fon paffage, ceux qui devoient 1'accompagner ; en conféquence mej/kurs trouvoient que le premier préfident étoit le plus grand homme qu'il y eüt eu dans fa place. Le foir, un louper fomptueux Sc déhcat pour toutes les jolies femmes & les hommes du bel air qui, dans cette belle faifon, yenoient journellement de Paris Sc y retournoient la nuit. Les fêtes, les concerts fe fuccédoient perpétuellement. La route de Pontoife étoit auffi fréquentée que celle de Verfailles 1'eft aujourd'hui. II n'eüt peut-être pas été impoffible d'y amener le régent. II fourniffoit aux plaifirs de ces exilés, qui en faifoient des plaifanteries plus indécentes que légères. II ne fe jugea prefque point d affaire, & il n'y eut que les plaideurs qui fouffrirent de 1'avenfure. La chambre - des-comptes , la cour-des-aides, le grand-confeil Sc 1'univerfité envoyèrent des députés a Pontoife complimenter le parlement. II en fut fait regiftre, Sc le 15 d'aoüt, la chambredes- comptes Sc la cour-des-aides affeftèrent a la proceffion du vceu de Louis XIII, de laiffer vuide la place du parlement. Comme il faut une déclaration du roi pour la chambre des vacations, le premier préfident, ne la voyant pas arriver, prit le parti, après auinze jours d'attente inutile, de venir trouver le régent & de lui demander s'il ne pen^oit pas a donner cette déclaration. Le prince lui répondit qu'elle  Régence. 83 étök toute prête; ■& le jour même il parut un arrêt du coiifeil pour 1'établiffement d'une chambre royale, compofée de confeillers d'état &c de maitres des requêtes, avec attribution des procés évoqiiés au confeil, & des caufes civiles & criminelles du parlement, fous le nom de chambre des vacations. La-deffus les magiflrats de Pontoife prirent leurs vacances ; il n'y refta qu'un préfident de chaque chambre & quelques confeillers. Le régent avoit trouvé inutile de nommer au parlement une chambre des vacations, qui ne termineroit pas plus d'affaires que le corps entier qui avoit refufé d'enregiftrer une déclaration du 4 aoüt, au fujet de la conciliation des évêques fur la conftitution. Le fond de cette affaire étoit auffi indifférent au régent qu'a beaucoup d'autres ; mais l'abbé Dubois y prenoit un intérêt très-vif. Sa nouvelle dignité d'archevêque de Cambray fortifioit fes efpérances & fes moyens d'arriver au chapeau de cardinal. II n'ofoit encore s'en ouvrir publiquement; mais il n'en étoit pas moins fur, comme on 1'a vu , de 1'agrément & même de la follicitation du régent Ce prince avoit dit a fes familiers : fi ce coquin étoit affez fou, affez infolent, pour penfer au cardinalat, je le ferois jetter par les fenêtres ; mais il ne s'étoit guère plus obligeamment expliqué fur 1'archevêché de Cambray , & avoit fini par 1'accorder. II n'étoit donc queftion que de préparer les voies du cöté du pape. Dubois, puiffant en argent, en crédit, en intrigues, entretenoit a Rome plufieurs agens qui ne fe connoiffoient pas les uns les autres. L'abbé de F ij  §4 RÉGENCE. Gamache, notre auditeur de Rote (i), décou» vrit le manége. Piqué du myftère qu'on lui faifoit de cette affaire, il la traverfa de fon mieux. II avoit de plus un intérêt perfonnel: avec beaucoup de mérite, d'efprit & d'étude, il s'étoit telleiment diftingué, qu'il étoit a la tête de la Rote. II s'étoit fait un nombre d'amis confidérables , &; afpiroit lui-même au chapeau, a 1'exemple des cardinaux de la Tremoille & de Polignac, a qui la Rote en avoit ouvert le chemin. II fe livra totalement a la cour de Rome, la regarda comme fa patrie, 8c réfolut de facrifier tout a fon ambition. Les agens de Dubois Pinftruifirent de ce qui fe paffoit. II entra en fureur, & fur le champ envoya un ordre de rappel a Gamache. Celui-ci commenca par s'excufer & fe plaindre du peu de confiance qu'on lui marquoit: Dubois rejetta les excufes, &. réitéra plus durement l'ordre de revenir. Alors Gamache leva le mafque, répondit fiérement a Dubois que le rappel d'un auditeur de Rote ne dépendoit nullement d'un miniftre ; que le feu Roi, en le nommant, avoit confommé fon pouvoir ; qu'aujourd'hui lui Gamache étoit magiftrat d'un des premiers tribunaux du monde ; qu'il faudroit un crime prouvé pour dépofféder un auditeur ; que le pape, feul fouverain de Rome & de la Rote, feroit juge d'un (i) La Rote eft un tribunal compofé de douze ecclefiaftiques; trois Romains, un Milanois, un Polonois, un Ferrarois, im Vénitien, un Francois, deux Efpagno's & un Allemand. L'académie de la Crufca tire 1'éryraologie de Rote de ce que les juges y fervent tour-a-tour. Ducange prétend que ce nom vient de ce que le pavé de la chambre eft fait de pièces 4c porphyre en forme de roue.  Régence» gjr iel procés, s'il pouvoit y avoir lieu d'en intenter a un homme irréprochable dans la doctrine, la conduite Se les mceurs. A la lefture de cette lettre, Dubois fit un bond de rage8e fe livra a tous fes tranfports furieux ; c'étoit fa recette pour purger fon humeur : après quoi il devenoit calme, capable de confeil 8c même de prudence. Le procédé de Gamache, le comble de la folie 6c de 1'infolence k 1'égard de la France, lui faifoit un mérite a Rome. Tout autre miniftre qu'un afpirant au chapeau eüt obligé Gamache de revenu, 1'eüt puni, ou du moins 1'eüt réduit, par k faifie de fes biens, k la condition d'unbanni. Mais Dubois n'avoit garde de fe déclarer le défenfeur des maximes du royaume contre les chimères ultramontaines, dans un moment oü il devoit paroitre les refpecfer. ïl craignoit de plus d'ébruiter fes prétentions; il favoit que Gamache avoit des anus dans le facré collége 8c dans la domefticité mtime du pape. 11 prit le parti de le gagner, 8c lui écrivit k 1'inftant qu'il ne 1'avoit fait rappeller que pour le placer convenablement k fa naiffance 8c k fon mérite, en lui donnant 1'archevêché d'Embrun. Gamache qui, après s'être fait craindre_ de Dubois , n'étoit pas faché de s'en faire un ami, répondit par une lettre de reconnoiflance ; mais refufa 1'archevê.ché, fatisfait, difoit-il, de refter auditeur de Rote, 8c offrit fes. fervices pour les vues de Dubois, Dès ce moment, les deux ambitieux s'entendirent k merveille. Gamache fut très-utile au miniftre pour le chapeau, & y feroit parvenu lui-même fi la mort ne 1'eüt pas arreté dans fa courfe» F ii)  86 RÉGENCE. Dubois, voulant plaire au pape & fe fignaler par un fervice 'éclatant, avoit réfolu de faire accepter la conftitution. N'ayant pas trouvé dans. le parlement les facilités qu'il deiiroit pour Penregiftrement de la déclaration ,. il crut que le grand-confeil fuppléeroit au parlement,, ëc perfuada le régent que cela auroit le même effet, On ne peut pas fe conduire plus militairement qu'on le fit dans cette affaire. Le régent, par le confeil de Dubois, fit lire la déclaration au con-. feil, & fans prendre les voix, la regarda coramq. approuvée. On fuivit a-peu-prés le même procédé au» grand-confeil. Le régent ne fe flattant pas que les. magiftrats de ce tribunal fe prêtaffent a. un enre-.. giftrement pur & fimple, fe fit accompagner des, princes , des ducs & pairs, des maréchaux de France; ces derniers , comme officiers, de la con-.. ronne, ont voix dans ce tribunal, quand ils. y accompagnent le chancelier , au - lieu qu'ils ne l'ont au parlement qu'en vertu de la préfence du roi,qu'ils y fuivent. En effet, plufieurs magiftrats, opinèrent avec force contre la déclarationun, d'eux nommé Perelle, alléguant les principes, dont il appuyoit fon avis, le chancelier lui demanda oii il avoit trouvé de telles maximes,; Perelle répondit froidement, dans les plaidoyers de feu M, le chancelier d'Agueffeau. Cependant le cortège du régent étant fupérieur en nombre aux magiftrats, la déclaration fut enregiftrée, & il n'y eut perfonne qui ne regardat cet enregiftrement comme un afte forcé.qui n'avoit rien de folide : le pape même n'en fut pas fatisfait. La cour de Rome , plus attachée qu'aucune autre a fes maximes, fa-  RÉGENCE, 87 voit combien une opinion nationale a de pouvoir fur les peuples; c'eft en France le fondement le plus folide de la loi falique, Un enregiftrement libre fait au parlement femble parmi nous la fanftion de la loi, & cette cour eft feule en droit ou en pofléffion de faire obferver fes décifions par les tribunaux inférieurs, Dubois ne fut 'pas long-tems a s'appercevoir qu'il n'avoit rien fait pour Rome ni pour luimême, & qu'il avoit compromis fon maitre; mais comment revenir fur fes pas? II s'étoit joint a Law, pour perfuader au régent que les pariemens, loin d'être utiles, étoient un obftacle continuel aux opérations du gouvernement; qu'il falloit les fupprimer & rembourfer toutes les charges en billets de banque, c'eft-a-dire, leur faire banqueroute; & qu'alors le roi feroit véritablement le maitre ; comme li le pouvoir arbitraire ne détruifoit pas toute monarchie l Ce projet avoit déja été propofé , & 1'on étoit fur le point de 1'exécuter, lorfque 1'intérêt même de l'abbé Dubois contribua a le faire échouer; &: voici comment, Le cardinal de Noailles. s'étoit engagé k donner un mandement d'acceptation de la bulle, avec des explications, aufli - tot que la déclaration fur la concihation des évêques auroit été enregiftrée. L'abbé Menguy, confeiller au parlement , homme du premier mérite, ami intime du. cardinal, fut inftriiit des defleins qu'on avoit contre le parlement, II fit fentir k fon ami qu'il pouvoit rendre le plus grand fervice a 1'état, en refufant de publier fon mandement, fi la déclaration n'étoit enregiftrée au parlement, &; lui détailla toutes les F iv  §3 RÉGENCE. raifons dont il pouvoit s'appuyer contre le régent, k qui 1'on. avoit perfüadé que la paix de 1'églife dépendoit de la publication de ce mandement. Le cardinal faifit cette ouverture, Sc allégua au régent tout ce qu'on pouvoit dire contre 1'enregiftrement du grand-confeil. D'un autre cöté, le fecretaire d'état Ie Blanc fervit trés bien le parlement, qui le lui rendit dans Ia fuite, fous le miniftère de M. le duc. Le Blanc fit entendre a Dubois combien il importoit a la cour de Rome que le parlement fut le garant de la conciliation des évêques; Sc Dubois travaill'a, fur ce plan, a ramener le régent en faveur du parlement, & eut befoin de tout I'afcendant qu'il avoit fur Pefprit de ce prince,, Le régent, qui n'avoit foi a la probité de perfonne , & qui avoit des preuves de la fcélérateffe. de Dubois, lui avoit cependant dönné toute fa confiance. Celui-ci ne fe 1'étoit pas acquife par 1'hypocrifie ; s'il avoit ofé parler de vertu ,, il auroit indigné un prince qui le connoiffoit a fond ; mais il étoit venu a bout de lui perfuader que lui Dubois, n'ayant d'exiftence que par fon maitre , il lui étoit attaché par un intérêt inféparable, d'autant plus, ajoutoit-il, que fe déchet de votre autorité feroit ma perte. Signez cela, monfeigneur, lui difoit-il un jour, en lui préfentant un mémoire, dont Ie régent lui demandoit 1'explication : fignez, vous favez que j'ai un i iftinft qui n'eft que pour vous, Sc qui doit vous cmvaincre de la bonté de ce que je vous préfe ite. Ainfi', le cardinal de Noailles, en réfiftant modeflement au régent, & Dubois, en le flattant,  RÉGENCE, 89 le plus faint & le plus fcélérat des prélats, fans fe concerter, car ils n'étoient pas faits pour traiter enfemble, concouroient au même but. Dubois étoit trop adroit pour propofer d'emblée un fecond enregiftrement de la déclaration, encore moins le rappel du parlement, après avoir exalté 1'autorité du grand - confeil, 8c concouru avec ceux qui vouloient anéantir le parlement. II commenca par dire au régent, quele mandement, promis par le cardinal de Noailles, étoit abfolument néceffaire pour la pacification de 1'églife. Le régent manda le cardinal, 8c le fomma de fa parole. Le cardinal fe retrancha fur 1'enregiftrement de la déclaration , qui ne pouvoit être valable qu'au parlement. Le régent, qui, dans ce moment même, s'occupoit des moyens de fupprimer cette compagnie, s'échauffa contre le cardinal; celui-ci, fans fortir du refpecf, perfifta dans fon refus , ajouta qu'il donneroit plutöt fa démiffion que fon mandement, 8c, qu'après quarante ans d'épifcopat, il fe trouveroit heureux de fortir d'un monde rempli d'iniquités. Le régent, foupconnant que le cardinal étoit de concert avec le parlement, réfolut de fe porter aux dernières extrêmités contre une compagnie qui, difoit-il, vouloit lui faire la loi. M. le duc, Lav, 8c tous les apötres du fyftême, 1'enflammè? rent de plus en plus; des membres mêmes du parlement, tels que le préfident de Blamont, qui? après s'être fait exiler comme citoyen, étoit revenu efpion du régent, fournirent des mémoires fur la forme qu'on pourroit donner a la juftice, en fupprimant le parlement. Cependant les chofes /«'étoient pas encore affez arrangée pour effecfuer  e)0 RÉGENCE. ce projet, Sc Pon étoit a la veille de Ia rentrée du parlement a Pontoife. Le 11 de novembre, tous les magiftrats recurent une lettre de cachet, portant ordre de fe rendre k Blois, pour y ouvrh la féance du parlement le 2 décembre. Auffi-töt le chancelier, que la précipitation francoife accufoit de foibleffe, alla trouver le régent, lui dit qu'il n'étoit plus tems de diffimuler les malheurs de 1'état; que , ne pouvant faire le bien ni réparer le mal , il venoit remettre les fceaux. Le régent étonné , refufa d'accepter la démiffion , Sc le pria d'attendre du moins quelques jours pour fe déterminer. Le cardinal, qui pouvoit jouer alors le röle le plus brillant, s'il avoit eu Porgueil d'un chef de parti , donna le lendemain fon mandement , de peur que fa réfiftance ne fut imputée au parlement , Sc afin qu'il ne reftat au régent aucun prétexte k la tranflation a Blois, Le cardinal venoit de quitter ce prince, k qui il avoit remis. fon mandement, lorfque le chancelier arriva pour ratifier fa démiffion. Le régent, touché du procédé du cardinal, Sc de ia fermeté refpecfueuie du chancelier, pria celui-ci d'attendre encore % paree que les chofes pourroient s'arranger.. Ce jour-la même, la Vrillière, le Blanc Sc Dubois, qui, fans fe montrer, les fecondoit, firent confeiller au premier préfident d'aller fahier le ré-», gent, fous prétexte de prendre congé, avant de partir pour Blois. Le premier préfident, fuivi de vingt-deux préfidens ou confeillers, fe rendit au Palais-Royal, oh il trouva le régent au milieu des ennemis du parlement, qui, prévoyant lés fuites de cette  RÉGENCE. 91 démarche, avoient chacun le maintien afförd'a fon caraétère. M. le duc étoit très-embarraffé de paroitre k la' fois 1'ami du parlement Óc celui de Law. Le duc de la Force, trop connu pour fe flatter d'en impofer, ne diffimuloit point fes craintes. Law, de peur de céder a la foibleffe, afïïchoit 1'infblence; né pour les fuccès ou les cataftrophes , il paroifföit préparé a tous les événemens. Le premier préfident, après avoir parlé de la foumiffion du parlement aux ordres du roi, repréfenta combien de families alloient fouffrir de 1'éloignement du parlement, & entra, fur ce fujet, dans quelques détails, qui donnèrent lieu au régent de répondre qu'il n'avoit pas prévu ces inconvéniens; de forte qu'après plufieurs plaintes vagues des procédés des magiftrats, dont il exceptoit toujours ceux qui étoient préfens, il dit a la Vrillière d'expédier de nouveaux ordres pour Pontoife , au-lieu de Blois. Quelque démarche que des particuliers faffent en faveur d'un corps, elle n'a jamais 1'approba'tion générale. Ceux qui ne s'étoi'ent pas trouvés au Palais-Royal, taxoient cette vifite de baffeffe, prétendoient que c'étcit faire fa cour aux dépens des abfens, tk qu'une tellè députation n'auroit dü fe faire què par ordre du corps. Le premier préfident & ceux qui 1'avoient accompagné, tépondoient que tout particulier eft libre de faire une vifite de politeffe ou de refpecf , qu'ils n'avoient point parlé aü nom du parlement, puifqu'ils avoient traité le régent de monfeigneur, titre que ne lui donnoit pas le cörps; qu'au furplus, toute la compagnie recueilloit le fruit d'une  §2 RÉGENCE. démarche partSculière, puifque le régent, en lui renvoyant la déclaration, faifoit un aveu authentique d'avoir excédé fon pouvoir en s'adreffant au grand-confeil. Cependant ce qui n'étoit qu'humeur pouvoit faire un fchifme dans la compagnie. L'abbé Menguy avoit eu beaucoup de part a la réunion; l'abbé Pucelle, ami d'eflime, mais rival de réputation de l'abbé Menguy, pouvoit prendre un avis contraire. Le parlement fit fa rentrée a Pontoife le 25 novembre. Avant de propofer Ia déclaration, on employa plufieurs jours k gagner l'abbé Pucelle , & lorfqu'on eut concerté avec lui les modifications qu'il vouloit a 1'enregiftrement, pour mettre les appellans a couvert de toute violence, on ne trouva plus d'obflacle. Dans les compagnies les plus nombreufes, il ne fe trouve guère que deux ou trois perfonnes qui décident de tout; ce qui prouve qu'il n'y a point de corps qui ne tende k Ia monarchie. Le parlement enregiftra Ia déclaration le 4 décembre , fut rappellé le 16 , 6c reprit, le 2.0, fes, fon&ionx k Paris. Les affaires s'étoient fi fort acaimulées, par Ie peu de travail du parlement a Pontoife, que la chambre établie aux Auguftins continua de juger beaucoup de procés, même depuis Ie retour du parlement, & fe fit honneur par fon expédition &c fon intégrité. Le rappel du parlement décidoit Pexpulfion de Law, qui partit prudemment deux jours avant la rentrée, dans une chaife aux armes de M. le duc, accompagné de quelques valets de livrée de ce \  RÉGENCE. pnnce, qui fervoient d'une efpèce de fauve-garde, &, a tout événement, muni de paffe-ports du -regent. Cela n'empêcha pas d'Argenfon 1'ainé, intendant de Maubeuge, de 1'arrêter a fon paffage dans Valenciennes, & d'en donner avis par un courier, qu'on lui renvoya fur le champ avec la plus vive réprimande de n'avoir pas déféré aux paffe-ports. Lav étoit Ecoffois, gentilhomme ou non, mais ie donnant pour tel, comme tous les étrangers. Jrrand, bien fait, d'une figure agréable & noble, de beaucoup d'efprit, d'une politeffe diftinguée, avec de la hauteur fans infolence. II y avoit chez lui plus d'ordre & de propreté que de luxe. Sa femme, ou plutöt celle qui paffoit pour 1'être, car on a fu depuis qu'ils n'étoient pas mariés , etoit une Angloife de qualité, d'un caradfère altier, & que les baffeffes de nos petites ou grandes barnes rendirent bientöt impertinente. Après avoir parcouru 1'Allemagne & 1'Italie, il fe fora a Venife, ou il eft mort. Son fyftême a été & a du etre permcieux pour la France. Law ne connut tu Ie caraöere de Ia nation, ni celui du prince a qui il eut affaire. Le bouleverfement des fortunes n'a pas été le plus malheureux effet du iyiteme & de la régence. Une adminiftration faee auroit pu retablir les affaires. Mais les mceurs , une fois depravées, ne fe rétabliffent que par la revohmon d'un état, & je les ai vues s'altérer lenfiblement. Dans le fiècle précédent, la nobleffe fc le mihtaire n'étoient animés que par 1'honneurle magiftrat cherchoit la confidération; Phomme' de lettres , 1'homme k talent ambitionnoient la reputation-; le commercant fe glorifioit de fa for-  94 E É G E N e E. tune, paree qu'elle étoit une preuve d'intelllgenee, de vigilance, de travail & d'ordre, Les eccléfiaftiques qui n'étoient pas vertueux, étoient du moins forcés de le paroïtre. Toutes les claffes de 1'état n'ont aujourd'hui qu'un objet, c'eft d'être riches, fans que qui ce foit fixe les bornes de la fortune oii il prétend. Avant la régence, 1'ambition d'un fermier-géncral étoit de faire fon fils confeiller au parlement ; encore falloit-il, pour y réuffir, que le père eut une confidération perfonnelle. Nous venons de voir un confeiller clerc & même fousdiacre (le gendre de Villemorien) quitter fa charge pour entrer dans la finance. Je ne doute pas qu'il n'y ait eu dans tous les tems des magiftrats affez vils pour avoir la même avarice : mais ils n'auroient ofé la manifefter; &c s'ils 1'avoient fait, il y auroit eu un arrêté pour exclure du parlement les defcendans de ces méprifables déferteurs ; au-lieu que cette infamie a fait, de nos jours , très-peu de fenfation; je 1'ai même entendu excufer. J'ai vu, dans ma jeuneffe, les bas emplois de la finance être des récompenfes de laquais. On y trouve aujourd'hui plus de gentilshommes que de roturiers. II refte encore en Bretagne un cruel monument du mépris qu'on a eu pour la finance. La plus vile fon&ion de la fociété ne privé pas un gentilhomme de 1'entrée aux états ; au- lieu que le plus fuperbe financier en eft exclus, &t ne rentre dans les droits de fa naiffance, s'il en a, qu'en abjurant fon état. Nos loix font toujours les mêmes: nos mceurs feules font altérées, fe corrompent de jour en  RÉGENCE. 9y "purl ,&,les mosurs> plus que les loix, font & caractenfent une nation. ; Terminons cette année par quelques faits particuhers. L'inimitié régnoit toujours entre le roi dAngleterre & le prince de Galles; & la nation ie partageoit entre le père & le fils Celuici fut obligé de fortir de Londres, & k peine avoit-il de quoi fubfifter. Le parlement y pouryut en hu affignant une penfion confidérable , & fut pres d'attaquer, k ce fujet, les miniftres (lu pere. Ils le cra,gnirent, & êngagèrent le roi a ie preter a une réconciliation vraie ou apparente. Enfin, 1'accommodement fe fit par 1'entretmfe de la princeffe de Galles , dont le mérite lui avoit attaché tous les Anglois. Si tout reffentiment nefut pas eteint, du moins les bienféances furent gardees, & les puiffances étrangères prirentpart k cet evenement, fuivant leurs différens intéréts Dubois crut devoir fignaler fon attachement pour le roi Georges, par une ambaffade folemnelle , & y fit nomrner le duc dg h p ^ le roi Georges, jugeant qu'une pareille commiffion ne feroit que conftater & prolonger un éclat quil vouloit etouffer, exigea du régent de révoquer cette ambaffade. L'ambaffadeur étoit d'ailleurs affez mal choifi. Le duc de la Force né dans le proteftantifme, & devenu catholique'par les motifs qui ont converti tous nos feieneurs proteftans, avoit alors fa mère k Londrel oü elle setoit retirée pour caufe de religion. Le nouveau cathohque auroit fait, aux yeux du peuple, un mauvais contrafte avec une mère zélée proteftante. Le nonce Maffeï vint cette année remplacer en  £5 RÉGENCE. France Bentivoglio, & il 'n'étoit pas poffible de choifir quelqu'un qui reffemblat moins a fon prédëceffeur. Maffeï, fils d'un trompette de la ville de Florence, étoit parvenu de la plus baffe domefticité a la prélature. Beaucoup d'efprit, une probité reconnue, des moeurs régulières, un caractère liant avec de la fincérité, de 1'agrém.ent dans la fociété lui applanirerit les routes de la fortune. ïl prouva bien i'ci qu'un miniftre eccléfiaftique peut remplir fes devoirs fans fartatifme. La pauvreïé, qui 'ne dégrade que trop fouvent ceux qui font obligés de vivre au fein du fafte, lui fit un nouvèau mérite. La cour de Röme donne des appointemens trés-médiocres a fes honces, & Maffeï n'avoit point de patrimoine pour y fuppléer. II foutint fon rang avec décence , 8c fortit de Paris fans y laiffer la moindre dette, après dix ans de nonciatüre, 6c emporta autant de regrets qu'il en laiffa. II eut le chapeau, auffitöt que Clément XII (Corfini) fut monté fur le fiège pontifical. Benoit XIII (Orfini) n'avoit pas voulu le donner a des nonces, difant qu'ils n'étoient que des noüvelliftes. L'empereur entra , par le traité de paix dë cette année , en poffeffion de la Sicile , oii la Cour de Rome fe garda bien de le troubler, au fujet du tribunal de la monarchie dont j'ai parlé; 6C les jéfuites fe trouvèrent tróp heureux de rentrer humblement en Sicile. Victor eut en échange la Sardaigne , pour conferver le titre de roi. La franchife que Law conferva au port de Marfeille, y attira des vaiffeaux de toutes parts, 6c le peu de précaution qu'on prit k 1'égard de ceux  RÉGENCE. 97 ceux du Levant, fit le malheur de cette ville Une pene cruelle & longue en détruifit prefque' tous les habitans, & s'étendit dans les liebx voifins. Le célèbre Heinlius, penfionnaire de Hollande & le plus terrible ennemi qu'ait eu la France l mourut cette année. Créature & inftrument du roi Guillaume , il en avoit époufé la haine contre Louis XIV, la conferva après la mort du Stadhouder, & fuccéda a toute fon autorité dans la repubhque. Conflamment oppofé a la paix , il avoit juré , avec le prince Eugène & Marl'boroug, 1'invafion & le démembrement de la France & facrifia fa république k cette paffion. II lui a ete auffi funefte qu'a nous. En 1'épuifant dargent , il 1'accabla de dettes , & 1'a mife par-la dans la dépendance de 1'Angleterre, dont elle ne s'affranchira peut-être jamais. A fa haine contre Louis XIV , fe joignoit 1'orgueil d'humilier un prince qui avoit effrayé 1'Europe. Le foyer de la guerre étoit k la Haye. Heinfius étoit flatté de faire attendre , dans fon anti-chambre , les deux plus grands géuéraux qui venoient prendre les ordres. Mais lorfqu'après la fignature de la paix, les vrais citoyens connurent 1'immenfité de leurs dettes , & eurent éclairé leurs compatriotes fur leurs vrais intéréts, 1'ivreffefe diffipa. Le penfionnaire, en confervant une place que fon age avancé alloit bientöt lui ravir avec la vie, perdit toute fon autorité. Accablé de reproches & de dégoüts jotirnaliers, il fuccomba au chagrin & k 1'humihation fi cruelle pour ceux qui ont abufé de la domination. Tomc II, q  9$ RÉGENCE. LIVRE V. Ij'Expülsion de Law étoit un léger facrifïce au public , & n'apportoit aucun foulagement k 1'état, Le régent, plus coupable que Law, qui n'avoit été qu'un inftrument, fe voyoit en horreur k tous les vrais citoyens. II fe flatta de faire approuver les opérations qu'il falloit faire, ou du moins d'en faire partager le blame en cas de mauvais fuccès. Pour cet effet, il fit affembler un confeil de régence, oii il fit aflifter le roi. II y avoit long-tems que ce confeil n'étoit qu'une vaine repréfentation, dont les places étoient des bénéfices fimples de xooo livres de penfion. Le régent décidoit de tout avec celui qui, dans chaque moment, avoit fa confiance, tels que d'Argenfon , Law, Dubois, &c. Pelletier de la Houffaye , qui venoit de fuccéder k Desforts dans le contröle-général , vint & ce confeil , pour y faire le rapport de 1'état des finances , Sc 1'on vit alors 1'abyme oü la France étoit plongée : les membres du confeil n'en avoient eu jufques-la qu'une connoiffance imparfaite. M. le duc voyant qu'il alloit être queftion de la compagnie des Indes, commenca par déclarer qu'il avoit quinze eens acfions qu'il remettroit le lendemain , dont le roi difpoferoit, Sc que , fe mettant ainfi hors d'intérêt, il opineroit librement fur la compagnie.  Régence. ^ Le prince de Conti, voulant jouer auffi le definterefle , dit qu'il n'avoit point d'aftions a remettre; mais il n'ajouta pas qu'il avoit enlevé de la banque, pour du papier, quatre fourgons charges d'argent, ce qui avoit été le fignal du difcrédit. Sans m'arrêter fur une matière qui feroit le fujet d'une hiftoire particuliere , je dirai feulement qu'il fut conflaté qu'il y avoit dans le public pour deux milliards fept eens millions de billets de banque, lans qu'on püt juftifier que cette immenflté eüt été ordonnée. Le régent, pouffé a bout, fut obligé d'avouer que Law en avoit fait pour douze eens millions d'excédent, & que , la chofe une fois faite , lui regent, 1'avoit mis a couvert par des arrêts du cenfeil antidatés, qui ordonnoient cette augmentation. M. le duc demanda au régent comment, étant ïnüVuit d'un tel attentat, il avoit laiffé Lav fortir du royaume. Vous favez, répondit le régent, que je voulois le faire mettre a la Baflille; c'eft vous qui m'en avez empêché , & lui avez envoyé les paffe-ports pour fa fortie. II eft vrai , reprit M. le duc , que je n'ai pas cru qu'il füt de votre intérêt de laiffer mettre en prifon un homme dont vous vous étiez fervi ; mais outre que je n'étois pas infiruit de la fabrication, fans orcire , des billets dont vous venez de parler •• je n'ai demandé ni fa fortie, ni les paffe-ports que vous m'avez remis pour lui. Je déclare devant le roi & le confeil , que j'aurois été d'avis de le retenir Le régent, embarraffé de 1'interprétation de Gij  R É G E N C E. M. le duc , fe borna a dire : je n'ai point fait mettre Law en prifon , paree que vous m'en avez diffuadé, & je 1'ai laiffé partir , paree que je craignois que fa préfence ne nuifit au crédit public. Tous les afïïftans , étonnés de ce qu'ils entendoient, voyoient clairement que le régent &c M. le duc auroient également craint de laiffer entre les mains de la juftice Law, qui pouvoit les rendre auteurs ou complices de tout ee qu'il avoit fait. Ils jouèrent tous deux, auprès du confeil , un très-mauvais röle : mais quoique M. le duc fut extrêmement borné, fon intérêt 1'éclairoit; fa férocité naturelle lui tenoit lieu de dignité ; il avoit plus de caracfère que le régent, qui, avec tout fon efprit , fon imagination, Sc le courage de foldat, ne montroit ici que de la foibleffe. Le fupérieur qui ne difpute que d'égalité de blame , fe trouve néceffairement dégradé. Le réfultat du rapport de la Houffaye fut de nommer des commiffaires pour la liquidation des effets par 1'examen de leur origine. Le régent s'adreffant alors au roi, qui n'avoit que dix ans, prit acte de ne fe mêler en rien de Popération des commiffaires; fur quoi le maréchal de Villeroi ne put s'empêcher de lui dire, avec un fourire amer : Eh , monfeigneur ! a quoi fert cette proteftation ? n'avez - vous pas toute Pautorité du roi ? Le confeil fe leva; il ne fut plus queftion de 1'offre emphatique des 1500 actions de M. le duc. Lui, la ducheffe fa mere , Laffe , amant de la ducheffe, la comteffe de Verne, le duc d'Antin  RÉGENCE. 101 & tous les fubalternes garderent leurs aftions. La fcène fcandaleufe du confeil ne mit pas la moindre altération dans le commerce du régent & de M. le duc , qui continuèrent de vivre enfemble comme a 1'ordinaire, fans amitié, eftime ni reffentiment. A 1'égard du prince de Conti, ils ne lui épargnèrent les mépris en aucune occafion , & ne pouvoient lui pardonner d'avoir donné la première atteinte au crédit de la banque, & de faire encore parade de défintéreffement; le public , au contraire, lui en faifoit prefque un mérite , tant 1'horreur du fyftême étoit génerale. Cela parut principalement a la réception au parlement du duc de Briffac. M. le duc & le prince de Conti vinrent avec le plus grand nombre de gens de condition que chacun put engager a lui faire cortège. Le prince de Conti en eut quatre fois plus que M. le duc. Le procés du duc de k Force fembla les réunir 1'un & l'autre; 1'uri & l'autre vouloient plaire au parlement, & chacun avoit encore fon intérêt particulier. _ M. le duc cherchoit a détruire ou affoiblir l'opinion qu'on avoit de fon dévouement au fyftême & a fes fuppöts. Le prince de Conti vouloit fignaler de plus en plus fon prétendu zèle patriotique, & rejetter fur les aaionnaires 1'opprobre qu'il méritoit bien de partager. Un reffentiment perfonnel 1'échauffoit encore : dans le tems qu'il épuifoit d'argent la caiffe de la banque, il tachoit, d'un autre cöté , de réalifer fon papier en achetant des meubles & des terres. II fut que le duc de la Force en marchandoit une très-confidérable; il courut fur ce marché, & le trouvant conclu, il voulut, inutilement, engager lc G üj  102 RÉGENCE. duc de la Force k lui céder la terre , & dès ce moment devint fon ennemi juré. L'animofité 6c le crédit du prince de Conti n'auroient pas fait un grand tort au duc de la Force, fi celui-ci n'en avoit eu un très-grave avec le parlement; c'étoit un des plus vifs linies prétentions de la pairie, 1'ami, le complice de Law , 6c véhémentement ioupconné d'avoir opiné pour la fuppreflion du parlement. Comme il avoit réalifé une grande quantité de billets de banque en épiceries , porcelaines 6c autres marchandifes, 6c qu'il étoit d'ailleurs affez. mal voulu du public , le parlement faifit Poccalion de 1'attaquer pour monopole. M. le duc» le comte de Charolois fon frère, le prince de Conti 6c dix neuf pairs s'y joignirent comme juges, avec autant de paflion que s'ils euffent été fes, parties. Tous les pairs ne tinrent pas la même conduite ; l'archevêque de Rheims (Mailly), 1'évê.que de Noyon, Rochebone, 6c fept pairs laics (i) préfentèrent au roi une requête dans laquelle ils prétendirent que les pairs n'ont d'autre juge que le roi; qu'on ne peut inflruire, en matière criminelle, le procés intenté a un pair qu'en vertu d'une commiflion particulière adreffée a tel tribunal que le roi juge k propos de choifir, 6c qu'alors ce tribunal juge conjointement avec les pairs. Le régent ne voyant pas fans inquiétude une (i) Les ducs de Luynes, de Saint-Simon, de Montemart , Saint-Aignan , da Gharoft, de Chaulnes & d'Antin.  RÉGENCE. 103 union fi nouvelle entre les princes, la plus grande partie des pairs, & le parlement, craignit d'en devenir un jour 1'objet. II évoqua l'affaire au confeil. Auffi-töt le parlement fit des remontrances ; & le régent , avant de décider la queftion, voulut 1'entendre difcuter au confeil par des pairs de 1'un & l'autre partis. Le duc de Saint-Simon, très-oppofé au parlement, défendit très-vivement le duc de la Force, quant a Pincompétence du tribunal. Le duc de Noailles, le plus éclairé du parti contraire , n'ofa pourtant pas fe commettre avec un tel adverfaire , allégua qu'il n'étoit pas affez préparé fur la matière, & demanda du tems pour en conférer avec fes confrères. Le prince de Conti, voulant a toute force figurer dans cette affaire, entreprit de réfuter le duc de Saint-Simon , & ne put jamais faire comprendre autre chofe , finon qu'il ne démordrok pas de la prétention du parlement; & la plupart des pairs ayant déclaré au régent que, pour toute réponfe aux raifons du duc de Saint-Simon, ils s'en rapportoient aux remontrances du parlement, le régent fe détermina enfin pour le parti le plus nombreux. La crainte lui avoit fait rendre 1'arrêt d'évocation ; il donna , par le même principe, une déclaration qui renvoyoit l'affaire au parlement. Les différens incidens prolongèrent cette affaire jufqu'au 12 juillet qu'elle fut jugée. Les aflbciés ou prête-noms du duc de la Force furent, 1'un blamé, les autres admoneftés. A 1'égard du duc, le jugement fut concerté avec les pairs, & portoit qu'il feroit tenu d'en ufer avec plus de circonfpeciion, & de fe comporter d l'avenir d'une G iv  104 R É G E N C E. manière irréprochable, & telle qu'il convient d fa naiffance & d fa dignitc de pair de France. II n'eft pas facile de prononcer fur les prétentions refpecfives du parlement & des pairs. Ceux qui nient la compétence du parlement croient prendre un parti plus noble; ceux qui la reconnoiffent, un parti plus fur. _ II n'eft pas aifé non plus de fixer exaétement 1'idée du crime de monopole, 8c d'en faire une application jufte. Si 1'on eüt demande, & fi 1'on demandoit encore au parlement de donner une bonne définition du monopole, il feroit fort embarraffé. J'ai quelquefois propofé mes doutes aux xneilleurs juges du duc de la Force ; ils m'ont fait entendre le plus obfcurément qu'ils ont pu, que fi 1'accufé leur eüt été moins odieux , 8c mieux voulu du public, il auroit été moins coupable. Pendant que le parlement étoit en curée, il fut tenté d'attaquer un maréchal de France, après avoir fait juftice d'un duc; mais le régent jugea que c'en étoit affez, impofa filcnce, 8c fauva le maréchal d'Eftrées.. Dubois ne fe montra pas dans cette affaire; il étoit occupé de chofes plus intérefiantes pour lui. Le jéfuite Laffiteau, évêque de Sifteron, & l'abbé Tencin négocioient pour lui a Rome le chapeau de cardinal. Pour donner plus de poids a la follicitation, il propofa au cardinal de Rohan d'aller preffer la promotion , avec promefie de lui procurer le premier miniftère a fon retour. Le cardinal ne doutant point que fa naiffance, fes dignités, les talens qu'il fe fuppofoit,'& les intrigues de Dubois , n effeöuaffent cette pro-  RÉGENCE. IOJ mefie, fe difpofoit a partir, lorfqu'on apprit la mort du pape. Cet événement hata le départ du cardinal, qui arriva a Rome muni de tout 1'argent nécefiaire pour fuppléer au mérite du candidat. Le cardinal prit Tencin pour fon conclavifte, & laiffa en-dehors Laffiteau pour recevoir les lettres de Dubois, qu'il venoit réguliérement leur communiquer. 11 écrivit a Dubois , le 5 mai, que malgré la prétendue impénétrabilité du conclave, il y entroit toutes les nuits au moyen d'une fauffe clef, en traverfant cinq corps-degarde. L'argent ni les bijoux ne furent pas épargnés : mais Tencin ne s'en repofant pas fur ces fbibles féduftions, prit des mefures dignes de lui & de fon commettant ; il ofFrit au cardinal Conti de lui procurer la tiare par la faftion de France , & des^ autres partifans bien payés, fi Conti vouloit s'engager par écrit de donner , après fon exaltation, le chapeau a l'abbé Dubois. Le marché fait & figné, Tencin intrigua fi efficacement que Conti fut élu pape (le 8 mai) , & 1'eüt peut-être été fans aucune manoeuvre par fa naiffance & la confidération dont il jouiflbit. Après les cérémonies de 1'exaltation , Tencin fomma le pape de fa parole. Le pontife, naturellement vertueux, qui s'étoit laifie arracher ce malheureux écrit dar^s une vapeur d'ambition , répondit qu'il fe reprocheroit éternellement d'avoir afpiré au pontificat par une efpèce de fimc nie; mais qu'il n'aggraveroit pas fa faute par la proftitution du cardinalat a un fujet fi indigne. L'abbé Tencin, qui ne comprenoit pas trop ces  IOÖ RÉGENCE. délicateffes de confeience, infifla avec chaleur. Le pape réfifta avec fermeté. Quand celui - ei parloit de fa confeience, l'autre oppofoit fon honneur & celui de Dubois. Ces deux hommes réunis n'en paroifToient pas plus forts au faint père. La hitte dura long - tems & k différentes reprifes. Tencin, voyant qu'il ne pouvoit perfuader le pape par des raifonnemens, le menaca de rendre le billet public. Le faint père effrayé crut qu'il valoit encore mieux épargner ce fcandale a 1'églife , que de s'opiniatrer k refufer un chapeau dont 1'aviliffement n'étoit pas fans exemple. Cependant le pape balancoit encore, lorfque Scaglione, fon fecretaire, vint dire aux négociateurs que fon maitre avoit grande envie d'une bibliothèque , mais qu'on en demandoit douze mille écus, & qu'il ne les avoit pas. La fomme fut auffi-töt comptée, & cette générofité emportant la balance, le pape nomma (16 juillet) Dubois cardinal, pour anéantir le fatal billet. Mais il n'étoit pas k la fin de fes peines. Tencin , ne voulant point avoir été l'inftrument gratuit d'une infamie, réfolut d'en tirer parti pour fe faire luimême cardinal, en fit impudemment la propofition au pape, & lui déclara qu'il ne rendroit le billet qu'a cette condition. Le pape fe vit alors plongé dans un abyme d'horreurs. II pouvoit du moins s'excufer de la promotion de Dubois fur la follicitation de la France , fur la recommandation de l'empereur, redoute a Rome, & que le roi d'Angleterre avoit fait agir vivement, enfin fur le crédit &c le minifière de Dubois, qui pouvoit être utile a la cour de Rome. Mais quels  II É G E N C E. 107 prétextes donner k Ia nomination de Tencin fans décoraiion, lans appui, flétri par le procés qu'il venoit de perdre, par la fortune même, prefque auffi décrié que Dubois, fans être réhabilité par des dignités qui couvrent ordinairement une partie du paffé , fur-tout en France oü tout s'oublie , oü 1'on n'eft frappé que du préfent ? Donner le chapeau a Tencin, c'étoit , finon dévoiler le vrai motif, du moins annoncer un fecret honteux. Le faint père ne put fe déterminer k faire jouir Tencin de fa perfidie; il en tomba malade, & depuis ne fit que languir. Une noire mélancolie, caufée par le dépit & les remcrds, entretenue par la préfence de Tencin, reflé miniftre de France a Rome, conduifit k la fin Innocent XIII au tombeau. Si l'abbé Tencin eüt eu affaire k un Jules II ou k un Sixte V, il ne s'en feroit pas tiré fi heureufement. Nous le verrons un jour parvenir k ce defiré chapeau. Une circonftance du conclave qui ne doit pas être oubliée, paree qu'elle fait connoitre 1'efprit de la cour de Rome, c'eft ce qui regarde Albéroni. Pourfuivi par 1'Efpagne , abandonné par toutes les puiffances au reffentiment du pape, fugitif, errant ou caché, cité devant une congrégation que Clément XI avoit chargé de faire le procés jufqu'a la dégradation, il trouva fon falut dans Fintérêt perfonnel de fes propres juges, fes confrères. Le facré collége avoit été révolté de la promotion d'Albéroni; mais quand les cardinaux 1'y virent aggrégé, ils ne confultèrent plus que leur  108 RÉGENCE. intérêt commun. Leur principe fixe eft que le chapeau ne peut fe perdre pour quelque raifon que ce puiffe être; que la confervation ou la perte ne doit jamais dépendre du reffentiment des rois, ni même du pape; que fi la néceffité exigeoit le facrifice d'un cardinal , il' vaudroit mieux le priver de la vie que de le dépouiller de la pourpre. Un cardinal prince peut la quitter pour régner, pour fe marier par 1'intérêt de fa maifon; mais le facré collége ne fouffriroit pas qu'un cardinal renoncat au chapeau par fcrupule de 1'avoir mal acquis , par efprit de pénitence: témoin le cardinal de Retz , dont la démifTion fut rejettée. La congrégation nommée pour juger Albéroni tira ce procés en longueur jufqu'a la mort de Clément XI, & ne 1'auroit jamais terminé. Comme la voix au conclave eft le plus grand exercice de la puiffance de cardinal, ce qui en conftate principalement la grandeur , le collége ne manqua pas d'y appelier Albéroni , qui ne s'y rendit qu'a la feconde invitation : il y fut recu avec les mêmes honneurs que les autres cardinaux. Après l'éle&ion il ne fut plus queftion du procés. Il prit un palais a Rome , s'y diftingua par fa dépenfe, eut, quelque tems après, la légation de Ferrare, & vint enfuite fe repofer & mourir tranquillement k Rome en 1752. Dubois, devenu cardinal , s'avancoit de plus en plus vers la place de premier miniftre. On n'en pouvoit pas douter en voyant fon empire fur 1'efprit du régent. Ce prince avoit dit vingt fois que fi ce coquin ofoit lui parler du chapeau , il le feroit jetter par les fenêtres. II n'y  RÉGENCE. IO9 avoit pas huit jours qu'il s'en étoit expliqué en la préfence de Torci, lorfqu'a la fin d'un travail ü lui dit : d propos , fans que rien amenat cet k propos , fongei d écrire d Rome pour le chapeau de Varchevêque de Cambray , il en ejl tems. Le duc de Saint-Simon , pour qui le régent avoit une eftime & une amitié particulière , ne pouvoit, dit-il dans fes mémoires, concevoir de telles diiparates; mais il ignoroit que ce prince eüt écrit lui-même au pape, en faveur de Dubois. Je ne vois dans la conduite du régent que les inconféquences apparentes de tous les caractères foibles, qui ne réfiftent a rien, accordent tout, en rougiffent intérieurement, & ne fe déclarent qu'a la dernière extrêmité, fur-tout devant ceux dont la probité leur impofe. II y a de certains aftes de confiance que 1'eftime même mterdit. En effet, Dubois étoit fi für de fa nomination, que le pape ayant donné, fix femaines après fon exaltation , le chapeau k fon frère , bénédiftin du Mont-Caffin & évêque de Terracine , Dubois eut 1'infolence de fe plaindre de n'avoir pas été nommé le même jour. II le fut un mois après avec Alexandre Albani, un des neveux de Clément XI. J'en fais mention, paree que j'aurai occafiond'en parler dans la fuite, lorfqu'il fera queftion du cardinal de Bernis. , Comme je me fuis fait une loi de dire Ia vérite , &c de marquer les occafions oü ceux qui avoient habituel'ement la plus mauvaife conduite, en ont eu une bonne, j'ajouterai que le cardinal Dubois fe comporta , a la nouvelle de fa promotion , avec tout 1'efprit & la fageffe poffibles  R É G E N C Ë. II ne témoigna ni engouement ni embarras dans fes vifites de cérémonies. Le jour qu'il recut la calotte des mains du roi, après avoir fait fon remerciement, il détacha fa croix épifcopale , la préfenta a 1'évêque de Fréjus, Fleury, & le pria de la recevoir, paree que , dit-il, elle portoit bonheur. Fleury la recut en rougifiant aux yeux du roi & de la cour , & qui* plus eft, fut obligé, en courtifan, de s'en décorer; ce qui lui attira quelques plaifanteries, dans un tems oü 1'on ne pouvoit pas foupconner qu'il y eüt rien a rifquer pour 1'avenir. Dès que l'abbé Paffarini, camérier du pape, eut apporté la barette, le cardinal Dubois la recut des mains du roi, & fut enfuite conduit aux audiences de règle , chez madame , mère du régent, & alors première dame de France, oü il prit le tabouret; chez S. A. R. femme du régent , oü il eut la chaife a dos. A 1'égard des princes & princeffes du fang, ce ne font pas des audiences en forme que prennent les cardinaux, mais de fimples vifites qu'ils font. L'audience qui excita le plus la curiofité de la cour, fut celle de madame. Perfonne n'ignoroit le mépris profond qu'eHe avoit pour Dubois. Elle ne s'en étoit jamais contrainte. II fe préfenta devant elle avec la contemmce d'un homme non déconcerté, mais pénétré de refpeét & de reconnoiffance. II paria de la furprife oü il étoit de fon nouvel état, de la balTeffe de fa naiffance , du néant dont le régent 1'avoit tiré. Tout ce que la haine & 1'envie auroient pu lui reprocher, il le dit lui-même avec digi ité, s'aflit un moment fur le tabouret qui lui fut préfenté, fe  RÉGENCE.' tl! «MVrit pour marquer fimplement 1'étiquette, fe releva prefqu aufïi-töt en fe découvrant , & fe profterna devant madame, lorfqu'elle s'avanca pour le faluer. Elle ne put s'empêcher d'avouer lorfqu'il fut forti, qu'elle étoit contente du maintien & du difcours d'un homme dont 1'élévation 1'indignoit. Dans la lettre que j'ai lue de Dubois fur le chapeau, il s'attache fort a flatter le faint père fur ce que les eccléfiaftiques entrent dans le confeil de France, & ajoute qu'un cardinal peut etre fecretaire d'état, depuis que ces miniftres ne pretent plus ferment entre les mains du chancelier. En effet, Dubois étant cardinal & premier miniftre, continua les fonótions de fecretaire d'état des affaires étrangères , jufqu'è la majorité du roi, qu'il céda ce département au comte de Morville. Un événement qui intéreffoit toute 1'Europe confterna Paris, & en peu de jours le refte de la France, fut la maladie du Roi. Le 31 juillet ce prince fut attaqué d'une fièvre violente, avec les plus finiftres fymptömes : la tête commencoit a s'embarraffer, & les Médecins effrayés la perdoient eux-mêmes. Helvétius , le plus jeune de tous, que nous avons vu depuis premier médecin de la reine , & qu'elle ne dédaignoit pas de regarder comme fon ami (1), conferva toute fa préfence d'efprit. II propofa la faignée du pied; tous les confultans la rejettèrenf, Maréchal, pre-  112 - RÉGENCE. mier chirurgien, dont 1'avis étoit compté pour beaucoup, fe révolta le plus contre 1'avis d'Helvétius, difant que, s'il n'y avoit qu'une lancette en France , il la cafferoit, pour ne pas faire cette faignée. Le régent, M. le duc, M. de Villeroi, la ducheffe de Vantadour, la ducheffe de la Ferté fa fceur & marraine du roi, & quelques officiers intimes, étoient préfens a la con (uitation , ck fort peinés de ne pas voir d'unanimité. On y appella quelques médecins de la ville, tels que Dumoulin, Silva, Camile , Falconet. Ce furent les premiers qu'Helvétius ramena a fon avis, qu'il foutint Sc motiva avec courage, & finit par dire, fi 1'on ne faigne pas le roi, il eft mort, c'eft le feul remède décifif & même urgent: je fais qu'en pareille matière , je ne puis démontrer la certitude du fuccès; je fais k quoi je m'expofe, s'il ne répond pas k mon avis; mais je ne dois ici, d'après mes lumières, confulter que ma confeience & la confervation du roi. Enfin la faignée fut faite. Une heure après, la fievre diminua , le danger difparut , & le cinquième jour, le roi fut en état de fe lever &c de recevoir les complimens des compagnies &i des miniftres étrangers. Helvétius en eut tout 1'honneur a la cour , dansle public, & prouva qu'en bien des occafions la probité & 1'honneur ne font pas les moindres qualités d'un médecin. On ne fauroit peindre les tranfports de joie que la convalefcence du roi fit éclater par toute la France, & qui fuccédèrent a la confternation univerfelle. Ce que nous avons vu en 1744, lorfque  RÉGENCE. ,ij forfque Ie toi fut dans un fi grand daiiger k Metz ne donna qu'une foible idéé de cé qui étoit arrivé en pareille circonfiance en ijiï. Témoin des deux événemens , j'ai vu, en i744 , tout ce que 1'amour du Francois peut infpirer; mais en 1721 les coeurs , en reffentant 1'amour le plus ïendre-, étoient de plus animés d'une pafiïon oppofee & très-vive , d'une haine générale contre le regent, qu'on Craignoit d'avoir pour maitre Toutes les éghfes oh , pendant cinq jours , on n'avoit entendu que des cris de douleur , retentiffoient de Te Devm ; on n'adreflbit point de prieres au ciel qui ne fuffent antant contre le regent que pour le roi. L'ordonnance pour les fêtes publiques ne fut quune permiffion de les commencer, une fimple attention de police pour maintenir le bon ordre. On n'y mit point cette menace d'amende fi ridicule , fi injurieufe & fi abfurdement contradictoire dans une ordonnance relative a une réjouiffance publique. En effet, il n'étoit pas befoin d'échauffer 1'amour des peuples. On ne voyoit que danfes & repas dans les rues; les bourgeois faifoient fervir leur fouper k leurs portes, & invitoient les paffans a y prendre place. Tout Paris fembloit chaque jour donner un repas de familie. Ce fpeÖacle dlira plus de deux mois par la beauté de la faifon, la longue férénité du tems, & ne finit que par les froids de 1'arrière-faifon. Les étrangers partagèrent notre joie, & l'empereur difoit hautement que Louis XV étoit 1'enfarit de 1'Europe. Elle pouvoit être replongée dans les horreurs d'une nouvelle guerre, fi 1'on avoit Tome II, j-[  114 RÉGENCE. eu le malheur de le perdre. Par un article fecret du traité de paix figné a Raftadt, l'empereur donna a Louis XIV fa parole d'honneur de n'entrer directement ni indirecfement dans aucune guerre contre la France pendant la minorité. Le régent n'eut connoiffance que fort tard de ce fecret, &c depuis qu'il l'eut fu, ne pardonna jamais au maréchal de Villars de le lui avoir caché. Si le régent en ent été plutöt inftruit, peut-être eüt-il moins recherché les Anglois : au-lieu de fe livrer a eux , cornme il fit, il auroit pu fe faire acheter lui-même pendant les troubles qui régnoient alors en Angleterre; 1'alliance entre les deux couronnes fe feroit également faite, mais plus avantageufement pour nous, &c la paix n'en auroit pas moins fubfifté. Aux premiers accidens de la maladie , 1'opinion générale 1'attribua au poifon, & en accufa le régent. Le peuple de la cour, plus peuple qu'un autre, accréditoit les foupcons. Ceux mêmes qui, ne le croyant pas, étoient ennemis du régent, fomentoient ces bruits de tout leur pouvoir. La ducheffe de la Ferté, qui étoit de la cabale, avoit affefté de dire : Hélas! tout ce qu'on fait eft inutile, le pauvre enfant eft empoifonné. Ce qu'il y a d'étrange, c'eft que les fymptömes, le traitement & la curation de la maladie en ayant démontré la nature , les mêmes rumeurs fubfiftèrent, & ne font pas encore totalement détruits. Ce qui contribua beaucoup alors a les fortifier, fut que le régent venoit de faire revivre pour fon fils, le duc de Chartres, la charge de colonelgénéral de 1'infanterie, place qui donne des privileges ft exorbitans, qu'on 1'avoit fupprimée  RÉGENCE. Hj comme dangereufe, & qui le devenoit infiniment plus entre les mains d'un premier prince du fang On accufoit le maréchal de Villeroi d'en avoir donné le confeil au régent, pour le rendre de plus en plus fufpeft d'aipirer a la couronne, & de s'en préparer les voies. Si cela étoit, le prétendu piège étoit digne de la fottife du maréchal; car, s'il faifoit foupconner le régent de quelque grande entreprife, il lui fourniffoit en même-tems les moyens de réuffir. ^ Le régent parut auffi touché que qui que ce fêt- pendant la maladie, & partagea fincérement la joie de la convalefcence. Le maréchal de Villeroi éprouvoit, avec raifon, le bonheur de voir le roi rendu a nos vceux; mais il y mettoit une oftentation qu'il croyoit injurieufe au régent, & qui le devenoit par-la. Dans les fêtes qui fe fuccédoient journeliement, les cours & le jardin des Tuileries ne défempliffoient pas, le maréchal ne ceffoitde mener le roi d'une fenêtre a l'autre, au point de 1'en excéder : Voyez, lui difoit-il, voyez, mon maitre, tout ce peuple eft a vous' il n'y rien la qui ne vous appartienne , vous etes le maitre de tout ce que vous voyez , & autres platitudes. Ce n'étoit pas la ce que Montaufier, Beauvilliers ou Fénelon auroient trouvé a dire fur la joie vive & franche d'un peuple amoureux de fes rois : eh! quel peuple mérite plus d'être cher a fes princes ! L'évêque de Fréjus, Fleury, fe conduifoit avec beaucoup plus de fagefle , du moins pour luimême. II avoit une grande attention a flatter la morgue du maréchal, de peur de lui donner de la jaloufie; &, plein de refpecf pour le régent, H ij  Il6 RÉGENCE. il s'attachoit k gagner la confiance de fon élève. Tout ce qui approchoit le roi, s'appercevoit dé la préférence que le jeune prince donnoit dans fon cceur a Fleury fur le gouverneur. Le régent le remarqua , &, cherchant toutes les occafions de flatter le goüt du roi, il lui propofa Fleury pour 1'archevêché de Rheims, qui venoit de vaquer. II fongeoit auffi k s'attacher par-la un homme qu'il voyoit gagner fenfiblement la confiance du roi, & voulut laiffer k ce prince le plaifir de donner a fon précepteur un fiège d'une fi grande diftindtion. Le roi 1'envoya chercher, &t lui apprit le préfent qu'il lui faifoit. Fleury fe confondit en remerciemens refpeöueux & tendres; mais refufa d'être premier duc &c pair de France. Le roi parut afïligé du refus , & le montra de manière a faire connoitre combien fon précepteur lui étoit déja cher. Le régent le fentit, & infifta; mais 1'évêque, pour motiver fon refus, repréfenta qu'ayant déja quitté un diocèfe, paree que fon age ne lui permettoit plus de remplir fes devoirs, il ne feroit pas excufable de fe charger d'un poids fupérieur au premier. Le régent lui répondit que fes fonctions auprès du roi le difpenferoient d'aller k Rheims , oh il auroit un évêque in partïbus chargé des fonctions épifcopales; que plufieurs prélats en avoient, fans y être autorifés par un devoir auffi privilégié que 1'éducation du roi. Fleury repliqua, d'un ton modefte, qu'il ne blÉmoit la conduite de perfonne, que chacun devoit être fon propre juge ; que, pour lui , il ne fe tiendroit pas en füreté de confeience d'être évêque fans réfidence. II n'avoit  R É G E N C E, Uy pas toujours été fi timoré. Sa prétendue réfidence a Fréjus n'avoit été qu'une abfence de la cour. II avoit pafte le tems de fon épifcopat k parcourir^ les villes du Languedoc & du Daupmné, oü il y avoit meilleure compagnie qu'a Fréjus; il y féjournoit peu, & le regarda toujours comme un exil; de forte que fon abdication n'avoit été qu'une préférence donnée au féjour & k la fociété de la cour fur celles de la province. Le régent comprit très-bien que le faint évêque craignoit qu'a la fin de 1'éducation , on ne faifit quelque prétexte de le reléguer a Rheims; que le plus für pour lui étoit de refter a pofte fixe auprès du roi , dont la confiance ne feroit que fe fortifier par 1'habitude. Le régent ceffa de Ie prelfer fur 1'archevêché , & finit par le prier d'accepter du moins 1'abbaye de Saint - Etienne de Caen, vacante par la mort du même cardinal de Mailly. Fleury, dans la crainte de faire croire qu'il ne vouloit rien devoir au régent, accepta ce bénéfice fimple de 70,000 livres de rente. Ce fut certainement fon unique motif. II a bien prouvé depuis , dans fa toute - puiffance , qu'il étotf peu fenfible au fafte & k 1'intérêt. II a porté , dans fon miniftère , 1'économie jufqu'a de ^ bas détails ; mais il ne s'appliqua jamais ce qu'il rejranchoit aux autres, & ne fut avare que pour 1'état. Sa fucceflion ne valoit pas dix mille écus. _ Quelques fades plaifanteries qu'en fiflent des courtifans avides, & qui n'auroient jamais rien recu s'il eüt fallu mériter , il feroit k defirer qu'il eüt eu des imitateurs. On a fans doute des reproches très-graves a lui faire, je ne les diffi- H iij  Iï8 RÉGENCE. mulerai pas; mais on Pa regretté, Sc fes fucceffeurs ont juftifié les regrets. Le modefte Fleury fit , ou laiffa mettre fon refus dans les gazettes & les journaux, Sc chacun en fit le commentaire, fuivant fes idees ou fes intéréts. Fleury perdit alors une belle occafion de témoigner fa reconnoiffance a une familie k laquelle il avoit les plus grandes obligations. L'abbé de Cafiries, archevêque d'Albi, defiroit fort le fiège de Rheims, quoique d'un moindre revenu. L'approche du facre du roi donnoit un grand reliëf a ce fiège. Le régent, Payant offert a Fleury, voulut qu'il influat dans cette nomination r Fleury devoit fa première exiftence au cardinal de Bonfi „ oncle de l'archevêque d'Albi , il avoit recu des fervices effentiels de tous les Caftries. II avoit été. long-tems 1'ami, difons mieux, le protégé de la maifon; mais il avoit en oppofition un intérêt préfent, qui fut toujours. la règle de fa conduite. II penfoit déja au chapeau de cardinal , maladie inévitable a tout eccléfiaftique en faveur. Le cardinal de Rohan étoit dans ce moment le miniftre de France k Rome; fa maifon étoit puiffante, l'archevêque d'Albi étoit amï déclaré du cardinal de Noailles, la conftitution eommencoit a prendre le deffus dans le clergé , Sc Fleury comptoit bien s'en fervir utilement : ainfi, il fit préférer l'abbé de Rohan-Guémené pour 1'archevêché de Rheims. Le régent donna en même-tems I'évêché de Laon a l'abbé de Saint-Albin, batard non reconnu qu'il avoit eu de la Florence, élève des jéfuites,  RÉGENCE. lip 1'un des plus zélés ignorans qui foient fortis de leur école. II affifta 1'année fuivante au (acre du roi, en fa qualité de duc & pair eccléfiaftique. Quand il voulut depuis fe faire recevoir au parlement , il fut arrêté par Ia difficulté de ne pouvoir articuler ni père ni mère,. ni par conféquent produire un nom. Cet obftacle lui valut 1'archevêché de Cambray, oii il paffa a la mort du cardinal Dubois, en confervant les honneurs de duc èt. pair. II eut pour fucceffeur, a Laon, l'abbé de la Fare, efpèce de pefit monfire par la figure, & qui 1'étoit encore plus par fon ame. Le cardinal Dubois venoit de terminer une négociation qui touchoit infihiment le régent : Ie mariage du roi avec 1'infante d'Efpagne, & celui de mademoifelle de Montpenfier, fille du régent, avec le prince des Afturies, Philippe V avoit été tranfporté de joie d'avoir pour gendre le roi de France, & le fecond mariage étant la condition néceffaire du premier, il avoit facrifié le reffentiment qu'd pouvoit avoir contre le régent. II reftoit, non pas une difficulté politique, mais un embarras domeftique ; c'étoit de 1'apprendre au roi, dont le confentement formellement prononcé étoit néceffaire. Ce prince, encore dans 1'enfance, & d'un caracf ère timide, pouvoit ne pas recevoir la propofition comme il étoit a defirer qu'elle fut recue. Le maréchal de Villeroiennemi prefque déclaré du régent, préviendroit peut-être le roi défavorablement, difpoferoit la cabale a répandre dans le public que le régent faifoit un mariage difproportionné, quant a 1'age, afin de reculer, autant qu'il pouvoit, 1'efpérance de voir la fucceffion direfte affurée, & comptoit fur le chapitre H iy  120 RÉGENCE. des événemens : Pinfante n'avoit guère alors que trois ans , 8e le roi étoit dans fa douzième année. Le régent, pour fe fortifier auprès du roi, confia l'affaire a M. le duc, qui étant fur-intendant de 1'éducation , ne devoit pas apprendre cette nouvelle avec le public. II recut très-bien la confidence,. 8c approuva fort 1'alliance. Le régent en paria enfuite a 1'évêque de Fréjus, en le prévenant que c'étoit une diftinction qu'il lui donnoit fur le maréchal, pour qui il lui recommandok le plus grand fecret. Fleury objedta d'abord Page de Pinfante, répondit affez froidement aux avances que le régent lui faifoit pour Pengager, dit cependant qu'il ne croyoit pas que le roi réfiflat» 8c promit de fe trouver auprès du roi, lorfqu'on la lui feroit. II eft fort douteux qu'il ak été fidéle au fecret, 8c n'en ak pas fait fa cour au maréchal , qu'il ménageok beaucoup , qui lui avoit rendu fervice , lui étoit utile , 8c pour qui il n'étoit pas encore tems d'être ingrat. Quoi qu'il en foit, il parut vouloir éviter de fe trouver a la propofition. Elle devoit fe faire immédiatement avant le confeil de régence, ou le roi devoit fe rendre, pour y eonfirmer tout de fuite le confentement, le oui qu'il auroit projioncédans le cabinet, afin que Paffaire fut confommée. Le régent, avant que d'entrer chez. le roi , s'informa de ceux qui s'y trouvoient, 8c apprenant que 1'évêque de Fréjus n'y étoit pas , il I'envoya avertir, 6c n'entra que lorfqu'il le vit arriver de Pair emprefie d'un homme trompé par 1'heure. II n'y avoit avec le roi, dans le  RÉGENCE, j., cabinet, que le régent, M. le duc, le maréchal ue Villeroi , 1'évêque de Fréjus & le cardinal Dubois. Le régent, prenant un air d'enjouement & un ton de liberté refpecfueufe , dit au roi l'affaire dont il s'agiffoit, releva les avantages de 1'alliance, & le pria de manifefter fon confentement. Le roi furpris garda le filence, parut avoir le cceur gros, & fes yeux devinrent humides. L'évêque de Frejus voyant qu'il falloit prendre un parti, plaire au régent ou fe 1'aliéner, appuya ce oui venoit d'être dit. Le maréchal, déterminé par 1 exemple de l'évêque, allons, mon maitre, dit-il au roi , il faut faire la chofe de bonne grace Le regent, très-embarraffé , M. le duc fort taciturne, & Dubois d'un air compofé, attendoient que le roi rompit un filence qui dura un demiqnart d'heure, pendant lequel l'évêque ne ceffa de parler bas au roi , & 1'exhortoit avec tendreffe a venir au confeil déclarer fon confentement. Le filence fe prolongeant, & 1'affemblée de tout le confeil, ou le roi alloit fe trouver ne pouvant qu'augmenter fa timidité , l'évêque le tourna vers le régent & lui dit : Sa maieité ira au confeil; mais il lui faut un peu de tems pour s'y difpofer. La-deffus le régent répondit qu'il etoit fait-pour attendre la commodité du roi, le fatóa d'un air refpectueux & tendre, jortit , & fit figne aux autres de le fuivre. M. le duc, le maréchal & l'évêque reftèrent auprès du roi. Dubois qui, depuis qu'il étoit cardinal, n'entroit plus au confeil, oü on lui refufoit la préféance, fe retira dans une autre piece.  I1X RÉGENCE. Le régent étant entré dans celle du confeil, trouva tout le monde. affemblé, & fort intrigué de la conférence fecrète du cabinet du roi. II y avoit un quart-d'heure qu'on fe regardoit les uns les autres fans prendre féance, lorfque le roi parut entouré des trois qui étoient reftés avec lui. Auffi-töt qu'on fut en place, tous les yeux fe portèrent fur le roi, qui les avoit encore rouges. Le régent lui adreffant la parole, lui demanda s'il trouveroit bon qu'on fit part de fon mariage au confeil. Le roi répondit un oui fort court & affez. bas , mais qui cependant fut entendu , & fuffifoit au régent, qui partit de-la pour détailier les avantages de 1'alliance. Quand tous parurent favorablement difpofés , il demanda les avis, qui ne pouvoient manquer d'être unanimes; & chacun appuya le fien de quelques mots d'approbation. Le maréchal de Villeroi, en approuvant comme les autres, ajouta feulement d'un air chagrin , qu'il étoit bien facheux que Pinfante fut fi jeune. La réflexion jufte en elle-même, étoit très-mal placée : il devoit fuivre le confeil qu'il avoit d'abord donné au roi , de faire la chofe de bonne grace, puifqu'elle étoit décidée; & 1'obfervation ne pouvoit qu'augmenter 1'humeur fombre du roi. Le régent ne lui laiffa pas le tems de réfléchir , lui fit compliment , s'appuya fur Punanimité des fuffrages du confeil, garans de celui de tous les Francois; & dans Pinftant, pour faire diverfion, fit rapporter une affaire. Dès le jour même, tous les couriers furent dépêchés. Le roi fut fort férieux le refte de la journée; le lendemain les complimens qu'il recut , le diffipèrent, 8c bientöt il s'entretint comme  RÉGENCE. lij les autres, des fêtes préparées pour 1'arrivée de l'infante. Le régent fut affez bien confeillé pour ne pas parler des deux mariages a la fois; la jaloufie du fecond auroit indifpofé bien des gens fur le premier : mais quinze jours après, lorfque tous les efprits furent familiarifés avec la première nouvelle, le régent alla trouver le roi , & en préfence de M. le duc, de l'évêque, du maréchal de Villeroi & du cardinal Dubois, après en avoir prévenu les deux premiers, rendit compte de 1'honneur que le roi d'Efpagne vouloit lui faire, & demanda au roi la permiffion de 1'accepter. Le roi donna fon agrément avec la gaieté d'un enfant , qui depuis quinze jours n'entendoit parler que de mariage & de 1'Efpagne. Cette alliance avec 1'Efpagne fut un coup de maffue pour la vieille cour. Les maréchaux de Villeroi, de Villars , d'Huxelles , de Tallart, firent leurs complimens comme les autres, & s'efforcoient de cacher leur dépit fans pouvoir cacher leurs efforts. Ces gens qui ne juroient que par 1'Efpagne, tant qu'ils s'étoient flattés d'en faire un épouventail contre le régent , ne fachant plus fur quoi s'appuyer, ne pouvoient revenir de leur furprife de voir deftinée au tröne d'Efpagne, la fille d'un prince dont Philippe V avoit demandé la tête fous le dernier régne, & qui depuis avoit porté la guerre en Efpagne. Le choix d'un enfant qui retarderoit le mariage du roi de plufieurs années, leur paroiflbit le chef-d'ceuvre de la politique. II V a pourtant apparence que le régent eut été moins attaché au choix de l'infante, s'il eüt pu fans cela marier fa fille au prince des Afluries.  114 RÉGENCE. Le duc de Saint-Simon fut déclaré ambaffadeur extraordinaire pour aller faire la demande de l'infante. Le prince de Rohan, grand-père du maréchal de Soubife d'aujourd'hui & gendre de la ducheffe de Ventadour, fut nommé pour aller faire Péchange des princelfes fur la frontière. Le duc d'Olfone vint a Paris, en qualité d'ambaffadeur extraordinaire , faire la demande de mademoifelle de Montpenfier. Nous avions alors pour ambafladeur ordinaire a Madrid , le marquis de Maulevrier-Langeron. Lauftez, Irlandois de nation & major des gardesdu-corps du roi d'Efpagne , eut a Paris le même titre pour 1'Efpagne. Quelqu'union que le doublé mariage mit entre les deux branches de la maifon de France , la conduite a tenir par nos miniftres a Madrid, exigeoit de la prudence. II y avoit a la vérité entre la France, 1'Efpagne & 1'Angleterre , une alliance défenfive, fondée fur les traités d'Utrecht & de la triple alliance. On y avoit ftipulé une garantie réciproque des états dont jouifloit ces trois puiflances, qui confirmoient au moins tacitement les renonciations & la fucceffion de la couronne d'Angleterre dans la maifon proteftante d'Hanovre. Ces articles convenoient fort au régent, mais n'étoient nullement du goüt du roi ni de la reine d'Efpagne, qui confervoient 1'efpoir du retour en France, fi 1'on avoit le malheur d'y perdre le roi. De plus, la France & 1'Angleterre avoient promis leurs bons offices pour terminer les différends qui reftoient a régler entre l'empereur & 1'Efpagne. Or, il y avoit dans ce moment-lè. un nouveau germe de méfintelligence.  RÉGENCE. L'empereur confervant toujours les idees autrichiennes, venoit de faire une promotion de grands d Efpagne Philippe Vs'en plaignit aux puiflances alliees. LAngleterre en reconnoiffance des avantages qu'elle avoit tirés d'Efpagne , accommoda cette affaire, & engagea l'empereur a donner une déclaration par laquelle il notifioit qu'il n'avoit point pretendu faire des grands d'Efpagne, dont Ie titre ne fe trouvoit point dans les titres des Sfn£™S a dans fa qualité de gouverneur -, fans y dire un mot fur les affaires. Dubois 1'avoit prévu | mais c'étoit déja beautoup 'que de faire caufe commune avec un homme de la naiffance du cardinal de Rohan , qu'il avoit mis en épaulement devant luL Une circonftanèe qui auroit dü combler le déroüt, fit grand plaifir a Dubois, & lui fervit merveilleuiement, Les maréchaux de France fuivirent 1'exemple des ducs. Dubois partit de-lè pour perfuafder au regent que c'étoit une cabale formée contre lui perfonnellement, puifque les maréchaux de trance qui n'avoient jamais rien difputé aux carchnaüx, prenoient parti dans l'affaire. Dubois en ecnvit dans cet exprit-la au duc de Saint5imon , duc jufqu'au fanatifme , mais très-atta^ the au regent. Dubois gliffant légérement fur la quelüon de préféance, appuyoient dans fa lettre lur la cabale dont il faifoit chef le duc de Noailles, tres-hai du duc de Saint-Simon, & finiffoit par le charge* d'engager le roi d'Efpagne, k prendre dans cette occafion parti pour le régent, & k fe déclarer hautement pour un gouvernement qui intéreffoit aujourd'hui les deux branches de la maifon de France. Le duc de Saint-Simon ne fut pas la dupe de cette prétendue cabale; mais il falloit du moins paroïtre en avoir rendu compte a Philippe V. II s'en acquitta de facon que ce prince regarda cette affaire comme une tracafferie domefhque, dont il ne vouloit ni ne devoit fe meier; Saint-Simon , pour öter tout prétexte è. K ij  148 RÉGENCE. le retenir en Efpagne, rendit compte au cardinal Dubois , de la réponfe de Philippe V, 8c tout de fuite prit congé 8c partit. En arrivant a. Bayonne , il recut une dépêche par laquelle le cardinal lui donnoit les plus grands éloges fur la manière dont il s'étoit acquitté de fa commiffion, avec mille proteftations d'amitié 8c d'impatience de le revoir. Le cardinal lui en avoit écrit une autre, par laquelle il le chargeoit de refter a Madrid , jufqu'a ce qu'il y eüt accrcdité Chavigny , aujourd'hui ambaffadeur en Suiffe. Chaque dépêche étoit ajuftée pour le lieu oü le courier renconti eroit l'ambaffadeur : la première, s'il le trouvoit déja fur les terres de France; l'autre, fi le duc étoit encore en Efpagne , oü Dubois 1'auroit beaucoup mieux aimé qu'a la cour de France. Dans le fait , le cardinal redoutoit le duc de Saint-Simon, pour, qui le régent avoit de 1'amitié, 8c très-oppofé aux prétenttons miniftérielles 8c cardinales ; mais il ne lui en prodiguoit pas moins les proteftations d'attachement. Cependant comme 1'iiripétuofité de fon caraöère 1'emportoit quelquefois fur fa diffimulation, il ne témoigna que trop fon humeur contre le duc de Saint-Simon , par la manière dont il recut un capitaine d'infanterie, que le duc avoit envoyé porter en France le contrat de mariage du roi. On avoit promis k cet officier la croix de St. Louis 8c un avancement. Le cardinal lui dit brufquement qu'on verroit. Ce jeune homme fe préfenta pendant deux mois devant lui, fans pouvoir leulement s'en faire regarder, II s'adreffa au fecretaire d'état de la guerre, qui lui dit qu'il avoit été lui-même fi  RÉGENCE. mal recu du cardinal k ce fujet, qu'il n'ofoit plus lui en parler. L'officier continua donc k paroitre humblement devant le cardinal. Un jour d'audience oü fe trouvoient les ambafTadeurs & nombre de gens diftingués, le cardinal importuné par quelqu\in, 1'envoya promener en termes grenadiers, jurant & criant a tue-tête. Le nonce qui etoit préfent, en parut au moins très-étonné; mais le jeune officier , frappé du contraire de ihabit & du ftyle du cardinal, éclata de rire. Le cardinal fe retourne brufquement, appercoit le neur , & le frappant fur 1'épaule k le faire rentrer èn terre, s'il ne 1'eüt auffi-töt raffuré ; tu nes pas trop fot, lui dit-il ; je dirai k le Blanc üexpedier ton affaire; elle le fut le même jour. Dubois voulant fe défaire des honnêtes gens qui l'incomnv doient le plus , commenca par le chancelier d'Agueffeau qui fut pour la feconde fois exde a Frênes. Les fceaux furent d'abord offerts a Pelletier de la Houffaye qui les refufa, n etant pas plus difpofé que d'Agueffeau k céder la prefeanee aux cardmaux. D'Armenonville (Fleunau) fut moins difficile, les accepta & obtint de plus de faire paffer fa place de fecretaire d'état a fon fils le comte de Morville. Le marquis de cu fi l (Beauvoir) qui venoit d'époufer la hile du chancelier, ne vit dans la difgrace de fon beau-pere, que des motifs de redoubler de foins & damitie pour la familie oü il étoit entré. Ces Beauvoir font des gens de qualité de Bourgogne, race de braves & honnêtes gens. La principale attention du cardinal étant défZ™}* ré§ent de to»s ceux qui étoient dns ia tamihanté, il fit exiler le marquis de Nocé. K lij  150 RÉGENCE. un des auteurs de fa fortune, & qui par-lk mé« ritoit fa difgrace. II étoit fils de Fontenay, qui a étant fous-gouverneur du régent, avoit taché de lui infpirer des principes de vertu, dans le tems que Dubois 1'inftruifoit a la pratique des vices, Le régent refpeftoit la mémoire du père, &: s'a^ mufoit fort de 1'efprit cauftique & plaifant du fils. Mais c'étoit par-la qu'il déplaifoit au cardinal, qui, depuis leur défunion, car ils avoient été fort unis , étoit devenu 1'objet de fes. plai-fanteries , & qui en redoutoit 1'effet dans une cour oit les faillies valoient des raifons. Nocé s'appercut aifément que le régent le facrifioit a regret au cardinal. Quelqu'un lui difant, pour le confoler, que cette difgrace ne feroit pas. longue :■ Qu'en favez-vous? dit Nocé.. Je le fais , répondit l'autre, du régent même. Eh qu'en fait-il, repli-. qua Nocé ? faifant entendre que le régent ne faifoit plus rien par lui-même, Le comte de Broglio, un des roués du régent,. fut auffi exilé. H devint fufpeót au cardinal, paree qu'il vouloit fe fervir de la crapule du Palais-? Royal, pour mettre le pied dans les affaires, Un des meilleurs moyens dont fe fervit Ie cardinal pour fe rendre maitre du terrein, 8c rétrécir la cour du régent, fut la tranflation du roi a Verfailles. La cour ne pouvoit pas manquer d'être nombreufe a Paris, au-lieu que la plupart ne pouvant s'établir a Verfailles, y viendroient rarement, & peu a peu en perdroient 1'habitude. Les miniftres ont toujours cherché a ifoler le roi, & H n'y en a aucun qui voulut le voir habiter la capitale, Ils lui perfuadent qu'il eft inftruit par eux de tout ce qui s'y paffe, fans  RÉGENCE. être obfédé d'une foule importune. Que de chofes cependant qu'un roi peut apprendre , appercevoir & fentir, en vivant au milieu de fes fujets ! En traverfant la ville, il lit dans tous les yeux la paffion dont les cceurs font affeclés , 'le mécontentement ou la fatisfaöion, les dtgrés d'amour ou de refroidiffement. Les miniftres ne font euxmêmes inftruits que par des fubalternes vils ou intéreffés, & ont fouvent intérêt de cacher au prince ce qu'ils apprennent. Le roi fut donc établi a Verfailles, & depuis n'eft revenu a Paris que pour tenir quelques lits de juftice inutiles ou défagréables, ou pour deux jours au retour d'une campagne. Le régent ne fut pas long-tems a Verfailles fans éprouver 1'ennui. La cour, proprement dite, n'eft fupportable qu'aux gens occupés d'affaires ou d'intrigues. Le régent étoit par fon rang au-deffus de 1'intrigue, tk devenoit chaque jour plus incapable d'affaires. Quoiqu'il fut dans la force de 1'age, la continuité des excès dans fa vie privée 1'avoit blafé. II lui ref toit tous les matins un engourdiffement de 1'orgie de la nuit; & quoiqu'il reprit peu a peu fes fens, les facultes de fon ame perdoient de leur rellort; la vivacité de fon efprit en étoit rallentie; il ne comportoit plus une application forte ou continue : il falloit des plaifirs bruyans pour le rappeller a lui-même. Ses foupers dont la compagnie étoit fi mêlée, fi différente d'états & fi conforme de mceurs ; fa petite loge de 1'opéra d'oii il choififfoit des convives, tout lui manquoit k Verfailles. II ne pouvoit pas, même en brayant Ie fcandale, tranfporter k la cour ce qui etoit néceffaire a fon amufement. Ayant tout K iv  x<$z 1 Régence, ufé , jufqu'a la débauche , il avouoit quelquefois qu'il ne goütoit plus le vin , & qu'il étoit devenu nul pour les femmes. Deux ou trois de fes ferviteurs profitoient de ces aveux, pour 1'engager a chercher, dans les devoirs de fon état, la chffipation, le délafiement qu'il ne trouvoit plus dans la diffolution. Confeils inutilés. Le commun des hommes quitte les plaifirs, quand ils en font quittés; mais on ne fe dégage jamais de la crapule. Le goüt du travail naït de 1'ufage qu'on en fait, fe conferve, mais ne fe prend plus a un certain age. II y a deux genres de vie trèsoppofés , dont 1'habitude devient une néceflité, la crapule & 1'étude. Le cardinal Dubois ayant très-bien prévu 1'ennui du régent a Verfailles, &c fes fréquens voyages a Paris, faififfoit habilement les occafions de contrarier les goüts du prince, en lui préfentant des affaires dans les momens ou elles 1'excédoient le plus, Le régent , pour s'en débarraffer , les renvoyoit a fon miniftre , qui par-la fe rendit le feid maitre de la correfpondance de tous les départemens ;7& la fur-intendance , avec le fecret de la pofte, dont il avoit dépouillé le marquis de Torci pour s'en emparer, lui donnoit la connoiffance du dehors & de l'inrérieur. Les affaires languiffoient néceflairement par la furcharge du cardinal &c par les entraves qu'il y mettoit a deflein© On fe plaignoit, on crioit après les expéditions. Le cardinal , pour prévenir les reproches de fon maitre, lui en faifoit lui-même, Le régent, fatigué des cris &z des plaintes, s'adreffoit au cardinal pour fortir d'embarras. C'étoit précifément ou celui-ci 1'attendoit. II eft impof-  RÉGENCE. 153 fible, Lui dit-il, que la machine du gouvernement puifle agir, fi tous les refforts ne font pas dirigés par une feule main. Les républiques mêmes ne fubfifteroient pas, fi toutes les volontés particulières ne fe réuniffoient pas pour former une volonté unique &c agifiante. II faut donc, ajoutoit Dubois, que le point de réunion foit vous ou moi, qu tel autre que vous voudrez choifir fans quoi rien n'ira , & votre régence tombera dans le mépris. Le régent ne pouvant pas nier la vérité du principe : Ne te laifie-je pas tout pouvoir, difoit-il a Dubois ? que te manque-t-il pour agir ? Non, répondoit celui-ci. Le titre fait principalement 1'autorité d'un miniftre. On lui obéit alors fans murmure. Sans un titre, tout exercice de la puifiance paroit une ufurpation, révolte & trouve des obftacles. Le régent étonné , quelquefois indigné de la fervitude ou il s'-étoit mis, defiroit s'en affranchir, & ne pouvoit fe diifimuler la honte d'un régent, obligé de recourir au remède d'un premier miniftre. Un roi qui ne fe fent pas les talens du gouvernement, peut & doit s'en repofer fur un homme qui en foit digne , & n'eft comptable que du choix. Mais un prince , revêtu d'une puifiance précaire, qui prend un miniftre unique, déclare publiquement fon incapacité , & mérite 1'opprobre d'un ambitieux pufillanime qui s'eft chargé d'un poids qu'il ne peut foutenir. Malgré fes réflexions , le régent ne pouvoit fortir de fa léthargie, pendant que ceux que le cardinal s'étoit attachés par 1'efpérance ou la crainte, ne ceffoient par eux tk leurs amis, de  154 RÉGENCE. fe répandre en éloges fur les talens fupérieurs du miniftre, fur fon attachement a ion maitre, répétoient ces propos , 8c les faifoient parvenir au régent. D'un autre cöté , le cardinal avoit pris foin d'écarter ceux qui auroient pu détruire dans 1'efprit du régent , les idéés qui commencoient a y germer. Le duc de Noailles 8c le marquis de Canillac venoient d'être exilés, fans autre prétexte que d'être les fauteurs, les chefs d'une prétendue cabale contre le gouvernement. Le premier avoit dit publiquement que l'infante feroit renvoyée un jour, & que le mariage auroit le fort du fyftême. Canillac avoit voulu conferver avec le cardinal, dont il étoit autrefois protecteur, des airs 8c un ton de fupériorité qui n'étoient plus de faifon. Les miniftres fouffrent k peine des amis , & ne veulent que des complaifans. Les roués du régent 8c les dignes compagnes de leurs foupers , étoient intimidés ou vendus au miniftre. Deux feuls hommes Pembarraffoient, le maréchal de Villeroi 6c le duc de Saint-Simon. Le premier, confidérable par fa place, avoit autant de mépris pour le cardinal , que de haine contre le régent, 6c verfoit fur le valet le fiel qu'il étoit obligé de retenir a 1'égard du maitre. L'autre , aimé 6c eftimé du régent dès 1'enfance , lui avoit été attaché dans les tems les plus critiques, avoit part aux affaires, un travail réglé, 6c en tout le coup d'ceil d'un homme diftingué de la fociété de plaifir , dont il fe tint toujours fort loin par des mceurs affez févères.  RÉGENCE, Le cardinal, qui avoit éprouvé plufieurs fois que le régent avoit confïé au duc de Saint-Simon, des chofes fur lefquelles il avoit promis un fecret abfolu , ne douta point qu'il ne lui parlat du projet de premier miniftre, peut-être même en confultation, II chercha a gagner ces deux principaux perfonnages. En attendant, il ne négligeoit aucune occafion de faire vanter fes fervices au régent, Le jéfuite Laffiteau, évêque de Sifteron, qui arrivoit de Rome, fut un des inftrumens que le cardinal employa avec fuccès, II le connoiflbit bien pour un frippon ; mais il ne 1'en eftimoit pas moins , & tachoit de parer aux inconvéniens quand il s'en appercevoit, Par exemple , il^ 1'avoit fait évêque pour le retirer de Rome, oü il avoit fu que Laffiteau payoit fes maitreffes & fes autres plaifirs , de 1'argent qu'on lui envoyoit pour diftribuer dans la maifon du pape, lorfqu'il étoit queftion du chapeau de Dubois, Laffiteau avoit le caracfère d'un vrai valet de comédie, frippon , effronté, libertin , nullement hypocrite, mais très-fcandaleux & grand conftitutionnaire, Comme il n'eft pas poffible de s'expliquer ainfi fans preuves fur un prélat qui vit encore, voici ce que je lis dans une lettre du cardinal Dubois au cardinal de Rohan : En fuivant le chemin que l'évêque de Sifteron m'a marqué avoir fait faire 4 des montres &d des diamans, j'ai trouvé des détours Hen obfcurs, & d'autres trop clairs. Dans une lettre de l'abbé de Tencin a fa fceur : L'évêque de Sifteron eft parti d'ici avec la ver... , c'eft ap~ paremmem pour ft faire guérir qu'il va d la campagne.  I56 RÉGENCE. Laffiteau n'avoit pas employé pour fes plaifirs tout Pargent qu'il avoit recu pour la promotion de Dubois; il en avoit répandu dans la domefticité du pape : mais il comptoit en recueillir le fruit pour lui-même. L'abbé de Tencin écrivoit a fa fceur : ejl certain que L'évêque de Sifteron prétendoit Je Jaire cardinal, je le Jais du carnerlingue. Je pourrois rapporter d'autres lettres fort démonflxatives : mais ce qu'on vient de voir me paroït fuffifant pour faire connoitre quelqu'un d'auffi peu important que Laffiteau , qui ne fe trouve dans ces mémoires que par occafion & comme inftrument d'autrui. Le cardinal Dubois , réfolu de Pemployer dans une conjonflure ou il pouvoit s'en fervir fans rifquer ni argent ni bijoux, lui fit a fon retour de Rome le plus grand accueil , le remercia de fes fervices, fans lui laiffer foupconner qu'il fut inftruit de fes perfidies, lui promit force bénéfices, fi dans 1'audience particuiière qu'il auroit du régent, il difoit a ce prince combien la cour de Rome étoit fatisfaite de la conduite & des talens admirables du cardinal, s'il infinuoit qu'on s'attendoit a le voir bientót premier miniftre, & que jamais le prince ne pouvoit faire un meilleur choix pour fa tranquillité perfonnelle & pour le bien de 1'état. L'appat étoit affez groffiérement préfenté ; mais le cardinal étoit impatient de régner , chargeoit du même röle tous ceux qu'il produifoit au régent , &c s'il ne le perfuadoit pas, vouloit du moins le fatiguer. A peine Laffiteau eut -il effleuré la matière ,  RÉGENCE. 157 que le régent voyant oü l'évêque en vouloit venir , 1'interrompit: Que diable veut donc ton cardinal ? Je lui laiffe toute 1'autorité d'un premier miniftre. II n'eft pas content, s'il n'en a pas le titre. Eh qu'en fera -1 - il ? combien de tems en jouira-t-il? II eft tout pourri de ver... Chirac, qiu 1'a vifité , m'a affuré qu'il ne vivra pas fix mois. Cela eft-il bien vrai, monfeigneur? Trèsvrai, je te le ferai dire. Cela étant, reprit l'évêque , dès ce moment je vous confeille de le déclarer premier miniftre & plutót que plus tard.... Comment ?... Attendez, monfeigneur. Nous apr prochons de la majorité. Vous conferverez fans doute la confiance du roi. II la devra a vos fervices, a vos talens fupérieurs; mais enfin vous n'aurez plus d'autorité propre. Un grand prince comme vous, a toujours des ennemis ou des jaIpux; ils chercheront a vous aliéner le roi; ceux qui 1'approchent de plus prés, ne vous font pas les plus attachés; vous ne pouvez pas, a la fin de votre régence, vous faire nommer premier miniftre; cela eft fans exemple; faites cet exemple dans un autre. Le cardinal le fera, comme 1'ont été les cardinaux de Richelieu & Mazarin. A fa mort, vous fuccéderez a un titre qui n'aura pas été rétabli pour vous, auquel le public fera accoutumé, que vous aurez l'air de prendre par modeftie & par attachement pour le roi; & vous aurez en même-tems toute la réalité de la puifiance. Le raifonnement de l'évêque frappa le régent, encore plus follicité par 1'ennui des affaires. II ne voyoit que le cardinal Dubois fur qui il püt s'en repofer. Sans appüis perfonnels, il n'exifteroit que  i}8 R É G É N C È. par celui qui 1'avoit créé» Ce parti pris, le régent n'étoit arrêté que par la honte de le déclarer. Le cardinal voyant fa nomination affurée, ehercha les moyens de prévenir les clameurs dont le maréchal de "Villeroi donneroit le fignal , & les reproches que le duc de Saint-Simon pourroit faire au régent» II-n'y eut point de refpecfs, qu*il ne pródiguat au maréchal; mais celui-ci les regardant comme un devoir , n'y répondoit que par des mépris» Le cardinal redoubloit de foumiffions, Sc le maréchal de hauteurs. Pour dernière reffource, le miniftre s*adrefta au cardinal de Biffi, ami du maréchal, & lé pria d'être le médiateur de cette liaifon. Biffi ne de» mandoit pas mieux que de faire quelque chofe qui fut agréable a Dubois, efpérant par-la obtenir 1'entrée au confeil, commé le cardinal de Rohan, & le cardinal Dubois entretenoit toujours les efpérances de ceux dont il avoit befoin. II avoit introduit le cardinal de Rohan au confeil, pour s'y frayer 1'entrée k lui-même , avoit choifi celui des cardinaux , qui étoit perfonnellement un feigneur ; mais il s'embarraflbit fort peu de Biffi. Quoi qu'il en foit, celui-ci lié avec le maréchal de Villeroi par le zèle de la conftitution & 1'ancienne fociété de madame de Maintenon , alla le trouver, lui peignit la douleur du cardinal Dubois de ne pouvoir obtenir les bonnes graces de 1'homme qu'il refpedfoit le plus, dont il admiroit les lumières fupérieures, & qui feroit fi néceffaire au gouvernement, s'il vouloit permet-  Régence. tre que le cardinal miniftre vïnt le confulter lui ouvnr fonporte-feuille, ne fe conduire enfin que par fes confeils. n Le maréchal trop perfuadé de fon mérite, pour douter un inftant de la fincérité des louanees qu'il recevoit, étoit intérieurement combattu par fon antipathie pour le miniftre ; mais il erut devoir la facnfier au bien de 1'état , puifqu'il étoit fi néceffaire, & permit au négociateur de porter des paroles de paix a fon commettant. Biffi charmé du fuccès de fa miffion, vint en rendre compte au miniftre qui, tranfporté de joie e pria de retourner a 1'inftant, faire au maréchal les plus vifs remerciemens de fes bontés, & en obtemr une aud^nce pour le miniftre qui lui étoit ie plus devoué. Le maréchal touché de tant de foumiftions qui alloient jufqu'a la baffeffe, crut mettre le comble a la generofité, en faifant répondre au miniftre qu'il lui défendoit de venir, & lui mandoit de 1'attendre chez lui. Dubois obéit, favourant d'avance 1'honneur éclatant que lui feroit une vifite du maréchal; il n'attendit pas lonetems. r o Le lendemain, jour d'audience des ambaffadeurs le maréchal accompagné du médiateur Biffi fe rendit chez le cardinal Dubois. La pièce qui 'précede le cabinet, étoit remplie de miniftres étrangers & des perfonnages les plus ccnfidérables de -la cour L'arnvée du maréchal caufa la plus grande furprife k 1'affemblée, dont aucun n'ignoroit les mépris que le maréchal avoit toujours prodigués au cardinal. Celui-ci étoit alors enferme avec le miniftre de Rufiie, & la régie  IÓO RÉGENCE. eft de ne point couper les conférences particulières (i). Cependant les valets-de-chambre , fans doute par ordre particulier de leur maitre, vouloient annoncer le maréchal qui le défendit. Lorfque le cardinal, en reconduiiant le miniftre de Rufiie, appercut le maréchal , il fe précipita au-devant de lui & prefque a fes genoux, fe plaignit d'avoir été prévenu , lorfqu'il n'attendoit que la permiflion de fe préfenter. II fit paffer dans fon cabinet le maréchal & le cardinal de Biffi, & les fuivit, en s'excufant auprès des miniftres fur 1'importance & 1'affiduité des fonctions du maréchal auprès du roi. La converfation s'engagea par force complimens, affurances de refpecf, proteftations d'attachement inviolable de la part du cardinal Dubois , dont fon confrère étoit garant. Le maréchal y répondit d'abord par des politeffes dignes , puis voulant prouver la fincérité de fes fentimens par la franchife de fes confeils, il rappella au cardinal quelques fautes de conduite. Dubois un peu étonné , recut avec des remerciemens vagues & généraux ces marqués d'intérêt qui par dégrès devenoient un peu vives. Le maréchal voulant les continuer, céda, fans s'en apperpevoir , a 1'ancienne antipathie qui fe réveilloit dans fon cceur, & paffa a. des vérités dures. Le cardinah de Biffi voulut prévenir ou arrêter la fougue du maréchal : ___________^——» (i) Les miniftres étrangers font fucceffivement introduits chez le fecretaire d'état de ce département, fuivant 1'heure oü ils font arrivés , pour éviter toute compétence de rang entre eux.  RÉGENCE. chal : il n'en étoit plus tems. La colère qui , dans les vieillards , eft le feul vice de la jeunefie qm fe ranime par 1'extindfion des autres emporta la maréchal. II ne ménagea plus les termes, traita ie cardinal comme le dernier dés hommes, & d'un ton qu'on entendoit de la derniere anti-chambre , paffa aux menaces , & lui dit que tót ou tard il le perdroit. II ne vous leite , lui dit-il en dérifion , qu'un moven de vous fauver, vous êtes tout-puiffant, faites-moi arreter fi vous 1'ofez. Dubois pade , interdit , n avoit pas la force de repliquer, regardoit Biffi qui , après avoir inutilement taché d'arrêter ce torrent d'mjures, & outré d'une fcène très-offeniante pour lui, prit le maréchal par le bras, & 1 entraina comme par force vers la porte. Ils voulurent en vain compofer leur maintien & leur vifage en traverfant 1'affemblée ; 1'altération etoit trop forte. D'ailleurs les éclats de voix s étoient feit entendre ; & de plus le maréchal sapplaudiffant de ce qu'il venoit de faire, affefta de s'en vanter a qui voulut 1'entendre. « wiiundi, nors ü'etat de continuer fon audience , courut furieux , eflbufflé & bégavant de colere chez le régent, lui dit qu'il falloit opter entre le maréchal & lui, raconta , autant que ia fureur hu permettoit de parler , ce qui venoit de fe paffer, ne difant pas quatre paroles , lans offnr 1'option du maréchal ou de lui. Le regent lui demandoit des détads : le cardinal ne [e RP.offédant pas affez pour le faire, le renvoyoit k Biffi , & finiffoit toujours par demander fa retraite ou 1'exil du maréchal. Le régent, pour calmer un peu fon miniftre, lui promit juftice, Tür::e II. L  ïóz R É G t ft C E, 6c manda Biffi qui fe trouvant prefque aufli offenfé que fon confrère, ne ménagea pas le maréchal qu'il étoit impoiiible d'excufer, 6c qui ce jour-la 6c les fuivans chargea encore de rodomontades fa fotte extravagance. Le régent avoit toujours témoigné au maréchal une confidération a laquelle celui-ci ne répondoit qu'avec la morgue d'une haine difficilement contenue , & fouvent la manifeftoit par les précautions qu'il affecfoit de prendre pour la confervation du roi contre de prétendus mauvais deffeins du régent, 6c s'étoit rendu par-la le point de ralliement des frondeurs, la dérifion des gens fenfés 6c 1'idole de la populace. II ne perdoit pas la moindre occafion de fe montrer au peuple avec le roi, 6c portoit cette attention jufqu'au ridicule. Par exemple, le roi ayant voulu fuivre la proceffion de St. Germain le jour de la Fête-Dieu, le maréchal qui marchoit avec peine, accompagna a cheval fon élève qui étoit a pied, ce qui produifit plus de rires que d'édification. Quelque mépris que le régent eut pour les forfanteries du maréchal, il en étoit quelquefois piqué , 6c avoit été deux ou trois fois prés de 1'exiler; mais la dernière incartade combla la mefure. II fentit que c'étoit s'attaquer a lui-même que d'outrager fon miniftre. Soit deffein formé de troubler le gouvernement , foit radotage du maréchal , dans 1'un & l'autre cas, c'étoit un homme fort déplacé auprès du roi, 6c qui n'a- I voit jamais eu d'autres qualités de gouverneur que la repréfentation. II avoit quelquefois craint fa difgrace, 6c paffoit alors de 1'audace a la frayeur. j Cependant a force de fuccès dans fes fottifes, il en  R È G E N C E. l6 étoit venu a fe croire inattaqiiable Si n-wü ami lui repréfèntoit qu'il s^tlt au StT ment du regent, il répondoit qu'un gouveme r~ t que lm, étoit inféparable de fo/élève & que fi on le mettoit en prifon, il faudroit qu'on y mit le r0l; enfin ü parloit auffi follement^S Le régent ayant pris fon parti Air IWil a gouverneur, voulut avant l'exécutrnn«• de M. le duc en le confijltam t\ ^ WT** defiroit farre remplacer le maréchal, ffi fhnu £ P°,Ur 6 r6fufer; f0n atta'chement r connu pour le regent, 1'auroit rendu défaeréahl 3 tZ!T± public f ad™ le " tous les trois convinrent de la nécefiité ïoigner le gouverneur, mais de mettre ZtA cTonel°UrS fntCrVaIIe' & de ^oJTlC canon de quelque injure perfonnelle au réeenr Perfonne n'excufoit Ie maréchal : mais Ie mï mfire etoit fi odieux que 1'éxii du goude n eS ete regarde comme un chatiment ihP7rieUr è a compVaTSiJT^ réSuIiél™ent rendre compte au roi de la nomination aux emplois au* Jenefices, pour que le jeune Prince püt7e' r ttfefr 3V01t P^ au Sou™« Ce havent 5 'U Cn FéfenCe du gouverneur & fou. ven du précepteur. Quelquefois le régen: avoh «nettoit la tête entre eux deux, & préS^J L ij  164 Régence; qu'on ne pouvoit rien dire qu'il ne düt entendre; Le régent en étoit piqué, mais en avoit caché fon dépit. 11 réfolut donc de mettre le maréchal dans le cas d'une pareille indifcrétion, Sc de la lui faire pouffer jufqu'a 1'infulte. II alla chez le roi, Sc le fupplia, en entrant, de vouloir bien paffer dans un cabinet oü il auroit un mot a lui dire en particulier. Le gouverneur , comme on 1'avoit prévu, s'y oppofa. Le régent , avec une politeffe Sc une douceur encóre plus marquées qu'a 1'ordinaire , lui repréfenta qu'il étoit tems que le roi fut inftruit de chöfes concernant 1'état , qui n'admettoient point de témoins, Sc le pria que le dépofitaire de 1'autoritê du roi püt 1'entretenir un moment tête-a-tête. Le maréchal prenant pied des égards dont 1'excès eüt été fufpecl: a tout autre, répondit qu'il connoiffoit les devoirs de fa place, Sc que le roi ne pouvoit avoir de fecrets pour fon gouverneur, protefta qu'il ne le perdroit pas de vue une inftant , Sc qu'il devoit répondre de fa perfonne. Le régent prenant alors le ton de fupériorité, dit au maréchal: Vous vous oubliez, monfieur, vous ne fentez pas la force de vos termes : il n'y a que la préfence du roi qui m'empêche de vous traiter comme vous le méritez. Cela dit, il fit une profonde révérence au roi, Sc fortit. Le maréchal déconcerté , fuivit le régent jufqu'a la porte, Sc vouloit entrer en juft'fication ; mais le prince lui jettant un regard méprifant, Sc fans lui répondre, continua de s^loigner. L'évêque de Fréjus & quelques domeftiques intér eurs qui étoient préfens, fe compoierent affez, pourne rien  RÉGENCE. 165 laiffer paroitre de ce qu'ils penfoient, & le roi refta fort étonné. Le maréchal voulant juftifïer la conduite & fes ^ difcours devant ceux qui avoient été témoins de la fcène, ou a qui il en paria, n'eut pas de peine k s'appercevoir qu'ils gardoient un filence de neutralité fort inquiétant pour lui. Dès le jour même , il affecta de dire & de répéter qu'il n'avoit écouté que fon devoir, & qu'il feroit bien malheureux que le régent püt penfer qu'un ancien ferviteur eüt voulu lui manquer ; que dès le lendemain it iroit chez lui expliquer fa conduite & fes motifs, & que certainement le prince les approuveroit. Tous fes difcours de la journée furent un mélange de hauteur de romain &c de baffeffe de courtifan. Le jour fuivant; il fe rendit vers midi k i'appartement du régent; c'étoit la qu'on 1'attendoit. Les mefures pour 1'arrêter avoient été concertées chez le cardinal Dubois entre le maré.hal de Barwick, le prince & le cardinal de R )han, le comte de Belle-Iile & le fecretaire d'état le Blanc, feule partie néceffaire : les autres s'y trouvoient pour le moins indécemment. Barwick devoit principalement fa fortune au maréchd de Vlleroi, &z l'ayoit toujours cultivé autant en protedfeur qu'en ami ; mais il étoit charmé de fe voir affranchi de la fervitude que le maréchal de Villeroi impofoit a ceux qu'il avoit obligés ; c'étoit un tort a celui-ci, & une infamie a l'autre. Les^ deux Rohans calculèrent tout fimplemènt de qui ils pouvoient déformais attendre le plus, du gouverneur ou du miniftre, & fe décidèrent en conféquence, D'ailleurs le cardinal de Rohan L iij  *66 R É G E N'.C E. n'étoit pas encore détrompé de 1'efpérance de parvenir au premier miniftère par le fecours du cardinal Dubois. On ne prendra pas la-deffus une grande opinion de fon talent pour connoitre les hommes. En effet, avec une figure charmante, des graces, de 1'agrément dans la fociété, il étoit auffi propre au miniftère que le maréchal de Villeroi a 1'éducation d'un prince. Le comte de Belle-Me, ami 'de le Blanc, cherchoit deja a etre de quelque chofe dans les affaires, & malgré mille traverfes, eft parvenu a jouer un affez grand röle. Avec un efprit aftif, patiënt, quoique vif, il ne perdoit jamais de vue Jon objet, & eut autant d'honneur & de prooite_ qu'un ambitieux en peut conferver. Si la préfomption du maréchal ne 1'eüt pas aveugle, toutes les mefures prifes pour 1'arrêter auroient eté inutiles ; il n'avoit qu'a refter continuellement auprès du roi .- la gêne n'étoit pas grande, puifqu'il pouvoit conduire fon élève partout oü il avoit lui-même envie d'aller, & qu'il couchoit dans la chambre du prince. Jamais le regent n'auroit ofé hafarderune violence aux Yeux du roi. J , Mais le maréchal, dans une pleine fécurité simagma pouvoir aller chez le régent, comme a une exphcatjon d'cgal a égal. II traverfe avec ies grands airs, au milieu de toute la cour , les pieces qui précédoient le cabinet du prince : la Joule s'ouvre, & lui fait paffage avec refpeét II demande d'un ton haut oü eft M. le duc d'Orléans : on lui répond qu'il travaille. II faut pourm%»pM t W' je le voie ; qu'on m'annonce. Mes 1 inftant qu'il s'avance vers la porte qu'il ne •  s RÉGENCE. l6j tioute point qui ne s'ouvre devant lui , le marquis de la Fare , capitaine des gardes du régent, ié prélénte entre la porte & le maréchal , 1'arrête, lui demande fon épée; le Blanc lui remet l'ordre du roi; & dans le même inftant le comte d'Artagnan commandant des moufquetaires gris , le ferre du cöté oppofé a la Fare. Le maréchal crie & fe débat: on le jette dans une chaife a porteurs, on 1'y enferme, & on le paffe par une des fenêtres qui s'ouvre en porte fur le jardin. La chaife entourée d'officiers des moufquetaires traverfe le jardin, defcend 1'efcalier de 1'orangerie , au Bas duquel fe trouve un carroffe a fix chevaux entouré de vingt moufquetaires. Le maréchal furieux , tempête , menace : on le porte dans la voiture; d'Artagnan fe place a cöté de lui,, un officier fur le devant avec du Libois, gentilhomme ordinaire ; le carroffe part \ & en moins de trois heures le maréchal eft; a Villeroi, a 8 ou 9 lieues de Verfailles. II ne cefta pendant tout le chemin de crier a la violence, a 1'info-lence du fcélérat Dubois, a 1'audace du régent, a Pindignité de d'Artagnan qui s'eft chargé d'une fi horrible commiffion, a 1'infamie de du Libois. On le laiffoit déclamer, fans lui répondre. II paffoit enfuite aux louanges de fon mérite, a Pénu.mération de fes fervices, oii il ne comprenoit pas fans doute fes campagnes. Toute 1'Europe , s'écrioit-il, feroit révoltée de cet événement , & Paris alloit fe foulever a la première nouvelle. Un tel efpoir tempéroit un peu 1'amertume de fon ame. Cette expédition ne produifit cependant autre chofe que des murmures dans le peuple, crainte & filence a la cour, L iv  , K É G E N C E. Ce qui embarraffoit le plus Ie régent, étoit den inftruire le roi, avant qu'il 1'apprït par la voix publique : il fallut donc y aller. A peine le regent eüt-il dit que le maréchal venoit de partir, que le roi, fans faire la moindre attention aux motifs que le prince expofoit fommairement, ie fflrt a pleurer, & ne proféra pas une parole. Le regent ne jugea pas a propos de prolonger un entretien gênant pour tous deux, & fe retira. Le jeune prince fut extrêmement trifte tout ie refte du jour; mais, dans la matinée fuivante, ne voyant pas paroïtre l'évêque de Fréjus , ce furent des pleurs, des cris & toutes les marqués du defefpoir. On n'en fera pas étonné, lorfqu'on lairra que le maréchal lui avoit perftiadé que la iurete de fes jours dépendoit uniquement de Ia vigilance de fon gouverneur. Un enfant k qui on avoit mfpire de fi horribles idéés, crut ne voir que des ennemis autour de lui, lorfqu'il n'appercut plus les deux hommes qu'il regardoit comme les derenfeurs de fa vie. Le prélat avoit difparu. fans qu'on füt oh il étoit allé. Le régent, dans ie plus cruel embarras, envoyoit de tous cótéson le crut d'abord k Villeroi ; on apprit qu'il nV etoit pas. Dubois imagina affez ridiculement que 1'eveque feroit k la Trape, & 1'on alloit y dépecher un courier, lorfqu'on apprit que la veille si etoit allé k Bafville , chez le-préfident de Lamoignon. Le régent courut k 1'inftant dire au roi que leveque arnveroit dans la journée. Cette nouvelle confola un peu le jeune prince. Le couner deftmé pour la Trape, fut dépêché k Bafville, & le précepteur revint charmé des preu-  RÉGENCE, I(5cj ves de tendrelTe que fon abfence avoit fait éclarer de la part du roi. La douleur d'avoir perdu l'évêque, lui avoit fait prefque oublier'le maréchal; & le plahir de retrouver celui des deux qui lui étoit le plus cher , 1'empêcha de revenir a fon premier chagrin. II ne tenoit a fon gouverneur que par 1'habitude de 1'enfance. Le maréchal étoit trés-attaché a fon élève ; mais fon zèle , fes empreffemens, fes carrelfes étoient toujours fi gauches, que le roi n'en fentoit que 1'importumté. L'évêque, en homme d'efprit, & fur-tout trèsïnfinuant, s'étoit conduit avec plus d'adreife. II avoit l'art d'amener a lui fon pupile , fans paroitre aller au-devant , & par-la s'étoit rendu néceffaire. Le régent comprit qu'il faudroit déformais ménager l'évêque, mais aufli qu'il pourroit s'en fervir utilement , a commencer par 1'occafion préfente. Loin de lui faire des reproches amers fur ia fmte, il ne hu en fit que d'obligeans, le careffa beaucoup , chercha k lui perfuader que fi Pon ne 1'avoit pas prévenu fur ce qui s'étoit paflé, c etoit uniquement pour lui épargner 1'embarras qu'il auroit eu avec le maréchal. On lui expliqua les motifs del'exil; on 1'engagea a les faire goüter au roi , & k préfenter lui-même le duc de Charoft pour gouverneur, en qui il trouveroit plus d'egards & plus de docilité en fes confeils que dans le maréchal. \ évêque ne fut pas difficile k perfuader II etoit ïnténeurement charmé d'être délivré d'un collegue dont il avoit fouvent éprouvé les hauteurs & les jaloufies.  170 R É G E N C E. Lorfque le maréchal apprit le retour de Fleury & la nomination du duc de Charoft, il ne fe pofféda plus , & déclama contre Pindignité du duc d'avoir accepté fa place; mais fes tranfports de fureur contre Fleury font inexprimables. II le traita de coquin, de traitre, de fcélérat, de miférable ferpent qu'il avoit réchauffé dans fon fein; & Pon apprit par les fureurs du maréchal les vrais motifs de la retraite de Fleury. On fut qu'ils s'étoient promis, dès Ie commencement de la régence, que, fi 1'un étoit ronvoyé , l'autre fe retireroit a 1'inftant, & ne reviendroit jamais fans fon collègue. Fleury, par fa fuite, prétendoit avoir acquitté la première partie du ferment, & que l'ordre du roi lui donnoit 1'abfolution de la feconde. Sa confeience étant donc tranquille , il ne fentit plus que la fatisfaöion de fe voir en état de fuivre un plan d'éducation fanS contradicfeur, & il ne fut plus queftion du maréchal qui fut envoyé de Villeroi k Lyon. Le cardinal Dubois , fur du confentement & même du defir du régent de fe décharger des affaires fur un premier miniftre , ne craignit plus les clameurs du maréchal. Mais il étoit encore embarraffé du crédit du duc de Saint-Simon auprès du prince; il voulut le faire preffentir, & chargea de cette commiftion le comte de BelleIile qui ne demandoit pas mieux que d'agir de quelque facon que ce püt être. Sa vie s'eft paffée dans une adfivité continuelle. Je lui ai ouï dire que, pendant trente-quatre ans, il n'avoit dormi que quatre heures par nuit. Belle-Me déclara franchement au duc de SaintSimon que l'affaire étoit décidée , que c'étoit une  RÉGENCE. i-7ï preuve d'eftime du cardinal de rechercher fon approbation, & de lui laiffer le choix de fe montrer arm ou ennerni dans une fi grande occafion Le duc, très-perfuadé de 1'inutilité de la réMtance , avoue ingénuement dans fes mémoires que la réponfe au comte- de Belle-Me fut pleine degards, quoique fans fauffeté , pour le cardinal ; maïs d prétend qu'il paria contre ce proiet avec Ia plus grande force au régent. S'il lui a term le difcours que j'ai lu de fa main, il feroit diffiale de dire rien de plus fort, & qui prouvat mieux la foibleffe du régent. Quoi qu'il en foit, le cardinal fut déclaré premier miniftre. Le parlement enregiftra les lettres par complaifance ; les journaux furent remplis de vers rades ; les courtilans applaudirent: toute la trance cna contre le choix, & 1'académie fran- r mi* AU1Vant fa noble coutume > 1'inftala parmi les uluftres. - Le cardinal de Rohan s'appercut enfin qu'il avoit ete joue par Dubois. 11 en fut un peu humme ; mais il s'humilia encore davantage , en exa tant les talens fupérieurs de fon confrère, & la neceffite du choix. II fe flatta que tant dé reügnation meriteroit a fa maifon quelques dédommagemens de la part du miniftre, & le facre d» roi s'etant fait deux mois après, le prince de Rohan fut choifi pour faire les foncfions de grandmaitre de la maifon du roi, a la place de M. le duc , qui repréfenta le duc d'Aquitaine. Les relations: du facre ont été fi répandues que re me bornerai encore k quelques obfervations \-rne les journaliftes ont ignorées ou fuppri"lees è de5ein. i rr  171 Régence. L'évêque, duc de Langres (Clermont Tonnerre), que fon age & fes inrirmités empêcherent de fe trouver a Rheims, fut remplacé par celui qui le fuivoit dans l'ordre des pairs , de ibrte que l'évêque comte de Noyon (Chateauneuf de Rochebonne), fixième pair, repréfentant le cinquième, fut repréfenté par 1'ancien évêque de Fréjus, Fleury, qui depuis en conferva les honneurs. • Le régent & cinq princes du fang , repréléntèrent les fix pairs laïques. Les ducs & pairs n'ayant rien a objecter contre de tels repréfentans , prétendirent, peut-être avec raifon, devoir les fuivre immédiatement. Le cardinal Dubois, qui avoit fes vues en faveur des cardinaux, répondit aux ducs & pairs d'une faeon fi équivoque , qu'a 1'exception de ceux qui eurent des fonctions particulières^ au facre, aucun duc & pair n'y voulut paroitre. Le duc du Maine , réduit alors a fon rang de pairie, depuis le lit de juftice de 1718 , n'eut garde de fe préfenter, & le comte de Touloufe, quoiqu'en poffeffion des honneurs de prince du fang , craignant de fe compromettre, s'abfenta auffi; &c le cardinal de Noailles, duc & pair, ne voulant manquer, ni a fa dignité de cardinal , ni a celle de pair, reita a Paris. Le cardinal Dubois, pour illuftrer la pourpre romaine, imagina un expediënt. N'ofant placer les cardinaux devant les pairs 'eccléfiaftiques, &r ne voulant.pas qu'ils parulfent a leur fuite, il fit mettre un banc un peu en arrière de celui des pairs, mais plus avancé vers 1'autel, de manière que le dernier cardinal ne fut pas effacé par le premier pair, Ainfi les cardinaux pouvoient pa-  RÉGENCE. 173 roïtre avoir le premier rang, ou du moins n'être pas au fecond. Qui que ce foit de l'ordre de la nobleffe ne fut invité , comme fimple afliftant, excepté ceux qui faifoient foncf ions , & deux maréchaux de France qui n'en avoient point.' Cela étoit d'autant moins régulier, que plufieurs prélats fans fonction & même des eccléfiaftiques du fecond ordre, avoient été invités. , Une curiofité puérile occalionna une autre irrégularité. Les quatre ötages de la Sainte Ampoule ,^ au-lieu de refter, fuivant la règle & 1'ufage, a 1'abbaye de Saint-Remy, jufqu'i ce que 1'Ampoule y fut rapportée, ne voulurent pas fe pnver du ïpecfacie du facre , & 1'on fe contenta de leur ferment de rapporter 1'Ampoule. Ces ótages ne font k la vérité qu'une fimple formalité; mais le mépris des formes entraine bientót parmi nous celui du fond. Nous employons fi fouvent la formule , fans tirer a conféqmnce, qu'a la fin tout fera fans conféquence. Parmi les formalités qu'on négligea , il y en avoit une, honorable pour le corps de la nation , Sc qui avoit toujours été obfervée jufqu'au facre de Louis XIV, inclufivement. C'étoit de laiffer entrer dans la nef de 1'églife, le peuple, bourgeois & artifans, qui joignoient leur applaudiffement a celui du clergé & de la nobleffe, lorfqu'avant de faire 1'onöion du roi, 011 demande 'a haute voix le confentement de 1'affemblée, repréfentant la nation. Au facre de Louis XV, on n'ouvrit les portes au peuple qu'après 1'intronifation. L'ancien ufage ne devoit pas s'aboiir fous un miniftre forti de la lie du peuple.  J74 Régence. Le lendemaïn du facre, le roi recut le collier de l'ordre du St. Efprit, des mains de 1'archevêque de Rheims, Sc le roi, comme grand-maitre de l'ordre, le donna enfuite au duc de Chartres Sc au comte de Charolois. A la cérémonie, les quatre grands officiers fe couvrirent comme les chevalièrs, quoique le chancelier de l'ordre en ait feul le droit. A la cavalcade, les princes du Vang eurent auprès d'eux un de leurs principaux officiers ; diltinöion jufquesda réfervée aux feuls fils & petits-fils de France; le régent devoit donc 1'avoir feul. Au retour de Rheims, il conclut le mariage de mademoifelle de Beaujolois fa fille , avec Dom Carlos, mfant d'Efpagne. Huit jours après, madame, mère du régent, mourut (i) , généralement eiiimee, Sc particuliérement aimée de ceux qui 1'approchoient. Les mécontens lui firent une épitaphe, très-injurieufe k fon fils Sc fort peu contredite. Ci-gït 1'oifiveté. Le 16 février, le roi étant entré dans fa quatorzieme année, recut les complimens de la cour fur fa majorité ; & le 22 il vint a ce fujet au parlement, tenir fon lit de juftice, Sc fit trois ducs Sc pairs dans cette féance, Biron, Lévi Sc la Vallière. La familie du premier, alléguoit naïvernent dans fes follicitations, la perte du duche, par la condamnation de Charles de Biron. W L« fpeflacles furent fermés pendant huit jours , paree SueUe «ou veuve d'un fils de France. Le roi qui drapa ree" £ ö* ^ £ompa§nies- demi tut de quatre nS  RÉGENCE. I75 pour crime de léze - majefté. D'autres vouloient en faire un motif d'exclufion, cependant on ne fauroit trop rendre les fautes perfonnelles. II eft jufle Sc d'un gouvernement fage, qu'une familie qui s'eft perdue par des fautes , puiffe fe relever par des fervices. Le confeil de régence ceffa a la majorité, & les confeils reprirent la forme qu'ils avoient fous le feu roi (1), a 1'exception des deux princes du fang, le duc de Chartres Sc M. le duc, qui entrèrent dans le confeil d'état, a la fuite du duc d'Orléans. Le cardinal Dubois en étoit de droit, Sc il y fit entrer le comte de Morville, en lui cédant le département des affaires étrangères. Le cardinal Dubois, malgré fa puhTance, craignoit tous ceux qui approchoient du roi. Pour refferrer le plus qu'il le pouvoit la cour intime, il fit fupprimer les grandes Sc premières entrées accordées par Louis XIV, Sc en imagina d'autres appellées familières, qu'il reflraignit a lui, aux princes du fang Sc au comte de Touloufe, a la ducheffe de Ventadour Sc au duc de Charoft, Sc les étendit au duc du Maine Sc a fes deux hls, lorfqu'ils furent rétablis dans les honneurs de princes du fang. II ne les accorda pas d'abord a l'évêque de Fréjus : mais jugeant bientöt qu'il feroit imprudent de les refufer a un homme chéri du roi , & qui finiroit par les obtenir de ce prince même , peu de jours après il le mit fur la lifie , comme n'ayant été omis que par oubli. (1) Louis XIV n'avoit point admis de prince du fang dans fes confqjls.  I?6 RÉGENCE. Les foupcons du cardinal croifloient de jour en jour. II s'appercevoit que le roi n'avoit aucun goüt pour lui. Indépendamment de la difgrace perfonnelle de la figure, d'un bégayement naturel qu'une habitude de fauffeté & de fervitude primitive avoit encore augmenté , fes manières n'étoient jamais plus gauches & plus défagréables que lorfqu'il cherchoit a plaire. II manquoit d'un extérieur^d'éducation, qui ne fe prend plus a un certain age : de forte que ne pouvant atteindre a la politeffe, quand il en avoit befoin, d paroiffoit alors bas & rampant; & fa grofiiéreté habituelle aux yeux d'un jeune prince accoutumé aux refpefts & aux graces du régent, avoit un air d'infolence. Le cardinal, pour vaincre , autant qu'il pouvoit, le dégout du roi, lui préfentoit fouvent quelques curiofités de fon age. Deftouches, notre réfident a Londres, étoit chargé de fes commiflions; & le cardinal recommandoit de ne les envoyer que fuccefiivement, pour multiplier les occafions de plaire au roi & entretenir fa reconnoiffance. Dubois defiroit fort que le duc de Chartres, premier prince du fang & colonel-général de ['infanterie, vint travailler avec lui. II n'ofa pas le propofer ouvertement; & s'adreffa a l'abbé Mongault, ci - devant précepteur du prince , & qui avoit confervé beaucoup de crédit fur fon efprit. Mongault, plein d'honneur, d'efprit, & très-peu flexible, n'aimoit ni n'eftimoit le cardinal, & fe contraignoit peu fur fes fentimens. II répondit féchement qu'il n'abuferoit jamais de la confiance d'un prince, en 1'engageant a s'avilir. Le cardinal vit  K é G E N C £. jyy vit bien qu'il n'avoit pas k faire k un feigneur, & nejugea pas k propos de témoigner le moindre reflentiment. La plupart des gens en place n'aiment point les gens de lettres ; mais ils les menagent, & ne veulent pas s'aliéner ceux qui ont peu k peidre, voient, fentent, parient CC ecrivent. Le cardinal ayant, peu de jours apres, rencontré Mongault, lui dit : L'abbé, le roi a fu que vous aviez commencé k ajllfler une maifon de campagne, dont la dépenfe vous a obere; il m'a chargé de vous donner une pratification de dix mille écus. L'abbé fentit d'abord le motif de cette générofité, & comprit que le cardinal n'ayant pu le féduire, vouloit le Corrompre. II n'en fit rien paroïtre, & le pria de le prefenter, pour en faire fon remerciement au roi. Le cardinal voulut au retour remettre fur le tap* l'affaire du travail; mais l'abbé fe contenta de répondre avec plus d'égards que la première leus, & ne fut pas plus docile. Le cardinal ayant échoué dans fon projet k I egard du duc de Chartres, ne fut pas fort fenlible a 1'honneur de voir travailler chez lui le comte d'Evreux, colonel-général de la cavalerie & le comte de Coigny, qui 1'étoit des dragons! II prit donc le parti de renvoyer au fecretaire d'état de la guerre, le détail de 1'infanterie, de la cavalerie & des dragons. La marine continua de s'adreffer au comte de Touloufe. Le duc du Maine conferva les Suiffes & 1'artillerie, fur le pied oh Hr les avoit fous le feu rob; mais ce fut en fe foumettant k travailler chez le cardinal. Le Blanc , fecretaire d'état de la guerre , & le comte de Belle -Me, paroiffoient abfolument -i ome II, m  ty'è R É G £ N C E.' livrés au premier miniftre, dont ils étoient même le confeil fecret. Mais M. le duc avoit entrepris de les perdre tous deux, Sc le cardinal n'étoit pas difpofé a les défendre contre un prince du fang , le feul qu'il redoutat. M. le duc étoit trés - bbrné, opiniatre , dur , même féroce, Sc quoique prince, glorieux comme un homme nouveau. II n'avoit d'efprit que pour fentir combien il pouvoit fe prévaloir de fon rang. Sans aucun motif perfonnel dans la perfécution qu'il fufcitoit a le Blanc Sc k BelleIfle, il n'étoit que 1'inftrument de la marquife de Prie fa maitreffe. Cette femme a régné fi defpotiquement fous le miniftère de M. le duc, qu'il eft a propos de la faire connoïtre. La marquife de Prie avoit plus que de la beauté ; toute fa perfonne étoit féduifante. Avec autant de graces dans 1'efprit que dans la figure, elle cachoit fous un voile de naïveté, la fauffeté la plus dangereufe ; fans. la moindre idéé de la vertu , qui étoit k fon égard un mot vuide de fens, elle étoit fimple dans le vice; violente fous un air de douceur; libertine par tempérament; elle trompoit avec impunité fon amant qui croyoit ce qu'elle lui difoit contre ce qu'il voyoit luimême. J'en pourrois rapporter des traits affez plaifans , s'ils n'étoient pas trop libres. II fuffit de dire qu'elle eut un jour Part de lui perfuader qu'il étoit coupable d'une fuite de libertinagedont il n'étoit que la vicfime. Elle étoit fille de Bertelot de Pléneuf, riche financier, qui étant un des premiers commis du chancelier Voifin , miniftre de la guerre, avoit fait une fortune immenfe dans les entreprifes des  RÉGENCE. vivres, & tenoit une maifon opulente. Sa femme en fa,foit les honneurs. Avec de 1'efprit, de la figure & un ton nofale, elle s'étoit formé une efpece de cour dont elle fe faifoit refpe&er Entouree d'adorateurs qui s'empreffoient k lui plaire elle eut beaucoup d'amis diftingués qui ne lui manquerent dans aucun tems de difgrace Elle fe fit une occupation durant 1'enfance de fa fille de hu donner 1'education la plus foignée, & Applaudiffoit de fes foins. Mais k peine la fille cornmenca-t-elle a fixer fur elle les regards, qu'elle deplut a fa mère. L'aigreur de celle-ci excita les plaifantenes de l'autre; une haine réciproque s'ah luma entre elles, & bientöt devint une antipathie. Pkjieuf, pour avoir la paix chez lui, mana fa fille au marquis de Prie, parrain du roi & qui fut nommé k 1'ambaffade de Turin oh il amena fa femme. Au retour, la fille fe prévalant de fon etat, traita fa mère comme une bourgeoiie, & ne voulut voir de 1'ancienne fociété que ceux qui abandonneroient totalement fa mère Plufieurs defertèrent & s'attachèrent k la fille qui, ne voulant point de partage, étendit fon animofite contre fa mère, fur ceux qui lui refterent attachés, du nombre defquels étoit le Blanc La marquife de Prie faifit, pour le perdre, 1'oc' cafion de la banqueroute de la Jonchère, tréfoner de 'extraordinaire des guerres, qui fut mis k ia ualtille ; & comme c'étoit un protégé de le Manc , on prétendit que ce miniftre avoit puifé dans la caifle, & contribué k la faillite du tréfoner. M. le duc, excité par fa maitreffe, s'adrefla au duc d'Orléans & au premier miniftre, demanda qu'on fit juftice de ceux qui avoient er M ij  i8o RÉGENCE. part au dérangement de la Jonchère, & infifta principalement fur le Blanc. Le duc d'Orléans auroit defiré de fauver un homme qu'il aimoit, & par qui il avoit été bien fervi; mais il y avoit long-tems que toutes fes volontés étoient fubordonnées a celles du cardinal, qui, pour plaire k M. le duc, abandonna le Blanc. D'ailleurs, il étoit charmé de fe défaire d'un miniftre qui ne lui devoit rien, & de donner la place a un homme qui fut uniquement a lui. Le Blanc fut donc obligé de donner fa démiffion , peu de tems après mis k la Baftille, & la chambre de 1'arfenal eut ordre d'inftruire fon procés. Le département de la guerre fut donné k Breteuil, intendant de Limoges. On fut étonné de voir un miniftre confommé, acfif, plein d'expédiens, aimé des troupes, eflimé du public, ferme fans hauteur, remplacé par le moindre intendant du royaume, & jufqu'a ce moment, plus occupé de plaifirs que d'affaires. On ignoroit que ce choix étoit un effet de la reconnoiffance du cardinal &C un prix de la difcrétion de Breteuil. Dubois s'étoit marié très-jeune, dans un village du Limofin, avec une jolie payfanne. La mifère les obligeant de fe féparer a Pamiable, jls convinrent que la femme, en changeant de lieu, gagneroit fa vie comme elle pou; roit , & que le mari iroit tenter fortune a Paris ; leur obfcurité facilita leur arrangement. Dès que Dubois commenca a fe faire jour, il envoya a fa femme de quoi fe procurer de 1'aifance; & leur intérêt commun conferva le fecret. Dubois, parvenu k 1'épifcopat, craignit plus que jamais la  RÉGENCE. igr révélation d'un engagement qui palToït les Hbertes de 1'eghie gallicane. II fit fa confidence k Beteuil, qui fe chargea volontiers de tirer de peine un li puiiTant miniftre, partit pour Limoges, & bientöt fe mit k faire des tournees fuivi de deux leuk valets. II prit un jour fi bien fes mefures, qu'il arnva k une heure de nuit dans le village ou s'étoit fait le mariage, & alla defcendre chez je cure k qui il demanda amicalement 1'hofpitaIlte. Le curé, tranfporté de joie de recevoir monseigneur 1'intendant, lui auroit facrifié toute la baiie-cour du bresbytère & le vin des meffes. La fervante, avec les valets, apprêta le fouper que Breteuil affefta de trouver excellent, & traitant le curé avec une familiarité qui le raviffoit, il renvoya au deffert les valets fouper avec la iervante. Refté tête-a-tête avec le curé, il lui dit par manière de converfation , qu'il ne doutoit pas que les regiftres de la paroiflè ne fuffent en bon ordre Le curé 1'en affura, & pour 1'en convaincre , les tira d'une armoire , & les mit fur la table Breteuil les parcourut négligeamment, & quand il fut k 1'année intéreffante, il les referma avec une mdifférence apparente , les jetta fur une cnaile a cote de lui, & continua de s'entretenir gaiement avec fon hóte k qui il fe chargeoit fouvent de verfer a boire, pour faire meilleure mefure, & fe ménager lui-même, outre que Breteuil avec qui j'ai quelquefois foupé , foutenoit tres-bien le vin. Tant fut procédé que la tête du bon curé fe brouilla, & bientöt il s'affoupit. Breteuil, prohtant du fommeil, détacha proprement le feuillet néceffaire, & tout remis en place , fortit de h M lij  I§2 RÉGENCE. chambre. C'étoit dans 1'été, 6c le jour commencoit a poindre. Breteuil donna quelques louis a la fervante, la chargea de remerciemens pour le curé, avec qui il vouloit, difoit-il, fe retrouver quelque jour, 6c partit. Peu de tems après, le curé vint remercier monfeigneur 1'intendant de 1'honneur qu'il lui avoit fait; Breteuil le recut k merveille , & ne s'appercut pas qu'il eüt le moindre foupcon fur 1'altération des regilfres. Tout n'étoit pas fait. II y avoit eu un contrat de mariage ; le tabellion qui l'avoit palfé, étoit mort depuis plus de vingt ans; Breteuil parvint a découvrir Ie fucceffeur, le fit venir, 6c lui laiffa 1'option d'une fomme affez confidérable ou d'un cachot, pour la remife ou le refus de la minute du contrat; le notaire n'héfita pas fur le choix : ainfi le contrat 6c l'acfe de célébration furent envoyés a Dubois qui les anéantit. Breteuil, pour confommer l'affaire , envoya chercher la femme, lui paria fur le fecret du mariage, avec cette éloquence qui avoit perfuadc le notaire. Elle n'eut pas de peine a promettre pour 1'avenir la difcrétion qu'elle avoit toujours eue. Après la mort de fon mari, elle vint k Paris, ou dans une vie opulente & obfcure, elle lui a furvécu prés de vingt-cinq ans. Elle voyoit affez fouvent fon beau-frère, 6c ils ont toujours été fort unis. Le clergé qui ne s'étoit point affemblé depuis 1715, le fut au mois de mai de cette année 1723 , 6c d'une voix unanime, élut pour préfident le cardinal Dubois, afin qu'il ne lui manquat aucun des honneurs ou il püt prétendre, 6c qu'il n'y eüt pas un corps dans 1'état qui ne  RÉGENCE. 183 fe fut pas proftitué. Le cardinal en fut extrêmement flatté, & pour être plus a portee de jouir quelquefois de fa préfidence, tranfporta la cour cle Verfadles a Meudon, fous prétexte de procurer au roi les plaifirs d'un nouveau féjoiw. La proximité de Meudon, en abrégeant de moitié le chemin de la cour a Paris , épargnoit au cardinal une partie des douleurs que lui caufoit le mouvement du carroffe. Attaqué depuis long-tems d'un ulcère dans la veffie, fruit de fes anciennes débauches, il voyoit en fecret les médecins & les chirurgiens les plus habiles , non qu'il rough du principe de fa maladie, mais par la honte qu'ont tous les miniftres de s'avouer malades. Le roi faifant la revue de fa maifon, le cardinal voulut y jouir des honneurs de premier miniftre , qui font a-peu-près les mêmes qu'on rend a la perfonne du roi. II monta a cheval un quartd'heure avant que ce prince arrivat , & paffa devant les troupes qui le faluèrent 1'épée a la main. J'ai vu quelques années après, la maifon du roi en ufer ainfi a 1'égard du cardinal de Fleury, qui n'avoit pas pris le titre de premier miniftre, mais qui jouiftoit de la toute-puiffance. Ce qui prouve cependant qu'on lui rendoit librement ces honneurs, c'eft que le duc d'Harcourt, capitaine d'une compagnie des gardes-du-corps & mécontent du cardinal de Fleury, le vit paffer fans lui faire le moindre falut, & la troupe refta auffi tranquille que le capitaine. _ Le cardhal Dubois paya très-cher cette petite fatisfaéhon. 1 Le mouvement du cheval fit crever un abcès qui fit juger aux médecins que la gan- M iv  ïS/J. R £ G E N C E. grene feroit bientöt dans la veffie. Ils lui déclarèrent qu'a moins d'une opération prompte , il n'avoit pas quatre jours a vivre. II entra dans une fureur horrible contre eux. Le duc d'Orléans , averti de 1'état du malade, eut beaucoup de peine a le calmer un, peu, & a lui perfuader de fe laiffer tranfporter a Verfailles, oü ce fut une nouvelle fcène. Quand la faculté lui propofa de recevoir les facremens avant 1'opération , fa fureur n'eut plus de bornes, & il apoftrophoit en phrénétique tous ceux qui 1'approchoient. Enfin , fuccombant de laffitude après tant de fureurs , il envoya chercher un récollet avec qui il fut enfermé un demi quart-d'heure. On paria enfuite de lui apporter le viatique. Le viatique, s'écriat-il! cela eft bientöt dit; il y a un grand cérémonial pour les cardinaux : qu'on aille a Paris le favoir de Biffi. Les chirurgiens voyant le danger du moindre retardement , lui dirent qu'on pouvoit en attendant faire 1'opération. A chaque propofition , nouvelles fureurs. Le duc d'Orléans le détermina a force de prieres, & 1'opération fut faite par la Peyronnie; mais la nature de la plaie & du pus fit voir que le malade n'iroit pas loin. Tant qu'il eut de la connoiffance,' il ne cefla d'inveöiver avec des grincemens de dents, contre la faculté. Les convulfions de la mort fe joignirent a celles du défefpoir, & lorfqu'il fut hors d'état de voir, d'entendre & de blafphémer, on lui adminiftra l'extrême-onéfion qui lui tint lieu de viatique. II mourut le lendemain de 1'opération. Ainfi finit ce phénomène de fortune , comblé d'honneurs &c de richeffes. II poffédoit, outre  RÉGENCE. 1'archevêché de Cambray, fept abbayes confidérables (i) ; & quand il mourut , il cherchoit a s'emparer de celles de Cïteaux , de Prémontré öc d autres chefs d'ordre. Je vois dans une lettre du 19 mai 1722, écrite par le cardinal a Chavigny, un de fes agens a Madrid, que non content du prermer miniftère , il vouloit faire revivre pour lui 1'ancienne fouveraineté de Cambray. II charge Chavigny d'en chercher les titres en Efpagne. Si le roi d'Efpagne, dit-il dans fa lettre, a été ufurpateur , comme il le paroit par les proteftations que les archevêques ont toujpurs fakes , le roi de France eft injufte détenteur. Chavigny ne put réuffir dans fes recherches. La place de premier miniftre valoit au cardinal 1 50,000 livres , & la fur-intendance des poftes 100,000 hvres. Mais ce qui eft honteux pour un miniftre & le feroit pour tout Francois , il recevoit de 1'Angleterre, une penfion de 40 mille hv. fterhngs , valant prés d'un million , preuve evidente du facrifice qu'il faifoit de la France aux Anglois. II leur en fit un bien indigne de fa place. Le roi Georges avoit impofé une taxe extraordinaire de 100,000 livres fterlings fur les catholiques d'Angleterre. A la première nouvelle, tout notre confeil prit parti pour eux, & chargea le_ cardinal Dubois d'en faire les plaintes les plus vives, & de demander la révocation de la taxe. La dignité feule du cardinal ne lui permettoit pas de tergiverfer. II écrivit la lettre la plus forte , la lut au confeil qui Papprouva, & Ia (1) Les abbayes de Nogent fous Couci, Saint-Juft, Airvaux. Boutgueil, Berg-Saint-Vinox, Saint-Bertin & Cercarnp  186 RÉGENCE. fit partir. Les miniftres de Georges furent d'abord fi embarraffés, que ne fachant quel parti prendre, ils étoient prés de faire révoquer la taxe; mais ils furent bientöt rafiurés. Le cardinal après le départ du premier courier, en avoit promptement dépêché un fecond a Deftouches notre agent a Londres, avec une lettre en chiffres du 19 novembre 1722 , par laquelle il le chargeoit de calmer les miniftres anglois, & les affuroit que nous ne fuivrions pas cette affaire. II jouiffoit de plus de deux millions de revenu, lans compter un argent comptant & un mobilier immenfe , en meubles, équipages, vaiffelle & bijoux de toute efpèce. Plus avide qu'avare, il entretenoit une maifon fuperbe & une table fomptueufe dont il faifoit très-bien les honneurs, quoique fobre pour lui-même. Le prodigieux mobilier du cardinal paffa a fon frère ainé Dubois, fecretaire du cabinet, depuis que le cadet étoit devenu fecretaire d'état. Ce Dubois exercoit la médecine k Brive, avant de venir a Paris. C'étoit un très-honnête homme. II n'avoit qu'un fils, chanoine de Saint-Honoré , digne eccléfiaftique, vivant dans la retraite , fans avoir jamais voulu ni penfions, ni bénéfices que fon canonicat. Le frère & le neveu firent élever un maufolée au cardinal dans 1'églife de Saint-Honoré ou il eft inhumé. Pour toute épitaphe, on y lit fes titres terminés par une réflexion morale & chrétienne (1). Quid auum hi tituli ? nifi arcus coloratus & vapor ad modicum parens. Solidiora & fiabiliora hona mortuo precare.  RÉGENCE. 187 L'affemblée du clergé, dont le cardinal étoit préfident, lui fit un fervice folemnel. II y en eut un dans la cathédrale oii les cours fupérieures affiftèrent, honneurs qu on rend aux premiers miniftres : mais on n'ofa en aucun endroit hafarder une oraifon funèbre. Son frère & fon neveu ne furent point éblouis d'une fi riche fucceflion. Ils 1'employèrent prefque toute en charité , & ont confervé leur modeftie jufqu'a la mort. Je ne me fuis point attaché a faire un portrait en forme de ceux dont j'avois a parler. J'ai voulu les faire connoitre par les faits , & ne me fuis permis que les réflexions qui en naiflbient. J'en ferai encore quelques-unes fur le cardinal Dubois, & je les appuyerai de certaines perfonnalités qui les juftifieront. Le cardinal Dubois avoit certainement de 1'efprit; mais il étoit fort inférieur a fa place. Plus propre k 1'intrigue qu'a 1'adminiftration , il fuivoit un objet avec aftivité , fans en embrafler tous les rapports. L'affaire qui 1'intéreffoit dans le moment, le rendoit incapable d'attention pour toute autre. II n'avoit ni cette étendue, ni cette flexibilité d'efprit néceffaires k un miniftre chargé d'opérations différentes, & qui doivent fouvent concourir enfemble. Voulant que rien ne lui échappat, & ne pouvant fuftire a tout , on 1'a vu quelquefois jetter au feu un monceau de lettres toutes cachetées, pour fe remettre, difoit-il, au courant. Ce qui nuifoit le plus a fon adminiftration, étoit la défiance qu'il infpiroit , 1'opinion qu'on avoit de fon ame. II méprifoit fi ingénuement la vertu qu'il dédaignoit 1'hypocrifie , quoiqu'il füt plein de fauffeté. II avoit plus de vices  l88 RÉGENCE. que de défauts; affez exempt de petiteffe , II ne 1 etoit pas de folie. II n'a jamais rougi de fa naiffance , & ne choifit pas 1'habit eccléfiaftique comme un voile qui couvre toute origine, mais comme le premier moyen d'élévation pour un ambitieux fans naiffance. S'il fe faifoit rendre tous les honneurs d'étiquette, une vanité puérile n'y avoit aucune part : c'étoit perfuafion que les honneurs dus aux places & aux dignités, appartiennent également, fans diftinftion de naiffance , a tous ceux qui s'en emparent, & que c'eft autant un devoir qu'un droit, de les exiger. En fe faifant rendre ce qui lui étoit dü , il n'en gardoit pas plus de dignité. On n'éprouvoit de fa part aucune hauteur , mais beaucoup de dureté groflïère. La moindre contradi&ion le mettoit en fureur , & dans fa fougue , on 1'a vu courir fur les fauteuils & les tables autour de fon appartement. Le jour de Paques , qui fuivit fa promotion au cardinalat, s'étant éveillé un peu plus tard qu'a fon ordinaire, il s'emporta en juremens contre tous fes valets , fur ce qu'ils 1'avoient laiffé dormir fi tard , un jour ou ils devoient favoir qu'il vouloit dire la meffe. On fe preffa de 1'habiller, lui jurant toujours. II fe fouvint d'une affaire , fit appeller un fecretaire , oublia d'aller dire la meffe, même de Pentendre. II mangeoit habituellement une aile de poulet tous les foirs. Un jour , a 1'heure qu'on alloit le fervir , un chien emporta le poulet. Les gens n'y furent autre chofe que d'en remettre promptement un autre a la broche. Le cardinal demande k 1'inftant fon poulet; le maitre-d'hötel, prévoyant  RÉGENCE. igj Ia fureur oü il le mettroit en lui difant le fait, ou lui propofant d'attendre plus tard que 1'heure ordinaire, prend fon parti, & lui dit froidement: monfeigneur, vous avez foupé. J'ai foupé , répondit le cardinal ? Sans doute , monfeigneur. II elf vrai que vous avez peu mangé, vous paroiffiez fort occupé d'affaires; mais, fi vous voulez , on vous fervira un fecond poulet, cela ne tardera pas. Le médecin Chirac, qui le voyoit tous les foirs, arrivé dans ce moment. Les valets le préviennent, &i le prient de les feconder. Parbleu, dit-il ! voici quelque chofe d'étrange I mes gens veulent me perfuader que j'ai foupé; je n'en ai pas le moindre fouvenir , & qui plus eft, je me fens beaucoup d'appétit. Tant mieux, répond Chirac ! le travail vous a épuifé; les premiers morceaux n'auront que révedlé votre appétit, & vous pourriez , fans danger, manger encore, mais peu. Faites fervir monfeigneur, dit-il aux gens; je le verrai achever fon fouper. Le poulet fut apporté. Le cardinal regarda comme une marqué évidente de fanté, de fouper deux fois de 1'ordonnance de Chirac , 1'apötre de Pabftinence, & fut en mangeant de la meilleure humeur du monde. II ne fe contraignoit pour perfonne. La princeffe de Montauban-Bautru 1'ayant impatienté , ce qui n'étoit pas diffkile, il 1'envova promener en termes énergiques. Elle alla s'en" plaindre au régent , dont elle n'eut c'autre réponfe , finon que le cardinal étoit un peu vif, mais d'ailleurs de bon confeil. Dubois n'en ufa pas autrement avec le cardinal de Gefvres, homme grave & de mceurs févères. Les réparations du régent étant  J9° RÉGENCE. de même efpèce que les offenfes du miniftre on s'acccoutuma k regarder fes propos comme' etant fans conféquence. II n'étoit pas néceffaire de 1'impatienter, pour en eprouver des incartades. La marquife de Gonflans , gouvernante du régent , étant allé umquement pour faire une vifite au cardinal dont elle n'étoit pas connue , & 1'ayant pris' dans un moment d'humeur, k peine lui eüt-elle dit, monfeigneur.... Hö , monfeigneur, dit le cardinal, en lui coupant la parole , cela ne fe peut pas... Mais , monfeigneur... Mais , mais ; il n'y a point de mais, quand je vous dis que cela ne fe peut pas. La marquife voulut inutilement le diffuader qu'elle eüt rien k lui demander. Le cardinal , fans lui donner le tems de s'exphquer , la prit par les épaules, & la retourna pour la faire fortir. La marquife effrayée le crut dans un accès de folie, ne fe trompoit pas trop & s'enfuit en criant qu'il falloit 1'enfermer. Quelquefois on le calmoit, en prenant'avec lui ion ton. II avoit parmi fes fecretaires de confiance, un bénédiétin défroqué, nommé Venier, homme d'un caraéfère lefte. Le cardinal, en le faifant travailler avec lui, eut befoin d'un papier qu'il ne trouva pas fous fa main k point nomme : le voila qui s'emporte , jure , crie , qu'avec trente commis il n'eft pas fervi, qu'il en veut prendre cent, & qu'il ne le fera pas mieux. \enier le regarde tranquillement, le regarde fans hu répondre, le laiffe s'exhaler. Le flegme & le filence du fecretaire augmentent la fureur du cardinal , qui, le prenant par le bras , le fecoue, Sc hu ene : mais réponds moi donc, bourreau :  RÉGENCE. icji cela n'eft-il pas vrai ? Monfeigneur, dit Venier fans s'emouvoir, prenez un feul commis de plus, chargé de jurer pour vous , vous aurez du tems de refte, & tout ira bien. Le cardinal fe calma &C finit par rire. Le régent fut charmé de la mort de fon miniftre. Le jour de 1'opération, 1'air extrêmement chaud tourna k 1'orage; aux premiers coups de tonnerre , le prince ne put s'empêcher de dire • j'efpère que ce tems-la fera partir mon dröle. II n'ayoit pas en effet plus d'égards pour fon ancien maitre que pour tout autre ; le régent ofoit a peine lui faire une recommandation. Ce prince s'étoit réfervé la feuille des bénéfïces & des «races pour fon travail avec le roi; mais il s'étoit laiffe affujettir a communiquer auparavant la lifte au cardinal , qui rayoit infolemment les noms de ceux qui ne lui convenoient pas. Jamais fervitude ne fut plus honteufe que celle oü ce prince s'étoit mis, qu'il fentoit douloureufement, qu'il avoit honte d'avouer , & dont il n'avoit pas la force de s'affranchir. Auffi-töt que le cardinal eüt expiré, le régent vint de Verfailles k Meudon 1'annoncer au rei qui, déja préparé par l'évêque de Fréjus, pria le prince de fe charger du gouvernement, & le lendemain le déclara publiquement premier miniftre. Comme le roi n'avoit été transféré k Meudon que pour la commodité du cardinal, il retourna deux jours après habiter Verfailles. Le duc d'Orléans parut d'abord vouloir fe lfvrer au travail ; mais fa pareffe & la diffipation lui nrent bientöt abandonner les affaires aux iecre-  J92- Régence, taires d'état, Sc il continua de fe plonger dans fa chère crapule. Sa fanté s'en altéroit vifiblement, Sc il étoit la plus grande partie de la matinée dans un engourdiifement qui le rendoit incapable de toute application. On prévoyoit que d'un moment a l'autre, il feroit emporté par une apoplexie. Ses vrais ferviteurs tachoient de 1'engager a une vie de régime, ou du moins a renoncer a des excès qui pourroient le tuer en un inftant. II répondoit qu'une vaine crainte ne devoit pas le priyer de fes plaifirs ; cependant, blafé furtout, il s'y livroit plus par habitude que par goüt. II ajoutoit que, loin de craindre une mort fubite, cetoit celle qu'il choifiroit. Il y avoit déja quelque tems que Chirac , voyant a ce prince un teint enflammé & les yeux chargés de fang , vouloit le faire faigner. Le jeudi matin , 2 décembre , il 1'en prelfa fi vivement, que le prince, pour fe délivrer de la perfécution de fon médecin , dit qu'il avoit des affaires urgentes qui ne pouvoient fe remettre ; mais que le lundi fuivant , il s'abandonneroit totalement a la faculté, Sc jufques - la , vivroit du plus grand régime. II fe fouvint fi peu de fa promeffe , que ce jour - la même il dina contre fon ordinaire qui étoit de fouper , Sc mangea beaucoup fuivant fa coutume. L'après-dinée , enfermé feul avec la ducheffe de Phalaris (1), une de fes complaifantes, il s'aï-<- mufoit (1) Gorge d'Antrague, fait duc de Phalaris par le pape, étoit fils du financier Gorge, dont Boileau parle dans fa première ?yre\,.11 y avoit dans la première édition : Que Gorge vive Ui, puifque Gorge y fait vivre, On a mis Gsorge dans les éditions ftuvantes.  RÉGENCE. rc)"» mufo'rt en attendant 1'heure du travail avec le roi. Affis a cöté 1'un de l'autre devant le feu, le duc d'Orléans fe laiffe tout-a-coup tomber fur le bras de la Phalaris, qui, le voyant fans connoiffance, fe léve toute effrayée, & appelle du fecours, fans trouver qui que ce füt dans 1'appartement. Les gens de ce prince, qui favoient qu'il montoit toujours chez le roi par un efcalier dérobé , & qu'a 1'heure de ce travail il ne venoit perfonne, s'étoient tous écartés. Nous avons vu un exemple de pareille difperfion chez le roi , le jour de 1'attentat du 5 janvier 1757, paree que ce prince ne devoit pas revenir ce jour-la a Verfailles. La Phalaris fut donc obligée de cOurir jufques dans les cours pour amener quelqu'un. La foule fut bientöt dans 1'appartement; mais il fe paffa encore une demie-heure avant qu'on trouvat un chirurgien. II en arriva un enfin, & le prince fut faigné; il étoit mort. Ainfi périt a quarante - neuf ans & quelques mois ^ un des hommes les plus aimables dans la fociété , plein d'efprit, de talens , de courage militaire, de bonté, d'humanité, & un des plus mauvais princes, c'eft-a-dire des plus incapables de gouverner. La Vrillière alla fur le champ annoncer la mort du duc d'Orléans au roi & a l'évêque de Fréjus, de-la chez M. le duc, qu'il exhorta a demander la place de premier miniftre , paffa tout de fuite dans fes bureaux, & fit a tout événement drefler la patente néceffaire fur le modèle de celle du duc d'Orléans. Muni de cette pièce & de la formule du ferment, il revint chez le roi, oh Tome II. N  194 RÉGENCE. M. le duc s'étoit déja rendu fuivi d'une foule de courtifans. Le roi, tout en larmes, avoit auprès de lui l'évêque de Fréjus, qui, après avoir laiffé paffer les premiers momens de la douleur, lui dit que pour réparer la perte qu'il venoit de faire, ce qui convenoit de mieux étoit de prier M. le duc d'accepter la place de premier miniftre. Le roi, fans répondre, regarda l'évêque , & donna fon approbation par un fimple figne de tête. Dans 1'inftant, M. le duc fit fon remerciement. La Vrillière , tirant alors de fa poche la formule du ferment , demanda au prélat s'il n'étoit pas a propos de le faire prêter tout de fuite. L'évêque 1'approuva fort, & le propofa au roi, qui, par conféquent, 1'approuva aufli. M. le duc prêta ferment , & tout étoit confommé une heure après la mort du duc d'Orléans. L'évêque de Fréjus auroit pu, dès-lors, s'emparer du miniftère tout aufli facilement qu'il le fiï donner a M. le duc. Ses amis le lui confeiüèrent; mais le prélat, plein d'ambition pour 1'effecfif du pouvoir, ne crut pas devoir manifefter li brufquement fes vues , & fe flattoit de gouverner fourdement fous le voile d'un prince dont il connoiffoit 1'incapacité. En cas de mécompte, ji favoit, & prouva bien depuis, qu'il étoit en état de détruire fon ouvrage, s'il avoit lieu de fe repentir de 1'avoir fait. Les fentimens que fit naitre la mort du duc d'Orléans, furent très-différens fuivant les divers intéréts. Ses familiers difoient que la France perdoit un grand prince, paree qu'il leur prodiguoit Jes graces, &z qu'ils foupoient agréablement avec lui.  RÉGENCE- icjj Les dévots de profeftion parloient avec complaifance de cette mort, comme d'une punition vifible de Dieu. Les ames pieufes en gémiffoient. Les deux partis de 1'églife ne le regrettèrent point. Les Janféniftes, après une lueur d'efpérance de fe relever, fe revoyoient facrifiés a leurs ennemis. Les conftitutionnaires ne trouvoient pas leur triomphe complet, Le militaire, & fur-tout le fubalterne qui fait le corps & 1'ame des troupes, défefpéré de voir les diftinctions, les grades donnés a la protection, a 1'intrigue, ou vendus par les courtifans ou les femmes, humilié d'avoir a refpe&er plus un commis des bureaux qu'un maréchal de France, foupiroit après un changement d'adminiftration qui n'arriva point. La clalfe moyenne des citoyens, plus attachée k 1'état & aux mceurs, voyoit le fruit de fon économie perdu, les fortunes patrimoniales renverfées, les propriétés incertaines, le vice fans pudeur, la décence méprifée, le fcandale en honneur. On étoit réduit a regretter jufqu'a 1'hypocrifie de la vieille cour. On ne peut nier que la régence ne foit i'époque, la caufe principale, & n'ait donné 1'exemple & le fignal d'une corruption fans voile. D'ailleurs, cette régence prétendue tranquille, mérite-t-elle cet éloge, pour avoir confervé ou acheté la paix au-dehors, quand elle a bouleverfé & mis tout 1'intérieur en combuftion} Les Anglois feuls auroient peut-être regretté le duc d'Orléans , s'ils n'avoient pas trouvé les mêmes complaifances fous le miniftère fuivant. Lorfque le duc de Chartres apprit la mort de N ij  19 E M. L E Duc. 11? eonmu Jufqu'ici tous les ouvrages imprimés, fans exception, en ont fupprimé, altéré ou déguifé les circonftanees les plus fingulières. Je vais y fuppleer d'après des mémoires très-fürs. Catherine d'Alfendeyl naquit en 1686, dans le vdlage de Ringen, du diftricT: de Dorpt en Livonie, de payfans catholiques de Pologne. On a ineme prétendu qu'elle étoit bêtarde d'un gentilhomme nommé Rofen, feigneur de ce villa^e paree qu'il fourniffoit la fubfiftance k la mèreö& k 1'enfant, D'autres, tel que Hubner, lui donnent pour père Albendiel ouAlfendeyl, gentilhomme voifin & ami de Rofen. Le mari de la payfanne etoit fi ignoré, & cette généalogie alors fi peu intereffante, que 1'enfant fut inferit fur le regiftre baptifiaire, fundling, c'eft-a-dire, enfant naturel. D'ailleurs, le plus ou moins de baffeflè dans fon origine, eft affez indifférent relativement au ranp ou elle parvint. Elle dut tout k la fortune & k fon mérite perfonnel. Orpheline prefqu'en naiffent, car elle perdit k trois ans fa mère & Rofen ; le vicaire de Ringen, fon parrain, s'en chargea Par chanté. Elle avoit treize ou quatorze ans, lorfque le fur-intendant ou archi-prêtre de Riga , nommé Gluk, faifant fa tournée, la trouva chez le yicaire, qui, étant pauvre, pria 1'archi-prêtre de ie charger lui-même de 1'orpheline. Gluk 1'emmena, & la mit auprès de fa femme, qui en fit une efpèce de fervante. En croiffant, fa taille & fes traits fe développèrent, & fa beauté fe faifoit remarquer. Gluk vit qu'elle faifoit un peu trop dimpreflion fur le cceur de fon fils, & pour en prevemr les fuites, il la maria k un traban Suédois de k garde de Charles XII, d'autres difcnt P ii  Ministère un foldat du régiment de Schlippenback, II pouvoit bien avoir d'abord fervi dans ce régiment. Au refte, une difcuffion fur cette différence d'état du mari, n'eft pas plus importante que fur la iégitimité de la femme, dans 1'obfcurité oü elle étoit née. Le mariage fe fit a Marienbourg oü le mari étoit en garnilbn, 6c trois jours après il eut ordre de joindre 1'armée. II fut du nombre des prifonniers faits a. la bataille de Pultava, 6c envoyé en Sibérie, oü il ne mourut qu'en 1721. Le peu de tems que les mariés paflerent enfemble , a fait fuppofer depuis, que le mariage n'avoit pas été confommé , 6c pouvoit être regardé comme nul, ce qui feroit difficile a imaginer d'un foldat jeune 8c amoureux d'une femme également jeune 6c belle. Cette queftion a eu un objet plus important que les précédentes, paree qu'il s'agiffoit de la Iégitimité des enfans du fecond mariage, tous nés du vivant du premier mari. Le pour 6c le contre a été foutenu par les mêmes perfonnes, mais en différens tems 6c fuivant divers intéréts. Quoi qu'il en foit, le felt-maréchal Scheremetow, ayant pris Marienbourg en 1721, y trouva Catherine , qu'il mit parmi fes efclaves, 6c en ufa avec elle comme avec d'autres, en vainqueur Rufle. Menzicow , qui, de garcon patiflier , étoit devenu , depuis la mort de le Fort, miniftre 6c favori du czar, étant. venu relever Scheremetov dans le commandement; celui - ci céda Catherine k fon fuccefleur , qui la mit encore dans une efpèce de ferrail de campagne. Un jour le czar , en vifitant les quartiers de fon srmée, vint fouper chez Menzicow, y vit Ca-  DE M. L E DUC. Zis> iherine (i), la trouva a fon gré , lui dit en fortant de table, de prendre le flambeau pour le conduire dans fa chambre, tk la fit coucher avec lui. Le lendemain, il lui donna en partant un ducat; encore penfoit-il avoir payé noblement fa nuit : non qu'il fut avare, mais il prétendoit que les plaifirs de 1'amour étoient comme tous les autres befoins de la vie , dont le prix doit avoir un tarif. Suivant celui qu'il avoit fixé, un foldat ne devoit qu'un fol de fa paie pour trois accolades. Le bon marché de cette denrée lui avoit fait profcrire févérement la fodomie parmi les troupes. II avoit fur cet article plus d'indulgence Pour les moines. Un de ceux-ci ayant violé un jeune efclave, fut fimplement condamné a s'en défaire. II fembleroit par-la que le crime ne fut que dans Ia violence. On y voit encore, que 1'excès de la dépravation des mceurs , fe trouve plus dans la barbarie, que chez les nations policées. (i) Ce quï conceme la naiffance, le premier mariage de Catherine & tout ce qui a précédé le tems oü te czar la trouva chez Menzicow, eft fi obfcur, que des hommes qui méritent une égale confiance, ne laiffent pa^ d'en parler avec des circonftances affez différentes. Par exemple t Casnpredon, miniftre de France en Ruffie, depuis 1723 jufqu'en 1728 , dit dans la correfpondance , que Catherine avoit un frèr?, qui fut tué par le czar, & une fceur qu'elle tenoit a Rt:ve' , avec une penfion de 300 roubles , & qu'elle firiit de faire renfermer pour fes débauches. Campredon préttnd encore qu'un capitaine Suédois , nommé Thiefenhaufen , eut un enfant de Catherine, chez Gluk-, que celui-ci la voyant groffe, la chaffa, & que le capitaine la maria a un cavalier de fa compagnie, avec qui elle vécut trois ans, jufqu'a la pnfe d: Nerva, oü le mari -& la femme furent faits prifonniers & envoyés a Mofcou. Depuis que le czar eüt pris Catherine chez M nzicow, elle voyoit fecrétement fon mari; le czar les ayant furpris enfemble, leur donna des coups de baton y & envoya le mart Én Siberië. P iij  23° Ministère Dans les accès de fureur amoureufe, les ardeurs de tempérament du czar, un fexe fuppléoit a rautre. Peu de tems après fa première entrevue avec Catherine, le czar revint la voir, s'entretint avee elle, & la jugea digne d'un meilleur ufage, que de fatisfaire un goüt de fantaifie. Sans avoir jamais fu ni écrire ni lire, elle parloit quatre langues, & entendoit le francois. Beaucoup d'efprk naturel, aftif, jufte 6c flexible, une ame courageufe; le tout joint aux agrémens de la figure, devoient plaire a un prince qui trouvoit a la fois dans la même perfonne, une maitreffe aimable & un fupplément de miniftre. II dit a Menzicov qu'il falloit la lui céder, Sc s'en empara. Depuis ce moment, elle ftfiyit par-tout fon nouveau maitre, partageant les fatigues, 1'aidant de les confeils, Sc finit par être fa femme Sc impératrice. r _ L'archevêque de Novogorod qui fit la cérémonie du mariage, voulant profiter de cette circonffance, pour obtenir le titre de patriarche, repréfenta au czar que cette foncfion n'appartenoit qu'k un patriarche. Le czar, pour réponfe, lui appliqua quelques coups de canne, & l'archevêque donna ia benedicfion nuptiale. Ce ne fut qu'après avoir marié fon fils Alexis, a la princeffe Charlotte de Brunfwick Wolfenbutel, fceur de 1'impératrice, époufé de Charles VI, que le czar fit ou (i) célébra fon mariage avec Ca- (i) Lauteur de 1'hiftoire du Nord, tome premier, pag. m, ^ alf^c ?n l712' ^J? czar> fraPPé d'admiration pour les quahtes eminentes de Catherine a qui il devoit fon falut i  DE M. L E DUC. 231 therine. II en avoit alors déja eu deux filles, Anne en 1708, & Elifabeth en 1710. II en eut depuis un fils en_ 1715, mort en 1719 , un autre en 1717, qui naquit & mourut le même jour a Wefel, & une fille née en 1718, & morte en I7M- Catherine, née catholique romaine, avoit été élevée dans le luthéranifme qu'elle abjura pour la communion grecque, en montant fur le tröne. Auffi-töt qu'elle fe vit un fils, elle concut 1'efpérance & forma Ie projet de le faire régner après fon père. Cette ambition étoit contraire a la juftice &. aux droits du fang; mais elle pouvoit être utile a 1'état. La czarine, efpérant que fon fils vivroit, fe flattoit de vivre elle-même affez, pour en faire un prince digne de fuccéder a fon père. Le czarovïtz Alexis, au contraire, paroiflbit le fuccefleur le moins propre a fuivre & perfeftionner les projets du czar. Un caraöère fombre, des mceurs groffières & crapuleufes, un efprit borné la journée du Pruth , 1'éleva au rang de fon époufe. Cette manière de s'exprimcr feroit jug-r que les orinceffes Anne & Elifabeth ne furent légitimées que par un' mariage fubfénuent a leur naiffance. Vo'taire prétend au contraire que Pierre avoit époufé fecrétement Catherine dès 1707, qu'il déclara ce mariage le 17 mars 1711, le jour même de fon départ pour la guerre contre leS Turcs, & qu'il ne fit en 1712 que célébrer avec pl"S d'appareil un mariage déja fait 3c reconnu. Voitaire le place en 1707, pour établir la Iégitimité des deux princeffes. Mais outre qu'un mariage fecret n'étoit guère du caraftère d'un prince qui avoit répudié fa première femme , la plus grande difficulté refteroit encore, puifque Ie' mari de Catherine vivoit, & n'eft mort qu'en 1721. La princeffe Anne fut mariée en 1726 au duc de HolfiemGotorp, fils de celui qui avoit époufé Ia fceur de Charles XII. Elifabeth régna dans la fuite depuis le 6 décembre 174.1, iufcju'au j janvier 1762, jour de fa mort. P iv  23i Ministère 6c affervi a toutes les fuperftitions religieufes & politiques, menacoient de replonger l'empire dans la barbarie. Les intrigues d'Eudoxie, & fur-tout la conduite que des prêtres ignorans 8c fanatiques infpiroient a la mère & au fils, précipitèrent la perte de 1'un 8c de l'autre. A peine le czar 8c la czarine furent-ils partis de la Ruffie , que les mécontens commencèrent a cabaler. Aux premiers foupcons que le czar en concut, il manda au czarovitz de le venir trouver. Mais ce prince, au-lieu d'aller joindre fon père s s'enfuit a Vienne, auprès de fon beau-frère, Charles VI, & de-la paffa a Naples, oh le czar le fit arrêter & ramener a Mofcou. Pierre apprit encore qu'Eudoxie avoit , dans fon couvent, quitté 1'habit de religieufe, 8c pris les ornemens d'impératrice; qu'un officier , nommé Glebov, avoit avec elle un commerce criminel, par 1'entremife de l'archevêque de R.oftW; que 1'officier parmi les troupes, 8c le prélat dans le clergé, étoient les chefs d'une confpiration en faveur du czarovitz 6c de fa mère. Le czar part a 1'inftant; tout ce qui étoit coupable ou foup?onné de 1'être, fut arrêté 6c im» molé a fa vengeance. Abrahan Lapoukin, f ère d'Eudoxie, fut décapité , l'archevêque roué vif Eudoxie, effrayée de 1'appareil de la queftion, avoua tout ce qu'on voulut; on prétend que les lettres feules de fa main fuffifoient pour la convaincre d'adultère. Mais Glebow, au milieu des tourmens de la plus cruelle queftion, foutint toujours 1'innocence d'Eudoxie , rejettant fon aveu fur la crainte des fupplices. II fut enfuite empalé, 8c> perfifta jufqu'è la mort a défendre la vertu  BE M, L E DUC. 3,33 de cette malheureufe princeffe. Avant qu'il expirat, le czar qui avoit été préfent k la queftion, qui voulut 1'être encore a la dernière exécution, au milieu de la grande place de Mofcou, s'avanea vers le patiënt, & le conjura, par tout ce qu'il y a de plus facré, d'avouer fon crime & la complicité d'Eudoxie. Glebow, ranimant ce qui lui reftoit de force, &c regardant le czar avec une indignation mêlée de mépris : IIfaut, dit-il, que tu fois aufji imbécille que barbare , pour croire que, n ayant pas voulu confentir d fiétrir la vertu d Eudoxie, au milieu des fupplices inouis que tu m'as fait fouffrir, d préfent que je n'ai plus d'efpérance de vivre, j'irai accufer l'innocence & 1'honneur d'une femme vertueufe, en qui je n'ai jamais connu d'autre tache que de t'avoir aimé. Va, monflre , ajouta-t-il, en lui crachant au vifage, retire-toi, & laiffe-moi mourir en paix. Glebow expira un quan-d'heure après. Le czar lui fit enfuite couper la tête, la prit par les cheveux, & la montrant au peuple, s'oublia affez pour la charger encore d'imprécations. Quelque defir qu'il eut de condamner Eudoxie, il ne voulut pas fe charger lui-même du jugement, &Me renvoya a une affemblée devêques & de prêtres, qui fe bornèrent a la condamner a recevoir la difcipline par les mains de deux religieufes, ce qui s'exécuta en plein chapitre; après quoi elle fut conduite dans un couvent fur le bord du lac Ladoga, La princeffe Marie,fceur du czar,Jut condamnée, comme complice d'Eudoxie, a recevoir cent coups de baguettes, qui lui furent appliqués fur les reins, en préfence du czar & de toute la cour, qui avoit eu ordre d'y aififter.  234 Ministère Elle fut enfuite enfermée dans le chateau de Schluffelbourg, ou elle mourut peu de tems après. Les confeffeurs & domeftiques des deux princelfes , après avoir été fouettés publiquement par le bourreau, & qu'on leur eüt fendu le nez & coupé le bout de la langue , furent envoyés en Sibérie. Le czar procéda enfuite au jugement de fon fils. On fait qu'il fut condamné & mort, & que fon arrêt & fa grace , qui lui furent annoncés prefque en même-tems , lui cauferent une révolution fi violente, qu'il mourut le jour fuivant. Le czar manda aux miniftres, qu'il avoit dans les différentes cours (i), que fon fils étoit mort d'une appoplexie, caufée par le faififfement qu'il avoit éprouvé. Quelques perfonnes qui paroiffent inftruites , prétendent que le czar dit au chirurgien, qui fut appellé pour faigner le malheureux prince : Comme la rivoludon a été terrible , ouvre^ les quatre veines. Ainfi le remède feroit devenu 1'exécution de 1'arrêt. Le corps du czarovitz fut expofé a vifage découvert, pendant quatre jours, a tous les regards , & enfuite inhumé dans la citadelle, en préfence du czar & de Ia czarine. Cette princeffe avoir prié le père d'accorder la grace au fils, de ne pas même lui prononcer 1'arrêt, & de fe contenter de lui faire prendre le froc. Une telle prière n'eft nullement incompatible avec le defir &c la certitude de ne rien obtenir» (i) La lettre du czar au prince Kourakin , fon miniftre en France, fur 1'arrêt de condamnation, Sc fa perplexité fur I'exécution, eft du 5 juillet 1718, & celle oü U mande Ja mort, eft du 7 du même mois.  DE M. L E DUC 235 Les jéfuites qui s'étoient gliffés en Ruffie, & qui cherchoient a s'y établir, furent chaffés a cette occafion. Eudoxie paffa fix ans , c'eft-a-dire le refte de la vie du czar, dans une chambre, au pain & a 1'eau, avec quelques liqueurs. Après la mort de ce prince, la czarine Catherine la fit transférer dans un cachot de la fortereffe de Schluffelbourg, feule avec une vieille naine pour la fervir, & qu'elle étoit fouvent réduite k fervir elle-même, fuivant les infirmités qu'elles éprouvoient 1'une & l'autre. Pierre, après avoir facrifié fon filVainé, eut la douleur de perdre celui qu'il avoit eu de Catherine , & fait reconnoitre pour héritier de l'empire. II fut tué d'un coup de tonnère entre les bras de fa nourrice. Au chagrin qu'il en reffentoit, fe joignit 1'humeur que donne ordinairement 1'altération de la fanté aux hommes accoutumés k l'acfion, & qui ont joui conftamment de toutes leurs facultés. La czarine en éprouvoit quelquefois des bourafques; la plus violente de toutes précéda de peu de tems la mort du czar. Ce prince crut remarquer entre Catherine & un chambellan qu'elle avoit, nommé Moëns (1), beau & bien fait , des familiarités trés - vives. Soit qu'il n'ofat manifefter fa jaloufie, foit qu'il ne voulut pas déshonorer fa familie, il employa, pour faire périr Moëns, un prétexte qui devroit etre une loi fous un prince jufte. II n'eft que (i) Xignore fi Moufen ou Moè'nj étoit frère ou parent de Ia iceur, dame d'atpur de la «atine.  2.36 Ministère trop ordinaire de rencontrer dans les cours de ces gens qui, par une concuffion vile & fourde, vendent leur crédit a ceux qui le réclament. Pierre avoit défendu, fous peine de mort, a tout homme en place, de recevoir aucun préfent. II n'eft pas difticile de trouver k cet égard des coupahles, & la loi étoit apparemment reftée fans exé-„ cution, puifqu'elle avoit été renouvellée plufieurs fois. Le czar jugea a propos d'en faire 1'application au chambellan, & pour dérober d'autant mieux au public la connoiffance du vrai motif de cette févérité, la fceur de Moëns , impliquée dans 1'aCcufation , fut ftmplement condamnée a recevoir quelques coups de knout ; mais fon frère fut décapité , & fa tête refta fur une piqué jufqu'a la mort du czar. On trouva après 1'exécution le portrait de 1'impératrice dans les habits du malheureux chambellan. Le czar, quelques jours après, mena Catherine avec lui dans une calèche découverte , & affect.a k plufieurs reprifes de la faire paffer auprès de la tête de Moëns, obfervant d'un regard cruel 1'impreftion que cet objet faifoit fur le vifage de la czarine, qui tint toujours les yeux baiffés. La jaloufie du mari ne pouvoit tomber que fur les fentimens de fa femme ; le refte devoit lui être affez indifférent, fi 1'on en juge par la conduite qu'il tint dans 1'aventure de Villebois. C'étoit un gentilhomme Breton, qui, partagé de peu de biens & de beaucoup de valeur , avoit cherché a fe procurer du moins un peu d'aifance, en faifant la contrebande fur un petit batiment qu'il commandoit & gouvernoit lui-même contre les fermiers généraux, Les tracafferies de  DE M. L E Duc. 237 la juftice financière Pavoient obligé de s'expatrier. Après avoir effuyé les révolutions de la bonne Óc de la mauvaife fortune, le hafard le fit rencontrer par le czar fur un petit vaifleau Hollandois. Une tempête affez forte pour déconcerter le pilote & 1 equipage, accueillit le batiment. Villebois , fimple paffager , s'empare du gouvernail, ordonne la manoeuvre , & s'en acquitte fi bien, que tout échappa au danger. Le czar, frappé de 1'intelligence &c de 1'intrépidité de Villebois, qualités très-propres a plaire a ce prince, lui propofa de s'attacher k la Rufiie. Vilbois, qui menoit une vie d'aventurier, & ne receyoit de yocation que des accidens, accepta le parti, & fuivit un prince qui fe trouvoit fait pour lui ( Villebois), autant que celui-ci étoit fait pour le prince. Le czar 1'employa dans fa marine, lui confia le commandement de quelques galères & le chargeoit fouvent de commifiions. Un jour, & peu de tems après fon fecond manage , le czar 1'envoya k Strelemoitz, maifon de plaifance ou étoit la czarine, pour lui communiquer une affaire dont elle feule devoit avoir connoiffance. Le commiflionnaire aimoit a boire Pivreffe le rendoit violent, & le froid étoit fi vif, que pour y réfifler', jl but en chemin beaucoup d'eau-de-vie. La czarine étoit au lit, lorfGfU'il arriva ; il attendit devant un pcële qu'on 1'eüt annoncé. Le paffage fubit du froid au chaud, développa les fumées de 1'eau-de-vie; de forte qu'il étoit a-peu-près ivre lorfqu'on 1'introduifit. L'impératrice ayant fait retirer fes femmes , Villebois commencoit k s'acquitter de fa commiflion; mais a la vue d'une femme jeune & belle, dans  238 Ministère un état plus que négligé, Une nouvelle ïvrêffe le faint; fes idéés fe brouillèrent; il oublie le fujet du meffage, le lieu, le rang de la perfonne , & fe précipite fur elle. Étonnée , elle crie , appelle a fon fecours; mais avant qu'il fut arrivé , tout ce qu'on eüt voulu empêcher étoit fait, Villebois eft faifi & jetté dans un cachot oü il s'endort aufli tranquillement que s'il eüt bien fait fa commiflion, & n'eüt eu rien a fe reprocher ni a craindre. Le chatiment, en effet, ne répondit pas a la témérité. Le czar, qui n'étoit qu'a cinq Üeues de-li , fut bientöt inftruit de ce qui venoit de fe paffer. II arrivé , & pour confoler fa femme, que les brufques efforts de Villebois avoient bleffée au point qu'il fallut la panfer , il lui dit que le coupable qu'il connoiffoit de longue main, étoit certainement ivre. II le fait venir, & 1'interroge fur la manière dont il a fait fa commiffion. Villebois, encore a demi-ivre , lui répond qu'il a fürement exécuté fes ordres , mais qu'il nf fc?' P.ms °"' quand 5 & comment. Quoiqu'il füt difficile qu'il eüt perdu toute idéé de ce qu'il avoit fait, le czar jugea a propos de 1'en croire,. paree qu'il s'en étoit plufieurs fois fervi utilement, & pouvoit encore 1'employer. Mais paf une forte de police, & pour ne pas laiffer abfolument impunie une violence, qui , exercée fur la femme du plus bas étage, & fous le gouvernement le plus doux, mériteroit le dernier fupplice, le czar fe contenta d'envoyer le coupable forcat fur les galères qu'il commandoit auparavant, & fix mois après le rétablit dans le même pofte. La czarine lui pardonna fans doute aufli ; car  deM.-z.eDuc. dans Ia Tufte elle lui fit époufer la fille de Gluk cet archi-pretre de Riga , a qui elle avoit eu obligation dans fa jeunefie. Quand elle fut fur le tröne elle temoigna fa reconnoifTance a tous ceux qui 1 avoient obhgee, 8c particulièrement k Gluk & k fa familie qu'elle établit k la cour. Le Villebois dont on voit quelquefois le nom dans les gazettes a l article de Rufiie , pourroit bien être le fils ou le petit-fils de celui dont je viens de parler. ' De fimples foupcons que le czar eut de la témente de Moëns, le portèrent plus loin que n'avoit fait 1'attentat de Villebois. La morf de ce prince ayant fuivi de prés 1'exécution du chambellan de 'imperatrice, elle fut foupconnée d'avoir hate la mort d'un mari qui, dépériffant de jour en jour, nen devenoit que plus terrible, & dont elle redoutout les fureurs pour elle-même D'un autre cote, le prince Menzicov, autrefois favori & encore mimfire du czar, mais particulièrement' livre a Catherine dont il avoit été un des premiers maitres, avoit ete prés de fuccomber fous des accufations trop fondees de concufiions & de tyrannie rnimfterielles II confervoit encore fa place: m il avoit perdu fa faveur, & craignoit k chaque inftan fa chute. L'mtérêt que Catherine & lui pouvo ent avoir a la mort du czar, étoit 1'unique raifon quiïs en faifoit foup9onner (i). H eft fur que ce prince qu'il croit en donner, loin de"diffip^ les fe„p™« * F'T" tifieroient. Catherine, dit-il, n'étou nas f,W Sf <: ' l for_ S' F,erre' fi,s du «arovKZ, ou ft fille ainée, Anne Pé-  140 Ministère mourut d'un abcès a la veflie, fruit de fes dé* bauches : 1'orgie de fon dernier conclave acheva de rendre le mal incurable, & le fit périr en peu de jours,. Ainfi finit Pierre Ier. plus recömmandable par de grandes qualités que par des vertus. Supérieur par fon efprit &C fes connoiflances a fa nation, 51 en conferva toute la barbarie dans fes moeurs. Féroce jufques dans fes plaifirs, il n'avoit pas la moindre idéé du refpecf qu'un prince fe doit a lui-même. Barbara Arfeniow, fceur de la femme de Menzicow, en peut fervir d'exemple. Tu es fi laide, lui dit un jour le czar, que perfonne ne t'a jamais rien demande ; jé veux t'en confoler, outre que j'aime les chofes extraordinaires. II tint parole, & cette galanterie brutale, foutenue de propos aflbrtis, eut pour témoins ceux qui s'y trouvèrent. // ne faut pas, dit-il enfuite, fe vanter de fes bonnes fortunes ; mais celle-ci doit fe publier , ne füt-ce que pour infpirer la même charité envers les pareilles de cette pauvre Barbara, Tel fut le réformateur de la Ruffie, qu'on prétend avoir poli fa nation. Jamais defpotifme ne fut plus cruel que le fien. De fimples foupcons de crimes étoient fouvent pour lui des preuves. Les coupables mêmes pa- roiflbient trovna, conjointement avec fon mari le duc de Holftein. ii me femble au contraire que , dans ces circonfiances, Catherine auroit eu le plus grand intérêt a la mort du czar, avant qu'il eut difpofé de fa fucceffion, d'autant plus que n'y ayant point encore d'héritier nommé ou reconnu , elle pouvoit , comme elle le fit, fe fervir du crédit de Menzicov, fur les troupes, pour s'emparer du tröne, a 1'inftant de la mort du Efprk, & par ménagement, au-heu de lui oppofer fa naiffance, on avoit fonde le refus fur la différence de religion. La difgrace qu'il avoit vue de fi prés fous le czar Pierre I . ne 1'avoit pas rendu fage. Dès qu'il s etoit cru hors de toute atteinte, un orgueil féroce avoit fuccédé k la vanité. Traitant avec mépris & dureté les boyards & les miniftres, il avoit menace de la roue le comte d'Ofterman , pour avoir ofe dans le confeil être .d'un avis différent du fien. Un pouvoir précaire fouvent plus que le legitime, eft auffi plus révoltant, 8c quelques precautions que prennent les tyrans, leurs luccefleuri echappent toujours- k leurs- recherches. La princeffe Elifabeth, qui a régné dans Ia tmte , & le jeune prince Doigorouki que j'ai conmi dans. fa jeuneffe, étoient les feuls k qui  Ministère Menzicow permït de partager les récréations du czar, comme étant par leur age moins fufpetfs d'intrigue. Mais ils fervirent d'inftrumens au parti qui les dirigeoit. Dolgorouki couchoit habituellement dans la chambre du czar , &c fomentoit le reffentiment du jeune monarque contre fon miniftre. Celui-ci avoit mené la cour a Petterhoff, maifon de plaifance peu diftante de Petersbourg. Une nuit le czar, confeillé par Dolgorouki, s'échappa avec hii par une fenêtre; & traverfant le jardin, fans être appercu des gardes, ils, trouvèrent une efcorte préparée a les recevoir, & avec laquelle le czar arriva a Petersbourg. II y fut recu, aux acclamations des mécontens ," c'eft-a-dire de tous fes fujets. La garde a 1'inftant fut changée, ou fe joignit aux habitans, & lorfque MeQ7.icovr averti de la fuite du prince & courant après lui % entra dans la ville, il vit qu'il ne lui reftoit plus. d'efpoir. II fut arrêté a 1'inftant avec ordre de fe retirer a Rennebourg une de fes terres. J'ai fait de grands crimes, dit-il en fe voyant arrêté, mais eft-. ce au C7ar d m'en punir ? Ces paroles confirmèrentles foupcons qu'on avoit eu de I'empoifonnement de Catherine, Menzicov fortit de Petersbourg avec fa familie dans le plus brillant de fes équipages, fuivi de fa maifon, & emportant fes effets les plus précieux; mais ce fafte ayant choqué fes enneinis, il n'étoit pas k deux lieues, qu'un officier a la tête d'un détachement 1'atteignit, le fit defcendre de carroffe, monter, lui, fa femme & fes enfans, chacun dans un chariot féparé, &C fes équipages reprirent le chemin de Petersbourg. A mefure que Menzicov s'en éloignoit, on ajoutoit une nouvelle  DE M. L £ D u e. 247 lutmiliation a fa difgrace. On les dépouilla des habits qu'ils portoient pour leur en donner de bure. Ce fut dans cet état que lui, fon fils & fes deux filles, dont 1'aïnée avoit été fiancée avec le czar, arrivèrent k Yacouska, extrêmité de la Sibérie.^ Sa femme , qui , dans fon élévation , avoit témoigné autant de modeftie & de bienfaifance, que fon mari avoit déployé d'orgueil & de dureté , fuccombant k la fatigue & k la douleur que lui caufoit 1'état de fes enfans, étoit morte'en chemin. Pour Menzicov, il ne commenca d'être ou de paroitre grand , que dans le malheur, fl ne laiiïa voir que le plus ferme courage auquel reffemble affez ie défefpoir d'une ame forte. II ne lui échappa aucun murmure. II reconnoiffoit a fon égard la juftice du ciel , ne s'attendrifïbit que fur fes enfans, & tachoit de leur infpirer des fentimens conformes a leur état aftuel. Dans la chaumière qu'ils s'étoient conftruite au milieu de leur défert, chacun partageoit le travail pour la fubfiftance commune. Le père fubit une nouvelle épreuve, en voyant expirer entre fes bras celle de fes filles qui avoit été défignée impératrice. II fuccomba enfin fous le poids de fon infortune, & fous les efforts qu'il faifoit pour la foutenir, & qui avoient ufé les reflbrts de fon ame. II mourut dê la maladie des miniftres _ difgraciés , laiffant a fes pareils une legon mutde, paree qu'ils ne la recoivent jamais que d'eux - mêmes , & quand ils 'n'en peuvent plus faire uf?ge. ] En effet, les Dolgorouki qui avoient renverfé & remplacé Menzicow, eurent le même fort. La fceur du jeune favori du czar, fut fi-mcée avec le Q iv  248 Ministère monarque; mais le mariage n'eut pas lieu. Pierre li mourut de la petite-vérole le 29 janvier 1730, dans la troifième année de fon règne, 8c la quin» zième de fon age. Anne Jowanowna, fille du czar Jean III, frère ainé de Pierre Pr., veuve du duc de Courlande , & tante a la mode de Bretagne de Pierre II y lui fuccéda; Les Dolgorouki, père, mère 8c enfans, furent exilés en Siberië , traités avec la même févérité que les Menzicov, & eurent la douleur de voir rappeller le fils Sc la fille qui en reftoienr. Ceux-ci, reconciliés par le malheur avec les Dolgorouki, jadis leurs ennemis & auteurs de leur ruine, leur laiffèrent leur habitation en meilleur état qu'ils ne 1'avoient eu d'abord , les plaignirent, & promirent d'agir pour eux autant qu'on ofe le faire a la cour pour des malheureux. La grace accordée a Menzicow & a fa fceur n'étoit pas de la part du gouvernement abfolüment défintéreflee; c'étoit pour jouir des fommes immenfes que Menzicov leur père avoit placées dans la banque de Venife 8c d'Amfterdam , 8c que les direfteurs refufoient de remettre a tout autre qu a Menzicow ou k les enfans en liberté. La czarine leur en abandonna la cinquième partie. La czarine continua de faire rendre a Eudoxie les honneurs dus k une femme veuve 8c aïeule de czars, 8c payer la penfion de foixante mille roubles.dMais elle ne furvécut pas long-tems a fon petit-fils ; une maladie de langueur termina fes jours le 8 feptembre 1731. Anne régna plus de dix ans, 8c mourut Ie 27 o&obre 1740, laiflant la couronne a fon petit-  DE M. L E DUC. 249 neveu Yvan , fils d'Antoine Ulric, prince de BrunfVick - Bevern, & d'Elifabeth de Mèckelbourg, cdle-ci fille de Catherine Jowanowna , fceur aïnée de la czarine Anne. Cet enfant, fi connu fous le nom du petit prince Yvan, & dont la fin a été fi tragique, né le 22 aout précédent, n'avoit que deux mois lorfqu'il fut couronné fous le nom de Jean IV. Quelques jours auparavant, la czarine fa grande tante l'avoit nommé fon fucceffeur, en vertu de la conftitution de Pierre I". du 5 février 1722, fur le pouvoir des fouverains de Ruffie, de difpofer arbitrairement de leur fucceffion. En conféquence il avoit été proclamé grand duc de Mofcovie; & les miniftres, les généraux, les grands officiers lui avoient prêté ferment. Le comte de Biren, duc de Curlande , étoit nommé régent; mais trois femaines après la mort de la czarine Anne, le duc & la duchefle de BrunfVick, père Scmère du nouveau czar, firent enfermer Biren, prirent la régence, & laiffèrent fous leur nom 1'adminiftration de l'empire au grand chancelier comte d'Ofterman. Cette efpèce de règne ne fut que de quatorze mois. La nuit du 5 au 6 décembre 1741, Elifabeth Petrowna , confeillée par un Francois, nommé Leftoc, fon chirurgien, & a la tête de huit grenadiers , fe tranfporte aux cafernes des gardes, les engage a la fuivre , marche au palais, fait arreter le duc & la duchefle de Bevern, les comtes d'Ofterman & de Munic , entre dans la chambre du jeune czar, le prend dans fes bras,' le baife, & le confiant k fes gens affidés, recornmande qu'on en ait le plus grand foin, & qu'il  i<)0 Ministère ne foit expofé k d'autre malheur que la perte de la couronne. A fix heures du matin, la révolution étoit terminée, Sc fans répandre une goutte 1 de fang : Elifabeth fut reconnue impératrice par tous les ordres de 1'état. ■ Son entreprife étoit d'autant plus jufte, que Pierre F1', avoit , par une difpofition teftamentaire, ordonné que fi le czar fon petit-fils mouroit fans enfans, la princeffe Elifabeth Petrowna fuccéderoit k ce prince. Le comte d'Ofterman, grand chancelier, avoit fouftrait ce teftament. Mais une copie s'en étant trouvée, Ofterman avoiia fon crime , Sc fut cóndamné a perdre la tête. Elifabeth lui fit grace de la vie, Sc fe contenta de 1'exiler en Sibérie @u il eft mort. Quelque coupable que ce miniftre fut envers, cette princeffe, elle ne voulut pas manquer au vceu qu'elle avoit fait , de ne permettre fous fon règne aucune exécution k mort. Si elle montra de la clémence envers Ofterman, elle eut peu de reconnoiffance pour Leftoc qui avoit eu k la révolution plus de part que perfonne. II fut exilé en Sibérie par les intrigues du chancelier Beftuchef Sc d'Apraxin, préfident du collége de guerre \{ qui fe partagèrent les affaires. ïl étoit' d'autant plus facile de s'en emparer, qu'Elifabeth ne s'étoit déterminée a monter fur le tröne , que pour fe livrer fans contrainte aux plaifirs dont elle 1 a été uniquement occupée pendant plus de vingt-un ans de règne (i). Ses favoris qu'elle varioit Sc qui lui ■ - — 1 II avoit fallu ufer prefque de violence, c'eft-a-dire, 1'intimider, pour la placer fur le tröne. Leftoc, Ia nuit même de la révolution, ne triompha de la' crainte de cette prir,-  ueM. leDuc. 251 étoient plus chers que fes miniftres, faifoient tous la plus grande fortune. Telle a été celle des deux frères Razomouski, cofaques d'une naiffance obf-, cure, mais jeunes, beaux & bien faits, qualités fort recommandables auprès d'Elifabeth. Ce fut a pareil titre que Ziervers, fils d'un laquais du feu duc de Biren, fut fait. comte, &t envoyé a Vienne dans des occafions d'éclat. L'intrigue de Peters SchevaW & la figure de fon. coufin Yvan Schevalow portèrent 1'un & l'autre au plus haut degré de faveur, Le premier cqmmenca a fe faire jour, en époufant une favorite de 1'impératrice;, il placa enfuite fon coufin auprès d'elle.en qualité de page, bien fur de ce qui en arriveroit. Celui-ci devenu chambellan &C favori de fa maitreffe a tous les titres, eut &i procura a fon coufin beaucoup de part dans le gouvernement. Peters formoit les projets, & Yvan les faifoit adopter. Ces deux nouveaux comtes fe firent bientöt adjoindre a Beftuchef & Apraxin qui , n'ofant lutter de crédit, furent obligés de s'y foumettre. Yvan Schevalow avoit auprès de lui un fecretaire dont la cour de France auroit pu tirer un grand parti, pour détacher la Ruftie de 1'Angleterre , par la confiance que fon maitre avoit en ceffe , fur les fuites de 1'entreprife, qu'en lui infpirant unss frayeur plus forte. 11 lui préfenta un deffin, oü 1'on voyoit d'un cöté Elifabeth fur le tröne & Leftoc affis a fes pieds, & de l'autre, cette princeffe fur un échafaud , prête a avoie la tête tranchée, & Leftoc fur la roue. Vous avez encore e;i ce moment le choix, lui dit-il; demain il n'y a plus de tröne & 1'échafaud eft fur. Elifabeth a eu huit enfans naturels , dont aucun n'a éts feconnu , & qu'une de fes favorites, ItaÜsnne , nonimèc Jouanna, prenoit fur fon compte.  Ministère lui, & en profitant de la haine de la femme de Peters^ Schevalow contre Beftuchef dévoué aux Anglois. Ce fecretaire étoit Francois , fils d'un confeiller de Metz, nommé Efchoudy. Le dérangement de fa conduite 1'avoit fait quitter fa pairie fous le nom de chevalier de Luffy. Après avoir^ parcouru 1'Europe en aventurier , il fut obligé d'entrer dans la troupe des comédiens francois d'Elifabeth. II fit auffi quelques romans Sc un journal intitulé : le Parnaffe francois. Ses talens & la facilité avec laquelle il parloit plufieurs langues , 1'ayant fait connoitre d'Yvan Schevalow, ce favori le tira de la comédie, lui fit donner la place de fecretaire de 1'académie , & le prit en même-tems pour le fien , fous le nom de comte de Putelange. S'il vit encore , il ne peut guère avoir que 40 ans, (en 1764.) Elifabeth avoit fait reconnoitre pour fon fucceffeur le duc de Holftein-Gottorp , fils unique d'Anne Petrowna fa fceur ainée, marié a Catherine d'Anhalt-Zerbir. Mais elle ne lui donna jamais aucune part au gouvernement. Le mari 6c la femme étoient exadfement obfervés , 6c furveillés par ^ des efpions. Nul étranger n'en approchoit. A 1'éloignement qu'Elifabeth montroit pour eux , on la foupconnoit de vouloir leur préféfëp leur fils encore enfant, 6c au défaut de celui-ci , le prince Yvan prifonnier dans un chateau prés d'Arcangel. Quoiqu'il en foit des intentions fecrètes de cette princeffe , elle mourut le 5 janvier 1761 , & le duc de Holftein fut proclamé le même jour empereur, fous le nom de Pierre III. Son règne fut court. Perfonne n'ignore qu'au  DE M. L E DUC. 253 mois de juillet de la même année, fa femme le fit arrêter ; qu'il mourut peu de jours après dans fa prifon d'une prétendue colique hémoroïdale, & qu'au préjudke du fils, la mère fe fit proclamer impératrice fous le nom de Catherine II. N'étant pas auffi inftruit des caufes & des circonftances de cette révolution que des faits que j'ai rapportés jufqu'ici, je termine a cette époque ce qui concerne la Ruffie. Peut-être donnerai-je dans la fuite , d'après des mémoires tresfürs, 1'état acfiiel de cet empire; & je préviens que s'il ne fe trouve pas ablblument conforme a ce qui a été écrit, il n'en fera pas moins vrai. M. le duc & la marquife de Prie avoient trouvé dans la reine toute la reconnoiffance & la complaifance qu'ils s'en étoient promifes. Cette princeffe, uriquement occupée du defir de plaire au roi, ne penfoit nullement aux affaires ; & le roi diftrait par la chaffe, les fêtes & les voyages de Chantilly , Rambouillet ou Marly, fe feroit trouvé fort importuné des détails du gouvernement , ou des négociaf ons politiques. Ainfi M. le duc, avec fa maitreffe & les Paris en fous-ordre, régnoit abfolument. II alloit chaque jour, a 1'exemple du régent, faire fa cour au roi, lui parler fommairement de quelques affaires, comme pour y travailler avec lui, ou plutöt en fa préfence. L'évêque de Fréjus ne manquoit jamais de s'y trouver en tiers. Ce fiers éternel incommodoit M le duc, & déplaifoit fort a. la marquife qui regrettoit toujours la feuille des bénéfices, & projettoit de s'en emparer fous le nom de fon amant. Pour fe délivrer du vieil évêque, elle ;magina un moyen par lequel elle devoit  |54 M 1 N ï S T È R E elle-même le remplacer , & entrer prefque» ouvertement dans le confeil d'état. Elle perfuada ion amant d'engager le roi a venir travailler chez la reine qu'il aimoit alors, du moins de cet amour que fent tout jeune homme pour la première femme dont il jouit. Le précepteur n'ayant point la de lecons a donner, n'y fuivroit pas fon élève, de manière que fans être trop rudement pouffé, 51 glifferoit de fa place, 6c fe trouveroit naturellement a terre, Alors la marquife, appuyée des bontés de la reine, s'introduiroit en quatrième, & de-la gouveraeroit 1'état. Quoique le plan lui parut admirable, le fuccès n'y répondit pas, M. le duc ayant donc un jour ertgagé le roi a venir travailler chez la reine, l'évêque de Fréjus qui 1'ignoroit , fe rendit a 1'heure ordinaire dans le cabinet du roi qui n'en étoit pas encore forti. Mais après quelques momens, M. le duc n'arrivant point, fa majefté, fans rien dire a l'évêque , fortit & paffa chez la reine ou M. le duc s'étoit rendu. L'évêque, refté feul a attendre, voyant 1'heure du travail plus que paffée, ne douta point qu'on n'eüt voulu 1'exclure. II rentra chez lui, écrivit au roi une lettre d'un homme affligé, même piqué, mais tendre & refpeöueufe, dans laquelle il prenoit congé de fa majefté , & annoncoit qu'il alloit finir fes jours dans la retraite. II chargea Niert, premier valet-de-chambre, de remettre cette lettre, 6c partit auffi-töt, pour fe rendre a Iffy dans la maifon des Sulpiciens, oü il alloit quelquefois fe délaffer. Le roi étant rentré, recut la lettre, & en Ia lifant, fe crut abandonné. Ses larmes coulèrent,  t> E M. L E Du C. & pGüt dérober fa douleur aux yeux de fes valets , il fe réfugia dans fa garde-robe. Niert alla fur le champ inftruire de ce qui fe paffoit, le duc de Mortemart, premier gentilhomme. Celuici accourut chez le roi, le trouva dans la défolation, &c eut beaucoup de peine a lui faire avouer le fujet de fa douleur. Mortemart prenant alors le ton du zèle & du dépit: eh J quoi, fire , lui dit-il, n'êtes-vous pas le maitre? faites dire k M. le duc, d'envoyer a 1'inftant chercher M. de Fréjus , & vous allez le revoir. Mortemart voyant le roi embarraffé fur l'ordre a don-, ner, offrit de s'en charger. Le jeune prince , fort foulagé , accepta 1'offre, & Mortemart alla notifier l'ordre a M. le duc qui en fut confterné. II voulut faire des diffkultés : mais Mortemart fentant pour lui-même le danger d'échouer dans une commilfion dont M. le duc le regarderoit bientöt comme 1'auteur , autant que le porteur de l'ordre, paila fi ferme , qu'il fallut obéir. Dés que 1'exprès fut parti, M. le duc, la de Prie & leurs confidens , tinrent confeil fur leur pofition. II y en eut un qui ouvrit 1'avis d'arrêter l'évêque fur le chemin d'Ifty a Verfailles , & de lui faire prendre tout de fuite celui d'une province éloignée, telle que la fienne, oii une lettre de cachet le retiendroit en exil. Le coup étoit hardi; mais il y a apparence qu'il auroit réuflX, On auroit fait accroire au roi que l'évêque auroit refufé de_ revenir , & fe feroit éioigné de lui-même. Qui que ce foit n'eüt ofé contredire un prince, premier miniftre; & le roi étant encore fort jeune, & alors plus occupé de la reine que d'un vieux précepteur, 1'abfent eüt été ou-  tjó Ministère blié. Heureufement pour 1'état, en proie a une femme forcenée, tandis que le conciliabule délibéroit, l'évêque arriva chez le roi , qui le recut comme fon père. Horace Walpole, ambaffadeur d'Angleterre, & frère de Robert, miniftre de la même cour, cultivoit beaucoup l'évêque de Fréjus dont il préyoyoit la puifiance, Sc fentoit déja le crédit folide Sc caché. II fut le feul qui , a la première nouvelle , courut a Iffy , faire k l'évêque des proteftations d'amitié. Comme c'étoit avant le dénouement de l'affaire, tout défiant qu'étoit le yieux prélat, par caraclère & par expérience, ïl eut toujours depuis en Valpole une confiance dont celui-ci tira grand parti , au préjudice de notre marine Sc de notre commerce. Après la fcène que nous venons de voir, il eft aifé de juger quels fentimens M. le duc & l'évêque de Fréjus eurent 1'un pour l'autre. Le premier voyant qu'il falloit déformais compter pour quelque chofe, un homme fi cher au roi , commenca k lui marquer les plus grands égards ; & l'évêque qui n'eftima jamais que le réel du crédit, évita tout air de triomphe, & continua de marquer a M. le duc le refpeft du k fa naiffance. Pour la marquife de Prie, fort attachée a la fortune de ce prince Sc nullement a fa perfonne, elle comprit aifément qu'il falloit renoncer k la feuille des bénéfices, & borner beaucoup d'autres prétentions. Elle fit la cour au prélat Sc n'oublioit rien pour 1'engager k la diftinguer de M. le duc , qu'on regardoit, difoit-elle, comme fon amant, quoiqu'elle n'eüt jamais été que fon amie, mais qu'elle ceffoit de 1'être, voyant 1'inutilité  JD E M. L E DUC. 257 Pinutilité des bons confeils qu'elle lui donnoit. II eft fur que la meilleure preuve qu'elle eut pu alleguer de fon peu d'amour pour M. le duc, étoit les infidélitésqu'elle lui faifoit; mais il ne lui étoit pas fi aifé de tromper le vieil évêque qu'un jeune prince. II étoit bien déterminé a délivrer 1'état de tout ce qui avoit eu part au gouvernement depuis la régence , & ne tarda pas a 1'exécuter. II ne paroit pas que M. le duc, avant fa chüte, en eut le moindre foupcon; car en fe retirant de luimême , il eüt évité 1'exil, & peut-être prévenu en partie 1'humiliation qui accompagna la difgrace de la marquife. Quoi qu'il en foit, le roi devant aller a Rambouillet oü M. le duc étoit nommé pour le fuivre, partit le premier, en difant k ce prince de ne fe pas faire attendre, ce qui peut-être étoit de trop; mais l'évêque de Fréjus avoit vraifemblablement arrangé tout le plan de 1'exécution &c dicfe jufqu'aux paroles. A peine le roi étoit-il hors de Verfailles, qu'un capitaine des gardes notifia a M. le duc l'ordre de fe retirer k Chantilly, pendant qu'on en portoit a la marquife un autre qui 1'exiloit a fa terre de Courbe-épine en Normandie. Pour finir ce qm la concerne & n'y plus revenir, elle regarda d'abord fa difgrace comme un nuage paffaoer. Un de fes amis particuliers, qui dina avec elle* le jour de fon départ , m'a dit qu'elle lui avoit demandé s'il croyoit que cet exil füt long. II étoit trop au fait de la cour pour en douter; mais^ il lui fit une réponfe confolante. Soit que ï'efpérance la foutïnt , foit que le chagrin n'étouffit pas en elle tout autre fentiment, une Tomt II, ft  2.58 Ministère, &c. heure avant de partir, elle paffa dans un cabinet oii elle avoit fait venir un amant obfcur, dont elle prit congé, Ils étoient apparemment trop occupés 1'un de l'autre, ou trop preffés pour fonger a fermer les fvnêtres, de forte que de celles d'une maifon voifine, quelques perfonnes furent témoins de ces tendres adieux. Elles n'en gardérent pas le fecret, 8c comme elles n'étoient pas affez prés , peur diftinguer exacfement le rival tavorifé de M. le duc, 8c qu'tlles étoient fort éloignées d'en foupconner le fecreta re du mari, on en fit honneur 8c des plaifanteries au p.... le feul homme qu'on fut avoir diné avec elle ce jour-la 8c qui me 1'a conté. La fermeté de madame de P>ie ne fe foutint pas long-tems. A peine étoit-elle a Courbe-épine, qu'elle apprit que fa place de dame du palais de la reine lui étoit ötée 8c donnée a la marcuife d'Alincourt. Eile vit clairement alors que c'étoit être chaffée de la cour, a n'y jamais reparoïtre. Le déféfpoir la faifit, le chagiin la confumoit, fans qu'elle eüt même la confolation de perfuader au médecin qu'elle fit venir , 8c a Silva , médecin de M. le duc , dont elle recevoit des confultations, qu'elle fut réellement malade. Ils prétendoient toujours que ce n'étoit que des vapeurs ou des attaques de nerfs, maladie qui commencoit a être k la mode , qui a fupplanté les vapeurs , 8c du nombre de celles dont les médecins couvrent leur ignorance. Ils n'ont pas fans doute le pronoflic des morts de déféfpoir; car ils avoient encore traité madame de Prie de malade imaginaire, le jour qu'elle mourut, a vingt-neuf ans, après avoir féché quinze mois dans fon exil.  259 Du Cardinal de Fleury J^'Évêque de Fréjus, ouvertement honoré de la confiance du roi, qu'il avoit touiours eue auroit pu fe faire nommer principal miniftre; 'mais fatisfait d'en avoir la puiffance, il en fit fupprimer le titre & les fonftions vifibles, & vraifemolablement confeilla au roi de ne le jamais rétablir. Le cardinal Mazarin avoit, en mourant aonné le même confeil k Louis XIV. Le déoartement de la guerre fut rendu k M. le Blanc Pelletier des Forts eut le controle - général des' finances, & Bertelot de Montchene, frère de madame de Prie, & pour qui elle avoit fait créer une fixième place d'intendant des finances, fut obhgé de s'en démettre. Toute 1'adminiftration de M. le duc fut changée, & ceux qui furent forces de fe retirer , furent cenfés avoir demandé leur retraite. C'eft toujours ainfi que font annoncés dans les nouvelles publiques , les gens chaffés de leurs places avec le plus d'éclat & fouvent avec juftice. Qui ne fait 1'hift. ire que par les impnmés du tems, en concoit a peine le fquelette. L'opération la plus intéreffante pour le public, fut la fuppreflion du cinquantième. L'évêque de Fréjus, fans changer le plan du gouvernement qu'il trouvoit établi, & qui auroit befoin d'une autre forme dans la partie des finances, établit du moins une adminiftration économique, qu'il fui. Vit conftamment dans tout le cours de fa vie, que dura fon miniftère. On peut lui reprocher  x6o Du Cardinal trop de confiance dans les financiers. II ne pouvoit ignorer que leur prétendu crédit n'eft que celui qu'ils tirent eux-mêmes du roi, quand ils paroiffent le lui prêter. II les foutint , faute de connoitre les moyens de s'en paffer, ou craignant peut-être d'entieprendre a fon age une réforme qu'il n'auroit pas le tems d'achever ou de confolider. II y iuppléa par l'ordre &c 1'économie, qui dans quelque gouvernement que ce foit, doivent être la bafe de toute adminiftration. Ce qu'il y a de plus effentiel pour la règle, il en donnoit 1'exemple. Jamais miniftre ne fut fi défintércffé. II ne voulut en bénéfices que ce qui étoit néceffaire , fans rien prendre fur 1'état, pour entretenir une maifon modefte & une table frugale. Auffi fa fucceffion eüt a peine été celle d'un médiocre bourgeois, & n'auroit pas fuift a la dixième partie de la dépenfe du tombeau que le roi lui a fait élever. Sa mort pourroit rappeller ces tems éloignés, oü des citoyens, après avoir fervi leur patrie, mouroient fi pauvres, qu'elle étoit obligée de faire les fraix de leurs funérailles. Les financiers pour qui il avoit trop de complaifance, n'auroient pourtant ofé afHcher le fafte que nous avons vu depuis étalé par des échappés de la pouffière des bureaux. Sous le miniftre dont je parle, la perception étoit moins dure, & les payemens plus exafts. En peu d'années , il égala la dépenfe a la recette, améliorant celle-ci par 1'économie feule. Comme je ne veux que rendre juftice, & non faire un éloge , je ne diflimulerai pas qu'on reproche avec raifon a ce mi< iftre d'avoir laiffé tomber la marine. Son efprit d'économie le trompa  de. Fleury. z6i Air cet article. Sa confiance en Valpole lui fit croire qu'il pourroit entretenir avec les Anglois une paix inaltérable, & en conféquence s'épargner la dépenfe d'une marine.. II d.voit fentir que la continuité de la paix dépendoit du fora qu'il prenoit de la conferver, qu'elle tenoit k fon caradfère, & que des circonfiances imprévues & forcées, pouvoient toujours allumer la guerre avec les Anglois, nos ennemis naturels. Par une contrarieté fingulière, il craignoït d'entreprendre des réformes que fon grand age ne lui permtttroit pas d'achever , & en d'autres occafions il agifioit comme s'il fe fut cru immortel.. S'il a porté quelquefois trop loin 1'économie , ceux qu'elle gênoit en murmuroient, & tachoient de perfuader qu'il ne voyoit pas les chofes en grand, & mille fots qui ne voient ni en grand ni en petit, répétoient le même propos. Mais le peuple & le bourgeois, c'eft-a-dire , ce qu'il y a de plus nombreux , de plus utile dans 1'état, & en fait la bafe & la force, avoic-nt a fe louer d'un miniftre qui gouvernoit un royaume comme une familie. Quelque reproche qu'ón puiffe lui faire, il feroit k defirer pour 1'état-, qu'il n'eüt que des fucceffeurs de fon caracfére avec une autorité auffi abfokie que la fienne. Ce qui enfin eft décifif, on n'a pas regretté ik régence, on a maudit le miniftère de M. le duc,. on voudroit reffufciter fon fuccefleur & nous favons a quoi nous en tenir fur ce que nous avons vu depuis. J'en parlerai. L'évêque de Fréjus s'eft fans donte trop occupé de la conftitution, qu'il pouvoit laiffer k 1'écart raourir avec les oppofans. Mais il ét^it prefqye R iij  aóz Du Cardinal contre nature, qu'un prélat affez fatisfait de fa pofition, eüt affez de hauteur pour ne pas ambitionner le cardinalat, & ne pas faifir le plus fur moyen de Pobtenir. II n'avoit pas pris le titre de principal miniftre ; il voulut du moins fe procurer la décoration que fes prédéceffeurs eccléfiaftiques avoient eue dans fa place. On imagine bien qu'il ne tr niva pas de difficulté. La première promotion de cardinaux qui devoit fe faire, étoit celle des couronnes, & le roi donna fa nomination a l'évêque de Fréjus. Mais cette promotion n'étoit pas prochaine, & le prélat étoit preffé de jouir ; il falloit donc le faire nommer hors de rang par anticipation. L'agrément de l'empereur &c du roi d'Efpagne étant néceffaire, le roi, pour Pobtenir, leur déclara qu'il ne demandoit que d'anticiper de peu de tems la nomination de la France, qui fe trouveroit remplie lors de la promotion des couronnes. Les deux princes qui n'y perdoient rien , donnèrent leur confentement, & vraifemblablement auroient permis au pape, de donner un chapeau proprio mom a un miniftre puiffant, fur la reconnoiffance duquel ils s'acquerroient des droits. Mais l'évêque, a qui il importoit peu qu'il y eüt en France un cardinal de plus, n'y prétendoit pas, & fe contenta d'une diftinftion qui n'avoit rien de trop éclatant (i). Cela étoit d'ailleurs de fon caraftère. II avoit refufé le cordon du Saint-Efprit & 1'archevêché de Rheims dans un tems oü tout autre en auroit été ébloui. (i) Le cardinal de Fleury fut nommé le n feptembre 1726, & la promotion des couronnes fe fit en novembre 1727,  de Fleury. 263 Sans fafte , avec un extérieur modefte , préférant le lolide a 1'oftentation du pouvoir, il eneut un plus abfolu Sc moins contredit que Mazarin , avec lés intrigues, 8c Richelieu en coupant des têtes. Un miniftère de prés de dix-fept années a été un heureux interregne; ce qui 1'a fuivi n'a été qu'une anarchie , Sc le cardinal de Fleury me fournira moins d'événemens d'hiftoire dans Pintérieur de 1'état, qu'un an de la régence. C'eft que toute 1'autorité fut conftamment entre les mains du cardinal , 8c que toutes les volontés fi fouvent partagées entre différens miniftres avec égalité de pouvoir, Sc dés-la. fi pernicieufes a 1'état, fe cpncentrèrent dans une feule. Tout marchoit fur la même ligne ; qui que ce foit de raifonnable n'ofa jamais rien tenter auprès du roi contre fon miniftre. La reine même en fentit les conféquences. Quelque mécontente qu'elle püt être de la difgrace du duc de Bourbon Sc du changement de miniftère, elle ne chercha pas a influer dans le gouvernement, Sc fe renferma dès-lors dans fes devoirs dont elle n'eft fortie dfpuis dans aucune eirconftance. La conduite de la reine, 1'obéiffance des fousminiftres, Sc la foumiflion des courtifans , me rappellent 1'extravagance de quelques jeunes étourdis de la cour qui s'avifèrent un jour de vouloir jouer un röle. Le cardinal les avoit fait admettre aux amufemens du roi, Sc dans une forte de familiarité. Ils la prirent naïvement pour de la confiance de la part de ce prince, & s'imaginèrent qu'ils pourroient fe faifi.r du timon des affaires. Le cardinal en fut inftruit, 6c vraifemblablement R iv  164 Du Cardinal" par le roi même. Sous Richelieu, qui favoit ü bien faire un crime de la moindre atteinte a fon v autorité, & trouver des juges dont la race n'eft jamais perdue, 1'étourderie de ces jeunes gens auroit pu avoir des fuites facheufes. Le cardinal de Fleury, qui ne prenoit pas les chofes fi fort au tragique, en rit de pi.tïé, les traita en enfans, envoya les uns mürir quelque tems dans leurs terres, ou devenir fages auprès de leurs pères, & en méprifa affez quelques autres, pour les laiffer k la cour en butte aux ridicules qu'on ne leur épargna pas. II eft inutile aujourd'hui de rechercher leurs noms : ils ne s'en font fait depuis en aucun^genre, & font parfaitement oubliés. C'eft ce qu'on appella alors , la conjuration des marmoujets. On pourroit d'avance caracférifer 1 adminiftration du cardinal de Fleury, par une feule obfervation; c'eft qu'en détaillant un mois de fon miniftère, on auroit le tableau de plus de feize années. II faut en excepter la guerre de 1733 & celle de 1741; fituations forcées, oh il fut plutöt entrainé qu'il ne s'y porta. Lorfqu[après avoir recu la barette des mains du roi, il vint lui faire fon remerciement, ce prince lui fit 1'honneur de 1'embraffer aux yeux de toute la cour, & témoigna autant de joie que le nouveau cardinal en pouvoit renfermer. Chacun crut avoir part k la reconnoiflance du cardinal de. Fleury, & voulut en tirer parti. Le pape s'en fervit pour reprendre fous-oeuvre fa conftitution chancelante. Sinzindorf, grand-chancelier de 1'Empire, eut bientöt lieu de fe favoir gré d'avoir été employé par l'empereur dans la  de Fleury. 165 négociation du chapeau, & le duc de Richelieu , notre ambaffadeur a Vienne, d'avoir eu cette correfpondance. Tous deux eurent befoin du cardinal dans une aventure qui leur étoit perfonnelle, & qui ne feroit pas digne de 1'hiftoire, fi elle ne contnbuoit pas a faire connoitre des hommes qui jouoient un röle dans les affaires. L'abbé de Sinzindorf, fils du grand-chancelier," le comte de Vefterloo, capitaine des hallebardiers de l'empereur, & le duc de Richelieu , étoient k Vienne en liabon de plaifirs. Un de ces impofteurs, qui vivent de la crédulité de certains efprits forts, moins rares qu'on ne penfe, qui croient k la magie & autres abfurdités pareilles, perfuada a nos trois feigneurs, que, par le moyen du diable, il feroit obtenir k chacun la chofe qu'il defireroit le plus. On dit que le vceu du duc étoit la clef du cceur des princes; car il fe tenoit fur de celui des femmes. Le rendez-vous pour 1'évocation du diable, étoit dans une carrière, prés de Vienne. Ils s'y rendirent la nuit. C'étoit 1'été, & les conjurations furent fi longues, que le jour commencoit k poindre, lorfque les ouvriers qui venoient a leur travail , entendirent des cris fi percans, qu'ils y coururent, & trouvèrent 1'affemblée avec un homme , vêtu en arménien , noyé dans fon fang , & rendant les derniers foupirs. C'étoit apparemment le prétendu magicien, que ces meffieurs , auffi barbares que dupes, & honteux de 1'avoir été, venoient d'immoler k leur dépit. Les ouvriers , craignant d'être pris pour complices, s'enfuirent auffi-töt, & allèrent faire la déclaration de ce qu'ils avoient vu. Les offi-  i66 Du Cardinal ciers de juftice, apprenant le nom des coupables, & fur-tout celui de l'abbé de Sinzindorf, en donnèrent avis au chancelier , fon père , qui n'oublia rien pour affbupir cette affaire. Quelque grave qu'elle fut pour tous les trois, elle intéreffoit plus particulièrement l'abbé de Sinzindorf, qui avoit la nomination au cardinalat , & la promotion alloit fe faire. Le chancelier avoit acheté pour fon fils cette nomhiation d'un abbé Strickland , Anglois , intrigant du premier ordre, qui avoit trouvé le moyen de fe procurer la nomination de Pologne. Tout habile qu'étoit Strickland, par un fort très-commun aux intrigans, il ne jouiffoit pas d'une réputa;ion bien nette , & des mceurs peu régulières & trop connues , lui faifoient craindre de ne pas voir réalifer fes efpérances a Rome, ou les concurrens ont un talent admirable pour fe traverfer les uns les autres. II jugea donc a propos , pour ne pas tout perdre, de faire aigent de fes droits ou prétentions, avec le grand chancelier , qui les acheta pour fon fils , & qui, ayant le département des affaires étrangères, eut toutes les facilités pour le fubftituer a Strickland. Mais 1'aventure de l'abbé de Sinzindorf infpiroit les plus juftes craintes au père tk au fils. Une complicité de magie auroit été a Rome d'un plus grand fcandale que les mceurs de Strickland & 1'affaffinat de 1'arménien. Les crimes d'opinion , tout abfurdes qu'ils peuvent être, 1'emportent fur ceux qui bleffent la morale & outragent Ia nature. Le chancelier étouffa , autant qu'il le put , cette affaire a Vienne, en écrivit au cardinal de Fleury, & le pria de le feconder dans cette cir-  de Fleury. 267 Eaiice, cn fouteriant le duc de Richelieu, & r 1 til rnrii. les bruits qui pourroient par- j Frai de. L: cardinal, pour qui le chan■loyer au fujet du chapeau , & a qui le duc de Richelieu avoit perluadé qu'il 1'avoit beaucoup fervi, ié prêta volontiers a ce qu'on defiroit. Cependant tout n'étoit pas encore fait : il falloit fur-tout empêdkr que l'affaire ne perfat a Rome trop défavorablement pour Sinzindorf. La feule préfomption de crime de magie emporte excommunication. Le chancelier prit le parti d'envoyer au pape un mémoire, oh 1'aventure n'étoit préfentée que fous 1'apparence d'une imprudence de jéuriës gens, dont la calomnie pouvoit abufer, mais pour laquelle cependant on demandoit une abfolution ad cautdam. On obtient affez facilement a Rome une abfolution, quand on y reconnoit le pouvoir de la donner, & qu'un miniftre puiffant la demande. Elle fut donnée en particulier a l'abbé de Sinzendorf & au duc de Richelk ü. Peu de tems après, l'abbé obtint la pourpre, & pour diffiper tout foupcon , le duc fut compris dans la première promotion de chevalièrs du Saint-Efprit, avec permiflion d'en porter les marqués avant fa réception. A 1'égard de Vefterloo, qui n'avoit point de père miniftre, ni de crédit perfonnel , il fut le bouc émiffaire de 1'aventure, s'enfuit de Vienne , perdit fon emploi, & revint en Flandres, fa patrie, vivre & mourir dans 1'obfcurité. Le duc de Richelieu, après s'être tenu renfermé quelque tems dans fon hotel, muni de fon abfolution fecrète, & décoré de fon cordon, fe montra  i68 Du Cardinal dans Vienne plus brillant que jamais, & détruifit une partie des foupcons par 1 'affurance avec laquelle il les bravoit. II ne tarda pourtant pas a prendre congé, parcourut 1'Italie, fans cependant paffer par Rome, oü il ne fe foucioit pas de faire confirmer fon abfolution par le pape. II ofa encore moins approcher de Modène. Les familiarités qu'il y avoit eu entre la ducheffe & lui, lorfqu'elle étoit mademoifelle de Valois, lui faifoient eraindre de la part du mari, un accès & un coup de jaloufie italienne. II revint en France, &c y fut très-bien recu du cardinal, qui 1'initia auprès du roi. II en a toujours été affez bien accueilli, en a recu des graces diftinguées, fans avoir jamais joux d'une certaine confiance. Nous le verrons „ chargé d'emplois importans, avoir de brllans fuccès, & ne conferver que le coup d'ceil d'un homme a la mode. Le cardinal qui, pendant tout fon miniftère , n'a jamais ceffé de travailler k conferver ou rétablir la paix dans le royaume, s'occupoit auffi du foin de 1'entretenir chez toutes les autres. puiflances de 1'Europe. fl favoit, & perfonne ne 1'ignore, qu'elles n'entrent jamais en guerre les unes contre les autres, fans que la France y foit entrainée par quelque circonftance. II s'appliqua donc, & parvint a conciher les intéréts de l'empereur, de 1'Angleterre , de 1'Efpagne & de leurs alliés. Le reffentiment de la cour de Madrid contre la France, fur le renvoi de l'infante, attira particulièrement 1'attention du cardinal. L'accouchement de Ia reine d'Efpagne, fut 1'occafion qu'on faifit pour entamer la réconciliation. Le roi écrivit auffi-töt k fon oncle fur la naiffance de 1'infant, une lettre de féli-  de Fleury, 269 eitatïon & d'amitié, dont Philippe fut fi touché, qu'il déclara fur le champ que la réconciliation étoit faite. La reine n'étoit pas fi aifée k ramener, & quoiqu'elle fut obligée de contraindre fes fentimens, il fallut que le comte de Rothembourg, chargé de porter a 1'infant le cordon du SaintEfprit, fe foumït a des formalités qui auroient été humiliantes, fi elles n'euflent pas été puériles, & uniquement dtftinées a appaifer la reine comme un enfant. Elle exigea que , dans une audience particulière que le roi & elle donneroient au comte de Rothembourg , il fe mit k genoux en entrant, & les priant d'oublier les torts de notre précédent miniftère. La reine, affife a cóté du roi , & occupée d'un cuvrage de femme, ne leva pas les yeux fur lambafladeur, lorfqu'il entra, & ne parut pas feulement y faire attention; mais le roi le fit relever, & le préfentant a la reine, la pria de ne plus confidérer en France qu'un roi, fon neveu, & 1'union qui devoit être entre les deux cou: onnes, Philippe V fut toujours fi attaché a fa maifon , que fa réconciliation fut fincère ; la reine, paroiflant par degrés oublier fon reffentiment, en montra toujours affez, pour perfuader combien on avoit k réparer avec elle, & tirer de la France les plus grands fervices pour les infans. C'eft ici le lieu de parler de 1'altération qui parut dans 1'efprit de Philippe. Quoique le public fut confufément la mélancolie oii le roi étoit plongé, peu de perfonnes en connoifibient les accidens. Les entrées particulières, que la reine ne pouvoit pas toujours éviter d'accorder k nos miniftres, comme ambaffadeurs de familie, les mit  2,7° Du Cardinal a portee de rendre a notre cour compte de 1'érat du roi d'Efpagne. D'ailleurs, ce prince vouloit quelquefois les voir -dans des momens oü la reine auroit voulu les écarter, & d'autres fois la reine étoit forcée de recourir a eux dans des circonftances oü il lui devenoit néceffaire de tout avouer. Les dépêches du comte de Rothembourg & dii marquis, depuis maréchal de Brancas, nos ambaffadeurs, offrent le trifte tableau de 1'intérieur de la cour d'Efpagne. On a vu que Philippe , élevé dans un refpecf craintif devant le roi , & la foumiffion k 1'égard d'un frère dont il pouvoit devenir le fujet, avoit contraclé un caraöère d'obéiffance pour quiconque entreprendroit de le gouverner. La princeffe des Urfins s'en étoit prévahie, & la reine, en la chaffant, n'eut qu'a fuivre un plan tracé. La folitude dans laquelle ce prince étoit continuellement retenu , Ie jetta dans une mélancolie & des vapeurs, qui alloient jufqu'a la folie. Sans aucune incommodité apparente , il étoit quelquefois fix mois fans vouloir quitter le lit , fe faire rafer, couper les ongles , ni changer de linge ; & lorfque fa chemife tomboit de pournture , il n'en prenoit point que la reine n'eut portee , de peur , difoit-il , qu'on ne 1'empoifonnfo dans une autre. II mangeoit, digéroit , dormoit bien , quoiqua des heures différentes. Celles de la meffe, qui fe difoit dans fa chambre , n'étoient pas plus réglées. Un jour , c'étoit le matin , le jlendemain a fept heures du foir. L'hyver, fans feu, il faifoit ouvrir les fenêtres , & les faifoit fermer certains jours brülans de 1'été ; au point qu'on geloit ou qu'on  DE FLEURY. 171 étouffoit dans fa chambre , fans qu'il en parut affeété. II fupportoit trois couvertures de flanelle dans les plus granJes chaleurs, rejettoit la plus légere dans le froid le plus vif, & fe montroit d'une manière affez indecente. Tant qu'il gardoit Ie lit , il ne fe confeffoit point ; mais il marm-.ttoit quelquefois des prières. Quand il fe levoit, il auroit pu marcher fans appui, fi la douleur que les oncles allo-gés de fes pieds lui faifoit dans fa chauffure, ne 1'en eüt empêdié. Avec fes ongles longs, tranchans & durs, il fe déchiroit en dormant , & prétendoit enfuite qu'on avoit profité de fon fommeil , pour le bleffer, d'autres fois que des fcorpions étoient autour de lui & le plquoient. Dans des momens il fe croyoit mort, & demandoit pourquoi on ne 1'enterroit pas. II gardoit pendant plufieurs jours un morne filence , & fortoit fouvent de cette triffeffe par des fureurs , frappant , égratignant la reine , fcn confeffeur, fon médecin & ceux qui fe trouvoient auprès de lui , fe mordant les bras avec des cris effrayans. On lui demandoit ce qu'il fentoit. Rien , difoit-il , & un moment après chantoit ou retomboit dans la rêverie. II lui arrivoit de fe lever brufquement dans la nuit, & vouloit fortir en chemife & nud-pieds. La reine couroit pour le ramener, alors il la frappoit au point qu^elle étoit fouvent meurtrie de coups. Après avoir gardé le lit des mois entiers , dans la plus horrible malpropreté, il en paffoit autant fans vouloir fe coucher, dormant dans fon fauteuil, de forte que fes jambes toujours pendantes en devenoient enflées. Quoiqu'il fit peu  27* D ü Cardinal d'exercice, fon ordinaire étoit très-f'ort ; il vouloit les alimens les plus fubftantiels, les viandes les plus folides ; k dix heures du matin il prenoit un confommé, dinoit k midi, mangeoij pendant deux heures , s'endormoit enfuite pendant cinq ou fix, fans quitter la table, mangeoit a fon réveil fix ou fept bifcuits, & prenoit k onze heures un fort confommé. II changeoit & dérangeoit les foncï ions de jour & de nuit, fe couchant a dix heures du matin , dinant dans fon lit, travaillant avec quelques miniftres , & fe relevant a cinq heures pour la meffe. II dormoit quelquefois douze ou quatorze heures , & Ie lendemain ne s'affoupiflbit, que quelques minutes. II fe faifoit apporter fur fon lit plufieurs breviaires, & faifoit réciter par la reine les pieaumes ou antiennes qu'il lui indiquoit, pris alternativement des uns & des autres. Au milieu de Ces pratiques dévotes, il s'appereut un jour que fa chienne étoit chaude , envoya chercher un chien, la fit couvrir devant une aflemblée de 50 perfonnes, & s'étendit fur la génération en difcours plus fales que favans. Dans d'autres occafions , fa dévotion ne 1'empêchoit pas de tenir des propos très-gaillards. Je ne m'arrêterai pas davantage fur des alternatives de folie & de raifon. Je fupprime des détails aufli fatigans pour moi que les extraits des dépêches (j) le feroient pour les leöeurs, fi jamais ceci paroiflbit. II falloit que Philippe V fut du plus fort tempérament, (i) Particulièrement de celles des i, 8 & n mars , avril 1728, 24 mai 1729, juillet, 1730, &«.  de Fleury. 2,73 pérament , pour ne pas fuccomber k fa manière de vivre & aux remèdes qu'il imaginoit. II prenozt une boïte de thériaque a la fois pendant plufieurs jours de fuite, difant que fes médecins étoient des coquins qui foutenoient qu'il n'étoit pas malade , quoiqu'il fe fentit prés de fa mort qui arriveroit bientöt. Malgré fes égaremens , il confervoit pour les affaires le fens le plus droit & la mémoire la plus füre. II refufa un jour une affaire qu'on lui propofoit. II y a un an, dit-il, que je 1'ai rejettée. Ses vapeurs fe diffipèrent apparemment dans la fuite; car je ne trouve ces details que dans les lettres du comte de Rotembourg & du marquis de Brancas qui fe fuccédèrent dans 1'ambaffade d'Efpagne. ; Je remarquerai encore que le tempérament violent de Philippe pour les femmes, s'étant fort affoibli, la reine fut privée d'une grande reffource pour le gouverner; & la nature ne la fervant plus fi bien, elle recourut, dit-on, a des remèdes excitans qui produifent rarement leur effet. Elle s'en fervit inutilement un jour (1), pour infpirer des deürs, bien réfolue de ne les pas fatiffaire , qu'elle n'eut obtenu ce qu'elle vouloit. II s'agiffoit d'engager le roi k travailler avec Patino que ce prince avoit pris en averfion. II battit très-rudement la reine k cette 'occafion, la traitant de malheureufe , qui , non contente d'avoir ruiné fon royaume , vouloit attaquer fon hon- (1) Le cardinal de Fleury, dans une de fes lettres du mois munmd40 ' pretendou <ïue 'Philippe V étoit alors abfolu- Tome II, 5  274 Du Cardinal neur & fa gloire. Pour fe perfuader fans cloute qu'il avoit raifon dans fes violences, après l'a« voir battue , il 1'obligea un jour de lui demander pardon. Je veux, difoit-il a fes domeftiques, au elle fe dêfaffe de fes quatre évangéüfes. II appelloit airifi Panno, le marquis Scoli, l'archevêque d'Amida, confeffeur de la reine , Sc la camérifte Pellegrine. Le roi entroit en fureur a leur fujet. A ces emportemens fuccédoient fouvent des propos aigres qui marquoient encore plus que des fureurs, un cceur ulcéré, une ame aliénée. On jugeoit au commerce intérieur du roi & de la reine, qu'elle n'avoit dü qu'au tempérament ardent de fon mari, que la dévotion feule rendoit fidele, un crédit foutenu depuis par la force de 1'habitude. Philippe étoit dans cette forte d'efclavage, dont on fecoue la chaine par dépit, fans pouvoir & même fans vouloir abfolument la rompre. Quoique Philippe airoat tous fes enfans, ilaffecfoit fouvent de dire devant la reine, que Ferdinand, fils de fa première femme, étoit le meilleur de tous. Ce prince relevant de maladie , la reine lui marqua devant le roi , la plus grande joie de fon rétabliffement; & le roi, par un clin d'oeil Sc un fourire amer, fit entendre a fon fils qu'elle le trompoit. Elle eft, difoit-il, d'une fauffeté inouïe. Elle haïffoit en effet le prince Ferdinand , quoiqu'il lui témoignat la plus grande foumiffion ; mais fon tort étoit de vivre , & d'être deftiné a régner fur les enfans du fecond lit Sc fur elle-même; ce qui étoit continuellement fur le point d'arriver.3 Depub la mort de Louis premier, en faveur de qui Philippe avoit abdiqué5  de Fleury, 275 il confervoit le defir d'une nouvelle abdication, que la reine redoutoit. II écrivit un jour (mai 1729 ) au préfident de Caftille , d'affembler le confeil, d'y déclarer fon abdication, & qu'on eüt k reconnoitre pour roi le prince des Afturies, Ferdinand. La reine qui en fut informée , fe jetta, aux pieds de fon mari, & a force de larmes, 1'engagea a ccnfulter du moins le marquis de B. ancas, aiors notre ambaffadeur. Le marquis 1'exhorta au nöm du roi de France, a garder la couronne , & Philippe , fur qui ce nom de chef de fa maifon étoit très-puiffant, fe laiffa perfuader, fe fit rapporter le billet & le déchira. Le maréchal de Teffé avoit rendu le même fervice a la reine, après la mort de Louis premier, en engageant, au nom de la France , Philippe a reprendre la couronne. Son amour & même fon refpecl pour la branche ainée de fa maifon, étoient tels, qu'au plus fort de fes vapeurs, ayant appris la naiffance du dauphin , il ibrtit a 1'inftant du lit oü il étoit depuis plufieurs mois, fe fit rafer, décraffer, vêtir magnifiquement, & fut de la plus grande gaieté. Depuis 1'orage que le marquis de Brancas avoit calmé , la reine ne laiffoit au roi ni ■ plume ni encre ; & pour le 'diftraire , elle lui fourniffoit de petits pinceaux de papier roulé , & des lumignons de bougie, délayés dans de l'eau , au moyen de quoi il s'amufoit k deffmer. Mais fi la reine 1'empêchoit d'abdiquer , elle ne pouvoit lui en faire perdre le defir, & c'étoit un combat perpétuel. ; Philippe, en voulant ceffer de régner , & ne régnant pas en effet , n'en étoit pas moins ja- S ij  276 Du Cardinal loux de fon autorité. Comme tous les princes foibles qui, fe trouvant incapables de Pexercer dans les chofes importantes, s'imaginent en faire montre dans des bagatelles, Philippe difoit quelquefois qu'il étoit le maitre , & le prouvoit par quelque puérilité. Par exemple, étant au port de Sainte-Marie, dans fa galère , prés de partir, il vit lever Pancre , demanda pourquoi cela fe faifoit fans fon ordre , la fit rejetter, & relever une minute après. Comme il fentoit qu'il n'avoit pas un miniftre qui fut proprement de fon choix, il leur rnarquoit fouvent de Phumeur. S'il fbupconnoit, en fignant les expéditions^ qu'ils en affecfionnoient quelqu'une préférablement a d'autres , il les mêloit toutes avant de figner , ou mettoit deflbus la liaffe, celles qu'il trouvoit defliis, & les renvoyoit a un autre travail. II brufquoit ceux, tels que Patino, en qui il voyoit des talens dont ils pouvoient abufer. II traitoit beaucoup mieux les plus bornés , qu'il fuppofoit plus honnêtes gens. Ceft une béte, en parlant de quelqu'un d'eux , mais c'ejl un bon homme : opinion affez commune, fouvent très-fauffe & fort utile aux fots. La reine avoit de 1'efprit naturel, mais fans Ia moindre culture, 1'avoit fouvent faux, & la paffion 1'égaroit encore. Cherchant toujours fon intérêt perfonnel, elle s'y trompoit dans bien des occafions , & prenoit de fauffes routes pour y parvenir. Elle avoit de Pambition , fans élévation d'ame. Incapable d'affaires, faute de connoiffances, les défiances & les foupcons faifoient toute fa prudence. Elle avoit la fineffe & le manége des gens du peuple. Violente par caracfère, elle  de Fleury. 277 fe contenoit par intérêt. Employant 1'artifiee, oh la candeur 1'eüt mieux fervie, elle fuppofoit toujours qu'on vouloit la tromper, paree qu'elle en avoit le deffein. Elle aimoit les rapports , difpofition dans un prince, qui remplit fa cour de délateurs. Jufqu'au moment de fon mariage, elle avoit eu le cceur autrichien. Sa fortune düt naturellement la changer a cet égard ; mais a fa haine contre la France , fuccéda une jaloufie plus préjudiciable pour nous en Efpagne, qu'une haine impuiffanre k Parme. Elle rechercha la France par néceffité , & auroit defiré dans 1'union des deux couronnes , que tous les efforts fuffent mutuels ou fupérieurs de notre part , & les intéréts féparés. S iij  zj% Guerre HISTOIRE DES CAUSES DE LA GUERRE de i 7 5 60 V^omme je me fuis moins propofé d'écrire une hiftoire en forme, que de laiffer des mémoires aux hiftoriens, je fufpends pour quelque tems ceux que j'ai commencés, pour paffer au plus grand , au plus malheureux 8c au plus humiliant événement de ce règne; je veux dire a la guerre allumée en 1755, paria piraterie des Anglois, 8c terminée cette année par la paix dont ils ont di&é les conditions. Je ne veux pas laiffer échapper de ma mémoire les connoiffances que j'ai été a portée de me procurer. Je fais que fi ces annales paroiffent bientöt, elles doivent trop heurter 1'opinion commune , pour obtenir d'abord la confiance qu'elles méritent. Certains perfonnages qui ont paru fur la fcène , font trop intéreffés a me contredire, pour ne le pas faire avec d'autant plus de viyacité 8c de fiel, qu'ils rendront intérieurement juftice k la vérité des faits. Je fuis encore plus fur que lorfque le tems aura levé le voile qui cquvre aujourd'hui tant d'intrigues , lorfque les pièces , les inftrumens fecrets feront devenus  9 £ i 7 y 6. 279 fans conféquence, la poftérité verra que je n'aurai fait. qu'anticiper fon jugement. Combien d'opinions admifes comme vraies par une génération , & dont la faulfeté fe trouve démontrée par la génération fuivante l La reine de Hongrie, humiliée de n'avoir pu faire la paix avec le roi de Prulfe , qu'en lui abandonnant la Siléfie , en conierva le plus vif reffentiment, & ne regarda la paix que comme une trève dont elle comptoit bien fe fervir, pour chercher les moyens de reprendre les armes avec plus d'avantage. Elle ceffa dès ce moment de regarder ou de traiter la France comme fa rivale. Une politique flexible lui fit rechercher 1'alliance de cette couronne. Blondel étoit alors chargé des affaires de France a Vienne. La reine lui tint d'abord quelques propos vagues fur la différence qu'il y avoit entre la fituation aftuelle des maifons de France & d'Autriche, &, celle qui, 200 ans auparavant, les avoit armées 1'une contre l'autre. Elle ajoutoit que 1'équilibre étoit aujourd'hui fi parfait entr'elles, qu'elles ne devoient plus prétendre k le rompre , & que leur unión afiureroit la tranquilhté de 1'Europe, ou que fi quelque puifiance du fecond ordre tentoit de la troubler, les deux cours principales feroient en droit & en état de la réduire. Blondel , flatté d'être le négociateur d'un tel plan, s'empreffe d'en infiruire le marquis de Puifieux, miniftre des affaires étrangères , oui ne jugea pas a propos d'en parler au roi, ik Mfendit a Blondel de fuivre ce projet. La reine voyant , notre miniftre contraire a fes deflcins, S iv  "i8b Guerre en fufpendit la pourfuite, mais ne les abandonna pas; & lorfque le marquis d'Hautefort vint k Vienne en qualité de notre ambalfadeur, elle s'expliqua plus ouvertement avec lui, qu'elle n'avoit fait avec Blondel , dans 1'efpérance qu'un homme de condition auroit plus de poids qu'un fimple agent auprès de nos miniftres. Outre les raifons politiques qui pouvoient toucher les deux cours, elle ne difhmula pas fon reffentiment contre le roi de Pruffe. J'ai facrifié, dit-elle, mes intéréts les plus chers k la tranquillité de 1'Europe, en cédant la Siléfie, mais fi jamais la guerre fe rallume entre moi & lui, je rentrerai dans tous mes droits , ou j'y périrai moi & le dernier de ma maifon. Le comte de Kaunitz , qui vint ambaffadeur en France en même-tems que le marquis d'Hautefort 1'étoit de France a Vienne, avoit fes inftruöions toutes relatives aux vues de la fouveraine. II s'attacha d'abord k perfuader les miniftres & fur-tout madame de Pompadour, dont le crédit lui paroiffoit le plus important k ménager. Elle ne fut pas infenfible a 1'idée de jouer un ■röle, plus noble que celui qu'elle avoit joué fur le théatre des cabinets. Elle fe voyoit en entrant dans la politique un perfonnage d'état , & s'en crut tous les talens. Elle adopta donc le projet de Kaunitz, & fe flatta de convertir nos miniftres ; mais elle les trouva tous fi oppofés au nouveau fyftême, qu'elle n'ofa prendre fur elle de préfenter au roi un plan qui feroit combattu par tout le confeil, & fe contenta de dire au miniftre Autrichien que notre alliance avec le roi de Pruffe étoit trop récemment conclue pour y dé-  DE 1756. 281 roger , & qu'il falloit attendre un tems plus favorable. Dès ce moment, le comte de Kaunitz ceffa d'infifter, étala beaucoup de fafte extérieur, s'en dédommagea par une grande économie domeftique , & fe borna a vivre habituellement dans la claffe opulente de la finance oü je 1'ai fort connu. Le terme de fon ambaffade étant arrivé , il retourna a Vienne, & fut remplacé par le comte de Staremberg muni des mêmes inftrudions , chargé d'en fuivre le plan & d'épier les circonftances. Elles ne tardèrent pas a fe préfenter. Une efcadre angloife, fans déclaration de guerre, fans même avoir annoncé le moindre mécontentement contre la France , attaqua & prit, au mois de juin 1755, deux de nos vaiffeaux, 1'Alcide &c le Lys. Nous avions alors pour ambaffadeur a Londres le maréchal de Mirepoix, homme plein d'honneur & de courage, un vrai chevalier de guerre & de tournois des tems de Francois Ier., mais d'un efprit borné; il demanda juftice au miniftre Anglois de 1'aöe d'hoftilité qui venoit d'arriver. Le caradfère franc de cet ambaffadeur ne fervit qu'a fayorifer l'arbfice & la duplicité de ceux avec qui il traitoit. Le roi Georges ne craignit pas de dégrader la majefté , en partageant les manoeuvres de fes miniftres & autorifant leurs réponfes. Ils proteftèrent du defir qu'ils avoient d'entretenir la paix, ne comprenant pas, direntils, les motifs de cette aventure; ils alléguèrent que les conteftations que nous avions avec eux fur les limites du Canada pouvoient avoir eu  281 Guerre des fuites en Amérique, qui avoient occafionné le combat dont il s'agiffoit; mais qu'ils attendoient des éclairciffemens qui fans doute affermiroient la paix. Le maréchal, plein de franchife, ne douta pas de celle des miniftres, 6c encore moins de la droiture d'un roi. II fe rendit caution auprès de notre gouvernement qui fe laiffa prefqu'auffi facilement abufer. II étoit pourtant fort facile de pénétrer les deffeins de 1'Angleterre. Nous n'ignorons pas combien cette puiffance , notre ennemie naturelle , dont toute la profpérité fe fonde fur le commerce , étoit jaloufe du notre qui balancoit le fien depuis long-tems. Son plan fuivi étoit de détruire notre marine, 6c de s'attribuer privativement l'empire de la mer. II n'eft pas bien décidé fi les premières infra&ions a la paix en Amérique font venues de la part des Anglois ou des Francois; mais il eft très-certain que les Anglois defiroient la guerre, 6c que pour la faire avec avantage, ils étoient déterminés a la commencer par des hoftilités imprévues 6c multipliées, qui diminuant nos forces , augmentaffent les leurs , 6c leur affurafïent déja la iupériorité , avant que nous nous miffions en état de défenfe. En effet, pendant qu'on fe bornoit en France a demander juftice aux Anglois, ceux-ci laiffant leur miniftère amufer le notre par des réponfes obfcures, fe faififfoient de tous les vaiffeaux francois qu'ils rencontroient k la mer. Cette piraterie dura fix mois avant que nous ufaffions de repréfailles. Le maréchal de Mirepoix , dupe jufqu'a 1'imbécillité, répondoit toujours des diipoiitions pacifiques du roi d'Angleterre, 8c notre miniftère, auffi aveugle  DE 1756. 283 que le maréchal, attendoit hiimblement juftice. On vouloit, difoit-on, que 1'Europe, témoin de notre mcdération, s'indignat contre 1'Angleterre, & applaudit a la juftice de notre caufe. Ces fentimens pouvoient être méritoires devant Dieu ; mais fi une vengeance heureufe ne les juftifie pas bientöt, un état fe trouve dégradé aux yeux des nations qui n'applaudiffent jamais qu'aux vainqueurs. La paix humiliante qui vient de terminer une guerre honteufe , a donné atteinte a notre confidération en Europe, ou la France a peut-être perdu de fon rang. Les Anglois nous avoient déja pris dix mille matelots, avant que nous fongeaffions a les combattre;. &C comme Ia miière ou la violence en fit employer la plupart fur leurs vaiffeaux , leurs forces augmentèrent en raifon doublée de nos pertes. Telle fut la première & la principale fource de nos difgraces. Sans rejetter la négociation , fi nous n'euffions traité qu'en prenant les armes au premier ftgnal d'hoftilité , les malheurs de la guerre fe partageant fur les deux nations, il y auroit eu plus d'égalité dans la difcuflion des droits ou des prétentions. II eft prefqu'impoflible qu'une guerre s'allume entre deux grands états , fans que les autres y prennent part. II étoit d'ailleurs vifible que les Anglois, pour nous obliger k faire une diverfion dans nos forces , chercheroient k nous fufciter une guerre de terre de la part de leurs alliés. Nous avions alors avec le roi de Pruffe une alliance qui devoit fubfifter encore un an, (jufqu'au mois de juin 1756) fauf k la renouveller. Le baron de Kniphaufèn, fon miniftre en France ,  Guerre offrit auffi-töt le fecours de Ton maitre. II prétendoit que les Anglois s'étoient déja affiirés de la reine de Hongrie , mais que nous pouvions déconcerter leurs mefures, & que fi la France vouloit attaquer les Pays-Bas, le roi de Pruffe entreroit en Bohème avec 100,000 hommes. D'un autre cöté , Staremberg faifit 1'occalion d'offrir 1'alliance avec la reine ; cette offre diffipoit les foupcons qu'on vouloit nous donner contre la cour de Vienne, & fembloit affurer la paix dans le continent. Notre confeil, dont les principaux membres avoient leur intérêt particulier, fut très-partagé. D'Argenfon, miniftre de la guerre , la defiroit ardemment, & vouloit qu'on acceptSt la propofition du roi de Pruffe. Machault, miniftre de la marine, foutenoit qu'on devoit fe renfermer dans la guerre de mer; que 1'état de nos finances ne fuffiroit pas en même-tems aux dépenfes qu'exigeroient la terre & la mer; que jufqu'ici les Anglois étoient nos feuls ennemis; que fi 1'on cédoit aux follicitations du roi de Pruffe, la reine de Hon grie fe déclareroit pour 1'Angleterre; que fi 1'on s'engageoit au contraire dans une alliance avec elle, le roi de Pruffe la regarderoit comme une infracf ion au traité qui 1'uniffoit a nous ; qu'il n'y avoit d'autre parti a prendre que d'entretenir notre union avec la Pruffe, de lier avec la reine une négociation qui préviendroit ou du moins retarderoit fa joncfion avec 1'Angleterre nous donneroit le tems de porter tous nos efforts contre notre véritable ennemi. Le comte d'Argenfon objeftoit que tous nos ménagemens n'éviteroient pas une guerre dans le continent;  de i 7 5 6. 2S5 que nous devions donc la comraencer avec avantage, agir fur le plan du roi de Pruffe, deconcerter la lenteur autrichienne, & mettre la reine hors d'état d'être utile aux Anglois. Quelques fuffent les raifons d'état du comte d'Argenfon , fon intérêt perfonnel étoit d'engager la guerre de terre , qui, occupant tout ce qui habite ou fuit la cour, feroit prévaloir fon département fur celui de Machault , fon rival de crédit. L'attention qu'on donne a la marine a toujours été fubordonnée aux faveurs qu'on accorde a une armée de terre. Si la capitale étoit un port de mer, la marine prévaudroit; tant le moral & le politique dépendent des circonftances locales & phyfiques! Puifieux, St. Severin & le maréchal de Noailles fe rangèrent a 1'avis de Machault. Rouillé &c l'abbé , comte de Bernis, adoptèrent celui de d'Argenfon. Le comte de Bernis n'étoit pas encore du confeil; mais tout lui étoit communiqué par madame de Pompadour & par les miniftres lémoins de la faveur dont il jouiffoit auprès d'elle. II arrivoit de 1'ambaffade de Venife; 1'on voyoit affez qu'il n'y retourneroit pas , & qu'il joueroit bientöt a la cour le plus grand röle. Ce fut lui , qui , penchant pour les offres du roi de Pruffe, propofa que, fi on ne les acceptoit pas , on envoyat du moins auprès de lui un homme confidérable, qui fut du goüt de ce prince , put le ménager & pénétrer les deffeins. II fit tomber le choix fur le duc de Nivernois, &C 1'on n'en pouvoit pas faire un meilleur; mais on ne le fit partir qu'au mois de décembre (1755.) Ce retard , involontaire de fa part, nuitit a  2.86 . G U E R R É fa négociation. Les talens les plus rares étoient d'ailleurs affez inutiles auprès d'un prince qui , en diftinguant le mérite, difcernoit encore mieux fes propres intéréts ; & le duc de Nivernois n'arriva a Berlin que pour être témoin de la fignature du traité entre 1'Angleterre & la Pruffe, au mois de janvier 1756. On s'étoit borné, en fe fixant a la guerre de mer, a remercier amiablement le roi de Pruffe de fes offres, fans accepter celles de la reine de Hongrie. Ce prince, ne doutant pas que les événemens n'allumaffent la guerre dans le continent , craignit d'en être la victime. II n'ignoroit pas les démarches de 1'impératrice pour fe lier avec la France & changer l'ancien fyftême. Si elle y parvenoit, ce ne pouvoit être que pour tourner enfuite fes armes contre lui, & recouvrer la Silélïe. Quand la reine ne feroit reftée que dans la neutralité contre la France & 1'Angleterre, elle auroit encore été en état d'attaquer avec fupériorité un prince peu affermi dans la Siléfie, très-mal avec le roi d'Angleterre , &c en faveur duquel la France ne feroit point de diverfion. Les Ruffes, que les Anglois faifoient venir , augmentoient fon inquiétude, & il pouvoit raifonnablement craindre de fe voir écrafer entre tant de puiffances. On ne peut donc le blamer d'avoir cherché fa füreté dans une alliance avec le roi d'Angleterre. II la figna pendant qu'on agitoit dans notre confeil fi 1'on accepteroit ou refuferoit fes offres. II ne lui étoit pas difficile d'être informé de nos dé bats. Les maitreffes , les amis , les cliens de nos miniftres étoient initiés , fuivant notre ufage, dans tous les fecrets des délibérations ; &c les  t> E 1756. tgy foupers brillans de Compiègne oü la cour étoit furent pendant tout le voyage les comités oü les' matières politiques, traitées a la francoife, parmi les johes femmes, les intrigues galantes & les fadlies , fe préparoient pour le confeil. Pendant que le roi de Pruffe s'arrangeoit avec 1'Angleterre, Kniphaufen fon miniftre, pour en écarter fes foupcons & pour juftifier fon maitre après la conclufion , affecïoit de répandre les propofitions qu'il avoit faites fecrétement a notre miniftère. Cette indifcrétion étoit trop forte pour n'être' pas fufpeöe, & dès ce moment, le comte de Berms ne douta plus de l'intelfgence du roi de Pruffe avec 1'Anglois. II en avertit inutilement les autres miniftres. Ils n'étoient pas erico>e Mén perfuadés que les Anglois vouluffent férieufement la guerre, & fe repofoient tranquillement de l'affaire d'état la plus importante fur une négociation de banquiers qm la traitoient comme un fimple mal-entendu & une tracafferie de commercans II ne fut pas poffible de s'aveugler fur les deffeins de 1'Angleterre après 1'ouverture du parlement ; la harangue du roi fut une déclaration de guerre & un manifefte. Le comte de Bernis, dont les foupcons étoient juftines par 1'événement, prit dès ce moment plus d'autorité dans les comités II propofa donc de faire au roi d'Angleterre une requifition fur la reftitution de nos vaiffeaux d'exiger une réponfe prompte & précife, & fUr fon refus , de rompre a 1'inftant toute négociation , & d'attaquer Minorque. Staremberg n'oubbant rien pour nous engager dapS une alliance avec 1'impératrice , nous avoit fouvent avertis de celle que le roi de Pruffe né-  ■2,c8 Guerre gocioit avec 1'Angleterre, par le duc de BrunfVick. On commenca a écouter plus favorablement ce qui partoit de la cour de Vienne. L'impératrice avoit eu deffein de s'adrefTer au prince de Conti, qui , ayant alors un travail réglé avec le roi, fembloit avoir un crédit indépendant de madame de Pompadour. II étoit d'ailleurs en liaifon avec madame de Coiflin qui cherchoit a fupplanter la favorite. Le goüt du roi pour madame de Pompadour étoit ufé : elle avoit été obligée de recourir a des fêtes , des ballets, des 'comédies dont elle étoit la principale actrice. Ces amufemens qui n'avoient jamais beaucoup flatté ce prince, étoient épuifés; 1'ennui prévaloit toujours. Les agaceries de madame de Coiflin tirèrent le roi de cette langueur; elle auroit pu réuflir : mais au-lieu d'amener fon amant par degrés a un hommage d'éclat qui eüt fait éloigner fa rivale, aulieu de fortifier les defirs en les irritant, elle y céda fi vite , qu'elle les éteignit; elle fe livra comme une fille, Sc fut prife Sc quittée de même. Elle ne laiffa pas de donner beaucoup d'humeur Sc de chagrin a madame de Pompadour , qid comprit que ce qu'une rivale mal-habile n'avoit pas fait , feroit exécuté par une autre; elle conclut qu'elle ne fe foutiendroit pas long-tems comme maitreffe, Sc réfolut de fe faire miniftre. Elle y eft parvenue; les affaires lui ont procuré une confiftance moins fragile, Sc les galanteries de paflage que le roi a eues n'ont fait qu'affurer a madame de Pompadour 1'état d'amie néceffaire. Elle n'en étoit pas encore au point oü nous la voyons depuis bien des années; mais elle y tendoit.  D E 1 7 5 & a§9 tendoir. Le hafard, les circonftances Py önt portee j fans projet formé ni plan fuivi. Le comte de Kaunitz , informé du tableau de notre cour qui n'exige jamais que des yeux 8c non de la pénétration, jugea que madame de Pompadour, toute ehancelante qu'elle paroiffoit, étoit encore la voie la plus füre pour déterminet le roi, 8c en 1'engageant dans les affaires , il la rendit ce qu'il defiroit qu'elle füt, 8c ce qu'elle n'auroit encore ofé prétendre, maitreffe de la France. L'impératrice fentoit de la répugnance a lief une _ correfpondance qui choquoit également fa dignité, fa «orale 6c la hauteur Autrichienne j mais le comte de Kaunitz diffipa ces préjugés par le grand principe de 1'intérêt ü puiffant fur les pnn'ces. II en obtint un billet flatteur pour madame de Pompadour k qui le comte de Staremberg s'empreffa de le rendre. Madame de Pompadour fut fi enchantée de fe voir rechercher direcfement par l'impératrice, qu'elle la regarda finon comme fon égale , du moins comme une amie dont elle réfolut de fervir les projets a quelque prix que ce füt. Elle connoiffoit trop 1'oppofition du miniftère pour y recourir. Le comte de Bernis qui lui devoit les commencemens de fa fortune, 6c dont cette affaire pouvoit achever 1'élévation , lui parut le feul homme qu'elle put confulter 8c prendre pour guide ; mais elle éprouva de fa part, plus de contrariété que de tout autre. Aux raifons politiques , il joignit 1'intérêt de 1'amitié. II lui fit obferver qu'il ne s'agiffoit pas ici de ces traités qui ne roule.it que fur de légers objets , mais du renverfement total d'un fyftême qui fubfiftoit Tome /ƒ, "p  29° Guerre depuis Philippe II Sc faifoit la bafe de toute Ia politique ; combien il étoit dangereux de choquer 1'opinion publique , ne füt-elle qu'un préjugé; qu'une alliance entre les deux premières puilfances de 1'Europe , annonceroit la fervitude des autres ; que dès cet inftant, le roi deviendroit fufpecf au corps germanique , qui 1'avoit jufqu'ici regardé comme proteöeur de fa liberté. Sur quel titre fe porteroit-il déiormais pour garant du traité de Weftphalie? L'impératrice n'avoit d'autre objet que d'attaquer en füreté le roi de Pruffe, de nous engager nous-mêmes dans fa querelle, Sc de nous faire fupporter les fraix de la guerre , qui ne font jamais fournis que par la France Sc 1'Angleterre. Le roi fe verroit donc forcé k une guerre de terre qu'il vouloit éviter. Si le fuccès en étoit malheureux, quels reproches n'auroit-elle pas a fe faire comme Francoife , Sc k effuyer du roi ? Le comte de Bernis finit par 1'exhorter k continuer de plaire a fon amant, k 1'amufer , a ne lui point montrer d'humeur, & fur-tout k éviter les affaires qui pouvoient la perdre en la rendant odieufe k la nation. Madame de Pompadour ne parut pas mécontente du comte de Bernis; mais elle n'abandonna pas fon idéé, Sc réfolut de hafarder une tentative auprès du roi, fauf a ne pas infifier fi elle fentoit trop de réfiftance; elle n'en trouva point. Ce prince , prévenu d'eftime pour la reine de Hongrie k qui nous avons fait une guerre affez injuffe, n'avoit pas les mêmes fentimens pour le roi de Pruffe hérétique, bel-efprit & avantageux. Le roi étoit bleffé de quelques plaifanteries qui lui étoient revenues de Berlin, encore plus ré- II  D E i 7 5 6- 291 Volte de 1'irréligion que le roi de Pruffe profeffoit pour le moins avec indifcrétion , & peutetre jaloux de la gloire qu'un petit fouverain s'étoit acquife. II y avoit long-tems que le roi defiroit une alliance catholique qui püt balancer le parti proteftant, déja fupérieur en Europe. II comptoit que la réunion de la France & de la maifon d'Autriche contiéndroit toutes les autres puiflances, écarteroit k jamais la guerre, & feroit perdre k 1'Angleterre fon allié naturel. Cependant le roi, avant que de fe déterminer, propofa k madame de Pompadour , de charger le comte de Bernis d'en conférer avec Starember*. Madame de Pompadour connoiffant les difpofitions du comte de Bernis , & ne voulant pas Pexpofer k contredire un fyftême du goüt du roi & qu'elle defiroit ardemment, repréfenta que le comte de Bernis , n'étant pas miniftre , conviendroit moins que tout autre membre du confeil; mais le roi perfiftant, elle eut foin de lui faire remarquer , & de le prier de fe fouvenir qu'elle ne 1'avoit pas propofé, & que le choix venoit uniquement de fa majefté. Le lendemain ( 22 feptembre 1755), madame de Pompadour, les comte de Bernis & de Staremberg, fe rendirent k Babiole , petite maifon au-deffous de Bellevue. On ne peut pas mettre plus de franchife que le comte de Staremberg en mit dès la première conférence. L'impératrice jugea qu'il étoit de la dignité des deux premières couronnes de 1'Europe, de traiter fans le moindre détour. Toutes les vues, les prétentions, les propofitions de la cour de Vienne furent expofées , & elles étoient telles T ij  2$iï Guerre qu'il étoit difficile de ne pas en 'être touché. On le verra bientöt; mais ce nouveau fyftême étoit d'une fi grande importance, que le comte de Bernis demanda pour la décifion le concours du confeil ; 8c dans tout le cours de cette affaire , il eut la précaution de faire figner par le roi tous les ordres qu'il en recut. Pour rédiger le plan qui doit être préfenté au confeil 8c ne le pas laiffer pénétrer d'avance, les comtes de Bernis 8c de Staremberg eurent quelques entrevues dans un logement que j'avois au Luxembourg 8c que je n'occupois pas, oh ils fe rendoient, 1'un par la rue de Tournon, 6c l'autre par la rue d'Enfer. Le plan propofé par l'impératrice étoit fi féduifant, que le roi ne doutoit prefque pas de 1'approbation du confeil. Cependant quelques in-» térêts perfonnels pouvoient faire naitre des difcufiïons incommodes. Puifieux 6c St. Severin feroient bleffés d'un plan qui étoit la reftification de leur traité d'Aix-la-Chapelle. Le comte d'Argenfon feroit peu favorable a un ouvrage affectionné par madame de Pompadour. Pour obvier a ces contradictions, le roi voulut que l'affaire, au-lieu d'être rapportée en plein confeil, le fut dans un comité compofé de Machault, Rouillé, Séchelles 6c du comte Saint-Florentin. C'étoit d'ailleurs le moyen d'admettre dans les conférences , le comte de Bernis qui n'entroit pas au confeil. Le premier comité fe tint le 20 oftobre 1755, 6c 1'on y fit 1'expofé d'un plan qui fembloit détruire tout germe de guerre entre la France 6c la maifon d'Autriche. L'infant paflbit d'Italie dans lês Pays-Bas. L'impératrice abandonnoit a jamais  D E i 7 5 6. 293 1'Angleterre, 6c les ports que la maifon de France acquéroit a la porte de la Hollande, empêchoient cette république d'ofer fe déclarer contre nous en faveur des Anglois. Mons nous étoit cédé , 6c Luxembourg rafé. La couronne de Pologne étoit rendue héréditaire, en confervant toujours la liberté de la république pour ménager la Porte. La Suède gagnoit la Poméranie. L'arrangement du nord 6c du fud de 1'Europe, faifoit partie du plan général , 8c le poids des puiflances contra&antes fembloit en affurer 1'exécution. Les avantages qu'on nous offroit, étoient fi frappans, qu'on ne pouvoit être arrêté que par le refpeft des anciens principes. Eft-il fage , dirent quelques-uns , de renoncer a un fyftême établi depuis prés de deux fiècles, fuivi par Henri IV, Richelieu, Mazarin , d'Avaux, Servien, 8c devenu un axiöme de politique nationale ? D'ailleurs, comment deux cours fi long-tems oppofées 8c- toujours rivales ferontelles conftantes dans leur alliance ? La France peut-elle compter fur la fidélité de la cour de Vienne, après 1'avoir rendue plus puiflante ? La France va s'aliéner tous les princes de 1'Empire qu'elle foumet a la maifon d'Autriche. Elle perd le parti proteftant 8c le donne a 1'Angleterre. Après avoir maintenu la liberté de Pologne, on 1'expofe au démembrement ou a 1'afferviffement de la part de la Ruftie, ou de la cour de Vienne qui voudroit donner une couronne a 1'un des archiducs. Dès cet inftant, nous perdons la confiance'8c 1'amitié de la Porte, ft jaloufe de la liberté polonoife. On répondoit a ces object.ions, que lors. dé la naiffance de Tanden fyftême, la maifon d'Au- Tiij  194 Guerre triche poffédoit la couronne impériale , celles d'Efpagne & ne Naples, une partie des états du roi de Sardaigne, &c la Servië pour barrière contre le turc. Elle n'a plus aujourd'hui que 1'Empire. Par le fyftême propofé, la cour de Vienne ne s'aggrandit pas relativeraent k la maifon de France qui gagne les Pays-Bas & devient relativement plus puiffante, fur-tout contre les Anglois, par les places maritimes de Flandres. Les deux puiflances contradfantes fe lient direcfement par les fermens & 1'honneur; mais de plus, leurs arrangemens refpecfifs , leurs avantages réciproques font ft fenfibles, que 1'intérêt , la première loi des princes, devient encore le garant de 1'honneur. Le traité de Weftphalie reftant inaltérable, les proteftans font raffiirés. L'union de la Suède, pour la garantie, eft une nouvelle füreté, & le Danemarck offre d'entrer dans l'union. La liberté des Polonois fait une des bafes du traité. La Ruffie devenue notre alliée, entreprendra moins fur la Pologne. Norre alliance avec la Ruffie ne nous oblige de lui fo'urnir aucun fecours contre le turc, ce qui affure la neurraliré de la Porte entre les Francois & les Anglois. D'ailleurs, il étoit impoffible que la guerre de mer n'excitat bientöt celle de terre ; les Anglois armeroient infailliblement contre nous l'impératrice. II ne nous reftoit donc que le choix de 1'ennemi. Devions-nous préférer pour allié le roi de Pruffe a l'impératrice qui nous faifoit les plus grands avantages? Les différentes alliances que le nouveau fyftême exigeoit, étoient ft compliquées, qu'une défedtion pouvoit faire tout crouler; mais c'eft Pinconvénient de toutes les guerres de ligue, & toutes  r> e 1756. 295 les puiflances étoient intéreflées dans celle-ci. L'impératrice renoncoit a jamais a 1'Angleterre ; le fnccèj de la guerre paroifibit infaillible, &l n'a manqué en effet que par les généraux. Quoiqu'on parut répondre a toutes les objections, le comité refta dans une telle indécifion qu'on fe borna a répondre, qu'avant de fe déterminer, on vouloit obferver les démarches de 1'Angleterre & de la Pruffe. L'impératrice affez mécontente, nous fit demander de propofer nousmême un plan, puifque le fien n'étoit pas accepté. Le comte de Bernis propofa alors entre les deux cours, un traité d'union & de garantie de leurs états refpectifs en Europe, ceux du roi de Pruffe y étant compris, 1'Angleterre feule exceptée, a caufe des hofiilités, & qu'a cet égard l'impératrice garderoit la neutralité. Tout le comité approuva le projet. La cour de Vienne fit les plus grandes difficultés fur la garantie des états de Pruffe. Le roi même, porté a une alliance plus étroite, craignit que la négociation ne fut rompue, & en témoigna quelque chagrin. Mais enfin, l'impératrice jugea que le traité d'union la mettroit du moins k couvert des hoftilités de la France, & que celles du roi de Pruffe pourroient bientöt faire naitre la guerre. Le traité alloit être figné, lorfqu'on recut la nouvelle de celui qui vénoit de 1'être k Londres, le 16 janvier 1756 , entre 1'Angleterre & la Pruffe. La cour de Vienne déclara auffi-töt que dans ces circonftances, on ne pouvoit pas, fans lui infpirer une défiance très-fondée, perfifter dans la garantie des états du roi de Pruffe. Elle vou- T.iv  Guerre loit du moins une convention de neutralité qui nut les Pays-Bas a couvert. Le comte de Bernis trouvoit la demande jufte ; Machault ne rougit pas de s'y oppofer , d'autant plus, dit-il, que li nous avions de mauvais fuccès contre 1'Angleterre , nous pourrons nous en dédommager fur les Pays-Bas. Ce qu'il y eut de plus fmgulier, eelt quun avis fi déshonorant pour le roi, parut le trait d'une haute politique a plufieurs membres du comité, qui d'abord vouloient qu'on aeit offenfivement contre le roi de Pruffe. Sur les plaintes que le duc de Nivernois fit k ce prince de fon traité avec 1'Angleterre, il répondit que cela n'avoit rien de contraire k celui quil avoit avec la France, qu'il étoit même prêt a le renouveller, & qu'il ne trouveroit pas maiw vais qu'elle en fit de fon cöté avec la cour de Vienne. Le duc de Nivernois eut ordre de revenu: ; & le marquis de Vallory alla le remplacer* fans autres inftruaions que de veiller fur la conduite d'un prince que nous devions déja regarder comme notre ennemi, mais avec qui nous n'avions point encore de guerre ouverte. D'un autre j°teu' fe,d"C ^ Duras' k h Première nouvelle des hofldites des Anglois & fans milTïon de notre cour, tacha d'engager celle de Madrid, oh il étoit ambaffadeur, k fe déclarer contre 1'Angleterre Sa propofition fut fort mal recue , 6i dans la crainte quil ne neus engagegt légerement dans quelques iauffes demarches, il eut ordre de revenir Le comte de Bernis fut defliné k lui fuccéder. La luite des evenemens le fit bientöt après nommer pour aller a Vienne ; mais comme il étoit encore plus néceffaire k conduite ici les différentes  £> e 1756. 297 branches de la négociation , qui prenoit a chaque iniïant plus d'acïivité , il ne partit point. Le comte d'Aubeterre alla de Vienne relever le duc de Duras k Madrid, & le marquis de Stainville, aujourd'hin duc de Choifeül , fe rendit k Vienne. Le roi de Pruffe n'eut pas plutöt ratifié le* traité de Londres , que l'impératrice en exigea un de nous pour la neutralité des Pays-Bas, & défenfif en cas d'hoftilités du roi de Pruffe.' Le comte de Bernis , que le roi chargea de le rédiger, ne voulant rien prendre fur lui dans une affaire de cette importanee , demanda la réunion de tout le confeil en comité. Le roi, piqué du procédé du roi de Pruffe , &t madame de Pompadour excitée & flattée par l'impératrice , defiroient que le traité fut offenfif. Le comte de Bernis fut prefque le feul qui s'y oppofa. II fentoit que pour peu que la guerre s'engageat, tout le fardeau en retomberoit fur nous, que nous n'avions point de généraux en qui 1'armée eüt de confiance, & que nos finances étoient en fort mauvais état. II repréfenta qu'on feroit toujours k tems de prendre des mefures offenfives; qu'il étoit dangereux de s'engager avec la cour de Vienne plus qu'elle ne 1'exigeoit ellemême. II parvint enfin k fufpendre le reffentiment du roi , k tempérer 1'engouement de madame de Pompadour pour l'impératrice, a réfïfter k 1'ardeur que tous les milhaires avoient pour la guerre. Le traité fut donc fait, tel qu'il eft imprimé. (Voyez le traité). Le comte de Bernis exigeoit que le traité fut fecret, perfuadé que le roi de Pruffe bien armé, & ne doutant pas que 1'offenfif ne fuivit bientö>  198 Guerre le défenfif, fe prévaudroit de fa fituation pour attaquer la reine d'Hongrie. II demandoit de plus & comme un préalable néceffaire, qu'on mit le roi de Pologne, élecfeur de Saxe, en état de défenfe contre le roi de Pruffe. Tout le confeil fe récria que ce fecret n'étoit pas de la dignité du roi , que le roi de Pruffe confterné n'oferoit jamais prendre les armes, & que les précautions pour la défenfe de la Saxe feroient d'une dépenfe fort inutile. Le comte d'Argenfon fut le feul qui approuva 1'avis du comte de Bernis de ne pas négliger la Saxe, paree que c'étoit faire agir des troupes, ce qui eft toujours du goüt d'un miniftre de la guerre; mais il n'appuya point la propofition du fecret, paree que la publicité pouvoit engager l'affaire. Aufti-töt que le traité fut connu, 1'applaudiflement fut général. Ce fut unö efpèce d'ivreflè qui augmenta encore par le chagrin que les Anglois en montrèrent. Chacun s'imagina que l'union des deux premières puiffances tiendroit toute 1'Europe en refpedt. On propofa même dans 1'académie, de donner pour fujet du prix de vers, le traité entre les deux cours; & je ne pus 1'empêcher d'être admis, qu'en repréfentant, qu'il falloit du moins avant que de fe décider, confulter le miniftère fur un fujet qui tenoit k la politique. Cela en fit choifir un autre. Depuis les miniftres jufqu'aux derniers fous-ordres, tous vouloient avoir concouru au traité. Rouillé qui n'avoit été qu'aftiftant, propofa naïvement de nommer le traité, traité de Joui, du nom de fa maifon de campagne, oii les préliminaires avoient été arrêtés; c'étoit toute la part qu'il y avoit eue. Qn rit de fa prétention, & on le rappella a lui-  DE 1756. Z99 même. II prétendit encore qu'on ne devoit pas moins que de faire duc le petit Beuvron fon gendre. Le roi ne fut pas de fon avis, & Rouillé fut obligé de fe contenter de 16,000 livres de penlion dans fa familie. jc iao ijuc ics iuccs uiu uien cnange aepuis; mais on oublie les époques. Sans vouloir prorioncer fur le traité en lui-même, je rapporte les faits, & jVvance que, jufqu'a la bataille de Rosbach, le traité foutint fa faveur. Voyons, maintenant, comment & pourquoi les chofes changèrent fi fort de face. Tout parut d'abord nous réuffir. Le maréchal de Richelieu s'empare de Minorque; la Galiffonnière bat & difperfe la flotte angloife, commandée par 1'; miral Bing. On a prétendu que 1'attaque du fort Saint-Philippe, a Mahon , éroit une entreprife folie. II eft vrai qu'on ne s'y fut peutêtre pas engagé , fi on 1'eüt connu exactement. On s'étoit déterminé fur un plan fourni par 1'Efpagne ; mais on ignoroit 1'état de la place depuis que les Anglois la poffédoient, & il n'y eut que Pintrépidité du foldat Francois qui fuppléa a tout. Quoi qu'il en foit, cette conquête produifit un tel effet chez les Anglois, qu'ils craignirent une defcente dans leur ifle, & de voir les Francois dans Londres. Pen ai fu depuis les détails dans mon féjour en Angleterre. Leurs terreurs n'auroient pas été vaines, fi nous euflions eu encore le maréchal de Saxe & Dugué-Trouin : ils ont difparu, & n'ont point eu de fucceffeurs. Les Anglois tirèrent de leur difgrace un parti que nous ne connoiflbns point. Bing, malheureux, fut jugé en coupable, & pafte par les armes. Cet afte  300 Guerre de févérité diflipa la frayeur de la nation, lui fit croire qu'elle n'avoit été que mal fervie, & apprit a leurs généraux la néceffité, & peut-être, par-la, les moyens d'être heureux. ' Pour nous, quelques chanfons furent les plus agréables fruits de notre vicfoire; le premier de nos fuccès en fut le terme, & n'a prefque été fuivi que de malheurs & d'humiliations. Des généraux de cabinet, avides d'argent, ïnexpérimentés ou préfomptueux ; des miniftres ïgnorans, jaloux ou mal-intentionnés; des fubalternes prodigues de leur fang fur un champ de bataille, & rampans k la cour devant les diftributeurs des gfaces : voilk les inftrumens que nous avons employés. Le feul, capable de fuivre le fyftême qu'il avoit adopté forcément, mais le feul capable de le fuivre, puifqu'il en avoit combiné tous les refforts, n'étoit pas maitre de leur donner le mouvement. Le comte de Bernis enfin, avec plus de faveur que de crédit, n'avoit pas 1'autorité atfive. Rouillé, jaloux d'un affocié qu'il ne peut s'empêcher de regarder comme fon maitre , lui dérobe la connoiffance de ce qui fe paffe chez 1'étranger , & ce qui eft incroyable , continue d'agir dans toutes les cours fuivant 1'ancien fyftême, quoiqu'il eüt été un inftrument du nouveau dont il prétendoit tirer fa gloire. Le roi fentit les inconvéniens de cette difcordance, & voulut faire entrer au confeil le comte de Bernis, pour le mettre en état de connoitre toutce qui étoit relatif a fon plan. Le petit Rouillé en eft aïlarmé, & le prince conferve encore fix mois, au détriment des affaires, une repréfenta-  DE 1756. 30Ï tion de miniftre, dont le feul mérite étoit d'avoir excité la pitié. Le comte de Bernis, voulant fe prévaloir de la prife de Minorque , pour finir la guerre fur mer & prévenir celle de terre, propofa de renouveller a 1'Angleterre la réquifition de nous reftituer les prifes , avec raffranchiffement de Dunkerque, en offrant & ce prix de rendre Minorque. Les Anglois auroient fans doute accepté la propofition ; mais elle fut unanimement rejettée par notre confeil. Le fentiment du comte de Bernis, étoit de n'agir offenfivement contre le roi de Pruffe , qu'en cas d'aggreffion de fa part; mais ce prince voyoit très-clairement que la cour de Vienne n'avoit recherché la France que pour n'être pas inquiétée dans fes deffeins fur la Siléfie; il connoiflbit la haine perlónnelle 'que lui portoit l'impératrice de Ruffie, Elifabeth, 6c fon inclination pour la reine de Hongrie. Elles fe réuniroient fans doute, & le reffentiment que 1 elecfeur de Saxe confervoit contre lui de la dernière guerre, éclateroit alors. II réfolut de les prévenir; il avoit 150,000 hommes bien armés 6c bien difciplinés; 1'éiecfeur avoit confumé dans des fêtes 6c des plaifirs mfipides des tréfors qu'il auroit du employer a réparer fes pertes & a fe faire refpeöer. Dans cette fituation, le roi de Pruffe fait notifier a la reine de Hongrie, qu'il eft allarmé des préparatifs de guerre qui fe font dans 1'Empire, & lui demande de déclarer hautement qu'elle n'a aucun deffein de 1'attaquer, du moins pendant cette année & la fuivante. La reine fait répondre, qu'une telle déclaration feroit trop irrégulière, puifqu'elle convertiroit en trève une paix fubfiftante.  302 Guerre Sur une réponfe fi peu précife, le roi de Prufte prend un parti prompt. Soixante mille Pruffiens, commandés par le prince Ferdinand de Brunfwick, entrent en Saxe, 8c s'emparent de Leiplick, Sc le roi de Pruife marche a Drefde. Le roi Augi.fte lui abandonne fa capitale, 8c fe renferme avec 17,000 hommes dans le camp de Pyrna, oh il fe trouve auffi - tot bloqué. Le roi de Pruffe , déclaré k 1'inftant ennemi de 1'Empire , pour toute réponfe , s'avance vers la Bohème , livre bataille au comte de Brovn k Lokowits, le bat, 8c fans perdre de tems , revient fur le camp de Pyrna. Le roi Augufte fe retire avec le prince royal dans le chateau de Konigftein , 8c abandonne fon armée, qui fe rend prifonnière de guerre , 8c qui , a 1'exception des officiers , fut incorporée 8c difperfée dans les troupes pruffiennes. Augufte fait des propofitions de paix t on les rejette. II demande au vainqueur de prefcrire les conditions : Fréderic répond, qu'il n'en a point k faire; qu'il n'eft pas entré en Saxe comme ennemi, mais comme dépofitaire. Augufte le prie de lui rendre du moins fes gardes; Fréderic les refufé, 8c prétend qu'il ne veut pas avoir la peine de les reprendre. Toutes les réponfes de Fréderic font des infultes ou des marqués de mépris, 8c toute la conduite d'Augufte femble excufer le vainqueur. Le malheureux prince fe borna enfin a demander des paffe-ports pour s'éloigner. Ce fut la feule grace que Fréderic lui accorda; il lui offrit même des chevaux de pofte. Augufte, exilé de fes propres états, fe réfugia en Pologne, ou la République lui témoigna  d e i 7 5 6. 3 03 \me compafïion humiliante, & ne lui offrit aucuns fecours. La reine de Pologne, au contraire montra toute la fermeté que fa fituation comportoit. Jamais elle ne voulut fortir de Drefde • mais enfin elle fuccomba fous les chagrins & les duretés qu'elle eut a effuyer , & mourut Nous avions jufques-la fufpendu 1'exécution du traite de Verfailles; mais 1'aggreffion du roi de Pruffe, ne nous laiffant plus de raifons de differer , on donna les ordres pour faire marcher les 24,000 hommes, 18,000 d'infanterie, & 6,000 de cavalerie , flïpulés par le traité Le comte de Bernis vouloit qu'on s'y reftraignit exactement; ce n'étoit pas 1'intérêt du comte d'Argenfon , qui auroit defiré employer toutes les troupes de France, pour étendre fon département Appuye des larmes de la dauphine, qui crioft vengeance pour fon père , il tacha de perfuader 3U r°r '^U'Un fecours de Mjooo hommes n'étant pas fuffifant, ce feroit les facrifier fans fruitqu ils feroient toujours les plus expofés; qu'il hu.' droit contmuellement les recruter , & que fans nen opérer d'avantageux pour l'impératrice, ni de gloneux pour nous , la France s'épuiferoit d hommes & d'argent par des campagnes multiphees: au-heu qu'en déployant d'abord des forces confiderables, on arrêteroit les progrès du roi de mille , öc qu on le reduiroit a accepter les conditions qm lui feroient impofées. Deux campagnes , difoit-on, fuffiroient pour rétablir la paix dans le continent, & pour faire jouir la France de leukst? H°n§fie 3VantageS refPeaifs Le roi fut féduit d'un plan conforme k fes dif-  é I04 Guerre polltions perfonnelles, a 1'égard de 1'impératric* & du roi de Pruffe. ïl voulut cependant, avant de fe déterminer, que l'affaire fut examinée au confeil (novembre 1755.) Machault fut trèsoppofé a d'Argenfon. II n'ignoroit pas qu'une armée de terre attire toujours 1'attention & les foins de la cour , préférablement a. la marine. Les courtifans fervent prefque tous fur terre, aulieu que les marins fréquentent peu la coiir, & valoient encore mieux quand ils y paroiffoient moins. Machault qui, étant contróleur-général, avoit tout refufé pour la marine au comte de Maurepas , craignit d'avoir donné un facheux exemple pour lui-même. II fit voir le danger de ne pas nous occuper particulièrement de la guerre Contre les Anglois, nos vrais ennemis , & prétendit ne pouvoir foutenir la marine, k moins de foixante millions* Le comte d'Argenfon , foutenü de Séchelles, contróleur-général, en offrit 65. Cet offre ne diffipoh paS les défiances de Machault : mais elle détruifoit fes objeöions; ainfi , le fentiment du comte d'Argenfon commencoit k prévaloir. II n'y eut encore rien de décidé , & la queftion politique fut renvoyée au comité, afin que le comte de Bernis, qui n'étoit pas encore du confeil, püt ópiner fur la matière. II n'étoit pas de 1'avis du comte d'Argenfon , dont il prévoyoit les fuites; mais le penchant du roi pour l'impératrice, 1'éngouement de madame de Pompadour potir cette princeffe, qu'elle regardoit naïvement comme fon amie , & dont elle fe flattoit prefque d'être la protedfrice; 1'obfeffion du prince de Soubife , du comte depuis maréchal d'Eftrées, du duc de Richelieu ,  D E 1756. 305 chelieu, &c de tous ceux qui, fans être des perfonnages , vouloient jouer des röles ; tout fit voir au comte de Bernis, que s'il ne confentoit pas a 1'augmentation du fecours , en le limitant, il feroit porté beaucoup plus loin que 1'état de nos finances ne le comporteroit. II effaya inutilement de montrer le peu de confiance que la nation avoit dans nos généraux: enfin il confentit k porter le fecours jufqu'a 45,000 hommes, pourvii que ce fut des troupes étrangères , la moitié de la dépenfe d'une armée franeoife fuffifant a cet objet. L'impératrice eüt été très-fatisfaite de cette augmentation ; mais le comte d'Argenfon n'étoit pas encore content; les troupes étrangères ne lui convenoient pas : il falloit employer les courtifans, fes cliens, fes créatures, &c fur-tout fes protégés, en formant une armée de munitionnaires , dont 1'état fe reffentira long-tems. Voila par quels degrés , par quelles intrigues, nous parvïnmes a dénaturer le traité, & iacrifer les forces & les finances du royaume a des intéréts particuliers. Le confeil de Vienne ne fut pas trompé comme nous dans fon plan , qui étoit de nous rendre les principaux aöeurs de la guerre fous le fimple titre d'alliés. II faut convenir que depuis Philippe II, nulle cour n'a mieux fuivi fon objet. Lorfqu'elle paroit s'écarter de fon plan, c'eft pour y rentrer par une route détournée. On y appercoit le même efprit, un fyftême conftant, qui fe plie aux circonftances, fait les préparer ék. les faifir. Ainfi, le cardinal de Fleury avoit bien raifon de dire ce que je yiens de lire dans une de fes Tome TI, V  306 Guerre lettres, du tems oü nous étions en guerre contre les Autrichiens (juin 1741.) La reine de Hongrie ejl dans le cas d'une boutique , ou la mort du maitre napporte -aucun changement, quand les gargons gouvernent d fa place; elle a le même confeil, & agit comme fes ancêtres. Dans une autre lettre: l'empereur ejl faux, & nous hait fouverainement. II s'eft Jervi de l'ejlampille du dernier empereur , pour dccider beaucoup d'affaires après fa mort, 6" cela eft prouvé. Pendant qu'on faifoit les préparatifs de guerre, le comte de Bernis , car Rouillé n'avoit que le titre de miniftre, négocioit avec toutes les puiffances de 1'Europe. La Ruffie accéda au traité de Verfailles, malgré tous les efforrs de Beftuchef, livré a la cour d'Angleterre , oü il avoit été élevé page du roi Georges II. La Suède prit les armes pour la même caufe. On jetta les fondemens d'une union d'armes avec le Danemarck, On traita avec la Bavière, le Palatin & le Wirt&mberg. La diète de 1'Empire empêcha que cette guerre ne fut préfentée par le roi de Pruffe, comme guerre de religion. La Hollande confirma fa neutralité. Ces négociations furent conduites avec tant de promptitude & d'habileté, que toutes étoient confommées au mois d'avril 1757, & les mauvais fuccès de la guerre ne détachèrent dans la fuite aucune des puiffances contractantes jufqu'a la mort de l'impératrice Elifabeth. Le comte d'Eftrées partit en même-tems pour aller a Vienne concerter le plan des opérations militaires. Cet arrangement ne fe fit pas fans difficultés; nous exigions de l'impératrice qu'elle renoncat pour toujours al'alliance de 1'Angleterre;  D e i 7 5 6. & la répugnance qu'elle y montroït, ne fervoit qu'a nous prouver la néceffité de l'exïger. Ei-fin elle y confentit, pourvu que la France fe déta> chat pour jamais de la Pruffe, ce qui fut convenu des • deux parts. II fut enfuite queftion de la neutralité d'Hanovre. Le comte di Bernis la propofa ? & le roi d'Angleterre s'en feroit d'autant moins éloigné, que nos fuccès en Amérique lui faifoient craindre que les Anglois , maïtres de 1'application de leurs finances, ne préféraffent la défenfe de leurs colonies a celle de fon électorat. En effet, les évéaemens n'avoient pas répondit a leurs projets fur le Canada. Bradock, fuivant les ordres qu'il avoit recus de Londres dès 1754 , avoit compté s'emparer de nos, poffeflions. Bofcaven, en conféquence de pareils ordres du mois d'avril 1754, devoit nous attaque^ fur mer. Ces faits, & plufieurs autres des années antérieures, prouvent affez que depuis long-tems les Anglois méditoient 1'invafion du Canada; qu'ils étoient déterminés a nous dé' clarer la guerre, & que, pour en affurer le fuccès, ils devoient, contre la foi des traités, agir dans l'ancien & le nouveau monde , par des hoftilités combinées. Voyons-en les premiers effets. En Canada , Jumonville , officier Francois, va comme négociateur porter des paroles de paix aux Anglois , au milieu des fauvages , leurs alliés; il eft odieufement affaftiné par les Anglois, a la vue des fauvages, indignés d'un tel attentar contre 1'humanité & le droit des gens. Les Anglois fe virent abandonnés de la plupart de ces fauvages; d'autres, furieux qu'on eut eu la bar- V ij  308 Guerre barre de les profcrire, en mettant leurs têtes k prix, fe répandirent dans les poffeffions angloifes, portant par-tout le fer & le feu. Le général Bradock périt dans le combat du 5 juillet, & les papiers qu'on trouva dans fes poches, dévoilèrent les projets fuivis de la cour de Londres, que des miniftres plus édairés,.ou plus attentifs que les nötres, auroient dü prévoir, Les marquis de Vaudreuil &c de Montcalm curent, dans les commencemens de cette guerre, les plus grands fuccès en Canada. II étoit donc très-probable que les Anglois auroient alors accepté la neutralité d'Hanovre, pour ne s'ocCuper que de leur propre défenfe; mais notre gouvernement fe perfuada que le roi d'Angleterre, maitre fuivant la conftitution de 1'état , de faire la guerre ou la paix, prendroit ce dernier parti, dés qu'il fe verroit dépouillé de fon éledforat, Sc que c'étoit l'affaire d'une campagne. . Ce raifonnement paroiffoit décifif, a la nobleffe qui demandoit de 1'emploi, & au miniftre de la guerre qui vouloit la faire. II n'étoit pas même fans vraifemblance, fi au-lieu de confidérer les puiflances, on eüt fait attention a ceux qui devoient les faire agir, fi au-lieu de compter les troupes, on eüt comparé ceux qui devoient les commanden L'influence que le comte de Bernis devoit avoir dans les négociations , trouva moins d'obftacles, dès qu'il fut entré au confeil, le 2 janvier 1757, Le roi , ennuyé des petits manéges fourds de Rouillé , avoit pris le parti d'appeller le comte de Bernis au confeil; & quelques mois après, Rouillé remit le département des affaires étran-  b e i 7 5 6- 309 gères, dont il voyoit qu'il n'étoit que le prêtenom. Ce fut trois jours après 1'entrée du comte de Bernis au confeil, qu'arriva 1'attentat fur la perfonne du roi par Damiens. Je ne m'arrêterai pas ici fur cet affreux événement, dont j'ai fait un point d'hiftoire féparé. , Les difcuffions entre le parlement & Ie miniftère,^ étoient alors dans leur grande force. Les enquêtes, les requêtes, & partie de la grand'chambre , avoient donné la démiffion de leurs charges, auffi-töt après le lit de juftice du 13 décembre. Ce malheur, du 5 janvier, auroit fans doute réuni tous les efprits, fi Ie premier préfident de Maupeou & les principaux miniftres , d'Argenfon & Machault, 1'euffent voulu de bonne foi ; mais ces trois hommes fuivoient la maxime de Tibère r divide & impera. Trois femaines après (x février), les deux miniftres furent exilés patdes intrigues de cour. Jamais on ne prit plus mal fon tems pour renvoyer deux miniftres expérimentés, fur-tout fi 1'on confidère leurs fucceffeurs. Machault fut remplacé par Moras, Sc le marquis de Paulmy fuccéda k fon oncle d'Argenfon. Tels étoient les principaux inftrumens de 1'ouvrage qu'on alloit commencer. Les arrangemens étant faits, les plans arrêtés , & les opérations fixées , on fit marcher (1757) en Allemagne une armée, fous les ordres du maréchal d'Eftrées, & dans laquelle le prince de Soubife commandoit une divifion. Le maréchal s'avancant vers 1 'élecforat d'Havovre , traverfa la Weftphalie , s'empara d'Embden , foumit la Heffe, paffa le Wefer , fans combattre. Le duc de Cumberland, qui commandoit 1'armée angloife, V iij  3IO G U E R R Ë fortifiée de celle de BrunfVick & de la Heffe , fe retiroit toujours devant le maréchal , Sc finit par fe retrancher dans un camp avantageux, prés de Haftembtck. Peut-être le maréchal ne 1'auroit pas attaqué, fi les plaintes de la cour, les plaifanreries des fociétés de Paris, Sc 1'avis qu'il eut qu'on travailloit a le faire rappeller, ne 1'euffent tiré de fon indécifion. La cabale du prince de Soubife, aidée des intrigues de fa fceur, la comteffe de Marfan, ne ceffoit de crier contre la lenteur du maréchal, Sc demandoit un général plus entreprenant. Des mifères de cour y déterminent ordinairement les partis les plus graves. Madame de Pompadour étoit très-mécontente de ce que le maréchal d'Eftrées trouvoit mauvais que le prince de Soubife, ne commandant qu'une divifion, fit timbrer fes lettres armée de Soubife. Outre cet important motif, le maréchal avoit eu la fotte hauteur de ne vouloir pas concerter fes opérations avec Duvernay, munitionnaire général , homme néceffaire, plein de reffources , Sc qui entendoit mieux la guerre que la plupart de nos généraux. Duvernay fut fenfible k ces ridicules marqués de mépris. II étoit confidéré du roi, fort accueilli de madame de Pompadour , a qui d avoit rendu des fervices dans des tems oh elle en pouvoit recevoir de beaucoup de monde. Le maréchal de Richelieu faifit leftement cette occafion de s'offrir. Madame de Pompadour n'auroit encore olé faire commander en chef le prince de Soubife, Sc le fubftituer au maréchal d'Eftrées; elle auroit révolté tous les maréchaux de Erance & les officiers - généraux , plus anciens que fon ami; mais le général qui fe propofoit, lui répu-  d e i 7 5 6. 3 u gnoit plus que tout autre. Elle n'a jamais aimé le maréchal de Richelieu , qui , fans la braver ouvertement, avoit, par des propos légers fur elle, toujours cherché a la faire regarder du roi fur le pied d'une bourgeoife déplacée, d'une galanterie de paffage, d'un fimple amufement qui n'étoit pas fait pour fubfifter dignement a la cour. Ce qu'il y a de plus admirable, c'eft que 1'opinion du maréchal de Richelieu ne lui étoit pas particulière; ce fut long-tems celle de la cour. II fembloit que la place de maitreffe du roi exigeat naiffance & illuftration. Les hommes ambitionnoient 1'honneur d'en préfenter une, leur parente, s'ils pouvoient; les femmes, celui d'être choifies. Peu s'en falloit qu'elles ne criaflent a 1'injuftice fur la préférence donnée a une bourgeoife. J'en ai vu plufieurs douter dans les commencemens, ft elles pourroient décemment la voir. Bientöt elle forma fa fociété, & n'y admit pas toutes celles qui la recherchèrent. Le maréchal de Richelieu , devenu plus circonfpecf k 1'égard de madame de Pompadour, eut recours au crédit de Duvernay, le rechercha avec empreffement, le combla de careffes & d'éloges, 1'affura qu'il ne vouloit fe conduire que par fes confeils; & Duvernay, peut-être auffi féduit par lamour-propre , que par fon reffentiment contre lé maréchal d'Eftrées, entreprit de faire donner le commandement au maréchal de Richelieu. Pour y parvenir, il pria le comte de Bernis de lui procurer une audience particulière de. madame de Pompadour , & lui ajouta qu'il ne lui feroit pas longtems un fecret de fon deffein, mais qu'il le prioit V iv  3i2. Guerre de ne pas Pexiger pour le moment. Le comte de Bernis ne forca point Duvernay de queftions, &c lui procura la conférence qu'il defiroit. Le comte de Bernis n'étoit pas perfonnellement fulp, él : mais fa liaifon avec le maréchal de Belle-Ifle, fit craindre qu'il ne lui fit part du projet, 8c que le maréchal, ami de d'Eftrées, ne le lui mandat. On verra bientöt que toutes ces petites réferves n'empêchèrent pas 1'intrigue de s'éventer. Duvernay expofa fon plan au roi, en préfence de madame de Pompadour 8c de Paulmy. Celuici, petit fantöme de miniftre, n'étoit pas en état de difcuter contre Duvernay, ni peut-être de 1'entendre. Plus fait pour figurer dans quelque cotterie obfcure & crapuleufe que dans un confeil, il ne fut qu'afliftant. L'objet étoit d'attaquer le roi de Pruffe par 1'Elbe & POder. Les Francois 8c les Impériaux devoient fe porter fur Magdebourg; les Suédois & les Ruffes fur Stétin. Les approvifionnemens fe faifoient fur la Meufe, le Rhin 8c le "Welèr. On prenoit toutes les précautions contre les malheurs des guerres éloignées. Le plan, bien développé, promettoit les fuites les plus heureufes 8c les plus fures; le roi 1'approuva fort. Le concours de Duvernay étoit néceffaire pour Pexécution, Sc le maréchal d'Eftrées, ne fympatifant pas avec lui, il falloit abfolument un autre général. Duvernay en fit convenir le roi, 8c tout de fuite propofa le maréchal de Richelieu. II fit valoir la confiance que le vainqueur de Minorque infpireroit aux troupes dont 1'ardeur fe refroidiffoit fous le temporifeur d'Eftrées. U ajouta, pour fe coricilier madame de Pompadour, que le prince de Soubife auroit fous fes  de i 7 5 6. 313 ordres 35,000 hommes, a la tête defquels il entreroit en Saxe, 1'enleveroit au roi de Pruffe, 8c fe feroit la plus haute réputation. Le maréchal d'Eftrées, trés-brave de fa perfonne, mais toujours inquiet, a paru timide, dès qu'il a commandé en chef. Moins occupé du defir de vaincre que du foin d'affurer fa retraite en cas d'échec, il craignoit de s'engager trop avant. Un autre motif 1'arrêtoit encore. Le marquis de Puifieux, fon beau-père, & Saint-Severin, fes oracles en politique, lui avoient infpiré leurs préventions contre le nouveau fyftême; Sc 1'on exécute trésmal un plan qu'on n'affeftionne pas. Cependant il falloit agir, ou ne pas rechercher le commandement. Le roi , prefque décidé fur le plan de Duvernay, le communiqua au dauphin, en lui ordonnant d'y réfléchir , 8c de lui en marquer fon fentiment par écrit. Ce prince le difcuta avec beaucoup de jufteffe, 8c fur le compte qu'il en rendit, le roi fit affembler le confeil; 8c fans y mettre l'affaire en délibération, pour éviter tous les débats fur un parti pris, il ordonna 1'exécution du plan propofé. Le maréchal de Richelieu qui avoit promis a madame de Pompadour tout ce qu'elle avoit voulu en faveur du prince de Soubife , fut nommé auffi-töt pour remplacer le maréchal d'Eftrées, 8c recut ordre d'aller prendre le commandement de 1'armée. Quelque fecret qu'on eüt gardé jufquesla avec le maréchal de Belle-Ifle, s'il ne 1'avoit pas abfolument pénétré, il en avoit affez foupconné par les comités fecrets, les mouvemens du maréchal de Richelieu, les déclamations aigres de la comteffe de Marfan, 8c tant d'indifcrétions de  314 Guerre fait, qui en difent autant & plus que les paroles. II en avoit, dis-je, alfez vu pour écrire au maréchal d'Eftrées fon ami, que s'il vouloit avoir 1'honneur de fa campagne , il devoit fe preffer, fans quoi un autre lui en raviroit la gloire. Ce fut ce qui lui fit (26 juillet) donner la bataille d'Haftembeck, ou il remporta une vicfoire qu'il dut principalement a Chevert, au marquis de Bréhan &c k quelques autres officiers diftingués. Les fuites en furent telles, que 1'armée ennemie, forcée dans un camp retranché depuis un mois, fe retira a vingt lieues du champ de bataille. Hameien , pourvu de toutes les munitions de bouche & de guerre , fe rendit a la première fommation. Minden demanda a capituler , & Hanovre envoya fes magiftrats &c régler les contributions. Le maréchal de Richelieu arriva peu de jours après la bataille, & en auroit eu 1'honneur s'il ne fe fut pas arrêté k Strasbourg, pour y attendre galamment la ducheffe de Lauraguais (Mailly) une de fes maitreffes, qui revenoit des eaux. Je ne dois pas oublier ici un procédé noble, qui ne regarde , il eft vrai, qu'un particulier; mais je n'aurai malheureufement pas affez de ces traits finguliers , pour en fatiguer le lecfeur. Bréhan, colonel du régiment de Picardie, contribua tellement par fon exemple k la vicfoire d'Haftembeck, que la cour , qui jufques-la avoit peu reconnu fes fervices , lui envoya un brevet de penfion de 2,000 livres; Bréhan répondit qu'il n'avoit jamais defiré de récompenfes pécuniaires, & qu'il fupplioit le roi de partager cette penfion a quelques officiers de fon régiment qui en avoient  d e i 7 5 6. jij plus de befoin. On lui demanda les noms de ceux qui s'étoient diflïngués. Sa réponfe que j'ai lue, fut: aucun de nous ne s'eji dijlingué; tous ont combattu vaillamment, & tous font préts d recommencer. Je fuis donc obligé d'en donner la lijle par ordre d'ancienneté. Quant d moi , ce que j'ai demande jufqu'ici m'ayant été nfufé, ce n'eft pas après d'auffi foibles fervices que ceux du 26 (Jour de la bataille) qu'on peut fe Jiatter d'obtenir. Je mets & fais dé~ formais coaftfter ma fortune dans l'eftime & l'amitiê des foldats , que perfonne ne peut marracher. Le nouveau général ne fut pas fi difficile fur 1'argent. Comme on connoiffoit fon avidité fur cet srticle, & qu'on vouloit détruire dans les troupes ce vil efprit de rapine, qui en fait plutot des brigands que des foldats, il ne falloit pas que le général en donnat le fcandaleux exemple. Le comte de Bernis avoit été chargé de propofer au maréchal de Richelieu, avant fon départ, de fixer lui-même fes appointemens , Sc de les porter auffi ha ut qu'il le voudroit. Le maréchal rejetta abfolument toute fixation, & colorant fon avarice d'un air de dignité , prétendit qu'il ne devoit renoncer a aucuns des droits de général, tels que les contributions, les fauve-gardes, Sec. & qu'il ne feroit pas dit qu'il eüt donné atteinte aux prérogatives de fa place. Ce fut avec ces dilpofitions qu'il partit, Sc jamais général n'y fut plus conftant. N'ayant pu recueillir 1'honneur de la vicfoire, il réfolut bien de s'en dédommager par les fraix. II retira par toutes fortes de voies, des fommes immenfes de la "Weftphalie & de l'élecforat. Les foldats , excités par 1'exemple Sc enhardis par 1'impunité, pillèrent par-tout, Sc  316 Guerre ne nommoient entr'eux leur général, que le père la maraade. Loin de rougir ni même de cacher ce brigandage , il déploya le plus grand falie k fon retour dans Paris. II s'imaginoit être un de ces triomphateurs qui étaloient les dépouilles des vaincus. II fit batir aux yeux du public, ce pavillon que le peuple nomma & continue de nommer le pavillon d'ffanovre. Le maréchal d'Eftrées , après avoir remis le commandement de 1'armée a fon fucceffeur , revint fans être rappellé , & parut a la cour avec cette noble modeftie qui fied fi bien au mérite outragé & triomphant. Les troupes qui reftent pendant la campagne a la garde du roi, allèrent en corps faluer &c complimenter le maréchal. Sa préfence déconcertoit Ja cabale ennemie. II ne s'en prévalut pas. II rendit compte au roi de 1'état de 1'armée, &c lui demanda la permiffion d'aller dans fes terres, fans voir le miniftre de la guerre, qu'il nommoit cet excrément de Paulmy. Le roi le laiffa libre fur tout. Cependant le maréchal de Richelieu profitant de la vidloire de fon prédéceffeur, s'avanca dans 1'élecforat, & fit prendre poffeflion de la capitale , par le duc de Chevreuffe. Tout le tems que celui-ci y fut, les habitans n'eurent qu'a fe louer de fes procédés nobles, & ont continué de lui donner des éloges après fon départ. Les villes de Brunfwick & de Wolfemhutel fe foumirent. Le duc de Cumberland , fuyant toujours devant le maréchal, lui fit faire plufieurs, propofitions, auxquelles le maréchal répondit d'abord qu'il n'étoit pas envoyé pour négocier, mais pour combattre.  d e i 7 5 6. 3i7 Sa réponfe fut approuvée du roi , & on le lui marqua. II feroit k defir er qu'il eüt perfifté dans les mêmes fentimens. A peine eüt-il appris qu'on approuvoit fa conduite, qu'il en changea. Le duc de Cumberland, réfugié dans Stade avec des troupes effrayées, &c prés de fe voir écrafer, fit entamer avec le maréchal une négociation par le comte Lynard, miniftre de Danemarck , & penfionnaire des Anglois. Ce négociateur vint offrir la médiation du roi de Danemarck, donna les plus grands éloges au maréchal, fur la gloire qu'il auroit de terminer la guerre fans effufion de fang. On lui rappella le titres brillans de pacificateur, de confèrvateur de Gênes, de vainqueur de Minorque. Le roi de Pruffe, dans une lettre que j'ai lue en original, 1'enivra des mêmes éloges. La maréchal écrivit alors au comte de Bernis, qu'il avoit deffein d'enfermer 1'armée hanovrienne dans Bremen, Verden & Stade, ajoutant qu'il en avoit déja fait part au préfident Ogier, notre miniftre en Danemarck. Celui-ci ne doutanl point que le maréchal ne fut autorifé par notre cour, avoit agi en conféquence auprès du roi de Danemarck. Peu de jours après la lettre écrite au comte de Bernis (8 feptembre) & fans en attendre de réponfe, le maréchal conclut la fameufe convention de Clofter-Seven, par laquelle les Francois reftant maitres de 1'éleftorat d'Hanovre, du landgraviat de Bremen & de la principauté de Verden , les troupes de BrunfVick , de Heffe, de Saxe-Gotha, & généralement tous les alliés d'Hanovre, devoient fe retirer dans leurs pays ref-  318 Guerre pe&ifs, garder la plus parfaite neutralité jufqu'a la fin de la guerre, & que les Hanovriens pafferoient au-dela de 1'Elbe. II faut obferver que le duc de Cumberland & le maréchal, n'étoient autorifés ni 1'un ni l'autre de leurs maitres; aufli les événemens réduifirentils bientöt cette convention a fa jufte valeur, en la rendant illufoire. C'eft la faute la plus capitale qui fe foit faite dans cette guerre, & qui fut la fource de tous nos malheurs. La cour de Vienne & la Suède, la blamèrent hautement. Nous aurions du prendre le même parti, rappeller le maréchal, qui n'en auroit pas été quitte pour cela chez les Anglois , & lui fubftiruer un vrai général. Le comte de Maillebois qui fervoit fous le maréchal, obéit en filence k tout ce qu'il voulut, & fe garda bien de s'oppofer a une faute qui devoit naturellement perdre fon général, dont il auroit alors pris la place. C'eft ainfi que nos ofiiciers-généraux en ont ufé les uns a 1'égard des autres, dans le cours de cette guerre. Tous fe font montrés ignorans ou mauvais citoyens. Ceux qui auroient fuppofé que le traité de Clofter-Seven devoit perdre le maréchal de Richelieu , auroient fait beaucoup trop d'honneur a notre gouvernement. Le comte de Bernis vit clairement que le maréchal avoit donné dans un piège; mais qu'a la fin d'une campagne , il n'y avoit d'autre remède que d'autorifer le général , dans la crainte qu'en le défavouant, on ne fournit aux ennemis le prétexte de violer la convention k la première circonftance favorable. On lui envoya donc fur le champ les pouvoirs de ratifier , en lui recommandant fur-tout de prendre tes précautions néceffaires pour  d e i 7 5 6. 3i9 faire exécuter un traité qui auroit du être une capitulation militaire, & qu'il avoit eu la fottife de rendre une convention politique , dont 1'exécution dépendroit de la bonne foi des Anglois, puifqu'elle avoit befoin de leur ratification. Lorfque les fuites malheureufes de cette convention la firent reprocher au maréchal, il prétendit qu'on lui avoit trop fait attendre notre ratification , & que par-la on lui en avoit fait perdre le fruit. II eft vrai que le paraUele de la conduite du roi & de celle d'Angleterre, que notre miniftère fitimprimer quelques mois après, charge peu, ou même ne charge point le maréchal ; mais on avoit alors intérêt d'établir 1'authenticité' d'une convention dont nous voulions reprocher k violation aux Anglois. Ajoutons que 1'ouvrage a été fait par Bufiy, créature & jadis fecretaire du maréchal. D'ailleurs on n'ignore pas les ménagemens que notre cour a toujours pour les grands coupables. Ceux qui pourroient les faire punir, fentent qu'ils ont ou auront eux-mêmes un jour befoin d'une pareille indulgence. Le duc de Duras , que le maréchal envoya porter a la cour ce grand ouvrage, fut accueilli. II follicitoit depuis long-tems la place de premier gentilhomme de la chambre : croiroit-on que d'être porteur d'une telle pièce, fut ce qui lui fit donner la préférence fur fon concurrent le duc de Nivernois, a qui il auroit peut-être dü la céderen reconnoiffance des procédés qu'il en avoit éprouvés, & qui depuis a fait la paix la plus difficile, fans en avoir eu d'autre récompenfe que 1'eftime publique ?  3 20 Guerre Pendant que nous perdions en Allemagne le fruit de nos fuccès, les Anglois tachoient de réparer leurs pertes. La mort de Bing , exécuté le 14 mars a la vue du peuple, lui perfuada que le malheur de Minorque, n'étoit que le crime d'un particulier. Une flotte formidable, commandéepar 1'amiral Hawke, & portant 20,000 hommes de débarquement, fous les ordres du général Mordaunt, parut fur les cötes d'Aunis le 21 feptembre , & mouilla le 23 a 1'ifle d'Aix , a 1'embouchure de la Charente. Depuis long-tems le vieux du Barail, un de nos vices-amiraux, qui ne pouvoit plus fervir fa patrie que par fes confeils, follicitoit notre miniftère de mettre cette ifle en état de défenfe. II en préfentoit des plans qui n'exigeoient pas une grande dépenfe; mais il ne fut pas écouté, ou 1'argent qu'il falloit parut peut-être plus néceffaire a quelque fille de cour. Nous avons éprouvé les effets de cette négligence, & 1'on ne fongera pas a. la réparer a la première guerre. Les Anglois fe propofoient de détruire les magafins de Rochefort, de s'emparer de la Rochelle, de porter le fer èc le feu par toute la cöte. Ils pouvoient réuftir dans une partie de leurs projets; mais la contenance du peu de troupes ramaffées fur les cötes' les tint en refpeéf. Ils n'ofèrent tenter la defcente, & après avoir jetté quelques bombes perdues, ils reprirent le premier oefobre la route d'Angleterre. Mylord Holderneffe , long-tems miniftre , avec qui j'en ai parlé depuis a Londres, m'a dit que de toutes les entreprifes qui s'étoient faites fur nos cötes, c'étoit la feule qu'il eüt approuvée, & qui düt réuflir fi elle eüt été mieux conduite. Les  ö e i 7 5 6: 3^ Les Anglois n'étoient pas plus heureux dans le Canada. Le marquis de Vaudreuil dérruiiit leurs forts fur la belle rivière, brüla plufieurs bStimens & magafins oü ils avoient des munitions pour i 5,000 hommes. II chargea le marquis de Montcalm d'affiéger le fort Sr. Georges , pourvu de tout & défendu par 3000 hommes, partie dans je fort , partie dans un camp retranché joignant le fort. Montcalm s'en rendit maitre après cinq jours de tfanchée ouverte, & le rafa auffi - tot. L'amiral Holbourne tenta le fiège de Louisbourp-; mais il fut accueilli d'une li furieuie tempête qu'un de fes vaiffeaux de 70 pièces de canon fur bnfé contre les rochers. La partie la plus maltraitee de fa flotte fe réfugia dans les colonies, l'autre revint en Angleterre. "[ ïufijüSci nous avions fait des fautes, nous n'avions pas tiré avantage de nos fuccès, mais nous n'avions pas éprouvé des malheurs. Les affaires changèrent bientöt de face. Le roi de Pruffe laiffant un corps de troupes pour garder la Saxe marcha dès le mois d'avril vers la Bohème. Le 5 mai il fe trouva en préfence de 1'armée Autnchienne, commandée par le prince Charles de Lorraine, beau-frère de l'impératrice reine, ayant fous lui le feldt maréchal comte de Brovn. Le lendemain 6 , il attaqua a la tête de ï 00,000 hommes le prince Charles qui en avoit environ 50,000. La vicfoire fe déclara pour les Pruffiens, mais ds ne pu ent empêcher que les débris de 1'armée vaincue fe réfugiaffent au nombre de 3 5 k 40,000 hommes dans Prague, affez bien pourvue fle munitions. Une garnifon fi nombreufe n'en impofa point au roi de Pruffe. II en formale &km Tome II, ^  3i2 Guerre Brown, quoique mortellernent bleffé dans le dernier combat, donnoit avec la plus grande tranquillité d'eiprit les ordres pour la défenfe de la place ; mais Fréderic n'en preffoit le fiège qu'avec plus d'a&ivité. 11 fit jetter une prodigieufe quantité de bombes, & tirer tant a boulets rouges que tout étoit embrafé 011 bouleverfé dans la ville. Le fiège duroit depuis fix femaines, lorfque le maréchal comte de Daun ayant raffemblé une armée, s'avanca pour dégager Prague. A la vue de celle de Pruffe , il fit une marche retrograde, pour donner a quelques troupes le tems de le joindre, &C pour n'attirer contre lui qu'une partie des Prufliens. Fréderic prit cette manoeuvre pour une marqué de timidité, & laiffant au maréchal Keith la conduite du fiège, marcha avec le prince de Bevern au-devant du comte de Daun, Celui-ci avantageufement pofté a Cofternitz, attendit les Pruffiens fans branler. Ils 1'attaquèrent avec impétuo-fité a quatre reprifes différentes, & quatre fois ils furent repouffés avec perte. A la cinquième attaque, Daun s'appercevant que les affaillans fe rebutoient & perdoient du terrein, faifit ce moment pour les attaquer k fon tour. II les chargea fi vigoureufement , qu'il les culbuta les uns fur les autres, & les mit en déroute. Le roi de Pruffe ne pouvant rallier fes troupes, fe retira précipitamment. A cette nouvelle , le prince Charles fort & attaque le maréchal Keith dans fes lignes, force les retranchemens (20 juin) tue plus de 2000 hommes , & met le refte en fuite. Six jours après, Brown mourut dans Prague des bleffures qu'il avoit revues a 1'acfion du 6 mai, avec la confolation  fiE 1 7 5 6. 323 d'avoir vu venger fa défaite. Le roi de Pruffe ne pouvant pas tenir Ja campagne, diftribua fon amee en Sdéfie & dans la Saxe, & abandonna k Bohème, Cet echec fut fuivi de plufieurs autres. Les Ruües entrerent dans la Pruffe D cale Le général Haddik a la tête d'un corps d'Autrichiens penetra dans le Brandebourg, pouffa jufqu'a BerLn öc y leva des contributions. La terreur fut telle a fon approche, que la familie royale craignant d'être enlevée, fe réfugia dans Spandaw, bc ne sy croyant pas encore en füreté, alk fe rentermer dans Magdebourg. Les états de 1'Empire, qui d'abord confternés des conquetes rapides du roi de Pruffe, n'avoient ole le declarer , s'empreffèrent de fournir leur contingent. Cette armée combinée fous le commandement du prince de Saxe-Hilburgau;èn, ioigmt en Saxe celle que commandoit Ie prince de Soubife, D'un autre cöté, les Suédois étoient entrés dans Ia Pomeranie prufïïenne, dont ils occupoient plulieurs places. Tout annon?oit k perte du roi de Pruffe. Les différentes armées qui le preffoient, fans rien hafarder qui püt lui fournir 1'occafion de déployer fes talens militaires, 1'auroient réduit a demander la paix aux conditions qu'on eüt voulu lui impofer. Ce fut dans cette détreffe qu'il contribua par fes éloges è féduire le maréchal des Richelieu , & a le porter k la convention de Clolter Aucun pnnce ne connoit mieux les hommes que" lm, n'a plus 1'artde les corrompre, ou de tirer parü de leur corruption. J'ajouterai, car je dois une juftice impartiale a nos ennemis comme k X ij  324 Guerre nous, que les fituations facheufes 011 le roi de Pruffe s'eft trouvé, ne lui ont jamais fait perdre le courage, ni la préfence d'efprit qui fait 1'appliquer. 11 confervoit au milieu de fes revers un ton de plaifanterie, qui marqué un homme qui •jouit pleinement de fon ame. Si je fuis dépouillé de tout, difoit-il, jé me flatte du moins quil ny a point de fouverain qui ne veuille bien me prendre pour fon général d'armée. Ayant fu que le roi d'Angleterre étonné de nos fuccès , montroit du penchant pour la paix , il lui écrivit, & fit répandre cette lettre fiére , dans laquelle il le rappelle a leurs engagemens mutuels, 6c lui parle en fupérieur. Je voudrois pouvoir donner les mêmes éloges a fa morale qu'a fes qualités brillantes. Celles-ci ont fait une telle impreffion fur 1'imagination francoife , que la plupart de nos officiers , en marchant contre lui, tenoient tous les propos qui pouvoient refroidir le courage de leurs foldats. Lorfque ce prince eut reprit 1'afcendant, on rencontroit dans les fociétés , les cercles, les promenades, les fpeftacles de Paris, plus de Prufliens que de Francois. Ceux qui s'intéreffoient a la France, étoient prefque réduits a garder le filence. II eft vrai que dans la guerre précédente contre la reine de Hongrie, ces partifans de Fréderic avoient également été Autrichiens; au-lieu que dansles difgraces de Louis XIV, nous reffentions nos malheurs; mais les vceux de tous les Francois étoient toujours pour la nation. On n'entendoit point retentir dans Paris les éloges d'Eugène & de Marleboroug. Peut-être le gouvernement doit-il s'imputer le changement qui eft arrivé. Quand un peuple manifefte fon eftimepour  d e i 7 5 6. 325 un ennemi , quelque eftimable qu'il foit, c'eft toujours la preuve du mécontentement national. Le miniftre ne doit s'en prendre qu'a foi-même; quand le cceur des fujets fe détache, il commet le plus grand des crimes. Le roi de Pruffe, fans trop fe flatter de triompher de tant d'ennemis puiffans, n'oublioit rien pour y parvenir. II tachoit de perfuader aux proteftans que leur religion étoit très-intéreffée dans cette guerre. Malgré 1'indifférence ou même le mépris qu'il afHchoit pour les différentes communions, il fe portoit pour le protedteur du proteftantifme. II'eft certain que les proteftans ne pouvoient s'accoutumer a regarder comme tel 1'électeur de Saxe, depuis que le roi Augufte & fon fils enfuite, avoient abjuré leur religion, pour obtenir le titre précaire de roi de Pologne , que leur poftérité ne gardera pas. Les proteftans de 1'armée de 1'Empire ne marchoient qu a regret contre le roi de Pruffe. Ce prince, toujours maitre de la Saxe, avoit raffuré fon armée &c fe tenoit en état de défenfe , en attendant 1'occafion d'attaquer; elle ne tarda pas a fe préfenter. Le plan de campagne , prefcrit au prince de Soubiie, étoit de harceler les Pruffiens , fans engager d'adions, & il n'étoit pas fort porté aoutre-paffer fes ordres. II demandoit depuis 1'ouverture de la campagne, le renfort que le maréchal de Richelieu s'étoit engagé de lui fournir, & qu'il ne fe preffoit pas d'envoyer. Celui-ci, malgré les fureurs de madame de Pompadour , prenoit toutes les mefures poffibles pour faire échouer le prince de Soubife. Après avoir ft mal a propos X iij  32Ö Guerre fait la convention de Clofter-Seven, il 1'affuroit encore plus mal. Au-lieu de refter en force pour la fair? exécuter, il laiffa Villemur avec fix bataillons & fix efcadrons, pour contenir quarantecinq mille hommes, qui certainement faifiroient la première occafion de violer le traité. Sous prétexte d'aller lui-même fecourir Soubife, il marcha pendant quatorze jours a Halberftat & y demeura fix femaines. Ce qui prouve qu'il y avoit dans fa conduite autant d'incapacité que d'artifice, c'eft qu'il fut tout ce tems-la oifif a fix lieues de Magdebourg, oh il favoit qu'il n'y avoit pour toute défenfe que deux mille hommes de recrues. II fe détermina enfin a envoyer trente bataillons au prince de Soubife, en garda cinquante avec un corps de cavalerie, & fépara le refte qu'il mit en quartier fur les bords du Rhin , fous prétexte du défaut des fubfiftances qu'il avoit vendues ou diffipées. Depuis que le prince de Soubife eut joint fon armée a celle de 1'Empire, il fe trouva comme fimple auxiliaire, fubordonné au prince de SaxeHilburgaufen, général de 1'armée impériale. 11 fut fur le point d'être enlevé par un parti pruffien , & ne fut manqué que d'un quart-d'heure. La France n'eut pas ce bonheur-la; mais il ne tint qu'au prince de Soubife, de s'appercevoir qu'il étoit trahi par la cour de Gotha & par Hilburgaufen livré d'inclination, & peut-être vendu au roi de Pruffe. Fréderic, attentif a tout ce qui fe paffoit, jugea qu'il avoit peu a craindre de 1'armée de 1'Empire, compofée de parties difcordantes, mal organifée & encore plus mal'affecfionnée a la caufe  DE 1756. 327 commune. II s'avanca en fe poftant toujours avantageufement. D'un autre cöté, Paris & la cour crioient contre la conduite timide du prince de Soubife. Sa fceur, la comtefle de Marfan, avoit peine a la défendre. La réputation du général Francois n'en impofoit pas plus a Fréderic , qu'elle n'infpiroit de confiance a nos troupes. Après avoir vaincu plufieurs fois les Autrichiens, il auroit été très-flatté de remporter quelque avantage fur les Francois, mais il ne vouloit rien rifquer légérement. II favoit combien un premier fuccès bon ou mauvais influe parmi nous fur Ia fuite d'une guerre. Ce fut avec ces difpofitions, & les mefures les mieux prifes , dans le pofte le mieux choifi, qu'il fe campa en face de 1'armée impériale. Soit imprudence , foit préfomption , foit intelligence avec le roi de Pruffe, le prince d'Hilburgaufen voulut 1'attaquer. On tint plufieurs confeils, & le prince de Soubife, fidéle a fes inftructions, répugnoit beaucoup a rifquer la bataille. ïlevel, cadet du duc de Broglio, emporté par la valeur naturelle a leur familie, appuyoit vivement 1'avis d'Hilburgaufen. Le prince de Soubife réfiftöit encore. Ce qui le décida, fut un billet que le marquis de Stainville, depuis duc de Choifeul, notre ambaffadeur de Vienne, lui écrivit, & par lequel il lui confeilloit & lepreffoit de combattre/Je tiens ce fait d'un miniftre a qui Stainville 1'a dit dans un de ces momens d'indifcrétion qui lui font plus familiers que la fincérité , & qui le t'rahiflent quelquefois. Le prince de Soubife confentit donc a la bataille de Rosback tk la perdit avec toutes les cir- X iv  32.8 Guerre conftances dont il y a tant de relations. Revel n'ayant pu vaincre, s'y fit tuer. Je ne m'arrêterai pas fur ce malheureux événement, ni a peindre 1'embarras des courtifans, la honte des favoris, les cris du public, Pindïgnation des bons citoyens. Pourquoi, difoient les plus indulgens, le prince de Soubife ne fe borne-t-il pas a fa réputation d'honnête-homme, refpedfueux pour le roi dont il eft aimé , affable , obligeanr, inaccefiible k la cupidité, au-lieu d'ambitionner un commandement dont il eft incapable? La feule confolation étoit que cette première campagne feroit fa dernière, & qu'il fe feroit lui-même juftice. On ie rappelloit qifaprès la déroute de Ramillies , * Louis XIV avoit affez refpetlé la nation pour rappeller le maréchal de Villeroi qu'il aimoit & qui étoit foutenu par madame de Maintenon. Madame de Pompadour n'eut pas la même difcrétion ; elle vouloit porter fon ami a la place de connétable: mais il falloit du moins une vicfoire, & la faveur n'en fait remporter qu'a la cour. On ne rougit point de calomnier les troupes pour difculper le général. L'incapaciré prouvée du prince de Soubife, ne 1'empêcha pas d'être maréchal de France 1'année fuivante, & de continuer de commander. Pendant que le roi de Pruffe triomphoit a Rosback, il perdit la Siléfie. Le général Nadafti avoit pris Schweidnitz, & le prince Charles , fecondé de ce général, attaqua le 22 no. vembre le prince de Bevern, le forca dans un camp retranché prés de Breflau, lui fit beaucoup de prifonniers , & deux jours .après entra dans .Breflau même. Le roi de Pruffe, è la tête de fon armée.*  DE 17-5 6. 329 part avec une diligence incroyable, arrivé en Siléfie , joint Bevern , attaque le prince Charles prés de Liffa , le 5 décembre , & remporte la viöoire la plus compléte. L'aétion dura peu, mais prés de quarante mille hommes furent pris ou difperfés, & Fréderic rentra dans Breflau. Dès ce moment, le roi de Pruffe parle en vainqueur St annonce des projets de vengeance contre les états de 1'Empire qui avoient fourni leur contingent. II fe propofoit fur-tout de ra vager les éleöorats eccléfiaftiques , ce qu'il appelloit faire une courfe dans la rue des prêtres. Ces trois états qui font nombre dans les diètes , n'en valent pas un en campagne. Le comte d'Argenfon, dans fon exil, inftruit de tout par fon neveu Paulmy, faifit ce moment pour faire répandre dans Paris un mémoire affez bien fait contre le traité de Verfailles , & qui le paroiffoit encore mieux par les circonflances oh 1'on affeftoit de le p.oduire. Le petit nombre de ceux qui n'avoient pas approuvé Je traité, déclamèrent hautement contre ceux qui 1'ayoient regardé comme le chef-d'ceuvre de la politique , oublierent ou défavouèrent leurs éloges , & le gros du public, qui ne peut fe décider que par les évé^emens, le regarda comme la fource de nos malheurs. A la première nouvelle de la déroute de Rofback , le comte de Bernis, qui n'avoit pas été le plus vif partifan du traité , quoiqu'il 1'eut figné, jugeant que rien ne pouvoit réuflir avec un confeil divifé & des généraux incapables, déclara ouvertement au roi, qu'on ne devoit pas fe flatter de faire la guerre plus heureufement qu'on ne l'avoit commencée ; que la France ni 1'impéra-  330 Guerre trice n'avoient point de généraux a oppofer au roi de Pruffe & au prince Ferdinand de Brunf■wick ; qu'il falloit donc fe preffer de faire la paix , & réferver pour des conjoncfures plus favorables les effets du traité d'amitié qui pourroit encore fubfifter. Madame de Pompadour regardant le traité comme fon ouvrage & l'impératrice comme une amie, fe révolta contre la propofition du comte de Bernis ; pourquoi dès ce moment, elle commenca a fe réfroidir. Elle fe récria fur la honte & le danger d'abandonner l'impératrice, qui dans ce moment, venoit de recouvrer prefque toute la Siléfie; car l'affaire de Liffa n'étoit pas encore arrivée. Elle ajouta que cette princeffe pourroit dans fon mécontentement, traiter avec le roi de Pruffe, & s'unir avec 1'Anglois contre nous. Le roi plus piqué que découragé de l'affaire de Rosback, n'étoit pas porté pour la paix , &C venoit d'écrire une lettre de confolation au prince de Soubife. II fentoit de plus la difficulté de déterminer 1'im- pératrice a la paix ou même de la lui propofer. Sur ces entrefaites, on apprit la déroute des Autrichiens a Liffa. Le comte de Bernis profita de cette circonftance, & repréfenta au roi que dans la conflernation oh fe trouvoit la cour de Vienne, il ne feroit pas impoffible de la déterminer a la paix. Les Hanovriens, les Heffois &C leurs alliés, enhardis par nos difgraces & par les fuccès du roi de Pruffe, rompirent la convention de Clofter , & fournirent au comte de Bernis, de nouveaux moyens de folliciter pour la paix, & le confeil fe trouvant du même avis, le roi  D e i 7 5 6. 33r permit d'entamer la négociation avec l'impératrice. Nous verrons quei en fut le fuccès. Le maréchal de Richelieu voyant les fuites de fa convention , en craignit encore de plus funeftes, &c paffa de la confiance a la crainte. II fit propofer par Dumefnil, fon protégé, au prince Ferdinand, une neutralité pour 1'hyver , entre les Francois & les Pruffiens. L'impératrice en fut indignée , en écrivit au roi, & le maréchal eut défenfe de paffer outre. Le roi de Pruffe ne laiffa pas de fe fervir de la propofition feule pour infpirer contre nous des défiances que nos projets de conciliation pouvoient encore augmenter. Le maréchal de Richelieu partit alors d'Halberftat avec ce qu'il avoit de troupes, & rappella celles qu'il avoit envoyées en quartier fur Ie Rhin. A peine y étoient-elles arrivées , que la longueur des marches, la rigueur de la faifon, au mois de décembre, en fit périr une partie. Lorfqu'elles furent raffemblées , il tint confeil de guerre fur le parti qu'il y avoit a prendre. Tous les officiers voulant fe rapprocher de la France, opinoient pour 1'évacuation de 1'élecf orat: le maréchal feul s'y oppofa , Sc marcha le 15 décembre au prince Ferdinand, qu'il fit reader. Les deux armées rentrèrent alors dans leurs quartiers. Le maréchal manda avec fa confiance ordinaire, que les fiens étoient inattaquables Sc revint a la cour, oh la crainte de fa cabale dont les femmes ont toujours fait la force, le firent recevoir mieux que le public ne s'y attendoit. It ne tarda pas k s'appercevoir qu'il ne commanderoit pas la campagne fuivante, & crut remarquer qu'une mauvaife difpofition a fon égard,  Guerre percoit a travers 1'accueil qu'on lui faifoit. Les 1 propos publics fur fes exaftions, ne lui donnèrent ni remords, ni honte; il alla dans fon gouvernement de Guyenne , & obéra encore cette province par les dépenfes & les profufion.-» qu'il en exigea pour fa réception & fon féjour. Au défaut des vicïoires, il fe procuroit des triomphes. Lorfqu'il partit pour la Weftphalie , il auroit trouvé bon que je le fuivilfe ; le cardinal dé Bernis m'en diffuada, & lui fauva le ridicule d'avoir emmené 1'hiftoriographe qui n'auroit eu que des fautes k écrire. Pendant qu'on prenoit des mefures pour amener l'impératrice a une conciliation , le comte de Bernis, au cas que 1'on ne püt perfuader la cour de Vienne, négocioit avec la cour de Danemarck une union d'armes. Elle fe traitoit de cabinet a cabinet par le préfident Ogier, & fans la participation de Vedelfrife, miniftre de Danemarck a notre cour. Les conditions étoient de céder FOftfrife k cette puifiance avec fix millions d'avance , & en déduftion des fubfides ordinaires. Lorfqu'il fallut les payer, le contróleur-général ma nqua totalement k la parole qu'il avoit donnée. Nous eümes a la vérité 1'avantage d'empêcher par-la le Danemarck d'accepter les offres des Anglois; mais cela ne fit pas honneur k notre gouvernement. On engagea aufli le duc de Mecklembourg k nous donner un paffage fur 1'Elbe & une communication avec les Suédois. On ne pouvoit pas alors être plus mal que nous ne 1'étions en miniftres de la guerre & des finances, le marquis de Paulmy & Moras, celui-  d e i 7 5 6. ci abfolument nul , l'autre incapable & quelque chofe de pis. Ils fe firent eux-mêmes juftice , & fe retirèrent. On a vu des miniftres chaffés par 1'intrigue ou par la haine publique; ceux-ci le furent par le mépris, ce qui les priva de 1'honneur de 1'exil. Le public ne fait pas les miniftres, mais quelquefois il les renverfe. Les gens en place , au-lieu de payer les délateurs , devroient avoir des agens fidèles qui leur rendiffent compte des jugemens du public, au-lieu de calomnier des particuliers. Le contróle-général fut donné a Boulogne, & le miniftère de la guerre au maréchal de Be'lleIlle, qui prit pour adjoint Crémille, lieutenantgénéral, honnête homme & inftruit, frère de la Boiffière, tréforier des états de Bretagne, ou il fera long-tems regretté. , Pour fortifier le confeil dans fes différentes parties, le cardinal de Bernis propofa le rappel de l'ancien garde-des-fceaux Chauvelin, & du comte de Maurepas ; le premier fut rejetté par le roi l'autre par madame de Pompadour. Le comte de Bernis effaya du moins de faire admettre Gilbert pour les affaires concernant le parlement, ou il jouoit alors un grand röle; madame de Pompadour fit adjoindre Berryer dont elle vouloit faire fon homme d'affaires. II eft fur qu'il les fit mieux que celles de 1'état; elle en fit depuis un miniftre de la^ marine. Dans cette place , a force de groffièreté , il parvint a fe faire détefter , fans avoir même 1'honneur de fe faire craindre; il eut enfin celle de garde-des-fceaux, au icandale de la haute magiftrature, a la dérifion de la cour & fans mérite qui püt réparer fa naiffance. II 'eft  334 Guerre morren faveur, & il n'étoit pas fait pour la perdre. Madame de Pompadour l'avoit tiré de la police de Paris pour le tranfplanter a la cour oit ij parut toujours étranger. On a remarqué que la lieutenance de police tft un grand titre de faveur auprès de madame de Pompadour, par les fecrets qu'on peut lui dévoiler. Je crois pourtant qu'un lieutenant de police réuffit autant par les chofes qu'il lui cache fur elle, que par celles qu'il lui conrie fur tout le refte. On prétend que Berryer n'a pas peu contribué a la difgrace du comte d'Argenfon, par 1'interception d'une lettre a la comteffe d'Eftrades, oü madame de Pompadour étoit maltraitée & le roi peu ménagé. Le comte de Bernis effaya inutilement de faire entrer au confeil le duc de Nivernois; la connoifJance qu'on avoit de fes talens ne put triompher de la répugnance que madame de Pompadour a toujours eu pour .ceux qui font liés de fang ou d'amitié avec le comte de Maurepas, & le duc de Nivernois avoit ce doublé titre de réprobation. Quoique le comte de Bernis eüt recu l'ordre de traiter de la paix entre les cours de Vienne & de Berlin, ou du moins de nous dégager de cette guerre, il fentoit bien que cet ordre n'étoit qu'une permiffion arrachée au confeil. Le confeil & furtout le dauphin defiroient la paix; mais le roi n'y étoü pas fort porté, & madame de Pompadour en étoit très-éloignée. Elle defiroit toujours , contre le yceu public, de faire commander fon cher Soubife qui prétendoit effacer la honte de Rosback. On avoit arrêté qu'il y auroit un corps de  DE 1756. 335 24,000 hommes avec lequel il joindroit le général Daun. Le comte de Clermont, prince, fut nommé pour remplacer le maréchal de Richelieu. On crut qu'un prince du fang, refpeftable par fa naiffance , eftimé par fa valeur, infpireroit de la confiance aux troupes, ou du moins rétabliroit la difcipline & profcriroit le caracf ére de brigandage qui avoit paifé du général aux foldats. II fe rendit dès le commencement de février a Hanovre, & dès le 28 n'étant pas en état, avec des troupes ruinées par les maladies, de faire face au prince Ferdinand, il évacua 1'éleéorat, pour fe rapprocher du Rhin & des fubfiftances. Le prince Ferdinand commandoit les Hanovriens, unis aux troupes de Heffe & de Brunfwick depuis la rupture de la convention de Clofter, Le roi d'Angleterre avoit défavoué le duc de Cumberland fon fils , quoique le roi de Danemarck fut dépofitajre des paroles données. Le duc de BrunfVick, fidéle k la fienne, donna ordre k fon fils de ramener fes troupes, & par-la condamnoit hautement les infracfions de la convention. Le prince Ferdinand n'eut aucun égard aux ordres de fon père, & forca les Brunfwickois de s'unir aux autres. Le premier exploit de ce prince avoit été de prendre Harbourg oh Pereufe fit la plus belle défenfe, & réfolu de s'enfévelir fous les ruines, obtint du prince la capitulation la plus honorable. Les places que les Francois abandonnoient twü ceffivement, infpiroient de plus en plus la confiance aux ennemis. Lè prince Ferdinand poufla le comte de Clermont jufqu'au de-la du Rhin.,  336 Guerre lui livra bataille a Crevelt (23 juin) & refia maitre du champ de bataille. Cette affaire fut d'autant plus malheureufe , que fi le comte de Clermont ne fe fut pas retiré, les ennemis fe retiroient eux-mêmes. Le comte de Gifors, fils du maréchal de Belle-Ifle, y fut tué a 25 ans. Ce fut une perte nationale. Ce jeune homme, dans un age ou les meilleurs fujets ne donnent que des efpérances, étoit regardé comme un capitaine expérimenté & un homme d'état, Je yais^ préfenter rapidement les principaux faits militaires dont les écrivains des différentes nations, & les mémoires particuliers donneront affez de détails. Je m'étendrai davantage fur des intrigues de cour qui font les vrais refforts des plus grands événemens , & dont j'ai été a portée de m'inftruire. Le prince de Soubife, pour obliger le prince Ferdinand a repaffer le Rhin, & venir au fecours de fon pays, entra dans la Heffe & battit (23 juillet) un corps de troupes commandé par le prince d'Ifemböurg. Le premier fuccès du prince de Soubife fut fuivi d'un autre (10 cöobre) prés de Lauterbourg, & fournit le prétexte de lui donner le baton de maréchal. II le dut principalement au heutenant-général Chevert, officier de fortune, & qui auroit le même honneur, fi ceux de fes concurrens qui n'ont que de la naiffance, n'étoient parvenus a perfuader qu'elle doit 1'emporter iur le mérite. II faut du moins que 1'hiftoire le dédommage en lui rendant juftice. Le comte de Clermont fut fi confterné de fa défaite, qu'il vouloit toujours ramener fon armée en-arrière,  de i 7 5 6. 337 eh-arrièrè j & abandonner les Pays-Bas aux Pruffiens. Le roi le lui déferidit, & le rappella, fous prétexte de Li permettre de revenir pour fa fanté, Contades prit la place, & pour lui donner plus d autorite ^ on le décora de la dignité de maréchal de France. Dans le cours de cette guerre, chaque général en faifoit defirer un autre pour le remplacer fans qu'on fut oh le prendre , & nous n'étions pas plus heureüx fur mer que fur terre. La Clue, fans autre mérité que d'avoir été gouverneur du duc de Penthièvre, amiral de France , eft chargé du commandement d'une efcadre approvifionnée de tout, & après s'être laiffé bloquer dans Carthagene, pendant prés de fix mois, il rentre dans Toulon avec la moitié de fon efcadre en défordre ; ce qui ne feroit pas arrivé ■, fi le commandant & la plupart de fes officiers fe fuffent conduits auffi ^illamment que le comte de Sabran. J'ai vu le roi aü retour de cet officier a Verfailles, le prefenter 4 toute la cour» en difant : voilé un des premiers gentilshommes & des plus braves de mon royaume, Cet accueil eft fans doute une i-ecompenfeprécieufe& digne d'un Frarfcois; mais aucun des autres officiers n'a éprouvé la moindre marqué de mécontentement. Les rois d'Angleterre & de Pruffe, en conféquence de leur traité renouvellé le 11 avril de cette année, faifoient les plus grands efforts pour attaquer en même-tems &de toutes parts la France & l'impératrice. LouifJ)0iirg qu'une tempête avoit défendu 1'année précedente contre les Anglois, tomba celle-ci en leur pouvoir; Cette place pour laquelle on avoit employé ou fourni des fommes immenfes, étoit fi Tome Ili Y  33$ Guerre peu fortifiée, que les bêtes de fomme y entroient auffi facilement par les brêches des murailles que par les portes. En Europe, 1'amiral Anfon parut fur les cötes de France avec une flotte de z6 vaifleaux de ligne, 1 z frégates , une quantité de brulots & de galiotes a bombes, & cent vaifleaux^ de tranfports qui portoient 16,000 hommes de débarquement commandés par le lord Marleboroug. Anfon avec zo vaifleaux bloqua le port de Bn.fr, & Marleboroug avec le refte de la flotte vint débarquer a Cancale, (le 7 juin) s'avanca vers St. Malo, & le 7 s'empara du fauxbourg de St. Servan qui n'eft féparé de la ville que par le port. II brula les corderies , les magafins & prés de 80 batimens marchands ou corfaires ; mais il n'ofa attaquer la ville , &c fur la nouvelle que les troupes de la province s'avancoient au fecours, il fe rembarqua (10 juin) , fut reienu par les vents jufqu'au zz a Cancale, & repaffa en Angleterre. La même flotte repartit d'Angleterre peu de tems après (30 juillet). Anfon bloqua une feconde fois le port de Breft, & 1'amiral Hove vint mouiller (6 aoüt) devant Cherbourg, commenca par bombarber la ville, & le lendemain débarqua fes troupes fous le commandement de Bligh qui avoit fuccedé dans ce pofte au lord Marleboroug. Bligh entra fans obftacle dans une ville ouverte, enleva ce qu'il y avoit de canons , brula Z5 a 30 vaifleaux marchands , obligea la ville de fe racheter du pillage par une forte contribution, ravagea les campagnes voifines, & fe rembarqua le 4 feptembre a St. Lunaire a deux lieues de la ville dont ils étoient féparés par la  » Ê «756. 339 rivière de llafice. Les forts avancés empêchant es Anglois de nen tentér contre la place, ils pilIerent & ravagèrent les campagnes avec férocité. Marleboroug avoit exercé desrigueurs que la auerre autorrfè , mais Bligh fe conduifit en brigand, & il acheya dans fa fuite d'en montrer le caraöère Quoiqu'il eüt dans une forte armée 1'élite des troupes Angloifes, un corps de volontaires de la première qualïté, parmi lefquels fetrouvoü même le prince Edouard frère du roi d'aujourd'hui Georges III, il pnt 1 epöllvante aux approches de quelques régimens, & des milices formées de gardescotes, dé payfans ramaffés k la hate , & condmtes par des gentilshommes Bretons, & ne fongea plus qu'a fe rembarquer précipitamment. Si le duc d'Aiguillon commandant en chef dans la province, eüt répondu au zèle des habitans, il ne Ie feroit pas rembarqué un Anglois. II craignit de fe commettre dans une occafion oü une gloire facile venoit s'offrir d'elle - même. Je n'ai jamais eu qu'a me louer de lui; je voudrois avoir a lui rendre Une juftice plus favorable; mais ie dois. encore davantage k la vérité & a la patrie. Quand il fut a porree de combattre, il ne vouloitprofiter de la terreur de 1'ennemi, que pour en hater la retraite. II ignoroit combien une attaque audacieufe peut augmenter la frayeur d'un ennerm qui , fe croyant une relfource pour la iuite dans fes vaiïfeaux , y court en défordre ik ne cherche pas fon falut dans le déféfpoir Les Anglois fe prelfoient de s'embarquer, & les Bretons frémiffoient de voir échapper de leurs mams la vengeance qu'ils pouvoient tirer de leurs ennemis. M. d'Aubigny, qui feryoit fous le diie y ij  340 Guerre d'Aiguillon, las de demander , & impatlent de ne point recevoir l'ordre d'attaquer, engagea Paction , en faifant marcher en-avant le régiment de Boulonnois. Les gentilshommes Bretons, qui formoient un corps de volontaires, fe joignirent au premier rang des grenadiers. Le chevalier de la Tour-d'Auvergne, colonel de Boulonnois, voyant la manoeuvre des gentils-; hommes, quitta fon pofte du centre, & vint leur demander la permiftion de fe mettre a leur tête. Les régimens de Brie, de Marbeuf, le bataillon de milice accourent. Les Francois attaquant les Anglois dans leurs retranchemens, malgré le feu de la moufqueterie & celui du canon de la flotte, les dépoftent, les pouffent jufques dans la mer, y entrent jufqu'a. la ceinture , oh Pon combat corps a corps. Le carnage y fut grand, plus de 2000 Anglois furent tués ou noyés; un pareil nombre qui ne put regagner la flotte, cherchoit k fuir en grimpant a travers les rochers, 6c fut pris après le combat. On vit, dans cette occafion, ce que peut la perfuafion la plus légère d'avoir une patrie. Les Anglois, dans leur defcente en Normandie , province qui fournit autant qu'aucune autre d'excellens foldats, ne trouvèrent aucune défenfe de la part des habitans. En Bretagne, les payfans s'affemblent ; 45 embufqués dans des haies arrêtent un corps de troupes angloifes k un paffage, coupent ou retardent leur retraite, donnent le tems aux nötres d'arriver, 8c contribuent a la viftoire. Les écohers de Droit, a Rennes, forment une compagnie de volontaires , engagent un ancien officier retiré du fervice a les comman-  de i 7 5 6. 34I der, & marchent a 1'ennemi : des bourgeois, des gens de robe, fe'firent tuer en combattant. Si le même efprit eüt régné pa -tout, & principalement dans les troupes , cette guerre auroit été glorieufe pour la nation, au-lieu qu'elle a perdu de fon éclat dans ï'opinion des étrangers, L'impératrice , en apprenant nos défaites » s'écrioit : Les Frangois ne font donc invïncible que contre moi! La plupart de nos officiers réfroidiffoient le courage des foldats y en les étourdiffant des éloges du roi de Pruffe & du prince Ferdinand. Au-lieu de chercher a en ménter de pareils , de ne voir en eux que des ennemis & des modèles eftimables ils fe hvroient a un luxe fcandaleux ,. que ces princes fe gardoient bien d'imiter; mais leurs foldats n'étoient pas dans la difette que les nötres éprouvoient quelquefois» Le comte de Bernis, fongeant toujours a négocier la paix, voulut du moins, s'il n'y réuffiffoit pas, connoitre, par 1'état de nos finances, quels moyens nous avions de fournir aux dépenfes de la guerre. Le roi ordonna a Boulongne de communiquer cet état, fouvent ignoré de celui qui les geuverne. Tel qu'il étoit, le comte de Bernis en fut effrayé. Il négocia en conféquence, & obtint de l'impératrice la réduftion de la moitié du fubfide,, & la quittance de ce qui étoit du de 1'ancien. _ II entreprit en même-tems une opération plus difficile, & ou les miniftres ont toujours échoué c'étoit une réforme dans la dépenfe de la maifon royale (en juin 1758.) II n'y a point de genre de depradaüon qui trouve plus de protecfeurs. Chaque valet eft en droit de cfier, & für d'être Y iij .  342- Guerre appuyé par quelque grand, aufE valet &c plus en crédit. Un abus, tranchons le mot,, un brigandage domcftique, qu'/ine longue durée ne rend que plus puniffable, 'devient un titre. Le roi , importuné des clameurs , avoit la complaifance de folliciter lui-même contre fes intéréts; on fe borna a de frivoles retranchemens, dont les courtifans plaifantent, & qui en effet annoncent plus la mifere qu'ils n'y remédient. Le comte de Bernis, devenu miniftre des affaires étrangères, par la retraite de Rouillé, trouva dans fon plan d'économie plus de facilités a Ia cour de Vienne qu'a celle de France. II y fit approuver une feconde diminution de fubfide dont le duc de Choi~ feul, dès qu'il fut en place, ufurpa hardiment 1'honneur, & qu'on eut la bonté de lui laiffer. Toutes les réd'ucf ions ne mettoient pas encore en état de faire face aux dépenfes & ne créoient pas des généraux. Le comte de Bernis réfolut donc de faire tous fes effbrts pour conclure la paix. Mais pour ne pas choquer madame de Pompadour, Se même pour qu'elle I'aidat auffi a déterminer le roi, il eut avec elle une conférence , ou il lui démontra, fans pouvoir la perfuader, 1'impoffibilité abfolue de continuer la guerre. La converfation devint vive ; il trouva plus de réliftance qu'il n'en éprouva enfuite de la part de l'impératrice. II lui repréfenta inutilement que toutes nos difgraces étoient imputées a eux deux feuls. Le public n'étoit pas inftruit de Poppofition qu'il avoit mife a la première propofition du traité avec la cour de Vienne, des object ions qu'il avoit faites, des précautions qu'il avoit prifes, des préalables qu'il avoit exigés, qu'on lui  DE 1756. 343 avoit promis, & qu'on n'avoit pas tenus, le 'tout avant que de figner. Le public ignoroit les articles fecrets du traité, fi avantageux a la France, & dont le fuccès étoit infaillible avec d'autres généraux que les nötres. Les miniftres qui avoient le plus applaudi au traité, s'en défendoient, depuis que les événemens ne répondoient pas a leurs efpérances. Sans fe démentir comme eux dans les propos, il falloit céder au tems. II repréfenta que ce public favoit feulement que lui, comte de Bernis , avoit figné un traité, dont les fuites étoient fi malheureulès, en étoit regardé comme le feul auteur, & qu'elle étoit accufée avec plus de juftice de 1'avoir fuggéré, & de vouloir continuer la guerre , pour faire commander le prince de Soubife. Madame de Pompadour , loin de fe rendre a ces raifons, ne les écouta pas tranquillement , &c fur ce que le comte de Bernis ajouta que s'il ne pouvoit déterminer le roi a la paix, il étoit réfolu de fe retirer, pour fe difculper de vouloir continuer la guerre, elle lui répondit que ce feroit manquer de reconnoifiance, & qu'après toutes les graces dont il avoit été comblé, il ne paroitroit pas faire un grand facrifice a fon honneur. Le roi, repliqua-t-il, & le public en jugeront plus favorablernent que vous ne le penléz, quand on me verra remettre mes abbayes, renoncer a la promeffe du chapeau, & me borner au fimple prieuré de la Charité, auquel tout abbé de qualité pourroit prétendre fans avoir rendu le moindre fervice. Le comte de Bernis ayant fait tout ce qu'il devoit k 1'égard de madame de Pompadour, paria en plein confeil avec la même franchife. II fit Y iv  f44 Guerre voir que le traité ne pouvoit fe fuivre quant au moment préfent , que la bonne intelligence fub-. fifteroit cependant entre les cours de France & de Vienne; mais que le coup étoit manqué des deux cötés, par la différence des généraux, par la rupture de la convention de Qofter, par 1'anéantiffement de la marine. II ajouta que 1'armée rétrograderoit infailliblement derrière le R.hin, & que l'impératrice ne pourroit agir que foiblement, faute des fubfides ordinaires; qu'il n'y avoit plus d'autre parti que d'engager 1'Efpagne k être médiatrice armée, Quoique le roi parut incliner a continuer la guerre, tout le confeil, & fur-tout le dauphin fut pour la paix. En conféquence le roi autorifa le comte de Bernis k négocier fur ce plan avec la cour de Vienne, L'impératrice eut un chagrin très-vif, d'être obligée de fufpendre fon reffentiment contre le roi de Pruffe , mais ne pouvant combattre nos, raifons, elle donna fon confentement aux négo-, ciations de la paix, Le marquis de Stainyille, notre ambaffadeur k Vienne» par qui l'affaire fe traitoit avec l'impératrice, avoit exacfement fuivi les inftrudtions du comte de Bernis , tant qu'il 1'avoit regardé comme le miniftre favori de ma^ dame de Pompadour, & qu'il n'avoit pas imaginé qu'elle & le comte de Bernis puffent penfer différemment. Mais quoiqu'il eut négocié & envoyé le confentement de l'impératrice pour la paix, dès qu'il s'appercut par les lettres de ma-? dame de Pompadour , combien elle regrettoit les. premiers engagemens, étant d'ailleurs k portée de voir que 1'impératMce ne donnoit qu'un confen-^. tement forcé, il comprit que le comte de Bernis  DE 1756, 345 ne devoit plus être dans la même faveur. II fa» voit avec quelle facilité madame de Pompadour paffoit de 1'engouement au dégout. II profita de 1'inftant & forma le plan de perdre le comte de Bernis, dont il avoit été juïqu'alors le plus flexible' inftrument, & de s élever fur fes ruines, II dit a l'impératrice & manda a madame de Pompadour, que le comte de Bernis perdoit trop aifément coui age , qu'il n'y avoit rien de défefpéré , & qu'il étoit encore aifé de nous relevep avec avantage. Ces idéés s'accordoient fi fort avec les deflrs de 1'une & de l'autre, qu'elles furent aufti-töt adoptées. Madame de Pompadour n'étoit pas en peine de ramener le roi a un parti qu'il n'avoit abandonné qu'a regret. 11 fut donc arrêté de continuer la guerre, Le comte de Bernis , perfuadé qu'on ne feroit qu'aggraver nos maux, le repréfenta inutilement. Voyant qu'il ne pouvoit avec honneur, demeurer 1'inftrument d'un fyftême qu'il défapprouvoit, il offrit la démifiion de fon département , qui feroit plus cortvenablement entre les mains du marquis de Stainville. Puifqu'il jugeoit fi facile le rétabliffement des affaires , il favoit fans doute les moyens d'y réuflir, Après toutes les petites faufletés d'ufage k la cour pour faire croire k celui qu'on va chafler, qu'on veut le retenir, il fut convenu que le marquis de Stainville prendroit le département des affaires étrangères , & que le cardinal de Bernis, car il venoit de recevoir la calotte, concourreroit, agi-. roit de concert avec le nouveau miniftre, & feroit de plus chargé en particulier de ce qui concernoit les pariemens, dont les démêlés avec la  Guerre cour, exigeoient prefque un département féparé. Le^ cardinal de Bernis fentoit bien que l'union même apparente entre lui , fon collègue Sc madame de Pompadour, ne fubfifteroit pas longtems. II s'appercut qu'il les gênoit; & pour les mettre a leur are, voulut s'expliquer devant eux avec candeur, leur paria de la contrainte oü il les mettoit, leur déclara que ne penfant pas comme eux fur les affaires, il paroïtroit toujours les traverfer en opinant au confeil; que le meilleur moyen de refter amis étoit de fe féparer pour un tems, Sc qu'il alloit demander au roi la permiffion de s'abfenter quelques mois, fous prétexte de fa fanté qui en avoit effeftivement befoin. Madame de Pompadour Sc Stainville, fait duc de Choifeul, dès le premier confeil oü il aftifta, fe confondirent en proteftations d'amitié , d'iriftances de demeurer avec eux, Sc peu de jours après le firent exiler. II femble que cette perfidie étoit de trop , Sc qu'ils devoient être contens d'une retraite;, mais cela ne les raffuroit pas. Madame de Pompadour avoit fouvent dit qu'elle n'avoit jamais vu le roi fe prendre d'un goüt auffi vif que pour le cardinal de Bernis. Le duc de Choifeul en craignoit les effets. La marquife Sc lui imaginèrent qu'il n'y avoit rien de mieux pour les. prévenir , que de faire exiler le cardinal par une lettre du roi, dont ils firent enfemble le modèle, perfuadés que le prince ne voudroit jamais recevoir un homme qu'il auroit maltraité ; du moins n'y en a-t-il point encore eu d'exemple. Le cardinal étoit difgracié in petto plufieurs mois avant fon exil & même avant qu'il recut la calotte; mais ayant  DE 1756, 34,7 déja fait au roi des remerciemens publics fur 1'agrément que fa majefté avoit donné a la propofition du pape Benoit XIV, il ne fut pas poffible aux ennemis du cardinal défigné, de faire rétracfer 1'agrément, ni d'empêcher Clément XIII (Rezzonico) d'acquitter la parole de fon prédéceffeur, quoiqu'on y ait employé toutes les noirceurs eccléliaftiques. M, Girard qui tenoit la feuille des bénefices , & recevoit a ce fujet les follicitans fous le cardinal de Fleury, m'a dit qu'on ne pouvoit donner 1'idée des horreurs que les concurrens imaginent. Dans les autres clalfes de la fociété, on ne trouve fur la rivalité que des enfans en comparaifon des eccléfiaftiques. Quelques raifons concoururent encore a faire différer 1'exil du cardinal, Le clergé étoit extraordinairement afiemblé, au fujet d'un nouveau don gratuit; le cardinal y fervoit très-bien le roi, &t le clergé en fut fi content , qu'il auroit demandé un archevêché pour le cardinal, fi celui-ci ne s'y étoit oppofé. De plus, le miniftère vouloit faire paffer -au parlement un édit burfal, & comme cette compagnie affecf ionnoit fort le cardinal, on craignit qu'elle ne prit de 1'humeur fur 1'exil du feul homme k qui elle devoit la réunion de fes membres. Le cardinal étant déplacé, madame de Pompadour donna toute fa confiance au duc de Choifeul. Ce nouveau miniftre qui devoit rétablir les affaires & relever 1'honneur de nos armes, ne prolongea la guerre de quatre ans, que pour nous plonger dans de nouveaux malheurs, ét finir par une paix honteufe. S'il eüt eu autant de politique &t de vues que d'a'mbition, il auroit profité  34^ Guerre des mefures que le cardinal avoit prifes pour la paix , 1'auroit conclue a des conditions fupportables, 6c auroit été regardé comme le réparateur des difgraces, dont on imputoit le germe au traité figné par fon prédéceffeur, Le'duc de Choifeul auroit, a la vérité, paru contredire les promefles qu'il avoit faites k l'impératrice & k madame de Pompadour; mais il auroit _ allégué , que voyant les objets de plus prés, il en ^ jugeoit mieux , 8c il auroit encore ufurpé la réputation d'un vrai citoyen , qui ne craint point de fe rétracfer pour le bien de 1'état. Le public ignoroit alors que le crime du cardinal füt d'avoir voulu la paix. II étoit trop fraïchement difgracié pour que fa juffification 1'eüt fait rappeller, ou même eüt été reconnue & encore moins avouée. Dans 1'engouement oü madame de Pompadour étoit pour le duc de Choifeul , il n'y avoit rien qu'il ne püt lui faire croire» puifqu'il lui avoit perfuadé qu'il étoit Ia plus belle ame qu'elle eut connue; car c'étoit ainfi qu'elle s'en expliquoit. On va voir fur quoi j'ai déja déclaré que je ne m'étendrois pas fur les opérations militaires. Ces grands, triftes & uniforme* événemens dont les hiftoires font pleines, n'intérelfent pas les lecteurs , comme ceux qui en ont été les viclimes. Les faits me ferviront d'époques , pour développer quelques refforts qui entrent dans Phiftoire de 1'humanité. C'eft dans cet efpoir que je vais expofer la fituation , les intéréts 6c le caraófère des principaux adfeurs. La marquife de Pompadour s'étant foutenue contre 1'ennui du roi, par les fêtes, les diflipations, 6c ce qu'on nomme vulgairement les plai-  D e i 7 5 6*. 349 urs, fe flatta de régner par les affaires. Elle avoit réellement eu quelque part a la paix précédente. Le roi faifoit alors les campagnes ; ces longues abfences chagrinoient la favorite; elle avoit donc un grand intérêt a defirer la paix. Mais dans la guerre préfente, le roi ne la faifant que par fes généraux , madame de Pompadour fe trouvoit flattée d'influer dans le choix des miniftres &t des commandans, d'être enfin au-lieu d'une maitreffe d'amufement un perfonnage d'état. D'ailleurs cette guerre étoit fon ouvrage ; elle fe croyoit 1'amie de l'impératrice, & il auroit fallu une tête plus forte pour n'en pas être enivrée. Le duc de Choifeul connut le foible de madame de Pompadour & en tira grand parti. II eft d'une naiffance diftinguée, d'une figure petite & déiagréable, avec de la valeur , de 1'efprit & encore plus d'audace. II choifit en entrant dans le monde , le röle d'homme a bonne fortune , ce qui prouve que tout le monde y peut prétendre. II ambitionnoit en même-tems une réputation de méchanceté pour laquelle il avoit de merveilleufes difpofitions & en tiroit vanité. On ne laiffe pas avec cela d'en impofer aux fots & de s'en faire craindre. Ses procédés le fervoient pourtant mieux que fes faillies. On fe plaignoit des uns , on ne citoit pas les autres. Je 1'ai connu & affez pratiqué dès fa jeuneffe, jufqu'au tems oü il eft entré dans le miniftère. Avant qu'il jouat un röle, je 1'ai vu écarté de plufieurs maifons; il s'en falioit peu qu'on ne le regardat comme une efpèce; je 1'ai une fois entendu défendre fur cette imputation qu'il n'a jamais méritée; mais il étoit du moins fort humiliant pour lui que cela fit quef-  3?o Guerre tion. Sa première liaifbn avec madame de Pompadour, vint d'une perfidie qu'il fit k la comteffe de Choifeul (Romante) qui avoit avec le roi une intrigue de paffage. Elle 1'avoit pris pour confident & guide danS cette affaire , & comme il avoh une grande fagacité dans ce genre de négociation, il s'appercut que fa coufine n'auroit pas un long règne, ce qui lui fit prendre le parti de la facrifier k madame de Pompadour. II lui rendit compte de tout, lui communiqua les lettres qui circuloient entre le roi & la comteffe de Choifeul, & fournit par ce manége les moyens d'abréger 1'interrègne. Telle fut 1'origine de fa première faveur auprès de madame de Pompadour. Le comte de Bernis en avoit alors une fi décidée que le duc de Choifeul, ne jugeant pas qu'il fut tems de 1'attaquer , rechercha fon amhié. Le comte de Bernis eft homme de qualité , d'ancienne race , aufli bonne & non moins illuftrée que celle des Choifeul. Dcftiné a 1'églife dès fon enfance, il fut d'abord chanoine comte de Brioude. Après avoir paffé quelques années de fa jeuneffe au féminaire de St. Sulpice, avec aufli peu de fortune que tous les cadets de nobleffe qui tendent & parviennent k 1'épifcopat , il entra dans le chapitre de Lyon, & n'y alla que pour s'y faire recevoir, & revint k Paris. De la naiffance, une figure aimable, une phyfionomie de candeur, beaucoup d'efprit, d'agrément , un jugement fain & un caraclère fur le firent rechercher par toutes les fociétés; il y vivoit agréablement; mais cet air de diffipation déplut au vieux cardinal de Fleury, ami du père,  d e i 7 5 6- 3 51 & qui s'étoit chargé de la fortune du fils. II le fit venir & lui déclara qu'il n'avoit rien a efpérer, tant que lui cardinal de Fleury vivroit. Le jeune abbé faifant une profonde révérence , répondit : monfeigneur , j'attendrai, & fe retira. Le vieux miniftre fourit de la réponfe, la rapporta raême k plufieurs perfonnes, n'en fit pas davantage , èc ne jugea pas qu'une bonne plaifanterie valüt un bénéfice. Pour l'abbé de Bernis, il continua de vivre comme il faifoit, fans avoir rien k fe reprocher vis-a-vis de fes concurrens, que d'être plus fêté & de manquer d'hypocrifie. Sa réponfe au cardinal de Fleury, étoit plaifante; mais pour la rendre bonne, il ne falloit pas fe tromper dans fon attente. Le cardinal de Fleury étoit mort, & la fortune de l'abbé de Bernis n'avancoit point. II ne s'en occupoit nullement, & ne doutoit point que parmi les grands , dont plufieurs étoient de fes parens, & qui le recherchoient, il ne s'en trouvat quelqu'un qui le fervit utilement ; mais aucun ne s'y portoit. On fe contentoit de dire que jamais homme de condition n'avoit fupporté la pauvreté de fon état avec plus de dignité, fans humeur & même avec gaieté; c'eft qu'il n'y faifoit pas feulement attention. Le hafard 1'ayant lié avec madame de Pompadour , elle prit pour lui 1'eftime & 1'amitié la plus viye. Le premier ufage qu'il fit d'un fi puiffant crédit, fut pour les autres. II étoit de 1'académie francoife, & le titre d'académicien étoit la feule chofe, qui fans lui donner précifément d'état , lui en tenoit lieu. II rendit fervice a tous ceux de fes confrères qu'il put obliger , procura  3 52 G ü e a k e de 1'aifance a plufieurs & ëh tira quelques-urs de 1'indigence. Ses amis furent obligés de 1'avertir de penfer pourtant un peu a lui-même; Ce qui prouvoit fon peu d'ambition , c'étoit la borne qu'il y mettoit. Boyer, l'aneien évêque de Mirepoix, avoit alors la feuille des bénéfices, & jamais aucun miniftre n'a été fi maitre dans fon département que ce mince fujet* fans naiffance, d'une dévotion peu éclairée , & tiré du eloitre pour 1'épifcopat, par la protecf ion de quelques vieilles dévotes de la eoiin L'églife & 1'état fe reffentent aujourd'hui des choix imbéciles qu'il a faits» m Le roi daigna lui recommander l'abbé de Bernis; Boyer ne pouvant fe difperifer de déférer a une recommandation qu'il auroit dü prendre pour un ordre, trouva moyen de 1'éluden II propofa k l'abbé de Bernis de prendre la prêtrife, en lui promettant de le nommer bientöt évêque. L'abbé répondit que ne fe fentant pas les difpo-* fitions néceffaires pour cet état , il fe bornoit k une abbaye. Boyer le refufa & fit entendre au roi que les biens de l'églife ne pouvoient abfolument fe donner qu'a ceux qui la fervoient actuellement; mais il vanta fort la franchife de l'abbé qui n'étoit pas hypocrite. II fembloit que Boyer n'en avoit jamais vu d'autres, tant il en paroiffoit furpris. Le roi , ne pouvant rien obtenir, donna k l'abbé une penfion de 1500 livres fur fa caffette. Cela ne fufiifant pas au néceffaire dé fon état , il chercha k fe procurer quelques petits bénéfices particuliers, & s'il avoit pu porter toute fa fortune a 6000 livres de rente, il n'eut prétendu k aucune autre. Ne trouvant que des obftacles dont j'ai été fouvent témoin, il réfolut de  DE 1756. 353. de faire une grande fortune, puifqu'il ne pouvoit parvenu a une petite, & il n'y trouva que des facdités. II y en a eu peu d'auffi rapides. II fe fit noramer k 1'ambaffade de Venife, ou il fe fit ai mer & eftimer. Bi'entöt il fut fait confeiller d'état pendant fon abfence. Le marquis de Puifieux (Brulart), alors miniftre des affaires étrangères, ne lui fut pas contraire ; il ne haïffoit pas les gens de qualité, paree qu'il en eft. St. Conteft (Barberie) ayant fuccédé au marquis de Puifieux j ne fut pas fi favorable a l'abbé de Bernis , par une raifon contraire a celle de Puifieux, & fur-tout par la haine fecrète que les fots ont pour les gens d'efprit. St. Conteft mourut avant le retour de l'abbé, & fit bien pour les affaires & pour la fociété. Son père étoit homme de mérite, & c'étoit tout ce qu'on avoit pu employer, pour faire yaloir le fils. Je ne m'arrêterai pas davantagé fur lui, ni fur la nombreufe lifte de fes pareils, qui ont rempli ou plutöt occupé les différentes places du miniftère. Si 1'on faifoit les portraits de chacun, la galerie feroit longue & peu intéreffante; je les citerai fimplement lorfque les faits 1'exigeront. Pendant que l'abbé de Bernis étoit encore a Venife , fes envieux affeftèrent de faire imprimer quelques ouvrages de fa jeuneffe,qui, fuivant nos préjugés, font des ridicules " dans les grandes places, Sc qui. font honneur en Angleterre, en Italië, ou les grands ont renoncé k la groftiéreté gothique. II n'en eft pas ainfi parmi nous, oh le plus inepte de nos feigneurs fe piqué d'efprit, en ambitionne vivement la réputation , & veut être même foupconné de grands talens qu'il renferme par dignité. Voilé ce qui Tome II. 1  354 Guerre furcharge nos academies de tant de fots ou bizarres honoraires. Pen pouirai donner un jour la lifte avec des notes. L'abbé de Bernis a fon retour de Venife, prit, comme on 1'a vu , -le plus grand vol du crédit dans toutes les affaires. Celle du chapeau mérite que je m'y arrête, paree qu'elle entre dans mon deffein de faire connoitre la cour & les hommes. Parmi les emplois qu'on deftinoit a l'abbé de Bernis, on avoit propofé 1'ambaffade de Pologne; mais le roi, confeillé par quelque miniftre ou de lui-même, ne le voulut pas , dans 1'idée que cette ambaffade procureroit a l'abbé da nomination au chapeau plutöt que fa majefté ne le jugeroit a propos. On fait plus d'attention aux ambaffades d'Efpagne & de Pologne qu'aux autres. L'efpoir de la grandeffe dans 1'une & du chapeau dans l'autre , peut infpirer aux ambaffadeurs plus de complaifance qu'il ne faudroit pour ces deux états. Une négociation dans 1'intérieur du royaume, procura le chapeau a l'abbé de Bernis plus promptementque n'auroit fait la Pologne (i). Les démêlés d i parlement avec la cour n'avoient jamais été plus vifs qu'ils 1'étoient, lorfque l'abbé de Bernis entra au confeil le 2 janvier 1757. Cette hitte du parlement contre le miniftère , a commencé dès la régence du duc d'Orléans, fubfifte encore, (1) La Pologne a droit, comme les autres puiflances catholiques , de donner fa nomination au chapeau dar.s la promotion des couronnes-, mais elle ne la donne jamais a d'autres Polonois que l'archevêque rie Gnefne , primat du royaume. Lorfque celui-ci eft cardinal , elle choifit toujours des étrangers. La raifon en eft que les fénateurs ne cédéroient pas la préféance aux cardinaux-, or, l'archevêque de Gnefne 1'ayant déja comme primat, le chapeau de cardinal n'y ajoute hén.  d e ï 7 5 6. 355 & il feroit difficile d'en prévoir ni la fin ni Ia manière de finir. Les trèves qui fe font de tems en tems n'étouffent pas une fermentation fourde; un feu caché éclate a chaque occafion fur les affaires^ de l'églife , ou celles de 1'état ; fur les entreprifes des prêtres, ou celles des magiftrats; lur un refus de facremens, un plan de finances; fur le choix d'une fupérieure d'höpital, enfin fur des mifères faifies & exagérées par 1'humeur. La querelle que l'abbé de Bernis fut chargé de pacifier » étoit née a 1'occafion du lit de juftice du 13 décembre 1756, pour 1'enregiftrement de deux déclarations du 10 & d'un édit du même mois. Les miniftres fe font avifés fous ce règne, de multiplier les Ets de juftice pour leurs intéréts particuliers, toujours contre le gré du roi , & fans s'embarraffer de compromettre fon autorité. II s'agiffoit, dans celui dont il eft queftion, d'impofer un filence impoffible fur des difputes de rebgion , & de fupprimer deux chambres des enquêtes. Le parlement protefta contre 1'enregiftrement; les cinq chambres des enquêtes, les deux des requêtes & partie de la grand'chambre remirent la démiffion de leurs charges au chancelier, de facon que le parlement fe trouva dans le jour réduit aux préfidens k mortier & a douze confeillers de grand'chambre. Ceux-ci demondèrent au roi la réunion de leurs confrères; le miniftre répondit par la bouche du roi, que les démiffions étant acceptées, les offices étoient vacans , & feize des démiffionnaires ayant été exilés , les lettres de cachet leur furent portées par des gens du guet, pour leur montrer qu'on ne les regardoit Zij  356 Guerre plus que comme de "fimples bourgeois. Ce fut pendant ce fchifme qu'arriva 1'attentat du 5 janvier contre la perfonne du roi. C'étoit la circonftance la plus propre a la réunion du parlement. Elle fe feroit faite fi Pon eüt fuivi le fentiment du préfident de Ménières, excellent citoyen Sc magiftrat éclairé ; mais le premier préfident Sc les miniftres s'y préfentèrent fi mal, qu'il n'étoit pas poffible de ne les regarder que comme maladroits. La grand'chambre fortifiée des princes Sc des pairs, jugea le fcélérat Damiens; mais toutes les affaires des particuliers furent fufpendues pendant plus de fept mois. Quelques confeillers, foit crainte, foit befoin, ou par avis de parens, redemandoient leurs démiflions, mais on étoit encore bien loin d'entrevoir un parlement en forme. Les murmures du public qui fait la loi aux miniftres les plus infolens , qui affeclent de le mépfifer, inquiétoient la cour. On y étoit plus embarraffé des démiflions, que ceux qui les avoient données n'étoient empreffés de les recevoir. Dans ces circonftances, le roi chargea l'abbé de Bernis de chercher les moyens de rapprocher les efprits. L'abbé fe conduifit avec tant d'habileté, que tout fut pacifié, Sc que le parlement réuni reprit fes fondiions. La cour de Rome avoit alors avec la république de Venife, une difcuflion qui tendoit a un fchifme ouvert, a une féparation totale. Le pape Benoit XIV fut fi frappé de la fageffe avec laquelle l'abbé de Bernis avoit terminé l'affaire du parlement, qu'il écrivit en France au nonce, de concerter avec l'abbé les moyens de ramener la république de Venife. L'abbé, qui avoit laiffe k  de i 7 5 6. 3 Venife la meilleure opinion de fa candeur , fut a 1'inftant avoué de la république. II ménagea tellement les intéréts de . part & d.'autre , que tout fut arrangé & conclu a la fatisfaction des deux parties. Le pape coneut tant d'eftime pour 1'efprit de conciliation du négociateur, qu'il écrivit aufti-tót au cardinal de Tencin a Lyon & au marquis de Stainville, notre ambaffadeur a Vienne, & qui 1'avoit précédemment été k Rome, & les confulta, pour favoir fi le chapeau de cardinal donné propno mom k l'abbé de Bernis , feroit plaifir au roi. Le cardinal de Tencin , quelque fut fon deffein, envoya au roi la lettre du pape fans en prévenir l'abbé, & ce fut certainement le plus grand fervice qu'il eüt jamais pu lui rendre. Le marquis de Stainville, fans prendre l'ordre du roi, ne confultant que fon zèle pour un miniftre qu'il croyoit inébranlable , & qui par reconnoiffance n'oublieroit rien pour faire duc celui qui 1'auroit fait cardinal , répondit de fon chef directement au pape, que cette promotion flatteroit infiniment le roi, & manda ce qu'il venoit de faire a l'abbé de Bernis. Celui-ci ne doutant point que le roi n'imaginat que ce chapeau ne fut une affaire d'intrigue entre Stainville & un ambitieux qui vouloit forcer la main a fon ■ prince , alla fur le champ trouver fa majefté , lui dit combien il étoit affligé ; qu'il le fupplioit de croire qu'il n'avoit aucune part au procédé du marquis de Stainville, dont il blamoit fort la démarche , & dont il n'avoit pas eu la moindre connoiffance. Le roi, inftruit par le cardinal de Tencin de tout ce que l'abbé ignoroit, le laiffa parler, Sc lui répondit en fouriant: Z iij  Guerre L'abbé, foyez tranquil'e, je fais que vous n'avez aucune part k ceci. Si le pape veut vous faire cardinal, il faudra qu'il m'en demande 1'agrément; encore une fois, foyez tranquille. L'abbé de Bernis , fort foulagé par la réponfe du roi , s'en remit aux événemens. Bientöt le roi ayant donné fon agrément, l'impératrice & le roi' d'Efpagne donnèrent le leur, & le pape fit annoncer a l'abbé de Bernis , que fa promotion ne tarderoit pas. Rien n'avoit encore tranfpiré a la cour, & l'abbé de Bernis vouloit en garder encore le fecret, pour ne pas éveiller 1'envie ; mais l'abbé Delaville , premier commis des affaires étrangères, lui déclara qu'il n'y avoit rien de plus preflé pour affurer 1'effet de la promeffe que d'en faire un remerciement public ; que cette publicité feroit la plus forte barrière contre 1'envie; que le fecret cefferoit bientöt de 1'être, & qu'alors 1'envie pouvoit faire fufpendre jufqu'a la mort du pape, 1'exécution d'une promeffe que le fucceffeur n'acquitteroit peut-être pas; au-lieu que le roi ayant recu un remerciement public, croiroit fa gloire intéreffée k la promotion. L'abbé de Bernis fuivit le confeil, & fit bien : car peu de tems après, fa perfévérance pour la paix, 1'ayant rendu incommode, le roi preffa même la promotion pour facrifier le miniftre a la maitreffe. Benoit XIV mourut a la veille de la faire; mais Clément XIII, Rezzonico, fon fucceffeur, refpecta 1'engagement de Benoit. La reconnoiffance y contribua encore. Rezzonico devoit en partie la thiarre k l'abbé de Bernis. Cavalchini alloit être élu, lorfque l'abbé lui fit donner 1'exclufion, & détermina les fuffrages en faveur de Rezzonico, qui étant vénitien,  de 1756. 359 mit par fon éle&ion , le iceau a la réconciliation de la cour de Rome avec la république. Les plus grands obftacles a la promotion vinrent d§ Verfailles. Tout ce que peut 1'envie des miniftres, la rage des prélats, la malignité des indifférens, fut mis en oeuvre. On alla jufqu'a faire paffer au pape les vers les plus fcandaleux, dont on faifoit l'abbé de Bernis 1'auteur. L'excès de la calomnie en empêcha 1'effet. Le pape s'en expliqua ouvertement. Au milieu de toutes les traverfes qu'on employoit contre l'abbé de Bernis, & dans le tems même ou il voyoit déja baiffer fon crédit, il déclara hautement, en plein confeil, que les retardemens qu'on mettoit a fa p-omotion, le touchoient moins que le manque d'égards de la part du pape pour la recommandation du roi; qu'il renoncoit donc au chapeau. Pour qu'on n'en doutat point, il lut la lettre par laquelle il 1'annoneoit au pape , la remit au roi en le fuppliant de 1'approuver & de donner ordre qu'elle partit. Le roi prit la lettre , & dit que fi la promotion ne fe faifoit pas avant le 3 d'odf obre, il lui promettoit d'y renoncer. Le roi étoit apparemment inftruit de ce qui fe paflbit a Rome, car, la promotion fe fit le 2. Je ne m'arrêivrai pas davantage fur cette intrigue de cour. J'aurai encore occafion de dévoiler quelques-uns de ces manéges vils des courtifans qui les regardent comme des chefs-d'ceuvres de politique , paree qu'ils ne font ni capables, ni dignes d'employer la vérité & la droiture qui déconcertent cependant toutes les petites fmeffes. Combien en ai-je encore vus en d'autres cir- Z iv  360 Guerre conftances qui, par un amour-propre rifible, &c un fecret fentiment de leur nullité, s'annoncent comme étant faits pour le grand, fans en fournir d'autres preuves que 1'aveu naïf de ne pouvoir faifir les moindres détails ! Je ne m'étendrai pas non plus fur nos malheurs que nos ennemis célébreront affez. Récapitulons feulement nos fottifes : car nous n'avons prefque rien a imputer a la fortune; & nous verrons pourquoi un fyftême , bon ou mauvais, mais approuvé par tout le confeil, approuvé du public, ou chacun vouloit d'abord avoir eu . part, a échoué dans 1'exécution. Commencons par la jaloufie de Rouillé , miniftre des affaires étrangères, qui ne fe voyant plus que le repréfentant dans un fyftême dont l'abbé de Bernis eft le vrai mobile, continue a donner a nos miniftres dans les cours étrangères des inftrucfions, finon contraires , du moins peu conformes au nouveau plan. m Machault voit avec chagrin dans l'abbé de Bernis un rival qui partage, ou va lui ravir la confiance du roi & de madame de Pompadour. D'Argenfon, miniftre de la guerre , uniquement occupé d'étendre fon département, vouloit armer toute la France fur terre, & ruiner par-la. le miniftre de la marine. Hardi dans fes projets, timide dans les moyens d'y tendre, il veut faire fon fils officier-général, & n'ofant le faire paffer par - deffus fes anciens , ce qui n'auroit pas fait crier long-tems, il fait une multitude d'officiersgénéraux qui furchargent , embarraffent les armées, dévorent les approvifionnemens par le luxe & ruinent les finances. Tous les gens du métier  DE 1756. 361. 1'accufent d'avoir perdu le militaire. II faudra bientöt imaginer un titre fupérieur a celui de maréchal de France, devenu trop commun. Sans etre avide d'argent pour lui - même , il a obéré 1'etat par les fortunes immetifes qu'il a procurées dans les vivres, les höpitaux, k mille de fes créatures, indépendamment du brigandage de fa famdle. Avec beaucoup d'efprit, Sc le goüt qu'il avoit infpiré pour lui au roi, il auroit pu ie maintenir en place. D'ailleurs dégagé de tout principe moral, le bien Sc le mal lui font indifferens ; mais par foibleffe de caraöère, il obéit fouvent a la paffion d'autrui, Sc s'eft perdu. II a voulu concourir avec la comteffe d'Efïrades pour détruire la marquife de Pompadour, k aui Ia comteffe devoit tout. II s'eft cru fi affermi auprès du roi, qu'il s'eft refufé aux avances de la marquife. El!e a fini par le faire exiler le même jour que le fut Machault, par d'autres motifs qui n'avoient pas plus de rapport a 1'état que eekde la difgrace du comte d'Argenfon. L'abbé de Bernis eut le courage de repréfenter que dans la fituation des chofes, deux miniftres expérimentés étoient une perte confidérable. Le comte d'Argenfon avoit des talens dont il faifoit ufage, quand fon intérêt le permettoit Machault, avec moins d'efprit Sc plus de caraétere, étoit eftimé dans la marine ; il s'y étoit ' meme fait aimer. Cet hömme fier Sc glacial avoit accueilh les marins plus que n'avoient jamais fait ies predeceffeurs. II avoit auffi un avantage qu'ils navoient pas eu, le crédit de fe faire donner 1'argent néceffaire k fes entreprifes. Les marins qu'on voyoit tres-rarement k la cour, commencoient  3 e i 7 5 6. 363 ration due a un grand feigneur, eftimable par fa probité, refpeclueux pour fon maitre dont il eft aimé, s'il fe fut borné k cette e.xiftence honnête, vent, fans talens militaires, devenir maréchal de France, connétable , s'il peut, & miniftre. La proteöioa , malgré fes fautes , la aufli avancé que des viöoires 1'ainoient pu faire. Le maréchal dïftrées gagne, prefque malgré lui, la bataille d'HaftL-mkck; il craint de s'engager trop avant; il ne luit qu'avec timidité un plan contre lequel il eft prévenu par Puyfieux fon beau - père , & par St. Severin qui n'avoit adopté qu'avec répugnance un fyftême qui reöifioit le traité d'Aixla-Chapelle, leur ouvrage. Ajoutons 1'impatience du courtifan francois dans les guerres qui 1'éloignent de Paris pendant 1'hyver. Les généraux ont toujours defiré de porter la guerre en Flandres pour leur commodité. La plupart de nos officiers fe prêtoient a regret k des opérations dirigées contre le roi de Pruffe qu'ils s'étoient fait un tic d'exalter au-lieu d'en imiter la vigilante & l'économie. Le public, depuis long-tems frondeur de la cour par la foibleffe & les fautes réelles du gouvernement, devint pruflïen, comme il avoit été autrichien dans la guerre précédente. Maillebois , ennemi de la marqu'fe pour fon compte & pour celui du comte d'Argenfon fon oncle , homme d'efprit & de talent, favorife toutes les fautes des généraux pour les remplacer. Le maréchal de Richelieu, ennemi aftif & pafflf de la marquife, jaloux de Soubife , général de ruelle, protecfeur & modèle en grand de la  364 Guerre maraude, applaudi par le foldat dont il eft 1'exemple, chanté par Voltaire, fent qu'il ne peut réaïifer ce .antöme de gloire, traite avec le roi de Prune, au-lieu de le combattre, ne veut que de Pargent, détruire le fyftême, décrier la marquife, déplacer l'abbé de Bernis, parvenir au miniftère, pour gouverner par 1'intrigue. Contades voit froidement , ou avec complaifance, les fottifes d'autrui, qui peuvent le faire arriver au commandement. II perd une bataille qu'il devoit gagner; du moins le roi de Pruffe, bon juge en cette partie, a-t-il dit, après avoir examiné depuis les différentes pofitions des armées , qu'il ne concevoit pas comment Contades avoit été battu. Celui-ci prétend avoir été trahi. Malheureufement pour nos généraux, ils fe font croire dans leurs accufations réciproques , èc jamais dans leurs apologies. Broglio, né avec le talent militaire , veut perdre tout concurrent, & cet efprit a été celui de tous nos généraux. Son frère, homme incompatible avec tout collègue , oblige le comte de SaintGermain, bon officier, mais tout auffi exclulif, a s'expatrier. Nous ne nous fommes pas mieux conduits fur mer que fur terre. Pendant fix mois, nous avons laiffé nos vaiffeaux en proie a la piraterie des Anglois, fans ofer faire de repréfailles. Notre miniftèreprétendoit, difoit-il, faire éclater notre modération aux yeux de toute 1'Europe; mais la modération eft la vertu du fort & la honte du foible. Lorfque nous avons voulu recourir a la vengeance, nofis avions déja perdu dix mille matelots. La viftoire de la Galiffon-  DE 1756. 3gj niere a été pour nous un exemple fans émulation. Le facnflce, injufte ou non, que les Anglois ont fait de Bing aux cris de la nation, a ranimé 1'efpnt de leur marine, & nous a montré ce que nous devions faire avec plus de juftice. Les coupables ne nous manquoient pas. Le maréchal de Conflans perd notre flotte, celle des Anglois étant tout au plus égale k la' notre. II brüle un vaifleau , qui étoit une citadelle flottante; il ofe s'en vanter comme d'un exploit. Quel eft fon chatiment? De n'être point préfenté au roi, & d'aller journellement en public, affronter les mépris qu'on n'ofe lui marquer. II fe plaint des officiers qui fervoient fous lui: ceux-ci récriminent, & tout fe borne-la. Sur terre & fur mer, nulle rivalité de gloire; ce font des procés par écrit. Les mefures font par-tout auffi mal pnfes que mal exécutées. Les» vaifleaux de tranfport font féparés de la flotte, paree que le petit orgueil du duc d'Aiguillon ne lui permet pas d'être fubordonné dans Breft. Voila ce qui 1'engage a mettre les vaifleaux de tranfport a Guiberon , pour y commander feul , au hafard de tous les pénls de la jonction. C'eft par une préfomption pareille qu'il a fait perdre Belle-Me Les états de Bretagne voyant 1'importance de' cette place, 1'avertiffent un an d'avance de pourvoir k fa fureté, & offrent les approvifionnemens neceflaires. II répond avec une vanité puérile & une ironie amère, a une députation qu'il doit refpeaer, qu'il eft obligé aux états de vouloir fren hu apprendre fon métier. II en avoit pourtant beloin, puifqu'd a lailfé prendre BelleJfle, faute  366 Guerre des précautions offertes. II n'a pas même profité de 14 jours que 1'échec des Anglois a leur première defcente lui avoit laiffés , pour jttter des troupes dans 1'ifle , qui n'eft qu'a 4 lieues de la terre-ferme. On a vu ailleurs le peu de part qu'il a eu a l'affaire de Saint-Caft, qui lui a cependant procuré une médaille a fa gloire. Les médailles modernes rendent bien fufpecles les anciennes. Dans nos colonies, les gouverneurs Sc les intendants ne s'accordent que pour exercer les monopoles les plus fcandaleux. Le cri public oblige enfin d'en rechercher quelques-uns; la protecl ion payée fauve la plupart, Sc ceux dont une mort infame devoit faire un exemple, fubiffent des peines fi légères, qu'elles ne peuvent effrayer perfonne. On confie la défenfe de Pondichéry a un étranger avide d'argent Sc d'une tête mal faine, Lally. II n'exerce fa férocité que contre ceux qu'il doit défendre. II livre ou vend la place, il refufé même la capitulation offerte par Pennend. La trahifon eft fi vifible qu'on eft obligé en France de le mettre en prifon. N'avons-nous pas vu des capitaines de vaiffeau éviter le combat, ou fe mettre hors d'état de le foutenir, paree que les marchandifes dont ils faifoient commerce chargeoient leurs navires, au point de rendre inutile leur plus forte batterie ? Malgré tant de fautes, d'inepties, de brigandages, d'intrigues Sc de difgraces, le fyftême politique devoit avoir une bale bien poiee, puifqu'il a fubfifté dans fon entier jufqu'a la mort de l'impératrice de Ruffie, Elifabeth. Le roi de Pruffe,  D E 1 7 5 6- 367 couvert de gloire, jugeoit lui-même que fa perte n'étoit que différée, lorfque la mort de cette princffe donna pour alliés a Fréderic ceux qu'il avoit pour ennemis. Mais ce n'a pas été uniquement a la cour de France que les inté.êts particuliers ont contrarié ceux de 1'état. Les Aut-ichiens étoient auffi oppofes a 1'alliance dès fon origine, que nous avons pu 1 etre après nos difgvaces. L'impératrice ellememe s'eft trompée en porrant la guerre en Siléüe, fous prétexte que c'étoit le véritable objet Son reffentiment précipité contre le roi de Pruffe 1'empechoit de voir qu'en prenant Magdeboum & Stttin on réduifoit ce prince k demander la paix en offrant la SUéfie. ; (3ll01'clue les ProFts de l'impératrice n'ayentpas reufli, fes mauvais fuccès n'ont pas été fans eloire paree que le comte de Kaunitz a toujours dirigé feul le fyftême politique auquel le militaire a eonftamment ete fubordonné, comme inftrument au-lieu que tout ce qui a été employé parmi nous a pu, iinon gouverner, du moins traverfer le gouvernement. Ce n'eft pas que la cour de Vienne n'ait quelquefois déféré k de petits intéréts de cour. Le commandement a été donné au prince Charles, par égard pour l'empereur fon frère, & k Daun, dont la femme eft la favorite de l'impératrice. On ne lui contefte pas les talens milhaires; mais fa lenteur, fon indécifion, les ménagemens reciproques du prince & du général, ont iouyent tenu les ordres en fulpens , & 1'armée etoit alors gouvernée par les fubalternes. L'impératrice de Ruffie, avec le deffein d'acca-  368 Guerre bier le roi de Pruffe, étoit traverfée dans fes projets par la jeune cour. Le grand duc inftruifoit le roi de Pruffe de toutes les mefures de la czarine, & les alliés fe communiquant leurs deffeins refpeclifs, le roi de Pruffe les apprenoit par la Ruffie. Beftuchef élevé a Londres & livré aux Anglois, gouvernoit & trompoit facilement une princeffe ennemie des affaires &C abandonnée k fes plaifirs. LTne excellente milice fans généraux, fans art pour les fubfiftances, ne pouvoit jamais tirer parti de fon courage. En Suède, le roi étoit gquverné par la reine, fceur du roi de Pruffe, & du même caraclère, qui traverfoit toutes les opérations. Le Danemarck fut toujours flottant entre la jaloulie contre la cour de Vienne, les puiflances catholiques &C 1'inquiétude fur le roi de Pruffe. Dans 1'Empire, le roi de Pruffe & les Anglois excitoient les proteftans, & 1'on avoit du s'y attendre, & que 1'armée impériale auroit abfolument 1'efprit pruflien; on lui donne pour général le prince de Saxe - Hilburgaufen , partifan prefque ouvert du roi de Pruffe. La reine d'Efpagne, gouvernant le roi fon mari, Ferdinand VI, 1'empêche de fe déclarer dans le tems oii cela pouvoit être utile au fyftême. Le duc de Choifeul engagea depuis le roi Charles III, fucceffeur de Ferdinand par le pacfe de familie, lorfque 1'Efpagne ne pouvoit plus unir que fa foibleffe k la notre, & partager nos pertes. Les Anglois craignoient fi peu cette réunion, qu'ils vouloient même avant le pafte déclarer la guerre  DE 1756. 369 guerre k 1'Efpagne. Aufli le public appella-t-il ce traité les folies d'Efpagne. Cette puilfance y a perdu fa marine & des richeffes immenfes qui ont fourni k nos ennemis les moyens de continuer. la guerre, & de dief er impérieufement les conditions de la paix. • Tel eft le tableau raccourci de 1'origine du cours & de la fin de la guerre. F F N. Tomc IJ, Aa  37o N. B. On avoit intention de mettre une table au tome I; il a paru plus commode pour le le&eur de réunir les deux tables en une, qui (uit,  37* TABLE DES MATIÈRES Contenues dans cet Ouvrage. Nota. Les chiffres romains indiquerit Ie tome, & les chiffres arabes1 la page. A. ■Abbé de Saint-Pierre, exclu de l'acaciémie; la caufe I, 256 Abbe de la Tour-d'Auvèrgne, archevêque de Tours, II 20 AdeUidc d'Orléans prend le voile a Chelles , I, 247. " Adminifiration de M. le duc toute changée, II, 259' ^II°£'7"anSféré de U <2uincamP°ix a la P*ace Vendöme-; Apjeffeau (d') nommé chancelier; les qualités , I, 208. Exilé de nouveau-, pourquoi, II, 149. Aiguillon (d') fe comporte mal contre les Anglois débarqués: carnage & prife que font les Francois, if, 3,9; f0n of * gueil; laiffe perdre Belle-Ifle, &c. 365. Albéroni cabale avec les Italiens & la nouvelle reine a Madrid 1, 62-, fon origine, caufe de fon élévarión; gouvernoit la reine a Madrid, 176; eft fait cardinal, indignation du facre college, regret du pape, vues d'Albéroni, 2591 nauteur & fermeté de fa conduite en faveur de 1'Efpaenê contre lempereur; 257; évêque de Séville & de Malaga, fans bulle du pape, 258-, fa difgrace, II, 43-, 1'intérêt commun des cardinaux le fauve de fa perte, fa mort 107 Albret, ( la ducheffe d') ce qu'elle obtient du regent pour fes deux fils , 1, 211 note. v Aldovrandi, nonce en Efpagne -, y vient réVoquer 1'indult. conduite d'Albéroni, I, 244. Alembert; (d') fa naiffance, II, 31. Alexis condamné a mort , pardonné , meurt le lendettlain, II-, 234; mané a Charlotte de BrunfVick, 230. Alliance de la France avec Vienne-, Louis XV en écoute fa* vorablement la propofition , II , 291. Ambaffade en Angleterre projettée en vain par Dubois II 05 Ambaffadeur du roi de Perle a la cour de Louis XIV foupcons fur la vérité de cette députation, 1,96. Amelot envoyé a Rome au fujet de la conftitution . rêvient lans avoir rien fait, aveu du pape i ce filjet, I, i6i„ Aa ij  372 T A B U Anghurre, changerriens arrivés dans le gouvernement a la mort de la reine Anne, 1, 75 ; fon état du tems du régent, 183 ; haine du roi Georges pour fon fils, caufe, 241 ; étroitement amie avec la France, II , 18. Anglois exigent que Philippe V renonce a la couronne de France, veulent que les états-généraux le certifient, I, 34-44-, nous prennent deux vaifleaux en juin 1755 , Mirepoix réclame en vain, II , 281 , ne cachem plus leur riefïein lors de la guerre de 1756, 287 ; leurs projets long-tems médités pour chaffer les Francois du Canada, 307. Anne-Marie de la Trémoillc, princeffe des Urfins; détails fur cette favorite de Philippe V, I, 45-63. Anne Jowanowna fur le trö:ie de Rufiie, II, 248. Anfon bloque Breft, II, 338. Antin (le duc d') part pour aller recevoir la reine, II, 213. Archiduc (1') détefté des Efpagnols, eft en vain maitre de Madrid , I, 16. Argenfon, (d') bon lieutenant de police, I, 251; obtient les fceaux , & remplace de Noailles au confeil des finances , ibid. facrifie les intéréts de la France a la maifon d'Autriche , II , 285 ; exilé, 309; écrit en exil contre le traité de Verfailles de 1756, opinions partagées , 329; ne refpiroit que guerre, fautes de fon miniftère, & envers la Pompadour, 361. Armée fran^oife propofée pour marcher au fecours de 1'Autriche , débats , II, 303. Armée de 1'Empire, combinée, fe joint a Soubife, II, 323.- Aubenion, ( d' ) jéfuite , fabrique a Rome la bulle Unigenitus, 1.65. Aubeterre (comte d') remplace Duras a Madrid, II, 296. Augsbourg, (ligue d') I, 120. Augufte, élefteur de Saxe; fa négligence , fa fuite; prife de fon armée par le roi de Pruffe , II , 301. Autorité royale , premier dogme de Ia religioa de Louis XIV» I, 84. , i Autriche, fourberie de cette maifon, II , 306. ■'«•';, ■ B. \\l ' . ■ jB Aff oue générale , établie pa- La-w: fes avantages, I, 192; royale : difficulté du parlement a 1'enregifirer,. 289. Banqueroute générale propofée : raifons fpécieufes pour 1'auto- rii'er , 1, 189. Barbara Anfcniow : le czar en jouit devant deux témoins , II, 240. Barbéfieux au département de la guerre, fous Louis XIV , I, 126. Bauveau va au-devant de la reine, II, 213, Belluga, évêque de Murei , II , 33. Bénéfices eccléfiaftiques donnés par Ie régent, II, 29. Bentivoglio perfécuté le régent au fujet de la conftitution , 1, 1S4. Bcringhct, premier écuyer, II, 19?,  des Matiêres. 373 Belle-Ijle (les deux) arrêtés, ii, 214. Belle-Ijle, miniftre de la guerre, ii n,'y362.(maréChaI d£) intlifcret' P°'»^ PO«rle roi de Pruffe, Bernis, (comte de) de retour de Venife, favori de la Pom padour, va jouer un grand röle ii Wc f™ lf ■) °T guerre en 1756, imnlinenteTas"^ «ons de la Pompadour en faveur 'd'e Vienne '&.PM" caution pour négoder les préliminaires du traité de ïtu?" 292; fon plan pour le traité de i756 avec V enne 1' prudence lors du traité de 1756 207 tr.hi P -11' &r:uenepfaeorrr^uc iZ-uSè'T. J3& I7<6IS & infiftnCe ' 308;, Pr°P°f= renoncer au trróé de' • 347-ldétPaïs^érfé' "TfS' t.ons, „o 36/ 3 Perf°nne & ft fonune' ^s négocta-' ^d^aruxïei/%P6rPadOUr' MS de ,a ™, bejïuckej devoue aux Anglois, ii, 252 ^/'«f. quantité énorme mife en cours par LaV II 00 ^Irre3;^" Galiff°™«e, ii, 299Pf exeTut'é'Vn ^„gJel *'ni'U* &JdeUX confei"ers enlevés, par ordre du roi a trois heures du matin , 1, 286 vï^quf'u-^i^3"6? de/^ance a Vienne-, propofitions B ia «Til^r^ f n S27e/Ur Une ama"ce av£C Jiolingbrock réfugié en France, i 7ï Bonneval, pendu en effigie , pacha , &c. i 6 Bouwers, fa belle défenfe a Lille, i 6 Jioulogne, contröleur-j'énéral ii l7X4* (dUC d£) h°UVeau' d3"Phi^ P°r:rait de ce Prince, f^lÊf?^ mEU" ÊX ava- fo» tra- BT»Z'4™3^Ur- de France en Efpagne, vient prévenir aèfe ! i , T9 U ma"age de f°n Pêtlt-fi!^ avec Elifabeth FarBrancas, (duc de) un des röuês du réEent, i, 28? Aa jj|  374 Table Bréhan, colonel du régiment de Picardie, fa bravoure , fon défintéreffement, II, 314. 'Breteuil au département de la guerre, caufe, II, 1S0. Bretons, impliqués dans le projet de révolte du duc du Maine,' punis , II, 22 ; nobles exécutés a Nantes pour Félonie, jz; leur valeur contre les Anglois, 340. Brevet* de retenue prodigués, 1, 187. Broglie, Brancas, & autres compagnons des orgie» du régent, I, 172. Bulle unigenitus caufe de nouveaux troubles a Louis XIV , détails fur cette affaire de religion, 1, 77. Buffy, auteur de la eonvention de Clofter-Seven, II, 319. c. Cam.bka.y , (conférences de) leur peu d'effet, II, 204. Camp ie Darius a Compiègne ; fpeftacle extrêmement coüteux ,1, 128. Canada; projet des Anglois pour en chaffer les Francais. Voye^ Jumonville , II, 307. Canillac refufé la penfion de confeiller, & entre au confeil de régence, 1, 288. Cardinal del Giudicé, envoyé en France par la princeffe des Urfins, I, 59; difgracié en Efpagne, 199. Cardinal (chapeau de) ne peut fe quitter qu'avec la vie , II, 108. Cardinal de Fleury , fon attention s maintenir la paix au-dehors , II, 268. 'Catherine de Ruffie; détails importans fur cette femme, II, 227. Catherine proclamée impératrice après la mort de Pierre, czar, II , 243. Catherine I, czarine, meurt, II, 244. Catherine II fait arrêter fon mari, Pierre III, & règne, II, 253. £atinat envoyé en Italië, & rappellé ,1,2. Cauche, valet-de-chambre du régent, libertin, 1, 284. Cellamare, complotte contre le régent, eft arrêté, renvoyé, &c. 1, 289, Chaife , (la ) confeffeur du roi, portrait de cet homme, 1, 80. Chambonas , évêque de Vivier, I, 288. Chambre de juftice ; fes effets funeftes , I, 189; royale, établia par le régent, II, 83. Chamillard , fon ineptie ,1,3. Chamillart renvoyé , remplacé par Voifin , 1, 7. Chamilly , (le maréchal de) fa mort , I, 171. Chamlay appellé au département de la guerre, y renonce en faveur de Barbéfieux, I, 125. Ckancellerie établie a la place Vendöme , 1, 24S. Chanteloup , fon origine ; acheté par le duc de Choifeul, I, 49. (jharles XII, roi de Suède, tué ppj.ir le bonheur de (es peupies, 1, 2.9C),  DES MATIÈ'RES. 375 Charles de Lorraine (le prince) époufé une Noailles, I, 210 note; battu par le roi de Pruffe, bar enfuite Keith, II, 321. Charolois fe réunit aux autres princes & pairs contre la force, II , 102., Chateaurenaud, (le maréchal de) fa mort, I, 204. Chaujferaie (Ia ) fauve l'archevêque de Noailles de fa perte; détails fur cette aimable perfonne, 1, 98. Cherbourg pris par les Anglois, &c. II, 338. Cherté du pain, monopole, &c. II, 216. Chevalier d'Oppede , fa mort, 1, 246. Chevert, Soubife lui devoit le baton de' maréchal, II, 336. Choin, maitreffe & femme fecrète du dauphin, 1, 24. Choifeul envoyé a Vienne en 1756, II, 297; portrait de cet ambitieux miniftre , II, 349. Cinquantieme fupprimé , II, 259. Clément XI, pape , reconnoit Philippe V & 1'archiduc d'Au- triche pour rois d'Efpagne, I, 61. Clergé, (affemblée du) don gratuit qu'on en exige , II, 347. Clermont, fa retraite de Hanovre; perd la bataille de Crevelt, II, 335, rappellé, remplace par Contades, 337. Clofter-Seven, (eonvention de) II, 317. Coëtlogon fait vice-amiral, I , 204. Colb'ert fait fleurir tout en France, I, 119. Colonel-général de 1'infanterie ; place recréée par le régent en faveur du duc de Chartres ; foupcons fur cette démarche II, 114. Comédiens italiens rappellés , 1, 187. Commiffaires nommés pour examiner 1'origine des billets excé- dens mis en cours par Law, II, 100. Compagnie des Indes , des deux réunies, II, 4S. Compiegne, légéreté de la cour dans les affaires qu'elle v traite, II, 287. Comte d'Evreux a la tête du détail de la cavalerie, I, 288. Comte de_ Touloufe légitimé , 1, 67 ; diftingué de fon frère au lit de juftice fous le régent, 285. Conclave célébré en Ruffie le jour des rois, II, 24. Conflans perd notre flotte & impunément, II, 365. Conjuration des Marmoufets, II, 264. 'Confeil des finances; difpute qui y furvient fur la préféance, I, 160. Confeil de confeience préfidé parle cardinal de Noailles, I, 159. Confeils différens; tous les membres en font remerciés, I, 286. Confeils de France; différence des opinions fur le parti a prendre pour la guerre, II, 2S4; de régence ordonnés par le teftament de Louis XIV ,1, 153; formé par le régent; membres de ce confeil, 159; fa fin, II, 175. Confeillers d'Arragon réduits a demander 1'aumöne.I, 14 note. Confeillers de régence; fantömes penfionnés, II, 9S. Conftitution au fujet du janfénifte Quefnel, troubles réfultans, I, 86; recue en Efpagne, 244; Dubois la fait enrégiftrer par le grand-confeil, & fans fuccès, II, 86; affaire reprife pgr le pape fous le miniftère de Fleury, 264. Aa iv  376 Table' Contades , fon ïneptie i II, 364. Conti, cardinal, élu pape, II, 105. Conti, (prince) vol énorme qu'il fait a la banque, II, 99, Conti & autres princes coalifés contre la force; crainte du régent , II, 102. Cour de Louis XIV devenue hypocrite, I, 133. Cordon du Saint-Efprit porté par des gens non encore recus chevalièrs, II, 126. Courcillon , (la belle) I, 293. Courfon, intendant tyrannique de Périgueux, plaintes de cette ville contre lui, I, 233. Courtenay réclame le titre de prince du fang , familie éteinte, 1, 203. Courtines , intendant de Picardie , trait de fa probité ,1,4. Cumberland & fes alliés fe retirent devant d'Eftrées, II, 309. D. D AMiENs veut affaffiner Louis XV, II, 309. Daniël, jéfuite, feconde dans fon hiftoire les vues de Louis XIV pour les princes légitimés , 1, 69. Danemarck, le roi obtient du régent le titre de maje/lé, I, 254. D'Argenfon, lieutenant de police, interroge le cordelier Marchand , 1, 20. Daun fauve Prague & bat le roi de Pruffe, II, 322. Dauphin, fils de Louis XIV, fon caraüère, fon efprit borné, I, 23 ; fon mariage de confeience avec la Choin, 24. Déclaration relative a la bulle , enregiftrée au parlement, II, 92. Départemens, diftribution qu'en fait le régent, 1, 288. Dépenfe égalée a la recette par le miniftre Fleury; fes. autres points d'économie , II, 260. Deuils de cour, réduits a moitié de leur tems , 1, 187. Diamant extraordinairement beau, acquis par le régent pour la couronne , 1, 248. Dixi'eme, impofé fous Louis XIV, fut le falut de 1'état, I, 10. Dolgorouki renverfe Menzicow, & a le même fort, II, 246. Dombes, ( prince de ) gouverneur en furvivance , 1, 28S. Dubois , (l'abbé ) fon origine, fon cara&ère vicieux, 1, 146 ; fait le mariage du duc de Chartres avec Mademoifelle de Blois, 147; éteint jufqu'aux principes de vertus dans le duc «t'Orléans; 14S ; fait confeiller d'état, 171; marié dans fa ^euneffe, comment il anéantit les preuves de fon mariage, II , 1S0; arrêté les articles d'un traité -a la Haye entre la France & 1'Angleterre, 1, 203; admis au confeil des affaires étrangères, 211 note; faifoit tout dans les affaires'étrangères , 2S8; traité de maquereau par 1'ambafftdeur d'Efpagne , 292; fait échouer le manage de mademoifelle Valois avec Ie prince de Piémont, II, 24; archevêque de Cambray, 55; redevient favorable au parlement, caufe, 88; occupé de devenir cardinal, mefures qu'il prend, 104; nomme cardinal le 16-juillet, caufe;, 106 ; fa progreffion vers Ia place de premier miniftre, 108 ; modefte en recevant Ia calotte rouge  desMatières. 377 des mains du roi, donne fa croix a Fleury, fes vifites, uo; négocie avec fuccès le mariage de Louis XV avec l'infante & celui de mademoifelle de Montpenfier avec le prince des Afturies, 119; cardinal, veut entrer au confeil de régence, moyens qu'il emploie pour être premier miniftre, 147; premier miniftre , précautions qu'il prend pour fe conferver, peu eftimé du roi, fa groffiereté naturelle, 175 •, élu préfident de faffemblee du clergé , fa mort, & la caufe, fes richeffes , fes qualités morales, 142. Duc de Berri, fa mort, i, 65. Duc de Chartres, Dubois tente en vain de 1'avoir dans fon. parti, ii, 176. Duc du Maine légitimé , i, 67, nommé chef des troupes de la maifon du roi par le teftament de Louis XIV, 153; dépouillé de tout ce" que le teftament de Louis XIV lui donnoit d'aur.orité , 156; lui & fa femme fomentent des troubles , 249 ; fa dégradation au lit de juftice , fous le régent, 285. 1 Ducheffe du Maine, fuite & arreftation de fes complices, I, 293. Duc ciu Maine arrêté a Sceaux, la ducheffe arrêtée rue SaintHonoré , leurs gens mis a la Baftille, i , 294; arrêté avec fa femme, ii, 4 ; mis en liberté , caufe , 22 •, excufé par Albéroni , difgracié , 45. Duc de Nivernois arrivé trop tard a Berlin, oü le traité entre 1'Angleterre & la Pruffe fe figne , II, 2S6. Duc d'Orléans rendu de nouveau fufpe£t a Louis XIV, i, 74; fa conduite dans les préliminaires de la régence , comment il s'empare de toute 1'autorité, 154; époufé la reine a Strafbourg pour Louis XV, ii, 213; différence des feminiens ■ que fait naitre fa mort, 194. Duc d'Orléans, fils du régent, fa dévotion monacale , due a fon précepteur Mongaulr , II, 196. Duc de Vendöme commande en Italië , 1, 176. Duc (M. le) & La-w excitent le regent contre le parlement, ii, 89 ; il remet 1500 aöions, 99; fon caraflère , 178; nommé premier miniftre, 194 ; fubiugué par la Prie , fait - faire le procés a le Blanc qui eft innocenté, 214; lui & la Prie exilés, 257. Ducheffe, mère du duc premier miniftre, fa conduite envers fon fils, ii , 202. Ducheffe du Barry , indécence de la réception qu'elle fait <ï 1 ambaffadeur de Venife, ii, 6; infiniment plus vicieufe que fon père, fes difcours impies, i, 151; eile traverfe Paris, comme le roi feul a le droit de le faire , 165 ; elle tombe malade , fon mariage caché avec Riom, fes derniers momens , fa mort, ii, 11. Jfucheffe du Maine, fon état convulfif après la dégradation du. duc, I , 2S5 ; fon complot avec Albéroni , Cellamare & autres pour rendre Philippe V régent de France, découvert, fuites , 1, 289. Ducheffe d'Orléans, . fa réfignatïon fur la dégradation du du du Maine , 1, 285.  378 Table Duels réitérés & non punis par le régent, 1, 166. Dugué-Trouïn n'a pas encore eu de fucceffeur , II, 299. Duras, ambaffadeur a Madrid, veut engager 1'Efpagne dans Ia guerre de 1756 , rappellé, II, 296; apporte a la cour la convention de Clofter-Seven , récompenfé , 319. Duvernay, munitionnaire digne d'éloges, en veut a d'Eftrées, favorife Richelieu, II, 310; e Zues admis en France au confeil du roi, II, ui. Edic de Nantes révoqué par le fanatifme de Ia cour, I, 136. Eglifc primitive fujette a des fraudes , 1, 98. Elifabeth de Ruffie propofée pour femme de Louis XV, II, 211; détröne Yvan, czar, 249 ; la mort d'Elifabeth fauve le roi de Pruffe de fa perte, 367. Empereur (1') fait une promotion de grands d'Efpagne, plaintes du roi d'Efpagne, II, 125; lui & le roi d'Efpagne en différentes négociations pour leur arrangement, I, 257. Efpagne (1') ne tire 1'or de 1'Amérique que pour 1'Europe , I., 14 ; fes grands armemens, leur but,238; fa flotte aborde en Sardaigne : inquiétude des autres puiflances, 240; le roi malade : inquiétude d'Albéroni, 241; fa rupture prochaine avec la France, a la fin; vie domefïique du roi & de la reine, II, 135 -, fe reconcilie avec la France fur le renvoi de l'infante , 268. Efpagnols battus fur mer par les Anglois, & fur terre par les Francois, II, 20. Eftrées ( comte d') va a Vienne pour le plan des opérations militaires, II, 306; entre en Allemagne, 309; cabale pour le faire rappeller d'Allemagne; fa viéloire d'Haftembeck, 314. Eftrées, (maréchal d') fa retraite volontaire a la campagne, II, 316. Etat des affaires politiques externes fous le régent, I, 175. Etiquette, variations fur ce point, II, 145. Eudoxie, répudiée par le czar, II, 225 ; reprend dans Ie couvent les habits d'impératrice : vengeance exceffive de Pierre , 232; enfermée dans un cachot par ordre de Catherine ,235; tirée de fon cachot par Menzicov, devient abbeffe, 244. Euglne ; (prince) honneur qu'il rend a Boufflers : fa dureté envers les prifonniers Francois, I , 6; fon mémoire contre la France : foupconné de vouloir employer le poifon, 21. f. F are; (1'abbé de la) colère qu'il effuye de la part de Dubois dans l'affaire du cardinal Mailly, II, 37. Farnèfe (Elifabeth) devient reine d'Efpagne, I, 53. Fenêtre, caufe des guerres que Louvois fufcite a Louis XIV, 1, 119. ■  des Matières. 379; Ferdinand, fils de Philippe V, du premier lit, haï de la reine H, 274- ' termentation extréme des corps étrangers durant la régence , i, 181. Filles de joie infedtent 1'armée de 1'archiduc, & en font périr une grande partie, i, 15 , note. Finances, leur défordre a 1'entrée de la régence ,1, 161; leur état effrayant après Law, II, 161. Financiers pon-faftueux fous le miniftère de Fleury, ii, 259; Fleury l'évêque leur marquoit trop de confiance, 260. Fontanieu, fa crainte fur la demande que lui fait le duc de Saint-Simon , 1, 282. Fouquet : mort de fa veuve, i, 205. Fleury, (l'abbé) nommé confeffeur du roi, i, 2S5. Fleury, évêque de Fréjus, obligé de recevoir & porter la croix de Dubois, ii, 110; chéri du roi : refufé 1'archevêché de Rheims, accepte un bénéfice iimple , 117; oublie l'abbé de Caftres : caufe, 118; évêque : fa retraite & fon retour a Ia cour, iCS; fa politique a la mort du régent, 194; fon afcendant fur le roi : confidéroit peu M. le duc, 199; s'empare de la feuille des bénéfices; colère de la Prie, 201 i M. le duc & la Prie projettent de 1'éloigner de la cour, 255 projet de le faire arrêter, & 1'éloigner du roi, 254; prend un afcendant fur tous ceux qui approchent le roi, & fur toute la France, 257; eft fait cardinal : fon miniftère, 259-, fon adminiftration économique , ibid. avoit recu la barctta des mains du roi, qui Pembraffa devant les courtifans, 264. Foucault de Magni, arrêté, mis a la Baflille, i, 293. France, toujours impliquée dans les guerres étrangères, II, 268; fon état défefpére fous Louis XIV, 1, 8; fon démembrement projetté par le prince Eugène, 13 ; fes lenteurs funeftes pendant les yiolentes pirateries des Anglois, II, 282/, léjereté , indifcrétion avec lefquelles on s'y comporta au fujet de 1'alliance avec la Pruffe, 287; fans hommes de capacicé , excepté Bernis a fon époque, 300; fon état ruineux a fa retraite de Law : embarras du régent haï, 98. Francois réduits a fouhaiter 1'excès du mal d'oü fortira peutêtre le remède.i, 117; différence de leur facon de penfer , ii, 93; morceau important-, découragés par leurs officiers, 341. Fréderic : fa po:ition critique le force a s'allier a 1'Angleterre, ii, 286; bat le prince Charles, & afiïège Prague, eft battu. par Daun, 322; fa fermeté, fa gaieté même dans fes revers , 324; perd la Siléfie , la reprend ; fa victoire a Liffa, 32S, 329. G. c KXamache soppofe a Rome aux vues de Duhois : fe réunit a lui, II, 84. Gentilshommes dégradés aujourd'hui jufqu'aux plus bas emplois de la finance, II, 94. Georges d'Hanovre devient roi d'Angleterre : révolutions de plufieurs grands perfonnages, 1, 75.  3«o Table Georges & Ie prince de Galles : leur inimitié eonftanre , II, 95. Gertruidemberg; (conférences de) propofitions humiliantes qu'on y fait a Louis XIV, I , 12. Gibraltar; Albéroni fait manquer aux Efpagnols la feule occa- fion de le recouvrer, I , 197. Gifors , (comte de) tué a Crevelt : regretté , II, 336. Glebow, empalé, &c. II , 233. Gouvernement de France : fait toujours les mêmes fautes ,1,2. Grands, coupables, toujours ménagés en France, II , 319. Grand (le) fignifie a Rome, au pape même, 1'appel des quatre évêques de France , II, 20. Grand duc de Tofcane , & le duc de Holftein-Gotorp deman- dent le titre d'alteffe royale , 1, 25 3. Grand-prieur de Vendöme, amoureux d'une maitreffe de Char- _ les II en Angleterre, 1, 148 , note. Grandeffe, excellence; obfervations de 1'auteur fur ces titres en Efpagne, II, 142. Guerre de 1756 : événement le plus humiliant du rèene de Louis XIV, II, 278. Guerre déclarée a 1'Efpagne, II, x, H. £Fadi>ick va lever des contributions a Berlin, II, 323. Banovre : neutralité propofée par ce pays ; fuites , II, 307. Hanovriens reprennent les armes contre Richelieu , qui repouffe le prince Ferdinand, II, 331. Harlay, ( de) ennemi des jéfuites, comme tous les grands de fon tems-, ami des oratoriens, I, 33. Jiarley, prés de perdre la tête en Angleterre, I, 75. Haftembcck ; viöoire de d'Eftrées, due fur-tout a Chevert & a Bréhan , II, 314. Hautefort a Vienne; Ia reine s'explique plus ouvertement a lui fur un traité d'alliance, II, 280. Haw, amiral, mouille a 1'ifle d'Aix , II, 320. Heinfius, penfionnaire de Hollande, ennemi jaré de la France ; fa mort, II, 97. ffelvétius fauve la vie a Louis XV, II, 112. Holbourne, amiral : tempête qui bat fa flotte, II, 321. Holdernefs approuvoit que 1'amiral Hav defcendit fur les cötes d'Aunis, II, 320. Hollande, fa neutralité dans la guerre de 1756, II , 306. Horn : détails fur cette familie, II, 70 note. Horn (comte de), affaffin, pris & roué , II, 66. Huxelles (d') figne avec difficulté le traité de la Haye, 1, 207. I. Ibagnet , conciërge du Palais-Royal, homme vertueux refpefté du régent, 1, 284. lmpóts : la dureté de leur perception fous Louis XIV ,1,9 exceffifs, mis par M. le duc, II, 115,  DES MATIÊRES. ?gï Infante : paffe en France : fa réception , II, i4ï; renvovée en Efpagne, 209. ■" ' J. Jan nel, arrêté par trop de prudence, II, 217. Janjenifme : Voyez bulle Vnigenitus. Jefus-Chrifl : les noces de Cana ne font pas Ie plus bel endroit 44- * Marie, fceur du czar, fouettée, de fon ordre, par des religieufes; fa mort, II, 233. Marie-Thérefe , fon reffentiment fur la perte de la Siléfie, penfe a le reumr a la France, propofition vague qu'elle fait a Blondel, II, 279; demande un traité défenfif avec la France pour les Pays-Bas, il eft conclu, 297; renonce avec rénugnance a toute alliance avec 1'Angleterre, 307. Marine tombée par la négligence du miniftre Fleurv. confé. . quence , II, 260. 3 Marleborough, belle réponfe que lui fait un foldat Francois ? 5> es f^ards Pour Ies P«fonniers, 7; difgracié, remplace p^ar dOrmond, 13; débarque a Cancale, ravage qu'il  3 84 Table Marquis de Pompadour, dernier de ce nom , arrêté, mis a la Baftille, 1, 293. Marquis d'O & Hautefort, diffuadent au comte de Touloufe de fuivre le fort de fon frère dégradé, 1, 286. Marquife- de 'Mouchy confidente des débauches de la ducheffe de Berri, I, 175. Marquife d'Arpajon mife parmi les dames de la ducheffe de Berri, I, 246. Marfeille, port jouiflant de franchife , II, 96. Martinique (la) vexee par la Varenne & Ricouart, les renvoie en France, I, 232. Maffeï, cardinal & nonce en France, fils d'un trompette, remplace Bentivoglio, II, 95. Maffülon, nommé évêque de Clermont, 1, 246. Maupeou, une des caufes qui prolonge les troubles, &c. II, 309. Mendians, déclaration publiée contre eux, réflexions fur leur profcription, II, 206. Meniicow, garcon patiffier, devient favori & miniftre du czar, II, 228; fait proclamer Catherine impératrice a 1'exclufion du fils d'Alexis , 243 ; foupconné d'avoir empoifonné Catherine I, czarine, 244; fa fille fiancée au jeune czar, fa grande autorité, fa difgrace, fon humiliation , ibid. Meute (le chateau de la) donné a la ducheffe de Berri, I, 1S6. Miniftres de France, leur incapacité, 1, 5; font tout dans la faveur, & vils dans la difgrace , 128 ; vexateurs , abufent toujours impunément du nom du roi, 236; difgraciés , leur maladie , II, 247. Miniftre, quand devient-il très-coupable ? II, 325. Miniftère de M. le duc de Bourbon ou celui de 1'effréné Prie, il remplit d'abord les places vacantes, II, 197; de Fleury, évêque de Frejus, 259. Minorque prife par Richelieu, II, 299. Miiïiffipi, Lav fait porter fon fyftême fur les pretendues richeffes de la Loüifiane, foule d'émigrans qu'on y envoie, II, 73- Moëns ou Mooufen , (Anne de) aimee de Pierre I, czar , Moëns%cXamhcllan, aimé de Catherine I-, eft: viétime de fa galanterie, II, 235. Mongduh fait un bigot du .duc d'Orléans , fils du regent, II, 196 , note. Molière protégé par le roi contre les faux devots, I, 128. Montcalm, heureux d'abord en Canada, II, 30S ; prend le fort Georges , &c. 321. , . Monnoies, leur augmentation ou diminution, operations dan- gereufes, II, 208. Monopole, idéés vagues fur ce mof, réflexions, II, 104; for- tifié par les magiftrats, 216. Montpenfier (mademoifelle de) demandée en mariage, II, 124. Mortemart, premier gentilhomme, II, 255. Moras remplace Machault, II, 309. Montefpan (la) fuccède a la Vallière j I, 133,  BES M A T I È R E S. 3 85 •k < iV^Arc/i, chevalier de la reine future, IT , 19S. Georgesfn'; 5" S'intéreffe P°Ur Dubois auPfès du roi N{7$. *'vêq"e d* Bayeux : fa charité envers Jacq«« n, Niert, premier valet-de-chambre , II, 254 Ntvernois : ( duc de ) fes plainces a Serlin au fujet de 1'alliance Po^adour,^? "» 'Ang'—' ^ crainf deTa (duc de) adminiftrateur des biens de Saint-Cvr *, 210, note; maitre du confeil des finances : portrait aiFerl feit Fauteur, 163; juftice qu',1 refufé aux habftan"e PérYgueux, 234 ; remplace au confeil des finances par d'Areenfon entre a celm de régence, 251; archevêq,leP de: Pads l£ ïnrlL™^1"!*3 P£"e» ?5-Vojet Pourqie faire dégradér a Rome ; il echoue, 97; .1 eft fait cardinal. Troublesau£ cïfe 'CsTnVB'ffi & ^.^-.fon appel au °fu Ur conï ^ 7f / lC°;PS de d°anne ; ,détail de ««« affa.re , tlX m ' °t, mandement PromlS relativement a la bulle' g°nt , 9o ' 875 Ü remeC fon ^ndement au ré-' potles 'con'fédérés contre les princes du fang , I, 21? ^ZSSuït "réfident: * & «rac^ère de ce O. D KSrriÊs que font le roi de Pruffe & Ia reine de Hon^gne, au moment ou les Anglois nous attaquent, II 284 l^mMl^^ d'Anglete"e Pa'L°- *IVa Ordre de la Jarretière offert a Louis XIV, I 4; cfe Saint-Efprit refufé par plufieurs hommes' d'honneur, °fee^ empoifonnée par 1'am- °LouiV xrv V f°uP?onné d'avoir empoifonné les enfans de ÏW^ ' ' 8~; ion e(Pnt' fes moeurs crapuleufes, 20; France 3!"111 ^ qU'°n "£ lni ^ fon Procè* en Ormond' ('duc d') réfugié en France, I, 75. moife(lleUde 2!^m r" Fïnc? fa're la demande de mademoiielle de Montpenfier; fa réception, II, 124. ■^■m^Ê'^T de p,erre l-eft exüé en Sibé"e Oxfort, (comte 'd') prés de perdre la tête en Angleterre, I, 7j. Tome II, Bb  336 Table p. Pairs : quel tribunal doit les juger , ÏI, lol. Paix d'Utrecht : conférences préliminaires, I, 34, note; fignée le 11 avril 1713 , 43 ; fignée le 6 mars a Raftadt par le prince Eugène , Villars, & le 7 fepterrtbre conclue avec 1'Empire a Bade, 45. Paix entre 1'Efpagne & la France , II, 63. Palatinat, brülé, dévafté par ordre de Louvois; indignatioti de Louis XIV contre lui, I, 123. Pape : le régent nomme une commiffion pour avifer au moyen de s'en paffer en France, I, 257. Papiers royaux; leur énorme quantité mauvats expédiens pour les éteindre, II, 208. Paris (les) font produits auprès de M. le duc par la Prie, II, 202. Paris, capitale, haïe de Louis XIV a caufe des troubles de Ia fronde , 1, 130. Parientent affemblé après la fflort du roi pour décider de la régence, I, 153; difpute le pas au régent a la proceffion: conduite du régent, 237; veut qu'on lui rende compte de 1'état des revènus 8c des dépenfes du roi, 238 ; fe roidit contre le régent , mais en vain, 259. Parlement de Rennes appuie celui de Paris contre le régent; états turbulens de Bretagne , 1, 262. Parlement de Paris prend a£te de 1'inftallation d'un garde-desfceaux qui n'avoit pas préfenté fa requête; mauvaife fuite de cette affaire, 1, 286; inquiète de nouveau le régent, II, 26; a confervé la couronne dans la maifon régnante : fervices qu'il a rendus, 28; exilé a Pontoife fous le régent , 81 ; Dubois lui rend le régent favorable : caufe , 87; fe régent projette de le fupprimer : 1'exile a Blois, change, & 1'envoie a Pontoife, 89, rappellé le 16 décembre de Pontoife , 92; fes fortes difculfions avec le miniftère, 309. Parquet. Les princes légitimés ne le traverfent pas comme les princes du fang, 1, 67. * Paffarini apporte la barette a Dubois, II, no. Pavillon d'Hanovre, (a Richelieu) II, 316. Paulmy remplace d'Argenfon, II, 309; c'étoit un homme vil & crapuieux : appellé excrement par le maréchal d'Eftrées, 312; lui 5t Moras , deux hommes ineptes, fe retirent, 335. Pelletier, contróleur-général : fon rapport effrayant fur 1'état des finances , II, 98. Périgueux, voyez, Courfon. Peuple épuifé par les impöts, fous Louis XIV, 1, 9. Phalaris (ducheffe de) feule avec le régent, qui tombe mort entre fes bras , II, 192. Philippe V. Par quelles puiffances il eft d'abord reconnu, 1, 1; maintenu fur le tróne d'Efpagne par les feuls Efpagnols , 15 ; renonce a la couronne de France, comme 1'exigent les Anglois, 35; fes qualués perfonnelles : carattère de fa femme,  des Matières. 3 §7 II, 139; abdique la couronne, & fe retire avec Grimaldo , 206; tableau de 1'état de ce prince, dont 1'efprit étoit égaré; ce morceau eft fuperbe, 269. PhUippiques : leur époque, II, 3. Pierre I, czar, vient en France, fa réception. Journal abrégé de fon féjour. Sa. prédiftion fur le luxe de la France, I, 218; meurt du fruit de fes débauches : prince cruel, &c' II, 218. Pierre II en Ruffie ne règne que trois ans, II, 248. Pierre III, (duc de Holftein) czar en 1762, arrêté par ordre de fa femme, meurt peu de jours après, II, 252. Polignac : fermeté de ce cardinal devant & chez les Hollandois ,1, 34 , note. Pompadour (la) au déclin de fon crédit va fe rendre importante, ii, 2S8; favorife foubife-, méprifée a la cour, fait agréer au roi Richelieu pour général en Hanovre, 310; foutient les intéréts de Marie - Thérèfe auprès du roi, 330; s oppofe a la paix entre Vienne & Berlin : fait exiler Bernis, remplacé par Choifeul, 343-, fa fuffifance : guerre de 1756, fon ouvr-age, 349. Pontchartrain; fa retraite & fa caufe , 1, 70. Pragmatique-fanction de Charles vi, empereur : fon but, II, 207. Premier miniftre : place fupprimée par les confeils de Fleury évêque, & de Mazarin , ii, 259. Préfident de Mefmes, convaincu de trahifon par- fa propre lettre , II, 5 3. r r Prétendant, (,1e ) fauvé du complot de Stairs , 1, 168, Prie : (la marquife de) détails fur cette femme, maitreffe de M. le duc , II „ 178. Prie, (marquis de) parrain du roi, époufé la fille de Pléneuf. II , 179. Prie (la) s'applique la penfion que 1'Angleterre faifoit a Dubois , II, 204. Princes & fils naturels de Louis XIV, légitimés , déclarés habiles a fuccéder a la couronne , 1, 66. Princes légitimés : adtes préparatoires de Louis XIV pour affurer leur fucceffion au tröne, I, 69. Princes du fang exclus du confeil fous Louis XIV, l, 128. Princes & laquais ont 1'ame formée de boue, I, 149'; N. B.' Princes du fang (les) préfentent requête contre les princes- légitimés : autre requête des ducs & pairs contre les mêmes, 1, 195 -, troubles, que caufent leurs démarches contre les légitimés, 214. Prince de Modène (le) époufé mademoifelle de Valois, II, 62. Prifonniers. de la bulle élargis par ordre du régent : leur état horrible, 1, 157. Proteftans en fermentation , inquiètent le regent : il penfe a leur rendre la liberté du culte , 1, 192; perfécutés par M le duc , II , 205. 1 Port-Royal, afyle des plus célèbres partifans du janfénifme ,* ?Lféi°ur des lavans les plus refpeaables , détruit pa les foliicitations du jéfuite le Tellier , 84. Bb ij  388 Table Pofte (fecret de la) violé d'abord par Louvois, I, 130. Pruffe : reffentiment de Marie-Thérèfe contrd le roi, II, 270 Pu'fégur fe met en poffeffion des Pays-Bas ,1,2. Puifieux fe refufé aux avis que lui donne Blondel, II, 279. Puiffances de i'Europe; leur grande agitation , 1, 244. Punitions exemplaires de plufieurs grands perfonnages fous Louis XIV, 1,5. ■ ■-■ Q- > ■ - ' (^uadrv pze alliance, (traité de la) 1,253, -*jeqiixi rrbr': 0} .7 . ilji.fi : . ..:;ci . KV R-é capit viat 1 on des caufes des malheureufes révolutions du règne de Louis XV, principaux auteurs, II, 360^ principaux, inftrumens , 362. Réduclion des rentes , oppofition du parlement au ré sent. II, 72. 5 Régence. (confeil de) établi par le teftament de Louis XIV,. 1, 73 ; n'a pas toujours été donnée au plus proche parent, 74^ projets divers, imaginés en faveur du duc d'Orléans a la mort de Louis XIV, 114; du duc d'Orléans , 144; époque & caufe principale d'une corruption. fans voile, II, 195. Régent, (duc d'Orléans) portrait de ce prince, 1, 144, 148,149 ; fe livroit aux débauches, fur-tout les jours de fête, 149\ annulle les lettres de cachet qui retenoient nombre de prifonniers, 157; peu jaloux de régner , incapable d'un boa gouvernement, fa régence a perdu les moeurs, 183 ; circonftances cruiques oü il fe trouve , 260; indécis fur les démarches hardies du parlement, 266; fon deffouci pour les: affaires, traits relatifs , 282; lui & Law dans fe plus grand embarras , haine publique contre Law, reffources précaires , lï, 74, 78; foupconné d'avoir empoifonné Louis XV, malade en 172,1, mais injuftement, 114; fon aveufur les abus de Law, 99; il étoit efclave de Dubois, fait premier miniftre , meurt fubitement, 193 ; très-fecret, 201. Reine, (la) fes foins pour plaire au roi, II, 254; ne fe mêleplus du gouvernement fous le miniftre Fleury, 263. Reine d'Efpagne, femme de Philippe V, tableau de fon individu , elle eft bien peinte , II, 276. Reine de Pologne, retirée a Blois, I, 117. Religion, (liberté de) réflexions. de 1'auteur a ce fujet, _.tl '91- ,. . Renoncauon de Phihpo? V a la couronne de France, & celles idüfi ducs de Berri ü d'Orléans a la couronne d'Efpagne, formahtés de ces a£res, I, 35. Remontrances (droit de) rendu au parlement par Ie régent.-1, 158. Révolte projettée en France par le duc du Maine, II, 21.  des Matières. 3g9 Richelieu i dupe d'un magicien a Vienne; conféquences .11 26c nomme pour commander en Hanovre; fon retard è Straf' Maraude, 316; de retour a Verfailles; bien recu en afrivanc d Hanovre, 351; fon portrait en bref, ,6, fa la BaftZ avec Saillant ou d'Eftaing , 6 -, mis en liberté5, 23 Riom, amant de la ducheffe de Berri i 17» Rifwick, (paix de) i, 126, ' 3" Rohan Guémenée, archevêque de Rheims, ii ug K°JaZMe &"nCe) °btienr un brevet de retenue, i, 2io„0le Roi de Pruffe, mécontent de la réponfe de Vienne entre en Saxe avec une armée, ii, 302 vienne, entre en Rhoumbourg, fa déférence en Efpagne, ii, 260 me i I6°2^'mVr0gne & débaUché ' «ai» honnête «omj!„'v ','° 'f morgue, ii, 298; fa jalouf.e contrarie le fe France? 300 ' ö *MU»P« a Vernis & I Ruffes entrent dans la Pruffe, ii 223 £ei4VOl,Unr°nV &r" " ' V9! "cède au traité de Verfailles feur,'£j.3 ' C fouveram Psut s> choifir fon fuccef- S, C uneBaffafrefCnmIeffe. de). queftionne en vain le régent fur SZ^deffL0u,VqxvqnU,nel7,I°.he reP°nfe qU'Ü lui ^ Sechelles , arrêté , ii , 214 *Stgittfff,'29(jdUC d£) ambaffad«»-. * retire d'Efpagne en 5niriiR''batWd dU rég£nt' évêqUS de Laon'1' 285 ■ (chevalier du) promotion faite par M. le ducj 'SaU \SlT°n"Z°f **'uEfpagne P°Ur ]e doub,e mariage,SamlJ R ' *Ur homme, 134-, ü défend la Force, ïo,. Samuel Bernard fe rend aux demandcs de Louis xiv i 12 ^ftg d0nnee a Viftor PO"r lui conferver le titrè dé roi, Sartine, fon origine, ii, 128. Savoie ( duc de ) trahit la France , i 2 Saxe (maréchal de) n'a pas encore éu de fucceffeurs ii 200 Saxe plan concerté par Duvernay pour y en re ti m- le prince eleftoral fe déclare cathohque f i 247' ' 3 ' T^ZfeT ItiÜien ' meU" emP°>f°nné , après' Louvois . Sicile, frappée d'inrerdit par la cour de Rome caufe i tvR- au pouvoir de l'empereur, ii, 96 ' ' ' I78> fp$i}£$& dUpe d'Un magiden. fu"<= de cette af^^llf^J COnffitlltion a» ^ concile avec qua-  39©- Table Soubife, heureux par fes fottifes mêmes, II, 363; commande fous les ordres de d'Eftrées en Allemagne, leur fuccès, 309; fait maréenal de France , continue de commander, 228; bat le prince d'Ifembourg; autre fuccès a Lauterbourg , fait maréchal, 336; ordres qu'il avoit en Saxe, Richelieu veut le faire échouer, il eft battu a Rosback , 325. Stairs fait propofer au duc d'Orléans de s'unir d'intérêt avec le roi Georges, I, 167, 182. Stainville (Choifeul) va a Vienne, II, 297. Staremberg remplace Kaunitz en France , & vient avec les mêmes vues d'un traité d'alliance, II, 281; preffe 1'alliance de Verfailles avec Vienne , 287 •, fa première conférence pour le traité de Verfailles en 1756, 291. Stanifias, fugirif, trouve du fecours auprès du duc régent; fa. fille demandée par M. le duc pour reine de France, II, 211. SucceJJion d'Efpagne ; guerre qu'elle occafion a Louis XIV, I, 1. Suede (la) invite les proteftans francois perfécutés, H, 205 ;. fe joint aux ciraemis du roi de Pruffe , 306. Suédois entrent en Poméranie Pruflïenne,. II ,. 3.23 ; tués en grande partie fous Charles XII, ne laiffent que. des v.ieillards & des femmes ; fénat rétabli, 1, 296. Supplice, home réfultante pour. les families;. réflexions de 1'auteur , II, 68. Sur-intendance des poftes rétablie en faveur de Torci , & celle des batimens en faveur du duc d'Antin, I, 203, Syfiémt de Law ; fon difcrédit, II, 6$. t. Taso vR.et (le) accordé aux femmes depuis le chancelier Séguier , obfervations, 1, 254. Tellier, ( le) jéfuite, dit a Louis XIV qu'il eft le maitre de tous les biens du royaume, I, 11; fes odieufes manoeuvres contre Port-Royal & de Noailles, 84; fuccède au père la Chaife, 82; rend fon ame atroce quelques mois avant Quefnel , II , 48. Tencin, (la) fes aventures, II, 30. Tencin, fes intrigues a Rome en faveur de Dubois, II, 105; fa rufe pour être cardinal, 106. Teffé, (maréchal de) premier écuyer de la reine future, II, 199 ; empêche Philippe V d'abdiquer la couronne , 275. Teftament de Louis XIV dépofé au parlement, 1, 73. Tolérance religieufe , I , 137 ; civile, prudence requife. a cet égard, 194» Torci ■ fa réponfe mena$ante a Stairs ambaffadeur d'Angleterre , 1, 76. Touloufe (comte de) déclare fon mariage avec la marquife de Gondrin , II , 199. Traité négocié par le régent avec 1'Angleterre , 1, 183. Traité de 1756, fon plan féduifant rapporté en plein confeil x II, 292; difficultés, 293; ce traité a fout.enu fa faveur juf-  des Matières. 39, nion/a99?taUle ** ' dU chanSemei" dV- ^noiaeUen,CV37!re L°"dreS & Berlin'figné e" 1756 '11 > 2S6i U. ^atufte(r) dC Pa"S obtiént du <éZ™ «ducatioa %(jKS?,if)4r4"plus d'un an ia conciufion de ia V r^^iiiUiduro. convertie en monnoie fous Louis XIV. ^Ê&fi'roÖ, tc^' 11 • 308, détruit les forts Vermandois, (mademoifelle del fille de M lp A»r „„■ ««e de la donner pour époufé "louis XV, I? \T Pr°^ailles fejour tnfte & ruineux pour la FraAce, I, ,',0 VU ars, (maréchal) entre au confeil d'état, II, ,'aa ' 3 Vilhbois Breton , retiré en Ruffie, viole Catherine I lyre, fa punition, fon pardon, &c. ïl, lT 1 ' etant ^A^StèjA'^^ ^ce » ssw1 infpi^ Louis x^ >!i'°z Vl"™™\' d,?v!,nu ,efteur du roi, refufé une abbaye • rare exemple, dit 1'auteur, I, 188. 'c ' rare Voifin, auffi mal adroit miniftre que Chamillart T fi . „ - ÏSSFir? ,^TS„ld™b'd™S"; i?"'= * W. r vak , czar, fous le nom de Jean IV, II, 249. Fin de la Table des matiires.