01 2123 2979 UB AMSTERDAM  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O u LETTRES Sur 1'état a&uel de ces Pays. Felix qui potuit rcrum coguofcere caufas! VlRGlIE. . •« ~ ' = r=a = =aaï TOME TROISIEME. Première Partie. A AMSTERDAM, Chez Changuion, Libraire. On entrouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, lmprimeur-Libraire a Bruxe'Ies. M. DCC. LXXXIII.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. LETTRE PREMIÈRE. Anvers, cc .... Février 1^83. A n v e r s , Monfieur n étc la ville la plus commercante (a) de 1'Europe; on peut même dire du monde entier: il (a) Guichardin qui écrivoit dans Ie Ife. ilecle, dit en parlant des habitans de la Ville d'Anvers, » que généralement parlant, les habitans » d'Anvers tiroient leur fubfiflance du coraA 2  4 Le Voyageür y abordoit alors une fi grande quanthc de vaiffeaux, que les derniers venus étoient » mercejque les marchands y étoient reconnus >, pour des plus experts , & étoient trés-rin chesjqu'il y en avoit qui poffédoient un fonds ,, de 200 mille, d'autres de 400 mille écus » dor, & méme davantage ; qu'ils étoient très» propres a diriger le commerce univerfel; n & que quoique la plupart ne fuffent jamais !, fords de chez eux , ils étoient cependant »» en état, ainfi que leurs femmes, de parler 11 trois, quatre , cinq, fix, & fept fortes i, de langues qu'a Anvers fe trouvoient i> des Artiftes & des ouvriers dans toutes fori, tes d'arts £cAe métiers,&qu'on pouvoit dire 11 que chacun dam fon genre les avoit perfec». tionnés de plus en plus.... qu'on y fabriquoit 11 toutes formes de vaiffeaux: qu'on y trouvoit 1, diverfes manufaöures en laine , de draps , r, des tciles de tout prix , des tapifferies, ,) des tapis a la turque , des cuirs ; qu'ilsavoient 11 des teinturies, des écoles de peinture : ii qu'on y fabriquoit des ouvrages d'or , d'ari> genterie ; qu'il y avoit une verrerie \ 1'inftar i. de celle de Venife : qu'on y travailloit en n toutes fortes de merceries , en étoffes  dans lesPays-Bas. 5 quelquefois obligcs d'attendre pluficurs fcmaines avant que de pouvoir approcher !> d'or , d'argent , de foie, de fil & de laine , » de metaux & diverfes autres chofes : qu'on » y fabriquoit toutes fortes de foieries , com» me du velours , du fatin , du damas.. .. » qu'on y rafinoit avec beaucoup d'art les méj) taux , la cire , le fucre &c. qu'on y faifoit » du vermillon, en Italien, cinabvo. ... en» fin, pour donner une idéé plus complette » relativement a la fubfiftance des habitans, » continue Guichardin , je vais donner le » nombre de plufieurs métiers les plus né» ceffaires a la vie, & pour le befoin jour» naiier; & cela encore outre ceux qu'on ;> a déja nommés. On compte ici (a Anvers) » 169 boulangers, 78 bouchers, 75 qui ven» dent du poiffon de mer, 16 oul7perfon» nes qui vendent du poiffon de riviere , Ho » boutiques de barbiers ou de chirurgiens , » 794 tailleurs & faifeurs de bas , 124 orfe» vres , fans encore y comprendre ceux qui » travaillent z tailler & a polir les diamans » & autres pierres précieufes ....& qui font j» un commerce extrêmement riche.... beau»> coup de peintres , de fculpteurs , & enfin A 3  6 Le Voyageur. le rivage , tanf pour dcchargcr que pour charger. „ 300 boutiquiers, &c Outre les gens „ du pays & les Francois qui vivent dans cette ville, en temps de paix, en grand ;, nombre, il s'y trouve encore fix nations „ étranoeres qui, avec leurs domeftiques & „ leur fuite , forment un nombre de plus de „ mille négocians : tels font les Allemands, les Danois , connus fous le nom d'Ofter„ lings, les Italiens, les Efpagnols, les An„ glois & les Portugais. La plus riche maifon parmi les e'irangers eft celle de Fockers, ,, originaire d'Augsbourg dans la haute Alle„ magne. Le chef de cette maifon , nommé „ M. Antoine, eft mort depuis peu dans fa „ patrie ; il a laiffé par teftament pour lava,. leur d'environ fix millions d'écus d'or , non ,y compris fes autres richefles , le tout acquis dans cette ville par le moven du com,, merce , & cela dans une période de 70 années. Cette maifon polfede non-feulement \[ des terres feigneuriales en Allemagne, mais „ encore des terres dans d'autres parties de „ 1'Europe, & méme dans le Nouveau,, Monde.  dans LES PaYS-BaS. ? Le commerce d'Anvers, Monfieur, s'étoit élcvé fur les ruines de celui de Bruges. Amfterdam vengea Bruges en attirant dans fon Port la plus grande parrie du commerce d'Anvers : 1'intoléraatifmè de.Philippe II, les vexations & les cruautés du Duc d'Albe, a 1'cgard dc ceux qui ne profeflbicnt pas la mêmc religion que lui , lui en faciliterent les moyens. Les citoyens d'Anvers les plus laborieux , les plus a&ifs , & fur-tout les plus habiles négocians , abandonnerent leur patrie & portercnt a Amfterdam leur induftrie & „ Les Puiffances étrangeres , comme le Roi „ Catholique , le Roi de Portugal & la Reine ,, d'Angleterre , ne dédaignent pas d'avoir ,, parmi cette compagnie de négocians de- meurans a Anvers , leurs Commiflaires ou „ Confuls qui traitent de leur part avec les autres négocians : & ceux qui rempliflent ces poftes de diftincliDn & de mérite , ont „ procuration & font autorifés pour leur Sou- verain a négocier en échange, foit par for„ me de prêt ou autrement." A 4  8 LbVoyaseur. leur fortune. Amfterdam les accueillit, les fecourut, les encouragea, & les habitans les traiterent en freres. Du moment que la Républiquc des Provinces-Unies fe fut déclaréc libre , les nations commercantes, & fur-tout les Anglois, préférerent fes Ports a celui d'Anvers. On aima mieux trafiquer avec un pcuple libre qu'avec un pcuple gémiffant fous le fceptre opprcffif d'un Prince devenu defpote. D'ailleurs, pour 1'Angleterrc , les Ports de la Hollande , & fur - tout ceux de la Zeelande étoient plus favorablement fitués que celui d'Anvers ; mais le coup le plus funeftc fut porté au commerce d'Anvers par le traité de Munfler de 1648. L'article 14 de ce traité lui öta toute efpérance de redevenir ce qu'elle avoit été : eet article dit, l'Efcaut, les canaux de Safiwing & autres bouches de meryaboutijpint ,feront tenus clos du cótédes Etats : ainfi nuls gros vaiffeaux ne purent plus venir direcrement a Anvers; il fallut qu'ils déchargcaffent en Hollande les^marchaa-  DANS L ES PaYS-BaS, § difes qui formoicnt lcurs cargaifons, d'oü on les fit tranfporter par bateaux au Port d'Anvers. Cela a toujours été, de maniere que pour rendre au Port d'Anvers du moins une partie de 1'état floriffant dont iljouiffoit encore avant le traité de Munfter, il faut que la République des Provinces-Un;es confentc a 1'anéantiffcment de Partiele 14 de ce traité, c'efta-dire , que la navigation de 1'Eicaut folt rendue auffi libre pour les vaiffeaux deftinés pour Anvers, qu'elle 1'étoit avant le traité de Munfter. Un Anverfois me difoit hier que Tart. 14 de ce traité devoit être confidéré comme nul, paree que Philippe II, fuivant la conftitution du Brabant, n'avoit pas pu confentir a cc qu'il fut inféré dans le traité, puifque ne pouvant difpofer des biens qu'il poffédoit dans le Brabant a titre de Souverain , fans le confentement de fes fujets , il ne pouvoit a plus forte raifon difpofer de leur propriété, & que le A S  io Le Voyageuk. commerce devoit être confidéré corams faifant partie de cette même propriété , qu'ainfi le Souverain adtuel da Brabant étoit en droit de ne pas reconnoitre comme obligatoire pour lui & pour fes fujets 1'art. 14 du traité de Munfter. D'ailleurs qu'il y a des convcntions qui , par leur nature , ne peuvent fubftfter qu'autant que les fucceffeurs de celui qui les a faites , les ratifient. Je crois que 1'art. 14 du traite de Munfter eft de cette efpece. Mais que répondroit la République des Provinces-Unies a Sa Majefté Impériale , quidui demandant laliberté de l'Efcautdui diroit : nVous avez foutcnu nombre & *> nombre de fois que la navigation des n mers devoit être libre , & vous vous obf■n tinez a vouloir qu'un fleuve qui aboutit t> a la mer, ne le foit pas. Si les fleuves r,,& les rivieres qui aboutilfent a la mer nc t> jouiffent pas de la même liberté qu'elle , n la liberté de la mer eft une chimère. C'eft « en faveur de votre navigation que vous  DANS LES PAYS-B AS. II » réclamez cette liberté,comme jeïéclame « la liberté de 1'Efcaut en faveur de la nav> vigation , non-feulement de mes fujets , « mais même de celle des autres nations qui commercerit avec eux. Philippe II a * pu confentir a ce que la navigation de n fes vailfeaux éprouvat les entraves que r. vous avez voulu lui donner; mais les auwtres Puiffances ont-clles accédé a cette „ convention 1 Commcnt donc la Ré.« publique des Provinces-Unics peut-elle ■n aujourd'hui empêchcr un vaiffeau Ruffe, « Suédois ou Danois, de porter direftem ment aux Anverfoisfes chanvres,fcs gou-, m drons ,fcs cuivres, fes bois de conftrucr> tion 1 La vidlencc que vous exerceriez & « 1'égard de ces vailfeaux, pour qu'ils fe „ conformaffent aux difpofitions de 1'art. „14 du traité de Munfter, fcroit une „infulte réelle faite aux pavillons des „ PuifTances auxquelles ces vaiffeaux ap„partiendroient." Je fuis bien perfuadé que fi 1'Empercur demandoit aujourd'hui aux Hollandois la liberté de 1'Efcaut , toutes les autres Puilfances de  12 Le Voyageur. J'Europe fe joindroient a lui; mais quand ccla ne feroit pas, les Hollandois n'auroient-ils pas a craindTe que 1'Empcreur, xiiant de tous fes droits, ne révendiquat plufieurs parties de leur territoire, dont ils.jouiffent contre la teneur des traités 1 Ces parties de territoire font on ne peut pas davantage a la bienféance de PEmpereur ; mais je crois que pour terminer la grande affaire de la liberté de PEfcaut r & prévenir les longueurs d'une négociation , S. M. Imp. pourroit offrir aux Hollandois , en dédommagcment de la perte que cette liberté pourroit occafionner a leur commerce , de rcnonccr a une partie des prétemions qu'elle peut faire val oir légitimcmcnt quand ellc le voudra. Mais fi Ia profpérité du commerce d'Anvers dépend de la radiation de Part. 14 du traité de Munfter, il eft auffi trèsintércffant pour le commerce de Bruges & autres villes commercantes de la FJandre , que les Hollandois confentent a ce que Part. 15 du roeme traité ne foit plus-  DANS LEsPaYS-BaS. 13 d'aucun efFet. Les navires & denrêes entrant dans les havres de Flandre, dit cct article , & ceux qui en fortent, demeureront chargés des mêmes impojitions qui feront leve'es fur les denrees, allant & vertant au long de VEfcaut & autres canaux mentionne's a l'article précédent. Les Hollandois n'ignorcnt pas que 1c commerce d'Anvers qu'ils anéantiffoient par 1'arr. 14, s'étoit élevé 160 ans auparavant fur les ruines de celui de Bruges, & ils pourroient craindre que, favorifant le Port de Bruges, on ne lui rendit fon ancienne fplendeur. La Monarchie Efpagnole étoit dans un état de foibleifc qui ne lui permettoit pas de fc refufcr a aucune des demandes que lui faifoit la République des Provinces-Unies, & 1'art. 15 fut acaccordé comme 1'avoit été 1'art. 14. II feroit aufli très-intérefPant pour Ie commerce des Pays-Bas Autrichiens, que 1'art. 8 du traité de Munfter fut réformé. Les fujets , dit-il, de l'une domination , faifantcommerce dans Vautre, ne pajeront  14 LeVoyageur. pas de plus grands droits que les naturels du pays. Cet article eft tout a 1'avantage des Hollandois qui peuvent offrir aux habitans des Provinces Autrichiennes les produftions des quatre parties du monde, tandis que ces Provinces n'ont a leur vendre que les produftions de leurs moiffons , de leurs carrières, de leurs mines, & quelques produdions induftrieufes de pcu de conféquences. Je luis, &c. •  f r dans les Pats-Bas. 15 LETTRE II. Anvers , ce .. . . Février 1^83. V o u s défirez, Monfieur, que je vous fafle connoïtre quclles font le? prétentions que le Souvcrain des Pays-Bas Autrichicns peut légitimement former fur quelques terres, villes & autres poffeffions de la République des Provinces-Unies. La ville de Maeftrick & le Comté deVroonhoven, dont jouit la République , appartiennent inconteftablement a S. M. Imp. qui a auffi des droits réels fur le pays d'OutreMeufe Hollandois & les villagcs de Rédemption. II eft certain que Maeftrick, le Comté de Vroonhoven , le pays d'Outre-Mcufc Hollandois, & les villages de Rédemption, appartiennent aS. M. Imp. & non a la République des ProvincesUnies qui en jouit, quoiqu'ellc les ait «édés par Partiele 18 du traité du 30  l6 Le VoYAGEUït Aoüt 1673 (a). Envain 1'Efpagne deraanda-t-elle en 1678 1'exécution de ce traité. La République allégua que le Prince d'Orange s'y oppolbit fous le prétextc des prétentions qu'il avoit a formcr contre 1'Efpagne, & eet obftacle ne fut levé qu'cn Décembre i68f, que le Prince d'Orange déclara qu'il confentoit a ce que Maeftrick , le Comté de Vroonhoven & leurs dépendances, furent remis a (a) Lefdits Seigneurs - Etats promettant de plus de donner a Sa Majefté Catholique, ja ville de Maeftrick avec le Comté de Vroonhoven & toute leur part dans le pays d'OutreMeufe , & les prétentions qu'ils foutiennent cfavoir fur les villages de Rédemption , fans aucune réferve, en cas que par fengagement de S. M. en cette guerre , & par les fuccès des armes communes ou autrement , les affaires puilfent étre menées a un point que lefdits Seigneurs-Etats ne foient point obligés de facrifier la ville de Meeftrick, ou quelqu'autre de leur Etat, qui leur eft ou fera occupée en cette guerre , pour parvenir a la pak d'un commun accord. '  DANS LES PAYS-BAS. IJ7 S. M. Catholiquc. Malgré cette déclara" tion , les Hollandois onttoujours confervé Maeftrick , & les huit villages (a) qu'on nomrae terres de Rédemption , deux ieulemcnt, Falais & Hermal, font au pouvoir de S. M. Imp. & affujettis entiérement a la juritdiclion du Confeil de Brabant. Commcnt les Etats - GénérauX peuvent-ils foutcnir aujourd'hui que ces villages , qu'ils dilcnt être dépcndans de Maeftrick , appartiennent a la République , qui les a cédés a 1'Efpagne avec Maeftrick , par le traité de 16731 La République contefte encore a S. M. Imp. la Souveraineté d'une partie des villages qui (b) forment ce qu'on nomme le banc de 'Sr. Servais , qui, a 1'exccption d'un feul, paient a S. M. une contribution annuellc. (a) Falais, Herma!, Foulogne , Hoppertinghem , Mopperthingen , Nedhehem , PeefRutten. (b) Ces villages font au nombre de onze.  18 LeVoyageur. Comme dépendante encore de Maeftrick , les Hollandois réclament la terre d'Argenteau qui eft fituée fur la rive droite de la Meufe , entre Liege & Maeftrick ; cette terre eft inconteftablement un fief du Marquifat du St. Empire : d'ailleurs , fi elle eft une dépendance de Maeftrick , la Souveraineté en a été cédée avec cette ville par le traité de 1673 , au Souverain des* Pays-Bas Autrichiens. II y a un aéie daté de Bruxelles du 31 Mars 1753 , par lequelle Seigneur d'Argenteau fe reconnoit VaiTal de S. M. Imp. Une autre prétention de la République des Provinces-Unies, qui n'eft pas mieux fondée, eft celle qu'elle forme fur 1'Abbaye de Poftel, qui certainement eft une dépendance du Marquifat du St. Empire , déclarée telle par Jeanne , Ducheffe de Brabant, en 1384. Les Hollandois foutiennent que 1'Abbaye de Poftel fait partie de la Mayerie de Bois-le-Duc, qui leur a été cédée par le traité de Munfter. Dans plufieurs occafions les Hollandois ont  dans les Pats-Bas. t§ donnó nombre d'aveux contraires a cette prétention ; & cependant ils retiennent touslesrevenus des biens de cette Abbaye qui fe trouvent fitués fur leur territoire., . de maniere que cette Abbaye ne jouit que de la partie de fes revenus qui lont fous la domination de S. M. Imp. & S. M. nomme a cette Abbaye. II eft auffi un Prieuré de 1'Ordre des Guillelmites, fi'tüé entre Anvers & Bergop-Zoom , au hameau de Huybergen. Les Hollandois prétendent que ce Prieuré fait partie du Marquifat de Berg-op-Zoom. Le Gouvernement des Pays-Bas Autrichiens foutient qu'il eft une dépendance du Marquifat du St. Empire , & fe fonde fur un réglement des limites , homologué le 15 Movembre 1441 par le Confeil de Brabant. Ce qui eft certain , c'eft que depuis ce tempslesReligieux de ce Prieuré ont toujours porté 1'habit de leur Ordre 5 comme le font les Religieux des Couvens de la domination de S. M. Imp. Les Etats - Géncraux , il eft vrai, ont  io LeVoyagbuh. quelquefois exercé fur ce Prieuré & fes dépendances des a£ïes de Jurifdiction & de Souverainjtc , qui quelquefois ont été réprimés par le Gouvernement des PaysBas , & quelquefois auffi ne Tont pas été. En 1755 le Confeil de Brabant caffa & «nnulla quelques act.es de Jurifdiclion/aits fur le Prieuré de Huybergen par les Officiers de Juftice du Marquifat de Berg. op-Zoom. Le Confeil inftruit que le Prieur y avoit donné les ma:n>, le décréta de prife-de-corps ; il fut enlevé par les Archers du Prévöt-Général de 1'Hótel , & conduit a Bruxelles, oü il fut détenu prifonni. r jufqu'au 26 Mars 1757, qu'il fut élargi après avoir reconnu les droits & la Souveraineté de S. M. Imp. & avoir promis , fous ferment, de fe repréfenter toutes les fois qu'il en feroit requis.Cet acte de vigueur n'empêcha point que quelques mois après le Fifcal du Confeil de Brabant, ótabli a la Have, ne fe rendit a Huybergen & y changeat les Officiers de Police & ne fit tranfporter a Berg-op-Zoom  DANS LES PAYS-BAS Sf tous les papiers & titres du Couvent* Cette entreprüe n'eut pas de fuite fans doute , paree que les circonftances des affaires publiques exigeoient quelques grands ménagemens a cei égard. On ne m'a pu dire ici fi depuis il y avoit eu quelque chofe de réglé entre les deux PuifFances fur leurs prétentions relpectives. D'après ce que je viens de vous dire, Monfieur , des juftes prétemions de Sa Majefté Imp. vous jugerez comme moi que les Hollandois n'héfiteroient pas de conientir a rendre 1'Efcaut libre , fi Sa Majefté Imp. leur offroit de renoncer a la Souveraineté de Maeftrick , des villages de Rédemplion & de ceux du banc de St. Servais. Maeftrick eft de toutes les places de la République la plus importante , celle dont il lui eft le plus effentiel de conlerver la pofieffion: le pourroit-elle , fi S. M. Imp. prenoit la ferme réfolution de s'en emparer 1 n Les autres w Puiffances, difent fans doute les Hollan-  sa Le Voyaseor dois, « s'y oppoTefoient: & il ne feroit n pas de leur intérêt politique de fouffrir n l'aggrandiflement de la PuHTance Autriv chienne dans les Pays-Bas : n non sürement,fi ces mêmes PuilTances,ck fur-tout la France, n'en avoit auffi un très-grand, ii ce que la liberté foit rendue a 1'Efcaut. Je vousl'ai déja dit plufieurs fois:je crois que plus les Provinces Autrichiennes feTont riches, plus le commerce y fera florinant & plus celui de la France proipérera. Je fuis, &c.  DANS LES PAYS-BAS. 2J LETTRE iii. Anverst ce..,. Février 1783. T j'H óïBL-DE-ViLLE d'Anvers , Monfieur, a été commencé en 1560 fur les deffins de Cbrneille de Vrindt, dit Floris, Architede célebre de ce temps , & frere de Francois, Peintre, dont je vous ai parlé plufieurs fois. Le feu qui y prit en 1576, le réduiiit en cendres: on le rebatit en 1581 : il n'avoit pas alors autant de largeur qu'il en a préiemement: ce ne fut quY-n 1713 que les Magiftrats 'de la ville étendirent les deux afles pour qu'elles fuffent plus en proportion avec 1'avant-corps. Pour faire cette augmentation, le Magiftrat de la ville fit abbattre 29 maifons voifines, de maniere qu'aujourd'hui ce batiment eft ifolé : fa facade a 240 pieds de largeur & le batiment 92 pieds de profondeur : au mifieu de fa  24 Le Voyageur. facade eft un avant-corps décoré des cinq Ordres, les uns fur les autres. Toutes les colonnes font de marbre, ainfi que les ornemens : ces ornemens entafTés les uns fur les autres, manquent de goüt. II y en a quelques-uns cependant dont les détails lont heureux, mais ils font généralement rdicules & biiarres, & prefque tous déplacés. Cet avant-corps a trois croifées ceintrées de faces : chaque aile en a huit quarrées : ce batiment n'a que deux étages & point de rez-de-chauffée: le premier étage eft foutenu par des arcades qui forment une efpece de gallerie ouverte : au-deffus du fecond étage efl une efpece de gallerie ouverte par 16 balcons féparés les uns des autres par des colonnes qui foutiennent le toit. L'Hötel-de - Ville d'Anvers renferme quatre grands corps-de-logis partagés en grandes Salles. Celle qu'on nomme la Salie des Etats, eft ornée d'un beau tableau d'A. Janlfens : il eft pofé fur la chemince & reprélente 1'Efcaut perfon- nifié  dans les Pays- Bas. ü5 nifié : c'eft une figure collofiale qui, a ce qu'il m'a paru , a aiïez de reflemblance avec 1'Hercule de Farneffe : le fleuve eft couché ; a fes pieds eft la ville d'Anvers, fous la figure d'une belle femme , appuyée fur une corne d'abondan^ ce. Ce tableau eft d'un pinceau hardi & facile ; les formes grandes y font favamment prononcées ; les têtes font belles & nobles & du plus beau choix; la couleur & 1'effet y font forts & pi- quans : ce tableau eft mal placé; vu a plus de diftance, il auroit un effet plus vrai. Vis-a-vis de ce tableau on en a placé un qu'on attribue a. Van-Dyck , mais je le crois des deux freres Séghers : l'un,G. Séghers, a peint les figuresd'autre, D. Séghers a peint les fleurs ; la Vierge y eft repréfentée affife, ayant PEnfant Jéfus fur fes genoux. Dans le haut font des Anges qui attachent des guirlandes de fleurs, tandis qtie d'autres Anges font dans le bas des couronnes de fleurs: ce tableau eft bien peint; il eft d'une belle IIL Tome. Partie I. B  16 Le Voyageur. couleur, mais le defïin en eft foible : la Vierge & PEnfant Jéfus paroiffent roides & gênés. Vis-a-vis des croifées on a placé fous un dais le portrait de PEmpereur a la place de celui de feue PImpératrice Marie-Thérefe , qui y éroit auparavant & qui avoit été peint par Befchey. Dans cette même Salie font encore placés les portraits des Ducs & Ducheffes de Brabant : trois de ces portraits font attribués a Rubens, mais je ne les crois pas de lui; plufieurs de ces portraits font bien peints. Dans le Cabinet des Etats on a repréfenté des animaux morts, des biches, des fangliers, des oifeaux, une grande écrévilfe de mer & des fruits : on y voit aufii une femme , peinte , dit-on , par Rubens , qui donne des prunes a un perroquet qui les mange : ce tableau, de Sneyers, eft beau ; il eft de la plus belle couleur & du plus beau faire. Dans la > même piece font encore le portrait de Philippe II, peint par Eyckens , celui  dans les Pa* s-Bas. a7 d'un Empereur , peint par Van-Helmont, & deux autres portraits d'un Empereur & d'une Impératrice par Wigters. ' Dans une autre Salie on a placé un bufte de marbre blanc de Philippe V ,. par Baurechet; un grand tableau reprefentant la ville d'Anvers, peint par Bouncerov , & trois efquiffes de Rubens , qui . repréfentent les Arcs-de-Triomphe qui furent érigés lors de 1'entrée du Cardinal Infant dans la ville d'Anvers: On trouve dans KEuvre de Rubens ces efquiffes, gravées par T. Van-Tholden. Lorfque le Souverain du Brabant fe.marie , ou qu'un Duc de Brabant vient a naltre , Ton place devant 1'Hötel - de Ville un grand tableau repréfentant ün lit nuptial orné de beaucoup de richeffes. J'ai'vu dans une des Salles de la ville ce tableau, peint ou par Thomas Villeborts , ou par G. Séghers. Sur la cheminée de la même Salie eft un tableau de Martin Cleef; il repréfente Martin RofTen , Maréchal de Gueldre, qui, avec B a  28 Le V o y a g e u r. une armée de 15000 hommes, mit Ie feu le 24 Juillet 1542 aux moulins du fauxbourg d'Anvers. Dans la Salie de la Tréforerie , en a placé fur la cheminée le portrait du Cardinal Infant, & vis-a. vis ungrand tableau repréfentant la bataille de Calloy, que le Prince Ferdinand gagna le %i Juin 1638 : il eft peint par Gille Peeters, & les figures par Millet : ce tableau a du mérite, mais les tons verdatres en font devenus noirs, de maniere qu'il ne produit aucun eflet. Dans la Salie oü le Magiftrat tient fon Tribunal , qu'on appclle la Salie du grand College, font •les portraitsde Maximilien premier, de - Charles le Téméraire, de Charles V & de Charles II : tous quatre ont été peints par P. Eyckens. Le plafond de cette Salie a été peint par Jacques Drore & P. Eyckens : Balicu a peint les bas-reliefs. De cette Salie on paffe dans la Chapelle, dom 1'Autel & un très-beau Crucifix font du Sculpteur Michel Vervoort le vieux. ; Le plafond en rond de la Salie du, peut  dans Ij es Pays -Bas. dg College a été peint par Pere Pellegrino: il repréfente la Juftice qui foudroye les vices : il eft d'une belle maniere & d'une exécution très-facile. Autour de la Salie font de belles peintures en bas-reliefs de Balicu. Dans deux autres Salles de 1'Höte.l-deVille , j'ai vu un tableau repréfentant la cruauté des Efpagnols , dont on n'apas pu me dire 1'Auteur \ un autre , peint par Eyekens, repréfente une des places d'Anvers , nommée la place de mer, oü les Set mens font Texercice \ un autre de C. Francken , qui repréfente !a bataille d'Eckeren , gagwSè par les Francois , coraroandes par le Maréchal de Boufflers le 30 Juin 1703, contre les Hollandois, commandés par le Général Obdam ; un autre , peint par Quiliin , qui repréfente les dix-fept Provinces fous 1'obéiffance de Charles V ; enfin , un autre tableau clu même, qui eft le portrait de Francois de Moa. / . Je fuis, &c. B 3  30 LeVoyagbus. LETTRE IV. Anvers , ce .. . Fe'vrier 1783. JO e p u 1 s 1779 la mendtcité , Monfieur, a difparu d'Anvers, & fes pauvres, dont le nombre étoit alors de 12000, c'eft-a-dire , le tiers de'fa population , ont été fecoürus de maniere a leur óter tout prétexte de mendier. Cette multiplicité de pauvres dans Anvers avoit eu pour principe la décadence de fon commerce , & pour caufe fubfidiaire , le grand nombre de fondations pieufes qu'on avoit faites dans cette ville , & l'établiifement de quelques fabriques. La décadence du commerce d'Anvers avoit öté a nombre de fes habitans tout moyen de fubfifter. La charité publique, en les fecourant avec une efpece de prodigalité, & la charité particuliere, en leur aflurant,par les fondations qu'elle fit en leur faveur,  DANS LES PAYS-BAS 31 des fecours permanens , les avoit , pour ainfi dire , engagés a préférer la vie mactive de la mendicité a la vie aftive du falarié. A 1'exemple de leurs pareus , les enfans des pauvres refterent dans imaction ; ils aimerent mieux tenir leur iubfiftance de la charité de leurs concttoyens, que de la devoir a leur propre travatl. Des fabriquess'établirenta Anvers telles que celles de coton, de dentelles de diamans, & auffi-tót un nombre mfim d'ouvriers étrangers y affluerent. Les vivres y étoit a bon marché , les logemens peu coüteux , & la certitude d'être iecourus par la charité publinue & particuliere , s'its venoient a manquer de travail „ fut pour eux un puiifant rootu de venir habiter Anvers : leur efpérance ne fut pas trompée, & les fecours qu'ilsrecurent, quand ils les demanderent,, les fixa pour toujours a Anvers. Leur falaue cependant étoit fi modique qu'il fuffifoit S peine a leur fubfiftance & a celle de leurs femmés, de maniere qu'ils tomboient B 4  32 L E V O V A G E U R. dans la pauvreté du moment qu'il leur furvenoit des enfans; il en étoit de même fi la fabriqué qui les emplovoit reftoit quelques jours feulement dans 1'inaétion , ou fi Ia maladie les forcoit a fufpeudre leur travaii : comme ils étoient alors fecourus, ils s'eftimoient heureux : cette vie oifive leur paroiflbit préférable a Ia vie laborieufe. En général il n'y a que les befoins réels qui rendent laborieux ceux qui compofent la derniere clafie des citoyens \ cette claffë, a Anvers, a ce qu'on m'a affbré , eft naturellement portée a 1'oifivet^, très-adonnée a la boiffon ; elle a des mceurs fort corrompues , paree que ; ramaffée dans certains quartiers de la ville oü elle habite des efpeces de cabanes, elle fe livre a Ia crapule & a la débauche la plus outrée : elle ne tra- * vaille que quand elle eft abfolument fans moyen defubfifter, & fouvent même alors préfere-t-elle de devoir fa fubiiftance a la charité publique. Ce que les villes d'Ath , de Courtrai,  DANS LES PAYS-BAS. 3* de Bruges, de Tournai & de Gand avoient fait avec fuccès pour bannir de leurs murs la mendicité, engageales Magiftrats d'Anvers a s'occuper du même objet; ils le firent avec un zèle vraiement patriotique. Le reglement que le M^giftrat d'Anvers donna en i??9, relatifaeet objet, peut fervir-de'modele a tous les <£)fficiers-Municipaux qui voudront s'occuper bien ié-rieufem'efit du même objet., 1} y avoit alors" a Anvers la Chambre des pauvres qui étoit chargée de 1'adminiftration de leurs biens; la diftribution hebdomfidaire qu'elle fê trouvoit obligée de leur faire, • s'élevoit a 32000 flor. & fes moyens pour •la faire n'étoient que de 14000. Le> mendians n'étoient pas du nombre de ceux que fecouroit la Chambre ders pauvres , & tous les pauvres qui n'étoient pas fe■ courus ni par elle, ni autrement,' avoient -mconteftablement le : droit- de meridièr : pour les en priver il falloit'nèeeiTairemént ; pöürvoir a leurs belbins : on évalua qu'il falloit ajouter 100,000 flor. aux 'revenus B 5  34 Le Voyagetjr. des pauvres adminiftrés par ladite Chambre : on efpéra qu'on pourroit les obtenir"cTe la charité des habitans de la ville , maisaufli on fentit qu'il falloit, en laiffant fubfifter 1'adminiftration de cette Chambre, en former une nouvelle , qui, combinée avec celle des pauvres, opérat le bien qu'on en attendoit, en même-temps qu'elle contribuftt auffi a rendre plus grand !e bien que produifoit radminiftration de ]a Chambre des pauvres. ; ' ;• i ... • • Cette Chambre étoit & eft encore cornpofée de dix perfonnes charitables , qu'on nomme Aumóniers, & qui ont fous eux 40 Sous - Aumóniers & dix Receveurs. Les dix. Aumóniers fervent cinq ans: tous les ans on en choifit deux nouveaux : tous font choifis parmi les perfonnes les plus aifées & les plus refpeclables de la ville, qui toutes fervent gratuitement,ainfi que les Sous-A-umóniers , dont les fonctions font de faire la quéte dans lesEglifes les moics confidérables, tandis que les  dans les Pays-Bas. 35 Aumóniers la font dans les Eglifes principales Les Aumóniers ont la direaion des capitaux & des biens-fonds appartenans aux pauvres; ils prennent fora des enfans trouvés & des orphelins, placent ceax-ci dans les campagnes & ceux-la dansles maifons deftinées pour eux; ils font chargés de la direaion d'une maifon de fous, oü il en a ordinairement aoo environ ; ils fourniffent des chemifes aux feptuagénaires des deux fexes & des langes pour les enfans nouveaux nés. II y a a Anvers 31 maifons de charité oü les pauvres ont le logement & une partie de leurs entretiens: ces maifons font fous la direaion des Aumóniers. Les pauvres malades~ font recus dans un hèpital qui recoit environ 1300 malades tous les ans; eet hópital eft fous la direaion des Magiftrats de la ville, & les1 malades y font foignés par des Religieufes. Les malades qui ne peuvent pas y être tranfportés, ou qu'on juge n'être pas affez mal pouryêtre envoyés,font B 6  oö LeVoyagetjh. foignés chez eux par le Médecin & le Chirurgien du quartier qu'il habite : on a pour cela divifé la ville en fix quartiers; chacun a fon Médecin & Ion Chirurgien que les Aumóniers paient, ainfi que 1'Apothicaire qui fournitles médicamens aux pauvres malades. II y a auffi a Anvers un Accoucheur pour les pauvres & un Chirurgien pour ceux d'entre eux qui font attaqués d'hernies; les bandages qu'il fourmt lui font payés par les Aumóniers. . Le Reglement de 1779 n'a prefque rien changé aux fondions des Aumóniers, mais il les a fait correfpondre avec celles du nouveau Corps d'adminiftration des pauvres qu'il a créé: ce Corps fut compofé de 204 Adminiftrateurs, qu'on nomina Commiflaires, dont moitié féculiers & J'autre moitié eccléfiaftiques, & de deux Tréforiers. Pour leur faciliter 1'exercice de. leurs fonctions, on a divifé la ville en 34 quartiers; Pon fit trois chuTes des Commiflaires; on compofa la première de ceux qu'on nomina Commilfaires  -bans tEs Pats-Bas. 37 quêteurs ; on qualifia de Vifiteurs ceux de la feconde claffe , & de Diftributéurs ceux de la troifïeme. On attacha a chaque quartier deux Commiflaires de chacune de ces trois clalfes, 1'un eccléfiaftique, 1'autre féculier. C'eft d'après.le rapport -de ces Commiflaires, qu'ón rfait tous les fix mois un état de 1'efpece & dej la quotité de Paumóne que doit recevoir chaque pauvre par mois ou par femaine. Pour fe former une jufte idee de la fagefle du Régleraent des Magiftrats d'Anvers de 1779, il faut le lire en entier; s'il pourvoit aux befoins des pauvres , il proportionne avec la plus grande équité* les fecours aux befoins; il öte a ceux qui ont le droit de réclamer ces fecours , toute efpérance de les obtenir, s'il eft en leur pouvoir de fe les procurer par leur travail; de cette maniere les pauvres a Anvers ne font pas. autorifés, fi Pon peut parlcr ainfi , a refterdans Poifiveté ; mais auffi le pauvre laborieux eft sur de.recevoir de la charité tous les fecours qu'il  38 Le Voyageur. ne pourra fe procurer par fon travail. Ce qui m'a paru d'une grande fagefle , c'eft 1'art. de ce reglement, qui ordonne que le pauvre qui eft en ctat de travailler, recevra de la charité les moyens d'employer fon induftrie, & que les fecours qui lui feront donnés enfuite, diminueront a proportion de ce qu'il retirera de fon travail. On a poufle Pexactitude au point de mettre une différence entre les fecours donnés en hiver & ceux qui doivent être donnés en été : par exemple , fi un vieillard , hors d'état de travailler , recoit en été 4 fols 6 deniers par jour, il devra en hiver recevoir 5 fols. Plus la fituation d'un pauvre eft trifte & douloureufe, plus les fecours que la charité lui donne font grands; ainfi 1'aveugle a 5 fous par jour , tandis que le vieillard qui jouit de la vue, mais qui eft comme Paveugle, hors d'état de travailler , ne recoit que 4 fols 6 deniers. - Ce fage Réglement ne commenca a. êtreexécuté qu'en 1780, en vertu d'une  dans les Pays-Bas. 39 ordonnance de S. M. Imp. & Reine du 30 Oaobre 1779. H.y a dans 1'ordonnance des Magiftrats des difpofitions trèsfages relatives aux étrangers: il y eft dit qu'a 1'époque de la publication de 1'ordonnance , tous les étrangers qui n'auront pas acquis le droit de domicile dans Anvers par un féjour de trois années confécutives, feront obligés, s'ils veulen* refter dans la ville, de comparottre dans les fix femaines après la publication de la prcfente, a la Secrétairerie de la ville , pour s'y faire enrégiftrer fur un regiftre tenu a eet efTet, & y montrer une atteftation convenable des gens de loi de leur domicile, touchant leur comportement, métier & nombre ct enfans , dont acle leur fera donné par la Secrétairerie. Suivant la même ordonnance on ne peut louer a Anvers une maifon ou chambre a un éïranger qui ne produit pas Pafte qui lui a été délivré h la Secrétairerie de la ville , a peine de 50 flor. d'amende contre celui qui aura logé eet étranger.  4° Le Votaoeus. Pour pouvoir acquérir la Bourgeoifie a Anvers, il faut être pourvu de licté de la Secrétairerie. Je fuis, &c.  DANS LES PAYS-BAS. 4I L E T T R E V. Anvers, ce. ... Février 1783. C' est un beau fpectacle , Monfieur, pour celui qui aime le commerce Sz en connoit le prix , que de voir raffembler les principaux commercans d'une grande ville dans ce qu'ils appellent la bourfe. Ici ce font des produdions de 1'Amérique dont on ncgocie 5 la ce font de celles de 1'Afie dont on vend une partie confidérable. A ce pilier , fe projette un.grand armement pour les cótes d'Afrique, a eet autre pilier ;ón rófoud.de cultiver une nouvelle branche de commerce. Tel homme qui avoit dans fon portefeuille , en entrant a la bourfe , pour 100,000 florins d'effets royaux , en fort avec 100,000 de bonnes lettres de change fur Paris, Amfterdam ou Lortdres, qu'il a achetées-avec le produit de  4* Le Voyageur. la vente de fes effets royaux. II fe fait a une bourfe pour plufieurs millions de négociations en moins de temps qu'il n'en faudroit pour les infcrire fur un regiftre , & toutes fe font avec cette franchife & cette candeur qui caractérifent la bonne foi, dont jamais les véritables commercans ne s'écartent. La bourfe d'Anvers a été batie en 1531; elle a 194 pieds de longueur fur 154 de largeur : quatre rues aboutiffent a fon cenlre ; elle eft entourée d'une gallerie en arcade que foutiennent 50 pilliers taillés différemment. Au-deffus de cette gallerie font d'un cöté la Salie de la ci-devant Compagnie des Indes, & de 1'autre cóté les Talles de 1'Académie Royale de peinture. Dans ces Salles font des tableaux dont plufieurs font précieux. Un de ceux qui décorent le plafond de la Salie oü les Académiciens tiennentleurs affemblées, eft très-ingénieufement compofé; il eft de T. Boyermans & repréfente 1'école de Rubens : la ville d'Anvers fous la  dans Ij e S PaYS-BaS. 4 ^ figure d'une jeune & belle perfonne & 1'Eicaut fous celle d'un homme lort, robufte & vigoureux, y préfident; on y voitle Temps qui y introduit plufieurs enfans qui fe préfentent pour y entrer. Dans ce tableau on voit le portrait de Rubens, celui de Van-Dyck & de fa femme. Les autres tableaux de ce plafond font de L. Jordaens, de Roore, de Spterinckx & de Vervort le jeune. La porte de cette Salie s'ouvre en deux : fur 1'un des battans öttovemus a Ve;nt en 1589, St. Luc & St. Paul devant le Juge Félix. Martin Pépin a peint fur 1'autre battant St. Luc prêphant dans le défert. On apeine a fe perfuader que ces deux tableaux foient de ces deux Artiftes,tant ils font durs & fecs. II % a d-ms'cette même Salie un tableau de Rubens qui a été gravé par Bolswert : U repréfente une Ste. Familie : ce tableau eft beau , d'une maniere fondue , mais il y a de'la force ; les têtes font belles: ce tableau eft bien compofé & a encore  44 Le Vöyageur. une grande frafcheur. Les autres tableaux qui décorent cette piece font deux portraits ; Pon attribue Pun a Van - Opftal & ! autre é Van-Dyck; les Mufes qui s'occupent des arts libéraux , peints par Maes ; le deffin en eft médiocre & la couleur crue ; la Juftice & fes attnbuts , Moïfe , Aaron & des Anges : ce tableau allégorique eft médiocre pour le deffin ; les draperies en font manierces; il a été peint par j. Jordaens; celui de _Pierre Poel, qui repréfente des chofes inanimées & des cignes , eft bien compofé , bien peint & bien rendu ; les cignes fur-tout le font fupérieurement ; St. Luc qui peint Ia Viergè , par Francois Floris , eft un tableau qui a beaucoup de vérité & eft'd'une bonne couleur , mais il n'a pas d'effet; celui de Nerts en a d'avantage; ïl repréfente une Ecole Académique; on y volt des Peintres & des Sculpteurs qu'i font occupés a copier d'après des modeles vivans ; un payfage habitc par les Mufes eft fort bon ; il eft de A. Genoels; mais  dans les. P AYs - Bas 45 les figures font de Böyermans; celui de Backer qui repréfente la paix & la juftice, eft deftiné d'un bon caraftere & les formes en font bien arrötées. Le tableau de fleurs de P. Verbruggen , eft peint avec la plus grande facilité , mais la couleur en eft trifte & froide ; il a peu d'effet. Abraham & Agar , de Eyckens le vieux, vaut mieux ; mais il eft auffi bien froid : un Temple de Minerve peint par Van-Delen & les -figures par T. Bogermans, forment un. tableau fqible ; 1'Architeéture pour la perfpective en eft exacte : Un ;Port du Levant peint par Minderhout i0eft, un-tableau bien fait; mais'il eft trop chargé de figures & lés objets y paroiffent les uns fur les autres^, ce qui produit une confufion qui öte a ce tableau tout fon effet. . II y a.dans- cette.,Salie:. deux beaux buftes de marljre Wanc ; 1'un eft celui de . Jean Dominique de Zuniga & Fonfeca , Comte de Monterey, Gouverneur des Pays-Bas: ce büfte eft bien pofé & exécuté  46 Le Vovagevi avec fineffe : il fait honneur au cifeau de Louis Willemffens : 1'autre bufte efi du Sculpteur Keerks, il et parfaitement exécuté & repréfente Maximilien Emmanuel, Elecleur & Duc de Baviere, Gouverneur des Pays-Bas. La piece qui fert d'Anti-Chambre a la Salie d'affemblée dont je viens de vous entretenir , efi ornée de plufieurs tableaux, dont quelques uns méritent d'être examinés avec attention. Au-delfus de la porte d'entrée, eft le portrait d'un des Chefs de 1'Académie , bien peint par VanOpftal ; mais il eft bien inférieur èt celui peint par C. Devos, qu'on voit dans la même Salie : ce portrait eft celui d'un vieux Conciërge de 1'Académie, dont il porte les arm es au cou : ce tableau eft d'une belle facon de faire : il peut entrer en concurrence avec les plus beaux portraits peints par Van-Dy'ck i un -flutre bon portrait eft celui d'un Chap'elain de 1'Académie , peint par P. Tyffens : le même Peintre a auffi fait le pottrait d'un an-  dans LES PaYS-BaS. 4f cien Doyen de cette Compagnie, qu'on a placé fur la cheminée : ce tableau eft bien peint, plein d'expreffion & de vérité : celui de Quentin-Matys, peint par lui-même , qu'on trouve encore dans cette Salie, lui eft bien inférieur : il eft froid & fee. On attribue a Franck un tableau qui eft prés de la cheminée & qui repréfente la peinture & la fculture perfon. nifiées : ce tableau m'a patu très-médiocre; mais celui qu'on dit être de P. Tyffen , qui repréfente 1'Académie de Venife, 1'eft encore davantage. Minerve & la peinture qu'on y voit, n'expriment rien : il n'en eft pas de même du tableau de G. Moftaert, qui repréfente Jéfus-Chrift attaché ft la Croix : c'eft véritablement un beau tableau ; mais celui de Van-Penen, lui eft bien fupérieur ; il eft bien compofé, d'une bonne couleur & d'un effet vigoufeux ; il repréfente une femme qui fahTcuire des galettes. Un payfage de Spirinx feroit un beau tableau , s'il n'étoit pas trop noirci. On a le même  48 Le Voyageur reproche a fa:re a un payfage peint par Wans. L'intérieur d'un Ralais, peint par Minderhout, eft d'üne botine Architecture; mais e"eft un tableau froid de couleur & trop noirci. Le plafond de cette piece a été peint par Vervoort, qui y a repréienté Apollon & les Mufest Dans le Cabinet oü fe tiennent les Profefleurs pendant le temps de Pécole,j'ai vu avec plaifir le tableau de la cheminée ; il a été peint par P. Tylfens & repréfente Icare , figure a demi-corps ; c'eft un bon tableau. Les autres le font moins ; 1'un eft un bas-relief, peint par Geeraerts, Directeur de 1'Académie , 1'autre le portrait du Directeur Befchey, peint par lui-même : un troifieme eft le portrait de Martinafic , peint par Lens, dont on voit encore un tableau allégorique repréfentant la peinture. A la tête de cette Académie font un Directeur , un Vice-Directeur & fix Profeffeurs. Sous les yeux de ces Profeffeurs lesjéunes éleves deffinent d'après nature , mais  DANS LES PAYS-BAS. 49 mais feulement pendant fixmoisdel'année, a commencer du premier Oétobre vers le carnaval. On diftribue tous les ans trois prix aux trois éleves dont les deffins ■ ont été jugés les meilleurs par leg Directeurs & les Profcfleurs. Je fuis, &c. III. Tornt. Partie I. C  5^ Le Voyageur L E T T R E VI. A 1'Auteur du Voyageur. JBruxelles, ce .. . . Janyier 1783. Pe r m e t t e z , Monfieur , qu'un habitant de ce Pays, qui remarque avec plaifir , dans vos lettres itinéraires , le difcernement avec lequel vous dévoilez des abus qu'une routine aveugle femble perpétuer, vous falie fes remercimens fur vos vues patriotiques. II eft a fouhaiter que votre pénétration mette nos abus au grand jour , & fubftitue des moyens conftatés par 1'expériënce & la raifon, conformes aux temps préfens, a notre fituation locale & aux changemens progreffifs de nos voifins, fur la perfection des arts , du commerce & de 1'agriculture. Vous convenez que ces trois objets importans font liés enfemble ; ils font même  DANS LES PaYS-Bas. 5t inféparables, car tout ce qui a rappor* aux arts, aux manufaétures & au commerce interne & externe , nous viennent de la terre, que Phomme foule fouvent aux pieds, fans en faire un trop bon ufage, ainfi que du temps qui lui eft prefcrit d'en profiter. Mais ctant elfentiel pour un commerce floriffant de perfectionner aux moindres frais poffibles , toutes les matieres premières, il faut commencer par améliorer le fol qui les produit , par en augmenter les produftions & en corriger le genre. Tout cela refte encore a. faire , Monfieur , dans une grande étendue de terre de ces Provinces, fur lefquelles vous fixez vos réflexions ; un étranger aura peine a croire qu'un pays en réputation d'être* bien cultivé , fituc fous un climat propre a la végétation , par 1'abondance précieufe des pkiies , & de fon air tempéré * ait a fe reprocher en plufieurs endroits, de ne pas mériter cette éloge, & d'être expofé au blame d'une médiocre culture , C 2  52 Le Voyageur a la mifere, aux maladies & dépopula- tion qui en font les fuites malheureufes. II n'en conviendra qu'après s'être éloigné des grandes villes & des chauffées qui y conduilent, qu'après avoir obfervé attentivement la facon de cultiver ufitée dans les Paroiffes & Jurifdiétions éloignées , qu'après avoir connu leur fol & leur préjugé, enfin qu'après avoir comparé leur méthode infuffifante avec Ia méthode introduite dans Ia partie de la Province oü les travaux de la terre font le mieux entendus. Ce feroit ici un fujet digne de vos remarques , d'infiruire vos Lecteurs du réfultat de vos réflexions. Vos regards feroient frappés de voir une quantité de chemins étroits, profonds & tottueux, que les pluies rendent impraticables, & dont les bords relevés montrent en vain au bras indifférent, les moyens d'y remédier. Vous verriez les plaines & les cöteaux furchargés fans goüt ni raifon , d'une infinité de buiffons & mauvais taillis, terrein perdu ou de  DANS LES PaYS-BaS. 53 peu de rapport, que la charrue pourroit féconder , mais qui appauvrit depuis plufieurs fiecles les environs, par une multitude de lapins qui ont fondés leur afyle dans ces endroits , & d'oü ils s'étendent pour dévorer la fubfiftance du pauvre. Vous verriez des bois dont la culture eft fi mal entendue , qu'ils n'en ont que le ^nom ; des arbresmal entretenus, de raauvaii'e venue , défigurer 1'emplacement qu'ils ombragent, vrat rebut de la charpente & de la menuiferie. En vifitantles valides , vous ferez furpris d'ehtendre 1'écoulement d'une eau qu'on neremarquequepar la fange qu'elle forme fur fes bords, & 1'infedtion de 1'air qui en réfultë: loin que l'aftivité humaine lui rende fon cours libre & falubre , il gu'e mille arpens de terrein , fans faire répentir de leur ncgligencc ceux qui fubfiftent de fon eau. Vous verriez des pres peu foigncs, nourrir un mince bétail, qui ne peut s'y engrailfer , & qui diminue fouvent par les herbes contraiC 3  54 Le Voyageur res qui s'y multiplient & par 1'effet des rofées que le fol corrompt. Ce tableau n'eft pas agréablc, mais il efi: poffible d'en voir changer bientöt la face, fi les propriétaires des fonds , plus attentifs -a leurs avantages , vouJoient anticiper les frais , pour en retirer dans la fuite leurs intéréts au centuple : ils feroient plus riches & plus fatisfaits, s'ils s'adonnoient il toutes les parties de 1'agriculture , dont la connoifiance eft effentiellement de leur relfort, puifque par elle, leurs ancêtres ont acquis & confervés les biens dont ils polfedent la propriété. Si au-lieu d'abforber par le luxe une partie de leurs capitaux , ils retenoient fur leurs fuperfluités journalieres un huitieme de leur revenu pour 1'amélioration de leurs terres, cette huitieme partie employée avec difcernement, doubleroit leurs fonds en peu d'annces, en les préfervant des mauvais elfets d'un temps perdu & mal employé. Ils fcmblent ignorer que nous appartenons a la terre, &  dans les Pays- Bas. 55 que nous retournons a la terre ,. ces liaifons femblent nous porter a tirer de fon produit le plus de profit & le plus durable. Vous ferez encore furpris lorfque, paf courant les terres arables de ces con-trées, vous en verrez prés d'un tiers en friche. Vous demanderez pourquoi cette partie confidérable du fol refte languiffante fans ptoduaion. On dira que c'eft la cou . tume du pays,que les terres font meilleures lorfqu'eiles ont repofé deux ans, & d'autres propos f'rivoles. Mais ces non-valeurs dans la culture, ont leur principe dans 1'intérêt mal combine des propriétaires, qui confient a un feul homme trop de terre, & 1'exploitation d'un terrein trop vafte, fort au-delfus de fa capacité , & dont il ne rend qu'en proporiion de ce qu'il fe propofe de cultiver tous les ans, & déduifant encore fur les frais de culture , le pot de vin ou une avance qu'il eft d'ufage de faire payer au fermier , ;& chaque nouveau bail qu'il contraéte ordinairement après un terme de neuf C 4  5° LeVyoageur années. Le reftant du terrein eft en pure perte pour la fubfiftance des habitans & pour les produftions relati ves au commerce & aux manufaftures; la population , laquelle fair-tout valoir , contenant en elle la force , 1'induftrie & autres reflburces des eontrces floriflantes, en eft confidérablement altórée dans le nombre , ainfi que dans la conftitution de leur tempéramment, végétant dans la mifere, logés dans des cabannes humides & mal-faines, ils font les deux tiers de 1'année dans 1'oifiveté fans travail, & manquant fouvent de nourriture. II s'enfuit que la pareffe & le découragement les entratoe au mal. II eft réfervé, Monfieur , a une perfcnne éclairée & bien affectionnée pour 1'humanité & 1'avantage du pays , oü vos écrits font connus , d'analyfer les torts qui réfultent des gros fermiers qui pcfTedent, atitredc culture exclufive, i20o arpens de terre , auxquelles ik ne fuffifent pas même a la moitié , s'ils veulent  DANS LES P A Y S - B A S. 57 donner au terrein les améliorations dont il eft iufceptiblc. D'oü il réfulte que d'une lieue quarrée , prés des deus tiers font en non-valéur , en comprenant la négligcnce des bois & des paturages. II eft vrai que les propriétaires font punis par les conféquences qui rcfultent de ces difpofitïons anciennes, mais la perte ni la diminution de leur revenu , ne compenfe pas le tort que 1'humanitc fouffrante en recoit. La langueur , le dépérilfement de .ces contrées ne trouvera de rèmede que dans la fubdivifion des grandes fermes, qui donne 1'aifance a un plus grand nombre de families , lefquelles emploient plus de bras a la perfeftion de l'agriculture, dont le produit croilïant fait fteurir le commerce. Ces vérités préfentées dans vos écrits » peuvent faire réfléchir bien des gens fur leurs propres intéréts, & fi elles operent le bien qui peut en réfulter, vous mérit er ez, a plufieurstitres, d'avoirun rang C 5  58 Le Voyageur panni les bienfaiteurs de 1'humanité, & vos écrits coniacrcs au premier des arts, feront confidérés dans les temps les plus reculés. Je fuis, &c  DANS LES PAYS-BAS. 59 L E T T R E VII. Anvers, cc.... Février 1783. J j A frgnature des préliminaires de .la paix , Monfieur , a produit ici 1'effet qu'elle devoit produire. Les amis de 1'humanitc s'enfontréjouis, ainfi que de la nouvelle qui leur eft venue d'Allemagne des arrangemens pacifiques que les Cours de Vienne & de Pétersbourg ontfaits avec la Porte. Ceux qui ne retirentaucun avantage de 1'augmentation du commerce, voient auffi avec plaifir la ceffation de la guerre. Si la guerre enrichiffoit les commercans des Pays-Bas Autrichiens, elle appauvriffoit ceux de fes habitans qui n'exercoient aucune des profeffions qui ont rapport au commerce : quoique leur revenu fut le même qu'avant la guerre, leur iituation n'ctoit pas la même. La guerre avoit tcllement fait augmenter les denrées dans C 6  6o L b Voyageur tous les Pays-Bas Autrichiens , que le plus grand nombre de leurs habitans s'étoient vus dans la dure néceffité de réformer leur dépenfe ordinaire. Les denrées les plus communes, telle, par exemple, la viande de boucherie commencoit a devenir rare ; leprix des cafés, des fucres , & des épiceries avoit doublé. La paix va ramener 1'abondance , & tous les, citoyens radiftindtement jouiront 'des avantages qui en réfultera. Les négocians feront des ' béncfices moins coniidérables , mais ils en feront dédommagés par Faugmentarion de faaivité du commerce intérieur, qui eflr dans le vrai plus important, paree que c'eft celui qui contribue le plus au bonheur des citoyens. ' Je crois qu'en général les négocians de ces pays-ci , ainfi que ceux de tous les pays neutres , ont vu avec peine arriver 1'tnftant oü s'eft opéré. certe pacification générale, qui met un terme aux entreprifes lucratives que la guerre leur donnoit occafion de faire. Mais fi h com-  dans les Pays-Bas. 6i merce des Pays-Bas Autrichiens va être moins floriflant qu'il 1'a été pendant la guerre, il le fera davantage qu'il ne Yëtoit avant la guerre. Tous les courniercans Francois, Hollandois & Anglois qui, depuis la guerre, étoient venus s'établir a Oftende, a Bruges , a Anvers & même a Bruxelles pour y faire le commerce , ne retourneront point dans leur pays na.tals; plufieurs d'entre eux, & fur-tout les Anglois & les Hollandois, préféreront de refter dans les Pays-Bas. Si la guerre préfente a coüté ala France, comme vous me le mandez, treize eens millions , on peut railbnnablement penfer qu'elle a occafionné a 1'Angleterre une dépenfe de deux milliards , paree qu'il eft certain que la nation belligérante qui a Pavantage , dépenfe moins que celle qui combat avec défavantage. La paix donne è. la France de grands dedommagemens de la dépenfe qu'elle a faite, tandis qu'elle öte a 1'Angleterre une partie des moyens qu'elle avoit avant  62 Le Voyageur. la guerre de fupporter une dépenfe extraordinaire. La paix óte a 1'Angleterre plufieurs branches de fon commerce, & en donne de nouvelles a la France: fi le commerce de celle-ci va être plus floriifant, doit-on croire que fes habitans lui préféreront une terre étrangere 1 Au contraire ne peut-on pas raifonnablement penfer que nombre d'Anglois que le commerce feul attachoit a leur pays, y renoncetont pour aller habiter les pays qui leur offriront plus de moyens d'exercer leur induftrie & de faire valoir leur fortune. L'article des préliminaires qui nuira le plus au port d'Oftende, eft celui qui abroge tous les articlés relatifs a Dunkerque , depuis le traité de paix' conclu & Utreck en 1713 , inclulivement jufqu'rt •ce jour. La France, en rétablifiant ce Port tel qu'il étoit alors, accordera fans doute de nouvelies franchifes & de nouveaux privileges a ceux qui viendront y aborder. Ce Port a fur celui d'Ofiende  dans les Pays-Bas 63 des avantages qu'il Velt pas au pouvoir des hommes de donner , & c'eft a préfeut plus que jamais qu'on va connoitre dans les Pays-Bas Autrichiens combien il fcroit utile a leur commerce de rendre totalement hbre la navigation de 1'Efcaut, & peut-être de transférer au Port de Bruges la franchife dont jouit celui d'Oftende. En lifant les articles 13 , 14, 15 & 16 des préliminaires , on ne peut douter que la France n'ait Formé le projet de rétablir fa Compagnie des Indes Orientalcs , & cette Compagnie, établie fur des principes plus vrais & gouvernée plus fagement qu'elle ne 1'étoit avant fa fuppreffion , pourroit bien lutter avec avantage contre celle d'Angleterre & d'Hollande ; mais quelque foit fon fort, fon rétabliff-mcnt nuira beaucoup a celle de Triefte , d'autant plus que celle d'Angleterre , & fur-tout celle de Hollance , mettront auffi tout en oeuvre pour avoir la préférence dans les marchés ,• elles y baifferont le prix de leurs marchancii/es, de  64 L e Voyageur. maniere, par exemple , que Ia denrée de fTnde qui fe vendra a Oftende par Ia Compagnie de Triefte 5 flor. fera offerte ' aux acheteurs a deux & demi par la Compagnie d'Hpllande. Tout annonce que le Gouvernement Francois va s'occuper des moyens d'engager fes commercans a s'adonner ii la traite des negres , de maniere k pouvoir fournir ii I'avenir au repeuplement des atteliers de fes colonies de 1'Amérique. L'art. 9 des préliminaires , qui rend i la France 1'Ifle de Gorce, les quatreforts, & lui affure la poffefflon de la riviere de Sénégal & de fes dépendances, prouve inconteltablement que la traite des negres fera une des branches de fon commerce a Iaquelle elle donnera a I'avenir la plus grande attcntion. Le commerce que les négocians des Pays-Bas Autrichiens pourront faire fur les cötes deGuinée , ne leur offrira donc pas le même avantage qu'il leur offroit avant la paix. C'eft donc vers l-Amérique feptentrio-  dans les Pays-Bas. 65 nale que les négocians des Pays-Bas Autrichiens doivent aujourd'hui diriger les principales opérations de leur commerce ; c'eft avec la République des Etats-Unis que S. M. Imp. doit faire un traité de ■commerce qui affurcra ft fes fujets des Pays-Bas un dcbouché pour leurs produaions induftrieufes ; mais ces productions font-elles en affez grand nombre & alfez diverfifiées pour qu'elles puiflentformer des envois confldérables 1 je ne le crois pas. II faudroit donc qu'on s'attachat dans le Brabant & la Flandre ft multiplier les fabriques. Si les fujets de la République des Etat-Unis entendent leurs véritables intéréts, ils cultiveront & ne manufaaureront pas ; s'ils manufaauroient , les nations manufaaurieres d'Europe , feroient fans motif d'acheter les produétions territoriales que leur offriroient les habitans de 1'Amérique feptentrionale , fuivant cette maxime , que qui n'importe pas, n'exporte pas. La République des Etats-Unis a des produaions  66 Le Voyageur. territoriales que n'ont pas les Pays-Bas Autrichiens ; ce font des bois de conftruction , du riz, de 1'indigo : par fon commerce d'interlope , elle aura des bois de teinture, des fucres, des cafés , des cotons, même les poiffons falés ou féchés que la Hollande fournit aujourd'hui aux habitans des Pays-Bas Autrichiens. Les fujets des Etats-Unis de 1'Amérique recueillent ou recueilleront toutes les productions de la terre qui fe cultivent dans les Pays-Bas Autrichiens , ainfi ils ne peuvent donc recevoir en échange de celles qu'ils fourniront aux habitans de ces pays, que des productions induftrieufes & celles des Indes Orientales que la Compagnie de Triefte pourra leur envoyer 1 Mais , direz-vous , les Pays-Bas Autrichiens pourront-ils entrer en concurrence avec la France dans la vente des productions induftrieufes 3 Et pourquoi ne le pourroient-ils pas '1 La main-d'ceu* vre eft moins chere dans les. Pays - Bas Autrichiens qu'elle 1'eft en France , en Hollande & en Angleterre , & quant aux  dans les Pays-Bas. 67 matieres premières, ils peuventles tirer de lamêmefource que les «rent les m nufadturiers Anglois, HoUando» & Francois, a 1'exception cependant delaioie cue la France tient de fon propre cru, mais que 1'Angleterre & la Hollande feront obligées de tirer comme eux du Piémont ou de la France. Le Souveram des Pays - Bas Autrichiens a un moyen certain d'affurer la préfcrence dans les marchés des Etats-Unis aux productions induftrieufes de fes fujets, c'eft d'aftranchir de tous droits d'entrée toutes les matieres premières employées r\ leur fabrique , & de tous droits de fortie , toutes ces raêmes matieres premières manufacturées. La\égiflation , dit Robertzon , en chargeant le commerce iïimpótstroponéreux, ou en le gênant par des reftnclions trop féveres , manque fon hut; & dans la réalité, elle nefaït que multiplier les appas offerts a la contravention & donner au commerce frauduleux l'encouragement d'un gain plus confiddrable. 6 Je fuis, &c.  Le Voyageur. L E T T R E VIII. JAnvers, ce .. . Février 178-5. 'a 1 vu aujourd'hui , Moniieur , cette maifon célebre des Oftrelins, batie en 1564 aux dépens des villes Anféatiques: a cette époque le commerce d'Anvers jouiflbit de toute fa fplendeur : cette maifon a été placée prés de la riviere entre deux larges canaux qu'on avoit faits pour facditer la charge & la décharge des vaiffeaux : ce batiment a a5o pieds de longueur fur 200 de largeur; le rez-de-chauffée fervoit de magafin, & dans les deux étages qui font au-deffus , étoient 300 chambres pour les négocians & marchands étrangers. Cette vafte maifon n'eft aujourd'hui d'aucun ufage pour le commerce : 1'on m'a dit qu'on y logeoit quelquefois les foldats: 1'on conferye dans cette maifon degrands inftrumens a vent , dont on jouoit ancLnnement devant les marchands étran-  dans les Pays-Bas. 69 gers, lorfqu'ils alloient ou revenoient de la bourfe. Ce font des trompettes marines dont on fait encore ufage en Allemagne a midi & Je foir dans les Temples Luthériens: elles y fervent de cloche» & font placées dansles clochers : deux hommes les y mettent en oeuvre : les fons que rendent ces inflrumens , entendus d'une certaine diftance , ont quelque chofe d'harmonieux. La machine des braffeuis, dont on m'avoit fait le plus grand óloge , & qui paffe parmi les habitans de cette ville pour la huitieme merveiile du monde , ne m'a paru qu'une machine fort ordinaire : elle : fert a fournir de l'eau aux braffeurs qui ! habitent le quartier oü on Pa pofée , ainfx qu'a plufieurs maifons voifines de ce quartier. Cette eau vient du canal d'Herenthals, qui eft éloigné d'environ un quart de lieue de 1'endroit oü eft pofée la machine. L'eau du canal entre dans un large conduit qui, après avoir longé les foffés, traverfe ces folfés , les murs &une grande partie de la ville & va aboutir a un fouterrein d'une grandeur prodigieufe : c'eft  fo Le Voyagkur de ce fouterrein que 20 feaux qu'un mbulin fait monter, portent l'eau a 70 pieds de hauteur dans un puifart oü elle fe jette, tandis que 20 autres feaux defcendent & vont s'emplir pour remonter enfuite vers le même puifart. L'eau de ce puifart paffe par un grand conduit de plomb &vafe rendre par une infinité de petits tuyaux dans les maifons & brafferies qui ont droit de jouir de cette eau. L'Inventeur de cette machine n'a pas fait un grand effort d'imagination. Les Anverfois placent leur Salie de Speétacle au-deffus de toutes celles qui font hors de 1'Italie : ils n'acceptent ni celle de Manheim , ni celles de Marfeille & de Bordeaux. Leur Salie a été b&tie depuis 1746, que 1'ancienne fut entiérement confumée par les flammes : cette nouvelle Salie eft jolie , peu vafte , mais bien décorée. Autour du Parterre font quatrerangs de Loges; il vaudroit mieux qu'il n'y en eüt que trois : ce Thé&tre ne fert que 1'hiver.  banJ les Pays-Bas. 71 II y a auffi a Anvers un Concert d'amateurs qui y donnent des Concerts gratis depuis le premier Novembre jufqu'a P&que : la Salie de ce Concert efi fort bien décorée. Le plafond & 10 tableaux qui repréfentent Apollon , & les neuf Muies ont été preinas par Vervoort le jeune. J'ai été rendre mes hommages au fuperbe géant Antigone , il donne fes aüdiences dans ce qu'on nomme le grand magafin de la ville : il a 27 pieds de hauteur, y compris le piédeflal fur lequel il efi affis: il a pour compagnie une géante qu'a fait Herreyns , & puis encore un éléphant d'une énorme grandeur, qui, avec fa trompe , fait des mouvemens trés-naturels. Une baleine qui a 28 pieds de longueur , eft la piece de magaiin qui m'a le plus occupé; tout eft vrai dans cette machine; fes mouvemens font fi naturels qu'on la croiroit animée; l'eau qu'elle jette en abondance ajoute encore a 1'illufion. On voit auffi dans ce magafin un vaifleau voilé, mké & garni de  7S Le Voyageur. tous fes cordages : il a 33 pieds de haut fur 20 de long. Les chars, les arcs-detriomphe & nombre d'autres morceaux dont on fait ici beaucoup de cas & qu'on conferve avec foin dans ce magafin , n'ont pasfixélong-tempsmon attention. Paffant fur une place oü fe tient le marché des Vendredis, je vis au-deffus de la porte d'une maifon , qu'on me dit être celle de M. Moretus , un Hercule & une belle femme qui tient dans fa main un cartouche , au milieu duquel eft un compas & cette infcription labore & conftantid. Cet Hercule & cette femme, me dit mon conducteur , font de Guilain d'Amfterdam , & cette devife labore & confiantid , eft celle de la célebre Imprimerie de Plantin que tiennent encore fes defcendans. Je fuis, &c. . Fin de la Première Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O u LE TT RE S Sur 1'état a&uel de ces Pays. —. =» Felix qui potuk rcrum cognofcere caufas! VlRGILE. TOME TROISIEME. Seconde Partie. A A M ST E R D ArM, Chez Changuion , Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. L XXXIII.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. LETTRE IX. Anvers , ce .... Février 1783. I L y a, Monfieur , une fi grande différence entre les mceurs des habitans ■ d'Anvers & celles des habitans de Bruxelles , qu'on croiroit ces deux villes fituées a une diftance énorme 1'une, de 1'autre , & ibus deux "climats tout-a-fait différens. L'on a peine a fe perfuader que leurs habitans foient membres du même corps D a  ?6 Le Voyageur. politique , fujets du même Souverain , foumis aux mêmes loix & gouvernés d'après les mêmes principes. A Bruxelles ce font les mceurs Francoifes, a Anvers ce font les mceurs Hollandoil'es. L'Anverfois n'eft pas morofe comme 1'Anglois ,mais il eft trifte comme le Hollandois; frugale comme lui, il a auffi fon économie , mais elle n'eft pas, comme chez Ie Hollandois, poulfée jufqu'ft la parcimonie. Un Anverfois ne proportionne pas fa dépenfe a fon revenu ; il a la fage prévoyance de fe réferver un fuperflu qui le met en état de fupporter les hafards malheureux des cas fortuits : auffi eft-il bien rare de voir un Anverfois manquer a fes engagemens , & c'eft lace qui fait que les négocians d'Anvers , & fur. tout fes banquiers, ont un fi grand crédit dans toute 1'Europe. De-la vient peufêtre 1'idce avantageufe qu'il a de lui-même & qu'on lui reproche, fur-tout, dans les Provinces des Pays-Bas Autrichiens , oü 1'Anverfois paffe pour un homme fier &  dans les Pays-Bas. 77 avantageux, qui fe pnfe beaucoup & n'eftime perfonne.' Si cela eft, il n'eft pas étonnant qu'il foit naturelleme.nt méfiant : on le dit auffi minuüeüx en affaires , fin & rufé dans fes traités , adröit & extrêmement prévoyant dans fes conveniions: s'il donne peu au hafard, comme on le lui reproche, c'eft fagefle : s'il eft quelquefois trop timide dans fes fpéculations , c'eft ,prudence ; mais s'il devient hardi jufqu'a la témérité , quand 1'entreprife lui ofFre de gros bénéfices , c'eft avidité : il eft plus laborieux qu'aftif; il invente peu & perfeaionne rarement : fes idéés font nettes, mais elles s'étendent rarement au - dela de la fphère oü il fe trouve placé; les revers ne le décourageut pas, les pertes qu'il elfuie ne le rendent ni plus timide ,'ni plus entreprenant; s'il cherche k les réparer, c'eft par fon travail. Les Anverfois n'ont entre eux d'autres liaifons que celles que leur état ou leur ptofeffion les force d'avoir ; s'ils' fe voicnt, P'3  ?S Le Voyageur. c'eft que leur intérêt ou leur devoir les y obligent : quand le défceuvrement les tourmente, ou que fatigués du travail, ils cherchent le repos, ils vont dans les cafés , dans les cabarets. L'ufage d'aller aux eftaminets eft ici encore plus généralement fuivi qu'a Bruxelles : les Gentilshommes, comme les roturiers , les fréquentent, mais fans fe mêler : les Gentilshommes ont les leurs, oü eux feuls font admis. L'on m'a auffi fait connoitre des cafés oü la nobleffe feule pouvoit entrer. J'ai fouvent entendu reprocher aux Anverfois de mal accueillir les étrangers : depuis que je fuis ici, je ne m'en fuis pas encore appercu ; il eft vrai que je ne vais ni dans les cafés ni dans les cabarets. Tous ceux que j'ai eu occafion de voir, m'ont recu avec cordialité; ils m'ont rendu même avec empreffement les petits fervices que je leur ai demandés : je le diibis hier a un Bruxellois qui loge dans la même Auberge que moi : cela ne me  dans les Pays-Bas 79 furprend pas , me répondit-il, vous en ave\ Vobligation aux lettrés de recommandations dont vous tóq porteur ; mais fi vous alliei dans un Café ou dans un ef tarninet, vous verviel ft un ètmnger id jouit de la plus petite confidération: tous ceux que vous trouverie\ dans le Café ou dans Vefiaminet s'écarteroient de vous., ils vous toiferoient des yeux , ils examineroient votre maintien & vos gefies, & bientót, vous accablant dt ridicuhs quef-^ tions, ils ne vous laifferoient en liberté qu'après que vous leur aurie\ dit vos noms , fumoms & qualités. Feu M. Vourergeken, qui étoit Fermier des boues de Bruxelles , étant entré un jour ici dans un eflaminet, ceux qui y étoient lui députerent un d'eux pour lui demander' qui il étoit? homme comme vous , répondit-il; & puis encore une ambaffade, & M. Vambaffadeur de lui demander d'oh il étoit ?... de Bruxelles ; cela eft très-bien , dirent les curieux , mais est homme a un état, il ex ere e une profeffion , alle\ lui dire qu'ils'en explique. D 4  8o . Le Voyageur. Qiielle eft votre profeffion , demanda Vambaffadeur ?... celle de négociant. Cela étoit bien vague 0 ne pouvoit fatisfaire la cuTiofité des Anverfois. C'étoit précifément la oh M. Vourergeken les attendoit. En quoi Monfieur négocie-t-il, lui dit l'amfaffadeur ?.... en merde, Meffieurs, a votre fervice. A peine ces mots furentils lachés que toute la cohorte Anverfoife fe met dans une fureur extréme; les uns frappent des pieds, les autres s'écrient qu'ils fontmjuriés : Vun lui dit qu'il eft un impertinent , Vautre qu'il ne mérite pas d'être recu en bonne compagnie , £> M. Vourergeken de continuer a boire tranquillement fa bouteille de vin ; & quand elle fat vuidée & qu'il vit que les efprits commencoient d fe calmer, Meffieurs, dit - il, de quoi vous fache{ - vous ? fai répondu a toutes vos queftions avec la plus grande vérité, fur mon état corporel, fur mon état politique ,fur mon pays , ma profejjion & 1'objet de mon commerce ; je fuis fermierdes boues de Bruxelles , Q par  dans les Pays-Bas. 8i conféquent ce Jont ces boues qui font l'objet de mon commerce: la merde certainementy enttepourbeaucoup, & fiquelqiiun de vous en veutcent bateaux , je les lui donnerai a trés - bon prix : ma marchandije eft par- faite & de la meilleure qualité. H eft probable que cette petite lecon aura guéri Meffieurs les Anverfois de la manie de queftionner les étrangers qui vieniient dans leur ville. Les mceurs publiques, Monfieur , font , ici on ne peut pas plus refpeétces: on n'y fouffre point de femmes publiques : on n'y tolere pas même ces petits ménages clandeftins que forme 1'amour, &jquel'amitié qui nart de 1'amour rend quelquefois durables. Si un homme marié avoit ici une maitreffe & qu'on le fut,perfonne ne voudroit le voir , & fes meilleurs amis le fuiroient. Etant hier dans un eftaminet , je vis tous ceux qui y étoient fe retirer a 1'arrivée d'un gros homme, & cela avec l'affectation du mépris le plus marqué : je fuivis D 5  82 Le Voyageur la foule & demandai quelle pouvoit être la caufe de cette fuite précipitée : c'eft, ine dit-on , que eet homme eft le mari d'une femme ft laquelle il doit fa fsrtune , & que depuis quelques tempsil a pris pour fa concubine la fceur de la cabaretière qui tient 1'eftaminet d'oü vous fortez ; non-feulement il ne rougit pas de ce défordre, mais il en fait une efpece de parade : Vendredi dernier on Pa vu fur le marché au poilfon acheter un cabilleau & 1'envoyer ft fa maitreffe avec la même publicité que s'il Peut envoyé ft fa femme. II lui eft arrivé il y a quelque temps une aventure affez plaifante ; il étoit a Lierre , oü fes affaires 1'avoient appellé; en partant d'ici il avoit chargé fon commis de lui amener une voiture, en lui recommandant de prendre avec lui la fceur de' cette cabaretière ; le commis donna au conducteur de la voiture Padreffe de cette filie ; le conducteur perdit cette adreffe & vint le matin ft la maifon de Pamoureux, dont la femme, malheureufement, fe trouva  dans les Pays-Bas, 83 levée : ayant fu que cette voiture alloit chercher fon mari a Lierre, elle y monta, & vous jugez bien quefle fut la furprife du mari & combien il fut défefpéré d'être obligé de donner a fa chere femme tous les embrafferaens qu'il avoit deftinés a fa Dulcinée. . Les Adrices du Speaacle ne joument pas ici du privilege d'avoir impunément des mceurs diffolues. Les jeux d'hafard font a Anvers rigonreufement défendus? & tout ce qui peut troubler la tranquillité publique eft févérement puni. On a voulu quelquefois porter ici le rigorifme , jufqu'a défendre les mafcarades pendant le carnaval : le Gouvernement ne 1'a pas approuvc , & les Magiftrats qui avoient porté cette défenfe, ont été'obligcs de la lever : leur zèle en cela étoit outré ; il les empêchoit de voir que par-tout ou. le peuple fe livre a la gaieté, il eft docile & même plus atöif & plus laborieuXC'eft quand le peuple eft trifte & fombre qu'il eft dangereüx, & .c'eft cette conD 6  84 Le Voyageur. fidération qui fait que la Police de Paris, dans les temps de malheur , paie des chanlonn.ers & des baladins, & même des mafques pour diitraire le peuple, 1'occuper & 1'amufer. II regne entre les Anverfois & les Bruxel. lois une efpece d'antipathie, mais qui n'eft pas alTez forte cependant pour les empêcher d'avoir entr'eux des liaifons de commerce. Je crois que dans le vrai Ia différence qu'il y a entr'eux tient plus de la forme que du fond. Bruxelles eft une ville de Cour, Anvers une ville de commerce : les mceurs des habitans de 1'une ne doivent & ne peuvent pas être celles des habitans de 1'autre. Si le commerce d'Anvers redevenoit, du moins en partie, ce qu'il étoit anciennement, les mceurs de fes habitans changeroient, & ce changement feroit produit & par Paffluence des étrangers & par Paugmentation des ncheffes d'Anvers. Je fuis, &c  dans les Pays-Bas. 85 LETTRE X. Anvers, ce..,. Février 1783. J'a 1 recu de Bruxelles, Monfieur , il y a quelques jours, les Mémoires que VAcadémie de cette ville a couronnés 1'année derniere , & que 1'Imprimerie Académique , c'eft-a-dire de VAcadémie , vient de mettre en ventc Ces Mémoires torment un volume in-quarto (a); ils font écrits en Francois , en latin & en Flamand : ceux qui m'ont paru les plus intéreffans, font ceux de M. de Berg, Amman de Bruxelles, & de M. d'Outrepont, Avocat au Confeil de Brabant. L'un & 1'autre font bien faits , & tous deux tendent a prouver que le droit Romain n'a point force de loi dans les PaysBas Autrichiens. L'Académie avoit demandé depuis quand le droit Romain y étoit connu, & depuis quand il y avoit (a) II fe vend a rimprimerie de 1'Académie £ rue des Bouchers , 1; efcalins.  86 Le Voyageur force de lot ? Si 1'Académie a couronnc auffi 1'opinion contraire a celles de Mrs. de Berg & d'Outrepont , ca été fans doute pour qu'on crüt qu'elle n'adoptoit pas les feminiens particuliers des contendans. Cela fe pratique quelquefois par les Corps Académiques , quand les queftions qu'ils propofent ne font pas entiérement de leur reffort, mais alors ce n'eft pas le fond qu'ils jugent, mais les accelfoires , la forme & le ftyle. La queftion d'ailleurs propofée par 1'Académie de Bruxelles, étoit on ne peut pas plus intéreffante , & 1'Académie auroit ajouté beaucoup a 1'utilité des ouvrages qu'elle a courronnés , fi elle fe fut déclarée pour 1'une des deux opinio ns. Toute queftion que propofe une Académie , doit avoir pour objet le bien public , & le public ne peut en prendre cette idéé qu'autant que 1'Académie paroït prendre intérêt aux -opinions qu'on foumet a fon jugement. Le Mémoire de M. de^Berg eft moins une production Académique qu'un ou-  dans les Pays-Bas, 8r vrage de bibliotheque ; ce n'eft point uit difcours, ce n'eft pas même un Memoire, ni une differtation , c'eft un traité qui peut être utile ft toutes les nations : on Y trouve beaucoup d'érudition fans 16chereffe, une grande jufteffe dans le raifonnement, beaucoup defaits, mais pomt de confufron , des preuves fortes, des conféquences vraies,des idéés claires & quelquefois neuves, bien développees. Toujours éclairé par le flambeau del Hütoire & guidé par la critique , M. de Berg a préfenté ft fes Lecleurs la vérité dans tout fon jour, au point que 1'ignorant, ainfi quefhomme le plus inftruit, ne peuvent d.outer de fon fyftême. Le Mémoire de M. de Berg eft précédé d'une introduaion qui contient un abré^é de 1'hiftoire du droit Romain: eet abrégé ne reffemble en fien ft ceux de Ferriere, de Gravina & de Terraffon; on k Ut avec intérêt. Le Mémoue eft divifé en trois parties; la première embraiTe la durée de la domination Romaine  88 Le Voyageur. chez les Beiges ; la feconde, celle de la domination des Francs jufqu'au lome. hecle, & la troifieme 1'époque du ome. fiecle jufqu'a nos jours. Dans la première partie , M. de Berg étabht d'une maniere claire & folide que le droit Romain , tel qu'il «aftok avant la rédadtion du Code Théodofien , a été connu dans les Pays - Bas qui font aujourd'hui fous la domination Autrichienne, & que tant que ces pays ont été fous cette domination, le droit Romain a pu faire partie de leur droit commun , & y avoir force de loi pour les conteflations qui s'élevoient' entre les Romains qui habitoient ces pays, mais .non pas pour les habitans indigenes. LAbbéduBos,quoiqu'iljpuiife d'une lorte de célébrité, ne inéritoit pas la petne que lVl de Berg a prife de le combattre. Les fources dans leiquelles 1'Abbé du Bos a puifé les preuves de fon fyftême, ne pouvoient lui fournir que des preuves fort équivoques. II n'en a pas été  ea n s les Pays-Bas. 89 de même de Montefquieu : M. de_Berg ne peut être qu'applaudi de n'avoir pas étéretenu par la grande célébrité de eet adverfaire redoutable. Nous ne craignons pas, dit M. de Berg, de donner contre nous depuijfantesarmes, ft layérité nous a fervï de guide, fi nous n'avancons au a l'appui des faits. Ce font ces faits qui , toujours employés pour appuyer le raifonnement & lesjuftes conféquences que M. de Berg en tire , rendent fon Mémoire intéreffant. Je crois que les Gaulois avoient des lois lorfque les Romains les foumirent^, mais aulfi que les Romains , qui conquéroient pour conferver & non pour détruire , parvinrent peu-a-peu a leur faire adoptèr leurs loix , ainfi que leurs mceurs, & qu'il en fut des Gaules comme de 1'Angleterre oü Agricola , comme le dit Tacite; communiqua aux habitans de cette Me, les mceurs des Romains, & par conféquent les loix Romaines, car les loix font effenüellement attachées aux mceurs.  9° Le Voyageur Le droit Romain , dit M. de Berg, & la, loi Romaine du Clergé, & la loi Romaine de certaines perfonnes & de certains difiricls des Gaules , & le Code The'odofien, furent dans le centre & au nord des Gaules, & dans notre Belgique en particulier, fous les Rois Francs des deux premières races ; autant de chofes ejfentiellement différentès, & que rien ne prouve, ni autorife a préfurner ou croire , bien d affirmer que jamais 'dans notre Belgique , Venfemble du Code Théodofien ait euforce de loi pour les Romains , originaires mêmes , ni du temps de VEmpire Romain , ni fous la domination des Francs. Après le 9me. fiecle, le droit Romain a cefé d'exifler pour notre Belgique comme pour la Généralitéde l'ancienne Gaule, & il y efi tombé dès le zome. fiecle dans unes défuétude abfolue , dans un entier ou. bli, dont il ne s'eft pas relevé avant Vé~ poque de fa renaijfance, fous une nouvelle forme , en Italië au zxme. & dans la Gaule moderne au i^me.  dans les Pa ys-B as. 91 Dans la troifieme partie de fon Memoire, M, de Berg a établi que les Beiges avoient perdu tout-a-fait de vue le droit Romain depuis le lome. jufqu'au r«me. fiecle, qu'il renftquit, pour ainfi dire , parmi eux versla fin du i4tne. fiexle ; que dans le 15111e. ils adopterent queltques-uns des principes de ce droit, & queee-ne fut que dans le i6me. fiecle que ce droit y acquit force de loi, non pas i dans tous les diftrias de la Belgique , mais feulement dans quelques-uns d'eux, & l.daris le irmc. fiecle dans un plus grand nombre J fans que fon autorité ait recu aucun accroiffemerrt dans le i8me. fiecle. M. de Berg fait voir que les diftrias oü le droit Romain n'avoit pas obtenu force de loi,en matiere civile,compofoient la moitié des diftrias qui forment aujourd'hui la généralité des Pays-Bas Autrichiens : il obferve que le droitRomain a obtenu force de loi en matiere criminelle dans toutefétendue de ces pays, depuis 1570, jufqu'au i8me. fiecle qu'il a perdu beaucoup de  9a Voyageur fon autorité a eet 'égard ; que cependant dans les cantons oü le droit Romain n'a jamais eu force de loi en matiere civile, 1 ufage y a adopté plufieurs des principes de ce droit, & que ces principes, confondus avec ceux du droit commun , n'bnt plus fait qu'un feul & même droit. M. de Berg a eu Ie courage d'attaqüer Stockmans, 1'Qracle de Ia Jurifprudcnce du Brabant, le Lamoignon de fes Tribunaux , qui, grand partifan du droit Romain , foutenoit que ce droit devoit y femr de droit commun, ft défaut des loix du Souverain & des coutumes Stockmans dit M. de Berg, a avancé'que, dans les décrétemens de toutes les coutumes, nos Souverains ont ajouté la claufe, qu'a défaut des coutumes on auroit recouru au droit civil'; Les feules coutumes du Hainaut, fuivant Stockmans , ont été- décrètées fans qve cette claufe ah été inférét dans Vacle de leur décrétement. L'on ne connoit pas ici l'Hiftorien , ajoute JVI. de Berg , mais fon reconnoit l'Auteur Jrf-  dans les Pays-Bas. 93 I tématique qui facrifie l vérité au defir de faire adopter fon opinion chér e. M. de I Berg prouve le jugement qu'il porte de ( Stockmans, en citant es autres coutumes ; qui ont été décrétées fans que cette claufe 1 fut inférée dans leur décrétement ; ces j coutumes font celles de Luxembourg, I d'Oftende , de Douai , de 'Termonde , : Berg-op-Zoom , &c. dans le même Stock,; mans on lit: nous ne trouvons, paf}"s trois I fiecles , aucun veftige de la Turifprudence i Romaine dans nos loix. M. de Berg finit 1 ainfi fon Mémoire : en n'accordant pas force de loi au droit Romain ni en Hainaut,ni a OJlende, ni a Termonde, &c. &c. nos Souverains font cenfés avoir dita leurs fujets, comme Chindaf'uinthe, Roi des Vifigots , & Charlemagne le difoient h tous leurs fujets des Pays-Bas gouverne's par ces diffe'rentes coutumes, & aux Ma* giftrats h qui ils avoient confié le foin de les gouverner. Nous permeltons , nous Aefirons même que vos fujets s'exercent utilement a Vétude des loix étrangeres j mais  94 Le Voyageur. neus nous oppofons a ce qu'elles aient dans ces Provinces & dijlricls aucune mi fluence dans la difcujfion des affaires con.. tentieufes , & nous Vinterdifons, car Ja quoique la diclion en foit admirable, elles Jont infiniment ambiguës & difficultueu-t fes. A ces caufes & vu qu'il fuffit d lai plus parfaite adminiftration de la Juftice ,, d'en avoir pefé les regies avec ce foin/crupuleux , d'en avoir énoncé le fens avec: ce choix de mots & cette netteté d'expreffions qui caraclê'rifent nos édits ,. ceux de nos prédéceffeurs, & les coutumes e'crites de ces provinces & dijlricls que nous avons approuvées , nous entendons que nos fujets des mêmes provinces & dijlricls , neJbient plus vexés , ni inquiétés dorénavant, ni par les loix Romaines , ni par aucune autres loix e'trangeres. A la fuite de ce Mémoire on trouve des notes dont plufieurs font alfez étendues pour être qualifiées de dilfertations: ces notes font intérelfantes; elles prouvent & 1'érudition de leur Auteur & fa*  dans les Pays-Bas. 65 fagacité ; elles n'ont pas cette fécherelfe Iqu'avec raifon on reproche a ceux qui n'ont d'autre talent que d'entaffer fait fur fait, fans choix , fouvent fans néceffité & prefque toujours fans méthode. Une autre fois je vous entretiendrai idu Mémoire de M. d'Outrepont. Je fuis, &c.  96 Le Voyageur LETTRE XL Anvers , ce ... . Fdvrier 1783. JL/E Mcmoire de M. d'Outrepont, Monfieur, efi: moins étendu que celui de M. de Berg. Tous deux vifant au même but, y ont frappé; tous deux fe font fervis des mêmes moyens, mais ils les ont employés difFéremment. Jetdcherai de prouver, dit M. d'Outrepont, que les Beiges ne vivent point & n'ont jamais vécu généralejneni fous Vautorité du droit Romain, & qu'ils n'admettent ces loix étrangeres que pour autant qu'elles font conformes aux principes de Véquitè, h leurs mceurs & a leur Gouvernement.... Une Jurifprudence dok s'établir ou par une loi exprejje ou par l'ufage. Ainfi donc s'il n'y a pas de loix des Souverains qui obligent leurs fujets des Pays-Bas Autrichiens ft fuivre le droit Romain ft défaut des i  dans les Pays-Bas, 97 des coutumes , ou fi 1'ufage n'a pas fait du droit Romain une loi fubfidiaire aux loix des Souverains ou aux coutumes, le droit Romain dans ces Pays ne doit être confidéré que comme loi de raifon a laquelle les Juges ne doivent avoir égard qu'autant qu'ils la trouvent conforme aux loix générales de 1'équité. De 1'état de la Jurifprudence des Beiges , après que les Romains les euffent foumis 'A leur domination , il réfulte que les Beiges n'ont pas été forcés d'abandonner leurs ufages & leurs loix pour fuivre ceux de leurs vainqueurs. M. d'Outrepont le prouve par la réponfe que Céfar fit a Ariovifte, auquel il dit: que Vintention du Se'nat étoit que les Gaules , quoique fubjugués , fujjent libres 6' gouvernés par leurs propres loix. Hi ornnes lingud , inftitutis , legibus inter fe differunt. Cette conduite des Romains eft celle qu'ils ont toujours tenue a 1'égard des peuples qu'ils ont foumis; il les vain- UI. Tome. Partie II. E  98 Le Voyageur quoient par les armes, mais ils les fub- juguoient par la douceur. M. d'Outrepönt examine enfuite fi les Beiges, n'ayant pas été forcés d'abandonner leurs ufages & leurs loix pour fuivre ceux des Romains, les ont adoptés volontairement. M. d'Outrepönt demande oü eft la loi Romaine qui oblige les Beiges a adopter la Jurifprudence Romaine , & de ce que les mceurs des Beiges étoient tout-a-fait difterentes de celles des Romains , il tire la jufte conféquence que les Beiges n'ont pas pu préférer la Jurifprudence de leurs vainqueurs a la leur. Bornés , dit-il, aux premiers befoins de la vie „qu'aurions-nous fait des loix des Romains qui étoient fondées fur la richejfe & fur le luxe de la maitreffe du monde ? M. d'Outrepönt prétend que les Romains même qui vinrent s'établir chez les Beiges , eurent de très-grands motifs d'abandonner les loix Romaines qu'ils fuivoient, pour fe conformer aux ufages & aux loix de leur nouvelle patrie, & cela paree  dans les Pays-Bas. 99 que les loix Romaines ne quadroient pas avec la nature du climat qu'ils habitoient. L'Empereur, dit-il, avoit fixé Vage des filles pour le mariage a dou\e ans : les garf ons étoient confiammentregardJs comme puberes a quator\e: nous , femblables aux Gaulois , nous ne pouvions fixer la puberté d un dge auffi tendre. Les feux de 1'amour s'allumoient plus tard dans nos fens; nos membres & nos forces fe développant plus lentement, ce n'étoit que vers l'dge de vingt ans qu'on étoit propre au mariage & conféquemment pubere. M. d'Outrepönt tire un grand avantage de ce que les droits des gens marics ont toujours été réglés & le font encore tout différemment que 1'avoit prefcrit le droit Romain. Lorfqu'un homme fe marioit, dit M. d'Outrepönt, il apportoit enfubfide de mariage une fomme égale d la dot de fa femme : cette maffe formoit la communauté, & le furvivant des deux •époux emportoit ce bien avec tous les fruits Aujourd'hui même encore, le furvivant E.a  ioo Le Voyageur. de deux conjoints par mariage, ernporte dans la plupart de nos coutumes la fuccejjion mobiliaire du premier mourant. N'eft-il pas clair que ce pre'cepte prend fa jouree dans l'ancien ufiige des Gaulois que nous venons de rèclamer, pre'cepte avec lequel le droit Romain n'a point la plus légere analogie ? II finit la première partie de fon Mémoire par une réflexion qui ne plaira certainement pas a ceux de fes compatriotes qui croient que tout feroit perdu fi le Souverain , d'accord avec les repréfentans de la nation , réformoit un des points qu'on nomme la joyeufe entree , quelque abfurde que füt ce point. Aufji long-temps que nous avons été barbares, dit M. d'Outrepönt, nous avons tenus fi fortement a nos ufages, que dans les plus anciennes des joyeufes entrees du^ Brubant, on ftipuloit que le Souverain ne ch ngeroitpas les cou'.umes. Zypceus , juf, dicieux a fon ordinaire } trouve que c'étoit fort bien fait i mais moi j'aimerois tout  dans les Pays-Bas. ioi autant qu'un malade fit jurer a fon. médecin de ne pas le guérir. M. d'Outrepönt commence la feconde partie de fon Mémoire par un tableau vigoureufement peint de 1'etat de 1'Empire Romain , ft 1'époque de 1'irruption des Francs dans leGriul es. VEmpire de la fuperbe Rome touche a fa fin : ce vafle édifice,cet arbre majeftueux , dont les branches couvroient les trois quarts de l'Univers , eft gangréné jufques dans fes racines; i il ne fe foutient que par l'immenfité de \ fon poids , & n'attend qu'une fecouffe énerl gique & violente pour être renverfé. II ne i refte aux foldats de eet Empire, que le norn de vainqueurs de Pharfale: amollis ■> , énervés par Vopulence , par Voifiveté , leurs ames corrompues font de niveau avec celles de leurs efclaves : plus d'encouragement, j plus d'amour de la patrie, plus de grandeurd''ame, plus de mceurs ,plus de vertus. Leurs richejjes , leurs aifances, lafertilité . des climats qu'ils occupent, agacent ,excii tent, enflamment Vavidité des hommes fé- E 3  102 Le Vyoageür roces que les glacés du nord recelent: bientot ces barbares fe précipiterent avec Vimpétuofité d'un torrent fur les contrées qui les av'O4 Le Voyageur. la domination des Francs, dont les mceurs étoient fi oppofces a celles des RomainsM. d'Outrepönt fixe 1'extinétion des loix écrites en Europe a 1'époque de 1'établiffement des fiefs , & par conféquent du gouvernement féodal. Les détails dans lefquels il entre fur 1'efFet qu'a produit cette nouvelle forme de gouvernement t font intéreflans ; mais c'eft a tort qu'il dit dans une note que le Roi en France peut aujourd'hui aliéner fes domaines ; il peut les engager , les échanger , mais non les aliéner irrévocablement. Le Roi en France n"a tien en propre; les terres même qu'il polfede , en montant fur le Tróne, ceflent de lui appartenir en propriété , & c'eft a la couronne que cette propriété paffe. Aux loix écrites les propriétaires des fiefs fubftituerent des loix particulieres auxqueües ils alfujettirent leurs vaflaux, & ces loix ne furent autres que les ufages qui fe fuivoient dans chaque diftrict. Les combats judiciaires, dit M. d'Outrepönt, durent abolir  dans les Pays-Bas. 105 toutes les loix pojfibles, car d quoi bon avoir des loix dans un pays oh il ne s agiffoit que defe battre pour avoir tort ou raifon ? On trouve la preuve de 1'aneantilfement des loix écrites, & par conféquent des loix Romaines dans les PaysBas, dansles Chartres de Cortenberg de i"ia & 1313, qui ne renvoyoient pas les Juges a aucune loi écrite pour décider les procés, mais feulement aux anciens ufages & aux chofes jugées. Ces Chartres font d'un grand poids, relativement a 1'opinion que foutient M. d'Outrepönt , puifqu'elles font contraires aux difpofitions d'un Edit de l'Empereur Lothaire II de 1130 , qui avoit ordonne qu'on fuivlt, comme loix générales de fon Empire, les Pandeaes de JuftinienII eft certain que fi on eüt fuivi dansle i4me. fiecle le droit Romain dans les Pays-Bas, les Chartres de Cortenberg ne fe feroient pas expliquées comme elles 1'ont fait. A cette époque le droit Roman s'enfeignoit dans les Univerutés, E 5  ï©6 Le Voyageur mais il n'y avoit point d'Edit du Souverain des Pays-Bas qui lui donnet force de loi , & c'étoit de 1'ufage feu! qu'il tenoit fon autorité. Diftinguons dans cette matiere, dit M. d'Outrepönt, deux ef■ feces d'autoritês , V autorité coërcitive & Vautorité de perfuafion. autorité coërcitive d'une loi nous oblige a fuivre la loi fans raifonner, fans regarder en arriere , fans examiner ks motifs que le Légiflateur a eu de la porter. A la mort dupojfejfeur d'unfief, fon fucceffeur doit 'en faire le reliëf Pourquoi 1 paree que la loi le dit, voild tout. Cela n'eft pas raifonnable, dire\-vous , je n'en fais rien , mais la loi le veut 9 & je dois obéir. J'habite fous la coutume de Louvain, ma femme meurt, mes biens font dévolus d mes enfans , je me remarie,. & mes enfans du fecpnd Ut, qui pourtant font mes enfans comme ceux du premier, n'ont aucun droit d mes biens. Cela eft injufle } barbare*, contraire a la population , fi vous vwïe^i mais la loi l'ordonns, & j'obéis  dans les Pays-Bas. 107 J'appelle autorité de perfuafion en Ju* rifprudence , cette autorité qui n'eft fondée que fur la raifon & Véquitè. Un Tri* bunalfuprêmeporte un arrét,j'en examine les motifs; fi je les trouvejuftes ,j'adopte la décifion ; fi les principes m'enparoiffent mauvais , je la rejette : eet arrêt a une au^ torité de perfuafion & non u ne autorite coërcitive , excepté entre les parties pour qui elle a été portée. La loi Rhodia de Jadtu n'eut d'abord che\ les Romains qu'uns autorité de perfuafion , & elle n'acquit une autorité coërcitive que par Vufage. En France le droit Romain a une autorité coërcitive dans les pays de droit écrit y tandis qu'il n'a qu'une autorité de perfuafion dans les pays de droit coutumier, oU il n'a certainement pas force de loi y puifqu'U n'y eft admis que comme raifon. Si 1'on fuit dans les Tribunaux de Pays-Bas Autrichiens quelques points de la Jurifprudence Romaine, s'ils y ont force de loi, c'eft par 1'ufage; mais s'enMt-ïK demande M. d'Outrepönt,^ J E 6  io8 Le Voyageur. tous les autres points de cette Jurifprudence y aient repus la même autorité ? Je vois plufieurs loix Romaines, ajoute M. d'Outrepönt, admifes dans les PaysBas , & d'autres qui y font rejettées par l'ufage. On me prèfente une difpofuion du droit Romain fur laquelh l'ufage garde un profond frfence ; dois-je lafuivre aveuglément? Eft-il un Juge affe^ peu éclairé pour en agir de la forte ? Ne cherche-t-il pas la raifon de la loi «] Ne la comparet-ilpas avec les principes de l'équité & avec notre maniere d'être acluelle 1 Ne la rejette-t-il point lorfqu'elle lui paroit injufte ou nuifible II ne regarde donc pas cette difpofition comme ayantpar foi-méme une autorité coërcitive , mais comme ayant unefimple autorité de perfuafion , & conféquemment dans le fait, perfonne n'envifage le droit Romain comme muni dans les Pays-Bas de la fimclion des loix, & Ü n'y eft admis que comme raifon. M. d'Outrepönt, comme M. de Berg, releve ce que Stockmans a dit de 1'ho-  dans les Pays-Bas 109 mologation des coutumes dans lefquelles ne fe trouve pas Ia claufe de fuivre le droit Romain ; mais il foutient que cette claufe, même dans les coutumes oü elle fe trouve, n'a pas autant d'étendue que lui en donne Stockmatts ; elle fignifie feulement qu'au défaut de la coutume & des Edits, de nos Princes, il faut fuivre le droit Romain pour autant qu'il eft confacrê par l'ufage. Cela fe trouve même prefent dans le décret d'homologation des coutumes de Courtrai & de Gorgue. D'après cela, il me paroft inconteftable que Ie droit Romain n'a pas généralement force de loi dans les Pays-Bas Autrichiens , & que tous les articles de ce droit fur lefquels l'ufage n'a pas prononcé, peuvent être rejettés, lorfque 1'équité & le bien public Pexigent. M. d'Outrepönt a fu tirer avantage de 1 ce qu'ont écrit Jes Auteurs même, de H'opinion qu'il combat. Stockmans a dit, lla Juftice ne fera plus qu'une affaire purrement arbitraire , fi 1'on rejette le droit  iio Le Voyageur. Romain fous prétexte d'équité. Jet'applaudis , d grand homme ! s'écrie M. d'Outrepönt, d'avoir enfin laiffé échapper ton Jecret. Tu as probablement vu la foibleffe de ton fjftême ; mais ta patrie étoit fins loi; tu asfenti & connu que les plus dangereux de tous les defpotes étoient les Juges \uijugeoient arbitrairement, & tu as voulu óter ce mal en enfeignant que les loix Romaines avoient ici force de loi. Cette rufe innocente fut utile pendant quelque temps, mus fes fuccès ne- furent pas de longue durée; & U efi *ufii utile aujourd'hui d'annoncer ouvertement la foibleffe des loix Romaines , qu'il Vétoit autrefois de faire croire qu'elles étoient revêtues d'une autorité qu'elles n'avoient ejfeclivement pas. Je fuis, &c  dans les Pays-Bas. itï LETTRE XII. A 1'Auteur du Voyageur. Bruxelles, ce F'évrier 1782. J'ai parcouru, M'onfieur, le premier Tome du Voyageur dans les Pays-Bas Autrichiens. Sa maniere de conter, autant que les matieres qu'il traite, m'y ont fait prendre intérêt. Je Pai relu avec loifir,. & tout en le Iifant, & fans le.iucoup fonger au ftyle , j'ai mis fur Ie papier les réflexions qu'il m'a fait naftre, telles qu'eL» les fe font préfentées. Je vous les envoie de mcme, vous pouvez, Monfieur, les lire fans répugnance, je me flatte que vous n'y"trouverez rien qui vous mortifie le moins dü monde, vous en rencontrerez dans le nombre qui pourront vous être agréables, mais aucune de ces réflexions , foit du cóté du fond , foit du cöté de ïa manierede.les préfenter , ne vousfeïa  na Le Voyageur de la peine. C'eft au moins le but que je me fuis propofé , & nullement celui de m'ériger en cenfeur. Je fuis, &c. Van-Daelen,  dans les Pays-Bas. 113 Page 98, Tome premier , Tableau du Mattre-Autel des Carmes. dj E tableau n'eft pas un original de Rubens , mais une copie ; il ne faut pour s'en convaincre que jetter les yeux fur le tableau de 1'Autel de Ste. Thérefe de la même Eglife , qui eft fans contredit un bon Rubens, & en faire le paralelle- Page idem. Tableau du Maitre-Autel des Capucins. Tous les connoilfeurs attribuent le tableau du Maïtre-Autel des Capucins ft Rubens, & ne conteftent pas lft-deffus, MES IDÉÉS A 1'Auteur du Voyageur Dans les Pays-Pas Autrichiens.  ii4 'Le Voyageur mais il eft a remarquer que Rubens a fait beaucoup de bons éleves, & entre autres Van-Dyck , & que Rubens, après avoir compofé & deffiné fon fujet, remettoit la toile ft 1'un ou Pautre de fes bons ccoliers pour l'ébaucher, & quelquefois Rubens n'y mettoit que la derniere main. II feroit donc poffible que VanDyck eüt é:é chez Rubens au temps qu'on lui demanda le tableau des Capucins, & que Rubens, après en avoir fait la compofition , lui en eüt laiffé 1'exécution. Page 127. Les terres en Brabant ne re* pofent jamais. Quoi qu'en général il n'y ait qu'un Brabant aujourd'hui, on le connoït fous les deux dominations de Brabant Flamand, qui eft le Brabant proprement dit, & le Brabant Wallon, qui faïfoit autrefois le Duché de Lothier, en latin Lotharingia inferior. Les terres dans le Brabant Flamand ne repofent pas; mais dans le Brabant Wallon elles reftent en friche ou en jachere de trois ans un. Les uns préten-  dans les Pays-Bas. 115 dent que c'eft faute d'engrais , paree que la plupart des ferraes du pays Wallon étant des fermes d'Abbayes, dont la plupart font énormes & montent jufqü'a 4 ft 500 boniers, & peut - être davantage , 9 n'eft pas poffible quele mêmefermier , quelque confidérable que foit fa baffecour en chevaux , bêtes ft cornes, &c. puiffe faire une quantité de fumier fuffifante pour ce grand nombre de terres. D'autres prétendent que la nature du fol ne permettroit pas óette culture non interrompue dans le pays Wallon. Jeconnois un de ces riches fermiers d'Abbayes , qui, pendant un certain temps , a cultivé üne-parde de fes terres de la même,facon qu'on les cultive chez les Flamands ■> & cela avec un foin & une exaditude fcrupuleure : il en a pris une même quantité , qu'il a cultivée ft la Walonne ave: le même fcrupule : il m'a affuré que les trois années des terres cultivées ft la Flamande , (une année portant 1'autre) ne lui avoient pas été auffi avantageufes que.  n6 Le Voyageur. les trois années des terres cultivées a la Walonne , y compris 1'année de repos; & que plus il a continué , plus les terres cultivées a la Flamande ont dégénéré. Quoi qu'il en foit, 1'ordre que le Gouvernement a donné 1'été dernier aux Baillifs, Mayeurs, &c. du Brabant Wallon , de lui donner une note exafte de la quantité & qualité des terres labourables, ainfi que des prairies qui fe trouvent fous leurs refibrts refpeétifs, & de la quantité de fermes qui s'y trouvent pour les récolter, me fait croire que le Gouvernement penfe a faire en Brabant ce qu'il a fait paffé io a 11 ans en Hainaut, a la requifition des Etats de cette Province, de réduire toutes les fermes a un certain nombre de boniers. Si cela n'empêche pas qu'on ne foit obligé de laifler repofer les terres de trois ans un , il en réfultera du moins qu'il n'y aura plus cette différence énorme entre le fermier d'Abbaye & le fermier d'un particulier, (1'on ne peut avoir une idéé de ces premières fermes & de leurs  dans les Pays-Bas. 117 cultivateurs fans les avoir vus). B y aura une mfiriïté d'établiffemens de plus pour les jeunes gens de la campagne ; la population y gagnera ; le nombre des beftiaux devra accrottre néceffairement, & dans les proportions, 1'augmentation d'engrais. Page 142. Le bas-relief du fronton efi du Sculpteur Olivier. Je conviens que dans un pareil fujet on ne fauroit mettre de poéfie , mais pour du feu on pourroit encore en mettre a ceTtains égards: 1'amour , le refpeft > 1'humiliation , le recueillement, font toutes paffions qui auroient pu trouver place dans ce bas-relief, s'il avoit été traité par un homme entendu; mais outre la pauvreté du fujet, ce bas-relief eft mal compofé ; point de groupe, point de contrafte, point de deffin , enfin point d'exécution. Page 163. L'un de ces Peintres fe nomme Verhaegen , Vautre Herreyns. Verhagen eft un excellent Peintrc: Herreyns a de la réputation. B femble  n8 Le Voyageur. pourtant qu'il eüt été plus fatisfaifant de ne parler d'eux qu'après avoir vu de leurs bons ouvrages. Je connois un excellent tableau du premier chez M. Jofle, Marché aux charbons. II a auffi beaucoup travaillé pour 1'Abbaye de Pare, prés de Louvain , & fi je me rappelle bien, pour 1'Abbaye de Tongerloo. Page 166. Vandinter. Vandinter a du mérite; mais le Chevalier Faffin, le May ; le fpirituel, mais pareffeux Waghemans, méritent bien auffi d'être connus. Page 167. le Comte de CobeniJ. Homme digne des beaux fiecles d'Athènes & de Rome. A deux jours prés qu'il y avoit dans la femaine pofte d'Allemagne, qu'il ne donnoit audience, généralement parlant, qu'a des perfonnes privilégiées par leur rang ou par leur mé. rite, les autres jours fon jardin ou fon cabinet étoit ouvert indiftinctement a tous  dans les Pays-Bas. 119 ceux qui s'y prei ent oient, en été ft 4 heures , en hiver ft 5 ou 6 heures du matin; & il étoit rare que les audiences qü'il donnoit dérangeaifent les lettres ou autres dépêche qu'il écrivoit lui-même, ou dictoit ft fes Secrétaires. J'ai vu ft fon asdience un homme en fabots avec un tablier , une vefte qui lui tenoit lieu d'habit, & un bonnet rouge, avoir fon audience ft fon tour , & fortir auffi fatisfait qu'un Prince ou un Marquis. Mais voici un trait qui fervira mieux ft faire connoitre ce grand homme. Une femme déja ftgée avoit un fils condamné ft mort (fi je me le rappelle bien , pour défertion) ; elle fut trouver le Comte de Cobenzl 'pour implorer fa clémence, ellefejette ft fes pieds, le Minifire va ft elle , lui dit en la relevant : n ma bonne levez - vous, •n je ne puis vous écouter dans 1'aclion n oü vous êtes, ma bonne levez-vous." La femme obéit, expliqua fon affaire, donna fa requête. r> — Ma bonne j'aurai *> foin de votre affaire, foyez tranquil-  120 Le Voyageur. n le , je m'employerai de tout mon pou« voir en faveur de votre fils. " Quelques jours après le malheureux ©btint fa grace. Je ne puis finir eet article qu'en raportant ce que dit le Préfident de Montelquieu dans fes lettres adreffces k Mr. PAbbé de ***, Chanoine de Tournai: 11 tant que les Pays • Bas auront un pareil Miniftre a leur tête, 1'on doit être affuré d'y voir fleurir les arts & les fciences. u Page 175. Dévos. Dévos a tenu & tient encore fa place entre les plus habiles Sculpteurs du pays, mais Cofeyens & de Kinder, &c. n'ont jamais été compris dans ce nombre. Page 182. Une Magdelaine couch.'e. II y a eu aux Pays-Bas trois Quefnoy : le Pere qui étoit un Sculpteur trèsmédiocre & deux fils; 1'un connu en Italië fous le nom de Fiamingo , dont le nom de Baptême , a ce que je crois, étoit  dans les Pays-Bas. 11% étoit Jéröme , fans cependant que je 1'ofe affirmer ; les Artiftes & les Auteurs ne font pas d'accord fur cela : quoi qu'il en foit, je ne connois pas d'ouvrage de eet Artifte aux Pays-Bas, & je doute qu'il y en ait. II eft Auteur du St. André, qui eft compté parmi les plus belles ftatues d'Italie, & que 1'on voit dans la Bafilique de St. Pierre. B eft mort en Italië , felon quelques - uns empoifonné par fon frere, jaloux de fes talens: enfin , Francois Quefnoy, le frere du précédent^ eft le feul des trois qui foit connu aux PaysBas par fes ouvrages immortels qui y exiftent. II excelloit fur-tout dans fa maniere de traiter les enfans, ft laquelle ni lies anciens, ni les modernes n'ont pu i atteindre. Je ne connois plus d'autres ouvrages ide ce dernier Quefnoy ft Bruxelles, que Hes quatre Apótres,que vous indiquez,dans H'Eglife de Ste. Gudule, un autre dans ll'Eglife de N. D. de la ChapeUe (St. i Mathieu ou St. Matthias) , qui eft au pil- Tome III. Partie II, F  tit Le Voyageur lier vis-a-vis de 1'Autel Ste. Anne, & enfin la ftatue, ou plutöt le groupe de la Vierge & de Ste. Anne que vous avez vu dans la Chapelle de cette Sainte a la Berghe-Straete, & peut-être la Ste. Urfule qui ie voit dans la Chapelle Sépulchrale des Princes de la Tour. Je ne parle pas des Chrifts en ivoire , ni des enfans qui peuvent fe tróuver ca & la. Tel fera le fentiment des Artiftes qui ont approfondi lfeur art, qui ont étudié la maniere de leurs confrères, comme les Peintres ont étudié Ia maniere des autres Peintres, qui favent dire a la première vue & fans fe tromper, c'eft un Rubens, un VanDyck ou un Crayer, ou enfin, comme un ami reconnoit la main de fon ami a 1'adrefle d'une lettre, fans qu'il foit néceflaire qu'il en voie Ia fignature. D'après cela , je crois pouvoir alfurer que la Magdelaine du Pare, la Vierge de Ste. Gudule & les enfans qui font endeffous de la corniche de la Chapelle Sépulchrale des Princes de la Tour , &c. &c.  dans les Pays-Bas. 123 ne font pas de du Quefnoy. Il fuffira pour s'eri convaincre , d'avoir vu la Ste. Anne qui eft ici, & le Maufolée de 1'Evéque Trieft qui efi a la Cathédrale de Gand. Je ne dis rien de la fin tragique de eet Artifte : faire connoitre- les grands. hommes par leurs talens ou leurs vertus, c'eft rendre fervice au public ; les faire connoitre par leurs vices, fans qu'il puiffe en réfulter un bien, c'eft tout au moins iniprudence : cela pourra fervir de correctif au foupcon que j'ai rapporté plus haut.. Page 234. VHópital St. Jean. C'eft en effet un bien grand fujet de. furprife de ne voir dans une Ville comme Bruxelles qu'un höpital auffi mediocre que celui de St. Jean. Les malades y fufient-ils exaclement bien foignés, il doit réfulter pour eux des effets bien terribles par le nombre des malheureux que 1'on raffemble dans un auffi peut dortoir. II y a dans eet höpital un ufage que je ne F 2  124 Le Voyageur qualifierai que de ridicule, c'eft que cett höpital eft héritier mobilier des morts t, c'eft-ft-dire que les guenilles avec lefquelles ils y font entrés , reftent ft 1'hópital qui leur donne pour cela une efpece de paillaffon dans lequel il les enveloppe en guife de cercueil, & fi les parens du défunt veulent lui procurer un cercueil de bois, ils ne peuvent pas le livrer en nature , mais il faut qu'ils paient tant ft 1'höpital, qui a droit de le foürnir.' Mais voici un autre fait que 1'on qualifiera comme 1'on voudra , s'il paroït croyable, d'après le récitd'un anonyme ; au refte, il n'eft que trop vrai, & la lettre adreffée ft 1'Auteur du Voyageur dans les Pays-Bas, qui termine le premier volume, fervira a le confirmer. J'ai vu de mes propres yeux, paffe quinze ft feizc ans, vers les dix heuresJ & demie du foir , heureufement dans un 1 temps fort doux, dans la rue de 1'hö- j pital, une pauvre femme malade, enve- J ioppce de fa faiHe & couchéefur un peu \  dans les Pays-Bas. 125 de paille, attendre le lenderaain pou* fentrer ft 1'höpital. I Je ne connois dans les Pays-Bas que deux .1 villes oü ces fondations pieufes méritent qu'on en prenne un renfeignement exaét •> c'eft Mons , Capitale du Hainaut, & Nivelle , petite ville du Brabant Walon , qui ne mérite d'être connue que par fon Chapitre qui adminiftre &de qui elle tient certainemcnt. f Page 283. La Chaire de Ste. Gudule. Cette Chaire a certainement des dé* (fauts, mais je les trouve plus dans 1'exéjjcution que dans 1'ordonnance ou la com1 pontion du fujet, qui, ft mon goüt, eft bien penfé , ne manque point de poéfie ♦ pour autant qu'on en peut trouver dans ün trait hiftorique. Hors les perroquets , les finges , &c. qu'on eüt fort bien fait de fupprimer, je n'y trouve point de hors d'ceuvre. Les plus grands défauts que je trouve k dans cette Chaire, c'eft la fécherelfe & F 3  (1 ifiö Le Voyageur. ]a dureté , le deffin peu correét & le man- quc de proporrions. • Adam eft bien deffiné , plus correft de proportion & exprime bien cc qu'il fent. Je paflerois aifément ft Eve une partie des défauts que le Voyageur indique avec jufteiïe, fi elle les rachetoit par la corredion du deffin, mais voyez comme fes jambes font fcchcs, comme elles s'embohent mal dans le genoux : au bout de deux bras robuftes, fes deux mains ft délicatcs , fi effilées, qu'elles pourroieat ft peine convenir ft une ftatue qui auroit une tête de moins de proportion. L'Ange exterminateur a une partie des défauts d'Eve; il eft mieux deffiné, mais il eft d'une féchereffe, d'une dureté qui fait pitié ; fes Chaires font vraiement de bois,. Quant ft la compofition, dés que 1'on admet le fujet, je n'y vois point de horsd'ceuvre repréhcnfible : Adam & Eve chaffés du Paradis Terreftre pour leur défobéiffance; la Mort qui s'empare du  dans les Pays-Bas. ia? Monde, comme d'un nouveau domaine 5 voila le fujet du groupe qui forme la mafte de cette Chaire : le groupe de la Vierge & de 1'Enfant Jéfus s'y trouve néceffairement lié , c'eft la promefle du Ré" dempteur que Dieu fit a Adam, avant même de 1'expulfer de ce jardin de delices. Voyez le Chapitre III de la Genefe, verfets 14 , 15 » 16 & l7- Dieu commence par maudire le ferpent, & lui dit au 15me. verfet : inimicitias ponam inter te & mulierem , & femen tuum & fernen illius : ipfa conteret tuum , &c. Voila ce que le Sculpteur a voulu exprimer ; ce qu'il devoit & qu'il a bien rendu felon moi, & qui ne fait qu'un tout & un bel enfemble avec les malédiaions qui fuivent au iöme. & i7me. verfets , adreffées a Eve & a Adam. J'ai bien examinc cette Chaire & I plufieurs reprifes, je n'y ai jamais pu découvrir la vérité qui foutenoit le baldaquin, j'y ai toujours vu deux génies ou deux Anges parfaitement femblables dans leurs attributs.  i2§ Le Voyageur. Hors cette Chaire, celle de Plumief aux grands Carmes , & celle des Auguftins, oü PAnge fur-tout eft bien pofté, bien contrafté & bien fwelte, je n'en connois plus ft Bruxelles qui méritent attention. Celle des Finifterre & celle des Dominicains font affez mauvaifes pour paffer pour 1'Ouvrage d'un charpentier, plutöt que pour celui d'un fculpteur. Les autres Chaires des environs de Bruxelles , dont on parle , n'ont pas toutes le même mérite; il y en a une a Malines chez des Chanoines Réguliers de St. Auguftin , dits Hanfeweyck , elle eft auffi de Verbrughen (du moins d'autant que ma mémoire m'eft fidele); le fujet de celle-ci touche au fujet de celle de Ste Gudule; c'eft Adam après fon pêché qui n'ofe paroitre ft la voix de Dieu. Vocem tuam audivi in Paradifo : & timui eo quod nupus ejjem , &c. Gen. cap. 3. V. zo. L'Hercule , dit aujourd'hui Farnaife , eft du même genre. Glykon avoit fans  dans les Pays-Bas. 129 doute intention d'y repréfcnter le plus fort & le plus robufte des Dieux : il a en conféquence poufle la fomme de tous les caracleres de la force, au plus haut point que fon imagination lui a pu fournir; il a confervó 1'enfemble dans eet excès, il a réuffi. Delvaux a pris un vol plus bas; il ne pouvoit avoir les mêmes idéés que le Statuaire Grec , & fi Glykon a poulfé les caraétere de force, par exemple, jufqu'aB, Delvaux s'eft arrêté £4 audefius des proportions ordinaires. Je ne crois pas que Pigal aura. été beaucoup plus hardi dans fon Hercule qui eft au Maufolée du Maréchal de Saxe. Depuis fon retour dTtalie c'eft a Nivelle que Delvaux s'eft fixé, il n'a jamais habité d'autre endroit: c'eft la qu'il a exécuté en grand le David pour un Seigneur Anglois : il en" fait un fecond beaucoup plus petit, qui eft chez le Marquis d'Efpontain. Lorfque le Voyageur verra la Chaire a prêcher- de la Cathédrale de Gand , il pourrajuger dece que F 5  130 Le Voyageur. nous avancons ci-après au fujet du Maufolée des Princes de la Tour, des caracleres qui conviennent au temps. Page 320. Groupe de Laocoon. Ce procés pour Ia fuppofition ou nort fuppolitiori de la tête de Laocoon m'a bien fair de trainer autant que ceux de ee pays-ci, Malgré les autorités refpectables des antiquaires, des Adiffon , des Coyer , &c. j'avoue que je penche plus vers le fentiment contraire de 1'Artifte qui eft pour la non fuppofition de la tête; i°. paree que de tous les Artiftes qui ont été ii Rome, ft qui j'en ai parlé t aucun n'a été d'un fentiment contrairej fi°. paree que dans le fyftême de la fuppofition de la tête , le joint y feroit f» fenfible, que fans le fecours du taét, la fimple vue le feroit appercevoir au moins a^tentif. L'on a tenté tous les moyens poffibles pour mafquer ces joints dans le marbre, l'on n'a jamais pu réuffir. 3°. Si la tête quiM eft chez le Duc d'A-  dans les Pays-Bas. 131 remberg avoit appartenu au Laocoon, elle en auroit été féparée dans la partie la plus foible , qui eft le cou , &n'auroit pas emporté avec elle une partie fupérieure de la poitrine, qui , a ce que je crois , fe trouve a la tête qui eft chez le Duc. 40. Enfin , je n'ofe rien aifinner , mais je doute fi cette tête eft de proportion pour le Laocoon. Ce doute peut fe vérifier aifément. M. Moftinck., Secrétaire au Confeil de Brabant, a chez lui en platre ce bufte de Laocoon , moulê fur 1'antique , il feroit facile a un Artifte de confromer Tune & 1'autre. Quant aux autres reftaurations, les Artiftes font d'accord avec tous les Voyageurs : pourquoi diftcroient-ils & auroient-ils été moins attentifs fur 1'objet principale Page 326. Maufoléedes Princes dela Tour. Ce Maufolée eft très-beau. Un caractere plus noble dans la tête du temps n'auloit peut-être pas mal fait. II y a des; F 6  ij2 Le Voyageur. beautés de caraclere pour la vicillefie comme pour la fleur de Pftge. La Renommée eft belle , il femble cependant que fon action auroit pu être plus dévcloppce, & qu'elle fort aflez mal de derrière le cartouche qui la porte. Des quatre petits groupes qui font dans la Chapelle, c'eft è. celui qui repréfente la Religion a qui je donneroisla préférence, non a caufe du voile qui lui couvre la face & qui fait illufion, mais paree qu'il me paroit en général mieux compofé & plus fage. Les draperies de trois autres groupes font d'un fauvage & d'un maniéré outré. Des deux petits génies qui fe voient dans la même Chapelle, celui vis-a-vis des fenêtres eft beaucoup fupérieur. La Ste. Urfule eft belle, très-belle-; mais je n'ofe rien aflirmer fur 1'Auteur de cette ftatue. Page 332. Groupe de Ste. Anne. Outre le mauvais vernis dont on a empaté ce groupe, i] perd tout fon mé-  dans les Pays-Bas. 133 rite par le faux jour dans lequel il eft placé, Le plus beau morceau de fculp-. ture refte fans effet, s'il eft mal éclairé. En géncral, il faut que le jour tombe fur un ouyrage de fculpture , s'il eft horifontal ou s'il vient en-deffous, comme dans la Chapelle de Ste. Anne, tout le mérite de PArtifte & de fon ouvrage eft perdu. Page 277- Apótres & vitrages de Sainte Gudule. L'Auteur a oublié le St. Jacques de Viterbe, qui eft bien fupérieur au Chrift & a la Vierge, qui ne font que médiocres. Les vitrages de la Chapelle de la Vierge font d'un deffin bien plus correct que les autres. II y a même des têtes qui font portraits très-relfemblans. II y a dans les Pays - Bas quatre Cha. pitres nobles de Chanoinefl'es; Mons , Nivelie , Andenne & Monftier. Ces fondations mentent d'être connues. Si cela peut faire plaifvr  134 Le Voyagsus. Le Voyageur n'a pas vu encore tous les tableaux de Bruxelles , ils font géncralement trop connus pour qu'ils lui cchappent pendant fon fcjour en cette villey & pour qu'il foit nécelfaire de les indiquer ici. Mais s'il lui furvenoit des doutes fur foriginalité ou fur les vrais Auteurs , je ne connois perfonne plus capable de les éclaircir que M. Duraefnil, ancien Pemtre de la Maifon d'Aremberg T qui a paffé une grande partie de fa vie ii raccommoder les tableaux de plushabiles Maïtres de 1'Ecole Flamande. Je p/ie inftamment VAuteur de ces objèrvations de vouloir bien me faire connottre fa demeure. J'ai fait de vaines recherches pour la découvrir: ce fera unfurcrott d'obügations que je lui aurai. \ 1'Auteur d'ici a quatre a cinq mois, peutêxre avant, je lui communiquerai ce que j'en fais. Si ce n'eft pas tout , cela le mettra au moins a même de fuivre aifément la yoie qu'on lui indiquera.  5" dans les Pays-Bas. 155. LETTRE XIII. Anvers, ce... . Février 1783, T j e s Pays-Bas Autrichiens, Monfieur,, vont avoir , a ce qu'on dit ici, une Ioï & des Juges particuliers du commerce : ces Juges feront, fans doute , des commercans , & la loi fera faite par des commercans. Charger de fa redaction des Jurifconfultes feuls, feroit lui öter toute fon efficacité, fur-tout dans ces pays-ci r oü les fubtilités du droit Romain font 1'objet principal de 1'ótude de ceux qui embraflent la profeffion du Barreau. Le commerce efi fondé fur la bonne-foi; tout ce qui lui eft contraire eft un attentat que doit punir la loi. Cette loi doit être fimple , coneife & précife ; & c'eft paree que les autres loix ne le font pas, qu'elles fout une fource inépuifable de procés & vn cahos inextricable de cjirBcultés. Toute  Le Voyageur. loi qui a öefoin d'être commentée öe vau* rien. Ce n'eft pas affez que le légiflateur entende la loi, il faut qu'elle foit entendue par tous ceux qui doivent 1'obferver, & je ne crois pas qu'une loi foit obligatoire pour celui qui ne Pentend pas ; elle eft pour lui comme fi elle n'eüt pas été promnlguée. L'Empereur vient d'établir a Vienne un Tribunal compofé de négocians pour les affaires contentieufes du commerce : on les y traite verbalement, ou par écrit, lelon Pimportance ou la complicité des objets. En cas de faillite, la Jurifdiction de ce Tribunal ceffe. Les affaires font portées a un Tribunal civil qui doit convoquer les créanciers & met tout en ufage pour les porter a faire un accommodement avec leurs débiteurs. La loi du commerce de France eft certainement une des meilleures qui aient été promulguces dans ce Royaume ; tout ce qu'elle contient n'a pas été le fruit du travail des Jurifconfultes; des négocians , des marchands, des banquiers, des  dans les Pays-Bas. 1-37 manufaéturiers , même des artifans, ont été confultés, & c'eft d'après leurs avis qu'elle a été rédigée. On en fera de même, fans doute , dans les Pays-Bas Autrichiens. Si l'on veut par la loi régler le temps des apprentiffages , 1'age oü on pourra acquérir les maitrifes dans les corporations des arts & métiers, ce fera aux plus anciens de ces corporations, qu'on nomme dans ces Provinces Doyens, qu'on s'addrelfera , pour qu'ils faifent connohre au légiflateur, non-feulement ce qui fe pratique préfentement, mais encore les changemens qu'il conviendroit de faire pour réformer les abus ou prévenir les inconvéniens qui naiffent de 1'ancien ufage. S1 le légiflateur veut ftipuler fur les Agens de change & fur les courtiers, non-feulement il connoïtra ce qui fe pratiquea leur égard en Angleterre , en Hollande & en France, mais il s'inftruira de ce qui s'obferve dans les principales villes de commerce de la Flandre & du Brabant. En confultant les banquiers, les négocians  138 Le Vyoageur. & les marchands de ces villes, ceux-ci lui feront connoitre en quoi ces Agens & ces Courtiers font utiles ou nuifibles au < commerce , & s'ils font utiles , ce fera d'après 1'avis des commercans & banquiers que le légiflateur dreffera les difpofitions de la loi qui les concerncra. Kien de plus fage que tout ce que notre loi de 1673 a prefcrit fur les livres des I négocians, marchancls & banquiers; & rien de tout cela ne s'obferve dans les Pays-Bas Autrichiens; auffi s'y coinmet- I il les abus les plus crians de la part des marchands & banquiers de mauvaife foi. Dans les Tribunaux on y donne croyance a leurs livres contre leurs débiteurs, & ces livres ne font ni cotés, ni paraphés par le Juge, de maniere qu'on peut aifément en óter des feuilles & y en fubf- Vy tituer d'autres, ainfi que le demande la fraude que le marchand ou le banquier veut commettre contre fon débiteur ou contre fon créancier. En France & en Angleterre tout marchand failli qui ne pro- I  dans les Pays-Bas. 139 duit pas les livres en bonne forme , eft. confidéré & puni comme banqueroutier frauduleux.Dans les Pays-Bas Autrichiens ce défaut de produ&ion de livres eft a peine confidéré comme préfomption de fraude , qui feule ne fuffit pas pour faire déclarer le failli banqueroutier frauduleus. Cependant le placard du 4 Juin 1759, dit : 'tous négocians & marchands, foit en gros ou en détail, & toute autre perfonne qui, lors de leur faillite , ne repréfenteront pas leurs regijlres , journaux , livres de commerce ou autres pardevant le Juge, le Magiftrat, ou la loi de leur domicile , ou qui les auront malicieufement changés, ahirès, ou autrement emhrouillés , au préjudice de leurs créanciers , feront pareillement rèputés banqueroutiers frauduleux. Ce placard condamne a la mort les banqueroutiers frauduleux; il rend même refponfable le Juge de toute la dette du banqueroutier, s'il négligé ou differe de le pourfuivre ; mais en même-temps il donne au Juge le pouvoir  140 Le Voyageur. de mitiger la peine de mort, fi les créanciers n'ont fouffert qu'un léger dommage de la fraude du banqueroutier. Le même placard ne condamne pas a la mort les fauteurs du banqueroutier frauduleux,-mais il les condamne a payer folidairement toute la dette du banqueroutier , & chacun en particulier a une amende de 2000 florins ; & a défaut de paiement de cette amende , au piloris & au baniflement. II fe fait dans les Pays-Bas Autrichiens nombre de fociétés de commerce, & il n'y a pas une loi qui les concerne : on n'y connoit pas fobligation que la loi de France a impofée a tous afiociés de fe foumettre , en cas de conteftation , a la décifion des arbitres , & fouvent même quand cette obligation eft portée dans facie de fociété,la chicanne trouvemoyen de 1'éluder , le Juge fe faifit de la connoiffance de 1'affaire , & le procés s'inftruit devant lui. On ne diftingue pas dans les Pays-Bas  dans les Pays-Bas. 141 Autrichiens la lettre de change , du billet a ordre ; Pun comme Pautre y ale même eftet; mais Pun & Pautre ne donne la prife-de-corps que quand le débiteur n'a ni effets mobiliers, ni effets immobiliers fuffifans pour fatisfaire fes créanciers , ou qu'il ne peut pas donner caution folvablc. Si la lettre de change ou le billet eft .adiré, une fimple défenfe de fon propriétaire fuffit, mais il peut obliger le débiteur du billet ou de la lettre de change a en dépofer les derniers a la Tréforcrie .de PHötel-de-Ville, oü ils doivent refter jufqu'a ce que le propriétaire ait donné au débiteur bonne & fuffifante caution, Cette précaution eft nécelfaire, paree que la lettre de change & le billet ne fe prefcrivent pas comme en France par cinq ans, & le cautionnement par trois ans. La prefcription de Pun & Pautre ne s'acquiert ici que par trente ans. II y a dans notre loi de commerce plufieurs difpofitions qui ne pourroient entrc-r dans la lpi du commerce qu'on  1^1 Le Voyageur, feroit pour les Pays-Bas Autrichiens, ces difpofitions étant contraires a celles des coutumes de ces pays. En France la femme eft la première créanciere de fon mari,& dans ces pays-ci fes biens mobiliers font confondus avec ceux de fon mari & deviennent, comme ceux-ci, la proie des créanciers du mari ; ce n'eft qu'a fa mort que, paffant a fes enfans ou a lei héri"tiers, ils ne font plus confondus. En France un debiteur de bonne fdi qui abondonne tout ce quril polfede a fes ctéanciers , peut leur demander une penfïon alimentaire : dans les Pays - Bas fa demande feroit rejettée; en France le Juge la lui accorderoit, fi fes créanciers la lui refufoient. Le débiteur ici eft traité avec une rigueur extreme; on le dépouille ' de tout; la loi de France, plus douce, ne veut pas qu'on le privé de fon lit , de fon habit, & li c'eft un laboureur, de fes inftiumens aratoires. II en eft de même des Artifans, leurs outils font infaiiiiiables. Cette difpofuion de la loi  dans les Pays-Bas. 143 Francoife eft pleine de fageffe , de juftice & d'humanité. Tout ce que poffede le débiteur n'eft pas alui, j'en conviens; voila le principe de la loi des Pays-Bas; mais 1'humanité & 1'intérêt de 1'Etat ne réclament-ils pas contre cette rigueur Si vous ótez k un citoyen lafaculté d'exercer fon induftrie , vous privez 1'Etat d'un citoyen utile , fans que le débiteur en fetire aucun avantage réel. B eft un ufage dans ce pays-ci, mais je ne fais pas s'il eft fondé fur une loi , c'eft de donner au créancier premier faififfant la prcférence. fur tous les autres. II eft aifé de fentir combien ce privilege eft favorable au débiteur de mauvaife foi ; il peut fuppofer un cranciéer qui , d'accord avec lui, le pourfuit a 1'infu des véritables créanciers. Le faux créancier obtient & s'empare de tout ce que poffede de plus précieux le débiteur qui, déclaré infolvable , fe trouve plus riche après fa faillite qu'il ne 1'étoit auparavant, au moyen des effets que le faux créancier lui remet.  144 LE Voyageur Si une loi du commerce doit être faite par des commercans , elle ne doit être promulguée qu'après avoir été examinée avec la plus grande attention par des Jurifconfultes, paree qu'il ne faut pas que cette loi foit contraire aux ufages & aux coutumes, & même ft certaines regies du droit civil. D'ailleurs, cette loi doit prefcrire des formes que le commercant ignore ordinairement, & ces formes font inféparables de toutes efpeces de procédures. Je fuis, &c. Fin de la feconde Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, o u LE TT RE S Sur 1'état acluel de ces Pays. * , -e ==e»., Felix qui potuit rerum cognofcere caufas! V I R. G I L E. '* r,— h -. ■:. ■! ., .^=5 ». TOME TROISIEME. Troijieme Partie. ® ® y ® ^4 AMSTERDAM, Chez Changuion, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, lmprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. LXXXIIL   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. LETTRE XIV. Réponfe a la Lettre douzieme. 'Anvers, ce Février 1781. J E penfe comme vous, Monfieur, SjC j'ai toujours penfé que les grofles fermes nuifoient a la population, ii la culture & a la richelfe du pays oü on les établiffoit; mais quand elles y font établies, c'eft un mauvais moyen que d'employcr G 2  148 Le Voyageur. 1'autorité du Souverain pour les en banir. Le pouvoir de la loi ne peut ricn fur le préjugé : on ajoute même a fa force, fi on emploie contre lui la rigueur. Le temps & 1'expérience feuls peuvent quelque chofe fur lui. Le préjugé eft 1'enfaét de 1'ignorance, & c'eft de 1'amour propre qu'il tient le pouvoir tyrannique qu'il exerce ; on ne peut donc le combattre avec les armes de la raifon ; le feul moyen qu'on peut employer avec fuccès contre lui, c'eft de retirer de grands avantages des procédés qu'on fuitSz qui font tout-a-fait oppofés a ceux qu'il a adoptés. J'étois Éi Londres en 1773 ; un | de mes amis de France m'écrivit qu'il fe propofoit de détruire toutes les petites fermes que fon pere avoit établies. Je vous envoie, Monfieur, copie de la réponfe que je lui fis. Je fuis, &c.  dans les P ays-bas. I49 Londres, ce 8 Aoüt 1773- '\/"o t r e projet, mon cher ami, de réunir une grande partie de vos terres labourables pour en former de groffes fermes,nuira,fi vous l'exécutez,a 1'agriculture dans vos domaines & aleurpopulation : il eft contraire aux intéréts de vos cultivateurs , par conféquent aux vötres qui y lont eifentiellement liés ; mais ce qui vous le fera sürement abandonner , c'eft 1'état malheureux oü il réduiroit ce nombre infini de pauvres families qui tiennent leur fubfiftance de quelques arpens de terre que vous leur avez affermés, & tju'elles cultivent aujourd'hui. Le pays oü l'on a établi dé groffes fermes a un air d'opulence qui fait illufion ; on y voit des fermes riches, & on croit que tous fes habitans font dans 1'aifance ; on n'appercoit, ou plutöt on ne G 3  150 Le Voyageur. confidéré que la maifon du fermier, & on ne fait pas attention au grand nombre de chaumieres dont elle eft environnée. L'efFet d'une groffe ferme eftlememc que celui que produit une de ces manufactures ft privilege exclufif; celle-ci em-| ploie beaucoup de bras, fait vivre beau-| coup d'habitans de la ville oü elle eft] ctablie , mais elle excrcc fur eux une efpece de defpotifme , quelquefois d'autant plus tyrannique que la moindre réfiftance & fouvent le moindre murmure, privé, celui qui fe le permet, de fa fubfiftance. Que le falarié d'une de ces ma-j nufaétures demande une augmentation de] falaire , on Ie rcnvoie & il fe trouve ré-] duit au plus affreux défcfpoir ; la difettej qui le mettra dans 1'impoffibilité de fub-j fifter de fon falaire, ne fera pas un motif j pour déterminer fon maitre ft changerj fon traitèment. Quand , par quelques événemens im-| prévus, la difette afflige un pays, c'eft]  dans les Pays-Bas. 151 alors que les gros fermlers s'enrichiflent: ils ferment leurs greniers ; il s y entaffent récoltes fur'récoltes; 1'efpérance de voir augmenter le prix des grains , fait qu'ils lailfent les marchés vuides ; fouvent, profitant du befoin de ceux qui font moins riches qu'eux •, ils leur achetent leurs grains avant même qu'ils foient moilfonncs, & par ce monopole, ils rcndent plus cuifans les maux qu'occafionne la difette : ils tiennent la même conduite a 1'égard des beftiaux ; deux ou trois gros fermiers d'un canton font une ligue entre eux pour ne vendre ni boaufs , ni moutons , & dès ce moment ces animaux devenus "rares dans les marchés , il en rcfulte une augmentaüon de prix qui les enrichit; cela n'arriveroït certainement pas^ fi les terres labourables étoient données a ferme a un grand nombre de cukivateurs; ne pouvant point retarder la vente de leurs denrées , ces petits fermiers, dans quelquetemps que ce fut , feroient toujours G 4  *5* Le Voyageur. obiigés de les porter dans les marchés au fur & iï mefure qu'ils les recueilleroient; fans cela ils ne pourroient pas fatisfaire leurs mahres, & feroient dans Pimpoffibilité de payer leurs contributions ; ils manqueroient de moyens pour enfemeneer leurs terres, & feroient même fans fubfiftance pour eux & pour leur enfans. En Angleterre il fe forme dans le temps des difettes une ligue entre les commercans de grains & de beftiaux des villes & les gros fermiers des campagnes, dont 1'effet ordinaire efi: de faire éprouver aux peuples les maux cruels de la famine. Si dans les nations voifines la dilétte eft plus grande, le commercant Anglois en inftruit le fermier, & le fermier qui refufe d'ouvrir fes greniers pour fes compatriotes, les vuide en entier pour 1'étranger. Rappellez-vous la fin funefte de ce fermier de Jutlande qui, ayant fes greniers pleins , fe pendit, ily aquelque temps, lorfqu'il apprit que le prix du bied étoit diminué dans tous les marchés,  dans les Pays-Bas. 153 & que par-tout on avoit Pefpérance d'avoir cette année-la une abotidante récolte. De petits fermiers ont des beftiaux , mais le nombre en eft proportionné ala quantité de grains qu'ils récoltent; de cette maniere ils eultivent les terres , non uniquemcnt pour nourrir leurs beftiaux, mais ils ont des beftiaux pour avoir des engrais. Le gros fermier, au contraire, abandonne fouvent la culture & n'a que des beftiaux; il change en pature les terres labourables, paree que la culture de celles-ci lui occafionne beaucoup plus de peine, de foin & de dépenfe ; paree qu'il faut qu'il ait plus de falariés, & que les prairies artificielles demandent [peu de travail, emploient moins de bras, i & que les produits de fes beftiaux font ,bien plus grands que ceux de fa culture. ILes beftiaux ibnt auffi utiles ala culture iqu'ils font néceüaires a la fubfiftance des ihommes; mais fi les beftiaux font emié•rement préférés a la culture , il faut neG 5  154 Le Voyageur. ceffairement qu'il arrivé dans la riatioa, oü cette préférence s'établit, la ruine totale de fa culture , a la fuiie de laquelle arrivera celle de fes beftiaux. Les beftiaux foutiennent la culture , mais la culture affure la multiplication des beftiaux. Dans le choix, il vaudroit mieux qu'un pays füt privé de beftiaux que de culture, & il eft des engrais qui peuvent fuppléer a ceux que procurent les animaux. On croit ordinaïrement que les terresqui compofent une groffe ferme font mieux culüvées que celles d'une petite ; c'eft une erreur, & il eft même impoffible que cela foit autrement. Une grande culture demande des foins, des attentions & une fuite de travail auxquels un feut homme ne peut fuffire. Le gros fermier nè peut tout voir , il ne peut veiller a. tout; fes labours fe feront certainement en fon abfence avec moins d'exactitude que ceux du petit fermier qui lurveille lai-mijme fes laboureurs. Du choix de  dans les Pays-Bas 155 la femence dépend beaucoup 1'abondance de la récolte; le petit fermier en prendra le foin , tandis que le gros le confiera a fes falariés , qui font fans un grand intérêt de le fervir avec zèle ; ils feront donc ce choix avec la plus grande négligence. Le bon cultivateur doit parfaitement connoïtre la nature de fa terre ; de-la dépend Pemploi des engrais & la préfércnce qu'il faut donner a une femence fur une autré : le petit fermier peut acquérir cette connoilfance , la pofféder même dans le degré le plus éminent , mais il eft prefque impoffible que' le gros fermier 1'acquiert jamais ; dès-lors il arrivera que telle de fes terres qui doit être marnée, recevra pour engrais le fumier, & fi c'eft le fumier de mouton qui lui convient le mieux , on employera celui de vache, de chevaux , de cochon, Une terre forte & grafie demande un grand nombre de labours, & fi le fermier ne furveille fes falariés , au-lieu de"trois labours ils n'en donneront que deux,, G 6  156 Le Voyageur tandis qu'ils en donneront jufqu'a quatre a une terre légere & naturellement meuble. Je compare une grande ferme a un grand Etat, dont 1'ceil du Souverain ne peut voir qu'une très-petite partie de fes domaines ,• il n'agit que par les autres, & fon influence n'opere que fur un petit nombre de fes fujets; le refte lui eft, pour ainfi dire, étranger. II en eft de même du poffeffeur d'une grande ferme ; il donne des ordres qui font mal exécutés'; il remédié a des événemens facheux, mais ce n'eft jamais en entier qu'il répare le mal. Le petit fermier, au contraire, apporte un remede prompt a tous les maux ; il répare toutes les fautes, paree qu'il en voit & en fait par lui-même les effets. S'il fait un effai qui ne lui réuffiffe pas ,* cette même non réuffite lui fuggere une nouvelle tentative qui n le plus grand fuccès. Si tel arbre ne produit qu'un mauvais fruit, il le fait greffer, & il en produit un excellent;  dans les Pays-Bas. 157 tel afpec"t du foleil fait fructifier une plante, il la cultive dans toutes les parties de fa terre qui font a la même expofition. II efi de principe que la population d'un pays efi toujours en proportion du nombre de bras qu'emploient fa culture 6r fes manufadtures; plus celles-ci & celles-la font divifées, plus elles occupent du monde. Mille arpens de terre qui formeront dix fermes de cent arpens chacune, auront befoin d'un plus grand nombre de falariés qu'une feule ferme de mille arpens ; & cette même ferme élevera moins de beftiaux, engrailfera moins de volailles , recueillera moins de grains que les dix autres. Si on fait une maffe a la fin de 1'année de ce qu'elles auront produit chacune en particulier , on trouvera que 1'avantage fera pour les petites fermes: ainfi a la longue, un pays oü fufage des groffes fermes s'établira , fe dépeuplera certainement; on en a eu la preuve en Irlande , qui, depuis plufieurs années,  158 Le Voyageur a effuyé des émigraüons continuelles; toutes compofées de cultivateurs qui étoient fans occupations. Les grands propriétaires des terres de ce Royaume en ont eux-mêmes été fi fort perfuadés, qu'ils font tous convenus de ne plus laifler fubfifter dans leurs domaines aucune grolfe ferme. En Angleterre on a pris la même rélolution; & le Comte de Hilsboroug a répondu a ceux qui ont connu le projet qu'il a formé de divifer en petites fermes toutes les groffes qu'il poffede, que c'ctoit pour prévenir le monopole , encourager la culture & donner aux pauvres plus de moyens d'exercer leur induftrie. Le Duc de Malborough , guidé par le même efprit de bienfaiiance , a donné ordre a fes gens d'affaire de divifer fes terres a mefure que les baux expireroient, & d'en former de petites fermes , dont la plus forte ne rendroit qu'un produit de 200 liv. flerlings, ou 4360 liv. de France. Je fuis x &c  dans les Pays-Bas. 159 g g=4======$ LETTRE XV. Anvers, ce Février 1783. J'a 1 commencé aujourd'hui, Monfieur, mon voyage pittorefque, il fera , je crois , beaucoup plus long que celui de Bruxelles : cette ville n'eft pas, a ce qu'on m'a alfuré, auffi riche en tableaux que l*eft Anvers, fur-tout de Rubens, de VanDyck, Quentin , de Maflys & de tous les Peintres de 1'Ecole Flamande qui ont acquis de la céiébrité. Mes pas fe font portés d'abord vers 1'Eglife Cathédrale , qu'on a commencé a batir en ia.52., & qui n'a été achevée qu'en 1424. Cette Eglife a un caraétere de grandeur qui frape quand on y entre:: fon plus grand défaut eft d'être mal éclairée. Ce n'eft pas que je penfe qu'ün Temple deftiné a la célébration des faints Myfteres de la Religion ,. dut être éclairé  i6o Le Voyageur. autant que 1'eft le Palais d'un Roi. Trop de clarté óte ft une Eglife eet impofant que doit avoir un lieu confacré ft 1'adoration de 1'Etre fuprême & deftiné ft la priere & au recueillement. Avant que d'entrer dans 1'Eglife Cathédrale dAnvers, on fait remarquer aux étrangers un puit qui fe trouve au bas de la tour de 1'Eglife, dont tous Je; ornemens, qui font de fer, ont été faits au marteau, fans le fecours de la lime ni d'autres outils, par Quintin-Maffys , lorfqu'il étoit Maréchal. L'amour, comme vous Ie favez , le rendit Peintre , ce qui eft exprimé par ce vers connubdalis amor de mulcibre fecit apellem , qui eft placé au-deffous de fon portrait de profil, fait en bas-relief, qu'on voit au bas de la tour & que le temps a épargné. Ce qui refte des ornemens de ce puit ne mérite pas d'êrre examiné. La tour de 1'Eglife Cathédrale d'Anvers a 466 pieds d'élévation; elle eft d'une dclicateflè qui étonne. L'on rap-  dans les Pays-Bas. r6i porte que Charles-Quint en la voyant, dit qu'il falloit la mettre dans un étui & ne la faire voir qu'aux véritables connoiffeurs.. L'Architeae J. Amelius, la commenca en 142a , mais elle ne fut achevée qu'en 1518. Le Chapitre de cette Cathédrale eft compofé de 70 Bénéficiers, dont 24 font Chanoines ; de ces vingt-quatre , fept font Dignitaires; les autres Bénéficiers font dix Chanoines & des Chapelains. L'Evêque d'Anvers eft Abbé commendataire de 1'Abbaye de St. Bernard , dont la menfe Abbatiale a été attachée ft fon Siege. L'on m'a affuré que le revenu de eet Evêché étoit de 80000 florins au moins. L'Evêque actuel étoit fimple Docteur de Louvain ; il a dü ft fes vertus & ft fon mérite fon élévation ft 1'Epifcopat. L'on alfure ici qu'il emploie en aumónes les trois quarts de fon revenu. L'Evêché d'Anvers eft compofé de cinq Doyennés qui renferment 180 villages, de fix Chanoines & de quatre Abbayes. L'Eglife  1ö2 Lb Voyageur d'Anvers a été érigée en Cathédrale en *559 5 avant, c'étoit une Collégiale. Le Diocefe d'Anvers a été formé aux dépens de ceux de Liege & de Cambrai; il eft aujourd'hui Suftragant de 1'Archevêché de Malines. Le Portail de la Cathédrale d'Anvers eft de marbre en-dedans : cette Eglife a 500 pieds de longueur fur 104 de largeur & 360 de hauteur ; elle eft fourenue par 125 piliers : cette Eglife eft d'un trèsbeau gothique ; fon Chceur eft décoré d'un Autel de marbre dont Rubens a donné les deffins :1e couronnement cependant en eft médiocre & lourd. Le tableau de eet Autel a été peint par Rubens ; il repréfente 1'Aflbmption de la Vierge ; c'eft une belle machine de compofition qui eft d'un bel efiet: la Vierge eft entourée d'une Cour célefte , & au bas du tableau font un grand nombre de figures: les enfans qui font dans la Gloire font admirables : toutes les têtes font de la plus grande beauté ; mais quelques-  kans les Pays-Bas 163 unes des draperies des figures du bas, font d'un pinceau lourd : ce tableau eft clair par tout: 'on dit qu'il n a coute que 16 jours de travail ft Rubens, & qu'il lui a été payé 1600 florins, Bolfwert a gravé cette Affomption. Pour conferver la mémoire du Chapitre de 1'Ordre de la Toifon d'or que Philippe II a tenu le 21 Janvier 1555 , dans le Chceur de !a Cathédrale d'Anvers, on a placé au-deffus des Aalles des Chanoines les armes de tous les Chevaliers qui y ont affifté. Le plafond du döme, avant que d'entrer dans ce Chceur, a été peint par C. Schut, qui y a repréfenté la Vierge environnée d'Anges : s'il y avoit moins de confufion dans cette compofition, elle feroit belle. L'on m'avoit fait un grand éloge d'un tableau de Deodael Delmont , qui eft placé prés des fonds baptifmaux , & qui repréfente la Transfiguration: 1'ayant examiné avec attention , je l'ai trouvé dur & de peu d'effet ; il a ce-  ïó"4 Le Voyageur. pendant quelques parties qui ont du mérite. Sur 1'Autel des Aumóniers qu'on trouve ft droire en entrant par le grand portail, eft un beau tableau de Bernard Van-Orley : c'eft le Jugement dernier, fur les deux volets font les fix CEuvres de miféricorde; Ie feptieme fe trouve finguliérement placé dans le tableau de 1'Au- * tel , oü l'on voit un Curé occupé ft enterrer un mort au milieu des cadavres qui fortent de leur tombe pour aller fubir leur jugement; c'eft un écart d"imagination : ces morceaux font peints^dans la maniere de Raphaél, mais on y trouve cependant un peu trop de féchereffe. Un morceau bien fupérieur ft ceux-ci eft le portrait en ovale du Bourg-Meftre Rockox, peint par Van - Dyck : cette tête eft faite avec chaleur & fermeté ; elle eft dans la Salie oü s'alfemblent les Aumöniers. L'Autel des poiflbnnierseft décoré d'un grand tableau qui repréfente la pêche de St. Pierre, & de trois autres plus petits  dans lbs Pays-Bas. 165 qui font placés au-deflbus, celui du milieu repréfente Jéfus-Chrift crucifié, laxtVierge, St. Jean & la Magdelaine. Dansle tableau a droite l'on voit St. Pierre aux pieds de Jéfus-Chrift fur le bord de la mer, & dans le tableau a gauche notre Seigneur dans la barque de Pierre ,• ces quatre morceaux font de J. Vander-Elbrucht; ils ne font pas fans mérite , mais ils pechent par le deffin qui en eft roide & la touche qui en eft trop feche. L'Autel des Confrères de St. Sébaftien, autrement dit les Archers modernes de PArbalete, eft orné d'un beau tableau de W. Kouberger , qui le fit en Italië a la priere des membres de cette Confrérie : il repréfente le martyre de fon Saint; auffi-töt qu'il fut placé fur 1'Autel de la Confrérie, Pon vint en foule le voir & 1'admirer, mais quelques jours après l'on vit avec furprife que deux têtes de femmes, placées fur le devant du tableau, avoient été coupées & emportées : on renvoya le tableau a Kouberger, qui  166 Le Vyoageur. pour lors étoit a Naples, il le raccommoda. Ces deux femmes font repréfentées pleurantes; elles ne m'ont point paru ni belles ni intéteffantes, mais j'ai trouvé le refte du tableau bien deffiné & larjement peint. II eft f&cheux > que ce tableau ait noirci. Sur 1'Autel des Merciers eft un tableau d'Ottovenius ; c'eft Jéfus-Chrift tenant fa Croix & ayant a fes pieds David , 1'Enfant prodigue, la Magdelaine & le bon Larron : dans le ciel on voit une gloire; il y a des beautés dans ce tableau, mais la figure principale, Jéfus-Chrift, n'eft pas belle ; elle eft mal drapée , avec des formes' rondes. La Multiplication des pains & 'des poilfons, peinte par Martin de Vos , & qui eft placée fur 1'Autel des Meüniers & des Boulangers, eft compofée avec confufion & a peu d'elfet, mais on y trouve quelques beaux détails & fur-tout quelques belles têtes. Deux tableaux décoreat alternaüve-  dans les Pays-Bas. 167 ment 1'Autel des Tonneliers, Pun de ces tableaux eft de Herregout; c'eft S. Mathieu qu'on lapide , la compofition en eft alfez belle , mais les ombres font trop noires, l'autre eft la décollation du même Saint; il eft bien peint'par. Bernard de Rycke : celui de ces tableaux qui n'eft pas fur 1'Autel; eft placé dans la chambre oü la Communauté des Tonneliers tient fes affemblées. Les maïtres en fait d'armes ou efcrimeurs de cette Ville prétendent qu'ils ont fur leur Autel le plus beau tableau de Francois Floris; il repréfente une chüte des Anges : le deffin m'en a paru favant, mais j'ai auffi trouvé que les mufcles étoient tröp prononcés & que la couleur étoit trop vigoureufe. Les têtes des Anges font belles, mais il y a trop de confufion dans la compofition. Ce morceau eft certainement, malgré fes défauts , la produétion d'un homme de génie. n Vous voyez cette mouche « qui eft fur la fefle de eet Ange , me dit celui qui me la montroit, elle y a été  i68 Le Voyageujl peinte par Quentin Maffis, & ca été cette mouche qui a engagé Floris a lui donner fa fille en mariage : ce tableau a été peint en rS54- La familie de Claris, aujourd'hui des Comtes de Clermont, a fa fépulture dans la Cathédrale d'Anvers : cette fépulture eft décorée par un tableau peint dan6 la maniere d'Albert Durer , & non par lui, comme on le croit ici; c'eft une Adoration des Mages : s'il y a dans ce tableau de la vérité & de la couleur, il n'y a ni correction ni harmonie : les volets qui fervent a le fermer m'ont paru avoir été peints par un autre Peintre. Le tableau d'Autel de la Chapelle de la Communion, qui a été peint par Ottovenius , & qui repréfente la Cène du Seigneur, a de grandes beautés; mais il eft trop noirci & d'un effet trop égal. Dans cette même Chapelle eft un tableau peint par Adam Van-Noort, premier Maltre de Rubens; il repréfente une defcente de Croix : ce morceau eft on ne  dans les Pays-Bas. 169 ne peut pas plus médiocre, ainfi que les Difciples d'Emaus, peints parGibraldo, qu'on trouve en fortant de la Chapelle de la Communion : fous fon jubé un Prêtre qui célebre la melfe & leve une hoftie miraculeufe, peint par Diepenbek , ne vaut pas mieux. On eft pleinement dédommagc du temps qu'on a perdu a voir ces tableaux par le plaifir qu'on éprouve en examinant celui qui décore la fépulture de la familie de Philippe Heenfens ; il a été peint par H. VanBaelen & Breughel de Velours ; celui-ci a fait le fond qui eft un beau payfage: ce tableau repréfente la Vierge, 1'Enfant Jéfus, Saint Jean & des Anges; fur les volets on voit en-dedans des Anges qui touchent des inftrumens, & endehors Sainte Anne & Saint Philippe en grifaille : tout eft dans ce tableau de la plus grande beauté; c'eft une fineffe de deffin & de couleur admirables; les têtes font jolies & d'un fini précieux , & III. Torne. Partie III. H  ifo Le Voyageur touché cependant avec fermeté & beaucoup d'art. Sur 1'Autel de la Confrérie du vieux Serment de 1'arc , on volt le martyre de St. Sébaftien , & deflbus ce tableau Jéfus-Chrift crucifié & des portraits; tous ces morceaux font de M. Coxie : le grand tableau eft de bon gout de deffin , mais trop égal de couleur, auffi a-t-il peu d'effet. On peut faire le même reproche a. un autre tableau du même Maitre, qui eft au-delfus de la Sacriftie des Chapelains & qui repréfente le triomphe de Jéfus-Chrift ; Jéfus-Chrift y paroit foulant aux pieds la mort & la pomme qu'a mangée Adam. Vous avez vu a Verfailles la copie de cette fuperbe defcente de Croix , dont Rubens a peint 1'original pour la Confrérie de 1'Arquebufe de cette ville , & qui eft placce fur 1'Autel que cette Confrérie a dans la Cathédrale. Je n'ai vu aucun tableau de Rubens qui foit fupérieur a cette defcente de Croix que Vof-  dans lss Pays-Bas. intermaas a gravée; la compontion en eft adrnirable , & le deffin on ne peut pas plus pur; toutes les têtes y font belles & pleines. d'expreffion. & de caradere ; 1'effet de la lumiere y eft-étonnant; tantót elle eft interrompue & tantót reprife, mais toujours enchatnée avec tout l'art poffible,; on. ne peut pas voir une couleur plus variée^un coioris plus parfait; c'eft celui (Jc )a nature même. Sur un des volets qui fervent a fermer cette fuperbe production , Rubens a peint en-dedans la Vifitation : vous en trouvcrez 1'eftamoe dans l'CEuyre de Rubens;, elle a été\gravée_ parJode Junior. Tout eft  2o6 Le Voyageur. bre des Echevins n'étoit que de douze; on le porta enfuite ft feize, enfin ft dixhuit. Autrefois les Echevins , Bourg-Meftres & Tréforiers ne pouvoientêtre pris que dans les fept families patriciennes; mais aujourd'hui tous notables peuvent prétendre ft 1'Echevinage. On a fans doute fenti qu'il valloit mieux prendre indiftinftement dans toutes les families bourgeoifes d'une ville, ceux qui doiventla gouverner, que feulement dans fept. Les Bourg-Meftres, les Echevins & les Tréforiers font noinmés tous les ans par le Souverain. Mais il eft d'ufageque le Souverain continue pendant plufieurs années ces Magiftrats , paree qu'il eft de fon intérêt, & même de celui de fes fujets que le Magiftrat des villes, & fur-tout les BourgMeftres , lui foient tres - dévoués : leur dtvouement lui alfure 1'obtention de toutes les demandes qu'il fait aux villes. Aucun de ceux qui exercent quelques emplois qui les attachent elfentiellement aux intéréts du Souverain, ne peuvent  dans ties Pays-Bas. 307 cependant être membres du Corps municipal , ni poiféder aucunes places & emplois qui y aient rapport. C'eft le Bourg-Meftre qui eft le Chef du Magiftrat de la Ville d'Anvers, car 1'Ecoutette & 1'Amman, qui tous deux font Officiers du Souverain, nommés par lui & a vie, n'ont fur le Magiftrat aucune autorite; ils repréfentent le Souverain & font en cette qualité furveillanS du Magiftrat: dans les cérémonies publiques , ils marchent a la tête du Magiftrat, mais ne portent pas la parole. lï n'eft pas eflentiel que 1'Ecoutette & 1'Amman foient Gentilshommes, il fuffit qu'ils foient nés Brabancons & Bourgeois d'Anvers; ils ont chacun un Lieutenant, mais 1'Ecoutette & PAmman ne peuvent exercer aucun autre emploi de juftice. On peut affimiler 1'un aux Lieutenans - Généraux de Police & 1'autre aux Lieutenans - Criminels de France , avec cependant cette différence que ce font eux qui requierent pour le  308 L e Voyageur. Prince. L'Ecoutette prête ferment entre les mains du Gouverneur & CapitaineGcnéral ou du Chancelier deBrabanf.il opine avec les Bourg-Meftres & Echevins , lorfque ceux-ci font quelques ordonnances, & il doit y mettre fon fceau édes publier.' Les Echevins d'Anvers font Juges civils, criminels & de Police ; ils jugent au Souverain en matiere criminelle, mais on appelle de leurs fentences en matiere civile & de police au Confeil Souverain de Brabant, & la Jurifdiction duquel ils font foumis : ils font auffi Juges d'appel pour les Jurifdiclions Seigneuriales qui font dans 1'étendue de leur telfort & pour plufieurs Jurifdiclions inférieures qui font dans la ville , telles que celles de la Halle aux draps, de la Chambre des Orphelins, &c. Le Bourg-Meftre juge les affaires foramaires. Tous les délits & crimes pour lefquels il écheoit peine de mort, fe pourfuivent  dans les Pays-Bas 309 a la rcquifition de 1'Ecoutette, & fes Officiers; fes Suppóts peuvent fe faifir des délinquans par-tout oü ils les trouvent. Toute perfonne peut a Anvers arrêter & conduire même en prifon celui qu'elle rencontre comrnettant un crime. Tous ceux qui font arrêtés & conftitués pri» fonniers pour crimes, font jugés par le Bourg-Meftrd & les Echevins , mais il n'y a que 1'Ecoutette & fon Lieutenant qui peut en pourfuivre la punition pour 1'intérêt public. La partie civile n'y prend part que pour les dommages & intéréts qu'elle peut prétendre ; mais pour que 1'Ecoutette faffe arrêter un Bourgeois bien famé, il faut qu'il en obtienne auparavant la permiffion du Bourg-Meftre , & cette permiffion ne peut être donnèé'q'u'en connoiffance de caufe : 1'Ecoutette &> fes Officiers , munis de cette permiffion , ne peuvent entrer dans la maifon d'un Bourgeois pour y arrêter un criminel, qu'ils ne foient accompagnés au moins de deux Echevins; mais leur miniftere  310 Le Voyageur n'eft pas néceffaire pour les cafés, cabarets & autres maifons publiques. L'Ecoutette ne peut faire mettre un criminel dans le cachot qu'après que le Bourg-Meftre & les Echevins l'ont ordonné. Auffi-tót après la dénonciation du crime , 1'Ecoutette doit en donner avis aux Echevins : c'eft devant eux que doivent être cités tous les accufés, & c'eft auffi devant eux & non devant 1'Ecoutette f qu'ils doivent comparottre. Un Bourgeois d'Anvers , de quelque efpece que foit fon crime, ne peut être appliqué ft la queftion fans le confentement du Confeil de la ville , & fi 1'accufé eft un étranger, il faut fentence des Bourg-Meftres & des Echevins, pour qu'il puifie être appliqué ft la queftion, & ce n'eft point ft 1'Ecoutette ft limiter le temps que doit durer la torture, mais aux Juges, c'eftft-dire aux Echevins qui doivent toujours être préfens) L'ufage abufif, qu'on peut même qualifier de tyrannique & de barbare , d'inf-  dans les Pays-Bas. 211 truire fecretement les procés criminels, qu'on fuit dans toutes les Provinces des Pays-Bas Autrichiens, ainfi qu'en France , ne s'obferve pas ici. Un procés criminel s'y inftruit publiquement en la Tournelie du Duc de Brabant, par les Bourg-Meftres, Echevins & Ecoutette. Ce Tribunal tient toutes fes féances les Vendredis. Suivant la Coutume , un Officier , a Pheure oü cette féance doit fe tenir, doit donner du cor a la porte de la prifon , afin , dit la coutume , de faire connottre que la Tournette va s'ouvrir, afin qu'un chacun qui voudras'y rendre y puiffe venir, & qu'il ne foit pas dit qu'il y arrivé quelque diffimulation dans Vadminiftration de la Juftice de la Tournelie. Après quoi, dit encore la coutume , les Juges partent de la Maifon-de-Ville , prècidès des Huijiers & Sergens portant leur verge; après eux viennent 1'Ecoutette, le Bourg-Meftre & tous les Echevins , marcbant chacun fuivant la date de leur ferment : arrivés a la chambre  aia. Le Voyageur. de Ia Haute-Juftice & s'étant tous affis; le Bourg-Meftre demande u l'on a donnc du cor, & 1'Officier qui en eft chargé, ayant répondu qu'oui , un des Avocats qui s'y trouvent ouvre la féance & expofe fa demande, ainfi que cela fe pratiqueen Angleterre ; PAvocat de la partie adverfe répond , & cela, dit la coutume , pour qu'un chacun puiffe juger du droit des parties. Si 1'Ecoutette eft partie , le prifonnier qu'il accufe eft amené devant les Juges, auxquels 1'Ecoutette le montre avec la vetge ou baguette qu'il tient ft la main ; il établit alors fon accufation, expofe fes moyens, les difcute, fait fes preuves & donne fes conclufions. L'Avocat de 1'accufé les combat. Quelque enorme que foit le crime d'un accufé , les Juges ne peuvent lui refufer un ou deux Avocats pour le défendre. S'il y a destémoins, les dépofitions qu'ils ont faites au Greffe font rendues publiques. Les témoins doivent paroitrc ft vifage découvcrt deva.nt  dansles Pays-Bas. 211 1'accufé ; ils doivent faire leur ferment de Vnaniere quel'accufé puiffe 1'entendre,ainfi que tout ce qu'ils difent relatifs a 1'accufc ; les Avocats oul'accufé peuvent les refuter. La plaidoyerie étant achevée & les Juges fuffifamtnent inflruits, ils fe retirent en une chambre voifine de celle oü s'eft faite publiquement 1'inftruction du procés ; c'eft lè qu'ayant délibérés , ils décident du fort de 1'accuféfi le jugement lui eft favorable, il eft élargi; s'il lui eft contraire, le jugement eft exécuté le lendemain. Dans le cas oü 1'Ecoutette auroit été déclaré non recevable en fa demande , les Juges doivent le condamner en tous dommages & intéréts, frais de juftice , &c. Suivant la coutume , il faut, en matiere criminelle, que neuf Echevins affiftent a 1'inftruction du procés, pour que la fentence rendue foit valable. Ces détails, Monfieur, m'ont paru néceffaires pour vous faire connoltre combien la maniere d'adrainiftrer la juftice  G14 E e Voyageur. , ft Anvers eft préférable ft la notre , dont nous ofons nous prévaloir. Ce qui m'étonne, c'eft que M. Boucher d'Argis n'en ait pas parlé dans fes obfervations fur les abus de notre Jurifprudence criminclle, & que les Jouffe , les Vouglans, les Lacombe , les Serpillon , qui ont tant & tant écrit fur 1'adininiftration de notre Juftice criminelle, n'aientpas dit un mot de 1'avantage & même de la Juftice qu'il y auroit ft changer notre maniere d'inftruire clandeftinement les procés criminels : mais ce qui m'étonne le plus , c'eft que cette maniere d'inftruire les procés criminels ft Anvers n'ait pas encore été adoptée dans tous les Pays - Bas Autrichiens. Tous les crimes & délits qui ne fe pourfuivent pas ft la requifition de 1'Ecoutette, font de la compétence des Echevins, & les procés de ceux qui les ont commis, s'inftruifent ft 1'Hótel-deVille. En France, qui confifque le corps , , confifque auffi les biens. Cet ufage, plus ;  dans les Pays-Bas. 215 que barbare, nes'obferve pas ft Anvers: fuivant la coutume , il n'y a que la moitié du bien du condamné qui foit adjugée au Seigneur; fes enfans & fa femme recueillent l'autre moitié : cette difpofition eft pleine d'humanité. B eft odieux que le crime du pere rejaillilfe fur fes enfans, & que celui du mari ft laquelle la femm e n'a pas eu de part, la privé, ainfi que fes enfans, du droit que la nature leur a donné fur le bien de fon mari. L'Amman ft Anvers eft comme je vous . Pai dit, Monfieur , le Lieutenant de Police ; il a fous lui un Lieutenant qui n'agit qu'en fon abfence. L'Amman doit être Brabancon & Bourgeois d'Anvers ; il eft nommé par le Souverain , il prête ferment entre les mains du Bourg-Meftre & des Echevins : lorfqu'il requiert au nom du Souverain , il n'eft pas confidéré comme Juge, ainfi qu'il 1'eft dans tout autre cas; il n'a aucune Jurifdidtion, mais il fait exécuter les fentences rendues ft  *i6 Le Voyageur. fa requifition. Les ventes publiques & forcées fe font par un Officier qui prête ferment entre les mains de 1'Amraan.' La coutume d'Anvers n'a pas été encore homologuée ; fi elle 1'étoit, il faudroit dans tous les cas oü elle n'auroit pas parlé , fuivre Ie droit Romain} ainfi qu'elle le prefcrit. Cette coutume m'a paru une des plus fages & des mieux rédigées de celles du Brabant. Je fuis, &c. Fin de la troifieme Partie,  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, o u LE TT RE S Sur 1'état a£tuel de ces Pays. Felix qui potuit rerum cognofcere caufas! Virgiib. •« —— ■ m , = ■ =3$: TOME TROISIEME. Qjiatrierne Partie. é , A AMSTERDAM, Chez Changüion, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, lmprimeur-Libraire \ Bruxelles. M. DCC LXXXIII.   LË VOYAGEUR DANS, L E S BITS-BAS AUTRICHIENS, ;(g=======^:3i^^.__: _ -===-> LETTRE XXI. : > Anvers , ce. . . '. Mars 17S3. Il y^a ici, Monfieur, un Tribunal ■ ' compofé de quatre Juges qui font choifis par le Bourg-Meftre : on les nonnne Pacificateurs; leurs fonctions font de connoitre cn première infiance de toutes efpeces d'injures & de rixcs, des honoraires des Médecins & Chirurgiens, & des comptes "des Apothicaires, fi ce n'eft que le Bourg' K a  5.20 L a Voyageur. Meftre en eüt ordonné autrement. Si un de ceux quele Bourg-Meftre choifit pour Paciricatcur , refufê d'en remplir les fonc tions , la coutume veut qu'il paie une amende de 100' florins , dont la moitié pour le Souverain & Pautre moitié pour la ville. Douze Juges, qu'on nomme ici Syndics , formem un Tribunal particulier qui prend connoiflance en première inftance de tous les faits qui ont rapport a Paduitere , au viol _, de toutes matieres de mariage , divorce & féparation de corps & de biens. On appelle des lentences que rend ce Tribunal aux Bourg-Meftres & Echevins.' De ces douze Syndics,deux font pris. parmi les Echevins en charge, deux parmi les ancien? Echevins , quatre parmi les Bourgeois & quatre'parmi les Chefs & Do'yens des corps & métiers : ces douze Juges reftent trois ans en place, mais il n'y en a que quatre chaque année de changés , favoir deux Echevins ou anciens Echevins, & deux des Bourgeois ou Doyens des métiers.  dans -les Pays-Bas. lil Je vous ai déja dit dans mes précédentes lettres que les mceurs publiques étoient refpectées ici beaucoup plus que dans aucune des grandes villes des PaysBas Autrichiens. Cela vient originairement de 1'efpece de févérité avec laquelle la coutume veut que foient traités, nonfeulement ceux' qui fréq'uentent les mau'vaislieux, mais encore ceux qui font -atteints & eon vaincus d'avoir eommis le pêché de fornication , quand bien même ce feroit dans le plus grand particulier. Si un homme ou une femme marié eft «trouve de nuit dans un bordel, foit qu'il "föit habillé 'óü déshabillé , il payera au :Sèigneur, dit la coutume , 11 florins & lui donnera fon habit, & dans le cas oü il ne pourroit pas payer les 11 florins , la coutume laiffe la punition a 1'arbitrage du Juge : elle veut qu'on infiige la même peine a 1'homme ou a la femme marié qui de jour eft trouvé déshabillé dans une maifon fufpefte. Pour le pêché de fornication on doit, fuivant la coutume , payer pour K 3  Le Voyageur la première fois 24 florins, 48 pour la recidive, 72 pour Ia troifieme fois, & en outre de cette amende, pour la quatriemc, lepccheur doit encore fubir telle peine que le Juge voudra. La coutume veut auffi que celui qui a commis deux fois le pêché de fornication publiquement, ne puiffe pas faire uiage en droit de fa qualité de Bourgeois , mais elle lui permet d'en faire ufage pour la défenfe de fon corps. La coutume d'Anvers contient plufieurs difpofitions affez fingulieres concernant les ajournemens; elle ne veut pas, par exemple , qu'en matiere civile on arrête ni le mari, ni la femme le premier jour de leurs noces , ni qu'on fe faififfe ce jour-la de leurs biens; elle ne veüt pas qu'on faffe aucune exécution de Juftice dans la maifon d'une femme nouvellement accouchée ; elle ne permet d'ajourner la veuve & les héritiers du défunt que fix femaines après fon décès. Un enfant a Anvers ne peut faireajourner  dans les Pays-Bas. 223 ni fon pere ni fa mere , fans en avoir obtenu auparavant la permiffion du Juge. On ne peut ni fommer ni arrêter qui que ce foit a la bourfe, ainfi que dans les quatre rues qui y aboutiflent, tant •que durent les alfemblées de la bourfe. Tous les Bourgeois d'Anvers ne font jufticiables que.des Magiftrats de leur ville, & ces Magiftrats doivent redemander le Bourgeois qui eft arrêtc hors de la ville, dans quelque pays qu'il foit. Anvers eft comme Bruxelles une ville d'arrêt. Tous les enfans nés a Anvers font Bourgeois dés le moment de leur naiffance , quand même leurs peres & meres feroient étrangers & n'auroient même pas de domicile fixe dans la ville. Tous les enfans légitimes de 1'étranger qui fe fait recevoir Bourgeois a Anvers, qui n'ont que fept ans ou moins, le font comme leur pere, & fi le pere venoit a perdre le droit de Bourgeoifie , ou ay renoncer K 4  2*4 Le VoYAGEua volontairement, ces enfans continueroiedt d'en jouir. Le Bourgeois d'Anvers qui époufe une étrangcre, la rend Bourgeoife , & elle ne cefferoit de 1'ètre après le décès de fon mari, que dans le cas oü elle quitteroit Ia ville fans s'être fait auparavant enrégiftrer parmi les Bourgeois externes, cru dans le cas oü elle fe remarieroit ft un étranger qui ne feroit pas Bourgeois. La femme Bourgeoife d'Anvers qui époufe un étranger , ne rend point fon mari Bourgeois. L'ctranger qui a maltraité un Anverfois , ne peut être recu Bourgeois qu'après avoir réparé 1'injure. On perd ft Anvers le droit de Bourgeoifie , fi on fe fait recevoir bourgeois dans une autre ville; on le perd auffi, fi fon s'abfente de la ville avec fa familie, feulement pendant fix femaines. B n'eri* eft pas de même du Bourgeois qui n'eft pas marié; quelque longue que foit fon abfence, il jouit de fon droit de bourgeoifie , pourvu  dans les Pays-Bas. 2.25 'qu'il ait 11 Anvers'un domicile: B y a auffi des emplois qui, exercés dans une autre ville par un Anverfois , lui confervent fon. droit de bourgeoifie, quoiqull n'habite pas Anvers. Un des fils de M * * * d'Anvers,s'étant fait recevoir monnoyeur dans la monnoie de Bruxelles, n'a pas perdu fon droit de bourgeoifie d'Anvers , quoiqu'il ait un domicile fixe ft Bruxelles & qu'il ait établi avec fes freres une ma« nufadure de falpêtre & de favon aupres de Bruxelles. Si la femme d'un Bourgeois d'Anvers efi abfente , elle conferve fon droit de bourgeoifie tant que vit fon mari, mais elle en eft exclue , fi après la mort de fon mari", elle ne revierit pas ft Anvers; fi elle y revient, les enfans qu'elle a eu pendant fon abience, font Bourgeois, s'il? n'ont que fept ans. Quand un Bourgeois d'Anvers veut quitter la ville & ne pas perdre fon drok de bourgeoifie , il faut qu'il fe faffe infcïire fur le regiftre des Bourgeois externes K 5  Qa6 Le Voyageur & qu'il paie tous les ans un florin. S'il ne le payoit pas entre Noèl & Paque, il perdroit fa qualité de bourgeois; mais fi ce Bourgeois externe a des enfans pendant fon abfcnce , ces enfans ne font pas Bourgeois, quand bien même leur pere reviendroit & fixeroit fon domicile a Anvers. Je fuis, &c,  dans les.Pays-Bas. 247 L E T T R E XXII. A 1'Auteur du Voyageur. Bruxelles, ce j Mars 1783. J'a 1 lu , Monfieur, avec le plus grand plaifir clans la feconde partie du troifieme volume de votre ouvrage , une lettre qui vous a été adrefice , fignée Van-Daelen , & dans laquelle on releve avec les égards qui vous font dus , quelques erreurs ( relatifs aux Arts) qui vous font échappées dans la troifieme partie de votre premier volume. Si PAuteur de cette lettre n'eft point un Artifte d'un mérite diftingué, il doit être compté entre les Amateurs les mieux inftruits ; & quoique nous ne foyons point d'un même fentineat fur tous les objets que frappe fa critique, je n'ai pas moins la plus haute idéé de fes lumieres & de fon goüt. K 6  aa8 Le Voyageup. J'ai lu dans le temps , avec la même peine que M. Van-Daelen , la critique un peu trop amere que vous avez cru devoir faire du tableau du fieur Herreyns: fans doute que vous 1'aurez vu trop précipitamment: je ne penfe pas ncanmoins que cette production , toute eftimable qu'elle eft ( a certains égards) , puifle mettre le fceau a fa réputation; mais je fuis alfuré que 1'incorrection de deffin que vous lui reprochez difparoitra dans un fecond examen. Les acceffoires principaux , nommément le fond d'Architecture , & 1'épifode fymbolique de 1'abondance & du commerce, me paroiifent fatisfaifamment traités : je vous abandonne le refte, qui, véritablement eft un peu froid & d'une exécution moins eftimable ; & fi en général la penfée de ce tableau n'eft point abfolument neuve, abfolument brillante, je ne vois pas qae l'on puifle lui refufer une ceitaine empreinte-de génie Je recois dans le moment 1'eftampe  dans les Pays-Bas. 229 ■de ce tableau , gravée par le fleur Cardon : plufieurs perfonnes de goüt qui 1'avoient vue avant moi, tn'en avoient parlé aflez diverfement; les uns louoient a outrance cette production , d'autres y croyoient trouver beaucoup de défauts, S'il m'eft permis d'avoir un fentiment, le voici. J'applaudis de grand cceur a 1'intention , & j'avouerai franchement que quelques parties de détail ne m'ont. pas également flatté. D'abordje regrette que la tête du Héros ne foit point d'une reffemblance plus frappante, & que les divers mouvemens du tapis fur lequel font pofées les trois couronnes , & les couronnes même , ne foient point rendues avec la vérité & le goüt que l'on remarque dans tout le refte : il me femble encore que cette eftampe efi infiniment mieux gravée qu'elle n'a été d'abord deflinée: on defireroit trouver plus de légéreté , plus de molefle dans ces mêmes draperies, & fur-tout moins de roideur &z moins de pefanteur daas les fr anges , houpes on  ^3° Le Voyageur glands qui enrichiflent cette compofition: elle fait d'aüleurs honneur au burin du fieur Caidon , dont les talens aoquierent tous les jours de nouveaux droits fur reftime publique, & je ne doute point qu'elle n'obtienne tout le fuccès qu'elle mérite. Je fuis, &c. D. L. R-* * *  Ei dans les Pays-Bas. i«\ LETTRE XXIII. Anvers , ce . ... Mars 1783. A n v e r s , Monfieur, eft divifée en t treize quartiers ; dans chaque quartier lont deux compagnies de Milice bourgeoife, chacune commandée par un Capitaine; elles font toutes aux ordres du Magiftrat, ainfi que les fix compagnies, aufli de bourgeois, qu'on nomme Sermens , & qui < font d'ancienne inftitution. Deux font nommés Sermens de PArbalête , 1'ancien &le jëjne; deux autres Sermens del'Arc Pancien cklëjeune ,1a cinquieme eft appellée Serment des Gladiateurs, & ia fixieme Serment des Arquebufiers. Chacune de ces compagnies s'exerce de temps a autre dans une place publique ou dans un jardin qui lui appartient; chacune auffi a une chambre oü fes Membres principaux s'affemblent : ces com-  £$2 Le VovA;öeua pagnies, qu'on peut auffi confidérer comme des Confréries, fervoient ancienrrement ft la défenfe de la ville , & fouvent faifoient la guerre au-dehors. Les deux compagnies de PArbalête formoient même la garde du Souverain, lorfqu'il m'archoit ft la guerre.' Chaque compagnie a décore fa chambre de tableaux,dont plufieurs font beaux; mais je ne pardonne pas ft Pancien Serment de PArbalête d'avoir vendu en 1750, ft Gerard Hoet de la Haye, 5000 florins, argent de change de Brabant, deux tableaux originaux, Pun de Rubens , Pautre de Téniers : tous deux font aujourd'hui dans le cabinet du Prince de Hefle-Caflel. Les deux copies qu'a fait faire ft fes dépens Pacheteur , ont été mifes en leur place. Schouman , Peintre de la Haye, a fait la copie de celui de Rubens qui repréfente Mars & Vénus ce quelques corps morts ft letJrs pieds. La copie de celui de Téniers , qui étoit un des meilleurs qu'ait faits ce Peintre, a  dans lss Pays-Bas. 235 été faite par Vandenbergh ; il repréfente la Maifon-de-Ville & les places & les maifons adjacentes : on voit les Confre* res du Serment monter la garde fur ce e place; plufieurs de ces Confrères étoient peints au naturel. Dans la même chambre eft encore un beau tableau d'A. Janffens, peint en 1614; il repréfente la Concorde: la compofition en eft ingénieufe & la peinture en eft belle. La compagnie du jeune Serment de PArbalête a orné fa chambre d'alfen> blée d'un tableau oü font peints au naturel ceux des Chefs qui vivoient, lors de la compofition de ce tableau. Balthazar Vanden Bofch , qui eft mort en 1715 , a peint ces portraits; Parchitefture Pa été par Verftraeten & le payfage par Huyfmans. J'ai vu avec plaifir dans la même chambre un tableau allégorique de Govaerts; il fut fait a 1'occalion de la paix de 1712. Le Temps y eft repréfenté en Pair , faifant voir le portrait de Charles VI, fou-*  2^4 ^ B VoYAGEUK. tenu par 1'amour, 1'union & la force; la ville d'Anvers y eft repréicntée fous la figure d'une belle femme ; on y voit auffi St. George, Protecteur de la Maifon d'Autriche , entouré d'Anges; les vices y paroiffent terrafles ; dans un des cótés le Peintre a placé les portraits des Chefs de la Compagnie qui vivoient alors. Entre les croilces, j'ai reconnu 1'efquiffe du tableau de Corneille Schut qui décore dans la Cathédrale 1'Autel de la compagnie du jeune Serment. II n'y a dans la Salie d'affemblée de Pancien Serment de 1'Arc , qu'un tableau peint par Emmanucl Bizet le vieux; il repréfente Guillaume Thell au moment oü il va exécuter 1'ordre barbare du Commandant Autrichien. Le plus grand mérite de ce tableau , c'eft de repréfenter au naturel ceux qui compofoient, lorfqu'il fut peint, la compagnie de PArc. Ce qu'on y voit d'architecture a été peint par Herdenberg , & le payfage par Emelraet. La chambre du jeune Serment de PArc  dans les Pays-Bas. ag|j eft plus ornée que celle de 1'ancien : or» y voit trois tableaux, 1'un de J. Fyt & de J. Jordaens, 1'autre de Coxie & le troifieme de FrancoisBreydel : le premier a etc peint en 1645 ; on y voit du gibier de toute efpece & cinq figures ; elles font de J. Jordaens; le fecond repréfente le martyre deSt. Sébaftien ; on peut le placer au rang des bons tableaux de Coxie ; le troifieme eft 1'afiemblée. des Doyens ■de la compagnie & de leur Chef Baithazar de Neef; tous ont été peints au naturel. ... B n'y a dans la chambre d'affemblée de la compagnie des Gladiateurs qu'un feul tableau de Jofeph Van Cracsbek; il eft bien peint & bien colorié; il repréfente une place publique dans laquelle s'exercent les Chefs de la compagnie au maniement \ des différentes armes. Les deux cheminées de la chambre d'affemblée de la compagnie des Arqucbufiers ou Fufiliers, font ornées de deux tableaux ; 1'un eft de 1'Ecole de Rubens  236 Le Voyageur. & a fervi a décorer un Arc-de-Triomphe; l'autre eft une copie de celui qui y étoit auparavant & qui a été confuraé avec plufieurs autres, lorfque cette chambre fut detruke par le feu en 1739 : cette copie a été peinte par Charles Èyckens; 1'original étoit de' T. Willeborts Boffchaerts. Toutes ces compagnies ou Confréries militaires qui, ancienncment, pouvoient être de quelques utilitéspour la'gardedej villes & du pays, font aujourd'hui des affociauons dont 1'Etat, le Souverain & les citoyens ne retirerft aucun avantage. II vaudroit mieux, en les fupprimant , 'ainfi que les compagnies-de Milicc bourgeoife, creer dans chaque ville un pe.i confidcrable un Corps d'Archers, formés & difciplihes comme le font ceux qui compoienr en France la Maréchaulfée. Cnc légere contribution que paycroient indiftinclement tous les habitans des villes, fuffiroit pour 1'entretien de ces Archers, qui, répandus en partie dans les  kan-s les Pays-Bas. 23? campagnes, en afiureroit la tranquillité. D'ailleurs, fi cette Maréchauflee 'étoit difciplinée comme celle-.de France, 011 pourroit 1'employer, en temps'de guerre , a la défenfe dn pays. Le gcrme -de cette Maréchauflee exifte déja dans la compagnie des Archcrs'du Droflard de Brabant & dans celle des Archers du Prévot de 1'Horeh Pour rendre 1'une & 1'autrevraiement utile , il fuffiroit de les métamorphofer en Régimens ; 1'un celui du Droffard de Brabant, feroit d'Infanterie ; il ferviroit dans les villes; l'autre de Cavalerie , celui du Prévót de 1'Hötel, xépandu dans les campagnes & fur les grands chemins , y maintiendroit le boa ordre & en afiureroit la tranquillité. Je fuis, &c.  £38 L E V o V A G E u a. C . : % ' LETTRE XXIV. Anvers, ce... . Mars 1783. T • J E ne vois pas ici, Monfieur, parmi les commercans cette activité & cette cha.leur que j'ai remarquées dans ceux de Bruxelles & de Loüvain. Les boutiquiers même font ici leUr commerce de détail livec une indolence qui furprend. On dit que 1'Anverfois- eft apre au gain, qu'il n'agit que quand il efpëre' retirer quelques bénéfices, que quiconque veut le mettre en aétion , ne pourra y parvenir, s'il ne lui offre un falaire sur, & cependant je n'ai jamais vu d'homme plus indolent , plus inaétif qu'un artifan Anverfois. Un Hollandois, tel flcgmatique qu'il foit, celfc de 1'être du moment que vous lui offrez le plus petit gain a faire, alors c'eft 1'homme le plus aclif, le plus laborieux, on peut même  dans les Pays-Bas. 23$ dire Ie plus hardi & le plus entreprenant. L'Anverfois eft naturellement timide, il ne donne rien au hafard,& pour le détermincr k prendre part ii une grande entreprife, 51 faut lui en démontrcr géométriquement les avantages qu'il en retirera. Soyez sür qtiefi vous lui laiffez fur cela le moindre doute , il n'acquiefcera a aucune des propontions que vous lui ferez. 11 y a ici deus compagnies d'affurance, & malgrc les grands bénéfices qu'elles ont faits pendant la guerre , ceux qui y font intérelfés pairent, parmi plufieurs de leurs compatriotes, pour des inconfidérés : celui qui eft a la tête de ces deux compagnies & qui les dirige eft Mr. Houiller. Perlbnne rie veut croire ici que M. Homberg a eu pendant la guerre 10000 matelots a fa folde ; il les a eus , ]'en fuis certain , difois-je hier a un des principaux commercans de cette ville. Je ne puis concevoir , me rcpbndit-il, comment cela a été, caf zoooo matelots Juppofent des artnemens confidérables, un commerce maritimc  $4° Le Voyageur. d'une fi grande étendue, qu'on ne peut raijbnnabhment croire qu'un homme feul puiffe le diriger. C'eft une machine énorme , cornpofée d'un nombre infini de refforts & de rouages , dont il n'eft pas pof Jlble qu'un homme dirige feul tous les mouvemens .... Un homme ordinaire ne le peut pas , fans doute , mais fi l'on a vu un Cardinal de Richelieu , un Cardinal de Fleury , gouverner la France, pourquoi douteroit-on qu'un homme, dont les vues feroientvaft.es & étendues & l'efprit actif, pourroit diriger un commerce dont les branches s'étendroient fur toutes les parties du globe.... Mais ces grands Miniftres avoient fous eux des hommes intelligens & habiles qui les fecondoient; ils ne tenoient que la grande manivelle. . .. II en eft de même d'un graad commerfant; il a auprès de lui des Agens , il en a dans toutes les parties du monde dont il dirige toutes les opérations.... mais ces Agens font des falariés auxquels on ne peut raifonnablement fuppofer ni \èle ni  dans les Pays-Bas. 141 chaleur pour les intéréts de leurmattre...»; 'Vous vous trompen , un habile cornmer$ant dijlingue de la foule de fes Agens, ceux qui ont le plus d'intelligence & de cafiacité, & pour ftimuler leur \èle, il abandonm d chacun d'eux une partie des fruits que produit la branche de commerce d laquelle eet Agent eft. attaché. C'eft ce que fait M. Romberg, & je 'connois un de fes Commis qui, après être devenu fort affociépour une des branches de fon commerce , fe retire riche de plus de ioo,oóo florins que lui ont valu les bénéfices qu'il a faits pendant fon ajfociation .... c'eftd-dire, qu'il va entrer en concurrence avec fon bienfaiteur, & peut-être lui enleverat-il cette même branche de commerce dont la culture lui étoit confiée Ce feroit une ingratitude dont je ne crois pas capable il a beaucoup d'intelligence .& de grandes connoiffances du commerce • il a , difent tous ceux qui le connoijfent, un grand fonds de probité: ainfi l'on doit croire que c'eft par raifon de fanté qu'il LIL Tome. Partie IV. L  242 Le Voyageur Je retire. Au rejle, la crainte de faire un Hngrat ne doit jamais prévaloir fur leplaiJlr de faire un heureux : les hommes riches & puijfans ne le font eux - mêmes qu'autant qu'ils contrihuent au honheur de ceux qui ne le font pas. II y a ici plufieurs manufactures, mais aucune d'elles ne s'eft perfedtionnée. L'état de leurs productions aujourd'hui eft Ie même qu'il étoit lors de leur établiffement. Eft-ce indolence, eft-ce incapacité de la part des manufadluriers 1 Mais pour acquérir cette connoiffance, il faudroit converfer avec eux , examiner leurs procédés & entrer dans des détails , tant fur les matieres premières qu'ils emploient que fur la maniere de les préparer avant d'être employées, & de les ^apprêter •après qu'elles le font. Tout ce que vous ferie\, me difoit hier 1'ex-Jéfuite dont je vous ai parlé dans mes précédentes , ne produiroit aucun effet. Ici le fils croit qu'il ne doit faire que ce que fon pere a fait, & n'imagine pas qu'il lui puiffe être  dans les Pays-Bas. 44$ profitable de faire autrement. Un Francois vint ici , il y a quelques années , & propofa d plufieurs de mes compatriotes le défrichement des bruyeres, qu'ont commencé avec fuccès, fe. Baron de Beleen, le Comte de Proli & M. Foullé. Que 'lui répondit-on f que ces bruyeres nepouvoient être défrichées, paree qu'elles ne Tavoient pas été par les peres & grandsperes de ceux auxquels on vouloit per± /kader qüe leur défrichement feroit une entreprifè très-lucrative. Nous avons ici trois rafinéries de fucre, & le fucre qu'on y rafine n'eft ni meilleur ni plus beau que celui qui fe rafine a Bruxelles, 6" comme' celui-ci, il eft bien inférieur et ceux que nous envoient les Hollandois & les Anglois; & ce qui eft le plus incon*cevable, c'eft que les fucres d'Angleterre & d'Hollande quife confomment dans les Pays-Bas Autrichiens, quoique chargés de droits d'entree , ne fe vendent pas plus chers que ceux qui fe vendent dans les. 'rafinéries de Bruxelles & d'Anvers. Je fuis, &c.  «44 Le Voyageur. C fr 3 LETTRE XXV. Anvers } ce Mars 1783. Si les arts agréables fleuriffent en France , fi les arts utiles ont été fi fort perfecr tionnés en Angleterre, c'eft que les Francois & les Anglois font communicatifs, & qu'il y a parmi eux un frottement d'idées continuel. Comme ils ne rougifient pas de demander des confeils è ceux qu'ils croient plus inftruits qu'eux, ils donnent ceux qu'on leur demande avec plaifir & empreffement. II n'en eft pas de même d'un Anverfois , me difoit hier un Louvanifte qui loge dans la même au berge que moi : un Anve-Jbis eft fi jaloux de fon [avoir & de fis connoiffances qu'il feroit dêfefpérè fi, en mourant, il n'étoit pas certain qu'elles fuffent enterrées avec lui: pour des confeils & des avis , il ne 'faut pas hafarder de lui en donner; il les  ■ dans les Pays-Bas. 245 recevroit avec le plus grand mépris, tant il eft perfuadé de fa fupériorité en tout genre fur tous les autres. Je ne fais fi ce reprocbe eft. mérité , mais je me rappelle qu'étant a Bruxelles un de fes habitans qui aime les fciences & les arts ck qui les cultive, me dit que fouvent il lui etoit arrivé d'écrire a des Anverfois, qu'il ne connoiifoit que de réputation, pour leur demander quelques éclairciffemens fur des objets qui devoient leur être familiers & qu'il n'en avoit jamais pu rien obteriir. De toutes les fabriques d'Anvers, celle 'des étoffes de foie noir'e, dont les femmes dans les Pays-Bas font ce qu'elles appellent tête de failles , eft la plus belle & doit même profpérer ,fur-tou.t depuis quelques annécs que les femmes en font ufage en France pour leur habillement de deuil. Cette étoffe eft très-belle & d'un bon ufer : il s'en faut bien que les autres étoffes de foie qui fe fabriquent ici foient auffi parfaites; aucune d'elles n'approchent de ceiL 3  t^6 Le Voyageur. les de Ia mêrhe efpece qui fe fabriquent en France, en Angleterre ou en Hollande. Les Teinturiers d'Anvers font les feuls de tous les Pays-Bas Autrichiens qui réuffiffent a donner a la foie 1'éclat & le brillant, dont elle eft fufceptible. Prefque toutes les étoffes de foie qui fe fabriquent a Anvers & en affez grande quantité fe débitent dans les Provinces Autrichiennes ; fi elles étoient plus parfaites, elles pourroient former une branche du commerce exterieur des Anverfois : ils fabrU quent auffi des fiamoifes & des fknelies , & une trés-grande quantité de toiles peintes qui, comme je crois vous 1'avoir dit, ne font pas auffi belles & auffi parfaites qu'elles pourroient I'être. B y a ici plufieurs fabriques de favon noir : il eft étonnant qu'il n'y en ait point de favon blanc. On rafine auffi le fel a Anvers: on y fait de 1'amidon , de Ia poudre ii canon , mais on y fabrique peu de falpêtre. En général on trouve a Anvers des fabriques de tout ce qui peut être nccef-  bans les Pays-Bas 247faire ft fes habitans. Le commerce d'épicerie des Anverfois eft très-confidérable , on peut même dire que c'eft la feule ville des Pays - Bas Autrichiens qui le fafle : cela vient de ce que dans ces pays le plus grand nombre de leurs habitans imaginent qu'il n'y a qu'ft Anvers oü l'on vend de bonnes épiceries. C'eft un préjugé que nourriffent & entretiennent les avantages que les vendeurs font auxacheteurs. Le poids d'Anvers eft le même que celui de Louvain , de Bruxelles, & cependant dans la vente , fur-tout en gros, 1'acheteur a plus de denree que s'il 1'avoit achetce ft Bruxelles ou ft Malines: 1'acheteur a deux pour cent de diminution de poids fur tout ce qu'il achete & qui eft palfé au poids de la ville ; ainfi pour qu'il paie 100 liv. de café , il faut qu'il en recoive 102 liv.: 1'acheteur qui paie fix femaines après 1'achat, a un demi pour cent de remife , ce qui eft confidérablc pour les forts achats. On ne fabrique plus de monnoie ft AnL 4  S48 Le Voyageur. vers: cette fabrique, ainfi que celle de Bruges j a été fupprimée en 1758 , tems, a ce que je crois , oü fut bati 1'Hötel des Monnoies de Bruxelles. En faifant cette fuppreflion, on a confervé dans chacune de ces deux villes Poffice d'Infpeéteur des Monnoies : celui d'Anvers a de gage 180 florins, fon logement gratis, & jouit de la franchife des impóts de la ville. ( Je n'al pas encore pu favoir quel étoit le revenu de PHötel-de-Ville d'Anvers, ni la maniere dont il étoit forraé , ni la part qu'Anvers & fes dépendances paient , du,fubfide & pour Pentretien de la Cour : eet entretien eft fixé pour toutes les Provinces a 500,000 flor. argent courant de Brabant. Cette fomme eft répartie felon ia quote matriculaire de chaque Province, & d ans chaque Province,i'elon les quotes des villes , baüuages , jufqu'au dernier bonnier de terre, felon fa taxe matriculaire ; car ces 500,000 flor. fe répartiffent fur le réel & non fur le perlbnnel,  c a ns le 9 Pays-Bas. n\§ c'eft-a-dire, fui vantles yingtiemes , & non fuivantlesimpóts.Je nefais rien de 1'emploi des deniers quiformentle revenu del'Hötel-de-Ville d'Anvers, & je défefpere de pouvoir acquérir ici cette connoiffance. Rien n'eft plus-myftcrieux qu'un Anverfois pour tout ce qui peut l'intérelfer,mêrae indirectement. Queftionner un Anverfois fur fon commerce , fur fa manufaclure 7 m'ont dit plufieurs étrangers qui font ici, c'eft lui donner de la méjïance ; ft c'eft un étranger qui le queftionne ,. il le- croit un efpion qui vient lui efcamoter Jon fecret pour le porter dans fon pays j fi c'eft un de fes compatrioies, il en fait auffi-* tótunenvieux qui, jaloux de fes fuccès , projette de les partager avec lui. Plus il eft perfuadé de l'étendue de fes propres connoiffances , plus il eft perfuadé que lts autres lui Jont inférieurs en talens ? plus il prend de foin de leur cacher fes procédés & fa marche. Je ne puis croire que ces mceurs foient celles des Prolï* L 5  250 Le Voyageur. des Herboorn , des Coghels, dont Ie commerce eft très-étendu. L'envie, la jaloufie , font tout-a-fait étrangeres aux grands commercans.. II en eft du commerce comme des fciences: le véritable favant voit avec plnifir les progrès de ceux qui le font moins que lui; loin de les traverfer dans leurs recherches, il les encourage, & fouvent même il leur facrifie une partie de fa gloire & des avantages qu'il auroit pu retircr de. fon travail. J'ai vu le Pere Bouquet, Bénédiain, envoyer ii un homme de lettres qui lui avoit dit qu'il avoit formé le projet de faire une Hiftoire des Croifades, une quantité prodigieufe de matériaux qu'il avoit ralfemblés dans le delfein d'exécuter le même projet. Le facrifice étoit d'autant plus grand que Dom Bouquet auroit pu en très-peu de temps mettre fon Ouvrage en état d'êtrc imprimé. Quoiquelié étrok fement avec Dom Bouquet , je ne fus qu'après fa mort eet ÜSte de générofité,  dans les Pays-Bas. 251 qui de fon vivant étoit refté ignoré, paree qu'il avoit exigé de celui qui avoit recu le' bienfait qu'il n'en parlat a qui que ce fut. Je fuis, &c. L 6  &52 Le Voyageur. LETTRE XXVI A 1'Auteur du Voyageur dans les Pays-Bas Autrichiens, fur la Lettre VI de ce Volume. Bruxelles, ce j Mars 178a. On a tant écrit, Monfieur, fur Pagriculture , qu'il n'eft guere pofïïble de dire quelque chofe de nouveau fur cette matiere: a quoi fervent les découvertes fur la meiileure maniere de cultiver les terres, fur la facon de les employer & de les répartir, s'il n'y a pas des encouragemens proportionnés a leur fol & a leur fituation locale5? Généralement les terres éloignées des grandes villes, des canaux ou des chauffées qui y aboutilfent, font mal cultivées ; i°. par la difficulté qu'y a le cultivateur de fe procurer des engrais;  dans les Pays-Bas. a§3 a°. paree qu*étant éloignées des débouchés bü il puiffe vendre le produit de fes terres, il ne peut pas venir en concurrence avec le cultivatcur des terres voifines de ces débouchés. Les terres éloignées du centre de la province , font ordinairement voifmes de quelques provinces étrangeres oülecultivateur pourroit vendre avantageufement fes denrées; on devroit donc lui en perrnettre 1'exportation conftante : eet encouragement produiroit bientöt 1'effet qu'on defire depuis fi long-temps. C'eft un axiöme généralement connu que Ie nombre des habitans d'un Etat dépend des moyens de fubfifter; mais ces moyens de fubfifter dépendent nonfeulement de la culture, ils dépendent auffi de 1'application qu'on fait des terres & de leur produit. La province la mieux cultivée, crui n'auroit aucun débouché pour vendre le fuperflu du produit de fes terres, foit en nature ou manufaéturé} manqueroit  254 Le Voyageur de tout. On doit donc toujours pouvoir exporter ce fuperflu , pour en retirer, autant qu'il eft poffible, de 1'or & de 1'argent en nature : on doit même encourager cette exportation, paree que 1'or & 1'argent font des métaux qui ne périifent point, & ne fe diffipent pas comme les fruits de la terre, & on peut toujours avec 1'or & 1'argent faire entrcr dans 1'Etat tout ce qui y manque. Les feuls produits que nous ayons a exporter font le lin & le bied. L'exportation du lin eft abfolument dcfendue , afin d'en conferver la main-d'ceuvre pour la filature & les manufaaures des toiles „ dont la vente a 1'ctranger procure néf elfairement plus d'avantages que fi nous vendions les matieres brut es. Mais on devroit fe relacher en faveur de 1'amélioration des terres éloignées du centre de la province. L'exportation du bied eft de temps-enternps permife, je ne fais fur quoi on fe regie pour la permettre ou la défendrc;  dans les Pays-Bas. 255 ce ne peut être que fur une connoilfance bien conftatce qu'une récolte a été abondante ou médiocre ; car fi on fe régloit fur les prix des marchés , on s'éxpoferoit a donner dans 1'erreur, paree que le prix des chofes peut augmenter , i°. par fa rareté, 1°. par la difproportion du nombre des. vendeurs & des acheteurs , & 30. par une augmentation momentance d'argent effeclif. Quiconque voudra obferver nos provinces avec attention, s'affurera qu'elles peuvent exporter annuellementune quantité confidérable de bied , & que c'eft la principale reflburce qu'elles ont pour contrebalancer 1'argent qui en fort. On doit donc entretenir cette exportation autant qu'il eft poffible, & on pourroit même 1'augmenter en aboliffant ce trop grand nombre de bralferies de genievre, dont la liqueur accable le peuple & eft la fource de toutes fes maladies.' Le fol de ces provinces eft fertile , fa fituation eft très-avantageufe; il y man-  256 Le Voyageur. que rencouragement des manufa&ures, c'eft-ft-dire une facilité ft s'y procurerles matieres premières, comme vous 1'obfervez très-judicieufement dans la Lettre VII de votre Voyageur , Tome III. Malgré le petit nombre de manufactures qui exiftent dans nos provinces, le commerce s'y eft toujours confervé dans un état aflez- floriflant, il y a toujours répandu les bienfaits fur ceux qui s'en font ïendus dignes par leur application affidue. Si les exemples n'en font pas rnulripliés, c'eft que ia plupart de ceux qui font deftinés au commerce n'en étudient pas les premiers élémens; qu'on parle ft ces marchands de remifes & de traites continuées, ils n'y connoilfent rien; ils ignorent jufqu'aux moindres principes des opérations des changes, & des fpcculations en marchandiies; ils attribuent tout au bonheur ou au malheur. Baniffons la jaloufie! ouvrons les yeux! refpecions ces généreux négocians qui font yenus parmi nous , nous apprendre que  dans les Pays-Bas. 25? le commerce. n'eft pas perdu pour nos provinces, appliquons-nous comme eux & nous deviendrons en état de faire ce qu'ils ont fait. Je fuis, &c.  258 Le Voyageur LETTRE XXVII Anvers , ce .. . Mars 1783. T) -■-'es cmq Eglifes Paroiffiales d'Anvers , Monfieur , celle de St. Jacques eft la plus belle : on comnienca a la batir en 1491 ; fa tour n'eft pas auffi haute ni auffi belle que celle de la Cathédrale. Depuis 1656 cette Eglife eft Collégiale : fon Chapitre eft compofé de trente Chanoines & de trois Dignitaires, un Doyen , un Chantre & un Tréforicr : les Prébendes de ce Chapitre ont cela de particulier qu'elles ont prefque toutes été fondées par de riches particuliers, habitans de cette ville. Le portail de cette Eglife eft beau ; il paffe ici pour le chef-d'ceuvre de Henri Verbrugghen : les maffes en font cependant trop fubdivifées ; elles n'ont point entre elles eet accord & cette harmonie,  dans les Pays-Bas. 259 eara&ere diftinftif des vrais chef - d'ceuvre~ de Part. Le jubé fous lequel on païfe, en'entrant par ce portail , eft foutenu par des colonnes ioniques entiérement de marbre : il eft bien compofé, d'une belle invention & d'une riche exécution , ck fait honneur au goüt & au génie de Verbrugghen. Une Réfurreclion de JéfusChrift , peinte par Henri Van-Baelen , & qui ome le tombeau de ce Peintre qu'on trouve fur le pilier èdroite, m'a frappé. Ce tableau eft pe'.nt dans la maniere de Van-Dyck, au point que bien des connoiffeurs le xroient de ce maitre, ainii que le portrait de Van-Baelen & celui de fa femme qui font placés au - deffus. Dans le tableau de la Réfurrection, Jéfus-Chrift eft bien en 1'air , le groupe des foldats bien compofé , bien deffiné & d'une belle couleur. Le tableau qui orne 1'Autel de la Chapelle de St. Roch, eft d'une belle compofition , bien peint & a un grand effet: il a été peint par G. Seghets: il repré-  aoo Le Voyageur. fente St. Roch mourant eatre deus Anges ; on voit dans une gloire d'autres Anges qui attendent 1'inftant oü 1'ame de ce Saint va fe féparer de fon corps pour 3a porter dans le ciel. LAutel de cette Chapelle eft de marbre ave: des colonnes torfes. Vis-a-vis font douze tableaux de Jean Hemmelick : les fujets font rirés de la vie de ce Saint; on admire dans ces tableaux un précieux fini, des vérités avec fineffe & nne belle couleur, mais la maniere du premier temps de la Peinture a 1'huile y eft trop dominante. La Chapelle de la Communion ou du St. Sacrement eft la plus belle de cette Eglife; elle eft trés - ornée. Le tableau d'Autel eft d'Ottovenius ; il repréfente la Cène; fur un des volets, Ottovenius a peint Moïfe & Aaron , & fur Pautre Melctófedèch; ces tableaux font beaux; il eft facheux qu'ils foient trop noircis, fur-tout les fonds. L'Autel eft tout de marbre blanc & noir; il eft décoré par les ftatues, auffi de marbre , de S. Pierre  dans les P a tr s-B a s. iSt & de St. Fattï ; 1'une eft du Sculpteur Louis Willemffens ,1'autre de Henri Verbruggen ; fur le coüronnement eft Dieu le Pere qui, ainfi que les bas-reliefs qui font derrière les chandeliers & fur les piédeftaux, font d'Arnoult Quellyn : toute cette décoration eft d'une belle exécution & du plus beau choix. C'eft A. Quellyn qui a donné les defïins de la Table de Communion; elle a été exécutée par -■" Kerckx, ft 1'exception des deux enfans qui font d'A. Quellyn. Un beau morceau de fculpture eft le bas-relief qui eft pofé vis-ft-vis de 1'Autel & pour fervir d'ornement ft la fépulture de la familie de Candele; on le doit au cifeau de Ver voort le pere; il repréfente une Elévation de la Croix : le deffin en eft ferme & correft ,mais les figures m'ont paru trop courtes. Cette Chapelle de la Communion eft fermée par une belle baluftrade fur laquelle font placées les ftatues de St. Jacques & de St. Paul; elles font belles 6? ont été faites par le Sculpteur  £62 Le Voyageur. G. Cocks; il y a auffi des enfans qui font bien en chair & traités avec beaucoup de finefie. Le refte de la baluftrade eft de Kerckx. Le tableau d'Autel de la Chapelle de la Ste. Trinité eft bien dans la maniere de Langhen-San; il repréfente la Trinité; il a été peint par H. Van-Baelen: ce feroit vraiement un beau tableau', fi les ombres n'étoient pas trop noircies , ce qui lui donnede la dureté. Je ne peux mieuxlouer le tableau qui orne la fépul- ■ ture de Mlie, Geenfins, qui eft contre ïe: pilier du Chceur qui fe trouve vis-a-visi U Chapelle de la Trinité, qu'en difant: qu'il eft beau comme s'il avoit été peint: par Van-Dyck; il 1'a été par Corneille; 'Scut; il repréfente Jéfus-Chrift mort fur' les genoux de fa mere. La familie de Candele & celle de Zumalo ont dans la Paroiffe St. Jacquès: chacune une Chapelle; la première eft; remarquable par un bas-relief qui.repré-■ fente la Flagellatïon de Notre-Seigneur ;;  dans les Pays-Bas. 263 il efi: de Vervoort le pere; la compofition en eft belle , le deffin correct & d'un bon caraclere ; mais il eft d'une nature vin peu trop courte. Dans la feconde , qui eft dédiée ft St. Ives, eft un tableau de G. Séghers-; il eft médiocre ; il n'y a ni aclion ni expreffion, quoique le fujet en fut très-fufceptible : c'eft St. Ives foulageant les plaideurs opprimés; prés de lui font des veuves pauvres & affligées, entourées de leurs enfans: le Saint donne ft 1'une d'elles un papier. Coml bien un homme de génie n'eüt-il pas tifé partie de la fituation douloureufe de ces femmes infortunées! 11 auroit donné ft ' la douleur de chacune d'elles un caractere particulier , qu'auroient pu exprimer leurs geftes, leurs attitudes. C'eft ft cette diverfité d'expreffions que fe reconnott le crayon du grand Maitre. Les cendres de Rubens repofent depuis Van 1640 , année de fa mort, dans une Chapelle de 1'Eglife de S. Jacques qui appartient ft fa familie: cette Chapelle eft  aó"4 Le Voyageur exa£tement derrière le Chceur. Toute cettè Chapelle & les Tombeaux qu'on y voit, font revêtus de marbre: fur 1'Autel eft un tableau compofé avec génie, deffiné avec fineffe ; c'eft 1'ouvrage des Graces: la couleur en eft belle, le faire facile & la touche ferme : fi ce n'eft pas un des plus corrects, c'eft un des mieux penfés, des mieux peints , & des mieux confervés de ce Peintre. Ce tableau qui repréfente 1'enfant Jéfus fur les genoux de fa mere, & St. George & St. Jéróme qui font prés d'elle , eft un des plus parfaits & des plus féduifans qu'ait faits Rubens; il s'eft peint fous la figure de St. George, & a donné a deux belles femmes qui font a cöté de ce Saint , les vifages de fes deux femmes. Vous trouverez dans 1'ceuvre de Rubens ce beau morceau qu'ont gravé Paul Pontius & Eyndhovedes. Après la mort de Rubens, fon ami intime Gevaeres avoit compofé fon épitaphe , qui ne fut pofée fur fon tombeau qu'en 1755 r par les foins de M. J. B. Van-Parys, Cha- noine:  dans les Pats-Bas. 265 nöine dela Collégiale de St. Jacques, & peut-neveu par fes grands-meres de Rubens. B n'y a dans cette épitaphe ni efprit ni génie , auffi vous en ferai-je grace. Au-deffus de 1'entablement de 1'Autel eft une ftatue de la Vierge en marbre : on dit qu'elle fut faite a Rome par Duquefnoy , & que Rubens, fon ami, la rapporta avec beaucoup de fóin dans fa patrie. C'eft un joli morceau de fculpture, je. doute cependant qu'il foit de Duquefnoy; fi la figure eft jolie, elle n'a pas ce mol des chairs que ce maitre favoit fi fupérieurement exprimer; les chairs de cette petite Vierge font d'une crudité , d'une fécherelfe qui affecte 1'ceil du connoiffeur ; mais la figure eft trop petite, vu fon élévation, pour qu'on puifle bien juger de fon mérite. St. Charles invoquant le fecours de la Vierge pour la guérifon des peftiférés % eft un beau tableau de J. Jordaens; mais il pêche cependant par les ombres qi i font trop noires: a cöté- du Saint eft un Tome III. Partie IV. M  266 Le Vovagecr Ange: tous les malades font placés dans le bas du tableau qui fe trouve a cöté du chceur. Dans une Chapelle peu éloignce de celle de Rubens eft un tableau d'un de fes cleves, nommé Victor : fa maniere eft bien celle de 1'école de fon inahre , mais fa couleur eft froide & noire dans les ombres: ce tableau repréfente la Vifitation de fainte Elifabeth. Le tableau d'Autel de la Chapelle qui fuit eft bien meilleqr ; il eft de Pierre Van-Livet : il repréfente la Vierge entourée de plufieurs Saints : la compofition en eft belle, les figures font drapées dans la maniere de le Sueur ; les têtes fout belles, elles ont beaucoup de perfeaion, & cette expreffion eft très-variéc & très-vraie. Contre le pilier eft une Vierge de douleur & deux Anges enfans: ces enfans font traités avec fineffe & correaion ; ils font honneur au cifeau de Van-Beveren. Les ftatues de marbre de St. Pierre eft de St. Paul fur la fermeture du bas cöté  d a ns Ltss Pays-Bas, ïo> du choeur versJa gauche, ont été fmtes par Michel Vervoert ;elles font belles öe •ifeftl*,* d'urie grande liberté de pratiqueïdles1enfens :a«ffi dé marbre- qui lont du même maltrc v font bien en chair; feurs>têtes font très-joVies. Le même Scuïp- ' teur a fg&ft fon rétour de Rome en 1701 * fe-figtirë de PEterrtité pöur être placée dans Ia Ghapelléi!de'la Vierge fur la fépulture de la familie de Peéters : cette figure, qui éft bdle, eft repréfentée avec jufteffe & eorreaiori. Une autre figure, non moins Welle ,' eft celle de St. Jean prêchant -dans- le déferf, elle eft-placée dans la même Chapelle , & eft de Wilremifens: le deffin en eft favant, la tête eft pleine de fentimens & a beaucoup de caraaere & de vérité. Sur la fépulture de la famillë de Van-Gindercn eft un beau. tableau de"C. Schut; il repréfente Jéfus-Chrift mort, la Vierge, St. Jean , * la Madelaine óz des Anges a genoux. Ce tableau eft d'un beau faire & d'une , 1 b ■ Ma  a63 Le Voyageur. belle couleur; mais les têtes font trop for- tes & même peu agréabïes. Sur la porte de la falie de Marguilliers on a place 1'épitaphc en marbre de, la familie de Muntfaert 3 au milieu eft. peinte par P. Tyffens üne Aflbmption jj ft Texception des deux plus grands, tous les Anges qui ferment un beau groupe , font très-beaux. Un beau tableau de VanDyck eft le portrait de Cornille Lantfchot; il eft ovale, & fc voit au-deffus de fon épitaphe qui eft placce dans la feconde Chapelle en entrant par le bas cöté de la nef & ft h gauche . ce tabkau eft fin en tout. La fépulture de la familie de Rockokx, qui eft dans 1'une des Chapelles de la nef & ft gauche, eft décorée d'un tableau de Van-Heemfen; il repréfente le Jugement dernier : il eft compofé avec génie , d'un bon goüt de deffin, mais les chaires font trop rougeatres & 1'effet en eft trop égal. Sous le Jubc , ft I'entrée du Chceur  dans lës Pays-Bas. 269 font, fur deux Autels qui s'y trouvent „ deux tableaux-; Pun de Théodofe Boyermans eft le meilleur, & Pautre de EQuillyn. Le premier repréfente une Affomption ; il eft de la plus belle couleur, & d'un fi beau pinceau qu'on le croiroit de Van-Dyck. Le fecond eft dur & fee: il repréfente la mort de la Vierge : l'on dit que ce fut le dernier qu'a fait Quillyn. Le Jubé eft de marbre avec des colonnes d'expreffion ionique: il eft bien compofé & bien exécuté. L'Autel du Chceur eft beau; il eft de marbre noir & blanc avec des colonnes torfes. Au milieu eft-la ftatue de St. Jacques en habits pontificaux : cette ftatue eft belle ; elle eft d'Arnould Quillyn : c'eft lui qui a donné les deffins de 1'Autel qu'il a exécutés avec Willemffens. Toute cette richeffe pittorefque de la Paroiffe de St. Jacques d'Anvers , dont je viens, Monfieur , de vous entretenir, appréciée a fa véritable valeur , n'eft pas auffi grande qu'elle le paroit. A PexcepM 3  fifo ;8 Le Voyageur • tion de quelques morceaux, qui font- même en petit nombre,.le refteeft, fi-ce n'eft médiocre,, du moins peu digne de .tixcv long-teinps ; r.aUentiqnxies yéritabjes connoiifeurs.. .Je.fuis,::cVc^h  dans les Pays-Bas. 27ï € 1 =f =3 • LETTRE XXVIII. Anvers, ce... . Mars'i^Bj,. JLi A liberté de la preffe, Monfieur, , ' n'eft-pas encore établie, ainfi que vous le penfez, dans les Provinces des PaysBas Autrichiens. Les brochures que vous avez recues de Bruxelles ont pu vous le faire croire. Vous avez penfé qu'elles étoient imprimées ft .Bruxelles , & vous en avez tiré la conféquerice qu'on pou-voit dans cette ville imprimer tout librement ; on n'y gêne point la prefle comme on le faifoit autrefois, mais Pon n'y föuffre point que la prefle abufe de cette condefcendance. C'eft de Maeftricht, de -Liege ou de la Hollande que viennent dajjs les Pays-Bas Autrichiens, & fur-tout 'ft Bruxelles, cette foule de productions littéraires éphémeres, licentieufes & im'pies qui s'y débitent fous ie 'manteau , M 4  L e Voyageur non par les Libraires , mais par des colporteurs , ainfi que cela fe pratique a Paris; Le vrai moyen d'empêcher dans les grandes villes le commerce des livres prohibés , feroit d'en bannir les colporteurs, qui feuls le font, & même peuvent le faire. Un Libraire , un Imprimeur peuvent faire circuler au-dehors ces catéchifmes •du libertinage & de 1'impiété , mais cela leur eftjprefque impoffible dans la ville oü ils réfident. Ce commerce exige des peines, des foins, des démarches qui les diftrairoit & les occuperoit trop. Du moment qu'un Libraire fait fa principale occupation de la vente des livre§ défendus, on doit croire que fon commerce eft très-borné & que fes moyens ne font pas grands : d'ailleurs, les grands rifques qu'il cöure , doivent allarmer ceux qui lui ont accordé leur confiance , fon fdndeur de caracleres, fon marchand de papier , & plus encore les efcompteurs de fes billcts. Le commerce des livres prolübés eft comme celui des contrebandiers;  dans les Pays-Bas. 273. il donne de grands bénéfices qui fe réfoudent prefque toujours en la ruine totale de celui qui le fait. Du moment qu'un Libraire fait le commerce de Livres probibés, il doit perdre & perd yéritablement toute efpece de confidératión. On ne voit plus en lui qu'un citoyen dangereux, qu'un corrupteur des mceurs > qu'un perturbateur du repos public. B y a cependant des livres qui, quoique prohibés, peuvent être vendus fans attaeher aucune note d'infamie ft ceux qui en font commerce : tels font, par exemple , en France , les (Euvres de Bayle , d'Helvétius , de la Fontaine, dont la prohibition prinjitive exifte encore fans effet : on vend c,es livres publiquement, même dans les yentes mortuaires. B y a auffi des livres qu'on imprime fans approbation de cenfeur j.:&qui, ft caufe de cela , pourroient être rangés dans la clafie des livres prohibés qui s'impriment & fe vendent librement. D'ailleurs, tel livre qui, dans certain temps, peut produireune fenfation M 5  274 Le Voyagetjr. dangereufe, peut dans un autre temps n'en produire aucune; tels font les' Sermons deleBoucher , qui aujourd'hui font . lus fans aucun danger. Tous les livres contre la religion doivent être prohibés, ma's il ne faut pas rcgarder comme contraires a la religion ceux qui ne traitent ni du dogme ni du culte. Les livres contre les mcéurs font ceux qui les corrompent en hatant dans les-jeunes gens le développement des pafïions qui les font dégénérer en vices & qui donnent au vice des attraits; en mültipliant trop la prohibition des livres, ceft-a-dire en 1'étendant a trop de livres indiftinctefnent-, 00 s'expofe a être trop injufte ou trop indulgent. On eft injufte fi l'on punk le Libraire qui vend les Contes de la Fontaine ou de Bocace, avec la même rigueur que celui qui débite le Portier des Gnartreux ou la Alofia ; on eft trop induïg-edr fi, ayant trop a punir, on ne peut fe réfoudre a être de la plus grande févéi ïité è 1'égard de ceux qui col'portent &  dans les Pays-Bas. 2.75 Font circulêr les ouvrages de 1'implété & de la corruption. La punition doit être proportionnée au mal qü'a fait le coupable : les CEuvres de Crébillon fils, tels quefonSopha, fes Matines de Cithère, n'attaquent les mceurs que par 1'efprit, fi l'on peut parler ainfi , au-lieu que Thérefe Philofophe , le Monialifme , &c. les attaquent par les fens ; la leclure des uns mcne néceflairement ala corruption ; tout ce que peuvent faire les autres, c'eft de difpofer a cette corruption les jeunés gens qui les lifent. J'ai connu étant a Bruxelïés ün jeune homme de 16 ans qui s'ctoit livré. a la plus infame dcbauctie ; après avoir 'lü des livres que lui vendoit jourÈèllement un colporteur. II y a da'nsle Brabant & dansles Pays-BasAutrichiens des loix du Prince qui pr.ortoncent des peines déterminées & même très-féveres (a) , contre les Auteurs, lm- (a) Codex Brabantius veibo libri. L'arr. 14 d;it, slacard du zz Février 1724 , condamne kune: M 6  276 Le Voyageur.. primeurs , vendeurs de mauvais livres, & c'eft ce qui fait que ce font les colporteurs , & non les Libraires, qui y débitent ordinairement ces Livres.' Un Libraire a un état ii conferver; la crainte de perdrc la confidération dont il jouit le retient;le colporteur eft ordinairement un homme ifolé , prefque toujours fans fortune; au moindre figne de méfiance qu'on lui donne, il prend la fuite & va exercer fon induftrie pernicieufe dans un autre pays. Dans le cas même oü l'on établiroit dans ces provinces-ci la liberté de la preffe, il faudroit donner des loix pour légler & 1'étendue de cette liberté & les peines ft infiiger ft ceux qui en abuferoient; car quoique la liberté de la prelTe foit amende de joo fl. & une peine corporelle a 1'arbitrage du Juge , celui qui vend des livres contre la religion , les mceurs & des Jibelles: ce placard donne iooo flor. au dénon«aceur, lefquels feront payés par Ie vendeur.  DANS LE.S.P AVS-BAS. S7f eu Angleterre on ne peut pas plus grande, on y punit très-féverement ceux qui impriment ou font circuler dans le public des livres licentieux , féditieux ou impies, & il n'y eft pas au pouvoir du Juge de modcrer ni d'étendre la peine que la loi a prononcée contre eux. La eenfure des livres appartient dans les Pays-Bas Autrichiens aux Fifcaux ou gens du Souverain, & ce font (a) eux , ainn que les Juges fubalternes , qui font la vifite des Imprimeries & magafins de livres, & c'eft fur leur rapport que le Confeil Souverain de Brabant, fi la faifie d'un livre s'eft faite en Brabant, prononce fouverainement.' II me parolt que Ie moyen d'empêcher fimpreffion & la vente des mauvais livres , feroit d'ctablir dans chaque ville oü il y auroit des Imprimeurs & des Libraires , un ïnfpeaeur qui feroit autorifé a aller, toutes les fois (a) Reglement du aj.Juin 1729,  2f8 Le Voyageur. qu'il le voudroit, vifiter (a) les Impnmenes & les magafms des Libraires, & d'y faire Ia faifie des livres prohibés qu'il y-trouveroit : ces InfpecW devroient en rendre compte a un Infpeaeur général qui réfidcroit dans la ville capitale de la Province, ft Bruxelles, par exemple, dans le Brabant, &a Gand dans Ia Fhndre : eet Infpeaeur général en inftruiroit les Fifcaux pour qu'ils y pourvulfcnt \ ce même Infpeaeur général feroit ft Bruxelles ce que chaque ïnfpeclëur particulier feroit chargé de faire dans chaque ville. II eft cenain que les Imprimeurs qui hc fauroient pas le jour ni Ie moment' :.(a) Suivant 1'art. 8 du Reglement de , les Fifcaux ou leurs prépofés , doiv-ent vifiter au moins deux fois Van , 6- toutes les fois qu'ils le voudront, les maifons, magafms , les bouttques des Imprimeurs , Libraires & venisuLM livres..... fans que les Libraires puijfent être informés ni du Jour ni l'heure auquel la vifite fe fera.  dans les Pa y's -J3iA s. 279 oü les Infpeftéurs feroient leurs >;vifites , n'oferoient pas s'expofer ft contrevenir ft la.défenfe qui leur feroit.faite d'Imprimer des livres défendus. LcsjProcureurs-Généraux'.qui font aujourd'hui ces vifites » ne peuvent 'pas les multiplier autant qu'il feroit néceffaire qu'elles le fuffent. Leurs autres fonótions font fi importantes, que tout ce qui peut les en détourner doit être fupprimé. C'eft auffi par le même motif qu'on devroit dans les Pays - Bas abolir la cenfure des livres,qui, au moyen des vifites frequentes qu'on feroit dans les Imprimeries, deviendföit inutile , furtout fi l'on défendoit d'imprimer aucuns manufcrits qfii ne feroit pas figné de leurs Auteurs de ïa" maniere qu'ils le font en Allemagne & en Italië, dans les Etats de. Sa Majefté Impériale. II eft vrai que dans le Brabant il faut la préfence de deux Echevins pour qu'un Officier de Juftice , autre que le Procureur-général, entre chez un Bourgeois; il faudroit donc donner ft ces Infpeóteurs le droit d'y  2,80 L-e Voyageur. avoir entree ; il me femble que le Sou-, verara & le Confeil de Brabant peuvent attribuer ce droit a un Infpeaeur de la Librairie.qui, au.moyen du ferment qu'il prèteroit devant le Confeil, en deviendroit Suppót comme Je font fes Huiffiers. Je fuis, &c,  dans le^Pays-Bas. aBi lettre xxix. A 1'Auteur du Voyageur. Gand, ce... Mars 17.83. Le but de votre Ouvrage ,.Monfieur, eft le bien public , & les niatferes que vods y traitez font alfez connoitre 1 intérêt que vous prenez ft la profpcnte du commerce de nos Provinces. Etranger parmi nous , vousfaites tout ce que pourroit faire le patriote le plus zéle : fi nous vous devons de' la reconnoïffimce , nous devons auffi vous payer le jufte tnbut d'éloge qui vous eft du pour l'ufage que vous faites des avis qu'on vous donne, des obfervations qu'ón vous envoïe Iors même qu'ils font contraires ft vos opinions. Vous n'avez pas , Monfieur f comme tant d'autres Ecrivains de ce fiecle, la préfomption de croire que vous ne pouvez pas vous tromper : non content de reconnottre vos méprifes, vous  *Sa L s Voyageur. mvitez ceux qui les apperccvront § vou< en avertir. Comment a-t-il pu fe faire qu'il foit vrai , comme on me 1'a dit, qu'il y ait dans nos Provinces des hommes affez peu amis de lear patrie pour vous avöir.refufé des éclairciffemens lorfquc vous leur avez écrit pour les leur demander"? ■Nommczdes, Monfieur, & le mépris public , ou au moins le ridicule , vous vengeront. Je fuis perfuadé qu'ils ne font ni Bruxellois ni Louvanifl tes. II eft aifé de voir par tout ce que vous avez dit de Bruxelles & de Louvain , que vous avez trouve parmi ceux de leurs habitans , que vous avez confultés , le plus grand emprelfémcnt l vous aider de leurs connoiffances. Permettez - moi, Monfieur, de vous commumquer quelques réflexions fur 1'effet que la paix doit produire'fur le commerce denos Provinces: je ne crois pas' qu'il foit tel que vous 3c penfez. Les pons d'Oftende & de Bruges vont étre privés , je lc crois comme vous, des par-  dansles Pa vs-Bas. f&$ ties de commerce qu'ils ont faitcs pendantla guerre ,- Sc •qu'ils rie faifoient pas -auparavant; noüs autres des expéditions du bois; de conftruaion de la Hollande fur la-France &.• derla.HoïLande fur Oftendeg mais cette pertéferaxornpenfée par l'aug-> mentation des parties du commerce qui pendant la guerre avoit le plus fouffert de diminution; tel par exemple le tranfit:? :car , ne .vous y trompéz pas, le tranfit avant la guerre rappottoit dav'antóge que pendant la guerre. Oftende a fait pendant la guerre un commerce t'rès-conüdérable avec lés Francois , Anglois & Hollandois , mais c'étoit- tra commerce qui ne pouvoit être que momentané , ori peut racme 'dire qui lui étoit étranger ,J au lieu que le commerce dé tranfit eft pour elle un commerce naturel qu'elle doit h fa pofuion- & -a 1'intérêt même de ceux qui lui fourniffoient les occafions dé le faire. Jë puis vous alfurer , Monfieur , que les envois que faifoient avant le commencement des hoftilités la France ±  bienWAnf n ^^^e Ie génie' ntaiiant de votre Minifire M de VV- 2 Iag^é,nous devons raibnnablement penter qne le traniit va rede- «uproht.de lïtat,de Liege 7cfl „0tfe Gouvernement réduit a prdq e riT e f01tdet-rMuifepereoupour;:t ' Souverain j s'il facilite Ic traaf des -archandjfes tranfitantes, en éubliüÏ de nouvelles chaulices, ou en ouvrant d" nouveaux eanaux. Les Hollandois nous traverferont,je le luis , ils fero„t les p]us grands facnlices pour rappeller dans leurs ports les vaiüeaux des'nations qui, pCn,  I dans fc-e's Pays-Bas aS5 dant la guerre & ft caufe de la guerre, ont Jpréféré d'aborder aux ports de Bruges & Id'Oftende; mais faifons auffi les facrifices dont notre pays eft fufceptible ; ayons Péconomiefdes Hollandois, & devenons auffi fins, auffi rufés qu?eux, pour rendre inutile 1'efpece de conjuration qu'ils peuvent avoir fait contre notre commerce tranfitant. s J'apprends dans le moment qu'ils ont réfolu d'accorder un paflage libre, même fans payer aucun droit de tranlit quelconque ft toutes fortes de marchandifes fans exception , que les Négocians foient ferangers ou nationaux voudroient faire pafler en Allemagne par la Hollande. Que cette abondance d'or & d'argent que Ipolfedent les Hollandois ne nous décou|§rage pas. Le numéraire de nos Provinjces ie multipliera ft mefure que notre ac«ivitc s'aggrandira. Voyons 1'accroiffement jqu'a pris ce tranfit depuis vingt ans : fvoyons ce qu'étoit notre commerce ft ^'époque oü la maifon de Roraberg s'eft  a86 L e- v0ya6eur établie dans 'nos Provinces ,'& nöus atu rons lieu d'efpérer de; pouvoir le conti-i nuer avec 'iuccès tant pa* ftièr 'que'pai terre,: Lies Hbllandóis m'a*t-qn- dit; sden1! nent d'acaparer dans .'te nord pour fo mil'! lions florins de leür'rriönnöie'de böiê C'eft fürement une entreprife- très -har< die , mats bien-.vue, fur-toüt dans cc moment oü la marine marchande dd toutes les nations va s'accroltre : il ef npparent qu'ils en feront autant de< -vins de France néceffaire a nos Flamand: & Brabancona; mais cela ne leur réuf: iira pas, auffi-bien qu'ils le croiront, 1 nous avons la conftancc de ne pas et boire. isï Vous avez judicieufemcnt obfervé 1 -Monfieur , que tout fage Gouvernemcn ne devoit jamais confidcrer les intcrêt du fifc de prcférence a ceux du comj mcrce. C'eft le commerce & 1'agricu'li ture qui .font la richefle d'un pays t même fa force; car, fans 1'une commi fans 1'autre, un pays eft pauvre, il e;  dans LËs Pays-Bas. 487: auffi défert. Plus le commerce eft floriffant, plus 1'agriculture Peil auffi; plus le Prince a de moycr.s de pourvoir aux dépenfes de l'adminifiration & a la défenfe de fon pays. Vous 1'avez dit auffi, &je le crois comme vous ,. c'eft la richelfe du peuple qui fait la vrqie richelfe du Souverain. Biert des Gouvernemens fe trompent quand ils confiderent davantage le commercant qui fait en une fois une exportation valant 100,000 liv. & plus que le ncgociant qui fait la même exportation a différentes fois fur dix chariots, au lieu que le premier fait la fienne fur un feul chariot. B y a pour les gens inftruits cette différence que 1'exportation faite par dix chariots eft bien plus utile au pays que celle qui eft faite par un feul chariot; car c'eft une vérité que le voiturage de dix chariots occafionnc une plus grande circulation d'efpeces que le voiturage d'un feul chariot, quoique ce feul chariot produife le doublé de droit a fon Souverain que les dix autres.  £83 Le Voyageur Le commerce des Pays-Bas Autrichiens ne pourra ni profpérer ni s'étendre, fi leur Souverain ne lui donne pas un protedteur qui, membre du Gouvernement , veille fans ceife è. ce qu'on na faffe rien contre le commerce : on pourroit lui donner le titre de Surintcndant de commerce ; ce feroit a lui que les commercans s'adrefleroient dire&ement pour tout ce qui regarderoit & intérefferoit leur commerce en particulier & le commerce général des Provinces. On pourroit lui donner un Confeil compofé de dix Confeillers , dont deux feroient en mêmc-temps membres du Confeil des Finances, fix Commercans confommés, deux Avocats' du Confeil Souverain de Brabant, dont un feroit les fonctions de Fifcal, & Pautre de Procureur du Souverain. Je fuis, &c. Fin de la Qjiatrieme Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, o u LE TT RE S Sur 1'état actuel de ces Pays. Felix qui potuit rerum cognofcere caufas! V i R G I L E. — : TOME TROISIEME. Cinquieme Partie. ® y 9 Chez Changuion, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. LXXXIII.   LE VOYAGEUR DANSLES PAYS-BAS AUTRICHIENS. LETTRE XXX. Ölóbc ol öp co ibifrvsb 5ubq ' ' %iï i ' Anvers , re.. .. TW^rs 1783. J'a 1 vu ce matin, Monfieur, dans 1'Eglife du Chateau d'Anvers, un Macfolée qui fait honneur au cifeau de Schee-1 maeckers qui i'a exécuté. Ce monument a été élevé a la gleire du Marquis Delpi co , qui a été Gouverneur de cc Chftteau : le Marquis y efi repréfenté couché; il paroft fe révéiller en furfaut & être N a  20^ Le VoVAGEI'5. dans la plus grande furprife de voir deux fquelettes qui fe préfentent a lui , & faire des eflbrts pour fe lever ; dans le haut font deux enfans qui pleurent, 1'un tient le bouclier , l'autre le cafque du Marquis; au milieu d'eux efi la Renommee qui d'une main tient 1'écuffon de fes armes , & de l'autre une trompette qu'elle embouche ; tout efi groupe de drapeaux , de piqués & autres inflrumens qui lient alfez bien renfemblc \ c'eft une alfez belle compofition oü il y a de 1'efprit, mais peu de génie. L'apparition de ces deux fquelettes nleft rien moins qu'ingénieufe. On peut deviner ce que le Sculpteur a voulu exprimer, mais fa penfée eft-elle bien rendue 1 le Marquis Delpico fe réveille , il n'eft donc pas encore fous 1'empire de la mort; les efforts inutiles qu'il fait pour fe lever , expriment qu'il eft fans eipérance de s'y fouftraire, voi« la , ïi ce que je crois , quelle a été 1'idée de 1'Artifte : fon cifeau étoit franc & moëleux, mais dans ce morceau il a pro-  dans les Pays-Bas. 293 duit peu d'effet. Une bombe, a ce qu'on m'a dit, avoit en 1746 , fort endommagé ce monument qui a été réparé en 1^51 par les foins du Marquis de la Verne. L'Autel de la Chapelle oü eft placé ee monument, m'a occupé plufieurs momens : eet Autel eft tout de marbre, avec des ornemens de cuivre doré; au milieu font les trois Perfonnes de la Trinité , la Vierge & des Anges : deux autres Anges qu'on voit fur le cóté, font occupés i\ tirer des ames du Purgatoire : tout cela , exécuté en marbre par Scheemaeckers , forme un alfez bel enfemble qui a de 1'effet. Le refte de cette Eglife n'a rien de remarquable , &la feule chofe qu'on y voit qui peut mériter quelque attention, eft le tableau du MaJtre-Autel , peint par Ottovenius ; il repréfente la Réfurrectiondu Sauveur; c'eft un bon tableau , mais qui a peu d'effet. La plus belle des places publiques d'Anvers eft celle de Mer ; elle eft grande; on y voit un Crucifix de bronze doré N 3  294 L'E VoYAGSUR. qui a 33 pieds de haut : le Chrift eft de proportion héroïque, c'eft-a-dire de 10 a ia pieds; il eft beau & fait honneur au Sculpteur Jean Góethaels qui 1'afait cn 1635 : la dorure a óté k ce Chrift eette belle fleur de cifeau qui eft fi précieufe pour les véritables connoifleurs: cette place eft ornée de beaux btómens. La place des Facons n'eft remarquable que par le Crucifix qu'on y voit 6c qui a été fait par le Sculpteur A. Guellyn. Les rues d'Anvers font belles, larges & bien allignées; elles font bordées de maifons bien baties, tenues avec beaucoup de propreté , mais plus agréablement que richement meublées. La population d'Anvers n'eft pas proportionnée k fon étendue & au nombre de fes maifons, c'eft ce qui fait qu'elle paroït déferte j elle le paroitroit moins, fi fon commerce devenoit plus floriflant, & pcut-être auffi fi les mceurs de fes habitans reffembloient un peu moins a celles des Hollandois. Cette conformité de mceurs rend le fé-r  dans les Pays-Bas. 295 •jour d'Anvers auffi trifte que 1'eft celui des villes de la Hollande; mais il eft bien plus fain & agréable pour le climat que celui d'Amfterdam ; Pair qu'on refpirea Anvers eft humide, mais il n'eft pas charge de miafme morbifique. Je fuis, &c. N 4  296 Le Voyageur. €=======^=====3 LETTRE XXXI. Anvers, ce Mars 1783. ■L ' E v ê q u e d'Anvers , Monfieur, exerce dans toute 1'étendue de fon Diocefe la jurifdiclion contentieufe en matiere eccléliaftique , de même que les autres Evêques des Pays-Bas Autrichiens, chacun dans leur Diocefe. Le Juge qui Fexerce en leur nom , & qu'on nomme Official , fe fait quelquefois affifter par des Alfefieurs; un Avocat fait dans fon Tribunal les fonctions des Avocats Généraux de nos Pariemens, & celles du Procureur-Général font remplies par un Officier qu'on nomme Promoteur. On nomme Appariteurs les Huiffiers du Tribunal de 1'Official. On appelle des fentences des Officiaux des Evêques au Mctropolitain ou au Pape, fuivant les circonfiances, mais eet appel doit être juge  dans les Pays-Bas. 297 par des Juges délégués établis dans Ie Pays. Si l-Ölêeial outrepaffe les pouvoirs, s'il y a excès dans fa fentence, 1'appel s'en porte devant le Juge royal, de même que lorfque 1'Official n'obferve pas les formes des procédures prefcrites par la loi du Souverain, ou fi fon jugement eft contraire aux loix de 1'Eglife & de 1'Etat. L'appel comme d'abus n'a pas lieu dans les Pays-Bas Autrichiens, mais dans les cas oü l'on y a recours en France, on prend dans les Pays-Bas la voie du recours au Prince, qui produit le même effet que l'appel comme d'abus. Les Evêques, Monfieur , ont réculé, autant qu'ils 1'ont pu , les bbrnes de leur jurifdiftion ; ils ont prétendu que , 1'ayant reeue immédiatement de Jéfus -Chrift, elle étoit tout-a-faitindépendante del'autorité des Souverains. Pour le fpirituel cela eft incohteftable ; mais pour tout ce qui a rapport au temporel, lo-rs même que le temporel eft accefioire du fpirituel , la jurifdiflion des Evêques eft cUW 5  298 L e Voyageur pendante du Souverain, foumife a fes loix & a fes Juges. Quand Jéfus-Chrift envoya fes Apötres baptiler & inftruire les nations, il leur donna la puiffance de lier & de délier, mais il leur dit auffi que fon Royaume n'étoit pas de ce monde. Jéfus-Chrift a donc borné la jurifdiction desApótres, & par conféquent des Evêques lenrs fucceffeurs, ii ce qui-regarde les biens fpirituels3 la grace,.la fatisfaction des ames, la vie étcrnelle, L'Eglife affemblée ,a pu étendre cette jurjfdic"tion, mais Pextenfion qu'elle lui a donnée n'a pu avoir fon exécution qu'étant revêtue de la fanction du Souverain.- Dans les matieres mixtes, c'eft-a-dire, celles qui participent de la nature ou du caraétere de la matiere fpirituelle & de la matiere temporelle , la jurifdittion eccléfiaftique n'eft indépendante que pour ce qui regarde le fpirituel, & le Juge laïc peut connoitre de tout cc qui a rapport au temporel; c'eft ainfi que dansles caufes de mariage le Juge laïc qui ne peut pas  dans les Pays-Bas. 299 connohre de ce qui tient purement au Sacrement, a le droit de décider qu'il a été 'abufivement adminiftré , & n'a pas d'effet pour le civil , quand les formes prefcrites par les loix du Prince , qui doivent précéder 1'adminiftration du Sacrement, n'ont pas été obfervées. Le mariage eft tout-a-la-fois Sacrement & contrat civil, & tout ce qui peut avoir rapport au civil dans le mariage , n'eft pas de la compétence des Juges d'Eglife; ils ne peuvent donc rien prononcer fur les promeffes de mariage, fur la co-habitation antérieure au Sacrement, a plus forte raifon fur les enfantemens qui proviennent des co-habitations illicites. On le décice au Confeil de Brabant comme dans les Tribunaux de France, & je crois que cette Jurifprudence eft auffi celle que l'on fuit dans toutes les autres Cours Souveraines des Pays-Bas Autrichiens. Chriftine Boonaert de Louvain intenta fon aétion devant 1'Official de Malines, réfident ii Bruxelles, contre J. B.' G. N 6  300 Le Voyageur. Becke , qui , fous la promeffe qu'elle difoit qu'il lui avoit faite , avoit joui d'elle & 1'avoit rendue mere ; 1'Official par fa fentenco, 1'admit ft preuve ; le pere du jeune homme en appella au Confeil de _ Brabant & y foutint que TOfficial étoit Juge incompétent.Le Confeil de Brabant, fans égard ft 1'avis très-long & très-verbeux du fieur Frifon, Profeffeur en droit canon en 1'Univerfité de Louvain , qui foutenoit la compétence de 1'Official , renvoya , par fon arrêt du 23 Novembre 1776 , les parties pardevant les Commiffaires qu'il nomina, & ordonna ft ChriftineBoonaert de prendre telle conclufion qu'elle voudroit devant eux. C'étoit eertainement déclarer que le Confeil ne regardoit pas Ie Juge d'Eglife comme Juge compétent. Un arrêt femblable fut rendu par la même Cour le 23 Aoüt 1778, dans un cas femblable contre 1'Official de 1'Evêque d'Anvers qui avoit recu la plainte portée devant lui par Corneillie Van-Nes de Turnhout, qui demandoi  dans les Pays-Bas. 301 qu'il fut ordonné a Jean - Chrift. Reyns de la prendre pour femme, paree qu'il avoit reeu fes premières faveurs & 1'avoit rendue mere. L'Official avoit déféré a Reyns le ferment dccifoire & 1'avoit abfoud de 1'accufation. Le pere de la fille ayant attaqué de nullité la fentence de 1'Official devant le Confeil de Brabant, cette Cour , par fon arrêt, déclaranulle toute la procédure faite par 1'Official d'Anvers , laiffant la plaignante dans tous fes droits & lui ordonnant de fe pouryoir devant le Confeil. Ce qu'on appelle divorce dans les PaysBas Autrichiens , n'eft que ce que nous nommons en France féparation de corps & de bien des conjoints. Le Juge laïc cn France peut feul en connoitre; mais dans les Pays-Bas Autrichiens , les Juges d'Eglife prétendent que la connoiffance leur en appartient. II n'y a certainement rien dans cette féparation de corps & de bien qui tienne au fpirituel : cette féparation ne rompt pas le lien du mariage;  302 Le Voyageur. elle fépare les conjoints fans leur rendre la liberté de prendre de nouveaux engagemens; ceux qu'ils ont contraclés, lorfqu'ils ont recu le Sacrement, fubfiftent en leur entier, au point même que la femme, quoique féparée de fon mari, pourroit être par lui pcurfuivie comme adultere, fi elle manquoit ft la fidélité qu'elle lui a promifc ; cela ne feroit pas, fi le divorce étoit réel, s'il opéroit la liberté des conjoints , & fi en conféquence ils acquéroient chacun celle de former un nouveau lien conjugal ; alors le Juge d'Eglife feroit Juge compétent de ce divorce , paree qu'il intérefferoit le Sacrement du mariage, mais dans ce cas même, tout ce qui regarderoit le contrat civil , rendu nul par le divorce, feroit de la compétence feul du Juge laïc. « Le droit ii que les Juges d'Eglife des Pays-Bas r> Autrichiens ont de connoitre des di« vorces, eft fondé, difent-ils, fur certains •n concordats palfés entre le Souverain des «■> Pays-Bas Autrichiens , 1'Evêque de  dans les Pays-Bas, 303 Ti Liege & 1'Archevêque de Cambrai, 11 qui leur attribuent la connoiffance de n toutes les cau!es matrimoniales. Je ne connois pas ces concordats, mais il me paroït qu'ils ne peuvent aujourd'hui être d'aucune confidération , puifque PArchevêque de Cambrai & 1'Evêque de Liege n'exercent aucune jurifdifbon dans les Pays-Bas Autrichiens. Etant a Bruxelles, les plus lavans Jurifconfultes de cette ville m'ont affuré qu'ils ne penfoient pas que la connoiffance des caufes de divorces appartinffent aux Cours eccléfiaftiques, & que le Confeil fouverain de Brabant devoit feul en connoltre pour cette Province. Mais quand cette connoiffance appartiendroit aux Juges d'Eglife , ce ne feroit pas de droit divin, mais feulement en vcrtu de conceffion faite par leSouverain. B en eft de même de toutes les parties de la jurifdiction contentieufe exercée par les-Juges d'Eglife, dans des affaires qui ne regardent pas le fpirituel.  304 Le Voyageur Tout ce qui regarde le cultc en tant qu'il tient eflénticllcment au dogme ,. n'eft J)as de la compétente du Juge laïc : ainft le Juge laïc ne peut pas ordonner qu'on fupprime telle ou telle cérémonie du St. Sacrifice de la Meffc; mais il peut , fur les repréfentations bien fondées de tous les Paroiffiens, ordonner ii leur Curé de célébrer la Meffe paroiffiale a telle heure plutót qu'a telle autre. Si le Curé d'une ParoilTe refufe fans raifon d'inhumcr le cadavre de fon Paroiffien en terre faintc, c'eft au Juge laïc & non au Juge' eccléfiaftique , que les parens du défunt doivent s'en plaindre. Le Juge laïc ne peut pas ordonner a un ConfefTeur d abfoudre fon pénitent; mais fi le ConfefTeur lui refufe 1'abfolution avec fcandale , ce n'eft pas devant le Juge eccléfiaftique que ie pénitent doit fe pourvoir; mais devant le Juge féculier. Le Prince ni fon Juge ne peuvent pas donner la miffion de prêeher , mais ils peuvent empêcher que celui qui l'a recue de 1'Evêque en faffe ufage.  dans les Pays-Bas. 305 L'Evêque feul peut difpenfer dans fon Diocefe de 1'abftinence ordonnée par 1'Eglife ; le Prince ni fon Juge ne peuvent accorder cette difpenfe, mais, fi le cas le requiere , ils peuvent ordonner la vente des denrées gralfes, de même qu'ils peuvent permettré les travaux méchaniques & publics , les jours de Fête, & même les Dimanches , quand la fituation des peuplcs le demande : fi alors le Juge ecclcfiaftique lancoit une excommunication contre ceux qui uferoient de cette permiffion , le Juge féculier pourroit dcclarer nulle cette excommunication & même failir le temporel de celui qui 1'auroit lancce. Mais pour être perfuadé que la jurifdiétion eccléfiaftique n'eft pas de droit divin en tout ce qui ne regarde, pas le fpirituel, ii faut remontcr a fon origine, c'eft - a - dire aux premiers temps de la Religion : n alors ceux qui la profefn foient prenoient pour arbitre des dif« férends qui naiffoient entre eux, des  3o5 Le Voyageur r> perfonnes de leur Clergé qui avoientl Ti caraétere : c'étoient les Evêques , &ci r> ft leur défaut de fimples Prêtres; mais3 n les jugemens qu'ils rendoient comme: r> arbitres,n'étoient exécutoires que quandl r> les deux parties y donnoient leur con-'v> fentement : ces arbitrages ayant lieui n pour le fpirituel comme pour le tem— T> porei, les arbitres fuivoient pour 1'uni f> 1'équité naturelle, & pour l'autre less •n regies de 1'écriture & de la tradition.. ti Confiantin approuva l'ufage de ces ar-■ n bitrages; il avoit encore tout le zèle: n d'un Néophite, & eet ufage lui paroif-« fok confacré par la Religion; il pou« voit d'ailleurs le confidérer comme utile: n ft fes fujets, &avantageux pour 1'Etatt *i quiaun grand intérêt ft ce que 1'union &: t> la concorde regnent dans les families. Le: n Clergé qui avoit pris fur Confiantin uni n grand empire, & dont par conféquent le: « crédit augmentoit de jour en jour, par-r> vint facilement ft rendre eet ufage un i  KANS LES PAYS-BAS. «Of droit public , & a le faire confidérer comme tel & par le Prince & par les fujets. Confiantin, a 1'inftigation des Evêques, qui déja ne fe confidéroient plus comme les fimples Pafleurs du troupeau de Jéfus-Chrift , donna aux Evêques le pouvoir d'adminiftrer la Juftice: leurs fentences, qui auparavanr n'a» voientd'autorité que par les convenüons des parties, eurent la force des jugemens rendus par les Juges féculiers; ainfi 1'arbitrage des Evêques .qui, }ufqu'alors, n'avoit été dans les affaires civiles qu'un Miniftere de charité , prit le cara diere d'un Miniftere public, ayant une véritable jurifdiétion communiquée par le Souverain ; elle le fut en effet par une loi expreffe que nous ne connoiffons , il eft vrai, que par la partie qu'on en trouve dans un refcrit adreffé è Ablavius, Préfet du Prétoire : on 'contefte 1'exiftence de cette loi, mais ce qu'on ne peut contefter, c'eft qu'elle ait été adoptée par Charlemagne-  308 Le Voyageur ■ r. II eft dit dans le refcrit adreffé a AbldW n vius , qu'on doit recevoir avec refpecfe vj lesjugemens rendus par les Evêques futj n quelques matieres que ce foit, & qu'om r> ne pourra fous quelque prétexte quifc n ce fera, y donner atteinte ; que ld ti Magiftrats, même féculiers, contribuc w ront de leur autorité a leur exécutior « Suivant ce refcrit, une affaire jüg'é) « au Tribunal eccléfiaftique, ne pourr n être portée devant aucun Tribunal le « culier , qu'au contraire toutes les caufe n portées devant les Tribunaux laïcs r> pourront être reportées devantlesTriÜ Ti bunaux eccléfiaftiques, fi 1'une des pat I t) ties le demande, fans que les Juge [f « la'ïcs puiffent refufer ce renvoi & errli » pêcher qu'il n'ait fon efiet. Tels on» n été les fondemens de la jurifdiétion ec } n cléfiaftique , & de toutes les prétention « que les Eccléfiaftiques ont formées de *> puis relativement a cette même jurif ti diction. Ce privilege , accordé pa t. Confiantin aux Juges d'Eglife , fubfift  dans les Pays-Bas. 309 1 dans toute fa force dans toutes les Proï vinccs de 1'Empire indiftinctement jufqu'au regne d'Honorius, d'Arcadius, . & de Théodofe II, qui, pour réprimer les abus que commettoient les Eer ■ cléfiaftiques dans 1'cxercice de leur ju1 rifdiclion } donnerent plufieurs confti1 tutions qui la reftraignirent : ils conferverent cependant encore aux Evê1 ques une jurifdiclion étendue,&aux < Clercs & aux Moines le privilege de .n'avoir pour Juge que leur Evêque Diocéfain, & les Magiftrats fcculiers furent comme auparavant, charges de i prêter main-forte aux Evêques pour 1 1'exécution de leur jugement. II faut cependant rendre juftice aux Evêques j< de ce temps; ils cherchoient moins t\ 1 exercer les fonfbons de Juges a 1'égard > des Clercs, qu'a empêcher les Clercs » de plaider : pour cela ils obligeoient i le Clerc qui avoit une conteftation k > venir 1'expofer a fon Evêque ; le Clerc ) la laifibit a fa décifion, ou lui deman-  «io Le Voyageür. •n doit fon confentement pour cherchc r> des arbilres qui ordinairement étoiet n nommés par 1'Evêque. n Les premiers Conciles des Gaules v> notamment ceux d'Arles de 451 , d'E r> pont de 517, de Macon de 581 < v> plufieurs autres, n'ont pas défendu aui ~vi Clercsd'agir devant les Tribunaux laïa 'n en matiere civile, mais ils leur défcr « dirent de le faire fans la permiffioi •n de leur Evêque. Si l'on veut connoitre auffi 1'origir de la jurifdiétion eccléfiaffique en m; tierc criminelle , il faut rcmonter encot aux premiers fiecles de 1'Eglife ; n aio: « le for extérieur de 1'Eglife étoit fon ■n vent joint au for intérieur & pénitei v> ciel. Les péchés étoient foumis au Ti *> bunal de la Pénitence, qui impofci n aux pécheurs des pénifences fecrett v> pour les péchés occultes, & des péni « tences publiques pour les péchés pt *5 blies; mais avant d'impofer celles-ci n on faifoit au for eccléfiaftique des iï  dans les Pays-Bas. «ii n formations approchant fcmblables a « celles qui fe pratiquoient au for fécut> lier pour la punition des crimes. Les n Eccléfiaftiques prirent infenfiblemcnt t> pour modeles les Juges laïcs; ils adn mirent dans lei rs Tribunaux les mêmes » formalités que les Juges dans les Trin bunaux féculicrs, & le for extérieur Ti de 1'Eglife devint avec le temps un t» Tribunal contcntieux qui eüt une pro-, r> cédure judiciairc peu différente de celle v) des Tribunaux féculiers. ti Les premiers Empereurs Chrétiens ii ont mis au rang des criminels les Clercs •n & les laïcs qui troubloient le repos de n 1'Eglife, & voulurent qu'ils fuflentpuil nis comme perturbateurs de 1'Etat, fans n faire aucune diftinction de la qualité ii de Clerc & de celle de Séculier : ils « ordonnercnt a leurs Officiers de fe conn former aux loix del'Empire, tant dans n 1'inftrudlion que dans le jugement des n procés des Clercs & des Moines; mais « ils leur ordonnerent auffi de fuivre,  3i2 Le Voyageur r> de préférence aux loix civiles, les Ca-n nons des Conciles revêtus de 1'autorité i n impériale , lorfqu'il y avoit de 1'oppo- • n fition. n Les Empereurs Conftance & Confn tant diftinguerent les Evêques prévenus; Ti de crime, des Clercs & des Moines, 5 en ordonnant que 1'Evêque feroit jugé: n par les Evêques de fa Province felon i ti les Canons de 1'Eglife & non les loix ; r> de 1'Empire, tandis qu'ils lailfoient les; ii autres Eccléfiaftiques foumis ft la ju- • ,, rifdiétion des Magiftrats ordinaires tou- • „ tes les fois qu'ils feroient accufés d'avoir commis quelques crimes contre le droit ,, public; mais les Magiftrats, quoiqu'ils : n'y fuflent pas obligés, attendoient pour ■ juger un Clerc convaincu de crime ,, „ que le jugement fut prononcé. „ Le privilege des Clercs fut fupprimé ! „ par Valentinien I, & il ordonna aux ; „ Magiftrats de 1'Empire de connoitre „ des crimes atroces de tous les Ecclé„ fiaftiques, fans en excepter les Prélats . „ du '  dans les-Pays-Bas. 313 „ du premier Ordre. Honorius, plus fa„ vorable aux Eccléfiaftiques , óta & fes „ Officiers la connoiffance des crimes des „ Evêques & des autres Eccléfiaftiques, „ laiffant aux Juges d'Eglife la connoif„ fance de ces crimes, & le foin de faire „ le procés aux accufés felon les forma„ lités ordinaires. Théodofe le jeune, „ & Valentinien III, firent plus encore; „ ils étcndirent la jurifdiclion des Ecclé„ fiaftiques aux affaires même civiles des ,, Evêques : les Empereurs, leurs fuc„ cefTeurs, la reftraignirent, puifque les „ Evêques demanderent a Juftinien le „ privilege de juger les dólits commis „ par les Eccléfiaftiques. Ce mot priyi„ legium, prouve que les Evêques ne „ croyoient pas qu'ils euffent de droit „ divin aucune jurifdiclion même fur les „ Eccléfiaftiques ; d'ailleurs Juftinien , „ en leur accordant ce privilege , excepta ,, le jugement de plufieurs crimes capi„ taux, dont il réierva la connoiffance „ a fes Officiers ; de-la eft venu Pufage Tome III. Partie V. O  314 dans' les'Pays-Bas. „ de diftinguer dans les affaires criminel„ les des Eccléfiaftiques les cas privilé,, giés des cas communs ; ceux-ci font „ ceux qui font de la compétence du Juge laïc; ceux-la de celle du Juge Eccléfiaftique. Le Concile de Macon , ,, tenu 18 ans après la mort de Juftinien , adopta les difpofitions de la loi de Juftinien pour le réglement des Juges „ qui devoient connoitre des crimes com„ mis par les Clercs." Les Evêques des Pays-Bas Autrichiens ont prérendu & prétendent encore que la connoiffance des crimes commis par les Eccléfiaftiques ou Religieux de leur Diocefe, appartient aux Juges d'Eglife ; mais ni le grand Confeil de Malines, ni le Confeil fouverain de Brabant, ni le Confeil provincial de Flandre, n'admettent cette prétention , & toutes les fois que dans les Pays - Bas Autrichiens un Eccléfiaftique ou Religieux commet un crime, la pourfuite s'en fait par les Fifcaux. Un Moine de la Prévöté d'El-  dans les Pays-Bas. 315 fegera, prés de Gand , avoit affaffiné fon Prieur , les Fifcaux du Confeil fouverain de Flandre en pourfuivirent la punition ; 1'Evêque de Bruges & les Supérieurs de 1'accufé révendiquerent; 1'Archiducheffe Elifabeth demanda 1'avis du grand Confeil de Malines, qui lel ui envoya le 28 Avril 1736 : eet avis eft bien motivé; on y réfute d'i-ne maniere trèsfolide les Canoniftes qui ont prétendu que la connoiffance des crimes des Eccléfiaftiques appartenöit aux Juges d'Eglife, & non aux Juges féculiers, & que pour faire exécuter a mort un Eccléfiaftique, il falloit que fon Evêque Peut dégradé. Le Religieux d'Elfegem ayant été jugé par le Confeil provincial de Flandre &' condamné a mort, FArchiducheffe lui fit grace de la vie & commua fa peine en une prifon perpétuelle dans fon Couvent, oü il eft mort. Un Eccléfiaftique Prébendé de la ville de Bruges, accufé de crime d- faux , fut condamné , il y a environ deux ans, par le Confeil O ft  516 Le Voyageur. provincial de Flandre, malgré Ia réclamation de fon Evêque , ;\ être décapité: le feu Prince Charles de Lorraine lui fit grace de la vie & coramua fa peine en une prifon perpétuelle dans la maifon de force de Gand. Si un Abbé , fi un Evêque même dans les Pays-Bas Autrichiens commettoit un crime, il feroit pourfuivi & fon procés lui feroit fait & parfait par le Juge féculier; peut-êtte que s'il étoit condamné a mort, afiembleroit-on par refpedt pour 1'Epifcopat, un Concile provincial pour le dégrader , avant que de lui faire fubir la peine alaquelleil auroit été condamné. Je fuis, occ.  dans les Pays-Bas. 31? LETTRE XXXII. Anvers , ce Mars 1783. L e s Anverfois, Monfieur , jouiffent de plufieurs beaux privileges; mais ils ont perdu celui de ne pas payer le droit de thol. Ce droit fe percoit pour le Souverain fur toutes les marchandifes & denrées qui fe tranfportent par terre & par eau. J'cmprunterai tout ce que je vous dirai de ce droit d'un Mémoire qu'a fait pour les habitans d'Anvers, il y a ■quelques années, M. Veracheter, Avocat au Confeil de Brabant : ce Mémoire a été remis aux Etats de Brabant dans la vue de les engager a réclamer pour les Anverfois le rétabliuement de la franchife de ce droit : ce Mémoire eft bien fait, je 1'ai lu avec grand plaifir , & je ne concois pas pourquoi il n'a pas été rendu public par la voie del'impreftion, O $  ol8 I^E VOÏASEDR d'autant qu'il pourroit fervir beaucoup a ceux qui voudroient ccrire 1'hiftoire de ces pays-ci. Le droit de thol ou de tonlieu étoit dans 1'origine un droit régalien & feigneurial, un droit de péage qui fepercevoit par le Souverain , non fur fes fujets , mais fur les étrangers qui le payoient pour pouvoir voyager par eau & trafiquer tranquillement fous la proteftion du Souverain & dans 1'étendue de tous fes domaines. Pour jouir du même avantage en voyageant & en commercant par terre ,* les étrangers payoient le même droit fous le nom de vétigal : cette derniere dénomination ayant été abandonnée , on nomma le droit qui fe payoit fur terre, droit de thol , de même que celui qui fe payoit fur les eaux. Le droit de thol n'étoit, a proprement parler, dans fon origine, qu'un fauvegarde: on pouvoit auffi & l'on peut encore le confidérer corrime un droit de péage que le Souverain ou le Seigneur  dans les Pays-Bas. 319 d'un Diftridt. faifoit percevoir en confidération du foin qu'il prenoit de pourvoir ft la süreté de la perfonne du voyageur & de fes marchandifes. Celui qui pouvoir faire percevoir le droit de thol, devoit faire garder depuis le foleil levant jufqu'au foleil couchantles voies, chemins & bords desrivieres , de maniere que le voyageur ne fouffrit aucun dommage, & s'il en fouffroit pendant le jour, celui auquel il payoit le droit de thol devoit rindemnifer.' Tous les fujets du Souverain de Brabant jouiffoient de la même prote&ion que les étrangers dans toute 1'étendue du Brabant, eux & leurs marchandifes, mais fans être obligés, comme 1'étranger, de payer au Souverain le droit de thol, & ce ne fut que vers le I3me. fiecle qu'ils ont commencé ft le payer.' Les habitans d'Anvers prouvent par un adte du Duc Jean III, qui eft mort en 1355 , qu'ils jouiffoient dans toute 1'étendue du Brabant de 1'exemption du droit de thol. O 4  3*° Le Voyageur M. Veracheter cite dans fon Mémoire les regiftres du Fermier du droit de thol dei45i &de i56o , d'après Iefquels il ctabht qu alors .tous les habitans du Brabant , même ceux qui étoient étrangers non.naturalifés, n'étoient pas alfujettis a P^er le droit .de thol, Ce privilege des Brabaneons eft eneore reeonnu par un Edit de Charles-Quint de i53i; Dans le temps des troubles, Philip, pe II, pour nuire au commerce des Provinces révoltées , & principalement ft celui de la Zélande , afTujettit au payement du droit de thol toutes les denrées & marchandifes qui s'exportoieut par eau d'Anvers pour la Zélande , & celles que les Anverfois en importoient. Cette innovation nuifoit non-feulement au commerce d'Anvers, mais encore ft celui des autres villes du Brabant. Les Etats le repréfenterent au Souverain, mais fans fuccès; ils renouvellerent leurs repréfentations auffi infrudueufement, lorfque la trève de 12 ans fut conclue. Enfin lors  dans les Pays-Bas. «at de la paix , 1'exemption du droit de thol ne fut point rendue aux Brabancons pour les marchandifes & denrées qu'ils exportoient pour les Provinces-Unies, ou qu'ils en importoient, & l'on y alfujettit même toutes celles qu'ils tiroient de 1'Efpagne & de 1'Amérique, ainfi que celles qu'ils y envoyoient. Au moyen d'une fomme d'argent que Bruxelles payaau Souverain en (a) 1621, fes habitans furent exempts de payer le droit de thol. La diminution que fouffrit alors le commerce d'Anvers, mit fes habitans dans 1'impoffibilité de fe racheter , comme ceux de Bruxelles, du droit de thol; ils ne le firent qu'en 1644, qu'ils payerent 360,000 florins , au moyen de quoi ils furent exempts de payer le droit de thol jufqu'en Septembre 1763 , que la feue Impératrice Reine leur fit faire (a) Placards du Brabant , rome 3.,-foL 423 j, 467. Tome premier , page 427. O 5  322 Le Voyageur. le rembourfement de ces 360,000 flor.I Je ne fais pas ü les Etats de Brabant onti fait quelques repréfentations au Souve-| rain en faveur des Anverfois; mais s'ilsi ont eu cette condefcendance, leur dé-I marche a été fans fuccès, puifque le droit de thol fe leve encore préfentement a Anvers. D'ailleurs, fi le Souverain accordoit aux Anverfois 1'exemption du droit de thol, pourroit-il la refufer ft Lou-. vain & autres villes du Brabant qui font alfujetties au paiement de ce droit 1 Je fuis, &g.  Dans les Pays-Bas. 323 LETTRE XXXIII. Anvers, ce... . Mars 1783. T J—i A plus ancienne Eglife d'Anvers , Monfieur, eft celle de St. Walburge, autrement dit 1'Eglife duBourg. Le Portail de cette Paroiife, au midi , eft de marbre blanc Sr'noir; il a été exécuté, ainfi que les ftatues qui lui fervent d'ornemens, par le Sculpteur Scheemaeckers.' Les tableaux qui ornent cette Eglife ne font pas en grand nombre : le plus beau eft celui du Maitre-Autel du Chceur; il eft de Rubens & repréfente le moment oü les bourreaux élevent la Croix fur laquelle ils viennent d'attacher JéfusChrift : il y a beaucoup de jufteffe & de fentiment dans la compofition de ce tableau; le deffin en eft correct' & les expreffions en font vives & frappantes;. O 6  324 Le Voyageus. mais la couleur en eft trop égale, &furtout jaune , & la facon de faire trop pefante. La Ste. Catherine que Rubens a peinte fur un des volets de ce tableau , lui eft infiniment fupérieure; la Sainte eft de la,plus grande beauté; fa tête eft pleine de fineffe ; Ia draperie eft admirable en tout, le faire eft très-beau. Le St. Eloi t peint par le même Mattre , fur l'autre volet, n'a pas Ie même mérite Vous pouvez en juger ; ces trois tableaux ont été gravés par H. Withdouck,, & vous devez avoir leurs eftampes dans vos porte feuilles. Un"autre tableau de Rubens décore la fépulture de la familie de de Cock, qui eft dans le Chceur r ce tableau repréfente Jéfus-Chrift affis fur fon tombeata, foulant a fes pieds la mort. Quoique ce tableau ne foit pas un des plus beaux qu'ait faits Rubens, on Ie confidéré avec plaifir , & l'on y trouve des traits caractériftiques du génie de ce grand Maitre. Eyadhovedta a gravé ce tableau. On voit  dans lis Pays-Bas. 5*5 encore dans le Chceur le portrait d'tn* Curé de cette Paroiffe, peint par Diepenbeek (a) , dans la maniere de Rubens. Prés des orgues eft un tableau de de Vos, repréfentant la Cëne, & fur 1'Autel du St. Sacrement Jéfus-Chrift & les difciples d'Emaus , de J. E. Quellyn r ce tableau eft fpirituellement compofé , bien deffiné & d'un bel effet: cette Eglife renferme plufieurs morceaux de fculpture (a) II naquit a Bois-le-Duc & étudia forr Art dans 1'Ecole de Rubens; il alla en Italië pour fe perfeótionner , revint encore dansTEcole de'Rubens; U inventoit avec génie & exécutoit avec feu : fa trop grande factIité a imaginer lui fut nuifible , en ce qu'il s'écartoit fouvent du vrai & du naturel. II fut Diredeur de 1'Académie d'Anvers & mourut dans cette ville en 1675 : fes deffins étoient trop chargés & pas alfez correfts; fes ouvrages avoient de la force; on y admiroit fur-tout une belle entente du clair- obfeur; il a été un des plus célebres Peintres fur vitre qu'aient en les Pays-Bas»  3*6 Le Voyageur. qui ont du mérite, ce font 1'Autel de la Chapelle du St. Sacrement; il eft compofé en grand & d'une bonne Architecture il a été exécuté par le Sculpteur Henri Verbruggen & eft orné de deux ftatues de marbre, faites par le Sculpteur J. B. de Wrie; Notre-Seigneur debout avec des enfans de marbre qu'a faits le Sculpteur Alexandre Shobbens, & quï décore la fépulture de la familie de Borsbeke; la ftatue de St. Jofeph qui eft fur Ia fépulture de la familie de Koninck r on doit ce beau morceau au cifeau de Vervoort le pere; les Apötres & la Vierge, placés contre les piliers, mais c'eft St! André & la Vierge qui méritent d'être examinés avec attention : ces morceaux de A. Quellyn , font remarquables par la belle maniere large & correft dont ils font drapés. L'Eglife Paroifïïale de St, George ne renferme pas un grand nombre de tableaux. Celui d'entr'eux qui m'a fait Ie plus de plailir, eft placé fur la fépulture  dans les Pays-Bas. 32.7 d'une devote en titre, nomraée Mlle. Sluytens; il repréfente la Vierge & 1'Enfant Jéfus entourés d'une guirlande de fleurs : ce tableau a été peint.par le frere .Séghers. Le portrait de Breughel de Velours , placé au-deflus de fon épitaphe , a été peint par A. Van-Dyck. J'ai vu encore de lui dans la même Eglife le portrait du Peintre J. Snellinck; il eft placé au-deflus de 1'épitaphe de eet Ar- • tifte. L'on m'avoit fort vanté le tableau d'Autel de la Chapelle St. Jean, peint par M. de Vos ; il repréfente la Cène fur un des volets tl a aufli peint JéfusChrift & les difciples d'Emaus, & fur l'autre un Prêtre célébrant la Melfe : ces tableaux font fecs & par-tout d'une trop grande égalité; il n'y a ni efprit ni génie dans la compofition, & nulle efpece d'expreffion. Dans la Chapelle de la Vierge, j'ai remarqué une Aflbmption de la Vierge,, peinte par Tyflens; c'eft un beau tableau , bien compofé , clair, argentin, du plus bel effet; les têtes font  328 Le Vöyageuk. d'une fineiïè furprenante. Le tableau du Maftre-Autel de cette Paroiffe, eft peint dans la maniere de Bourdon ; il eft de G. Maes & repréfente le Martyre de St. George : ce Saint y eft repréfenté au milieu des bourreaux, des Prêtres, des Idoles & d'une multitude de peuple ; tout occupé du defir d'obtenir la couronne du Martyre , il paroït infenfible aux promeifes^ & aux menaces qu'on paroït lui faire ; il a les yeux fixés vers le Ciel, oü 1'ón voit Jéfus - Chrift : tout ce tableau eft plein de force , de fentiment & de la plus grande correction : eet Autel de marbre blanc & noir, eft d'une bonne Architeaure & a été bien exécuté par le Sculpteur A. Quellyn. La ftatue de St. George, qui eft du même Artifte, eft bien faite, ainfi que les enfans qui font du Sculpteur Vanden Eyden. Le plus beau morceau de Seulpture de cette Eglife eft Ie Temps, exécuté en marbre par le Sculpteur Scheemaeckers Ie vieux : cette ftatue fert d'ornemcnt a Ia fépulture de la familie de Van-Delft.  dans les Pays-Bas. «29 Le morceau le plus remarquable de 1'Eglife Paroiffiale de St. André, eft le Maufolée que deux Dames Angloifes y ont fait clever a la mémoire de Marie Stuart, Reine d'Ecoffe : ce Maufolée & le bufte de cette Reine infortunée font de marbre. Prés de ce Maufolée eft un Autel peint par J. Jordaens : JéfusChrift y eft repréfenté debout, tenant fa Croix; a fa droite font les vertus, a fa gauche St. Paul ; dans le haut on voit un Are en-Ciel & dans le bas des brebis: tout cela compofé une allégorie bien imaginée, d'un bon goüt de deffin; la couleur eft belle & d'une grande vérité. La ftatue de St. Pierre, tenant une Croix, placée contre un des piliers de la Nef, eft belle; elle eft de Quellyn. Les tableaux que renferme la Paroiffe St. André , ne font pas en grand nombre : 1c plus beau eft d'E. Quellyn ; c'eft faire fon éloge que de le mettre ü cóté des plus beaux de Van-Dyck; il repréfente TAnge gardien qui couvre de fon bbu-  330 Le Voyageur, clier un jeune homme, & foudroic ert même-temps les plaifirs & les vices défignés par des femmes jolies ; on voit 1'amour qui fuit, défolé d'avoir perdu fai proie; il y a bien de 1'efprit & du génie dans la compofition de ce tableau ; maïs: cette compofition manque d'harmonie; il y a auffi beaucoup de corredtion dans le deffin : les têtes font on ne peut pas plus jolies; tout eft de la plus belle com leur. L'idée finguliere du Peintre de pla-, eer dans le même tableau 1'Ange du Seigneur & Cupidon , contribue auffi y rendre ce tableau très-piquant. C'eft peutêtre la première fois qu'on a placé le Dieui d'amour dans un tableau d'Eglife. Dans la Chapelle de la Communion eft un beau tableau repréfentant la Cène ; il a été peint par Eyckens le vieux ; il eft bieni compofé, les têtes en font belles, mais les ombres font trop noires. C'eft un beau tableau que celui du Maïtre-Autel, peint par Ottovenius ; il eft bien colorié & re-: préfente le Martyre de St. André, Le  dans les Pays-Bas. 331. tableau de M. de Vos , dont le fujet efi: tiré des Acles des Apötres & qui eft placé fur 1'Autel des Monnoyeurs, eft dur & n'a pas d'effet. B n'en eft pas de même d'un tableau de S. de Vos, qui eft placé fur 1'épitaphe de Jean de Wael; il repréfente Jéfus - Chrift mort qu'on vient de defcendre de la Croix; on y voit auprès du corps de Jéfus-Chrift la Vierge ayant les mains jointes, plongée dans la plus vive douleur , St. Jean pleurant &z la Madelaine qui baife les mains du Sauveur; fur un des volets eft le portrait de Jean de Wael & fur Pautre celui de fa femme. Je fuis, &c>  33* Le Voyageur LETTRE XXXIV. Anvers, ce.. . Mars 1783. T -L-TA BBAYEde S. Michel, Monfieur, poffede un grand nombre de tableaux; ils m'ont occupé hier & aujourd'hui: cette Abbaye de 1'Ordre de Prémontré eft fort riche & occupe un vafte terrein vers les remparts de la ville; elle doit fon établiffement ft St. Norbert, fondateur de 1'Ordre de Prémontré; fon Eglife eft dédiée ft St. Michel. Dans cette Eglife eft un tableau d'une énorme grandeur; on le dit d'Erafme Quyllin ; il occupe tou'e la furface de la muraille méridionale de la croifée jufqu'ft la voute; bn y voit Jéfus-Chrift qui dit aux malades tolle grabatum tuum & ambula ; c'eft une grande compofition qui étonne, mais qu'on a trop loué en difant qu'elle eft dans la mariere de Paul Véronefe. La  dans les Pays-Bas. 333 maniere de Quyllin eft plutót celle de de Serre & de Lairaifle : les fonds de Quyllin font toujours beaux & fupérieurement Ijés avec le fujet dominant. II y a dans ce tableau de Quyllin de bonnes intentions & des détails heureux; la compofition eft d'un beau génie; les figures ne font pas de proportion naturelle, mais elles font en grand nombre & très-variées & ont de 1'expreffion : cette compofition eft véritablement riche; le fond eft d'une Architecture grande & de bon ftyle; mais il y a du défordre dans cette grande machine ; les mafles y manquent de liaifon , ce qui leur öte deleuretiet, de maniere qu'il n'y a ni harmonie ni repos. Le tableau du Mattre-Autel de cette ISglife eft de Rubens : c'eft une Adorarion des Mages, & un des beaux morceaux de ce Maitre; il 1'a fait, dit-on, en quinze jours. Vous pouvez juger de fon mérite par Peftampe qu'en a gravée Lommely. Ce tableau eft compofé d'une grande maniere, eft très-correft & a été  334 Voyageur. fait avec la plus favante facilité; 1'Enfant Jéfus y eft admirable pour 1'exprelfion , fa mere eft belle & pleine de giaces. Celui des trois Rois , qui eft profterné , eft du plus beau faire. On peut dire que Rubens s'eft furpalfé dans ce beau morceau ; la couleur en eft belle, le deffin corredt, Yeffet piquant, une manoeuvre pleine d'humeur &foutenue d'une fermeté de pinceau qui étonne. Quoique St. Bernard , portant les yeux vers le Ciel, d'oü l'on voit defcendre le St. Efprit, fans doute pour infpirer ce Saint, foit un tableau inférieur ft celui du Maitre-A titel, il mérite ft tout égard d'êtremis au nombre des belles producYions de Rubens; il a été fait ft Rome ; il eft bien deffiné & compofé dans la maniere du Titien: ce tableau eft fur 1'Autel du St. Sacrement, qui eft tout de marbre, d'une Architcéfure pefante: les profils font mauvais & les ornemens, trop multipliés, n'ont pas 1'ombre de goüt; il eft d'Arnoult Quyllin, ainfi que les ftatues qui  dans les Pays-Bas. 333 font fur la corniche & les bas-reliefs qui font touches avec fineffe, moëlleufement & très-ingénieuferhent cómpofés : les figures n'ont d'autre mérite que celui de la correclion ; elles n'ont nulles expreffions, leurs draperies font trop maniérées & font même d'un très-mauvais choix. Non loin de la eft la-fépulture de la familie de Snoeck ; on y voit un tableau de Corneille de Vos, qu'on eftime digne d'être placé a cöté des plus beaux de Van-Dyck; au-deffus on a placé le portrait de Philippe Rubens, peint par fon frere. Quatre tableaux placés au-deffus des Confeffionnaux qu'on trouve a droite en entrant dans 1'Eglife , repréfentent les Martyrs de Gorcum ; ils ont été peints par J. E. Quellyn ; ils font bien deffinés & bien compofés. Dans deux cependant lés ombres font trop pouffées au noir. Sur 1'Autel de St. Herman, Jofeph eft un tableau de Quellyn; il repréfente ce Saint, la Vierge & quelques Anges;  S3Ö Le Voyageur c'eft un tableau médiocre. Celui qui repréfente St. Norbert qui recoit 1'habit: de fon Ordre des mains de la Vierge &: de 1'Enfant Jéfus accompagnés de deux; Anges, eft un beau tableau de G. Sé— ghers; il a de 1'enet & eft bien peint. Sur 1'Autel de la Chapelle Ste Anne,, on voit un tableau'du même Maitre quii repréfente Ste. Anne qui, montre ft lire: ft la Vierge, derrière laquelle eftSt. Joa-. chim , Ste. Catherine & Ste. Barbe : ce! tableau eft agréablement peint. Contre le; pilier de cette Chapelle eft au-deffus de: 1'épitaphe de Jean Nuyts, le portrait de: fon. fils, Religieux & Curé de Minderhout, il a été peint par Rubens; il eft: largement fait. Le tableau d'Autel de lai Chapelle de la Vierge la repréfente aflife: avec 1'Enfant Jéfus fur un globe entouré: dAnges; il a été peint par II. Fruilierss & a du mérite. Un excellent tableau de i cette Eglife eft celui oü Simon de Vosi a peint St. Norbert qui apporte le Omf— tianiime ft Anvers; on le voit qu'il re- • coit:  b ans les Pays-Bas. 337 coit le St. Sacrement au milieu du peuple profterné ; derrière lui eft un grand Seigneur , un Abbé & des Religieux de fon Ordre : ce tableau peut être placé avantageuiement a cöté des plus beaux de Van-Dyck. Les ftatues de la Nef, qui repréfentent les douze Apötres, font prefque toutes belles & ont été faites par d'habiles Sculpteurs du Pays. J'ai vu peu d'Eglifes oü Pon ait employé le marbre avec plus de profufion & avec plus de goüt que dans celle de 1'Abbaye de St. Michel. Le Réfeaoire des Religieux de 1'Abbaye de St. Michel eft d'un mauvais gothique ; il a 90 pas de longueur & 27 de largeur ; il eft orné de fept tableaux de Jean Erafme Quellyn, frere du Sculpteur Arnould Quellyn : ces tableaux furent commencés en 1669 & finis en 1685 ; les fujets ont été tirés de la vie de Jéfus-Chrift : tous font compofés avec efprit & génie ; le deffin en eft correa ; les fonds font d'une favante Architecture; III. Tome. Partië V. P  338 Le Voyageur la couleur en eft belle, & tous ont des effets piquans. Le plus eftimé repréfente Jéfus-Chrift ft la table de Simon le Pharifien ; on y voit Ia Madelaine qui lave les pieds du Seigneur. Ici on place ces lept tableaux ft cóté de ceux de Paul Véronefe , mais c'eft exagérer; ils n'ont rien du mérite de tout ce qui eft forti du pinceau divin du Peintre Italien ; celui d'E. Quellyn n'a rien produit qui puiffe le faire affimiler ft celui de Paul Véronefe. Au-deffus du tableau qui repréfente Jéfus-Chrift chez Simon, on a placé le portrait de David Téniers & de fa femme , & au-deffous un vieillard , trois enfans avec une chevre; on voit encore dans ce Réfectoire les portraits de J. E. Quellyn & de fon frere le Sculpteur. Comme Pon m'avoit dit que les ap* partemens de 1'Abbé renfermoient plufieurs tableaux d'un grand prix, je demandai ft les voir ; mais l'on me dit que 1'Abbé étoit abfent & qu'il falloit que  dans les Pays-Bas. 339 j'attendiffe fon retour de Bruxelles, oü il étoit allé & oü il refteroit peut-être un mois. Je vais, me dit le Religieux qui me conduifoit, vous donner la lifte des beaux tableaux qui ornent les appartemens de M. 1'Abbé. Suivant cette 'lifte, on y voit un grand nombre de portraits d'Abbés de cette Abbaye , trois tableaux de Rubens, 1'un repréfentant Abraham qui recoit la bénédiétion de Melchifedech , un tableau du Tintorel 'qui repréfente la femme adultere. L'Abbé poffede encore un beau tableau de 1'Ecole d'Italie , qui repréfente une Offrande payenne, mais on ignore 1'Auteur de ce morceau. Le Baptême de Notre-Seigneur par Van-Dyck, fe trouve parmi les richeffes pittorefques de 1'Abbé, qui a auffi une bonne copie d'un autre tableau du même Maitre. Les autres tableaux qui ornent fes Appartemens , font une chüfe 'des Anges de Jean-Long, la Purification de Herreyns, St. Norbert de Diepenbeek , la Multiplication des pains & des P 2  34° Le Voyageur. poiflbns de Frank , le portrait de la feuesti Impóratrice-Reine & de fon fils 1'Empe-lj reur regnant, de Dclin , des fleurs &j des» figures , les fleurs font de D. Ségers &Jf les figures de Schut, des fleurs feules dol même D. Ségers, une Cène de Frank , un lievre & deux têtes de chiens de Snyers, une femme donnant de la boullie a un. enfant de Van - Penen , un tableau de< Berchem , deux de Rysbraoh , deux dei Claire Verbeeck, des enfans, des fruits & un mouton de 1'Ecole de Rubens, un de Téniers, un de Jacques Pynaffis , deux de Heem , deux autres dont on ionore les Auteurs, un bas-relief de Del heur , une Marine de B. Peeters , quatre autres Marines de Willaerds, deux payfages de Huyfmans, enfin la Naiflance de Notre-Seigneur par Jean Van-Eyck: Ceux qui ont vu & examiné cette coH leciion, m'ont dit qu'outre les morce.tux papitaux , tels 'que ceux de Rubens &é de Van-Dyck , il y en avoit plufieunj autres qui méritoient d'être examinés avec!  bans les Pays-Bas. 541 attention, ainfi que quatre bas-reliefs,dont trois exécutés en marbre & le quatrieme en terre cuite; ce dernier eft un Bachanale imité de 1'antique , dont 1'Original, a ce qu'on m'a dit, fait partie de la infiniment curieufe Villa Albani k Rome. Je fuis, &c. P * * o  £42 Le Voyageur LETTRE XXXV A 1'Auteur du Voyageur. Bruxelles, ce 6 Mars 1783. Le fyftême, Monfieur, que les Sou-i verains paroiflent avoir adopté de nos jours, portant leur vue d'aggrandiflementj fur les reffources du commerce, fait préfumer que S. M. 1'Empereur exécuterai ce que vous propofez dans la lettre VII de votre Voyageur, TomelII, c'eft-ft dire qu'il fera quelques traités de-commerces qui ouvriront ti nos Provinces des débouchés qui feront augmenter leurs manufaclures en raifon de la facilité & de la: célérité du débit de leur produit. Si un; pareil traité avoit exifté entre la Maifon' d'Autriche & celle d'Efpagne, ces Provinces auroient confervé leur commerce: d'exportation , & conféquemment leurs*  bans les Pays-Bas. 543 manufadtures & fabriques; celles qui y abondoient anciennement s'y foutenoient par 1'Efpagne ; elles trouvoient leur débouché & leur confommation dans les Indes Efpagnoles, dans 1'Efpagne & dans toutes les parties du monde oü elles trafiquoient. La Ch&tellenie de Lille jouit encore de ces avantages; elle a toutes les manufadures & fabriques qui exiftoient dans nos Provinces; elles font Pobjet du grand commerce de Lille; les envois & les exportations chez 1 ctranger s'y font par les Ports de Dunkerque & de Calais, dans les Indes Efpagnoles par les vailfeaux de Regiftre & aujourd'hui par les Gaillons qui y ont fuppléés; dans les échelles du Levant, dans 1'Efpagne le Portugal, PïtaÜe, la mer Bahique' 1'Allemagne, la France & fes Colonies * la Flandre & le Brabant Autrichien. L'exportation qui fe fait en Angleterre & en Hollande eft de peu de confidération , paree que 1'entrée des manufaaures de laine de la Chatellenie de Lille y P 4  344 Le Voyageur eft défendue ; & au contraire , 1'Efpagne & fes Colonies ont toujours été leurs meilleurs débouchés La République des Etats-Unis de 1'Amérique leptentrionale procure a la Chfttellenie de Lille un nouveau débouché qui doit nécelfairement faire accroftre le nombre de fes manufaétures ; les envois confidérables qu'elle a faits & qu'elle fait encore dans cette partie du monde, ont vuidés tous fes magafms , ont fait augmenter les prix & diminuer confidérablement la qualité du produit des manufactures. Outre la néceflité des débouchés, il s'enfuit donc nécelfairement par celle que vous expofez trés - fagement page 67 , tome III, que les matieres premières devroient être affranchies de tous droits d'emrée dans nos Provinces, & ces matieres maufaéturées, affranchies de tous droits de fortie, ce feroit le moyen de pouvoir gagner la concurrence fur le produit des manufactures de la Chatel-  dans les Pays-Bas. 345 lenie de Lille. C'eft lil que nous pourrions obferver toutes les manufaétures que nous pourrions établir dans nos Provinces ! elles confiftent en draps, en pinchinats, en ratines, en ferges, en becs, en couvertures, en camelots de toute efpece , en bouracans , en polinitnis, en bourats, en futaines, en crepons, en callemandres, en bafins, en toiles ouvrées & unies, eu coutils , en ligatures , en Iaffets & rubans de fil, de foie & de cöton , en tapifferies de haute & baife liffe ,, en panettes facon d'Utrecht, en dentelles de foie, en toutes fortes de bonneteries ft 1'aiguille & au métier, en chapeaux, en fil de lin ft coudre & ft dentelles, en fil de fayettes , en tannerie , en une grande & petite verreries , en fayancerie , en rafiineries de fucre & de fel , en favonneries pour les favons verds & liquides , &c. Nous pourrions donc puifer dans cette Chfttellenie des connoiffan^es utiles ft 1'amélioration & ft 1'accroiifement des maP 5  346 ■ L E. Voyageur .nufadtures & fabriques de nos Provinces. Si avec des débouchés nos manufactures pouvoient gagner Ia concurrence fur celles de la Chatellenie de Lille , nous pourrions faire un commerce confidérable d'exportarion. Les négocians de la Flandre & du Brabant devroient préfenter un Mémoire ft S. M. 1'Empereur fur Pétat préfent du commerce de ces Provinces, & fur les. moyens de lui rendre au moins une partie e fon anciennc fpiendeur; mais je crois, Monfieur, qu'il feroit inutile d'établir pour principe fondamental 1'ouverture del'Efcaut, paree que les dépenfes immenfes qu'il faudroit faire pour réparer Ie Port d'Anvers, ruineroient cette villefanslui procurerlesavantages qu'on en auroit attendus. Depuis la fubmeriion d'une partie de la Zélande, les eaux de 1'Efcaut ont pris une plus grande étendue & une forte de mouvement qui amaffe des bancs de fable variables. Un ancien Maitre Batelier du Brabant, homme drefprit & d'expérience,  dans les Pays-Bas. 347qui a navigé fur cette partie de 1'Efcaut pendant 30 ans , m'a dit que dans des endroits oü il avoit paffe fans danger ; en y repafTant huit jours après il y rencontroit des bancs de fable , ce qui oblige les bateliers d'y naviger la fonde a la rnain; ainfi on ne doit pas efpórer que les vaiffeaux puiffent jamais aborder au Port d'Anvers. Je fuis, &c, P 6  348 Le Voyageur LETTRE XXXVI. Anvers, ce Mars 178"!. T e s droits des Seigneurs particuliers , propriétaires des terres dans les Pays-Bas Autrichiens, Monfieur, font les mêmes que ceux des Seigneurs territoriaux en France; mais ces droits ne font pas partout les mêmes : cela dépend du titre particulier de Pacquifition de la Seigneune, de la coutume & quelquefois de l'ufage reconnu par unetrès-ancienne poffefiioü , non interrompue ni troublée. , Les Seigneurs en général des terres fituées dans les Provinces des Pays-Bas Autrichiens, établiffent des Officiers dans leur Seigneurie pour y rendre la juftice & y exercer la Police en leur nom. A 1'excepïion desobjetsdepeu de conféquencedlsne connoiflent des autres qu'en première inftance,excepté pour le criminel pour lequel  dans les Pays-Bas. 349 on ne peut appeller des fentences qu'ils rendent. Comme la pourfuite des crimes fe fait par leurs Officiers & a leurs frais, les Seigneurs ont la confifcation des biens des condamnés & les amendes qui font prononcées contre les accufés. Le droit de fuccéder aux biens vacans,. doit être fondé en titre , fans cela ces biens appartiennent au Souverain ; ils herkent auffi des batards qui meurent dans Pétendue de leur Seigneurie & qui n'ont pas difpofé. Le droit de chaffe & de pêche appartient au Seigneur, mais il ne peut en uier que de la maniere établie par fon titre, la coutume ou l'ufage. Le Souverain peut limiter ce droit , fi le bien public le demande; il peut par conféquent fixer le temps & la maniere dont il fera exercé, & le prohiber même tout-a-fait: ce droit du Souverain dérive de celui qu'a toute fociété politique de le pou> voir exercer fur chacun de fes membres. Le Souverain qui la repréfente réunit ea.  35° Le Voyageur. lui tous les droits & tous les pouvoira que la fociété n'exerce pas, dont elle ne s'eft pas même , dans le fait, delfaifie, mais qu'il lui eft impoffible d'exercer ellemême. Si uneforte de gibier nuifoit au public , c'eft-è-dire, par exemple, fi dans un canton du Brabant, il y avoit un trop -grand nombre de lapins , le Souverain pourroit en ordonner la deftruaion. Le Souverain du Brabant ne peut pas toucher a la propriété de fon fujet, mais fi ce fujet a dans fes bois ou fes forêts des bêtes fauves qui ravagent les terres voifines, le Souverain peut ordonner que ces bois & ces forêts foient clos de facon que ces bêtes fauves ne puiffent en fort'ir, 1 & permettre a tous ceux qui les rencontreront de les maflacrer. , En France , Monfieur, le pofleffeur d'un fief fitué dans une Seigneurie , peut chaffer fur fon fief; dans le Brabant il ne le peut pas , paree que la chaif.^ y eft attachée a la Haute-Juftice. Les Chevaliers de Malte, poflefiburs de fiefs dans  dans les Pays-Bas. 351 le Brabant, prétendent avoir droit d'y chaffer par-tout, n'exceptant que les terres qui font fituées dans 1'étendue de la chaffe attachée a la place du Gouverneur & Capitaine-Général de ces Provinces. Je ne fais fur quel titre 1'Ordre de Malte appuie fon droit. Le jugement que rendra le Confeil Souverain de Brabant dans le procés pendant préfentement devant lui fur ce prétendu droit, pourra fixer mes idéés fur cette matiere.' Dans quelques Provinces des Pays-Bas Autrichiens les Seigneurs jouilfent des droits de lots & ventes , & ces droits font dans ces Provinces le 5ine. le iome. ou le 2ome. denier (a) du prix de la vente, (a) Le prix des terres eft extrémement different dans Ie Brabant, elles fe vendent depuis 4C0 jufqu'a 2400 flor. le bonrder ; cela dépend de Ia bonté & de Ia fituation des terres. Le bonnier contient quatre journaux, le journal ico verges & la verge 16 a 20 pieds. A Bruxelles & dans fa banlieue , la ■ verge eft de 16 pieds 3 quarts. Dans d'autres  352 Le Voyageur. fuivant que le titre primitif le porte , & è défaut de titre, fuivant que l'ufage le prefcrit. Tout ce quife pratique en France endroits elle eft de 16 , 17, 18, 19 & 20 pieds, & cela fait une différence confidérable. Dans la banlieue de Bruxelles & fes environs , le bonnier fe vend 600 a 1800 flor. & même jufqu'a 2400 flor. Depuis Bruxelles jufqu'a Louvain le bonnier fe vend 12 a 1300 flor. Dans 1'Hageland & dans le Brabant Wallon le bonnier fe vend y a 600 flor. il y a même des terres qui ne fe vendent que 300 a 400 fl. Le prix Ie plus commun des terres dans Iè Brabant eft de looo flor. de change. , Les terres rapportent ordinairement 2 & demi ou 3 pour cent. Les 2omes. doivent fe payer par Ie propriétaire & le locataire par moitié , lorfqu'il n'y a pas de convention; mais l'ufage eft qu'on en charge par le bail le fermier en entier , ainfi que de toute autres charges & impofttions que le Souverain pourroit exiger pendant le bail. Oune les 2omes. il y a encore une autre impofition en faveur du Souverain, qu'oa  dans les Pays-Bas. 353 a 1'occallon des droits de lots & ventes, fe pratique de même dans ces pays-ci. On traite fouvent avant ia vente avec celui qui a le droit de les percevoir; 11*térêt de celui-ci étant que la vente fe faffe, il content facilement a ce que le droit de iome. foit réduit au aome. Les Seigneurs des terres ne vexent & n'oppriment pas impuncment dans ces Provinces-ci; & fur-tout dans le Brabant, ceux qui cultivent les terres. Le dernier de ces cultivateurs eft alfuré d'avoir dans le Confeil Souverain de Brabant un proteaeur ardent qui le défend contre fentrepriie injufte que forme contre lui le plus grand Seigneur & même le Souverain , car on peut dans les Pays-Bas Autrichiens attaquer devant les Tribunaux de Juftice le Souverain même en la perfonne de fon Procureur-Géncral. nomme 1'aide , & qui eft trés - confidérable; les bois d'eftocs & les fiefs en font exempts lorfqu'ils font défruaués par le propriétaire.  354 Le Voyageur. Les fiefs dans les Pays-Bas Autrichiens font cenfés relever du Souverain, foit médiatement, foit immédiatement; mais cela n'empêche pas qu'il n'y ait des fiefs qui relevent des Seigneurs particuliers: chacun de ces Seigneurs a fa Cour feodale : toutes ces Cours féodales connoiffent .de toutes a&ions réelles qui concernent les fiefs, comme défaut de reliëf, non pa:ement des droits Seigneuriaux, &c. On appelle des fentences que rendent ces Cours féodales particulieres , a celle du Souverain qui juge au Souverain & par arrêt. , La conteftation concernant la chaffe & la pêche, fe porte devant les Tribunaux de la Venerie. Dans chaque chef-ville du Brabant, il y a un de ces Tribunaux -qu'on nomme Tribunal de la Trompe. Le Chef de tous ces Tribunaux eft le grand Veneur du Brabant, qui a fous lui un Officier qu'on nomme Gruyer. Dans le Limbourg c'eft la Chambre de Thonlieu qui prend connoiffance des ex-  dans les Pays-Bas. 355 cèt qui fe commettent fur le fait de la chaffe & de la pêche dans les terres domaniales du Souverain. Le ReceveurGénéral des domaines de S. M. eft le Chef de ce Tribunal, mais les crimes qui s'y commettent fe pourfuivent a la requifttion du grand Droffart de la Province devant la Haute-Cour de la Province. Dans la Flandre il y a un grand Veneur qui a jurifdiclion fur tout ce qui concerne la chaffe & la pêche. Dans la Province de Namur il y a un Siege qu'on nomme Gruerie, dont le Chef eft le Gouverneur de la Province; il connoft de toutes les contraventions aux loix qui ont été publiées fur le fait de la chaffe. Les Tribunaux de la Forefterie dans ces Provinces prennent connoiffance de tous les excès & déprédations qui fe commettent dans les forêts & bois appartenans au Souverain & titre de domaine. Le Juge de ce Tribunal pour le Brabant fe tient ii Bruxelles, & fon Chef  356 Le Voyageur. ie nomme Waut-Maltre, c'eft-ft-dire, Maitre des bois & forêts. Dans la Province de Limbourg , toutes les pourfuites concernant les bois & forêts du Souverain , fe pourfuivent devant la Chambre de Thonlieu a la requifition du Foreftier , qu'on nomme Vorfter. Dans le Luxernbourg ce font les Gruieries qui en prennent connoiffance. Dans le Hainaut c'eft le Bailli des bois du Souverain qui eft le Chef du Tribunal, dont le Siege eft h Mons, qui prend connoiffance de tout ce qui peut intéreffer les bois & forêts du Souverain, & c'eft le Lieutenant du Bailli qui agit contre les délinquans comme partie puhlique.' . Ce qu'on nomme Bailliage des bois dans la Province de Namur , eft un Tribunal établi pour la confervation des bois & forêts du Souverain : ce Tribunal eft compofé d'un grand Bailli de la Province , du Receveur-Général des domaines de cette Province , de fon Lieutenant, d'un Mahre foreftier, d'un Controleur,  dans les Pays-Bas. 357 d'un Garde-Marteau , d'un Avocat fifcal & d'un Greffier. "Les terres qu'on appelle terres franches dans les Pays-Bas Autrichiens,étoient anciennement des terres indépendantes qui ne faifoient partie d'aucune Province ; elles y ont été en grande partie unies & incorporées dans la fuite , mais cette incorporation & cette union n'a produit d'autre effet que de mettre ces terres fous la jurifdiction du Tribunal Souverain ft laquelle ces terres ont été unies: celles qui, aujourd'hui ne font pas incorporées, font fous la jurifdiction du grand Conieil de Malines.- Toutes ces terres franches ont joui pendant long-temps de 1'exemption entiere de toutes fort es d'impofitions ; aujourd'hui elles ne contribuent avec aucune Province. Anciennement le Souverain cantonnoit 1 fes troupes fur ces terres franches ; comme c'étoit pour elles une charge dont elles fe plaignoient, on les en a affranchies en  35$ Le Voyageur. 1674, a la charge qu'elles fourniroient par jour une certaine quantité de ration qu'on a évaluée a 15 fols par rati paree qu'on a exigé d'elles qu'elles la payeroient en argent : ces terres paient encore aujourd'hui ces rations quele Gouvernement, fuivant les circonftances, augmente ou diminue ; mais cette augmentation ou cette diminution eft toujours en proportion des fubfides extraordinaires que le Souverain demande aux Etats des Provinces.' 1 , L'impofition des terres franches fe paie •a un Receveur particulier qu'on nomme Receveur-Général des terres franches : ce Receveur eft comptable devant la Chambre des Comptes & fait remife des fonds qu'il recoit au Receveur-Général des Fi- • nances.' Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 359 LETTRE XXXVII A 1'Auteur du Voyageur. Anvers , ce .. . Mars 1783. A n v e r s & le Brabant, Monfieur, n'auront de commerce que quand l'on aura rendu la liberté ft 1'Efcaut. Tant que les chofes refteront en 1'état oü elles font préientement, les habitans de notre Province feront fans motif d'être laborieux & induftrieux , & les commercans fans moyens d'étendre leur commerce au-dehors. Nos manufactures font ft préfent fi peu confidérables, qu'ft peine fuffifent-elles ft la confommation interne du pays, & quelquefois même de la ville oü elles font établies. Les trois rafineries de fucre , dont vous parlèz dans uné de vos lettres, pourroient fabriquer plus qu'elles ne fabriquent; mais fi elles man-  *6o L e Voyageur. qtent d'émulation, c'eft qu'elles man-quent de débouché, & cela n'eft pas 5 étonnant, puil que nombre de petites com- J pa?, nies fe font formées dans prefque tou-J tes les principales villes, ^pour y établirn des ratineries de fucre. Si le nombre de: ces raiineries étoit moins grand , leursi productions feroient pljs parfaites, paree: que la certitude de les vendre feroit unJ puiffant motif pour leurs propriétairess de veiller ft leur perfeftion. Je crois que: les fucres rafinés de Bruxelles font inférieurs ft ceux qu'on rafine ici, & je crois > auffi que les détailleurs de Bruxelles au-roient plus d'avantages ft s'approvifionner: ici óu ils trouveroient plus de facilité: pour les paiemens qu'ils n'en trouvent! chez les ratineries de Bruxelles. Je fuis, &c. J. F. W*** & Compagnie. Fin de la cinquieme Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, O U LETTRES Sur 1'état acluel de ces Pays. Felix qui potuic rerum cognofcere caufas! V i r g 1 l e. '•«,' = - : TOME TROISIEME. Sixierne Partie. A AMSTERDAM, Chez Changuion, Libraire. On en trouve des Exemplaires chez Emmanuel-Flon, Imprimeur-Libraire a Bruxelles. M. DCC. LXXXIIL   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. LETTRE XXXVIII. LAnvers , ce.. .. Mars 178- e s obfervatton que vöus me faites Monfieur, dans votre derniere lettre relativement a fétat préfent du commerce des Pays-Bas Autrichiens font juftes a .^égards; vous" les avez pdfées .dans celles que je vous ai c„Voyées Lur letat acïuel des produdions territo«ales & induftrieufes de ces pays; mais Q a  $64 L e Voyaseuk. vous avez trop généralifé mes idéés. Le I commerce de ces pays, réduit prefque bi en entier a 1'exportation de fes produc- H tions terri oriales, ne pourroit jamais être tj fort étcndu ; mais ces pays ont déja des il produclions induitrieufcs qui, files Mi-B niftres du Souverain en connoiifent toute U 1'importance, pourront fe multiplier & :| fur-tout fe perfeitionner. Eclairés comme | ils le font, ils fcntiront la néceffité de:| favori/er davantage qu'on 1'a fait jufqu'&lH prcfent, 1'importation des matieres pre-j) mieres de certaines fabriques. II n'y a pas, par exemple, dans lesip Payr-Bas Autrichiens un alfez grand nom-l bre de fabriques de papier ; celles qui s'yïj font éiablics ne peuvent fuffire a la con-l. fommation du pays; leurs papiers ne ■font ni auffi beaux, ni d'une auffi bonnel qualité que ceux qui fe fabriquent che2i " Fétranger , & cependant on laiffe fubfiClkl ter des privileges exclulifs (a) qui cm-iri . . "(afpi> Les' Compagnies éxdufives, dit Rb:I ,-feertfon, ont une yigüance jaloufe qu'elles em|  dans les Pays-Bas. 365 pêchent 1'établiffement des nouvelles fabriques. J'ai vu-, il y a deux aas , refufer la permiffion d'en établir une nouvelle dans le Brabant, paree qu'il y en avoit une dans cette Province qui joüifToit d'un de ces privileges exclufifs; mais , direzvous , le Souverain qui' a accordé un privilege exclufif peut-il le rèvoquef quand il le veut.? Oui, U le peut (a), fi ce privilege a été obtenu d prix d'argent, en rernbourfant ce qu'il a recu de celui qui ploient contre les fpéculations des commercans libres. Ces monopoleurs, trop puiffans , s'efïbrcent de renverfey les projets de quiconque voudroit courir la même carrière & entrer en coneürrence avec eux. (a) L'Empereür vient d'abolir le privilege exclufif accordé a 1'entrepót général établi a Vienne pour le fer & 1'acier tirés des manufaftures de fes Etats ; il fera libre a I'avenir aux commercans des pays héréditaires , comme \ ceux de la Capitale , de formeï de pareils magafms par-tout oü ils le jugeroac \' propos. Q 3  366 Le Voyageur. «* jouit au prorata du nombre d'années pendant /efquelles il en a joui ; ainfi fi le privilege a été accordépour 20 années , & que le Souverain ait recu zoooo liv. le Souverain ne devra rembourfier que zoooo Üv. fi le pojefieur du privilege en a }pm pendant zo ans. Si le privilege a ete accordé. gratuitement, le Souverain peutlerévoquer, lorfqu'il s'apperfoit que ce privilege devtent nuifible au bien géneral, paree quHln'efi pas au pouvoir du Souverain de faire ufiige d'une des prérogatives de la Souverainetëpour nuire h fes fujets ni a lui-même. Si le privilege exclufif, Monfieur, a été accordé ft des conditions & que celui qui jouit de ce privilege ne les ait pas remplies, il en doit être privé. Si, par exemple , le Souverain a accordé ft un fabriquant d'étoffes un privilege exclufif, ft ,1a condition qu'il auroit toujours dix métiers battans, & que ce fabriquant n'en ait que fix, il eft déchu de fon privilege, peut-être même le Souverain  i dans les Pays-Bas. 567 pourroit-il exiger de lui une indemnité, & cela feroit jufte, fur - tout s'il étoit prouvé que d'autres fabriques femblables fe feroient établies dans le pays, fi ce privilege exclufif n'y eüt pas exifté. La fabrique des livres étant augmentée dans les Pays-Bas Autrichiens depuis ao ans', & devant y augmcnter encore, il eft de la plus grande importance d'y multiplier les fabriques de papier , & fur-tout dans ce moment - ci oü les papiers des Pays-Bas Autrichiens pourroient entrer dans la compofition de la cargaifon des vailfeaux qui feroient envoyés en Amérique, qui, a ce que je crois, n'a pas encore de fabrique de cette marchandife. Prefque tous les papiers d'impreffion qui fe fabriquent dans les Pays-Bas Autrichiens font fi inférieurs a ceux de 1'étranger, que les bons Imprimeurs du Brabant tirent prefque tous ceux qu'ils emploient de la Lorraine, de Liege, de Rouen , de Lille & même de 1'Auvergne, qui ne leur coütent pas davanQ 4  *6S Le VorASEus. tage que ceux de leur pays. L'infuffifance des fabriques de papier des Pays-Bas Autrichiens eft fi grande que le Confeil des Finances ne fait aucune difficulté d'accorder 1'exemption des droits d'entrée pour les papiers étrangers que tirent les Imprimeurs; quand ils la demandent, elle leur eft accordée en proportion de la quantité de prefles qu'ils emploient, Les fabriquans de papier de ces pays difent qu'ils manquent de locques; mais on leur reproche de vendre aux Hollandois les mcilleures locques & de n'em-' ployer dans leurs fabriques que les plus mauvaifes. Je ne puis croire que cette jmputation foit fondée ; mais s'il étoit prouvé qu'elle le fut, ces fabriquans dcvroient être punis très-févérement. Bruxelles eft, je crois vous 1'avoir déja dit, de toutes les villes de 1'Europe la mieux fituée pour le commerce de librairie : ce qui m'étonne, c'eft que le Gouvernement ne s'en occupe pas plus qu'il ne le fait. J'ai vu étant a Bruxelles  kans les Pays-Bas. 369 refufer dé recevoir Imprimeur & Libraire le fils de Dufour de Maeftricht, paree qu'il n'avoit pas fait fon apprentiffage ft Bruxelles ; fi on 1'eüt admisft la maitrifc, il auroit peut-être ft préfent cinq ft fix preffes roulantes, ck y feroit une partie du commerce que fon pere fait ft Maeftricht. II eft humiliant pbur Bruxelles qu'il n'y ait dans fes murs qu'un feul Imprimeur qui ait trois preffes, i tandis qu'ft Liege il y a des Imprimeurs qui en ont fix. Une fociété typographique qui s'étoit ctablie ft Bruxelles, & qui devoit avoir douze preffes , n'a duré qu'un moment; & Tutot va en former une ft Liege qui y aura le même nombre de preffes & qui y fruclifiera. Je fuis , Monfieur, fi fort perfuadé des avantages que les les Pays-Bas Autrichiens pourroient retirer du commerce de Librairie , que je ne balancerois pas, fi j'étois ft la tête de leur Gouvernement, d'accorder ft 1'Imprimeur qui auroit donné dans 1'année 1'édition la plus correéte & la Q 5  •fo Le Voyageur mieux exécutée, une gratification affez confidérable pour exciter 1'émulation parmi fes confrères. Le commerce de livres qui fe fait ici n'eft pas confidérable; on en fabriquoit autrefois un très-grand nombre; c'étoit Anvers qui fourniffoit ft 1'Efpagne & ft toutes les villes des Pays-Bas les livres d'Eglife &; de. Théologie dont elles faifoient üfage; on y a vu dans le i6me. fiecle dix-fept prèffes toujours roulante* dans rimprimerie de Plantin. ,n , Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 371 LETTRE XXXIX. Anvers , ce .. . . Mars 1783. T «'ai fait depuis que je vous ai écrit, Monfieur, la connoiffance d'un ex-Jéfuite qui habite cette ville & y eft généralement eftimé ; c'eft un homme de beaucoup d'efprit qui aime les fciences & les arts, & même les arts agréables; aucun de ceux-ci ne lui eft étranger, mais ce font ceux de la fculpture & de la peinture qu'il préfere a tous les autres. L'Eglije de votre College ici, lui demandai-je , eft-elle aujfi riche en tableaux qu'elle en a la re'putation dans toute l'Europe ? fa richejje , me répondit-il, étoit telle avant l'extinclion de notre ordre, mais aujourd'hui qu'on l'a dépouillée prefqu'entiérement, elle efi de la plus grande pauvreté, venei cependant la voir; elle mérite encore , a quelques égards , l'attention des voyageurs.  3.72 Le Voyageur Arrivé a cette Eglife , fon portail me i frappa ;jel'examinai avec attention , mais i voyant la différence qu'il y avoit entre 1 fa partie inférieure & fa partie fupérieure, je nc pusm'empêcher d'en témoigner ma furprife a mon ex-Jéfuite. Ce portail, me dit-il, jufqu'a l'entahlemeat, a été bati fur les de/fins de Rubens ; le refte Va été' fur les dejfins d'un de nos freres, nommé' Pierre Huyffens, qui, n'ayant point de goüt, a prodigué les ornemens, & ce Jont ces ornemens qui rendent cette partie fi lourde & fi pefante : ce bon frere, qui ri'étoit dans le vrai qu'un manoeuvre, a dirigé plufieurs autres portails & Eglijes de notre Ordre, qui tous prouvcnt jon peu de connoiffance. Nous avions dans notre bibliotheque les dejfins originaux de ce portail, tous faits a la plumè par Rubens même, mais je ne fais pas ce qu'ils font devenus. J'ai examiné ces dejfins avec attention & je n'y ai rien vu qui mefaffe regt-etter qu'ils n'aient pas été exécutés en leur entier. L'intention en étoit monoton  dans les Pays-Bas. 37» triviale & de peu d'effet; c'éioic deux Ordres juchés l'un fur l'autre , furmontés d'un troifieme petit Ordre ou Cellite; le genre du fronton brifi qui auroit couronné ce maltre avant-corps, n'auroit rien dit. Entrc dans PEglife , j'en admirai 1'Architeclure : cette Eglife eft très-claire ; elle eft foutenuepar trente-huit colonnes ifolées , avec un entablement enrichi d'ornemens, une voute en plein ceintre & deux galleries fur les bas-cötés : cette Eglife , me dit mon ex-Jéfuite, étoit avant tji8, tout de marbre le feu du Ciel la confuma, a la réferve du Chceur & des deux Chapelles de cóté; mais ce qu'on doit regretter le plus , ce font les %g tableaux en plafond qui étoient placés aux quatre voütes des bas-cótés; ils avoient tous été peints par Rubens : heureufement qu'ils ont été gravés en Hollande d'après les deffins de Jacques de Wit. Nous en tram es dans le Chceur quï, ïiinfi que le Mahre-Autel, eft tout de marbre. Comme j'en admirai les orne-  274 Le Voyageur. mens, mon ex-Jéfuitc me dit qu'ils avoient été faits Jur les dejfins de Rubens ; il me dit auffi que le tableau de 1'Autel étoit de Corneille Schut. Ce tableau repréfente 1'Affomption de la Vierge. Comment le trouve\-vous , me demanda mon ex-Jéfuite , bien compofé, d'une belle fapon de faire , d'une belle couleur & d'un effet piquant. .. C'étoit cependant le plus médiocre des quatre tableaux qui décoroient autrefois tour -a- tour eet Autel; deux étoient de Rubens ; l'un repréfentoit St. Ignace élevé fur des gradins, pofant la main droite fur 1'Autel & chaffant de la gauche le démon du corps d'un poffédé; dans le bas on voyoit des malades qui demandoient la guérifon. L'autre repréfentoit St. Francois-Xavier qui reffufcitoit un mort ; le troifieme tableau étoit de Gérard Séghers; il repréfentoit Jéfus-Chrift élevé fur la Croix ... que font devenus ces trois tableaux ?.. . je ne le fais pas , mais je crois qu'ils ont été envoyés a Vienne.... & ces petits tableaux peints  dans les Pays-Bas. 375 fur le marbre que je vois derrière ces chandeliers , de qui font- ils '7. . . de Henri Van-Baelen ; mais voye\ ces ftatues de marbre , de St. Ignace , de St. Francois Borgia, de St. Xavier & de Staniflas Kofta; ils Jont de Quellyn: ne convene^vous pas qu'elles font honneur au cifeau. de eet habile Sculpteur ? Nous pafsames a la Chapelle de St. Xavier, dont 1'Autel eft orné d'un beau tableau de G. Séghers; il repréfente St. Xavier aux pieds de la Vieige qui tient fur fes genoux 1'Enfant Jéfus; a cöté du Saint eft un Ange. Je crois, me dit mon ex-Jéfuite , que la Chapelle de St. Ignace oü je vais vous conduire , vous occupera agréablement. Toute cette Chapelle , ainfi. que 1'Autel, font de marbre; fur 1'Autel il y a un beau bas-relief d'Alexandre Van-Papenhove ; il repréfente la Vierge & 1'Enfant Jéfus port és fur un nuage t & au bas St. Ignace dans le défert. Les têtes font d'une grande finejje , dis-je a mon ex-Jéfuite,- mais vous.conviendrei  376 Le Voyageuk que les draperies font maigres & de mailvais goüt: ce banc de communion meplait: davantage; tout te travail eft d'un fini ' précieux il eft du même Mattre que • le bas-relief. ... & cette ftatue de marbre de St. Jean Népomucene, de qui eft-elle ?... de M. Vervoortde vieux ... elle eftfroide comme le font toutes les ftatues que j'ai yues de ce Saint Allons a la Chapelle de la Vierge , je crois que vous n'en ave\ pas encore vu qui foit auffi belle & auffi magnifiquement de'core'e. Cette Chapelle eft toute de marbre de diffcrentes couleurs; elle a été ornce d'après les deffins de Rubens, avec une magnificence furprenante fur 1'Autel eft un tableau de Van-Loon, qui repréfente une Adoration des Bergers. Ce tableau, me dit mon ex-Jéfuite, ne vous parott pas fans doute digne de la place qu'il occupe , auffi n'y a-t-il été mis que quand on Va eu óté pour le vendre ou pour l'envoyer a. Vienne, c'étoit une Affomption de Rubens qui étoit de la plus grande beauté. J'en.  dansles Pays-Bas. 377, ai che\ rnoi l'eftampe, gravée par Bolfwert: je ne connois point de tableau dont la compofition foit plus ingénieufe , dont la couleur foit plus fratche ; c'étoit l'ouvrage des graces & du génie. Ces petits tableaux, qui font dans ces niches & peints fur le marbre, Jont de H. Van-Baelen ; vous deve\ les trouver d'une belle couleur & touchés avec efprit. Confidéré^ avec attention cette Vierge , fon fils <& des Anges placés au jnilieu de ces fleurs ; ce tableau efi de notre frere Séghers , qu'en penfi\-vous 1 bien des connoiffeurs ont attribué d Rubens la Vierge, 1'Enfant Jéfus & les Anges .... ce tableau efi féduifant pour la couleur; ces fleurs font bien coloriées, mais je doute que les figures foient de Rubens ce'te Ste. Familie efi de Kerkoven; eet autre qui repréfente Jéfus-Chrift qui apparolt a fa mere après fa réfurreclion , eft de G. Séghers : cette Adoration des Bergers eft d'un écolier de T± Van-Loon : cette Circoncifion eft de Corneille Schut c'eft un beau tableau.  378 Le Voyageur. Schut le croyant tel, l'a gravé lui-même. Etant vis-a-vis 1'Autel de St. Jofeph, cette Ste. Familie que vous voye\ fur eet Autel, me dit mon ex-Jéfuite, a eté peinte par un écolier de Rubens ; ce tableau tient la place qu'occupoit auparavant une Fuite en Egypte , peinte par ce Maitre; c'étoit un joli tableau dont les têtes étoient belles , mais qui avoit peu d'effet: je ne fais ce qu'il eft devenu. Les deux Salles de notre Congrégation étoient ornées de tableaux trés -précieux ; il y en avoit un de Rubens , il repréfentoit une Annonciation ; deux de Van-Dyck, dont l'un repréfentoit la Vierge tenant fur fes genoux 1'Enfant Jéfus qui donnoit des fleurs d Ste. Rofalie ; St. Pierre & des Anges étoient d cóté de la Vierge ; Pautre repréfentoit Saint Herman-Jofeph d genoux, un Ange lui tenoit la main, & derrière étoit Van-Dyck fous la figure d'un jeune homme: ce tableau paffe pour un des plus beaux de ce Maitre ; les autres étoient de G. Séghers } de Déodael, d'ELmont  dans les Pays-Bas. 379 & de plufieurs autres.... Et de votre College qu'en a-t-on fait 1 .. . une Académie militaire qui a été fupprimée l'année derniere. On évaluoit d 70000 florins la dépenfe annuelle de cette Ecole militaire: fa fuppreffion n'a donc pu fe faire fans caufer un tort confidérable au commercê intérieur d'Anvers. Je fuis, &c.  380 Le Voyageur. € =====3 LETTRE XL. Anvers, ce... . Mars 1783. 'V^o u s me rcprochez , Monfieur , de ne pas vous entrctenir des produétions littéraires qui paröiffent dans les PaysBas Autrichiens , & vous en tirez la conféquence qu'on n'y cultive que bien foiblement les lettres & les fciences. La poéfie & 1'éloquence, & tout ce qui tient a ce que nous appellonsle belefprit, n'y fleuriflent peut-être pas autant qu'en France , en Italië & en Angleterre. Le Brabant & la Flandre ont cependant prodait des Poéies dontles ouvrages avoient le cachet du génie, & s'ils en produifent moins aujourd'hui qu'autrefois , c'eft que le goüt des fciences a prévalu & qu'une dccouverte utile intérefie plus aujourd'hui qu'une produétion de 1'efprit purement agréable. La Peinture, eet art divin,  dansles Pays-Bas. *8i enfant du genie & de Fimagination qui, du temps des Rubens, des Van-Dyck, des Crayer , méritoit a ceux qui y excclloicnt une confidération plus grande •que celle qu'obtenoient ceux qui cultivoient avec fuccès les autres arts, ne jouit plus aujourd'hui de cette prééminence. Un grand Architedte, un habile Méchanicien, eft auffi confidéré qu'un grand Peintre. II doit donc y avoir aujourd'hui moins de grands Peintres qu'il y en avoit, lorfque 1'art de la Peinture avoit la préférence fur tous les autres arts. II y a dans les Pays-Bas Autrichiens des hommes qui, continuellement occupés des arts utiles & des fciences, pourroient, s'ils étoient plus encouragés , devenir très-utiles a la fociété. Je connois dans les Pays-Bas des Jurifconfultei dont les ouvrages, s'ils étoient publiés, pourroient être placés a cöté de ceux de Wynants, de Stockman, de Van-Efpen & même de notre Pothier & de notre Da. gueffeau. J'ai lu, étant ïi Bruxelles, un  S^a Le Voyageur. excellent Traité fur la falfifieation des droguesmédidnales qui va bientöt paroitre. Un Médecin de la même ville y prépare un Traité important relatif ft Phiftoiie naturelle du Brabant, en mêmetemps qu'il travaille ft un autre Traité fur les maladies vénériennes. Un autre Médecin de la même ville vient d'achever un Traité fur les afphixies, ouvrage qui fera d'autant plus intéreiTant pour 1'humanité , qu'il eft profondément raifonné d'après les vrais principes & un nombre infini d'expériences. Un Traité fur la culture & fur les moutons paroitra au01 - bientöt ft Bruxelles; il eft d'un homme qui, depuis fa plus tendre jeunefle, étudie la nature & fes producïions. On débite préfenteraent dans cette ville le Voyage d'un amateur des arts , en Flandre , en Hollande, en France, en Savoie, en Itahe & en Suiffë , en 4 vol. in-zz. L'Auteur de eet Ouvrage, tout-ft-fait neuf dans fon genre, eft Francois. Je ne vous Ie nomme pas, paree qu'il veut refter in-  dans les Pays-Bas. 383 COnau ; il a parcouru ces pays en 1775 » ?6 •> 77 & f8 ; il a tout vu, tout examiné par lui-même, & fon goüt & fes connoiffances Pont mis en état de juget fainement des objets dont il parle. Le butde fon ouvrage a été d'être utile aux voyageurs qui veulent connoitre les pays qu'ils parcourent, les peuples qui les habitent & les arts qui les enrichiffent. Quiconque veut voyager avec fruit, doit lire& porter avec lui le nouveau voyage que je vous annonce; il fera pour tous les voyageurs un guide, a 1'aide duquel il parcourera sürement, agréablement & a moins de frais poffibles les pays dont il traite : vous lirez avec quelque fatisfaaion,j'en fuis aiïbré, flntrodudion placée ft la tête du premier volume; c'eft, fi je puis m'exprimer ainfi, un intéreffant portique, fait pour donner une haute idéé del'intérieur de 1'édifice; la maniere de décrire de M. de la R * * * eft fimple , mais intérenante. La Chapelle de la Vierge de VEglife Paroijfiale de St. Sulpice de  384 Le Voya&eur. Paris eft , dit-il, plus richement que no- 1 blement ornée; la coupole a été peinte : par le Moine; il y a repréfenté l'Affomption de cette mere du Sauveur: cette com- ■ pofition lui fait honneur. La ftatue en marbre, placée au-deffus del'Autel, mérite une attention particuliere ,• elle eft de 1 M. Pigale , & c'eft une de fes plus aimables productions. Quatre tableaux peints: par Carle Van-Loon , ajoute beaucoup au ! mérite de cette Chapelle; ils repréfentent'. ïAnnonciation, la Vifitation , la Nativité & la Préfentation au Temple. Le peu que M. de la R*** dit du. Commerce de Geneve fuffit pour en don- • tier une idee. Le commerce qui fe fait d ! Geneve, dit-il, n'eft point borné comme i on le croit affe\ vulgairement, aux féuls : ouvrages d'horlogerie & de menues bijou- • teries ; il embraffe toutes les branches que \ lui préfente fa pofition intermédiaire entre \ la France, la Suijfe, la Savoie, &c. £r les befoins refpeclifs qui lient entr1 elles les : nations. On y fabrique quelques étoffes de  dans les Pays-Bas. 385 de laine, des bas de fil, des chapeaux communs, &c. deux fabriques d'Indiennes ou de toilespeintes paroiffent y profpér er : en général, la partie aifée des habitans doit moins au commerce fon opulence acluelle qu'au réfultat de. quelques fpéculations de finances fagement calculées. II eft de fait que Geneve retire annuellement de France plus de cinq millions de livres de rentes que fes capitaliftes y ont placées yiagerement d différentes époques. Les notes que M. de la R * * * a inférces dans fon Ouvrage font toutes d'une grande utilité ; en voici une fur Geneve qui vous fera juger des autres. Sans l'ac* tivité induftrieufe du peuple qui augmente la circulation des efpeces , la République ne trouveroit point les revenus fuffifans pour balancer fes dépenfes. On peut évaluer fes revenus annuels è. cinq eens mille livres de France. Le produit des fermes des domaines de 1'Etat, des dimes , cenfes & lods , ne monte qu'd environ la moitié Tome III, Partie VI. R  586 Le Voyageur de cette fomme. Une taxe perfonnelle & re'elle qu'un chacun peut fixer dans de certaines limites x rend environ cent mille livres ,• tout le refte eft le produit des taxes indirecles fur\V induftrie , des gabelles , des droits d'entre'e , des halles, des ventes , des péages, &c. après déduclion des dépenfes ordinaires de VEtat, il ne refte qu'une fomme annuelle d'environ quatrevingt mille livres pour les cas fortuits tj imprévus. Les penfions a tous les Officiers publics montent plus haut que le quart de toutes les dépenfes : l'entretien de la garnifon abforbe chaque année une fomme de cent & trente mille livres , l'entretien des bdtimens publics & des fortifications t divers frais de police & quelques dépenfes extraordinaires, fans le refte des charges