A /2 p /o   01 2123 3019 UB AMSTERDAM  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O u LE TT R E S Sur 1'état a£tuel de ces Pays. »- ~~ r=ss=F=r*- Felix qui potuir rerum cognolcere caulas! Virgilb. * =^ • TOME SECOND, Première Part ie. * $ 4-1 * ®; A AMSTERDAM, Cbez Changuion, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-FIon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. LXXXII.  L  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. lettre p r e m i e r 'e. Bruxelles, ce ... Novemhre 17'3a. Je n'ai pas vu, Monfieur , la bf ochure dont vous me parlez, & votre a' tni d'Oftende, qui vous 1'annonce cof iïUne une nouveauté littéraire & fatyrio uc , ne 1'a sürement pas plus vue que ■ moi. On en porie beaucoup ici, on I's .pprecie, on. la juge rnême, mais perfor ,ne ne dit a 2  4 Le Voyageür voir vue. Ceux qui en differtent n'cn rapportent que le titre , & c'eit d'après ce titre qu'on en devine 1'objet : on la dit de fabrique monacale & d'imprcffion Liégcoife. Tant qu'on nc m'en citera aucun paflagc , qu'on ne m'en rapportera aucun trait, je ferai perfuadé quiclle n'a pas d'autre exiftencc que celle de 1'enfant a la dent d'or. La plupart de ces Ouvrages font enfans dc la méchanceté excitée par la vengeance , la jaloufie ou 1'envie , & du befoin encouragé par 1'efpoir de 1'impunitc. La méchanceté les imagine , le befoin les fabrique : ils naiffent dans les ténebres , & 1'inftant oü ils voient le jour eft pour ceux qui le leur donne, celui du repentir, mais plus cncore des angoifes, du trouble, de 1'inquiétude & de la crainte. Je ne connois qu'un ouvrage de 1'efpece de celui que vous defirez que je vous envoie, qui ait furvécu a fon Auteur,c'eft celui du Comte de Buffi. Si c'étoit un libelle, c'étoit aufli 1'hiftoire d'une Cour galante, dont  DANS LïsPaYS-BaS. 5 les mceurs étoicnt celles de toutc la nar tion ; ce n'étoit pas 1'ouvrage d'un horame méchant, inais celui d'un courtifan inconfidéró, que fpn amour-propre avoit rendu fatyrique, mais qui n'avoit pas trempé fa plume dans le nel amerdela fatyre. L'ouvrage du Comte de Buiïi eft un des mieux écrits que nous ayons , & on n'y tronve pas, commc dans la plupart des libclles, de ces traits groffiers dont 1'cffet ordinaire eft de rcndre odicux ceux qui les lancent. II eft un moycn bicn fimple que je voudrois qu'on employat pour faire tornbcr un libellc; ce fcroit d'cn multiplier les exemplaires auffi-töt qu'il paroltroit. Vous avez vu, Monficur, comme moi, vendre a Paris jufqu'a ia a 15 liv. le cahier de cctte correfpondance du Chancelier Mopou & du Confeiller Sollouct. Plus le Chancelier fc tourmentoit pour en cmpêcher le dcbit, plus le débit en devenoit grand. Tout le monde vouloit avoir un ouvrage qui mortifioit & huA  6 LeVoyageur milioit celui qui dans ce moment-la étoit odieux a tous les ordres de 1'Etat. Si au-licu d'en recherche- les auteurs & de pourfuivre ceux qui le débitoient, on eüt fait contrcfaire & débitcr a vil prix cette corrcfpondance, cettc corrcfpondance n'auroit plus été rechcrchéc , & fes auteurs, raffurés par FindifFércnce qu'on leur auroit fait paroïtre, ou auroient cefie d'écrire , ou s'ils euficnt continué , ils le feroicnt conduits avec moins de circonfpeclion, & leurs Imprimeurs, a leur cxeraple , ne fc feroicnt point cachés, & les uns & les autres feroient devenus les vi&imcs de leur ennemi. Un mauvais livre , un livre dont le débit eft défendu , & fur-tout un libelle bicn fatyrique , bien méchant, eft le gagnc pain des colporteurs : il y en a pcu ici, mais s"il y cn avoit encore moins , le débit des libellos n'y fcroit pas fi grand, car les bons Libraires n'cn impriment ni n'en vendent. aucun. Je nefaispas, Monficur , quelles font  DANS LES PAYS-BAS. f les peines que les loix de ce pays-ci portent contre les libclliftes, mais je penfe qu'elles ne feroicnt pas moindres que celles que les loix Francoifcs veulcnt qu'on leur infli^c. Nous avens d'ancienncs loix qui condamnoient a la mort indiftin&emcnt tous les libclliftes , ainfi que les Imprirneurs & diftributeurs de libelles: les loix canoniques prononcent contrc-eux 1'excommunication. Dans tous les pays, ceux qui font un libelle contre le Souvcrain , fe rendent coupables du crime de lèze-Majeftc. Les loix romaincs prononcent contre-eux, commc contre les diftributeurs, la peinc capitale. En France les anciennes loix les condamnoient ïi la mort: cette pcine a cté auffi portee contre-eux par une déclaration de 1^57. Je crois avoir lu un arrêt du Parlement de Paris de 1584 , qui condamna a dtrc 'oc^du ~ bïldé un Gentilhommc nommé Belleville , qui avoit fait un libelle contre le Roi. Je me rappelle auffi un autre arrêt du meme Parlement A 4  8 Le Vota&eur de i586, qui condamna un Avocat a être brülé avec le livre qu'il avoit fait contre le Roi. On fait ici , commc par-tout ailleurs , une grande difTérence des injures verbales & des injures par écrit, & cela doit être: 1'injure verbale peut n'être que rcffet d'un premier mouvement & ne laifier qu'une impreffion fort légere quele temps efFacc, au-licu que 1'injure par écrit fuppofe ncccffairement dans celui qui Pa fait, une mah.ee réfiéchie , qui ïaifTe des traces toujours fubfiftantes fur le bien le plus prccieuxde la viecivile, qui eftl'honneur, & dont la perte doit être certaincment plus fcnfible que cclle de la vte. C'cft d'après cette idee que je me forme du libelle, que je regardc fon crime comme auffi contraire a 1'ordre de la fociété que celui de PafTaffin. Je puis défendre ma vic contte Pal&iSfl qui veut me !« rnvir, mais je fuis fans moyen de défendre mon honneur des coups que veut lui portcr le libelliftc. Nous avons une ancienne or-  wans LES PaïS-BaS. 9 donnance de 1561 , qui condamne a la mort le libellifte qui recidive après avoit été fouettc pour la première ibis ; une autre loi de 1563 , veut qu'il foit pendu & étranglé dès la première fois, ainfi que ceux qui impriment & débitent des libelles. La mêmc difpoiition fc trouve encore dans un édit de Janvier 1626. Les loix romaines n'infligeoient pas la peine de mort a ceux qui faifoient ou débitoient des libelles. Une de ces loix dit , fi quis publice aliquem difamuerit eique convicium fecerit, vel carmen famofurn condiderit ad alterius injuriam , fuftibus feriatur. Les loix francoiies laiffent la punition des libelliftcs a 1'arbitragcdes Juges, & je crois que celle qu'ils leur inffigent , le plus ordinairement, eft Tarnende honorable, lc bannlffcment, & quelquefois les galeres : ibuvent ils ordonnent que le libelle fera lacéré & brülc par la mam du bourreau. On a condamné en France des Imprimeurs au carcan pour avoir imprimé des libelles. J'ai vu a Londrcs un A 5  io LeVoyageur. Imprimcur fubir ceue peine pour avoir commis ce délit. II me paroit que les Juges en France ne puniflent pas avec a'iez de févérité les libelliftes qui aitaquent la réputarion de ceux qui par leur ctat, ont eiïentiellement befoin de la confervcr intacte. Le mal que fait un libelle a un fimple particulier qui n'cxercc aucune profellion, eft moins grand que le préjudice qu'il caufc a un marchand , a un commercant ou a un banquier , qui a befoin eficntiellement , quelque richc qu'il foit , dc conferver fon crédit, qui n'eft fondé ordinairement que fur la confidération dont il jouit, tant au - dehors qu'audedans : fi elle s'affoiblit, s'il la perd » la confiance qu'on a en lui éprouve le mêmc fort, & c'c&l'efFet que peut produire & que produit ordinairement un libelle qui , toujours lu avec avidité , n'eft jamais jugé d'après ce qu'il eft , & les morifs qui ont pu enga;er a le rendrc public. Si le leclcur ne donne pas une con-  dans i/Es Pays-Bas. ir fiancg enticre a tout cc que rapportc un libeilifte , du moins croit-il qu'il y a quelques-unes de fes inculpations qui font vraies. Un libelle peut caufer la ruïne dc la maifon de commerec la plus folide; il peut ötcr tout le crédit dc la maifon de banque la plus richc , c'eft alors que le libeilifte doit être puni avec la plus grande févérité. Pourquoi un faux témoin doit-il être puni de mort, & le libeilifte ne fubir qu'unc peine légere , tcllc que le bannilfement ou ramende honorable ^ Si le libeilifte frappe fur un hofflme en place , ion crime n'eft-U pas celui de qui bfe attaquer 1c Prince. Celui qui agit au noni du Prince & qui exerce une partie dc ion autoriié , ne repréfente-t-ü pas le Prince , & fi c'eft un Miniftre de la loi , contre lequél ie libeilifte dirige fes coups, ne frappe-t-il pas en même-temps le Prince & les loix 1 On doit eonfidercr tous les libelliftes comme des perturbateurs durepos public, qui doivent au moins être' pour toujours féqueftrés de la fociété. A 6  11 Le Voyageuh. **?pu:s qucl^e temps. Monücur, les habitans de ce pays , qui font bons , humains & généreux , font continuellement affaillis dc libelles : on ne les imprimepas ici, dit-on, mais on les y débite, & le mal qu'ils font eft d'autant plus grand , que perfonne n'invoque contr'cuxlc pouvoir dc la jufticc. On m'en aremis un il y a quelques jours,qui m'a paru réunir tout ce qui caraftérife un libelle;il eft d'autant plus répréhenfible qu'il attaque un corps d'autant plus refpctfable, qu'il tient au premier Tribunal dc juftice dc cette Provincc, & que c'eft de cc corps que font tirés les membres dc ce Tribunal : pour attaque- cc Corps , on y prend la dcfenfe des Capucins.il peut y avoir parmi les Avocats de Bruxellcs , des hommes dont la conduitepeut être blamablc , mais eft - cc une raifon pour les traiter tous , commc le fait 1'Auteur de cette brochure5? Je ne crois pas que Pauteur dc ce libelle le faffe connoïtre. Les Avocats en Corps ne demandcront pas que la juftice les venge ; il feroit au-deübus d'eax de le faire ;  dans LES PaYS-BaS. ij mais les autres pcrfonncs, dont la réputation eft attaquée dans ce libelle , auron t-elles la même indifférencc 1 Quelque temps auparavant que ce libelle parut, on cn avoit débité un autre contre un marchand ; mais celui qui a le plus révolté tous les honnêtes gens, a frappé fur un homme qui , de Paveu même de fes ennemis, polfede parfaitcment fon art; il eft chirurgien & très-expert pour les accouchemens : il a donné il y a quelque temps , un livre fur la préférence que devoit avoir un inftrument nommé lévier, fur celui dc Levrctte , qu'on nomme forceps. II étoit jufte de démontrer que c'étoit a tort qu'il fe fervoit de eet inftrument dans les accouchemens difficiles , mais falloit-il chercher a le diffamer cn tncttant fous les yeux du public des actions fi odieufes & fi ridicules qu'elles font incroyables 1 Quant a fon inftrument, c'eft aux maitres de Partaenjuger ; mais ce qui me parolt devoir cependam le faire préférer a celui de Levrette ,  14 Le Voya6Eür c'eft ce qui vient d'arrivcr. II y a quclques jours , le chirurgien qui en fait ufage fut appel! é chez une femme qui, dcpuis 30 heurcs , étoit en travail, fans que fon accouchcur ait pu Ten délivrer , au moyen de fon forceps : eet accoucheur qui le préfere au lévier , fut fort étonné dc voir fon confrère délivrer en cinq minutcs & la mere & 1'cnfant par le moyen de fon lévier. Cc fait m'a été attefté par nombre de perfonnes qui le tenoient du mari & des parens de 1'accouchée. Je fuis, &c.  DANS LES PAYS-BAS. Ig L E T T R E II. Bruxelles , ce Noyembre ifBz- 5 I les Pays - Bas Autrichiens , Monfieur, poffcdcnt des richcffes territoriales 6 induftricufes , les unes & les autres ne font pas auffi confidérables qu'elles pourroient Têtre. De leur accroiflement dépend celui du commerce de ces pays. Les intéréts du commerce & ceux de la culture , font érroitement Hés. Le pays qui a une grande culture fans avoir^ de commerce, eft pauvre ; telles ont étéjufqu'a préfent la Bohème & la Hongric. Le pays qui a un grand commerce & point de culture, peut être riche, fon commerce même être trés floriflant, mais eet état de profpérité n'eft que précaire , c'eft 1'état de la Hollande. Le commerce fans culture eft un édifïce fans fondement , que la moindre fecouffe ébranle  i6 LeVoyageur. (k fait écrouler. Le commerce qui a pour bafe la culture , eft comme eet arbre antique auquel les vents les plus impetueux peuvent a peine enlever quelqucs foibles rameaux , mais fans pouvoir jamais, quclquc foient leurs efforts, ébranler fon tronc. Les Pays-Bas Autrichiens n'ont jamais mieux été culrivés qu'ils le font aujourd'hui, mais pour que fon commerce redevienne ce qu'il a étc autrefois , il faut ftimuler & 1'activité de leurs cultivateurs & 1'induftrie de leurs manufaÊxuriés ; plus ceux-la feront aétifs, plus ceuxci feront induftrieux : a quel point ne 1'étoicnt-ils pas dans le i^me. fiecle ! II y avoit dans les Pays - Bas Autrichiens 100,000 métiers d'étoffe de laine; chacun de ces métiers fabriquoit chaque année 100 aunes, ainfi c'étoit 10,000,000 d'aunes qu'ils fournifibient au commerce: ces étoffes étoient fabriquécs avec des rnatieres premières, rccueillies en parties dans le pays fur une étendue de terre qui eft la même aujourd'hui.  DANS li ES PaYS-BaS. ï? ii y a dans les Pays-Bas Autrichiens aooo lieues carrces de terre labourable, &environ 200,000 bonniers de bruyeres, dc terres vagues & incultcs,qui pourroient être mis cn valcur , ainfi que Pont fait a quelqucs lieues d'Anvers, deux cultivateurs que je connois ; cc font de ces hommes precieux, pour un pays, qui joigncnt a la théorie la plus profonde, la pratiquc la plus raifonnée & la plus fagcment fuivie ; mais cc qui me les fait le plus eftimcr, c'cft que moins occupés de leurs intéréts que du bonhcur dc ceux dont ils cmploient les bras, ils vivent au milieu d'eux commc de bons peres de familie au milieu dc leurs enfans. Parmi les falariés d'un de ces cultivateurs , il eft une femme qui, étant accouchée, n'ayant encore que 17 ans, fut vivement follicitée par un riche habitant d'Anvers , de fc charger de nourrir un de fes enfans } pour 1'y engager , il lui ofFrit de lui paycr a la fin dc 1'année de nourritare qu'elle auroit palTée chez lui a la  ï8 L li V OYAGEUR. Ville, 200 florins ; cette fomme , lui répondit cette jeune femme, eft ccrtaitiement confidérable pour moi & pour mon mari, mais fi j'acceptois votre offre & que j'allafis dcmeurer chez vous a la Ville , je m'y accoutumerois a la bonne cherc ,je deviendrois pareffeufc , & quand je rcviendrois chez mon mari , je ne pourrois plus ni rnanger du pain de fcigle , ni travailler a la tcrre : 1'argcnt que j'aurois recu dc vous difparoitroit; je fuis heurcufe aujourd'hui & je ferois malhcureufe le rcfte dc ma vie, je vous rcmercie , Monfieur , de vos bontés. Que de fcns, que de raifon , que de philofophie même dans cc peu de paroles. Le befoin , Monfieur, peut rendre Phomme laboricux , mais il n'y a que le bonhcur qui le rend induftrieux. Les habitans des Pays-Bas Autrichiens font plus hcureux que les habitans ücs pays vr«ifins du leur ; pourquoi n'y a-t-il plus aujourd'hui parmi cux autant d'émulation pour les fabriques qu'il y en avoit dans  DANS LES PAYS-BAS. 19 le Hiric. fiecle, c'eft qu'ils n'ont plus chez eux amant dc maticres premières, tant nationales qu'étrangeres, qu'ils en avoient alors. La race de moutons qu'on a nommée Flandrine, eft venue des Indes orientalcs : les Hollandois 1'ont apportée en Europe : elle s'eft introduite enfuite dans les Provinces Autrichicnnes, d'oü clie a prefque entiérement difparu ; il n'cn reftc plus que quelques troupcaux auprès de Warnctton , & c'eft fur les bords de la Lys que fe trouvent les plus beaux. Chacun de ces moutons y donne depuis 8 jufqu'a 10 livres de laine. II ne feroit pas difficile de faire revivre dans les Pays-Bas Autrichiens cette race précieufe de moutons, dont la laine ne le ccdc en rien a celle que les Anglois recueillent des leurs. Prefque toutes les laines qu'on vend a Paris pour laine d'An qui au bout de fix annóes, feroit chacun compofé de 3000 brébis, de 2000 moutons & de 500 bcliers , ce qui feroit a cette époque 60,000 brébis , 10,000 béliers & 4000 moutons, en total 110,000 bêtes, lefquelles donneroient par an chacuneöa 10 livres de laine , ce qui feroit 1,010,000 de laine, qui, venduc 12-fols, argent dc France, la livre , formoient pour les propriétaires de ces haras 660,000 livres. Je vous ai cnvoyé les mémoires de 1'Académie de Bruxelles , lifez celui de M. Foullé , qui eft Francois , & que comme Francois , je vois avec pcine fixé dans ce pays-ci : fon mémoirc eft bien fait, & fi PAcadémie en couronnoit fouvent de fcmblablcs , le recueil de fes mémoires deviendroit un des plus utilcs de tous ceux que donnent les Corps Académiques.  DANS LES PAYS-BAS. 21 Je vous ai dit, Monfieur , qu'il y avoit dans les Provinccs des Pays-Bas Autrichiens 2000 lieues en carré de terrcs labourables, fur lefquelles on pourroit faire paltre une quantité confidérable de moutons , qui pourroient donner tous les ans 20 millions de livres de laine , qui a 12 Ibis la livre, formeroient un produit annucl de 12,000,000 de livres aux poffefTeurs de ces terres; ces 20 millions de livres manufaéturées, fourniroient au moins au commerce 10 millions d'aunes d'étoffe. Mais une confidération bien grande , c'eft 1'emploi de ceux^qui prépareroient ces laines pour les mèttre en état d'être manufaóturées. Ce travail peut être fait pendant le temps que celui qui travaille la terre n'y eft pas employé, & le falairc qu'il en recevra, fera dc 40 florins de ce pays , qui, joints a 150 fl. que lui donne fon travail ordinaire de la terre , lui donnera 190 fl. c'eft-a-dire , une aifance de 40 fï. car les 150 fl. qu'il gagne comme culti-  fiï LeVoyageur vateur , fuffifent a fa fubfiftance & a cclle dc fa familie. M. Foullé m'a affuré, d'après 1'expérience, qu'un mouton mangeoit chaque jour 10 livres de foin , qui, évaluées a a fols dc ce pays, font 36 fl. 10 fols par an. II faut donc avoir des moutons dans un pays quand on veut défrichcr beaucoup : ce font ces moutons qui, donnant 1'engrais a cette terre, la rendent productrice; car 1'urine & la fiente de moutons eft 1'engrais le plus propre a développer les fucs que toute terre en friche peut contenir. Quiconque défriche & n'a pas de beftiaux, non-fculement ne retirera pas d'avantages de fon défnehement, mais même fe ruinera s'il veut, a leur défaut, employer les engrais ordinaires. Tout ce que je viens de vous dire, Monfieur, eft relatif au defir que le Souverain de ce pays a que fes habitans aient un commerce floriffant, & feréduit a vous convaincre qu'il faut, pour que cela s'opere , défricher beaucoup de terre  DANS LES PAYS-BAS. 1$ & .multiplier les bêtes a laine & toute efpcce de beftiaux. On a voulu introduirc dans ces paysci la culture des müriers & des vers a foie; c'étoit une chimère a laquelle 1'on avoit cependant applaudi, tandis que perfonne ne s'eft occupé de 1'encouragement des défrichemens & de la multiplication des bêtes a laine. Si ces défrichemens avoient licu, difent les Eccléfiaftiques a qui les terres doivent la dïme , nous ferions ruinés : des Villages fans nombre s'établiroient a 1'entour des terres défrichées, & on viendroit nous demander dc batir des Eglifes qu'il nous faudroit enfuitc entretcnir. La réponfe a cette objec^ion intérefTée , eft que S. M. I. doit , pour le bicn de fes Provinccs, exécuter le projet qu'elle a concu , dit - on , de fupprimcr toutes les dlmes eccléfiaftiques. Je fuis, &c.  24 LeVoyageur. L E T T R E III. Bruxelles ce Novembre 1782. JLrfA bierrc n'eft peut-être pas ici , Monfieur, auffi parfaite qu'elle pourroit 1'être; bien des perfonnes lui preferent celle de Liege, mais ce que je ne concois pas , c'eft 1'empreflemcnt avec lequcl on boit celle de Louvain. On m'a afluré qu'on en confommoit 500 tonnes chaque femaine, y compris celles de Tirlemont & autres Villes voifines. J'cn demande pardon a Mrs. les Bruxellois, mais je ne trouve pas commc eux que cette bierre dc Louvain fafie une boiflbn même fupportable. Si les braficurs de ces pays-ci vouloient en prendre la peine , ils pourroientfaire boire a leurs concitoyens d'auffi bonne bierre qu'cn boivent les Anglois. C'eft du choix du Malz & du houblon que dépend la bonté de la bierre & fa perfedtion  DANS LES PAYS-BAS. 25 pcrfedion de la maniere de les employer. Les brafieurs dc Bruxelles peuvent avoir 1 un & 1'autre auffi parfait que les braffeurs dc Londrcs; il faut donc ou qulls manqucnt d'habileté, ou qu'ils n'cmploient pas desmatiercspremieres dunc auffi bonne qualité. Les braflèuis dc Londrcs tircnt une panie de leur houblon du Hainaut & de la Flandres ; ils le preferent même a celui que produifent leur ifle , & quant au Malz , celui des Pays-Bas Autrichiens eft surement fupérieur en qualité acelutdes Anglois. Chez 1'Anglois faire la bierre, eft un art qui a fes principes, & dans les Pays-Bas Autrichiens , ce n'eft encorc qu'un métier qu'on exerce par routine. Les bralTeurs de ces Pays-ci confiderent peut-être trop le prix du houblon , & pas afïbz fa qualité. En Angleserrc , c'eft le contraire ; quelque fon la différence du prix du houblon de Worccfter , on le préfere toujours a celui du Comté dé Kent, qui n'a pas la faveur de 1'autre : les braffeurs aiment mieux foutenir la réputation II. Part ie, 35  s6 LeVoyagetjr. de leurs braffcries (a) que dc faire de gros gains. Lc braffeur Anglois étudie, fi 1'on peut le dirc , fon houblon & ne 1'cmploie que relativcment a fa propriété. S'il veut faire dc 1'Aile , il fe fert du houblon de Worcefter ; s'il veut braffcrdc la fortc bierre, il cmploie lc houblon de Kent, dont 1'amertume envelloppée d'unc huile tenacc , lc rend plus propre pour faire la bierre qu'on veut conferver long-temps. Un braffeur Anglois ne s'attache pas feulemcnt a bien choifir fon houblon ; comme il opere d'après des principes, c'eft auffi d'après des principes qu'il regie la quantité de houblon qu'il cmploie. Dans les années feches, & quand 1'été a été fort chaud , il n'en emploie que 5 livres au licu de fept qu'il auroit cmployées, fi 1'été ' (a) Un Anglois m'a afiuré qu'il y avoit a Londres une brafferie qui payoic tous les ans a 1'Etat de droits ay,oco liv. fterling : cela me paroit une exagération.  dans les Pays-Bas 27 eüt étc froid & humide. II y a un grand avantagc a brafier en hiver, car, fuivant ce que m'ont dir les brafleurs Anglois , il faut dans cette faiibn y cmployer moins d'houblon que quand on braflc cn été. Vous fcriez étonné , Monfieur, dc 1'attention avec laquclle on prépare Ie houblon dans les grandes bralTcries de Londres : on y fépare avec la plus fcrüpuleufe attcntion les feuilles & la graine de la tige ; on les frottc enfuite jufqu'a ce qu'ellcs foient flexibles, & cela afin qu'elles s'ouvrent facilement: ce procédé eft fondé fur cc que Pamertume agréable & Podeur aromatique du houblon, font dans fa graine & fa feuillc, & que fes parties aftringentes & terrcftres font prefque toutes dans fa tige : ces parties cxtraites par Pébullition , fur-tout quand elle eft longue, donnent a la bierre un apprêté défagréable & même nuifible.J'ai vu des chymiftes Anglois foutenir que cette ■prêté étoit telie qu'clle différoit peu B 2  -•8 Le Voyageur dc celle de 1'alun , quand on pouflbit trop rébullitioo. Les brafiburs Anglois ont auffi des regies qu'ils fuivent pour le temps oü doit fe faire 1'ébuliiiion. Lc houblon préparé , ils le mcitent dans la cuve&font couler douccment defius la liqueur , afin que le houblon s'attendriire par degré. Quand toutc la liqueur eft pafTéc dans la euve, on y laiffc repofer le houblon cnviron une demi heure , après laquclle on croit qu'il eft proprc a 1'ébullition. La durée de 1'ébullition eft régléc fuivant la grandeur de la chaudicre : fi la chaudiere contient depuis 30 jufqu'i 60 barils, 1'ébullition peut durcr plus d'une heure , mais pour les plus petites chaudiere , 1'ufagc des braffeurs Anglois, eft de ne faire durer 1'ébullition qu'une heure. On évalue 1'évaporation d'une petite chaudiere a un huiticme, & celle d'une grande * un douzieme par heure. Un Médecin Anglois, auouel jc demandois ce qu'il  dansles Pays-Bas. £9 pcnfoit de 1'ufage de la bierre , me dit, les vertus bienfaifantes du houblon réfident dans fes feuilles minces & tranfparentes, dans la poujfure jaune qui y eft attachée, & dans la membrane dêliée qui renferme la graine : c'eft d'elles que la bierre tient fon amertume aromatiqus qui la rend agréabh au goüt. La bierre dépouilléepar une trop grande ébullition de leurs parties yolatiles , n'a plus qu'une amertume inactive & auftere : elle charge l'eftomach & produit des obftruclions & d'autres maladies , au - lieu d'étre une liqueur lége -e t pérJtrante, délayante & diurétiqie. C'eft cette confidération qui cngage les braffcurs Anglois a tcnir cxaclcment couvertes leurs chaudiercs pendant 1'ébullition ; par ia ils empêchent la diffipation de5 parties volatilles pendant que fe fait 1'extraclion dc 1'amertume du houblon par Pébullltion. Mais lc choix & la préparation du houblon nc fuffifent pas pour rendre la bierre B 3  50 Le Voyageüh bonnc; il faut auffi donner la même attention au choix & a la préparation du Malz.; Le bralfeur Anglois préfere le Malz dont lc grain eft bien réduit, & cela pour que fa bierre n'ait pas un goüt crud défagréable, & pour qu'elle n'ait pas auffi un goüt dc feu : il n'emploic pas le Malz auffi-tót qu'il fort du féchoir,. paree qu'il a plus de mal a fe feparer de la liqueur que le Malz féchc quelques mois auparavant Pour faire 1'infufion du Malz, 1'cau dc pluie vaut mieux quetoute autre eau. Pour faire en Anglctcrre une excellente bierre, on cmploie pour un baril & demi, 3 ou 5 demi-barils de Malz, & 7, 8, ou ia livres de houblon. L'infufion du Malz ne doit durer que deux heures en Eté & quelque chofe de plus én hivcr. C'eft fans doute paree qu'on la fait durer plus long-temps a Bruxelles, que la bierre s'y aigrit facilcmcnt. Nos bralTcurs du fauxbourg St. Antoine Tignorcnt fans  dans les Pays-Bas. 51 doute, car leur bicre devient ordinairement aigre après quinze ou vingt jours au plus. Je fuis, &c. B 4  32 Le Voyagicr €========^v= ^ L E T T R E IV. Bruxelles , Novemhre 1782. Bruxelles, Monfieur , n'eft plus auffi riche en tablcaux qu'elle 1'étoit autrefois; elle pofiedc encore un grand nombre de morceaux precieux des grands Mattres dc 1'Ecole Flamandc. Des particuliers en ont, corame je vous ai mandé préecdemment, quelqucs-uns des autres écoles, mais 1'on m'a alfuré que je n'en verrois aucun des Ecoles d'Itr.lie & dc France dans les Eglifes & dans les Monafteres L'extincdon des Jéfuhes a fait fortir non-fculcmcnt de Bruxe'.Ies, mais des autres Villes du Brabant, un grand norabre de tableaux précicux; ils ont pafle partie a Vienne, partie a Lótranger. Les amateurs craignent qu'un grand nombrc qui font encore aujourd'hui dans les mai-  dans les Pays-Bas, 35 fons religieufes menacées d'être fupprimées,n'aient le même lort, fi cette fupprcffion a lieu. Ouvrez votre portefeuille d'cftampes & vous y verrez un St. Ignacc & un St. Xavier gravés par Bohvert , d'après les deux tableaux de Rubens que pofiedoient les J^fuites de Bruxclles : ces deux tableaux, difent tous les connoifleurs qui m'en ont parlé , étoient admirables. Les têtes , les étoffes , le lingc même, tout ótoit parfait. Rubens y avoit tout porté au plus haut degré de perfection , le dcffin, le colori= ; tout le faire étoit un chef-d'ceuvre; mais fi 1'on rcgrette ces tableaux, on regrette encore davanrage un autte tableau du même MaÜtre , que poflëdoit 1'Abbaye de Caudenberg. La Vierge y étoit repréfentée revêtifiant d'une chafublc le Card'nal Ildefonce ! a cóté de fon éminence Ruben* avoit placé quatre billes femmes, & audefius des An res qui fe tenoient par la main & paroifib'ent danfer cn rond : derrière la Vicrgc étoit un trönc cn archiB 5  34 LeVoyagedr. tccture; toutc k compofition dc cc tableau caraclérifoit l'étenduc du génie de fon Auteur; les têtes en étoient belles & pleines de finelTes; les figures étoient drapées largement. Les connoifleurs qui m'en ont parlé , conviennent tous que la légercté de la touche & la tranfparence de la couleur rendoient ce tableau un des plus beaux & des plus parfaits dc Rubens. Ce tableau eft le plus grand qu'il ait fait : il avoit vingt pieds dc largeur fur 13 a 14 de hauteur. Rubens avoit peint fur les deux volets 1'Infante Ifabelle , & derrière elle Ste. Elifabcth & 1'Archiduc Albcrt & St. Jacques : ces deux tableaux étoient de la plus grande beauté. On m'a dit que 1'un & 1'autre , ainfi que lc grand tableau pour la confervation duquel ils avoient été faits, étoient a préfent a Vienne dans la galIcrie dc 1'Empereur. Dans celle de 1'Electeur Palatin eft une affomption de Rubent que 1'Eglife paroiffiale de la Chapclle a vendue aprè» le bombardement  rans les Pays-Bas. 35 de 1693 , qui avoit détruit une partie de cette Eglife: il y a quelques années que la même Eglife a encore vendu a M. Braamkan , Hollandois, un autre tableau de Ruqui reprcfentoir Jéfus-Chrift donnant les clefs a St. Pierre. Une loi fort fagc feroit celle qui défendroit aux EglifesMonafteres & maifons religieufes de vcndrc fans la pcrmiffion du Souverain ou du Magiftrat de la Ville, aucuns tableaux de prix : ils ne peuvent, fans y être autorifós, aliéner une mefure de terre , & on leur. permet de difpofcr libremcnt d'un chefd'osuvrc de peinture, qui fouvent eft d'une plus grande valeur qu'une centaine do mcfures de terre : cette loi eft rigoureufement en vigueur dans les Etats de Venifc & dc Rome : on y a fait un inventaire cxafte des tableaux des grande Makres, & le Gouvernement vcille ibigncufement a ce qu'il n'cn foit vendu aucun pour Pótrangcr. Les Chartreux de cètte Ville , qui certaincment ne font pa& dans lc befoin , ont vendu, il y a quclB 6  56 LeVoyageuk. que temps, a un Amateur nommé Pawel, un beau tableau de Rubens, qui repréfentoit une affomption Pour excuier cette alicna.ion , ils ont, dit-on, fait fourdement répandre dans la Ville que ce tableau n'étoit qu'une copic. Ce qui eft ecrtain , c'eft qu'ils en ontrecu le prix comme é:aat véritablement original. II y a quclques annécs que les Religieufes de PAnnonciadc vendirent 60000 liv. au premier Pcintre dc notre bon Roi s une adoration des Mages, original de Rubens. Le Confcillcr fifcal en ayant été irtftruit, s'oppofa a la délivrance de ce tableau qu'il prétendoit, vu fon prix , devoir être confidcré comme un immeuble, qui par consequent n'avoit pu être aliénë par une main-morte, fans Tautorifation du miniilerc public: cette oppofition fut levée fans doute , paree que les Religicufes de 1'Annonciade fe foumirent a employer les deniers provenant de la ventc de leur tableau en acquifition d'imr meuble.  dans les Pays-Bas. 37 On m'a affuré qu'il fe faifoit a Bruxelle? tous les ans un commerce d'exportation de tableaux qui s'élcvoit ordinairement £ 300,000 florins, & un commerce d'im-portation dc 150000 florins. Si cela ne nuifoit pas au commerce, je voudrois auffi que la préférence fïït toujours donnéc au Souverain ou aux Magiftrats des Villes, pour tous les morceaux précieux de peinture & de fculpture qui fe vendroient par les particuliers a des étrangers. J'ai dirigé ma première courfe pittorefque vers les Capucins : ces bons pcres polTedent un terrein très-vafte, auffi leur Couvent eft-il dc tous ceux qui font & Bruxclles , le plus grand , & leur Eglife eft la plus belle de leur Ordre dans les Pays-Bas : (a) lc terrein fur lequel ce Cou- "(a) Celle de Vienne eftle doublé plus vafte & plus décorée : 1'Eglife de ces Peres , près it; il excelloit fur-tout dans les relfemblances , tant des traitsque desécoffes. Van-Dyck n'excella pas moins dans les grands fujets d'hiftosre. On peut en juger par nombre de ceux  BAffs les Pays-Bas. $t préfeflte St. Antoine de Padoue tenant 1'enfant Jefus dans fes bras, 1'autre St. Francois ayant Jes bras ouvcrts & les yeux fixés vers le cicl. La tête de St. Antoine eft belle & pleine dc chaleur; celle dc St. Francois exprime admirablcment bien le fentimcnt d'amour qu'il éprouve. Le coloris de ces deux rableaux eft de la plus grande vérité & a toute la fraicheur de la couleur que vient d'employer lc pinceau. Autour de 1'Eglife font des tableaux qui rcprcfcntcnt des Saints dc 1'Ordrc, dont deux St. Agapiftes & St. Fulgcntius, font de Craycr. Les autres ont été pcints par Bak er el (a). Tous font beaux , mais qu'on trouve de lui fur-tout dans les PaysBas : il eft mort a Londres en 1641, agéfeulement de 41 ans , & fut enterté dans 1'Eglife de St. Paul. (a) Il y a deux Peintres de ce ncm ; 1'un fe nommoit Guillaume , 1'autre Gilles ; tous deux nïquirent a Anvers : c'eft de Gilles dont il eft ici qüeftion.  4* LeVoyageur ceux de Crayer plus que les autres. Les Capucins difent qu'ils leur ont été donnés par un Duc d'Arrcmberg. Au-dcfïus de la porte eft un bon tableau bicn deffiné, d'un effet bicn vigoureux & d'une grande maniere; les uns 1'attribucnt a A. Janffens, (a) les autres a G. Séghers (b) ; il (a) II naquit a Bruxelles en 1664; il fut é'eve de Volders & un des bons Peintre de 1'Ecole Flarnande : il fit a Rome fes principales études d'après les tableaux de Raphaël. II étudia aufTi les ouvrapes de 1'Albane &réuf fit mieux que tous fes contemporains dans ce genre. Perfonne mieux que lui n'a traité Thiftoire en petit; il avoit une fonte de couleur agréable & naturelle : fon pinceau étoit facile ; fes airs de tête ont une grande finefie , beaucoup de nobleffe & de beauté : il avoit un génie de la plus grande fécondité & un deflin trés caractérifé : dans fes grands ouvrages, fes couleurs font plus crues & fentent trop la palette. (b) II n'aquit a Anvers eu ÏÏ92, fut éleve d'An'toine JanfTens, fut en Italië & y prit la maniere de Michel-Ange de Caravage : fe»  dans les Pays-Bas. 43 repréfcnte Jéfus-Chrift infulté par les Juifs: ce fujet eft éclairé au flambcau , dans le goüt de Rembrant: c'eft un excellent morceau , il eft trifte qu'il fott fi défavantageufemcnt placé : on cn jouit mal. Ón voit encore dans cette Eglife un St. Grégoirc aux picds dc la.Vicrge par C. Schut (a), lc martyrc de St. Bafile par Willcborts Boffchacrt, lc martyrc de St. Aurélie par Van-heuvele, un tableau d'autel dc Van-Dellen , la Viergc, 1'en- ombres font fortes k rendent fesfigüres prefque rondes : fes tableaux font plelns d'harmonie; il eft mort a Anvers en 1691. (a) II étoit d'Anvers, oü il naquit en 1600; il fut éleve de Rubens & habile Peintre d'hiftoire, & fur-tout propres pour les grandes machines ; il avoit un ton de conleur gris & une maniere de deffiner un peu fauvage : fa compofition cependant étoit légere & ingénieufe : fes penfées élevées étoient foutenue»par un beau feu; il étoit peur-être trop maniéré , pas aflez correét , & fur-tout pas aflez jmitateur de la belle nature.  44 LeVoyageur fant Jéfus, Ste. Béatrice & d'autresSaintcs par Bakcrcels ; une adoration des bergers par Théodore Van-Loon ; (a) une Vicrge &l'enfant Jéfus, tenant une balancc dans laquelle eft un petit enfant par Ottovcnius. Quoique ce morecau foit bien colorié & bicn peint, il eft inférieur & celui du même maitre, qui eft dans la facriftie & qui repróicntela V'erge,l'en« fant Jéfus, Ste. Cathcrine & d'autrc* Saintes. On en a offert, m'a-t-on dit, il y a quelque teiips, 14000 florins. Dans cette même facriftic j'ai remarqué un Chrift cn ivoire , qu'on m'a dit être deDuquefnoy ; maisj'ai trouvé dans ce morceau une fécherefTe qu'on ne trouve pas ordinairement dans les produöions du cifcau fuave (a) II eft né & mort a Bruxelles ; il érudia fon art en Italië : Raphaël fut fon modele , & fa maniere fut celle de Carlo-Maralti : il colorioit bien , mais quelques-uns de ces tableaux cependant tirent furlenoir; les ombres en font quelquefois lourdes & grifes.  dans les Pays-Bas. 45 de ce Mattre. Dans celle-la, contre IV fage des Sculpteurs, le fculpteur a rcpréfcnté le Chrift la bouche ou verte , ce qui eft plus dans la nature que de la lui fermer. Je uus, &c.  46 LbVoyageur. L E T T R E D'un cultivateur des environs d'Anvers a 1'Auteur du Voyageur. Anvers, ce.... Novembre 178a. Je fuis cultivateur , Monfieur , par goüt plus que pw état. Tout ce qui n'eft pai culture m'cft indifférent; j'en ai étudié 1'art dans toutes fes parties ; il n'en eft aucune qui me foit étrangere. Vous croyez qu'il feroit trés avantageux que nos Provinces eufient un commerce très-florifiant; moi je défirerois que fon Gouvernement ne s'occupat que des moyens d'étendre leur culture. L'ufagc que vous avcz fait des obfervations qu'un citoyen de Bruges vous a envoyées, m'a donné la confiance de vous communiquer auffi mes réflexions fur 1'agriculture & fur le commerce.  d an s les Pays-Bas. 47 S'il falloit, Monfieur, qu'une nation choisit entre le commerce & Pagriculture, il n'y auroit pas, je crois, a balancer Le commerce ne donne qu'une force précaire , Pagriculture en donne une réelle: la richcffe d'un peuple agricole eft permanente & durable ; celle d'un peuple commcrcant n'a aucune folidité. De deux nations rivales , celle qui ne fera que cultiver , finira toujours par furmontcr celle qui ne fait que commercer , je dis plus, cdle même qui commerceroit & qui cultivcroit en même-temps. Un peuple cultivateur devient toujours nombreux , tandis que celui qui eft commercant voit fa population diminucr a proportion que fon commerce s'étend. L'Angleterrc, direzyous, prouve le contraire ; mais 1'Angleterre a moins dü 1'accroiflement rapide de fa population a celui de fon commerce , qu'a nombrc de circonftances favorables qui fe font reünies pour la favorifer. Lc fanatifme lui a cnvoyé une grande partie d'émigrants. La conftitution heu-  48 LeVoyageur reufe,cn apparence,de fon gouvernement, lc fom qu'on a pris dc payer. 1'induftne étrangerc , de Ia recompenier & de I'encourager, 1'attention qu'on a eu d'exciter celle de I'agriculteur , & bien plus encore des moeurs moins corrompues que ne Pétoient celles des autres nations, font les véntables caufes de cette grande population des Mes Britanniques qui étonne , mais qui eft peut-être aujourd'hui fur fon dcclin. Nos neveux probablement ne feront pas auffi furpris de la rapidité de fa chüte, que nous Pavons etc de fon accroiffement; ils cn chercheront la caufe & la trouveront dans lc trop d'étendue de fon commerce.C'eft le commerce qui a rendu les Anglois ambitieux, qui leur a donné la manie des conquêtes,qui les a rer dus injuftes a 1'égard des autres peuples,Ies a laiffcs fans amis, qui a occafionné des guerres meurtrieres qui ont dépeuplé leurs Ules; les Anglois ont, pour augmentcr leur commerce , étendu au loin leur empire , & diminué leur population pour peupler leur  dans les Pays-Bas. 49 conquêtes. C'eft par Ie commerce que des milliers d'Anglois ont été engloutis dans les flots, ou font péris dans des climats brülans pour lcfqucls la nature nc les avoit pas faits. Les richeffcs que le commerce a procurccs aux Mes Britanniques , leur ont fait pcrdrc cette fimplicitc dc moeurs , qui les caraclérifoit auparavant: Pavarice , cette paffion bafie, qui lorfqu'elle eft fatisfaite, nc rend pas encore hcureux, s'cft emparée de leur coeur; ils ont connu tous les tourmens dc Pambition fans ceffc éguillonnéc , & lc luxe qu'ils ont admis chez cux , loin de les diminuer , n'a fait que les augmenter encore : lc fafte & tous fes ridicules les ont occupés; lc libertinage -*"fes fuitcs ont affoibli leurs corps; ilsfefont livrés a tous les vices , paree qu'ils ont eu la puiffance dc fatisfairc tous leurs goüts; ils ont ceffé dc connoïtte Pamour, cette fource pure de la population , ils n'en ont .confervé que les caprices. J'ai toujours cru & je croirai toujours L Parite. C  5° Le Voyageur. qu'une nation commcrcante a de grands avantages fur celle qui ne 1'eft pas , furtout a préfent oü toutes les nations de 1'Europc s'y font adonnées; mais je ne foutiens pas moins que, quand 1'efprit du commerce eft 1'efprit dominant d'un peuple , il faut tót ou tard que ce peuple „ iuccombe fous les efforts que fcsvoifins ne manqueront pas de faire pour lc détruirc. La nation la plus puiffantc & celle qui réfiftera plus long-temps aux vicifiitudes des événemens , fera toujours celle oü 1'agriculturc fera le plus confidérée & leplus protégée, oü le commerce fervira a la rendre plus aclive, oü le commcrcant & le cultivateur feront également aifés, oü la Cmplicité de 1'un n'aura pas a-Jaugir du fafte dc 1'autre , oü tous les deux également honorés, ne feront pas desobjets de mépris pour les autres Etats, fur-tout pour celui qui, n'en étant pas un , a , chez quelques nations de 1'Europc , la confidération que donne la  dans lesPays-Bas. 5t naiflance , & la richeffe que procure 1'induftrie du commerce. Mais quand je dis que le commerce. contribue a rendre une nation puiflantc , je n'entends parler que de celui qu'ellc fait dc fes propres dcnrces & des productionsdefes manufaftures; tout autre 1'affoiblit a la longue , lui apporte de 1'argeny mais énerve fon corps politique & détruit fa population. Malheur a ceux qui ont fait ces découvertcs fi éloignées vantées ! leurs noms trop célebres devroient être en horreur. Ce prétendu fervice qu ils ont rendu a leur nation , eft un mal réel dont elle n'a pu ecore fe relever. Le Nouveau-Mondc a peut-être plus couté a la population de 1'Europe que toutes les guerres, les peftes & les families qui 1'ont affligée. Je demandcrois volontiers aux Panégyriftes de ces grands navigatcurs , quels font les avantages que le commerce des Européens leur a procurés depuis deux eens ans; nul autre, a mon avis, que C a  -52 LeVoyaseur celui d'avoir multiplié leurs befoins, qui ccrtainemcnt de tous les maux eft le plus grand ; d'avoir ajouté a leur goüt pour les chofes voluptuaires, qui eft lc plus grand obftacle au bonheur; d'avoir diminué le nombre de cultivatcurs, 1'efpcce de tous les hommes la plus précieufe; d'avoir livre aux fureurs des flots des citoyens utiles, & au glaive de la guerre de braves foldats qui, au lieu d'êtrc les deTenfeurs de leur patric , ont été les miniftres de 1'avarice, & tout cela pour infedter 1'Europe de maladies cruelles qu'elle ne connoiflbit point auparavant, pour lui procurer quelques marchandifes , quelques denrécs & quelques drogucs dont la privation n'avoit pas raccourci ni rendu moins heureufe la vie de nos peres. Si les nations qui ont des colonies dang le Nouveau-Monde, formoient un état exadt de ce qu'ellcs ont dépcnfé en hommes & en argent pour leurs établiüemcns & leur confervation dans cc Pays-la , clles feroient épouvamées de ce que leur coü-  dans-les Pays -B a s. 53 tent ces domaincs éloignés qu'elles nietten t a li haut prix. J'ai ibuvent oui dire a un homme fort inftruit, que fi la France calculoit les dépenfes qu'elle a faites pendant la derniere guerrc pour mettre fes colonies des Antillcs en état de défenfe , elle trouveroit que le fucre qu'elle en rctire lui revienc a plus d'un louis d'or la livre. II n'y a pas cu pendant ce temps, me difoit-il , un miférable renard tué dans le Canada, dont la peau n'ait conté cent louis, rclativement aux dépenfes que nous avons faites pour conferver ce Pays-la. Si fon raifon" ncment eft jufte, la France a beaucoup gagné en perdant le Canada , & aflez peu profitc en confervant les Antilles. Jc finirai ma lettre par une afiertion qui pourra vous paroitrc, ainfi qu'a bien d'autres, on ne peut pas plus ridicule; c'eft que Colbert, a qui la France croit avoir de grandes obligations , n'étoit ricn moins qu'un grand Miniftre ; enruinant, comme il Ta fait, 1'agriculture de fon C 3  54 Le Voyageur. pays, il lui a öté une force plus grande que celle qu'il lui a donnée cn le rendant cornmercant. Sous Ghr.rles IX, la population dc la France étoit de 19 millions «Tailles, & je fuis perfuadé, quoiqu'cn dife Expilly , qu'elle n'eft pas aujourd'hui plus confidérable, quoique fon territoirc foit d'un qurt plus grand qu'il n'étoit fous Charles IX. Je fuis, &c.  lettre v. Bruxelles ce.... Novemhre 1782. La main-d'oeuvre, Monficut, eft prefoVauffi chere iet qu'a Paris. Les honoAires d'un Avocat ou d'un Médccin font, comme vous avcz pu le votr par mes préoédntes Lettres, on ne pent pas plus modiqucs, tandis que le falairc dc lartifan eft très-fort. Cela vicnt fans doute de cequ'Uy aplusd'Avocats&deMedecins qu'on ne peut en employcr, & cü'il y a moins de bras que de moyens lc les occuper. Je crois que c'eft: une viellle erreur d'attribuer la chéreté dela • main-d'oeuvre a la chcretc des vivres. Jamais les vivres ne font plus chers que dans un temps de difette , & c'eft alors auffi que la main-d'oeuvre eft a plus yi» prix. Les vivres ne fe patent pas plus chers dans le temps dc la tnoitfon , & c 4  56 LeVoyageus. ccpendnnt Ie Mzirc dc Pou vricr eft aio» P£ fort dans les campagnes, & quelque- , moniieur, fa Ja main-d'oeu vre fc r6 Ci\erc ^ Bruxelles, paree qu'il y » njoms de bras qu'il n'y . de moyens de les employer , comment y a-t-il des pauvres-ï pace que tous les bras ne peuvent pas fervir au même ufagc, paree que les pauvres font peut-être trop fecourus, & par conféquent afFermis dans leur pareffe. Le falaire d'un manoeuvre eft ici de 8 a 9 fols; il y a auffi des falariós qui gagnent i3 & H lbis, te]s fom ccux qm travaillent aux atteliers des macons, des charpentiers , des menuiliers ; chacun dc ces ouvriers vaut a fon maftre 6 ar fols, paree que celui pour qui il lcs emploie, lui paic leur journée fur Ie pied dc 2o fols. U y a des falaircs qui font encore bicn plus forts. Un compagnon Irnprimeur qui travaüle a Ia caffe, gagne  dans les Pays-Bas. B? quand il eft bon ouvricr, jufqu'aai fols par jour , un preffier peut gagner 3o{ols & quelquefois plus. La journéc du mcilleur ouvrier horloger de Bruxelles eft dc a8 fols : les ouvriers en été commencent a travailler a 5 heures du matin & nc fi. niflént leur journéc qu'a 8 heures. En luver, ceux qui travaillent aux batunens finifient avec le jour, auffi leurs falaires font-ils moins forts. Les autres ouvriers commencent au jour & travaillent jufqu'a 8 heures, & cela commence a la St. Remi , fur quoi il faut retranchcr le temps du dejeuner, du diner & du goftter, mais en hiver le gomer des ouvners des batimens n'a pas lieu. Si les vivres font chers a Bruxelles, ce n'eft pas pour le peuple. La viande de boucherie s'y vend 3 fols & demi la livre de 16 onces, c'eft a pcu de chofe prés cc qu'elle coüte a Paris, fur-tout leboeuf, paree que cette viande a Paris a plus de force & nourrit davantage que celle qu'on vend a Bruxelles, & puis C 5  58 LeVoyageur auffi paree que les 16 onces d'ici ne font pas exadement les 16 onces de Paris. Mais comme il y a de la viande dc boucherie que le peuple de Paris peut avoir a 5 fols, & même a moins , le peuple dc Bruxelles en peut avoir a a fols & demi, & même a moins encore, & il faut bien que cela foit, puifqu'il y a dans cette Ville des auberges oü 1'on eft Jiourri a 2 fols & demi pour le diner 1 fculement, mais fans le pain. Les meilleures tables d'hötc d'ici nc font que de 21 fols, non compris lc vin, cc qui fait environ 36 fols de France : ces tables font bien fervies, tant cn maigrc" qu'en gras. Le Peuple a Bruxelles mange plus de légumes que de viande ; il confomme une grande quantité de bcurre ; lc pain & le beurrc font fa principale nourtiture , & c'eft ce qui fait que le beurre cit toujours fort cher ici , mais cependant bicn moins qu'a Paris. La livre de beurre le plus fin, qu'un nomme d'Anderleck , ne coüte *  D*NS ti e s Pays-Bas. 59 prefent que f fols - c'éft environi.fos de Franee. Le beurre plus commun coute unfol moins; le beurre fallé coute 6 fols, mais bicn moins quand , dans 1 au- * tomne , on en fait proviiion pour Ihiver Le pain eft chcr , lc drott de tnouture eft de 13 livres de farine par rafiere aue retient le meünicr : la rafiefe pfce ibU i'cntrée dc la Vffle; elle pare encore pour droit dc euifon , la fannc bancheöfols&lafarincbtleafols.Le boulangerpaic encore unfol par fournee, & quand il fe fait recevotr 355 Korms . c'eft 1'Hötel-de-Ville & non la communauté, qui recoit cette ibmme Le pnx dupaineftréglé par les Magiftrats , qut le baiffcht ou lc hauffent a proporuqn de ie que le bied fe vend danslemarche mais 1'augmentation du prix du pain fe fait de maniere que celui qui 1'achete ne s'en appercoit pas : le prix eft toujour lc même, mais le poids eft différent. & par exemple , 1'augmentation eft de la vacur d'une once , on diminue d'une once C 6  6© Le Voya geur le poids du pain : cette maniere eft excellente pour éviter les murmuresdu peuple. r II faut un revenu aux Villes, paree qu'elles ont des dépenfes indifpenfables qu'elles font obligées de faire, & que le bien public même veut qu'elles faffent. L'impöt fur les commeftibles & les boiffons , eftle moyen qu'il convientlc mieux d'employer pour qu'elles fe procurent cc revenu , mais on doit diftingucr les commeftibles qui font a 1'ufagc du peuple de ceux dont les gens richel, ou même feulemcnt aifés, font ufage. II eft dc Juftice que ceux-ci fupportent prefque tout le fardeau de 1'impöt; la partie que ceuxla doivent cn fupporter doit être fi lé. gere qu'on ne s'en appercoive prefque pas. Je fais qu'il ncfaut pas que les commeftibles du peuple foient a trop bas prix, caralorsle peuple ccfle d'êtrc laborieux • mais auffi il faut que la chéreté des commeftibles nc foit pas telle que le peuple foit forcé dc diminuer la confommatioa  dans les Pays-Bas. 6i qu'il en fait: fi cela arrivé, il fouffre & tombe dans lc découragement. Les droits. que paient a Bruxelles les grains, les farines & la fabrication du pain , fontpeu coniidérables , mais quelque foir le produit de ces droits, il me paroit qu'il feroit plus conforme aux vrais principes de rejetter ces droits fur les commeftiblcs dont les gens aifés &riches font ufage, tcls que le gibier , la volaille , &c. le poifibn frais ] falé ou fumé , lorfqu'il fe vend au baille au rabais, paie a 1'Hötelde-Villc 10 pour cent dc fa valeur , qui jointe aux 2, pour cent de frais, chargent cette denrée de 11 pour cent. Le poifibn frais eft 1'alimcnt du richc , le poifibn falé & fumé font 1'aliment du péuple, il me paroit qu'il devroit moins payer. On fait cette diftinaion en Carême , puifqu'alors le poifibn frais paie pour droit de dixieme 2 ou 5 pour "cent dc fa valeur , mais le tonneau de morue paie au paffage de Villebrock. pour droit dc thol ia fols; dans les autres temps ce droit n'eft que de 3 fols.  6a LeVoyageur Le peuple dc Pafis a dü a feu M. Turgot de pouvoir manger dc la morue & des harengs falés. Ce Miniftre avoit pour principe que de toutes les claffes des citoyens, c'étoit celle du peuple qui étoit la plus intéreffante , paree qu'en elle réüdoit toute la forcc des Etats. La décadence d'un Etat eft toujours en proportion du malheur du peuple. Mais, dira-t-on , 1'augmentation de 1'impöt des commeftibles des gens riches, pourra ne pas remplir le vuide occalionné par la fuppreffion de lïmpöt des commeftibles du peuple , & bien qu'on impofe tous les ol je s du luxe , les chevaux , les voitures de Ville, fur-tout les domeftiques ; ce fera un grand bien pour 1'Etat fi 1'impöt chafic des Villes ce nombre inutile d'hommes, qui, couverts d'une livrée, vivcnt dans 1'oifiveté, fouvent dans la crapule & dans la débaubhc , & qui, s'ils étoient rcftés dans les campagnes , auroient été des hommes laborieux , dc bons laboureürs, eu dans les armées de braves foldats.  dans les Pays-Bas. 63 La bierre eft la boifTon du peuple 6emême de la plus grande partie des habitans de Bruxelles, qui jouiflent d une forte d'aifancc-.s'ilsfont ufage de vin, c'eft par extraordinaire. Les droits auxouels le vin eft affujetti, font fi confiderables qu'il eft pcu de particulier* qut puhTent en faire fa boiffon ordinaire: ces droits, y compris les frais de tranlports, augment confidérablement le vin qu on boit iei. On brafie ici difFérentes fortes de bierre : ce commerce donne de trèsaros bénéfices a ceux qui le font; ils forrnent une communauté qui eft confideree commc laplus riche de toutes celles qui font a Bruxelles. Je n'ai pas le detail exaft des droits que paient les fabriquans de berre, 1'on m'a dit qu'ils payoient 6 n. par rafiere de grains & a fl. par tonnc de bierre : celui qui fait braffer fa bierre & qui peut en avoir fa provifion en cavc, la paie au moins un tiers meilleur marche quele peuple ne paie celle qu'il confomme, paree qu'il faut qu'il rcmbourle au  64 Le Voyaoeur détailleur les droits qu'il a payés. La bierre que le peuple boit ordinairement lui revient a un fol on cinq liards le pot , & le pot ticnt environ une pinte &un tiers de P-^ris. La bierre, qui eft a Paris une boiffon de fantaifie , n'y coute pas beaucoup plus chere que celle qui fait ici la boiilbn ordinaire : la tonne de bierre qui vient de 1'étranger , c'eft - a - dire , de Louvain, de Tirlemont, &c. paie £t 1'entrée de Bruxelles 4 florins. II me paroit qu'il vaudroit mieux faire paycr 5 florins a ces bierres étrangeres, & diminucr d'un florin le droit que paicnt les bierres qui fe fabriquent dans la Ville. Je crois vous avoir déja dit qu'il cntroit chaque femaine 500 tonnes de ces bierres. Le charbon dc terre , qui eft le chaufage du peuple, paie 19 fols le mille. Ne vaudroit-il pas mieux augmenter de 6 f. par pot les droits que paicnt les eauxde-vie étrangeres & fupprimer celui du charbon de terre 1 Je fuis, &c.  bans les Pays-Bas. 65 LETTRE VI. Bruxelles, ce.... Novembre i?8a. "Vo u s me dcmandcz , Monfieur , fi Pon fait qucl eft lc numéraire des PaysBas Autrichiens ; je crois qu'il eft irnpoffible de le favoir au vrai : on nc peut cn parler que par conjcéturc. On dit que la France a douz ccens millions deliv.& 1'An* glcterre 14 millions fterlings de numéraire; mais quelle cn eft la certitude; les regiftres des hotels des monnoies ne la donncront pas car cn France, oü cela pourroit être plutöt que par-tout aillcurs , paree qu'il n'y a que 1'argcnt du pays qui a cours dans le commerce , n'arrivet-il pas journellement que des parties de numéraires en fortent, fans que le Gouvernement en foit informé, & quand le Gouvernement le fauroit, la même incertkude lübfifterolt. On peut hardiment  66 LeVoyageur évaluer a cent millions 1'argent monnoyé que la France a fait palfer en Amérique depuis le commencement de la guerrc préfente, voila donc les douze eens millions de fon numéraire réduits a onze eens millions ; mais cela n'eft pas,puifque la France a recu en efpece plulieurs millions dc la Hollande. D'après les calculatcurs politiques, 1'Angletcrrc a dépenié depuis 1T?6, 93,000,254 livres flerlings, ou 2,139,005,842, argent de France. Une partie de eet argent a certainement paffe cn Amérique pour foudoycr fes troupes, pour corrompre les Américains. pour payer fes efpions; dans Je Nord pour payer des bois de conftruaion , des chan-., vres & autres munitions navales qu'elle en a tirées, & dans 1'Allemagne pour acheter des hommes. Cette exportation d'argent n'a pu fe faire fans que les 14 millions de liv. fterling , a quoi on dit que doit être évalué fon numéraire rée!, cn aient fouffert. Aucun des hommes les plus inftruits de la fituation de ce pays-ci, a  „ANs »«-. Pays-Bas. 67 öui iVi fait la même queffion que vous Z faites, nem'a répoudu affirmauve- VemVnvlcsuns eftiment a *4 ^ de florins le numéraire de leur P^^s^tresle font monter a 35 : cette apPreaatto» eftfondée^ifent-ils^uïcequdeftfom d cesProvinces en efpeees x*-dhon dc florins, pour être plaeés damfonds publiés d'Angleterre, quand la Mnvton d'Autriche a réduit a*3 poureoi lintdrfit de 4 pour cem de 1'argent qu die avoit emprunté dans cesProvinces, & pms encore fur ce que les biens des Jéfuitcs ont été vendus 11 millions. H nv a dans ces Provinces que deux hótels de monnoie; Vun eft celui de Bruxelles, 1'autre celui d'Anvers; 1 un & Pautre fabriquent pcu. II y a cependant eu des années oü 1'hötel des monnoics de Bruxelles afabriquéjufqu'a 4 milhons : fon travail dépend du prix des piaftres. On voit préfentement ici plus de monnoie d'argent de France que de monnoie d'argcnt du pays; d'oü cela vient-J,de  68 , LeVotageui1 ce que Ia France n'ayant pas la balance i»r ee pays.ci comme dJe ^ en . * P«f ,ü faut qu'elle faffevoiturer en Mde Z/°ummeS qU'ell£ doi™c aMde . Nethme & a M. Rhumberg ; a M. de Rhumberg pour les tabacs & les bois qu'il lui fait pa/Ter, è Mde. Néthine pour sacquitter envers elle des fbmmes qu elle paie pour elle. Touie la monnoie d'or qui fe fabrique a bruxelles, ne rcfte pas toute dans Ie pays; la plus grande partie paffe a Vienne Les louis de France font fi recherchés iet, que quiconque cn auroit beaucoup les vendroit a un bcnéfice alfez confidérable. Le doublé fouverain vaut 17 fl 17 f. argent courant; lc fouveran n'cn vaut queSfl 18 f. 6d.ee font les deux fculct monno:es d'or qui le fabrique a la morjnoie de Bruxelles. Un florin vaut 2o fols comme notre livre. Notre louis d'or eft recu pour 1« fl T r . j wfli plufieurs des anciennes raonnoies dc  dans les Pays-Bas. 69 France , tant d'or que d'argcnt, & je crois même qu'on auroit plus d'avantagcs ii les apporter ici qu'aux hotels des monnoics de France : cela prouve combien lc Gouvernement de ce pays-ci eft attcntif a faifir tout ce qui peut être utilc au pays. II eft certain que 1'argent de France qui vient ici, ne peut être échangé contre 1'argcnt du pays, puifquc eet argent n'a pas cours en France. Si 1'argent retournoit cn France, ce ne pourroit être qu'en nature ou en lettres de change.Toute nation qui favorife une monnoie étrangere , eft afiurée de la voir abonder chez elle. L'argent eft une marchandile dont il fe fait un commerce confidérable d'exportation & d'importation. La monnoie de France vaut mieux que celle de tous les autres pays; les autres pays en conviennent, puifqu'ils la recherchent de préférence a toute autre : on pourroit donc dire que cette perfe£Hon eft un défaut qui nuit è la France, qui, comme toutes les autres nations, a un intérêt fen-  70 LeVoyageur. fible a ce que fa monnoie ne foit pas exportée. C'eft peut-être la première Ibis qu'on a dit qu'il feroit de 1'intérêt d'une nation de fabriquer de la mauvaife monnoie ; on peut combattre cette opinion , auffi je ne vous engage pas a 1'adopter. Notre écu de 6 liv. vaut ici 3 fl. 5 f. 4 d. & 1'écu dc 3 liv. la moidé. L'écu de ce pays qu'on nomme couronne , eft donné pour 3 fl. 3 f. & la demi - couronne la moidé : cette fraction, ainfi que toutes celles des autres monnoics , me déplaft, & je ne vois pas ce qui a pu déterminer a. 1'établir. II me paroit qu'on auroit pu fixer la valeur de la couroune a 3 flor. fans y ajouter ces trois fols, qui ne font pas commodes pour les paiemens, & furtout les gros paiemens : ces fraétions rendent auffi les comptes plus longs & plus embarraffans. Un homme fort inftruit, a qui je demandai la raifon dc ces fraétions , me répondit , les fraclions qui fe rencontrent dans notre monnoie, font le réfultat d'une opération de finance qui s'eft  dans les Pays-Bas. 71 faite var les Francois au commencement de cefiecle, a Veftet de diminuer d'un feul coup les dettes nationales d'unftxie me , en augmentant d'une pareille quotiti la valeur du numéraire, fans cependant toucher aux capitaux des rentes , au prix des biens fonds , ni a la valeur des lettres de change qui font refiées aumémetaux; d>0è rèfulte notre fapon de compter ces derniers objets en argent de change , & les autres en argent courant. C'eft pour faciliter cette réduclion d'argent courant en argent de change, & d'argent de^ change en argent courant, qu'on eft obligé de proportionner notre monnoie, de fa9on qu'elle puiffe toujours fe divifer txaclementpar le nombre 7; tailleurs elle correfpond mieux de cette maniere avec les monnoies de nos voifins, d'autant que quatre de nos efcalins font un florin d'AUernagne , deux efcalins un florin de Liege, quator\e efcalins , neuf livres de France, &c. Les petites monnoies font le doublé efcalin , qui vaut 14 fols, 1'efcalin 7 fols,  72 LbVöyageur. la plaquette 3 fols 6 deniers, la piece d« 5 plaquettes i? fols 6 deniers, la piece de 5 fols & celie de io Hards. Lc billon eft les deux liards, le Jiard & le gigot. II y a encore ici une monnoie d'argent, qui a été frappéc fousle regne de la feuè 1 Impératrice Maric-Thércfe,on la nomm e ducaton ; elle vaut 3 «• " f. a d. on cn a interrompu la fabrique, qui, loin de donncr du benefice au Souvcrain lui étoit préjudiciable. Auffi cette monnoie a-t-elle été recherchée par les Capitaliftes qui enferment leur argent, & par les Hol- landois qui font toujours a 1'affut de tout ce qui peut leur donner quelque béné- fice. Le Gouvernement s'en étant appcreu, en a fait hauffer la valeur d'un fol de change fur. chaque, ou d'une plaquette fur les trois, ce qui en a rendu moins vive la recherche. Le ducaton quine va- loit que io efealin on 3 fl. I0 f a été Porté a3 fl. XI f. ad. qui eft fa valeur actuellc. Je fuis, &c. Fin de la première Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, o u LETTRES Sur Yétzt a£tuel de ces Pays. Felix qui potuit rerum cogtiofcere caufas! VlRGILE. TOME SECOND. Seconde Partie. * f-4- i* Hf /'I V , J? ^ AMSTERDAM, Chez Changuiok , Libraire. On en trouyft des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. LXXXII,   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. LETTRE VI. Bruxelles , ce .. . Décembre 1782. D epuis quelques fcmaines, Monfieur , 1'argent eft ici on ne peut pas plus rare : cette rarcté gêne extrêmement le commerce , & pourroit même avoir des fuitcs funcftcs pour les commcrcans fi elle étoit de duréc : on 1'attribue a 1'emprunt d'un demi million de florins que vient de D 2  ?6 LeVoyageur faire un grand Seigneur de cette Ville & qu'il deftine a une grande cntrcprife de commerce , & a un autre emprunt, apeu-près auffi confidérablc qu'a fait un nomme de condition dc cette Vil'e qui fc propofe de faire défricher une grande partie de terre qui lui appartient. La nouvelle de la procha ne fuppreffion des couvens qui s'eft répandue depuis quelque temps, a pu aulfi contribuer a cette rarctc d'argent dont fe plaigncnt lei commercans & les banquiers. L'efpérance d'acquérir a vil prix les biens-fonds des couvens fupprimés, a pu engagcr lesgens è argent a retircr celui qu'ils avoient cn circulation. La fuppreffion des couvens eft , dit-on , rcculce, & eet argent ne tardera pas arentrer dans le commerce. Dan» les circonftsnees préfentcs , une partie des fonds des capitaliftcs Hollandois doit être a la difpofition des maifons de commerce & de banque de Bruxelles, d'Anvers, dc Bruges, de Gand & d'Oftcndc. Le capitalifte Hollandois ne rctirc que 2 &  dans les Pays-Bas. ?? demi de 1'argent qu'il place dans les fonds publics de fon pays,au-lieu de 4 pour cent que peut lui donner le banquier de Bruxcl les qui en retire 6 pour cent par 1'cfcompte. On parle beaucoup ici, Monfieur , de 1'établificment d'un Chapitrc de Chanoincfles roturicres que 1'Empcrcur fe pro. pofc, dit-on, dc faire dans chacune de fes Provinces des Pays-Bas, auffi-töt qu'il aura effectué la fuppreffion des Monafteres de fflles dans ces Provinces. L'effet dc cette nouvelle a été de faire autant defirer cette fuppreffion qu'on lui avoit été peu favorablc auparavant. Les Prébendes de ces Chipitrcs feront données aux filles des Bourgeois qui font le commerce en gros & la banque, ou qui occupent des places depuis un certain nombre d'années dans la Magiftrature & dans les bureaux dc 1'adminiftration : ce projet „ été exécuté cn Ruffie, & c'eft fans doutc dans fon voyage a Pétersbourg-, que VEmpereur a pris la réfolution de 1'exécutcr dans fes Etats des Pays-Bas. P S  ?8 LeVovageur. La Chanoineflb rorurierc qui, avant 1'age de 30 ans, voudra fe marier , reccvra, dit-on, fi elle époufe un commercant ou un mihtaire, une dot de 6coo florins, argent courant de Brabant, qui lui fera paycc par la caiiïè dc rcligion. Les pró. bendes de ces Chapitres ne feront pas égales ; fi y en aura un tiers de 600 fl T un tiers de 1000 fl. & un tiers dc 1500 fl. mais pour jouir dc ceileci, tl faudra avoir au moins 5o ans. A cet %C , Ia Chanoinefic pourra, fi elle lc veut, habiter dans les batimens du dehors , & y recevoir qui elle voudra depuis telle heure du matin jufqua telle heure du foir. Les autres ChanoinciTcs qui n'auront pas 3o ans & qui.ne jouiront que des Prébendes de la première & de la deuxieme clafle , habiteront dansl'intérieur dc la maifon ; chacune aura un appartement féparé ; celles dc la première clafle vivront en commun & celles de la deuxieme, chacune en particulier, fans  dans les Pays-Bas. 79 pouvoir ni les unes, ni les autres fortir du Cloïtre fans la permiffion de 1'Evêque. Les Chanoinefles de la deuxieme clafTc pourront fe choiiir, comme les Chanoinefles de Remiremont, chacune une niece; cette' niece, qui ne pourra avoir, lors de fon admiffion, plus dc 10 ans, payera a fa tante 300 fl. dc penfion, dont 150 feront fournis par fesparens & 150 par la caitfb dc religion: ces nieces pourront avoir toutc cfpecc de maltres qui feront paycs par leurs parens, & dont elles prendront des lecons dans une falie commune dans laquelle devra toujours être une Chanoincfle, La niccc fuccédcra a fa tante , quand cette tante fe manera ou viendra a mourir , ou qu'elle paffera dans la troifiemc claüe ; mais clans 1'un comme dans 1'autre cas, la nicce qui deviendra Chanoinefie , paflera dans la première clafle dont elle fera la dcrniere, & la Prébende de fa tante fera pour la plus anciennnc de la première D 4  _ Le Votageuh elaffi Chanoine^ dcstrois mémc' d'étoffenoire, mais fans voile ™ gu.mpe : toutes indiftindement affifcronta office divin dans lemêmechoeur, 5 f CCS GbapkresferafouZ 'ïah dllaPl™ de PEvêque & dc, Magffirats dc la Ville pour L mceurs, 6 du Gouvernement pour le temporel. t-cs Chap,trcs n'auront aucune propriété & le revenu de chaque Prébende fera fourmparlacaifle de religbn , qui pourv0Iera auffi a 1'entretien des badmens , tant exterieurs qu'intéricurs. Chaque Chapure aura fon aumónicr particulier, qui ieranomméparrEvêqucauquel il rendra co™Pte dc fa conduite, mais fans cefferdétreioum.saladifgipline du Curó de la Paroifle, qui pourra, quand il le voudra , venir eélébrer Ppfficc djvin dans la Chapelle du Chapitre. Ce projet m'a taru hen concu • on a tout firn jnfiju'è pré-  dansles Pays-Bas. 8i II rent pour Ia noblcffc, il eft temps que ij les Souvcrains s'occupent de la claffe de i leurs fujcts, qui certainement fait la force Ide leurs Etats. Je fuis, &c. D 5  8*1 L e -V o v;a ö- e u k. L E T T R E VII. Bruxelles • & . .. Décembre 1782 R IJruxelles, Monfieur, eft una Ville d'arrêt, ainfi que toutes les autres Villes du Brabant; tout ctranger peut y être arrête par fon créancier, foit dans les rucs , les auberges , les cabarets & les cafes, foit dans Ia maifon particuliere quhabne 1'étranger; mais dans ce dernier cas , il faut la prófence de deux Echevms, car on nepeut entrcr dans la maifon dun bourgeois de Bruxelles, pouryfaire Mc faifie ou y arrêter qui que ce foit, qu en prófence de deux Echcvins de la Vdle. I/arrêt du débiteur peut fe faire dans le premier cas par des fergens jurés, i«r la fimplc requifuion du créancier , & fans qu'il foit néceflaire dc prendre auparavant fentence du Juge: aucun étranger, de quelquc qualité qu'il foit, n'e»  dans les Pats-B as. 83 eft" exempt; les fcmmes y font fujettcs comme les hommes. Le coramentaieur dc la coutume de Bruxelles, rapporte qUé le Marquis de Sanna , le Comte de Ribadavia & un Duc de Brunfwick, furcnt arrêtés a la rcquifition de leurs créanciers. Tous ceux qui ne font pas habitans de Bruxelles, font réputés étrangcrs,ceuxmêmes qui font de 1'Univerfité de Louvain. On peut auffi arrêter un Prêtre, de quelquc dignité eccléfiaftique qu'il foit revêtu. Un Membrc des Etats de Brabant qui n'auroit pas de domicile fixe dans Bruxelles, pourroit auffi , je crois, être -arrêté par fes créanciers, pourvu que cc nc fut pas pendant le temps des Etats. Mais quand un étranger a eu pen- dant un an & un jour un domicile fixe dans Bruxelles, il n'eft plus réputé étianger , & alors il nc peut être arrêté par fes créanciers qü'eh vertu d'une fentence du Juge. Mais habiter dans une chambre gaf nié , neft pas avoir un domicile fixe ; Yon n'eft réputé cn avoir un que quand D 6  84 Le Voyageüb. on eft locataire d'une maifon , ou d« SfjurlT ?T * ^ Lcs-ilieurs Juniconiultes dc BruxeIIcs crofe quePétrangcr qui pcndant u„ °,ent jour n'apas été conftamrncnt, & d uneparnede maifon, nc doit pasjouir dupnvilege des bourgeois, & qu'on peut fonde fox Pulage que fur „ ^J.^ de la coutume,qui n'exige dc 1 etranger vvL 7r .^te/^-,fansex- ai 'cc do qTUd tCmpS 3 fout ^ «t cc domicile. Je crois que lur cela les Juges doivent eonfidérer fe caraclere de 1 arrêt e .ui, s'il eft inconnu, ^ d être un aventuner, doit être traité ave fm°inS qu'un autre étraE feroit connu. 6 L'étranger qui eft arrêté n'eft pas conf de fa pcr(onne;i,sle conduifent o i n uement dans un cabaret, ou ils li;ifom connoltrc ]a caufe poui laquclle Ui 1'ont  dans les Pays-Bas. 85 arrêté ; s'il pent payer ou donner eau-, tion , on le relache ; finon on 1'ajourne devantles Magiftrats de la Ville , qui ordonnent , fi 1'arrêt eft fondé , qu'il foit conduit dans la prifon civile : cette tranflation s'opere ordinairement au bout de 24 heures. Si 1'arrêt a été mal fait, 1'arrêté eft dans le cas de demander des dommages & intéréts. Un étranger peut, comme le citoyen , faire arrêter dans Bruxelles un autre étranger , pourvu qu'il donne bonne & fuffifante caution des dommages & intéréts qui pourront réfulter de Tan-ét. ï\ faut auffi que 1'arrêtant & 1'arrêté ne foient pasfujetsdumêmeSouvera'in ou du même refibrt dc jurifdiétion , fi 1'arrêté & 1'arrêtant font fous l'obéiflance du Souverain dc Brabant. Mais cela ne feroit pss fi 1'arrêtant pouvoit prouver que 1'arrêté eft fugitif. Nous avons plufieurs Villes en France qui font comme Bruxelles Villes d'arrêt. Londres eft auffi une Ville d'arrêt; tout  86 Le Voy ag eur débiteur peut y être arrêté par fon créancier ; mais a Londres cela ne peut fe faire qu'après que le créancier a affirmé au Juge de paix fa créancc : cette affirmation fuffit indiftindement contre toute efpece de débiteurs, de quelquc qualité qu'il foit, & le citoyen de Londres peut être arrêté par fon créancier comme 1'étranger. Je fuis, &c.  dans les Pays' -Bas. 87 L E T T R E VIII. Bruxelles ce.... Decemhre 1782.. J a 1 hier, Monfieur, repris mon voyage pittorefque. Mes pas fe font portés d'abord vers le Couvent des pctits Carmcs ou Carmes déchauffés: ce Couvent eft grand $ il a été conftruit fur le terrein qu'occu-» poit anciennement 1'Hötel de Culembourg que lc Duc d'Albe avoit fait. rafcr. Ces Reiigieuxhabitcnt Bruxelles depuis 1610; leur Eglife n'eft pas grande, mais elle eft d'une belle firaplicité : fon principal ornement eftlc tableau du Maitre-Autel 5 c'eft un des plus-beaux qu'ait faits Rubens ; il repréfente 1'Affomption de la Vicrge : je crois vous en avoir déja parlcCe tableau eft de la plus belle & de la plus richc compofition ; Penfemble en eft admirable ; tout y eft pcint a fond & de ia plus belle couleur: les clairs & les oro-  88 LeVoyageur. bres y font menagées avec le plus grand art & produifent le plus grand effet; le deffin cn eft extrêmement corredt; toutes les têtes ont un cara&cre décidé & différent ; toutes ont une expreffion très-forte & très-heureufe. Dans lc bas eft le tombeau oü étoit dépofé le corps de la Vierge. Auprès de ce tombeau on voit deux ferames qui ticnnent & examinent lc linceuil qui enveloppoit lc corps j fur cc linceuil font répandus des fleurs. Les Apótrcs forment un groupe trés - intérefTant; ils fe preffcnt & femblent tous fe précipiter vers le tombeau ; les uns y portent un ceil inquiet & curicux , & paroiffent fe partagcr entre le defir d'examiner 1'intérieur du tombeau , & celui de voir ce qui fe paffe au-deffus de leur tête ; les autres qui regardent dans le tombeau fe livrent au fentiment de furprife & de joic qu'ils éprouvent en voyant les Angcs emporter la Vierge vers le ciel. On voit dans la même Eglife un autre tableau du même Maitre, qui repréfente  bans les Pays-Bas. 89 Ste. Thércfc aux pieds de Jéfus-Chrift qui lui apparott.. Ce tableau eft fort éftU mé , cependant les chaires m'en ont paru d'une crudité qui affedc 1'oeil. Rubens avoir peint Jéfus - Chrift a nud , & il a plu aux Révérends Peres Carmes, on ne fait pas pourquoi, de le faire couvrir en partie d'une draperie rouge , qui, aux yeux de tous les connoiffeurs, a fait difparoitre dc leur tableau une partie de fon mérite : ce tableau en a cependant encore beaucoup ; Ste. Thérefe y paroit a genoux ravie en extafe, & foutenue par un Angc ; un autre Ange lui préfente une flechc enflammée. La tête de la Sainte eft belle & plcine d'expreffion. Le liffé dc ce tableau n'empêche pas qu'il nc foit d'une touche très-vigoureufe. Les Carmes dóchauffés d'Anvers ont dans leur Eglife , a ce qu'on m'a dit, un tableau du même Maitre tout-a-fait femblable a celui dont je vous entretiens , mais qui lui eft infiniment fupérieur. Autour dc 1'Eglife font dix tableaux repréfentans lc triomphe dc  9° LeVoyageur la religion ; ce font des copies dont les ongmaux pcints par Rubens, décoroient le Palais de 1'Archiducheffc Elifabcth , ■ & furent confumcs avec ce Palais en 1r«1 • ces copies font belles & font même" devenucs très-précicufes depuis la dcftrudbon des originaux : ces originaux avoicnt été gravés avec beaucoup de foin , je ne me fouvicns plus par quel Maltre. Vous devez avoir ces eftampes dans 1'oeuvre dc Rubens que vous polfcdez; examinez-les & vous verrcz combien la cofnpofition de ces tableaux étoit riche ; jc crois qu'on peut les placer a cóté de ceux qui compofent la Galerie du Luxembourgds font plcins dc feu , de Igénie & dè pocfie. Jai vu les tableaux des Hötels d'Arcmberg & dc Ligne, le Duc d'Aremberg polfcde plufieurs chef- d'ceuvrcs de Crayer, de Claude Lorraine, dc Met-2u (a) & de Watcau (b). La colledlion du Prince de Ligne n'eft pas nombreufc mais elle eft précicufe : les morecaux pnncipaux font de L. Jordans (c) , de  bans les Pays-Bas. 91 Vandermculcn (d) , de Téniers (c) , dc Brcugel (f) , dit Velours, de Brcugel d'Anvers (g) , & dc plufieurs Maltres ïtaliens; mais le plus beau eft une defcente dc Croix de Van-Dycfc. Le Comte dc Lannoy & lc Comte de Ribaucourt polfedent auffi quelques tableaux prccicux ; le aernicr cn a un , m'a-t-on dit, qui eft d'une grande beauté. Je fuis, &c. (a\ Gabriel Metzu naquit a Leyden en 1615 , & mourut a Amfterdam en 16j8 dans l or>eration qu'on lui fit de la pierre : ce Peintre n'a point travaillé dansle grand genre , mais on doit le confidérer comme un des premiers artmes pour le beau fini & 1'intelligence des couleurs f il fut, fi 1'on peut parler ainfi , une xcellent interprête des beautés de la nature ; ü n a peintque des converfations,des fujetsde capnce desfemmes entourées de leurs families, des malades avec leurs médecins , des laboratoires de chymiiïes , des femmes qui vendent des fruits, des légumes, du gibier : il reprefentoit tout avec une fineflé de pinceau, une  9* LeVoyageur. vénté une exaéhtude dans Ie deffin & une beauté de coloris dont peu de Pe.ncres on approche Les tableaux de Met.u font rares, ^ce qu e font pas ^ n0mbre '1 mettoit un remps i„fi„i i fes faire. il ST?" m<1'1 '1 Va,sncie""es e„ l684 j Claude G.llot, pUIS de Claude AudranriJeft rnort en en i72i , Ége' feulement de 37anS- /f01! fi f°» que ,e Prétre ^ S firtoua Ia mort, lui ayant éfem, J a fix„,aIfcu pté,Wateau Jui «« rri,f rltSaUémon hon «"''re/ Wateau étoit bre mfin, de tableaux & de deffins qu'il a la lTes ^fes tableaux ne doivent pal être placés dans Ia première place , ils ne font in~ djgnes d enrrer dans les cabinets des amateur, les plus dehcats. Dans tous on trouve de la gaieté, un efprit vif & pénétrant, un moment naturel, une correftion de delïïn une venté de couleur avec un pinceau coulant une touche des plus fines & de. plus Jégercs: dK d/rgenville, n'eft au-deftus Je fe, eara3er*s de t*e; la nature fe montre felle eft ; i tous ces agrémens il joignoit un excellent payfage t, des fonds admirable, pour l intelligente des couleurs ; U a non-feu-  dans les Pays-Bas 95 lement excellé dans les compofitions galante* & champctres , mais encore dans les marches & haltes de foldats : On a de lui quelques tableaux d'hifto'tre qui ne font pas fans mérite. (a) Lucas-Jordans naquit a Naples en 1631; il fut éleve de Jofeph- Ribera & de Pierre de Cortone; il fit une étude particuliere & conftante des chef-d'ceuvres de Paul-Veronefe, de Léonard Vinei , de Michel-Ange & d'André Delfortes. II fe forma un goüt & une maniere qui tenoient de tous ces grands Maitres : il fut en Efpagne en 169a, & V peignit PEfcurjal. Jordans pofledoit fupérieurement le talent de copier les tableaux des autres Maitres, au point de ne pouvoir diftinguer la copie de 1 original; d'efpagne il pali'a a Florence , d'oü il revint a Naples, fa patrie : il peignoit avec une rapidité extréme ; fa maniere avoit beaucoup de vaguefle Sc d'harmonie j il entendoit parfaitement les racourcis ; trop de précipitation le rendoit quelquefois incorreét & mauvais anatomifte: fon école a été une des plus célebres de 1'Italie. On raconte que deux particuliers de Naples n'étant pas venus retirer leurs portraits que Jordans avoit peints , il effaca la téte de 1'un & y fubftitua celle d'un boeuf, & mit fur la téte de 1'autre un bonnet de fuif: ces claricatures expoféei aux yeux du pu-  94 Le Voyageur Mie, firent accourir chez lui ceux pour qui il avoit fait ces portraits, & ils Ie paye- rent",°n m'a dit clue Ia même chofe étoit arnvée il y a quelque temps a Anvers a un particulier qui n'avoit pas voulu payer Ie Peintre qui avoit fait fon portrait , & qui avoit orné fa téte de deux belles cornes de taureaux. Jordans eft mort a Naples en 170; ; agé de 73 ans , laiffant de grandes richefTes.' (d) Vandermeulen naquit a Bruxelles en I634, & eft mort a Paris en 1650, agé de J6 ans; il y avoit été appellé par Colbertil fuivit Louis XIV J k guerre & peignit fous fes yeux nombre de tableaux; il deffinoit fupéneurement la figure & les chevaux; fon payfage eft léger & frais , fa touche, fon feuilJer rrés-fpirituel; fon coloris n'eft pas fort, mais il eft fuave : il a travaillé beaucoup & peint un grand nombre de fieges , de batailles & de chaffes. (e) Anvers a vu naïtre dans fes murs David Téniers le vieux en I581: il y eft mort en 1649, ftgé de 67 ans; fon fils nommé auffi David ' y étoit né en 1610 : il y eft mort en 1694' agé de 84 ans; fon genre a été le même que' celui de fon pere; on I'a furnommé Ie fiW de Ia peinture, paree qu'il imitóit parfaitement la maniere particuliere de chacun des autres Maïtres. On trouve dans les ouvrageg  dans les Pays-Bas. 95 de fa compofition une finefie & une perfecsïon étonnante; s'il n'etit pas, comme fon pere, 1'avantage d'être 1'éleve de Rubens, il en a été confipéré, au point que Rubens fe faifoit un plaifir de lui donner fes confeils. Le principal talent de Téniers le jeune étoit la payfage orné de petites figures: il repréfentoit fouvent des fujets de buveurs , des tabagies, des boütiques de chymiftes, des corps-de-garde, des tentations de St. Antoine , des carmeffes ou fétes de Village : fes petits tableaux font plus eftimés que fesgrands, mais dans tous on remarque une exécution facile , un feuiller léger & des ciels admirables : fes petites figures font d'une expreffion & d'une touche très-fpirituelle ; elles ont toutes le vrai caraélere qu'elles doivent avoir: fes ouvrages, dit d'Argenville , parlepeu d'épaijfeur , paroiff'ent faits au premier coup. Téniers en peignoit les foirs qu'il finiflbit entiérement & qu'on nommoit, a caufe de cela, les apiès-fouptrs : ces tableaux étoient clairs dans toutes leurs parties; il avoit Part, fans repouffoir, de détacber tous les clairs par d'autres clairs fi bien pratiqués , qu'il eft prefque le feul qui ait eu ce talent. On peut lui reprocher que fes figures font un peu courtes, & qu'il ne mettoit pas affez de variété dans fes compofitions.  96 Le Voyageur (f) Jean Breugel, dit de Velours, fils de Pierre Breugel, naquit dans un Village prés de Breda en 1575, & mourut en 1642, agé de 67 ans; il peignit d'abord des fleurs & des fruits, puis des payfages & des vuesderner; fa touche eft légere & fpirituelle : il y a une grande corredion dans fes figures. On doit admirer fur-tout les animaux, & principalement les voitures dont fes payfages font ornés. On peut lui reprocher d'avoir mis- trop de bleu dans les lointains ; mais tous fes ouvrages font du plus grand fini. Le tableau du Paradis terreftre eft fon chef-d'ceuvre. (g) Pierre Breugel naquit dans un Village prés de Bréda en Ij6y & mourut a Bruxelles, on ne fait dans quelle année: il fut enterré dans 1'Eglife de la Chapelle avec fa femme qui étoit de Bruxelles,& qu'on nommoit Cock ■ fes tableaux font des marches d'armées, des attaques, des combats, des danfes & des noces de Villages. LETTRE  dans les Pays-Bas. $f LETTRE IX. Bruxelles , ce.... Décembre 1782. Xj ai ss EZ faire , laiffe\ paf er, eft une maxime, Monfieur, que toute nation qui veut avoir un commerce flonffant doit adopter. De tous les Miniftres des Financcs qu'a eu la France, je nc connois que feu M. Turgot qui aitbien connu toute 1'importancc de cette maxime ; il voyoit en homme d'Etat les intéréts du Prince ; il n'étoit pas , comme le font prefque tous ceux qui font chargés de 1'adminiftration des Finances des Souverains, imbu de cette fauffe maxime qu'il faut tout facrifier a 1'intérêt du fifc. M. Turgot penfoit que 1'intérêt du Prince eft inféparablc de celui des fujets cn particulier & de toute la nation cn général: fi le Fifc eft pauvre & la nation riche, difoit-il, VEtat fera puijfant; fi au conTome IL Partie II. E  9^ Le Voyageur. traire c'eft h Fifc qui eft riche & la natwn pauvre, l'Etat ferafoible. II s'en faut bien que 1'Angleterre ait les moyens de la France; pourquoi a-t-cllc cependant fait depuis le commencement de la guerre ce que la France n'auroit pu faire dans des circonftances femblables 1 C'eft que l'Etat cn Angleterre eft pauvre & que les fujets font riches. II eft vrai auffi qu'en France le tréfor du Prince & celui de l'Etat ne font qu'un , & qu'en Angleterre le trétor dc l'Etat & celui du Prince font tout-a-fait diflinds, &.qu'il s'enfuit que 1'adminiftration des Finances s'y re  bans les Pats-Bas. ioi ayant moins ou plus, elle fe vend 1 Qu'importe que 1'étoffe ait telle ou telle largeur, fi 1'achcteur la préfere plus étroite que plus large 1 Laiffez faire le manufacturier , il a dans fon propre intérêt un guide sur qui ne 1'égarera pas. Laiffez faire fon induftrie , jcs lecons qu'elle lui donnera vaudront mieux que tous les régiemens qui font fortis des Bureaux de Mrs. dc Trudaine. Les Anglois, ni les Hollandois n'ont pas donné a leurs fabriques de draps tant de préceptes ni de loix qu'en ont recus celles de France , & cependant leurs draps fe vendent dans tous. les marchés du monde entier , tout auffi bien & peut-être même mieux que les nötres. Ce ne font pas les entraves qu'on a donnés aux fabriques dc Lyon & dc Tours qui leur ont valu la préfcrence fur celles de nos voifins, puifque , pour la folidité , celles-ci leur font préférables, mais le goüt de leurs deflïnateurs qui, fort heureufement, n'a pas été gêné. J'étois pauvre, me difoit un E ;  ƒ02' LeVoyaseu* jour un fabriquant, quand jc fabriquois desetoffes de la première qualité • dePuis que j'en fabrique de la derniere quai"e, je fu.s devenu riche. L'Etat retire Plus d'avantagesde la vente de xoo pie«s de tirtaine,quedela vente de 100 Pieces de velours; celle-latourneau profit dc bien plus de citoyens que celle-ci. Je confentirois volontiers a la propolition que fcroient les Anglois d'abandonner la fabrique des étoffes de laine, fi les Francois vouloIent renoncer a leur fabrique dc foie II ne faut pas laiffer faire k un orfevre tout ce qu'il voudra , paree qu'il peut tromper le publ.c fans qu'il s'appcrcoive dc la fraude, mais je laifierois la plus grande liberté aux tiflerans pour Ja fabrique de fa toile : 1 acheteur ne Pacfaetfera point s'il la trouve d une mauvaii'c qualité. Mais fi lc laijfo faire doit contribuer au progrès du commerce des nations, le laijfa paffer y contribucra encore bien davantagc. Pourquoi le' cultivateur cultive-t-iH Pourquoi lc. fabriquant fabrique-t-in pour fe procurer, par 1'expor-  dans les Pays-Bas. 105 tation des pródudions, 1'un de fa fabrique , 1'autre de fa culture , leur fubiiftance, les moyens dc payer leur part de la contribution générale , une augmentation d'abord d'aifance, enfuite de fortune. Si on retarde cette exportation par une multitude d'obftaclcs qui ralentiffentla marche de la chofe exportée , il en réfulte un découragement total : ces obftacles font des formalités lans nombre qu'il faut obferver , foit au départ, foit a 1'arriryéc , foit dans la route, qui rendent le tranfport plus lent & plus cher, & par conféquent , rcnchcruTent la chofe vendre, & cette augmentation de prix dégoüte 1'acheteur : c'eft bien pirc encore , li cette augmentation eft produite par unc multiplicité & une variété de droits dont il faut que les voituriers faffent les avances. Pourquoi le Berry eft-il fi pauvre, ayant tant dc riches productions 1 C'eft que fi le cultivateur du Berry retirc un bcnéfice de 600 liv. des productions dc fa culture, vendues a Paris , il E 4  *°4 LE Vo va6eur *aut que Pacheteur de Paris les paie, y compns 1'achat, la voiture & les droits 5000 hv. Voici un fait que je puis attcfter comme témoin oculaire. Le poffeffeur d un vignoble qui eft a trois lieues de loulouie, voulut effayer,il y a qud. ques années.d'envoyer a Paris un tonneau de vin de Ion cru , qui fe vendoit ordinairement, pris fur les lieux, 40 liv Jladreflaè M. Debriers, Banquier a i^ans, qt„ ]e vcnJit 5QO Jiy> ^ M ^ Cany ; le Touloufain crut avoir fait une bien bonne affaire-: mais quand il reeut le compte de fon Banquier , il fe trouva qu il en avoit fait une fort mauvaife. Son tonneau avoit Fayé en route depuis le céher du vendeur jufqu'a la cave de 1'acheteur , quinze efpeces de droits différens, qui montoient a 225 ]. 16 f. 4d la voiture & autres frais avoient monté * z75 1. 11 f. 3 d. & ces deuxfommes réunies formoient celle de 501 1. ?f.7 d ainfi la vente n'ayant produit que '500 iiv'  BANs les Pays-Bas. 105 tl fc trouva rcdevable aa Banquier de t liv. 7 fols 7 deniers. Mais comment former les revenus de TEtat, fi on lui óte le produit de ces tnêmes droits5? dc deux manieres, en impofant feulement la terre qui produit , ou fa produclion a 1'endroit du crü; mais, répondra-t-on, cela reviendroit au même ; non , paree que 1'une ou 1'autre impofition cauferoit peu de frais, & que 1'impofition aauelle en occafionne de trèsgrands qui ont groffi d'autant 1'impofition. Le Roi en France leve , a cc que je erois , huit eens millions fur fes peuples, & il n'en entre dans fes coffres que la moitié. Les fujets du Roi font chargés de trois cens millions de plus qu'ils ne lc feroient, fi la perception étoit plus fnnple & moins compliquee qu'elle 1'eft a préfent, & qu'elle ne cout&t que cent millions. Pour percevoir les 15 efpeecs de droits qu'a payés la piece de vin du Touioufain, il a fallu quinze perfonnes payées en apparence par le Fermicr du Roi , mais qui E 5  io6 LeVoyaseur 1'étoicnt effcaivement par la piece de vin. Si cette piece de vin eüt Payé 1'impót dans le célier du vigneron, eet impöt, recu parun feul falarié du Fermier , auroit été möins fort des quatorze autres falaires que n'auroit pas payés le Fermier. Tant qu'on lailfera fubfifter en France la Ferme générale, 1'impofition unique fur la terre ou celle a 1'endroit du cru n'aura jamais lieu, &par confequenr auffi telaifiipaJfer.Sl feu M. Turgot eüt refié en place, je fuis perfuadé qu'il auroit repris a la paix le projet propofé par feu le Comte d'Héronville , de mettre toutes les Provinces de France en paysd'Etat, comme je fuis convaincu que fi M. Necker étoit remis iï la tête des Finances, il acheveroit 1'établiffemcnt fi heureufement commencé des adminiftrations provinciales. Pour le projet du Comte d'Héronville, il fbffit de comparcr l'Etat de Ia Province d'Artois a celui de la Province de Pieardie qui I'avoifine. Vous lavcz que 1'Artois n'eft ni auffi grande, ni auffi  dans les Pays-Bas. 107 riche que la Picardie , & que cependant elle paie au Roi autant que la Picardie; mais ce que vous ne favez peut-être pas , & ce que je puis vous aflurcr pour en avoir vu les Etats, c'eft que les frais de perception & ceux d'adtniniftration ne content a la Province d'Artois que 330000 'liv. y compris lc paiement des trois Commiflaires du Roi, des trois Députós dc« Etats a la Cour & des trois Députés ordinaires, tandis que la perception feule en Picardie coute a cette Province autant que 1'impöt même , c'eft-a-dire , que fi elle verfe dans le tréfor royal quatre millions, il faut lever fur fes habitans huit millions. Vous devez vous rappeller, Monfieur, que la Province de Normandie a offert a Louis XV de payer tous les ans au tréfor royal quarante millions au deffus de la fomme que le Roi retiroit alors de cette Province, fi le Roi vouloit lui laifier le loin de former ellc-mêmc fonlmpofition & d'en faire la perception. II me E 6  *o8 LeVoyageur. femble que cela feul doit décider en faveur des adminiftrations provinciales qui, lans avoir les inconvéniens des adminiftrations des pays d'Etat, en ont tous les avantages. Je concois comment s'cft établie en France cette diftinction de Provinces de» cinq grojfes Fermes, de Provinces étrangeres , de Provinces re'putées étrangeres y c'eft une conftitution que IVL Necker a nornmée barbare avec jufte raifon ; elle a été 1'effet dc la forraation graduelle du Royaume ; mais qu'on la laine fubfifter, c'eft ce qui me révolte : Ie mal qui en réfulte eft notoire pour le commerce; car en multipliant les Bureaux des traites, elle multiplie les entraves, les dïfficultés & les frais de tranfport> qui, les uns comme les autres, nuifent è ia circulation intérieure des produ&ions de la culture, comme des manufadures & de 1'induftrie en général. La iJjpart des adminiftrations ne con, fiderent pas aflez que de la prolpérité du  D A N S V B S P A Y S -B A ï. commerce intérieur, dépend celle du commerce extérieur ; elles nc voient pas que 1'un n'intércffe qu'une partie de citoyens , .tandis que 1'autre les intéreffe tous , foit direttement, foit indireftement. II eft impoffiblequ'un pays qui a un commerce intérieur très-aaif, n'ait bientöt un commerce extérieur très-florifl'ant. Comment Colbert & ies fucceffcurs ne 1'om-ils pa* fentil Comment, convaineus de cette vérité, n'ont-ils pas affranchi le commerce intérieur dc la France de cette multitude innombrable d'entravcs qui le gênent & ralentilfent fon activité 1 C'eft qu'il y avoit dc grandes difficultés a vaincre , de grands changemens a faire , fur-tout beaucoup d'iutérêt particulier a facrifier. Le même vicc fubüfte dans les Provinces des Pays-Bas Autrichiens, & il eft bien plus difficile qu'il ne 1'eft cn France de le faire difparoïtre. Ce vice tient a la conftitution dc ces Provinces, Toutes les Provinces obéiffent au même Souverain, mais chacune d'ellc a fa conftituuon öe  'iio Le Voyageur. fon adminiftration particuliere; chacune d'clles afon fyftême de Financc , même fon tréfor : le Souvcra;n rccoit de chacune d'elles un fubfidc, mais ce font elle» qui, chacune en particulier , emploient les moyens qu'il convient pour le former ; non-feulement elles déterminent les objets de lïmpofnion , mais elles en font Ia perceprion. Le Brabant eft pour la Flandre&le Hainautune Province étrangere, comme celles-ci le font pour le Brabant: la denrée du Brabant doit donc payer a fon entree dans le Hainaut, les droits qui y font ctablis, de même que la denrée du Hainaut venant dans lc Brabant , paie ceux qui fe percoivent dans le Brabant. Le Souvcrain & les Villes percoivent auffi des droits qui font différens de ceux qui font percus par les Etats dc chr.quc Province. De-la cette multitude de Bureaux auxquels il aut que les voituriers s'arrêtent & que la denrée loit vifitée & les droits payés. Les denrées mêmes ou marchandifes qui nc font pas aifujetties  dans les Pays-Bas ui è aucuns droits, font foumifes a desformalités gênantes, lorfqu'on .veut les faire tranfporter d'une Ville dans une autre de la même Province. Si un ami de Louvain me prie de lui envoyer un livre qui paroït a Bruxelles, il faut que je le faffe accompagner d'un acquit, fi je 1'envoie par une voiture publique. Cette multitudc de barrières qu'on rencontre quand on parcoure les Provinces des Pays-Bas Autrichiens, ralentilfent la marche du voyageur & rctardent le tranfport de la marchandifc & de la denrée. Ces barrières font pofées a une lieue de diftance 1'une de 1'autre, & a chacune d'elles il faut payer un droit plus ou moins fort, fuivant 1'efpece dc la voiture qui paffe &la quantité de chevaux qui la conduit. Le produit de ce droit eft employé ■a 1'entrctien des- cfem ns : ces chemins font bicn entretcnus, & l'avanta^e qu'en •reiirent les voyageurs & les voiiuriers , les indemnifent du droit qu'ils paicnt. B me paroit jufte que celui quiproritc d'une  iï» Le Voyag eur. chofe contribue a la confervation de cette même chofe. Mais en quoi les barrières nuifent-elles véritablcment au commerce 1 c'eft en ce qu'elles interrompent dans certains temps, tels que dans les temps de degel, le traniport des marchandifes & des denrées qui fe fait par des voitures de plus d'un cheval : cela conferve les chaulfées ; mais ne vaudroit-il pas mieux facrifïer quelques fommes de plus a leut entretien & laiffer libre en tout temps lc paffage des barrières *) Notre maniere d'entretcnir les chemins eft odieufe; je ne puis concevoir comment elle fubiifte encore , & ce fut le premier corps de notre Magiftrature qui s'oppofa a ce qu*elie füt changce : ce Corps eft par état le protedteur du Peuple ; il veut qu'on le croie placé entre le Souverain & le Peuple , pour empêcher 1'oppreffion du Peuple, & c'eft lui qui s'eft oppofé k la fuppreffion des corvees, qui eft de toutes les opprefiions la plus criante. Je fuis, &c.  dans l es Pays-Bas. 113 LETTRE X. Bruxelles ce.... Décembre 1782. J E penfc commc vous , Monfieur , que le laijfei faire & le laiffe^ p af er, ne s'ctabliront en France que quand on y aura fupprimé les Jurandes & les Férmcs gérales; mais ce font deux grandes opérations qui demandent un temps favorable , c'ett-a-dire, un temps dc pais & même d'aifance, fur-tout pour la fuppreffion des Ferm es, une grande fermeté de la part du Souverain & un grand défintéreflement de la part du Miniftrc de fes Finances. Le rétabliflement des Jurandes, fous le minifterc de M. Turgot, qui les avoit fait fupprimer , a été un a&e de foiblefie plutöt dc la part du Coniéil du Roi que de la fienne. Notre bon Roi s'ctoit donne un mentor qui méritoit certainement fa coniiance , mais ce princi-  ïï 4 LeVoyageur pal Miniftre , comme tous les vieux courtifans, craignoit de compromettrc fon crédit; il avoit plus d'efprit que de génie , plus d'aménité dans le caradere que de fermeté dans 1'ame ; il favoit mieux employer de petits moyens que faire ufage des grands : il vouloit le bien, mais il croyoit qu'il falloit le faire par gradation ; il croyoit que la fecouffe violente que produit prefque toujours un grand changement quand il eft fait fubitement, occafionne au Corps politique un ébranlement qui offoiblit fes rcfforts, & fouvent même cn dérange 1'harmonie. M. le Comte de Maurcpas eftimoit M. Turgot , maisil craignoit 1'aétivité de fon zèle, de même que connoiflant tous les avantages que la France pouvoit retircr de fon union avec les Etats-Unis de 1'Amérique , il cn redoutoit les fuites , & de-la le temps infini que demanda la négociation qu'a terminéc le traité d'alliance de la France avec les Etats-Unis. On ne peut pas ici, Monfieur, ainfi  cans les Pays-Bas. 115 que dans les autres principales villes du Brabant,fupprimerles communautés d'arts & métiers ; elles tiennent a la conftitution nationale & font partie conftitutive d'un des trois membres qui compofe le Corps repréfentatif dc la Nation. A Bruxelles plufieurs de ces communautés forment ce qu'on nomme une nation , & toutes les communautés de cette Ville compofent ncuf nations. Souvent les communautés qui forment une nation , n'ont entr'ellcs aucun rapport. Les brandeviniers, par exemple , exercent nne profcffion tout-a-fait différente a celle des chapeliers auxquels ils font unis. On pourroit , je croïs , en laiffant fubfifter les communautés d'arts & métiers dans Bruxelles & les autres villes du Brabant, cn dimi' nucr le nombre, en uniflant fous une même Corporation celles dont les profeffions pourróient avoir entr'elles quelque rapport : on 1'a fait en France quand on les y a établies. L'effet de cette union feroit de rendre moins fréquentes les oc-  iio LeVoyageur. cafions de plaider qu'ont entre'elles les communautés au fujet de leurs profeffions, refpectives. Depuis deux ans les brandeviniers & les brafleurs de Bruxelles plaident enferable pour favoir fi un braffcur peut être en même-temps brandcvinicr; il le pourra, on dit les brandeviniers, fi les brafleurs vculcnt reconnoitre que nous pou vons comme eux braffcr de la bierre. La meilleurc facon de décidcr cc procés* eüt été d'unir les deux communautés. Sans anéantir les communautés d'arts & métiers dans les Pays-Bas Autrichiens,on pourroit les rendre moins contraire aux vérkaMes intéréts du commerce; elles nuifent, paree qu'elles ont d'anciens ftatuts qui afïujctuffent ceux qui veulent être recus maitres •a un apprentifiage auffi long qu'il eft nuifibje aux arts & métiers, a la perfeaio» dcfquels il ne peut contribuer. Plufieurs dc ces ftatuts font des 12 & 13e. fiecles, & 1'on veut qu'ils fervent encore de regie i 1'induftrie. Les fabriques de bafin, de faics noires & blanches , des toiles a voile ,  dans les Pays-Bas. ii? de fiamoife,y font encore alfujetties aBruges, cc qui fait qu'elles ne pcuvcnt foutenir la concurrence de 1'étranger. Ces ftatuts prefcrivent la longueur, la largeur, même la grolfcur & la finelfe que doivent avoir ces marchandifes : on s'y conforme pour éviter la faifie , & 1'étranger n'en tire pas , paree que la largeur, la longueur & la qualité que les fabriquans leur donnent pour fe conformer aux ftatuts , ne conviennent pas a 1'acheteur. Un ncgociant de Bruges, qui eft ici depuis quelques jours, me difoit hier:r> fai vutomberh. Bruges la fabrique des faies noires, paree qu'on ne voulutpas permettre qu'elles fuffent fabriquées fur la même largeur que celles de Liege, 6" la fabrique des faies Manches , paree que les Efpagnols qui en tiroient tous les ans une grande quantité, les vouloient de la même largeur & de la même fineffe que celles d'Angleterre. On ne voulut pas permettre aux fabriquans de Bruges de s'écarter de ce que leur prefcrivoient les ftatuts fur la longueur 6" la qualité de leurt  Ho LeVoyageur. faies. Und'eux cependant, plus hardi qu& les autres, a hafardê de le faire, tj a préfent les Anglois envoient leurs faies Manches pour qu'elles y foient marquées comme le font celles de Bruges. II y a, il eft vrai, dans quelques-uns des ftatuts des corps & métiers de Bruxelles deschofes bien utilcs a 1'humanité ;;;tcls font par exeniple les fecours que ces ftatuts veulent que la communauté donne aux maitres indigens , de même qu'a leurs veuves Se a leurs enfans, & aux ouvriers des maitres qui font infirmes ou chargés d'un grand nombre d'enfans. J'ai vu cettè düpoiitio n dans les ftatuts des Charons. Les frais de réception font trop chers: il faudroit les diminuer. Depuis quelques annécs on a défendu aux Doycndes repas qu'ils étoient dans fufage dc donncr k ,-rtains jours dc 1'anncc a leurs Avocas, Procureurs, & a quelques Magifra-? de Mótel-deVille : ces repas ie faj oient aux dépens dc la communauté qiji, quand elle n'étoit pas riche , étoit obligée de faire des  ©ans i>bs Pays-B'as. ïig cmprunts : ces empruntsne peuvent pas* je crois, fe faire fans 1'aütorifation des Magiftrats de la Ville ou du Gouvernement. II faut auffi qu'une communauté foit autorifée pour qu'elle puilfe intenter ou foutcnir un procés. On m'a alfuré qu'il y avoit ici des corps de métiers qui avoient en caiffe jufqu'Èl deux a trois eens mille florins, & que les brafleurs avoient offert, il y a quelques années , de batïr a leurs frais un Palais pour y logcr le Gouverneur-Général. Ce qui eft certain , c'eft que quelques-unes des communautés d'arts & métiers dc Bruxelles ont quclquefois prêté au Souverain des fommes d'argent aflez . conndérables : il y en a qui ont un revenu fixe, foit en maiions , foit cn terres , foit en rentes. II y a auffi a Bruxelles des communautés d'arts & métiers qui nc font pas partie de celles qui compofent les nations; telle eft la communauté des Libraires& Imprimeurs , qui depend immédiatement du Confeil dc Brabant. Je crois qu'on  Le Voyagjhm pourroit fupprimer ces communautés ifolécs & laiffer libre 1'exercice de leur profcffion. II n'y a peut-être pas a préfent è Bruxelles 15 preffes roulantes continucllement;combien donc ne feroit-il pas avantageux pour fon commerce de livres, d'attirer dans fes murs les Imprimeurs étrangers*} Je fuis, &c. LETTRE  dans i/ES FaYS-BaS. 121 LETTRE XI. Bruxelles , ce.. .. Décembre 1782. O N nc peut, Monfieur, employer plus mal une partie de la matinée que je 1'ai fait aujoufd'hui. Dans 1'Eglife des Bénédictines Angloifes, je n'ai trouvé qu'un feul tableau très-médiocre de Guerards , Anverfois; il repréfente une Affomption. Dans 1'Eglife des Religieufes de Ste. Gertrude, une autre Aflbmption , peinte par V. H. Janffens, ne m'a pas plus fatisfaite : elle fent la palette & n'a aucun effct. Je n'ai gueres été plus fatisfait de deux tableaux qui font dans 1'Eglife des Dames de Berlaimont ; 1'un de Janffens repréfente 1'Ange Gardien ; 1'autre de Vander-Heydcn , 1'Adoration des Mages. T. Rombaut a fait pour la même Eglife deux morceaux qui m'ont fait plus dc plaifir-, 1'un eft la Ste. Vierge, 'tl. Tome. Partie II. F  iii Le Voyageur 1'autrc Ste. Anne : lajmanierc du faire en eft ferme & facile : ce font deux bons tableaux. Pour me dedommager du temps que j'avois perdu a vifiter ces Egiifes, mon conducteur me conduifit dans une Chapclle dédice a la Ste. Trinité. J'y ai vu avec un très-grand plaifir un tableau de Crayer; c'eft le Pere éternel qui fait voir au Peuple Jéfus-Chrift mort. Le St. Efpric eft placé dans Ie haut: cette idéé eft ihgénicufe ; cc tableau a beaucoup d'expreffion; les têtes font admirables par la diverfué des caraclercs. Crayer a faitpeu de morceaux d'une auffi belle couleur & d'une touche auffi légere.Un autre tableau du même Maïtre que j'ai vu enfuite dans 1'EglUc Paroiffiale dc St. Gery , m'a moins plu; il eft plus froid , & repréfente Ste. Anne, Ia Vierge , St. Jofeph & des Anges : on ne peut ricn cependant de plus correct que Ie deffin , rien dc plus beau que la couleur ; la touche eft légere & les têtes font belles. La même Eglife pof-  dans des Pays-Bas. 123 fede deux morceaux dc Coxcic ; 1'un repréfente Jéfus-Chrift infulté par les Juifs; il eft bon : 1'autre 1'cft moins ; auffi croiton qu'il n'eft pas de Coxcic, mais de quelques-uns de fon école. C'eft le martyrc de St, Sébaftien. B y a cependant ■quelques parties qui font bien faites. Uh tableau dc Bernard Van-Orlcy m'a occupé aflez long-temps : c'eft une naiflancc de Jéfus-Chrift. Le grand fini de ce tableau le rend froid & il eft plein de finefle : les détails en font fpirituels; la plus grande beauté de ce tableau eft dans les têtes. Je n'ai pas été auffi fatisfait du tableau que Kouberger a peint en 1706; fi la compofition eft belle, les têtes nc le font pas. Un payfagc de Van-Devenne vaut mieux: les figures ne font pas dc lui; elles font debout & imitent celles de Teniers. Six tableaux de Théodore VanLoon , que j'ai encore vus dans cette Eglife, ne m'ont pas arrêté long-temps: les fujets font pris dans la vic de JéfusChrift ; on peut les mettre au nombre des F 2  124 Le V o y a g e u r. bons tableaux; ils fe gatent, quoiqu'on ait employé, m'a-t-on dit, pour les peindre 1500 florins en outre-mer. Je me fuis arrêté bien plus long-temps devant le tableau du Maitre - Autel, peint par Van-Wingen ; la compofuion en eft belle , le deflin correct, & il eft d'une grande maniere. Le fond qui eft une bonne architecture,eft peint par De Vries: ce qu'on peut reprocher a ce morceaü , c'eft que la couleur en eft trifte & un peu pouflee au noir. Une autre Eglife, qui eft celle de St. Nicolas, eft ornée d'un tableau dc Van-Helmont, qui repréfente la guérifon de la Cananéenne; il eft bien penfé , bien colorié ; le fond eft un payfage bien fait. On jouit mal de ce tableau qui eft bicn fupéricur au David pénitent & a St. Roch qui guérit les malades, de V, H. Janffens : le faire du premier eft large. Dans tous les deux le deflin eft très-corre£t: le fecond eft vigoureux de couleur , & toutes les fi&ures y font d'un beau choix. J. Van Orley a auffi fait  dans les Pays-Bas. 1*5 pour la même Eglife trois tableaux , 1 un eft^t Pierre délivré dc fa pnfon par un Ange ; lc deffin en eft correa , cependant un peu trop maniéré; 1'autre eft.le bon Pafteur; la figure du Seigneur eft belle , die a un ca'raaere de bonte qui aflette ; les autres figures ont des têtes trop lourdeS. Lc troifieme repréfente le purgatoire; 1'effet en eft trop égal. Le combat des Amalécitcs de M. Smcyers de Malincs , qui eft auffi dans cette Eglife, m'a peu occupé. II eft vrai que dans le moment oü ie le confidérois, j'étois tout entier a ce qu'on me difoit d'un beau tableau de Rubens, qui repréfentoit Job , iur le fumier , & décoroit autrefois cette Eglife : ce tableau fut dévoré par les Hammes lors du bombardement de 1714- Dans 1'Eglife Paroiffiale de Finifterre, qui eft unVdifice moderne, bati il y a m plus 60 ans, f ai vu avec aflez d'intérêt plüficurs tableaux de Van-Dyck ; ils ont du mérite, mais font trop clairs partout & d'un faire trop négligé. Les me-  **f LeVoyageur da.llons qui font dans Jc Chccur au-dcffus des ftallcs qui font de Vander-Heyden , n ont paru étre touchés avec efprit, mais il* font trop élcvés pour pouvoir cn bien juger. Cette Eglife poffedc encore un tableau de Van-Hoeck,dont le principal mérite eft d'être d'une bonnc couleur-il repréfente Dieu le Perc , le St. Efprit & un Angc qui tient les inftrumens de la Paffion : au bas eft 1'enfant Jéfus & St Joieph; pourquoi n'y voit-on pas la Vierge ï Cette Egïüé eft dcfiervie par les Prêtres del'Oratoirc qui ont auffi une maifon k Bruxelles, dans la Chapelle de laqucllc j'ai vu un beau tableau de Crayer ■ rl repréfente la Vierge. Dans le Parloir dc cette meme maifon eft encore un tableau du mêmcMaïtre, qui n'a rien de remarquable. II eft plus que probable que les Charireix qui ont vendu la belle Affomption dc Rubens, ne tarderont pas a fe défairc auffi du beau tableau de Cravcr , qui decore encore leur Eglife : il repréfente  dans les Pays-Bas. ia? Jéfus-Chrift mort fur les genoux du Pcre éternel ; les têtes font belles & bicn peintes; il y a dans tout ce morecau une grande finelfe de dcffin & de couleur : le tableau peint par Hcmmelinck , & qui eft une Ste. Familie , eft d'un fini précieux Ces bons Peres polfcdent encore une fuite cn Egypte & une transfiguration de Sébaftien-Franc , peintes dans la maniere d'Honri Van-Balen. II n'y a pas, Monfieur , jufqu'aux Capucines qui ont auffi un tableau ; il n'eft pas, il eft vrai, d'un grand prix 5 il repréfente la naiffance de Notre Seigneur & a été peint par Marc-Antoine Garibaldo. Les Religieufes de Ste. Elifabeth ou dc Sion, font plus riches; elles poffedent une bonnc copie de Rubens, qui repréfente le mariagc de la Vierge; fix payfages dc J. Van-Artois, d'une bonne couleur & d'une belle maniere ; un Ecce Homo a demi-corps, de Qucntyn-Maiïys; au bas du tableau eft le Peuple dont on ne voit que les têtes : cc tableau a peu d'cfF 4  f128.. Le Voyageur. et> «I eft bien frais, bicn confervé ; fon tÜS grand mér^ eft un grand fini, mais Y a peu dc noblcffe dans les têtes: un ^«yre deSt.André par Klerck; c'eft, öiicnr les amateurs, une des meilleures produchons de ce Maitrc : ce tableau eft bien compofé & bien peint. UneTransfiguration dc Hugues Vander-Goes n'eft Pas lans mérite : il y a de la fineffe f^conleur&biendelavérité^ais d Y a auffi trop dc fécherelTe & de roideur dans Ie deffin ; une Sainte Fanul e & , deux qu. mcnt Barbc & Ste. Catherine , font trois tableaux d'un fini préciéux;ils ont de la vente, mais point d'effet : ces trois tableaux font de H. Hemmelinck; cntin «ne Ste. Familie de Crayer ; la compofmon en eft intéreffantè : ce dernier tableau eft "plein de fineffe ; les couleurs en font belles, le deffin très-correct: il produxt le plus grand effet. Jcvousaiparlé,JWonfieur,dugroupe de la Vierge & de 1'Enfant Jéfus de De-  DANS LES P AYS-B AS. Ï2(> vos, qui eft au-deffus dc la porte d'entrée du Couvent des Dames de la Rofc de Jéricho : j'ai vu aujourd'hui leur Eglife , dans laquelle j'ai remarqué fur le MaitreAutcl un tableau de F. Floris. II y a encore dans cette Eglife deux autres tableaux qui ne font pas fans mérite. Je fuis, &c. P. S. Ayant manqué bier 1'heure du courier , j'ouvre malettre pour vous faire connoïtre un beau tableau de Crayer qui ome la maifon des Poifonn'ers & que je viens dc voir ; il repréfente St. ' Pierre qui offrc a Jéfus-Chrift un gros " poiifon qu'il vient de pêchcr; la compofition de ce tableau eft belle; le coloris en eft trés - beau & le deffin on ne peut pas plus correct. J'ai fur-tout été frappé de la variété de caracterc que Crayer a donnce a ces diffcrentes figures , dont il a compofé une maffe de fpeétateurs , qui tous paroiffent s'occuper de ce que Jéfus-Chrift dit a fon . F5  13° LeVoyageur Difciple. Outre ce tableau , cinq autres de Van-Orley orncnt la même falie. Le plus beau dc ces tableaux eft une Ste. Familie , dont les ornemens font, dit-on , de Gripello. Ce font des figures d'hommes & d'animaux, & de tous les inftrumens qui ont rapport a la pêche : je ne puis croire qu'elles foient de ce Maïtrc; le groupe qu'elles forment eft peu ingénicufement compofc : il eft maniéré & peu ferme , enfin ïj eft plus que mediocre, comparé aux autres produftions du cifcau de ce grand Maitre.  dans les Pays-Bas. 131 LETTRE XII. Bruxelles, ce..,. Décembrc 1782. J E ne fuis pas furpris, Monfieur , que les bcaux tableaux de 1'Ecole d'Italie faiTent fur vous plus d'imprcffion que ceux de 1'Ecolc Flamande. Le long féjour que vous avez fait cn Italië a détcrmmé votre goüt, & votre goüt, formé par Pexamen fuivi & rérléchi que vous avez fait dc 1'antique, rcjette tout cc qui ne rcnd pas la nature dans fa plus giandc perfeaion & dans fa grande variété : de-lÈt vous cxi'gcz que le Peintré ait une grande correa'ion de deffin , une belle ordonnance des coulcurs vances & contraftées, qu'il fafie un beau cboix d'attitudc , qu'il donne de la vic & une grande expreffiori a tout ce qu'il rcnd d'après la nature , mais que cette exprcffion foit plus fine que forte , enfin que ie tout foit foutenu F 6  ?3a Le Voyageuk. d'un grand coloris. Sans Ie deffin, ditesvous , toutes les autres parties de la peinture ne peuvent exifter. Je conviens avec vous qUC la correction du deffin fe trouve plus exacte chez les Peintres de 1'Ecole d Italië que dans ceux de 1'Ecole Flamande : dans cette Ecole on trouve la nature, mais fans choix; le Peintre Flamand la rcnd telle qu'il la voit; il „'épie pas le moment oü elle eft belle; il exprime ce qui le frappe ; il lui ffiffit que ce qu'il a rendu ah de la force & de Pcnergie. Les Pcmtres Flamands ont peu étudié 1'antique, & ca été par 1'antique que les Peintres Italicns ont formé leur goüt; c eft de 1 antique quïls ont pris ces belles proportions & ces attitudes noblcs qu'on admire dans leurs tableaux. Le Peintre Flamand seft principalement attaché a avoir une touche moëleufe, lc Peintre Italicn lui a préféré une touche lé*ere • la maniere de dcffiner de 1'un, tientde' cette légercté , mais elle eft très-correcte • celle de 1'autre eft lourde , fouvent même'  dans les Pays-Bas. 133 incorrecte. II y a plus de force & de briljant dans le colotis du Flamand, & plus de vérité & dc fineffe dans le coloris de 1'Italien. Moins difficile que vous, Monfieur, j'ai auffi plus de jouiffance. Je ne cherche pas d'abord le» dcfauts du tableau dont la vue me frappe; je ne m'occupe alors _quc de 1'enfemble, & cc n'eft qu'après que eet cnfemble a fait tout fon effet fur moi, que je m'attache aux détails. D'ailleurs , je fuis plus affeété des beautés que m'offre un tableau , que je ne fuis fenfible a fes dcfauts. Par-tout oü je trouve le beau , je Padmire & j'en jouis, Une' fète dc village de Téniers m'amufe & m'occupe, & jc la confidere avec la même attcntlon que fi je confidérois a Rome le tableau admirable de la Transfiguration (a) , ou a Paris le Confommatum eft de Largiliere. Si Eftcr devant Affucrus (a) II eft de Raphaël.  134 Le Voyageur m'attcndrit & me touche, le Roi boitde Jordaens m'égaie & me fait rirc. J'ai paffe aujourd'hui une partie de la maiinée dan? PEglifc des grands Carmes 5 ces bons Religieux poffedent plufieurs morccaux de V. H. Janffens, dont les plus remarquables font un St. Borromée qui implore Je fecours dc la Vierge pour les malades attaqués de la pefte , & un grand payfage dans lequel on voit la Vierge, 1'Enfant Jéfus & St. Jofeph ; celui-ci eft un beau tableau, mais celuila lui eft infiniment fupérieur ; il eft compofé avec génie, d'un deffin correft & d'une belle couleur. Les autres tableaux de ce Maitre repréfentent des Saints de 1'Ordre des Carmes & quelques traits de la vic du Prophete Elie ; les premiers font très-petits & ont du mérite ; les feconds font très-grands & pcints d'une affez grande maniere. Les autres tableaux qui décorent cette Eglife eft le facriiice d'Elic par Van-Hchnont, mais le fond eft de Berdt; un autre eft Je Jugcment derr.i r  dans les Pays-Bas 135 dc Dupleci; un troifieme de J. Van-Or„ley , repréfente la Vierge tenant 1'Enfant Eéfus qui diftribue des fcapulaires a des ■[Rcligicux Carmes; un quatrieme eft du !:même Maitre.-Le Prophete Elie , a qui ,iun corbeau apporte du pain, y eft re«ipréfcnté; un cinquieme dc Quelyn le jjeune , repréfente la Vierge & des Car[mes-; un iixieme qui eft dc .7. V. Heli: mont eft bien peint ; il repréfente un Pape ; qui accorde des indulgences aux Carmes ; le fcptieme cll une Annonciation , copie i d'après Bologne ; le feptieme & le hui: tieme font de M. deHaefe; 1'un repré- i fente le mariage de la Vierge & 1'autre la purification. J'avois vu quelques jours auparavant dans 1'Eglifc des Cordeliers, ,'1 qu'on nomme des Bogards , plufieursta!, bleaux du même Peintre & dont tous les ii fujets ont été tirés du nouveau Tcftament. ' Deux tableaux repréfentent la NaiiTancc & 1'AiTomption dc la Vierge, & deux tableaux par Eychcns le fils, qui repréfentent le mariage de la Vierge & ia préfentation au Temple.  136 LeVoyageur. II y a ici, Monfieur, une efpece dè Cénobites qui font vraiement utiles a la fociété ; on les nommc Alexiens; ils fuivend la regie de St. Auguftin , nc font point promus aux ordres facrés & portent un habit eccléiiaftique qui differe un peu de celui des Prêtres féculiers ; ils vivent en commun & vont dans la Ville quand on les appclle pour garder les malades ou enfévelir les morts, moyennant une petite rétribution 'qu'on leur donne : ils ont dans leur Eglife un beau tableau de Crayer, & dans leur réfectoire plufieurs tableaux de Haefe. Dans un fecond réfectoire on voit huit tableaux qui ont été acheté a la vente des Jéfuites. Des Religicufes qui ne font pas cloltrées & qu'on nommc Soeurs noires de la couleur de leur habit, vont, comme les freres Alexiens, garder les malades; elles ont dans leur Chapelle un beau tableau de J. Van Orley; il repréfente Jéfus-Chrift attaché & la Croix; a fes cötés font la Vierge & St. Jcan , au pied de la Croix eft la Mag-  dans les Pays-Bas, t%f iklaïne ; plus lom font des foldats qux emportent des échelles & tous les inftfumens qui ont fervi au cruciiïcmcnt : la compofition de ce tableau eft belle; ily a bien de Pexpreffion dans les têtes 4 les détails en font fpirituels ; en tout c'eft un moreeau très-iftimable, Jg fuis, &e»  138 Le Voyageur. €============= LETTRE XIII. Bruxelles , ce Décembre, 1781. J'a t hier vu , Monfieur , un tableau de G. Crayer , qu'on laiffe ignoré dans une petite Chnpclle dédiéc a St. (a) Guilain : cc Saint, pour expier un grand crime qu'il avoit fait, s'étoit retiró avec fa femme dans une campagne : il y avoit étab'i un höpital oü il recevoit tous les pélerins & les malades qui s'y préfentoient. Crayer a repréfente St. Guilain & fa femme au moment oü ils viennent faire la vifite de la falie des malades ; fur le devant du tableau eft lc lit d'un d'eux qui fe trouve yuide , ce qui occafionne a Guilain & a fa femme le plus grand étonncment; tout- (a) Elle eft dans la haute rue dans un petit höpital oü autrefois les pélerins étoient recus & nourris pendant trois jours.  dans les Pays-Bas. 139 a-coup ils cntcndcnt une voix qui leur crie : Guilain tes péchés te font remis; ils levent les yeux vers le plafond de la chambre & appcrcoivcnt Jéfus - Chrift qu'ils reconnoiiTent pour être le même pélerin dont Pabfence leur caufoit tant d'inquictude. Crayer a rendu avec une vérité furprenantc la combinaifon des fentimens qu'éprouvc St. Guilain. Crayer a donné a la femme un léntiment de joie & de fadsfacHon plus doux & moins expreflif que celui qu'cprouve fon mari, qui , étant coupable , ceiTe dans ce moment d'éprouvcr les remords cuifans qui le tourmentoient. Au bas du tableau eft un pólerin qui, profterné, adore Jéfus-Chrift &'paroit être dans le plus grand étonncmenr. Ce Peintre n'a ricn négligé dans ce morccau ; tout y eft foigné & rendu avec la plus grande vérité , tout y eft d'un fini & d'une fome admirable ; c'eft une compofition Gmple , mais pleinc d'efprit & d'cntentc : lc coloris de ce tableau eft fort comme celui de Rubens & a la fua-  140 Le Voyageur vité de celui de Van-Dyck; le deffin en eft très-correct. Crayer en cela étoit fupérieur a Rubens. Ce beau tableau n'a été payé que 300 florins. Quelle différence de ce prix ft celui qu'on paie aujourd'hui auxgrands artiftes ! J'ai toujours vu payer les portraits en picd que faifoit ln Tour 3 a 4000 liv. & le moindre defius de porte de le Bouehcr 6 a 700 liv. ce même tableau de Crayer feroit peut-être vendu aujourd'hui 10 a 12000 'florins. C'eft qu'aujourd'hui 1'argent eft plus commun dans les Pays-Bas Autrichiens , que du temps de Crayer, qui eft mort en 1668. Comme j'étois prés du Couvent des Dames de St. Pierre , mon conducteur m'y conduifit pour y voir deux tableaux du même Maüre qui ornent leur Eglife ; ils font beaux, mais bien inférieurs a celui de la Chapelle de.St. Guilain. L'un qui eft fur le Maitre - Autel , repréfente la Vierge affife fous un dais , tenant fur fes genoux 1'Enfant Jéfus; prés d'elle font St. Pierre & St. Auguftin. Les têtes font  dans les Pays-Bas m* d'un beau caraaere , tout eft bien & d une belle couleur , mais ce tableau eft trend, comme le font prefque tous ceux qui n? repréfentent aucune aaion. B faut excepter la Ste.Thérefe de le Brun,qui eft dans la Chapelle de Verfailles, qu on ne peut voir fans éprouver cc fentiment d amour qui enflammoit la Sainte. L'autre. tableau dé Crayer que pcifedent les Dames de St. Pierre , repréfente la converüon de St. Paul; ü eft bien peint,bien compofé, a de 1'effet & de 1'expreffion. Rubens a traité le même fujet : ce tableau , a ce qu'on m'a dit, eftaGand; i'enai vu 1'eftampe, & c'eft d'après elle que je lui donne la préfcrence fur celui de Crayer pour la force & 1'cxpreflion: le fond dc celui dc Crayer eft très-agréable, c'eft un payfage peint par J. Van'Artois (a). (i) Ce Peintre eft un des meilleurs payfar £\ftes qu'ait produit 1'Ecole Flamande; il naquit a Bmxeiles en 1613 : on ne fait en  14* LeVoyageur J'ai encore vu ce marin deux tableaux de Crayer ; ils font dans 1'Eglife Paroifhale de Ste. Catherine ; 1'un qui eft fur le Maitrc-Autel, repréfente S:e Cathenne recue dans le Ciel au milieu de la Ste, Trmite, de la Vierge, de St. Jofeph & quelle annéeil eft mort; cela vientfans doute de ce qu'il mourut pauvre. Les gands talen, mrereflent peu le commun des hommes qui ne font affeétes que de féclat des richeffes. Les payfages de Van-Artois font faits d'une grande maniere ; il varioit avec un art infini fes «els & fes lomtains, auxquels,! donnoit auffi une legéreté furprenante ; fes arbres differoient peu de ceux de la nature; il exceloit fur-tout en les feuilles : on croiroit qu'elles font agitées par 1'air. Les devants de fes tableaux étoient très-riches; il les ornoit de plantes, de ronces & de broufTailIes. II y a un art infini dans la diftribütibn des différentes parties de fes tableaux : on peut dire de lui que la nature a été fon mairre; ü en prenoit des lecons dans les bois & les campaenes. Le feu Prince Charles de Lorraine avoit 19 tableaux de lui.  dans les Pays-Bas. 143 des Anges : au bas font des Saints dans la plus grande admiration. La figure principale, qui eft Ste. Catherine , produit le plus grand effet. Cc tableau eft peint avec légércté , mais d'une couleur admirable : c'eft une belle compofition qui eft trèsriche : on ne peut ricn de plus correct que le deffin; mais quelque beau que foit ce tableau, celui des quatre Couronnés qü'on voit dans la même Eglife , lui eft infiniment fupérieur; c'eft un des plus beaux tableaux qu'ait fait Crayer : la compofition en eft riche & pleine d'cfprit ; les détails y font ménagés avec un artinfini: la fonte des couleurs en eft admirable; elle eft légere, mais c'eft celle d'un pinceau favant. Ces quatre Couronnés font les patrous des fculpteurs & de trois autres métiers qui leur font affociés. La principale figure repréfente un homme qu'on dépouille de fes habits & qui a les yeux tournés vers lc Cicl : le Prcfêt , placé fur la gauche, eft affis fur fon Tribunal entouré dc fes licteurs. On voit a fes pieds  144 Le Voyageur. un homme nu qu'on couche dans un cercueil; on voit encore d'autres Chrétiens qu'on veut forcer d'offrir de 1'encens aux idoles qui Ie refufent & qu'on conduit au fupplice. II y a dans la même Eglife un tableau d'Ottovénius qui repréfente PenfévclhTement de notre Seigneur : ce tableau eft fee , dur & fans harmonie, & un autre tableau de C. Schut qui, a quelques détails prés, n'a aucun mérite. Je fuis, &c. Fin de la feconde Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, o u LETTRES Sur 1'état aduel de ces Pays. Felix qui potuit rerum cognofcere caufas! VlRGHH. TOMÉ SECOND, Troifieme Partie. f X f / f Chez Changuion, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, lmprimeur-Libraire a Bruxelles. ' M. DCC. LXXXII.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS» L E T T R E XIV. Bruxelles , ce .. . De'cernbre 178a. Ïl n'y a pas ici, Monfieur, d'Eglifc , même de Chapelle qui ne foit ornéc dc tableaux. Les Monafteres les plus pauvres' en pofiedent pluficurs d'un grand prix, ainfi que vous avez pu lc voir , par cc que je vous ai dit de ceux que j'ai vus chez les Capucins & chez les Carmes. Le G a  148 LeVoyageur goüt dc la peinturc étoit anciennement fi grand dans ces Provinces , que les Moines mêmes s'occupoient de eet art. J'aii vu chez les Récolets de Bruxelles quelques tableaux d'un frere de eet Ordre,, nommé Pannemaekers, qui ne font pas' fans mérite. Ce bon Mo'ne avoit une fi. grande idéé de fon talent qu'il le croyoit: égal a celui de Rubens : ce Récolct étoit natif d'Anvers. Bruxelles a auffi produit un Récolet Peintre; il fe nommoit VanOrley ; il vivoit vers ]e milieu du 17e. fiecle: il fut lc Maitre dc fon ncveu Richard Van-Orley (a) , qui eft mort en (a) Bruxelles a produit quatre Peintres de ce nom , Pierre Van-Orley , médiocre payfagifte , fon frere le Récolet, Richard fon dis Sc Bernard Van-Orley , qui fur éleve de Raphaël : ce dernier fut le le plus célebre; après avoir étudié fon art fous ce &. recevantdes mams des Anges la couronne du Martyrc Tout eft purement deffiné, tout v cft bien colorié : le lointain même dans lequel paroiffent des foldats eft très-fokfné. Je n'étois pas loin dc la Chaoelle de Ste''* Anne, dont je vous ai parlé a 1'occafion de la ftatue de cette Sainte , on mengagea d'y aller pour voir un paj fage de Monper & quelques autres tableaux de Neefs & de Vandcr-Hcyden , dont 1'un , -qui repréfente Ie Purgatoire, eft peint avec beaucoup de facilité. Je fuis, &c. 'les, oü il mourut en 1726 , agé feulement de 43 ans. Jacques Van - Heimont compofoit fes tableaux d'hiftoire avec efprit; il v merroit beaucoup de nobleffe : on y remarque une belle rnarche , une couleur vraie, un deffin correct ■ [1 a travaülé beaucoup, & il y a a Bruxelles un grand nombre de tableaux de lui.  dans les Pays-Bas. 153 LETTRE XV. Bruxelles ce.... Ddcemhre 178a. d/e s t le propre des plaifirs que procurent les beaux arts de fe renouvcller fans ceffe; plus on en jouit, plus le defir den jouir eft vif&ardcnt; ils ne lailfent pas après eux , comme les plaifirs des fens, le vuidc affreux de la fatiété. Si les plaifirs des fens contribucnt au bonbeur de 1'homme, ce font ceux de 1'efprit & du coeur qui alfurent fa durée. Depuis plufieurs jours je ne vois que tableaux , je ne parle que peinture & ne peux me rafiafficr du plaifir que j'éprouve en voyant les produclions de eet art divin. II manque cependant quelque chofe è ma jouifiance ; elle feroit plus grande, plus animée , fi, commc les grands Maltres des Ecolcs d'Italie & de France, ceux de 1'Ecole Flamande eulfent prts G 5  ƒ54 Le Voyagetjr. indiftinftement leurs fujets dans 1'hiftoire facrée & dans 1'hiftoire profane. La vie d'un Saint ou d'une Sainte n'ofire au Peintre que des aaions de bonté & de bienfaifance. L'amour.de Dieu eft un fenmuent paifible qui n'eft pas mêlé de trouble & d'inquiétudc, qui n'a & ne peut avoir aucune dc ces cxpreffions vivcs & ardentcs qu'ont les paffions de 1'amour & de 1'ambition. Que me préfcnte le Martyrc d'un Saint, la cruauté froide de fes bourreaux °! La colere d'Achile , le facrificc d'Iphigénic pretendent bicn plus a 1'imagination du Peintre , que le meurtre de Caïn. II y a ccrtaincment moins de génie , moins de force dans le tableau oü Rubens a peint le Pere Eternel prêt a lancer la foudre fur le Globe tcrreftre que St. Francois couvre dc fon manteau, qu'on en voit dans la chüte des Titans foudroyés par Jupitcr. La vie de St. Bernard eft i.n chef-d'oeuvrc de Peinture qui aimmortalifé le Sueur; mais avez-vous éprouvc en examinant ces tableaux toate la fen-  dans tES Pays-Bas. 155 fation que vous a occafionnée la vue du Quos ego de Coypel, ou de la familie de Darius dc le Brun 1 Notre Seigneur chez Simon le Pharifien-, de Paule Veronefe, qui eft a Verfailles dans le fallon d'Hcrcule , eft bien fupéricur a 1'apothéofe de ce Héros, qu'y a peint lc Moine : je fuis perfuadé cependant que 1'un vous a plus frappé quel'autrc , & que vous avez toujours trouvé qu'il y avoit plus d'imaginatiott & de génie dans ces produaions du Peintre Francois que dans celle du Peintre ItaÜen. C'eft'dans les tableaus qui forment la Galerie de JLuxembourg , que lc génie de Rubens, a paru avec le plus, d'éclat. ; L'Egiife des Carmélites que j'ai; vifit tce aujourd'hui, eft ornée d'une Sainte Familie de W. Koubergcr (a), qui a queP (a) Natif d'Anvers ; il vécut dans le ïöme. fiecle & fut éleve de Martin Dévos, qu'd quitta pour aller a Naples, ou il étudia fon art chez un Peintre Flamand nommé Franco , dont il époüfa ia fille. Revenu dans fa patrie G 6  Le Voyaqeu.r que mérite, mais pas aflez pour que je vous en faüe la défeription \ de quatre tableaux de T. Vanloon (a), qui font bicn compofés, bien deffinés , mais d'une couleur poufice trop au noir dans les om- oü fa réputation étoit déja établie par un tableau qu'il avoit envoyé d'Italie a la Confrérie de Sr. Sebaftien ; i! n'y refta que quelque emps.-etant a Bruxelles, PArchiduc Alben: le cnoifit pour fon premier Peintre. Kouberger eto.t auffi hab.le Architecte qu'il étoit grand Peintre: on ne fait pas plus 1'année de ia mort que celle de fa naiffance. (a) II naquit & mourut i Bruxelles , mai, nok "L f P w qUe,Ie a"née ; °n n< con" nou pas fon Maïtre , mais on eft certain que c eft a Rome ou il fe perfeclionna dans fon art, & quil fut ami de Carlo-Maratn , dont il pnt la maniere. On trouve dans les tableaux de Loon ce caraftere de deffin, cette noWelle dans les phyfionomies & cette élévation dans la compofition qu'on admire de Maratti • il colonoit bien, mais cependant quelques-uns öe fes tableaux ont Ie défaut de tirer fur Ie noir & d'avoir des ombres lourdes & grifes  * DANS LES P AYS-BAS. ltf bres: 1'un repréfente une Annonciation, 1'autre une Nativité , le troifieme une Sainte Familie & le qüatrieme une Ai' fomption : ces Religieuïés font a Bruxelles depuis 1607. J'avois déja vu PEglifc de Notre-Dame du Sablon *.mais je n'y avois examiné que le maufolée de la Chapelle fépulcrale dc la maifon de'la Tour-ès-Taffis; j'y ai vu aujourd'hui un tableau deG. Crayer qui, s'il n'eft pas auffi parfait que ceux de cc grand Maitre dont je vous ai déja entretenu, mérite cependant 1'attcntion des amateurs; il repréfente la Vierge : dans le haut & dans le bas font plufieurs figures de grandeur naturelle & en pïed , qu'on dit être des portraits; la figure de la Vierge eft belle , toutes les têtes ont dc 1'expreffion & du caraclere. Vis-a-vis dc ce tableau eft la mort de la Vierge peint par Coxcie : il y a de grandes beautés dans la compofition de cc tableau. Deux tableaux de Sollacrt qui. font fur les deux portraits de la Croix dc J!  l5% Le Voyageu*. ccttc Eglife, m'ontplus occupé. Toutes les figures ont environ treize pouces de proportion : elles font touchées avec efprit, mais Ie point dc vuc eft placé trop haut j ces tableaux auroient plus d'effct, s'ils étoient placés plus avantageufement : cc font deux beaux morfieaux , d'un grand détaü & fans confubon : 1'un repréfente 1'Infante Ifabellc au moment oü elle vient d'abattre 1'oifeau qui avoit été placé pour les confrère, de Patbalête furleclocher de l'Egliié; dans 1'autre on voit les raèmes confrères parader après avoir abattu 1'oifeau L'Infame Ifabclle pour conferver la mémoire de ion tnömphe , fonda une proceffion folemnellequi fe fait encore aujourd'hui tous les anslafcconde féte de Ia Pentecóct: douze jeunes fillès , vêtues de blanc quiy affiftoient anciennement, mais qui reftent aujourd'hui dans 1'Eglifependant la proceffion, recoivent quand elles fe manent 400 florins pour dot. Ce font 1 Amman , lc Bourg-Mcftre & Ie Prévót  dans les Pays-Bas. 159 de 1'Eglife dc Ste. Gudule qui les chöififfcnt, mais doivent préfércr a toutes 'autres celles qui font dc la communauté des jardiniers. ' Le Bureau de la Loterie Rqyale qu on tirc ici toutes les trois iémaines & qu'on appclïe le Loto & dont le benefice«eft pour le Souverain , contribue aufli a 1 encouragement des marïagcs. Les quatrevingt-dix' numéros dc cette loterie font affigncs a quatre-vingt-dixpauvresfilles. Celle dont le numéro fort de la roue de fortune , recoit, quand elle fe maric , 156 florins, & fon numéro eft donné a une autre. Les autres tableaux que j?ai vus dans PEglife du fablon , font un Jugement dernier dc Franc-Flore (a) c'eft un tableau (a) II eft né a Anvers en 1520 ; fon pere étoit fculpteur; Franc-Flore étudia fon art a Lie-e chez Lambert Lombart , qu'il qunta pour revenir dans fa patrie , d'ou il pafla en Italië Revenu a Anvers, il acquit une grande  *6o LeVoyage,r compofc avec confufion& qui n'ad'autre «eme que d'être effrayam. Le ma ° ^ Ste Barbc qui eft encore bien plus «na-mus, n'eft remarquable que P? ndtculedefacompoiinonrileftdeQuel! ^^^^^^ j>« encore un broc de vin , monra l teYa{ f revmt chez lui auffi frais qu>ll ™ fora pour alier au cabaret. II peignoit avec une vitefTe ertrfim* point que chW de faire Z e™eme: au A N S L B S P A Y S-B A S. 163 celles puremcnt nécelfaires , feroit fapper 1'empire de la chicanne par les fondemens ; mais un avantage très-grand encore que produiroit la diminution des formalités qu'il faut aauellemcnt obfervcr, furtout en France, tant pour 1'inftruction que pour lc jugement des procés, feroit la diminution du nombre des Avocats, Procureurs, Greffiers , Scrgens, Huiffiers, &c. Je nc connois pas, Monfieur , les tor* mes de la procédure de ce pays, mais des Avocats qui les connoiffent parfaitement, m'ont affuré qu'au moyen de quelques petits changemens qu'on pourroit f faire , il feroit difficile , pour nc pas même dire impoffible , d'cn faire de nouvelles qüi fuffent meiïlcures. C'eft de ce changement, fans doute , que vont s'occuper le Chancelicr de Brabant & un Confeiller du Confeil Souvcrain de cette Province : 1'Empereur , dit-on , les en a fpécialement - chargés, & tout lc monde paroit applaudir a ce choix. Ces deux Magiftrats veü-  ï Par^a Compagnie d'Archers du Droifart de Brabant, & par celle des Archers du Prévöt de la Cour , ou par les Compagnies dc Milice Bourgcoifc. Les deux Compagnies d'Archers ne font, a ce que jc crois, tout au plus que de 100 hommes, dont une partie eft journellement employee au-dchors; a peine pourroientelles fournir chaque nuit 10 hommes pour ks patrouilles Si on les fait faire par la Milice Bourgeoifc, ce fera une charge pour les Bourgeois dont le plus grand rombre, pour s'exempter de ce fervice pénible cc défagréablc, feroit obii?é de payer des hommes de bonro volonré qui lc fcroient: & de quel fecours feroicnt ces merecnaires fans courage & fans motifs d'cn avoir ; s'expoferoient-i!s au plus lezer danser '1 Leur approche n'occafionneroit aucun cffroi, & les défordres fe com-  dans les Pays-Bas. 175 mettroient même en leur prófence. On propofe, dit-on, aux Magiftrats dc la Vdle d'abolir la Milice Bourgeoife & de la femplacer par une cfpcce dc Régiment qui auroit la même compofition que ceuS des troupes réglées; un Colonel , une uniforme, une paie & un fervice journalier. L'établiifement dc ce Régiment & fon entreden coütcroit beaucoup a la Ville. L'Hótel-de-Villc dc Bruxelles jouit d'un gros revenu j mais pouvant ii pcine fuffire a fa dépenfe ordinaire , comment pourroit-elle en faire unc extraordinaire , telle que feroit la levée de ce Régiment 1 Dans i'impoffibilité oü elle eft de le faire, il faudroit, pour qu'elle y parvïnt, lui permettre d'exiger de tous les habitat indiftinaement, une certaine fomme une fois payée , ou mettre un nouveau droit fur quelques objets dc confommation. JV vü dans quelques villes de France , par exemple a Amiens, des Compagnies de. Bourgeois qu'on nomme Compagnies de Privilégiés, paree que ceux qui lcscom* H 4  ï?6 Le Voyageur. poient jouiffcnt. dc quelques privileges & de quelques exemptions particulicres! Ces Compagnies fontle fervice militaire toutes les fois qUC les Magiftrats dc la Ville de qui Tculselles dépendent, 1'ordonnent • eles ont des Officiers, desdrapeaux.de amoours&tout ce qui caractérifc Ie miua,rc : tous ceux qui les compofent fc lourniffent darmes & d'habits. Chaque Compagnie a fon uniforme particulier • en hiver .Is font la nuit la patrouille &lc portent même au - dehors , fi cela eft nécefiaire. Je crois qu'on pourroit établir a Bruxelles huit de ces Compagnies; il n'y en a que quatre a Amiens dont la population eft de la moitic moins forte que celle de Bruxelles : fes Compagnies de Milice Bourgeoifc & celles qu'on nomme Sermens , font a charge a fes habitans; car celui d'entr'cux qui veut s'exempter dc monter la garde , eft obligé de payer un homme qui le rcmplace. Si la Ville formoit l'établiifement que je propo!c de huit Compagnies de Privilégiés  dans les Pays-Bas. 177 dc deux eens hommes chacune, elle pourroit fupprimer celles de la Milice Bourgeoife & des Sermcns, & demandcr a tous ceux qui les compofent aujourd'hui une légere contribution annuelle, dont il feroit formé un fonds qui pourroit être employé a donner tous les ans une gratification 5 ceux des Compagnies de Privilégiés qui fe fcroient diftingués par leur cxactitude , ou qui, dans certaines occafions , auroient fait une action de courage ou d'intrépidité. Sur cc fonds on pourroit auffi prendre les gratifications qu'on donneroit a ceux de ces Compagnies, qui, étant de fervice , auroient arrêté un vagabond ou perturbateur du repos public , laquelle gratification feroit plus ou moins grande , fuivant que feroit le défordrc que les Privilégiés auroient fait cefler. Sur ce fonds pourroient être auffi prifes les penfions qu'on affigneroit a ceux des Privilégiés qui auroient recu quelques bleffures en faifant leur fervice , & a leurs veuves & enfans, s'il arrivoit qu'ils vinfH 5  if8 Le Voyageur. fent è rnourir de leurs bleflurcs. Sur ce fonds feroit encore prife la paie que recevroit chaque Privilégié pendant lc temps de fon fervice, & cette paie pourroit être le doublé dc celle que recoivent les foldats & Officiers de Sa Majefté. Je crois que cent hommes bien repartis aux portes de la Ville , fur fes remparts & dans les différens poftes de 1'intérieur , fuffiroient pour maintenir lc bon ordre pendant le jour, & affurerla nuitlatranquillité publique. Ainfi chacune des Compagnies dc Privilégiés ne feroit de fervice que tous les buit jours. La paie de chaque foldat de fervice, fi elle étoit d'un efcalin par jour, occafionncroit une dépenfe journaliere de 35 florins; de deux florins pour le Capitaine, d'un florin pour lc Lieutenant, & dc deux efcalins pour le fergent, ce qui feroit en total 38 fl. 14 fok; ainfi cette paie feroit par an de 14,125 fl. 10 fols : pour former cette fomme , il faudroit que la contribution qu'on exi^eroit des habitans de la Ville format  * dans les Ta vs-Bas. 179 uncapital de 282,510 florins, qui, rapportant eïttq pour cent, formeroient cette fomme de 14,125 norins 10 fob" ^uant aux privileges qu'on accorderoit aux Officiers & foldats des huit Compagnies privilégiées, ils pourroient confiftcr en une exemption de quelques-uns des droits fur les confommations que paie a la Ville chaque habitant de Bruxelles. Au ccntre de la Ville , Monfieur , eft • un Corps-de-Garde qu'on nomme 1'Amigo , oü il y a huit & jour quelques Archers du Droflart de Brabant & quelques Sergens de la Ville, qui , ainfi que les Archers, fe portent vers les endroits oü il fe commet quelques défordres. C'eft auffi dans ce Corps-dc-Garde que font mis en dépot tous ceux qui commettent ces défordres ; ils y. reftent jufqu'a ce que le Juge ait ordonné leur emprilonnement ou leur élargiffcment : ces défordres fcroient bien plus fréquens qu'ils ne lefont, fi le peuple n'avoit pas la cermude d'être II 6  180 Le Vo va geur réprimé par les Archers du DroiTart, qui toujours fe portent vers 1'endroit de la V die oü 1'on peut avoir befoin de leur a'de. Ces Archers font diicipünés, & par conféqucnt d'une plus grande utilité pour ia tranquillité publique que ne peut 1 être une troupe de Bourgeois qui eft fans motif de s'expofer au danger, & qui même en a un très-puiffant pour les évi ter. U me fcmble que pour affurer dans Bruxelles la tranquillité la nuit commc Ie jour , d fuffiroit d'employer les Archers du DrofTart "dc Brabant, dont le nombre de ceux qu'on cmploie aujourd'hui dans la Ville , porté a i55 , fuffiroit pour cela L on m'a dit que le DrofTart de Brabant avoit même fait un appercu de cette idee, maïs qu'il ne 1'avoit communiqué qu'a quelques amis particuliers. Un dc ceux a qui il I'a fait voir m'a dit que dc 155 hommes toujours employés, 30 fcroient toujours en marche & parcoureroient la nuit comme le jour tous les quartiers de la Ville. Je crois que cela vaudroit mieux  dans les Pays-Bas. i8ï & feroit moins cotitcux pour 1'Hötel-deVille que la levée d'une Compagnie de 300 hommes, qu'on dit qu'elle fe propofe de lever, pour être employés uniquement dans la Ville au maintien dc la tranquillité. Comme 1'Hótel-de-Ville, vu fes charges a&uclles, ne pourroit pas faire cette nouvelle dépenlé fans y faire contribuer fes habitans, il- y a plufieurs perfonnes qui peniènt qu'il vaudroit mieux quele Gouvernement 1'autorisat a percevoir un droit modique fur tous ceux qui , après la fermeture des portes, voudroient entrer dans la Ville. Des perfonnes croient auffi que le produit de ce droit pourroit être de 50000 florins par an. Je fuis, &c.  i8a LeVoyageur. L E T T R E X. V111. Bruxelles, Ce Décemère 1782. Mo n voyage pittorcfque, Monfieur, tire a fa fin. II ne me refte plus a vifiter que quelques Eglifes & Chapelles, qui même, a ce qu'on m'a dit, ne font pas nches cn tableaux ; mais tout médiocres qu'ils font, il faut les voir & même les examiner avec foin; car fouvent il fe rencontre dans un tableau qui en total a peu de mérite, un trait de génie qui le rend précieux : c'eft ainfi qu'en lifant les dernieres tragédies de Corneillc, on trouve des traits qui caraaérifent le grand Homme : dans Atila, c'eft ce vers, vous devant Atila , vous n'êtes que des hommes : dans Othon , cette fcene admirable digne des beaux jours de Corneillc, & encore cette entrevue de Scrtorius & de Pompée. Ce qui m'cngagcra a hater mon examen  dans les Pays-Bas. 183 [ des tableaux , fera Pengagemcnt que j'ai jpris depuis quelquc temps avec un habitant de Louvain dont j'ai fait la connoiffance, d'aller paffer chez lui quelque \ temps ; c'eft un homme inftruit qui fera pour moi un excellent guide dans l'examen que je me propofe de faire de cette Capitale du Brabant. Louvain n'eft eertainement pas une Ville auffi importante que Bruxelles; je ne m'attends pas a y rencontrer autant d'objets que j'en ai rencontrés ici, dignes d'être examinés avec attention; mais qui veut connoure un pays ne doit pas fe contenter d'en voir'les lieux principaux ; les plus petits, les moins de conféquence renferment quelquefois des chofes dont la connoiffance ne peut lui être indifférente. Qui n'a été qu'a Paris nc connoit pas la France, & quiconque n'a vccu qu'a Londres, n'a acquis qu'une | idee très-imparfaite des moeurs & du caradere des Anglois. Les hommes, quant au phyfique, font par-tout les mêmes; ils ont par-tout les mêmes paffions, mais  184 Le Voyageu ces paffions recoivent de la difféiencc des mceurs & des ufages , des expreffions differente*. Le Francois de la Provenee »f pas le Franeois de la Picardie , & 1 Anglois qui paffe fa vie a Londres ne I^Th,e,eVriCnècelui h^ite les bord, de laTme ou de la Tuede. II eft vrat que Louvain n'eft qu'a quatre lieues de Bruxelles , mais Bruxelles eft une Ville de Cour, & Louvain une Ville d'Univerfite. U , a Ja mème différ£nce ^ un Bruxellois & un Anverfois . qu'il v cn a entre un habitant d'Amfterdam & unhabnant de Lyon, de Bordeaux ou de Marfedle. Je vous ai déja parlé de 1'Eglifc de Notre-Dajne de la Chapelle a 1'occailon du maufolée de Spinola , dont je vous « rendu compte : je vais vous entretenir de fes tableaux que j'ai examinés ce matra. Le nombre de ces tableaux eft affez confidérablci il y en a même quelque*uns qui méritent 1'attention des wwageois te* font les deux de G. Crayer ; 1'un eft  dans les Pays-Bas. 185 1'Apparition de Notre Seigneur a fa mere : la compofition de cc tableau eft fi belle & tout le faire en eft fi admirable, que nombre de perfonnes 1'ont attribué a Rubens : c'eft bien le coloris dc ce grand Peintre , mais jamais Rubens n'a été auffi correa dans fes deffins que Crayer 1'eft dansce morceau; 1'autre tablaeu de Crayer repréfente Jéfus-Chrift mort étendu fur les genoux de fa mere ; on y voit St. Jean , la Magdelaine , le bon tficodeme & quelques autres Saints , qui tous paroiflent penétrés dc la plus vive douleur. Aucune partie dc ce tableau n'a été négligée ; les têtes en font fort belles, le deffin on nc peut pas plus correa : il y a tout-a-la-fois dans lc faire de la force & de la fineffe. Sous les cinq croifées de cette Eglife font cinq payfages de la plus grande vérité ; ils font de Affelin & de Jean Van-Artois 5 ceux de ce Maitre font fur-tout d'une bonnc couleur ; la touche dans le fcuillcr cn eft belle : c'eft la nature. Ste. Raye en priere dcvantlaTri-  '86 L E V OYAGEÜB. nité, dont on ne m'a pas pu dire PAuteur , eft bien compofé , mais c'eft fon feul merite ; une Ste. Familie de Klerck n'a auffi que ce mérite ; du même Mattre eft une Réfurrcaion ; le deffin en eft correa & la couleur aflez bonne , mais il Y regne trop dc féchereffc : on ne peut faire cc rcproche * une Vierge entource de petits Angcs & d'une efpecc de Guirlande de raifms & d'autre fruit: cc tableau eft peint par Schut dans la maniere de Rubens. Les autres tableaux de cette Eglife méritent a peine qu'on les nomme ; ce font le martyre de St. Laurcnt par V. H. Janffens, Ste. Dorothée de VanDacle , le rachat des captifs par de Hondt, & Notre Seigneur dans Iejardin des olives de Bernard. Les deux copies d'après Rubens qu'on voit dans cette Eglife, font une Affomption & Notre Seigneur qui donne les clefs a St. Pierre. L'OWnal du premier a été vendu , je crois vous Pavoir dit, a 1'Elcaeur Palatin, & l'Original du fecond a un Hollandois. Cette  ' da ns les Pays-Bas. 187 Eglife eft encore ornée d'une copie d'après Crayer , mais qui eft bien fupóncurc Lus deux autres ; elle repréfente St. Charles Borromé qui donne le Viatiquc a des | malades. Les Auguftins ont dans leur Eghfc un fuperbe tableau de Crayer; c'eft le martyrc de Ste. Apolinc ; tout le faire cn eit parfait; tout y paroit fait de rien , & 1'on ne fait ce qu'on doit le plus admirer ou de la maffe*ou des détails. La tête de la Saintê eft très-bellé : la Sainte eft deji bout, les ycux fixés vers le Ciel ; elle tient dans la main une tenaille , inftrument de fon fupplice ; un Ange qui eft a cöté tient un plat fur lequel eftundent enfanglanté , pofé fur un linge. Ce tableau eft couvert d'un ridcau depuis quelques annécs ; mais on a pris trop tard cette précaution pour empêcher le foleil de I 1'cndommager. Si 1'on veut lc conferver dans 1'état de délabrement oü il eft préfentement, il faut 1'öter de la place qu'il occupe. St. Nicolas de Tolentin qui dif-  *88 LeVoyageur tnbue 1'aumöne a des pauvres, a eu le meme fort: il eft auffi extrêmement gaté : c eft de Klerekle vieux qui en eft PAuteur. Les autres tableaux qui ornent PEglife des Auguftins , font St. Auguftin affis ibus T da'S Cntouré des Rcligieux de fon Ordrc, suxquels il donne une regie : ce tableau eft bien peint; le groupe du milieu eft fur-tout bien compofé j il cft d'Erafme Vuel in. Dans un autre tableau de V?nder-Heyden lc vieux, on voit St. Aug«fljn & plufieurs autres perfonnes qui implorent la miféricorde de Dieu. La compofition en eft pillée, Ia touche molle & Ie deffin fans fermeté. Plufieurs têtes cependant & quelques autres détails font b;en fa,ts. Les Saints de 1'Ordre des Aug"ffins, peints par lc même Peimre & par Van-HeH , font tous de bons tableaux 11 ya dnns cette Eglife trois copies dV F^ Jordaens^ & deux autres,Pune (a) Jordaens naqmTTWrTTr^T^rMaitre fut van-Dm-r- a ■< - n uc van uc-u, dont il époufa Ja fiJIe.  dans les Pays-Bas. 189 rcpréfentant lc Chrift, eft d'après VanDyck , & 1'autre une defcente de Croix, d'après Rubens. Le féjour qu'il fit en Italië , perfedionna fon goüt & acheva de développer fon génie : ami de Rubens , il en fut 1'émule pourle colons, mais il lui étoit bien inférieur dans la compofition : la fienne n'avoit ni 1'élévation, m la nobleffe de celle de Rubens. Les compoiltions de Jordaens étoient ingénieufes & abondantes , & fes expreffions naturelles , mais fon demn étoit fans goüt; il copioit la nature avec fes défauts comme avec fes beautés : fi on remarque dans fes tableaux une grande harmonie , on y admire auffi une belle entente de couleur : fon principal mérite fut dans la facilité & dans la touche de fon pinceau: il favoit fupérieurement atrondir & draper avec goüt fes figures & leur donner du mouvement. » Ce qu'on peut lui demander , c'eft un peu plus de correcrion , dit d'Argenvile; " plus de nobleffe dans les caraéteres , plus . *' d'élévation dans la penfée, un meilleur goüt de deffin, cela auroit achevé ce Peintre. II eft mort a Anvers en 1678, agé de 84 ans.  19° Le Voyageur Dans la Chapellc de St. Jean de Latran , oü j'allai en fortant des Auguftins je vis encore de Crayer un très-beau tableau ; d repréiente la décolation de St Jean-Baptifte. Dans le fond on voit Hérode a table avec fes concubines ; c'eft un défaut de goüt & de raiibnnement ■ i? eft contre toute vraiibmblance qu'un Roi foit k table dans une priibn. La réfurreaion du Lazare qu'on voit dans 1'Eglife des filles pcnitentes , dites Madclonnettes, eft un des beaux tableaux qu'ait Fait Crayer. La compofition en eft fa. vantc , pleme de génie & de goüt: toutes les figures en font bien drapées; le coloris eft dc la plus grande fraicheur : fi Ce tableau pêche en quelquc chofe , c'eft dans le deffin qui n'eft pas auffi correa qu'il devroit 1'êrre ; une Ste. Familie du même Maïtre , qu'on voit encore dans cette Eglife , eft très-médiocre : on croit ce morceau une des produaions de fa vieilleffJe n'ai pas été plus fatisfait d'un tableau de J. Van-Orley qui eft encore dans cette  bans les Pays-Bas. 191 EMife; il repréfente Ste. Cécile & des Anges qui tiennent des inftrumens de rnuiïque : ce rnorceau, on nc peut pas plus foible , n'a aucun effct. Je fuis, &c.  *92 Le Voyageur. L E T T R E XIX. Bruxelles, ce..,. Décembre 1782. -L'usage oü 1'on étoit autrefois, Monfieur, d'employer un grand nombre de tableaux a la dccoration des Eglifes, n'a pas peu contribué aux progrès de 1'art de la Peihture : ceux qui la" cultivoicnt avoient a'ors un grand motif d'acquérir de la célébrité : auffi regnoit-il parmi cux la plus grande cmulation : aujourd'hui qu'ils ne travaillent prefque plus ni pour IcsEghfes, ni pour.les Couvens, ils ont bien moins de raifon dc s'attacher a leur art: ils cn auront encore moins après 1'cxtinaion du Monachifme , qui, quoiqu'en difent fes partifans, n'eft peut-être pas auffi éloignée qu'ils le pcnfent. Dans mes vifitcs d'Eglife, j'ai rencontré aujourd'hui nombre dc tableaux qui ne méntoient pas la peine que j avojs prife de  dans les Pays-Bas. 193 de venir les examincr Je n'ai vu dans PEglïfè des Annonciades que trois payfages d'Achtfchelingth;ilsfont d'une bonne couleur & pcints avec facilité,mais c'eft un bien petit mérite. Lc feul tableau que j'ai trouvé chez les Religieufes du petit Béguinage , qui mérite d'être cité , eft la Naiifance de Notre Seigneur, d'Adam Van-Oort; encore n'a-t-il rien qui m'ait frappé. Les autres font de Vander-Heydcn ; ils font très-médiocres. Les Religieulcs du grand Béguinage font plus riches ; elles ont dans leur Eglife un tableau de Crayer d'un deffin correct & dont les expreffions font pleines de finelTe ; mais la couleur en eft lourde: ce tableau repréfente Jéfus-Chrift mort fur les genoux de fa mere. Un autre tableau du même Maïtre, qui eft dans la même Eglife , ne m'a pas paru dignc de ce grand Maitre ; il repréfente Jéfus-Chrift fur la Croix , a cóté de laquelle iont la Vierge, St. Jean & la Magdelaine : la compofition en eft froide & la couleur encore plus. ■ II. Tome. Partie IIL I  194 E E VoYAGEUR L'cnfévelilTement de Notre Seigneur par Ottovenius, feroit un bon tableau s'il étoit moins pouffé au noir , ce qui le rcnd dur. Je prife bien davantage deux payfages de J. Van-Artois que poflede encore cette Egliie ; ils font pcints largement & d'une grande vérité. Je ne vous dis rien d'une Réfurreclion de Hacfe qui n'eft ni bonne ni mauvaife. Le Peintre que ces bonnes filles ont le plus employé a la décoration de leur Eglife, a été J. Van-Loon. Les fix tableaux de lui qu'on voit dans cette Eglife, font une Annonciation , Notre Seigneur mort qu'on vient de defcendre de la Croix, une Adoration des Magcs , une AlTomption & St. Pierre. Les quatre premiers de ces fix tableaux font bi:n compofés & bicn peints, mais les ombres en font pouflecs trop au noir. Les deux derniers font bien fupéricurs aux autres; ils font bicn pcints , d'une couleur & d'une belle compofition: ils ont beaucoup d'effet. Une Ste. Trinité que j'ai vue dans une Chapellc q-i'on nomme Chapcllc du Comte  ba ns les Pays-Bas. 195 | de Salazar , m'a fait grand plaifir : je 1'ai J cxaminée avec attention & j'ai trouve I qu'elle étoit peinte avec la plus grande 1 . légéreté & la plus grande fineffe : ce taI bleau eft cl air par-tout: s'il man que d'cxj preffion , c'eft que lc faire n'en eft guere I fufceptiblc: il eft de Crayer. Des fix auI tres tableaux , trois ont été pcints par J. I H. Janffens, J. Eyckens, J. Jacques I Van-Helmont, & les trois autres par Cal1 lau; ils ont rapport a une profanation d'Hoftie commife par des Juifs : ces tableaux ont peu de mérite. J'ai vu dans une Chapellc dédiée a St. Eloy y un tableau de Van-Orley ; il repréfente St. Eloy diftribuant 1'aumöne aux pauvres : la figure dc ce Saint eft belle; elle a même du caractcre, mais lc boiteux qu'on voit fur le devant eft une figure trop petite. Les chairs font d'un mauvais ton rougeatre qui déplait: il n'y a aucunc variété dansles couleurs, toutes font trop uniformes. Si je vous ai parlé precédemment, I 2  196 LeVoyageur. Monfieur, des tableaux qui fe trouvent dans la Chapcllc de Notre-Damc du Rofaire , dite des Efpagnols, qui fe trouve dans PEglife des Dominicains , je ne vous ai rien dit de ceux qui décorent leur Eglife. Le tableau du Maiire-Autel eft dc V. H. Janffens ; il repréiente un Duc de Clevcs guéri miraculeufcment par St. Vincent Ferrier : on y voit lc lit de ce Duc entouré dc Dominicains, & Vincent Ferrier qui dcfccnd du Ciel au milieu de plufieurs Anges. Le fond eft d'une aflez belle architedure ; la touche de ce tableau eft ferme & décidce, la couleur cn eft bonne & lc deflin tres-correct. Au-deflus du Choeur des Religieux eft un tableau de Callau : autour du Choeur font cinq tableaux , dont deux reprélcntant la Circoncifion & la rurification , font bien deffincs & bicn drapés dans la maniere de le Sueur ; ils font de J. Van-Orley : deux autres de Millé font une Fuite en Egypte, la Vierge , Ion fils & St. Jofeph. Le cinquieme repréiente les nóces de Cana : il  dans les Pays-Bas. 197 eft dc Haefe. Les tableaux principaux de cette Eglife repréfentent, 1'un St. Jean PEvangclifte , Tautrc St. Jean-Baptifte , Ie troifieipe !a Magdelaine & le quatrieme St. Pierre; ils font de Crayer : le plus beau eft Ie St. Jean PEvangélifte; il eft bien peint dans la maniere de Van-Dyck ; les trois autres font pcints avec moins de légércté de couleur: ces tableaux fontdevant lc Jubc. Autour des deux petites nefs font quinze tableaux dont les fujets font tirés de la vic dc Jéfus-Chrift & de la Vierge ; ils ont étc pcints par des Peintres modernes, entr'autres par Diesbccq, Perry , ManTaért. On peut dirè que ces bons Peres font grands amateurs: ils ont mis des tableaux jufques dans leur Sacriftië ; on y cn voit plufieurs peints par J. Milé , qui cn a pris les fujets dans le Nouveau Teftament : le mcilleur repréfente PEnfant prodigue. Lesfonds de ces tableaux , qui lont des payfages . ont été peints p'ar A. Goppcns. Le Réfeétoire de ces bons Pcres eft I 3  198 Le Voyagbur ornó" de quatre tableaux de J. Van-Orley ; 1'un repréiente la Vifitation , 1'autre la Vierge & St. Jofeph qui demandent è loger & qu'on rebute; lé troifieme la Naiffance dc Notre Seigneur & le quatrieme 1'Adoration des Magcs : dans ces tableaux plufieurs tétes manquent de nobleiTc & de caraclere ; les ombres font un peu lourdes & trop poufTécs au noir : ces tableaux d'ailleurs ont du mérite. Au milieu du RéfeéVóire eft un Chrift copié d'après Ruben?. Les tableaux qui font aux deux cötés de ce Chrift, ont été peints par H. Janffens ; 1'un repréfente la Vierge , St. Thomas d'Aquin & deux Angcs : ce tableau eft compofé d'une grande maniere , bicn drapé & bicn peint ; 1'autre au contraire, qui repréfente St. Vincent Ferrier qui rcffufcitc un enfant mort, eft Ia plus mediocre production de ce Maïtrc : auffi n'cn a-t-il donné aucune depuis. Je fuis, &c.  dans l es Pays-Bas. 199 c =_^_===—$ LETTRE PREMIÈRE. Louvain, ce.... Décembre 178a. J E ne fins pas , Monfieur , le temps que je refterai ici; cela cïépcnrJra du nombre des objevs qui pourront attirer mon attention. Louvain eft une grande. Ville ; fa forme eft ronde & fon circuit eft, a ce que je crois, plus grand que celui de Bruxelles : il n'eft que dc quelques verges moins grand que celui de Gand * mais il n'eft tel qu'il eft aujourd'hui que depuis 1361 , temps oü 1'on a reculé fon enceinte. Tous fes remparts font bien plantés , & forment une promenade agré;> ble. La population de Louvain en 1361 fe trouvant trop coniidérable pour fon enceinte , oh laifia fubfifter cellc-ci , mais on en conftruifit une qui eut beaucoup plus d'étcnriue. Une partie des murs qui formoient 1'ancienne enceinte, fubfifte cnI 4  200 Le Voyageur core , mais une grande partie du terrein qui eft aü-'dëla dc ces murs, n'eft pas couverte de batnuens ; elle eft employee en jardin : on y a planté auffi des arbres: d y cn a même une partie qui eft labourée. Louvain fe divife cn cinq quarticrs , qui cbacun a fon Capitaine particulier. . On emre dans Louvain par huit pörtes,dont aucune ne mérite d'êtrc remarquée; entre celle de Bruxelles & dc Malines eft une ancienne tour qui a été beaucoup plus élevéc qu'elle i'cft aujourd'hui: on la nommc Verlorenkoft (argent perdu). Louvain qui a toujours été la Capitale du Brabant, n'étoit ancienncraent qu'un bourg qui avoit titre de Comté : cc Comte renfermoit Bruxelles , Nivelie , Tcrvueren , Vilvorde & la forêc de Soigne. Louvain ne fut entouréc de murs qu'en 1165, fous le regne du Duc Gcofroy III. Les crudits dc cc pays ne font pas d'accord entr'eux fur 1'originc dcla ville de Louvain ; les uns veulent qu'elle foit plus ancienne que Céfar, qui, fuivant  dans les Pays-Bas. ïotd'atitrcs, cn a été le fondateur.- Les premiers difcnt que ce fut 1'Ecoflbis Lupus , qui vivoit long-temps avant, qui en a jctté lesipremiers fondemens : 1'on n'eft pas plusd'accord fur 1'origine de fonnom ; il • a' été formé, difcnt les uns , de celui de fon fondateur Lupus; d'autres prétendent que ca été du verbe flamand Loven , qui veut dire honorer, paree qu'il y avoit la un ancien tcmple confacré a Diane , dont il refte même encore quelques veftigès. La'troifiemc opiniori eft que Godefroi, Duc de Normandie, ayant en 885 aflis fon camp fur la Dyle , & fait élever un fort qu'il nomina Loven , & au tour' du'quel fes foldats conftruifirent des ba'raques, ces baraques prirent enfüitela fórme de maifons, qui, s'étant multipliées , fornlerent un bourg qu'on homma Loven, a caufe du Fort qui fe nommoi ainfi & qüi protégeoit ce bourg , que de Loven, 1'on a fait lc mot flamand Xeu" veri ,'&i enfuite lc mot francois LouvainQue dites-vous , Monfieur, de ce petit I 5  $02 Le Voyageuh , morceau d'érudition , qui, cnrichi dc notes & de citations a la Jufte-Lipfe , pourroit, comme bicn d'autrcs, mériter quelques brins de lauriers Académiques % Louvain eft fituée fur la Dyle a quatre lieues dc Bruxelles, avec laquellc elle. communiqué, au moyen d'une chaufiee qui a été établie en 1710 par les Etats de Brabant, Ses Habitans peuvent commercer avec Anvers par le^ canal,. & avec Malines par unc chaufiee. Maline». eft a quatre lieues de Louvain , & Anvers a la même diftance. TJnc autre chauffce fake en ifió, a établi une comraunication facile entre Louvain ,. T,irlemont & Liege. Une chaufiee conduit auffi ii Namur & une autre qui a été conftruite en 1780 , mene a Dieft & facilite beaucoup le commerce de Louvain.' Louvain , confidérée commc chef-Ville du Brabant, eft la première Ville dc cette Province dont plufieurs de fes Souvcrains ont été inaugurés dans fes murs.' Les Etats.  DANS LES PA.YS-BAf, 20» de la Province fe font auffi aflemblés quelqucfois dans le Chateau de Louvain , qu'on dit avoir été bati par les Romains , & qu'on nommc encore le Chateau de Céfar. J'ai été le voir pour plaire a mon höte , grand amateur d'antiqüités: il eft, m'a-t-il dit, dans 1'intention d'engager 1'Académic de Bruxelles a propófer un prix dc iooo florins, qu'il lui remettra , pour celui qui prouvera le mieux , cn un vol. in folio , que cc Chateau porte avec jufte raifon le nom.de Céfar qui Pa fait batir , & qu'il n'a pas étc élevé , comme le difcnt quelques érudites , par les ordres de i'Empereur Arnuphe , pour fe garantir de la fureur des Normands. Ce Chateau eft hors des anciens murs ■ de la Ville fur le fommet d'une colline, & au bord de la Dyle ; on y jouit d'une vue fort étcndue qui embraffe la Ville & la campagne. On peut monter u ce Chateau par des degrés , fans même être obligé dc defcendre de cheval : les Souvcrains du Brabant y ont quelquefois réfidés, ainfi que CharI 6  204 LeVoyageub. lcs,Quint & fes foeurs encore enfans. Ce Chateau qui tombe en ruinc & qu'on doit, dit-on , bientót démolir, n'a plus comme autrefois de Chatelains, dont le dernier, fuivant une lifte de ces Chatelains que m'a fait voir mon höte, avoit été nommc en ifüi. L'on m'a affuré que la population aduelle de Louvain étoit de 40,000 ames, y compris 3000 étudians : elle étoit dc 24,000 du temps de Jufte-Lipfe , qui eft mort a Louvain cn 1606. Au milieu du 14e. fiecle, Louvain comptoit parmi fe habitans 150,000 ouvriers qui occupo.ent 4000 fabriques dc draps. Mon hóte m'a dit avoir lu dans les anciennes annales de cette Ville, que lorfque cette multitude d'ouvriers revenoit de leur travail , l'on fonnoit la groiTe clochc pour que les meres retiraffent leurs enfans des rucs , dc peur qu'ils ne fuffent ■ étouffés dans la foule; l'on fermoit auffi les maifons dans la crainte d'être volé. Jc préviens la queftion que sürement  dans les Pays-Bas. 205 vous me fcrez fur le fort de cette fabrique de draps & d'autres étoffes de lainerie qui fleuriiToicnt dans Louvain vers le milieu du 14c. üecle : 1'événement funefte qui Pa fait dilparoitre, a été la révolte des ouvriers qui y étoient employés ; pré'tendant avoir a fe plaindre de leurs maftres, ils fe révolterent contr'cux , briferent même les portes de 1'Hötel-dc-Ville , oü plufieurs de leurs maïtres s'éroient retirés , comme dans un afyle oü ils croyoient que ces mutins n'oferoient pas entrer ; mais dans leur fureur ne refpeótant ni le lieu % ni les Officiers dc la Ville , ils fe faifirent de tous ceux qu'ils trouverent fous leurs mains & les jettcrent au nombre de 17 par les fenêtres : après avoir commis dans la Ville des crüautés de toutes cfpeces & des attentats les plus atroces, ils fe répandirent dans tout le Brabant, ravagerent les campagnes, pilierent les Villes, & par-tout commirent des excès inouis. Lc Duc de Brabant Vincellas marcha contr'eux ii jla tête de fes troupes, les  ac?6 Le Voyageur enveloppa & les forca d'implorcr fa ciémence 5 il fit grace au plus grand nombre & punit avec la plus grande févéritc les plus coupablcs ; mais confidérant que les manres de ces ouvriers leur avoient donné lieu de fe révolter , il les chaifa tous de fes Etats : cette févérité, toutejuftè qu'elle pouvoit être , devoit être confidérée comme imprudente'; non-feulement elle privoit le pays d'habitans induftrieux qui renrichiflbicnt, mais elle devoit tourncr a 1'avantage des pays voifins. Les maitres fabriquans de draps de Louvain, ch aifés dc leur patrie , fe retirerent cn Angleterre & y introduifirent la fabrique des draps (en 1382) (a). A cette plaic que le (a) II s'en fixa quelques-uns a Vilvorde, qui enfuite allerent s'e'tablir a Neaux au pays de Limbourg , oü ils jetterenr les fondemens des fabriques de draps qui y fleurilfent préfentement. Des Auteurs difent qu'avant leur  dans les Pays-Bas. 20?. temps ne pouvoit cicatricer, le Duc d'Albe ajouta toutes celles que fait toujours a un corps polidque 1'efprit d'intolérance & les ufurpations du deipotifme que voilent les intéréts prétendus dc la rcligion. Le defir de repeupler Louvain , que la perte de fes fabriques de draps avoient rendue prefque défene , fit former au Duc dc Brabant Jean IV, le projet d'y établir une Univerfité. Ce Prince efperoit qu'une écolc des arts & des fciences y attireroit un grand concours d'étrangers, qui, fe renouvellant fans ceffe , lui tiendroit licu de la grande population qu'elle avoit perdue. Le bref d'crcction de 1'Univerfité de Louvain fut expédiée en 1425 , par le Pape Martin IV : ce brcf n'excepta de toutes les fciences que celle de la Théologie qu'il ne permit pas qu'on émigration les drapiers de Louvain avoient formé le projet d'unir Malines a Louvain par une chaine de maifons, baties le long de k Dyle.  208 L E V O Y A G E U R. enfeignat publiquement dans la nouvelle Univcrfité. L'L'niverfité dc Louvain, qui eft dcvenue une des plus célebres de 1'Europe, a produit un grand nombre de très-grands hommes •1 je vóus- forai cortnoJire dans la fuite fa confiitution. Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 209 LETTRE II. Louvain , ce . . .. De'cembre 1^82. T j A Juftice civile & criminelle, ainfi que la Police , s'adminiftrent ici, Monfieur , pardes Magiftrats qui forment lc > Corps de Ville : a la tête de cc Corps font deux Bourg-Meftres. Les autres Officiers municipaux font fept Echevins, dont quatre doivent être pris dans les fa, millcs qu'on nommc Praticiennes (a); deux dans la Bourgcoific & un parmi les ChefsDoyens ; de vingt-un Confeiilcrs , choifis par les Chefs-Doyens des métiers ou nations,dont onze pris dans les families praticiennes & dix parmi les Chefs-Doyens: (a) Dont voici les noms , Uyttenlimminingen , Vanden. Calftre , Van Redingen , Vanden Steenen , Verufallem , Gillis (k Vanden Rode.  *io Le Voyageur. On peut nommer ces derniers, Confeillers des nations , quoiqu'on ne leur en donne pas le titre a Louvain j d'un Confciller penfionnaire, de trois Confcillers Secrétaires, d'un Greflier & d'un Reccveur. Le premier Bourg-Meftre eft choifi par les Chefs-Doyens des nations , parmi les onze Confeillers noblcs : fuivant le privilege que leur a accordé le Duc Vv'enceilas en i379, ils nomment le fecond Bcurg-Meftre, qu'on nommc Brugmeftre des Bourgeois; il faut qu'ils Je prennent parmi les dix Confeillers des nations : il eft Ie fubftitut du Boug-Mcftre noble ; ceiui-ci ne nomme a aucune des places ou emplois de fHótel-de-Ville, qui tous fe donnent a la pluralité des voix de tous les Officiers qui curapofent le Corps municipal.' Quinze jours avant celui dc la Saint Jean , tous les Doyens dc. Corps & métiers qui forment les nations, choififfent vmgt-un iijets , dont douze pris dans les families praticiennes, fix dans les Bour-  dans les Pays-Bas. üii $eois & trois parmi cux-mêmes. Ce choix eft remis au Mayeur, qui le porte ou 1'envoie au Gouvernement qui choifit les lept Echevins. Si ceux qui lont en place font fur la lifte, ils peuvent être conti nués ; mais ï'ufagé du Gouvernement eft ^ de les continuer ou dc les remplacer tous. " Six des Magiftrats du Corps de Ville forment un Tribunal particulier dont le public retire un grand avantagc, celui de voir terminer a famiable nombre de procés , qui s'ils étoient portés devant les Juges ordinaires, feroicnt la ruine des parties & une fource continuelle d'animofité entre les families. Les Officiers qui compofent ce Tribunal refpectable, fe nomment pacificatcurs; ils font au nombre de fix , dont- deux font pris parmi les Echevins, deux parmi les Confeillers nobles & deux parmi les Confeillers roturiers. Tous font nommés tous les ans. par les Bourg-Meftrcs & les Echevins.' Les fonaions de ces Magiftrats pacificatcurs , font de mettre tout en ufage pour  2ie LeVoyageur. accorder les parties & les porter a faire entr'elles un accommodemcnt, toutes les fois qu'il s'agit d'injurcs verbales (a) & réelles, & autres roéfus civils & tfcTits d"'oü ne dépend corps ou membres. ,Les habitans de Louvain , avant que de fe pourvoir en juftice réglée, doivent vcnir dcvant les pacificateurs, qui, s'ils ne pcuvcnt par'-enir a faire un accommodcment cntre les parties, les renvoient ï leurs Juges compétens : ces pacificateurs reftent en place jufqu'a ce que tous les Magiftrats de la Ville foient changés.' Le Souvcrain a a Louvain un officier principal qui le repréfente ; il fe nommc Mayeur & y fait les mêmes fonctions que I'Amman a Bruxelles. Je nc peux mieux comparer cct Officier qu'au Prévöt de Paris ou a un' Baillif d'cpée d'un Bailliage de France. Cc Mayeur ne fait pas corps avec les Officiers municipaux a la tête defquels il marche cependant dans (a) Chap. Ier. art. 32 de la Coutume.  dans les Pays-Bas, 213 les cérémonies publiques ; il en eft le furvcillant pour tout ce qui peut intérefler le Souvcrain & le public, dont les intéréts font inféparables , & ce font ces intéréts réciproques du public & du Souverain qui font que le Mayeur eft obligé de femoncer les Magiftrats municipaux dc rendre des ordonnances & de punir les crimes (a) , dont 1'inftruction fe fait par les Officiers de 1'Office du Mayeur: en cela les foncVions de eet Officier font celles des Gcns du Roi en France. Le Mayeur a un tiers des amendes qui font (a) Les fufdits Echevins font Juges ordinaires de tous les bourgeois & autres inhabitans de ladite Ville & franchife de Louvain, &c en toute caufe réelle , perfonnelle & mixte, civile & crim'.nelle , appartenante a Ia connoiffance des Juges ordinaires ; excepté qu'ils ne peuvent prononcer leurs fentences qu'aprèspréalable lemonce du fufdit Mayeur, de fon Lieutenant ou du plus ancien defdits Echevins , lequel ns perd point fa voix par ladite femonce, art. 8 de la Coutume.  214 Le Voyageor prononcées par les Officiers municipaux.' , Le Mayeur de Louvain n'eft pas Officier de Police; cc font les Officiers municipaux fculs qui le font; mais le Mayeur comme Officier du Souverain , doit veiller a cc que les régiemens de Police foient öbfervés; il peut arrêter ceux qui nc les obfervent pas ; mais c'eft aux Magiftrats municipaux feuls qu'il appartient dc les punir fur la requifition que leur en fait le Mayeur. Si le Mayeur fait arrêter un vagabond , un bommc fans aveu, un étranger iconnu & fufpecté, ou un bourgeois perturbateur du repos public , ou une femme dc mauvaife vie, il doit fur la demande du prifonnier , le remettre a fes Juges naturels; s'il ne le fait pas , les Echevins peuvent ordonner fon élargifiement: cela rcflèmble beaucoup a Yha~ beas corpus des Anglois. Quand il fe commet un déllt les Officiers du Mayeur doivent en informer & communiquer enfuite aux Echevins le réfultatde leurs informations, d'après le-  dans les Pays-Bas. 415 quels les Echevins rendenf un décret de prife de corps, fans lequcl le Mayeur ne pourroit ié faifir de 1'accufé, & fi, pour s'en faifir, il falloit entrcr dans la maifon de 1'accufé, la préfence de deux Echevins feroit abfolument néceifaire ; car a Louvain comme a Bruxelles, la maifon des bourgeois eft un afyle facré , qui ne peut être violé qu'en la préfence des Magiftrats; cela s'oblërve exactement a Bruxelles; mais a Louvain les Echevins envoient en leur place ordinairement le Conciërge dc 1'Hötel-de-Ville qui les repréfente , ce qui pourroit être un abus. A Louvain , comme par-tout ailleurs en Brabant, le décret dc prife de corps ne peut être donné fur une fimple accufation; il faut information préalable & qu'il en réfulte, dit la coutume, au moins une demipreuve ou unefortepréfomption. Dans aucun cas le Mayeur n'a voix délibérative , mais il exerce le pouvoir co-actif de Souvcrain , en ce qu'aucune ordonnance des Officiers municipaux ne peut  216 Le Voyageur. être publiée ni mifc a exécotion contre 1'avis du Mayeur , quand il eft queftion des intéréts du Souvcrain & du public. Le courier me preffe , je remets a demain ce qu'il me refte a vous dire relativement au Mayeur & a 1'adminiftration de Ia Juftice a Louvain. Je fuis, &c. Fin de la troijleme Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O TJ LE TT RE S Sur 1'état actuel de ces Pays. Felix qui potuit ïerum cognofcere caufas! V i r g l l e. *- TOMESECOND. Quarieme Partie. $ A AMSTERDAM, Ghez Changuion, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. LXXXIII.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. L E T T R E III. Louvain , ce .. . Janvier I7ö,^'■^ T 7 ° JL/ E Mayeur de Louvain , Monfieur ,. a un Lieutenant qui, en fon abfence , fait les mêmes fonAions que lui: il n'eft pas néccflaire que ce Lieutenant foit noble; il fuffifoit qu'il bourgeois & d'une honnête familie de Louvain : il n'en eft pas de même du Mayeur; il faut qu'il foit gentilhomme : c'eft le Souverain qui le nomme, ainfi que fon Lieutenant : celui-ci & le Mayeur K a  «ao Le Voyageur. jouiffdtiï de leur office leur vie durant; s'ils malvcrfent , ils font jugés par les Echevins. On appelle au Confeil de Brabant de toutes les iëntences renducs par les Bourg-Meftres & Echevins dc Louvain, excepté cn maticre. criminelle ; de maniere que s'il arrivé qu'un accufé foit jugé par les Echevins contre toutes le* regies & tous les principes, il n'a d'autre moyen que dlavoir recours au Souverain, 'repréfente en Brabant par le Gouverneur & Capitaine-Général , pour implorer fa clémence: c'eft ce qui eft arrivé en 17^6. Le lils d'un Bourgeois de Louvain , noramé Henri Coen , bourgeois & ancien Doven du métier des. fripiers, avoit été aeculc 1'année auparavant , d'avoir commis un viol ; pourfuivi a la requifition du Mayeur devant les Echevins de la Ville, ceux-ci lc condamncrent au bannilfement, non pour avoir étéconvaincu d'avoir commis le crime , mais feulcment pour être vivement foupponné de l'avoir fomrnis. Le pere prélënta requête au  dans les Pays-Bas. 111 Prince Charles , qui 1'ayant renvoyéeau Confeil Privé, ce Confeil 1'envoya au Confeil Souvcrain dc Brabant pour avoir fon avis, qui fut que les Echevins dc Louvain ne pouvoient pas , fuivant aucun privilege ni ufage , dccerncr aucnne .peine capitalc contre 1'accufé. Un Juge ne peut condamner un accufé fur de-fim,ples foupcons; il faut qu'il ait la prcuve complette de fon crime pour pouvoir lui faire fubir la peine prononcée par la loi .contre le crime dont on 1'accufe. Les Echevins de Louvain font auffi .Juges d'appel des fentences renducs en matiere civile par les Juges dc plufieurs Juftices Seigneuriales , tant du dehors que du dedans de la Ville , & par les Doyens des Corps & Métiers, Sermens, Confrairies , &c. qui tous font fous la Jurifdiction du Corps de Ville , dont ils doivent même prendre leurs inftruétions pour les jugemens des caufes qui font portécs devant leur Tribunal : ces Doyens ne peuvent faire exécutcr aucun des régiemens K3  *!2 Le Voyageur. qu'ils font, qu'après que ces régiemens ont été approuvés par les Bourg-Meftres &: Echevins. Les Echevins font auffi Juges d'appel des fentences que rendent les Bourg-Meftres. Le Corps de la draperie eft compofc dc 14 membres, qui jouilfent, comme je Fai dit, du droit de nommer les 11 Confeillers nobles de 1'arriere - Confeil, fans le concours d'aucun autre métier, de préfenter les ai fujets parmi lefquels doivent être choifis les Echevins, dont un eft toujours des Corps de métiers. Le Recevcur de la Ville doit être auffi du Corps de la draperie ; quatre des Doyens de ce Corps, choifis par tous les Corps de métiers , & quatre autres Doyens de lignéc que nomme le Corps de la draperie , corapofent ce qu'on nomme Je Tribunal de la draperie. Ces huit Juges connodfent en première inftance de tout ce qui concerne la draperie ou manufacture de laine , pelleterie '& mercerie , &c. Plufieurs membres du  dans les Pays-Bas. Corps font d'anciens commercans qui ne font plus le commerce. Le Tribunal de la draperie prend connoiifance des caufes entre les domeftiques & les Maftres : il peut faire exécuter fes fentences dans tout le plat pays & les Villes non murées. Les Membres de 1'Univcriité de Louvain ne font pas fujets ii la Police de la Ville; ils ne font jufticiables que du Rccteur magnifique dc l'Univerfité,qui exerce a leur égard toutes les fonétionsdc Juges, tant pour la Police que pour le criminel. Le Promoteur de 1'Univerfité lui eft entiérement fubordonné , ck c'eft lui qui exerce la Police fur tous les membres de PUniverfité ; fa principale fonction eft d'empêcher les étudians d'aller a des heures indues dans les cabarets, oü cependant il ne peut entrer lui-même : quand il va dans les rues il eft accompagné de quatre efpeces de fergens , qui , dit-on , faciliten t aflez volontiers 1'évafion des étudians qu'ils rencontrent dans les rues après huit heures en hiver & neuf en été.' L'étuK 4  124 Le Voyageur. diant trouve après cette heure dans les rues, paie au Promoteur qui 1'anêtc jH florins } ck 14 florins s'il efttroüvé après ncuf heures en hiver & dix cn été : on en trouveroit moins, fi a cette amende on fubftituoit la peine de Ia prifon. (La prifon de 1'Univcrfité eft dans la maifon du Promoteur, qui ne peut y enfermcr qui que ce foit, fans un ordre du Recteur: ceux qui y font enfermés paient par jour au Promoteur une demi-couronnc , pour laquclle il eft bicn nourri , couché, éclairé & chauffé : je le tiens dun étudiant qui a été pendant 15 jours penfionnairc du Promoteur: a Tinftantoüjevous' écfis , il cn a plufieurs. Cc Promoteur eft un fécuüer qui a même fervi, 'mais je ne fais dans quclles troupes. Dan- les affaires civiles 6c criminclles qui font portées devant le Tribunal du Recteur , lc Promoteur fait l"Office du Procureur du Roi de nos Juftices.' Je fuis, &c.  dansles Pays-Bas. 225 LETTRE IV. Louvain, ce Janvier i?83. D e s cinq Eglifes paroiffiales qui font ici, Monfieur celle dc St. Pierre eft la plus belle ; elle eft auffi Collégiale: elle a été batie cn 1405; fon Chapitrc eft compo é de dix-huit Chanoincs piébendés, d'un Prévöt, d'un Doyen & d'utv Chantrc , de dix autres Canonicats londés depuis les premiers: la plupart de ccux\k font annexés a des places de Profcffeurs en Théologie & cn Droit; les dix derniers font réfervés pour des Profeffcurs cn différens genres de fcience.' L'Êglifc de St Pierre eft une des plus belles qui foient dans les Pays-Bas Antrichiens; c'eft un beau vaiffeau : on regrette beaucoup ici fa tour qui avok 533 pieds de hauteur avec deux autres tours latérales, chacune de 130 :1e vent K 5  226 Le Voyageur la abbatue en 1606. Dans le Choeur eft le tombeau de Hcnri IV , Duc de Brabant , mort en 1045. Cette Eglife eft d'un beau Gothiquc , grande & très-claire : on a employé a fa décoration une grande quantité de marbre : j'y ai vu deux bcaux tableaux de Crayer ; 1'un que j'ai cru d'abord être de Van-Dyck., repréfente (a) la Ste. Trinité dans le Ciel ; au bas font les vertus théoJogales , perfonnifiées d'une maniere trèsfpirituelle : dans ce tableau tout eft du plus grand fini; les têtes font d'une beauté raviflante, le coloris cn eft admirable , mais c'eft fur-tout la correction du deffin qui m'a frappé. L'autre tableau de Crayer eft remarquable par le caractere des têtes, & fur-tout de celle de St. Charles Borromée , qu'il repréfente donnantl'Euchariftic aux peftiférés , parmi lefquels eft (a) Ce tableau eft dans une Chapelle en entrant, ainfi que le fuivant.  bans les Pays-Bas. 227 un enfant dont on appercoit a travers la peau du ventrc les entrailles putrifiées : derrière St. Charles eft un Diacre qui diftribue Pau.móne aux pauvres : on ne peut pas mieux pofer une figure que Peft celle du Saint. Ce fujet traité nombre defois, Peft dans ce tableau d'une maniere touta-fait neuve. Un tableau de cette Eglife qu'on eftime ici & dans tout le Pays infiniment plus que les deux dont je viens de vous parler , eft de Quentin (a) Maffys; il repréiente au milieu une Généalogie fainte , fur le volet a gauchc PAnge qui annonce a Zacharie la groffefle de Ste. Elifabeth , & fur le volet a droite la mort de la Vierge ; les têtes en font peintes a la Raphaël & pour la fineffe ck pour Pexpreffion ; la couleur cn eft auffi belle, auffi fraiche, auffi éclatante que fi elle vcnoit d'être appliquée, mais ces grandes (a) Ce tableau eft dans la feptieme Chapelle a droite. K 6  2^8 L E VoYAGEUX beautés font compenfées par de grandi défauts ; tour y eft dur , d'une féchereifc étcunante, fans harmonie & fans (ouplcfic dans le deffin. J'ai trouvé la même féchercffe dans un autre tableau du même Maïtre , qui eft au-delTus dc la Sacriftic; ü repréfente la Cène. Ce défaut n'empêche pas que ce tableau ne foit regardc par les connohTcurs comme un des meilleurs de Quentin Maffys : j'y ai trouvé beaucoup de vérité dans les détails & de 1'expreffion dans les têtes qui font toutes très-jolies : lc même fujet, traité par A. Janffens (a), forme un très-beau tableau ; la compofition en eft fuave & fpirituelle , & le deffin correct, mais tout y eft poufle au noir. Le tableau dc Klerck (b) , qui repréfente le Martyre de St. Sébaftien , eft bon, mais les ombres en font fi fort noircics, que la couleur en paroft grife. (a) II eft dans Ia Chapelle de Ia Communion. (b) II eft fur 1'Autel de Ia 4me. Chapelle  dans les Pays-Bas, 229 II y a bien plus de génie dans le tableau de Wautiers (a), éleve de Rubens; il repréfente St. Pierre a la téte des Apötres aux genoux de Jéfus-Chrift , qui lui remet les clefs; la compofition eft dans le goüt de fon Matte ; ce tableau pêche par la couleur qui n'en eft pas belle. Je fuis , &c. (a) II eft fur le Maitre-Aucel.  230 Le Voyageur i f 3 L E T T R E IV. Louvain, ce Janvier 178",. 1 - J-/ o u v a 1 x , Monfieur, paie un dixfeptieme dans le fubfide , Anvers fix dixfeptiemes & Bruxelles dix dix-iëpticmes.' L'Hötel-de-Ville de Louvain jouit d'un revenu de 100,000 florins environ , dont 40,000 qui lui font payés par les braffcurs , font employés au paiement des intéréts dc 1'argent que la Ville a levé en dïfterens temps. Ces emprunrs , a ce qu'on m'a dit, ont été faits a 3 & 3 & demi pour cent. Les foixante autres mille florins font produits par diflerens droits que paicnt a la Ville les marchands pour certames denrces ou marchandifes qu'ils vendent. Chacun de ces droits font aftérmés , & c'eft au Receveur dc la Ville que les fermiers paient le prix dc leur ferme. La caifle de ce Receveur, qui eft fous la  dans les'Pays-Bas. 231 direclion du premier Bourg-Meftre , fournit aux dépcnfes ordinaires de la Ville. Le Receveur qui en fut chargé en 1767 , qui fe nommoit Uirix, la trouva cndetée de 90,000 florins, & a fa mort, qui arriva en 1770, cette dette fe trouva tellement réduite, que fon fucceffeur la liquida entiérement dans 1'efpace de trois ans qu'il refta en place, laiffant encore en caiffe plus de 8,000 florins : il n'en a pas été de même de celui qui lui a fuccédé ; il vient , m'a-t-on dit , de faire un trou d la lune, laiffant fa caiffe nonfeulement vuide, mais encore fort endetté. L'on m'a hier affuré qu'elle Pétoit de 30,000 florins. Celui qui a été nommé pour le remplacer, eft celui auquel il avoit fuccédé. Toutes les maifons qui fe vendent a Louvain paient 10 pour cent du prix de la vente, dont 5 font percus par le Receveur de 1'Hötel & 5 pour le canal : c'eft 1'acheteur qui paie ce droit exorbitant. Chaque feptier de grain qui entre dans Louvain pour y être vendu  S3~ Le Voyageur. & entrepofé , paie deux liards: il n'y a d'cxceprc que les grains qui , fans être déchar^cs, ionent par la porte de Malines. Ghaque tonne de bierre paie a la Ville -3 fols pour droit de convoie, 15 fols pour droit de canal, & trois fols pour droi: d'Erat. La ville leve encore a titre de droit de ca:erne 3 florins par braflin de bierre. S'il y a ici, comme l'on me i'a dit, 42 braffcries , en fuppofant que chacune d'elle ne feroit que deux braflins ■par femaine, ce droit produiroit a la V He 'un revenu annuel de 13,104 florins. Je ne fais pas encore au vrai quellcs font les charges de 1'Hötel-de-Ville de Louvain , mais je crois, d'après le peu qu'on m'en a dit, que fon revenu peut a peme fuffire aux dépenfes qu'elle eft obligée de faire. Les exemptions de certains droits dont jouiflent les membrés de TUniverfité Jont très-onéreufes a 1'Hötel-de-Ville, 'dont elles diminuent le revenu , & ü ceux ées bourgeois qui paient ces droits". La  dans les PaYS-Ba s. 433 perpctuité dc toutes' exemptions quckonques eft un abus : le Souverain qui les a' aecordées a outre-paifé fes pouvotrs, s'il na pas limité le temps dc leur'durée, qui nc pöuvoit être que celui de fon regne : fi 1'exemption eft accordéc par les° Magiftrats dc la Ville , il faut, pour qu'elle foit valable, le confentcment du Souverain, & lc Souverain cn la don'nant n'oblige point fes fucceffeurs : d'ailleurs, c'eft une maxime fondée fur 1'équiié, que ce qui nuit au plus^ grand nombre ne peut jamais fubfiftcr qu'autant que le plus grand nombre' veut bien qu'il fubfifte. L'Univerfité de Louvain mérité i tous égards la protection du Souverain , les attcntions & les égards les plus grands dc la part du Magiftrat de la Ville ; mais ce Corps rerpcaable eft trop ami de 1'équitc dont il enfeigne continuellcmcnt les principes, pour vouioïr qu'on lui conferve 1'exemption des droits dont iljouit, & dont la fuppreffion tourncroit a 1'avan'tage du commerce , en .mettant lc Ma-  *:,4 Le Voyageur. giftrat de la Ville en état de faire pour le commerce des dépenfes qu'il ne peut faire préfcntement, faute de movens: la plus urgente de ces dépenfes eft la confitruction d'un nouvel entrepót; celui qui exifte aujourd'hui ne fuffit pas : il eft fi vieux , fi caduc , qu'il n'eft pas fufceptible d'êtrc réparé. Ce b&timent a fervi autrefois de boulangerie aux armées Francoifes : après qu'elles curent évacué le Pays, & lorfque le canal de Louvain fut établi, les Magiftrats de la Ville le deftinerent a lufage d'un entrepót; il fuffifoit alors aux marchandifes du dehors qui devoient y être dépofées jufqu'au moment oü l'on les envoyoit a leur deftination ; mais aujourd'hui eet entrepot eft tellement infuffifant, que fi on tardoit plus long-temps a cn conftruire un plus grand , cela pourroit caufer beaucoup de gêne & d'embarras pour les commercans: il peut arriver que des marchandifes qui leur font adreflees pour les faire pafier a Liege, en Suific ou en Allcmagne, ne  dans les Pays-Bas. 235' puiffcnt être expédiées, faute de voituriers, qu'un mois & quelqucfois deux après leur arrivée ; s'ils ne peu vent pas les dépofer a 1'entrepöt, il faudra , ne pouvant pas les placer chez eux, qu'ils paient a ceux qui voudront bien les rccevoir , un loyer confidérable qüi fera & leur charge, & s'ils le font fupportcr par la marchandife, ce fera une augmentation du prix du tranfport, qui pourroit bien i fi cela duroit long-temps, faire abandonner la route de Louvain. Je ne doute pas, Monficvr, que les Magiftrats de 1'Hótel-de-Ville , qui dans tous les temps ont donné a leurs concitoyens des preuves non équivoques de leur zele pour le bien public , ne s'occupcnt préfcntement du projet de conftruire un nouvel entrepot; mais l'on ne fait pas encore Pen droit oü on le pofera j les uns voudroient que ce füt prés de celui qui exifte aujourd'hui; les autres préféreroient qu'on le conftruislt auprës du Chateau de Céfar ; fi on lc fait, il faudra 1'élever fur des fondc-  L E V O YAGEUR mens très-folidcs & très-profonds,.-paree qu'on voudra qu'il correfponde a des maifons^qui ont jufqu'a trois étages. Un entrepót ne doit pas être un batiment dè décoration, c'eft fon utilité feule qu'on doit conlidércr ; il fuffit que les marchandifes qui y font dépoféesy foienta couvert des injures du temps, & qu'on puiffe les charger & déchargcr facilemcnt fans gêne ni embarras. Un entrepót n'eft, a proprement parler , qu'une grande halle , au-deffus de Jaquelle eft un grenier qui lui fert de décharge : un tel édifice peut s'élever fur des fondemens bien moins folides qu'il nc les faudroit pour celui qui a deux ou trois étages. Pourmcdonnerunc idee du commerce adluel dc Louvain, l'on m'a fait voir 1'état des marchandifes qui y étoient entrepofées toutes les femaines ou tous les mois : voici eet état.  D A-N S L, E S P A-Y S -B A S. Par Semaine. 1 °. De Liege 200,000 pefant de elouds, ferSiOz-armes. 2 0 . DsÓftendc 150 i 200,000 de diffcrentes .marchandifes,. , Par Mois. • 3 0 .De Bruges 200,000 cnviron. idem. 4 o. De Gand 50,000. . . idem. 5 0. D'Anvers 50,000. . . idem. 6°. De la Hollande & de la Zélande ;6 a 700,000 • • idem ■ 7 0 . De la Sniffe , la Lorrainc & PA1lemagne 150 a 200,000. . . . idemChaque année il vient a Louvain du Bureau dc St. Philippcs &d'Oftendei2 'i 15,000 rafieres de fel rafiné , deftiné a tranfiter. Cette quantité de marchandifes augmenteroit encore conlidérablemént, fi les Etats du pays de Liege vouloient fe prêter aux fages vues du Gouvernement des pays-Bas Autrichiens : s'ils s'y refufent , ils ne connoïtront pas leurs véritables intéréts. Je fuis, &c.  Le Voyageur. LETTRE V. Louvain , ce..,. Janvier 1783. Louvain, Monfieur , eft fituéc on ne peut pas plus favorablcment pour être une Ville d'entrepöt. II étoit entré dans les projets du Comte de Cobenzl, d'öter aux ports & aux villes maritimes de la Hollande, une partie de leur commerce de commiffion, & pour y parvenir il falloit que les marchandifes deftinées pour PAllemagnc & expédiées fur Oftcnde , puffent être tranfportées par terre a moins de frais que ne pourroient les expédier par eau les commiffonnaires des ports de la Hollande. Pour attcindre & ce but, lc Comte de Cobenzl fit donner cn 1755, par le Confeil des Finances, un régiement concernant le tranfit pour les mar. chandifes d'Hollande deftinées pour 1'AI lcmagnc & Liege, & vice verfa pour celle  dans les Pays-Bas. 259 de Liege & d'Allemagne deftinées pour la Hollande , qui entreroient fur les terres de la domination de S. M. Imp. ou en fortiroient par le Bureau de St. Philippes, & les ports d'Oftende, Bruges & Nieuport. - Le canal de Louvain fubfiftoit : on 1'avoit commencé au mois de Février 1750. Si les Malinois 1'eulfent voulu ,on 1'auroit fait pafier par leur Ville ; ils s'y oppoferent & on lui donna la direftion qu'il a préfentement: c'eft la Dyle , dont il rend la navigation inutile pour Louvain qui fournit les eaux qui le remplit. Ce canal qui ouvre a Louvain la communication avecl'Efcaut, fut achevé cn 1745 ' mais les travaux en avoient été mal dirigés, & les éclufes trop foibles avoient été pofées a une trop grande diftance les uncs des autres: une d'elles s'étant écrouléc en 1757, la navigation fut interrompue, & ce fut alors qu'on connutde qu'elle utilité pourroit être le canal pour le commerce de Louvain. Les brafleurs plus  £4° .LeVoyageur qu'aucuns autres fentirent combien il étoit important qu'il fut rétabli , & pour que cela nc fouft'rït nul retardement, ils offrirent de lever 1'argent nccelfaire pour faire cette réparation qui fut achevée en 1763 ; ce fut alors qu'un négociant de Malines, nommé Poullct, établit a Louvain une maifon de commiffion qui exifte encore aujourd'hui fous lenomdePoullet & famrs. Charles Wouter fut le premier qui rit conttruire une maifon prés du canal, & fon exemple fut bientöt fuivj par plufieurs autres. L'entrée des cuirs fecs a poil & des laines d'Efpagne. par le Port dc St. Philippes, ayant été défendue en 1768, & caufe de 1'épizootie qui regnoit en Hollande , le commerce des commiffionnaircs & expéditionnaires de Louvain diminua eonfidérablemcnt 3 peu de temps au paravaat le Gouvernement lui avoit encore porté un coup funefte en défendant l'entrée & le tranfit des harengs fumés & falés d'Hollande. Le but de.cette défenfc avoit été  ffiANs. les Pays-Bas 241 été de favorifer la pêche de la Flandre Autrichiennc. Mrs. Jean & Pierre de Loofe de Gand , ont rendu en 1770 un fervice important au Port d'Oftcnde & a Louvain ; ils tirerent d'Efpagne cnviron 60,000 cuirs fecs & a poil; ils les trafiquerent avec les négocians de Liege, de Malmédi &c de Stavelot, de Namur & du pays de Luxembourg, qui, depuis ce temps ,n'ont plus tiré tous leurs cuirs d'Efpagne du Tort d'Amfterdam comme ils le faifoient auparavant; ils les ont prefque tous fait vcnir par le Port d'Oftende qui les envoie a Louvain, d'oü ils leur font expódiés: il eft plus que probable qu'avec le temps tous les cuirs qu'ils confommeront prendront la même route. Tant qu'a duré 1'épizootie, il étoit naturel qu'on défendït 1'entrée des cuirs par St. Philippes , mais je ne vois pas quel peut être le motif qui engage le Gouvernement a lailfer fubfifter aujourd'hui cette défenfe , ainfi que celle de faire pafler par Louvain les hall. Tomé. Partie IV. L  242 Le Voyageur. rengs d'Hollandc. Cctre défenfe nuit & Louvain fans produire aucun avantagc aux pêcheurs de la Flandre. Les harcngs d'Hollande ne pouvant plus paffcr par Louvain , paffent par Bois-le-Duc & vont a la même deftination, que s'ils paffoient par Louvain. Si le commerce des Pays-Bas Autrichiens doit a la maifon Romberg la plus grande partie de fes fuccès, celui de Louvain en particulier lui a les plus grandes obligations: il s'en falloit beaucoup qu'il fut en I7TO ce qu'il a été depuis. Depuis 1770 , que cette maifon a formé un établiflement a Louvain , cette Ville eft devenue le paffage de la plupart des produétions induftrieufes que tirent de 1'Angleterre par le Port d'Oftende, la Lorraine, la SuiiTe & tous les pays voifins, & de prefque toutes celles que 1'Italie, la Suiffe & autres pays envoient pour être errrbarquées a Oftende. Les expeditions que fait la maifon Romberg de Louvain pour Cologne & Francfort, font très-confi-  dans les Pays-Bas. 243 dérables,mais moindres cependant que celles faites par la maifon des freres Overman de Bruxelles; cela ne durera que jufqu'a ce que les négocians d'Allemagne connoltront 1'avantagc qu'ils auroient a préférer 1'entrepöt de Louvain a celui de Bruxelles, qui leur eft bicn plus coüteux que nc le feroit celui de Louvain : celleci eft de quatre lieues moins éloignée de Cologne & de Liege que ne 1'eft Bruxelles. Le chargement & le déchargement a. Bruxelles eft plus coüteux qu'il ne 1'eft a Louvain , oü il n'y a point & oü il ne peut pas y avoir de corps de bateliers comme il y en a un a Bruxelles, qui gêne & nuit infiniment & fon commerce^ Lefret d'Oftende & de Bruges fur Louvain eft le même que fur Bruxelles. Avant 1'année 1770 , les fabriquans de draps de 'Vervier, d'Hodimönt, de Francomont & :d'Eupen , faifoient venir par Malines leurs llaines d'Efpagne, de Portugal & d'Italic : ils les font venir aujourd'hui par ILouvain & gagnent quatre lieues de tranfL £  «44 Le Voyageur port qu'ils paient de moins qu'ils nes payoient quand ces laines leur étoient expédiées de Malines. Les fabriquans; d'Aix-la-Chapelle qui ont continué a faire: prendre a leurs laines la route dc Malines , ne jouiflent point de ce bénéficc. La maifon Romberg a aufli été la première qui ait fait palfer par Louvain le: fucre en pain , tant de la Hollande que: de 1'Angleterre , que tirent Sedan, Bouillon , Metz & Nancy. Les maifons Joly & Impens ont auffi beaucoup contribué: a faire prendre au fucre d'Hollande , def- ■ tiné pour la Lorraine, la route d'eau i jufqu'a Louvain, & de Louvain par terre. Auparavant ces fucres étoient voiturés i par le Rhin & la Mofelle. Je ne concevois pas comment il avoit pu fe faire qu'une route de plus de 100 lieues par terre, car il y a cette diftance dc Louvain a Nancy , put occafionner un voiturage moins coüteux que ceux par eau ; le négdciant de Louvain, & qui je le demandai, me répondit que cela s'étoit opcré,!  dans les Pays-Bas. a'45 paree que Mrs. Joly & Impcns étoient parvenus a rendre moins coüteux dc deux fols par cent lc tranfport des fucres depuis Rotterdam jufqu'a Louvain ; qu'ils avoient obtenu la réduéYion du trannt de 25 fous a 5 , & qu'ils avoient apporté tant de foins qu'ils étoient parvenus auffi & rendre moins cher qu'il ne 1'étoif auparavant, lc prix des rouliers. Une autre raifon qui a pu déterminer les négocianS de la Lorrainc k faire venir les fucres, les bois de teinture , le poifibn fee & falé, & les épiceries qu'ils tirent dc la Hollande , plutót par terre que par eau» a du être le temps énorme que demande le voiturage d'eau. II peut arrivcr cependant que eet avantagc foit balancé par une augmentation confidérable qu* arriveroit dans le prix de ce même voiturage , occafionné par 1'augmentation du prix de la nourriturc des chevaux. A préfent, par exemple, les avoines font très-cheres dans 1'Ardennc , le Barrois, le Pays-Meffin & la Lorraine, & il eft L 3  LeVoyageub. i préfumer que les rouliers ne voudront plus voiturer au méme prix qu'ils voituroicnt avant 1'augmentation du prix des avoincs. Les détails dans lefquels je vicns d'en* trer, m'ont paru néceffaires pour vous faire connoitre combien les intéréts du commerce d'Oftende font étroitement liés avec ceux de celui dc Louvain; plus celui-ci profpérera, plus celui-la aura d'activité. C'eft a préfent fur-tout que lc Gouvernement des Pays-Bas Autrichiens doit faire les plus grands efforts pour que lei voiturage de terre ait la préférence fur' celui par eau. Je fuis, &c.  bans les Pays-Bas. 24? LETTHE VIL Louvain, ce . ... Janvier 1783. L e s négocians de cette Ville , Monfieur, ont beaucoup de zele & d'ardeur ; mais il ne me paroït pas qu'ils foientatdes & encouragós autant qu'ils devroientl'être. L'adminiftration du canal eft confiee un homme qui veut le bien, qu'on dit fort aaif & fort vigilant; mais foit que la conftruaion du canal en ait été mal faite , foit que les réparations en foient mal dirigées, on n'en rctirc pas tout 1'avantage qu'on en attendoit & qu'on en devoit attendre. Lc canal de Louvain n'eft pas ^feulement intéremint pour cette Ville; il 1'eft auffi pour les Ports d'Oftende & dc Bruges, pour la Ville de Gand , & généralemcnt pour le commerce de toutes les Provinces des Pays-Bas Autrichiens. L 4  *4S Le Voyageur Un canal a fouvcnt befoin d'être rcpnré , & ne peut 1'être fans que le commerce en fouffre; il eft donc dc la plus grande imporrance qu'il le foit, de maniere qu'il cn réïulte pour le commerce le moins de mal poflible : fi les réparations fe font fans choix de temps & 1'improvifte , le mal eft trés-grand ; il 1'eft moins, fi le temps oü fc font les réparations a été prévu par les navigateurs; fi ce temps eft le même que celui oü fe font les réparations des canaux, dont Ia navigation correfpond avec celle du canal a réparcr ; fi ces réparations fe font avec célérité ; enfin, fi elles ne font pas multipliées inutilement. Quand on eft obligé de réparer le canal d'Oftende & Gand , les bateliers & les néeocians en font inftruits un mois ou trois femaines au moins auparavant: les négocians alors & les bateliers dirigent les uns leur marche , les autres leurs opérations : les bateliers , pour n'être pas obligés d'interrompre leur navigation & de faire des  dans les Pays-Bas. 249 féjoursqui, non-feulcment fontfrayeux, mais même ruineux ; les négocians, pour que les envois fe faflént avant ou après 1'interruption de la navigadon & de maniere qu'ils ne féjournent pas trop longtemps fur 1'eau. Les réparations du canal de Louvain fe font, m'a-t-on dit, prefque toujours fans que les bateliers & les négocians en foient prévenus. Depuis le mois de Mai de 1'année dernicre jufqu'aujourd'hui, la navigation du canal de Louvain a été trois fois interrompue au moment oü les bateliers & les négocians s'y attendoient le moins , & fi on les a prévenus une feule fois , ce n'a été que quelques jours avant que le canal fut fermé : il s'agilfoit de la conftruétion du pont dc Campenhout; cette conftruétion dura 20 jours, ainfi ce fut 20 jours de retard qu'eifuya [ le. voiturage des marchandifes qui fe trouivoient alors fur le canal, & d'inaction Ipour les pauvres bateliers : un d'eux, inommé Schollart, fut obligé de déchar[ger fon bateau pour que les marchandifes L 5  «5© LeVoyageur qu'il portoit pufient être promptement expédiées : il fallut donc augmentcr d'autam les frais de leur tranfport & de ceux de leur déchargement. A peine le pont dc Campenhout füt-il conftruit qu'on fit faire de nouvelles réparations a Tildouk, & Je canal fut fermé tout le temps que durerent ces réparations. Dc fix voyages que le batelicr Vandcnberg a faits 1'année dcrniere de Rotterdam a Louvain , deux feulement n'ont pas été interrompus par les réparations du canal. Les marchands dc grains & de cendres de Louvain font ceux qui fouffrent le plus de ces interruptions multipliées & imprévues de la navigation de leur canal. L'on craint beaucoup ici & avec raifon , que les étrangers qui font prendre aleurs marchandifes la route d'Oftende , de Bruges & dc Louvain, ne leur préfcrent celle des ports d'Hollandc : lagelée,mc difoit hier un des Commifiïonnaires de cette Ville , va fermer notre canal, & a peine fera-t-il ouvert au printernys qu'on en intirrompra la navigation pour faire  dans tBs Pays-Bas, 251 de nouvelles réparations , & ces réparations fe feront probablement avec la plus grande lenteur. J'ai vu employer en Septembre dernier trois ou quatre jours pour prendre une nouvelle demi-porte a l'éclufe de Campenhout, &puis encore deux ou trois jours pour prendre 1'autre demi-porte. Jai vu un peu avant fufpendre encore la navigation du canal, paree qu'il falloit faire quelques petites réparations aux murailles de la Ville, & n'y employer qu'un ouvrier macon. Les eanaux , cömme les batimens, 'ont continucllement befoin d'être réparés, & l'on s'cxpofe fouvent au plus grand danger quand on remet a lc faire. II y a dix ans y me difoit-on hier , que les batimens du College du Pape s'écroulerent tout-a-coup : eet événement funefte coüta la vie au fils dc M. de Vaufchelles; qu'on trouva étouffé fous les décombres. ; C'eft a préfent , p'us que jamais , qu'il eft important de réformer tous les abus qui pcuvent nuire au commerce de comrniffion de Louvain. La paix, en rendant L 6  L E V O Y A G E U 8.' la mer libre, priv.era les Ports d'Oftende & de Bruges de 1'avantage qu'ils avoient fur ceux dp la Hollande , d'offrir aux navigateurs un afyle & aux marchandifes un tranfport tranquille & sur. Si a la paix que je regarde comme faite , ce tranfport par terre eft auffi long & auffi cher que celui par eau qui fe feroit par les Ports d'Hollande , ceux-ci feront préférés & les Ports d'Oftende & de Bruges feront abandonncs. II feroit un moyen sür dc fixer a Louvain le commerce de tranfit fur 1'Allemagne, & par conféquent d'affurer aux Ports d'Oftende & de Bruges une partie, ft ce n'eft le tout, de la profpérité dont ilsjouiffent préfcntement; ce feroit, Monfieur , d'cngager les Etats de Liege, i °: a diminuer le droit de 6omc. qu'ils percoivent fur toutes les marchandifes qui. paflent par leur pays; 2 °. a achevcrla chaulfée commencée qui conduit de Louvain par Hervc a Aix-la-Chapellc :fi cette chauflee étoit achevée, il y auroit une  b,ans les Pays-Bas. 253 communication facilc par Louvain entre 4'Allemagne, Oftcnde & Bruges. Si les Etats de Liege connoifibicnt leurs véntablcs intéréts , ils verroient combien ils font étroitement liés a ceux du commerce de Louvain : celui de Liege eft prefque nul; on peut dire qu'il eft'tout dans fa cloutcrie; celui des armes qui étoit au-, -trefois très-floriffant, très-étendu , a difparu preiqucentiérement: on croit qu'elle -a des papeteries , une grande fabrique de livres , un débit de cuirs fecs a poil, mais tous ces objets méritent-ils le nom de branches de commerce 1 Liege n'a véritablement aujourd'hui d'autre commerce que le commerce intérieur, dont la plus grande partie fe doit faire avec les produ&ions étrangeres. Je crois que le pays de Liege eft fans efpérance d'en avoir jamais d'autre ; & pour que ce commerce intérieur puilfe fuffire aux frais de fon adminiftration, il faut nécelfairement le rendre très-aaif, & le moyen le plus sur pour qu'il le foit, c'eft d'attircr chez lui  *54 Le Vovageur. le tranfit : fi le pays dc Liege en jou}t aujourd'hui, il fe doit a la force majcurc de la guerre, qui a obligé 1'étranger a préférer le port. d'Oftende a ceux de la Hollande ; raais li a la paix le droit de 6ome. y eft encore cxigé , toutes les marchandifes qui font envoyées k Oftende & * Bruges , & qui pafrant par Louvain lont obhgées de pafier auffi par Ie pays de Liege, prendront leur route par les Ports dc la Hollande, d'oü on les tranfportera par eau a leur deftination ou fur la route de leur deftination. Je fais que Je fage Gouvernement des Pays-Bas Autrichiens a fait folliciter celui de Liege de diminuer lc droit de 6ome pour les marchandifes venant de Louvain & qui pafferoient fur le pays de Liege. Je ne fais pas quelle réponfe les Etats de Liege ont faire a cette requifition , mais je fuis certain que le droit deöome.fubfifte encore en entier. Ce droit de 6ome. eft énorme ; il augmentc tellemcm les frais dc tranfport des  dans les Pays-Bas. *55 marchandifes qui, après avoir été cntrepofécs a Louvain, font envoyécs a leur deftination en pattant par le pays de Liege qu'ils doivent abandonner entierement le paflage par la ville & pays de Liege, & que les commiffionnaires de Bruxelles & de Louvain faffent prendre aux voituriers un autre route. Pour que cela n'arrive pas, il faut que les Etats de Liege réduifent leurs droits deóome. è un tranfit modéré du cent pcfant, qu'ils établiffent un entrepót a Liege , & enbn qu'ils contribuent a achever la chaufiee qui conduit de Liege a Hcrve. Que les Etats de Liege confiderent ce qua fait le Gouvernement des Pays-Bas en faveur du commerce , & ils regrettcront de ne rien faire pour le commerce de leur pays. D'ailleurs, la perception du 6ome. fur les marchandifes de tranfit eft illégitime, car 1'Empercur Fcrdinand III, en accordant en 1653 aux Etats de Liege la permiffion de le lever, a excepté nommé, ment toutes les marchandifes qui ne ref-  256 Le Voyagbü» teroient pas dans le pays & n'y feroient pas vendues. Quant a la chauffée qui conduit a Herve , il y a long-temps qu'elle leron achevée , fi 1'inrcrêt particulier de deux Seigneurs nc s'y étoit oppofé j chacun d'eux vouloient que cette chaufiee pafiat fur fa terre , & les Etats n'ont pas encore décidé. Ce n'eft pas tant le produit du tranfit qu'il faut confidérer que les autres avantages qu'en retire Ie pays qui en jouit. Le tranfit érend les liaifons de commerce de ce pays; il donne de Padtivité a la circulation de fon numéraire; il ftimule Pactivité & du cultivateur & du fabriquant. Comment les Etats de Liege ne le voient-ils pas? Je fuis, &c.  d a ns l bs Pays-Bas. *57 L e T T R e VIII. A 1'Auteur du Voyageur. A l'Abbaye de*** ce Janvier 1783. Ce que vous m'avczdit, Monfieur, dans la converfation que j'ai eu avec vous a Louvain il y 9 quelques jours fur les avantages que retireroient les fermiers de mon Abbaye , de faire parquer toute 1'année leurs moutons, m'avoit décidé 9 faire tous mes efforts pour introduire parmi ' eux 1'ufage du parcage : mon projet étoit même , pour les y engagcr , de commencer eet hiver a faire parquer le troupeau de 100 bêtes a laine d'une ferme dont je me fuis réfervé 1'cxploitation; mais mes religieux que je fuis dans 1'ufage de confulter toutes les fois que je veux faire quelques nouvclles entrepriiés ou quelques changemens qui intéreifent le tem.  $58 Le Voyageur. porei de mon Abbaye, fe font unanimement oppofés a ce que j'abandonnaflb 1'ufage des bergeries : a leur tête étoit un Francois qui , grand partifan des ufages de fon pays, foutint que celui des bergeries qu'on fuivoit en France, fuffifoit feul pour faire rcjetter celui du parcage, préféré par les Anglois. Tout ce que j'aurois pu dire pour combattre ce préjugé, auroit été inutile; c'eft prefque toujours vainement qu'on emploie contre lui 1'arme de la raifon; il faut pour le combattre avec fuccès, le flatter & quelquefois même paroitre 1'adopter, & c'eft alors qu'on parvient è défiller les yeux de celui qui auparavant daignoit a peine vous écouter. Mes moines qui croient que j'ai adopté leur opinion , la voyant rejettée par vous, Monfieur, qui êtes Francois, commc leur oracle, 1'abandonneront-ils peut-être : je leur ai dit que j'avois fait votre connoiflance a Louvain , & que ne pouvant me flatter de vousdéterminer a venir ici dans cette faifon , je  dans les Pays-Bas. 259 vous prierois de me faire connoïtre fi tous les Francois préfcreroient 1'ufage des ber. gcries qu'on fuivoit dans leur pays a celui de parcagc qu'on lui préfere en Atlgle- teïre. . Je fuis, «c. VAbbi de  *6o Le Voyageur. L E T T R E IX. Réponfe d la précédente. LjA nature, oui Monfieur, la nature eit continucllcment contrariée par 1'êtrc pour qui elle a tout fait & pour qui tous les jours elle fait tant de chofes. L'homme qui recoit d'elle de fi grands bienfaits , orgueillcux de fa raifon, inconféquent dans fes principes, porte Pingratitude c* la préfomption jufqu'a rcfufer de fe conduire par fes avis. Fier dc fa pénétration, il veut cntrer dans les fecrcts les plus cachés de la nature; & lorfqu'il croit connoitre fa marche & avoir approfondi fes myftcres, fa vanitc lc rend aflez téméraire pour fe croire cspable de rcdifier fes procédés & de perfeclionner fes ouvrages : il ne voit pas les bornes de fon efpnt, il ne fent pas fon infuffifance; & foigneux d'écarter le flambcau qui devoit  dans les Pays-Bas. a6t 1'éclairer , il ne marche qu'a la lucur de celui de fonimagination. Eft-il donc étonnant qu'il s'égare fouvent & foit prefque toujours la victime de fon prétendu favoir *} Les ouvrages de l'homme, imparfaits comme lui, font fufceptibles de perfection : ceux de la nature, au contraire, exempts d'impetfeêtion , n'cn ont qu'aux yeux de l'homme , qui ne leur en trouveroit peut-être pas , fi lui-même étoit plus parfait. Que de foins il fc donne pour les corriger & dont le réiuitat eft fouvent de les rendre plus réels ! De nombreux troupeaux couvroient fes guerêts & fertilifoient fes terres \ il s'ha. billoit de leur toifon , il fe nourrifibit de leur chair : devenu plus fenfuel, l'homme devint plus induftrieux ; il voulut rendre plus belle la laine de fes brebis & leur chair plus fucculantc : il inventa des étables pour les mettre a 1'abri des intempéries de l'air , comme fi ces toifons que la nature leur avoit données n'étoient pas  262 Le Voyageur fuffifantes pour les en défendre; comme fi 1'herbe des prés , le thim & le ferpolet des montagnes, ne leur étoient pas plus falutaires qu'une paille dure avec laquelle il les nourriflbit. Les apparences le trompcrent; 1'embonpoiut de fes montons lui fit illufion ; il regarda comme excellens fes nouveaux procédés; mais 1'expérience lui cn a montré lc faux , & quelques peuples, plus fages que les autres, les ont bientöt abandonnés : les avantages qu'ils en ont retirés auroient dü faire fuivre leur cxemple. C'eft un reproche que les Anglois font, avec quelquc raifon , aux Francois : ceuxci envient a ceux-la la bonté de leurs laines, & ne font rien de ce qu'il faudroit faire pour en avoir d'auffi parfaites. N'eft-il pas abfurde que 1'ufage d'enfermer les troupeaux de moutons dans des bergeries foit oréféré , en France, a celui des parcages dont 1'Anglcterre a retiré tant d'avantages 1 En privant les moutons de rheureufe influencc de l'air, en les tenant  DANS LES P'AYS»BaS. $6$ lenfcïmés dans descachots auffi obfcurs .qu'infeas, n'eft-ce donc pas aller direclement contre le voeu de la nature 1 n'étoit-ce pas accélérer la dcgcnération de nos races, tandis que les Anglois, pa? une conduite oppofée •, ont eonfervé les : leurs dans toute leur intégritó 1 Nos moutons, pour ainfi'dire ènfévélis fous des toits, oü entaflcs les uns fur les autres danslafange, nerefpirent qu'un air impur , qui, fans circulation , fans aucune efpece de reffort, eft chargé des particules groffieres qui s'exalept. du corps de 1'animal & de la vapeur acre & corrofive du fumier pourri fur lequel ils repofent. Get air fatal eft le principe de toutes les maladies qui affligent nos moutons: de-la. la toux, la morve , la clavelée qui les rongent & les font périr; maladies auffi rares en Angleterre qu'elles font commur nes en France : ceux qui en périlfent parmi nous ont les poumons ulcérés & couverts de callofités.; preuve évidente que le principe de leurs maladies eft dans 1'air que  264 Le Voyageur. rcfpirent ceux qui en font affectés; & de-la la mauvaife qualité & le peu de confiftancc de leurs laines. Leurs corps ont fouffert; leur laine eft feche & dure. En tenant nos moutons dans un air cbaud, nous dilatons leurs pores; s'ils étoient refferrés comme ceux des moutons d'Angleterre par le froid oü ils font expofés, cette möme maticre fe raffineroit davantage & donneroit une laine plus parfaite. Les mcilleures laines de France font celles du Rouffillon , du Languedoc, du Berry , de Valogne , du Cotentin & de toute la bafie Normandie : celles de Picardie & de Champagne leur font inférieurs : on en tire beaucoup de la Gafcogne & de 1'Auvergne. Dans prefque toutes lesfermes de France , les bergeries ont des planchers bas & écrafés, fans fcnêtres pour y renouvcller 1'air. La paille fur laquelle ces animaux repofent eft bientöt un fumier qui s'échauffe, fermente & leur devient nuifible. La propreté eft pour les aniraaux , ainfi  dans les Pays-Bas. 265 ainfi que pour les hommes, un vrai principe de fanté. Le beurre exquis que produit la Bretagne, eft moins dü a la bonté de fes paturages qu'au foir. que prennent les fermiers de leurs vaches : ils les foignent avec autant d'attention que leurs chevaux. Les Anglois lavent fouvent leurs moutons; d'oü il arrivé que leurs laines tondues font plus aifées a nettoyer,qu'e!les deviennent plus éclatantes & nc foufFrent point dc déchet au lavage , commc celles de France qui ne font pas lavées avant la tonte. ' Si nous fommes convaincus que les lleux renfermés foient nécefiaiies a nos troupeaux, que Pair eft chez nous plus froid qu'en Angleterre, pourquoi ne pas donner aux toits de nos bergeries plus d'élévation, ne pas les rendre plus fpaeieufes , n'y pas faire circuler Pair plus iibreïnent, en lui donnant la facilité de fe renouveller fans ccffe par des ouvertures pratiquées au midi pour Phiver & au nord pour 1'été 1 On voit en Angle- II. Tome. Partie IV M  9.66 Le Voyageur. tcrrc des enclos vaftes oü l'on renfenne quelquefois les troupeaux de moutons; ils font fermés de murs : Ia moitié du terrein qu'ils occupent eft découverte & 1'autre forme une efpccc de grange qui n'eft couvcrte que par un toit cn forme d'appentis; c'eft une retraite pour les moutons dans les temps de pluie & d'orage: mais les avantages que les Anglois cn rctirent ne fe bornent pas a leur donner d'exccllente laine; ils leur procurent encore d'abondantes moiffons : il eft vrai que eet ufage eft peu fuivi & que celui du parcage 1'eft davantage. Un Auteur Anglois afiure qu'on recueille en Angleterre tous les ans 121,104,000 livres de laine ; que les moutons y donnent ordinairement depuis cinq jufqu'a huit livres dc laine par toiiou, & qu'un bon bclier S'y vend quelquefois jufqu'a douze guinces. Ce qui nous éloigne en France de Fuiü parcage, eft fans doute 1'idée . iic que nous nous formons du  dans les Pays-Bas. 467 fumier que nous retirons de nos bergeries. Les Anglois plus profonds que nous dans la fcience de 1'agriculture, ne penfent pas de même. Ce fumier , difent-ils, peut être excellent, quand on le retirc au mois d'Avril de la bergerie; mais lorfqu'on 1'emploie, il a perdu toutes fes qualitcs; la pluie 1'a détrempé & a fondu fes fels , & la chaleur du foleil 1'a totalement defféehé. Si l'on compare 1'effet que produit 1'ufage de faire parquer les moutons a celui de les enfermer dans une bergerie , on eft étonné de 1'énorme différence qui fe trouve entr'eux. Le fumier que donne par an une bergerie de. cent bêtes , peut a peine fuffire 'pour amender fix arpens de terre , tandis qu'une nuit fuffit querquefois pour rendre très-fécond le terrein oü un troupcaa dc moutons a parqué. Les Anglois regardent même 1'urine des moutons comme le meilleur des engrais ; elle contient, difent-ils des fels qui,développant le germe dc la graine , s'infinuent dans la plante & la rendent plus fruducufe. C'eft en parM a  s68 Le Voyageur. tant de-la quïls préparent leurs terres par un labotir, avant que d'y établir leurs pares, qu'ils croient les rendre plus propres a recevoir la nouvelle lubftance & qu'ils leur donnent un fecond labourauffitöt qu'elles 1'ont recue , pour qu'elles la confervent mieux. Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas, 269 LETTRE X. Louvain , ce. . .. Janvier 1783. jL'ardeür des négocians de cette Ville , Monfieur , eft très-grandc : ils ont une acHvité qui m'étonne; mais ce qui me les fait le plus eftimcr, c'eft 1'attention fcrupuleufe avec laquclle ils menagent les intéréts dc ceux qui leur donnent leur confiancc. A la paix ils redoublcront de zèle & parviendront enfin a fixer le tranfit a Louvain. J'ai vu les négocians de Bruxelles agir pour le commerce avec la même chalcur. Je fais que ceux d'Anvers , dc Gand & de Bruges ne leur cede en rien en attiviié .; mais ce qui me lurprend, c'eft 1'efpcce d'indiffércnce avec laquelle toutes les autres clafies de citoyens voient lc zèle avec lcqnel les négocians travaillent a étendre le commerce de leur patric : il eft cependant certain que la prof-  *7° Le Voyageur. périté du commerce d'un pays intérene indiftinctement tous lés habitans, depuis lc Souverain jufqu'au dernier des fujets. Le commerce tient aux arts; il y a auffi entre lui & les fciences une liaiibn intime : de fa profpérité dépend celle de la culture ; les poifcfleurs des terres font donc fortement intéreffés a ce qu'il profpere, & s'il profperc , les rentiers ou capitaliftes jouilfent d'un plus gros revenu : c'eft ainfi , Monfieur , que tous les habitans d'un pays doivent s'intérefler vivement a fon commerce. II y a dans toutes les Provinces des Pays-Bas Autrichiens un grand nombre de bons patriotes, beaucoup d'hommes très-inftruits ; comment n'y voit-on pas encore de ces fociétés patrioiiques formées pour 1'cnoouragement des arts & du commerce , comme il y en a une a. Londres, a Paris & même a Liege 1 Que d'avantagcs les Pays-Bas Autrichiens ne rctireroient-ils pas de fétabliffement d'une femblable fociété ! Celle de Paris s'cft formée cn 1777 avec une ra-  kans les Pays-Bas. 271 pid'ué étonnante, fans lc concours ni du Gouvernement, ni d'aucuneperfonne en place, ni titrce. L'on favoit qu'il devoit regner la plus grande égalité entre tous les membres de cette fociété , & l'on vit le citoyen le plus diftingué par la naiffance venir avec emprciïement fe confondrc avec le fimpie particulier & oublier fon rang & fes titres, pour qu'on ne vit cn lui que la qualité dc citoyen ; on le vit dans les affembiées dc la fociété occuper la derniere place, la rechercher même pour écarter de lui toute cfpece d'égards & d'attentions. Si un des grands Seigneurs des Pays-Bas Autrkh'.ens,tel que le Prince de Ligne, ou le Duc d'Arenbcrg , conccvoit aujourd'hui le projet patriotique de former a Bruxelles une fociété d'cncouragement , dont le but feroit dc pcrfeétionner la pratique des arts & métiers utilcs, d'excitcr 1'émulation parmi les commercans, de ftimuler 1'induftric du cultivateur , cette fociété deviendroit bientöt 1'émuk dc celles dc Londres & dc Paris, M 4  *7~ Le .Voyageur. < Une légere contribution dc deux louis d'or que payeroit chaque membre de la nouvelle fociété , fuffiroit pour lui fonner t un revenu que lui donneroit les moycns de faire de temps a autre une diftribution de prix pécuniaires a ceux qui lui indiqueroient quelques nouvclles prariques pour les arts méchaniques , qui lui feroicnt connoïtrc quelques nouvclles machines, & fur-tout quelques nouveaux moyens d'améliorcr la culture. La fociété d'encotiragement qu'on établiroit a Bruxelles feroit également pour toutes les autres villes , non - feulemcnt du Brabant, mais des autres Provinces. Dans chaque Ville un peu confidérable de ces Provinces, la fociété auroit un Bureau qui correfpondroit avec le Bu-' reau prinefpal qui feroit toujours a Bruxelles , ainfi que la caiffe de la fociété. Dans cette ca:fle feroit verfée la contribution de tous les afibciés. Lc nombre des af. fociés pourroit être dc iooo, ainfi ce feroit iooo louis que la fociété auroit  dans les Pays-Bas, af3 a diftribuer tous les ans a. ceux dont eüë jugeroit devoir récom'pénier les trayaux. .Je. fuis perfuadc.qu'auffiitöt' quccettcfo.iiéte- feroit formée ■■ tous-: les H&elsrde,Vöie demanderbténï ratti,iGoüvf*nement qu'il -leur iutjpenuis de.-.cqnttibuér'a fes fuccès en vermint tous les ans dans la caiffe rdcs affociésunecertaine:forTime, ppur être .employée ^ récompeufer lfauteur ;;.d>ne uöuvellc cultus ou d>ne nouvelle fa'brique; pour faire un préient hononhque a celui qui auroit tenté une nouvelle na- vigation, ou qui auro.it introduit danslc ;pays,une nouvelle br^che:dB.cora.rnerce. . Quel effet. ne-.produjroit pas tur .lc^ def..cendans de celui qubauroit i^eu cette mar-;que de la reconrtoiffance dc fes cpnettoyens ! Et pourquoi n'introduiroit-on pas ^ dans les Pays-Bas Autrichiens fufagepratiqué en Anglererre d/élever des monu- . mens aux citoyens qpi rendent quelques fervices imponans a leur patrie*ï Cc Lord : Maire , dont on voit la ftatue a la bourfe , de Londres , a-t-il rendu uu fervice plus  &74 L e Voyageur important a fa patrie en y établiflant une banque , que celui qu'ont rendu a la leur les trois amis de Bruxelles, en frayant, pour ainfi dire , a leurs concitoyens la ioutc de Guinee "1 N'eft-ce pas au genie aftif de M. Romberg que les Pays-Bas Autrichiens doivent le benefice qu'ils retirent aujourd'hui du tranfit? C'eft a la tête du canal dc Louvain que fon bufte devroit être placé : c'eft fur la place d'Anvets qu'on devroit voir celui du Comte de Proly, qui, furmontant les plus grands obftacles, a rendu a fa patrie la riche branche du commerce des Indes orientalcs que la foiblcfie de Charles VI lui avoit fait' perdre : fur le piédeftal de ces ftatues élevées par la reconnoiflance de la patrie , je voudrois qu'on y écrivit ékvée par la patrie au bienfaiteur de la patrie. Au jugement de la laine philofophie, Louis XIV, a qui la fiaterie a élevé tant de ftatues, n'eft qu'un homme décoré d'un titre qu'il tenoit du hafard de la naifianee , tandis qu'elle paie avec reconnoiffance unjuftc tribut de vé-  dans t es Pays-Bas. 275 nération a l'invcnteur du métier d'Eftame, dont le nom eft a peine connu. J'ai connu a Bruxelles un négociant nommé Bóuchet (a) qui avoit le fecret de la compofition d'une liqueur , au moyen de laquelle il rendoit aux eaux les plus corrompues leur première limpidité. L'eau dans laquelle on répandoit un .peu de cette liqueur devenoit incorruptiblc : des navigatcurs en ont fait 1'épreuve avccfuccès, même dans des voyages de long cours. Pourquoi, dcmandai-je a M. Bóuchet , ne rende\-vous pas publique votre de'couverte? Toutes les nations commerfantes vous en marqueroient leur reeon* 'noiffance. Voye\ ce qu'a fait le Parlement dAngleterre en faveur de Mlle. Sthephen , pour que toutes les nations ptiffentprofiter du remede dont elle avoit acquis la connoiffance poür guerir la pierre & la gravelle. Votre découverte eft cent fois plus précieufe pour l'humanite' que celle de Mlle. Sthe- fa") II demeure rue de 1'Evéque. , M 6  2f6 Le Voyageur. phen. Je le crois, me répondit M. Bouchet; mais fi je voulois en inftruire le public, on m'accableroit de brocards ; on me traiteroit peut-être même de Charlatan & d'empirique .... Alle\ donc en Angle.erre, vous y trouvere\ des hommes & une nation amie & bienfaitrice de l'humanité. Encore un mot dc la fociété d'encouragement dont il feroit bien a fouhaiter qu'on format l'établiifement dansles PaysBas Autrichiens. Je voudrois que la diftribution de fes prix fe fit avec la plus grande folcmnité & qu'elle fut accompagné dc réjouiifance publique. Plus 1'objet du prix ieroit important pour 1'utilité publique , plus celui qui feroit couronné devroit rccevoir de marqués de confidération ; réconduit chez lui par les Magiftrats de la Ville , il devroit yjouir pendant une annéc cntierc de 1'exemption de toutes efpeces de charges & dc droits, & pour toute fa vie, après qu'il auroit recu la couronne a trois différente* fois. Je luis, &c.  dans les Pays-Bas. L E T T R E XI. Louvain , ce .... Janvier 1783. Si Louvain, Mcnfieur, n'ofre pas k la curiofité des voyagcurs un grand nombre de tableaux , pluüeurs de ceux qu'elle poflëdé font précieux :j'en ai vu aujourd'hui un très-bcau de Crayer dansl'Egl'fe P?,roiffiale de St. Quentin ; il repréfente la Vierge, 1'Enfant Jéfus & Sfe: Anne ; & au bas en adoration , St. Chriftophe, Saint Roch , Saint • Adrién , Saint Sé* bafticn & Saint Antoine : ce tableau eft très-vigourcux , dc la'plus'belle couleur, de la plus belle facon dc faire: c'eft une belle compofition , c'eft une grande corre&ion de deffin , c'eft fur-tout la grande beauté des têtes qui rendent ce tableau tm des plus bcaux qu'ait fait Crayer :1a tête de St. Antoine pourroit être placée parmi les plus belles qu'a fait Le Guide.  2?8 Le Voyageur On voit dans la même Eglife deux copies bien faites par Verhacgen, Peintre de Louvain , dont les originaux de Crayer font dans 1'Eglifc d'Anderleck, village prés de Bruxelles, 1'un eft Notre Seigneur attaché fur la croix, 1'autre le martyre de St. Quentin. Le Baptêmc dc Notre Seigneur, peint par Van-Baelen , qu'on voit encore dans cette Eglife, m'a. fait grand plaifir; le fond, qui eft un payfage peint par Breugel de Velours, le rend precieux: ce tableau eft très-fin & l'on voit avec chagrin qu'il menace ruine. Blcndef a auffi peint pour cette Eglife une Ste. Catherine qui écrafc un dragon ; on y voit dans le ciel la Trinité perfonnifiée & des Anges : tout le mérite de ce tableau eft dans la compofition , la couleur en eft lourde. Je fais bien plus de cas du tableau de Cotfiers qui repréiente deux Princes qui fe conféderent fous la protcclion de la Vierge: les têtes cn font belles & pleincs d'exprefiion.  dans les Pays-Bas. 179 L'Eglife Paroiffiale dc St. Jacques nc rn'a offert qu'un tableau que les uns difcnt de Crayer & que les autres foutiennent n'être qu'une copie du tableau original dc ce Maltre, qui eft dans 1'Eglife du village de Lovendael : cc tableau m'a paru fi beau que j'ai peine a croire qu'il ne foit pas 1'original de celui de Lovendael : .il repréfente St. Hubert, mais les cbiens & Ie cerf font dc Boel & lc payfage de Vadder. L'Eglife Paroiffiale & Abbatiale de Ste. Gertrude eft plus riche; fa Chapelle de la communion eft ornée d'un tableau de Crayer, que nombre de connoiffeurs croient être de Van-Dyck; c'eft JéfusChrift mort fur les genoux de fa mere: le fond en a été aggrandi d'une gloirc ; tout y eft clair. Le tableau du MaltreAutcl eft de Michel-Coxic; c'eft Notre Seigneur entre deux larrons; la Vierge & St. Jean font a fes cötés & la Magdelaine au bas de la Croix ; lc principal mérite de ce tableau eft dans les têtes;  i8o Le Voyageur. elles ont dc la noblcfie & beaucoup de earactcre ; on pourroit croirc qu'elles ont été primes par Raphaël. Les deux maufolées de deux Abbés de cette Abbaye qu'on voit dans cette Egliife, m'ont arrêté quelques minutes ; ils lont du fculpteur Kercks : ces mauiblées font de marbre & les deux Abbés font repréfentés k genoux , chacun fur fon tombeau. . Les Egliics des maifons rcligieufes de Louvain font ornées de quelques bcaux tableaux ; tel eft celui de G. Crayer que pofiede les Carmes chaulfés ; c'eft Dieu le Pcrc dans une gloire qui couronne Ste. Catherine, pofée fur un globe Ar ponée au cicl par des Anges : au bas font des Peres de 1'ËgÜfe -: dans cc tableau tout éftclair & vigoureux. Les Carmélites poffedent auffi un tableau de Crayer dont la compofition eft entiérement dans-la maniere de Rubens: tout y eft d'jne bonne couleur & d'une belle & grande maniere ; le deffin en eft ori ne peut pns plus correct i rien de plus joli que les enfans: ce  dans les Pays-Bas. 281 tableau repréfente la Vierge, St. Jofeph & 1'Enfant Jéfus qui donne la Croix ü Ste. Thérefc ; dans la même Eglife eft un tableau de T. Van-Loon ; il repréfente St. Jofeph qui adore PEnfant Jéfus fur les genoux de fa mere : le défaut dc ce tableau eft d'avoir des ombres trop noires. Le tableau de G. Crayer qui orne PEglife des Auguftins de Louvain , eft une des meilleurcs producüons de ce Mattre : ce qui en rend la compofition très-agréablc, c'eft la beauté des phyfionomies , la correction du deffin , la vérité & la bonté dc la couleur : ce tableau repréfeme la Vierge & PEnfant Jéfus ; a gauche font Ste. Apoline & une Vierge tenant unc corbcille de rleurs. J'ai enfin trouvé un Rubens dans PEglife des religieulés de St. Norbert ou Dames Blanchcs ; il repréfente unc Adoration des Magcs ; la compofition en eft favante & plcine de fineffe : la Vierge en eft fi jolie , elle a unc phyfionomic li döuce , qu'il eft impoffible de la confidérer  2o2 Le Voyageur fansintérêt; elle eft affifc , mais mal, ce qui eft un défaut:je ne fais pourquoi on a négligé ce tableau qui commencc a fe gater : vous trouverez dans 1'ceuvre de Rubens ce tableau bien gravé par Withdouck: on eftime ce morceau 14 a 15,000 florins. Rubens y a revétu la Vierge d'une belle robe de foie & lui a donnéunjoli mouchoir de mouffeline, ce qui eft un défaut de coftume ; car du temps de la Vierge 1'art de fabriquer la foie & le coton n'étoit pas connu ; & d'ailleurs eft-cc que Ia mere d'un enfant couché fur dc la paille dans une crèche , entrc un ane & un bceuf qui le rechauffent, ne doit pas être couverte des haillons de la pauvreté 1 Cela me rappelle le tableau dc Rubens oü l'on voit les Apötres, chacun avec un chapelet a la ceinturc. L'Eglife des Dominicains eft d'un beau gothique, mais aflez claire ; je n'y ai vu de remarquable qu'un tableau d'Ottovenius dont on pourroit dire plus de bien que de mal; il repréfente Notre Seigneur  dan-s les Pays-Bas. 283 crucifié cntre les larrcms. L'Eglife des Capucins dc Louvain eft auffi pauvre cn tableaux que celle des Capucins dc Bruxelles eft riche : on n'y en voit qu'un feul qui mérite quelquc attcntion, encore en ignorc-t-on 1'Autcur : on le croit de G. Séghers ; il repréfente la Vierge dans une gloire célefte & au bas St. Francois avec un autre religieux de fon Ordre, décoré d'uné croix. J'ai rcfté plus long-temps dans 1'Eglife des Carmes déchauffcs; un tableau de Crayer y a fixé mon attention; la fineffe du deffin, la bonré & ia légéreté de la couleur • & la grande beauté des tétes, 1'ont fait fouvent attribuer a Rubens. Ce tableau repréfente Ste. Théreië aux pieds de Notre Seigneur , auqucl elle demande la délivrance des ames du purgatoirc , dont on voit plufieur- qu'un Ange en retire. Dans la même Eglife eft fur le Maïtre-Autel un beau tableau de G. Séghers; il repréfente St. Albcrt & Ste, Thérefe a genoux, adorant 1'enfant Jéfus entrc les bras de fa mere ; aux cótés de  2§4 Le Voyageur la Vierge font St. Jofeph & desAnges: ce tableau eft bicn compofé & d'une belle couleur : toutes les têtes font pleines de fi nelfe. Les Dames Angloifes poiïbdent trois beaux tableaux de Crayer; 1'un repréiente la Vierge couronnée dans le Ciel par les trois perfonnes dc Ia Trinité ; Vhutrel'Immaculée Conception, & ]e troifieme le Pere Etcrncl qui préfente au Peuple fon fils attaché a la croix : au bas on voit d'un cóté Ste. Monique & de 1'autre St. Auguftin avec un enfant fur les bords de la mcr ; il femblc qu'il 1'interrogc fur le myftere de la Sainte Trinité. II y a ici un Béguinage; fon Eüife eft ornée dc pluficurs tableaux , dont les plus beaux font une Afcenfion , peinte par E. Guellyn dans le goüt de 1'Ecole Romaine. La Vierge qui tient l'Enfant Jéfus , ayant a fes cötés S. Jofeph , eft de T. Van-Loon; il eft bien deffiné & d'un aflez bon effet. Jéfus-Chrift fur les genoux de fa  dans les Pays-Bas. '28.5 mere, la Magdelaine , St. Laurent , St. Francois & une gloire d'Anges; la compofition de ce tableau , qui eft de Crayer; eft touchante , les expreffionsibnt naturelles ik.les airs detête du plus beau choix: tout eft bicn deffinc & peint avec un art infini. - Dans PEglife des Récoletsj'ai vu fept tableaux peints par le frere Séghers, dont quatre font des guirlandes de fleurs bien ' peintes ; dans les cartouches font des Saintes de POrdrc de St. Francois ; pcints en grifaille ; un tableau eft d'Antoine Roka , Efpagnol, qui repréfente les tourmens de plufieurs martyres de POrdre; il y a dans ces tableaux des traits de génie & d'affcz belles têtes; la Vierge fur le globe qui intercede auprès de la Ste. Trinité pour le falut des pécheurs; au bas on voit St. Francois, St. Charles Borromé, St. Bonaventure & autres: ce tableau , dont pcrfonfle ne m'a pas pu dire 1'auteur , eft beau ; il eft peint dans la nTaniere de Crayer.  s86 Le Voyageur La Chapelle des Alexiens mérite d'être vue ; elle eft moderne & ornée de plufieurs tableaux de Verhagen. L'Eglife des Jéfuites, dont on a fait PEglife Paroiffiale de St. Michel, eft grande , claire, on peut même dire trésbelle ; elle eft foutenu par des colonnes Corinthiennes ; la voüte eft ornée de mofaiques & de beaux ornemens; au milieu eft un dómc & deux autres petits aux extrémirés des bras de la croix qui y font un très-bon effet. Lc portail au-dehors eft impoi'ant par fa grandeur; fa décoration eft de deux Ordres, les uns fur les autres, avec des colonnes Ionienes & Corinihiennes; des enfans ornent les frifes, dont les ornemens font bien faits, mais le couronncment eft d'un mauvais goüt, paree'qu'il eft trop lourd , trop élevé , trop furchargé de figures & écrafant toute 1'architecture, qui cependant en total eft bien ordonné. On-a öté de cette Egtife les beaux tableaux qui la décoroient; 1'un étoit de Rubens , & re-  bans les Pays-Bas. 187 préfcntoit St. Yves en robe rouge & en chaperon , qui donnoit un papier a une veuve qui étoit a fes genoux ; elle tenoit dans les bras un enfant; un autre étoit a cöté d'elle & fembloit implorer la juftice du Saint; un Ange couronnoit le Saint. Ce tableau étoit urt des plus médiocres qu'avoit peint Rubens : il étoit foiblement compofé , mal groupé & d'un pinceau lourd. On voyoit auffi dans la même Eglife des tableaux dc T. Vanloon , Guellyn & Bleadelf; ils repréfentoient des miracles opérés chez les Idolatrcs : quatre tableaux repréfentans des guirlandes, au milieu dcfquelles étoient peints des fujets tirés de la vie de JéfusChrift. Dans la Chapelle qu'on nomme ici S. Job , j'ai vu avec beaucoup de plaifir un tableau de Verhaegen ; il eft compofé avec efprit : il repréiente Job affis fur une pierre au milieu d'bn fumier; rien de plus naturel que 1'attitude du Saint : le Peintre n'a pas chargé fa compofition ;  2uS Le.Voyageur cllc eft fimple : on n'y voit point, comme le font ordinairement ceux qui traitent ce fujet, unefoule d'efprits infcrnaux acharnés a tourmenter Job : un feul de ces eiprits paroit dans les airs. On regardc ici ce tableau comme un des meilleurs - qu'a fait Verhagen. L'on m'a dit que MJoffe dc Bruxelles en poffcdoit deux-du même Maitre qui repréfentoient la continence dc Scipion & celle d'Alexandre ; que M. d'Aquilar, penfionnaire des Etats, poffédoit auffi un beau tableau de Verhagen, qui rcpréfentoit Abraham renvoyant Agard, & que ce Peintre confidéroit cc morceau comme un des meilleurs qu'il eut fait : quandje rctournerai a. Bruxelles, jïrai voir s'il mérite 1'éloge qu'il en fait. Je vcrrai auffi Lot & fes filles qui eft dans 1'Hötel d'Arenberg, dont plufieurs perfonnes ici m'ont parlé avantageulcment. Je fuis, &c. Fin de la Quatriemt Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O TJ LE TTRE S Sur 1'état a£tuel de ces Pays. Felix qui potuit rerum cognofcere caufas ï V I R G I L E. T O M E SECOND. Cinquleme Partie. * $ 4" t * f X f ƒ f A AMSTERDAM, Chez ChangüioNj Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. LXXXIII.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. L E T T R E XII. Louvain , ce . ... Janvier 1783. T 1 A bierre , Monfieur, forme Ia principale branche du commerce de Louvain; on en exporte chaque année plus de 50,000 tonnes pour Bruxelles, au-deli de ao,ooo pour Anvers, 70,000 pour la Flandre & Aloft : je ne fais a combien monte 1'importaüon de la Hollande. N *  *92 Le Voyageur La Pceterman, qui eft la bierre par exccllencc , eft pour les habitans de Lou- - vain une boiffon délicieuie ; on en fait de deux fortes ; 1'une , qu'on nomme Peeterman blanche , eft préférée a 1'autre , qu'on nomme Peeterman brune : cellc-ci ne fe boit que dans les chaleurs, mais en ■tous temps, elle eft moins eftimée que la blanche : j'ai goiïté 1'une & 1'autrc ; le goüt douceatre de la blanche m'a répugnó : cette bierre ne cuit que quatre heures ; la brune a unc aprctéc rebutante , qui provient, a cc qu'on m'a dit, de la maniere dc préparcr lc grain. Les cabaretiers ne peuvent vendrc que ces deux fortes de bierre , & elles coütcnt chez eux i fols & demi a 3 fols le pot. Deux pots font environ trois pintes dc Paris. II eft défendu atous les cabaretiers indiftinctement de vendre aucune bierre étrangere. Les cabaretiers 'qui dóbitent 1'eau-dc-vie de.grains, peuvent vendre de la petite Bierre, qu'on paie un fol le pot. 11 y a une maifon ou cabaret privilé-  dans les Pays-Bas. 293 gié, qu'on nomme cantinc de ï'Urü vcrfité ; on y débite libremcnt toutes efpeces de bierre, même celles fabriquêcs dans 1'étranger ; mais il n'y a quélcs étudians de 1'Univerfité qui peuvent y être récus : ce devroit être unc raiibn pour qu'on tint la main a ce qu'ils nc fréquen" tafient pas les autres cabarets. Lc bourgeois dans fon ménage boi* une bierre qu'il paie au braffeur 4 florins la tonnc , & pour laquelle lc brafleur a payé 30 fols de droit de Ville & d'Etat. La tonnc de Louvain contient 130 pots de Bruxelles. Les 100 pots de Louvain font les 18 veltes ou 108 pintes de FranceLa bierre qu'on exporte a 1'étranger coute 6 florins, y compris les droits. Les brafleurs tirent une grande partie de leurs houblons d'Aloft & des environs ; celui de Liege n'eft propre que pour la bierre brune & celle qu'on nomme hougarde. Le houblon de Liege paie de droits d'entrce au Souverain 6 fols du cent, eutre le droit de thol : il doit encore pour N 3  «94 Le Voyageur droit de Ville 2 & demi pour cent de valeur. On compte ici 42 brafferies qui cmploicnt, m'a-t-on dit, 2co ouvriers qui , chacun , gagne 18 fous par braffin , en outre dc la nourriturc • ils ont auffi la boiffon a difcrétion. La fabrique de la bierre occupe un nombre confidcrablc de tonncliers & autres ouvriers. II y a ici, Monfieur , plus de fabrique d eau-de-vie de grain que de fabrique de bierre. Le marre de ces eaux-de-vie fe vend bien; l'on s'en fert pour engraiffcr les boeufs qui , ici comme a Bruxelles, ont une graiffe blanchatre , que les habitans du Brabant preferent a celle qui eft j;iunc & qu'ont les boeufs qui fe nourriffent d'herbe : la viande de ceux-ci eft extrêmemcn: plus fucculente & d'un meilleur goüt que celle des boeufs nourris avec du marre de grain : la préférencc qu'on donne a cellc-ci faqilite beaucoup aux bouchers, quand ils font de mauvaife-foi, la vente dc ia viande de vache  DANS LES TaYS-BaS.' 295 pour celle de böeuf. Les bouchers en France ne peuvent eommettrc cette fraude , paree que celui qui vend la viande de bceuf nc peut pas en mêmc-temps débiter celle de vache. Lc prix de la viande de boucherie eft ici le même qu'a Bruxelles , c'eft-a-dirc, a 3 fols & demi la liv. mais il y en a que les bouchers donnent « 1 fols , & même a 1 fols 6 deniers, & que !c peuple confomme. Lc poifibn d'eau douce n'eft plus ici auffi abondant qu'il Tétoit autrcfois; mais les marchés font toujours bicn fournis de volaillcs & de gibiers. Quoique le gibier ne foit pas cher a Bruxelles, il fe vend encore a mcilleur marché a Louvain : pour le pain, les légumes & les fruits , le prix eft approchant lc même dans les deux Villes. Les fabriques de laincric qui font aujourd'hui a Louvain & dont les maitres forment ce qu'on nomme lc Corps de la draperie , méritent a peine que je vous cn parle : ce corps dc draperie n'eft f Éi 4  296 Le Vovaseuü * propremcnt pari er , que le fquelette de celui qui exiffoit dans le 141-ne. fiecle 6c dont je vous ai parjé dans unc de mes Lettres. On croit cependant que plufieurs des maftres drapiers d'aujourd'hui, deicendent dc ceux qui le formoient dans le I4me. fiecle : cela bien prouvé, ils ont certainement plus de raifon dc tirer vanité de leur origine , que ce fas de nobles de quelques annécs, dont 1'origine eft fouvent moins pure que celle d'un honnêtc fabriquant. Les étoffes de laine qu'on fabrique aujourd'hui a Louvain , font des couvertures dc lit & une efpece de flanclle qu'on nomme direnteyn. Je ne fais pas le nombre de ces fabriques, mais l'on m'a dit qu'il étoit diminué de trois depuis environ 11 ans : depuis cc temps trois fabriques de favon qui étoient *ci, ont auffi difparu. Une fabrique de verres a vitre & de bouteillcs que j'ai été vifiter, m'a paru profpércr : fon verre pour les vitres eft bien fupérieur a celui qu'on tire de Charleroy , mais je le crois  dans les Pays-Bas. 297 inférieur a celui de Sarre-Moulin : quant a fes bouteilles , elles font belles & d'une bonnc qualité ; auffi s'en fait-il un débit confidérable. Prefque tous les ouvriers employés dans cette fabrique font étrangers. Le commerce de livres n'eft pas ici confidérable; des livres de droit, de théologie & de médccine , font ceux qu'on y vsnd le plus , & ce font les étudians feuls qui les achetent. L'Univerfité , en vertu dc fon privilege,.a établi ici une Imprimcrie dont elle efpéroit tirer de grands profits : cette Imprimerie n'eft que de trois preffes, mais bien garnies de toutes efpeces de caracteres : celui qui en eft préfentcment le direéteur eft un homme très-entendu , tant pour'ce qui regarde la fabrique que le commerce. Si on 1'eüt laiffé lc maitre de la dircétion de cette entreprife & du choix des ouvrages a imprimer , 1'Univerfité n'auroit pas fes magafins remplis de feuilles de papier , qu'on a qualifiées livres & qui y refteront jufN 5  298 Le Voyageur qu'a la confommation des iiccles. On impriiTic a préfent a rimprimerie dc PUnivcrfité un livre in-quarto fur le Concile de Trente , qui aura, dit-on , le même fort que ceux qui Pont dcvancé. Pour s'en indemnifer PUnivcrfitc a pris Pi'mpreffion des thefes des quatre Facultés qui, avant, fuffifoit pour faire fubfifter honnêtement quatre families. L'Univcrfitc a donc fait un tort récl au commerce de livres de Louvain , car les quatre Imprimeurs'dc thefes ne reftoient pas oififs: quand ils n'avoicnt pas de thefes a imprimcr , ils imprimoient des ouvrages qui entroient & circuloient dans le commerce. L'on ne-m'a pas pu dire fi , depuis 12 a 14 ans que PUniverfité dc Louvain s'eft faite marchande de livres , elle a perdu ou gagné a ce petit trafic. Une Univerfité d'Allcmagne, je ne fais pas laquelle, a mieux fait; elle ne s'eft pas arrogée le droit d'imprimer feule les thèfcs; mais elle a obtenu le privilege exclulif de faire des a'manachs, dont elle a tirc un trèsgros bénéace.  dans les Pays-Bas. 299 H y a ici des Libraires qui font, diton , une fmguliere fpéculation de com' mcrcc : quand ils ont befoin d'argent,ils ne mettent pas fur la place leurs billets; mais ils demandcnt des livres a leurs correfpondans étrangers ■& vcndent ces livres au prix contant, & quelquefois auffi a perte : pour payer ces livres ils ont un an & plus, & jouiflent par conféquent pendant ce temps de 1'argent qu'ils ont retiró de la vente dc ces livres. Leslmprimeurs de Louvain tirentleurs papiers des fabriques qui font dans les Pays-Bas Autrichiens, de celles dc Mrs. Vanfanten de Grammont, Bourgeois de Luxembourg,Mcues & Vanlanghenhoven & des veuves dc Cellier de Bruxelles, & de Simon de Wittz. B fe fait a Louvain beaucoup d'huile, mais en bien moindre quantité cependant qu'a Malines & a Lokeren. ï\ n'y a pas ici de magafins confidérablcs d'épicerie & d'étoffe : ceux qui en tiennent les vendent aux détailleurs N 6  S°o Le Voyageur de la ville & des environs, ou les envoient au-dehors pour leur comptc ou pour 'celui de ceux qui les leur ont envoyées. Les magafins les mieux fournis de ces objets, font ceux de Mrs. J. LVan-Roclembofch , Joly & Impcns: ces dernicrs commercent auffi en café, en fucre en pain, en eaux-dc-vie ; & celui qui fait ici lc commerce le plus fort d'cpicerie, eft M. G. dc Raymccher, qui a auffi une rafinerie de fel. Une autre rafinerie de fel eft celle de Mr. J. B. VanLangendouck. Lc plus fort du commerce de M. Francois Van-Refcgem eft cn épicerie. Les négocians de Louvain qui font le commerce de vin , font Mrs. Van-Yfcndick , Pettens, G. Henne , Lowet, G, B. Van-Langendouck & Mde. la veuve de Bruyn & fils. Le commerce de cendres de tourbcs qui fe fait ici n'eft pas auffi confidérable qu'a Bruxelles; ce font Mrs. Courthout, Wouters & Pcemans. La plus grande  dans les Pays-Bas. 301 partie de la chaux vive qu'on tirc,ici de Natuur, eft envoyée en Hollande par Mrs. Joly & Impens. Les Hollandois tircnt auffi de Louvain une aflez grande quantité d'ardoifes. Mrs. Wouters font le commerce du N°rd; un d'eux a été 1'année derniere en Dannemarck, en Suedc, en Norwege & en Ruflie. Un autre fe propofc a la paix d'aller en Amérique pour y former des fiaifons de commerce, tant avec les colonies de 1'Amérique feptentrionale que celles des Antilles; ceux que je connois de cette familie m'ont paru avoir eet amour du travail, eet efprit de fuite & d'ordre, & fur-tout cette aétivité infatigable qui caractérifent le véritablc négociant. Prefque tous les négocians dont je viens de vous parler, dp même que plufieurs autres dont je ne vous ai rien dit, font auffi la commiffion, tant pour la vente des marchandifes qu'on leur cnvoie du dehors , que pour être vendues .& expédiées aux perfonnes pour lefquelles elles  302 Le Voyageur. font deftinées. Plufieurs de ces commiffionnaires ont auffi leur maifon dans d'autres villes, tel par exemple, Mr. J. J. Pccmans & compagnie , qui en ont une a Oftende; mais la plus forte maifon de commerce de Louvain, on peut même dire de tous les Pays-Bas Autrichiens, eft celle de M. Romberg; fa maifon de Louvain fait une exportaton en tout genre pour la Suiflc, 1'Allemagne , 1'Italic & la Lorraine: cette maifon tecoit auffi ici, comme dans toutes les principales villes des Pays-Bas Autrichiens , des aflurances maritimes. Auriez-vous imaginé , Monfieur , que la.terre i pipe put faire 1'objetd'un commerce exclufif? Mrs. Van Acrfchot & Wouters jouiffent de ce privilege : cette terre leur vient d'Andenne, & ils la font paffer a Tergow. Quant au commerce d'argent, il n'eft pas ici confidérable : il y a quelques perfonnes qui, ayant la confiancc de quelques capitalift.es , font la ban que, mais  dans les Pays-Bas. 303 fans être banquiers en titre. On trouve auffi affez fouvent de 1'argent dans les Colleges ; ce qui rend le papier du commerce difficile anégocier ici, c'eft le peu de fociété qu'il y a entre les négocians ; s'ils fe voyoient davantage & qu'ils vécuffent entr'eux plus intimement, ils s'aideroient les uns les autres. Je vous ai parlé au commenccment de notre correfpondance (a) des manufactures de Mrs. Raimond & Bivord de Namur: il y en a une troificme dont je ne vous ai rien dit; c'eft celle de M. L. Hanourt. Je me fuis trompé en vous difant alors qu'ils tiroient leur cuivre rouge dc la Hongrie & de la Suede ; j'étois mal inftruit : ils ont effayé plufieurs fois, mais fans fuccès d'en faire ufagc ; celui d'Hongric tomboit cn pouffiere fous le marteau , celui de Suedc fe fracfuroit f ils fe fervent aujourd'hui de celui de Norwege que leur fourniffent les Hollandois. {fi) Voyez Torne premier, page 8a & 83.  304 Le Voyageur II eft probable que la fourniture de ce cuivre fera une des branches du commerce du Nord de Mrs. Wouters : lei objets qu'ils tircnt aujourd'hui du Nord, font du goudron , de la poix, des huiles de foye & de baleine, des morues fallées, des peaux de chcvre, des pelleterics , &c. qu'ils vendent en France, a Liege, cn Lorraine, a Strasbourg , a Bouillon , &cVoila, Monfieur, comme une partie du commerce des Hollandois pafiera aux habitans des Pays-Bas Autrichiens: les Hollandois eux-mêmes ont déja recours a leur induftrie. Les chemifes que les Hollandois envoient aujourd'hui dans leurs Colonies, font faites en partie dans des Béguinages & autres maifons Rcligieufes qui font dans ces Provinces ; il en eft de même des fouliers qui paflent en Amérique: ce font les cordonniers Flamands qui les fournifient. Je fuis, &c.  ba ns les Pays-Bas. 305 LETTRE XIII. Louvain, ce..,. Janvier 1783. J'a v o i s cru , Monfieur , que le commerce de la terre a pipc qu'on tire d'Andenncs &c qu'on vend aux fabriquans de pipe dc Tcrgow ne pouvoit être d'une affez grande importance pour. cn faire 1'objet d'un privilege de vente exclufive. Les informations que j'ai prifes m'ont détrompé : elles m'ont fait même connoïtre la néceffité de cc privilege : avant qu'on 1'accordat, cette terre , dont le Souverain & le commerce de fes fujets rctirent aujourd'hui de très-grands avantages , n'étoit profitable que pour quelques pauvres habhans du ban d'Andennes : les Hollandois les employoient a tirer cette terre & a la charger fur les batcaux dont ils fe fervoient pour la faire parvchir chez cux. Les Hollandois profitoient donc feuls de  3o6 Le Voyageur. cette terre. Les fieurs dc Gothe&Lamquet dcmandercnt & obtinrcnt de Sa Majcfté le privilege exclufif de la vente de Ia terre a pipc , a la condition qu'ils paycroicnt un certain droit pour celle qu'ils feroicnt cxporter, & que cette exportat.on s'en feroit p-ar Namur , Louvain ou Bruxelles, pour fortir par lc Bureau dc St. Philippe. Les Hollandois alors obligcs de tirer cette terre de celui qui feul avoit Ie droit de la leur livrer , fe virent forcé* de la payer fa véritable valeur. Le bénéfice de la voiture fut alors pour les fujets du Souverain. Les chofes reftcrent én eet état jufqu'en 1770, qu'il fe préfenta plufieurs perfonnes qui demandcrent l'o&roi , en Qffrant de payer a S. M. de plus forts droits- que ceux que payoient ceux qui en jouiflbient; ccux-ci ne couvrirent point cette offre , & le privilege fut accordc a Mrs. Van-Aerfchot & Wouters , négocians dc Louvain : il fallut toute 1'attention & la vigilance qu'ils ont apportées a cette entreprife pour la faire  dans les Pays-Bas 307* réuffir : confidérant moins leur avantage perfonncl que celui du Souverain & du commerce général de fes fujets, ils n'ont rien épargné pour rendre flonffantc cette branche de commerce ; ils payoient lc doublé des droits qu'avoient payés leurs prédéceffeurs; la guerre diminuoit le commerce de Tergow, & par conféquent 1'exportation de leur terre ; & cependant, loin de fe décourager , ils n'en furent que plus animés a foutenir leur entreprife ; & même è la rendre encore plus confidérable en la liant avec d'autres branches de commerce. J'ai demandé pourquoi on he faifoit pas de pipes dans ces Provinces,. & furtout dans les environs du ban, d'oü on tiroit la maticre première de cette fabrique , & Pon m'a répondu qu'on Pavoit tenté a Anvers-, aBruges & a Andelies, qui n'eft qu'a un quart de licue du ban d'Andenne, fans pouvoir parvenir a en fabriquer d'aufii belles & d'auffi folides que lc font celles d'Hollande ; c'eft ce que je  "o8 Le Voyageur. ne puis concevoir , car cette fabrique n'eft pas de 1'efpcce de celles fur lefquelles peuvent influer beaucoup les eaux & Fair. Je fuis pcrfuadé que -fi les propriétaires: aftucls du privilege , pour la vente de: la terre a pipe , entreprenoient de la met-, tre en oeuvre, qu'ils réuffiroient : tout: doit les cngager a lc tenter; s'ils réuffif-. fent, tous les pays voifins du Namurois i préféreront de tirer d'eux les pipes qu'ils , confommeront , d'autant qu'elles leur reviendroient a deux tiers meilleur marché que celles qu'ils tircroicnt de la Hollande : en très-peu dc temps ils fe rendroient maftres de toute cette branche de commerce. Mais quand bien même il arrivcroit que les pipes de la nouvelle fabrique ne fcroient pas auffi belles, ni auffi parfaitcs que celles des fabriques hollandoifes , la différencc du prix feroit un grand motif qu'auroient les acheteurs pour les prêférer a celles des Hollandois. ^ L'on n'a pas admis ici, Monfieur, la liberté illimitée du commerce des grains.  ba ns les Pays-Bas. 309 •Malgré toutes les raifons qu'a déduites M. Necker dans fon gros in-octavo , j'ai toujours penfé que les pays oü la vente, 1'achat & la fortie des grains feroient libres , n'auroient jamais a craindrc la difette. Leur fortie n'eft permife dans les Provinces des Pays-Bas Autrichiens que quand le prix du grain dans les marchés eft tellement tombé, qu'on doit craindre que le cultivateur ne puiffc pas rcmplir fes engagemens & continuer fa culture. Le Confeil des Finances donne a cela la plus grande attcntion , & ceux de fes rnem-bres qui font chargés dc eet objct,ne le pefdent jamais de vue. La permiffion ou la défenle d'exporter fuit toujours immédiatcment la variation du prix. De cette maniere 1'intérêt public & 1'intérêt particulier du cultivateur fe balancent continuelletnent & les acaparcurs font fans motif de rcmplir leurs greniers. Auffi-tót, Monfieur, que la fortie des grains fe permet dans les Provinces, tous les négocians qui en font commerce en  3io Le Voyageur. font paffer unc trés - grande quanthé eni Hollande. Des perfonnes penfent ici quei le commerce de grains pourroit être une: fource abondante de richeffès pour lesPays-Bas Autrichiens, fi la fortie en étoiti en tout temps permife par le Port d'Oftende ; il eft certain que cette permiffiom contribucroit beaucoup a rendre trés-. fioriflant le Port d'Oftende : on verroit: y conftruire nombre de nouvclles mai-fons , des magafins , des greniers fans nom- ■ bre ; elle pourroit produire lc bon effet d'cncourager la culture dans toutes les i Provinces, &principalement danslaFlandre ; mais auffi ne produiroit-elle pas le -mal qu'on a voulu évitcr cn limitant la permiffion de la fortie des grains au temps feul oü fon prix feroit fi bas que le cultivateur tomberoit dans le découragementl Les négocians de Louvain qui font le plus de commerce en grains , font Mrs. Van-Dormael, Van-Dermcern & Wouters. Les grains qui viennent de Tirle- \ mont & du Comté de Natuur, peuvent  dans les Pays-Bas. 311 fbrtir a préfent librement, & il s'en fait de Louvain des envois très-confidérables: il en eft parti , a ce qu'on m'a dit il y a un mois', environ 400 laft dans une feule femaine, tant pour Oftende qua pour la Hollande. ^e fuis, &c.  312 Le Voyageur. € =a=$==—=3 L E T T R E XI V. A 1'Auteur du Voyageur. Bruxelles, ce .. . . Janvier 1783. JL/ E but de votre Ouvrage , Monfieur, eft de faire connoïtre aux ctrangers 1'état afbel des Pays-Bas Autrichiens , & vous négligez plufieurs objets relatifs a leur conftitution nationale. En parlant du Confeil de Brabant, vous dites que ce Tribunal eft Juge des infraclions faites a la bulle (a) d'or ; mais vous ne faites pas connoïtre quelle eft cette bulle , que nombre de vos ledcurs pourront confondre avec la célebre bulle d'or que 1'Empereur Charles IV donna en 1556 pour terminer & prévenir les difputes quelquefois fanglan- tes, (a) Voyez Tome premier, page 29?.  dans XBJ.PaYS-BaS. jij tcs , qui fouvent-accompagnoienVlés élections desEmpercurs. Le mêmeEmpcreur» fept ans auparavant, c'eft-a-dire, en 1349, avoit aceordé a Jean III, Duc dé Brabant, cette bulle [ d'or, qu'on nomme bulle dd Braban't ou bülie Brabantine, par laquelle il interdifoit a tous Princes eccléfiafdques & féculiers, Juges & Tribunaux de 1'Empire , d'excrcer aucune Jurifdiction-fur les habitans des Duché3 de Brabant & de. Limbourg & leurs dé-; ■ pendances ; leur défendant de les citer & d'évoquer a. eux aucüne'des affaires pendantes devant lcsrTribunauxdefdits Duchés & dépendances ; dc faifir leurs biens & leurs perfonnes cn quelques eau fes que ce fut, perlqnnelles, réelles ou criminellcs: cette bulle fut confmnée par 1'Em- T pereur Sigifmonden 1424, par 1'Empereur Maximilien en 1512,enfin par 1'Empereur Charles Quint en 1530. D'après 1'avis des Etats de 1'Empire, Charles-Quint commit 1'exécution de la bulle d'or Brabantine au Confeil Souverain de Brabant» II. Tome. Partie V. O  314. .3 Ee.Voyag eu r a. a qu'il confiicua a eet cfict Vicairc Impéfial, avec autorite de. procéder contre tous contrevcnans,Princes ou Membres de 1'Empire , fcculicrs ou eccléfiaftiqucs vde quelque rang & conditfon■■ quhk fufient, comme contre des rebelles'; de les condamner cn 200 mares d'or, applicaties moitié au Fifc -Impcrial & moitié au Fifc du Duc de Brabant; de les -priver de leurs rangs , honneurs & dignités, & même de les mertrc au ban dcd'Ëmpire, voulant S. M. Imp. que tout ce que le Con-' feil de Brabant feroit ou décerncroit en cette matierc , eut la même force & le même eflet que fi , lui Empcreur ,- 1'tüt fait ou décerné lui-mèmc- Le Confeil de Brabant a nombre de fois fait ufagc du pouvoir que lui don- . noit la bulle d'ot Brabantinne, pour réprimer lés infractions faites a cette bulle par les Princes ou les Tribunaux de 1'Empire qui, chaque fois aufii , en ont murmuré & s'en- font plaints ■: ces murmures & ces plaintes ont é;.é:' fi vifs qu'il a  dans les Pays-Bas. 315 été ftipulé dans le Traité de Weftphalie & dans les dernieres Capitulations ïmpé. riales, que les abus introduits, fous le prétextc de la bulle d'or de Brabant feroient abolis; qu'en cas de befoin , il feroit préié affiftance, par droit de repréfailles, aux Etats qui feroient léfés par cette Bulle : cette prétention des Etats de 1'Empire a été pouffée fort loin • mais feroit-il jufte dc confondre la Bulle avec Mus qu'on en pourrok faire 1 Elle n'a jpas été accordée au Brabant pour qu'on ten abusat, & elle doit confervcr toute ifa force , lors même que le Confeil de iBrabant en abuferoit, car ce feroit alors \e Confeil de Brabant qui feroit coupable 'u & non les habitans du Brabant.' Vous avez parlé , Monfieur , du Gouvernement des Pays-Bas Autrichiens, mais Jous avez négligé de faire connoïtrc \ ros letteurs les fonclions & les prérogaIves du Gouverneur - Général, du MiIft'rc Plcnipotemiaire de S. M. Imp. Sa O 2  «i6 Le Voyageur du Secrétaire d'Etat qui font a la têtefl de ce .Gouvernement. t Le Lieutcnant-Gouverneur & Capitai-i ne-Général eft chargé de la direétion fu-« périeure de toutes les affaires ; il doit veil-« Ier au mainticn de la religion , a 1'exécu-M tion des loix , & fur-tout a ce que la jufticei foit exaftement adminiftrce dans les Tri-I bunaux & par les Juges: il peut, quand» il le veut, affemblcr les Chevaliers de laf; Toifon d'or & les membres des ConfeVsI d'Etat, Privé, des Finances & de lal Chambre des Comptes : il a la jurifdidftontij fur tout ce qui regarde la Juftice , la Po^l Hcc, les Finances & la guerre : tous lesi Commandans des places, tous les Offi-il ciers des troupes, quelques foient leurïl grades, lui font fubordonnés de mêniél que les Officiers dc Juftice : il peut dom» ner des loix t faire publier des ftatuts qm des ordonnances concernant la tranquiljl lité publique & générale : il confere leJ offices & bénéfices qui viennent a vaqueM & qui font $1 la nomination du Souvel  dans les Pays-Bas. 31? rain: üjouit, comme le Souverain , du beau droit de faire grace en enucr ou cn partie des pcines encourucs par ceux qui ont commis des excès,des délits ou des crimes. Si le Gouverneur & Capitame- Génóralle veut, il peut convoquer 1 Al- fcmblée Générale des Etats de toutes les Provinces, & indiquer telle Ville qutl juge a propos, demêmequerAlTemb e des Etats de chaque Province qui, dans Wuncas,ne peuvent s'alfemblcr fans fa permiffion : s'il n'agit pas en fon nom , mais au nom du Souverain, d exerce indiftinaement tous les pouvoirs du Souverain , comme pourroit les exercer le «ouverain lui-même. B y a cependant ^elques objets fur lcfquels les pouvoirs ^u Gouverneur font limités : il -ne peut pas, par exemple , nommer a certaines dignitfe, telles que celles d'Eveque & d'Abbé, niengager,ni vendre les dornaines du Souverain , ni accorder aucun titre, ni même des lettres de noblefle : les lettres d'amortiffement qu'il accordeO 3  3i8 Le Voyageur. aux gCM de main.mone ncfero;ent| pas va a5] : a ne peut ^ "T r étrangC1'S' &c- &c"".secs hmuations n'ötent rien a féelau defadignuéron lui rend les mêmes hon- »eurS qUau Souverain ;lclieu qu11 ha.. fe „omme Cour ril eft fervi par des; OflScicrs qualifié, comme le font ceux du Souveram : Ton obferve a fa Cour la même étiquette qui g'obferve a celle du Souveram :ila pour fa garde deux Com• pagnies, 1'une eft celle des Archers Gar-" dcs-Nobles, dont le. Capitaine eft toujours un des premiers Seigneurs du Pays . 1'autre eft celle des Hallcbardiers, com-' mandés par un Gentilhomme titré • le Pape a auprèsdelui un Nonce, !a France, IA°gl«erreJ-&laRépUbliqUed'Hollandél un MiniftrePlénipotentiaire, &le Prince de Liege un chargé d'affaircs : on a vu quelquefois a fa Cour un Miniftre du Roi d Efpagne , du Roi de Pruffe & de 1'E leaeur Palatin. II y a eu des occafions ou le Gouverneur-Général des Pays-Bas  dans les Pays-Bas. 319 n envoyé des Miniftrcs caraftérifés- dans les, difiéréntcs .Cours de PEurope. Le 'Gouverneur des Pays-Bas Autrichiens ne peut pas , fans y être autorifé par le Souverain , tranfmettre fon autorité a d'autrci; mais 1'ufagc eft.que le Souverain lui nomme. un fucceffeur pour exercer fes pouvoirs.par interim dans le cas oü il viendtoit a mourir : cette nomination eft contenue dans unc lettre que les Efpagnols nowmoient PUego de Providentie\mi fe dépofc au Chateau d'Anvers. L'ctnploi de Miniftr-e Pléuipotentiairg pour le Gouvernement des-Pays-Bas Autrichiens, n'cxifte . que depuis 1716 : cn 1'abfence du Gouverneur - Général , .il, exerce Jcsitpênses pouvöirsique lui. Toutes les affaires du Gouvernement fe traitent en général avec le IViiniftre.Plénipotentiaire ': on peut le confidércr comme le premier Miniftre de la Cour de Bruxelles. B eft rare que le Gouverneur réponde aux requêtes qui lui font préfentées, fans O 4  3»? Eb Vo va geur. «yoir pris préalablement 1'avis du Mn mftre Plénipotentiaire. Mais c'eft le Secréraire d'Etat & dc Giierre dont 1'emploi cit le plus pénible : il tient la correfpondancedu Gouverneur - Général avec le Souverain & avec fes Miniftres a Vicnne ou dansles Cours étrangeres, ainfi qu'a vee les Gouverneurs de fes Etats en Italië. Quand-le:Gouverneur a- quelques Mémoires i faire reraettre aux Miniftres des Puifiances qui réfident auprès dc lui , c'eft Ie Secrétaire qui le leur remet. Quand lc Gouvcrneur-Général veut faire pafrer un Mémoirc öu une Rcquêié qui lui a été adrefié , a un des Confeils Collatéraux, c'eft le Secrétaire d'Etat qu'il charge de lc lui remettrc.' C'eft lc Secrétaire d'Etat qui exoédie les provifions des Gouverneurs , Commandeurs & autres Officiers des Etats-Majors des places , ainfi que ■ les ordres que le Gouverneur leur cnvoie rclativcment au fervice militaire , de quclque efpece qu'ils foient. Lc Secrétaire d'Etat expédie auffi  dans les Pays-Bas. ytt. les paffe-ports pour le Gouverneur, que celui-ei accorde aux voyageurs*. ^ Dans les Confeils qu'on appelle ici Jointcs , qui fe tiennent chez le Gouverneur , c'eft le Secrétaire d'Etat qui y affifte toujours , qui tient le protocole , c'cft-a-dire, qu'il couche par écrit les délibérations qui y font prifes/ Le Secrétaire d'Etat nc dépend d'aucutl des Confeils Collatéraux; il contre-figne les ordonnances, dépêches, &c. de fon département, fans mettre, comme les autres Secrétaires de Sa Majcfté , ces mots, par ordonnance. r Je fuis , &c. O 4  322 Le Voyageur LETTRE XV. Louvain, ce Janvier 17%« T ' 0 1 L y a a Bruxelles, Monfieur, une maniere particuliere dc procéder a la vente volontaire des terres , maifons, & même rentes conftituées, qui eft très-avantageufe au vendeur,fans être fujette a aucune fraude de la part ni du vendeur , ni de 1'achetcur : cette vente fe fait par un Officier public qui a la qualité de Greffier & qui eft nommé par le Magiftrat de la Ville. C'eft dans une Salie de lTlötcl-deVille que fe font ces ventes; on la nomme ■ Chambre d'UccIe ; on ne fait pas pourquoi, car ce Gieffier n'a aucun rapport avec le Tribunal de la Chambre d'Ucele, qui eft une Juftice royale qui a fon Greffier particulier , qui ne peut être fuppléé dans fes fonctions dans aucun cas par Ie Greffier de Ia Chambre d'Uccle, ©ü fe font les ventes volontaires..  dans les Pays-Bas. 323 Uccle eft un village d'une grande étendue au midi & a une licue de Bruxelles; fix Seigneuries cn dépcndent & relevent en fief du Duc de Brabant, Seigneur d'Uccle : le- Sicge de fa Juftice eft a. Bruxelles , & la Juftice y eft adminiftrée par un Mayeur, fept Echevins & un Greffier : elle fuit une coutume particuliere , qu'on nomme Coutume d'Uccle. Les ventes volontaires des biens fitués dans Pétendue de la Seigneurie d'Uccle y peut fe faire a la Chambre d'Uccle , oü. fe font ces ventes volontaires, de même que'celles de tous les biens fitués dans le Brabant & aillcurs, quand elles ne fefont pas par des Notaircs. Les Notaires peuvent faire ces ventes comme le Greffier de la Chambre les fait : il eft vraï que ce Greffier prctend en avoir feul le droit pour les maifbns & autres biens qui font dans Bruxelles ; des perfonnes inffruites auxquelles j'en ai parlé, m'ont dit que cette prétenron n'étoit fondée que fur la polfeffion, qu'il n'y avoit aucun a&efur O 6  524 Le Voyageur Icquel on put 1'ctablir, & que les ventes que faifoit ce Greffier ctant volontaires, il n'y avoit que la volonté feule du vendeur qui put faire loi, & que de lui feul devoit dépendre le choix de 1'Officicr public deyant qui la vente de l'on bien feroit faite, d'autant même que pour faire cette vente , le miniftère d'un Officier public n'étoit pas nécelfaire, fi ce.n'étoit pour* cn dreficr 1'acte après qu'elle avoit été faite ; d'autant encore que celui qui vouloit faire vendre fon bien par le Greffier de la Chambre d'Uccle , cn prefcrivoit les conditions, & que ces conditiorts pouvoient être telles que le vouloit lc vendeur, fans qu'il fut au pouvoir du Greffier d'y faire aucun changement, ni même de les interpréter en cas de doute. Ces ventes fe font publiquement; elles font très-frcquentes: je ne connois pas quels font les droits du Greffier qui les fait : la maniere dont fe font ces ventes vous en fera connoïtrc 1'utilité. Le propriétairc d'une maifon qui fe propofe de la vendre  ©ans les Pays-Bas. 325 17000 florins , la met cn vente a 15000 florins au Grcflé dc la Chambre; elle y eft criéc au rabais jufqu'a ce qu'un de ceux qui fc propofe de 1'acheter , dife ces mots a moi, qui veulent dire qu'il la prend pour le prix auquel elle eft tombéc: on dit alors que la maifon eft paume'e, ce qui vient de l'ancien ufage de frapper dans la paume de la main du vendeur , ufage qui fe pratique encore parmi le peuple quand 1'acheteur accepte la condition que lui propofe le vendeur. La maifon étant paumée , celui qui 1'a paumée, a fix florins qu'il retient fur le prix de la maifon , fi elle lui reftc, ou qui lui font payés par celui a qui elle eft adjugée lors des cncheres. La première enchere qu'on nomme hauffe , ainfi que toutes les autres qui fuivent, eftmife , s'il le veut , par celui qui a paumé la maifon qui lui refte , fi perfonne n'enchérit fur lui. Chaque hauffe eft de trois florins, dont deux font pour le vendeur & un pour celui qui a mis la hauffe. On peut  326 Le Voyageur. mcttrc amant de haufles que l'on veut, tant que les encheres durent. Du moment que la maiibn eft paumée, elle n'appartient plus au vendeur qui, jufqu'a ce qu'elle lc foit, peut la retirer ou changer les eonditions auxquelles il Pa miié en vente ; ainfi s'il arrivé que la maifon ne foit pas portee par les enchériffeurs au prix qu'en veut avoir lc vendeur, il faut qu'il fe mette au nombre des enchériffeurs , & fi la maiibn lui eft adjugée , qu'il paie aux autres enchérifleurs le tiers des haufles qu'ils ont mifes, & a celui qui paume la maifon , les fix florins qui lui reviennent de droit; mais il eft rare que cela arrivé; fouvent même l'on voit le prix auquel lc vendeur avoit porté fon bien, être tiercé & quelquefois doublé par les encheres. Les encheres ou haufles fe mettent pendant quinze jours ou trois femaines, fi lc bicn a vendre appartient a un mineur , ou fi le vendeur le defire : a la derniere féance, & quand le Greffier voit qu'il'  dans les Pays-Bas, n'y a plus d'cncheres, il fait allumcr la bougie, & tant qu'elle brüle , tous ceux qui font préfens peuvent encore enchérir ; mais chacun d'eux ne peut Ie faire que d'une hauffe qui appartient au vendeur feul; mais fi a l'extinftion de la bougie tl fe trouve qu'il ait été mis , tant qu'elle a brülé , des haufles par différentes perfonnes , il faut allumer &z bruler de fuitc autant de bougies, jufqu'a ce qu'on puiffe elairement juger qui eft le dernier enchériffeur. Si le prix dc la maifon a été a 15000 fl. & qu'il y ait cu goco fl. de haufles, 1'acheteur payera au vendeur 17000 fl. & 1000 fl. a ceux qui ont mis les haufles, en outre 6 flor. a celui qui a paumé la maifon, & les haufles mifes avant 1'extinction des bougies qui, comme je vous Vai dit, appartiènnent toutes au vendeur. On n'admet aux encheres que des gens eonnus, ou cautionnés, s'ils nc font pas connus. Si au temps fixé par les conditions pour le paiement du prix de 1'ad- p  328 Le Voyageur. judication , 1'acheteur nc paie pas, la maifon eft rcvendue a fa folie cnchere; fi elle feit avec benefice , ce béncficc eft pour le vendeur ; s'il y a du déficit, c'eft a 1'acheteur a. le payer, & il ne peut plus être a 1'avenir recu a venir a la Chambre , ui en perfonne , ni par Procureur , ce qui eft une forte dc note d'infamie. Celui qui achete un bien dans lc Brabant ne peut en jouir que quand il s'en eft fait mcttre en poffeffion par le Juge du lieu oü eft fitué cc bien ; ce qui s'appelle fe faire adhériter: pour cela 1'acheteur fe préfente devant cc Juge ; il lui donne communication de 1'aéte d'acquifition & fait ferment de n'avoir pas acquis le ben pour une main-morte. Tous les biens adhérités a Bruxelles, s'ils ne font pas féodaux , doivent être annoïés dans un Bureau qu'on nommc Bureau d'annotation , ainfi que toutes les conditions du contrat de vente; au moyen de quoi on peut connoitre , quand on le veu?, fi un bien eft charge ou non d'hy-  dans les Pays-Bas. 329 potheques ou autres chargés. Si celui qui tient le Bureau donnoit une fauffe déclaration , par exemplc , s'il ne faifoit pas mention d'une hypotheque dont fe trouveroit chargé un bien, 1'achetcur de ce bien 1'attaqueroit & le feroit condamner au paiement de la valeur de 1'hypotheque. Je fuis, &c. P. S. On vient de m'envoycr , Monfieur , de Bruxelles , un nouveau livre, qui a pour titre, Le Voyageur Américain , ou Obfervations fur l'état aeluel, la culture , le commerce des Colonies Britanniques en Amérique ; les exportations & importations refpeclives entr'elles & la Grande-Bretagne, avec un état des revenus que cette derniere en retire , &c. adreffées par un Négociant expérimenté, en forme de Lettres au tréshonorable Comte de*** traduit de VAnglois , 1 vol. in-o£tavo.  330 L e Voyageux. Le titre feul de eet Ouvrage mele fait croire très-intérelfant. On en trouve des Exemplaires a Bruxelles chez Emmanuel Flon , Imprimeur - Libraire, & chez de la Haye, Commiffionnaire,  dans les Pays-Bas. 331 LETTRE XVI. Louvain , ce.. .. Janvier 1783.. JL/Uni v er s ité dc Louvain,Mon-< fieur, a été établi, commc je crois vous I'avoir déja dit, en 1425 par lc Pape Martin V, • eIk a toujours été confidérée depuis comme une des plus célebresUniverfités de 1'Europc : quoiqu'on 1'eüt établie fur le modele de celle de Paris & de Cologne, on n'y cnfeigne publiquemcnt la théologie que depuis 1431, qu'Eugene IV le pcrmit. Le Gouvernement dc la nouvelle Univerfité fut donné a fon Chef, qu'on nomma Rcéteur magnifique, & a un certain nombre de Députcs, dont fut formée unc efpece de Sénat, qu'on qualifia d'Académique , & qui eft compofé de Doéteurs des cinq Facultés. Le Rectcur eft nommé par ce Sénat, mais pour trois mois, & cc temps étant écoulé , il  33* Le Voyageur. peut être continué pour trois autres mois. On peut nommcr a cette place indiftinctement un féculier ou un cccléfiaftique: les marqués de fa Dignité font la chaulfe & le bonnet de pourpre herminé : toutes les fois qu'il marche en public , il eft précédé par fix bedeaux qui portent devant lui des maffes d'argent: dans les affemblées de 1'Univerfité , fon Siege eft plus élevé que celui des autres & a une forme différente. Dans 1'Eglife de Saint Pierre il occupe une place diftinguée de celle des autres Chanoines.' L'on prétend que Charles-Quint céda lc pas au Recteur Raveftein , & qu'ainfi le Reéteur de 1'Univerfité eft en droit de prétendre I'avoir auffi fur les Archevêques & Evêques. Le Reétorat eft purement honorifique , il n'eft d'aucun rapport. Le nombre des Doétcurs réfidens en 1'Univcrfité , n'eft point fixé ; il y eri a préfcntement huit qui compofent la Faculté de théologie : de ces huit Doctcurs deux font Moines, 1'un eft Auguftin »  dans les Pays-Bas. 333 Pajitrc Dominicain : on eroit que ces dernicrs feront fupprimés. Celui des autres Dodteurs qui jouit d'une plus grande réputation , fe nomme M. Le Plat : c'eft un homme eftimable & plein d'érudition. L'on m'a dit qu'il étoit fort confidéré du Gouvernement, ce qui le rcnd 1'objet de la jaloufie d'un grand nombre de perfonnesl Depuis quelques jours l'on m'a fait faire la connoiffance d'un jeune Doacur qu'on nomme M. Van-Gobbelfchroye : ceux qui le connoiffent & vivcnt avec lui, en font le plus grand cas. On a attribué au Reaeur la jurifdic- , tion ordinaire & contentieufe fur tous les membres de 1'Univerfité , tant la'ics qu'eccléfiaftiques: les Magiftrats de la Ville & ceux du Chapitre de St. Pierre ont confenti a s'en deffaifir cn fa faveur. Un Reglement qui a été donné en 1617, amis des reftriaions a 1'excrcice illimitée de cette Jurifdiaion du Reaeur, fur-tout pour ce qui concerne le criminel. Les membres de 1'Univerfité ne peuvent pas  ""4 Le Voyageur. êrre appelles en Juftice hors de Louvain Pour les, affaires perfonnelles; mais &>ih avoient commis un délit hors du territoirc de Louvain, ils pourroient être Pouriuivis & appréhendés au' Corps par les J"ges, dans la Jurifdiclion defquels il auroit commis Ie, délit.' , '--Si Pon a quelques plaintes a porter contre un étudiant, il faut s'adreffer au K-edeur; fi c'eft un étudiant qui a un démêlé avec un bourgeois, ce n'eft pas aux Magiftrats de Ia Ville qu'il doit s'adrcfier , mais au confervateur des privileges de 1'Univerfité, qui eft le troifieme Officier de 1'Univerfité. Ce confervateur doit veillcr a ce qu'on ne donne pas atteinte aux privileges & droits de 1'Univerfité. Je crois que cette Dignité eft ordinairement poffédée par 1'Abbé de Ste Gertrude : ce confervateur a un Bureau & Un Avocat pour Afleffeur; il entend les parties & prononce au Souverain. On peut ajourncr devant lui les habitans de tout fe Brabant, du Duché de Luxembourg-  kans les"Pays-B a s. 335 & des autres Provinces , quand un des membres de 1'Univerfité a quelques demandes a former contre lui : fi la perfonne citce refufe de comparottrc, le Confervateur peut 1'excommunicr.1 - Tous les fuppöts de 1'Univerfité jouiffent a Pégard des habitans du pays de Liege du privilege Jus traclatus , en vertu duquel ils font cn droit de citer pardcvant le confervateur des privileges de 1'Univerfité , les fujets du pays de Liege , foit pour caufe de dettes, foit pour les objets qui font reladfs au droit de nomination aux bénéfices. Le confervateur des privileges de 1 Univerfité agit alors commc dèlégué du Pape,- & certainementles Tri- bunaux de Liege font obligés d'cxécuter fes fentenecs,, car le privilege Jus traclatus eft inconteftable; il a même été recbnnu par une convention paffee le 16 Février: 1457 , entre 1'Univerfité & le Tribunal des Vingt- Deux-de Liege, & paiHc: traite qui a été conclu a Maeftrick. • le'27'Novembre 1615 , entre les Archi-  336 Le Voyageur. ducs Albert & Ifabelle & 1'Evêque de Liege. II eft vrai que ce traité a apporté quelques modifications a 1'exércice du privilege , mais malgré cc traité , les Tribunaux de Liege ont fouvent cherché & élüder 1'obligation oü ils étoient d'cxécutcr les fentences du confervareur dc 1'Univerfité , de maniere que le Confeil Souverain de Brabant, pour les y forcer , a fait plufieurs fois faifir les biens fonds des Liégeois qui fe trouvoient fitués dans fon refibrt, foit en Brabant 5 foit dans le Limbourg. Le fecond Officier principal de 1'Univerfité eft fon Ch'an:clicr; cette place eft annexéc a celle de Prévót dc la Collégiale de St. Pierre : c'eft lui qui conferc les honneurs de Ia Licence , du Doftorat & des Maitres-ès-Arts a ceux qui ont recu 1'approbation des Doctcurs , ce qui fe Fait avec beaucoup de cérémonies. Les autres Officiers inférieurs dc 1'Univcrfité font un Didatcur, un Ayocat Fifcal, un Secretaire,  dans les Pays-Bas. 33? Secrétaire, un Bibliothécaire, un des Bedeaux.' Un des beaux privileges dont jouit le Corps de 1'Univerfité de Louvain & la Faculté des Arts en particulier, eft dc norarner a un trés-grand nombre de Bénéfices de patronage eccléfiaftique, fimples ou a charge d'ames, dans toute 1'étendue des Pays-Bas & du Pays de Liege, avec cette différence cependant que cette nomination n'a lieu dans le Pays de Liege que pour les Bénéfices qui font a la collation du Pape, dans le mois de Novembre, tous les ans, & dans le mois de Janvier, alternativement d'année en année. Le Clergé de Liege a prétendu que 1'Univerfité de Louvain ne pouvoitpas exercer fon droit de nomination fur les Curcs qui fe trouvoient unies aux Chapitres ou Abbayes, & qu'on nommoit Vicairies perpétuclles : il s'eft élevéace fujet nombre dc conteftations, fur lef- II. Tome. Partie V. P  33^ Le Voyageur quclles il s'eft tenu infruclueufement plufieurs conférences. La place oü les lecons publiques fe donnent & les difputes fe font, s'appelle les halles, paree que c'étoit véritablement autrefois les halles des drapiers. Ce batiment qui étoit fort ancien , puifqu'il avoit été conftruit en 1317, a été reconftruit a neuf en 1685. Onyaajouté en 1723 un nouveau batiment, au milieu duquel fe trouve la Salie oü 1'Univerfité tient fes aflemblées,& qu'on nomme la Salie du Redteur. Tout le haut de ce batiment eft occupé par la Bibliotheque : la piece qui la contient peut avoir 185 pieds de long, 43 dc large & 35 de haut: elle eft éclairéc par dix croifces de 27 pieds dc haut : cette Bibliotheque eft bien compofée : en 1759 on lui a attribué un ' droit fur tous les grades Académiques de 1'Univerfité. l\ y a a 1'Univerfité de Louvain 42 Colleges, dont un eft deftiné pour les humanités & quatre pour la philofophie ;  dans les Pays-Bas. 339 on compte dans ces quatre Colleges environ 700 étudians. Le cours de philofophie dure deux ans : a la fin de la feconde année on ouvre un concours qui dure fix femaines, pendant lequel les étudians qui ont fini leur cours font obligés de répondre par écrit a toutes les queftions qu'on leur fait. Celui qui obtient la première place eft reconduit par les Profefleurs & les étudians de fon College dans fa patrie , oü il eft recu & fêté pai toutes fes concitoyens : c'eft un excellente inftitution qui jette beaucoup d'émulation parmi les étudians en philofophic. L'Univerfite dc Louvain doit a Mr. le Comte de Nény , Chef-Préfidcnt du Confeil Privé, 1'excellent réglement que le Gouvernement lui a donné en 1764 pour le cours dc Philofophie. Depuis ce temps on enfeigne dans les quatre Colleges une Logique claire & folide, une Méthaphifique profonde , mais fimple, une morale pure , dégagée de préjugés, & une phyfique folide & appuyée par P 2  34°- Le Voyageur. l'cxpéricnce. Les expóriences fe font dans un cabinet qui eft un des plus riches qui foit en Europe. L'Empereur, lors de fon paflage ici, a donné & ce Cabinet une grande partie des pieces qui étoient dans celui du feu Prince Charles. Dans chacun de ces Colleges il y a quatre Profeffeurs , un Principal qu'on appelle Régent. La place de principal vaut, y compris le logement & la nourriture , 1500 flor. & celle de Sous-Principal 500 flor. Les Profeffeurs n'ont pas d'appointemens , mais ils partagent entr'eux les huit couronnés que chaque étudiant paie chaque année, dont il eft fait une bourfs commune qui fe partage également entre tous les Profeffeurs des quatre Colleges. ( Le College de l'Univerfité dc Louvain , oü l'on enfeignc les humanités, jouit dans tous les Pays-Bas, & même dans tous les autres Pays, d'une grande réputation. Les Profeffeurs de ce College ont la table , le logement & cent couronnés d'appointemens. A la t^te de ce College eft un Principal, qu'on nomme Ré-  dans les Pays-Bas. 341 gent & qui a fous lui trois Sous-Régens. La Théologie , le Droit, la Médecine , les Mathématiques s'enfeignent aux halles : on enfeigne les langues hébraïque, grecque & latine au College des trois langues , fondé cn 1557 : on y donne aimi des lccons de langue francoife.' Outre les quatre Colleges oü Pon enfeigne la Philofophie , 1'Univerfité a encore une Ecole particuliere oü Pon foutient les thères publiques dc Philofophie , oü Pon fait les examens & les prcuves pour la diftribution des placcs a la fin de chaque cours de Philofophie. Depuis 1755, on fait auffi dans cette école des expériences de Phyfiquc. Les Profeffeurs de Philofophie morale & chrétienne , y donnent auffi des lecons. Le nombre des Profeffeurs de PUniverfité eft de 58 , huit pour la Théologie, fix pour lc Droit canon , fept pour ïe Droit civil , quatre pour lc Droit public , huit pour la Médecine, feizc pour la Philofophie , un pour 1'éloquencc chréP 3  34* Le Voyageur «enne , un pour ia languc latine , un pourr Ja Iaugue grecque, un pour la langue: francoife & cinq pour les humanités. , ces 58 Profeffeurs, quatorze fonti nommés par lc Souverain , favoir quatre : pour la Théologie, un pour le Droit ca-, non, deux pour le Droit civil, un pour Je JJroit public , quatre pour la Médecine , un pour les Mathématiques & un pour la langue francoife. Les autres places de Profeffeurs ont différens Collatcurs, mais la nomination du plus grand nombre appartient aux Magiftrats dc la Ville7 II ya dans 1'Univerfité de Louvain huit Cha,res de Théologie qui font toutes rcmpïtespardesEccléfiaftiques féculiers. Aux bx premières Chaires font afTeclées fix Prébendes de la Collégiale de St Pierre de la première création; aux deux autres lont auffi affeclées deux Prébendes de la deuxieme création : il fuffit d'être tonfuré & célibataire pour jouir de celles-ci • elles n'obhgent ni è réciter le bréviaire, ni a pwter 1'habit ecclcfiaftique. Les huit au-  dans les Pays-Bas. 343 tres Prébendes font affeétées a deux Cha'tres des quatre autres facultés : ces Prébendes ne rapportent que 200 florins ; celles de la première création produifent 4 h 500 florins : cela vient dc ce que cclles-ci obligent a la fréquentation du Choeur & a tous les autres devoirs des Bénéfices. La Chaire pour TEcriture Sainte peut valoir en outre des 4 a 500 florins de la Prébende , 400 florins, dont 200 font payés par lc Souverain & 200 par les Etats de Brabant ; mais celui qui remplit cette Chaire eft obligé de donner des lecons pendant neuf mois. Les deux Profeffeurs Royaux de Théologie fcholaftique & moralc donnent chacun lc cours entier pendant fept ans ; ils ont les mêmes honoraires que les Profeffeurs de 1'Ecriture Sainte. Le Profeffcur du catéchiime ne donne de lecons que le Dimanche & les Fêtes : outre fa Prébende, il recoit encore 3 a 400 florins. Quant aux autres Profeffeurs en Théologie qui n'enfeignent P 4  544 Le Voyageur. que fix fcmaines dans toute Pannée, iln n'ont d'autres revenus que le produit dee leur Prébende. La Faculté de Droit eftt compote de fix Dotteurs, dont quatre. protefient & font noramés aux Chaires part le Souverain. La Faculté de Médecine eft compote: de quatre Dodeurs, dont deux Priraai-res : les places de ceux-ci font a la nomination du Magiftrat. C'eft le Souverain, qui nomme lc Profeffeur d'Anatomie,, celui dc Chymie , celui de Botanique &: celui de la Pratique. Chacun des Colleges dc 1'Univerfité a eu fon fondateur particulier, & tous ont eu pour but de pourvoir ala fubfiftance d'un certain nombre de pauvres étudians : pour cela ils ont fixé une certainc fomme [ " dont chacun de ces étudians jouiroit: cette fomme fe nomme bourfe. L'on m'a dit que toutes ces bourfes n'étoicnt ras toutes employées a leur vcritable deftination & que fi elles 1'étoicnt, il y auroit un , bien plus grand nombre de pauvres étu-  dans les Pays-Bas. 345 dians qu'il n'y en a préfcntement. Plufieurs des Colleges ont été rebatis entiérement avec une forte dc magnilicence, mais aux dépens des pauvres étudians, c'eft-a dire , qu'on cn a diminué le nombre : a-t-on pu lc faire fans aller contre le vceu des fondatcurs de ces Colleges » qui n'a pas été certainemcnt de loger magnifiquement des pauvres étudians, dontle plus grand nombre habitoicnt auparavant dans des chaumieres avec leurs parcns^. C'eft un abus, j'en conviens , mais qui fuivant moi , produit un bien : car le nombre des étudians dans toutes les Univerfités, comme dans tous les Colleges v eft trop grand, & devroit être réduit k plus de la moitié de cc qu'il eft a préfcnt. Je voudrois qu'il fut défendu a tous leshabitans des campagnes & des Villes non murées , d'envoyer leurs enfans étudier , foit dans les Univerfités, foit dans lesColleges. L'Etat a befoin de défenfeurs de cultivatcurs , de manufaéturiers, le sombre n'en peut être trop grand. B faut P 5  34°" Le Voyageur des Miniftres des Autels, des Miniftres de la Juftice, des protefteurs a Popprimé, Ètl'orphelin & a la veuve ; mais fi le nombre en étoit plus limité qu'il ne 1'eft, les Autels en feroient mieux fervis, les regies de la Juftice mieux obfervées & le droit d'un chacun mieux éelairci. Pour vciller a ce que le réglement du 18 Avril 1617, dont je vous ai déja parlé , füt exaaement obfervé dans 1'Univerfité de Louvain, les Archiduc Alben & Ifabelle établirent un Commiffaire qui fut chargé de fon exécution. On négligea dans la fuite de rcmplir cette place importante, qui ne le fut qu'en 1754 par un hoinme qui', aux vues d'un hommc d'Etat, joint toutes les qualités qui font aimef & refpefter ceux qui occupent les places importantes d'un Gouvernement : fon premier foin fut la réforme des abus; il fit donncr le 13 Février 1775, un nouveau réglement qui fixa lc temps qu'il falloit avoir fréquenté les écoles pour  dan! ;les Pays-Bas. 34^ pouvoir être admis aux grades, les épreuves que les afpirans devoient fubir avant, & les droits qu'on pouvoit exiger d'eux ; nombre de dépenfes inutiles qu'ils étoient obligés de faire, furent fupprimées par le nouveau réglement. L'Univerfité de Louvain a auffi un jardin Botanique , un Théatre Anatomique & un laboratoire de Chymic : fon jardin Botanique eft un des plus beaux qui foit en Europe : celui qui en a la direclion & qui eft Profefl'eur de Botanique , prend foin dc fa culture plutöt par goüt que par devoir. Le Théatre Anatomique de 1'Univerfité mérite d'être vu , mais il eft bicn moins utile que le feroit un cours d'Anatomie fuivi : pour fon laboratoire de chymie, il ne vaut pas la peine qu'on en parle. On ne peut, Monfieur , dans tous les » Pays-Bas Autrichiens occuper unc place ou être revêtu d'une dignité qui requiert le degré de licencié, & même être Avocat- qu'après avoir pris fes dcgiés en 1'UP 6  348 Le Voyageüs. niverfité de Louvain , mais le Prince peut accorder des lettres de difpenfes ; il en eft de même pour pouvoir exercer la Médecine.' La Faculté des arts jouit feule du droit de donner des cours de philofophie dans toute 1'étendue des Pays-Bas Autrichiens. Leurs habitans pouvoient autrefois aller faire leur cours de Philofophie dans les Pays étrangers : ils ne le peuvent plus depuis 1755 que cela leur a été dcfcndu : par Pays étrangers on ne doit pa* cependant entendre aucun de ceux qui font de ladomination du Souverain , en quclque Contréc de 1'Europe que ibient fitués ces Pays.' Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 349 LETTRE XVII. Louvain , ce Janvier 1783. I L faifoit beau, Monfieur , le temps étoit a la gelée; j'en ai profité pour aller voir quelques petites villes & bourgs du quartier de Louvain. ,Par quartier Pon , entend dans le Brabant une certaine étendue de Pays qui fournit fa part de la contribution dont eft chargéc la chefvillc. Chaque ville du quartier a auffi fon quartier particulier qui fournit fa part de la contribution de la ville métropole du qurtier , fi Pon peut parler ainfi. En fortant dc Louvain J'ai pris la route de Dieft, qui n'cn eft éloignée que de quatre lieues : cette ville eft fituée fur la Demer : elle a le titre de Baronnic & de Bourgaviat d'Anvers : elle jouit du droit de nommer fes Magiftrats qui y adminiftrent la Juftice. Je ne fais a combien peut  ' 35° Le Voyageur. monter le revenu de l'Hótel-de-Ville de Dieft; il eft, a cc qu'on m'a dit, aflez confidérable & adminiftré par les Magiftrats,avcc une grande économie.Pour conftruirc la chaufiee on leur avoit permis de mettre un droit fur la bierre ; ils 1'ont conftruite fans lever ce droit. Dieft appartient a la Maifon d'Orange: avant, elle avoit appartenu aux Ducsde Clèves. Le Roi de Prufle en prétendit la pofleflion en 1702 ; mais cn 1708 la Cour féodale de Bruxelles lc débouta de cette prétention & maintint Ie Prince de Naffhu , Stadhouder de Frife, dans Ia pofleflion de la Baronnie de Dieft & de fes dépendances. B n'y a a Dieft aucun batiment public qui mérite d'être remarqué : cette ville n'a qu'une Eglife Paroiffiale; les autres principales Eglifes font celles de S. JeanBaptifte & de St. Sulpice : toutes deux font deflervies par des Chanoines qui forment deux Chapitres: celui de St. JeanBaptifte a été fondé cn 1297 , & cü com-  dans les Pays-Bas. 351 pofé de douze Chanoines. Treize compofent celui de Sr. Sulpice, fondé en> 1456 , par un Abbc dc Tongerloo, dont un Religieux a toujours été Prévöt de ce Chapitre : c'eft 1'Abbé de Tongerloo qui le nomme : ce Prévöt eft auffi le Curé principal de la ville. Les Bogards ou Cordeliers , les Récolets , les Auguftins &les Alexiens, ont chacun un Monafterc a Dieft, oü il y a auffi une Abbaye de filles dc 1'Ordre de St. Bernard , & un Prieuré , auffi dc filles , dc 1'Ordre de St. Auguftin.Les SceursGrifcs s'y font établies en 1366. Le Béguinage eft plus ancien; il date fon établiffement de 1232. Je demandai fi ces Maifons Religieufes & leurs Eglifes renfermoient quelques objets remarquables, & fur ce qu'on me dit que non , je n'en vifitai aucune. Je m'informai du commerce des habitans , & l'on me répondit qu'il n'ctoit pas confidérable , qu'il confiftoit en quelques picccs de draps qui fe fabriquoient dans la ville , & en bas de laine tricoté. Le boudin de  3S2- Le Voyageur. Dieft a une forte de réputation; celle de fa b:erre eft plus méritéc : on en cnvoie une affez grande quantité dans la Caropine. Tous les Mercrcdi des cendres il fe tient dans cette ville une foirc dc chevaux qui eft fort fréquentée. II y a a Dieft deux Colleges, 1'un eft tenu par les Auguftins , 1'autre par des Prêtres féculicrs : celui-ci a été établi, il y a environ 30 a 40 ans, par le Magiftrat. Après avoir pris ces informations , je partis de Dieft & j'allai coucher a Montaigue , petite ville qui n'en eft éloignéc que d'une lieue : on y entre par trois portes. Sa principale richeffe confifte dans une Image miraculeufe de la Vierge, dépolée dans 1'Eglife des Peres de 1'Oratoire de Saint Philippe de Ncry : cette Eglife eft belle , de figure ronde : elle pofTede un riche tréfor ; mais ce qui m'y a lc plus occupé , font fept tableaux dont les fujets ont été tirés de la vie de la Vierge : ils ont été peints par T. Van - Loon , dans la maniere de Charles Maratti, Lc grand  dans les Pays-Bas 353 nombre de Péierinages qui fe fait a cette Image miraculeufe, donne aux habitans de Montaigue un commerce de détail affez confidérable. J'ai paifé un jour entier a Aerfchot ,, chef-lieu du Duché de ce nom, qui, avant 1533 , n'étoit qu'un Marquifat : ce Duché appartient a la Maifon d'Arenberg. Aerfchot eft fur la Derocr, a 3 lieues de Louvain & de Dieft, & a 4 de Malines & de Licrre. II y a dans cette ville un Chapitre de 12 Chanoines, dont les Religieux dc 1'Abbaye de Ste. Gcrtrude dc Louvain rcmplifiént les dignités de Prévöt, de Doyen & de Chantre : la fondation de ce Chapitre eft de 146a : 1'Eglife cn eft affez belle, mais fon plus grand ornement eft le tableau du MaïtreAutcl, qui eft de Crayer , & repréfente une Adoration des Mages : la Vierge & 1'Enfant Jéfus cn font admirables , la couLur en eft belle , la touche ferme & vigoureufe : les têtes ont de 1'expreflïon $z du caraétere. Les autres Eglifes d'Aerf-  ,354 Le Voyageur. chot font celles de la PnroifTe dédice a la Vierge, des Bogards, des Récolets, des Capucins , du Prieuré des Auguftines, qu'on nomme le Mont St. Nicolas, des Soeurs Grifes & du Béguinage étabP en 1529 : ce Béguinage dépend pour Ie fpirituel de 1'Archevêque de Malvnes. Le quartier d'Aerfchot contient ï? villagcs & trois Baronnies; il eftgouverné par un Droffart que nommc IcDucd'Arenberg, auquel ce Duché produiroit peutêtre davantage qu'il nc produit, fi on y encourageoit la culture, fi on y établiflbit des fabriques: il efttrès-avantageufement fitué pour le commerce. Celui^qui occupe préfentement la place dc DrofTart eft un homme très-a&if & fur-tout très-zélé pour le bicn public. Ce Duché a fans doute le fort de toutes les terres qui appaniennent aux grands Seigneurs , celui d'en être a peine connu. Un grand Seigneur fait que telle ou telle Seigneurie lui donne tant de revenus , mais il nc fait pas que tel ou tel moyen qu'il pourroit employer»  dans les Pays-Bas. 555 doubleroit ce revenu. Telle Seigneurie qui ne rapporte que 10000 florins tous les ans a un grand Seigneur , en rendroit acooo a un particulier qui y réfideroit& s'occuperoit du foin de fon amélioration. Je connois en Allemagne une Principauté compofée de 78 Paroiffes qui appartient a la maifon dc Saalrn , & qui nc lui rapporte prefque rien : elle produiroit un très-gros revenu ft l'on y aboliflbit la fcrvitude & ótabliflbit des Fermes, fl l'on y amélioroit les races des bêtes a laine , enfin fi l'on intéreflbit le cultivateur k perfectionner & a étendre fa culture. J'ai refté deux jours k Tirlemont: cette . ville eft fituée fur la Gecte a trois lieues de Louvain , d'oü l'on y arrivé par unc belle chaufiee , commencée en 1715 par ordre des Etats dc Brabant, & qui a été prolongéejufqu'aux fauxbourgs de Liege. Dormal , village a deux lieues dc Tirlemont , dépend des Etats dc cette Principauté. Tirlemont étoit autrefois une ville très-pcuplée, trés. floriflante : elle n'eft  356 Le Voyageur. rien moins que cela aujourd'hui : cette ville eft peu chargée d'irap'óts , & nombre dc fes habitans jouilfent d'une grande aifancc : elle eft fituée très-favorablemcnt pour lc commerce des grains : on y fabrique des flanelles & des bas de laine, mais pas en affez grande quantité pour en former une branche de commerce d'exportation ; elle a auffi une rafinerie de fel, une falpctreric & une favonnerie, dix a douze moulins a 1'huile : un fuffiroit pour la confommation de fes habitans; ils vendcnt le furplus pour 1'Allcmagne : fa bierre qui eft fort eftiméc, forme la branche principale dc fon commerce d'exporration. II eft affez fingulier que la collation des douze Prébendes qui forment fon Chapitre, foit a la nomination du Chapitre de St. Jean de Liege Ces Prébendes ont été fondées en 1221 par Henri, premier Duc de Brabant. II y a encore a Tirlemont un autre Chapitre d'une c'pece finguliere : la fondation en eft trés-  dans les Pays-Bas 357 ancienne ; fes Prébendes font poffédées par des féculiers , qui même peuvent être mariés: ce font les bourgeois qui en ont la collation & qui les donnent a des bourgeois comme eux. Ces Chanoines chantent réguliérement 1'Oftice Divin dans une Eglife qui eft fur la place & dédiée a la Vierge : on les nomme par dériiion Chanoines a Roulettes. On ne fait pas quel eft le revenu de leurs Prébendes , qu'ils s'obligent, dit-on , de ne jamais faire connoitrc. Les Carmes, les Récolets, les Capucins, les Bogards, les Alexiens & les Auguftins, ont chacun un Couvent a Tirlemont. L'Eglife des Alexiens eft belle & bien ornée. Les Auguftins y enfeignent les humanités. Les Couvens de filles font ceux des Auguftincs, ou Dames Blan-, ches, des Dames de Barberendael , de Cabbeck & de Dancbroeck, des Soeurs Grifes , des Annonciades & des Hofpitalieres. Le quartier de Tirlemont renferme trois villes, Lew, Halen & Landen, & 79 villages répartis entre trois Mairies, Cumptich , Geete & Halen.  55& Le Voyageur. Les Magiftrats de Tirlemont & ceux de fon quartier, fe renouvellcnt par un des plus anciens Confeillers du Confeil de'Brabant, a qui le Confeil en donne la commiffion. Le grand Mayeur, qui eft 1'Officicr du Souverain, eft nommé par celui-ci : il eft a vie & paie ordinairement 5000 florins. Celui que 1'Empereur a nommé , il y a peu de temps & cette place, a été exempté de payer ce médianat. Je n'ai pas été a Lewe, & voici ce qu'on m'en a dit : que cette ville étoit fituée fur les frontieres dc 1'Evêché de Liege & dans un marais a deux lieues de Tirlemont & a quatre de Louvain ; que l'air y étoit très-mal fain, que les campagnes des environs, arrofées par la Geete, étoient très-fertilcs en grains , que cette riviere , dont on avoit élargi le Ht cn 1721 , étoit, depuis ce temps , navigable jufqu'a la Démer, ce qui facilitoit le tranfport des marchandifes de Liege par la Dyle a Malines & autres villes du Bra-  dans les Pays-Bas. 359 bant; qu'il y avoit dans Lewc unc grande Eglife dédiée a St. Léonard , dont le Chapitre étoit compofé dc huit Chanoines & d'un Doyen ; que cette même Eglife fcrvoit auffi a douze autres Chanoines féculiers de même état & de même condition que ceux dc Tirlemont; qu'il y avoit encore dans cette ville un Prieuré de Chanoines réguliers de St. Auguftin , un Couvent de Reiigieufes du tiers-Ordre de S. Francois, un autre de Reiigieufes de S. Auguftin & un Béguinage ; que la Maifon-de-Ville de Lewe étoit affez belle , enfin que cette Ville étoit une Mairie dont dépendoient fix villages. Ce qu'on m'a dit de la ville de Ha- . len , ne m'engagea pas a y aller; elle eft fituée fur la Gecte a 1'extrémité du Brabant & a cinq lieues & demie de Louvain. Landen n'en eft éloignée que de< cinq : c'eft une très-petite Ville fituée fur la Bccck , qui, aux yeux des antiquaires, eft trés - recommandable, paree qu'ils la confiderent comme la plus ancienne Ville  560 Le Voyageur. du Brabant : fuivant eux, elle a été batie fous Chilperic par Pepin , Duc de Tongres & de Brabant. D'autres antiquaires prétendent que Pepin n'a eu le furnora de Landen que paree qu'il y étoit né & qu'il y fut enterré en 647. Vous en croirez ce que vous voudrez ; mais je n'ai pas cru devoir aller fur les lieux cherchcr & éclaircir un point d'hiftoire fi peu important. Le courier qui va partir m'oblige! a remettre a demain a vous parler de: Judoigne. Je fuis, &c. Fin de la cinquieme Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O u LE TT RE S Sur 1'état a&uel de ces Pays. •f1" . -' ■ — » Felix qui potui: rerum cognofcere caufas! V I R G I L E. •< ■ i ,=i— • , —~ TOME SECOND. Sixieme Partie. * f t * $ x t / $ v § A AMSTERDAM, Chez Changuion, Libraire. On en trouve desExemplaires chez Emmanuel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. LXXXIII.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. L E T T R E XVIII. Louvain , ce . . .. Janvier 1783. D E Tirlemont, Monfieur , j'allai a Judoigne , petite ville fituée fur laGecte entre Louvain & Gcmblour , dont elle eft éloignée de quatre lieues : elle a titre de Vicomté : on y fuit la coutume de Louvain ; la Juftice y eft adminiflrrée par un Officier du Prince qui le nomme & qui a le titre de Bailli. Les autres Offi- Q *  364 Le Voyageur. ciers de Juftice & de Police font fcpt Echevins, dont cinq réfident fur les lieux & deux a Bruxelles qui font Echevins lettres , un Bourg-Meftre & un Greffier. Les cinq Echevins non lettrés ont 7 flor. par an de gage. Le Bourg-Meftre en recoit 50. Chaque Echevin retire encore par an , pour fon travail, environ 40 fl. Les Echevins réfidens & le Bourg-Meftre fe changent tous les ans, & lors de ce changement, le Seigneur de Judoigne retire 48 flor. de la table des pauvres. B y a a Judoigne un hópital, deux Paroifles , un Couvent de filles de S. Francois qui prennent foin des malades. Les pauvres y font fecourus , par ce qu'on nommc en Brabant la table des pauvres. Leurs revcnus forment trois recettes , adminiftrées par trois Receveurs la'ïcs , dont 1'un retire 30 feptiers dc fcigle & 1'autre 40. Les Bourgeois de Judoigne jouiflent de pluficurs privileges : ils ont un marché tous les Jeudi & trois foires par an.  dans les Pays-Bas. 365 On cultive du chanvre dans les environs de Judoigne ; il y a dans cette ville beaucoup dc pauvres qu'on pourroit employer a une manufacture de toile a fac qu'on y établiroit : on confomme beaucoup de ces toilcs a Louvain, & quand j'cn partis, un ncgociant dc cette ville qui y fait commerce de grains, me dit qu'il n'y en avoit pas dans toutes les boutiques une fculc nune. A Tirlemont cette toile fe tire de Liege, oü on la paie communément 30 efcalins la piece de 45 auncs. Les Hollandois qui tirent a préfent cette efpece de toile de Liege, les tireroient de Judoigne. Je fais d'un négociant de Louvain qu'un de fes correfpondans d'Hollande avoit acheté , il n'y a pas longtemps , de ces toiles pour envoycr a Surinam. Le commerce d'épiccrie en détail qui fe fait a Judoigne eft affez confidérable , paree que tous les environs y viennent s'y approvifionner. L'on m'a dit que lorfqu'il fut queftion Q 3  ;66 Le Voyageur. de la conftruclion de la chaufiee qui conduit de Louvain a Namur , Ton s'étoit propofe de la faire pafier par Judoigne, ce qui auroit été un grand avantagepour cette ville. II y a ici des gens qui s'imaginent qu'il y a a quelques lieues dc Judoigne une mine de plomb ; maisun homme qui connoit parfaitement lc pays, m'a dit qu'il croyoit qu'il en feroit de cette mine comme de la carrière d'ardoifc qu'on avoit imaginé quiy étoit & qu'on a cherchée envain. Malines , Monfieur, n'a pu voir fans jaloufie la confiruébon du canal de Louvain. Le? Malinois ont préfumé , & avec jufte raifon , que cc canal donneroit a Louvain plus des fept huiticmes du commerce de tranfit que faifoit Malines. Un habitant dc Bruxelles , nommé M. Fiocco, profiïant de ces allarmes, propofa aux Malinois d'ouvrir une navigation par la Dyle & la Dcmer depuis Malines jufqu'a Lummcn , au moyen de laquelle  dans les Pays-Bas. 367 Malines conferveroit fon commerce de tranfit. Malines góüta ce projet au point même que le corps des déchargeurs , pour en faciliter 1'exécution , s'obligerent a réduireleur falaire. Les Malinois nc voyoient pas que quand bien même.le projet de M. Fiocco réuflirpit, il n'en réfulteroit pour cux d'autres avantages que de confcrver lc tranfit pour la haute Allcmagne. Tout s'oppofe & s'oppofera- toujours a ce que Malines foit prcféréc a Louvain pour le tranfit fur Liege. Le voiturier qui charge des marchandifes a Louvain pour Liege , les y tranfporte en trois jours, tandis que le batelier qui part de Malines pour les y mener , ne fait jamais lc temps qu'il mettra pour y arrivcr : cela vicnt déPimpofllbïfitë denaviguer en tout temps fur la Demer , & de ce que de Lummen a Haficlt il y a trois lieues de chemin de terre , & dc Haffeit a Liege fix lieues de chaufiee , tandis que de Louvain a Liege il n'y a que quatorzc lieues, y compris la traverféc des Villes. Q 4  368 Le Voyageur. Le Gouvernement permit;a M. Fiocco pe travailler a Fexécution de fon projet; & cn conféqucncc M. Fiocco fit travailler a 1'élargiflement de la Dyle & de la Demer, & a la démolition des ponts qui pouvoient en gêner la navigation; mais tous les travaux qu'il a fait ont été en pure perte. L'on m'a affuré qu'un bateau chargé de pieces d'eau-de-vic , venant de Malines, qu'avoit fait partir M. Fiocco , n'avoit pu aller au-dela de Dieft, & qu'il avoit fallu dccharger les tonneaux & les voiturer par terre a Lummen. Si l'on vouloit favorifer Malines, l'on pourroit ouvrir un canal de cette ville a Haffeit; mais cela ne pourroit fe faire qu'aux dépens du Roulage qui donne au Pays un bénéfice certain qui mérite bien plus de confidération que celui que donneroit au Souverain le tranfit par Malincs. Un bateau pourroit tranfporter iooooo pefant dc Malines par Dieft a Hafielt; mais pour tranfporter cette charge de Louvain a Orfmal,s'il faut dix chariots, ccsdix  dans les Pays-Bas. 369 chariots confomment des productions du canton par oü ils palfent, ce qui mérite de la part du Gouvernement la plus grande confidéraiion. La confommation d'un feul de ces chariots eft plus grande que le feroit celle du bateau chargé de ces iocooo pefant. Un des projets de feu le Comte de Cobenzl , étoit de faire communiquer 1'Efcaut avec le Rhin , lui faifant traverfer la Meufe & la Demer. La Flandre auroit pu tirer de grands avantages dc cette jonction , mais le Brabant y auroit perdu confidérablement.Lc Brabant n'anroit alors plus rien expédié pour Cologne & Francfort 9 pour Vienne par le Luxembourg , & pour la Lorraine. L'on pourroit dire que cette jonclion öteroitaux Hollandois une partie dc leur commerce, oui ; mais pour cela il faudroit que la Hollande ne changeat rien a la perception des droits qu'elle leve fur le Rhin : ces droits font déja diminués pour les laines d'Efpagne , qui, è préfent f ne paicnt qu'un florin par balie * Q 5  o7° Le Voyageur. de quelquc groffeur que foit cette balie. II eft plus que probable que fi la Hollande voyoit le Gouvernement Autrichien s'occupcr de 1'exécution du Comte de Cobenzl , elle öteroit auffi-tót tous les droits qu'elle percoit fur le Rhin. Le prix du fret dc Cadix a Oftende eft le même que de Cadix a Dort, & certainement il en coütera moins de frais de tranfport de Dort a Cologne par le Rhin , que d'Oftende a Cologne , vu les droits qu'il faudra payer , tant fur les canaux que fur les rivieres. Un exemple vous le démontrera. Unc pinace qui pone iooooo pefant, paie d'ici a Oftende pour droits dc tirage, d'cclufe, &c. 60 flor tant pour 1'aller que pour le revenir, & cela pour un efpace de 18 lieues de canal & de huit lieues de riviere : que feroit-ce s'il falloit que cette même pinace franchit la Dyle de Willebroek a la Demer par Malines jufqu'au village deWeygmael, a une lieuc d'ici, & puis la Dcmcr jufqu'au-dela. de Dieft; enfin, le canal  dans les Pays-Bas. S71 de Dieft a Ruremondc , d'oü defcendant la Mcufc , elle iroit vers Venlo pour y entrer dans un canal qu'il faudroit eonftruire & entretcnir prés des rochers ou fur des rochers jufqu'au Rhin, prés de Kuy'fert-Wert * J'ai dcmandé a plufieurs perfonnes quel étoit le plan dc M. de Cobenzl, & je nTai pu avoir fur cela aucun éclairciflement qui m'ait fatisfait fur le point oü ce Miniftre fe propofoit de faire la jonction des rivieres ; mais ce que je iais r c'eft que fi cette jonétion avoit lieu, Louvain perdroit plus des trois quarts de fon commerce de tranfit, & que Ie pays fe verroit privé des avantages que lui procure lc roulage de Louvain fur Tirlemont, le Limbourg & 1'AUemagne.De nouvelles chauffées qu'on conftruiroit a moins de frais & en moins de temps qu'il n'en faudroit pour opérer la jonétion projettée, produiroient le même effet que cette jonction: cette jonaion coüteroit des fommes Q 6  572 Le Voyageur. immenfes , puifqu'elle ne pourroit fe faire que par le moyen des canaux qu'il faudroit conftruire. Sans cela la ville de Dieft feroit expofée a être fubmergéc par les eaux de la Meufe , a quoi celles de la Denier 1'expofent déja depuis le iit droit qu'on a donné a eette rivierc depuis lc pays de Liege jufqu'a Dieft. Un canal ne procure aux habitans du pays oü il paffe que peu de circulation d'argent, tandis que la chauffée qui le traverfe y occafionne une confommation continuelle. Si vous parcourjez, me difoit hier un négociant de cette ville ,les bords du canal de Louvain , vocs ne verriez que quelques mafures habitées par les éclufiers & les gardes des ponts. AUez de Louvain a Tirlemont & vous verrez fur ks trois lieues de chauffée que vous traverfercz , plus de cinquante maifons qui bordent cette chauffée : on y débite de la bierre , de 1'eau-de-vie , du café & autres denrées qui paient au Souverain &  ba ns les Pays-Bas. 573. aux Etats des droits .confidérables. Une chauffée fait vivre 100 perfonnes, tandis qu'un canal dans le même efpace de terrein n'en aliraente pas dix. Je fuis, &c»  $74 Le Voyageur. LETTRE XIX. A 1'Auteur du Voyageur. Louvain , ce.. .. Janvier 1783. V o u s avez mal vu , Monfieur , & vous avez été trés-mal informé. La Régie de notre canal eft, on ne peut pas plus, attcntive, & la meilleure preuve que je puiffe yous en donncr , c'eft J'inütilité des plaintes qu'on a porté contr'elle dans une requête qui-a été préfentée a notre Souverain lors de- fon paffage dans cette ville. On fe plaignoit dans cette requétc de ce que le petit canal n'étoit pas navigable, de ce que le revenu du canal étoit mal employé ; enfin de la démolition du Chateau dc Céfar : vous fcntez bien que cette requête nc feroit pas reftée fans effet , fi ce qu'elle contenoit eüt eu quelques fondemens.  dans les Pays-Bas. 375 Je fuis fi impartial, Monfieur , que je convicndrai avec vous que les réparations du pont de Campenhout ont occafionné 1'année derniere la fermeture du canal pendant environ vingt jours 5 qu'enfuite la navigation du canal a été intcrrompue par les réparations qu'on fut obligé de faire a Tildouck, & que tout ce que vous dites a 1'occafion des portes de 1'éclufe de Campenhout eft très-vrai. Vous dites qu'on fut obligé d'y décharger lc batelicr Schollart ; mais pourquoi n'avezvous pas- auffi fait mention du déchargement' d'un ou de deux bateaux que firent faire Mrs. Romberg 1 Je conviens encore que plufieurs bateliers ont été arrêtés dans leur navigation , mais eft - il jufte d'cn rcjetter la faute fur ceux qui font chargés de la Régie du canal °ï Vous ïgnorcz fans döute qu'un Ingénieur de S. M. a été employé , pendant une grande partie dc 1'année . derniere , a combincr les moyens qu'on pourroit employer pour donner au canal toute la perfeclion qu'il  Le Voyageur peut avoir. Au Printemps l'on conftruira un nouveau pont entre les deux bafïïns, mais on aura grande attention de le faire dans le temps le plus favorable : foyez sur, Monfieur, que la fage & vigilante Régie de notre canal y donnera la même attention qu'elle a donnée lors de 1'approfondifTement du petit canal, qui eft on ne peut pas plus navigablc , & qu'on entretient avec un foin extréme. Soyez affuré qu'a 1'avenir , lorfqu'on voudra faire des réparations au canal, la Régie ne manquera pas d'en inftruire le public. Je fuis, &c  dans les Pays-Bas. 377 LETTRE XX. Louvain, ce..,. Janvier 1783. E fiecle , Monfieur , eft lc fiecle des révolutions : celle qui fe prépare fera la plus étonnante ; elle produira un grand changement : puiflc-t-cllc n'être pas une fource inépuifable de guerrc ! Dépouiller lc Croifiant de fes poffefiions^d'Europe eft un des projets que le fuccès feul peut juftifier : il eft grand & digne du Prince qui fe propofe de Pexécuter : s'il -1'exécute, il acquérera la plus grande célébrité: fon alliance avec la Ruflie femble lui en aflurer le fuccès. La Ruflie a le même intérêt que 1'Empercur a Paffoibliflcment de 1'Empire Ottoman , mais 1'Empereur a de plus grands motifs que la Ruflie ;\ forcer le graad Seigneur a porter en Afie le Siege de fon Empire. La conquête de Conftantinople donnera aux fujets de Sa  $?8 Le Voyageur. Majefté Imp. le commerce dc la Médkerraiiée & celui des Indcs Orientales: fes Royaumes de Hongrie & dc Bohème , de pauvres qu'ils font aujourd'hui, deviendront riches & fes poffeffions d'Italie bien plus précieufes qu'elles nc lc font préfentcment. Le commerce des Pays-Bas Autrichiens fe portera vers le levant, & ce feront les fabriques dc draps dc ces Pays qui fabriqueront ces draps legers , que la France, 1'Angleterre & la Hollande y envoient préfcntement. Puiffent ces trois Puifl'anees voir avec indifférence cette augmentation de puiffance dc la Maifon d'Autriche ! PuhTcnt - elles préfércr les intéréts de 1'humanité a ceux de leur commerce ! Si elles n'ccoutent que leur politique, elles felivrcront aux confeils de la Maifon de Brandebourg, & lc fléau de la guerre ravagera toutes les parties de 1'Europe. La Pruffc feule ne peut rien contre lesforces reünies dc 1'Autrichc & de la Ruflie , & fi la France confent au démembrement de la Turquie,  dans les Pays-Bas. 379 les Puiffanccs de 1'Empire le verront auffi avec indifférencc. La France ne doit pas defircr de s'aggrandir, & fon commerce eft, en quelque forte, independant de celui de toutes les autres Puiffanccs , qui , quelque floriffant qu'il foit , ne le fera jamais aux dépens des branches de commerce que la France feule a & aura toujours. C'eft lc commerce de 1'Angleterre , c'eft celui dc la Hollande qui feuls fouffriront de 1'accroiffement du commerce des fujets de Sa Majefté Imp. La Pruffe eft véritablemcnt intérefféc a cc que 1'Autriche n'acquiert pas une plus grande puiffance que celle qu'elle a préfentcment '•> mais a la garantie de la France, fi la Ruffie joignoit la ficnne pour affurer a la Pruffe la Siléfie , je crois que la Pruffe feroit tout-a-fait lans motif de traverfer la conquête de la Turquie Europécttne. L'Autriche & la Ruffie pourroient encore affurer a la Pruffe les parties des Duchcs de Clèvcs & de Juliers, fur lefqucls la Pruffe a des prctentions, en fe  380 Le Voya&eür. chargeant de dédommager la Maifon Pa. latine. Plus la Pruffe acquérera de force & de puilfance , moins la France aura d'intérêts politiques a s'oppofer & Paggrandiffement de la puilfance Autrichiennc. Le vrai moyen dc banir dc PEurope lc fléau de la guerre , feroit que les Maifons de France , d'Autriche & de Brandebourg s'unilfent étroitement avec la Ruffie. Ces quatre Puiffances n'ont véritablemcnt aucun intérêt & être ennemies: elles en ont au contraire un très-grand a être amies. Au Printcmps prochain , PAutriche & la Ruffie pourront avoir plus cle 500000 hommes fous les armes, & aooooo font plus que fuffifans pour combattre le Turc. II y a une fi grande différence entre des troupes difciplinées, comme le font celles de PEmpereur & de PImpératrice, & celles du Grand Seigneur , dont toute Ia force eft dans les préjugés de leur religion , qu'on peut hardiment croire qu'elles nc pourront a force égale combattre jamais avec avantage , même pour la dé-  dans les Pays-Bas. 381 fenfe de leurs foyers. Le courage d'un. Peuple efclave eft fans motif: un peuple libre en a de très-grands d'être brave & courageux : il craint le déshonneur, & Pamour de la gloire lui fait braver les plus grands dangers , tandis que le Peuple efclave ne méprife la mort que paree qu'il móprife la vie. Je fuis, &c.  382 Le Voyageur C========#========2 LETTRE XXI. Zouyain , ce.... Janvier 1783. I L n'y a pas beaucoup plus d'un fiecle , Monfieur, qu'on faiibit du vin a Louvain & dans fes environs. Pcrcival qui ccrivoit en 1667 , dit que les Carmes déchauffés de cette ville , qui ont ici deux maiions , en recueilloient dans un de leur enclos 13 a 14 aimes tous les ans , & quelquefois davantage. Ce petit vignoble n'exifte plus : il n'étoit surement pas le fcul qui exiftat alors dans le Brabant. Je fuis perfuadé que la, vigne pourroit y réuffir encore dans quelques cantons oü on la plantcroit fur des. cöteaux bien expofés. Ori rccucille du vin dans le pays de Liege, & celui des Chartreux de cette ville que j'y ai bu , m'a paru très-potable. II y a des vignes dans la Picardie , & cette Province de la France diffcrc peu  ba ns les Pays-Bas. 385 du Brabant pour le climat & pour lc fol. Le climat de la Lorrainc & du pays de Meffin reffemble beaucoup a celui du Brabant, & on y recueillc dc bons vins. On en boit auffi a Namur qu'on nomme vin de Buley. La portc dc Louvain qu'on nomme aujourd'hui porte de Bruxelles, fe nommoit anciennement porte des vignes. Sur les montagncs de Low qu'on trouve en fortant par la porte de Tirlemont , il y avoit amrcfois des vignes. Le climat de Louvain eft le même que celui de Bruxelles : on y refpire dans cette faifon un air humide qui feroit peutêtre plus fain fi les rues étoient plus foigneufcment nettoyées. Quand il pleut a Louvain , on ne fe douteroit pas que les rues fuffent pavées; c'eft unc boue, ce font des immondices qui en rendent le féjour très-défagréable. II eft vrai qu'on peut faire lc même reprochca Bruxelles , dont les rues lont comme celles de Louvain impraiicablcs -pour les piétons en temps de plu ie & dc neige. II y a encore dan*.  384 Le Voyageur. Louvain nombre de maifons bades en bois; mais elles font fort vicilles, & quand on les reconftruira, on les rebatira en pierres ou en briques; car je crois qu'il y a une loi qui défend de les réconftruire en bois, & que cette loi eft même pour toutes les villes du Brabant. B eft étonnant que les rues dc Louvain ne foient pas éclairées la nuit comme celles de Bruxelles. L'on m'a alfuré qu'on établiroit eet hiver a Louvain des réverberes fcmblables a ceux de Bruxelles. L'Hötel-de-Ville de Louvain eft un beau batiment gothique: Ia première pierre en fut pofée en 1448 , &il ne fut achevé qu'en 1458. L'Architeclure en eft réguliere : ce batiment a dix croifécs en face, trois étages & point de rez-de-chauffée : on y entre par deux portes qui tiennent lieu de deux croifées, & auxquelles l'on parvient par un peron. Les habitans font beaucoup de cas des trois tourelles qui s'élevent dc chaque cöté au-delfus de 1'édifice autour duquel regne une galerie. LHópital  dans les Pays-Bas. 385 L'Höpital dc Louvain eft bien plus riche que celui de Bruxelles, mais perfonne ne m'a pu dire qucl étoit fon revenu. Les pauvres malades y font bien foignés par des reiigieufes qui font fous la direótion , ainfi que Phdjpïtal, de trois Prêtres , dont deux logent dans 1'hópital & y font nourris. B y a encore une maifon de charité vers la porte dc Dieft , & qu'on nomme la table du grand St. Efprit : elle a plus de 100000 florins de revenus. On y diftribue de 1'argent , du pain , des grains, des bas , des chemifes , a tous les pauvres dc la ville, indiftinctement : il fe fait en outre une diftribution femblable dans chaque Paroifle. L'on m'a dit qu'il y avoit encore ici nombre defondations pieufes, tant pour les hommes que pour les femmes, qui étoient adminiftrées chacune par un Receveur particulier, payé aux dépens des pauvres. B vaudroit mieux vendre les biensfonds de toutes ces fondations; verfer le produit de leur vente dans le tréfor de 11. Tornt. Partie. VI. R  386 Le Voyageur la ville , qui en paycroit la rente aux pauvres. Un nomme qui n'eft pas pauvre peut-il , fans rougir , être logé , nourri , chaulfé & éclairé aux dépens des pauvres, comme les Receveurs de ces fondations5) Les habitans de Louvain font charitables, & peut-être même le font-ils trop: car quand le pauvre a la ccrtitude d'être fecouru , il devicnt parefleux. Dans prefque tous les Colleges de Louvain, on diftribue tous les jours la foupe aux pauvres : cette diftribution journaliere les rend indolens, au point même de refufer quelquefois le travail qu'on leur offre. Daus tous les cabarets il y a toujours une cruche de Peeterman qu'on nomme la cruche des pauvres. Cette aumöne ne fe fait pas aux dépens du cabaretier : cc font ceux qui viennent boire la Peeterman qui lui paicnt celle qu'ils 'diftribuent aux pauvres. Les vrais gourmets imaginent que la Peeterman perd de fon goüt & de fa faveur, fi elle féjournc plus d'un quart - d'heure dans le  » ans les Pays -Bas 387 verre -dans Icquel on Pa tiréc ; de maniere qu'après avoir fait rcmplir leur vidrecome, ils font verfer dans la cruche des pauvres tout ce qui refte dans leur vidrecome. B y a ici, Monfieur , comme a Bruxelles, des métiers qui pourvoient a la fubfiftance des maitres indigens & des ouvriers qu'ils emploient. Cela me rappelle Paffociation (*) des tailleurs de Londres, de Wcfminfter & des environs que j'ai vu formcr en 1771 , en faveur de leurs garcons , pour établir une caifie pour les foulager dans leur vieillefic & dans leurs infirmités, & nourrir les veuves & les enfans orphelins de ces ouvriers. Je fuis, &c. (*) Précis de l'affociation des Tailleurs de Londres. a n t tiré une copic de Pa.cte 'de cette afibciation , j'ai cru devoir en rapporter ici unc partie comme un modele que pourroient fuivre tous les corps & R a  •88 Le Voyageur métiers qui fe propoferoient de former une affociation de cette efpece. Nous ne prétendons pas , difent les Tailleurs dans facie , ufurper une autorité injufte fur nos ouvriers ; nous ne nous propofons que de prévenir leurs plaintes, d'entretenir entre cux & nous une bonne intelligence , & de les cngager a la fubordination & k la docilité, en exèrcant a leur égard les devoirs de 1'humanité que les loix divines & humaines nous prefcrivent. Les principaux articles de eet aéte font: l°. Tous les maitres contribueront i! proportion du nombre des ouvriers; qu'ils employeront : lefdits ouvriers au- • -tont droit de participer aux diftribu-' tions de la caiffe fix mois après qu'ils i auront été inferits. 1°. Ceux qui fe contentcront des falairesi légitimes & juftes que leur travail &i capacité móriteront, auront feuls droiti au tfecours de 1'afibciation; & ils ccf-' feront d'y prétendre au moment oü il* feront recus maitrcs.  dans les Pays-Bas. 389 30. Tout garcon tailleur qui fera infcrit, recevra lorfqu'il tombera malade , 10 fchcllins 6 pences par fcmaine. Si la maladie dure plus de fix mois, il ne rccevra, après les fix mois paffes , que 5 fchellings & 3 pences par feraaine. 4°. Ceux qui auront contradté dans leur enfance quelque maladie, recu quelques bleflures , fi cc n'eft dans le cas d'une defenfe légitime, ne feront pas admis a demander les fecours de 1'affociation; non plus que ceux qui par leur débauche , fe feront mis volontairement dans 1'impuilfance de travailler. 50. Trois fchellings & fix pences feront donnés fa vie durarit, a tout ouvrier qui aura perdu la vue, ou que fon grand agc aura mis dans 1'impoffibilité de travailler. 6°. A chaque enfant qui naltra a un ouvrier infcrit depuis un an , il fera donné une euinéc.  59° LeVoyageuu. 7°. Ce ne fera qu'au feptieme jour de fa maladie qu'un ouvrier pourra recevoir le fecours de 1'affociation. 8°. Aucun ouvrier, de quelque nation qu'il foit, s'il eft réfidcnt tt Londrcs ou dans Wcftminfter, ne pourra être privé defdits fecours;  bans les Pays-Bas, 391 t =^====3 L E T T R E XXII. Louvain , ce . . . . Février 1783. J'a 1 prorité , Monfieur, du beau temps qu*il a fait hier pour aller voir 1'Abbaye e dc Pare, qui eft h' une grande licuc de Louvain, entre cette ville & celle de Herve : cette Abbaye tirc fon nom dc 1'état primitif de Pendos qu'elle occupe. C'étoit un pare oü les Souverains du Brabant prenoient le plaifir de la chaffc. Lc Duc Geofroy-le-Barbu , qui mourut en 1140 , ordonna en 1129 , que fon pare füt a Pa venir employé al'ufagc d'un Monattere de 1'Ordre de Prémontré , qu'il y fit batir & qu'il peupla des Religieus de eet Ordre , qu'il fit venir de Laon en Champagne : dés les premiers momens de leurs établiffemens, leur fupérieur eut le titre d'Abbé , mais ce nc fut que le i3me. de leurs Abbés qui obtint du Pape les R 4  39^ Le Voyageur honneurs de la croffe & dc la mitre : cette Abbaye a toujours joui de la plus grande reputation , tant pour la pureté des moeurs que pour la régularité de fa conduite en tout genre ; elle n'a fouffert aucune efpecc de réformc : elle a eu 1'avantage d'être toujours gouvernée par des Abbés d'un grand mérite. Le plus célebre a été Libert de Pape , qui recut Ia mitre en 1648, quoiqu'il n'eüt que 30 ans : celui qui la porte aujourd'hui fe nomme Wouters. Je ne Ie trouvai pas a fon Abbaye: il étoit a Bruxelles : fes Rcligieux m'en ont parlé comme des enfans tendres parient de leur pere : il vit avec eux comme avec fes amis & fes freres : auffi regnet-il entr'cux la plus grande union. L'Abbé de Pare adminiftre le temporcl de fon Abbaye avec la plus grande fagcfie : il recoit bien les étrangers, mais fans ce fafte &z cette profufion monacale de nos Abbayes d'Artois & de la Flandre Francoife. L'Abbaye de Pare eft fort riche , & d'autant plus riche que fon Abbé eft en-  b ans les Pays-Bas. 393 ncmi de la chicane, dont la voracité abforbe ordinairement une partie du revenu des riches Abbaycs. L'Abbaye de Pare doit être en été un féjour charmant ; elle eft fituée fur une colline affez élevée; on y arrivé par dc belles avenues de beaux arbres; les cours en font grandes & les batimens bien entretenus. Le quartier de 1'Abbé eft beau & d'une belle fimplicité. L'Eglife eft ornée de beaux tableaux. Prés de 1'Abbaye & au levant, eft un beau bois, & au midi un vafte vivicr. L'Abbaye de Pare poffede une Bibliotheque affez confidérable, mais riche en manufcrits. Lc Bibliothécaire m'a fait remarquer une Biblc écrite fur Velin en 1148, & une autre en 3 vol. avec une chronologie qui va jufqu'en 1300 : ces deux manufcrits ont été fort utiles aux Docteurs de Louvain qui fe propofoient de donner une nouvelle édition de la Bible. Les autres principaux manufcrits R 5  394 Le Voyageur font les oeuvres de St. Auguftin , de St. Jéröme , de St. Ambroife & de St. Grégoire le Grand. L'Abbaye de Pare poffedc un beau tableau de Crayer ; je 1'ai examiné avec attention & ne 1'ai pas trouvé inférieur aux plus beaux de cc maitre que j'avois vu auparavant, foit a Louvain, foit a Bruxelles : c'eft une Adoration des Bergers : il décore le Maitre-Autel de 1'Eglife. Cette Abbaye poffedc trois beaux tableaux dc Verhaeghen , 1'un repréfente une Adoration desMagcs, 1'autre la Purification & le troiiieme un Scribe affis dans un fauteuil & un vieillard. Je fuis, &c,  dans les Pays-Bas. 395 LETTRE XXIII. Louvain , ce .. . Février 1783. Ïl étoit trés-important, Monfieur , pour lc commerce des habitans des Pays-Bas Autrichiens, qu'un de leurs Ports fut déclaré franc. La proximité du Port de Dunkerque , qui jouifibit de cette franchiié depuis 1662 , étoit un motif puiffant pour qu'on 1'accordat ou au Port d'Oftende ou a celui de Bruges : celui-ci pouvoit allégucr en fa faveur que c'étoit la franchife du Port de Dunkerque qui lui avoit fait perdre prefque toute fa navigation & fon commerce d'entrepöt, qui auparavant avoient été très-florifians. Le Pays dont le Port eft franc, en retire de très-grands avantages, tant pour fa navigation que pour fon commerce extérieur & intérieur , paree qu'il offre aux navigateurs étrangers des avantages conR 6  39-6 Le Voyageur fidérables qu'ils ne rencontrent pas dans les Ports qui ne font pas francs. II n'eft pas dans 1'Europe de Pays plus favorablemcnt fitué pour un Port franc que les Pays-Bas Autrichiens. Au centre de PEuropc , ils font entre le nord & le midi , & offrcnt par conféquent, par le moyen d'un Port franc , un entrepot pour toutes les marchandifes du nord & du midi. Au moyen de eet entrepot les navigateurs raccourcifient leur voyagc de moitié , ne s'expofcnt pas auxrifques qu'ils pourroient courir, foit' dans la Manche , foit dans le Pas de Calais, & plus encore dans les mers du nord : ils font plus de voyages , paree que leurs armemens font moins coüteux. Si Bruges a été depuis le iame. fiecle jufqu'au i^me. exclufivement, la ville la plus commercante de PEurope , c'eft que fon Port jouiifoit de beaucoup de franchife & dc liberté; il étoit un étape ou un entrepot général pour toutes les nations du monde enticr. D'autres Ports  dans les Pays-Bas. 397 ont obtcnu de leurs Souverains les mêmes llbertés & les mêmes franchifes , & celui de Bruges a vu, peu-a-peu , ion commerce diminuer en proportion de ce que celui des Ports francs des autres nations augmentoit. B étoit donc naturel que la ville de Bruges demandat la préférence fur celle d'Oftende qui, en 1756,prétendoit comme elle a la franchifc pour fon Port. J'ai fous les yeux le Mémoire que donncrent au Gouvernement les Magiftrats de Bruges : ce Mémoire m'a paru bien fait : on y établiffoit d'abord les avantages que les Provinces devoient retirer dc 1'établiflement d'un Port franc : ces avantages font fi grands & li récls , que jc ne concois pas comment on a pu être fi long-temps a établir cette franchife. Un Port franc , 'difoit en fubftance 1'Autcur du Mémoire , facilitera & augmentera V exportation des produclions de nos manufaclures, & par conféquent affurera Vemploi des matieres premières de notre crü , & auffi Vexporta-  398 Le Voyageur. tion du fuperflu de nos denrées. Si nos manufaclures ont de Pactivité, elles importeront beaucoup de matieres premières de Vétranger, & il s'en fuivra néceffairement un e'change confidérable de nos marchandifes contre celles de 1'étranger. Nos matelots au-lieu d'aller che\ Vétranger refteront dans nos Ports & fur nos cótes, paree qu'ils feront certains d'être employés pour la navigation nationale. Le revenu du Souverain augmentera, de même que la population de nos Provinces. L'Auteur du Mémoire entre dans quelques détails fur les objets que fon pays pourra échanger ; avec le nord, dit-il, nous échangerons nos toiles, nos dentelles , nos fils , nos faies, nos bafins , nos grains , &c. contre des chanvres, de la poix, du goudron , des pelleteries & autres produclions : d la France nous donnerons pour fes vins , fes eaux-de-vie , des huiles , du co ton filé, des laines , foit du pays , foit d'Efpagne ou d'Angleterre. D ne dit rien des échanges a faire avec  dans les Pays-Bas. 399 la Hollande & 1'Anglcterre, paree que ces deux pays ne tirent rien des productions des Pays-Bas, vu 1'inégalité des tarifs qui empêche, dit-il, la concurrence. L'Auteur fait voir enfuite quels font les avantages que les habitans de la ville dont le Port eft franc, retirent dc cette franchife. C'eft le bénéfice de la coramiffion ,• c'eft celui du magafinage , c'eft 1'emploi d'un grand nombre de bras, c'eft 1'augmentation du prix des loyers , c'eft le chargement & le déehargement, & enfin c'eft une vente & un achat plus grand & plus aaif, & fur-tout une circulation plus rapidc du numéraire. Bruges, fuivant 1'Auteur du Mémoire, eft une ville plus propre que celle d'Oftende pour être un Port franc ; pour cela il établit, d'après le local des deux Ports, qu'il eft auffi difficile d'empêcher a Oftende la fraude de la réexportation , qu'il eft aifé d'y mettre des obftacles infurmontables a Bruges. Quelques gardes fuffiroient pour empêcher cette fraude Jt Bruges &  400 Le Voyag eur. a Oftende, il en faudroit plufieurs milliers. A 1'époque du Mémoire on n'auroit pas pu emmagafiner & Oftende une charge de trentc vaifleaux , tandis qu'il y avoit a Bruges des magafins particuliers trèseonfidérables , deux grandes halles & plufieurs quais trés - commodes pour lc chargement & le déchargemcnt des vaiffeaux. Les magafins d'Oftende étoient fouvent expofés aux inondations, tandis qu'ils ne Pétoient jamais a Bruges. Le feul quai qu'il y avoit alors a Oftende pouvoit a peine fervir au chargement & déchargemcnt de dix vailfeaux , fculcment pendant huit a neuf heures chaque jour. L'cffet naturel de la franchife qu'on accorde a un Port, eft d'en augmenter la population. L'enccinte de Bruges étoit aflez grande & lc nombre de fes maifons aflez confidérable pour fuffire a une augmentation de population de 30000 ames, tandis qu'Oftende dans Pétat oü elle étoit alors, nc pouvoit pas fuffire a un furcroït de 2000 ames.  DANS 1/ E S «P A Y S-B A S. 401 Lc canal que la France avoit fait conftruire pour joindre 1'Aa a la Lys; la chaufiee qu'elle faifoit faire pour conduire de Lille a Dunkerque , en pafiant par Bailleuil & Caifcl, annoncoit aflez que fon projet étoit d'abandonner la route d'Ypres, & par conféquent que les marchandifes du commerce de la Flandre Francoife , ne pafleroient plus fur les terres de la domination Autrichienne. Toutes les marchandifes que les commercans de Lille envoyoient en Efpagne, en Portugal & cn Amérique , partoient du Port de Dunkerque , de même qu'y abordoient auffi toutes les matieres premières qu'ils employoient dans leurs manufaétures. Si on eüt rendu franc le Port de Bruges, les négocians de la Flandre Francoife auroient eu un grand motif de le prcférer a celui dc Dunkerque , puifque ;a route de Lille a Bruges auroit été de trois lieues plus courte que celle dc Lille a Dunkerque cn pafiant par Bailleul. Oftende offroit le même avantage pour la diftance  4oa Le Voyageur des lieues, mais au moyen des doublé débarquemens & cmbarquemens, des retards & des dégats qui en devoient naturellement réfulter , la route de Lille a Oftende devoit devcnir plus frayeufe que celle de Lille a Dunkerque. On ne pouvoit douter que les villes de 1'intérieur ne retiralfent de plus grands avantages dc la franchife du Port de Bruges que dc celle du Port d'Oftende , puifqu'il leur auroit été plus facile de faire tranfporter leurs marchandifes a Bruges qu'a Oftende. II eft ccrtain que les négocians de Gand , de Courtrai & des autres villes auroient eu plus d'avantagcs a faire leurs emplettes a Bruges qu'a Oftende. En faveur de la Ville de Bruges, on pouvoit encore dirc qu'en 1756 elle renfermoit beaucoup plus de maifonsde commerce qu'il n'y cn avoit a Oftende ; mais c'étoit unc bien foiblc raifon de préférence , car il étoit certain qu'elle devoit celfer d'avoir aucune force du moment qu'Oftende auroit été Port franc , & qu'a-  dans ij es Pays-Bas. 403 lors il fe feroit établi a Oftende une trésgrande quantité de nouvellcs maifons, ainfi que cela eft arrivé depuis que la franchife a été accordée a fon Port. Si l'on préfere a notre Port celui d'Oftende pour en faire un Port franc, difoient les habitans de Bruges , la perception des droits d'entrée & de fortie de Sa Majefté en fouffrira beaucoup , vu qu'il fera bien plus facile de frauder ces droits d Oftende qu'a Bruges. Pour obtcnir la franchife de fon Port, Oftende offroit de payer au Souveram tous les ans, par forme d'abonnement pour droits de confommation de fes habitans , 4000 flor. ceux de Bruges en offroient pour le même objet 40000 flor. On objeétoit a. Bruges qu'elle étoit a 4 lieues de la mer; mais Bruges répondoit qu'étant, il y avoit fix fieclcs, éloignée de trois lieues de la mer, elle n'en avoit pas moins été alors une ville franche , une étape générale qu'on préféroit a la ville de 1'Eclufe , qui étoit par rapport a elle ,  404 Le Voyageur dans la même pofition oü eft aujourd'hui Oftende ; que d'ailleurs Hambourg étoit a 20 lieues de la pleine mer, Bremen a 18 lieues, Bayonnc a 3 lieues, Livourne & Amfterdam a 22 lieues , Londres a 14 lieues, Nantes a 18 & Anvers a 15 , & que toutes ces villes cependant faifoient un commerce trés - floriffant. Ce qui eft certain, c'eft que lorfqu'en 1752 , il fut mis cn délibération , fi on ne déclareroit pas Port franc celui d'Amfterdam , pcrfonne ne propofa de lui préférer le Texel. L'on m'a dit que pour concilicr les intéréts du Port d'Oftende & de celui de Bruges, on avoit propofé d'accorder la franchife a celui d'Oftende feulcment pour les marchandifes vcnant par mer & devant refibrtir par mer , & a Bruges pour celles qui feroient deftinées è tranfiter ou a être confommées dans le pays; mais on eut raifon dc nc pas faire cette divifion qui auroit produit une grande confufion dans les affaires du commerce , fans produire aucun bien ni pour 1'un, ni pour 1'autre  dans les Pays-Bas. 405 Port. Je ne fais pas cc qui a pu déterminer le Gouvernement a donner la préfércnce a Oftende ; il faut qu'il ait eu de puiffans motifs, puifque Bruges offroit de payer au Souverain 50000 flor. s'il vouloit lui accorder la franchife feulement pour 15 ans. Je fuis, &c.  406 Le Voyageur. C —31' L E T T R E XXIV. louvain, ce.... Fe'vrier 1783. J E ne connois pas, Monfieur, de ville en Europe oü il y .ait plus de cabarets qu'a Louvain : perfonnc ne rougit d'y aller même a toute heure du jour; mais c'eft le foir oü ils font le plus fréquentés, fur-tout par les négocians qui.s'y raflemblent pour traiter des affaires de leur commerce : il vaudroit mieux qu'ils fe viflent chez eux ; il en réfulteroit plus d'union entre les families & plus de ces liaifons intimes qui facilitcroiént les entreprifes du commerce. Les'jeunes gens même vont ici au cabaret, & leurs parens ne le trouvent pas mauvais : ils en contractent 1'habitude auffi-töt qu'ils ont abandonné le porte-feuille, ce qu'ils font, m'at-on dit, très-peu de temps après 1'avoir pris. II eft très-rare qu'ils achcvcnt leurs  dans les Pays-Bas. 407 humanités quand leurs parens les deftinent au commerce : c'eft la fuitc de Po» pinion oü ils font, fans doute, qu'un négociant fait tout ce qu'il doit favoir quand il fait lire, écrirc & chiffrer. Les Anglois croicnt au contraire qu'un négociant doit être très-inftruit: auffi veillentils avec le plus grand foin a 1'éducation de leurs enfans. Un Anglois qui dcftine fon rils au commerce , lui fait apprendre les langues; il veut qu'il • ait au moins la théorie des arts utiles, qu'il connoiffe la pofition des pays, qu'il ait une idee des moeurs des différens peuples , de leurs ufages , de leurs coutumes, mais c'eft fur-tout les principes dc la morale qu'il lui enfeigne avec la plus grande exaétitude , dc-la vient ccttc exacte probité du commercant Anglois, & dont il eft tresrare qn'il fe départiffe, même dans les plus petites chofes. Ne croyez pas cependant , Monfieur , que tous les négocians de cette ville négligent 1'éducation de leurs enfans: je connois ici plufieursjeunes  408 Le Voyageur. gens très-inftruits, & qui ne font entrés dans la carrière qu'après avoir acquis toutes les connoiflances néceffhires pour la parcourir avec le plus grand fuccès. De la liberté que les parens laiffent a leurs enfans d'aUer au cabaret, il doit en arriver néceffairement un éloignement pour toute efpece de gêne & de contrainte : ils fuient la fociété des femmes, paree qu'il faudroit qu'ils y fuffent réfervés dans leurs propos, qu'ils y euffent un maintien honnête , & fur-tout qu'ils fuifent complabans. La fociété des femmes donne aux hommes des moeurs douces, & la fréquentation des cabarets leur donne des manieres dures qui le deviennent encore davantaee quand, pour fe diftraire de 1'ennui, ils fe livrent au plaifir de la chafie & prennent du goüt pour les chevaux. Ici , Monfieur , les jeunes gens riches ont ce goüt & attachem un grand plaifir k aller chaflèr fur les terres des Seigneurs voifins. L'éducation des jeunes perfonnes du fexe  dans les Pays-Bas. 409 fexe eft un peu plus foignée que celie des jeunes garcons, mais on reproche a leurs meres de leur laifTer trop prendre le goüt de la parure, cela fait qu'elles fe marient plus difficilement, paree que la dépenfe qu'elles font étant filles, fait craindre aux hommes qui pourroienj; fonger a unir leur fort au leur , de ne pouvoir , fans déranger leur fortune , fuffire a la dépenfe qu'elles feroient étant femmes. L'on dit auffi que les jeunes perfonnes du fexe a Louvain preferent les Juriftes étrangers a leurs compatriotes, & que ceux-ci pour fe venger de cette préférence, prennent femme ailleurs. Les mceurs publiques font ici refpectées; il peut y avoir quelques femmes publiques, mais elles fe cachent; fi elles étoient connues, on les forceroit dc fortir de la ville : la Police eft fur cela de la plus grande févérité. S'il y a quelques femmes entretenues , il n'y a que ceux avec lefquels elles vivent qui le fachent. Les femmes mariées ont a Louvain les II. Tome. Partie Vt P  4io Le Voyageur moears de celles d'Angleterre : tout occupées du foin de leur ménage, & fouvent du commerce de leurs raaris, elles ne fe livrent ni a la diffipation , ni aux foins de la parure : auffi eft-il rare de tronver ici de mauvais ménages , plus rare encore d'y voir ce qu'on nomme a Bruxelles des divorces , c'eft-a-dire , des fcparations de corps & de bien. Une femme mariée a Louvain qui auroit une imrigue galante, ne jouiroit d'aucune efpece de conlidération , & Ca familie même refuferoit de la voir , & fon mari qui le fouftriroit, feroit généralement mépriié. Encore un mot des cabarets. Le temps oü on les fréquente davantage eft celui oü fe fait la nomination des Chefs-Doyens des métiers : c'eft le vé:itab!e:temps de la moiifon des cabaretiers ;-tous les comperes , toutes les comeres font alors en campagne. Le Candidat qui rencontre dans la rue un des votans, le falue , le cajole-oz le mene manger la carbonnade , ft c'eft le matin,  dans les Pays-Bas. 411 & la queue de cabillau ou le dindon , fi c'eft 1'heure du diner. La Peeterman- & le Pequet d'Hollande ne font pas épargnós. Pendant ce temps la femme du volant eft régalée de café & de thé chez la femme du Candidat. B y a ici, Monfieur des jardins publiés qui doivent être en été des promenades très-agréables; ils appartiennent ades Compagnies de Bourgeois , qu'on nomme Sermens : elles font armées & aflujetties a une efpece de difcipline.' Chacun de ces Sermens a fon jardin particulier; ces jardins font ouverts & tout le monde peut aller y jouir du plaifir de la promenade , & y jouer a la boule, aux quilles, &c. mais l'on ne peut y boire , ni y manger'. Suivant les loix de Police qui ont été données lorfqu'on a établi ces jardins, Pon ne peut y jurer , ni injurier; ni même y médire. L'on m'a obfervé que ces loix étoient aujourd'hui fuivies avec la même exactitude qu'elles 1'étoient lors de leur établiflement. C'eft S 2  41a LeVoyagetjr. dans ces jardins que fe tire 1'oifeau ; celui qui 1'abbat acquiert beaucoup d'honneur, mais ce triomphe coftte cher èi tous fes Confrères, qui pendant plufieurs jours , le rcgalent fplendidement.' Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 415 LETTRE XXV. Louvain, ce..,. Février 1783. \J N nouvel ordre de chofe, Monfieur , va commencer. La fignature des Préliminaircs de la paix qui éteint le fiambeau de la guerre dans les quatre parties du monde, produira dans les Pays-Bas Autrichiens une efpeee dc révolution relativcment a leur commerce. La guerre avoit détburné de fa route ordinaire le commerce des nations belligérantes ; U eft probable qu'il la reprendra , fi ce n'eft en total, du moins en partie. Les Ports de Dunkerque , de Calais & de Boulogne fe rclfaifiront du commerce lucratif qu'ils faifoient avant la guerre avec les Smuglers Anglois : ce commerce, depuis la guerre , s'étoit fixé prefqu'en entier a Oftende.. Si les marchands & négocians de ce Port ont fu gagner la confiance des contreS 3  3Ï4 Le Voyageur bandiers Anglois par leur fidélité & leur exaciitude dans les livraifons qu'ils leur ont faites ; fi , ne profitant point des circonftances, ils n'ont pas fait fur eux de trop forts bcncfiees ; ces contrebandiers , ou du moins une partie d'eux , pourront continuer a venir s'approvifionner dans le Port d'Oftende ; mais fi un feul de ces contrebandiers croit avoir a fe plaindre de fon correfpondant Oftendois , le mal qu'il en dira rejaillira fur tous , & les Ports de France feront préférés a celui d'Oftende. Je crois vous avoir dit dans le commencement de notre correfpondance que la vente que les Oftendois faifoient tous les mois aux Smuglers Anglois , s'élevoit a 600000 liv. argent de France; ainfi cefera une branche de commetce de 7,200,000 liv. par an que la conclufion de la paix pourra faire perdre a Oftende. Ce commerce a cela de particulier , qu'il fe fait prefque tout au comptant. Le Smugler ne demande pas de crédit, paree qu'il n'en fait pas a celui  dans i/Es Pays-Bas 315 & qui il vend fa denrée fur les cötes d'Angleterre. Le commerce des Pays-Bas Autrichiens pourra encore éprouver une diminution confidérable dans plufieurs de fes pt.rties-, mais pour s'en dédommager , il pourra étendre fes fpéculations vers PAmcrique , PAfrique & 1'Afie ; mais fa marine eft trop peu confidérable, & il me fembie que dans les circonftances préfentes, le Gouvernement des Pays-Bas Autrichiens doit mettre tout en ufage pour encourager la conftrudtion des vaifleaux dans les Ports de la Flandre & du Brabant. Ceux qui font a la tête de ce Gouvernement , & fur-tout ceux qui font fpécialëment chargés des intéréts du commerce , font trop éctórés pour ne pas voir que de 1'augmentation de la marine marchande dans ces deux Provinces, dépend la profpérité de leur commerce , & même de celui des autres Provinces auxquelles il eft efientiellemeat lié. II y a , Monfieur, plufieurs moyens de ftimuler Pacliviié des habkaris des S 4  3*6 Le Voyageur. Ports & même des Villes de 1'intérieur. Les uns comme les autres , auront un grand motif de conftruire des vaifleaux, fi leur Souverain affranchit de toute efpece de droits les matieres qui entrent dans la conftruttion des vaifleaux, dans leur équipement & dans leur armernent , de quelque Pays quec es matieres viennent , & fur quelque vaifleau qu'elles foient apportées; fi leur Souverain étend eet affranchiflement a tout ce qui fera exporté & importé pendant deuxou trois ans fur les vaifleaux de conftruction nationale , appartenans a des nationaux & montés par des nationaux ; fi leur Souverain ajoute encore une prime confidérable pour celui des vaifleaux conftruit» dans 1'année , qui exportera dans 1'année fuivante un plus grand nombre desproductions nauonales: enfin, fi leur Souverain établit un prix annuel d'encouragement pour le conftructeur qui , au jugement d'un certain nombre de conftruéfeurs étrangers , aura dans un Port de fa dominaüon  dans les Pays-Bas. 417 dirigé la conftruction du vaiffeau qui fera reconnu le meilleur voilier. « Mais tout r> cela, dira un Financier , épuiferoit le tré« for du Souverain ;non , lui répondra un « homme d'Etat: cette dépenfe extraordi« naire, loin d'appauvrir le Souverain , •>•> 1'er.richira , paree qu'il n'y a de Souvev> rains riches que ceux dont les fujets le n font. Tout eft perdu , dit quelque part r> Montefquieu , quand les intéréts du Fifc n font préférés a ceux de fes fujets par ceux n en qui le Souverain met.fa confiance ». I/Empereur , Monfieur , a fait ouvrir a Bruxelles un emprunt d'environ4,ooo,ooo liv. tournois a 4 pour cent, & eet emprunt a été rempli prefqu'au même inftant qu'il a été ouvert. Si fes fujets des Pays-Bas eulfent été pauvres, eet emprunt ne feroit pas encore rempli , ou 1'auroit été par les étrangers. Le Souverain qui a un milliard dans fes coffres, n'a qu'une richeffe précaire : elle feroit réelle , fi ce milliard étoit dans la main aétive de fes fujets. le bon Henri, fans avoir de quoi fa re S 5  318 Le Voyageur. raccommoderfon pourpoint,reprit Amiens & chaffa les Efpagnols de la France. II n'y avoit pas un fardin dans 1'échiquier quand 1'Angleterre commenca la guerre qu'elle vient de terminer ; 1'auroit - elle foutenue avec autant de vigueur, fi fon tréfor eüt regorgé d'or & que fes fujets eufient étc pauvres5] Le Seigneur d'une terre fituée dans je ne fais quelle Province de France, fe trouva, il y a quelques années, dans la dure néceffité de la vendre pour fatisfaire fes créanciers; fes fermiers le furent, ils étoient ricl e , ils vinrent le trouver, ne nous quitte\ pas , lui dirent-ils, donne\-nous la lijle de vos créanciers , nous les fatisferons. Je ne dis pas qu'un Souverain doit être prodigue pour fes maitrefles , fes courtifans , fes flaneurs & fes fantaifies, mais qu'il foit libéral pour le commerce , Pagriculture , & fur-tout pour 1'humanité fouffrante: fa libéralité eft alors même pouflce a 1'extrême, une fage économie , c'eft celle du bon pere de familie qui feme  dans -les Pays-Bas. 2l9 abondamment pour recueiilir d'abondantes moiffons. Je luis perfuadé quece font-lades pr ncipes qu'a adoptés le lage Gouvernement des Pays-Bas Autrichiens, & ce qui me le fait croire , c'eft qu'il a réduit a i fol pour cent le droit de tranfit pour toutes les laines d'Elpagne & les drogues pour les teintures que les fabriquans de Sedan faifoient venir par Oftende. II eft certain que les Hollandois vont mettre tout en ufage pour rappeller chez eux les parties de commerce que la guerre a fait paffer a Oftende. La Hollande fera pour cela les plus grands facrifices , & c'eft ce qui doit engager le Gouvernement des PaysBas Autrichiens a en faire auffi de fon cöté de trés - grands, foit en diminuarit encore le droit de tranfit, foit en faifant conftruire de nouvelles chauffées qui rendroient le tranfport des marchandifes moins long, & pas plus frayeux que fi elles avoient pris leur route par la Hollande. Une chaufiee qu'on conftruiroit S 6  420 Le Voyageur. depuis Louvain jufqu'a Cologne , produiroit eet effet; car le port de ces marchandifes ne reviendroit pas a plus de 5 efcalins le cent, & il eft certain que de Dort a Cologne , le prix du fret eft plus confidérable. Je compte me rendre demain a Anvers. Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 42* LETTRE XXVI. Anvers , ce .. . Février 1783. A n v e r s , Monfieur, eft la Capi- tale du Marquifar du Sr. Empire, ou plutöt c'eft Anvers & fon territoire qui forment ce Marquifat qui anciennement étoit une des dix-fept Provinces des PaysBas; il eft aujourd'hui tellement incorporé au Brabant, que le Souverain, lors de fon inauguration , s'engage & promet de ne 1'en jamais féparer. Le temps oü cette parrie du Brabant a été érigée en Marquifat , eft encore fort incertain.' Les uns font faire cette éreclion par PEmpereur Othon II, les autres difent qu'elle a été faite par les ancêtres de Pepin de Landen , premier Duc de Brabant; mais ce qui eft certain, c'eft qu'au temps de Charlemagne , le Marquifat du St. Empire comprenoit , outre la ville d'An-  422 Le Voyageur. vers, celles de Gand , de Termonde , de Tournai, de Valenciennes, & les Chateaux ou fons conftruits fur les deux rives de 1'Efcaut : aujourd'hui il eft divifé en huit diftérens quartiers (a) qui renferment 118 villages : a ces huit quartiers il faut encore ajouter neuf franchifes (b) & quelques forts qui font fur 1'Efcaut. Plus une ville a été célebre & plus on s'eft plu a lui donner une origine fabuleufe : on attribue celle d'Anvers a un gcant nommé Antigone, qui, dit - on , habitoit un Chateau fur 1'Efcaut, vers 1'endroit oü eft aujourd'hui Anvers: ce géant exigeoit de tous ceux qui paiToient pres de fon Chateau , ou traverfoient 1'Efcaut ■> un droit de péage , & il coupoit impftoyablement la main a tous ceux qui (a)Ryen, Santhoven, Gheel, Hérentals , Turnhout, Arckel, Hoogftrieten & Lierre. ( b ) Borgerhout , Berchem , Wilryck , .Mercxem, Dambrugghe , Moll, Arendonck > Defl'chel & Rhety.  dans les Pays-Bas. 423 refufoient de le payer: il jettoit cette main coupée dans 1'Efcaut; mais au moment qu'il y penfoit le moins , un Salvius Barbon furvint; d'un revers il lui abbattit la main, & dc 1'autre il le pourfendit & délivra ainii le pays des exaclions & des cruautés de ce monftre : c'eft ce même Barbon qu'on croit avoir donné fon nom au Brabant, ainfi que je vous 1'ai dit dès le commencement de notre correfpondance. Hand , en langage du pays, veut dire main , & werpen jetter ; de ces deux mots réunis on a 'fait Handwerpen , qui eft le nom véritable d'Anvers, & qui ne s'appella enfuite Anvers que paree qu'il nous a plu de la nommer ainfi, fans doute paree qu'Anvers nous a paru plusfonore qu'Andwerpen. On m'a promis qu'on me feroit voir d'anciens veftiges du Chateau d'Antigone. Je crois que ces veftiges exiftent, qu'ils font très-ancien?, mais ne pourroit-il pas fe faire qu'ils fufient ceux d'un fort établi dans eet endroit pour aflurer la perception de quelques pciiges Dé  4^4 Le Voyageur. pere en fils il a toujours pafle ici pour certain qu'on avoit trouvé en fouillant la terre dans les environs du Chateau du géant Antigone , des ofiemens d'une grandeur & d'une groffeur monftrueufe , parmi lefquels étoit une dent qui pefoit feize onces , & encore des éperons d'un pied trois pouces de long. Je ne fais pas fi cela fe pratique encore, maisun Bruxellois qui loge ici dans la même Auberge que moi , m'a dit avoir vu dansfajeunelfe porter proceffionnellement deux fois 1'année dans les rues d'Anvers , la figure du géant Antigone accompagnée de plufieurs perfonnes qui affeétoient d'avoir la main coupée. On ajoute encore comme une preuve de 1'exiftence du géant Antigone, que les armes de la ville d'Anvers font un Chateau triangulaire accompagné de deux mains. Quelques érudites de ce pays ont métamorphofé le géant Antigone en un RulTe d'une haute ftature ; ils lui font acheter, batir ou même conquérir un ancien Chateau qui, par  dans les Pays-Bas. 42.5 la fuite, eft devenu une ville qu'on a nommé Antwerpen. Ce Rulle étoit peutêtre féroce & on en a fait un coupeur de main. D'autres érudites donnent a Anvers une autre origine ; ils difent que les Handouerpiens , peuples de la Germanie , s'étant arrêtés fur les bords de 1'Efcaut, y jetterentles fondemens d'une ville qu'ils nommerent Handwerpen : vous en croirez ee que vous voudrez ; peut - être vous paroitra-t-il plus probable que ce foit un möle de Tanden Port nommé Werp, qui a donné fon nom Antwerpen. L'opin'on la plus raifonnable eft celle de ceux qui difent que ce mot a été compofé de la propoiition Aen & du verbe Werpen , & qu'en réunilTant ces deux mots, on avoit voulu exprimer quele premier Chateau avoit été bati a un quart de lieue de la ville fur un accroiffement de limon & de fable qui s'étoit fait fur les bords de 1'Efcaut. Mon pere a vu , m'a dit hier un Anverfois, lorfqu'on piocha & fouit  426 Le Voyageur. ce même terrein , en z&^o , des ancres t des crampons , des ais, des poutres qu'on en avoit tirés. II paffe ici pour conftant, qu'avant la formation de cette alluvion, 1'eau de 1'Efcaut montoit jufqu'au terrein fur lequel on a établi ce qu'on nomme aujourd'hui le marché. Je trouve dans une ancienne chronique flamande , que les Aduatices , reft'es infortuncs des Cimbres & des Teutons, s'établirent au milieu des Ambivariftes, des Eburons & des Nerviens, & que fur le terrein qu'ils occuperent, ils batirent la ville d'Anvers. Cette opinion eft fondée fur ce que Cé ar dit, qu'après la défaite des Nerviens , les Aduatices retirerent 1'élite de leur nrmée fur un terrein qu'il ne nomme pas , & qu'on fuppofe être celui oü Anvers a été bati. Cela , je crois, ne vous paroïtra ni bien clair , ni bien conféquent. On lit encore dans des Auteurs du Pays que les Ambivarites que Céfar dans lés Commentaires place entre la Meulé & 1'Efcaut, jetterent les fondemens de la  dans les Pays-Bas. 427 ville d'Anvers & lui donnerent le norri ff Antwerpen : ils éleverent d'abord un Chateau , & puis' enfuite ils Mtirent la ville. ;Anvers eft la troiiieme chef-ville du, Brabant': elle eft fituée au 21 me. degrc 50 min. de longitude & au 51 degré 12 -min. de latitude dans une plaine fur la rive droite de 1'Efcaut (a) qui y forme un beau Port : ce Port eft d'autant plus commode que les vailTeaux de commerce, de toute grandeur , & même des frégates armées peuvent y aborder, y charger & décharger fur le quai. Vis-a-vis d'Anvers 1'Efcaut a plus de 300 toifes de large ; on ne connoit pas bien la profondeur, mais les plus gros vaifleaux y font a flot a marée bafle. Sur la rive gauche on a (a) L'Efcaut fépare Ie Duché de Brabant du Comté de Flandre , de maniere que les terres qui fonc vis-a-vis le Port d'Anvers, fur la rive gauche de 1'Efcaut, font de la Flandre.  4*3 Le Voyageur. conftruit deux forts, 1'un fe nomme le fort du trajet & 1'autre qui eft au-delTous , le forr d'Ifabelle. Huit canaux principaux établiffent la communication du Port avec la ville oü les vaifleaux qui abordent dans le Port peuvent entrcr par le moyen de ces canaux. Le plus confidérable de ces canaux eft celui qui aboutit a la maifon des Ofterlingues : ce canal peut contenir cent vaifleaux , qui tous y font également en süreté fur leurs ancres. / Anvers eft éloignée d'environ 17 lieues de la mer, de huit de Bruxelles & de Gand, de quatre de Malines ; elle communiqué avec Bruxelles par un canal qui fe joint au Rupel & fe jette dans 1'Efcaut, prés du village de Willebroeck.' La figure d'Anvers du cöté du Port, eft celle d'un are tendu , dont le rivage repréfente la corde. Sun circuit peut être de cinq quarts de lieue de Brabant. En y comprenant le Chateau ou Citadelle, la circonférence d'Anvers peut s'évalucr a fix milles d'Italie : fon diamêtre , depuis ce qu'on  dans les Pays-Bas. 429 nommc ici Slyck-Porte , jufqu'au Pont du Chateau, eft dé 1800 pas de long & de 10200 de large , en partant de Kid» dorp-Porte jufqu'a Ia tour de la poiffonnerie. Toute la ville n'eft pas entourée de murs; car } en entrant par la porte St. George, venant dé Malines, la partie gauche n'eft qu'une terraffe avec un foffé rempli d'eau & des paliifades en avant. La ville eft bordée dé levées le long de huit portes faites exprès pour ne pas erabarraffer le tranfport des marchandifes. Du cöté de la campagne , Anvers eft couverte par des remparts élevés & défendus par des foffés très-profonds, larges d'environ 40 a 50 pieds, qui fönt toujours pleins d'eau. Au midi de la ville & fur les bords de 1'Efcaut eft le Chateau conftruit en 1568 , par les ordrcs du Duc d'Albe: un Ingénieur Italicn , nommé Patiotti, en donna lc plan & lc fit exécuter : c'eft un pentagone régulier a cinq baftions terraffés & conrje-minés, élevés fur une éminence  43° Le Voyageur. qui commandc la ville. Les remparts de ce Cha'.eau font beaux & défcndus par des folies pleins d'eau : fon circuit eft d'environ 2500 pa» géotnemques: on n'entre dans ce Chateau que par deux portes , 1'une du.cóté dc la ville, 1'autre d'u cóté de la campagne : il peut contenir une garniibn de 3000 hommes qui y font logés dans dc grandes. & belles caiernes : on y voit- une grande quantité de vaftcs magafjüns 5c une belle & grande place d'armes , au milieu de laquelle le Duc d'Albe avoit fait élever fa ftatuc, qui fut après fa mort mife en pieces par les habitans, . On entre dans Anvers par lept portes principales; l'on y comptc 212 rues, 22 places publiques , plus dc 74 ponts & environóooco habitans : ainfi fa population eft actuellementun peu moins que le tiers de ce qu'elle étoit cn 1550 , qu'on 1'cvaluoit u plus de 2cc,oco ames. La population actuclle d'Anvers n'eft pas proportionnée a fa grandeur. Je • fuis , &c. Fin du fecond Volume.  ERRATA. Pag e 3 , fixiemc ligne , porie, life\ parle. Idem. ligne 10, ifle, life\ Isle. Idem. ligne 19 Angleferre, life\ Anglcterrc. Page 27 , ligne 3 , dir, life\ dit. Page 29 , ligne 7, aromatiqus, life\ aromatique. Idem. ligne 21 , ébullltion, life\ ébullition. Page 35 , ligne 4 , Ru- , ltfe\ Rubens. Page 54, ligne 8 , qurt , lije\ quart. Page 58 , ligne 24, qu'un , life\ qu'on. Page 59 , ligne 23 , vaeur, life\ valeur. Page 61 , ligne 14, jointe, life\ joints. Page 91 , ligne 8 , cernier , lij'e\ dernier. Page 92 , ligne 14 , maltfaité , life\ maltraité. Page 219, ligne 4, fuffifoit lije\ fuffit mtue\ foit après qu'il. Page 238, ligne 18, celle, life^ celles. Page 239, ligne 12 , -1745 , lije\ 1754. Idem. prendre, Ufe\ pendre.