A p s° ^ Z3_\   01 21"3050 UB AMSTERDAM  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O u LETTRES Sur 1'état aduel de ces Pays. Felix qui potuit rerum cognoicere cauias. ViRGILt. TOME PREMIER. Prem/ere Partia. A AMSTERDAM, rhez Chakguion, Libraire. On en trouvê desExemplaires chez Eramanuel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles, M. DCC. LXXXII.   AVIS. L'ouvrage dont nous offrons au* (öurd'hüi le commencemcnt au Public , eft écrit fans partialité : le but de celui qui s'en occupe , n'eft m de louer pour flater, ni de critiquer pour mortihcr qui que ce foit. SH1 lui arrivé d'errer dans fes obfervations, dc s'cgarcr dans fes conjeftures, de fe trompcr dans fesjugcmens, ce fera de bonne-foi. II ne paile que de cc qu'il voit ou de ce qu'il a vu. Son plan eft celui du Voyageur dc 1'Abbé de la Portc; maïs celui - ci écrivoit a Paris des Pays qu'il n'avoit point parcourus , au-lieu que 1'Auteur da Voyageur dans Us Pays-Bas Autrichiens , habite ces pay=, les décrit, & parle d'après luiffiême , & non comme le faifoit 1'Abbé dc la Porte, d'après les livres qui en ont traités. Après avoir traité du Brabant, 1 Auteur du Voyageur dans les PaysA 2  4 AVIS. du Tourna^, du Duché de Luxem- bourg. Hdecnra ces Pay8, donnera Ia defcnption dc leurs principales Villes, fera connotrre leur Jurifprudence, les moeurs ^ leurs habitans , leur commerce intérieur & extérieur , les produftions de leur lol, & de leur induftrie , enfin il pouffera les obfervations jufqu'aux liaifons que peuvent avoir ces Pays avec les Pays  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTR1CHIEMS. LETTRE PREMIÈRE. Bruxelles , ce Mai l;8l. Je me propofe, Monfieur , de paffer ici & dans les principales villes des PaysBas Autrichicns, unc partie de 1'été'; j'employerai ce ternps a cn examiner 1'état adluel, qui certaintmcnt eft tout-a-fait différent de ce* qu'il étoit, je ne dis pas autrefois, rriais même il y a quelques années: ce changement eft fi conïïdérable, que ccux qui ont parcouru il y a A 3  6 Le Voyageur trente ou qüarante ans ces pays, & qui y féjournent aujourd'hüi, ont peine a croire que cc foit le même pcuplc qui les habite : ce changement eft auffi grand quant au phylique que quant au moral. Ce changement, me difoit hier un de mes amis a qui j'cn demandois la caufe, ne s'eft pas opéré quant au phyfique, aujji rapidement que quant au moral. 11 a fallu que nombre d'années s'ècoulaffent pour que Bruocelles devint une des plus belles villes de l'Europe , mais il n'a fallu qu'un inftant pour produire la méthamorphofe de fes habitans qui vous furprend. La préfence de leur Souverain a caufé ce grand changement, non-feulement a Bruxelles, , mais encore dans toutes les Provinces des Pays-Bas Autrichiens. Jofcph II a donc été pour toutes ces belles Provinces ce qu'eft pour la nature entiere 1'aftre bienfaiiant qui 1'éclaire & 1'anime. Laiupcrftition a fui, le fanatifmc a difparu , le patriotifme s'eft éclairé, & onnelaplus fait confifter a maintenir d'antiqucs ufages i  DANS LES PAYS-BAS. 7 en a cru que le véritable patnote etott celui qui travailloit pourhfoc^^ aaif & laborieux faifoit ufegede feta kns pour rendre le pays nche , & qm «nployoit fes richeffcs pour augmentcr cdlesde VEtat & la forcc de fon *ou- d'au-entcr leur induftric. L'induftne des haïnans des Pays-Bas Autriclucns etoit x0 oorrp aue le commcrcc aeensourdie , paree qut- pul nombrc d'années fome^t pa^, éux; Ma voix de Jofeph, d eft fo U de eet état léthargique ; le feu de fon génie a été pour tous fes fujets le flambcau Je Promethée. Jofcph s'eft approchéde fes peuplcs, & fes peuples ont trouvé cn lui un pere tendre & bienfaifant qui ne leur parloit en maitre que pour les traiter en pere. Tous les Chefs des nations connoiffent 1'étenduc de leurs pouvoirs; c'eft la première lecon qu'ils recoivent de la flaterie qui les éleve & de 1'adulation qui les entourc dès le Berceau 5 mais les bons Rois font moins d'ufagc de leurs pouvoirs A 4  ° Voyageur qaé de I'afccndant qu'ils ont fur tous les eipms & qu'ils doivent a 1'amour qu'ils mfpircnt. La crainte d'un fujet qui aime ion Souverairi, paree qu'il fait qu'il en eft aiiné,eft celle d'un Hls qui chéritfon pere. Les Pays-Bas Autrichiens, Monfieur, font dans la poiition la plus favorable pour le commerce; ils font riches &pcuplés; ]e climat en eft hcureux & le lol tcrtile : fitucs prefque au centre de 1'Europe, ils ont pour voiüns les trois nations 'les plus riches, les plus induftrieüfes & les plus commercantes de 1'Europe. Les Pays-Bas Autrichiens ont des productiens territoriales qui font ahondantes, & dom Ia maire augmentera encore a proportion que le commerce de ces provinces s'étcndra : leurs produftions induftrieüfes nc font pas aujourd'hui en auffi grande quantitc qu'ellcs 1'étoient anciennefrient, mais pour les multiplier, il nc faut qu'a:Turcr leur confommaiion par le commerce , & je cro s mêmc que la prof-  DAN'S LES PaYS-BaS. 9 périté du commerce des habitans des PaysBas Autrichiens depend beaucoup de la multiplication de leurs produaions induftrieufes , paree qu'il eft dc principe que la.nation qui recucille beaucoup doit fabriquer beaucoup; fans cela les nations „ fes rivales en produaions territoriales , auront toujours fur elle la préférence pour la vente de ces mêmes produaions, fi ellcs peuvent en les ofFrant aux acheteurs, leur offrir auffi des produaions de 1'induftrie. Je ne connois pas de pays oü les terres foient mieux cultivces que dans les PaysBas Autrichiens; c'eft 1'efFet naturel que produit toujours 1'état heureux du cultivatcur. Le cultivateur des Pays-Bas Autrichiens ne gémit pas commc en France , fous le joug de 1'arbitraire dc 1'impot, & comme en Angleterre , fous le fardcau de Timpót. Tous les habitans des villes des Pays-Bas vivent, fi ce ri'e'ft dans l'opulence, du moins dans la plus grande aifance ; mais cettc aifance eft encore plu* A 5 ■  io Le Voyageur grande dans les campagnes que dansless villes; & dans les villes comme dans lesj campagnes, tout caraftérife le bonheurr donr jouiffent leurs habitans : pour une' ame fenfiblc, c'eft un fpeclacle féduiiant: de voir ces habitans dans une conti-nuelle aclivité , s'aider, s'entre-fecourir • les uns les autres , fe livrer a des plaifirs ; innocens, vivre au fein de leur familie , & profpérer fans éprouver les fentimens de 1'envie & dc la jaloufie. Cela n'eft pas une exagération , fur-tout pour les campagnes du Brabant; on peut hardiment affürer que le peuple qui les habitent eft un peuple hcureux. II n'eft pas rare de voir un habitant des campagnes du Brabant donner a fes filles en mariage 3a ! & 40 mille livres de France, en mêmetemps qu'il fait élever un ou deux de fes fils pour les arts ou pour les fcicncès; il j place run dans 1'Eglife, il met 1'autre dans le Barrcau ; fi un troifseme veut faire le commerce , il lui fournit les moyens de devenir commercant, mais la profef-  dans les Pays-Bas. ii {ion de cultivateur eft toujours prcfcrec , paree que pcrionne ne rougit dc 1'être. En parcourant les campagnes des environs de Bruxclles avec un de mes arms, j'ai trouvé chezun de leurs habitans oümon ami me conduifit , non lc vernis du monde , mais la bonhomie de 1'hofpitahté ; une table fervie fans profufion, de bons mets fans être délicats, d'cxccllcntc bterre & de bon vin : mon verre ni mon affiette ne reftoient jamais vuides : plus jc mangeois & ie buvois, plus je faifois plaifir a ces bonnes gens : les fantés fe fuccédoient rapidement: le pere dc familie étoit au haut bout de la table ; il pvia au commencement & aprèsle repas; mais ce qm me frappa lc plus, ce fut de yoa h m table du maïtrc de la ferme le berger i le valet dc charue, la fervante dc baffecour, leiardinier, &'ïe maftre, fa femme & fes ehfans leur parler & les traiter , nors comme domeftiques, mais comme Faifant partie de la familie. Nos mceurs vakntellcs, pour être heureux, ces mceurs paA 6  12 Le Voyageur. triarchales Bruxelles & dans pluficurs autres villes des Pays-Bas Autrichiens, on refpire un air pur & ferein ; on y vit long-temps & fans être expofé, comme dans les villes, de la Hollande, a cette foule de maladies chroniques, qui tourmentent leurs infortunés habitans. La température de 1'air eft a Bruxelles douce & agréable; ellc eft I. Partie. B  £6 L e Voyageur a Amfterdam inégale , humide , rude & fachcufe pour les hommes les plus fains &les plus robultes. On trouve a Bruxelles des comeftibïcs excellcns & de toutes efpeces ; s'ils y font chers, ils font d'un prix très-modcré dans les autres villes, s On vit cependant a Bruxelles a un tiers jneilicur marché qu'a Paris, & pour la moitié moins qu'a Londres & a Amfterdam. Autant les Hollandois font peu fociables , autant ceux des Pays-Bas Autrichiens le font, fur-tout ceux dc Bruges & de Bruxelles. L'étranger a Bruxelles eft libre, comme 1'eftun Anglois a Londres , & comme 1'eft a Paris un Francois raifonnable; il peut parler & dire fans contrainte fa facon dc penfer ; il [peut mêmc y écrire librement, pourvu qu'il refpecte la religion , les mceurs & lc Gouvernement. Plus de liberté dégénéreroit cn abus & nuiroit davantage a la fociété qu'elle ne feroit utile au progrés des fciences & des arts.  dans les Pays-Bas. Les Hollandois fe méfient de tous les étrangers qui viennent vivre parmi eux ; cette méfiance leur eft fi naturelle qu'ils la portent dans les affaires de commerce comme dans celles de la vie privée. Les Bruxellois & les habitans des autres villes Autrichiennes font faciles dans le commerce ; il fuffit qu'ils vous eftiment pour qu'ils aient en vous la plus grande confiance. Les Flamands comme les Brabanfons font vrais; s'ils fe difent vós amis, ils lefont véritablcmcnt, & en cela , ils reffemblcnt parfaitement aux Anglois. S'ils démontrent moins leur amitié que les Francois, ils n'en font pas moins ardens a fervir leurs amis. Si un commercant Hollandois fait avec vous une affaire de commerce qui nc lui foit pas auffi. profitable qu'il 1'efpéroit, il vous importune continuellement par fes lamentations, & nc vous laifiera en repos que quand vous lui aurez accordé une indemnité. L'idce, Monfieur , qu'on s'eft faite jufqu'a prcfent des Flamands & des BraB 2  «3 Le Voyageur. banfons, a été la fuite de 1'inacYion dans laquclle ils ont été pour le commerce : on ne connoifToit pas ce peuple, & paree qu'on ne le voyoit pas agir, on le jugeoit inaftif, pefant, peu induftrieux , & même pareffeux. A voir ce qu'il fait aujourd'bui , on doit être pleinement détrompé, & il paroit qu'on 1'eft, ou du moins qu'on comniencc a 1'être. Etant hier chez un Libraire de cette villc , je jettai les yeux fur un ouvrage périodique dont on m'avoit parlé a Paris , mais que je ne connoiffois pas; il a pour titre Nouvelles Lettres Hollandoifes : en parcourant lc premier volume, je vis que 1'Auteur, faifant parler un Hollandois , lui faifoit dire(a) , je connois le caraciere des Flamands & des Brabanjbns ; s'ils n'ont pas la vivacité du Francois & Vaclivité de l'Anglois, ils Jont entreprenans comme le premier , & confians dans leurs projets comme le (a) Tome premier, page 299.  dans les Pats-Bas. acj dernier. Le Brabancon & le Flarnand ont l'efprit du commerce ; ils fpéculent avec autant de fageffe que nous, entrcprennent comme nous avec prudence , mais fans avoir la timidité qu'on nous reprochs quelquefois avec raifon. Je n'ai pas prétendu , Monfieur , faire une fatyre contre les Hollandois , ni être le panégyriftc des habitans des Pays-Bas Autrichiens. Mon dcffein n'a été en mettant en oppofuion les moeurs des Hollandois avec celles des Flamands & des Brabancons, que de vous faire voir que les mceurs de ccux-ci font plus propres t\ faire profpérer chez euxle commerce que celles des Hollandois. L'efprit de commerce eft l'efprit d'ordrc , de fuite & d'économie, mais 1'économic n'eft point 1'avaricc , ni même la parcimonie qui, étant fi contraire a Pcfprit focial, fait que les hommes qui en font infeclcs vivent ifolés. Ce font les plaifirs innocens de la fociété qui rapprochent les hommes; &c'eftfouvent de ce rapprochement que dépendent B 3  30 Le Voyageur. les plus grandes entrcprifcs du commerce. Combien de fois n'ai-je pas vu a Bordeaux, a Marfcillc & a Londres, former dans des foupers de fociété des liaifons de commerce , pour mettre a exécution des fpéculations très-hardies, qui fouvent ont ouvert de nouvelles branches pour le commerce dc ces villes. Je fuis bien éloigné de tircr de-la la conféquence qu'il faille que les commercans foient diffipés, peu attentifs & leurs affaires, prodigues & diffipateurs. Un bon commercant eft un homme laboricux, qui doit préférer fes affaires a fes plaiiirs. 11 peut accorder a fon délaffement les inftans qui ne font pas effentiellement néceffaires a fon travail; s'il eft riche , il peut facrificr a fes plaiGrs une partie de fon fupetflu. Si M. Rumbert eüt vécu a Ia hollandoife, fes liaifons de commerce embraffcroient-ellcs lc monde entier , & les mers feroient-eiles couvertes dc fes vaiffeaux,9 Si les commercans ck les banquiers de Bruxelles cuiTent eu les mceurs des Hol-  dans les Pays-Bas. 3* - latidois, la fociété des quatre amis ne fe feroit pas formée, & la branche de commerce avec 1'Amérique, qui commencc a fleurir dans les Pays-Bas, n'cxifteroit pas. Si M. Chapcl eüt vécu a la hollandoife, les Pays-Bas Autrichiens connoltroient-ils le commerce de la traite des negres 1 Si les commercans dc Bruges euffent vécu comme ceux de la Hollande, auroient-ils formé chez eux enenhcures une fociété d'affurance d'un million de florm,, avec la certitude d'augmenter encorc d'un million les fonds de cette fociété aujourd'hui, doit être celui de 1'épée & de la robe : il eft même naturel qu'ils le préfercnt a 1'état du commerce. II faut a 1'Etat des déFenfeurs , a la fociété des Miniftres de la jufticc , a la veuve, a 1'orphel'n & a 1'opprimc des prote£tcurs ; c'eft parmi les noblcs qu'on doit les choifir. Ce n'eft pas cette noblelfe qui nuit au commerce , c'eft celle qui s'achete. Le Souverain qui voudra rendre fon peuple commercant , ne fe permettra jamais de mettre a prix ce qui doit être la récompenfc du  dans les Pays-Bas. 35 mérite , de la vertu & des fervices rendus a 1'Etat : c'eft avilir cette récompcnfe que de la mettre a prix. Le roturier , le plus roturicr peut ka, comme en AUemagne , s'il eft riche , devenir , quand il lc veut, Ecuycr, Chevalier , Baron, & même Comte. Un jour le fieur D***, riche commercant de Bruxelles, deraandoit au Comte de Cobenzl, s'il pourroit devemr Ecuver; oui , lui répondit lc Comte , vous pouvei, fi vous vouh\ , vous décorer même du tïtre de Duc , mais je vous averU que vous n'obtiendrè\ jamais celui d'Archiduc : excepté ce titre, tous les autres fèront è vous fi vous voule\ les dchfer. Cela me rappelle que ie Maréchal de Richelieu , pendant fon ambaffadc a la Cour de Vicnnc , fit acheter deux diplömes de Baron pour fes deux porteurs dc chaife , & qu'il répondit a plufieurs courtifans , qui lui difoient qu'ils avoient dans leur cuifme plufieurs Marquis Francois; je Is crois, mais moi, j'ai pour porteurs de chifi deux Barons. M. de * * * , riche ban-  36 Le Voyageur quier de Paris , obtint il y a quelqties années des lettres dc nobleffe ; en France elles ne s'achetent pas, on les donneril pouvoit prouvcr par fes regiftrcs que depuis 400 ans , lui & fes ancêtrcs avoient fait la banque, fans qu'on put lui faire aucun reproche. Me trouvant a dmeravec lui chez un homme en place , & étant le feul qui ne lui faifoit pas compliment, le maïtre de la maifon m'en demanda la raifon ; c'eft, lui dis-je , que les 400 ans de regiftre intacte que M. de** * peut produire , me paroiffent plus honorables que le morceau de parchemin que le Roi lui a envoyé; d'ailleurs , c'eft que je vois dans ce parchemin la ruine totale de la maifon de M. de**\ U eft puiffamment riche aujaurd'hui , Q fes petits enfans feront pauvres. Cela eft arrivé comme je 1'avois prédit. M. de * ' * devenu noble , a quitté la banque ; & voulant rcalifer fa fortune , *1 a acheté des terres, des maifons; il a fait fon fils ainé Confeilkr au Parlement; ü a mis fon fecond dans lc militaire & a  dans les Pays-Bas. 3? marié fa rille a un Seigneur de la Cour , qui a payé fes créanciers avec la dot de fa femme , qui, méprifce & maltraitée de fon mari, a été obligéc de fe retirer dans un couvent. Ses deux freres font aujourd'hui réduits a vivre d'une petite penfion viagcre que leur fait leur oncle.Ils avoicnt 1'un & 1'autrc diffipé la fortune de leur pere avant qu'elle leur fut échue. Qu'eft dcvenuc la fortune dc Paris de Montmartel 1 Ce particulier, le plus riche de 1'Europc, fit lafottifed'époufer une fille de condition , & de faire faire fon fils Marquis de Brunoy : a pcine rcfte-t-il aujourd'hui a ce Marquis de quoi avoir du pain. Les commercans de ce pays, qui ont encore la manie dc fe faire noble , n'attendent pas pour quitter leur commerce » qu'ils aient acquis une fortune bien confidérabie. Deux ou trois cents mille florins qu'ils poffedent leur fuffit: dans leur commerce, eet argent leur rapportoit 10 pour cent au moins; ils le placent en fonds  38 Le Voyageur. de terre ou en maifon , & 1'intérêt qu'ils en retirent eft au plus de 2 a 1 & demi pour cent, & 3 s'ils prótent fur hypotheque. Comme commercans, ilsjouiübient d'une grande opulence , nobles, ils n'ont plus qu'une honnête aifance. Si 1'Empercur veut que fes fujets des Pays-Bas deviennent commercans , il renoncera pour toujours a la petite branche de revenus que lui donnent les anoblilTemcns: il fera ufage du pouvoir qu'il a de faire des nobles pour attachcr dc plus en plus les commercans a leur état; de temps a autre il en anoblira un , &; ce fera celui qui aura fait un nou vel é a'iliflemcnt de commerce ou aura introduit dans le pays une nouvelle branche de commerce , tellc, par exemple, celle de la traite des negres que 'le commerce maritime des Pays-Bas va devoir au fieur Chapel , qui en a concu & exécuté le projet ; mais ce ne fera qu'a la condition que les enfans du commercant anobli, conïinueront le commerce de leur pere, & que fi lui ou fes enfans  dans les Pays-Bas. 39 venoicnt a cc ffer d'être commercans, ils ëefl'eroient auffi d'être nobles. Le prcjugé . Moniieur , eft encore tel dans ces pays-ci, qu'il y a desnégocians ou banquiers, qui , paree qu'ils ont acheté le droit de pouvoir prendre le titre d'Ecuycr, fe trouvent humiliés quand on les qualifie de négocians ou dc banquiers. Pour faire difparoltre ce ridicule préjugé, il fuffiroit que lc Souverain réfidat ici pendant quelque temps. La confidération qu'il accordcroit aux principaux commercans , & quelqucs attentions particulicres qu'il auroit pour cux, perfuaderoient 3 ceux qui penfent dilféremment, que 1'état du commercant, loin d'avilir ceux qut 1'cmbraffent, les honorent & les placent au rang des citoyens les plus utiles. C'eft: lc commerce qui peuple un Etat; c'eft le commerce qui 1'enrichit & qui rend les fuiets heureux : il le peuple, paree qu'il y aïtire 1'étranger , paree qu'il occupe beaucoup de bras, & qu'il eft dc principe que par-tout ou 1'induftrie a un  4o Le Voyageur faiaire affuré , ks deux fexes s'unifTent avec emprefleraent : il l'enrichit, paree qu'il donne une valeur réelk aux produaions de la terre , multiplielesproductions induftrieufes & donne une circulation rapide au numéraire , qu'il k doublé & le triple : il rend fes habitans heureux, paree qu'il ks rend aaifs & laborieux, paree qu'il Jeur fournit une fubfiftance abondante , paree qu'en multipliant leurs befoins, il leur donne les moyens de les fatisfaire. Mais, difent les cenfeurs des mceurs aauelles, fommes-nous plus heureux que ne 1'étoicnt nos pcres qui n'étoient pas commercans 1 Je crois que nous Ie fommes dayantage,, puifqu'il eft inconteftable que nous avons une infinité de jouiffances que nous tenons du commerce & que nos pcres n'avoientpas. Lc commerce a Hé ks hommes; il a, pour ainfi dire, rapproché les pays, de maniere que les quatre parties du monde n'en font qu'unc aujourd'hui. Les connoiffances de rhomme étoient bornées, k commerce les a éten-  dansles Pays-Bas. 41 dues: c'eft lui qui a allumé le flambeau de la philofophie , qui a diffipé les ténebres qui environnoient le globe. Plus une nation fera commercante ,. plus elle fera heureufe. Le bonheur ne conlifte pas dans l'ina&ion. L'homme le plus heureux fera toujours celui qui aura lc plus de defirs & plus de moyens de les fatisfaire ; fi l'homme eft occupé, fes defirs feront modérés , ou plutót ils feront ceux de la nature , & non dc fon imagination, & ce font les defirs de 1'imagination feuls qui entrament dans les excès. Le vrai ■commercant ne les connott pas, c'eft l'homme oifif qui s'y livre. Je fuis, &c.  42 Le VoYAOÊut L E T T R E IV. Bruxelles , ce. . .. Juin 1^82. Quand un peuple, Monfieur, vcut fe ïanger dans la claflc des peuples commercans , il ne fuffit pas , pour parvenir a fon but, qu'il ait des produdions territoriales & induftrieufes en grande quantité, il faut qu'il-poffcde auffi beaucoup d'argent monnoyé, & que cct argent foit en mouvement, qu'il paffe continuelleroent d'une main a une autrc. Plus fa circulation fera adive , plus les opérations du commerce fe multiplicront. Ce n'eft pas 1'argent qui eft dans un pays qui fait fa richcffe ; elle eft plus ou moins grande , fuivant la circulation qu'a cct argent. Uit Louis d'or qui reftc dans la main de celui qui le recoit, n'a que la valeur d'un louis , mais il a celle de 100 louis , s'il paffe fucceflivement par cent mains différentes;  dans les Pays-Bas. 43 cent fois il a été un fignc repréfentatif, cent fois auffi il a procuré un bénéfice a celui qui 1'a donné & a celui qui 1'a recu. Si un pays a cent millions de numéraire , & que de ces cent millions il n'y en att que vingt-cinq qui foient en circulation , iCes vingt-cinq millions feront la véntabxe , ffchèffe de ce pays, & les foixante-quinze : autres reftans nc lui feront réellcment d'aucune utilité. . II n'y a peut-être pas en Europe de pays qui poffede , rclativement a leur étcndue, plus de numéraires que les PaysBas Autrichiens ; mais cette grande abondance de numéraire n'y produit pas 1'effet qu'elle y produiroit, fi ce numéraire y étoit en circulation. Les capitaliftes de ces pays font de deux efpeces; les uns font ceux qui jouiffent d'un revenu qui excede confidérablement leur dépenfe; les autres font les Abbayes & les maifons religieufes riches , qui , ne pouvant vendre ni acquérir de nouveaux biens fonds , renferment tous les ans dans leurs coffires  44 LeVoyageur une partie confidérablc dc leur revenu. Les premiers capitaliftes renferment leur fuperflu jufqu'au moment oü ils trouvent roccafion dc Pemployèr en acquifition de maifons ou de terres, qui leur donne deux a deux & demi pour cent d'intérêt, ou de le placcr a conftitution fur hypotheque a trois ou quatre pour cent. Ces capitaliftes , pcu familiarifés avec le commerce, n'imaginent pas que le commerce puiffe enrichir ceux qui le font; toutes les entreprifes du commerce leur paroiffent des chimères; ils ne concoivcnt pas que le commercant puiffe retirer vingt & trente pour cent de fon argent. Si pour obtenir celui du capitalifte, pour un commercant qui en aura befoin , -vous lui offrez Pintérêt légitime du commerce dc fix pour cent, il vous répondra , ce commercant eft un parfait honnête homme; je Ie connois : il eft fage & prudent, & même économe ; mais le vaiffeau qu'il veut armer , peut être fubmergé', & ceux auxquels il yen dra fa cargaifon, pouront devenir in-  dans les Pays-Bas. 45 folvables: quelque hien concertés que foient fes fpéculations , un événement imprévu pourra les traverfer; alors , non-feulement je perdrai les intéréts , mais encore le capital des fommes que je lui aurai confiées. Vous ne feriez pas plus heureux dans votre négociation , fi vous offriez a ce même capitalifte d'efcompter un efFet de MM. Torton & Baure de Paris, de M. ! Simon de Londres, de M. Ops d'AmfUerdam. II fuffit d'être commercant ou Ibanquier pour être aux yeux d'un capiitalifte de Bruxelles, ou de Gand , un I homme d'une fortune fort équivoque. On me peut avoir fon argent qu'en lui don: nant une bonne hypotheque fur une terrc ou fur une maifon, ou en lui vendant cette maifon ou cette terre. II eft heureux pour les commercans des Pays-Bas Autrichiens , que les capitaliftes d'Anvers & de Bruges aient des idécs moins défavorables du commerce & des commercans: cela vient de ce que ces capitaliftes doi-  46 Le Voyageur vent la fortune dont ils jouiffent au commerce qu'ils ne font plus. Les maifons religicui.es, & fur-toutles Abbaycs qui, comme vous le favez, Monfieur , font en très-grand nombre dans les Pays-Bas Autrichiens , font très-riches. On m'a affuré qu'elles avoient en coft're des fommes d'argcnt tresconiidérables, qui, augmentant chaque année, diminuent auflï chaque année la maffe du numéraire qui eft en circulation. II falloit que 1'Empercur renoncat a 1'efpoir de voir fes fujets des Pays-Bas devcnir commercans, ou qu'il empêchat les maifons religieufes & les Abbayes de continuer a théfaurifer. En laiffant les chofes dans 1'état oü ellcs étoient, il feroit arrivé avec le temps que le commerce des Pays-Bas Autrichiens fe"' feroit vu totalement privé de la plus grande partie du numéraire qui y circule encore aujourd'hui. L'argent eft pour le commerce une huile bienfaifantc fanslaquelle la plupart de fes refforts n'ont aucune  dans les Pays-Bas. 4^ a£tion. Le parti qu'a pris 1'Empereur de fupprimer dans fes Ejtats une partic des maifons religieufcs , étoit le feul qu'il cut a. prendre pour affurer au commerce de fes fujets 1'ufage du numéraire qui étoit au pouvoir de ces maifons. A cette première fuppreffion, cn fuccédcront fans doute d'autres, dont 1'cffet fera le même pour le commerce ; la veme des biens de ces maifons religieufcs fupprimécs, fera fortir des coffres des capitaliftes , fi ce n'eft tout 1'argent, du moins une trèsgi ande partie de celui qui y eft renfermé: eet argent ne foriira pas du pays, car on affure ici que Ie produit de la venie des biens des maifons religieufes fupprimées, reftera dans chacune des provinces oü ces maifon, !e trouveront fituées. On dit auflï que les intentions de 1'Empereur font que ce produit foit verfé dans une caiffc qu'on nommera caijje de rehgion, & employé par les Etats de la province au paieirient ues penfions qui feront faites a chacun des individus que renfermoient  48 Le Voyageur. ces maifons; a Ia conftruftion des hópïtaux, maifons d'orphelins & des enfans trouvés, & au foulagement des pauvres; cespauvres ont a Bruxelles des fondations pieufes qui rapportent chaque année un demi million de florins, c'eft-a-dirc environ 900,000 liv. de France: fans doute que 1'Empereur fera verfer dans Ia caiffe dc Religion le produit de toutes ces fondations. Si toutes ces fondations étoient bien adminiftrées, il ne devroit pas y avoir un feul pauvrc dans tout Bruxelles. Les maifons religieufcs qu'on fe propofe de fupprimcr dans Bruxelles, occupent des terreins confidérablcs; ces terrcins vendus, on y batira des maifons de particuliers qui feront diminuer la valeur & le loyer des autres maifons , & il pourroit bien arriver que le rapport de celles-ci nc foit plus que de deux pour cent. Ce feroit un grand bien pour le commerce. Les capitaliftes ne placant plus leurs fonds en maifons , pourroient bien alors donner la préférence au commerce. Que feroit- cc  dans les Pays-Bas. 49 ce fi 1'Empereur exccutoit dans les PaysBas le projet qu'il a concu & qu'il va exécuter, dit-on, dans 1'Autriche , la Hongrie , la Bohème & fes Etats d'Italie , de faire vendrc indiftinaement tous les biens eccléfiaftiqucs, en affignant £t chacun des pofieffcurs de ces biens, un revenu fixe, certain, & d'autant mieux affuré qu'il feroit affigné fur les Etats des pays oü fe trouveroit fitué lc bien fonds aliéné. Si nous croyons en France que le Ciergé , tant régulier que féculicr , y poffede la moitié du revenu territorial, on peut avec bien plus de raifon encore être perfuadé que le Clergé des Pays-Bas Autrichiens a feul en fonds de terres , plus dc biens que n'en a le refte de leurs ha1 • . 1 ■ 1 . i-n ' —*- Dltans. J_/es Diens OU ^ïerge nc cuaiigeui jamais de mains, par conféquent ils n'occafionnent aucune circulation d'efpcces : cette feule confidération devroit fuffir pour qu'on les fit rentrer dans la maffe commune en en ordonnant 1'aliénation. Je fuis , &c. I. Partie. C  50 Le Voyageur L E T T R E V. Bruxelles, ce Juin I782. Ce n'eft pas la France, Monneur, qui, comme vous paroiffez le croire, eft la plus intéreffée a ce que les Pays-Bas Autrichiens n'aient pas un commerce trèsfloriffant: c'eft la Hollande , c'eft 1'Anglcterre qui feules peuvent en prendre ombrage. Plus les habitans des Pays-Bas Autrichiens feront riches, plus ils confommeront des produftions de France ; fes vins, fes eaux-de-vie, fes huiles , fes fruits feront toujours préférés par les nations riches , a ceux que produifent 1'Efpagnc , le Portugal & 1'Italie. l\ n'y a pas vingtans, Monficur, quelabalance du commerce des Pays-Bas Autrichiens avec la France, n'ctoit que dc 3 millions; elle eft aujourd'hui d'environ 13 millions, mais cette- augmentation , qui a enrichi  dans les Pays-Bas. 51 la France , n'a pas appauvri les Pays-Bas, puifqu'elle s'eft faitc aux dépens de 1'Angleterre & de la Hollandc. Les habitans des. Pays-Bas , par cxemple , tiroient des Anglois le verd-de-gris qu'ils confommoient; les Anglois le tiroient des Francois : on 1'a fu dans les Pays-Bas Autrichiens , & depuis ce font les Francois qui le leur ont fourni. ï\ en a été de même des vins ; il s'eft formé des liaifons de commerce entre les commercans Francois des ports de Cette , de Nantes, de Bordeaux , & ceux des Pays-Bas Autrichiens; ceux-ci ont recu leurs vins, leurs cauxde-vie , leurs huiles, leurs fruits fecs , directement de ces ports; au-lieu qu'aupa.ravant c'étoit les vaiffeaux Hollandois qui les leur apportoient, & fouvent même qui les leur vendoient ; aujourd'hui ce font les vaiffeaux des Flamands & des Brabancons qui vont dans les ports de France charger tous les objets dc leur confommation qu'ils cn tirent. La France perd le bénéficc du frêt, mais c le en eft C 2  52 L e Voyageur. dcdommagée par 1'augmentation dc fon commerce d'exporta.ion. Plus les Flamands & les Brabancons feront riches, plus la France leur vendra de fes productionSj non-feulemcnt territoriales , mais même induftrieufes. Lc luxe naït dc la richeffe , & les progres qu'il fait dans un pays , font toujours a proportion de l'opulence de fes habitans. Le luxe n'eft pas ctranger aux habitans de Bruxelles; s'ils ne connoiffent pas encore fes excès , ils s'y livreront probabSement, quand le commerce leur aura donné plus de moyens de s'y livrcr , fans en craindre les fuites: ce fera alors que les vins les plus exquis de France feront fervis fur leur table; que leurs garde-robes feront toutes compofées d'habits d'étoffes de France , & qu'ils attacheront plus de valeur aux bijoux Francois ; leurs femmes ne fe croiront ornées & embeliies que par les modes de France. C'eft la manie des femmes de Londres, pourquoi ne lc feroit-ellc pat des femmes de Bruxelles J'ai toujours cru  dans les Pays-Bas. 53 &je croirai toujours qu'il eft de 1'intérêt de la France que les pays qui 1'avoifinent foient riches. La France tire a préfent tous les ans des toiles & des dcntelles des Pays-Bas Autrichiens ; des unes, je ne fais pour combien dc millions, des autres, a ce 'qu'on m'a affuré , pour quatre a cinq millions. Cette importation augmentcra encore , & ce fera a proportion qu'augmentera 1'exportation que feront les habitans du Brabant & de la Flandres des produo tions de France , car il eft de principe gónéral que la nation qui importe d'un pays, eft celle qui cxportc auffi le plus pour ce même pays. Mais fi le commerce de France eft intércffé a ce que les PaysBas Autrichiens foient riches, 1'induftne Francoife ne peut pas être allarmée des progrés que pourra faire 1'induftrie des habitans de ces pays. Anvers a des manufaaurcs de foic qui peuvent être perfcaionnées, & qui le feront fans döüte, mais jamais au point de pouvoir obtemr C 3  54 Voyageur la préférence fur celles de Tours & de Lyon : je veux même que cela puiffe être pour les étoffes unies, mais pour les étoffes de goüt, je nc penfe pas que les Anverfris puiffent s'en flater : depuis un fiecle tous les cfforts que les Anglois ont fait pour y parvenir, ont été inutilcs. La France n'eft pas intéreffée a ce que les manufactures de lainerie des Pays-Bas Autrichiens ne s'accroiffent & ne fe multiplier» pas ; ce font les Anglois & les Hollandois qui doivent le craindre ; ce font eux qui aujourd'hui fourniifent la plus grande par tic de ces étoffes, & fur-tout des petites étoffes de laine qui fe confomment par les fujets de Sa Majefté Impériale dans les Pays-Bas : on y fabrique déja nombre de ces étoffes; fi elles ne font pas auffi parfaitcs que celles d'Hollande & d'Angletcrre , elles peuvent le devenir& le deviendrontfüremcnt, a proportion des progrés que fera le commerce extérieur des Flamands & des Brabancons, & furtout quand ils auront formé de grandes  dans les Pays-Bas. 55 liaifons dc commerce avec 1'Aménque , oü il fe confommc un grand nombrede ces petites étoffes. Les Pays-Bas Autrichiens ont des tabriques qui peuvent foutenir la concurrence des plus célcbresfabriques de trance d'Angleterre & d'Hollande; il y en a même dont les produaions doivent avoir la préférence, tels font les beaux camelots de Bruxelles; on les imitc a Amiens, mais c'eft dc fi loin qu'il n'eft pas même poffible a ceux d'Amiens d'en foutcmr la comparaifon. Les fabriques de draps ont befoin d'être perfeaionnées, fi on compare leurs productions aux draps de Vanfobais ; mais non , s'ils n'ont a foutenir que la concurrence des draps de Louvier, de Sédan & d'Elbeuf. U en eft de même des draps fuperfius d'Anglcterre & d'Hollande ; ils font encore fupérieurs aceux qui fe fabriquent dans les Pays Bas. Je ne crois pas que les habitans de ces pays aient encore pris part au commerce des Colonies Portugaifes &Efpagnoles, C 4  56 Le Voyageur imquel les négocians de France, d'Hollande & d'Angleterre s'intéreffent l'ous le nom de leurs correfpondans de Cadix & dc Lisbonne. Les marchandifes les plus propres a ce commerce font des camelots communs, de petites étoffes de laine qu'on nomme étamine, & une efpece de velours de laine , nommc panne ; ce font les fabriques d'Amiens, de Rheims & dc Lille qui fourniffent ces différentes étoffes qui , pouvant auffi fe fabriquer dans les PaysBas Autrichiens, donncroient a leurs négocians les moyens de s'intérefTer au commerce des Colonies Efpagnoles & Portugaifes. II y a dans ces pays-ci plufieurs manufadtures de coton , mais efies ont befoin d'être encouragées & perfectionnées; fi elles le font, elles pourront devenir ri■yales de celles d'Angleterre , d'Hollande , & fur-tout de Rouen , tantpour les mouchoirs & les étoffes qui imitent celles des Indes, que les toiles blanches propres a >être peintes. II y a dans les Pays-Bas Au-  dans les Pays - Ba s. 57 trichiens , & fur-tout a Anvers, norabrc de ces fabriques de toües de coton peintes , mais ce font de toutes les fabriques des' Pays-Bas, celles qui font les plus éloi- • gnées de la perfeaion des mêmcs fabriques de France ,'& fur-tout d'Hollande & d'Angleterre, tant pour le goüt des deffins que pour la folidité des couleurs & la bonté des toiles. II eft d'autant plus étonnant qu'on ait jufqu'a préiént négligé de perfcaionncr ces manufaaures, qu'il fe fait dans toutes les Provinces des PaysBas, dans lc pays de Liegp & dans tous ceux qui les avoifmcnt , une confommation étonnante de ces toiles peintes. Les habitans des villes , comme ceux des campagnes, en font leurs,habillemcns. Les matieres premières des toiles blanches dc coton fe tirent principalemcnt de 1' Amérique ; ce font les Anglois & les Hollandois qui les fourniffent aujourd'hui aux. fabriques des Pays-Bas Autricfeiens :. combicn 11e feroit-il pas utile, tant pour elles que pour le commerce en général, que C 5-  58 Le Voyageur les eotons employés dans ces fabriques fuffent apportés dans le pays par des vaiffeaux nationaux qui en auroient eompofés en Amérique une partie de leurs cargaifons de retour! eet objet feul me paroft affez important pour fixer 1'attention de ceux dc 1'adminiftration qui font chargésIe plus fpécialement des intéréts du commerce ! II y a encore dans ces pays-ci un nombre de perfonnes qui ne concoivent pas comment la traite des negres que vont faire Mrs. Chapcl & Rhombert, peut augmenter le commerce; on m'a alfuré que ces Mrs. avoient effuyé nombre de contradiétions, & qu'il avoit fallu tout leur courage & leur patriotifme pour furmonter toutes les difheukés qu'ils avoient eu a éprouver. La traite des negres peut fe faire a bien moins de frais que n'en demandent la plupart des autres grandes opération? de commerce. Si cc commerce expofe les armateurs a de grands rifques ,. puifqu'il peut arriver qu'ils perdent dans  dans les Pays-Bas, 59 la travcrfée d'Afrique en Amérique, un tiers & quelquefois la moitié dc leurs negres, ils font fur la vente de ceux qu'ils confervcnt un gain confidérable. Un negre vaut aujourd'hui dans toutes les colonies d'Amcrique au moins 1500 liv. Si on a dit aujourd'hui a Mrs. Chapel & Rhombert, vaincment efpérez-vous vendre aux coloniftes les negres que vous leur porterez , puifque toutes les colonies indiftinótement font iujettes a la loi prohibitive de 1'interlope , ils ont pu répondre , cette loi exifte & a toujours exifté , mais jamais clle n'a cmpêché la vente des negres que les vaiffeaux interlopes ont portés aux Coloniftes. Si 1'on confidere 1'cntrepriie de Mrs. Chapel & Rhombert, relativemcnt aux Pays-Bas Autrichiens , on fera obligé de convenir qu'elle leur fera utile , car la cargaiion de retour que prendra leur vaiffcau après la vente des negres , fera eompoiee de tous les objets que les habi'ans des Pays-Bas lont oHïgós de tircr des nations qui ont des colonies C 6  6o Le Voyageür en Amériquc , & fur - tout des Francois , des Anglois & des Hollandois , leurs voifins , des fucrcs, des cafés , des indigo , des cotons, &c. ces objets feront vendus dans le Port d'Oftende, y feront donnés. ï\ bien plus bas prix que ceux qui y font apportés par 1'étrangcr. Je crois & je futs même perfuadé que les Pays-Bas Autrichiens ne peuvent avoir un commerce floriffant qu'autant qu'ils en feront un très-étendu avec 1'Amérique. Bs peuvent porter aux Américains les mêmes objets que leur envoyent les Anglois & les Hollandois , des1 toiles, des étoffes de laine & de cotons , des outils de toutes efpeces , des comeftibles de tous genres, des vins , des eaux - dc - vie dc France ; ils les tireront dc France , comme les Anglois & les Hollandois les tirent aujourd'hui, tous les objets du luxe, de caprice & de fantaïfie , les productions des arts agréablcs , ainfi que des livres, des papiers , des armes , des munitions de guerrc que leur pays leurfournira , comme  dans les Pays-Bas. 6ï In compagnie des Indcs. de Trieftc leur donnera les produaions deslndes Oncntales • le commerce d'Amérique donnera aux cultivateurs des Pays-Bas Autrichiens de nouveaux débouches qui les porteront a augmenter leur culture, & qui engageront les capitaliftes a placer leurs fonds dans des défrichemens. On pompte qu d v a dans les Pays-Bas Autrichiens plus de 4sqoo boniers dc terres incultes , non compris le haut marais du Duehe de Luxcmbourg , qu'on peut mettre en valeur Les Pays-Bas Autrichiens produilent le meillcur froment qui fe recueille en Europe. C'eft en farine & non en grams que le froment fe tranfporte d'Europe aux Colonies de 1'Amórique ; mais pour établir une liaifon durablc entre le commercant des Pays-Bas Autrichiens & ceux d'Amérique, il feut que 1'Empereur ohtienne des autres Puiffances un etabltffement pour fervir d'entrepöt au commerce de fes fujets. Je fuis, &c.  62 Le Voyageur. lettre VI. Bruxelles, ce Juin 1782. Je n'ai pas , Monfieur , cntcndu parler du projet d'établir ici une caiffc d'efcompte pour tous les pays Autrichiens dont vous me parlez dans votre derniere lettre, mais jccrois qu'il feröit utile qu'on enformat rétabliflcment d'unc a Bruxelles. La caifle d'efcomptc de Paris pourroit fervir de modele : fon fond n'eft que de douze millions; il fuffireivque celui de Bruxelles fut de qua'tre millions, avec lefquels je crois qu'elle pourroit efcómpter toutes ks lettres de change & billcts des négocians qui n'auroient que deux ou trois mois a courir, & qui fe trouveroientcirculer clans les Provinces Autrichiennes, itiême a Lille & a Liege. Ces effets s'efcomptent a préfent a un demi pour een*" par mois; la caiffe d'elcompte pourroit  dans les Pays-Bas. 63 fe coptcntèr d'un quart pour cent. Pour fuppléer aux fonds que les capitaliftes nennent renfermés dans leur coftre , on pourroit donnet cours aux billeis dc caiflc des aaionnaires de la caiffe d'efcompte ; cette monnoie fiaive augmentant le numéraire réel circulant dans les Pays-Bas Autrichiens, faciliterott les opérations de leurs commercans, qui , fouvent font oohgés d'avoir recours a 1'étranger pour les tonds dont ils ont befoin , & que les capitaliftes dc leur pays refufent de leur confier. Je nc voudrois pas que cette caiffe dépendit du Gouvernement. Dans aucun pays le Gouvernement ne doit fe mêler des operanons de commerce ; il doit le proreger^ mais il ne faut jamais qu'il dirige les opérations • il doit 1'aider &le iecourir , mais «mais il ne faut qu'il Ie gêne , & fur-tout qu'il le furcharge. L'Empercur connoït ces «rineipes , mais ceux qui adminiftrent en fonnom, n'en font peut-être pas encore bien pénétrés. Tout eft perdu dans un ét* commercant, quand ceux qui font dépo-  64 Le Voyageür fitaires de 1'autorité du Prince , calculent ce que lc commerce rendra au Souverain , fans calculcr cc que le commerce rendra au commercant. L'intérêt du Prince eft que le commercant retire de fes en«réprifes de grands profits : fi ceux que le commercant retire font mediocres, il fe dccourage, & ce découragement entraine néceffairement la ruine du commerce ; car rien nc fe communiqué plus rapidement que Ie découragement. Plus une branche de commerce eft floriffante , plus il faut 1'aftranchir d'impöts ; fi au contraire vous les augmentez en proportion de ce que cette branche de commerce produit au commercant, vous la defféchez &ellc périt. Un droir modéré que le Souverain met fur un objet dc 1'importation de fes fujets , lui rend Ie doublé de 1'impöt exceffifdont il charge ce même objet. Quand les ports de Lettres furent dot blés en France , il y a quelques années, les fermiers des poftes virent dimi-' nuer .le produit de leur ferme de deux'  dans les Pays-Bas. 6g millions chaque année. On augmenta aux entrées de Paris les droits fur les vins & la confommation des vins dans Paris diminua d'un tiers. Quand un commercant ou un fabriquant habile va en Pruffe pour s'y établir , lc Roi de Pruffe nc lui demande pas ce que la branche de commerce ou la nouvelle fabrique qu'il veut établir fera reflucr d'argent dans fon tréfor. Ave\-vous befoin , lui dit-il, d'argent, & s'il en a befoin, il lui en-donne fans exiger d'intérêt, fi fon entreprifc échoue : 1'Empcreur fe conduit de même; il vient d'avancer trois millions dc florins d'Allemagne u la compagnie des Indcs de Tricfte ; U confïe une fpmme d'argent confidérable a un commercant de Vienne qui fe propofe d'établir a Conftantinople des maifons de commerce. Lc Souverain qui voudra faire profpé* rer le commerce dans fes Etats, nc confiera fon autorité pour la partic du commerce , qu'a des hommes inftruits du  66 Le* Voyageur. commerce ; il ne confultera que des commercans. -Jamais Colbert ne fit rendre a Louis XIV unc ordonnance concernant lc commerce, qu'après avoir pris 1'avis des principaux négocians, non-feulement de Paris , mais encore de toutes les villes commercantes du Royaume. C'eft cc qu'a .>;Fait 1'Empereur quand il vint ici ; nonfeulement il s*entretint avec ceux chargés des affaires du commerce dans fes Etats des Pays-Bas, mais il eut dc très-longucs conférences avec M. Rhombert & plufieurs autres négocians d'Anvers , d'Oftende & de Bruges. En France les affaires du commerce font toutes foumifes au jugement du Contróleur-général; c'eft un abus , mais qui n'eft pas fujet a de grands inconvéniens, paree que les décifions que rend ce Miniftre , rclatives au commerce, ont toujours été auparavant examinées & difcutécs dans un Confeil de commerce dans lequel font admis les députés des différentcs chambres de commerce. Ici c'eft le Confeil des Financcs qui a la di-  dans les Pays-Bas. 67 reaion de toutes les affaires qui intéreffent le commerce : il y a dans ce Confeil des hommes très-éclairés qui connoiffent parfaitement tout ce qui peut avoir rapport au commerce : chacun d'eux a fa partie, & comme tous n'agiffcnt que pour le bien public, je crois qu'ils ne décident ricn relativement au commerce , qu'après avoir auparavant confulté les plus habiles commercans. Cc qui m'étonne , c'eft que perfonne ne fe foit encore occupé dans ce pays-ci de faire des loix concernant lc commerce. On vient de créer des agens de change ; mais 1'établiffement de ces agens, quoique très-fage , étoit-il plus intéreffant pour le commerce . que 1'établiffement d'un tribunal du commerce & d'une loi de com merce 1 cette loi eft de toutes les loix la plus facile a établir. La nötre de 1673 , eft très-fage ; on pourroit cependant la perfcaionncr , & en la combinant avec celles d'Hollande & d'Angleterre , en compofcr une qui feroit excellente. Je ne fais pas fi cela eft vrai, mais  68 Le Voyageur. on m'a aiïuré qu'il y a peu d'années qu'on jugeoit ici que 1'endoffcur d'un billet de change ne pouvoit être attaqué , lorfque 1'auteur du billet ne le payoit pas, qu'après que celui-ci avoit été difcuté, & cela paree que 1'endoffeur de ce billet n'étoit confidéré que comme caution , & que fuivant les principes du cautionnement, la caution ne devoit payer qu'après que le principal obligé avoit été difcuté. Suivant la loi du commerce dc toutes les nations, les endoffeurs, a défaut dc paiement du principal obligé, peuvent être attaqués. Cela eft contraire aux difpofitions du droit Rorfiain ; mais doit-on préférer les loix d'un peuple qui ne connoiffoit pas le commerce a celles des nations qui font commercantes , & qui même doivent toute leur force au commerce. La juftice s'adminiftre ici avec beaucoup d'équité. Je connois pèu de pays oü les Juges foient plus integres , mais je n'en connois pas non plusoü les formes judiciaires foient plus longues. Toutes les  dans LEs Pays-Bas. 69 affaires de eommeree y font affujetues comme les autres, de maniere que tel procés qu'ont ici deux commercans, rciativemcnt a leur commerce, dure des années Toutes les affaires de commerce 'en France, doivent être jugécs fommairement, & la loi veut même que la plupart lefoit par des arbitres, enforte que fi les parties ne nomment pas ces arbitres,les Juges doivent leur en nommer d'office : les Pariemens même ne s ecartent jamais de cette loi. Ici une affaire dc commerce s'inftruit affaire civüe ; ce font les mêmes formes, les mêmes délais, les mêmes procedures, do maniere que cette affaire de commerce, qui auroit été jugéc en France en moins de huit jours & fans frais , nc 1'eft fouvent pas a Bruxelles dans 1'annee, & U en coüte aux parties plufieurs milliers de fcVres de frais. II y a deux ou trois ans qu'il fe forma ici une fociété en commandite ; la méfintelligence fe mit parmi lesaffociés; ceux qui avoient fourmleur  7° Le Voyageur argent demanderent a leur affoeié , qui etoit chargé des affaires, la diflblution de la fociété : il la leur refufa. Depuis un an cette affaire s'inftruit & n'eft pas encore jugée , & qUand elle le fera , il faudra plaider de nouveau , paree que le jugement, quelqu'il foit, fournira luimême maricre a de nouve'Ics eonteftations. Le Con:eil de Malines a pré cntement a juger un procés de commerce qui y a été porté par appel de cinq fentences des Juges de Tournai qui les ont rendues il y a ttois ou quatrc ans. Toutes ces longueurs ne dépendent pas des Juges; ce font les formes prefcrites par la loi qu'd faut en acculér. Toutes les affaires de commerce font Jimples ; il ne faut pour les iuger qUe la ümple raifon. En France & en Angleterrc, les Juges du commerce ne fontni favans ni Jurifconfultes, &cependant ils ne commettentaucune injuftice.En France leurs jugemens peuvent être réformés, mais il eft bien rare qu'ils le foient; &  dans les Pays-Bas. fi quand ils le font, c'eft lorfqu'ils ont été prononcés fur des cas non prévus par la loi. J'ai fouvent vu déclarer nul par le Confeil d'Etat ,1'arrêt quimettoit au néant une fentence des Juges du commerce. Les codes civils, les codes crimincls de toutes les nations contiennent une multitude de loix que des milliers d'interprêtes & de commentateurs ont expliquées : lc code du commerce eft le feul qui foit court; c'eft que lc commerce eft fondé fur la bonnc-foi. Les loix que ce code contient font claires; il ne faut donc ni lesintcrpréter ni les commenter. Jamais un pays ne fera commercant, fi les commercans n'y font pas affranchis des formalités judiciaires. Ï/Empereur, pendant le dernier voyage qu'il a fait a Paris , a eu plufieurs conférences avec les anciens Juges-Confuls; ilconnoït fürement notre loi de commerce de 1673 , & je neconcoispas comment il n'a pas encore fait promulguer dsns fes provinces une loi concernant la navkation & le commerce dc fes fujets  7P> Le Voyageur. des Pays-Bas ; car ici il n'y a pas non plus de loix conceniant la navigation : on y luit encore celle qui a été faite, a ce que je crois, par Charles - Quint. Cette loi feroit cependant bien elfentielle aujourd'hui , vu qu'un grand nombrc de commercans des Pays-Bas paroiffent vouloir s'adonner au commerce maritime. Notre loi maritime a befoin d'être réforméc , & pour en faire une qui convienne & au temps & au pays, il faut combiner celle de France avec celle d'Hollande & d'Angleterre. Je fuis, &c. Fin de la première Part ie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O u LE TT RE S Sur 1'état a£luel de ces Pays. Felix qui potuit rerum cognofcere caufas! VUGHB. ..C ■— ■ — i -t; TOME PREMIER. Seconde Partie. * t' 4- f * f X f * $ Chez ChanguioN, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. LXXXII.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. L E T T R E VIL Bruxelles , ce .... Juillet I782. V ous voyez, Monfieur, avec une forte de peine, les habitans des PaysBas Autrichiens former le projet de partager avec nos armateurs, ceux d'Angleterre & de Hollande, lesbénéficesde la traite des négres. Si comme vous me le diies, la traite des Francois , s'éleve en temps de paix a vingt cinq mille têtes, celle des Anglois a cinquante mille, & D a  76 L e Voyageur. celle des Hollandois, a douzc mille, la concurrence des armateurs Brahancons & Flamands, doit leur porter peu d'ombrage. Si i'enjuge par lc paffe , je puis croire que le nouvel (i) armement de huit vaiffeaux qu'on vous adit qu'alloient faire MM. Chapel, Gramerache, Pefter & Romberg, caufc peu d'inquiétude aux Marfeillois ; je les ai toujours vu préférer le commerce du levant & des cótes de Barbaric , a celui des cötes de Guinee. Si les Anglois achetent fur ces cótes tous les ans cinquante mille négres, ils en vendent une partie aux Coloniftes Francois dc 1'Amérique; n'eft-ce pas une preuve que les négocians de France font peu empreffes a envoyer leurs vaiffeaux fur les cötes de Guinée 1 Les négocians Francois , ont tant d'objets dc commerce (I) Nous donnerens dans la txoifieme partie le plan de cette afiociation , qui n'a aucun rapport avec le vaiffeau que Mr. Cha« pel, a fait partir il y a environ deux mois pour la cóte de Guinée.  dans les Pays-Bas, 77 auxquels ils peuvent employer leurs fonds trés - avantageufement , qu'il n'eft pas étonnant qu'ils rcgardent d'un oeil indïffèrcnt, 1'empreffcment des autres nations a faire la traite des négres. Les Anglois, qui voudroient n'avoir aucuns rivaux pourlc commerce, verront fürement avec chagrin les Brabancons & les Flamands aborder fur les cötes d'Angole, mais cette cóte eft libre toutes les nations peuvent indiftinaement y acheter des négres & y vendre les cargaifons de leurs vaiffeaux : les Anglois ne pourront donc pas y traverfer les navigateurs flamands & Brabancons qui y aborderont. Peu de perfonnes connoiffent ici les grands avantages que les provinces des Pays-Bas Autrichiens retireront de la traite des négres : il y a même eu deS hommes qui ont cru que les fujets dc S. M. Tmp. ne pourroient pas, dans les circonftances préfcntes dc la guerre , envoyer leurs vaiffeaux fur les cótes de Guinee ; il entte dans leurs cargaifons, D 3  7& 'L E V OYAGEUX difoiont-ils, des fufils , paree que PenE5  io6 Le Voyageur. gagement que prcnd le Souverain envers fes fujets, eft dc les laiffer jouir de tous les droits & privileges dont ils ont toujours jouis. Le Souverain du Brabant a feul le droït aujourd'hui dc faire grace a ceux que la loi condamnc a la mort, ou a toute autre peine. Ancicnnement lc Confeil de Brabant pouvoit auffi , dans certains cas, faire grace aux condamnés & même lcgitimer les batards. C'eft le Souverain qui feul accorde préfentcment des lettres de Naturalnation , mais pour qu'elles aicnt leur effet, il faut que le Peuple ou les Etats qui le repréfentent,« donnent leur confentement a ce qu'elles foient exéeutées. En Brabant ce n'efi: pas le Souverain qui impoie ; c'eft le Peuple , reprcfenté par les Etats, qui s'impofe lui-même. Le 1 fubfidc , dont le Souverain a befoin , eft demande aux Etats au nom du Souverain par le Chancelier-; fi les Etats 1'accordent, ce font eux qui reglent les  dans les Pays-Bas. 107 moyens dc le lever, & lc Souverain Va aucune part a la perception des impöts:' ainü , pour cette partie , les Etats excrcent la puiiTanee légiflatiye. Le Souverain peut aujourd'hui établir , comme les Etats, des droits d'éntrée & de fortie : anciennement les Etats jouiüoient feuls de cc droit ; iriais pour que les droits d'entréc & dc fortie, que mettent les Etats, puiffent fe lever, être augmentés ou diininués, il faut le confentcment du Souverain : ü en eft de même des droits qui fc paient a" 1'cntrée & è la fortie des Villes, & qui font partie du revenu des Hótcls-dc-villc ;.ces droits, comme ceux ■ qui appartiennent aux Etats , fc percoivent par leurs prépofés particulicrs , non par ceux du Souverain , & leurs produits font verfés dans la caiffe des Etats & des Hötels-de-viile , qui rendent compte au Souverain ou a fes Commiflaircs de 1'cmploi qu'ils en font.' La partie Ariftocratique & Bémocra- i tique du Gouvernement du Brabant, fe E6  io8 Le Voyageur trouve dans fes Etats, compofés des Corps du Clcrgé, dc la Noblelfc & du Tiersétat : ces trois Corps réunis, repréfentent toutc la Nation ; s'ils exercent la puiifance légiflarive , pour ce qui concerne 1'impót , ils ne prennent aucune part a 1'cxercice du pouvoir executif. Dans les Etats de nos Provinces de France , le Corps du Clergé eft repréfenté par les Evêques & les Abbés, & dans les Etats du Brabant, les Abbés feuls lc repre'entent , de maniere que 1'Archevêque de Malines & 1'Evêquc d'Anvers n'y font admis que comme Abbés , 1'un de St. Bernard , 1'autrc d'Afflighcm (i ). Cette exclufion des Evêques vient de ce qu'avant 1559, il n'y avoit pas d'Evêques dans ie Brabant. Philippe II, qui regnoit alors , attacha au Siége Archié- (i), Les autres Abbés font ceux de Vlierbeeck , de Villers , de St. Bernard , de St. Michel, de Grimberghe, de Parc-de-HeüifTem, d'Everbode , de Tongerloo , de Dilegem, de Ste. Gertrude.'  dans les Pays-Bas. ro9 Ufcopal de fen* , la moitié du revenu ide l'Abbaye d'Afflighera , & au Siege Epifcopal d'Anvers , la moitié du revenu ,de l'Abbaye de St. Bernard. Nous avons en France des Etats Provinciaux, oü tous les Gentilshommes indiftinaement font admis , tels lont ceux de Bréutgne-üyenad'aurres, comme ceux d'Artois, oü , pour entrer aux Etats, il faut poiféder deux Terrcs ft docher. La plus grande ancienne.é de Noblefle la plus riche & la plus étendue poffelfion en fonds de Terre, ne iufh ent pas pour être admis dans les Etats de Brabant La Nobleffe, titrée fculc , peut prétendre ft cette admiffion , & le moindre titre qu'il faut avoir eft celui de Baron, encore faut-il que ce titre ioit accompagné d'un revenu annuel en fonds de Terre fituées dans lc Brabant, de 4000 fiorins & q"e la Baronnie foit du cher du Titulaire. Avant i773 , il fuffifoit de pofféder la Baronnie du chef de ia femme. Autrefois il étoit beaucoup plus difficilo  iio Le Voyageur qu'il ne 1'eft aujourd'hui , d'être admis aux aiTemblés des Etats; car il falloit • feizc quarriers, au-lieu que dcpuis 1778, il fuffit d'cn prouver deux paicrnels & deux . maternels , mais celui de 1'anobli n'eft pas compté ; il doit prouver de plus fix afcendans patcrnels nobles ou fept gérierations , y compris la fienne. Si le Récipiennaire eft Prince , il doit faire preuve qu'il jouit dans le Brabant, en fonds de terre , d'un revenu au moins de 20000 fiorins ; s'il eft Marquis ou Comte, de 10000 fiorins : mais il n'eft pas ncceffaire , ni pour 1'un ni pour 1'autre , qu'il réfide dans le Pays; il fuffit, que le fonds de terre, qui produit leur revenu , foit fitué dans le Brabant. Le Corps du Tiers-état eft repréfenté dans les Etats du Brabant par les Députés destrois principales Villes , Louvain, Bruxelles & Anvers : ces Dcputés foaï les Bourguemeftrcs & Penfionnaires de ces Villes, qui, avec les Juïós des Corps  i& Métiers, rcpréfentcnt dansles Villes .le Corps de la Bourgeoihe. Les voix ne fe comptent pas quandl les ; Etats déliberent ; chacun des Wg fg* qui les ^P^Ji^^«*\^4^ Tunanimité des voix , pour qu une ielo lution que prenncnt les Etats , pume Pxécutée^ais le .^W^ donnent les Repréfentans du Ticrs-eat eft toujours condidonncl ; iHaut pour qu'il l fon effet,^ fon raithe pceux dont les Rcpréiemans du Tiers état ont recu leur mdbon Ils la recoivent a Louvain des Magif«ats ordinaires , des Membres da Conil de la Ville, dc ceux de la Dccanie & des dix Chefs-doyens des Corps de Médcrs ;aBruxelles, du Corps de V1;le compofé du Bourguemeftre t* dc ept Echcvins,des Confeillers de la Vile eue 1'on nommc large Confe.d, & de quarante-neuf Corps de Métiers , qu impofent neuf Nations reprélen ces par leurs Doyens, nommes ici JWy«-e  ix2 Le Vovageur kens; è Anvers , des Bourguemeftres & fcehevins en charge ; des anciens Echcvins, des Maïtres de quartiers & des trois Chefs-nations; les Bateliers, Mcrciers , Drapiers, qui comprennent tous les autres Médcrs. .,A Ja tête des Abbés, repréfentant le Corps du Clergé, eft 1'Abbé d'Afflkhem , c'eft-a-dire, 1'Archevêque de Malines • c'eft auffi un Abbé qui eft le Chef des Reprefentans du Corps de la NoblelTe • eet Abbé eft celui de Gemblours , non en qualiré d'Abbé, mais de Comte & de premier Noble. C'eft le Bourguemeftre de Louvain, qui eft a la tête des Bourguemeftres & Penfionnaires des deux autres Chef-villes, rcpréiemans Ie Tiersétat. Tëllc eft, Monfieur, la bafe de la conffitution nationale des Brabancons ; elle relTcmbk beaucoup a celle des' Ang1oIS; mais danscelle-ci les pouvoirs du Souverain font encore plus Hmités que dans cclle-la : 1'une & l'autre font trés-  dans les Pays-Bas. 113 jfavorables au peuple, mais elles font fu" ijettes a. de grands inconveniens, auxquels on pourroit remédier en réformaat, lorfque les circonftances le demandent, les Loix fondamentalcs de Ia conftitution. ;Unc de nos Loix fondamentalcs étoit : de ne pouvoir être jugé que par fes Pairs ; je ne connois pas de Loi qui 1'ait abrogée, mais 1'ufage lui a fubftitué le droit ,de n'être jugé que par plufieurs. Des ! Brabancons m'ont dit que , fuivant la , conftitution de leur Pays, la religion Caitholique Romaine pouvoit fcule y être exercée. Croye\-vous , leur demandai$-je , , qu'il feroit avantageux a votre Pays, que toutes les Religions y fufent profejfées librement? Oui , me repondirent-ils. ..; Que vos Etats, qui repréfenient toute la , a7„w„n rhnnapnt donc l'orticle de vos 1 Loix fondamentales, qui exclue de votre ■ Province tout autre culte que celui de I VEglife Romaine, Une autre fois je leur 1 difois, ne defire\-vous pas que votre I Pays foit très-peuplé ? Oui, nous le  ii4 LeVoyageur. fouhaitons ardemment...f. Pourquoi donC vos Etats ne dernandent-ils pas au Souverain qu'il donne une Loi qui naturalifera, de droit, tous les Etrangers , du moment qu'ils viendront habiter votre Pays ? Je fuis, &c.  dansles Pays-Bas. lig L E T T R E XI. Bruxelles, ce... Juillet 1782. Bruxelles, Monficur , ne ccmtcftc pas k Louvain le titre dc Capitale , & il ne parolt même pas que cela ait ijamais fouffertla moindrc difficulté , puifjque les Bourguemeftres de Bruxelles ont [ toujours c6dé le pas aux Bourguemeftre [de Louvain dans les affemblces des Etats. i'Mais fi Bruxelles ne jouit pas du titre ;de Capitale , elle réunit dans fes murs :tout ce qui caraóférifc la Capitale d'un iEtat. C'eft unc Ville de Cour ; car , fuivant 11a conftitution du Brabant & des autres 1 Provinces, le Lieutenant-Gouverneur & i Capitaine^Général , doit être un Prince , ou une Princefie du fang : fi le Souverain , qu'il repréfente , habitoit fes Etats des Pay; -Bas, il feroit auffi fa réfidence ft  n6 Le Voyageur. Bruxelles. Le Pape y a un Nonce , lc Roi de France, la République des Provinccs-Unics y ont un Miniftre plénipotentiaire ; lc Roi d'Angleterre y a un Miniftre rófident, & le Prince de Liege un chargé d'affaires. Tous ceux qui font a la tête du Gouvernement des Provinces des PaysBas Autrichiens , réfidcnt a Bruxelles ; ce font le Lieutcnant-Gouverneur & Capitainc-Général, le Miniftre plénipotentiaire du Souverain & le Secrétaire d'Etat. C'eft a Bruxelles qu'eft le Siege des Confeils dans lefqucls fc traitent toutes les af¬ faires de 1'adminiftration : ces Confeils font le Confeil d'Etat, le Confeil privé & celui des Finances. C'eft le Souverain qui eftle Chef du Confeil d'Etat, & en fon abfence, c'eft le Lieutenant-Gouverneur-Général qui y préfide & le convoque. Le Miniftre plénipotentiaire du Souverain n'eft pas membrc dc ce Confeil, mais il peut y affifter. Ce Confeil n'a pas d'affcmblée fixe , &fes Membres , qui ne réfidcnt pas tous a Bruxelles, & dont Ie nombrc n'eft  dans les Pays-Bas. iif pas fixé , ne s'aflemblent que quand lc Souverain ou le Lieutenan:-Gouvcrneur-Géneral les convoque. C'eft le Chef Préfidcnt idu Confeil privé quialadircclion de toutes les affaires qui fc traitent dans lc Confeil d'Etat; ces affaires font celles qui conccri nent 1'Etat; les droits de la Souveraineté , lc Gouvernement & le bien public. Le I Conleil privé eft proprement le Confeil du Souverain; auffi eft-il un Confeil de grace; ainfi c'eft a lui qu'il faut s'adrcffcr j, pour obtcnir du Souverain des Lettres I dc rémiffion , d'abolition , de iégitimation, i dc réhabilitation & de naturalifation , les i oftrois & les privileges , & généralcment tout cc qui ne peut être accordé que par le Souverain. ï\ faut cxccptcr cependant t les lettres dc nobleflc , qui doivent être demandées direcTement au Prince. Celui 1 qui eft a la tête de cc Confeil fe nomme \ Chef Préfidcnt. C'eft le grand Tréibricr ou quand il y en a un , le Surintcndant des Finances, ^qui a, dans ce Pays-ci, i la direclion des Financcs du Prince ; il  n8 Le Voyageur eft cc qu'eft en France le Contróleur-Général : toutes les affaires de fon département font traitées dans un Confeil, qu'on nomme le Confeil des Domaines & des Finances : ce Confeil prend auffi connoiffancc de tout ce qui concerne le commerce & la navigation. i C'eft a Bruxelles que fe fait 1'inaugurction (a) du Souverain ; que fe tient Ifafii (a);La cérémonie s'en fait a 1'avénement du Prince au Tróne fur un grand Théatre , élevé a eet efFet dans une des principales piaces de Ia ville de Bruxelles , ou par Ie Souverain en perfonne, ou par le LieutenantGouverneur-Général; celui-ci ou le Souverain jure fur 1'Evangile , en préfence des députés des Etats de la Province , d'obferver tout ce qui eft porté dans le pacle ou joyeufè entrée :on trouve 1'origine de ce pacle dans le teltament de Henri lïl, Duc de Brabant, mort le dernier Février iz6o. Je creis qu'il y avoit eu auparavant un aute pafte, & il eft étonnant que perfonne ne fe foit en;ore occupé de fa recherche.  dans les Pays-Bas. 119 fembléc des Etats de la Province , & que ie ticndroit celle dc tous les Etats des autres Provinces, rcunis a ceux du Brabant , fi le Prince la convoquoit. La prin- ■ cipale Noblcfle de toutes les Provinces y fait la réfidence ordinaire. C'eft auifi dans cette Vill e qu'eft lc Siege du premier Tri- Les privileges dont jouifient les Brabancons , en vertu de la jcyeufe entree, leur ont été accordés par le Duc , Jean I, fecond fils du Duc Henri III, auquel il fuccéda , fon frere aïné Henri IV s'étant fait Moine en l'Abbaye de St Etienne de Dijon. Jean I accorda a les fujets du Brabant ces privileges , en reconnoiffance des grands fervices qu'ils lui avoient rendus dans les guerres qu'il avoit euafoutenir contre le Comte de Gueldre , & fur-tout de la bravoure avec laquelle ils avoient combattu ala bataille de Woinninghe, qui afiura au Duc de Brabant la poffeffion du Duché de Limbourg, & auffi en confidération des fommes d'argent eonfidérables que les habitat des villes du Brabant lui avoient données pour payer ces dettes : ce Prince mourut en I294.  iüo Le Voyageur bunal de Juftice du Brabant; on Ie nommc Confeil Souverain : fon reffort eft fort étcndu ; fon Chef eft le Chancelier dc Brabant '": je vous ferai connoitre fa jurifdicfion , lorfque je traiierai dc la juril prudence de ce pays. , Les autres Tribunaux qui ont leur Siegc a Bruxelles, font la Chambre des comptes, la Cour ecc'éilaftique , la Cour féodale, le Tribunal Aulique , celui des Officiers municipaux, deux Chambres fuprêmes qui connoiffent en dernicr relfort pour les Provinces dc Luxembourg , Gueldre, Flandre, Hainaut, Namur , Brabant, Limbourg & Pays d'Outre - Mcufe , des affaires des Domaires, & des droits d'entrée & dc fortie ; cinq Jointes, Tune pour les monnoies, 1'autre radmin'ftration & les affaires des fubfides ; la troifiemc pour 1'adminiftration des monts de piété ; la quatriemc pour les eaux , & la cinquicme pour le militaire ; une Chambre d'Ucclp & une Chambre de Tonlieu. II ne m'a pas encore été poffible de prendre  dans les Pays-Bas. iüi prendre fur ces différens Tribunaux , les renfeignemens qui me font néceffaires pour vous faire connoitre leur jurifdiéiion : d'ailleurs il eft d'autres objets qui peuvent vous intércffer davantage ; les mceurs, les fciences, les arts , le commerce & les intéréts politiques, voila les objets qui doivent véritablcmcnt vous intérelfer ; ce font auffi les feuls qui m'affectent , & dans tous les pays oü j'ai voyagé , j'ai toujours évité de faire des recherches minutieufes fur des chofes dont la connoiffance n'auroit pu faire naitre en moi de nouvelles idéés. Je fuis, &c. 11. Partie. F  last LbVoyagkur LETTRE XII. Bruxelles , ce. . .. Juillet. 1782. JLiE Brabant, Monfieur, rcnferme un grand nombre de Villes ; toutes font trèspcuplces, & la population des campagnes n'en fouffre pas. II y a dans le Brabant des villages plus pcuplés & mieux batis que ne le font plufieurs des Villes de France. Les habitans de ces villages font tout-ft-la-fois cultivateurs & commercans; leurs principaux commcrces font ceux de grains , dc bois & dc beftiaux : ceux qui cultivent le plus élevent un grand nombre de volailles, ont des troupcaux nombreux de bêtes ft laine & beaucoup de bêtes ft cornes, qui, leur donnant du lait en abondance , les mettent en état de faire auffi ie commerce de beurre; c'eft une denrée prócicufc dans ce paysci ; elle eft même dc première néceffité  dans les Pays-Bas. ia* pour les Brabancons qui mangent tout au beurrc : la dernierc claffc des citoycns lc préferent a la viande; ils cn mangent peu & fe nourriffcnt de légumcs, qu'ils aimcnt beaucoup, & fur-tout les pommes de terre ; mais pour qu'ils foient heureux , il faut qu'ils aient du thé & du café; le thé pour lc déjeuner & le café avec du lak pour le fouper: le pain & lc bcurre font la bafe de ces deux repas. Le peu ple Brabancon aime auffi la bierre & 1'cau-devie de grain ; mais en général il n'cn fait pas d'cxcès, & moins encore dans les campagnes que dans les Villes Dans celles de France , il eft très-ordinaires de voir les Fêtes & Dimanches les rues couvertes d'hommcs ivres; on en rencontre trespeu dans les Villes du Brabant; rarément le Peuple fe querelle-t-il , plus rarément encore commet-il des défordres. Si lc Peuple de Paris n'étoit pas retenu par la crainte que lui infpire lc guêt & les Officiers de policc qui y font continuellement en adion, il fe qucrellcroit & fe F a  124 Le Voyageur. battroit continuellemcnt. Ici, Monfieur, oü il n'y a point de guêt, oü les Officiers de police n'ont a leurs ordres que quelques hommes mal armés, on ne voit ni le jour ni la nuit des vagabonds courir les rues & infulter les paffans , & des hommes ivres commettre des extravagances ou fe battrc fans rime ni raifon. Les femmes publiques, dont lenombre, proportion gardée , eft a Bruxelles auffi grand qu'a Paris , ni font pas non plus une occafion dc difputes & de querelles : celles memes qui, moins hcureufes que leurs compagnes, n'ont pu dans lc jour vendrc leurs faveurs, ou plutöt le venin qui les infefte , vont dans les rues, aujourtombant, tendre des pieges a la jeuneffe inconfidérée, fans caufer ni trouble ni querelle. II n'y a pas a. Bruxelles, comme a Paris & dans les autres grandes Villes de France, des lieux de debauche publics, autorifés par la police; mais toutes les femmes publiques font furveillces avec  dans les Pays-Bas. ïl$ la plus grande attention par les Officiers dc policc. Par femmes publiques , je n'entends pas parler des femmes entretenucs , dont le nombre eft ici affez- grand ; prefque toutes y vivent avec la plus grande déccncc : très-pcu d'entre elles donnent dans le luxe & dans le faftc ; leur vie eft celle d'une femme mariéc ; elles s'occupent de leur ménage, ne recoivent chez elles que celui qui leur tient lieu de mari , & ceux qu'il leur permet dc recevoir. II ya des femmes mariées dont la conduite caufe plus de fcandalc que celle de ces femmes entretenucs: auffi plufieurs de cellesci jouiffent-elles d'une fortc dc confidération , fur-tout quand , parvcnues a 1'age oü nc pouvant plus prétendre aux hommages de 1'amour , elles y renoncent fans regret & s'en croient dédommagées par le fentiment de 1'amitié qu'elles ont fait naltre. Une desricheffes du Brabant, font les engrais qui y font en grande quantité ; le cultivatcur Brabancon en connoit tout F 3  Le Voyageur. le prix , & comme il a de 1'aifancc , il n'épargne rien pour fe les procurer. Ces engrais font les fumiers, les boucs & immondices des Villes, & les cendrcs ; comme celles de tourbes font meilleures que celles dc bois , les cultivatcurs Brabancons en tirent beaucoup des Hollandois : on m'a allure qu'il s'en confommoit tous les ans dansle Brabant & dans les autres Provinces environ pour 600,000 fiorins, argent courant de Brabant. On m'a hier dit qu'un étranger qui réfidoit a Bruxelles , & qui fe nommoit de Bruges , avoit découvert une matiere dont 1'cffct pour la culture, étoit le même que celui de la cendre de tourbe. Je fais auffi que le Baron de Béleen , qui a entrepris dc défricher une partie confidérable de bruyeres dans les environs d'Anvers, fait ufage d'un engrais qui produi le même effet que la cendre de tourbe. Cette découverte rendue publique , & je fuis étonné qu'elle nc le foit pas encore , fera refter dans ces pays-ci les 60,000 fiorins qu'il paie an-  dans iBs Pays-Bas. ia? nuellement aux Hollandois pour la cendre de tourbes. II faut que les engms foient en très-grandc abondance dans le Brabant, pu'tfquc nombre de nav.res Hollandois viennent charger a Bruxelles d un fumier,qucje crois être un mêlangc;de boue & d'immondices. L'Hotcl-de-Viue de Bruxelles donne a ferme les boues & les iminondiccs des rues; cette ferme rapporte tous les ans 14000 fiorins. Les terres de Brabant ne fe repofent iamais; elles ne font pas généralement graffes, mais elles font toutes fertiles, paree qu'elles font toutes cultivces avec le plus grand foin & fufflée avec la plus grande profufion : elles portent du froment , de 1'orge , du feigle , dc 1'avoine, du colfat & beaucoup dc pommes de terre. Les légumes qu'on cultive dans le Brabant font exccllens; ils ont plus de goüt & de faveur que ceux des environs de Paris; ceux-ci viennent dans le fumier & ceux-la dans une bonne terre : les uns font le produit de la nature , les autres F 4  ï23 Le Voyageur font Ie produit de 1'art. Le prix de ces Jégumcsdans les marchés de Bruxelles, eft bien inférieur a celui des marchés de Paris; & c'eft ce qui fait que Ie peuple en fait fa principale nourriture. II n'en eft pas de même des fruits; en général ils font a Bruxelles moins bons, & cependant auffi chers qu'a Paris , a 1'exception d'une efpece de pommes, qu'on nomme capendu , qui eft excellente & tres-commune; on la connoït auffi en France, mais on lui préfcre la rainctte , qui me paroit lui être b:en inférieure. On cultive auffi dans le Brabant un poirier dont le fruit eft excellent; cette poire, qu'on nomme grande-Bretagne, reffcmble i celle que nous nommons bon Chrétien : la chaire en eft caffante, moins pierreufe & a un goüt plus fin que celle de bon Chrétien. Je fuis, &c.   -I P1UAN ■ I BKEXBI/Ii ErS ' „,,i.:.'Ji■ TSoms des Qtcarttei'iS et «leletvr s Diviüoiiff LjUART IERS ÖiVLSIO H S X De Lel Cour JJilaCour 1 j />.■ tiVaM-mt 2 j LnHmid'OT 7 IL De la Hate Kiie LcfMims Z' \ LaChapclte ë HE De la Place des llTüous , /}Ain.Acrk g \ Lrcitixkoi ïictrc u _„ , _/. ( J£irjir'aii Ctharion* -iZ JV De larue cLAndeHeck StreAvtvCfatutf ii ( üvtr-motc 14 \ CruysJvftS _ , \ EM-clesTtailtiliav 16 V Duiair . ^ Scfotn/tut?r- tg W Delarue de Flaudres s'. ea'tbnttL; ®* ijirte %z VD Delarue desRouchcrê , ^}/wiï?ructV&(«yer zf ( nr/f. ^ \ 73 cj- gaucAers 27 1inr „ lf . ( C,rt/itz^ 23 VU1 Un xVlajor sf^ncoiav < Ltt-Putten^ Al De bcai-rbeek , ^Cztirait; Si X DaJllai-cheauFroiiiaée , >r,i'r/u a„caju,rirg j7 l aaüc llt BU, $ I Qrucr, EQvakt. Jïl Quailt, IV ^ F Qva&T. TZQl^t, W ÜBJiT, f4M4£7 f^ * 'T' lPar deCÓ^eriberA ^>Lda Sahlbn "Sdteïi (Wt rfl» de *»n,W 3U1 del CWenx ^ Jerico ^afle de, SEecUclc3.^E1,CoLde S^Gucü.le fiJJ ^ Amou^U G^ag^-Tel*™ ff-cW* dla^Lcs Low-omnes «o J-^Ja de^atóru?3;JI tofP C««« iaJVf des JAecoHetS 381-i-ü Ctherine ^AW^ffl^fe « CL de S^ertx-ude « ^s );~ ïF^kedelaAWMcine uPar.fte\B^^^ ^Bureau des fofte* 33» des PcaifenteS 3öM.deé PamT-esQaires 4'E«r delinis Terri» 54 »• de Ba-Jemrart Of ^ «c oJ^JUatjem. rAréSd UiH-aeAitotinrt «»iLde« Ud&e? 3,31. des SoeUM „ou^ JJ"Oi. de8 Merderê *i Hopt.MMure 4o^de S.Bloj p<&tevJLgotcei gm.de ^Oratore flJHop&lSJean HHopif.^Guiüak 24, CdtOè WP«;de S. fiéry 4^de S.CrolX ^Ch.de S^Tean dfLafca-57 Cl de•S.A* ftKMipiene* zACcleB Carmdilea de. TP. Ca^n, >ƒ• Höfcl deMlie ^OttU S. Carndi J^-^PoiTfan, ^P^-Beg^e IJibUovJe «TM. «te 8.Kewe A.iambar4 ^ Mufè B .lïoh He?' JWouoLe^ Jo la Lh.de l.S.M 17Par, de* Marollea "' -A. ' Eivfccjiöt AeliVdle o.» teCoui.S.de Brabant i^M, dea PP, Ma&met  dans les Pays-Bas. 129 L E T T R E XIII. Bruxelles , ce Juillet 178a. ï j e s quatre principales Villes du Brabant , Monfieur , font Bruxelles , Anvers, Louvain & Malines , mais la plus confidérable eft Bruxelles (a) : elle a environ 26600 pas géométriques de circuit ,& eft entource de remparts bien plantés , qui forment une très-agréable promenade. Ces remparts, revêtus de murailles , font défendus par un foffc, dont une partie eft remplie d'eau , & par des fortifications dont 1'Empereur a ordonnc la démolidon. On entrc dans Bruxelles par huït portes qui n'offrcnt rien de remarquable que les deux marmitons armés dc broches , qui (a) Bruxelles eft au 290. 53 m. 33 (, de longitude, & au jo 0. jo' jo" de latitude; elle a au nord Malines, au levant Louvain, au midi le Hamaut, & au couchant la Flandre. F 5  130 Le Voyageur. font au-deiTus de la porte dc Flandres, & qui y ont été placés pour confervcr la méraoire du courage avec lequcl les marmitons de Bruxelles avoient combattu les Gantois, qui, en 1356 , s'étoient rendus mattres de Bruxelles : cette Ville peut être mife au rang des belles Villes de 1'Europe ; fon climat eft doux & tempéré ; 1'air qu'on y refpire eft fain , & on y vit long-temps : il eft rare d'y voir régner des maladies épidémiques , & quand cela arrivé, c'eft toujours dans la partie de la Ville habitée par la dernierc claffe des citoyens, que 1'épidémie fait le plus dc ravage , paree qu'on y refpire un air méphétique , occafionné par le voifinage , des égoüts & des cimedcres. Les immondices de la Ville paffent par ces égoüts, & il faudroit, pour qu'il nc s'en cxalat point de vapeurs malignes , qu'ils cuffent plus de pente pour que les eaux qui y coulent, ayant plus de rapidité , y produififfent 1'efiet qu'on en devroit attendre : peut-être auffi faudroit-il que le volume  dans les Pays-Bas. 131 de cette eau fut plus cpnfidérablc. Un égout mal conftruit, & qui n'eft pas continuellcment nétoyé par 1'eau qu'on y fait paffer , trompe toujours 1'efpérancc qu'on en avoit concue. Les vapeurs qui s'en exalent font bien plus dangereufes que celles qu'exaleroicnt les matieres qui s'y trouvent ralfemblées &cnfermées, fi elles étoient divifées & en plein air. Quant aux cimet'eres, j'avoue quejene concois pas comment, dans le dix-huitieme fiecle , on peut encore nommer une Ville qui en renferme dans fon enceintc. L'Empereur vient d'ordonner leur fuppreffion pour Vienne. B eft probablc que Bruxelles , ainfi que les autres villes des Pays-Bas Autrichiens, feront bientöt délivrées de cc dépot de cadavres confacré par la religion , mais qu'on peut transfércr hors des Villes fans que la religion en foit allarméc. Les cimetieres font des lieux faints, qui le feront également quand on les aura placés hors des Villes. Bruxelles eft bien percée; fes rues font F 6  132 Le Voyageur. longues, larges , & le plus grand nombre bien alignées. Plus d'un tiers de cette Ville a été depuis vingt ans rebati a neuf; mais on a trop négligé Palignement des maifons & 1'uniformité de leurs facades. cette uniformité contribue beaucoup a la décoration d'une grande Ville , quand les plans font donnés par un Architecte qui a du génie & du goüt: ce feroit en manquer que de ne pas diverfifier les plans ; car rien ne feroit plus trifte qu'une Ville dont toutes les facades des maifons feroient conftruites fur le même deffin. Les facades des maifons occupées par des gens de commerce, ne doivent pas être celles d'une rue dans laquclle il ne fe trouve aucune boutique. II y a ici deux rues dont toutes les maifons ont été b&ties depuis quelques années, la rue Royale & la ruc Verte ; elles fervent d'ornement è une promenade publique , qu'on nomme le Pare. Les maifons de ces ruesne font pas uniformes; il y en a qui font plus hautes que les autres; les unes ont  dans les Pays,-Bas. 135 des portes & des fcnêtres trés - étroites; d'autres des portes & des fenêtres trèslarges : cela produit le plus mauvais effet.' Ce défaut d'uniformité eft encore plus fenfible pour les places publiques; c'eft 1'uniformité des batimens qui les entourent qui en fait la beauté. Je fuis, &c>  134 Le Voyageur. € I L E T T R E XIV. Bruxelles ce Juillet ijSx. °\Z"ous dcfirez connoltre , Monfieur, queüe eft la population de Bruxelles ; il n'eft pas poftiblc de la favoir pofitivement : 1'opinion la plus générale, eft qu'elle eft de 112000 ames: elle augmente & doit augmenter tous les jours , & je ctois qu'a la paix elle augmentera encore davantage. Cinq commercans Anglois font arrivés ici il y a quelques jours , dans le delfein de s'y établir & dy fa'-re lc commerce. II n'eji plus pofible , ont-ils dit, de faire ni a Londres ni dans les autres Villes d'Angleterre , aucune fpe'culation mercantille. Ces Anglois ne ieront pas les feuls qui atandonneront leur patric & qui viendront fe ftxer dans les Pays-Bas Autrichiens; lc plus grand nombre nc s'établiront pas a Bruxelles ; ils lui préféreront Bruges, Gand , Anvers, oü les  dans les Pays-Bas. 135 vivres & les maifons feront a meilleur mare ié qu'a Bruxelles. Les Anglois qui 1 s'établiront ici , feront ceux qui feront la banque ou auront placé leurs fonds chez des particuliers, ou dans les fonds publics, tant dAngleterrc que des autres ' Pays. Ceux qui auront leur fortune en fonds dc terre, vendront ces fonds & employeront le produit de leur vente en d'autres fonds de terre qu'ils trouveront a acheter dans les Pays-Bas Autrichiens, qui font moins chargés d'impöts que ceux d'Angleterre. Les fonds de terre s'alienent rarément dans les Pays-Bas Autrichiens; mais après que la fuppreffion des couvens fera exécutée , la vente de leurs biens fonds fournira aux étrangers une occafion favorable de placer avantageufement leurs capitaux. L'Empereur, en éuibliflant dans fes Etats le tolérantifme, a levé le plus grand obftacle qui pouvoit s'oppofcr a leur population. I\ n'y7 aura que les Anglois extraordinairement riches ou extraordinairement pauvres, qui refteront dans  136 Le Voyageur. leur patrie; les hommes induftrieux 1'abandonneront pour aller habiter ou 1'Amérique ou les Pays-Bas Autrichiens; ils préféreront ceux-ci a la France, qui eft plus éloignée de leur pays, & oü le nombrc des hommes induftrieux eft plus que fuffifant pourle commerce de France. Les Provinccs-Uniescontribueront auffi a 1'augmentation de la populations des Provinces Autrichicnnes. Plufieurs families Hollandoifes s'y font déja établies; il y en a quatre a Bruges & fix a Oftende. Je crois qu'un fabriquant dc Harlem a tranfporté fa fabrique dc drap a Gand. B y a quelques mois que douze families de pêcheurs Hollandois fe font faits recevoir lo.i:geois a Vilvorde , petite ville entre Bruxelles & Anvers. Un commercant de cette derniere Ville m'a hier dit avoir vu des lettres de plufieurs négocians d'Amfterdam , rclatives au dcffein oüils étoient de quitter leur patric & dc vcnir s'établir a Anvers. B eft arrivé ici il y a deux mois un Amfterdamois fort riche qui a  dans les Pays-Bas. 137 fait rccevoir bourgeois d'Anvers 1'aïné de fes fils; il fe propofe de faire reccvoir fon fecond fils bourgeois dc Bruxelles aufli-tót qu'il fera de retour du Surinam , & de venir lui-même s'établir a Bruxelles avec toute fa familie. N'imaginez pas, Monficur , qu'a la paix tous ces émigrans Anglois & Hollandois quittcrontleur nouvelle patrie : les mêmes motifs qui les ont engagés k la préférer a leur pays natale, fubfiftcront apres la guerre, fur-tout fi les intéréts du commerce des Pays - Bas Autrichiens fe tiennent étroitement a ceux du commerce de 1'Amérique Septentrionale. Votre impatience, Monfieur, :-i connoJtre Bruxelles me fait croire que vous avez concu le projet de venir Phabiter. Le tracas du monde comme nee a vous fatiguer; il plait dans la jeuneffc ; on Paime ■ par raifon dans Page mür , mais on s'en dégoüte quand on n'a plus dc motif de ilc préférer au repos & a la tranquillité_j_ 1 c'eft alors qu'on connoJt le prix de la  138 Le Voyageur. retraite : c'eft alors auffi qu'on quitte Paris fans rcgret, & qu'on trouvc délicieux le féjour d'une Ville oü fe trouventtous les agrémens d'une grande Ville, fans y rencontrcr les défagrémens d'une Ville iramenfe, & par fa grandeur & par fa population. Je ne connois point encore de féjour plus agréable pour un étrangéf que Bruxelles ; fi ce n'eft pas le féjour des plaifirs bruyans , c'eft celui des plaifirs tranquillcs \ les feuls qu'on devroit rechercher, mais dont malheureufement on conno?t le prix fouvent trop tard. Le defir de fatisfaire votre curiofité& en même-tcmps la mienne, m'a fait commencer hier 1'examen des chofes remarquables qui fe trouvent dans Bruxelles. Mon guide étoit un plan dc cette Ville , qu'a fait faire Boubers , Librairc , pour mettre a la tête d'une nouvelle defcription dc Bruxelles qu'il fait imprimer : je vous la ferai pafier quand elle fe vendra ; elle fuppléera a ce que j'aurai omis de vous dirc fur les chofes remarqunbles qui  I dans les Pays-Bas. 139 font dans cette Ville : elle a plufieurs places ; mais guatre fculcment méritent vé]i ritablement d'être vues : 1'une eft la grande i Place , 1'autre la Place Royale , la troifieme la Place St Michel , & la quatrierae la Place du grand Sablon ; cellc-ci eft i la Place d'armcs ; elle eft grande & feroit belle, fi on 1'entouroit de batirnens réguliers , grands, éievés & d'une belle architccfurc. La ftatue équeftre de 1'Em-- i, percur , placée dans le milieu , y produiroit plus d'effet que Ia fontainn qu'on y voit aujourd'hui. Cette fontaine eft la fcule des vingt-cinq autres publiques qui dont a Bruxelles, qui mérite quelquc at- ii tention : elle a été conftruite aux frais de : la fucceffion du Lord , Comte d'Alsbu: ry , Anglois , qui , étant mort a Bruxelles ien 1740, après y avoir réfidé qunrante üans, ordonna par fon teftament a fon héliritier, de faire conftruire cette fontaine. UElle eft de marbre blanc de Gêncs. |Sur un piéd'cftal élevé de treize pieds , (ar la ville de Mons. En lui donnant ce Gouvernement , la feue Impératrice-Reine Pavoit chargé dc payer tous les ans a la Marquife dc POftrios , qui demeure a Vienne , 3000 fiorins : la fortune de cette Dame ne répond pas a fa qualité , & lc Prince de Ligne qui, en perdant fon Gouvernement, fe trouvoit dégagé dc lui payer les 3000 fiorins, lui a mandé qu'elle continueroit de les reccvoir a Pavenir comme auparavant, & qu'il en faifoit fa dette; Cette aftion eft d'une bienfaifance & d'une générofité peu communes. L'affabilitc , la populariré de ce Prince , Pont rendu 1'idole du Peuple de Bruxelles; il eft bon par fentirnerït, humain par principes, & bienfaifarït par O 5  154 Le Voyageur goüt ; fa maifon eft une des plus illuftres des Pays-Bas & une des plus anciennes de PEurope ; elle eft divifée en deux branches , la fienne & celle d'Ar, remberg. Lc Prince de Ligne eft un des meilleurs Officiers-Généraux qu'ait 1'Empcreur : on m'a alTuré que le Prince Frédéric de Pruffe le confidéroit comme celui de tous les Officiers qu'il connoiffoit , qui poffédat plus profondément l'art de la guerre : 1'étude qu'il en a faite, ne 1'a pas empêché de fe livrcr au commerce des mufes ; il fait des vers comme notre Duc de Nivetnois ; il a fon naturel, mais il eft un peu plus négligé que lui: il vient de faire imprimcr dans fon Hotel un recucil de fes poéfies , qui, malheureufcment pour le Public , nc fera que pour fes amis, B a dans fon cabinet un petit coffret de Lapis-Lazuli; fon Bifaycul en avoit fait préfent a Henri III, a fon retour de Polo ;ne ; pour lui en marquer fa reconnoiffance , Henri III lui avoit envoyé un adle en bonne forme , qui comenoit Ia dona-  dans les Pays-Bas. 155 tion d'une terre confidérable : cette donation n'ayant pas été acceptée , Ie coffret fut renvoyé. Cette maniere dc traiter d'égal a égal, prouve a quel point dcconfidération la Maifon de Ligne étoit déja alors cn Europe.' Je fuis, &c. P S. Dans le moment j'apprends que tous les Gouvernrmens font rctablis, ainfi que toutes les penfions qui avoient été fupprimées ou fufpendues.' G 6  156 Le Voyageur. LETTRE XVI. Bruxelles, ce... Aoüt 17S2. J E vbis avec peirje , Monfieur , que les cabarets font encore ici fréquentés par nombre de perfonnes que leur naiffance, leur état ou leur profcflion ont placées dans Ia clalfe intermédiaire de celle des noblcs & du Peuple. Le cabaret peut être pour le Peuple un lieu de délaifement &de plaifir; mais qu'il le foit pour ceux qui font faits pour être fenfibles aux amuicmens de l'efprit & aux plaifirs du coear, c'eft ce que je ne puis concevoir. II faut être bien malheureufemcnt nc pour être plus fiatté de s'abreuver dans un cabaret d'un pot de bierre de Louvain , ou d'une pintc de vin blanc bien fucré , que de boire chez fci du vin naturel avec fa femme & fes enfans, pour fe plaire dans la iocicté des hommes plus que dans celle des femmes , pour s'amufer davantage  dans les Pays-Bas. 15^ d'une convcrfation fans but, vague, & fouvent même minuticufe , que de la repréfentation d'une bonne Comédie oa d'un Opéra agréable. Préférer les infipides amufemens qu'on goute dans un cabaret, a ceux qu'offrc une fociété aimable d'hommes & de femmes , c'eft avouer qu'on manque de gout, je dirois volontiers de fenration. Que quelques perfonnes qui fc connoifient particuliérement, qui ont les mêmes goüts & approchant le même carattcre, fc réuniffent quelquefois dans un cabaret, y dïnentouy foupent,loin de les coridamner , je les approuverai ; leurs affaires peuvent le demander ; cela fc pratique & s'eft toujours pratiqué a Londres comme a Paris : mais que des hommes qui font fans motif de ié connottrc , fans intérêt de fe fréquenter , qui fe connoifient a peine , & fouvent ne fe connoiffent pas , fe rendent tous les jours , fans même en être convenus , a cinq ou fix heures du foir, dans un cabaret, pour yboirc en compagnie, ou feu Is , quand  158 Le Voyageur ils font prudens, c'eft ce quejcneconccvrai jamais , fur-tout de la part d'un Marchand , d'un Banquicr , ou d'un Avocat, qui doit chcrcher a fe procurcr le foir des amufemens qui le délaffent des fatigues de la journce. Je ne croirai jamais que boire & mangcr feul ou avec des gens qui ennuient, puiffe être un véritable amufement. Mais ne croyez pas, Monficur, que tous les Avocats de Bruxelles fréquentent les eftaminets ; je crois même que le plus grand nombre n'y va pas. Cet homme qui paffe , me difoit hier un de mes amis, eft un pillier de cabaret; il y va le matin déjeuner ; il y va le foir fouper: c'eft un homme qui a des talens; les propos ind.fcrets, & fouvent même inconfidérês, qui lui échappent quand il a bu , lui ont été pour toujours Pefpérance de parvenir h aucune place ou emploi de cpnfiance. Si un Avocat en France alloit journellcment au cabaret, fon Corps le rayeroit du tableau : nos Procureurs même rou-  dans les Pays-Bas. 159 giroient aujourd'hui qu'on put les foupconner d'être fujets a la boiffon. Je ne crois pas qu'on puiffe avoir la moindre confiance dans un homme qui a contrafté 1'habitude de boire avec exces. Commcnt cct homme , dont la têtc eft continuellement fatiguée par la digeftion laborieufe d'un liquide dont il lurcharge fon cftomach , peut-il être capable dc donner un bon confeil 1 Comment après être revenu le foir chez lui ivrc, aura-t-il des idóes nettes le lendemain matin 1 Quand il voudra fe remettre au travail , a pcinc fe reffouviendra-t-il des intéréts de fes clients, & fi, malhcureufemcnt pour eux, il s'en fouvient, que de bévues, que de méprifes ne fera-t-il pas! De tous les vices, il n'en eft pas qui avilsffent plus l'homme que celui de Tivrognerie ; de l'homme le plus fpirituel , il fait un automate; il étoufte en lui jufqu'aux fentimens de la nature; c'eft un être purement paffif qui n'a plus aucune efpece de rtlforts; il ne peut êïrcni citoyen , ni ami , ni bon pere  iöo Le Voyageur de familie , & tel il eft, il le fera juf- ftu'au tombcau : qui a bu boira , dit le provcrbe. Aucun Magiftrat rToferoit ici aller a rcftaminet; on n'y voit jamais , m'a-t-on aflurc , aucuns de ceux qui compofent la première clalfe des citoycns • & il eft un grand nombre dc pcres de familie, même dans la BourgeoiGe , qui ne donncroient pas leurs Blies a celui qui auroit contraclé 1'habitude d'y aller. Quclle trifte vie que celle d'une femme dont le mari nc connoït de plaifirs que ceux qu'il goüte hors de fa maifon! II y pourroitralfembler quelques amis dont la fociété douce & tranquille, & fur-tout la converfation intéreflante , le diffiperoit, amufcroit fa femme, & hateroit 1'éducation de fes enfans. B y a ici très-peu de maifons oü 1'on recoit familiérement les amis les plus intimes : on n'y connoït pas encore cette facon aifée de vivrc des Francois. Dans les maifons mêmes oü 1'on le raffemblc  dans les Pays-Bas. 162 ici pour pafier la foirée , foit pour caufer , foit pour jouer, perfonne n'eft retenu a fouper ; & cela paree qu'on rougiroit de n'avoir a offrir que le fouper de la familie. On nc peut pas ccpendant attribuer cette maniere de vivre fi peu focia'c , a la craintc dc l\ dépenfe , car ces mêmes perfonnes qui, quand toutes les cataraótcs du ciel feroient ouverres , ne vous retiendroient pas a fouper, vous donneront plufieurs repas fplcndidcs dans le courant de 1'année : ce qu'elles dépenfent pour un feul de ces repas, fuffiroit pour payer la petite dépenfe extraordinaire que leur occafionneroient pendant plufieurs mois un ou deux amis qui viendroient diner ou fouper familiérement avec elles. La dépenfe que le mari fait a 1'eftaminet, ajoutéc a la dépenfe ordinaire de fa maifon , feroit plus que fuffifante pour payer ce qu'il ajoutcroit au fouper qu'il feroit chez lui avec fon ami. L'ufage des eftaminets ne tardcra pas a être abandonné par les Gantois, & ce  iöa Le Voyageur. fera aux Gentilshommcs qui habitent leur Ville , qu'ils devront la nouvelle maniere de vivre qu'ils adopteront. A 1'inftigation du Comte de Lyterval, les Gentilshommes qui rcfident a Gand , vivent entreeux comme 1'on vit en France ; ils foupent ou dïnent les uns chez les autres familiéremcm : tous les repas de cérémonie font banis dc chez eux ; mais ils nc peuvent faire fervir fur leurs tables, quand leurs amis ou leurs connoiffances viennent mangcr avec eux , que lc nombre de plats dont ils font convenus. Jc fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 163 L E T R E XVII. Bruxelles , ce... . Aoüt 178-. C3n cultive ici, Monfieur , les leien- 1 5 ces & les arts, mais plus les arts utiles que les arts agréablcs; ceux - ei le font encore moins dans les autres Villes des Pays-Bas Autrichiens. La patrie des Vandyck , des Rubens & des Craycr, peut a pune nommer aujourd'hui deux peintres d'hiftoire qui puiffent efpércr d'être comptés parmi les grands Hommes qui ont rendu 1'école Flamande une des plus eclcbres de 1'Europe. L'un de ces peintres fc nomme Verhagen ; il demeurc a Lou-vain ; 1'autre fait fa réfidence a 'Malines (a) ; fon nom eft Herreyns. Je n'ai vu aucune des productions du premier, & la fcule que je connoiffe du fecond , (a) II eft ni a Anvers.  164 Le Voyageur. » eft Je portrait cn pied de 1'Empereur , que les Etats du Brabant ont fait placet dans leur falie d'afiemblée :!on me 1'avoit beaucoup vanté, & j'ai été on ne peut pas plus furpris de n'y trouver ni eiprit ni génie ; la compofition m'en paru t froidc & le deffin incorrecte; je n'y ai point trouvé d'harmonie dans les parties. Quelle différence de cc portrait a celui de Louis XIV peint par Rigaud. Nc croyez pas ccpendant, Monfieur , que lc Sr. Herrcyns foit un peintrc médiocre; on s'expoferoit fouvent a être injuftc , fi on jugeoit du mérite d'un Artifte par une feule de fes produaions. Tous les tabJeaux dc Vandyekne font pas de la mêmeforce. Ccmbien. lc tableau de Rubens, qui repréi'cntc 1'accouchement de Ia Reine, n'eft-il pas fupérieur aux autres tableaux qui fbrment la fuperbe galerie du Luxembourg! Si le Sr. Herreyns étoit un peintrc d'un mérite ordinaire , le Roi de Suede,lorfqu'il paffa a Malines, 1'auroit-il décorc du titre de fon premier peintre,  d a ns les Pays-Bas. 165 1'auroit-il chargé de lui faire plufieurs tableaux dont les fujets foient tirés de 1'hiftoire de Suede 1 Le fort brillant qui lui fut offert pour 1'engagcr ft aller s'établir en Suede , prouve le cas que ce Prince éclairé faifoit de fes talens : s'ils n'euffent été que médiocres , le Sr. Herreyns n'cut pas balancé a quitter fa patrie : fon attachement ?pour elle lui fait honncur; fans doute que les Magiftrats municipaux de Malincs lui en ont témoigné leur reconnoiffance. Ommeganck, de Cort & Antheuniffen , font trois peintres de payfagcs, qui demeurcn'i a Anvers & qui jouiffent ici & dans toutes les Provinces des Pays - Bas Autrichiens , d'une grande réputation; comme je n'ai point vu leurs Ouvrages, je nc puis juger fi. elle eft ufurpée ou méritée ; mais on m'a dit que les tableaux de Cort font du plus grand finit; qu'il a le titre de peintrc de notre bon Roi & du Prince de Condé. Le Comte du Nord 1'a chargé auffi de lui faire une vue de 1'Efcaut pres du port d'An-  ioö Le Voyageur vers. J'ai paffe hier deux heures trèsagréabïement chez un Hollandois , nommé Vandinter, qui s'eft établi ici & y peint le payfage : il excelle fur - tout a rcndre les animaux. Je ne connois pas de peintre qui 1'ait furpaffé en ce genre: il eft exacte dans fes deffins ; fon coloris eft frais comme celui de la nature. TouS les tableaux que j'ai vus de lui font dc la plus belle fontc. S'il peint un coup de vent, c'eft avec la vérité & Pexpreffion de la nature : les feules de fes produaions oü fon pinccau eft moins vrai , font les arbres. II a débuté ici avec beaucoup d'éclat ; lc mérite de fon pinceau a percé rapidement : 1'envie , la jaloufie lui ont fait beaucoup d'enncmis; mais Ia fuoériorité de fon talent 1'a fait triompher de tous les moyens qu'on a employés pour 1'empêcher de réuffir. La Gravure, eet art charmant qui, en multipliant les produaions de la peinture , a fi fort contribué a fes progrés, n'eft pas cultivée dans ces Provinces. II  dans les Pays-Bas. 167 n'y a -A Bruxelles qu'un feul graveur qui mérite ce norri ; il doit fon talent au feu Comte dc Cobenzcl. Ce Comte , Miniftre plénipotentiaire de feuc Marie-Thérefe , gouvernoit, fous le Prince Charles dc Lorrainc , les Pays-Bas Autrichiens. C'étoit véritablemtntun homme (a) d'E- (a) Le Comte de Cobenzel joignoit une ame forte , un efprit iolide & ferme aux grands talens de gouverner ; les plus grands obftacles ne lui faifoient jamais abandonner un projet qu'il avoit concu , quand il le croyoit utile; comme il vouloit toujours le bien , il 1 ne refufoit jamais aucun des avis qu'on lui donnoit; les palfions des autres étoient dans fa main un relfort flexible , dont il dirigeoit tous les mouvemens; il n'avoit pas cette morgue fi rebutante, qu'on dit qu'ont en Allemagne les gens en place ; a fon abord facile, a-fes manieres infinuantes , a fon affabilité, on 1'auroit pris pour un de nos Miniflres Francois ; le peuple même pouvoit pénétrer jufqu'a lui; il n'avoit pas d'audience reVlée : a toute heure, & quelquefois a quatre°heüresdumatin, fa porte e'toit ouverte; on lui a reproché d'aimerles femmes , mais les fem-  i63 Le Voyageur. tat, qui connoifibit lc prix des talens : il les cherchoit pour les encourager. On lui dit que le jeune Cardon paroiffoit avoir du gout pour la peinture; il le fit venir , le rit travaillcr devant lui , & rcconnoiffant qu'il avoit les plus grandes difpofitions a devenir un grand deffinateur, il 1'envoya en Italië, oü , non content de lui faire payer exactement la penfion que 1'Impératrice-Reine lui avoit accordce pour tout le temps qu'il rcftcroit cn Italië, il lui envoyoit tous les ans de fes propres deniers , une iorame qui ajoutoit > au bien'-êtrc dc fon protégé. Le jeune Cardon ne fuivit pas la carrière a laquellc il s'étoit d'abord deftiné ; il quitta lcpinceau pour le burin, & réfide aujourd'hui mes ne 1'ont jamais gouverné; il donnoit fa confiance , mais il n'étoit poinc makrifé par celui qui 1'obtenoit : on m'a aliïiré qu'il dieroit quatre Lettres a-la-fois en quatre langues différentes.  dans les Pays-Bas. 169 d'hui a Bruxelles. J'ai vu de lui plufieurs morceaux qui auroient fait fa réputation a Paris ou a Londres Vil grave « a préfent le portrait de 1'Empereur , de Hcrreyns ': quand il en concut le projet, il ouvrit une foufcription qui auroit due ötre recue avec le plus grand emprcfiement, & qui ccpendant ne 1'a etc qu'avcc une forte de froideur , d'autant plus ctonnante, que les Flamands & les Brabancons font extrêmement attachés a leur Souverain. B eft vrai que le temps oü lc Sr. Cardon a propofé fon Ouvrage au Public , n'étoit pas favorable a la réuffite de fon projet; c'étoit un temps dc réformes oü il eft fort ordinaire de voir s'attiédir , dans ceux qui en fouffrent, 1'amour naturelle qu'ils ont pour celui quiordonne ces réformes. Ne confidérant que foi , on ne voit pas le motif qui fait agir les Souverains : je les croistousjuftes , bons & fcnfiblcs, paree que jc ne leur connois pas un feul motif de ne pas fêtre : combicn ne doivent-üs pas fouffrir lorfque III. Partie. H  i?o Le Voyageur. fintérêt genera! exige d'eux quïls foient durs & inflexibles a 1'égard de quelques particuliers.UnSouverain ne peut tout voir par lui-même , & il peut arriver qu'il foit injufte fans qu'on puiffe 1'accufer d'injuftice , fans même que ceux d'après les avis dcfquels il s'eft conduit, foient repréhenfibles : trompés ou par les apparenccs ou par les rapports qu'on leur a faits , c'eft paree qu'ils ont été induits en errcur , qu'ils ont rendu injufte le Souverain. U eft bien rare qu'on rende juftice aux gens en place ; on les juge 'd'après fon intérêt pcribnnel, d'après fa maniere dc voir , fon opinion , fes principes , & rarément d'après leur pofition , leurs devoirs , & fur-tout le caractere du Souverain. Je fuis, &c.  dans les pays-bas. i?i L E T T R E XVIII. Bruxelles , ce. . . . Septembre 1782. D e s quatre places principales de . Bruxelles, ilmerefte, Monfieur , a vous cntretenir de celle qu'on nomme la grande place, ou le grand marché; c'eft un quarré long : fon principal ornement eft 1'Hötel-dc-Ville , batiment gothique , qui ne fut achevé qu'en 144a ; i! avoit été commencécn 1400: Ceux qui ont encore quelque re peel: pour l'architec"ture gothique , eftiment beaucoup celle de cct Hótel-de-Ville : on prife beaucoup fa * tour de forme pyramidale , élevée de 364 pieds , & furmontée d'un beau St. M chel bien doré, ainfi que le diable qu'il foulc a fes pieds: ce Saint a 17 pieds de haut, tourne a tout vent, & fait une très-belle girouette. L'intérieur de eet édifice n'offre rien de remarquable : ce H 1  I72 L E Vo Y A G E ü R font dc grandcs falies fort élevées; celle oü s'affcmblent les Etats de la Province eft fort décorée & bien mcublée : on y a placé fous un dais Ie portrait de 1'Erapercur, peint par Herreyns, dont je vous | ai déja parlé.' Le fond de ce tableau eft unc architecturc; a droite eft 1'Empereur tenant d'une main le baton de commandement, qu'il aj puie fur une table, fur laquclle font pofées les couronnes de Bohème , de Hongrie, la couronne Impériale & le fceptre. De la main droite S M. montre un génie affis a fes pieds fur un canon entouré de drapeaux & d'étendardsle génie tient de la main droite un caducce , fimbole du commerce , & de la gauche unc corne d'abondance, d'oü fortent des fruits & autres produclions de toutes efpeces. Janffens , de 1'écolc Flamande, a peint le plafond de cette falie: il repréfente 1'affemblée des Dieux. Les tapifferics qui Ia meublent font belles, mais fort anciennes; elles ont été tiffbes d'après les deffins du même Janffens: elles  dans les Pays-Bas. 17* repréfentent 1'inauguration de Philippe-lcBon , celle de Charles VI, & 1'abdication de Charlcs-Quint. Dans les falies qui précédent celle-ei, j'ai vu avec plaifir des tapifferies qui repréfentent 1'hiftoire de Clovis : elles ont été exécutées d'après les deffins de notre Le Brun : la fabrique de tapifferie de Bruxelles , Pa long-temps difputée a celle des Gobelins : elle eft peu confidérable aujourd'hui & réduite a trois métiers. II y a long-temps qu'elle feroit tout-a-fait tombée , fi le feu Comte de Cobenzel ne 1'eüt foutenue de fes propres deniers. Cette particularité prouve a. quel point ce Miniftre aimoit le bien pu' blic. On m'a affuré qu'il étoit mort fort endetté ; je nc puis lc croire, car la dettc qu'un Miniftre a contraélée, devient celle du Souverain , quand ce Miniftre a fervi 1'Etat d'une maniere auffi noble & auffi défintéreffée que 1'a fait lc Comte de Cobenzel. Si les circonftanccs ne 1'cuffcnt pas traverfé , il auroit fait exécuter plufieurs projets qu'il avoit conH 3  i?4 Le Voyageur. cus pour augmenter Ia richelle dc ces Provinces , en leur donnant une parde du commerce de la Hollande. , On fait remarquer aux étrangers dans Ia cour de 1'Höïcl-de-Ville, deux fontaines ornée chacune d'une ftatue de marbre blanc , repréfentant un fleuve couché dans des rofcaux & accoudé fur unc urne; une grande coquille pofée fur deux Dauphins de marbre blanc , recoit 1'eau qui jaillit des narines de deux autres dauphins de métal, fur le dos defquels font deux genics. De ces deux fontaines , celle qui eft a droite eft infiniment fupérieurc a 1'autrc : celle-ci eft de Kinder, cellcda eft de Plumiers.' La grande place eft entourée de maifons dont le plus grand nombre font trèsornées; leurs facades font décorées de colonnes, de ftatucs, de buftcs, & de bas-relief : il y en a même dont les ornemens font dorés. La plupart de ces maifons fervent aux différens corps de métiers pour y tenir leurs affemblées, &  dans les Pays-Bas. 175 ont un nom particulier. La maifon des bouchers fe nomme le Cigne , celle des mcrclerslc Renard, celle des épiciersla brouette, celle des bateliers le cornet. Pour orncr ces maifons, on a employé les plus habiles fculptcurs du temps, tcls que Dévos, Cofyns, &c. du premier eft une belle rcnommée qui fe voit danslafacade de la partie droite de la place. B eft affcz fingulier de voir au-dclfus d'une maifon une ftatue équeftre. Lesbraffeurs en 175a, ont placé au-deffus. de la leur celle du feu Prince Charles de Lorrainc ; elle eft de cuivre doré , & a été exécutée par un orfevre dc Bruxelles, nommc Simon. B n'y a dans Bruxelles qu'une feule promenade publique , qu'on nomme le pare, & qui en étoit véritablement un * autrefois; c'eft aujourd'hui unjardin trèsbeau & bien dcffiné : il n'eft féparé de la place Royale, d'oü on 1'appercoit, que par la rue qui y conduit. Quatre rues, formées chacune par une feulc rangée de maifons, 1'entourent d'une marl 4  'f' . IjB v»ïlGMl dc k mï~ 1 uniforrae & les maifons nécl öe T] haiUCUr- Les — font or- fc fm,pllcit6'ce q-fotmeune Ïï£flfÖqüame- Les belles de maiion' appaniennent a des Abbave^ on a impoic Pobligt«o/de' ÏbbéP ^ k"°™on de leur 1 eS Ll C°ffrCS d£ Ces -1-s Ab- -oL " XmeC CCetI,argent ^ "lerme. c_et argent qui étoit -rt^pour elles &p0urblc comme etam aujourd'hui en circulation , fendè vehculeau commerce & produit u n e a u! gmentanon de revenu pour ces Abbayes mr?TUneiCS rUCS qui ^ourent le' P^e & qui eft celle qui fe trouve au nord, onaélcvé deux grands batimens dcltmés iTun pour Iogcr le Confeil, l'au- tre pour y pIaCcr la chambre des comp& fes archivcs. Ces batimens font un bel effet: celui qu'occuppera le Confeil de  dans les Pays-Bas. 177 Brabant le trouve vis-a-vis la grande allée du pare, dont elle forme la perfpective. Ces batimens ont été conftruits fur les deffins du Sr. Guimard. Cet ArchiHcte qui a du mérite, me difoit hier M. du C*** de la R * ** avec lequel je me promenois dans le pare , ne refpecle pas affe\ les regies de fon art: ces regies font immuables & certaines , comme celles de la nature d'oh elles font tirées. Nous étions alors vis-a-vis des hotels du Confcils de Brabant & de la Chambre des comptes; voye{, me dit M. du C*** de la R*f * ce foubaffement, Heft beaucoup trop haut relativement a 1'étage qu'il fupporte; & cet attique, pouvoit - on en faire un qui fut plus mauvais ? Comme ces confoles font lourdes & triftes! Comme cette corniche eft pefante & mefquinement profilée ! & cetie baluftrade , voye\comme elle eft écrafée & fans goüt. Peut-on tolérer les portes a faux de l'avant-corps ? C'eft une mal-adrejfe d'autant moins pardonnable qu'il n'y a rien dans toute cette H 5  *fo Le Voyageur. ordonnance qui puiffe la faire excufer. Devinei-vous pourquoi M. Guymard a interrornpu l'umformité de de'coration entre les alles & le principal corps de ce bdtimentl Cette union de différens caracteres de décoration dans une même maffe d'édifice , prouve plutót le mauvais goüt que la ficotidité de l'Architecle.. Nous étant rctournés, je vis aux deux cötes de la porte du pare deux énormesguerites auxquelles on travaffloitleur maffiveté eft telle , me dit M. du C * * * de la R * * * qu'on croiroit qu'on les deftineroita foutenir un fiege ; examineren la fapade & fa décoration ; elle n'eft ni neuve ni ingénieufe , c'eft précifément celle des guetites diftribuées dans les angles du trotoire qui circonferit la place de Louis XV. M. Guymard a cru fins doute que perfonne ne s'appercevroit icidefon pLigiat. Pourquoi ne fe hvre-t-il pas davantage a fon génie ? II en a fans doute; mais le génie eft créateur & n'eft jamais imitateur. Si M. G.iimard a voulu donner a fes guê-  DANS LESPAYS-BAS. I79 rites le caraclere d'un piédeftal, alors le focle eft ridïculement difproportionné au dés oufuft de ce même piédeftal. Voye\ je vous prie, ce médaillon qui occupe ce centre, comme il eft maigre, & au-contraire , comme ces deux guirlandes qui Vaccompagnentfont lourdes.. . . Vous êtes un peu sévere. ... en fait d'art on ne peut trop l'être .... j'eftime les talens de M. Guimard , mais je voudrois qu'il fut un peu plus jaloux de Ja réputation , & un peu moins irnitaXeur qu'appelle\-vous imitateur .... Eh! mais , eft - ce que la place Royale n'eft pas celle de Rheims ... foit; mais le portrait de 1'Eglife de Caude.iberg .... 'l'idée n'ea eft pas neme ; on la trouve dans vingt édifices. Nous allawes fur la place , & nous étant canapés vis-a-vis du portail, neconvene\-vous pas , ine dit M. du C * * * de la R * * * que ces pignons manquent a l'ceil d'une certaine force .? Ne convene\-vous pas auffi que M. Guimard auroit du fe réferver un arriere - corvs qui parut dêpendre , acII 6  i8o Le Voyageur. compagner & foutenir eet avant-corps ■ fa maffe n'a nolle analogie, nulle rapport avec les batimens qui l'avoifinent, & ce bas-rehefqui décore ce fronton & qu'on a qualifié d'enfeigne, ne vous fouvenetvous pas qu'il eft auffi ridiculement placé Jur le fronton de 1'Eglife de Ste. Génévzeve de Paris? Cette place , continua JVI au une copie , a cependant des parties qui fom'belles&'qu'on peutmême admirerimais cene font pas ces lourds portiques qu'on a placés dans ces angles , ni ces corps peJans de trophées qui difent fi peu de chofes. Ces troioirs qui longent les batimens font fans grace, ni caraclere ; ilfalloitles élever de quelques marchés au-deffus dufol; c'auroit été pour ces batimens une forti d'empatement, & ils en manquent. Retournés au pare, je demandai a M du C * * * de 'i P* * * „ö ,■, „ . , QC *n K , ce qu'il penfoit de Ja pJace St. Miehei; c'eft moins, me repondit-il, une place publique que la Cour claufkale d'une riche Abbaye de Bérc-  dans les Pays-Bas, i8i diclins.' Vous deve\ avoir remarqué le peu. d'harmonie qui y regne entre le fouhajjement & Vétage fupérieur ; l'écrafement de Tattique & la vicieufe diftrihution des métropes & des triglyphes. II étoit unc hcure; je propofai k M. du C * * * de la R * * * de venir diner avec moi; non , c'eft moi qui vous donnerai a diner ici.... ici... . oui ici : entrons dans le pare & nous y trouverons la meilleure tahle d'hóte de Bruxelles. Cette table eft tenue par les entrepreneurs du Vauxhall , qu'ils ont établie dans un liiaffif de cette promenade : ils y auront auffi bientót unc Comédic d'enfans, dont un grand nombre font déja ici.' Après lc d?ncr j'allai avec du C*** de la R * * *, examiner les difierentes ftatucs dont cette promenade eft décorée : je n'en trouvai que deux dignes d*être confidérées avec attendon : elles font de Gripeüo , qui a joui dans ce pays-ei d'une grande réputation ; Tune repréfente Dianc ; c'eft la meilleure , 1'autre eft Nar-  ï8i Le Voyageur ciflc, elle lui eft bien inférieure. Je trouvai auffi qu'une charité de Vervooft n'étoit pas fans mérite. On a auffi mis dans Je pare un grand nombre de buftcs & de gaines fur lefquels font des têtes, dont quelqucs-unes palfcnt pour antiques." J'ai été on ne peut pas plus furpris de trouver dans cette promenade une Magdelaine couchée dans un petit bofquet fur un rocher : c'eft peut - être la première fois que la ftatue d'une Sainte eft employée a décorer une promenade publiques cette ftatue eft de Duquenoy ;'elle pêche dans bien des parties. L'air de tête eft fpirituel & joli ; mais cette même tête s'appuie mal fur la main , & le bras gauche qui preffc on nc peut pas plus défagréablcment les chairs dc cette partie haute du corps : cette preffion de chair, trop reffentie , annonce une moleffe dontl'age dc Magdclaine pénitente ne peut la faire fqupconner. En général toutc la ftatue eft lourdement & mal drapée. Le nud n'eft nulle part bien accufé, particulié-  dans 1/ ë s Pays-Bas. 183 rement la hanche droite. Les jambes & les cuiiTes de la Sainte , caraclérifent plutót une groffe & robufte fervantc de baffecour, ou un Hercule, qu'une jeune perfonne du fexc ; mais il faut convenir que la tête, les bras & les mains ont beaucoup de finelfe & de beauté. Je fuis, &c.  184 Le Voyageur. L E T T R E XIX. Bruxelles ce.... Septembre ij8x. -Li e s Bruxcllois, Monfieur , aiment & cuhivent les Sciences , mais ils négfil gent trop 1'éloquencc & la poéiic/ck tout ce qui tient au bel efprit : ce n'eft pas qu'ils foient dépourvus d'imagination &de genie; ils ont du goüt & jugent iamement des produaions de l'efprit ; s'ils manquent de ce taa fin & délicat qui conftituc la perfectum du tour, c'eft que ne vivant pas familiérement les uns avec les autres , leurs idécs ne recoivent aucune efpece de frotement. Les' PaysBas ont produit_plus d'un poëtc, & en lifant Ia nouvelle bibliothequc des romans , vous avez dft voir que ces pays peuvent auffi fe glorifier d'avoir donné le jour a plufieurs romanciers, dont les produaions ont le carattcrè du génie.  dans les Pays-Bas. 185 Le peu d'occafion qu'ont les habitans des Pays - Bas Autrichiens dc, parler en public & d'écrirc pour le public, fait qu'ils négligcnt 1'étude de Péloquencc. Les Avocats ne plaident pas , & les écrits qu'ils produifent dans Pinftruclion des procés , nc font vus que des Juges. B eft même très-rarc qu'on permettc a un Avocat de rcndre publics, par la voic de Pimpreffion , les mémoires qu'il fait pour inftruire les Juges : les Avocats ici font donc fans motif d'être éloquent : la ledure approfondie de Quintilien , de Démofthcncs, de Cicéron & des autres grands Maitrcs de Part oratoire, leur eft inutile. On nc connoït pas ici 1'éducation particuliere ; un pere n'y prend pas la peine d'élevcr lui-même fon enfant ; il ne prélidc pas même a fon éducation. Dans leur bas agc les enfans font envoyés dans des écoles , d'oü on les retire pour aller faire leurs humanités dans les Colleges. B y en a deux ici, 1'un qui fe nomme  186 Le Voyageur le College Théréfien , eft tenu "par des; Profcffcurs féculiers 1'autre appartientt aux Auguftins : dans Pun comme danss 1'autre, on fuit lc nouveau pland'étudc: qu'on a dreffé il y a quelques années : je ne : connois pas ce plan , mais quel qu'il foit,, il vaut certainement mieux que Pancien : ces Colleges, comme tous ceux des Pay-Bas Autrichiens, ne peuvent fa re ufage que des livres qui font imprimés par une fociété typographique , qui a le privilege des livres claffiqucs , & ces livres claffiques font ceux défignés par la commiffion qui a été établie pour veiller aux études & les diriger. On m'a dit que cette commiffion étoit bien compofée, mais que 1'obligation impofée aux étudians de ne fe fenir que des livres de PImprimeur privilégié , pouvoit empêcher nombre de pauvres parens d'envoyer leurs enfans aux études. Je ne regarde pas cela comme un mal, & je voudrois même que dans tous les Etats, le Gouvernement limitat le nombre des étudians, & fur-tout pour  dans les Pays-Bas. 107 les campagnes : leurs habitans doivent être forts, vigoureux & laborieux ; la culture de l'efprit eft tout-a-fait étrangere a la culture dc la terre : ii on faifoit moins étudier les enfans de la Campagne, il y auroit moins de moines, moins de prêtres ignorans, & chez nous moins de Procureurs & autres fuppöts de la chicanne. En fortant du College , il eft généralement d'ufage dans ces pays-ci d'envoyer lesjeunes gens a 1'Univerfité de Louvain : cette Univerfité eft & a toujours été une des plus célebresde l'Europc,mais on y farcit, comme dans toutes les autres Univerfité? , la tête des étudians de fubtilités fcholaftiques qui gatent leur jugement, en étouffant en eux le germe du génie. Le jeune homme qu'on avoit famiiiarifé dans les Colleges avec Homere, Virgile, Horace & Cicéron, fe doute a peine qu'ils aient exifté quand il revient dc PUnivcrfité , mais il fait par cceur fon Cujas & fon Trébonien; il connoït toutes les loix de Rome & ne fait pas un mot de celles  i88 LB Voyageur. de ion pays: les principes confondus dans Ja tête avec les raifonnemens des Commentateurs, y ferment un cahos d'idées qud ne peut débrouiller, s'il n'eft aidé Parun maïtre habile : c'eft alors qu'il lui faut prendre un autre plan d'ctudc, revenir aux principes & les étudicr comme s d nc les eöt jamais connus , & s'il ne le fait pas & que perfonne ne le guide, au-heu d'être un bon Avocat, il devient un excellent chicanneur. II y a a Bruxelles ici un grand nombre d Avocats, dont quelques-uns font de trèshab.les Jurifconfultcs, &il fautl'être pour etre ici bon Avocat & y jouir d'une célé- bnteméritée: en FranceJ& fur-tout a ^ans, il arrivé fouvent qu'on acquiert cette eclébrité par une force de raifonnement bien foutenu, par une éloquence feduifantc & unc connoiflancc fuperficielle des loix. II pourroit arriver que plufieurs des Avocats qui brilleroient au Barrcau du Parlement dc Paris, ne jouiroient a  dans les Pays-Bas. 189 celui du Confeil de Brabant que d'une médiocre réputation. De toutes les profcffions , celle de 1'Avocat eft la plus noble & la plus utile a la fociété ; elle n'eft cependant pas ici auffi confidérée qu'elle devroit 1 être: peutêtre eft-ce la fautc de ceux qui 1'exercent, ou plutöt de quelques-uns d'cntre eux, qui , ne refpectant pas aifez & leur profeffion & eux - mêmes, ont des mceurs corrompues ou tienncnf une conduite qui les avilit aux yeux du public. Ce n'eft pas que le Confeil dc Brabant ne foit très-féveres envers les Avocats qui prévariquent ou font quelques aètions repréhenfibles; mais il eft des aétions particulieres qui nc viennent pas a fa connoiffance , dont même il ne peut faire la recherche, & qui feroient punics, fi , réunis en Corps, comme ils lc font a Paris , les Avocats exercoient ici fur euxmêmes une forte de jurifdiction. Les Avocats du Confeil de Brabant ne font jufticiables que de lui-même pour  19° Le Voyageur Ia police ; & c'eft ordinaircment parmi eux qu'on choifit !cs membres de ce premier Tribunal : ils jouiflènt du privilege dc porter 1'épée, quand bien même ils ne feroient pas nobles. Les Avocats font payés par heure ; ils ont, a cc qu'on m'a dit 30 fois de ce pays-ci, ce qui fait mo'ns que 3 liv. de Fnince ; ils ne peuvent exiger davantage. Ainii 1'Avocat de Bruxelles qui travaille le plus, nc peut légitimément gagner qu'cnviron 36 liv. de France par jour; mais combien y en a-t-il qui puiflent employer 12 hcures tous les jours au travail du cabinet. La taxe n'eft que dc 24 fois de Brabant; mais comme un Auteurnommc Anfelmo, ditdansfon code belgique, que ces 24 fois font argent fort & non argent courant, les Avocats croicnt qu ils font en droit dc demander 30 fois; cela ne fait pas dc difficulté pour les confukations. Quand un Avocat fe déplace & va pour fon cliënt hors de la Ville , il lui eft du 6 fiorins & r norins 10 fois, s'il fort hors du Bra-  dans les Pays-Bas. 191 bant; il fuffit pour gagner eet honoraire qu'il emploic 4 heures. Les Procureurs font auffi payé par heure ,. mais ils nc recoivent que 12 fóls. B arrivé de cette taxe que les mediocres Avocats , & iurtout ceux qui font les moins inftruits , font mieux payés que les plus habiles; car fi ccux-ci n'cmpioient que 12 heures a faire un écrit , 1'Avocat ignorant en employera 36 : plus un homme eft habitué au travail , plus il a dc connoiflance, moins il lui faut de temps pour étudicr fa matiere , raflembler fes idéés , les mettre en ordre & les coucher fur le papier : & puis, Monfieur , comme cette maniere de payer les Avocats eft favorablc a ceux qui ne font pas fcrupuleux! S'il arrivé une conteftation entre le cliënt & 1'Avocat pour le paiement de fes honoraires, c'eft devant le Chancelicr qu'elle doit être portéc. L'on m'a dit qu'un Avocat avoit, il y a quelques annces , tellement multipüé les heures, qu'il lui avoit été démontré que, depuis lc commcnccment dc  192 Le Voyageur la caufe jufqu'a la fin, il nc s'étoit pas écoulé le nombre d'heures dontildemandoit lc paiemcnt. Un Procureur fit mieux encore ; fon cliënt 1'ayant prió a diner plufieurs' fois , il prétendit que les heures qu'il avoit employées a ces repas, devoient lui être payées. Je fuis , &c. LETTRE  dans les Pays-Bas. 193 L E T T R E XX. Bruxelles , ce .. . Septernbre 1782. J3 ruxelles, Monfieur , a unc aca-1 :démie un peu jeune encore ; elle n'aura ) que 10 ans au mois de Déccmbre pro) chain, & elle eft plus avancce pour fon agc que nombre dc nos académies de Province qui font fes amées : on ne lit ■ point dans fes féances de longs difcours oratoires fans éloquence, ni de grandes ; pieces de vers fans poéfic. Tous lestravaux des Académicicns de Bruxelles doivent être dirigés vers 1'utilité publique: ils n'ont même été réunis en Corps que pour eet objet. Lc Comte de Cobenzel les mit d'abord (en 1769) fous la clirecdon de PAbbé Tuberville Needham, Anglois d'origine , qu'il fixa ici en lui donnant un Canonicat de 1'Eglifc Collégiale & Royale de Soiguics : leur début fut III. Partie. I  194 Le Voyageur modcfte ; leur affociation ne prit que Ie tirre de Société Littéraire , & ce ne fut qu'au mois deDéccmbre 177.1 que , prenant fon eflbrt, elle prit celui d'Académic des Sciences & Belles - Lettres , en vertu des Lettres - parentes que leur accorda fcue ITmpératrice Marie-Thérefe. Sr Fon en juge par la multiplicité des produftions dc fa jcuneffe, on doit croire qu'elle laiffcra bientót loin derrière elle nombre d'autres Académies de 1'Europe , dont plufieurs, après une exiftence dc 30, 40 ans, & même de 100 ans, n'ont encore donné au public qu'un ou , deux volumes. La collcaion des Mémoires de 1'Académie de Bruxelleseft déja de 5 a 6 vol. in-quarto, y compris les Mémoires qu'elle a couronnés. Plufieurs des Mémoires qu'ont donnés les Académiciens font intércffans : ceux des Abbés Needham & Mann font bien faits & peuvent être d'une grande utilité. B y a des recherches immenfes dans ceux de Mr. Des-Roches. J'ai lu avec plaifir le Mé-  dans les Pays-Bas. 195 rnoirc fur l'éleét-ricité dc 1'Abbé dc Vitry ; mais j'aurois voulu qu'il s'étendït davantage fur les avantagcs qu'on pouvoit en retircr pour la guerifon de ccrtaines maladics. Un Médecin, nommc Durondeau , a donné fur les moules un Mémoire qui m'a öté pour toujours 1'envie d'en manger. J'ai été très-furpris dc ine trouver dans les Mémoires del'Acaidémic aucun Mémoire fur 3'anatomic, 1 ni la chirurgie , & de ne voir dans la llifte de fes membres aucuns Chirurgiens. .11 y en a ccpendant ici plufieurs quijouifI fent d'une grande réputation ; tels font i Hilmelbauvre, Langran , Jadot & Mot1 meau ; celui-ci eft Chirurgien de 1'höpi1 tal : il doit cette place a fes talens, puif1 qu'il 1'a obtenue au concours. Prévinaire 1 qui exerce la chirurgie a Louvain , pour1 roit auffi prétendre a 1'honneur du fauteuil ; académique. Quand les Chirurgiens fc ] ront admis dans PAcadémie de Bruxelles, 1 on pourra y donner entrée a un accou1 chcur célebre de cette Ville , nommé I a  Ï96 Le Voyageur. Herbigniaux , qui vient dc faire un livre qui a été bien recu de la Société royale de Londrcs. ; Lc nombre des Académiciens de Bruxelles eft de 36, io honoraires & 26 ordinaires ; de ceux-ci 10 doivent réfidcr a Bruxelles & 10 dans les Pays-Bas Autrichiens , les 6 autres peuvent être étrangers. Le Souverain eft le proredeur de 1'Académie , & c'eft fon Miniftre plénipotentiaire a Bruxelles qui le repréfente. Le Chancelicr de Brabant eft Préfidcnt né de 1'Academie : fon directeur aduel eft lc Marquis Duchafteler, qui a donné un Mémoire fur les Pays-Bas, bien écrit en Francois, & qui peut fervir beaucoup pour 1'hiftoire de cc pays : le Secrétaire perpétuel de 1'Académie eft Mr. DesRoches; c'eft un homme d'une profonde érudition. L'Académie a un fceau particulier ; fes Membres jouifient de toutes les diftindions, prérogativcs & droits que donne dans ce pays-ci la noblclfe perfonaelle. Les ouvrages que 1'Académie fait  dans les Pays-Bas. 19?, imprimer , ne font pas fujets a la cenfure, non plus que les ouvrages particuliers de fes Membres, quand 1'Académie les a approuvés. Les Académiciens peuvent écrire en Latin , en Francois ou en Flamand, dc même que ceux qui veulent concourir pour les prix de 1'Académie. Le prix qu'elle diftribue tous les ans eft une médaille d'or de la forme & du poids de celles diftribuées par 1'Académie Francoife/ Le plus grand nombre des fujets des prix propofés par 1'Académie , ont jufqu'a préfent été relatifs a 1'hiftoire : plufieurs Académiciens s'en font auffi occupés. Le Public auroit retiré plus de fruits de leurs travaux , s'ils les euflent dirigés davantage vers la phyfique, 1'hiftoire naturelle , la botanique , la médecinc, la chirurgie , la chymie & même la méchanique. C'eft en travaillant fur les arts, c'eft en s'appliquant aux fciences, que les Membres d'une Académie fc rendent véritablement utiles a la fociété.Com-  ff Le Voyageur bien ihumanitë n'a-t-elle pas retiré d'avamages des travaux de la Société royale de Londres , des Académies des fciences ^ Pans&deHarlem! Si un Corps Acadermque préténd aujourd'hui a la célébme , d n'y parviendra qu'autant que ies écms contribueront au bien de la fo«etc On déifioit dans lc fiec.e dernier un antiquaire;apeinedanscelui-cifait™ quand il exifie. Perfonne ne fit les Memoues de la fociété des anticmaires de Londres; & les Mémoires d'Edim, bourg & dc Dublin font connus de toutes les nations, paree que les uns font le réiuitat des obfervations utiles a la culture & au commerce, & que les autres contiennent de profondes recherches & des découvertes fur Ia médecine & la botanique Comment celui qui me fait cönnoïtre le temps oü a été pofé dans un champ une grande pierre qu'on y a trouvée, peutil prétendre a ma reconnoiiTance 1 Quelle •obligation puis-jc lui avoir dem'avoir ex-  dans les Pays-Bas. 199 pliqué 1'infcription ou le hiérogriphe qu'on. y voit 1 Pour que 1'hiftoire foit une fcience utilc, il faut 1'écrire comme 1'ont écrite Tacite, Vertot , Hume ou Robcrtfon. Je dcmande a 1'hiftorien qu'il me faffe connoïtre les hommes qui m'ont précédé, qu'il me dcveloppc les rciTorts de leur amc? & qu'il m'cxplique d'après quels principes ils ont agis; peu m'importc de favoir 1'inttant précis de la naiifancc d'Alexandre , fi je connois fes vertus & fes vices , ii je le vois poignardcr Clitus & prcndre d'une main ferme le breuvage que lui préfente fon médecin. Jeune , je lus avec unc forte de paffion tous les volumes^ de notre Académie des infcriptions & belleslettres. Jc butois a 1'érudition , paree que je n'avois ni la faculté de penfer fortement, ni le pouvoir de créer. Je me croyois déja un grand homme , paree que jc favois corriger une erreur de date , retrancher une lettre d'un nom. Plus agé, i'ai lu Tacite & jc reconnus que jc n'é14.  200 LeVoyageur. tois qu'un ignorant, & du Cangc qui m'avoit paru un génie fublime ne me parut Plus qu'un reffaffeur impitoyable de phra- Z ^aCm°S' J,avois'« nombre de fois fon htftoire BiZantine & ft, dilfertations „; /Tr e' &nefavoisPas «t m de Imfroirc des Empereurs Grecs, ni • ^ celle de St. Louis, tandis qu'une fimpleJeaure de St. Réal m'avoit fuffi pour me fa,re connoïtre la Cour d'Augufte - & les plus petites particularitcs de la eonjuration de Venilé. II y a moins de chofes dans tous les immenfes éerits des eruditcs du i?me. fiecle , qu'il n'y en a dans 1'introduction de Robertfon l fon hifto.re de Charles-Quint, & dans les caufes dc la grandeur & de la décadcnce de l'Empire Romain dc Montefquieu II y a cependant des recherches hiftor'ques que je regarde comme très-importamcs; telles font celles qu'a faitcs Montefquieu fur 1'originc des fiefs : ces recherches ont éclairci beaucoup la matiere des fiefs, & ont par conféquent fervi infini-  dans les Pays-Bas. 101 ment a fixer la Jurifprudence feodale. L'Académie de Bruxelles a dcmandé par ■un de fes programcs, il y a quelques années, en quel temps les Eccle'ftaftiques avoient eu entree dans les Etats de Brabant. Les recherches qu'on auroit faitès pour fixer ce temps, pouvoient être trèsinlércffantcs , relativement a la conftitution nationale du Brabant. Si les recherches qu'on lui enverra cette année fervent a fixer le temps oü le droit Romain s'eft introduit dans les Pays-Bas , elles pourront auffi fervir a déterminer le degré d'autorité que les loixRomaincs doivent avoir dans ces Pays. Je fuis, &c. ï 5  202 Le Voyageur. LETTRE XXI. Bruxelles, ce Septembre 1782. -A- H! MonGeür, comme on traite ici les pauvres médecins; je vous le donne en cent; devinez commcnt eft payée chacune de leurs vifites ... 6 liv. ... non ;.. . 3 liv... . vous n'y êtes pas ;... 30 fois'.. pas encore. .». 24 Ibis donc.. . c'eft encore trop... 12 fois... oui, 12 fois, ou, comme 1'on dit ici, un efcalin : c'eft la taxe , & Hypocratc lui-même ne pourroit pas exiger davantage : il faut que le médecm de Bruxelles recoive fon efcalin ou qu'il refte chez lui. Ne croyez pas que la modicitc de ces honoraircs faffe fuir de cette Ville les enfans d'Efculape; ils y accourcnt en foule : leur nombre eft tres-grand, & cependant ils vivent tous tant bien que mal ; mais comme la loi ne défend pas au malade d'ctre genéreux,  dans les Pays-Bas. 203: les médecïns peuvent recevoir-24 fois, c'eft-a-dire deux efcalins, fi on les leur offre. J'ai demandé qui étoient ceux qui les recevoient ordinaïrement, on m'en a nommé plufieurs dontlc nom m'eftéchappé : les feuls dont je me reflbuviens, font Dubois , Vanbellinghen , Long-Fils , Campagna , Calce & Burtin : celui-ci a la réputation d'être expert pour le traitement des maladies vénériennes : il a guéri plufieurs maniaques & fous qui étoient fans cfpérance de guérifon. J'ai demandé s'il étoit del'Académic de Bruxelles ; non, m'a-t-on répondu ,• mais 1'Académie des Sciences de Harlem vi'ent de le recevoir ; il y a plufieurs années qu'il eft membre de la Socié é de Médecine de Paris. J'allai le voir , & dans la converfation que j'eus avec lui, je m'appercus qu'il joignoit aux connoifianccs dc fon c-tat celles d'un vcritable amateur des producfionsde la nature : il en a rafiembléun grand nombre qui forment un très-beau cabinctd'hiftoire naturelle : on y troiivc plv.fieac» I 6  Le Voyageur. moreeaux très-rares: comme il n'a ni 1'infociabilité , ni le pédantifme qu'ont quclquefois les fayans, j'ai continué a le voir : il m'a communiqué le commencement d'un ouvrage important auquel il travaille ; c'eft un traité fur les maladics vénériennes, qui ne reffcmblera en rien a tous ceux qui ont paru jufqu'a préfent fur cette maticre. Si tous les Médccins allioicnt comme Mr. Burtin 1'étude de la nature a celle de leur profeftion , Ia pauvre humanité feroit plus efficacement fecourue qu'elle ne 1'eft fouvent dans fes infirmités. Beaucoup de vos confrères, lui demandai-jc un jour, s'adonnent-ils h la compofition ? le nombre de ceux qui font imprimer n'eft pas bien grand, me répondit-il. La crainte de la critique les a retenus jufqu'a préfent, mais cette crainte commence d difparoitre. Mon confrère Cake a donné, il y a un an ou dix-huit mois, un excellent traité fur les maladies occafwnnées par l'abus des minéraux. Un extre. confrère, quoique jeune, travaille  dans les Pays-Bas. 205 préfentement & fera bientót parottre un traité fur les Afphyxies. Je n'ai pas vu eet ouvrage , mais des perfonnes en état d'en juger , en portent un jugement trèsfavorable. Cet ouvrage fera très-utile dans ce pays , oü , jufqu'a préfent, on a trop négligé ce genre de maladie. Le hafard m'a auffi fait connoïtre le médecin Calce : a ce qu'on m'avoit dit, de fon favoir & de fa prudence, je le croyois un vieillard ; jc fus on ne peut pas plus furpris, lorfque le voyant entrer chez un malade que j'étois venu voir , je m'appercus qu'il nc pouvoit avoir que 40 a 45 ans au plus : aux queftions qu'il fit a fon malade & a fa garde fur reffet des remedes qu'il avoit ordonnés la veille,jc jugeai qu'il fe confidéroit comme Paide & non comme le directeur de la nature. Tout médecin qui a plus dc confiancë dans fon art que dans la nature détruit plus qu'il ne rétablit. B y auroit pcut-êtrc ici un plus grand nombre de bons médecins qu'il n'y en a^  106 Le Voyageur fi , comme en Autriche , on nc reconnoiflbit pour médecins dans les Pays-Bas, que ceux qui, après avoir fait leur temps d'étudc a Louvain , auroicnt employé deux ans a 1'étudc de 1'anatomie , deux ans a celle de la matiere médicale, & pratiqué pendant trois ans dans les hópitaux. Les étudians en médccine de 1'Univerfité de Louvain , y font un couts d'anatomie ; mais ce cours eft fi fuccincl, qu'on m'a afluré qu on n'y faifoit pas dans Tannée la difleétion dc deux cadavrcs. B y a cinq ans qu'on n'en a fait aucun: ce cours fe fait en latin , & n'eft par confcquent d'aucunc utilité pour les garcons chirurgiens qui n'entendcnt pas cette languc. Je ne fuis pas étonné du petit nombre de bons chirurgiens qu'on dit qu'il y a dans les Pays-Bas Autrichiens ; mais ce qui me lurprend le plus, c'eft qu'on n'y ctablifie pas dans chaque grande Ville des cours d'anatomic & d'accouchement: ceux-ci pourroient être donné avec fruit s Bruxelles, par Herbigniaux ou Gode-  dans les Pays-Bas. 207 ;;charle & ceux-la par Langrand,Mormcau : 1 dc Paveu de tout le monde, même de ceux 1 de leurs confrères qui ne fe livrent pas a la Ibaffe jaloufie de métier,ils connoiffent parj|[faitement leur art. Ces cours font attendus : avec la plus grande impatience par tous Hes amis de 1'humanité ; 1'humanité ellej même les demandé , & sürement les Ma1 giftrats des Villes ne feront pas fourds a ] fes plaintes & a fes larmes. Un étudiant en médecine qui a fini a Louvain fon temps d'étude , vient s'établir ici , & a quelquefois la téméraire prétention de vouloir pratiquer ; il rougiroit 1 d'être difciplc d'un ancien confrère ; il prend fon cflbrt , il fe dit médecin , on le croit, & dans le vrai, il n'eft qu'un charlatan : il invente des remedesdl compofe des elixirs , & s'il eft affez heureux pour réuffir , il eft connu : fouvent même il jouit d'une forte dc réputation : fi quclquesuns de ceux qui ont pris fon remedc ne ; guérifient pas, c'eft la faute de leur conftitution ; on lui a payé fon remede, on<  ao8 Le Voyageur. fait qu'il a une exiftence , c'eft tout ce qu'il prétendoit. Quelques médecins ici ont une facon de ie dédommager de la modicité du paiement de leurs vifites; ils vendent euxmêmcs a leurs malades les reraedes qu'ils leur ordonnent; fi le médecin eft bonnet e, la bourfe du malade n'en fouftrc pas, paree qu'il ne le- lui fait payer que ce qu'il les payeroit chez 1'apothicaire ; la remife que celui-ci fait au médecin, fait le bénéfice du médecin. Ce que le malade doit craindre , c'eft que fon médecin ne multiplie fes ordonnances, & que dans le choix des médicamens , dont la vertu eft approchant la même, il ne donne la préféiencc aux plus chers. La médccinc eft auffi exercée ici par deux chirurgiens privilégiés , qui, fans avoir pris leurs degrés a Louvaiu , font autoriiés par le Souverain a exercer la médecine dans le Brabant; 1'un fe nomme Ilymerbauvre, 1'autre Langrand; je vou#  dans les Pays-Bas. 209 ai déja parlé dc 1'un & de 1'autre : tous deux font cftimés & comme chirurgiens & comme Médccins. Jc n'ai jamais eu beaucoup de confiance dans la médecine, & je crois que Langrand & Hymerbauvre guériiTent & tuent tout"auffi,v!te que ceux qui ont recu lc bonnet de Doéleur. D'aillcurs , je fuis très-pérfuadé que quiconque n'eft pas bon anatomifte , ne fera jamais bon médecin. Plus un médecin connoïtra 1'intéricur du corps humain , moins fa fciencc fera conjedfurale. La plupart des médecins négligent trop 1'étude du moral de leurs malades; a les voir fe hater d'ordonner des remedes, on croiroit qu'ils penfent que toutes les maladies font produitesparla même caufe & qu'ils ignorent 1'influence que le moral a fur le phyfique. Unc femme de condition de cette ville ayant éprouvée il y a quelque temps une paffion d'anre trèsvivc, tomba fubitcment dans des accidens très-facheux. Son médecin en attribua la caufe a un embarras dans les pre-  aio Le Voyageur. mieres voies ; il purgea , le mal augmenta, il rcpurgea encore , & tant qu'il envoya fon malade dans 1'autre monde : il falloit lui donner des calmans; la criipation des nerfs auroit ceifé & les délayans que la malade auroit pris enfuite , auroient produit leur efFet. Rappellez-vous, Monficur , la cruclle indigcftion qui mc prit, il y a quelques annces , en fortant de fouper chez vous. Ce jour-la j'avoisrefTenti unepaffion d'ame très-vive ; mon médecin me fit prendre des échauffans; il voulut me faire évacuer ; tout cc qu'il me donnoit , loin d'adoucir mon mal , le rendoit plus vif: Bordcux que j'appeliai & qui ne mc connoiffoit pas particuliérement, commenca par me faire plufieurs queftions fur ma facon dc vivre , fur 1'état habitucl dc mon ame; connoiflant qu'elle étoit fenfible , & inftruit du mouvement impétueux qu'elle avoit éprouvé , il me dit que c'étoit cette pafïion d"ame qui étoit la véritable caufe dc mon mal, & non les ali-  dans les Pats-Bas. 111 mens que j'avois pris, & que tous les remcdes qu'on m'avoit fait prendre, loin de mc foulager, n'avoient fait que rendrc ma pofition plus douloureufe ; il me donna des calmans, enfuite des adouciffans 6e finit par les évacuans; mon mal ceffa touta-fait. Cette conduite de Bordcux eft celle que tout módecin fage & prudent devroit tcnir avant que de rien ordonner a fon malade ; mais le malade , pour fon efcalin , veut avoir au moins une petite ordonnance , & il' faut le fatisfaire pour confcrver fa conflance. Les médecins ont ici un efpece de Tribunal qu'on nomme College , dont le Préfidcnt eft un Eehevin dc la Ville , qui prend 'le titre dc Surintendant. Devant ce Tribunal doivent comparoïtre les Apotbicaires , quand ils font attaqués pour avoir vendus trop chers ou fourriis de mauvaifes drogues , & fur-tout lorfqu'il leur arrivé d'en délivrcr a un malade fans Pordonnance d'un médecin. Les médeeins font fur cela d'une rigidité extreme  212 Le Voyageur. fur tout ceux qui ont le raeins pratiqué ; de facon , Monfieur , qu'il faut abiblument, fi 1'on veut mourir légalement dans ce pays-ci, avoir un médecin. En paflant il y a quelques années par Metz, j'afliftai au jugement d'un procés que les médecins de cette Ville avoient intenté a un des chirurgiens de 1'hópital militaire. Ce chirurgien , en paflant dans une rue, avoit été appellé paf les domeftiques d'un homme qui venoit de tomber en apoplexie. Le chirurgien Ie faigna , lui fit prendre les médicamens convenables , & le malade guérit. Les médecins prétendirent que le chirurgien n'avoit pu de fon chef ni faire ia faignée, ni rien faire prendre au malade. Les Magiftratsde la Ville ccvant qui 1'afraire fut portéc, déciderent en faveur du chirurgien , louerent fon zclc & condamnerent cn tous les dépens fes adverfaires , qui furent hués & bafoués dans toute la Ville. Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 213 LETTRE XXII. Bruxelles ce.... Septembre iy8z. X^A même émuladon, Monficur , qui regne aujourd'hui parmi tous les commercans des Pays-Bas Autrichiens, fe fit remarquer lorfque 1'Empereur Charles VI ctablit a Oftende une compagnie des Indes: eet établiffement avoit ranimc pour le commerce & les fabriques les efprits abbatus: alors s'ctablirent dans les PaysBas Autrichiens nombre dc fabriques de cordages, de toües a voiles, & généralement de tous les attirails des vaiffeaux dont on conftruifit plufieurs dans tous les ports. La population d'Oftende doubla , tripla, quadrupla en trés - peu de temps. Des fociétés pour la pêche fe formcrent a Nieuport & a Bruges, même pour celle de la baleine. Prés de Bruges s'établit une nouvelle blanchifferie pour  214 LE VoYAGEUlt ks fils propres a la fabrique des dentellcs. A Dieghem , prés de Bruxelles , fe fabriquerent de grands papiers pour les eftampes, & des papiers pour rimprcffion. Les fabriques de draps de Limbourg augmenterent le nombre de leurs métiers, & dans lc Duché de Luxcmbourg différentes fabriques s'établirent ; enfin dans toutes les Provinces, tout s'anima ; toute efpece d'induftrie eut dc Paftion; la révolution fut entiere : elle fut la même que nous la voyons aujourd'hui; fi elle étonne, c'eft qu'on nc confidere pas quelle eft la fuite des difpofitions naturelles du peuple chez lequel elle arrivé. Quand un Peuple a chez lui des matieres premières une grande abondance dc numéraire, que fon pays eft cnvironné dc nations commercantes, que fon gouvernement eft doux, il eft aéHf & induftrieux, & fon état naturel eft le commerce : il peut arriver que fon ardeur fe ralentiffc , mais jamais il ne cefiera d'aimerle commerce. L'état actuel du commerce des Pays-  dans les Pays-Bas. 215 Bas Autrichiens, eft trés - brillant & ne ceffera pas même de 1'êtrc a la paix, fi 1'Empereur parvient a faire rcndre la liberté a 1'Efcaut. C'eft de-la que dépend , fi cc n'eft la durée du commerce de fes fujets, du moins celle de fa profpérité. Oftende & Bruges tiennent en partie la leur de leur pofition , qui, a la paix , cefiera de produire l'effet qu'elle produit aujourd'hui : il ne faut pas croire cepen» dant que ces deux Villes reftent alors dans rinaclion ; elles feront même une partie des opérations de commerce que font actuellement leurs commercans, & qui font relatives a la guerre. La ceflation des hoftilités ne pourra les interrompre. Le Port d'Oftende fait aujourd'hui avec les Smuglers ou contrebandiers Anglois, pour 600000 liv. d'affaires tous les mois. Avant \ la guerre ce commerce fe faifoit par les Ports de Dunkerque , dc Calais , de Boulognc & de Graveline. Si les Oftendois traitent bien ces Stnuglers , s'ils fe contentent de faire fur les marchandifes qu'ils  i\6 Le Voyageur leur vcndent, un très-petit gain ; s'ils leur donnent des facilités pour le paiement, une partie de ce commerce leur reftera. Les objets principaux de ce commerce font les eaux-dc-vie, les vins, les tabacs, les blondes, les dentelles, les gazes & même les marchandilés précieulés. Les Oftendois pourront en déguifant leurs propres tabacs, les livrer aux contrebandiers , pour être de fabrique de France & les donner a un prix beaucoup plus bas que ne pourront le faire les Dunkerquois, de même que les dentelles qu'ils auront dc la première main, tandis que les Dunkerquois ne pourront les avoir que de la feconde. Quant aux eaux-devic & aux blondes , les Oftendois les obtenant des marchands Francois au même prix que les Dunkerquois, ccux-ci ne pourront les donner a un prix plus bas que les Oftendois. Je fuis, &c. Fin de la Troijieme Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, o u LETTRES Sur 1'état a&uel de ces Pays. Felix qui potuit rerum cognofcere caufas! v 1 R. G I l E. TOME PREMIER. Quatrieme Partie, M. DCC. LXXXII. A AMSTERDAM, Chez ChanguioN, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emrnarmel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. L E T T R E XXIII. Bruxelles , ce .. . Septembre 1782. Je me fuis lourdement trompé , Monfieur , lörfque dans une dc mes précédcntes lettres (1) , jc vous ai mandé que je ne croyois pas que les habitans des' Pays-Bas Autrichiens. euflent encore prii part au commerce des colonies Efpagnoles & PortugaHes. II y a long-temps que (a) Voyez page jj. K a  2ao Le Voyageur les fujets de S. M. Imp. Flamands & Brabancons connnercent avec 1'Efpagne & le Portugal. Par la voie de Cadix , les commereans d'Anvers , de Bruges & dc Gand , font des envois très-confidérables de marchandkes aux colonies Efpagnoles, oü elles paffent fous le nom des négocians de Cadix. Ces mnrchandifes font des toiles, des camelots, des denrelles & des fils. Les bénétices que donnent ce commerce font très-confidérables; mais ils diminucront a proportion qu'augmcntera 1'induftrie & 1'acüvké des Efpagnois. Le Portugal tire de la Flandre & du Brabant les mêmes marchandifes que 1'Efpagne, & les recoit par le port de Lisbonnc. L'Efpagne & le Portugal tïrent auffi des Pays-Bas Autrichiens, des livres ; furtout de vieux livres , & plus qu'aucune autre nation , des livres de théologie : ce commerce pourra devenir par la fuitc plus confidérable. L'Efpagne commenceaimprimcr, mai» Tlmprimerie n'y fera dc  dans des Pays-Bas. ii\ progrés que quand on en aura chaffé tous les Satellites du St. Office. L'Efpagne tiroit autrefois des Pays-Bas tous fes livres d'Eglife ; depuis elle les a tirés de Liege. C'étoient les preffes de Plompteux qui les fabriquoient. Cette branche de commerce qui donnoit de trés-grands bénéficcs a eet Imprimcur, n'cxifte plus : les Efpagnols impriment k préfent leurs livres d'Eglife. Les Pays - Bas Autrichiens tiroient auffi de Liege la plus grande partie des leurs ; ils ne le peuvent plus aujourd'hui & doivent faire ufage de ceux qui font fabriqués par leurs propres Imprimeurs. Lc commerce dc livres pourroit dc venir très-fioriffant dans les Pays-Bas Autrichiens s'il y étoit encouragé, s'il étoit plus connu de ceux qui ne lc font pas & bien conduit par ceux qui le font. B n'y a peut-être pas de commerce qui foit plus lucratif. La feuillc dc papier irriprimée ne revient pas a lTmprimeur k plus de neuf deniers de France , & il la vend K 3  *2i L E VöYAfiKül aux particulicrs au moins trois fois & au Libraire deux fois. II eft vrai que ce gros benefice eft balancé par les longs crédits. En librairie le crédit eft ordinairement d'un an, 15 mois & quclquefois 18 mois. L'Imprimeur eft auffi expofé a faire de groffcs pertes ou par les banqueToutes qu'il cfiuie ou par les cxemplaires qui lui reftent. Les banqueroutes font fréquentes/nais elles ne font jamais bien confidérables. Ce qui eft auffi fort rare, c'eft qu'un livre , quelque médiocre qu'il foit, refte in vendu. Les Impriraeurs qui font les plus expofés , font ceux qui impriment de grands ouvrages, mais auffi quand 1'ouvrage qu'ils impriment a du fuccès, il fait la fortune de 1'Imprimeur. Pour fe débarrafier des excmplaires qui reftent invendus , 1'Imprimeur emploie deux moycns, 1'échange & le rabais; il fe fcrt_ du rabais pour les gros livres & de 1'é" change pour les livres de peu d'importancc. II fe fait aujourd'hui , Monf.eur, dans  dans les Pays-Bas. iB as. 263. commencent Pattaquc , & ce n'eft que quand le commiffaire , que nGus nom-, mons en France rapporteur , devant qui 1'inftruction doit fe faire, eft noramé, que les Avocats entrent cn lice. Sur les productions de 1'Avocat du demandeur, 1'Avocat du défendeur répond , & puis après celui du demandeur, & puis encore celui du défendeur , & cela dure tant & auffi long-temps qu'il plait a Mrs. les Avocats d'écrirc. La loi ou 1'ufage vcut qu'on réponde a tout, aux chofes les plus effentielles , comme a celles qui font. des plus étrangeres a la qucftion , de maniere que fi les Avocats des deux parties veulent s'entcndre , 1'inftruction durera des années , & le pauvre rapporteur aura a lire des rames de papier dans lefquelles il ne trouvera peut-être pas quatre feuilles qui puiffent fervir a fixer fon jugement. C'eft bien autre chofe fi les parties font mifes a preuve. Quand les Avocats font las de citer, de raifonner & d'écrire le rapporteur commence a lire. Ici les Juges  aÓ4 Le Voyageur font un peu plus fcrupulcux que les nótres : ils iifcnt tous ab ovo ufque ad rnala , & nc s'en rapportent pas a leurs fecrétaires. En France, du moins dans les Cours fou /eraines , cc font les Secrétaires des rapporteurs qui font tout le travail, & c'eft pendant que M. le rapporteur fait fa toilette que fon fecrétaire lui lit fon extrait ; c'eft le réfultat de cct extrait qui forme 1'avis du rapporteur , ou plutót le jugement de la Cour. Au Confeil de Brabant on ne va pas fi leftement : quand le rapporteur a obtenu le tapis, ou , pour parler comme nous, le bureau, il fait porter a la chambre toutes les produétions des parties : toutes y font lues depuis la première jufqu'a la derniere , & il arrivé fouvent que, pendant la lecturc, les Avocats font appellés, & qu'on leur permet de produire encore : cette ledture fe fait avec la plus fcrupuleufc attention : cette maniere de juger les procés eft unc des caufes principales de leur longueur ; mais auffi elle empêche 1'abus que les rapporteurs  dans les Pays-Bas. 065 tcurs peuvent faire dc la confiance que la Cour auroit cn eux. En France, ce ne font pas, dans le vrai, les Cours fouvcraines qui jugent les procés dc rapport, mais les rapporteurs: un rapporteur inique peut y fouftraire unc piecc 5 il.nc le peut pas ici, & lors du jugement ^ fon avis n'a pas plus de poids que celui des autres juges, & en France c'eft prefque toujours 1'avis du rapporteur qui forme le jugement. Combien , deinandai -je un jour a 1'Abbé Tcrray , ave\ - vous jugé de procés ? vingt-cinq , me répondit-il... vingt-cinq oui vingt-cinq; cela vous étonne mais vous n'êtes entré qu'a quatre heures che\ le premier Préfident, vous en ét es forti a huit; cela ne fait que ' quatre heures.... Eh bien, eft-ce que dans quatre heures 1'on ne peut pas donner yingt-cinq fignatures Je vous entends ; vous autres , Meffieurs les rapporteurs , vous drepi che\ vous les arrêts , ou plutót vous les faites dreffer par vos Secrétaires ; 'vous les mettei fur le bureau, & on les IV. Partie. M  c6f5 Le Voyageur. figne, vous appelle\ cela rend re la juftic e....i fans doute , car nos Secrétaires en favent plus que nous. ... & les épices, commenA les régle\ vous .? Sans doute d'après le temps que vous ave\ employé. . . . non pas ; fi 'cela fe faifoit ainfi , les places de Confeillers de grand - Chambre vaudroientelles 40 , 50 & quelquefois 60000 liv. par \ an ? Nous apprécions le temps que nous aurions pu employer a examiner l'affaire\ & a la rapporter , & en conféquence nous mettons au bas du doffer le nombre des vacations qui doivent nous être payées; ■vingt^ trente , quatre-vingt & cent même , fuivant que l'objet de la conteftation eft plus ou moins de conféquence. N'imaginez pas, Monfieur, que cette converfaiion foit imaginée ; je pourrois vous nommer les perfonnes devant lefquclles cllc s'eft tenue. L'Abbé Tcrray , comme vous favcz, n'ctoit ni fcrupuleux ni difcret: d'ailleurs , NolTeigneurs de Parlement fe croyoient alors fupérieurs a la loi. Le jugement que vous ave\ rendu aujourd'hui,  dans les Pays-Bas. 2Ó7 idifoit-on un jour a 1'Abbé Sévcre , eft \ contre l'ordonnance; qu'appelle\-vous, ré; pondit-il, contre l'ordonnance ? eft-ce que 'le Parlement riinterprête , ne modifiè & , ne corrige pas les ordonnances quand il le veut. Si un Mcmbre du Confeil de Brabant tcnoit ce langage , fon corps Ten puniroit. On fe plaint ici beaucoup des frais de juftice, mais d'après 1'examen que jen i 'ai fait, je les trouve bien médiocres cn xomparaifon de ceux de nos tribunaux. Les Juges font ici paycs par heure , & il faut qu'un Confeiller du Confeil de Brabant travaillc toute Pannéc fans interruption , pour que fon travail lui rapporte 4000 flörins , c'eft-a-dire moins que ^000 liv. de notre argent. J'ai vujuger au Parlement de Paris un procés dont le fond étoit de 2,000,000 & dont les frais ont monté ii 700,000 liv. le coüt ■de 1'arrêt feul fut de 30,000 liv. Le plus célebre Avocat de Bruxelles ne gaene pas dans fon cabinet plus de 5 a R Ma'  c68 Le Voyageur 6000 florins par an, & nous avons a Paris des Avocats qui retirent des leurs jufqu'a 80,000 liv. par an. L'Empereur, dit-on, fe propofe de diminucr la longueur des procès.Le moyen lc plus sür , feroit de fixer a deux au plus le nombre des écrits des Avocats , en leur laiffant la liberté d'en produire autant qu'ils le voudroient, pourvu qu'ils payaffent de leur poche & non de celle des plaidcurs , 20 florins pour le 3me. ucrit, 40 pour le 4111e. & ainfi des autres qu'ils produiroient en fus des deux premiers, bien entendu que chacun de ces écrits ne feroit que de 10 a 12 rolles au plus. II eft un ufage qu'on Tuit exafucment au Confeil de Brabant & qui fait un honneur intini a ce corps refpeftable de Magiftrats.. Aufli-töt que le rapporteur d'un procés eft nommé & qu'il a acquis une première connoifiance de 1'affaire foumife 'd fon examen, il fait venir chez lui les parties avec leurs Avocats & leurs Pro-  DANS Ij E S PaYS-BaS *69 cureurs; elles ne fe pari ent pas & font chacune dans une chambre feparee : le rapporteur leur parle en particulier & ne négligé rien pour les porter a faire uti acommodement : s'il ne peut y reuffir , ül les raffemble encore une autre fois, & prefquc toujours après que le procés eft Lé & avant que 1'arrêt ne foit rendu public : fans leur faire connoïtre qucllc eft la teneur de 1'arrêt , il leur propofe encore de s'accommoder , & fi 1'a?eommodement fe fait, 1'arrêt refte comme non avenu. Que d'argent eet ufage s'il étoit introduit dans nos tnbunaux, rt'èpargneroit-il pas aux pauvres plaideurs! II faut ccpendant excepter le cas o» 1'Arrêt a été rendu tout d'une voix , car alors, il ne peut y avoir lieu a 1'accommodement. Jc fuis, &c. M 5  -7° L E VOTASEI'S. LETTRE XXVII. Bruxelles, ce Septembre I78:. . -Les Confeillers du Confeil de Brabant , Monfieur , ne font pas amoviblcs: c'eft le Souverain qui les nomme; mais quand il les a nommés, il n'eft pas en fon pouvoir de les deftituer , ni même de les fufpendre de leurs fondions: s'ils prévanquent ou commcttcnt quelques crimes, c'eft au Confeil a les cn punir, •aucun autre tribunal n'a le droit d'en connoïtrc. On ne connoit pas dans les Pays-Bas Autrichiens ces Juges extraordinaires , qui n'ont, comme en France, qu'une jurifdiclion momentance que leur attribue le Souverain , & qui ne fubfifte qu'autant que Ie veut le Souveram. Toutc commiffion que donncroit lc Souverain des Pays - Bas Autrichiens pour jugcr tellc ou tclle affaire , dont la  dans in Pays-Bas. 2?t •eonnoiflance appartiendroit a un tribunal légitimément établi, feroit ineonftitutionclle. Je crois qu'il peut réformer un tribunal , le réunir a un autre, mais tant que le tribunal fubfifte, nul autre que lui nc peut légitimément exercer fa jurifdiclion. Le Confeiller de Brabant poiTede fa r place £t titre dc propriété , qui s'éteint, il eft vrai, a fa mort, & ne paffe pas a\ fes héritiers fans que le Souverain leur rende les 4000 florins que le titulaire lui a payés lors de fon inftaliation. Cc font ces 4000 florins qui forment ce qu'on nomme médianat & que doivent payer * tous ceux qui font pourvus d'une place dc Confeiller au Confeil de Brabant; elle étoit de 8000 florins fous les prédécefleurs de 1'Empercur, qui 1'a diminuée de moitié pour faciliter aux habiles Jurifconfultes qui ne font pas avantagés de la fortune , 1'entrée de Confeil. Ceux qui poffedent des places alanominationdc 1'Empercur dans les aütres tribunaux du Brabant , paient auffi un médianat plus ou moins fort, fuivant 1'importance de ls M 4  272 Le Voyageur place.'Si 1'on comparc lc médianat que paie un Confeiller du Confeil de Brabant a la finance que paie le Confeiller du Parlement dc Paris, on croira que celui - ci achete beaucoup plus cher fa charge que le Confeiller du Confeil de Brabant achete la fienne., Cclui-ci a 700 florins de gage, fur lefquels on retient lc dixieme, & celui-lii ne recoit qu'environ 150 liv. de notre argent; mais les 50,000 ou les 60,000 liv. que coüte la charge de Confeiller au Parlement de Paris , revient au titulaire , s'il vend fa charge, ou a fes héritiers s'il meurt dans fa charge; au-lieu que les 4000 florins qu'a payés lc Confeiller du Confeil de Brabant , font perdus pour fes héritiers. Le Confeiller du Confeil de Brabant jouit, comme celui du Parlement de Paris, d'une très-grande confidération : & a jufte titre , puifque 1'un comme l'autre remplit des fonclions auflï importantes pour la fociété , qu'elles font utiles au Souverain & a PEtatril eft tout-a-la-fois organc & Miniftre de la loi , Confeiller du Prince  dans des Pays-Bas. 1173 & protefteur de la veuvc & de Porphelin : mais dans le vrai , lc Confeiller dc Brabant achete fa place plus cher que lc Confeiller du Parlement de Parii n'achete la fienne. II Faut être'nó Brabancon , profeffer la ■ reiigion catholique romaine & fa voir le Flamand & le Francois, pour pouvoir poiféder unc place de Confeiller du Confeil de Brabant : quoique ce foit le Souverain qui y nomme, Pufage eft qn'il choififie dans les trois fujets que lui pré- ' fentc le Confeil, celui qu'il veut pourvoir dc cette place; il n'eft pas effenticl que les trois fujets que préfente lc Confeil foient pris parmi ceux qui exercent la profcffion d'Avocat en Brabant, mais il eft rare que lc Confeil nc les préfere pas a tout autre. .Tous les Membres du 0Confeil dc Brabant, de même que fes fuppöts, Avocats, Procureurs, &c. ne font jufticiables que de lui; lui feul peut connoïtre des caufes perfonnelles qui les conccrncnt, tant pour lc civil que pour le criminel, de même que de celles dc M 5  *74 LbVovaseük, tous les gentilshommes, & les nobles demeurant dans le Brabant & le pays de Limbourg, & même leurs domcftïques ; a resception des Chevaliers de la Toifon d'or & des chambcllans qui ne reconnoiffent d'autrc Tribunal que le Confeil fouverain de Malines, & des Officiers & domeftiques de la Cour qui nc font jufticiables que du tribunal aulique. Les i caufes pcrfonnelles des Evêques, Abbés, fupérieurs des couvens, des adminiurateurs des maifons preufes , font portécs devant le Confeil de Brabant qui lesjuge en dernier reflbrt, ainfi que celles des Magiftrats en corps des Villes , des régifTeurs des villages & juges fubalternes1. Ce Confeil jugc auffi en première inftance & en dertrrer reflbrt les caufes qui font intentées contre différentcs perfonnes de différensreflbrts, qui font immédiatement de celui du Confeil, qui juge auffi les caufes pcrfonnelles des étrangers qui , n'étant pas domiciliés en Brabant, y ont des biens fur lefquels on peut fonder jurif-  dans les Pays-Bas. af| diaion par voie d'arrct. Si 1'on veut atr taqucr un contrat pour caufe dc nuilité , c'eft devant le Confeil de Brabant qu'il faut former fa demandé en refcifion : c'eft auffi lui qui connoït des nullités des teftamens, & généralement de toutes les aaions intentées au poffeifoire & comme tribunal réformateur „ les appels des ju- « gemens rendus par les Magiftrats des trois chefs - Villes , Louvain , Bruxelles^ & Anvers, de la haute Cour de Limbourg & de pluheurs autres Villes & villages. Comme tribunal efiminel , le Confeil de Brabant connoït auffi en première inftance & dernier rcllbrt, a 1'èXclufion de toutes autres Cours , des crimes furannés, des émeutes & révoltes , des trahifons envers lc Souverain, enfin dc tous les crimes dc lèzc-Majefte divine & humaine , du faux monnoyage , & dc la faUifïeation des monnoies. Le Confeil dc Brabant eft auffi 'juge des infraaions t\ la bulk d'or. Ce n'eft que depuis I7f 3 que le Confeil de Brabant connoït en M 6  -r'> Le Voyageur première infhmce & dernicr reflbrt de toutes les maticres fcodales : il eft auffi jnge d'appel des fentcnces renducs par les Cours féodales i'ubaltcrnes. * II faut I'autorifanon du Confeil de Brabr.nt pour 1'aliénation des biens des mineurs, foumis a fa jurifdidtion , de ceux d'églife& des pauvres. C'eft auffi leConfed de Brabant qui donne les Iettres de benefice d'age , mais jc ne fais en quellc lormc elles s'expédient, ni les formalitcs qu'il faut obferver pour les obtenir: aurrefois il Icgitimoit les batards, faii'oit grace comme le Souverain , & remettoit la peine au eoupable : aujourd'hui c'eft lc Souverain feul qui peut la remettre ,• mais lc Souverain n'accorde la grace qu'après que le procés de 1'accufé eft achevé & la fentence même projettéc : en France cela n'eft pas néceffaire, &le Souverain -peut faire grace auffi-töt après le crime commis, avant même que 1'accufation foit formée. En France le Souverain peut arrêter  dans les Pays-Bas. 17? unc procédure , foit cn évoquant a lui & a fon Confeil une affaire pendante au Parlement ou autre Cour de juftice , foit en ordonnant qu'on remette les pieces du procés a fon Chancelicr : il peut en foumettre lc jugement a tel Juge d'attribution qu'il juge a propos : on m'a affuré que cela ne pouvoit pas avoir lieu ici, & que quand cela étoit arrivé, c'avoit été dans des circonftanccs particulieres oü le bien public avoit exigë que cela fut. Le pouvoir légiflatif appartient feut' dans le Brabant au Souverain , mais, comme je vous 1'ai dit dans une de mes lettres , nulle loi de Prince ne peut avoir force de loi dans cette Province, fi elle n'a été promulguée par le Confeil de Brabant. Le corps repréfentatif dc la nation a même befoin pour faire faire la perception de la fomme qu'il a réfolu de lever, de l'autorifation du Confeil de Brabant , qui fe donne en formc d'oftroi, & cela paree que le Confeil de Brabant repréfente alorslc Souverain. Lc Confeil  2f8 Le Voyageur. de Brabant n'a jamais prétcndu , comme nos Pariemens, (repré fcnter la nation , qui ne l'eft ici que par les Etats. II n'eft pas une puiiTance intermédiaire entre lc Souverain & la nation , & nos Pariemens auroient voulu qu'on crut qu'ils 1'étoicnt, Nos Parlemcns exercent une partie de ia puiffance exécutive que leur a confiée le Souverain , 1'adminiftration de lajuftice : mais il n'eft pas en leur pouvoir d'y rien changer ; le Souverain feul peut faire cesxhangemens. Les Pariemens dc France n'ont pas été établis par la nation ; ils 1'ont été par le Souverain fans le concours de la nation. Lorfque la nation s'affembloit, les Parlcmens n'cntroient mime pas dans la compofition du corps politique que formoient les trois ordres; s'ds y paroifibient, c'étoit non comme membres de ces corps, mais comme Confeillers du Souverain , & ca toujours été comme Confcillers du Souverain que les membres des Pariemens ont eu des fonctions a remplir vis-a-vis du Souverain &  bans les Pays-Bas. 279 relativement a 1'exercice de la puiffance iégillative. Le Souverain en France, lorlqu'il donne une loi, veut que fes Parlemcns 1'cxaminent avant que de 1'enrégiftrcr • fi cette loi eft contraire au bien de PEtat, a la gloire du Souverain & au bonheur du Peuple , les Parlemcns doivent Pen avertir ; ils feroient coupables s'ils ne le faifoient pas , mais ils le feroient auffi fi , après avoir avcrti le Souverain, ils refufoient d'enrégiftrcr cette loi, fi lc Souverain, après un mür examen , perüftoit a vouloir qu'elle efit lieu. Je vous ai vu, Monfieur, foutcnir fouvent que les Pariemens ne pouvoient pas enrégiftrer une loi qu'ils croyoient mauvaife. Quand vous penfiez ainfi , vous vous fondicz fur un principe tout-a-fait faux, par rapport a notre conftitution. L'enrcgiftrcmcnt de la loi, vous difoisje, n'eft qu'une fimple promulgation de la loi, & vous , vous la regardiez comme une fanclion qui donnoit force a la loi. Vous avez abandonné cette opinion, paree  280 Le Voyageur. que vous avez fenti que qui a la puiffance legifladve dans toute fa plénitude, ne peut pas être gêné dans 1'cxercice de cette puiffance par une autre puiffance ; car le pouvoir coaclif qu'exerceroit cette puiffance contre celle du Souverain, la priveroit de cette plénitude qui fait fon eifence. J'ai toujours foutenu & je foutiendrai toujours que 1'enrégiftrcment des Par^ lemens n'éiant qu'une fimple promulgation de la loi, cette promulgation peut être changéc, reformée, abolie même. II faut que,la loi foit promulguée, paree que fans, cela elle ne feroit pas obligatoire pour ceux qui doivent 1'obferver ; mais peu importe qu'elle le foit de tclle ou telle facon. II faut un dépot aux lóix, mais ce dépot peut être les greffbs des Cours des Aides, des Chambres des comptes, ou toute autre Cour fouverainc , comme les greffes des Pariemens, II y a encore une grande diftcrencc entre les pouvoirs de nos Cours de Pariemens & ceux du Confeil de Brabant.  dans les Pays-Bas. a8i Les arrêts de celui - ci ne peuvent être/ rcformés par aucun tribunal; ceux de cellesda le font par le Confeil du Roi, qui en les caffant, cléfcnd aux Cours d'en rendre a 1'avenir dcfeir.blables. Ne croycï pas ccpendant que le plaideur méc'ontent du jugement que 1'è Confeil de Brabant a rendu contre lui, foit privé de toute efpérance d'obtenir le redreffement des griefs qu'il croit avoir avec jufte raifon contre fes Juges; s'il s'adrciTe a eux, ils lui permettent d'intcntcr la grande revifion , c'eft-a-dire que fon procés fera de nouveau foumis au jugement de fes premiers Juges , auxquels fe joindront les Confeillers dc la deuxieme chambre du < Confeil, fi c'eft a la première qu'il a été jugé , fept Confeillers, pris dans les Confeils fouverains & provinciaux des autres Provinces, & un docleur en droit de 1'Univcrfité de Louvain. La nomination de ces Juges fe fait par le Chancelier, qui n'eft pas obligé de nommer un Docteur de Louvain , & qui peut, s'il le veut,  182 L e Voyageur. cn nomtncr deux & fix Confeillers feulement. Les frais de cette revifion font très-confidérables ; il faut qu'ils foient confignés avant le jugement ; fi, par exemple, 1'inftrudYion du procés a coüté iooo florins, il faut en dépofer ioooo ; ce qui rend rare 1'ufage qu'on fait de ce remede extraordinaire, dont il n'y a même que les gens riches qui puifient profiter. II arrivé quelquefois cn France que le Roi ordonne la fcvifiou d'un procés jugé par une Cour fouveraine, mais aucun des Juges de cette Cour nc prend part a la revifion qui fe fait par une autre Cour , a laquellc font remifes toutes les pieces produites aa procés. Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 283 LETTRE XXVIII. Bruxelles, ce Septembre 1782. Si vous voulez, Monficur, voir de telles chaires a prêchcr , il faut venir dans ee pays-ci : celle de la Paroilfe de St. Euftache , qu'on admire tant a Paris, feroit a peine regardée ici. Les chaires font dans les Pays-Bas Autrichiens une efpece de genre de luxe qui leur eft particulier : c'eft un goüt de terroir , fi fon peut le dire. II eft peu de Villes a 20 licucs a la ronde qui n'offrent a cct égard quelques compofitions extxaordinaires, dans lefquellcs on trouve même quelquefois des parties qui cara&érifent le génie & l'efprit, mais plus que le goüt. " L'exïinftion des Jéiuites a valu a 1'Eglife collégiale de cette ville la chaire qu'on y voit aujourd'hui ; elle y a été placée en 1776. Les Jéfuites d'Anvers Pavoicnt  ïS4 Le Voyageur. fait faire en 1699 par le fculpteur Hendrick - Vcrbrugen d'Auvers. C'eft unc grande machine dont Pidée n'eft pour lc fond , ni ingénieufe, ni neuve ; elle manque de goüt, dc poéfie & d'enfemble. Si on y voit des beautés locales , qui font même fenfiblcs, on ne peut pardonner k 1'arcifte la mafïivité de fon couronnement. A la bafe on voit Adam & Eve de grandeur naturelle, que 1'Ange exterminateur chaiTe du Paradis terreftre, & la mort qui le pourfuit, ou du moins cft-ce ce que 1'ardfte a voulu exprimer: au-detTus de cc groupe eft le globe terreftre, & c'eft dans la cavité de ce globe que fe place le Prédicateur. Ce globe repofe contre un arbre fur la cime duquet eft un baldaquin foutenu par un Ange , & la vérité repréfentée par la figure d'une femme. L'artifte n'a pas voulu s'en tenir la:au-dc{fus il a placé la Viergc & l'enfant Jéfus qui tient unc croix avec laqutlle , a 1'aide de fa mere, il écrafela tête d'un énorme ferpent, fymbole dli  dans le! Pays-Bas. 285 demon. La Viergc & l'enfant Jéfus font pofés fur un croiffant, lcqucl 1'eft fur des nuées accompagnées d'Anges. Au bas de la chaire font deux peths efcalicrs, & fur des' troncs d'arbrcs dToü fortent quelques rameaux, lont différeris animaux , du cöté d'Adam 1'autruche & 1'aigle, & du cóté d'Eve le paon , le perroquet & le finge , fymboles de la malice dc la femme , & de fon goüt pour la parure. C'étoit bien la 1'endroit dc faire un épigrammc , qui n'étoit pas alors plus neuve qu'elle ne 1'eft a préfent. Quoiquc lc groupc de la Vierge & de l'enfant Jéfus, qui termine cette vafte compofition , ait du mérite , & que la tête de la Vierge ait de la fincfTc , ce groupe m'a paru hors d'ceuvre de la maffe La partie qui m'a le plus fatisfait, eft 1'Ange exterminateur : il eft bien pofé , bien d'action, bien racourci; fon air dc tête laiffe peu de chofe a defirer, mais il eft placé a trop peu de diftance de 1'infortuné couple qu'il pourfuit, & c'eft ce qui fait qu'il  a86 Le Voyageur. nc produit pas tout 1'effet qu'il produiroit s'il fe trouvoit a une diftance plus éloignée. Adam & Eve font d'une proportion infiniment trop forte, comparativemcnt a celle de 1'cxécuteur de la ven; geancc célefte. Adam eft d'une belle nature & correcte de deflin; fon air de tête ne manque point d'un certain effet: fon aftion eft bien indiquée, bien fentic ; Eve lui eft bien inferieure : jufqu'a préfent tous les peintres , tous les ftatuaires lui ont donné tous les charmes de la beauté , toute la frafcheur de lajeuneffe & toutes les graces féduifantes de eet age : Verbrugcn cn fait unc robufte & mufculeufc Flamande mal coëffée, & dont la phyfionomie froide & grimaciere déplaft, loin d'int.éreffer. Le fentiment qn'éprouve Eve eft un fentiment dc frayeur , mais quelque fort qu'il foit, il ne peut avoir fait tout-a-coup difparoitre tous les agrémens qu'on fuppofc qu'elle avoit avant. Rappellez-vous ce beau groupe d'Apoflön & de Daphné qui fait partie de Ia  dans les Pays-Bas. a8f riche colle£Uon des Barberini. Berninia donne tant d'exprcffion aux graces de Daphné & au fentiment de fraycur que lui infpire fon raviffeur , que le ipefta" .teur partage fon effroi, au point même de craindre que la métamorphofe commencée nes'acheve pas alfez promptement, pour la garantir de Pemportement du fa,tyrc. i TJne autre chaire qui eft bien fupéneure a celle dontjeviens dc vous entretcnir, dccore 1'Eglife des grands carmes de cette Ville , & je doute qu'il y en ait dans toutes ces provinces qui puiffent lui contefter la palme : elle eft du fculpteur Plumiers. C'eft une compofition fage dans fon genre , qui ne manque cependantpas de eet enthoufiafme poétique qui dócele dans les artiftes les grands & les vrais talens & les rend créateurs. Entre deux palmiers eft un roe, & dans le creux de ce roe , on voitle Prophete Elie qui s'y tient caché pour fe dérober a la fureur de Jéfabel : un Angc lui apporte a manger.  s88 Le Voyageur. Au-defTus de la chalre & a la cime des deux palmiers paroit un rideau que deux Anges foulevent. Le Prophete Elic & 1'Ange fon pourvoycur , font d'un bon mouvement & colloquent bien enfemblc: ces deux figures ont beaucoup de merite. Toutes les parties acccfToires & même celles de rempliffages de cette belle machine , font égalcment bien traitées & forment une maffe qui intéreffe & qui plak Point de luperflu dans les ornemens, point d'inutilitcs dans les détails. Je remets a unc autre fois a vous parler des autres chaires qui font ici. Je fuis, &c. Fin de la Quatrieme Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O TJ LETTRES Sur 1'état aftuel de ces Pays. Felix qui potuit rcrum cognofcere caufas! Virgue. TOME PREMIER. Cinquieme Partie. *i4> t * ¥ X f v4 AMSTERDAM, Chez Changuion, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, Inrprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. LXXXII.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. LETTRE XXIX. Bruxelles, ce... Septembre 1782. J^I ous jouiflons ici , Monfieur , du plus beau temps du monde. L'automne eft, dans ce Pays-ci dc toutes les faifons , la plus belle : on y refpire un air pur & ferein ; tout y invite a la promenade. Les Amateurs de la chafte qui habitent Bruxeli les, peuvent jouir de ce plaifir prefque & la fortie des portes de la Ville, fur un efpace de terrein aflez confidérable 9 Na  292 Le Voyageur. oü il leur eft librc de chaffer; mais vous croyez bien que cette jouiffance eft de peu dc duréc : le nombre des chaffcurs eft fi grand , que lc gibier difparoit prcfqu'au même inftant qu'il paroit.' Je nc connois pas de Ville en Europe dont les promenades foient auffi agréables que celles de Bruxelles. A pcinc efton forti par une de fes huit portes qu'on trouve des plantations d'arbres charmantes , d'oü 1'on découvre des champs fertiles, cultivés avec autant de foin que le font nos plus beaux potagers. Ces promenades font folitaires, mais la nature y eft fi belle , elle y a tant de vie, qu'elle feule fuffit pour échauffer 1'imagination & occuper l'efprit En fortant de la porte qu'on nomme de Lacken, eft une promenade charmante, appellée 1'ailcc verte. Le canal qui conduit dc Bruxelles a Anvcrs, la borde d'un cötc : ce canal & cette alléc forment un tableau que jc n'ai vu nulle-part : cette promenade eft fort fréquemee dans les beaux  dans les Pays-Bas. 293 jours ; on s'y promene en voiture.' Je nc puis mieux la comparer qu'au Cours-laReine, oü tout Paris,alloit avant que la promenade des Boulevards n'eüt eu la préTcrcnce. Sur le rempart & au - defllis du canal, on jouit d'une vue dclicieufe , formée par cc même canal, 1'allée verte & une campagne fertile , trés - ctendue , mais oü la vue rencontre nombre d'accidens qui la repofent fans la fixer. Les remparts qui entourent la Ville , font auffi des promenades charmantes qui , dans quelques parties , offrent des points de vue très-intéreffans.1 Les buveurs ont auffi a Bruxelles des promenades oü ils fe raffemblent. Ce font des jardins qui appartiennent a des confrairics & qui font publics. Lc plus' cc-lebre eft le jardin dc St. Georgc , qui appartient a la compagnie du fecond ferment, dit de Parhaletre. ■ Ce qu'on nomme ici fermens, font des compagnies de bourgeois; elles font au nombre dc cinq , toutes aux ordres du Magiftrat de la Ville, ainfi que les N 3  294 Le Voyageur dix compagnies de Milices bourgeoifes, qui chacune a a fa tête un Capitaine & d'autres Officiers.' L'Hötel - dc - Ville de Bruxelles jouit d'un très-gros revenu ; on 1'cvalue a 13 ou a 14000 florins , produits par quelques parrics de biens fonds qui lui apparticnnent,mais principalementpar les droits qu'il percoit fur les boiflbns & fur les comeftibles. La communauté fcule des bouchers lui paie tous les ans 30000 flor. qu'il recoit en quatre paicmens égaux de trois mois [en trois mois. Quclque confidérable que foit ce revenu, a peine peut-il fuffir aux dépenfes ordinaires de la Ville , de maniere que 1'Hótel-dc-Vüle, pour fubvenir aux dépenfes extraordinaires qui lui furviennent, eft obligé dc recourir ?. 1'emprunt. Les batimens qu'il a été obligé de faire au Pare pour loger le Confeil de Brabant & la Chambre des comptes, lui ont coüté beaucoup, & 1'on m'a afluré qu'il devoit préfentcment 2,000,000 de florins,dont il payoit la rente  dans les Pays-Bas. 295 & 4 pour cent.Lcs finances d'un particulier fage & économe ne font pas mieux adminiftrés que celles de la ville de Bruxelles Scs Officiers municipaux ne les prodkucnt pas comme ceux de nos grandcs VUles, en folies dépenfes, cn fcftins fomptueux, en fêtes inutiles. Tous te revenu, dc 1'Hötel-de-Viile dc Bruxelles font employés pour le bien public. II s'en faut b:en que les devote & les fonaions des Officiers municipaux dc nos Villes de France, même de ceux de Paris , foient auffi grands, auffi étcnclus & d'une auffi grande importancc que ceux que doivent remplir les Officiers municipaux de Bruxelles. Ceux de Paris n'ont aucune part a la Policé: leur jurïfdiftion fe borne a des objets de peu de confequence ; comme Juges civils leur reffort eft très-reffcrré; ils nc prennent point connoiffance ni des affaires du commerce, ni des affaires criminclles : le foulagemcnt des pauvres ne les regarde qu'indiïeaement. Les Magiftrats de PHÖtel-de-Vüle. N 4  *96" Le Voyageur ce Bruxelles font tout-a-la-fois Juges-ei- viIs,enminels&depoliee; ik font même' Juges d appel pour Ie civil, des fentcnees que rende* les Juges, dontlajurifclialon le trouve rcnfermée danslabanW.' Au civil on appelle au Confeil de Brabant des fentences que les Officiers mumcipaux rendent au civil, mais ils jugent fouverainemcnt aucriminel: comme Juges de police, ils doivent maintenir lordre & Ia tranquillité publique , vciller * ce que 1'abondance des fubfiftances regne dans la Ville ,& a ce qu'elles foient dc bonne qualité & débitées avec fidébtc. Leurs foins ne fe bornent pas a pourvoir au foulagement des pauvres malades j ils s'ctendcnt fur tout ce qui peut prévcnir les maladics. La fubfffiance des pauvres eft encore un des grands objets de leur attentiom Pour remplir tous'ces devoirs & ces foncffions pénibles, il n'y s que 19 Officiers qui ont fous eux trois Secretaires, quatre Greffiers & un Controleur; ces Officiers font PAmman & le Lieutcnant Amman, le Bourg-meftre, fept  dans les Pays-Bas. 297 Echevins,deuxTréforiers,lc Surintendant du rivage.deux Confeillers penfionnaires , un Bourg-meftre hors des nations , deux Receveurs dc la Ville & un du rivage: de tous ces Officiers , il n'y a de gerpétuel que 1'Amman & le Lieutenant Amman ; les autres font changcs tous les ans , s'ils ne font pas continués : cela dépend de la volonté du Souverain.' L'Amman eft le premier des Officiers qui compofcnt le Corps municipal de la ville de Bruxelles ; c'eft le Souverain qui le nomme, ainfi que le Lieutenant Amman qui, comme 1'Amman, doit être noble d'extraction & nc cn légitime mariage dans le Brabant. Tous deux prêtent ferment cntre les mains du Préfidcnt dc la Chambre des comptes & du Bourgmeftre : par cc ferment ils s'cngagent a maintenir les droits du Souverain , a obferver la joyeufe entrée, & a veiller a la confervation des droits & privileges des habitans dc la Ville & du Brabant.' L'Amman eft dans le Corps municipal N 5  298 Le Voyageur dc Bruxelles, ce qu'eft dans lc Confeil > de Brabant Ie Frocurcur-gónéral; il eft ainfi que le Lieutenant Amman , Phommc du Souverain : tous deux parient & agiffent cn fon nom. Quand 1'Amman eft préfent, le Lieutenant Amman eft fans action, mais il a toutes celles dc 1'Amman , quand celui-ci eft abfent :' 1'un & Pautre ont la prévention , de maniere que c'eft celui de ces deux Officiers qui, le premier eft faifi d'une affaire , la fuit fans que Pautre puifle s'en mêler : mais 1'Amman a feul le droit d'avoir a fa fuite 6c pour fa garde , deux hallebardiers a fa livréc : c'eft auffi a lui que les ordres que le Souverain donne aux Officiers municipaux font adreffés , & c'eft a lui ou au Lieutenant Amman a veiller a ce qu'ils foient exécutés. Les Gens du Roi en France , c'eft-a-dire, les Avocats & les Procurcurs-généraux ou du Roi, ne marchent dans les cérémonies publiques, qu'après les Officiers du Corps oü ils font attachés; 1'Amman ici niarchc dans ces  dans les Pays-Bas. 299 óccafions a la tête du Corps de Ville , porte la parole & fait les fonctions dé Chef. En France , un Tribunal de Juftice peut faire exécuter une ordonnance contre 3'avis du Procureur du Roi, & une Cour fouveraine,un arrêt de reglement que le Procureur-gcnéral n'a pas approuvé : il n'cn eft pas de même de 1'Hötel-dc-Ville de Bruxelles ; unc ordonnance dc fes Magiftrats nc peut être exécutée contre 1'avis de 1'Amman ou du Lieutenant Amman ën fon abfence ; mais 1'un comme l'autre doivent tenir la main è 1'exécution des ordonnanccs & jugemens que rendent les Officiers municipaux comme Juges civils, criminels & dc police ; cn France c'eft le Juge même qui fait exécuter les jugemens. L'Amman &le Lieutenant Amman font chargés de tout ce qui regarde la police , mais ce font les Magiftrats de la Ville feuls qui jugent des contraventions aux léglemens de police & prenohcent la conN 6  Sco L,e Voyageur. damnation des contrevenans : ni 1'Amman , ni lc Lieutenant Amman ne peuvent en prononeer aucune, paree qu'ils ne font pas Juges, mais feulcment acteurs ; ils le font auffi pour les régiemens de police , & tous ceux qui émanent du Tribunal des Magiftrats de la Ville , ne peuvent avoir force de loi que quand ils ont été confentis par 1'Amman ou lc Lieutenant Amman. Je crois qu'on m'a dit qu'il y avoit des parties de police qui ne regardoient ni 1'Amman, ni 'le Lieutenant Amman , & que c'étoit les Officiers dc la Tréibrerie de la Ville que cela feul regardoit. J'ai demandé s'il y avoit des Infpecteurs de Police dans les marchés , & j'ai été on ne peut pas plus étonné , quand j'ai fu qu'il n'y en avoit pas. Les marchés ici font ccpendant affez confidérables pour qu'on fixe dans chacun d'eax un ou deux de ces InfpecteursCela n'eft pas nécelfairc ni dans les boucheries , ni dans lc marché aux poiifons : ce font lesuée, celui d'Amfterdam ne reviendroit-d pas ce qu'il étoit avant la fermeture de VEfcautles chofes font changées : le commerce aujourd'hui n'eft plus ce qu'il étoit en z67%, & H eft de principe que le commerce, ainfi que les eaux d'une nviere, ne reprend pas le cours qu'il a abandonné.. . . Mais ne convenei-vous pas que les Pays-Bas Autrichiens ont des moyens de commerce que n'ont pas vos  So8 Le Voyageur. Provinces ? nos Provinces n'ont pas; de productions territoriales , mais leur pêche leur en tient lieu ; & quant aux prok duclions induftrieufes , les nótres peuvent' foutenir la concurrence de celle de la Flan-X dre', du Brabant & de toutes les autres" Provinces Autrichiennes. Qu'eft-ce que le commerce ? un échange de productions contre d''autres productions, ou de productions contre dc l'axgent. Si le vendeur n'a pas les mêmes productions que l'acheteur, celui-ci n'échange , ni n'achete, & c'eft ce qui doit arriver aux commercans Flamands & Brabancons exporteurs, qui ne peuvent porter dans tous les marchés de VEurope que les productions naturelles que les ache- \ teurs trouvent dans leur Pays. Nos Provinces ne produijént pas de froment cn abondance comme en produifent les Provinces Autrichiennes , & cependant les commerfans de ces Provinces ne vendront leurs farines aux Antilles , qu'après que les commercans Hollandois y auront vendu les leurs... ce ne fera fans doute pas a caufe du  dans les Pays-Bas. 309 \prix, ni a caufe de la qualité... non par rapé \pprt a la qualité, car les froments de la \Flandre ne le cedent point en bonté d ceux \de Pologne , dont nous nous fervons pour Yfaire nos farines , mais par rapport au. Yprix .... c'eft ce que je n'entends pas. \Vous achete\ les bleds de Pologne, des Wantiicois , par conféquent de la feconde \main , comment pourre^-vous vendre les [farines aux Américains moins que les \£rabanpons & les Flamands , qui recelyront leurs grains de la première main ?... \ll eft certdin que nos farines feront charIgées du bénefice des marchands Dant\i\cois , & des frais de tranfport depuis DantU/c jufqu'a Amfterdam ; de ceux de dé' Ychargement & de maga\inage , & cepen\dant nous pourrons donner nos farines aux ÏAméricains a un prix bien inférieur a ïcelui des farines que leur offriront les comïmercans Brnbanpons & Flamands qui les I j auront tranfportées a plus grands frais Yque ne Vauront été les nótres. A]oute\ enïcore que le bénéfice que nous aurons fait  «io Le Voyageur fur le Dant{icois qui nous aura vendu fetê grains & qui aura pris en échange les marH chandifes & les denrées que nous lui au~\ rons tranfportées \ fera une cornpenfationi du hénéfice qu'il aura fait fur nous. Ven-i dre beaucoup & gagner peu , eft unc regM dont aucun commercant Hollandois n*j s'écarté jamais, & je doute fort qu'ellé foit goutée & Juivie par les commerfartSj[ Brabangons & Flamands Et pour^\ quoi les commercans Brabancons & Fla4 mands n'adopteroient-ils pas cette regld comme vos commercans ?... . paree quw le commercant Hollandois fait nonfeiM lement le commerce par goüt, mais pan néceftité : le commerce eft fon état nature^ & fa profeftion eft la plus conftdérêe ; «| ne peut étre cultivateur i il nepeut efpéreA ni emploi, ni place lucrative. Le BrabanA con & le Flamand peuvent être cultiva-i teurs ; ils peuvent prétendre a des placeü O a des emplois honorablés & lucratifs .1 qui donnent même plus de conftdératiori a ceux qui les exercent que n'en ont /<  dans les Pays-Bas, »it commergans parmi eux : c'eft donc l'appas du gain plus que le godt, qui porte les Brabancons & les Flamands a s'adonner au commerce, & du moment que le commerce ne lui offre que des bénéftces mediocres , fon godt s'affoiblit. Pourquoi naviguons-nous a moins de frais que les awres Nations ? c'eft que nos matelots étant plus fobres & plus laborieux , nous content moins & qu'il en faut moins pour faire la manceuvre qu'il n'en faut aux autres navigateurs. Je demandai a mon Hollandois fi le commerce que faifoicnt Triefte & Oftcnde avec les Indes Orientalcs, ne nuifoit pas a celui de la Compagnie Hollandoife 1 II lui nuit fans doute, me.rópondit-il, mais non pas aftel pour en être épouvanté. Ce qui eft certain, c'eft que nombre d'anicles qui proviennent de ce commerce, font vendus d Oftende plus chers que nous ne les vendons dans nos magatjns. D'ailleurs , le commerce de Vlade ne peut fe faire que par les Nations  3*2 Le Voyageur. qui y ont des ètobliffemens & une maring militaire , pour prote'ger la navigation de leur Compagnie. II n'y a que deux pays dans l'Europe auxqnels le commerce de l'Inde puiffe être profitable, la Hollande & l'Angleterre, celle-ci paree qu'elle a dans l'Inde un revenu territorial qui lui donne le moyen de faire fes achats fans être obligée de fe dégamir d'une partie de fon numéraire, celle-ld paree qu'elle a un numéraire immenfe qui fe renouv elle fans ceffe ,& tellement, que l'exportation qu'en fait la Hollande pour l'Inde, lui eft plus falutaire que nuijible, Le commerce de l'Inde fe faifant deux tiers en argent & un tiers en marchandife , il faut que celles qu'on rapporte de l'Inde produifent au moins trois fois le prix de leur achat, pour que le commerce de l'Inde n'appauvriffe pas le pays qui le fait. ...Et le commerce des cótes d'Afrique que font les Pays-Bas Autrichiens , croye{-vous qu'il leur foit bien profitable ,7 7e fera tant que la guerre durera; mais h la paix , l'Angletere  dans l e s Pays-Bas. 313 & la Hollande le feront tomher , paree que l''Anglois & le Hollandois favent faire de grands facrifices pour écrafer leurs rivaux. Si le négrier Brahancon offre fis negres a zooo liv. le négrier Hollandois ou Anglois offrira les flens a goo liv. & puis h moins , & a moins encore ,fi cela ne dégoüte pas le négrier Brahanpon ou Flamand. Toutes ces confidérations, Monficur, quelque fortes qu'elles foient, nc doivent pa< découragcr les Commercans d'Anvers, de Bruges, de Bruxelles & d'Oftende. Je ne penfe pas qu'ils aient formé lc projet de ravir aux Hollandois tout leur commerce , mais je fuis perfuadé qu'il y a plufieurs branches qu'ils peuvent cultiver concurremmcntavec les Hollandois : telle eft la pêche; telles font les rafineries & tout ce qui tient au commerce d'économie. Quant aux produaions induftricufes, les Pays-Bas Autrichiens auront toujours fur la Hollande un avantage conCdérablc, celui du bon marchc de la V. Partie. q  314 Le Voyageur main-d'ceuvre. Si Ie Souverain veut cncouragcr les manufaftures, il affranchira de tous droits d'entrée les maticres premières, & de tous droits dc fortie les maticres manufadturées; il n'accordcra jamais aucun privilege exclufif, (a) maisil » ( a ) Les oftrois exclufifs , difoit le Vi» comte de "Winants , pour vingt, ou trente » ans, qu'on croit devoir fervir a 1'établif» fement des fabriques, font au contraire ce » qui les détruit : en Hollande, en Angle» terre & en France, on les a bannis : ils » gênent la liberté dn commerce ; ils étouffent » l'émulation; ils arrêtent la circulation du » numéraire ; rendent moins adtive Ia ven» te , & ce qui eft le pis de tout, ils éta» büflent le monopole. Le Public eft mal )> fervi & paie cher : il y a des moyens d'en» courager les entrepreneurs des nouvelles : » fabriques , autres que celui de leur accor- • » der le privilege de fabriquer feuls : on peut: » leur accorder des exemptions, ou une di-» minution de droits ; les afFranchir de payer: )> aux douanes des droits d'entrée pour less >» matieres premières qu'ils emploient, ainfii )> que de ceux de fortie pour ces mêmes ma--  dans les Pays-Bas. 315 donnera des encouragemens & même des fecours aux nouvellcs fabriques qui s établiront dans fes Etats, & fur -tout il laiflera l'induftrie jouir d'une grande liberté. L'induftrie ne vcüt ni gêne , ni contrainte ; elle peut avoir befoin de confeils , mais il ne faut ni loi qui regie fa conduite, ni furvcillant qui la contrarie. Je fuis, &c. » tieres manufaéturées. Si 1'entreprife eft con» fidérable , que le Prince leur f'afle des avan}> ces fans exiger d'eux aucun intérêc, & qu'il m n'en exige le rembourfement que par partie » & a différens temps , ou en une feule fois j> après les avoir laifle jouir de ces avan;es »> pendant trois ou quatre ans. Qu'on donne » aufïï a ces.nouveaux entrepreneurs un pro» tedeur auquel ils puiffent s'adreffer dans » le befoin; qne ce protecteur les aide de ji de fes confeils & de fes avis, mais fans les » obliger a les fuivre , & que fon principa » devoir foit de faire connoitre au Souverain »> ce qu'il convient qu'il fafle pour maintenir » Sc foutenir les nouveaux établiffemens. O %  Zi6 . Le Voyageui L E T T R E XXXI. Bruxelles ce.... Oclobre 1782. V o u s avez vu , Monfieur, les Palais d'Italie , vous connoiffez les beaux Hotels de Paris, que voulez - vous que je vous dife de ceux de Bruxelles 1 ils font plus vaftcs que beaux. Nous avons a Paris nombre de maifons de fimples particuliers qui font plus décorées que les grands Hotels dc Bruxelles ; mais ceuxci ont quelque chofe d'impofant qui convicnt a 1'habitation d'un grand Seigneur. Ceux qui habitent ces Hotels font, comme par-tout ailleurs, les objets de 1'amour ou de 1'indiffércnce , de la vénération ou du dédain de ceux qui les obfervent, s'ils ne les fréquentent, & les examinent s'ils ne les recherchent. Je rendrai toujours fans répugnance hommage a un grand , vertucux , bon , affable & bien-  dans les Pays-Bas, 317 faifant, mais je ne lui offrirai jamais 1'encens de la flatterie. Le Palais qu'habitent ici L. A. R. & qu'on nomme la Cour , a appartenu ancienncment au célebrefondatcur de laRépubliqut des Provinces-Unics : on lc nommoit 1'Hötel d'Orange. En 1731 les flammcsle dévorerent cn partie.* Ce Palais étoit fort ancien : on en avoit cottimencé la conftruaion en 1300, & il n'avoit été achevé qu'cn 145a : fa Chapelle , que, les Flammes avoient épargnée , fubfiftoit encore il y a quatre ans; elle étoit généralement admirée de tous les connoiifeurs. L'Hötel d'Orange n'a rien confervé a 1'cxtérieur dc fon ancienneté ,• on lui a fait unc facadc qui 1'a rajeunie. Cette facade , élevce fur les deffins d'un Archite&e nommc Folte, manque de grandeur & de nobleffe : auffi produit-clle peu d'effet. Les ftatues & les bas-reliefs qui la décorent, ont été traités en ftuc par le Sculpteur Dclvaux , retiré aujourd'hui a Nivelle : ces ftatues & ces bas-relief* O 3  3*8 Le Voyageur. nc lui auroient certainemcnt pas acquis la réputation dont il jouit : il la doit a un Hcrcule en marbre , place au réz-dechauflee du grand efcalicr du Palais: cette ftatue eft viliblement imitée de 1'Hercule Farncfe a Rome ; mais il s'en faut bien qu'on retrouve dans la copie ni la force majeftueufe, ni la fierté noblc & gracieuic de ce célebrc antique. Au reftc , 1'Herculc dc Delvaux eft ncanmoins un très-beau morceau ; mais ce qui a fixé la réputation de eet Artifte , eft la Chaire de St. Bavon dc Gand , qui eft, dit-on, dc la plus belle compoüuon , & un David vainqueur dc Goliath traité cn marbre, dont iln'a jamais voulu fe défaire: cette figure très-bien penféc , eft rendue avec une énergie peu commune. Le grand cfcalier du Palais n'eft pas affez vafte; mais il fe développe bien ; fa rampe , qui eft de fer, eft d'un bon genre; fon plafond qu'a peint Vcrfchoot, eft du plus mauvais goüt; il fent la détrempe & la découpure. Rien de tout 1'in-  dans les Pays-Bas. 319 térieur du Palais ne mV frappe qu une grande falie, qu'on nomme la falie du Dais; elle elf bien daus fa maffe & dans fes détails ! elle a été décorée d'après les dcffinsd'un Architeae nommé Dewcz • cct Architeae a travaillé beaucoup ; plufieurs Eglifcs d'Abbayes qui font fort belles, ont été conftruitcs fur fes deffins: telles font celles de l'Abbaye d'Orval , de Jatnblou, de Bonne-Efpérance, d'Helifiemme, de Vlierbech , prés dc Louvain ; il a auffi donné les deffins des batimens clauftraux des Abbayes d'Aflughem & de St. Martin de Tournai. On voit auffi avec plaifir les Chateaux de Séneffe & de Brugelet, a la conftruftion dcfqucls il a préfidé.. Heft fans contredv lc meilleur Architeae des Pays-Bas. L'cn. vie & la jaloufie feules n'en conviendront pas. Dewezpoffèdefonart & fait enrctpeaer les regies; voila précifément ce qui ne peut plaire a ceuxquiveulcntl.es -ffervir a leur imagination & a leur faux 'soüt.Dewez ne travaillc plus au grand reK O 4  Le Voyageur. gret des Amateurs de 1'Architeaure , qui lont vu avec douleur fe retirer & ceffcr '^XCrf--,LaChaFeIle de cc t -,donHaconft;uaionaétc commenVcrf U I?6?'a6ré "Iquée fur celle de 7:Tt,illadmrenccP^ la vérité de la fubftitution de la tête ac» tuelle du Laocoon, paree qu'il m'auroit » fallu m'élever au moins dc quatre pieds » pour y arriver; & encore, paree qne je » doute qu'on m'eüt permis cette vérifica» tion; mais mes yeux m'en ont convaincu » toutes les fois que je me fuis arrêtê devant » ce beau groupe. Quand la jonétion de Ia » maffe antique avec la p*«ie moderne , fe» roit moins fenfible qu'elle n'eft en effèt , » la teinte très-diiférente de ces deux mêmes h parties, fuffiroit pour m'en affurer. Vous » verrez, lorfque mon voyage paroitra (Ie » premier vol. eft aéluellement fous prefle ) j» de quelle maniere je réponds aux incrédu»> les fur eet article. Le bras droit de Lao- O 5  S11 Le Voyageur. avoit fubftituée , celle-ci lui fut pré- férée, comrne ayant beaucoup plus d'cx- » coon, Ie genoux droit, 1'avam bras & la » main gauclie du plus jeune des enfans , ont » e'galement été re/hurés par Michel-Ange ; *» mais ces reftaurations ne font rien moins »> qu'heureufes; les vrais connohTeurs les » citent avec peine, paree qu'elles' font ta» che (fi on 1'ofe dire) entre les chefs-d'o:u» vres fortis des mains de eet infiniment grand » Maitre. J ai en faveur de mon fentiment » la tradition générale &l'élite des antiquaires » établis l Rome ; & enfin , la beauté fu» périeure de la téte (inconteftablement an„ tique) que poffede M. le Duc d'Aremberg, „ dont le caraclere eft certainement 1'un des ,, moins équivoques & des plus expreffifs que ,, je connoiffe. Je ne fuis pas Ie feul des voya„ geurs qui foutienne 1'autbenticité de la fubftitution de la tête de Laocoon. Mif„ fon, AdilTon , 1'Abbé Richard, Groflai, La Lande, 1'Abbé Coyer, 1'Abbé Win,, keiman,&Scherloque, ont tous dit la même „ chofe que moi, & certainement non-feu- lement d'après leurs propres obfervations, „ mais même d'après celles des plus habiles  dans les Pays-Bas. '«a$ preffion que n'en avoit la véritable qui eft aujourd'hui a Bruxelles a PHötel d'Aremberg. Le Duc d'Aremberg 1'a rapportie de Rome il y a quelques années avec beaucoup d'autres antiques , de moyens & de petits bronzes, & une copic auffi antique de la célebrc ftatue grecque de 1'hermaphrodite qui fait partie de la riche colletfion de Barberini de Rome : ce font je crois les fculs antiques qui foient è préfent ici. Un morceau de fculpture moderne qu'on prife £i Bruxelles beaucoup plus qu'il nc lc mérite, fe voit dans 1'Eglife paroiffiale de la Chapcllc : c'eft un maufolée que la veuve de Philippes Spinofa „ antiquaires de Rome qu'ils ont fre'quemés. \] La reftauration du groupe de Laocoon eft „ auffi citée parmi les chef-d'oeuvres de Mif, chel-Ange , par 1'Auteur qui a donné le précis de la vie & la notice des Ouvrages " de ce grand Artifte ; mais le cémoignage „ le plus fort eft celui du célebre Chevalier. „ Piranezy.  324 Le Voyageur. lui a fait ériger: ce maufolée eft tout de marbre & renfcrmé dans un arcade feinte de mauvais goüt. Tout ce monument eft de Plumiers; il eft mal compofé, mais les intentions en font belles ; le farcophagc eft lourd, mal profilé & du plus mauvais choix ; il fert dc bafe au groupe principal. Le tems tient d'une main un medaillon dans lequel eft un portrait; entre les jambes du tems, la mort éleve fa tête ; on ne foupconne fa pofition que par 1'acfion de fes bras , qui fait connoïtre qu'elle prétend avoir des droits fur celui dont le médaillon renferme lc portrait. On devine ce que PArtiftc a voulu exprimer , mais on ne voit dans fa maniere ni efprit, ni génie : il a placé a génoux fur la droite la veuve de Spinola: c'eft une figure de glacé qui n'a ni caraefcre , ni expreftion, rien nc la lie a la maffe totale ; tout demandoit qu'elle le fut : cette maffe en auroit eu plus d'eftet. Derrière le tems, s'élevc une pyramidc coaronnéc par un bufte , de dcmi-relicf, de  dans les Pays-Bas. 325 très-peu d'effet ; une renommée partage la hauteur de la pyramide ; elle ne vol© point, rien ne cararïérife fon aftion ordinaire ; on la croiroit clouée contre la pyramide : cette figure eft incorrecte de 'deffin : le racourcit en eft vicicux & la draperie maniéréc & fans goüt. On voit encore dans la Paroifle de la Chapclle le maufolóe de la maifon de Croy , qui n'eft pas fans mérite, & le tomheau du célebrc peintre Breugel dc velour, au-deflus duquel eft un tableau •> copic dc Rubens , qui repréfente JéfusChrift donnant les clefs a St. Pierre. La Chapelle fépulchrale de la maifon des Princes de la Tour ès-Taffis, qu'on voit dans 1'Eglife de Notre - Dame des Vi&oires, qui eft fur la place d'armes de Bruxelles,' ne peut être comparéc ni a Ia Chapclle du même genre des Médicis a Florence, ni a celle prés de Turin , qu'on nomme la Supcrga ; mais fi 1'une & 1'autre étonnent par la beauté des marbres, la quantitc des bronfes , la  «i6 Le Voyageur. profufion des pierres précicufes-, & furtout par la beauté des tombeaux exécutés prefque tous par 1'incomparable Michcl-Ange , celle de la maifon de la Tour ès-Taffis plart par fa noble fimplicité, & les vrais Amateurs dc 1'art applaudiffent cette compofition , qui eft peut-être unique en fon genre. Cette chapellc eft en marbre noir & fes orncmens en marbre blanc; ce melange produit un trèsbon cffet & caracférife 1'ufage auquel elle a été deftinée : cette Chapellc, ainfi que le veftibule qui la précede , font éclairés cn lanternes: on regrette que 1'un & 1'autre n'aient pas plus d'étendue, & plus encore que le monument funebre qui décore le veftibule , foit d'une proportion fi gigantefque relativement a la place qu'il occupc : ce manque de rapport entrc la chofe & fes acccfibirs , fait peu 1'élogc du génie dc 1'Artifte auquel on doit cette compofition , qui d'ailleurs n'offre qu'une penfée triviale & de très-pcu de mouvement: le dcffin cn eft néanmoins élégant & cor  dans les P ays-Bas. 327 reftc; la tête du tems & celle dc la renommée ont toute 1'exprefiion qui leur eft propre : le nud de ces figures eft favamment accufó, & les draperics font ttaitées d'une manicrelargc Szgracieufe. Le farcophage qui fert de bafe au groupe, eft du plus mauvais goüt ; c'eft véritablcment un bas d'armoire fur lequel eft ccrit cn lettres d'or virtus non tempus ; ce qui veut dire que le tems ne peut rien fur la vertu , & c'eft ce que PArtifte a voulu exprimer en placant fur le farcophage la vertu fous la figure d'une femme tenant en main une chatoe d'or dont le tems s'eft faifi, qu'il tire a lui avec violcnce, mais fans fuccès, pour forcer la vertu a le fuivre. J'ai trouve cette idêe ingénicufe ; il y a beaucoup d'expreffion , dc caraaere & de vórité dans la figure du tems; il y en a moins dans celle de la vertu , paree que la vertu ne perd rien de fa tranquillité, quelque foit la pofition oü elle fe trouve. L'Artifte auroit pu ccpendant animer davan-  o2^ Le Voyageur tage le vifage de la vertu & lui donner unc pofition moins roide. Entre ces deux figures, eft un écuflbn enrichi d'un petit bas-relief affez mal penfé, mais touché avec une finefTe peu commune. Toute cette compofition eft couronnée par une renommee qui en eft süremcnt le morccau le plus eftimable; fon acïion eft fentic & bien rendue. En total cc monument eft une excélcntc production du fculpteur Van-Bcveren, qui 1'a executée en 1678. La petiteffe de Ia Chapelle nc peut être^ excufée que par celle de fon veftibu'e, & il faut pour que 1'autel qui eft au fond de cette Chapelle ait quelqu'cffer, ne le confidérer que dc la porte du veftibule. Cct Autel eft décoré par la ftatue de Ste. Urfule : c'eft un des beaux morceaux qu'ait fait Henri Duqucnoy ; cette ftatue eft parfaitement enfemble , fagcment penfée, drapée d'un grand goüt;' le mol des chaires eft d'une belle vérité; les bras & les mains fupportent le plus  dans les Pays-Bas. 329 févcre examen : tout le faire décele ün cifcau ferme & d'un bon goüt ; la tête de la Sainte feroit parfaitc , fi 1'Artifte lui avoit donné plus d'expreffion. C'eft au moment oü la Sainte recoit dans le fein le dard qui lui va donner la mort, que 1'Artifte 1'a repréfentée ; elle doit donc éprouver dans cct inftant le fentiment de la douleur que le coup qu'elle recoit lui occafionne, & celui dc la joie que lui donne la certitude d'aller jouir de la félicité éternclle. Dans quatre petites niches diftribuées dans les penditifs, on a placé la vérité , 1'cfpérance , la foi & la charité ; ces quatre groupes font traités en marbre & dc proportion appellée de petits modeles. Les groupes de la vérité & dc la foi font compofés & exécutés froidement; la foi eft repréfentée tenant d'une main un calice & ayant fur les yeux un voile que 1'Artifte a travaillé avec aflez d'art pour qu'il paro'fle tranfparent, au point de lailfcr appercevoir les ycux de la figure; ce groupe eft de Gripello r  330 Le Voyageur les trois autres font dc Vandelen ; celui de 1'efpérance eft fpirituellement penfé, mais bien inferieur a celui dc la charité, qui des quatre eft le plus parfait; il eft d'un beau caraclere : penféc , exécution , tout y eft digne d'éloge ; 1'enfemble en eft admirablc , & les détrdls en font intércflans; rexprcffion en eft vrai, c'eft celle de la nature même. Deux petits génies , placés dans la partie droite de la Chapelle , font admirables; ils font en regard ; 1'un tient un flambeau allumé , 1'autre un flambeau éteint : tous deux font dc Gripello. On a place dans la vouffurc de la Chapelle, des génies cn demireliefs , qu'on m'a dit être de Duquefnois ; mais ils font fi monotones, fi maniérés , fi mauvais enfin , que je nc puis croire qu'ils foient de ce maitre. On m'a voit dit qu'il y avoit plufieurs maufolées dignes d'être vus dans 1'Eglife des petits Carmes de cette Ville ; j'y fus, & lefeul que j'y vis qui me parut méritcr quelqu'attention , eft celui d'un Don Anto-  ba ns les Pa vs-Bas. «jt trio dc-Rivilla-Gallo : lifcorripofition en eft médiocre , mais deux figures traitées en caïiatides, qui font partie de fa dé^ coration , font d'un bon genre , bien compofées & bien drapées. Le nombre des maufolées qui font dans la Collégiale de Ste. Gudule, qm eft la principale Eglife de cette Ville, eft infini. Un écrivain de cette Ville a pris la peine il y a quelques années, d'cn faire la defcription; il n'a pas fait grace a fes Le&eurs de la plus petite épitaphe. J'ai examiné tous ces maufolées: deux feuls m'ont paru dignes d'attention ; 1'un eft celui du Prince Erneft, qui eft dans une Chapellc de la Vierge ; il s'annonce .avec qine forte de prétention : la figure du héros eft mal & médiocrement couché & n'a nul caraaere ; mais les deux foldats qui paroifient foutenir letombcau , font bien de coftumes & afiez eorreaes de dcflin : leur air de tête a de Pexprcffion , mais leur pofition n'eft pas heuxeufe ; elle n'eft même pas poffible. L'au-  33* Le Voyageur. rrc maufolée eft "moins apparent, mais bien plus eftimable ; il eft adofle contre un pillier faifant face a la Chapelle dans laquellc eft lc tombeau d'Erneft ; il renfermc les cendres d'Anne Schotten , dont le portrait eft encadré dans ce petit maufolée ; ce portrait eft de Vandick , & 1'un des mcilleurs qu'ait faits eet Artifte : il eft encore d'une fraicheur étonnante. i 0° voyoit il y a quelques annéesdans une rue qu'on nomme la Bcrg-ftraet, & dans üne niche très-fombre & frès-fale, pratiquéc au-dcffus du portail dc la Chapelle Ste. Anne ( appartenante a la communauté des bouchers de cette Ville ), un groupc repréfentant la Ste. Titulaire & la Vierge , traité cn pierre par Henri Duquefnoy : un Francois le remarqua , en connut les beautés, comme Dclvaux les avoit auffi remarquécs auparavant & en fit publiquement 1'éloge. Les adminiftrateurs de cette Chapelle firent óter ce groupe de fa première niche & le phr cerent dans celle qui décore le Maitre-  dans les Pays-Bas. 333 Autel, oü il eft maintenant expofé a la vénération des fideles; mais pour mcttre (foi-difant ) ce délicicux morceau i\ ï'abri des injures du tems', ils le fircnt couvrir d'un vernis bien brillant & épais , qui a öté a cette belle produétion toute cette fleur de cifeau , qu'on ne peut plus lui rendre : la tête de Ste. Anne eft de la plus grande beauté ; rien n'eft plus joli, ni plus fpirituel que celle de la Vierge. Je fuis, &c.  334 Le Voyageur. LETTRE XXXII. Bruxelles , ce.. .. Oclobre 1782. XjES habitans des Pays-Bas Autrichiens , Monfieur , font grands partifans, de nouveiles; ils ne lc .cedent en cela qu'a nos bons amis les Anglois. Toutes les gazettes, tous les journaux politiques affluent ici: on y lit jufqu'a la Gazette de Liege; mais les plus accréditées font celles de Leyde, du Bas-Rhin & de Gand ; le Rédacteur de celle-ci, écrite en Flamand, poffede mieux que fes confrères Part de prédire; il prévient fouvent les événemens avec un bonheur qui lui a acquis un grand crédit parmi fes Lefteurs : ils le croient bien mi^tix fervi par fes correfpondans que ne le font les autres folliculaires de fon efpece. Le débit de la Gazette Francoife de Bruxelles s'étend jufqu'a 1'étranger. 11 n'y a pas de Pays  dansles Pays-Bas. 335 mieux fitüé que Bruxelles peur faire unc Gazette très-intércffvrnte; elle pourroit prévenirles autres & rendre compte des événemens prefqu'au moment oü ils arriv eroient.'Je nelis ici aucune Gazette, paree qu'au moyen d'une feuille intitulée 1'Efprit des Gazettes , qni paroit toutes les femaines, je fuis inftruit de tout ce que contient chacune d'elles:li cette feuille perce jufqu'cn France, elle y fera bien accucillic : elle ne coüte qu'unc bagatelle , & chaque Gazette fe paie fort chcr. Nous avons auffi ici unc feuille d'annonce calquéefur celle que nous nommons petite affiche, qui eft bien moins intéreffante, paree qu elle n'intércffe pas comme la feuille d'annonce de Bruxelles , toutes les branches de commerce : elle eft pour toutes les Provinces des Pays-Bas de la domination de S. M. Imp Ce qui rend encore cette feuille d'annonce interenante , ce font les nouvclles loix que donne le Souverain & qui y font rapportécs en entier. Quant aux Journauxlittéraires, il nes'en  3^6 Le Voyageur. imprime plus a Bruxelles.' Lc Mcrcure de France, l'efprit des Journaux & le Journal dc Luxembourg , font ceux qu'on y In le plus; mais quand il y auroit encore aujourd'hui autant de Journaliftcs a Paris qu'il y cn avoit il y a 10 a u ans, & qu'il y en a encore préfentement a Londres , je ne pourrois me difpenfer de vous entretenir d'un joli recueil dc poéfies du Prince de Ligne , qui a été impnmé il y a quelques mois fous fes yeux ' & dans fon Hötel. Ceux auxquels il en fait cadeau, sürs de lui déplaire s'ils le communiquoient aux Libraires , ces Libraires, a leur grand regret, ne peuvent en faire une comrefaétion , & les Journaliftcs par conféquent font dans 1'impuiffance de le faire connoïtre a leurs Lecteurs. Ce recueil, qui forme trois petits volumes, eft bien imprimé. II ne faut pas juger les poéfies du Prince de Ligne avec la même févérité que celles des Poëtes ordinaires qui ne verfifient que pour le Public, qui courent après la célébrité  dans les Pays-Bas. 33? célébrité & buttent même a 1'immortalité. Chez eux tout eft foigné , méthodiquement arrangé ; ils ne fe pardonneroicnt pas la plus petite négligence : ils veulent être fublimes, mais quand ils lc font, leurs chants divins produifent-ils fur ceux qui les entendent, le même effet que produifoient les chants négligés des Lafarre & des Chaulicux 1 Ces heureufes négligences de 1'aimable Auteur duVervert, ne vous ont-elles pas, Monficur , procuré plus de plaifir que ces traits de génie du grand Roufleau qui lui cn faifoit un crime ") Tout eft efprit dans 1'Epitre au Pere Bougeant, tout eft fentiment dans celle a fa fceur. J'ai lu nombre de fois 1'unc & 1'autre avec un égal plaifir, & 1'Ode a la fortune ne m'en a procuré qu'une fois. Voltaire eft fublime quand il chante Henri IV , mais il eft charmant dans fes vers auPréfidcnt Hainaut, & toutes les fois qu'il badine & folatre avec les mufes. Les chants du Prince de Ligne font ceux de la gaicté & du fentiment. V. Partie. P  338 Le Voyageur. II chantc 1'amour comme Anacréon le chantoit : on voit le prix qu'il attaché a fes faveurs, mais qu'il n'eft pas fon efclavc. S'il a brülé quelques giains d'encens fur les Autels de Bacchus, ca été fans attacher aucune valeur aux faveurs de ce Dieu. On a trop chanté Bacchus, J'aime une Iarme de Vénus Plus que tout le jus de la treiHe. Dans le Vaudeville ,1e Prince de Ligne a le naturel dc Panard , l'efprit de Fuxelier , la gaieté aimable & variée de Coló & la fuavité de Moreau :il badine comme Grcffet, il eft délicat comme Bouflers , naturel comme Nivernois : il a leur tour , leur élégance; on nc dira pas de lui, l'efprit qu'on veut avoir, gdte celui qu'on a : fa gaieté n'eft pas celle de l'épaiffe opulence , c'eft celle de l'efprit, celle de Voltaire, qui attire & fixe les ris & les jcux. Ceux qui approchent du Prince dc  dans les Pays-Bas. 339 Ligne le reconnoiflent dans les traits qu'il a donnés a Henri IV, dans le couplet fuivant. Henri Quatre , Savoit battre , Rire , boire , aimer , chanter , La viftoire , * - A la gloire Devoit 'ttiujours le porter. Rien n'eft plus vrai que ce qu'il dit de lui-même dans le trois couplets fuivans. Avec la gaieté, La fanté, TJn ceeur aflez fenfible; Pour le plaifir du penchant, Pour le fervir quelque talent D'un air alfez rifible: Je fuis né fort heureux, Très-heureux Et toujours amoureux. P a  34 Le V ota6zdi Aifément content Ne voyant Jamais rien d'impoflible, Pour tout ayant prefque du gout, Sachant nrer parti de tout , Mais trouvant toutriüble: Je fuis, &c. Mon amufement Cependant Cede au pouvoir terrible Qu'a fur moi mon feu] métier, Car je m'y livre tout entier; Hors lui, tout m'eft rifible : Je fuis, Sec. On trouve dans le Recueil du Prince de Ligne le récit d'un voyage qu'il a fait de Bruxelles a Paris. B eft dans ce recit plus gai, plus aimable, plus varié & auffi naturel que Bachaumont. A cöté de fes poéfies légeres dont je viens de vous parler , on eft étonué de trouver  dans les Pays-Bas. 54* deux Odes ; Pune a été adrcffée au Pere Grifet, 1'autre a été faite è 1'occafion de la mort d'un des fils du Prince. La ftrophe que je vais vous rapportcr de celle-ci , fuffira pour vous faire connoïtre que la grande poéfic n'eft pas étrangere a ce Prince & qu'il fait tirer de fa lyre des fons forts & harmonicux. Aux plaines de la Siléfie, Mes camarades expirans, Des monceaux de foldats fans vie , Stolberg au milieu des mourans. . .. Ainfi qu'après un grand orage, Et des Aquilons le ravage, Les plus grands arbres font couchés , Tels arrêtés dans leur carrière, De Héros mordant la pouffiere , Nos champs de Mars étoient jonchés. La tradu&ion de 1'Ode d'Horace Anguftarn amiei pauperiem pati, eft de la plus grande exaéfitude. Tous les traits de 1'Original font conftrvés ; il y en a même plufieurs que le traducleur a cmbellis fans les avoir aucunement altérés. P 3  342 Le Voyageur. Le Prince de Ligne en eu voyant cette traduftion a M. Fitzherbert, qui eft ici Miniftre de S. M. B. y joignit les vers fuivans. Savant comme un vieux Grec , profond comme un Anglois, Franc comme un Suilfe , & gai par fois comme un Francois, De Sparte pofiedant fouvent Ie I.aconique , Mais le perdant toujours pour vanter fon tragique ; Pareffeux comme un Turc , fleuri comme un Romain, Comme moi Philofophe & meilleur citoyen , Tu re'unis toujours I'urbanité d'Athènes A Ia vertu des loix Sc des mceurs anciennes; Ton fens froid eft plaifant, & ton ame eft en paix; Ne changes rien en toi, quoiqu'on fafie & qu'on dife, Tes tors ne font jamais les torts de la fottife: Je ne haïs que ceux-Ia. Les tiens me font plaifir, Ton ceeur n'en a jamais. Amufe ton loifir,  dans les Pays-Bas. 343 Un moment a me lire k cöte de 1'Horace , Quoiqu'ainfi prés de lui je tienne mal ma place* Et fi tu veux r'uquer ton goüt, ton jugement, Que ce foit, Fitzherbert, pour la vie, en m'aimant. Je fuis, &c. P 4  544 L-e Voyageur. L E T T R E XXXIII. Bruxelles , ce. . .. 0&*« 1782. Vous êtes dans 1'erreur , Monfieur on boit a Bruxelles d'auffi bon vin qu'a fans, & cn général même meilleur chez ceux qui le tirent direcïement & qui cn ont dans leurs caves leurs proviiions. Comme lc vin n'eft pas ici la boiifon ordinaire , qu'il n'y a que les gens aiiés qui cn faflem journellement ufage, & que le plus excellent vin ne paie pas plus de droits (a) & de frais de tranfport que (a) Les vins s'achetent au muid, au tonneau ou a Ia queue, fuivant I'ufage du pays du crü, & Jeur prix dépend de leur qualité. Les vins qui viennent de Nantes paient avant que d'entrer fur Ie territoire de S. M. Lmp. dans les Pays-Bas. Le tonneau qui fait quatre pieces ou futailles de Nantes.  BANS LBS PAYSiBAS. 345 le plus médiocre, il ne feroit pasraifpnnable d'économifer fur le prix de 1'achat- 1°. Pour roullage & magafinage , argent de France. I liv. 8 f. o d. i°. Pour rabattage. 0.8.0 3 o. Droits de fortie. 3 . iy . O 4°. Gabarage & conduite a bord. . 2. . 'O . O J 0. Droit de courtage un demi pour cent du prix du vin. 6° . Droit de commiiïïon a X pour cent du total. 70. Le frét & les avaries , fuivant les circonftances , mais on peut les eltimer depuis 28 jufqu'a 48 florins. Quand le vin entre fur les terres de S. M. Imp. il paie. 1°. Droits d'entrée. 14 fl. af. 8 d. 2.0. Droits de Craen. o . 1% . 4 3°. L'arrimage. . 0.2.4 40. Au tonnelier. . 0.6.0 j°. Pour 1'engiftrement du billet de thol- . O . 9 . O 6 0 . Droits de commiffion 2l 2 pour cent. 7 0. Rembourfement des ports de lettres. P 5  546 Le Voyageur. II y a cependaat cette différcnce entte les vins qu'on boit ici & ceux qu'on con- 8.Fret de Bruges ou d'Of- fl. f. d. tende a Bruxelles. . 6.0.0 90. Droit de paflage a Gand 0.3.0 lo°. En entrant dans le Brabant par aime , dont il y en a 6 dans chaque tonneau a . 14 . o 11°. Droit de confommation aux Etats. . 8.0.0 12 0 . Droit de confommation a la Ville , vin blanc. 7 . 10 . o Vin rouge. . . Io . 10 . o 13. Aux encaveurs jurés. o . 10 . o Vins de Bourgogne. JL/Es vins de Bourgogne fe vendent par queue. Deux pieces font une queue & chaque piece contient une aime trois quarts. Les vins de Ch.impagne s'achetent a la queue & chaque queue contient une aime & demie. Leur prix varie. En France les vins de Cham-  dansles Pays-Bas. 34? fomme a Paris, c'eft que ceux-la font liguoreux & que ceux-ci ne le font pas. pagne vendus pour les Pays-Bas Autrichiens paient outre le prix. 1 o . pour barage & foutirage 4«Yr 0 f' 0 d*. 20. Droit de commiffton a y pour cent. 3 °. Droit de fortie. . 12 . o . o 4 0 . Pour voiture jufqu'a Bruxelles depuis 2J livres jufqu'a 26 livres. . . 26 . o . o Le prix d'achat & le droit de commiffion , non' compris , la piece de vin de Champagne , paie avant que de parvenir en Brabant 42 liv. ce qui fait argent courant fl. fois. den. de Brabant. . . . 22 . 17 . o En entrant dans le Brabant cette piece paie. i ° . A 1'entrée du territoire de S. M. Imp. . 14 . o . o 20. Au paiïage de Lembecq & de Thubife. . o . 4 . I 3 0 . A Pentrée du Brabant a raifon de jo fois par aime. . • • .4.1.0 P 6  *>4^ Le Voyageur. C'eft 1'affaire du goüt trahit fua quemqut voluptas; mais ce goüt n'eft pas tcllement 4°. Droits de Ville arai- fl. fois. den. fon de 10 florins 10 fois par aime de vin rouge. . . IJ . ly . o J °. Droits des Etats pour le même vin, \ raifon de 8 florins. . . . ii . o o 6° . Pour droits des encaveurs jurés, ci. . . O . if . q Ainfi une piece de vin de Champagne revient au ^— Marchand de vin a Bruxelles * • • • • 69 A- li f- J d. J'ai cru devoir faire part aux Marchandsde vin du Brabant de ce qu'on m'a dit de la conduite peu fcrupuleufe que tiennent leurs commiffionnaires de Bourgogne & de Champagne: Ia connoiffant, je penfe que les Marchands du Brabant abandonneront I'ufage oü ils font de charger ces commiffionnaires de faire leurs achats. II me paroït que les Marchands de vin de Bruxelles devroient aller eux-mémes faire leurs achats , & pour cela ils pourroient fe réunir & envoyer tous les am un d'eux  dans les Pays'Bas. 549 général, qu'il n'y ait ici nombre de vrais gourmets qui rejettent les vins liquoreux. qui feroit les achats dans chaque pays, tant pour lui que pour fes confrères. Tous les commiffionnaires de Bourgogne & de Champagne donnent un an de crédit aux acheteurs. Dans les autres Provinces de Vignobles de France, Iacheteur connu, n'a qu'un crédit de y a 6 mois au plus. Les pieces de vin de Champagne ou de Bourgogne que les commiffionnaires achetent, ne font°cerclées que de trois cercles vers les garlures ou extrémités , & de trois autres cercles de chaque cóté vers le milieu. La barre ou planche qui fertde travers aux deux fonds, eft très-mince & attachée légérement par y chevilles de bois de chaque cöté. Quand Ie commifiionnaire achete pour fon commertant de Bruxelles une de ces pieces de vin, il fubftitue une nouvelle barre de fond a celle qui fe trouve a la piece. Cette nouvelle barre eft beaucoup plus épaiffe , & au moyen d'un levier , il la fait entrer, & au moyen de quoi on rtnfonce le fond fans qu'on puiffe s'en ap* percevoir. II fait öter les 6 cercles de chaque cöié , qui deviennent inutiles au moyen des  550 Le Voyageur. Ils veulent que le Bourgogne alt le bouquet, & lc champagne une faveur piquante & fpiritueufc , que celui dc Bordeaux donne une douce chalcur, & que nouveaux qu'il leur fubftitue, & qui, p|us étroits que ceux dont ils occupoient Ia place ' n'entrent qu'a force de coup de maillet & de chalfoirs , de maniere que les douves & les fonds font plus relTerrés qu'ils n'e'toient, & il en réfulte auffi que la piece a moins de' contenance. On peut hardiment dire qu'elle contient ao bouteilles de moins qu'elle n'en contenoit auparavant, ce qui fait Io pour cent de perte pour le Marchand étranger pour qui eft la piece , & c'eft Ie commiffionnaire qui en profite. II a en outre cinq pour cent du vendeur , ainfi en joignant les y pour cent que lui paie 1'acbeteur au y pour cent du vendeur & aux ïo p0Ur cent de retréciflement de Ia piece, Ie commiffionnaire aio pour cent de commiffion > a quoi il faut encore .jouter 4 liv. qu'il fait payer pour Ie foutir ge & le barage. Un feul homme peut founrer chaque jour 40 pieces de vin; un feul homme en peut barrer y & fa j0Urnée n'eft que de 30 fois, que lui paie le commiffionnaire'  dans les Pays-Bas. 351 celui de Juranfön ait le parfum de la truffc. Lc commun des buveurs prérere le vin blanc au rouge : ft peine connoiffoit-on celui-ci il y a vingt ans dans tout le Brabant. Le Baron de Bon, notre Envoyé è la Cour de^Bruxelles en introduifit , pour ainfi dire , Pufagc parmi les Brabancons; cc fut lui qui leur petfuada de préférer les vins qu'ils pourroient tirer directement du Port de Cette, a ceux que les Hollandois leur apportoicnt: ces vins étoient les petits vins blancs de la Touraine que les Hollandois alloient prendre g Nantes & qu'ils apportoient aux Brabancons. Aujourd'hui ce font les navires Brabancons qui vont les chercher. Dans les bonnes années ces vins coütcnt fur le cru a a 3 fois dc France la bouteille, pintc dc Paris. II s'en fait une grande confommation dans les Pays-Bas Autrichiens , mais leuts habitans ne les trouvent agréables qu'autant qu'ils font clairs comme de 1'cau de roche & miéleux comme de 1'Hydromele. Les vilis de  *52 Le VoYASBün Graves, de Mufeaux & ces jolis vins blancs de Champagne, qu'on nomme vins de riviere, ne font pas généralement ici goütcs. Des Marchands de vin m'ont dit qu'ils avoient vainement tenté d'en introduire 1'ufage, & qu'ils s étoient toujours débarraffés avec la plus grande pcine de ceux qu'ils avoient fait venir. Ces vins, leur difoit-on , nc produdent pas une fenfation agréablc; 1'un fent Ia pierre a fuiil, Pautre a quelques parfums; mais les vins blancs dc la riviere de Nantes ont du fuc & fo„t Hm. pides comme Peau. Ce fucre & cette limpidité des vins blancs qu'on vend ici , eft Pefiet d un procédé bien fimple. Le Marchand de vin auffi-töt qu'il les recoit les paffe fur Ie lait & jete dans le tónneau qui les renferme, quelques livres de fucre. C'eft auffi avec le fucre que les Marchands de vin donnent au vin rouge plus de liqueur que la nature ne lui en a donnée, & s'il eft tropfoible, ils ont recours a Peau-dc-vie. Quant aux vins  dans les Pays-Bas. 35S dc liqueur , les vins fecs , tel que le vin de Serres, ne font pas fortune ici : on leur préfere les vins d'Efpagne, & furtout celui de Malaga, qui, dit la calomnie, eft bralfé a Bruxelles & non fur la cöte dc Malaga. La calomnie ou plutot 1'cnvic , ne s'en tient pas la; elle prétend que les marchands de vin de ces pays plus habiles dans 1'art de travailler leurs vins que ne le font les vignerons dans celui de fabriquer le leur , ne font pas fcrupulcux dans le choix des ingrédiens qu'ils emploient. On veut même que plufieurs de ces ingrédiens foient de véritables poifons lents., qui , après avoir fait éprouver aux buveurs mille maux dont ils ignorent la canfc , les envoient en 1'autre monde. J'ai tant de peine a croire les autres capables de faire ce que je ne ferois pas , que je ne puis me perfuader que les marchands de vin de Bruxelles, du Brabant & même d'aucun pays, fe permettent de gaieté de coeur d'empoifonner leurs citoyens. Ce qui me  554 Le Voyageur. fait douter de cette inculpation, c'eft que perfonne n'a pu me citer un de ces marchands de vin qui ait encore cté puni. Nous avons en France nombre dexemplcs dc Marchands de vins qui pour avoir travaillé leurs vins, fans eraploycr des drogues nuiübles, ont cté trèsféverement punis, & je ne crois d après tout ce qu'on m'a dit de 3a vigilance des Magiftrats de la police , qu'un crime auffi atrocc que le feroit celui d'un Marchand de vin convaincu d'avoir employé des drogues nuiübles a la fanté, foit refté jufqu'a préfent impuni dans Bruxelles. Ce que je puis vous aflurcr, c'eft que depuis que je fuis ici, je n'ai pas le plus léger reproche a faire au Marchand qui me fournit mon vin. Jamais fon vin ne m'a incommodé, & ceux qui en ont bu chez moi, ne m'en ont jamais fait le plus petit reproche. J'ai fait plus; je Pai fait décompofer a différentes fois par le plus habile chymifte de la Ville , & il ne s'y eft jamais trouvé la plus pe-  n 4 ns les Pats-Bas. 355 tite particule hétérogene. Aucun de ceux qui achctcnt leurs vins chez les Marchands , ne m'ont dit 1'avoir trouve felcifié Si les Marchands de vin de Bruxelles „e vendentpas leur vin tel qu'ils le recoivent , c'eft lafautcdeceuxqui le eur achetent. II faut , pour que ce vin leur plaife, qu'il ait un goüt, une faveur que la nature ne lui a pas donné, & qud nc peut tcnir que de 1'art. Nou. «mon. les vins fecs, les Brabancons lm preferent celui qui eft doux : il faut donc que celui qui le vend le travaille pour qu'il le devienne. La feule chofe qu'on peutexiger dc lui, c'eft qu'il n'y emploie pas des drogues nuiübles a la fanté. Si les Marchands de vin de Bruxelles & des autres villes du Brabant falfifioient leurs vins comme on les en accufe, feroient-ils comme ils le font, les pourvoyeurs dun h erand nombre dc Princes d'Allemagne 3 Je ne fais pas fi le Roi de Pruffe tire encore fes vins de France d'un Marchand de Bruxelles, mais je fuis certain que cela  35°" Le Voyageur. étoit autrefois. Tandis qu'il 6toit en Bo. "me.la têtc dc fon armée unie è celle ae trance , on lui remit fur-le-champ de batad une lcttre defonmarchanddcvio de Bruxelles; il la lut & lui répondit furle-ebamp. J'ai re9u votre lettre, point tant de majejié, & du tneilleur vin&incejfamment, je. donnerai ordre qu'on vous Mepajfer de /'argent. Je tiens cette anec£ote d'une perfonne qui étoit alors a Bruxelles, t]l,i avoit fait la lettre du marcnand dc vin qui lui en fit voir la réponic auffi-töt qu'il 1'eut recuc.. O la plaifanteidée, Monfieur, qu'on a ici. Des perfonnes y croient que le cidre n'y eft rare que paree que les mar. chands de vin ont le fecret de le métamorphofer en vin. Je ne vöis pas ici de cidre , difois-je un jour a un habitant de Bruxelles ; eji-ce qu'on n'en recueillepas dans le Brabant, dont le fol & h climat me paroiffent cependant auffi propre; a la culture du pommier que ceux de la Normandie &de la Bretagne? Si le cidre  dans iiEs Pays-Bas. 357 me répondit-il, n'eft pas aujji commiin ■ici qu'il pourroit l'être, c'eft qu'on a le 'fecret de le tranfmuer en vin com- ment cela eft aifé. Un .marchand de vin achete une piece de cidre 6 refoit en même-temps une piece de vin blanc ; trois ou quatre jours après , iln'a plus de cidre dans fa cave, mais ils'y trouve deux pieces de vin. II n'a fallu pour cela que dire au cidre qui a pris dans le tonneau de vin , la place du vin qui y étoit, & au cidre refté dans le tonneau oh s'eft introduit la moitié du tonneau de vin, foit du vin, & d l'inftant ce cidre eft devenu du vin auffi vin que celui qui fort du preffoir mais que gagnele marchand de vin a faire cette mixtion... trés-gros. La pice de vin en entrant dans le Bra-, bant & daus Bruxelles, a payé de trisgros droits , & quand elle rejfortde Bruxelles & du Brabant, ces droits devant lui être reftitués , le marchand de vin refoit la reftitution des droits de la piece fortie , & celle qu'il vend a Bruxelles, dont Va-  35^ Le Voyageur. chetur lui paie les droits, ne lui a coutè aucuns droits ...fi cela eft ainfi, vos mar- ehands font nolite judicare ne judi* ccmini. Les- marchands de vin font ce que font tous les hommes. Depuis le fceptre jufqu'a la houlette , chacun penfe pour foi, agit pour fon intérêt, & le jufte & Vinjnfte eft toujours conditionnel : c'eft Vintirêt perfonnel qui lui donne fa vé itahle qualiftcation Mais comment celui qui achete une piece de vin blanc coupé avec moitié ou quart de cidre, peut-il ne pas s'appercevoir de la tromperie. .. cela eft aifé a concevoir; ces vins coupés ne fe vendent point dans la ville, mais aux cabaretiers de campagne & d'ailleurs. Vaction de Vimagination eftfiforte dans l'homme , que je crois que fans elle, Vhomme feroit privé de toute efpece de fenfation. De quelque efpece que foient nos fen* fations , je les crois toutes plus ou moins d épendantes de notre imagination. II m'arriva un jour dans ma jeuneffc d'avoir une fantaifie pour une jeune perfonne d'une  dans lïs Pays-Bas. 359 blancheur éblouifiante 5 une de ces infaines créatures qui trafiquent des charmes de 1'innocence Ö* du vice, s'engagea, moyennant une fomme que je lui premis, de me rendre heureux : elle dnt parole ; je paflai unc nuit délicieufe dans les bras du prétendu objet de mes defirs j mais quel fut mon étonnement de trouyer a mes cótés de toutes les négrefles la plus négrefle. Je jettai un cri percent, la femme accourut, demanda fon paiement; dans ma colere, je voulus le lui refufer : JVlonfieur, me dit-elle , du plus grand fang-froid du monde, je vous ai promis de vous rendre heureux, 1'avezyous ctél je n'eus rien a répondre ckje payai. Je crois , Monfieur , vous avoir dit dans une dc mes préecdentes lettres , que la France avoit tous les ans fur les PaysBas Autrichiens Pavantage de 13 millions de balance. De quelque maniere que ces 13 millions foient paycs a la France, ls 1 e font; mais n'y auroit-il pas moyen  *°o Le Voyageur. qu'ils ne Ie foient pas , fi ce n'eft en tout, du moins en partie. je crois qu'on le pourroit : il nc faudroit pour cela que dimmucr dans les Pays-Bas Autrichiens , la confommation des vins & des eauxde-viedc France. Les vins d'Hongrie font excellens ; je les crois préférables a ceux dc nos Provinces mcridionales dontilfe fait dans ces Pays-ci une tres-grande confommation. En affranchiffant les vins de Hongrie de toutes eipeces de droits, le Souverain , les Etats & les Villes offriroient aux Brabancons, aux Flamands & autres fujets de S. M. Imp. un appas fcduifant auquel je doute fort qu'ils réfiftaflent : ces vins fupportent la mer; on pourroit en les faifant paflbr par le tirol, les conduire jufqu'a la mer, & de-la les cmbarquant en Italië , les faire parvenir è Oftende. Je fuis, &c Fin de la Cinquieme Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O U LE TT RE S Sur 1'état a&uel de ces Pays1. Felix qui potuit rcrum cognofcere caufas! VlRGILE. •' ... — j; TOME PREMIER. Sixieme Partie. A AMSTERDAM, Chez Changüion, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DGC. LXXXII.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. LETTRE XXXIV. Bruxelles, ce .. . Novembre 1782. Nous n'avons, Monfieur, ici qu'un Spcaacle , mais ce Speaacle réunit tous lies genres, tragedie, comédie , opéracomique , ballets, même le grand opéra. ; Denneterre , qui en fut pendant pluiieurs années le Direéteur , lui avoit acquisune forte de célébrité qui le faifoit regarder comme le meilleur de 1'Europe après ceux de Paris. d'Ennetcrre poffédoit fupérieuQ 2  3^4 Le Voyageur. rement fon art; il le raifonnöit autant cn 1 pnuoiopne qu'en amfte : plufieurs de fesi t,CVtó UIJt P^ru avec diitinction fur lai Scène Francoife. Si le Spedacle * Bruxel- • les n'eft plus aujourd'hui ce qu'il étoit: du temps de d'Enneterre , il eft encore : un des rtieilleurs de 1'Europe.' , La falie de Spedacle de Bruxelles eft fur unc place oü fe trouve 1'Hötel de la Monnoie : eet Hótel n'offre rien de remarquable'; la maffe cn eft affez bonne , les proportions des croifées font bien , mais 1'avant-corps & 1'attique font mauvais : ce batiment manque de caraclere. Si les armes du Souverain , affez mal exécutées, étoient ötées, eet Hótel ne paroïtroit plus que celui d'un fimple particulier :,la facade de la falie de Spedtacle qui fe trouve vis-a-vis de celle dc 1'Hötel de la Monnoie , eft d'un mérite moins que médiocre , ccpendant le fronton couronne affez heureufement 1'avantcorps ; la falie, qui a été conftruitc cn 1700, eft bien dans fon genre; Pavane-  kans les Pays-Bas. 365 fcène eft d'un heureux cara&erc , & le ton en général de cette décoration eft très-cfl-imable. Des cinq rangs de loges qui regnent autour de la falie , le 3ine. & le 4me. font trop écrafés : il n'auroit fallu que quatre rangs. Les décorations théatrales font, pour la plupart, très-bien entendues de perfpeftives, traitées avec goüt & d'un excellent effet. II eft peu de Théatrc en Europe mieux monté & plus riche dans cc genre dc richeffes. Quant sl 1'Orchcftre, fon mérite eft univerfellement reconnu , & cette partie effentielle d'un Speclacle , fur-tout aujourd'hui, ne laiffe ici fouvent rien a defircr. Peu d'Autcurs ici travaillent pour lc Théatre. Le Prince dc Ligne a fait jouer il y a quelquelqucs années un petit opéra, intitnlé les Samnites, M. dc Saint-Péravi un drame, Jc ne concois pas pourquoi on n'y a pas donné une tragédie (a) , intitulée (a) Une tragédie parjaite eft , ditAdiH'on, la plus noble produdion de la nature humaine : elle donne a l'ame le plaifir le plus délicieux & le plus inftrudif. Q s  •66 Le Voyageur. Sabinus dc M. Néel, ni un petit opéracomique de ?vlrs. Sourdon & Beaurepaire, qui viennent d'être imprimés. B y a dans la tragédie de M. Néel des fcènes dignei de nos plus grands Maitres , des fituations intéreflantes & un grand nombre de beaux vers: la pie:e de Mrs. Sourdon & Beaurepaire auroit plu par fa gaieté. J'ai hier vu leMeui portail d'Eglife qui mérite d'être remarqué ; c'eft celui des: .Auguftins : il n'eft pas parfait en fon genre, mais on peut dirc que 1'intenrion générale; en eft belle. Couberger , qui en a dirisé: la conftruction & donné les deftins , auroit du au moins divifer les maifes &■ répéter moins la forme vicieufe de fes; frontons. Cette décoration d'ailleurs nes manque ni d'harmonie , ni d'effet. II s'en: faut bien que les portails du grand Béguinage & de 1'Eglifc des ci-devaut Jéfuites , qu'on m'avoit beaucoup vanté ,. foient comparables a celui dc l'Eglites de* Auguttins : celui-ci a une élégancc & une: nobleffc de forme que n'ont pas ceux-laj  dans les Pays-Bas. 367 Une «ceCGvelourdeur, une pcfantca^ cenfion, de mauvais plans de mauvax. profils, un choix encore plus mauv-s d'ornemens , voila ce qui rend cesportails remarquables. B y a dans lEgMc des Auguftins une chairc d'une befte öï nobleLpHcité: les quatre Evangéhftes la fouüennent, & elle a pour accompagnement St. Auguftin&St. Thomas. Je ne vous dis rien de celle des Domimcams, nuoique ces bons peres aient grande envie qu'on la voie & qu'on la conüdere aVee attention: mais c'eft une Chapehe de leur Eglife , qu'on nomme la Chapelle des Efpagnols, qui mérite Patten* tion des curieus. Je crois qu'en fait d architeaure, il n'y a rien a Bruxelles qui foit plus eftimable. Le ton cn eft nob e & majeftueux, mais il lui manque dc la clarté : 1'Ordrc Corinthien qui caraaenfe fa décoration , y eft employé avec pureté. La vaftc niche , creufée au centre , de laquelle fe dévellope & s'éleve le Mattre-Autel, eft d'un très-bel effet, & cc Q 4  3^8 Le Voyageur. même Autel, a quelques détails prés, eft d'un trés-bon genre. Dans la partie oppoiée & au-deflus du jubé , eft un St. Jacques traité cn marbre par Van-Nerven : il eft d'une proportion un peu plus grande que nature : on ne peut pas dire que ce foit un chef-d'oeuvre, mais cette flatue eft bien pofte , d'un bel enfemble & drapée largement; la tête du Saint a beaucoup de caraéterc. Une fuite de médaillons peints cn grifaille, orne la frife ; ils repréfentent les principaux traits de la vie de la Vierge; Us ont certainement du ménte. Des tableaus de plus d'étenduc occupent les niches oppofées aux croifees : ces tablcaux font trés-fin de deffin & touche avec efprit; on m'a dit qu'ils étoient dc Van-Tulden. La chaire d'une Paroifle qu'on nomme des Fmiftenes, a auffi des partifans & même des admirateurs. La feule chofe qui m'en ait occupé, mais fans intérêt, font trois figures groupées fans efprit ; cependant 1'enfcmble s'éleve avec affez de  dans les Pays-Bas. 5°9 gtace: quant au faire, fi on en exccpte quelques parties de détails, le rcfte eft d'un mérite on ne peut pas plus médiocre. Le petit rien, lajolie petite creature, . qu'on nomme le Mannaken-Pis , eft la figure d'un enfant qui p'-ffe cn effet d°e très-bonnc eau, & qui fait la décoration d'une des fontaines dc Bruxelles: cette petite figure a été modelée par lc célebreDuquefnoi; on 1'a dorée & furdorée , & on lui a óté par-la une partie de fon mérite. Je ne vous parlcrai pas des autres fontaines , a 1'exccption de celle du grand Sablon dont je vous ai entretenu, les autres n'offrcnt rien de remar- ^Uable: Je fuis, &c. Q 5  37° Le Voyageur. LETTRE XXXV. Bruxelles ce Novetnbre 1782. Quand on eft, Monfieur, dans un pays étranger , il faut tout voir , même les antiquiiés, qui n'ont fouvent que le merite de la fingularité. Nous avons cté il y a quelques années voir le tréfor de St. Denis, & nous y avons paffé plufieurs heures a cxaminer des fabrcs, des c mronnes , des rcliques , qui certainement ne nous ont caufé aucune fenfation. Ici, Monfieur , il y a une collcciion d'antiquités qu'on conferve bien précieufement dans un dépot qu'on nomme Parfenal. Poar nous les pieces les plus intérelfantes de ce dépot, font lc grand étendart de France, pris par Charlcs-Quint a la batdllc de Pavie , & une épée que notre bon Henri IV envoya a 1'Archiduc Albert, pour lui faire connoitre qu'il lui  dans les Pays-Bas. $71 déclaroit la guerre. On n'y met pas aujourd'hui tant de formalité ; quand la fantaiüe de faire la guerre prend , on entre chez fon voifin , on pillc , on .mailacre ; on a pour maxime que ce qui eft bon a prendre eft bon a rendre. C'eft une maniere plus courte , mais qui rapprochc notre Gecle de celui des Gothes & dcsVcndales. Du temps du bon Henri, les Chefs des Nations agiffoient un peu plus loyalement; ils peloient lc fang de leurs fujets, ils ne pefent aujourd'hui que leur argent, & celui qui en a Ie plus attaque le premier & finit auifi le premief dc guerroycr , fi fes coffres font plutot vuidés que ceux dc fon ennemi. Je nc vous parlerai pas de la peau du cheval que 1'Infante Ifabelle montoit lorfqu'clle fit fon entree a Bruxelles, qu'on conferve bien précieufement dans 1'Arfcnal, ni des armes des différens Princes, qu'on y montre aux étrangers avec le même fafte & la même oftentation que les Moines étalent aux yeux des curieux Q 6  372 Le Voyageur. le prépucc de PEnfant Jéfus , le lak de la Vierge, ou \e£m de St. Jofeph. Parmi ces armes, il y a ccpendant une cuiraffe qui m'a frappé ; on y a gravé a la pointe du diaman plufieurs morceaux d'après Raphaël. L'on m'a dit que le Roi de Suede , Iors de fon paffage ici , cn avoit offert une fomme confidérable : c'eft un - morceauintéreffantpour quiconque aime les arts. Les armes de Montezuma qu'on y voit auffi, m'ont cependant plus occupé ; je n'ai pu les confidérer fans éprouver un fentiment d'indignation pour ceux qui Pen avoient dépouillés & 1'avoicnt immo'cs a leur avarice. L'ami qui m'avoh accompagné a 1'Arfenaf, me propofa , pour mc diftraire des idéés noires que m'avoit occafionnce la vue des armes de Montezuma, d'allcr vifiter Pattelier d'un Peintre nommé Crouckaert, dont je crois vous avoir déja parlé dans unc de mes précédentcs lettres: cc Peintre eut la complaifance de me faire voir une grande quantité d'efquifTes de lui, qui,  dans les Pays-Bas, 373 prcfque toutes, mc parurent mériter que je les examinaffe avec attenrion. Je vis enfuite deux jolis tableaux de Chevalet, 1'un repréfentant le jugement de Paris, 1'autre la toilette de Vcnus. Je remarquai dans 1'une comme dans 1'autre, d'cxcellentes parties. M. Crouckaert m engagca a cxaminer unc bachanale de lui, qui me parut d'un eflet très-piquant, & deux grands payfages que je trouvai ingénieufement compofés & d'une belle nature. J'irai voir demain 1'attelier d'un Peintre d'hiftoire & de payfage , nommé Simon : fes fillcs, m'a-t-on dit, peignent fupérieurement en mignature, & fur-tout le portrait; il eft rare qu'elles manquentla reiTcmblance. II eft ici un autre Artifte du même nom & d'un autre genre : il a une fabrique très-confidérable dc voitures ; il cn fait de toutes efpeces & pour toutes les Nations de 1'Europe : ces voitures ont unc < folidjté , une légéreté , une douceur & un élégance que n'ont pas celles de Paris  3f4 Le Voyageur. & de Londres. Toutes les pieces qui en* trent dans la compoütion de fes voitures , fe font chez lc lieur Simon , & c'eft auffi chez lui qu'on en peint les coffres & les trains. Je n'ai point vu de voiture plus élégante que celle qu'il a faite il n y a pas long-temps pour L. A. R. En général tous les trains dc voiture qui fe font a Bruxelles durent le doublé au moins de ceux de France. Cela vient plutöt cc la bonté du bois qu'emploicnt les charons , que de la fupériorité de leurs talens. Les bois qu'emploient les charons de Bruxedes, font d'une fermeté & même d'une dureté que n'ont pas les onnes cn France.' B eft rare que le moyeux d'une voiture francoife réfifte a la grande chaleur ou au mouvement rapide de la roue ; il s'ouvre tandis que le moyeux des voitures qu'on fait ici, n'éprouve aucune altération , quelquc foit le degré de chalcur. B fe faifoit autrcfois ici un commerce confidérable de tableaux. Le nombre dc  dan s les Pays-Bas. 375 ceux qui le font aujourd'hui n'eft pas grand', ce font principalement Mrs. Beitels , dc Roi & Mauriol: ils ont toujours chez eux plufieurs morceaux précieux. La plupart de ceux qui ont ici des cabinets , font comme nos amateurs de Paris; ils profitent des occalions qui fe préientent pour vendre leurs tableaux ou les óchanger contre d'autres qui leur plaifcnt davantage que ceux qu'ils poffedent. B s'en faut bien que le nombre des cabinets de tableaux foit aujourd'hui ici auffi grand qu'il l'étoit autrefois'; les tableaux ont fi fort augmenté de prix qu'il eft peu de particn'licrs dont la fortune foit affez confidérable pour qu'ils puiffent fe procurcr, comme ils auroient pa le faire autrefois , un auffi grand nombre de tableaux capitaux : les étrangers en ont tiré de Bruxelles depuis quelques années , une quantité étonnante , & furtout de Rubens, Vandick & Crayer.' B y a très-peu ici préfentement dc morceaux des écoles d'Itaiic & de France,  Le Voyageur. & moins encore de celle-ci que de cellcla:l'ccole Flamande & Hollandoife ya toujours eu la préférence. Mrs. Pawel & Orrion font ceux dont les cabinets font les plus riches, les mieux compofcs de tous ceux qui font ici. La facilité avec laquelle M. Pawel fait voir lc lien aux étrangcrs , la man ere dont il les recoit, font connoitre fon amour pour les arts. Un de mes amis m'a promis de me conduire chez lui; jc vous entretiendrai de fon cabinet lorfquc je 1'aurai vu. II nc me fera pas auffi aifé d'obtenir 1'entrce de celui de M. Orrion , qui, par une fingularitc alfez inconcevablc, nc jouit pas lui-même de fes richeffcs pittorefques : fes tableaux ne font pas expofés a fa vue ; ils font empilés les uns fur les autres, approchant comme le font dans un magafin des pieces d'étoffe, de maniere qu'on n'appercoit qu'une très-petite partie de la bordurc de chaque tableau Je vifiterai auffi les Eglifes oü il y a encore un grand nombre de trèsbeaux tableaux. La plus confidérablc de  E3 dans ti e s Pays-Bas. 377 ces Eglifes, eft Ste. Gudule ; je 1'ai vue aujourd'hui : elle eft Collégiale & Paroiffiale ; elle fut actievee de bat'u en 1273 i c'eft un bel édifice gothique, grand & qui a a Pintérieur la forme d'une croix, une nef & deux bas cótés; le Choeur en eft entiérement fermé , un jubé lc féparc de la nef : la voute eft fort élevéc; a chacun des pillers qui la foutiennent, on a attaché un Saint, Jéfus-Chrift & la Vierge : ces ftatues ont dix pieds de haut; les plus eftimécs font celles de Jéfus-Chrift, par Jean Vandelen, & de St. Barthelcmi, dc St. Mathias, de St. Thomas & de St. Paul par Duqucfnoi. Ceux qui aiment les vitrages bien peints, trouvent dans 1'Eglife de Ste. Gudule a fatisfaire leur goüt : cette EghTe renferme auffi un nombre coniidérablc de tableaux, dont quelques-uns méritent 1'attention des connoiifeurs, & principalement ceux de Crayer (a) : 1'un repréfenteSte. Apoline ; Crayer naquit a Anvers enJ.582; il fut difciple a Bruxelles de Raphaël Coxcic. Rubens  o"8 Le Voyageur il eft dans une Chapelle dédiée a Sr. Michel ; 1'autre fe voit dans la Chapellc Sr. Eloi : il repréfcnte Jéfus-Chrift debout, ayant a fes pieds David, St. Picrre , la Magdelaine & le bon larron. Dans la Cha- en le voyant travailler au tableau qu'on voit encore dans Ie réfecloire de l'Abbaye d'Afflighera , s'écria Crayer, Crayer, perfone ne vous furpajj'era. Crayer eft mort a 86 ans , ie 2.7 Janvier 1667. Crayer a autant travaillé que Rubens ; il avoit moins de feu que lui, mais fon deilïn étoit fouvent plus correcte, fes compofitions plus fages : il y faifoit entrer moins de figures que Rubens dans les fiennes. On oe voit pas dans Crayer de détails fuperflus : c'étoit principalement aux grandes parties qu'il s'attachoit:il les finiffoit toutes avec le plus grand foin; il groupoit fes figures avec un art infini; fes exprelTions avoient toute la vérité de la nature ; fes draperies font variées & pliées avec fimplicité. Peu de Peintres ont eu une fonte de couleur plus admirable que la fienne : il approche plus de Vandick que de Rubens. Les tableaux d'hiftoire de Crayer ont le fini & la fonte dei portraits de Vandick.  dans les Pays-Bas. 379 pelledeSt. Martin, on voit un portenen dc croix d'Ottovenius (a). Un excellent iorecau de ee^neMattrefcvou auffi dans la Chapelle de Notre-Dame de De ïivranee : c'eft une réfurreéKon Dans la Chapelle de St. Romuald eft un St. Jean PEvangilifte de Coxic. On voit encore du même Maitre, dans la Chapelle du St Sacreinent des miracles,. le tableau du Mattrc-Autcl, repréfentant la Cène: ee tableau eft bien compote, Wen gioupé & 1'Architeaure du fond eft lage & trös'-bonne : il eft facheux que la We des cierges qu'on bn.le dans cette Chapelle ait éteint unc partie du colons de cc beau tableau. Lc même Maitre a peint nrj le port d'Oftende mer&. P.8%,1. 18 , Hodemont, Hodimont. P. zo^ , /. lif, après ces mots du St. Empire, effacei la Scignetrrie de Malines. P. zo5, /20/e «^res cês /no« de Ste. Gertrude , ajoute\ & de Caudenberg. P, 19.9, l. lere. les quatre villes, /(/ïzjes trois villes. — I. 5 , Louvain & Malines , ótez & Maling. P. zjj , 1. 4 , du Surinam , life^ de Surinam. P. Z40, /. %% , de fa place, gerpétuel, lifei perpéiucl. P. 308 , /. zo , n'a pas , hfe\ n'a que. P. 30,9, /. zn, il eft certdin , lifisty il eft certain.