V I E DE JEAN-BART» CHEF D'ESCADRE SOUS LOUIS XIV.     V I E »E JEA3ST-BART» CHEF D'ESCADRE SOUS LOUIS XIV. A AMSTERDAM, Et fè trouve a Paris, chez les Libraires, qui vendent les nouveautés, M. DCC. LXXXI.   AVER TI SS E MENT. Nous efpéröns que le Public re-' cevra avec accueil eet EfTai fur la Vie de Jèan-Bart. Plufieurs Ecrivains en ont donné quelques extraits ; mais ils ne font pas fuffifans pour faire connoitre ce Grand Homilie. To-ut !e monde pariede Jean-Bart, chacun a u'ne fable a débiter fur fon compte. Si 1'on ramaffoit tout ce qu'on dit de lui, on en feroit 1'homme le plus féroce qui ait jamais para. Nons n'avons adopté que ce qui eft appuyé fur desautorités folides. C'eft a M. 1'Abbé Rive , Bibliothécaire de M. le Duc de la Valiere , que nous fommes redevables de Ia connoiffance des a iij  vj AVER TISSE MENT. fources oü il falloit puïfer. A tint des plus vaftes érudidons que 1'cm connoilfe, ü joint cette complaifance qui caractérife les hommes véritablement favans. Nous ne doutons pas que parliii nos Lec"teurs, il n'y en ait quelques-uns qui blament notre ftyle ; le trouvent trop ferré & trop fee : mais nous avons taché d'écrire auffi rapidemeiit que notre Héros triomphoit. Ecoutons le Conquérant des Gunles , 1aconter fes viótoires. Stant milites nojiri; advenit hofiis: irrïuunt Romani; fit ingens clades; mee juvenibus , nee fenibus, nee mulierïbus pepercere. Ailleurs il dit : veni, vidi 9 vici.  A VE R TISSEME NT. vij Nous prions ceux qui auront quelques notions fur la vie de Jean-Bart, & que nous ayons omifes, de nous les faire paflèr par la voie du Libraire , nous ne manquerons pas d'en faire ufage. Nousfo mmes perfuadés que tout le monde prendra intérêt a la Vie d'un homme qui fait honnenr a Ja Marine Francoife, a la Nation même. Nous avons mis fbn Portrait au commencement de fa Vie, afin de donner une idee de fa figure. II efi: gravé d'après ua original qu'on a bien voulu nous communiquer, & par une main habile. a iy   AVANT-PROPOS, Ou Précis Hiftorique de la Marine de I'ranee. JYous croyons qu'»n Tableau c!e Ia Marine de France , peut fervir d'Avant-Propos a la Vie d'un des plus célebres Marins de cette Nation. Nous y préfenterons, avec Ie plus de rapidité qu'il nous fera poffible ,• les commencemens de eet Art dans notre pays, fon accroiffement & fa perfeftion. La France eft un des Etats le plus avantageufement fitués pour la navigation- Baignée au nord & au couclrant par 1'océan , au midi par. Ia Méditerranée, elle peut portcr fon commerce & fes armes par toute la terre. Ses cötes font garnies d'excellens Ports; de Havres; de Piages a v  s AFA1VT-PR0P0S. commodes ; de rades süres. A cette fituation fe joignent beaucoup d'autres avantages : ce Royaume produit, avec abondance, toutes le chofes néceffaires a la conftruction, a 1'armement, a ^équipement des VaifJèaux. Les Gaulois, que nous pouvons legarder comme nos Ancêtres, cultiverent la Marine; établirent des Colonies dans différentes régions : les noms de Galatie en Aiie, de Galice en Efpagne , de Galles en Angleterre, en font une preuve. Les Hiftoriens Grecs & Latins parient avec éloge de la navigation des Gaulois , principalement des habitans de Marfeille. Lorfque les Romains eurent contjuis cette Contrée, 1'émulation, 1'activité, le courage de ceux qui 1'habifolent s^vanouit : les Gaulois fou-  AF~A NT-PROPOS. X| mis, ne flirent plus ce qu'avoient été les Gaulois libres. Clovis , a la tête des Francois, entra dans les Gaules; s'en empara : toujours occupé a fake de nouvelles conquêtes, il ne fongea. point a la Marine. Ses fucccflèurs partagerent fon Empire entreux; fe rircnt des guerres continuelles : la Marine fut long-temps oubliée dans les Gaules, qui avoient alors pris le non» de France. Les Saxons, les Danois , les Norvégiens, défignés fous le nom de Normands, ne pouvant t^rer leur fiibfiftance des terres arides qu'ils ha-, bitoient, la chercherent dans la pê* che ; parcoururent d'abord les mers qui les environnoient; s'enhardirent; avancerent au-dela. Quelques-tins ofe* rent defcendre fur les cötes qu'ils rencontrerents les pillerent. Le butin avec lequel ils retournerent dans leur pays, excitala cupidité de leurs a vj  xt) AVANT- PRO POS. compatriotes : ces barbares forme* rent des affociations ; équiperent des Vaiffeaux ; fe répandirent de tous cötés; pillerent les marchands; ravagerent toutes les cötes maritirnes-; braverent même la puiffance des Romains. Les guerres civiles qui détruifoient la France fous fes premiers Rois, augmenterent Ia hardielfe de ces barbares : ils y faifbient des ravages continuels. Charlemagne parut : ce Grand Homme, malgré les embarras que lui caufoit la guerre tontre différentes Nations , fut établir une Marine ,• mettre les cötes de fon Empire a 1'abri des invafions & des ravages. II fit nettoyer tous les anciens Ports ; en ouvrit de nouveaux; s'attacha , par des bienfaits, les plus habiles Marins de fon temps; entretint des Vaiffeaux gardcs-cötes, bien équipés & bien armés. Crai-  AVANT-PROPOS. xiij gnant d'être mal fervi par des IV] iniftres infideles ou peu éclairés,. il parcouroit fes Etats, vifitoit fes cötes. Le Moine de Saint-Gal, qui a écrit la vie de Charlemagne, dit que ce Prince étant un jour dans une ville maritirae du Languedoc , appercut, d'une des fenècres de fon Palais, plufieurs Vaiffeaux qui cherchoient a aborder pour mettre du monde a terre. Tous les Courtifans les prirent pour des Vaiffeaux marchands : Charlemagne n'y fut pas trompé. II dit que c'étoient des Corfa;res venus du Nord; qu'ils avoient plus d'armes que de marchandifes. Les chaloupes qu'on envoya a la découverte, vinrent annoncer que c'étoient effeaivement des Corfaires ? mais les mouvemens qu'ils foent faire fur le rivage, leur fit connoitre qu'oa fe tenoit fur fes gardes; que i'Em=  xiv AVANT-PROPOS. pereur étoit la : ils n'oferent def» cendre ; prirent le large. Charlemagne dit, en verfant des larmes : „ S'ils ont la hardieffe de menacer „ ainfi les cötes de France, de mon „ vivant, que ne feront-ils pas après „ ma mort „ 1 Ses fuccefleurs n'eurent ni fon génie, ni fes talens : tout languit, tout fe ruina entre leurs mains : les ouvrages qu'il avoit ébauchés, refterent imparfaits; les projets qu'il avoit formés s'oublierent. On vit alors fortir du Nord des effains de brigands, qui, pour fe venger des obftacles que Charlemagne avoit mis a leurs incurfions, a lenrs ravages , attaquerent la France de tous les cötés. Les uns y entrerent par la Seine & la Loire; les autres allerent chercher le détroit de Gibraltard, remonterent jufqu'a Va^ lencc : ils jettoient par-tput Penxoi,  AVANT-PROPOS. xv la confternation ; n'annoncoient leur rnarche que par Ie feu , le fang tx le carnage. Les Rois, tremblans fur leur tröne, rendoient des ordonnances pour obliger les Peuples a dé* fendre les cötes : perfonne n'obéiffoit. II fallut enfin traiter avec des Ennemis fi redoutables ; fe foumettre aux conditions qu'ils impoferent; leur céder une partie du Royaume pour conferver 1'autre. On les lailfa s'établir dans la Neuftrie, qui, de leur nom, s'appella Normandie. Ces barbares devenus Francois, fe policerent ; mais ils conferverent leur courage; repouflèrent les autres barbares ; mirent les cötes a 1'abri du pillage. Les Capétiens monterent fur le Tröne de France : les guerres civiles qu'ils eurent a foutenir les empêcherent de fonger a la Marine ?  xvj AVANT-PROPOS. eile languit encore pendant plufieurs fiecles. Vers l'an 1095, (bus Philippe I, on forraa 1'étpnnant projet de chaffer les Mahométans de la Paleftine: tout le monde prit les armes; on acjieta des Vaiffeaux \ on prit des Matelots Génois, Vénitiens, Caftillans : il n'y en avoit point alors en France. Les dépenfes énormes qu'on étoit obligé de faire pour avoir de 1'Etranger ce qui manquoit en France , ürent fonger a la Marine. Les démèlés que Philippe Augufte eut avec Richard Coeur-de-Lion , Roi dAngleterre , Tengagerent a établir une Marine réglée. Louis VIII Ia négligea. Louis IX entreprit des expéditions outremer & la ranima. Les fucceflëurs de ce pieux Monarque la négligerent encore. La rivalité qui s'étabiit entre les  AVANT-PHOPOS. xvi* llois de France & d'Angleterre; la haine qu'elle excita entre les deux Nations, allumerent des guerres qui fembloient annoncer la ruine totale d'une des deux Monarchies, plutö' celle de France que celle d'Angleterre. II n'eft pas de notre fujct d'en" trer dans les détails. Les Rois de France & d'Angleterre mettoient fur mer des Flottes confidérables, compofées de Vaifleaux achetés chez PEtranger : on ignoroit encore chez eux Part de Ja Marine. On fe battoit fur mer; on faifoit des prodige8 de valeür ,• mais les Francois , ou moins habilcs , ou moins heureux , avoient fouvent du défavantage. Charles V, dit Ie Sage, ferme au milieu des plus grandes tempêtes, fe roidiffant contre les difficultés ,prouva qu'a" vee du courage & du génie on peut fe mettre au-deffus des revers. Pour  ïviij AVANT-PROPOS. arrèter les efforts des Anglois, il ré» folut d'équiper une Flotte formidable; fit alliance avec le Roi de Caftille, qui lui fournit des VaiÜèaux ; confia le foin de fa Marine a Jean de Vicenne , Seigneur de Couci , auquel il donna la dignité d'Amiral de France. Elle avoit été créée fous Saint Louis. Charles VI, tombé en démence , hors d'état de fe conduire lui-même, ne put ach ever ce qui avoit été commencé pour la Marine. Le Royaume étoit afFoibli par 1'incapacité du Maitre; déchiré par les intrigues & les brigues, les Anglois en avoientconquis une partie : fa ruine fembloit être certaine. II ne dut fa confervation qu'a une longue fuite d'événemens extraordinaires. Une prétendue Pucelle , une épée rouillée trouvée dand un tombeau, firent chan-  AVANT-PROPOS. xbe ger les chofes de face : Charles VII rentra dans fa Capitale : maïs uniquement occupé a s'affermir fur le^ Tröne, il ne put fonger a la Marine. Elle languit encore fous Charles VII & fous Louis XI : mais die fe ranima fous Charles VIII: ce Prince anna fur terre & fur mer° Il voulut révendiquer de préten dus droits fur Ie Royaume de Naples ; fit fortir de fes Ports une F lotte compofce de foixante-dix-fept Vaiffeaux, de dix-huit Gaieres , buit Galeafles, & de neuf autres Batimens : elle étoit commandée par le Duc d'Orléans. Ce Prince fit des conquêres rapides; mais infru&ueufes : il fut obligé dr revenir en France après avoir dépenfé des fommes immenfes, & perdu beaucoup de monde. Louis XII voulut fuivreles projets de Charles VIII contre l'Italie; mit une Flotte for- „  xx AVANT-PROPOS. midable fur la Méditerranée : mali elle ne fut d'aucune utilité, paree qu'il n'y avoit fur cette mer aucun VaiiTeau Ennemi. Henri VIII, Roi d'Angleterre lui déclara la guerre ; fit une defcente en France : Louis XII mit une Flotte fur 1'Océan : il fe livra plufieurs combats entre les deux Nations. L'Hiftoire fait mention d'un' qui eft affez mémorable. Les deux Flottes fe reneontrerent le 10 Aotit 15*3 a la hauteur de Saint-Maché, en Baffe-Bretagne. La* Flotte Angloifë , fofte de quatre-vingt-Vaiffeaux, attaqua cefle de France , qui n'étoit que de vingt. Les Francois fuppléerent au nombre par le courage & 1'adreffe : ils conferverent 1'avantage du vent; allerent a 1'abordage ; briferent , coulerent a fond plus de la moitié des Vaiffeaux enuemis. Primauguet mérite qu'on s'ar-  AVANT-PROPOS xxj rête un inftant a 1'examiner, II étoit Capitaine, Breton de naiffance, montoit la Cordeliere, Vaiflèau conftruit par les ordres de la Reine de France, & fi grand qu'il pouvoit contenïr douze eens Soldats, outre 1'Equipage. II fut attaqué par douze Vaiffeaux Anglois ,• fe défendit avec un courage qui tenoit de Ia fureur ; coula a fonds plufieurs Vaiffeaux Ennemis ; écarta les autres. Un Capitaine Anglois ofa s'en approcher encore; lui jetta quantité de feux d'artifice,- mit le feu a fon Vaiffeau, Primauguet pouvoit fe fauver dans une Chaloupe , comme faifoient la plupart des Officiers & des Soldats: mais eet homme déterminé ne voulut pas furvivre a la perte de fon Batiment ,• ne fongea qu'a vendre cher fa vie, & a oter aux Anglois ïe plailir de jouir de Ia défaite des  xxij AVANT-PROPOS. Francois. Quoique tout en feu, il alla fur le Vaiflèau Amiral des Ennemis ; 1'accrocha •, y communiqué le feu; fauta avec lui l'inftant d'après. Plus de trois mille hommes périrent dans cette aclion, par le fer ., Ie feu & les eaux. La paix fe conclut peu de temps après. Francois I forma auffi des projets fur 1'Italie; fit des préparatifs formidables pour conquérir le Royaume de Naples. On fait de quelles furent les fuites de cette entreprife. H mit fur la Méditerrance une Flotte compofée de plulieurs Vailfeaux des guerre , & de quelques Galeres. Cette Flotte, commandée par Francois Doïia, battit plufieurs fois celle de Char1#«-Quint. Henri II en entretint une alfez confidérable fur la Méditerranée & fur POcéan : il reprit Boulogne, dont les Anglois s'étoient enif  AVANT-PROPOS. Sntiij parés. La Marine de France commencoit a devenir formidable : les Francois trafiquoient en Afiique, en Amérique apprenoient 1'art de naviguer : ils feroient devenus redoutables fur mer,- mais les troubles qui arriverent dans le Royaume vers la fin de fon regne & fous fes fucceffeurs, Charles IX & Henri III, firent encore tomber la Marine dans 1'oubli. On en a une preuve convainquante dans 1'inftruétion fecrette que Philippe II, Roi d'Efpagne, donne a fon nis Philippe III. „ JVe vous ? laiffez Point entamer, lui difoit-il, » fur Ia Navigation des deux Indes: » la füreté de vos Etats, votre pro- * pre réputation en dépcndent. La « France ne doit vous caufer aucun « ombrage : déchirée au dedans, im» puiflante au dehors, elle négligé * entiérement les affaires de la mer;  xxiv AVANT-PROPOS. » mais déficz-vous des Anglois; crai* gnez les rebelles des Pays-Bas. £ Eux feuls ont le defir & le poum voir de vous nuire. Joints eniera*> ble, ils peuvent mettre plus de » cent cinquante Vaivlëaux en mer. « Henri IV , toujours occupé des guerres inteftines de fon Royaume , ne put rétablir la Marine en France; jl en fentoit cependant 1'importance. Ce grand Roi chargea le Préfident Jeannin, qui paffoit auprès des EtatsGénéraux , en qualité d'Ambafladeur extraordinaire , de prendre de juftes éclairciffemens fur la Marine, & d'amener avec lui quelques Officiers qu1 euffent fait des voyages de long cours. On voit dans le Recueil des Négociations de ce fage Ambaffadeur, les mefures qu'il prit pour remplir les intentions de fon Maitre. On voit encore dans les économies Royales H  AVANT-PROPOS. xxv & Politiques de Maximilien de Béthune, Duc de Sülly, que la Marine de France étoit réduitc a un tel degré de foibleffe, que cette Monarchie ne pouvoit marquer fon reffentiment fur les outrages qu'on ofoit lui faire. Le Duc de Sully fe rendit a Calais pour paffer en Angleterre avec des inftruótions fecrettes : il s'embarqua fur le Vaiffeau de M. de Vic, Vice-Amiral, & Gouverneur de cette Place. Deux Flut es Angloifes vinrent au-devant de lui, comme par honneur, & pour le conduire a Londres: mais les Officiers Anglois voulurent , avant de le recevoir , que M. de Vic baiffat fon Pavillon, pour rendre, difoient-ils, a celui de leur Maitrejfe Vhonneur qui étoit du a la Souveraine des Mers. Les circonfiances obligerent 1'Ambaffadeur & le Vice-Amiral de fubir cette loi dure & injufle. b  «vj AVANT-PROPOS. Henri IV fut enfin duns une fi grande difette de Va':fleaux, que le Cardi« ral de Richelieu dit a Louis XIII, fon fils , que le feu Roi fon pere u'en avoit pas un feul a fa difpofition. Cette difette enhardit le Grand Duc Ferdinand a s'attribuer la doinination de la mer Méditerranée: perfonne n'ofoit arrêtèr fes ravages fur les cötes de Languedoc & de Provence. Le Cardinal d'Offat, dit dans une de fes Lettres : n Je fliis d étonné de voir un fi grand R oyaun me que la France, flanqué de deux •m mers , totalement dépour.vu de ti Vaiffeaux, pendant que ces petits t, Princes d'Italie, encore que la plu*> part d'eux n'aient qu'un pouce de v) mer cbacun, ont des Galeres & v des Arfenaux pour leur Marine. » Le Grand Duc Ferdii and rompit une feconje fois avec Hmri IV;  APANT-P110P0S. xxvij fe jetta dans le parti des Elpagnolsi; mais plus par crainte que par inclination. 11 répondit au Marquis cl'Alincourt que Henri IV avoit chargé de lui faire des reproches fur fa conduite a fon égard : » Toute la n faute eft du cöté du Roi votre » Maitre. S'il avoit eu feulement » quarante Galeres au port de Mar■r, feille, je me ferois donné garde. *> d'agir comme j'ai fait. •» Henri IV avoit concu le projet de profiter de la paix que fon courage & fes victoires avoient procurées a la France, pour établir une Marine, & rendre ce Royaume auffi redoutable par mer qu'il Tétoit par terre : mais une main parricide coupa Ie fil de fes jours, arrêta Pexécution de fes vaftes projets; jetta la France dans Ia douleur & Ia confternation. Le Cardinal de Richelieu, ce vafte b Ü  xx-vitj AVANT-PROPOS. génie, parut fous Louis XIII, gagna la conhance , & n'en 6t ufage que pour la gloire de la France. J'ai jpromis au Roi, dit-il dans fon Teftament Politique , d'employer toute mon indufirie & toute l'autorité qu'il m'a pu donner, pour ruiner le Parti Huguenotj rabaiffer l'orgueildes Grands, réduire fes fujets en leur devoir, & relever fon nom dans les Nations Etrangeres. II jetta les fondemens d'une Marine toute nouvelle ; femploya contre la Rochelle , 1'afyle des Proteftans, le refuge de tous les mécontens. L'avantage de fa fituation, la force de fes remparts, les fecours qu'elle attendoit des Anglois, avoient augmenté fon prgueil, au point de le rendre infupportable , a un Miniftre qui avoit pour but principal d'appaifer les troubles du Royaume, & de ruiner le parti des Proteftans.  AVANT-PROPOS. xxix ïl conduifit lui-même le fiege , & , guidé par fon génie feut qui fuppléoit a 1'expérience , il fut déconcerter les projets des Anglois, arrêter leurs effons, & forcer la Roebelle a fe rendre. Ce triomphe lui fit connoitre tout ce que la Marine a d'avantageux, & combien elle étoit néceflaire a Ia France. H fit ralfembler des bois de conftruaion ; batir des magafins ; acheter des Vaiffeaux. Ce tfétoit point alfez pour ce grand Homme de s'occuper a abaiffer Ia Maifon d'Autriche, il vouloit encore que le Roi foir Maitre partageat avec les Anglois 1'Empire dc la incr, m'êrhe qu'il le poffédat tout entier. II fe fit nommer Grand-Maitre Surintendant gcnéral du Coinmcrce & dc la Navigation de France; ce ciui le rijft en état d'exécuter une parb üj  xxx AVANT-P ROPOS. tie des projets qu'il avoit formés. Le premier qui fentit les effets de la puitfance que le Roi venoit de lui mettre en main, fut le Duc d'Epernon■> £ abfolu fous la minorité de Louis Xllf Ce Duc prétendoit, en qualité de Seigneur de la ttrre deCandale, que les dépouiiles des Vaiffeaux que la mer apportoït fur la cote de Medoc lui ap partenoi'ent. Le Cardinal revendiqiia cc droit a 1'occation de deux Carraques Portugaifes, qui reyenoient de Goa , & qui échouerent fur cette cöte en 1627. Le Duc, qui étoit Gouverneur de Guyenne & de Bordeaux, réfilia quelque temps : il fallut enfin qu'il cédat le droit d'Amirauté, qu'il prétendoit lui appartenir, lui fut öté & réuni a la Couronne. On connut alors quel étoit le Cardinal de Richelieu, qui fo'rcoit le plus fier & le plus bouillant de tous les hommes de piier.  AVANT-PROPOS. xhc Le Cardinal de Richelieu écoutoit, avec bonté, toutes les propofitions , tous les projets qui regardoient Ie Commerce , & les examinoit avec attention ; excitoit les prfncipaux Marchands du Royaume a voyager dans les Pays Etrangers, Ö recueillir tout ce que les arts y avoient de curieux. II appelloit a ta Cour les plus habiles Négocians de France & des Pays Etrangers; pafIbit des heures entieres a converfer avec eux. Les prompts fuccès qui fuivirent les entreprifes du Cardinal de Richelieu , lirent connoitre quelle étoit la puilfance de Ia France, & de quoi elle feroit capable , lorfqu'elle feroit wfage de fes forces; lorfqu'elle feroit fortir de fes Ports des Flottes nombreufes, commandées par des OOiciers.,courageux & expérimentés. b iv  «rij AVANT-PROPOS. II étoit réfervé a Louis XIV d'opérer ces merveilles; de faire crain4(e & refpecler les Francois dans toutes les parties du Monde. Ce grand Prince fentant de quelle utilité la Marine étoit pour la France , en fit un des principaux objets de fon attention, & la Marine contribua bcaueoup aux fuccès éclatans qu'il eut pendant le long cours d'un regrie glorieux. Des Ports furent réparés; des Vaiffeaux de guerre furent conftruits de toutes parts; foixante milleMatelots furent enrölés ; des';! compagnies dc Gardes Marines furent établies : le Monarque vifita lui-même fes Ports. La France feule réfifïa aux Armces Navales de 1'Efpagne,. de 1'Anglctcrre , dc la Hollande , ««unies pour l'écrafer; les battit fouvent. Louis XIV cherchoit la gloire de la Nation. Son zele animoit fe*  AVANT-PROPOS. xxxiy fcujets : on vit paföitre une muttitude de Grands Hommes : fes Armées fur terre & fur mer, furent toujours bien commandées : Ia valeur des Soldats fecondoit 1'habileté des Généraux. Tandis qu'on triompboit des Ennemis en Europe, on repouffoit leurs efforts dans les au. tres parties du monde. Les revers que ce Monarque effuya fur Ia fin de fon regne, ne fervirent qu'a le faire paroitre encore' plus grand : il méritera toujours les; eloges & 1'admiration de la poftérité. Sous Ie regne de Louis XV, Ies; Ennemis éternels de Ia France protiterent de qüelques circonfiances imprévues & malheureufes ; attaquerent ce Royaume , qui reftoit tran. quille fur la foi donnée & Ia foi reGue, &, pour comble d'injuflice.?) b y  xxxiv AVANT-PROPOS, exigerent des conditions qu'on ne pouvoit alors leur refufer. Louis XVI leur en fait aujourd'hui rendre compte. Ce Monarque né s'occupe que de Ia gloire & du bonheur de jes Sujets: c'eft un pere tendre qui oublie fes befoins pour re fonger qu'a ceux de fes enlansII partage les foins du Gouvernement avec des Miniltres fages & éclairés; diftribue les récompenfes a propos ; fe fait admirer de tous les Francois , fe rend redoutable a tous fesEnnemis, les force même a lui donEer des éloges..  V I E DE JE AN-BART, CHEF &ESCADRE SOUS LOUIS XIV. Cet homme célebre naquit a Dunkerque en 1650, de parens très-pauvres. Son pere étoit pêcheur : chargé d'une familie nombreufe, il fit apprendre de bonne-heure fon métier a fes deux fils aïnés ; Jean & Gafpard; ilnefongea mêmepas a leur faire apprendre a lire & a écrire. On les défignoit tous deux par leur nom de baptême : Jean étoit fainé; on s'accoutuma a rappeller Jean-Bart, & b vj  5 V1È ces deux noms devinrent , par fuite, un nom propre : on ne connoit encore aujourd'hui ce grand marin que fous le nom de Jean-Bart, Quelqucs Ecrivains ont aifuré queJean-Bart étoit né a Hambourg; qu'il. y commit une aftion qui le mtt dans le cas de s'enfuir en Hollande. C'eft une calomnie hors de toute vraifemblance. i°. La Ville de Dunkerque fe glorifie de lui avoir donné la naiffance* a°. Lc Chevalier de Forbin, qui étoit jaloux de fon mérite & de fa réputation, n'auroit pas manqué de faire connoitre qug fa jeuneffe étoit tachée. Jean-Bart avoit 1'ame élevée , il rougit de fe voir réduit a l'état de pêcheur ,• réfolut d'en fortir, alla en Hollande, fe mit mouffe. Une adtivité incroyable, fecondée par un cou■ rage a toute épreuve , une force de corps extraordinaire, le firent admi»  BE JEAN-BART. , rer de tous ceux qui alloient en mer avec lui. 11 fervit fous le fameux Ruiter } devint bientöt un excellent homme de mer. Les Hollandois , enivrés de leurs. fuccès, oferent infulter leurs voifins,. firent frapper plufieurs médailles injurieufes aux tètes couronnées. Une répréfentoit la Hollande appuyée fur des trophées , avec une ihfcription qui annoncoit quVle avoit rétabli plufieurs Rois fur ';eur trone, nettoyé les mers, alfuré le repos de 1'Ëurope par la force de fes armes. Ces Républicains avoient fait repréfenter le Roi d'Angleterre, comme ün Prince fainéant & voluptueux : ils fe vantoient d'avoir arrêté le Roi; de France dans fes conquêtes , &. firent encore frapper une médaille,, fur laquelle on voyoit Jofué Bensingue} un de leurs Miniftres, ayaiït  4 VIE un foleil au-deffus de fa tete , & pour devife ces mots : Confpeclu mto Jletit fol. Ils vouloient exprimer paria , que la Hollande avoit arrêté la courfe de Louis XIV , dont la devife étoit le foleil. Les Hollandois marquoient enfin la plus grande ingratitude a la France, qui les avoit toujours protégés, leur avoit même fourni les moyens de fecouer le joug de 1'Efpagne. Ils faifoient tous leurs efforts pour armer TEurope contre cette Puiffance. Louis XIV,trop fier pour ne pas réprimer leur ïnfolence, fit publier lc 16 Avril 1671, un Manifefte, par lequel il leur déclaroit la guerre, & en expliquoit les raifons. Le Roi d'Angleterre , que les Hollandois avoient infulté, joignit fes forces a celles du Roi de France. On fit des préparatifs de part & _d'autre.  DE JEAN-BART. 5 Les Hollandois , voyant qu'ils alloientavoir a corabattre les deux Puiffiinces les plus formidables de 1'Europe, chercherent a raflèmbler tous ceux qui avoient marqué du talent pour la marine. Ils offrirent de 1'emploi a Jean-Bart. II n'avoit alors que vingt-un ans & quelques mois; il ne s'étoit jamais trouvé a portée de recevoir de ces préceptes néceffaires au commun des hommes, pour les guider dans leur conduite ; n'avoit étudié que la marine, ne favoit que la marine. Le génie & Ie jugement lui indiquerent ce qu'il de voit faire dans cette conjonéture. (1) II refufa les offres qu'on lui faifoit, ne voulut pas fe couvrir de la honte attachée a tous ceux qui portent les armes contre leur Roi & leur Patrie, (O Hilt. de Dunkerque, leconde partie.  t VIE s'enfuït, retourna a Dunkerque. II fe mit fur un vaiffeau Corfaire, montra tant de valeur quM fe tit remarquer. Ce corfaire ne fortoit jamais de Dunkerque , qu'il ne fit des prifes eonfidérables. Les Officiers & les Matelots convenoient que c'ctoit a lui qu'ils étoient en partie redevables de leurs fuccès ; qu'il les excitoit tous par fon exemple. Son nom n'étoit enclore connu que1 dans le port de Dunkerque. Sa réputation ne s'étendoit pas au-dela : bientöt elle fit un bruit qui fe répandit jufqu'a la Cour. En 1675 , il vit que fes prifes lui avoient procuré une fomme affez confidérable; réfolut d'employer fes talens pour lui-mêmej équipa a fes frais une Galiotte, la monta de deux pieces de canons, de: trente-fix hommes; alla en courfe^ xencontra devant le Texel une Fré^  DE JEAN-BART: 7 gate de dix-huit canons, defoixantc. cinq hommes. 11 eut la hardieffe de i'attaquer; monta a 1'abordage ; s'en rendit maitre , 1'amena a Dunkerque, fit d'autres prifes qui le mirent en état de s'affocier avec plufieurs Armateurs de ce Port (i). Ils armerent une -Frégate de dix pieces de canon. Jean-Bart la monta. A peine étoit-il forti du port de Dunkerque, qu'il en rencontra une Hollandoife de douze pieces de canon, nommée 1'Efpérance, 1'attaqua, la prit après uncombat de quelques heures; alla enfuite croifer dans la mer Baltique; tomba fur une flotte marchande, compofée d'un nombre confidérable de vaiffaux, efcortée par deux Frégates, Tune de douze pieces de canon , 1'autre de dix-huit. II aborda celle-ci; la prit i (O Mémoires Chronologiques èu ternes,  8 VIE nvit 1'autre en fuite; détruifit une partie de la flotte ; s'empara de 1'autre. Ces exploits encouragerent les Armateurs qui s'étoient aflbciés avec lui; ils firent conftruire cinq Frégates. Jean-Bart en monta une qui fe nommoit la Palme , de dix-huit canons. Etant Chef de cette petite Efcadre , il fit mettre a la voile le 23 Mars 1676, rencontra un Vaiffeau Hollandois, de dix pieces de canon , s'en empara, 1'envoya a Dunkerque. Cette prife fut eftimée cinquar.te mille écus. Quelques jours après, il rencontra huit vaiffeaux marchands qui venoient de Londres, étoient chargés de diverfes marchandifes, efcortés par trois Vaiffeaux de Guen e, Fun de Zélande, monté de dix-huit canons, les deux autres d'Oftende, montés de vingt-quatre & de vingthuit. Si-töt qu'il les appercut, il donna  DE JEAN-BART. $ ordre a une de fes Frégates d'attaquer les vaiffeaux raarchands ; s'élanca fur les trois qui les efcortoient. II monta d'abord a 1'abordage du Vaiffeau Zélandois, abattit le Capitaine a fes pieds, forca l'Equipage effrayé de fe rendre , fe hata d'avancer contre le Vaiffeau Oflendois de vingt-buit pieces de canon ; mais celui-ci prit la fuite, 1'autre qui étoit de vingt-quatre, fuivit fon exemple. Jean-Bart conduifit les buit vaiffeaux marchands a Dunkerque, avec le Vaiffeau Zélandois qu'il avoit pris a 1'abordage. II y avoit laiife le corps du Capitaine qui étoit tombé fous fes coups. Le Lieutenant lefit embaumer ; le reporta en Hollande. Cette vicloire fit beaucoup d'honneur a Jean-Bart: les trois Capitaines ennemis étoient regardés comme de très-braves Officiers.  ïo VIE (0 Jean-Bart arrivoit toujours & Dunkerque avec des prifes confidérables, après avoir mis en fuite les Vaiffeaux d'efcorte & s"en ètre rendtt naaitre. Au mois de Mai 1677, il rencontra feize Vaiffeaux marchands, richement chargés, qui alloient de Hollan.le en Angleterre, étoient efcortés par une Frégate de vingt-~ quatre pieces de canon. II attaqua eette Frégate avec fon intrépidité ordinaire : celui qui la commandoit étoit courageux, il oppofh une réfiftance opiniatre. Gette réfifïance exeitoit le courage de Jean-Bart : il animoit fes Matelots par fon exen^ ple : enfin, après un combat de trois heures, il fc rendit maitre de Ia Frégate Hoilandoife , prit les Vaiffeaux £0. Memoires Cbronologiques.  DE JEAN-BART. n marchands les araena a Dunkerque. Trop vif & trop bouillant pour refter dans Pinacnon, il fe remit en courfe au mois de Septembre de la même année, avec la même Frégate, qu'il avoit fait radouber en rencontra une, nommée le Neptune de trente-fix canons , avec un équipage affez confidérable : elle efcortoit plufieurs Vaiffeaux marchands. L'intrépide JeanBart ne balanca pas a Pattaquer, alla a 1'abordage, renverfa fous fes coups tous ceux qu'il rencontra, jetta Pépouvante dans le Vaiffeau ennemi, s'en rendit maitre, enleva les Vaiffeaux marchands, les conduifit en France , avec Ia Frégate ennemi«. Louis XIV, informé des belles aetions de ce redoutable Marin, lui envoya une médaille & une chaine •d'or. Le Vaiffeau, Ia Palme, qu'il avoit  * VIE coutume de monter; avec lequel il s'-étoit tant de ibis precipké au milieu des hafards, fe trouvant hors d'ctat dc feryiï , par la multitude des coups de canon qu'il avoit recus, il en prit un autre , nommé le Dauphin , de quatorze pieces de canon. Au mois de Mars 1678 , il rencontra un Vaiffeau Hollandois, nommé le Sehedain , de trente-deux pieces de canon, qui fervoit de garde-cöte devant le Texel. Ce Vaiffeau , fe fiant fur fes forces, alla a lui, lacha fa bordée, crut qu'il allcit enlever le Dauphin , fe repaiffoit déja de la gloire d'avoïr pris le redoutable JeanBart. La fupériorité du nombre des canons, des hommes, ne jette point la crainte dans 1'ame d'un guerrier qui eft incapable d'en fentir. JeanBart ordonne qu'on monte a 1'abordage; commande & combat H re-  DE JEAN.B ART x, coit plufieurs bleffures, renverfe ceux qui lui réfiöent; s'élance fur Ie Commandant du Vaiflèau ennemi ; 1'abat, s'empare de fon batiment. L'Angleterre s'éroit, depuis plufieurs années, détachéedela France, pour s'unir contr'elle a la Hollande & a 1'Efpagne : par cette réunion, la mer fut couverte d'un plus grand nombre de Vaiffeaux ennemis , & Jean-Bart trouva plus fouvent occafion de combattre, de remporter des vidoires, de faire des prifes II coula bas, fitéchouer, brüla, amena au port de Dunkerque un nombre incroyable de Vaiffeaux : les Regiftres de la Marine en font remplis. (0 La paix étant fignée avec toutes les Puiffances, vers Ia fin de 1678 , le Roi, quf avoit fouvent en* CO Mémoires Chronologies.  tendu vanter le grand courage & la grande capacité de Jean Bart, voulut 1'avoir a lbn fervice, tui donna le commandement d'une Frégate de quatorze canons, avec ordre d'aller croifer contre les Saletins. U prit un Corfaire de cette Nation, monté de feize canons & de quarante hommes d'Equipage ; 1'amena a Toulon (i). Monüeur de Vauban avoit fouvent «ntendu parler de Jean-Bart ■ il concut une haute idéé de ce Mann j vanta fon mérite a Louis XIV, qui le fit Lieutenant de Vaiflèau. L'Efpagne avant refufé de ceder la France les équivalens pour les Places qu'elle lui avoit rendues a la paix, Louis XIV réfolut de fe faire fuftice par lui-même ; fit entrer des troupes fur les terres d'Efpagne^ y _— —-—- (I) llilt. de Dunkerque,  DE JEAN-BART. 15 prit plufieurs Places. L'Efpagne^ malgré la foibleiïe oü elle Te trouvoit alors, déciara la guerre a la France, en 1683. Elle efpéroit que toutes les autres Puiffances de 1'Europe fe réuniroient a elle, pour arrêter les projets ambitieux qu'on attribuoit & Louis XIV. Elle fe trompa : la Hol. lande refufa de fe prêter aux follicitations du Prince d'Orange; Charles II, Roi d'Angleterre, ne vouloit point rompre avec Ia France ; 1'Empereur étoit occupé contre les Turcs. Louis XIV tourna toutes fes forces de ter re & de mer contre les Efpagnols. Jean-Bart eut le commandement d-'une Frégate, avec ordre de croifer dans la Méditerranée. II rencontra un Vaiffeau de guerre Efpagnol, dans Iequel il y avoit trois eens & cinquante foldats Efpagnols; 1'attaqua; le prit; Ie conduifit C  a'6 V 7 E ii Breft. Peu de temps après, il s1embarqua avec le fieur d'Amblimont, fur le Vaiffeau le Modéré, faifant partie de la Flotte qui devoit aller atfaquer celle des Efpagnols, aux environs de Cadix. Les deux armées navalesfe rencontrerent, fe livrerent un combat furieux. Jean-Bart y fit des prodiges de valeur; prit deux vaiffeaux de guerre Efpagnols, quoiqu'il eüt été blefle a la cuiffe. (i) En 1689, il monta une Frégate de vingtquatre pieces de canon , partit de Dunkerque avec le Cbevalier de Forbin, qui en montok une de fei'ze. lis avoient recu ordre d'efcorter plufieurs Vaiffeaux marchands, chargés pour le compte du Roi, & qui alloient a Breft. Pendant le trajet , ils rencontrerent un Corfaire Hol- (O Mémoires du Chevalicr de Forbin.  DE JEAN-BART. J? landois de quatorze pieces de canon; lui donnerent la chafiej Ie joignirent; monterent a 1'abordage. Le Corfaire fe battit en défefpéré • ne fe rendit qu'après avoir perdu Ia PIUS grande partie de fon équipage. JeanBart & Ie Chevalier de Forbin le conduifirent a Breft avec les vaiffeaux qu'ils efcortoient. Us recurent ordre d'aller au Havre, pour efcorter vingt autres Vaiffeaux marchands qui étoient prêts a partir \ au milieu de Ia Manche, par le travers des Cafquettes, ils rencontrerent deux Vaiffeaux de guerre Anglois, de cinquante pieces de canon. Le Prince d'Orange, qui étoit monté depuis peu fur Ie Tröne dAngleterre, avoit engagé cette Puiffance a fe déclarer contre Louis XIV. A force de voiles, les deux Vaiffeaux Anglois arriverent fur Ia Flotte c ij  x$ VIE Francoife. Le Chevalier de Forbin confeilla a Jean-Bart de prendre le ïarge. Jean-Bart lui dit qu'il ne fe couvriroit jamais de la honte d'avoir fui devant 1'Ennemi. 11 commandoit la. Flotte, il fallut obéir. Jean-Bart §z Forbin armerent trois des plus forts Vaiffeaux marchands; prirent des Matelots dans les autres i leur donnerent ordre d'attaquer un des deux Vaiffeaux ennemis, afin de roe* cuper pendant qu'ils combattroient contre 1'autre. Jean-Bart dit au Chevalier de le feconder ; alla a pleines Voiles fur un des Vaiffeaux Anglois; mais le vent devint calme a 1'inftant, lui fit faire un faux abordage . fon -beaupré s'embarraffa dans les haubans du. Vaiffeau ennemi. Le Chevalier de Forbin vint promptement a fon fecours: Jean-Bart fe dégagea j ils attaquerent 1'Ennemi avec  DE JEAN-BART. in Jnt de fureur, qu'ils {e forcerent dabandönner fon pont&le gaillard; ils le voyoient au moment de s'en rendre maitres : mais le fecond Vaiffeau Anglois vint a fon fecours. Les trojs Vaiffeaux marchands, au lieu de luihvrercombat,comme on en étoit convenu, lacherent prife Ce Vaif feau attaqua les deux Frégates Francoiles, a Ia petite portée du fufii, ce qui fit changer 1'ordre du combat, qm devint alors terrible. JeanBart & te Chevalier de Forbin fe batt.rent comme deux lions cn f* re«f, pour donner Ie temps aux Vaiffeaux-marchands de fuir. Enfin la plus grande partie de I'Equipagè des Frégates Francoifes périt j L deux Capitaines furent bleffés; leurs Vaiffeaux rafés de 1'avant a 1'arriere • ils fe rendirent,nep0uvant plus fe defendre. La vidoire coüta cher aux C iij  *o VTE. Anglois : ils perdirent une quantité prodigieufe de Matelots & d'Ofliciers , du nombre defquels fut le Capitaine. Le Contre-Maïtre prit le commandement des deux Vaiffeaux, conduifit Jean-Bart & le Chevalier de Forbin a Plimouth , avec leurs Frégates; traita les prifonniers fort dürement. II étoit faché de voir que leur courage & leur opiniatreté lui avoient coüté. très-cher , & facilité , aux Batimens marchands le moyen de s'enfuir a la Rochelle. On dépouilla le Chevalier de Forbin, & on laiffa Jean-Bart avec fes habits, paree qu'il parloit Anglois. Le Gouverneur de Plimouth donna d'abord des marqués de confidération a ces deux Officiers ; les fit manger avec lui ; les traita même magnifiquement-. mais. il ne fit pas rendre les habits au Chevalier de Forbin. Le repas étant  DE JEAN-BART. ar achevé, il les fit conduire dans une petite auberge, oü on les enferma dans une charabre dont les fenêtres étoient grillées : on mit en outre des gardes a la porte. On crut qu'on ne pouvoit affez prendre de précautions pour retenir en prifon un homilie auffi entreprenant que Jean-Bart. Une pareille fituation ne pouvoit manquer d'impatienter deux hommes tels que Jean-Bart & Forbin : ils s'occupoient fans cefle a chercher les moyens de fortir de captivité. Le hafard les leur procura : un Matelot Oftendois, parent de Jean-Bart r conduifoit un petit Batiment de fa Nation : il fut tellement battu par la tempête", qu'il fe trouva obligé de relacher a Plimouth pour ferefaire (i). II apprit que Jean-Bart y étoit de- (i) ld. ibid. C iv  as VIE terra prifonnier demanda & obtint la permiflïon de 1'aller voir. Forbin & Jean-Bart lui communiquerent le projet qu'ils avoient formé de s'évader; lui offrirent douze eens livres, s'il vouloitleur prêter du fecours: cette fomme le tenta; il leur apporta une lime pour limer un2 des grilles de leurs fenêtres. lis mirent dans leur complot un Cbirurgien qui panfort leurs bleffures : il étoit Francois , avoit été pris fur un Vaiffeau de cette Nation , defiroit beaucoup de s»en retourner en France. Deux Mouffes chargés d'avoir fdin d'eux , furent gagnés par leurs promeffes; les fervirent avec zele. Au bout 'd'onze jours, les Mouffes dirent aux prifonniers qu'ils pouvoient partir ; qu'ayant trouvé -un batelier ivre, étendu dans fon canot , ils 1'avoient tranfporté . dans un autre , & conduit le fien  DE JEAN-BART. a% dans un endroit écarté du port; qu'ils pourroient s'y embarquer pendant la nuit, fans être appercus. Ils prierent le Chirurgien de dire au Matelot Oftendois de porter du pain , de la bierre, du Fromage , une bouflble , un compas, une carte marine dans le canot que les Mouffes avoient mis a 1'écart; de tenir Ie tout prêt pour minuit. Les deux prifónniers fe haterent de limer Ia grille d'une de leurs fenêtres, & fi-töt que le Matelot Oftendois eut jetté une pierre par cette fenêtre, comme ils en étoient convenus, ils attacherent leurs draps aux débris de la grille; defcendirent; trouverent le Matelot qui les attendoit,- fe rendirent promptement au canot, avec Ie Chirurgien & les deux Mouffes. Le Chevalier de Forbin ; qui n'étoit pas encore guéri de fes  24 V 1 E bleffures, fe chargea du gouvernaiL Jean-Bart prit le grand aviron; un des Mouffes prit le petit. En traverfant la rade, ils rencontrerent plufieurs Vaiffeaux Anglois qui croifoient, On cria : Ou va le canot. Jean-Bart, qui, comme nous 1'avonsdk, favoit VAnglois , répondit : Pêcheur. Un brouiliard fort épais ,qui s'étoit élevé pendant la nuk, favorifa leur fuite. lis mirent deux jours & demi a traverfcr la manche, Jean-Bart étoit jeune & vigoureux; il rama pendant tout ce terops avec un courage qui ctonna le Chevalier de Forbin : il ne difcontinuoit que pour manger ; ce qu'il faifoit même avec beaucoup de précipitation. Ils arriverent enfin fur les cötes de Bretagne, après avoir fait foixante-quatre lieues; aborderent pres d'un village nommé Harqui, a lix lieues de Saint-Malo. Ils y trou-  DE JEAN-BART. a5 Verent une brigade de fix hommes', chargés d'arrèter les Religionnaires qui pafïöient en Angleterre. Un de ces foldats reconnut le Chevalier de Forbin; alia a lui; le falua; lui dit que le bruit s'étoit répandu qu'ils étoient morts Jean-Bart & lui. Hs allerent a Saint - Malo, trouverent plufieurs marchands qui leur offrirent de 1'argent. Le Chevalier de Forbin fe rendit a la Cour : Jean-Bart, qui n'y avoit aucun appui, ne voulut pas y aller: il craignoit qu'on ne leur reprochftt de s'êtremal défendus: mais la renommee les y avoit devancés. Ceux qui formoient 1'Equipage des Vaiffeaux. Marchands avoient fait connoitre la valeur de Forbin & de Jean-Bart; aflurés que c'étoit a elle feule qu'ils' «toient redevables de leur conferva» üon f & que ces deux braves- Officier* Cvj  »* ris s'étoient facrifiés pour les fauver. LC Chevalier de Forbin inftruit des. fentimens du Roi a leur égard, alla cbez JVI. Seignelai, Miniftre de la Marine. Ce Seigneur le recut avec beaucoup d'accueil; le préfenta au Roi, qui lui marqua des bontés; lui demanda les détails de fon aventurevlui donna quatre cents écus de gratification. Le Chevalier de Forbin affure qu'il dit au Roi que JeanBart avoit partagé les dangers avec lui; que la valeur étoit a toute épreuve ; enfin qu'il étoit digue des attentions & des bontés de Sa Majefté. Le Monarque fut bon gré au Chevalier de Forbin de rendre juftice a Jean-Bart & dit a M. de Louvois, qui étoit abrs auprès de lui : Le Chevalier di Forbin fait une aclion qui ti'a guere d'exemple a ma Cour; il le fit Capitaine .de Vaiffeau; donna le mê-  DE JEAN-BART. s? me grade a Jean-Bart; lui envoya la mêrae gratification. Cette action mériteroit effectivement de grands éloges fi on pouvoit en croire le Chevalier de Forbin ; mais il eft fufpecb lorfqu'il parle de lui, comme on le verra dans la fuite. En 1690, le Roi fit faire un armement confidérable a Breit ; en donna le commandement au Comte de Tourville, qu'il fit Vice-Amiral. Jean-Bart , qui étoit alors a Dunkerque , eut ordre de monter 1'Alcion , de quarante canons, & de deux cens-vingt-hommes d'Equipage; d'aller joindre Ia Flotte de Breit; elle fe trouva compofée de foixantedix-huit Vaiffeaux de guerre & de vingt-un Brülots. Elle mit a Ia voile le 23 Juin 1690 ; entra dans Ia Manche Ie 29, rangea les cötes d'Angleterre. Le 4 Juillet, le Comte d&  S8 VIE ïourville chercha quelqu'un qui fut aflez hardi, & en mème temps aflèz adroit pour aller reconnoitre 1'ennemi. Jean-Bart fe préfenta ; fe mit dans une petite chaloupe avec des filets , avanca pendant la nuit vers les Ennemis. On cria : Qai vive! il répondit en Anglois : Eêcheur. On le laiffa tranquille ; il examina avec attention la poütion des Ennemis, revint en rendre compte a M. de Tourville. Leur armée n'étoit compofce que de cinquante-fept Vaiffeaux de guerre, de trente petits Batimens , tant Frégates que Brülots. Elle étoit au vent, rangée fur une jnême ligne ; les Vaiffeaux n'étant éloigués que d'un demi-cable les uns ocs autres. Les Hollandois avoient 1'avantgarde ; 1'Amiral Rouge d'Angleterre feifoit le corps de bataille; 1'Amiral Bleu de la mème Nation, faifoit. 1'ar-  DE JEAN-BART. *. nere-garde. Tous leurs Vaiffeaux étoient plus forts que ceux de France : il y en avoit plus de douze de cent pieces de canon ; les autres étoient a proportion. Au vent de cette Bgne étoient leurs Brülots & les autres Batimens. En conféquence de ce renfeignement, M. le Comte de Tourville fe prépara au combat; rangea fon armée en ordre de bataillealla aux Ennemis ; ïes attaqua fur les neuf beures du matin. Pendant ce combat, qui dura une partie de la journée , les Hollandois montrerent beaucoup plus de courage que les Anglois. Six de leurs gros Vaiffeaux furent dématés & criblcs • ils en firent échouer plufieurs autres, que les Francois brülerent: leur perte monta enfin a quinze Vaiffeaux \ les deux tiers de leurs Equipages furent tués ©u mis hors de combat. Du cöté des  Francois, il n'y eut que quatre eens hommes de tués, & environ cinq eens de bleffés. Après le combat, les deux flottes alliées fe retirerent dans la Tamife pour fe radouber. Les Etats de Hollande , inftruits de la défaite de leur marine , armerent promptement quatorze gros vaiffeaux vies firent paffer dans la Tamife pour yjoindreles autres. L'Armée Francoife regagna les cötes de France : on débarqua les bleffés & les malades a Honfleur & au Havre. Pendant que M. de Tourville faifoit réparer fes vaiffeaux, Jean-Bart fit promptement radouber le fien, qui n'avoit été que fort légérement endommagé, quoiqu'ilfe fütbattulongtemps avec un courage qui effrayoit les ennemis, excitoït le courage de ceux qui étoient avec lui. 11 alla croi;  DE JEAN-BART. 5.i fer fur les cótes de Hollande; détruifit la pêche des Hollandois , coula bas prefque tous leurs vaiffeaux pêcheurs. Les Etats de Hollande fe plaignirent beaucoup : mais leurs plaintes faifoient Péloge de Jean Bart. Ce ne fut pas affez pour lui d'avoir fait fentir les effets de fon a&ivité a une partie des ennemis de fa nation, il voulut encore montrer fon courage a une autre. En revenant a Dunkerque , il rencontra deux Vaiffeaux Anglois qui tranfportoient en Angleterre quatre eens cinquante foldats Danois; les attaqua fur le champ; les enleva prefqu'aufïi-tót ,• les emmena avec lui. II alla enfuite a Breft joindre la Flotte : on le détacha avec quatre autres Vaiffeaux de guerre, deuxBrüIots commandés par le Marquis dAmfreville, pour aller en Irlande appuyer ceux qui tenoient le  32 VIE parti du Roi Jacques. Pendant ce temps le Comte de Tourville fit une .defcente en Angleterre, du cöté de Torbay; brüla douze Vaiffeaux ennemis qui étoient dans la baie de Tingmouth ; retourna a Breft vers le milieu du mois d'Aoüt 1690. Le Roi avoit fait cbarger a Hambourg deux Vaiffeaux de poudre , de cuivre, de plomb, d'armes, &c. Ils étoient reftés a 1'Elbe , oü on les radouboit. On eut peur que les Hollandois n'en fuffent informés & ne s'en emparaffent ; on cbercha quelqu'un qui fut capable de les efcorter & de les défendre : Jean Bart fut nommé pour cette expédition. II partit fur le champ; fe rendit a Hambourg ,• apprit que les deux Vaiffeaux n'étoient pas encore prêts. Trop actif pour refter dans l'inaftion, il alla croifer fur ces cdtes 4 ranconna  DE JEAN-BART. 35 pour quarante-cinq mille écus de Ba~ timens qui revenoient de la pêche de la Baleine; retourna a Dunkerque avec ces rancons & les deux Navires charges de marchandifes; brava plufieurs Vaiffeaux de guerre Hollandois que les Ennemis avoient envoyés fur fon paffage pour 1'arrèter». Louis XIV, inftruit que les Ennemis faifoient tous leurs efforts pour réparer la perte qu'ils avoient effuyée dans la Manche 1'année précédente,. envoya ordre a M. le Comte de Tourville de faire tous les préparatifs qu'il croiroit néceffaires pour leur réfifter. Le Comte fe rendit a Brefï; fit la revue de la Flotte, de fes Equipages ; fe tint prêt a partir. JeanBart fut chargé de commander Ie Vaiffeau VEntendu, dans TEfcadre Bleue : il étoit de foixante-fix pieces de canon & de quatre eens hom-  34. VIE mes d'Equipage : mais il ne fe paffa Tien de remarquable cette année entre la Flotte des Ennemis & celle de France. Jean-Bart fe retira a Dunkerque pour attendre les ordres du Roi. Les Hollandois & les Anglois bloquerent ce port de maniere qu'ils empêchoient tous les gros Vaiffeaux ; d'y entrer & d'en fortir. Jean-Bart» impatient de fe voir ainfi enfermé, réfolut de tout tenter pour fortir de : cette infupportable oifiveté. 11'fit: propofer a M. de Pontchartrain ,j alors Miniftre de la Marine, & fuc- ■ cefleur de M. de Seignelai, mort; depuis peu, d'armer une Efcadre de: petits Vaiffeaux ; affura ce Minif- ■ tre qu'il pafleroit avec cette Efcadre': par les intervalles des Vaiffeaux ennemis ; qu'il gagneroit la pleine-mer iroit interrompre le commerce que: les Anglois & les Hollandois faifoient!  DE JEAN-BART. ^ avec trop de trariquillité dans le Nord. M. de Pontchartrain goüta d'abord ion projet; lui manda de faire Parmement qu'il propofoit,- lui fit tenir 1'argent qui pouvoit lui être nécef. faire (i). La Cour a toujours été remphe d'envieux : il S'y en trouva alors qui virent avec dépit qu'un homme d une naifiance obfeure fixoit fattention duMiniftre; étoit chargé d'une expédition de la plu* grande importance. Ils dirent que le projet de Jean-Bart étoit impraticable; qu'a «gageoit le Roi a faire des dépen. fes inutiles. Le Miniftre les crut trop facdement; écrivit d'une maniere un peu dure a Jean-Bart Jui ordonna de difcontinuer Parmement. Un homme d'un caraftere moins Ferme feroit refté accabléfous lecoup <0 ld. Ibid. Mémoires du temps,  £5 VIE que 1'envie lui portoit; mais Jean-Bait fit une réponfe concertée avec le Chevalier de Forbin, manda auMiniftre que fon projet étoit fi bien combine, qu'il ne doutoit pas de la réufiite 5 lui préfenta les moyens qu'il employeroit pour y parvenir,- fe chargea de tous les événemens, affura que les intéréts du Roi demandoient qu'on le laifiat continuer. M. de Pontchartrain céda a fes raifons ; lui répondit d'une maniere obligeante; 1'engagea è continuer. L'armement étant achevé, ils mirent a la voile pendant la nuit. Jean-Bart, qui étoit a la tête de 1'efcadre, dit aux autres Capitaines de le fuivre & de 1'imiter. II paffa par un des intervalles qui étoient entre les Vaiffeaux ennemis; lachafes deux boroees de canon : les autres 1'imiterent. Jean-Bart étoit en pleine-mer, & les Ennemis dans leur furprife.  DE JEAN-BART. 37 n'avoient pas encore fongé a 1'attaquer. Au point du jour il fe trouva •hors de leur vue. Vers le foir il appercüt quatre Vaiffeaux qui faifoient Ia même route que lui. II crut d'abord qu'ils avoient été détachés de ceux qui faifoient le blocus de Dunkerque ; les envoya reconnoitre, apprit que c'étoient trois Vaiffeaux marchands Anglois richement chargés pour la Ruffie; efcortés par un Vaiffeau de guerre. II les ferra de prés pendant la nuit ,• attaqua dès le point du j our le Vaiffeau de guerre; Ie prit , fans effuyer beaucoup de réfiftance; s'empara des trois Vaiffeaux marchands. Jean-Bart avoit recu ordre de la Cour de briïler tous les Vaiffeaux ennemis qu'il prendroit: mais Patoulet , Intendant de Dunkerque, étoit occupé de fes intéréts; il raodilia fes ordres 5 lui fit enten-  3* VIE dre que l'mtenüon de la Cour etoit d'en excepter les prifes d'une .certaine importance ; lui donna même un Commiffaire, avec ordre de lui remettre les prifes qui feroient de quelque importance. Comme les quatre Vaiffeaux valoient au moins quatre mülions, le Commiffaire de 1'Intendant s'en empara , les fit amariner, & conduire par une Frégate a Eergue en Norvege. Deux jours après, 1'Efcadre de Jean-Bart rencontra encore la Flotte Hollandoife de la pêche aux harangs, qui n'étojt efcortée que par un Vaiffeau de guerre : les Hollandois la croyoient en füreté , imaginant que les Anglois, qui bloquoient le port de Dunkerque , empêcheroient le redoutable Jean-Bart d'en fortir. II enleva le Vaiffeau de guerre, brula tous les autres; prit les Equipages fur fes  DE JEAN-BART. «9 Vaiffeaux; relacha les prifonniers fur les cótes d'Angleterre. II alla enfuite croifer fur celles d'Ecoffe ,• mit pied a terre; fit retrancher vingt' hommes de fes Equipages dans un endroit oü ils pouvoient couvrir les chaloupes, les canots, & favorifer la retraite. II pilla & brüla plufieurs Villages. L'allarme fe répandit dans les environs; on forma un petit corps de Cavalerie & d'Infanterie, qui pouvoit monter a trois eens hommes. Les vingt Francois qui étoient retranchés, firent un feu violent fur eux; les mirent en fuite. Jean-Bart brüla plufieurs pêcheries, avant de quitter 1'Ecoffe. II mit enfuite a la voile ; alla débarquer a Bergue en Norvege, oü on avoit envoyé, com^ me nous l'avons dit plus haiit, les trois Vaiffeaux marchands & le Vaiffeau de guerre qui les efcortoit. La Ti  4° VIE mariiere dont le Chevalier de Forbin parle de Jean-Bart dans fes Mémoires, annonce qu'il étoit alors jaloux de voir qu'un homme d'une naiffancib beaucoup inférieure a la fienne , avoit un mérite beaucoup fupélieur au fien. II dit qu'ayant été féparé de 1'Efcadre , il arriva a Bergue quelque temps après Jean-Bart; qu'il le trouva occupé a boire dans un cabaret d'oü ilne fortoitpoint, ne s'occupant nullementde fes affaires; quele Gouverneur le prenoit pour un fimple Corfaire; en faifoit fi peu de cas, qu'il lui avoit enlevé les prifes qu'ils avoient faites, Forbin & lui , au commencement de la campagne, fans que Jean Bart y apportat la moindre oppofition. II ajoute qu'il repréfenta a Jean-Bart combien il avoit tort de fouffrir un traitement aufii  DE JEAN-BART. 41 mjurieuxalla cbez le Gouverneur, qui emendoit un peu le Francois; lui demanda , d'un ton aflez vif, pourquoi il s'étoit emparé des prifes que les Vaiffeaux du Roi de France avoient fakes ; que Ie Gouverneur lui répondit qu'il ignoroit que ces Vaiffeaux appartinfent a Sa Ma1 jefié Trés - Chrétienne ; qu'il les avoit pris pour des Corfaires particuliers; que d^ailleurs il falloit s'adreffer a 1'Intendant. Le Chevalier de Forbin affure que 1'ïntendant le renvoya froidement au Gouverneur; que voyant qu'on fe moquoit ainfi d'eux, il confeilla a Jean-Bart de fe faire juffice lui-même; qu'ils annearint fur le champ les canots & les chaloupes, allerent a bord des prifes » -en chafferent les Danois qui les gar~ doient. Le Chevalier de Forbin continue D ij  4* VIE 'fon éloge; allure qu'il écrivit, de fon chef, M. de Pruneviau, Ambaifadeur du Roi de France auprès de Sa Majeflé Danoife; le pria de fe plaindre a ce JVIonarque de Tinfulte que le Gouverneur & 1'Intendant de Bergue avoient faite au Pavillon du Roi de France; qu'ils vifiterent enfuite leurs Vaiffeaux; trouverent que leurs balots avoient été ouverts & pillés; qu'ils firent faire un inventaire de ce que leurs prifes contenoient; en dreiferent procés-verbal; recurent le témoignage de ceux qui étoient reftés 'dans les Vaiffeaux qu'ils avoient pris; que le Commiffaire qui les accompagnoit depuis Dunkerque, fe trouvant coupable , fut mis aux fers qu'ils ordonnerent les arrêts au Capitaine de la Frégate qui avoit efcorté les prifes. Eft-il vraifemblable qu'un homme  DE JEAN-B ART. 4, d'un caradtere auffi bouillant & auffl ennemi du repos que Jean-Bart, reftat dans une parfaite tranquillité, corarae 1'annonceForbin; même dans une ftupide indolence, pendant qu'on Ie dépouilloit du fruit de fes travaux & de fon courage. On ne fe perfuadera jamais qu'une ame élevée comme la fienne , fut capable de pareilles baffelfes. Lorfque le Chevalier de Forbin fait le récit des aftions de Jean-Bart auxquelles il affifte, il s'en attribue toute ra gloire; ne femble enfin écrire que ce que la vanité lui dicle. Pour prouver ce qu'il annonce , il prcfente ce célebre Marin comme un ftupide ; incapable de former aucun projet, d'exécuter aucune entreprife importante; garde un profond filence fur les acbons auxquelles il n'a eu aucune part, dont il ne peut, par D iij Hl  44 VIE conféqnent, s'attribuer la gloire. Envoici une qui a été atteftée par plufieurs perfonnes du temps, & écrite dans plufieurs Mémoires : elle ne fe troüve cependant pas dans. ceux dé Forbin. Pendant que Jean-Bart étoit a Bergue,.un Anglois qui commandoit deux Vaiffeaux y aborda , alla dans un beu public oü les. etrangers avoient coutume de fe rendre pour fe rafraicbir. II appercut un homme dont l'air fier & déterminé, la taille haute & robufle le frapperent. L'entendant parler facilement Anglois, il eut la curiofité de favoir qui il étoit. Ceux auxquets il le demanda, lui répondirent que c'étoit Jean-Bart. C'efi lid que je cherche , dit-it. C'eft lui-même, lui répondit-on. Cet Anglois lia converfation avec lui; après un entretien "alfez court , il' lui dit qu'il le chex-  DE JEAN-BART. 45: choit; qu'il avoit envie d'en venhr aux prifes avec lui. Cela efl trèsfacile, lui répondit Jean-Bart : J'ai befoin de munitions , & partirai Ji-töt que Jen aurai r.cu. Je vous attendrai lui répondit PAoglois. Jean-Bart apprit qu'un Vaiffeau parti de Brefl pour lui en apporter avoit été pris par les Fleffinguois; vendit une de fes prifes , acbeta des provifions. Pendant qu'il étoit occupé de ces foins, le Hoi de Danemark fit écrire au Gouverneur de Ia Ville, une lettre remplie de plaintes & de menaces. L'Ambaffadeur de France avoit repréfenté a Sa Majefié Danoife, qu'on avoit manqué au droit des gens , en infultant dans fes ét?.ts les. Vaiffeaux du Roi de France , avec lequel il n'étoit point en guerre. Le Gouverneur alla prier Jean-Bart & Forbin de le jufiiiier auprès du Roi D iv  45 VIE fon maitre. Ils lui répondirent que leur honneur ne permettoit pas qu'ils fe contredilfent; lui promirent feule- ment de prierl'Ambaifadeur de France de s'intérelfer pour lui: ils lui tinrent parole. Lorfque Jean-Bart eut fait les préparatifs pour fon départ, il avertit le Capitaine Anglois qu'il mettroit a la voile le lendemain. L'Anglois répondit qu'ils fe battroient lorfqu'ils feroient en pleine mer; mais qu'étant dans un port neutre , ils devoientfe traiter réciproqueinent avec aftHtié; 1'invita a déjeuner le lendemain a fon Bord, avant de partir. Jean-Bart lui répondit : Le déjeuner de deux ennemis comme vous & moi qui fe rencontrent, doit être des coups de canon, des coups de fabre. Le Capitaine- Anglois infifta. JeanBart étoit brave; par conféquent in-  DE JE A N- B ART. 47 capable de baifeffe : il jugea du Capitaine Anglois par lui; accepta fon déjeuner; fe rendit a fon Bord; prit un peu d'eau-de-vie , fuma une pipe; dit au Capitaine Anglois lil eji temps de partir. L'Anglois lui dit : Vous êtes rnon prifonnier : j'ai promis de vous prendre, de vous amener en Anghterre. Jean-Bart jetta fur lui un regard qui annoncoit fon indignation & fa fureur ; alluma fa mécbe, cria a\ moi; renverfa quelques Anglois qui étoient iur le pont; dit : Non je ne J'erai pas ton prifonnier : Ie Vaiffeau va fauter. Tenant fa mêche alluraée , il s'élanca vers un baril de poudre qu'on avoit, par hafard , tiré de Ia fainie barbe. Tout 1'Equipage Anglois fe voyant prêt de périr fut faifi d'effroi. Les Francois qui étoient dans les Vaiffeaux de Jean-Bart I'avoient entendu: ils fe mirent prompD v  4$ V I E tement dans des clialoupes; moaterent a 1'abordage du Vaiflèau oü il étoit, haciierent en pieces une partie des Anglois ; firent les autres prifonniers ; s'emparerent du Vaiffeau. En vain le Capitaine Anglois repréfenta qu'il étoit dans un Port neu.tre, Jean-Bart 1'emmena; le conduifït a Breit. II ïaiffa au port de Bergue, 1'autre Vaiffeau Anglois qui n'étoit pas complice de la trahifon du Capitaine. Lorfque Jean-Bart & Forbin furent arrivés a Dunkerque , ils recurent ordre d'aller k la Cour, pour rendre compte de leur conduite. Patoulet, eet Intendant de Dunkerque , dont. nous avons parlé, avoit cherché a les y deffervir. Ils délibérerent fur Ie parti qu'ils avoient a prendre, convinrent que Forbin prendroit la pofte; iroit droit a Verfailles; que Jean"  DE JEAN-BART. # Bart, ne connoiffant pas ce pays, fe rendroit a petites journées a Paris ;•. qu'il y refteroit fans fe faire connoïtpe, jufqu'a ce qu'il eüt recu de fes: nouvelles. Forbin alla cbez M. de Pontchartrain; juftifia fi bien auprèsde lui ft conduite & celle de JeanBart , que ce Miniftre Ie préfenta Ie' lendemain au Roi, qui le recut avec: bonté,- lui demanda oü étoit JeanBart ; lui dit qu'il vouloit le voir. Sa? Majefté avoit fouvent entendu parierdes adtions étonnantes de Jean-Bart. Ce célebre rnarin fe rendit a la Cour j; fe préfenta pour entrer chez le Roi (1). Mais comme il n'etoit pas encorejour, il reftadans 1'antichambre, tirafa pipe, battit fon briquet; fe mit a1 fumer : tous ceux qui étoient préfens furent étonnés de voir qu'il fe trou- (.0 Mémoires du teraps, manulcrits*D vj  5o VIE vat un homme affez hardi pourprendre une pareille liberté. Les gardés voulurent le faire fortir, difant qu'il n'étoit pas permis de fumer chez le Roi. II leur répondit avec un air de fang froid : J'ai contraclè cette habitude au fervice du Roi mon maitre ; elle ejl èevenue un befoin pour moi; je crois qu'il ejl trop jufte pour trouver mauvaisque j'y fatisfajfe, & continua a fumer. Comme il, n'avoit jamais paru a la Cour, il n'y avoit que le Chevalier de Forbin qui le connut: maisil craignoit les fuites de cette aventure; n'ofa dire qu'il étóit venu avec lui* On alla avertir le Roi qu'un homme avoit la hardieffe de fumer dans fon appartement, Se refufoit d'en fortir. Louis XIV' dit en riant v Je parie que' c'eji Jean-Bart; laijfe\-le faire. Lorfqu'il entra,Sa Majefté le recut avec accueil j lui dit : Jean'Bart, il n'ejï  DE JEAN-BART. , 51 permis qu'a vous de fumer che\ moi. Au nom de Jean-Bart, qui étoit fort connu, a 1'accueil que le Roi fit a eet homme finguKer, tous les Courtifans furent étonnés; fe rangerent autour de lui, lorfqu'il eut quitté le Roi ; lui demanderentcomment il avoit fait pour fortir de Dunkerque avec fa petite efcadre, pendant que ce port étoit bloqué par une flotte Angloife. II les fit tous ranger fur une ligne; les écarta a coups de coude, a coups de poing; palfa au milieu d'eux ; fe retourna; leur dit: Voila comme fat fait. Quelques-uns rentrerent chez le Roi en riant; lui raconterent ce qui venoit de fe palfer. Louis XIV voulut s'amufer; fit appelier Jean-Bart, &, croyant 1'embarrafler, lui demanda comment il avoit paffe au travers de la flotte Angloife qui bloquoit Dunkerque. II lui répondit en termes éner-  5* VIE giques, enfin en langage Marin,. qu'il leur avoit envoyé fes bordées de tribord & de bas-bord. Les Courtifans marquerent de la furprife. Le Roi leur dit : 11 me parle un peu grojfiérenient; mais il agit bien noblement pour moi. Les parcourant enfuite des yeux, il ajouta : Y en a-t-il un par mi vous qui jbit capable de faire ce qu'il a fait? A cette queftion accablante, ils baifferent tous la tête. Le nom de JeanBart rempliflbit tout Verfailles : les< petits maitres fe difoient : Allons voir le Chevalier de Forbin qui mene l'Ours. Louis XIV lui fit donner une refeription de mille écus fur le Tréfor' Royal. C'étoit un nommé Pierre Gruin qui devoit la payer; il demeuroit dans la rue du grand Chantier , au Marais. Jean-Bart fe rend aParis; va dans la rue du Grand-  DE JEAN-BART. 5$ Chantier; dcrnande de porte en porteou demeure Pierre Gruin; trouve fa maifon; dit au Portier : N'eft-ce pas ici que demeure Pierre Gruin ? Le portier lui répond : C'eft ici que demeure M. Gruin. Jean-Bart entte', monte 1'efcalier ouvre les portes; arrivé au lieu oü M. Gruin eft a diner avec plufieurs perfonnes de fes amis ; dit : Lequel de vous eft Pierre Gruin 1 Pierre Gruin lui répond r C'eji moi qu'on appelle M. Gruin. JeanBart lui préfente fa refcription. M. Gruin la prend ; la lit , paffe la main par-deflus fon épaule, comme pour la lui rendre; la laiffe tomber, dit : Vous repafferei dans deux jours. Jean-Bart tire fon fabre, qu'il portoit toujours au lieu d'épée, tui dit: RamaJJe cela & paie toute-a*l'keurs. Un de ceux qui étoit a diner avec M. Gruin, reconnoit Jean-Bart,- dk  54 V 1 E a M. Gruin : Paye^; c'ejl JeanBart: il ne fuut pas plaifanter avec lui. M. Gruin fe leve , ramalfe la ref- cription; dit a Jean-Bart de le fui- vre, qu'il va le payer. II paffe dans fon bureau; prend des facs remplis d'argent blanc; va pour les pefer. Jean-Bart lui dit : U me faut de l'or. M. Gruin, que la peur a rendu poli, le paie en or. On confeilla a Jean Bart de s'ha- biller promptement pour remercier Sa Majefté des bontés qu'Elle avoit eues pour lui, & prendre congé d Elle. II fe rit faire un babit, une vefte, une culotte, de drap d'or ; fit tout doubler de drap d'argent, mème la culotte. Cette doublure le gênoit beaucoup , principalement celle de la culotte, ce qui fit rire le Roi & toute la Cour, lorfqu'on fut inftruit de cette firopücité. Le Chevalier de  DE JEAN-BART. 55 Forbin, jaloux de voir que le Roi & les Miniftres marquoient beaucoup plus de bontés a Jean-Bart qu'a, lui, qu'il Péclipfoit tout-a-fait, demanda a être mis dans Ie département de Breit, afin de ne plus fervir avec Jean-Bart. Jean-Bart étoitétranger ala Cour: il s'y déplaifoit. Son courage & fon a&ivité le rappelloient au milieu des hazards : il retourna a Dunkerque, oü il apprit Ia trifie nouvelle de la défaite de la Flotte Francoife par celles des Hollandois & des Anglois coinbinées. Nous croyons qu'il n'efi pas hors de notre fujet de dire deux mots de cette trifie aventure : en parlant d'un Marin, on doit annoncer ce qui fe paffa dans la Marine de fon temps. Louis XIV fit en T692 tous les préparatifs qu'il crut néceffaires pour  $5 VIE rétablir le Roi Jacques fur le Tróne d'Angleterre. II lit équiper deux Flottes , 1'une dans I'Océan, fous les ordres du Comte de Tourville, 1'autre dans la Méditerranée, commandée par Ie Comte d'Etrées. Le Roi Jacques fe rendit fur les cóte's de Bretagne > avec toute fa Cour ; y trouva les troupes ïrlandoifes, plufieurs régimens Francois , & trois eens Vaiffeaux de tranfport pour embarquer ces troupes , avec des hiunitións de guerre, & qui devoient être efcortés par le Comte d'Etrées. Tout fembloit fi bien concerté, qu'on regardoit le fuecès de cette entreprife comme infaillible : mais les vents ne permirent pas au Comte d'Etrées & a fa Flotte de joindre le Roi Jacques. Le Comte de Tourville fut réteiiu de fon cöté a la rade de Berteaume. Ce contre-temps facilita aux Enne-  DE JEAN-BART. $$ mis les moyens de ronipre cetce en~ treprife. Le Prince d'Orange , qui étoit alors en Hollande, fit promptement armer la Flotte des Etats-Généraux; fe mit en mer , & joignit celle des Anglois. Le Comte de Tourville recut ordre du Roi d'entrer dans la Manche,- de combattre, fans faire attention fi les ennemis étoient plus forts ou plus foibles que lui. Il partit de la rade de Berteaume le 12 Mar 1692 , avec trente-fept Vaiffeaux de guerre, fept Brülots. Le 25, étant a la hauteur de Plimouth , il fut joint par fept Vaiffeaux dé guerre & quatre Brülots, que conduifoit le Marquis de Villette. La Flotte Ennemie étoit compofée de quatre-vingt-fept Vaiffeaux de guerre, dix-huit Brülots, dont cinquante-deux Anglois & trcntc-cinq;  58 VIE Hollandois. Le Comte de Tourville appercut cette Flotte le 29 du même mois; elle étoit au large, entre le Cap de la Hogue & la pointe de Harfleur ; mais la brume 1'empêcha de reconnoïtre le nombre de Vaiffeaux dont elle étoit compofée. Dix Barques longues, étoient parties de la Hogue & de Cherbourg pour porter au Comte de nouveaux ordres du Roi. Sa Majefté, étant inftruite que toutes les forces des Ennemis étoient raffemblées, avoit envoyé dire au Commandant de fa Fiotte de ne pas avancer ; de fe tenir a 1'entrée de la Manche - ou fur l'Ouëffant; d'y attendre le détachement du Comte d'Etrées , & plufieurs autres Vaiffeaux qu'on devoit lui envoyer. Ces dix Barques ne rencontrerent point le Comte de Tourville : il s'en tint aux premiers ordres qu'il avoit re-  £>E JEAN-BART. S9 cus; les montra au Confeil de guerre , qu'il fit afTembler avant d'angager le combat. Aüffi-tót il rangea fa Flotte en ordre de bataille; alla a 1'Ennemi qui fe mit en panne pour I'atteridre. L'a&ion commenca fur les dix heures du matin par'un feu terrible.; Les Ennemis firent plufieurs tentatives pour couper la Flotte Francoife,• y réuffirent a Ia fin; mais les Francois fe défendirent encore avec intrépidité. Sur les huit heures du foir, Ia fumée du canon caufa une brume li épaiffe, qu'on ne fe voyoit plus : on Ceffa de tirer de part & d'autre. La brume étant paffee au bout d'une demi heure, le clair de lune étant très-beau on recommenca Ie combat avec la mème fureur : il dura jufqu'a dix heures du foir. La Flotte Francoife, quoique beaucoup inférieure a celles des Ennemis ,  caufa plus de dommage qu'elle n'en recut. Aprcs le combat , Ie Comte de Tourville voulut proliter du juffant pour s'cloigner des Ennemis; fit tixer plufieurs coups de canon pour. Ie fignal d'appareiller; mit a la voile avec buit Vaiffeaux qui s'étoient ralliés auprès de lui. Les Chefs d'Efcadre en firent autant : mais la brume qui furvint pendant la nuit les empêcha de joindre M. de Tourville : ils ne purent le faire que le lendemain fur les fept heures du smatin. Alors toute la Flotte Francoife fe trouva réunie , a 1'exception de neuf Vaiffeaux, dont fix avoient pris la route de la Hogue, & trois autres celle de Breit. Le Comte de Tourville , ayant navigué toute la nuit, fe trouva le 3° Mai * uns Üeue au vent de 1'Ennemi; mais le  DE JEAN-BART. èj Vaiflèau qu'il montoit avoit été fi maltraité , qu'il n'avancoit qu'avec beaucoup de peine : la Flotte fe trouva retardée, mouilla par les travers de Cherbourg , a peu de diftance des Ennem;s qui la fuivoient. Alors le Comte.de Tourville changea de Vaiflèau; prit la route du Ras-Bfanchard, croyant le pouvoir paffer par le moyen du juffant, & devancer les Ennemis. Le Ras-Blanchard eft formé d'un cóté par Ia cote du Cotentin, depuis Ie Cap de Ia Hogue jufqu'a Flamanville de 1'autre, par les ïfles d'Origny & de Guernefey. II a environ cinq lieues de long, fur une demie de large. Les courans y font très-violens , & les fonds très-mauvais. Le Comte de Tourville y entra Ia nuit du 30 au 31 de Mai. A cinq heures du matm, il fe trouva a cinq lieues des  6* VIE Ennemis : mais le juffant lui manqua. 11 voulut mouiller; le fond étoit mauvais; fes ancres rompirent. Vingtdeux Vaiffeaux de fa Flotte avoient déja paffe le Ras ; mais treize autres, du nombre defqules étoit celui ' qu'il montoit, furent forcés, par les courans , de dévirer,- fe trouverent fous le vent des Ennemis, & féparés des autres. De ces treize Vaiffeaux , il laiffa a Cherbourg les trois qui étoient le plus endommagés ; fe réfugia a la Hogue avec les autres. La Flotte des Ennemis s'étoit di- vifée en trois, afin de pourfuivre les débris de celle de France. Une par- tie s'attacha *aux vingt-deux qui avoient paffe le Ras; mais ceux-ci ayant beaucoup d'avance, eurent le temps de fe retirer a Saint-Malo. Dix-fept Vaiffeaux Anglois & Hollandois  DE JEAN-BART. g3 ïandois refterent a Cherbourg avec buit Brülots, pour enlever les trois Vaiffeaux que M. le Comte de Tourville y avoit laiffés : n'ayant pu y réuffir, ils les brülerent. La troifieme partie de Ia Flotte ennemie, a laquelle fe joignirent les deux autres, enferma les Vaiffeaux du Comte de Tourville dans la rade de la Hogue. Le Roi Jacques s'y trouva alors avec le Maréchal de Bellefonds & M. de Bon-Repos : ils délibérerent -enfemble fur le parti qu'on pouvoit prendre. M. le Comte de Tourville leur ayant repréfenté, qu'on ne pouvoit conferver les Vaiffeaux qu'il venoit d'amener ; qu'en les délèndant, on pouvoit les expofer a être enveloppés par les Ennemis. On décida qu'il ftüloit fauver les Equipages, les canons, les agrêts; les faire échouer; armer les Clialoupes, & E  6* V-TE tacher d'empêcher les Ennemis de les brüler. On en retira tout ce qu'on put; on les fit échouer; on employa tous les moyens poffibles pour les défendre ; mais on ne put y réuffir 3 les Ennemis les brülerent. La France n'auroit pas fait une perte fi confidérable , fl M. le Comte de Tourville eüt recu le contre-ordre que le Roi lui avoit envoyé. Louis XIV dit en apprenant ce malheur : Je n'ai tien a me reprocher; j-e ne commande. point aux vents. J'ai fait ce qui dépendoit de moi; Dieu a fait le re/Ie... Puifqu'il n'a pas voulu le rétablijfe-, ment du Roi d'Angleterre , il faut efpérer qu'il le réferve pour un autre, temps. Les Ennemis, après leur victoire , envoyerent un detachement de leur Flotte, compofé de trente-deux Vaiffeaux , bloquer le port de Dunker-  DE JEAN-BART. 65 que , d'oü il fortoit continuellement des Corfiiires qui ruinoient leur commerce par les prifes qu'ils faifoient fur eux. Jean-Bart qui étoit aïors' dans ce Port, s'ennuyoit d'être enfermé. Le 7 Oéïobre 1693, il trouva le moyen de palfer avec fept Frégates tk un Brülot dans les intervailes des Vaiffeaux ennemis. Des le lendemain il rencontra quatre Vaiffeaux Anglois , richement chargés pour la Ruffie ; les enleva; les fit cónduire dans un des Ports de France. Quelques jours après il joignit une Flotte de quatre-vingt-fix Batimens de la même Nation; prit une partie des marchandifes ,• fit paffer les équipages fur fes Vaiffeaux; brüla tous ceux des Ennemis; fit une defcente en Angleterre vers Newcafde; brüla environ cinq eens maifons ; revint a Dunkerque avec des prifes E ij  66 V 1 E qui furent eftimées cinq eens mille CCJ.1S. - Pen de jours après il remit a la voile avec quatre Frégates ,• il rencontra une Efcadre de cinq Vaiffeaux Anglois, qui conduifoient le Prince d'.Orange en Angleterre ; s'en approcha de fort prés. Le Prince jugeant par la contenance fiere & la manoeuyre des quatres Vaiffeaux, qu'ils avoient quelque projet contre fon Efcadre, demanda ce que c'étoit. On lui répondit que c'étoit quatre Batimens Francois commandés par le Capitaine Jean-Bart. A ce nom le Prince frémit. II ordonna qu'on mit fon pavillon bas, difant : Si eet homme intrépide s'appercoit que je fuis fur un de ces Vaiffeaux, il rifquera le tout pour le prendre. Jean-Bart n'auroit effecbvement pas manqué de 1'attaquer; d'employer toute fon adreffe  DE JEAN-BART. que, qui eft prés de Lisbonne. Le trois du même mois, le Comte de Villars, qui montoit le Vaiffeau nommé h Superbe, alla a bord du Général avec une prife, Le Capitaine qui venoit d'être fait prifonnier, dk a M. de Tourville, qu'une Flotte marchande . des Ennemis , deftinée pour Cadix, pour les cótes d'Italie & pour Smirne, étoit partie i qu'elle ne pouvoit éviter de tomber dans ■ celle des Francois , paree que les Ennemis ignoroient que ceile-ci fut en croifiere fur ces parages. Le Maréchal de Tourville relacha a Lagos pour faire nettoyer une partie de fes Vaiffeaux; y laiffer entrer fair, paree que depuis le départ, on n'a-  DE JEAN-BART. n voit point ouvert les fabords , a caufe de Iagroffe mer & du niaüvaïs temps. Le vingt-fix Juin , fur les. quatre heures du foir, on uppercut deux des Vaiffeaux Francois de garde , qui alloient a force de voiles, & tiroient des coups de canon, pour annoncer qu'ils découvroient les Ennemis. Les deux Vaiffeaux venoient du Cap Saint-Vincent, par oü la Flotte Ennemie qu'on attendoit devoit paffer, en faifaht route depuis le Détroit de Gibraltar. Les Capitaines de ces deux Vaiffeaux rapporterent que dés fept heures du matin , ils avoient découvert , a-peu-près cent quarante voiles a quinze lieues au-dela ■ du Cap , qui venoient du cöté de ia Flotte Francoife; qu'ils avancoient fur trois colonnes ,• mais que ne les ayant pas approchés de prés, i& E y  ?a VIE n'avoient pu voir fi c'étoient des Vaiffeaux de guerre ou des Vaiflèaux marchands. Le Maréchal renvoya ces deux Navires du cöté d'oü ils venoient, pour tacher de mieux reconnoitre la Flotte qu'ils avoient appercue, & de lui en donner des nouvelles plus fiares. Au mème inftant on mit a la voile ; on vogua toute la nuit : le lendemain on fe trouva a douze lieues de Cargos, dans une fituation a pouvoir éviter les Vaiffeaux qu'on avoit découverts , s'ils compofoient une Armée plus forte que celle de France, & a revirer fi on voyoit que ce fut la Flotte marchande. A fept heures du matin, on entendit du cöté de Lagos, un Navire qui fauta en faifant un bruit terrible : peu de temps après, on vit la fumée a travers, une bruine que le foleil dif<  DE JEAN-BART, p fipa bientöt On entendit le même bruit, & on vit la même fumée trois ou quatre fois de fuite : lorfque la bruine fut tout-a-fait dillipée, on vit le long de la cöte les Navires qui brüloient. On connut que c'étoient deux Batimens de charge, que le Chevalier de Sainte-Maure avoit brülés n'ayant pu les amener, paree qu'il s'étoit trouvé feul; que les Vaiffeaux de 1'efcorte le fuivoient de prés. Cette efcorte montoit a vingt-fept Vaiffeaux deligne, dont le moindre étoit de cinquante canons. L'Amiral étoit de quatre-vingt; le Contre-Amiral dc foixante-dix. Le Chevalier de SainteMaure amena les deux Capitaines des Vaiffeaux qu'il avoit brülés. L'un étoit Hollandois, avoit fur fon Vaiffeau pour fix eens mille livres de toile; I'autre étoit Anglois, avoit pour cin» quante mille écus de drap. E vj  74 VIE II dirent que c'étoit la Flotte marchande qu'on avoit vue. Alors le Maréchal de Tourville fit fignal a toute 1'Armée; forca lui-même de voiles pour avancer fur les- Ennemis; mais ils étoient fous le vent; il falloit louvoyer pour les joindre. Les meUleurs voiliers aborderent 1'arriere-garde pendant la nuit. Après qu'on l'eut canonée i'efpace d'une beure, on mit entre deux feux deux Navires Hollandois de foixante pieces canon; on les forca d'amener pavillon; de fe rendre. Les Francois firent tous leurs. efforts pendant la nuit pour gagner le vent. Les Vaiffeaux légers parvinrent a enfermer une grande partie de Ia Flotte Ennemie entre eux & Ia terre. Le jour fuivant, 1'Armée Francoife fit un demi-cercle fort étendu; prit ou brüla tous les Vaiffeaux qui fe trouverent dedans. On en voyoit fat-:  DE JEAN-BART. ?s ter a tout inftant. Pendant ce temps on amena au maréchal plufieurs Flutes de la Flotte Ennemie. Elles étoient chargées de mats du Nord, de bois de confirudion, de cordages, &c. Les Vaiffeaux qui s'étoient difperfés, rejoignirent le Maréchal Iesuns après les autres, & tous amenoiem des prifes. Un entr'autres amena une Pinaffe Hollandoilè de cinquante-huit canons, chargéededraps d'Angleterre, d'étain, d'argent monnoyé. On y trouva des montres d'or, dont quelquesunes étoient émaillées. On eftima cette prife un million & demi. On apprit au Maréchal que cinquante Vaiffeaux , parmi Iefquels il y en avoit quinze de guerre, avoient gagné le large. Cette avis 1'engagea a donner le fignal pour rallier fa Flotte, qui étoit difperfée. II acheva de .brüler les Nayires Ennemis qui étoient  #6 ' VIE rangés fur la cöte, & qu'il ne pouvoit araener; fit route du cöté de Cadix, pour en fermer le paffage aux débris de la Flotte ennemie. Le ay Juin, il découvrit plufieurs Vaiffeaux qui dirigeoient leur route de ce cöté; mais ils étoient fi eloignés, qu'on ne put les joindre. Ils entrerent dans la rade au nombre de trente. La Flotte Francoife mouilla-a la vue de cette ville; trouva en arrivant que neuf ou dix Va;ffeaux ennemis étoient déja entrés dans le Port, & plufieurs autres dans la riviere de Guadalquivir. A 1'arrivée de la Flotte Francoife ils fe jetterent tous dans le 'Port. Les Vaiffeaux légers avoient coupé paffage a deux gros Vaiffeaux marcbands : Pun ayant recu plufieurs coups de canon, fe jetta en plein jour fous une forterefiè, cc fous le:  DE JEAN-BART. 77 canon de la ville de Cadix : mais les 'Francois le brülerent a Përïtfeé de la nuit, malgré le canon du Fort & de la Ville. Jean-Bart fit connoitre aux Ennemis qu'il étoit dans la Flotte Francoife. 11 commandoit le Vaiffeau 7e G/orieüxde foixante-lix canons. Etant féparé de la Flotte, il rencontra prés de Fero, fix Navires Hollandois, dont un de cinquante pieces de canon , les autres de quarante-quatre, de trente-fix, de vingt-huit, de vingt-fix & de vingt-quatre, tous richement chargés. II les attaqua; les forca de s'échouer; les brüla. Les Capitaines des différens Vaiffeaux qu'on avoit pris , affurent que la pene des Ennemis montoit a duuze miilions. On leur brüla en outre plufieurs Vaiffeaux qui s'étoient jettés dans différens Ports. Enfin le dommage que  ft VIE 1'on caufaaux Ennemis prés de Cadix* Fut beaucoup plus confidérable que celui qu'avoient effuyé les Francois quelque temps auparavant prés de Ja Hogue. (i) Jean-Bart fe rendit a Toulon, avec le refte de la Flotte. II y recut ordre de la Cour,deprendrelecommandement de fix Frégates ; d'aller a Vlekeren, cbercher une Flotte chargée de bied pour le compte du Roi; 1'amena heureufement a Dunkerque , quoique les Anglois & les Hollandois euffënt de nombreufes Efcadres, compofées degrus Vaiffeaux , pour lui boucher le paffage. Cette expédition fut d'une grande utilité a la France, oü le bied étoit alors trèsxare & très-cber. Sa Majefté, pour Ci) Mémoires du temps j Mém deQuincy» Hift. de Dunkerque.  DE JEAN-BART. n ïnarquer fa fatisfacïion a Jean-Bart, lui envoya la Croix de S. Louis. II étoit refié dans les' différens ports du Nord, plus de cent Vaiffeaux chargés de -bied pour la France : ils n'avoient pu fe mettre en route a caule des glacés. Jean Bart repartit le 28 Juin de la mème année avec fes bx Vaiffeaux pour aller les chercher. Ceux qui montoient ces cent Vaiffeaux chargés de bied , voyant que les glacés leur laiffoient le paffage libre, qu'on ne venoit point les chercher , fe livrerent a 1'impatience; mirent a Ia voile fous 1'efcorte de trois Vaiffeaux de guerre, deux Dano^s & un Suédois. La neutralité que ces deux Nations obfervoient avec les Puiffances belligérantes, leur donnoit droit de commercer par-tout. Malgré ce droit, les Hollandois envoyerent une Efcadre de huit Vaiffeaux de  Eo VIE guerre, coramandée par le ContreAmiral ■ de Fnfe , nommé Hides de Vries, pour enlever la Flotte Francoife. Cette Efcadre la rencontra entre le Texel & la Viie; s'en empara, fans que les VaiffeaUx Danois & Suélois fiffent aucun eflbrt pour la 'défendre. Le 29 du même rhois, JeanBart appercut cette Flotte a plus-de quinze lieues au large; il envoya fa Corvette reconnoitre ce qu« c'étoit. 'On lui rapporta que c'étoient huit Vaiffeaux de guerre Hollandois qui avoient rencontré & enlevé la Flotte chargée de bied qu'il alloit cbercber. Ce grand homme ne coufulca dans ce moment que fon zèle & fon courage. 11 dit aux Officiers : 11 fa ut avancer & combattre. Vintérêt de la France ledemande\ ordonna en même temps qu'on déployat toutes les voiles. Lorfqüil fut a la portée du canon  BE JEAN-BART. 6x des Ennemis, il dit encore aux Officiers : Camnrades, point de canon, point de fufil; fongeons a donner des coups de pijlolet, de fabre : je vais attaquer le Contre-Amiral, & vous en rendrai bon compte, II alla a lui, effuya fa bórdée; lui lache la fienne lorfqu'il fut a la portée du piftolet; monta a 1'abordage. Le Contre-Amiral, Hidesde-Vries , étoit un homme brave & vigoureux : il fe préfenta le premier pour fiire face aux Francois, & exciter les fiens par fon exemple ; mais Jean-Bart lui lacha un coup de pif¬ tolet dans l'efiomac, un autre dans le bras, plufieurs coups de fitbre fur la tête, 1'abbatit a fes pieds. Les Francois , armés du courage de leur Commandant, firent un carnage horrible dans ce Vaiffeau; s'en emparent en moins d'une demi-heure. Deux autres Vaiffeaux de guerre Hollandois fu-  Sa V TE rent énlevés de la même mariiere; les Cinq qui reftoient s'enfuirent époüvantés. Jean-Bart reprit toute ta Flotte chargée de bied, avec tous les Matelots que les Hollandois avoient mis dedans. II en envoya uriepartiedarts les difterens Ports de France; prit la route de Dunkerque avec 1'autre; & les trois Vaiffeaax de guerre Hollandois. (i) Celui qu'il avoit pris luimême étoit de cinquante-huit pieces de canon, un autre étoit de cinquante-deux, le troifieme de trente - quatre. Dans fon Efcadre, il y avoit un Vaiffeaux de cinquante canons, un de cinquante-deux, un de quarante-dcux, & trois de quarante. Le Lieutenant du Vaiffeau de Jean-Bart fut tué avec quinze hommes : cinquante furent bleffés. Sur le Vaiffeau qu'il prit, il (O Ibid.  DE JEAN-BART. 83 y eut trois eens hommes tués ou bleffés. Le Contre-Amiral mourut de fes bleffures. Les trois Vaiffeaux de Danemarck & de Suede étoient reftés fpeftateurs du combat. (1) Un jeune Marinier Proven* cal fit une action qui mérite d'être rapportée. Jean-Bart dit en abordant le Vaiffeau Contre-Amiral des Hollandois, qu'il donneroit dix piftoles a celui qui lui apporteroit Ie pavillon de Contre-Amiral , & fix a celui qui lui apportoit celui de poupe. Ce Marinier s'étant élancé avec les autres fur Ie Vaiflèau ennemi, monte au gros mat pour en enlever le pavillon. Le Gontre-Maitre I'appercoit, lui tire deux coups de fufil, dont un lui perce la main ; fautre la cuiffe. Le Marinier, d'un (O Mém. Cliron. du temps.  fang froid.prcfqu'incroyable, enveloppe fa main avec fon mouchoir , &. fa cuiffe avec fa cravatte, continue de- monter , enleve le pavillon ; s'en fait une ceinture ; defcend; va fur la dunette , pour enlever le paviïion de poupe. II fa déja détacbé a moitié : le Contre-Maitre 1'appercoit encore,- lui porte un coup.d'ef-. ponton. Le Marinier fe retourne ; prc-d une hSche d'armes, qu'il a a % cètc ; en donne un coup du pk , au Tantre Mattre ; lui creve ; un eed* le renverfe parterre; continue de détacher le pavillon ; 1'ajoite. a fa ceinture; va porter ces deux paviilons a Jean Bart, qui lui dor.n.e la récompenfe promife. Rien ne rebute des foldats commandés par un homme tel que Jean-Bart. Ce grand homme rétablit, par fon courage & fon habïïëté, la joie dans  DE JEAN-BART. 8$ toute Ia France, que la difette avoit plongée dans la défolation. Cette vidl-oire peut ètre mife au nombre des plus grands événemens qui fe font paffés fous Louis XIV. Pour en conferver la mémoire, on frappa une médaille. On y voit la proue d'un Vaiffeau qui eft au bord de la mer; Cerès fur le rivage , tenant des épis, de bied. La légende eft e Annona Augufta , & I'exergue : fiu gatis aut captis Batavorum. navibus M. DCXCIV. Cequi.figniHe : LA France pourvue de beed , par, e-es soins du Roi , après, une. victoire remportée sur ees HüE- eandois en 1694. Si-tót que. Jean-Bart fut arrivé, h Dunkerque, il envoya fon fil&..an* noncer au Roi la vi&oire qu'il venoit-de-remporter- fur les Hollandois. Sa Majefté : fit le jeune Bart  *5 VIE Enfeigne de Vaiffeau; envoya des Lettres de Nobleffe au pere. (0 Aucun Officier n'a recu des. marqués de la fatisfadtion de fon Monarque, plus glorieufes que celles que Jean-Bart recut alors de Louis Ie Grand. En voici le précis: n LOUIS , pak. LA GRACE DE » Di eu, &c. Comme il n'y a point » demoyen plus affuré pour entre» tenir Pémulation dans le cceur des « Officiers qui font employés a no« tre fervice , .& les exciter & faire n des aftions éclatante!, que de ré* compenfer ceux qui fe font figna» lés dans les commiffions que nous • r> leur avons confiées , & de les n diftinguer par des marqués glo» rieufes qui puiffent paffer jufqu'a leur (O Mém. Chron. du temps.  DE JEAN-BART. 8? « leur poftérité, Nous avons par ces confidérations , accordé des Letw tres de Nobleffe a ceux de nos •V Officiers qui fe font rendus le plus •* recommandables : mais Nous ri'en ■«' trouvons point qui fe foient ren« dus plus d'gnes de eet bonneur que notre cher & bien aimé Jearivi Bart, Chevalier de notre Ordre « Militaire de Saint -Louis , Capi•n taine de Marine, commandant ac■n tuellement une Efcadre de ros 11 Vaiffeaux de guerre, tant par I'an« cienneté de fes fervices que par w la qualité de fes aétions & de fes * fervices. » On y voit l'énumération de fes belles -aétions : on finit Yar celle que nous venons de rapporter ; & on ajoute : » Une aclron n fi difbnguée, jointe a plufieurs au« tres exploits fignalés; nous con« vient a lui denner des marqués  83 VIE * de l'éftime que nous faifons de fa T. perfonne, & de la fatisfaclion que Ti nous avons de fes fervices , en, *. 1'honorant du titre de Nobleffe, Ti afin d'augmenter, s'il eft poffible , w 1'ardeur qu'il a de fe fignaler & « de donner en même temps de 1'é« mulation a nos autres Officiers de »\ Marine, & exciter en eux 1'envie n de fiuvter, dans 1'efpérance de « s'acquérir & a leur familie un femv> blabïe honneur, A ces caufes , » voulant récompenfer les fervices * importans dudit fieur Bart par des « marqués de diftinttion , qui faf» fent connoitre a la poftérité Ia » confidération particuliere que nous « avons pour fa valeur, qu'il a touv jours conduite avec tant d'avann tage pour le fuccès des entreprifes N qüil a faites pour notre fervice; * de Notre grace fpéciale, puiffance  DE JEAN-BART, 83» * Sr autorité royale , nous avons *> anobli, anobliflbns, par ces pré« fentes fignées de notre main , le- * dit fieur Jean-Bart, enfemble fes n enfans , poftérité & lignée, tant *i mafes que femelles, nés & a nai" y> tre en légitime mariage, que nous »• avons décoré & décorons du titrc y> de Gentilshommes. Voulons & *> nous plait que dorénavant ils foicnt « comptés, tenus & réputés pour « Nobles & Gentilshommes, en tous * acles & endroits, tant en juge» ment que déhors, & qu'ils fe puif„ fent dire & qualifier Ecuyers, & puiffent parvenir a tous degrés „ de Chevalerie, titres, qualitcs & „ autres dignités de notre Royau,., me ,• acquérir , tenir & pofféder „ tout bef, terres Nobles & feigneü„ ries de quelque nom, titre, qua„ lité & nature qu'ils puiffent être: F ij  5o VI E ,3 jouir de tous les honneurs, pré„• rogatives , privileges, franchifes , $ libertés , exemptions & immuni- tés, dont jouiflent les autres Gen„ tilshommes de notre Royaume, „ comme s'ils étoient d'ancienne & „ noble race, tant qu'ils vivront „ noblement & ne feront a£te dé- roo-eant : permettons audit fieur „ Jean-Bart & a fa poftérité , de porter les écuflbns & armoiries „ timbrées, telles qu'elles font ci„ après empreintes, avec faculté de „■charger 1'écuffbn de fes armes „.d'une fleur de lys d'or , a fond ^ d'azur , que nous lui avons con- : cédée & concédons par ces pré-,.fentes, en mémoire & confidéra- - tion de fes fignalés fervices ; & ,-icelles faire peindre, fgraver & in- - fculpter en fes maifons, terres, Seiw gneuries a lui appartenantes, ainfi  DE JEAN-B ART. 9i s> que bon lui femblera, fans que pour raifon de ce, il foit temt de 5, nous payer & a nos fucceffeurs « aucune finance ni indemnité , dont „ nous 1'avons décharge & déchar„ geons; & en temps que dc beibin „ feroit, Nous lui en avons fait & „ faifons don & remife par cefdites „ préfentes. Si donnons en mande>i nient a nos Amés & Féaüx, les ,, gens tenant notre Cour de Par5, lement. Donné a Verfailles au „ mois d'Aoüt 1'an de grace 1694 ; „ de notre regne le cinquante-deuxie■si me- » Les armes du Chevalier JeanBart , font un fonds d'argent , miparti d'une barre d'azur, fur laquelle eft une fleur de lys d'or; au-deffus de la barre il y en a deux autres de fable en fautoir, & au-deffous de la barre, eft un lion de gueules, marv F iij  V ï E chant a droite, cargaé en tête defront flamboyant , ayant au-deffu-s une main tenant un fabre nud. (i) Jean-Bart étoit trop bouillant & trop aclif pour refter long-temps dans l'inacrion ; il fortit de Dunkerque le 13 Juillet de la mème annce, avec quatre Vaiffeaux , alla croifer fur les cótes d'Angleterre ; rencontra le Paquebot; le pourfuivit jufqu'a 1'embouchure de la Meufe, oü. il fe jetta dans une Flotte de vingtquatre Navires , efcortés par trois Frégates , 1'une de quarante-deux pieces de canon , Tautre de vingtCj-.r.itrc, ln troifieme de fcize. La première revira fur TEfcadre de JeanBart ; mais le vent étoit violent; fes canons étoient mal amarés; 1'eau entra par les fabords, la fit coulcr CO ÖlëfflU du Kraps..  DE JEAN-BART. te U- fond. De deux eens hommes , tan^ d'Equipage que paffagers , - on ne put fauver que quinze hommes qu'on amena a Dunkerque. Ils déclarerent que la Frégate qui avoit péri étoit chargée de vingt-trois caifes , dont vingt-deux étoient remplies de linges d'argent , & la vingt-troilicmc . deli.jgots d'or , pour te CQrapte des M arehands Hollandois,- qu'on évaluoit cette perte a un million. JeanBart attaqua les deux autres Frc • gatcs, qui, après un léger combat, s'échouerent : pendant ce temps, Ia Fiotte marchande fe jetta dans la Meufe. Au rno's de Novembre 1694, \{ part't encore de Dunkerque avec fon Efcadre, pour aller en ATcrvcgc chercher dix-fept Vaiffeaux chargés de grains ; les emmena, fins avoir rencontré mème un Vaiflèau des F iv  •A VIE Ennemis. Son nom feül les effrayoit: ils n'ofoient fe trouver duns les eudroits par oü il devoit paffer. Ce grand homme donnoit du courage a tous les habitans de Dunkerque : ils défoloient les Anglois & les Hollandois par les prifes continuelles qu'ils faifoient fur eux. Gafpard-Bart, frere du célebre JeanBart , avoit armé un Vaiffeau en courfe. II fortoit fouvent de Dunkerque, & n'y rentroit jamais qu'avec des prifes confidérables. Les Anglois & les Hollandois rêfolurent de détruire cette ville; firent un armement formidable , dépenferent des fommes ïmmenfes. Ils avoient réfolu de tout facrifier pour fe mettre a 1'abrides pertes qu'ils elfuyoient tous les jours de la part des Dunkerquois ; fe débarraffer des inquie* tudes cominuelles qu'ils leur eau-  DE JEAN-BART. 95 foient. Le 4 Aoüt 1695, ils envoyerent huit Vaiffeaux de guerre mouiller dans la foffe du vieux Mardic, éloignée d'üne Iieue dc la Ville. (ï) On donna ordre aux habitans de tranfporter, le plus promptement poffible, dans Ia Baffc-Ville, lebrai, le goudron , la paitie, & les autres matieres combuftibles. On mit des cuves, des barriques remplies d'eau dans les rues,' devant les portes des maifons ,. pour s'en fervir en [cas d'accident. On dreffa une batterie de plufieurs pieces de canon fur 1'Eftran, vers Ia haie dés rofeaux qui renferme 1'Efplanade , du cöté de 1'Eft. Le 5, les Ennemis ne firent aucun mouvement. Le 6, au matin , 1'Amiral Barlclay, qui condui- (2) Mem. deQüincy; torn.- de Dui»- ier^ue. f *  96 F IE fpit cette expédition, fit tirer quatre coups de canon qui étoient le fignal d'appareiller. On vit, a 1'inftant, plus de trente Navires a la voile* A midi toute la Flotte mouilla entre les bancs. Sur le foir, il arriva a Dunkerque plufieurs régimens de cavalerie pour garder la batterie qui étoit établie fur 1'Eftran & s'oppofer a une defcente, fi les ennemis tentoient d'en faire une. Les jours fuivans les Ennemis ne firent aucune entreprife. Le 11, a fept heures du matin, ils entrerent dans la rade : leur Flotte étoit compofée de 112 Vaiffeanx , tant grands que petits. A huit heures les Galiotes a bombe commencerent a tirer * mais fans aucun effet, a caufe de leur éloignement. Elles allerent mouiller devant le Fort de 1'Oueff, formerent un croiffant a la portee &o.  Ï>E JÉAN-BAÏtf. M Canon de ce fort. Les Frégates mouillerent derrière & dans les intervalles, On confia a Jean-Bart la garde du fort de Bonne-Efpérance, & a M. de Sainte-Claire, auffi Capitaine de Vaiffeau, celle Chateau-Verd du cöté de 1'Üueft. M. Derlingue , Chef d'Efcaclre, qui cominandoit la Marine a Dun. kerque , détacha neuf chaloupes , fous les ordres du Chevalier Montgon, pour aller fe pofïer le long des cötes, du cöté de 1'Oueft, & au vent des Forts , pour couper les Brülots & les machines que les Ennemis tenteroient de faire dériver fur ces Forts. II en pofta neuf autres entre les deux têtes des jettées fous le commandement du Marquis du Chateau-Renaut, afin de les avoir a fa jdifpofition > dans un cas de befoin. Jl fit placer, dans ce même endroit^ F vj  93 VIE un ponton avec quelques pieces de canon de vingt-quatre , qui tiroient a tleur d'eau. II étoit commandé par M. de Ia Ferriere. Depuis neuf heures du matin r jufqu'a trois heures après midi, les Ennemis bombarderent Dunkerque fans relache. Vers les trois heures, T'Amiral Anglois mit un pavillon rouge a fon mat d'avant. A ce fignal plufieurs batimens appareillerenr.. M. de Relingue fe mit dans une des Chaloupes qu'il avoit fait mouiller a la tête des jettées; fe fit fuivre par les huit autres ; alla joindre celles qui étoient le long des cötes. II ordonna au Chevalier de Montgon de refter a fon pofte avec dix Chaloupes qu'il fit avancer • d'obferver les Brülots & les machines des Ennemis ; & avec fix autres, armées de «nnon, foutenues par un pareil- nons-  BE JEAN-BART. 9f bre a fimples picrriers, commandées par le Marquis de Chateau-Renaut, il alla droit a celles des Ennemis ; lacha plufieurs coups de canon fur celles qui étoient le plus avancées ; mais elles firent un feu fi terrible fur lui, qu'elles 1'obligerent de fe retirer. Les Gafiottes a bombes des Ennemis , ne ceffoient, pendant ce temps » de tirer fur Dunkerque r mais la mer monta, le vent augmenta; alors les Ennemis n'eurent plus Ia facilité d'ajufter leurs coups. Sur les quatre heures, leurs Frégates mirent & la voile; s'approcherent a la portee du canon des Forts , firent fur eux un feu terrible, pour favorifer 1'effet des Brülots qu'on fe propofoit d'en* voyer contre les Forts des deux tètes; mais 1'intrépide & infatigable Jean-Bart, imité paf M. de Sainte  joo V I E Claire, en fit fur ces Frégates itd qui étoit encore pms terrible; les forca de s'éloigner. Les Ennemis lacherent un BrüIot qui avoit a tribord une grande Chaloupe montée de fix hommes, qui fe tenoient de bout, & qui mirent promptement le feu au Brülot» fe retirerent pour éviter celui des Chaloupes de Dunkerque. Aufii-töt que le Chevalier de Montgon appercut le Brülot qui faifoit fa route avec une fumée épouvantable., il avanca avec intrépkiité fur lui; y fit jetter Jes grapins; le remorqua jufqu'a uti endroit fort éloigné, oü il brüla fans faire aucun mal. Peu de temps après, les Ennemis firent partir un fecond Brülot, qui alla en répandant autant de fumée que 1'autre, vers le ChateaudeBonneu Efbérance. Jcan-JJart qui y conj-<  DE JEAN-BART. ia TBandoit fit lacher t.int de coups de canon fur ce Brülot , qu'il dévira T brüla encore fans faire aucun mal. On en envoya deux autres ; mais les canons des Forts & des Chaloupes dc Dunkerque les détournerent encore ■: ils allerent brüler, comme les autres dans des endroits oü ils ne cauferent aucun dommage. Les ennemis, voyant que toutes leurs tentatives étoient inutiles, fongerent a fe retirer vers les fix heures & demie du foir. Ils avoient lancé fur Dunkerque douze eens bombes , fans compter les carcalfes j n'avoient caufé que très-peu de dommage k cette Ville & fes Forts. Ils efpéroient de Ia détruire; mais Jean-Bart avoit infpiré fon courage aux Dun» kerquois : ils braverent les dangers 5; rendirent impuilfans tous les efforts. •des Anglois Sc des Hollandois \ chap-  m VIE gerent leur efpoir de réuffir, en depit d'avoir échoué. Vers ia fin de 1693, ils avoient tenté de détruire Saint-Malo, dont les habitans, rivaux de ceux de Dunkerque, ruinoient leur commerce; mais ils n'avoient pas rmeüx réuffi. Louis XIV avoit l'ame trop grande pour ne pas donner des marqués de fatisfatlion a un homme dont on lui vantoit continuellement les exploits: il fit deux mille livres de penfion a Jean-Bart; éleva fon fils a la dignité de Lieutenant de Vaiflèau. Le jeune Bart étoit déja un héros : il imitoit fon pere ; fe précipitoit au milieu des hafards, avec la même intrépidité. Le Roi vouloit ajouter a la gloire immortelle dont il jouiffoit, celle de rétablir Jacques II fur le tröne d'Angleterre i il fit faire de grands pré-  DE JEAN-BART. 103 paratifs a Dunkerque & a Calais pour le recondulre en Angleterre; réfolut de confier cette expédition k Jean-Bart. Les Anglois & les Hollandois furent avertis des deffeins du Roi de France ; firent de nouveaux efforts pour les faire échoueri mirent en mer une Flotte de plus de foixante voiles , fous les ordres de 1'Amiral Rufièl, qui vint croifer dans la Manche. On crut qu'il feroit imprudent d'expofer ce Prince a un auffi grand danger : il étoit déja a Calais, tout prêt a s'embarquer. Lorfqu'il eüt des nouvelles de la Flotte combinée,. il retourna a Saint-Germain. Louis XIV, voyant que les Vaiffeaux qui étoient a Dunkerque ne pouvoient fervir a leur defiinationr envoya ordre a Jean-Bart d'aller croifer dans la mer du Nord. Les1  164 VIE Anglo's Sr les Hollandois avoient bloqué le port de Dunkerque avec vingt-deux "Vaiffeaux de guerre,pour erapècher que les Armateurs de ce Port ne fortiffent, ne continuaffent de défolef leur commerce, & y tenir le rcdoutable Jean Bart enfêrmé. Ce grand homme, impatient de contenter les defirs d'un 'Monarque qui ne fe laffoit point de lui donnet tres marqués de bonté, réfolut de fortir; de braver tous les dangers (i). II monta fur une hauteur; examina corhment les Vaiffeaux ennemis éto:ent arrangés; fit fes préparatifs pour partir; mit a la voile, la nuit du 17 au 18'Mai 1696, avec une Efcadre de fept Frégates, un Brülot, trois Armateurs de Dunkerque, qui voulu- (1) Hift. de Dunkerque-, JYïéni. Chrosn. Mim. de Quir.cy, tom. 3 , pa»-. 279.  DE JEAN-BART. ic5 rent partager les dangers avec lui; participcr a fa gloire. II palfa encore au travers des Vaiffeaux ennemis, par les intervalles, ayant Ie boutefeu a la main ; alla croifer vers ie Nord fur la route qu'il croyoit que devoit tenir la Flotte Hollandoife de la mer Bahique. II 1'appercut, 1'envoya reconnoitre par les Arnwteurs qui 1'avuient fuivi. Elle étoit corapofée de cent fix Navires Marchands, efcortés par cinq Vailfeaux de guerre, Ceux qui étoient ai-lés reconnoitre cette Flotte, cauferent beaucoup d'inquiétude aux Equipages Hollandois.; mais leurs Hautes-Puilfances leur avoient donné ordre de fe hater d'arriver en Hollande ; ils continuerent ler.r route. Jean-Bart jugeant qu'il lui feroit plus facile de s'emparer de cette Flotte , prés du Port ou étoit fa deftination qu'on pleine mer, ja  ió6 V ï E laiffa avancer tranquillement. EÏÏe arriva le 18 Juin a la vue des cótes de Hollande ; fe crut échappée au danger. Jean-Bart, qui ne la perdoit point de vue , donna promptement ordre aux Commercans qui favoient fuivi, de couper les Vailfeaux marchands de la' Flotte, pendant qu'il attaqueroit les cinq d'Efcorte. II tomba tout-a-coup delfus; attaqua lui-même le plus fort; blelfa a mort le Capitaine Baching , qui le commandoit, tua un grand nombre d'hommes de TEquipage. Ceux qui commandoient les autres Frégates 1'imiterent: les cinq efcortes furent prifes a 1'abordage. Pendant le combat , les Commercans Dunkerquois enleverent quarante-cinq Vailfeaux de la Flotte Hollandoife. A peine cette aétion étoitelle finie, que Jean-Bart appercut Breize Vailfeaux de guerre qui al-  DE JEAN-BART. io7 ïoient au Nord & appareilloient fur lui. Ne fe trouvant pas afïèz fort pour leur réfifter, il brüla quatre des Vailfeaux de guerre qu'il avoit pris ; mit dans le cinquieme leurs Equipages, qui montoient a douze eens hommes; en ötant le pavillon; en brülant les poudres; encloua le canon ; le Iaiffa aller, a condition qu'on le rameneroit a Dunkerque, & retint deux Capitaines en ötage. II brüla en outre trente Vailfeaux Marchands qui refufoient de payer leur rancon ; prit le vent fur les Ennemis ,• amena les quinze autres Vaiffeaux Marchands qui étoient richement chargés; rentra triomphant dans Dunkerque. Lorfque le Vaiffeau qui portoit les Equipages arriva a Amflerdam, on conduifit les bleffés a 1'Hópital. Le peuple en les voyant palfer, tomba  xot VIE dans Ia confternation; bientöt la furetir fuccéda. On vouloit piller les maiföns des Officiers de 1'Amirauté : on les accufoit d'être caufedes pertes continuelles qu'on effuyoit dans le commerce; on cntendoit crier dans tóüs les quartiers de la Ville : Ce Jean-Bart ejl donc un Démon auquel rien ne peut réfifter. Ces plaintes de la part des ennemis de la France, mieux que ce qu'on peut dire, faifoient 1'ëloge de ce grand Capitaine. Les Officiers, pour appaifer ces murmures , ces cris , iirent pafier au travers d'Amfterdam les Matelots d'un petit Batiment Francois armé en courfe. Jean-Bart ne relïa pas lóng-temps a Dunkerque, il en fortit bientót avec fon Efcadre; retourna croifer dans la mer Baltique; effraya telleinent les Hollandois , qu'ils n'en-  DE JEAN-BART. 109 voyerent cette année que quarante Vailfeaux a la pêche du harang, au' lieu de quatre a cinq eens qu'ils avoient coutume d'y envoyer. Le feul nom de Jean-Bart étoit un épouvantail terrible pour les Hollandois: ils avoient équipé une Flotte confidérable , chargée de marchandifes pour la Ruffie : lorfqu'ils apprirent qu'il étoit dans la mer Baltique avec fon Efcadre, ils envoyerent ordre fl Ia Flotte de fe retirer dans un des Ports de Norvege, quoiqu'elle fut efcortée par huit Vailfeaux de guerre; de prendre "toutes les précautions néceffaires pour revenir en Hollande; ce qu'elle fit. Ainfi JeanBart fut caufe que eet armement, dont ils avoient efpéré tirer un grand avantage par les échanges qu'ils croyoient faire en Ruffie , leur de, vint fort onéreux. Bs avoient eau*  tx« VIE tume d'envoyer quatre fois par a» une grande Flotte Marchande dans la mer Baltique ; elle n'y alla cette année qu'une fois, avec une efcorte confidérable. Pour s'oppofer a fex ravages ; ou le prendre fi 1'on pouvoit, ils entretinrent pendant cinq mois , cinquante - deux Vailfeaux , divifés en trois Efcadres. Lorfque Jean-Bart manqua de vivres, qu'il fut obligé de retourner a Dunkerque , il palfa entre deux de ces Efcadres; leur écbappa avec une adreffe admirable. II étoit aüffi adroit a éviter les dangers, que hardi a les braver. Le 17 Avril 1697, le Roi nomma Jean-Bart Chef d'Efcadre; lui envoya ordre d'armer fept Vailfeaux de guerre qui étoient a Dunkerque; de fe tenir prêt a partir. La Pologne venoit de perdre un des plus grands Rois  DE JEAN-BART. xti Rois qu'elle eüt cu : Jean Sobieski étoit mort le dix-fept Juin de 1'année précédente. Plufieurs prétendans a la Couronne de Pologne fe préfen* terent; le Prince de Conti; Frédéric Augufte, Eleéteur de Saxe; Jacques, fils de Jacques II, Roi d'Angleterre ; le Prince Charles de Neubourg, frere de 1'Electeur Palatin ; Léopold, Duc de Lorraine; Louis, Prince de Bade ; Livio Odefchali,' neveu du Pape Innocent XI. Les fuffrages du Charap Eleéïoral ne fe trouverent partagés qu'entre le Prince de Conti & Frédéric Augufte. Le Primat du Royaume étoit pour le Prince. Conti. Louis XIV, qui avoit la guerre a foutenir contre fes voifins, ne fe foucioit pas de fournir au Prince de Conti les fecours qui lui étoient nécefiaires pour monter fur le tröne de. Polqgne : mais le G  ui- VIE Prima't écrivit a Sa Majefté d'unfc raaniere fi prcffante , qu'elle fe détermina a envoyer le Prince en Polo gne. Elle manda a Jean-Bart qu'elle conlioit fon Paren t a fa prudence & a fes foins; de fe tenir prêt a Ie conduire en Pologne. Le Prince arriva le 5 de Septembre a Dunkerque , accompagné des Chevaliers d'Angoulème , de Sillery & de Lauzun , portant avec lui huit eens nrlle livres en or; pour un million de pierredes , & pour deux m'llions de lettres de change. II s'embarqua le 6 au foir, fur l'Efcadre de Jean-Bart : elle étoit compofée de fix Vaiffeaux & d'une Frégate. Le 7 elle paffa devant Oftende; fit fa route pendant la nuit; échappa a dix-neuf Vaiffeaux de guerre Ennemis, qui s'étoient poftés au Nord de Dunkerque pour s'oppofer a fon paffage. Au point du  BE JEAN-BART. 03 .jour elle cn rencontra deux autres a la voilé , & neuf mouillés entre la1 Meufe & la Tamife. Jean-Bart fe tint fur la défenfive; continua fierement fa route. Lorfque le danger fut paffé, le Prince de Conti lui dit: S'ils nous avoient attaqués• ils au-roient pu nous prendre. Jean-Bart lui répondit avec fang froid : Cela étoit impojfihle. Comment aurie\-vous fait ? repliqua le Prince. Jean-Bart repliquu : Plutót que de me rendre, j'aurois fait mettre le feu au Vaiffeau; nous aurions fauté en l'air y - & ils ne ■ nous auroient pas pris : mon fils avoit ' ordre de fe tenir a la fainte-barbe tout prêt a y mettre le feu au premier fignal. Le Prince de Conti, frémit, f ui dit : Le remede ejl pire que le mal: je vous défends d'en faire ufage tant que je ferai fur votre Vaiffeau. La Flotte arriva le 10 au matin, G ij '  ii4 VIE entre le Cap Erneufe, en Norvege, & le Velckeren. Alors la Frégate, qui étoit commandée par M. de Nogent, reprit la route de France pour porter au Roi des nouvelles du voyage.; lui annoncer que le Prince étoit hors de tout danger. Le 13 , Jean-Bart mouilla devant Elzeneur. Le quatorze , a cinq heures du foir il palfa devant le Chatcau de Cronenbourg, qui commande 1c détroit du Sund. LeRoi, la Reine de Danemarclv, les Princes & toute la Cour fe troiiverent fur la terraffe du Baftion, pour voir paffer fon Alteffe. La Flotte fut obligée , pour fuivre fa route, de s'en approcher a deux portées de fufil. Après les falves ordinaires de part & d'autre, le Prince de Conti fit faluer leurs M«jeftés de quinze coups de canon, a.ux.quels le Chateau répondit par  t)E JEAN-BART. ir§ «eiif L'Efcadre refta deux jours de* vant Copenhague; en partit le tj i mais elle n'arriva que le 26 a la rade de Dantzik , paree qu'elle eut le vent contraire. Plufieurs Evèques & Grands Seigneurs, allerent faluer le Prince de Conti ,• lui firent beaucoup de promeffes. Le 13 Oclobre, on tint une affemblée générale a Oliva; mais il ne s'y paffa rien qui répon* dit aux efpérances qu'on avoit données a Son Altefle. Elle s'appercut qu'il faudroit dépenfer des fommes confidérables ,• répandre beaucoup de fang, &, peut-être, fans obtenir la Couronne a laquelle elle étoit appellée. Le Prince remonta fur 1'Efi cadre de Jean-Bart, qui mit auffitöt a la voile ; arriva a Dunkerque le 10 Décembre 1697. L'Elecleur de Saxe réuffit a mettre le Prima* de Pologne dans fes intéréts; fut G üj  ïi6 VIE proclamé Roi, fous le nom cÜÜÊïW gulle II. Toutes les Puiffimces belligérantes , fatiguécs de la guerre, firent le traité de paix de Rifwiek. La France. reconut le Prince d'ür.mge Roi &fcAogletérre, fous le nom de Guillaume III. Je:ii-3.ut profita de la paix pout? fe rcpo'er au milieu de fa funiUe des fatigues qu'il l ff i}roit depuis un temps confiiérable. La guerre s'étant rallumée en 1702, au fiijet de la fucceffion d'Efpagne, Louis XIV, qui s'attendoit a voir l'Allemaq;ne, 1'Angleterre, la Hollande fe réunir con ■ tre lui, fit les préparatifs néceffaires pour fe défendre, & placer fon petit-fils fur le Tröne d'Efpagne. II en" voya ordre dans tous les Ports , d'armer tous les Vaiffeaux qui s'y trouvoiènt. Sa Majefté cbargea Jean-  DÉ JEAN-BART. 117 Bart d'armer une Efcadre qui étoit a Dunkerque; d'en prendre le commandement : lui envoya un fort beau Vaiflèau de foixantc-dix pieces de canon , nommé ü rcnlant, nouvellement conftruic au Havre. Ce brave Officier, toujours occupé du foin de mériter les bontés du Roi, travailla avec ardcur a mettre fon Efcadre en état d'aller en mer; gagna une p!eu~ rébe qui le mit au tombeau le 27 Avril. II étoit alors dans fi cinquante-deuxieme année. Le Roi fut pénétré de douteur, lorfqu'il apprit la mort de Jean-Bart. La nouvelle s'en répandit bientöt dans toute 1'Europe: elle caufa une trifieffe générale dans la France. Les Ennemis mêmes rendirent a fon mérite Ie tribut d'éloges qui lui étoit dü. Tous les babitans de Dunkerque verferent des pleurs fur fon tombeau. II fut enterré dans G iv  TlS VIE la grande Eglife de cette ville. Ote voit fon épitaphe au fecond pilier a main gauche du choeur. Elle eft con>cue en ces termes : Cy git Mejjire Jean-Bart, en Jon vivant Chef d'Ef cadre des Armées da Roi, Chevalier de V Ordre Militaire de S. Louis, natif de cette ville de Dunkercue ; décédé le %j Avril ijox, dans la cinquantedeuxieme année de fon dge , dont il en avoit employé vingt-cinq au fervice de Sa Majefté, & de Marie-Jacquellne Tugghe , fa femme , aujfi native de cette Villi , qui mourut h $ Féyrier 1719, cgée de cinquante-cinq mis. - (1) Jean-Bart étoit grand , bien pris dans fa taille; avoit l'air robufte ; fembloit fait pour réfifter aux CO Hift. «Je Dunkerque,  DE JÊAN-SART. ïï9 fatigues de la mer. Tous fes traits étoient formés ; il avoit la phyfionomie agréab'e •, le teint fort beau; les yeux bleus , grands, bien fendus les cheveux blonds. II étoit fobre, parloit peu; avoit 1'efprit jufte; beaucoup de bon fens : mais il n'avoit aucun ufage du monde. II étoit actif, vigilant; toujours prêt a agir 2 le repos 1'ennuyoit. Ces qualités étoient foutenues par une valeur & un courage a toute épreuve ; mais toujours guidés par la prudence. II bravoit les dangers lorfque la néceffitél'y obligeoit; les évitoit quand il n'en pouvoit retirer ni gloire ni avantage. On le vit plufieurs fois paffer au travers des Flottes ennemies , affemblées pour 1'arrêter. Avec des forces beaucoup inférieures, il attaqua les ennemis, enleva les Vaiffeaux marchands & les Vaiffeaux de G v  z«9 VIR guerre chargés de les garde r. L'ëXpédition qu'il fit en 1694 , établit la joie dans la France, délblée par la funine, le couvrit d'une gloire jinmortelle. Le nom de Jean-Bart étoit un épouventail pour les Anglois, les Hollandois , les Efpagnols. Son ufage étoit d'effuyer la bordée de 1'Ennemi; de ne lacher la fienne qu'a la portée du piliolet; de monter auffi-tót a labordage. Jean-Bart, fans nailfance, fans fortune, fans appui , monta aux plushantes digu'.tés de la Marine : fes aclio is feules parierent pour lui. Sa vie doit fervir de modele a ceux qui fuivent la même carrière que lui 1 les exciter a braver 1'envie, a fonder leur efpéwówe lür un Roi qui le f'. i mij loi de récompenlér le mérite. On a. débiti bien. des flibles fur  DE JEAN-BART. mce grand homme. Nous n'avons rapporto que ce qui eft appuyé fur des autorités. La poftérité de Jean-Bart a foutenu & foutient encore la gloire de: fon nom avec éclat. F I N. G vj   EXPLICATION DES PRINCIPAUX TERMES DE MARINE. A. Auorda ge. C'eft 1'approche de deux Vaiffeaux ennemis, par le moven des grapins que Vun des deux jette fur 1'autre. Affalé. Vaiffeau affalé. C'eft Iorfqu'il eft arrêté fur la cöte, qu'il ne peut s'élever ni courir au large, par trop ou trop peu de vest, ou que Ie vent le force a fe tenir prés de terre. Affourcher. Eft jetter une fecond^  r 2 4 Explicatlon ancre du cöté oppofé a celui oü eff la première. Ces deux ancres retien- nent le Vaiffeau dans le mauvais temps, contre le flux & reflux de la mer. Affranchir un Vaiffeau. Eft öter ,. par le moyen des pompes, 1'eau qui entre dans un Vaiffeau. Agréer. Eft équiper un Vaiffeau de tout ce qui lui •eft néceffaire pour faire un voyage. Alarguer. Eft s'éloigner de 1'Ennemi , d'un rocher ou d'une cöte oü Pon craint d'échouer. Amarres. Sont les cables & les cordages employés a attacher un Vaiffeau. Amariner. C'eft faire paffer des Officiers , des Sold;:f-'i , des Matelots dans un Vaiffeau pris. Amener fon Pavillon. C'eft faire fignc qu'on fe rend.  des ter mes de Marine. 125 Amures (reprendre les) en l'autre hord. til changer la route, & préfenter l'autre coté du Vaifseau au. vent. Appareiller. C'eft fe difpofer a mettre a la voile. Appareiller une voile s c'eft la déployer. Aramber. Eft accrocber un Batiment d'une maniere ou d'autre pour venir a 1'abordage. Arborer. Eft élever quelque cllofe.. Arborer un mat, c'eft drefser un mat fur le Vaifseau. Arborer un Pavih Ion, c'eft hifser & déployer un Pavillon, enforte qu'il puifse être vu, & voltiger au gré des vents. Arifer lesvergues. Eft baifser lesvergues pour les attacher fur les deux bords du vibord, afin de donner prife au vent. Armement. Se prend pour 1'équipement général d'un Vaifseau, fouvent  ïo.6 Explicatiori autfi ponr 1'Equipage particulier d'un Vaifseau. Armer les avirons. Eft mettre le? avirons fur les bords de la Chaloupe, tout prêts a fervir. Arriere. C'eft la partie du Vaifseau oü eft la poupe. On dit pafser a 1'arriere d'un Vaiffeau, pour fignilier ? marcher a fa fuite. On dit mettre un Vaiffeau a 1'arriere, pour ligniiier, le dépaffer; le mettre derrière foi. Arriver. Eft obéir au vent. Arriver fur un Vaiffeau. Eft aller a: lui, en obéifsant au vent, ou en mettant vent en poupe. Artimon. Eft le nom qu'on donne au fecond mat d'un Vaifseau, & qui eft pofé fur fon arriere. Atterer. Eft prendre terre. Avaler. C'eft d'efcendre une riviere, Lorfqu'un vent defcend, on dit qu'U H iv  I42 Explication ponr le couvrir. L'Amiral, le ViceArairal , & le Commandant d'une Divifion, ont deux Vaiffeaux Matelots pour les fecourir ; 1'un a leur avant, l'autre a leur arriere. Mifaine (mat de). Eft le mat de la proue. Moh. Maffif de maconnerie, placé au devant du pont, pour le mettre ti couvert de 1'impétuofité des vagues & en empêcher 1'entrée aux Vaif feaux ennemis. Monter au vent. C'eft louvoyer pour prendre Pavantage du vent. Mouiller. C'eft jetter l'ancre pour arrêter le Vaiflèau. Mouffe (un). Eft un apprentif Matelot. Moutonner. On dit que Ia mer moutonne Iorfque 1'écume de fes lames blanch.it; de fortequeles vagues reffemblent aux moutons.  des termes de Marine. 143 O. Oeuvres mortes. (les) Sont toutes les parties d'un Vaiffeau qui font hors de 1'eau. Oeuvres vives (les). Sont les parties qui entrent dans 1'eau. Orienter les voiles. C'eft les difpofer d'une maniere avantageufe pour recevoir le vent. P. Panne (mettre en). C'eft arrêter un Vaiffeau , en plaeant les voiles de maniere que 1'effort du vent fur les unes, foit contrebalancé par celui qu'il fait fur les autres. Ces forccs contraires fe détruifent , & le Vaiffeau refte en place. Poffer au vent d'un Vaiffeau. C'eft gagner le vent fur un Vaiffeau. Pavillon (le). C'eft un drapeau H v  144 Explicaüon qui a une forme différente felon les pays, qu'on arbore au haut des mats , ou fur le baton de 1'arriere , pour faire - connoitre la qualité des Commandans des Vaiffeaux, & la Nation a laquelle ils appartiennent. Suivant les Ordonnances de Louis XIV, 1'Amiral porte un Pavillon carré & blanc au grand mat ; le Vice-Amiral en doit porter un femblable au mat de mifaine; le Contre-Amiral ou Chef d'Efcadre , qui Fait les fonffions de Contre-Amiral, doit le porter au mat d'artimon. Perroquet. Eft un peüt mat, enté a 1'extrémité des autres. Phare (un). C'eft une tour élevée fur' la cöte , ou batie en mer fur quelque rocher, & au fommet de laquelle on met un fan al, oü 1'on allume un feu pendant la nuit , pour indiquer la route aux Vaiffeaux.  des ter mes de Marine. 145 Pilotage. C'eft Part de prefcrire la route d'un Vaiffeau & de déterminer le point du Ciel fous lequel il fe trouve. Pincer le vent. C'eft aller au plus prés du vent. Pompe (affranchir la). C'eft jetter autant d'eau avec la pompe, quJil en entre dans le Vaiffeau. Etre a une ou deux pompes, c'eft fe fervir continuellement d'une pompe , pour jetter Peau du Vaiffeau. Pont (le). Eft un piancher qui fépare les étages d'un Navire. On dit qu'un Vaiflèau a plufieurs ponts, quand il a plufieurs étages dans fon creux. Les moyens Vaiffeaux en ont deux , les plus grands en ont trois , diftans chacun de cinq pieds. Poupe. C'eft 1'arriere du Vaiffeau . Prendre vent de y-ent. C'eft receH vj  146 Explication voir le vent dans les voiles malgré foi. Prolonger un Vaiffeau. C'eft fe mettre flanc a flanc d'un Vaiflèau, vergue a vergue. Proue. C'eft 1'avant ou la pointe d'un Vaiflèau par laquelle il divife 1'eau. Pui/er. C'eft faire eau. On dit un Vaiffeau puiffe par le haut, quand 1'eau entre par le cöté. II puife patles fabords quand 1'eaü entre par fe cöté. Q- Quart. C'eft le temps oü une partie de 1'Equipage vieille pour faire le fervice, tandis que l'autre fe repofe. Ce temps eft de quatre heures dans les Vaiffeaux du Roi. Quart de vent. Eft une aire de vent féparé d'un autre air par un are de  des termes. de Marine. 14? 11 degrés 15 minutes, ou la quatrieme partie de Ia diftance qui eft entre deux des buit vents principaux. Quille (Ia). Eft une longue &groflc piece de bois , oü 1'affemblage de plufieurs groffes poutres mifes bouta-bout , qui foutiennent tout Ie corps d'un batiment, & qui , par conféquent, déterminent la longueur du fonds de cale. La quille eft a un Vaiffeau ce que 1'épine du dos eft au corps humain. R. Radouber. C'eft travailler a réparer le dommage qu'a recu Ie corps du Vaiffeau. On dit radouber un Vaiffeau , & raccommoder des Manoeuvres. Relinguer, faire relinguer. C'eft di£pofer le Vaiffeau de maniere que Ie vent ne donne pas dans les voiles,.  143 Expllcation Ranger la terre. C'eft paffer auprès de la terre. Ras ou Rat. Eft un courant rapide & dangereux, ou un changement dans le mouvement des eaux, c'efta-dire, des contre-marées qui font ordinairement dans une paffe ou dans un canal. Relacher. C'eft s'arrêter quelque part. Revirer. C'eft tournet le vaifseau pour lui faire changer de route. Rofe de vent. Eft un inftrument compofé de carton, de corne ou de cuivre, coupé circulairement, & qui eft divifé en trente-deux parties, pour repréfenter les trente-deux aires de vent. Roulis. C'eft le balancement du Vaifseau, dans le fens de ft largeur. Rumb de vent. C'eft un des trentedeux vents.  des termes de Marine. 145 s. Sabords (lès). Sont les embrafures dans le bordage d'un Vaifseau, par lefquelles pafse le canon. Les grands Vaifseaux ont trois rangs de fabords, de quinze chacun. On ferme les £1bords dans le temps des tempêtes, de peur que 1'eau n'entre par-1 a dans le Vaifseau. lis ont environ trois pieds en quarré dans les ouvertures. Sainte-barhe (la). Lieu oü 1'on met la poudre; cbambre des Canoniers. Salut. Honneur que les Vaifseaux de différentes Nations fe rendent, même ceux d'une même Nation, lorfque les Officiers qui les montent font d'un rang différent. Ce falut confifte a fe mettre fous le vent; a amener le pavillon; a faire les premières & les  ï,£fo Esplication plus nombreufes décharges de 1'artillerie, a ferler quelques voiles, principalement le grand hunier; a envoyer quelques ofliciers a bord du Vaifseau auquel on donne le falut; a fe mettre fous fon pavillon. Serrer les voiles. C'eft porter peu de voiles. Serrer le vent. C'eft la même chofe que pincer le vent. Sillage. Eft le cours, même la vitefse d'un Vaifseau; c'eft mefurer fa vitefse & le chemin qu'il fait. Sombrer fous voiles. On fe fert de cette expreffion pour dire qu'un Vaiffeau étant fous voiles, eft renverfé par quelque grand coup de vent qui le fait périr 6c couler- bas. Souffier un Vaiffeau. C'eft lui donner un fecond bordage, en le revêtifsant de planches fortifiées. Stribord. C'eft le cöté gauche du  des termes de Marine. 15 i Vaifseau , depuis la poupe jufqu'a la proue. T. Temps a perroquet. Eft un beau temps oü le vent fouffle médiocrement, & porte a route. On Pappelle alnfi, paree qu'on ne porte la voile de perroquet que dans le beau temps. Etant fort élevé, fa voile donneroit trop de prife au vent, fi on la portoit dans le gros temps. Tenir au vent. C'eft naviguer avec le vent contraire. Tenir voiles. C'eft être au plus prés du vent. Tenir fous le vent. C'eft avoir toutes fes voiles appareillées; être prêc a faire route. Terrir. C'eft prendre terre. Tomber fous le vent. C'eft prendre Payantage du vent.  t$t Ëxplication Touer. C'eft tirer ou faire avancef nn Vaiffeau avec la hanfiere, qui y eft attachéë par un bout, & dont l'autre bout eft faifi par de Matelots qui tirent le cordage pour faire avancer le Vaifseau! La différence qu'il y a entre ce mot tuner cc celui de remorquer, c'eft qu'on ne tire pas ua Vaiffeau a force de bras quand on remorque , mais a force de rames. Tourbillon. C'eft un vent violent qui tournoie fur 1'eau, en peleton. Tournant. Nom qu'on donne a un mouvement circulaire des eaux, qui forme un gouffre dans lequel périffent ordinairement les Vailfeaux qui ont le malheur d'y tomber. Tramontane. Nom qu'on donne fur Ia Médicerranée au vent du' Nord ■> paree qu'il vient de de-la les monts. Travers. Mettre un Vaiffeau en  des termes de Marine- 153 travers, c'eft préTenter le cöté au vent. Travetfier. C'eft un petit Batiment qui n'a qu'un mat. Trompe. Tourbillon de vent qui fe forme dans un nuagc épais , qui cn defcend en tournoyant, fans cependant quitter le nuage, & aboutit a la mer. Cette trompe afpire 1'eau ; la .laiflê tomber lübitement. Le Vaiffeau qui fe trouve deffous eft inondé & prefque englöuti. II eft quelquefois enlevé, ou renvérfé, lorfque la trompe afpire. Elle afpire avec tant de violence, qu'elle déracine des arbes fur terre. V. Vaiffeau. Se dit généralement de tous les Batimens de mer. II y en a de deux fortes ; 1'une eft des Vaiffeaux de baut bord, qui vont feule-  iS4 Explication ment a voiles, & courent fur toutes les mers ; l'autre eft des Vaiffeaux de bas bord, a rames & a voiles. On appelle un Vaiffeau de cent oude deux eens tonneaux, celui qui peut porter la charge d'un pareil nombre de tonneaux de mer, c'eft-adire le poids de deux mille livres par cbaque tonneau. ■ On dit, Vaiffeau du premier rang , du fecond , du troiiieme, du quatrieme , du cinquieme. Les Vaiffeaux du premier rang , ont depuis cent trente, jufqu'a cent foixante-trois pieds de long, quarantequatre de large, vingt pieds quatre pouces de profondeur. Leur port eft de quinze eens tonneaux : ils font montés depuis foixante-dix jufqu'a cent vingt pieces de eanon. Les Vaiffeaux du fecond rang ont depuis cent dix jufqu'a cent vingt  des termes de Marine. ïg5 pieds de quille ; leur port eft de onze a douze eens tonneaux ; ils font montés depuis cinquante jufqu'a foixantedix canons. Ceux du troifieme rang n'ont jamais plas de cent dix pieds de quille; leur port eft, de huit a neuf eens tonneaux : ils font montés de quarante a cinquante pieces de canon. Ceux du quatrierne rang ont Ia quitte de cent pieds; portent cinq a fix eens tonneaux (font montés de quarante a cinquante pieces de canon. Enfin les Vaiffeaux du cinquieme rang ont quatre - vingt pieds de quille, même moins i ils portent trois eens tonneaux, font montés de dix-huit a • vingt pieces de canon. Vent arriere. Eft Ie vent dont Ia direftion ne fait qu'une même W avec la quille du Vaiffeau. ■ Virer de bord. C'eft changer de  jcö Explication route, en mettant le bout d'un Vaiffeau a 1'cndroit oü étoit l'autre. Virer vent arriere. C'eft tournet" un Vaiffeau , pour lui faire prendre Ie vent en poupe. Virer vent devant. C'eft tournet* un Vaiffeau en lui faifant prendre le vent devant. Voie d'eau. Eft une ouverture dans ie bordage du Vaiffeau, par oü 1'eau entre. Voiles. Ce mot fe prend fouvent pour le Vaiflèau même. On dit trente, quarante , cinquante , Sec., voiles, pour exprimer trente , quarante , cinquante , Sic. Vaiffeaux. Voile en pa te nare. Eft une voile qui, ayant perdu fa fituation ordinaire, par quelque accident, eft tourmentée par les vens. Voilier. Eft un mot générique qui demar.de un adjectif qui marqué fa  des fermes de Marine. 157 qualité diftinclive. On dit qu'un Vaiffeau eft bon voilier , pour exprimer qu'il porte bien fes voiles, qu'il va vite; qu'il eft mauvais voilier, pour exprimer qu'il porte mal fes voiles 3 qu'il eft lent & tardif. FIN.