A /è p /ó x 27 ,   01 2426 6420 UB AMSTERDAM  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, o u LETTRES fur 1 etat aótuel de ces Pays. Felix qui potuit rerum cognofcere caufas! V irgile. T O M E CINQUIEME. Première Partie. A AMSTERDAM, Chez Changuion , Libraire. On en trouve $-^>^^>^:^^^<»^»^>^. .>•>$. LETTRE PREMIÈRE. Gand ce jfuin 1783. Il fe fait ici, Monfieur, un cornmerce de li vres forc confidérable , du moins doit-on le croire d'après le nombre des libraires qui eft de ïó, dont 10 font auffi imprimeurs: ils ont 22 prefles, dont 14 roulent continuellement furtout celles des freres Gimblet & de Gocfin. Prefquc tous les livres de Paris qui fe vendent ici j font fournis par les libraires de BruA 2  4 Le Vota geur. xellcs a ceux de Gand qui fe les procu- rcnt par le moyen de 1'échange. Les Imprimeurs de Gand ont un grand avantage , c'cft de trouver dans leur ville tout le papier dont ils ont befoin qui parconféquent leur revient a meilleur marché que s'üs étoient, comme ceux de Bruxelles , de Malines , d'Anvers & de Louvain , obligés de le faire venir de Luxembourg , de Grammont, de Liege, ou d'Auvergne: il faudroit donc encourager les papeteries du Brabant & les multiplier. 11 n'y a cependant a Gand que deux papeteries , 1'une appartient a MM. Pilfen & Van-Damme, 1'autre a MM. de Keyfcr & compagnie; chacune ont deux moulins: leur papier pour écrire eft trés-bon ainfi que celui pour lettres. II y a auffi a Gand deux magafins confidérablcs de toute forte de papier a imprimer & a écrire; il y a aufli une fabrique de cartons tenue par M. de Saegeman. II n'y a pas de fabrique de papier a meubler, mais il y en a quatre  daks les Pats-Bas. $ magafms qui en font bien pourvus. Les tutres fabriques de Gand , font fix de fayettes, deux de toilcs rayées, une de cartes a jouer, une de crayon de plomb, 32 de tabac & deux moulins; une. de' terre a pipe, deux d'amidon, une de gafes, une de fer, fix de galons d'or & d'argent , huit de dificrentes étoifes de coton , une fayancerie, quatre favonneries, cinq rafmeriesde fucre, ncuf rafincries de fel, ncuf brafferies d'eau-de-vie de grains. II y a a Gand quatre tcinturicrsen draps & foye & quatre qui ne tcignent qu'en bleu. Les autrcs fabriques forment des corporations ou corps de métiers qui compofent proprement le corps de la bourgeoife: il y a auffi trois blanchiiTcries de cire, dixneuf de toile & huit de fil II y a a Gand deux tourneurs en ivoire, vingt deux pcintres, quatre graveurs, huit fculpteurs; il y en a un de ceux-ci qu'on nomme Van-Ponckc, qui mérite fur-tout qu'on lecite; il a fait 1'année derniere pour 1'églife de St. Bavon les ftatues de St. A 3  6 Le Voyageur. Pierre & de St. Paul dont il rft'eft echappé de vous parler lorfque je vous ai entretenu de cette églife. Le mêfne artifte, a ce qu'on m'a dit, placera 1'annee 'prochaine dans cette cathédrale le maufolée de 1'évèque Van-Eufce auquel il travaille arec un de fes amis nommé Janffens ; il a auffi exécuté avec fuccès le maufolée de Févêque Caimo dans la cathédrale de Bruges, quatre médaillons, & une chaire a prechcr dans 1'églife de St. Sauveur de la même ville, un petic maufolée aux récolcts a Ypres, & un maitre-autel a Malines orné d'une ftatue & d'nn bas reliëf en marbre repréfentant le facrifice de Noé dont je crois vous avoir parlé. L'on trouve a Gand en magafin toutes efpeccs de marchandifes: il y a trois magafins d'étorfe d'or & d'argent , un très-confidérable de toile, trois de parfums , quatre de bois de charpente & de menuiferie, un de plomb, un de fer blanc, deux de cendres, fept de tabac en feuil-  dans- les Pats--Bas. f. les , huit de chaux, trois de draps, un de glacés & un de porcelaine. M. Rombert de Bruxelles a auffi ici une maifon de commerce. M. Loridon tient un fort magafin de coton peint & de toille, ainfi que M. Clemens. Gand fait un commerce très-confidérablc de toile furtout avec PEfpagne; oi> y compte 56 maifons qui font ce commerce & quarantc une maifons qui fonc celui de dentelles. Le nombre des maifons qui font le commerce d'épicerie engros, eft de onze ; les maifons de commerce de draps, font de neuf: il y a, encore nombre de marchands en gros de poiflbn fee & fale, de grains, de laine, de plomb, de balcines, de ferviettes y de marchandifes d'Angleterre , de bierres étrnngeres, de poreelaine & de fayance de charbon. de terra, de glacés , de beurre, de vitres, de verres, de couleur, da bois a brulerj & de bois des Indes. 11 y a a Gand cinq faéteurs de IaBa vigation , fix maifons de banque. &. fept courtiers jurés. A 4  S Le Vota geus. En 1719 1'on a établi ici une chambre de commerce compofée de neuf commifiaires & d'un actuaire; cette chambre s'affemble tous les mardis a 10 heures & demie du matin a- la douane au marché aux grains. En faveur des beaux arts, Pon a établi ici une académie de peinture & d'architeéiure; elle eft compofée d'un préiident & de deux directeurs ordinaires & de quatorze autres directeurs, d'un fécretaire , d'un tréforier , d'un profeffeur de deffin & de peinture, d'un prémier adjoint, d'un fecond adjoint, d'un profefleur d'architeclure & d'un adjoint. Un établiifement bien plus important qu'on a fait ici en 1781 , eft celui d'une académie de commerce: il eft inconcevable que les autres principales villes des Pays-Bas Autrichicns n'en aient pas formé un fembiable, furtout celles qui afpirent a étendre leur commerce. Le commerce a fes principes , fes regies; c'eft unc fcience qui a fa théorie qu'il  DANS LES PAYS-BAS. 9 faut connoicre avant que de pratique'r: elle a aufli fa morale & c'eft paree qu'on négligé de 1'enfeigncr aux jeunes gens qui fe deftinent au commerce, qu'il arrivé quelquefois que des négocians fe permettent des aélions qui font trèscondamnables, & le public injufte croit que leur conduite eft celle que tiennent tous ceux qui font le commerce. De cette prévention nait 1'opinion qu'un négociant , un commereant , un marchand croit legitimes toute efpece de gains; tous ne le font certainement pas , & il y en a même qui, quoique fondés fur 1'ufage, font illégitimes. Si le jeune homme qui fe deftine au commerce n'en connoit pas la mofale, il fuit 1'ufage, & par ignorance il fe rend coupable, ft ce n'eft d'un crime, du moins d'une aétion malhonncte. Le direcleur de 1'Académie de commerce de, Gand, fe nomme M. Jacobs; on le dit trés inftruit. On donne dans cette académie des lecjons par écrit en francois & en flamand, tous A 5  io Le Voïageor les jours de la femaine, exepté les dlmanches & les fêtes & autres jours de vacance. Si j'euffe fu plutot 1'exiftence de cette académie ici, j'aurois taché d'obtenir communication des lecons qu'on y donne: j'ai prié un négociant de me les procurer & de me les envoyer a Bruges; fi elles font bien faites, comme je le crois, je vous les enverai. 11 y a longtems que j'ai concu le proiet d'un petit ouvrage qui contiendroit la morale du commereant & les regies & les principes qu'il doit fuivre dans toutes fes opérations: nombre d'auteurs en ont écrit, mais prefque tous fans ordre ni méthode & d'une maniere fi prolixe qu'il eft impoffible qu'un jeune hommc les life avcc fruit : 1'ennui le gagne & le fait renoncer a une étude dont il fe perfuade facilement n'avoir pas befoin. II y a a Gand plufieurs beaux cabinets ( a ; De MM. 1'abbé de St. Pierre, le com. te de Leeuwerghem, Van Alftcin, fecretaire,  DANS LES PAYS-BAS. ïï de tablcaux & huit rnarchands de tableaux ( a) qui font un commerce affez confidérable: il y a encore trois amateurs d'eftampcs qui • en pofledent une riche & nombreufe colleólion. Outre lesbibliothcques de 1'abbaye de St. Pierre, de celle de Baudcloo , des auguftins, des récolets & des dominicains qui font confidérables, il y a encore celles de ncuf particuliers qui font nombreufes & bien compofces. Le comtc d'Hane & M. Clemens pofledent chacun un beau cabinet d'hiftoire naturelle : le premier poffede auffi un riche medailler. Les mceurs des commercans ici font Van Alftein , Bouchaute , Van Saceghem , Morel, Huytens , Van Tieghem , de Meulenaere, Van Iloorebeke , Douchet, Loridon Orfevre , Loridon , Loridon, Clemens Spruyt, de Goefin , Herfchap, Loofe, veuve de Sutter, veuve Blauwere , veuve Nicole , veuve Le Maitre. ( a ) MM. Bailliu, Belond, Blavier, de Néron , Lefebure , Snc-eck , Speliers, Mlle. la veuve Blauwers, A 6  12 Le Voyagetjr a peu prés celles des commercans de nos grandes villes de France; il re regne pas parmi eux cette bafle jaloufie & ce vil fentiment de 1'envie qui.font le fupplice de ceux qui ont le malheur de s'y livrer. La profpérité d'un commereant Gantois n'afflige point ceux qui font le même commerce que lui , & celui quï éprouve un revers eft plaint & même fccouru. Les commercans de Gand , fe voient, vivent entre eux ainfi qu'avec la nobleffe; Pon n'en voit plus aucun d'eux fréquenter les eftaminets a bierre, ils ne vont plus que dans les eftaminets a vin, & même fort rarément. En générall'on aime ici beaucoup le jeu; il y a nombre de maifons oü Pon fe raffemble pour jouer : on y refte depuis cinq a fix heures jufqu'a huit heures du foir. Les mosurs des jcuncs gens font ici approchant comme dans toutes les grandes villes; les femmes publiques y font toIérées quand elles n'occafionnent pas dedéfordre; c'eft un mal nécefTaire qui en  DANS LES PaYS-BaS. I3 caufe peut-être moins que fi Ton vonloit ufer d'une trop grande féverité. On eft ici grand partifan des modes frangoifes, peut-être vaudroit-il mieux pour le commerce intérieur qu'on en fit moins de cas. Les jeunes gens & furtout ceux qui ont féjoumé quelque tems a Paris, ont affez. les manieres frangoifes. Je fuisj, &c.  14 Le V O YA G e ü R LETÏRE II. Ga/2 s'établir a Gand: j'ai vifité hier leur églife; elle n'cft pas riche en tableaux dont les principaux font de Jean Van-Cleef; 1'un repréfente la Vierge & 1'enfant Jefus pofés fur deux globes & emourés d'arjges^l'autre eft Sc,  DANS LES PaYS-BaS. 15 Bernard qui, par fes prieres, guerit les malades & les bleflés : Pup. & Pautre font bien compofés , deffinés correótement, d'une belle couleur argentine : ils ont un grand effet. Autour de Péglife font plufieurs payfages peints par Cirfeecke, mais les figures qui repréfentent des fujets de la vie de St. Bernard & qui font jolies, ont été peintes par Van-Cleef. Le cloitre de ces religieux eft orné de plufieurs tableaux de le Plat, a Pexception du plus grand qui eft de Robert VanOudenarde qui repréfente les portraits des religieux qui occupoient la maifon, lorfque ce tableau fut fait. Ce tableau vaut un peu mieux que les autres; il y a de la vérité, mais tout y eft cgal de ton & d'une couleur monotone compofé froidement & avec trés peu d'art. En fortant de 1'abbaye de Baudeloo , j'ailois rendre vifite a Péglife des Alexiens ; cette églife a été achevée en 1697; e^e eft décorée d'un beau tableau que Crayer avoit fait pour être placé fur fa fepultu-;  iö Le Voyagetjr re; il fut vendu a fa mort aux Alexiens : il repréfente la réfurreclion du Sauveur qui y eft bien en Pair. Un des foldats pofés autour du tombeau paroit endormi , 1'autre fe réveiller & étonné de ce qu'il voit: ce foldat , dit-on, eft le portrait de Crayer. J'ai vu peu de tableaux mieuxcompofés, d'un deffin plus fin & plus correct, d'une plus belle couleur , oü il y ait plus de vérité , & d'un pinceau plus précieux & d'une touche plus admirable, enfin qui eut un eifet plus pi quant. Le maiire autel de cette églife avec des colonnes eft de marbre blanc & noir : il a beaucoup d'effet quoique d'une fculpture médiocre. Dan3 le réfectoire de ces freres , j'ai vu fept payfages de Van-Artois; a 1'exception des figures qui font de diiferens maitres; ces payfages font beaux. Un tableau qui repréfente du gibier , des chiens & des uftenciles pour la chaffe, a été peint par Grief; il eft d'une grande vérité , d'une bonne couleur Sc d'une bel-  dans les Pats-Bas. 17 le faeon de faire : enfin un autre tableau de Micrhop qui fait illufion par la vérité des objets qu'il repréfente; ce font des poiffons, des chiens, des fruits & un tapis de turquie. J'ai paffe aujourd'hui ma matinée dans les églifes des fceurs noires, des Bernar-* dines dites NieuwenboJJche, des Bernardines de l'Enclos, nommées Biloche , du petit enclos , des beguines & dans celle des religieufes de 1'ordre de St. Auguftin appellées Groenen-Bril, & 1'après midi dans Péglife des ci-devant Jéfuites. Les foeurs noires pofledent le chef d'ceuvre de Van-Cleef; lui même le jugeoit ainfi &: tous les connoifleurs 1'ont toujours confidéré de même ; ce tableau eft admirable pour la compofition , la finefle du deffin & la beauté de la couleur; ce tableau repréfente Ste. Urfule, St. Auguftin & St. Roch aux genoux de la Vierge & de 1'enfant Jefus; au bas eft une fceur noire qui fait remarquer a un malade mourant la gloire celcfte qu'elle lui montrc : prés  r° Le Vothgeüs d'clle eft un homme mort & pluficurs anges. Dans-l'églife des religieufes de 1'ordre de St. Auguftin appellées GroenenBril, qui font a Gand depuis 1340, j'ai vu un tableau de Roofe qui repréfente h Vierge que la Ste. Trinité couronne; plus bas font des Anges qui touchent des initrumens : les têtes de ce tableaufont belles & il eft bien colorié; le tableau de P. Hals qui eft dans la même églife,eft de ceux dont on ne dit rien ; ii repréfente St. Auguftin fur les bords de la mer qui écrit fur le miftere de la Ste. Trinité qu'on voit perfonifiéc dans le ciel. Le même maïtre a donné pour la dot de fa fille aux dames de Nieiiwenbofc/ie établies a Gand en 1215, fix tablcaux; ils font bien compofés & aiTez bien coloriés, mais ils ne m'ont point occupés. J'ai été plus affeclé du tableau encore du même maitre que j'ai vu dans régliiè de 1'abbaye des Bernardincs de 1'Enclos- nommées Biloche; il repréfente la gloire du ciel; la compofition- en  DANS LES PAYS-BAS. ÏO eft grande, la couleur belle & 1'efFet piquant. Trois tablcaux décorent l'églife des Béguines ; Pun eft une préfentation au temple de N. Roofc; il eft bon, Pautre repréfente la Vierge , 1'cnfant Jefus , fine fainte k des aflges; il eft de VanCleef & a du mérite; le troificmè eft de R, Van - Oudenaerde, on y voit Jefus parmi les doéteurs: il eft médiocre, Je fuis, kc  20 l E VoYAGEUK. lettre iii. Gand ce .... Juin 1783. Il feroitfort afouhaiter, Monfieur, me difoit hier un négociant de cette ville, que notre fouverain voulüt bien faire confiruire un port de relache d Blankenberg. Tant que ce port n'exiftera pas 3 tout vaiffcau qui lors, d'une tempête, fe trouvera a la hauteitr d'Oftende & d la diftance de trois lieues des cötes } courera le rifque prefque incvitable d'échouer, fi alors les vents nord ou nord ouefl foufflent avec impétuofité , car il ne poura pas entrer dans le port d'Oftende. A un plus grand éloignement de la cóte 3 les vaijjeaux battus par la tempête peuvent gagner les pons de la Hollande : la cóte de Blankenberg n'eft pas environnée de bancs de fable : Blankenberg eft fituée comme dans un golfe : fon port y fe-  DANS LES PAYS-BAS. Si roit donc un azilc fur contre les tempête*. La nature a tout fait (felle même en faveur de Blankenberg; & le travad qu'il conviendroit de faire pour que Blankenberg eut un bon port en perfeBionnant fon baj]in , feroit des plus facile & on ne pouroit pas moins difpendieux. II ne faut pas être ni un Asfeldt ni un Vauban pour fèntir les avantages locaux de la pofition du port de Blankenberg fur celle du port d'Oftende qui malgré tous les travaux faits ou d faire ne fera jamais qu'un mauvais port. L'intérêt du port d'Oftende , Monfieur , poura s'oppofer a 1'exécution de ce projet : il eft certain que fi celui de Blankenberg s'exécutoit, Oftende pourfyit bien redevenir ce qu'elle étoit avant la trêve de 1609 , la retraite de fimples pêcheurs; mais outre 1'avantage qu'on retireroit de la conftruótion d'un port a Blankenberg «j relativement a la navigation, ce port deviendroit encore utile pour la pêche. Les Pays-Bas Autrichiens pouroient avoir une  23 L e Vota geur pêche nationale, & cette pêche, fi elle s'établiflbit, affranchiroit ce pays de la pêche Hollandoife. La France en a une h Diepe, Boulogne, Calai-s, &c. pourquoi les Pays-Bas Autrichiens n'en auroient-ils pas une? Cette pêche leur eft d'autant plus néceiTaire que, voulant avoir une marine marchande, il faut néceffairement qu'ils aient une pêche nationale qui foit pour cette marine une pépiniere de matelots. L'Empereur devroit mettre tout en ufage pour que. les Hollandois lui rendiiTent la petite ville de 1'Eclufe: elle eft fituée a trois lieues de Bruges. Son port autrefois pouvoit contenir commodément 500 navires marchands. Les Hollandois ont négligé ce port qui aujourd'hui peut a peine contenir quelques petits batimens. SiPEclufe étoit réunie a laFlandre, 1'on pouroit faire de fon port un port de relache, mais la dépenfe qu'il faudroit faire pour cela feroit bien plus confidérable que celle qu'on feroit obligé de faire pour établir un port a Blankenberg.  dans ip.s Pats-Bas. 23 j'ai vifité aujourd'hui les églifes paroif-fiales de Notre Dame & de St.'Martin : -il y a dans celle-ci plufieurs beaux tableaux, mais celui qui m'a occupé le plus longtems & avec le plus de fatisfaétion, eft une réfurre&ion de Crayer qui décore le maitre autel : le Chrift y eft bien en i'air , les foldats qui gardent lefepulchre, ont beaucoup d'expreflion : dans ce beau morceau , la correction du deffin a beaucoup de fineffe; la couleur y eft de la plus grande beauté ; elle a une legereté & une tranfparence qui étonne : on diroit qu'elle vient d'être employée. Je regarde ce tableau comme un des plus beaux qu'ait produits le pinceau de ce grand maitre. A cóté on peut placer une Vierge de douleur & des anges, auffi de lui : on croyoit ce tableau de Van-Dyck : il eft dans une chapelle de cette églife qui poiTede encore de Crayer Notre-Seigneur attaché a la Croix : ce tableau a un défaut, c'eft d'être trop égal partout. Van-Geef a fait pour cette même églife  24 Le Vota ge u r. une cêne; elle eft très-bien compofée , d'une belle couleur & a un effet trèspiquant; toutes les têtes en font admirables : il eft facheux qu'une adoration des bergers placée dans la chapelle de la Vierge & qui a été peinte par T. VanLoon , ait une couleur lourde & des ombres trop noires : la compofition eft agréable. J'ai encore vu dans cette églife quelqu'autres tableaux qui ne font pas fans mérite; 1'un eft d'Antoine Vanden Neuvele; il repréfente Notre-Seigneur au jardin des Olives; 1'autre du même maitre repréfente Notre-Seigneur mis au tombeau : les têtes en font belles. Ceux de le Plat font gris & froids de couleur. L'églife paroiffiale de Notre Dame ne poffede qu'un tableau de Crayer ; il eft placé fur 1'autel de la chapelle de la Vierge : c'eft une Allbmption : il eft bien compofé : les têtes en font belles, même d'une grande beauté ; ce tableau eft d'un efTet doux, mais la couleur eft foible. Dans une chapelle j'ai vu un très- beau  dans LES PAYS-BaS. 25 beau tableau de Van-Cleef; il eft deffiné avec correétion & fincffe: la couleur en eft belle & tranfparante: il repréfente la Vierge portée fur un croiilant: au bas font Adam & Eve; Adam lui préfente Ja pomme avec cette douleur expreffive du repentir & qui eft ft intérelTante , 4e Pautre cóté font Zacharie , Ste. Anne ^& des anges. Le tableau du maitrc-autei peint par Van-Huüe, repréfente la circoncifion; il eft bien compofé , d'une belle & riche architeéture, mais les têtes font médiocres & les xmibres trop noires, ce qui donne un ton trifte au -tableau :„on voit encore du même maltre la Vierge ceuronnée clans le ciel par les trois perfonnes de la Trinité-j-ce tableau n'eit pas fans mérite. Les payfages qui font a 1'entour & au deflbus des croifés de cette églife en ont auffi : ils ont été peints par P. Hals ; on ne peut .pasporter le même jugement du martyre de Ste. Barbe peint par Bernard : il eft de la plus grande foiblefTe. je füis &c> Tomé V Part ie I. jg  S.6 Ie Voyageuk. LETTRE IV. Gand ce... Juin 1783. Jje ne congois pas plus" que vous, Moniieur , comment le gouvernement des Pays-Bas Autrichiens a pu négliger jufqu'a préfent de donner a leurs habitans une pêche nationale : je fais que le comte de Cobenzl s'en occupoit, lorfque la mort le furprit. Quand 1'empereur vint ici, on lui a remis des mémoires conxernant cette pêche; un homme très.inftruit de 1'académie de Bruxelles en a fourni plufieurs dont je regrette beau■coup ,de n'avoir pu me procurer la lecture. ;Le hazard m'a heureufemcnt fait ;tomber entre les mains celui que je joins aci; il a été donné a S. M. par les magiftrats de Blankenberg : je n'y ai retranché que ce qu'il m'a paru inutile au fond ,de la chofe dont on y traite. La pêche du hareng , Monfieur, .a  dans les Pays-Bas. 27 été la fource des richeffes de la Hollan-de; fans cette pêche, la Hollande n'auroit pas eu cette marine fi longtems formidable qui 1'avoit rendue la dominatricedes mers; cette pêche a été longtems la branche la plus confidérable du commerce desprovinces unies; elle étoit'véritablement pour elles une mine d'or qui les dédommageoit de la privation des richeffes territoriales dont elles manquoient & ne pouvoient avoir. Du tems des Wits, cette pêche faifoit fubfifter 450000 pcrfon-nes& rapportoit a la Hollande 70,000,000, mais cela ne vouloit pas dire qu'elle donnoit cette fomme en pur .bénéfice a ceux qui la faifoient. Wits, en évaluant le produit de la pêche du hareng, la confidéroit en homme d'état, rélativement ■aux moyens de fubfiftance qu'elle repandoit -dans la république & a 1'utilité de Ja matiere qu'elle ajoutoit aux diiférens objets du commerce général de la république. Huet & Jan icon eftiment que de 4eur -tems 5 la république des provinccsB 2  ra8 Xe Voyageur-unies débitoit tous les ans plus de 300000 -tonnes de harengs qui, évaluées a 200 fl•par tonne, rapportoient tous les ans 60 millions de fl. , fur quoi ils eftimoicnt qu'il falloit rabattre 23 millions pour les frais de la pêche & de Fapprêt du poif.fon ; mais les frais payés par les arma-teurs ou par les pêcheurs, tournoient au proffit de tout 1'état, puifqu'ils étoient regus par les fujets de 1'état, a 1'excep>tion d'une pctite partie qui fervoit a payer ce que les armateurs & les pê-chcurs tiroient de 1'étranger pour leur pêche. Le chevalier Raleig a écrit qu'cn 1609, les Hollandois envoycrent fur les •cötes d'Angleterre 3000 batimens qu'ils -y employerent a la pêche du hareng. La •France & TAngleterre font entrées en ^concurrence avec la Hollande pour cette pêche, & la confommation qui s'en fait aujourd'hui eft moins grande que celle qui •s'en faifoit du tems de Raleig, de ma>niere que la France , 1'Angleterre &: la Hollande n'employent pas préfentement  DANS LES PAYS-FAS. 20 a cette pêche plus de 2000 batimensdont mille appartiennent a la Hollande. J'ai vu nombre d'Hollandois n'eftimcr qu'a 2 , 000, 000, de fl., déduótion faite de la mife dehors, le produit de leur pêche actuele du hareng. Je ne veux pas que les Pays-Bas Autrichiens aient 1'ambition d'avoir une pêche du hareng auflï confidérable que celle des Hollandois, mais je fuis perfuadé qu'ils pouroient y cmployer comme la France & 1'Anglcterre 500 batimens qui leur donneroient un bénéfice de 500, 000 fl. d'Hollande qui eft le quart du bénéfice que procure' la pêche Hollandoife a ceux qui la fonr comme eux.- En lifant le mémoire que je vous envoye , Monfleur , vous connoitrez ce> qu'il faudroit faire pour donner aux PaysBas Autrichiens une- pêche nationale plus floriiTante que celle qu'ils font déja , car n'imaginez pas qu'il n'y ait a Oftende & a Nieuport aucun armateur pour la pêche du hareng & de la mo-> B 3-  go Le Voyageuil rue. Le mémöire vous fera connoitre 1'état de leur arraement, mais vous n'y verrez pas que 1'intérêt perfonnel des marchands de poiflbn falé , a mis tout en ufage pour travcrfer 1'accroiflément de la pêche nationale.Ces marchands, commiffionnaires des Hollandois, étoient vivement intéreiTés a ce que la conibmmation du poilTon de leurs commettans ne diminuat pas dans les villes, ce qui ne pouroit manquer d'arriver, fi la pêche d'Oftende & de Nieuport devenoit plus confidérable. L'on m'a alTuré qu'un marchand de poilTon de Bruxelles, vendoit feul tous les ans pour plus de 120, .000 fl. argent courant de Brabant de poiffon falé que lui envoyoient en commiiSon les Hollandois. Dans quelques villes les magiftrats municipaux, trompés par les marchands de poiilbn , feconderent les efforts qu'ils firent pour qu'on préférat la vente des produétions de la pêche IHollandoife a celles de la pêche nationale; les chofes furent pouffées au point qu'il fallut que le  d' ans les Pays-Bas. gr gouvernement ufat d'autorité pour qu'il tut permis de vendre dans les rues deBruxelles le poiffon falé.: les marchands^ de poiffon prétendoient avoir le droit exclufif de le vendre & qu'il falloit qü'il: fut, a fon arrivée dans la ville , vendu ■ en gros au minck , comme le poiffonfrais, avant que d'être vendu en détaildans la ville. Voici , Monfieur, un fait bien plus extraordinaire. Tous les pêcheurs des Pays-Bas Autrichiens tiroient leurs filets de Dunkerque ; la vente de ces filets produifoit aux- Dunkerquois annuellement 60000 1. de France. Un bon patriote s'occupa desmoyens qu'on pouroit employer pour faire refter eet argent dans le pays h- le faire même tourner a 1'avantage de fes concitoyens; il le trouva & a fon inftigation le comte de Cobenzl fit propdfer aux magiftrats de Bruges d'é- ■ tablir dans leur ville une fabrique de filets & d'y employer leurs pauvres dont le nombre montoit a environ iiooo. B 4  32 Le Vota geur Z, ™ fu' bien du tems & des difficultes que Pétabliffement fut for^ mé;* a très-bien tóuffi, au roint que es Dunkerquois viennent aujourd'hui ouvent a Bruges s'approvifionner de fiets les trouvant plus parfaits que ccux qui fe fabnquent a St. Omer. Si la pê che nationale auginentoit dans les PaysBas Autrichiens, ]a confommation des ülets y augmentcroit auffi & lcur fabri que pouroit être un objet d'occupation Pour tous les malheureux qui fom ren. lermes dans les maifons de force. La ma fiere première de cette fabrique., le chanvre qu on tire en partie aujourd'hui du nord, y pouroit être yroduite par les terres numides qui font entre Brugcs'& Blankenberg, fi on trouvoit les movens de mettreces terres a couvert des innon4 atl^f auxc3uel]es elles font préfentement cxpolees. Je fuis, &c.  dans les Pats-Bas. 33; Xves produétions du fol & de la pêche font les deux fources principales de la richeffe des pays qui avoifment la mer: la terre fournit a leurs habitans leur fubfiftance, leurs vêtemens, & a leur induftrie les moyens de 1'employer utilement, non feulement pour eux mêmes, mais encore pour 1'état; ' la mer leur fournit aufli une fubfiftance fi abondante, qu'elle peut fuppléer a celle que la terre refufe, de leur donner , & en même tems un fuperflu qui, vendu a 1'étranger , attire dans le pays 1'argent de 1'étranger. ■ II n'y a pas dans toute 1'Europe de pays oü les terres foient mieux cultivées qu'en Flandre, & pas de pays aufli oü les productions de- la terre foient plus abondantes; aufli eft il fort rare d'y être expofé aux horreurs de la difette. La Flandre fournit tous les ans un tiers de produótions en fus de ce que confomment B5 M é M O I R E.  34 Le Voyageur fes habitans; il n'en eft pas de même de la pêche, elle y eft languilTante & fi loible, qu'a peine peut on dire qu'elle en ait une; elle y étoit cependant floriffame en 1590; on 1'a depuis négligée & elle eft reftee fans appui, fans proteékion, de maniere a youvoir faire croire qu'on la confideroit comme étant de peu d'importance pour 1'état, poUr k prince & pour les fujets, quoique ceux-ci confommallent tous les ans une trés grande quantité tant de poiffons frais que de poifions falés. A différentes fois 1'on a con9U le projet d'étendre la pêche des PaysBas Autrichiens; ce qu'on a fait pour cela n'a produit autre chofe que de faire voir qu'on commencoit a appercevoir les' avantages que le pays en rctireroit; fon état acluel prouve affez qu'il faut lui donder de plus puiffants cncouragemens que ceux qu'on lui a donnés jufqu'a préfent •' elle n employé encore que i22 batimens' favoir Oftende 22, Nieuport 2? & Blankenberg 73; des 22 batimens d'Oftende, 14  dans les Pays-Bas. 3-5-' font a préfent employés C1781_) a faire-, le cabotage fur les cötes d'Angleterre, peut-être qu'a la paix feront-ils rendus a la pêche ; mais quand ils y feroient tous > employés, pouroient-ils fulhre a 1'approvifionnement des marchés du pays, & a ■ plus forte raifon donner un fuperflu qui, envoyé a 1'étrangcr, procureroit au pays un furcroit de numéraire ? II eft inconteftable que la mer du Nord eft-très poiiTonneufe, & que fi 1'on y employoit a la pêche un nombre fuffifant de batimens, non feulement 1'on feroit abondamment pourvu de poiifons, mais qu'on pouroit en vendre a 1'étranger une affez grande quantité pour donner au pays une . nouvelle branche de commerce d'exporta- tion confidérable. Qu'on confidére les Hollandois; toute 1'année leurs marchés font pourvus abondamment de poiffons,& toute 1'année auffi, ils en envoyent une grande quantité- : dans les marchés de la balfe Allemagne,. , de-la France, de 1'Angleterre & fur-touc- B 6  3<5 Le Voyagetju. des Pays-Bas Autrichiens. Rotterdam, Dort , la Brille, Schiedam , Enchuyfen , Schè-.-cling , Maerfluys &c. , employent plus de 6000 batimens a la pêche du poiffon frais & plus de 500 autres a cêile du poiff n qu'ils fatent , tels que le hareng , la mouruc, le faumon &c., des uns comme des autres, ils formcnt une branche de Commerce d'exportation d'un trés grand rapport, puilque Ton prétend que la vente feule qu'ils font du hareng, leur donnent 6 millions de bénéfice. Croirc que la pêche des Pays-Bas Autrichiens poura s'élever au point de fe mcttre de niveau avec la pêche des PaysBas Hollandois, feroit certainemcnt une prétcmion vraiement chimérique; mais fi, a la pêche Flamande, 1'on ne peut raifonnablement efpérer d'employer cbmme la pêche Hollandoife, 6000 batimens , 1'on peut croire qu'il feroit trés poffible que la pêche Flamande prit afTez d'accroiüement pour fournir abondamment aux befoins des habitans des Pays-Bas 9  dans les Pays-Bas. 37 & avoir encore un fupcrflu aflcz coniidérable pour en former uoe branche fioriiïante de commerce d'cxportaüon; fi elle ne peut cfperer d'avuir la préférence fur la pêche Hollandoife dans la balfe Allemagne & en Angleterre, elle 1'obtiendroit facilemcnt dans la partie du nord de la France, & même a Paris. L'on dem andera fans doute pourquoi la pêche Flamande n'employe que le pctit nombre de 122 batimens. Oftende & Nieuport font d'aulïf bons ports pour la pêche que ceux de nos voifins ; a Nieuport & a Oftende les matelots ne font pas rares; le gouvernement y favorife êgalement dans 1'un & dans 1'autre port les armemens qui s'y font pour la pêche ; cependant a Nieuport 1'on n'y employé que vingt - fept batimens & a Oftende huit è tandis qu'a Blankenberg, qui n'a ni port, ni mole, ni balün oü puiffent mouiller les batimens pêcheurs,la pêche a pris de grands accroiffemens fans qu'elle ait recu aucune êfpece d'encouragement; depuis environ  ■38 Le Votagetjx- quarante ans le nombre des batimens qui ys ont été employés, a prefque doublé, qu'en conclure , qu'on a mal appliqué les encouragemcns qu'on a donnés a la pêche nationale , paree qu'ils ne pouvoient produire I effet qu'on s'en propofoit dans les endroits oü on les donnoit & qu'on a trop négligé le feul endroit oü des encouragemens auroient produit le plus grand effet Blankenberg manque de ce qui paroit le plus favorable pour la pêche, un port & un baffin pour y mouiller; ils font a Nieuport & a Oftende & c'eft paree qu'ils n'exiftent pas a Blankenberg que la pêche y a profpéré. Cette propofition paroitra un paradoxe ; mais elle ne le fera que pour ceux qui ne confidéreront que le local & ne jugeront. que d'après lui. II eft'de principe qu'un port ne peut être tout a la fois avec fuccès port marchand & port pêcheur. Londres, Amfterdam, le Havre-de-grace, font marchands; fi 1'on eut voulu en faire des ports pêcheurs, 1'on auroit échoué. Calais, Bou.  dans les Pays-Bas. 39 logne , Diepe , St. Valery en Caux, St. Malo, font une pêche trés confidérable ; elle cefferoit de 1'être, fi 1'on vouloit en faire des ports marchands. Dunkerque a eu une pêche trés abondante jufqu'au traité de Munftcr de 1648; depuis il eft devenu un port marchand & n'a plus de pêche. Si toutes les villes de la Hollande qui ont une pêche & point d'autre commerce que les produdions de cette pêche, devenoiqnt commercantes, leur pêche diminueroit a proportion que le commerce qui fe feroit dans leurs ports augmenteroit. Tout concourt pour faire perdre a un poft fa pêche, quand il devient marchand,; de même que tout fe réunit pour qu'un port marchand n'ait pas de pêche. La vie du matelot pêcheur eft trés dure & trés pénible; il eft continuellement expofé aux plus grands dangers ,^'aux intemperies de l'air, a la fureur des .vagues qui, quand elles ne fubmergent pas, la. foible nacelle qu'il monte, 1'inondent, imbibent d'eau fes. chetifs vêtemens., gatent & corrom-»  4° L E VoYAGEüR pent fes alimens; dcpuis le moment qu'il fort du-port jufqu'a celui oü il y rentre, il nejouit d'aucune efpece de tianquilité & de fécurité. La vie du matelot marchand eft laborieufe, elle eft pénible, mais elle fe paffe fans crainie & lans allarmes. Le. matelot marchand a des momtns de repos , il en a même de plaifir & il a une fubliltance affurée- & faine. II n'eft donc pas étonnant que dans un port, 1'état du matelpt marchand foit préféré a celui du matelot pêcheur, par conféquent que les armemens pour la pêche fe faflént plus diflicilcment dans un port- marchand que dans celui qui ne 1'eft pas. La difficulté qu'ont les armateurs pêcheurs de fe procurer des matelots, quand ils font leurs armemens dans les ports marchands, vient aufli de ce que les armateurs marchands préférant toujours ;lcs matelots pêcheurs' a ceux qui n'ont monté que des navires marchands , ne négligent rien pour fe les" procurer. Cette préférence qu'on donne aux matelots pêcheurs, n'cft pas de caprige J  dans les Pays-Bas. 41 elle eft la fuite de la perfuafion oü font* tous les armateurs que les matelots pêcheurs font meilleurs hommes de mer que les matelots qui n'ont jamais été employésfur les batimens pêcheurs. Le matelot pêcheur eft un homme.intrépide qui, depuis fa naiiTance, s'eft familiarifé avec les perils & dangers, on peut même dire avecla more ; il eft plus fort , plus robulte , fon élément eft Peau; il eft né, pour aiftfi dire dans Peau, il y a cru & dés fa plus tendre enfance, il y a appris a braver la; mort. L'on a tout fait pour Oftende; toutes les attentionsfe font portées vers fon port: Pintérêt du commerce national le demandoit, mais Pintérêt de la pêche nationale n'exigeoit-il pas qu'on négligeat moinsqu'on ne Pa fait Blankenberg ? Pon ne pouvoit efpérer de rendre le port d'Oftende un port pêchcur, puifqu'on vouloit' qu'il fut un port marchand & qu'il étoit même trés important qu'il le fut; & l'on devoit tout attendre pour la pêche, fi Pon  W Le Voy a-geur- eut donné a Blankenberg , fi ce n'eft uir Pcrt , du moins un baiiin , pour y recevoir les batimens pêcheurs; fi on 1'eut fait, l'on auroit donné a la Flandre une pêche qui feroit aujourd'hui trés floriffante ; on auroit affranchi les provinces des Pays-Bas Autrichiens de 1'efpece de dé. pendance oü elles font des pêches étrangeres; on auroit fait refter dans ces provinces une grande quantité de numéraire ; on auroit fait plus, car l'on feroit parvenu a avoir un fuperflu de poiffon qui auroit été vendu a 1'étranger & au. roit par conféquent groffi la maffe du numéraire national. Tous les foins qu'on a pris, tous les efforts même qu'on a faits pour donner une pêche aux ports d'Oftende & de Nieuport, n'ont ricn product, & la pêche, abandonnée a elle même dans Blankenberg , a^fait dss progrès peu confidérabies, il eft vrai, mais qui 1'auroient été „ fi l'on y eut fecondé le zèle & 1'ardeur de fes habitans. Le matelot a Blankenberg eft  ■dans % e s Pats-Bas, 43 attaché par une habitude contraétée de pere en fils a fon état de matelot pêcheur; il le préfére a celui de matelot marchand ; fes mceurs ne font pas corrompues; il aime fa femme, fes enfans, & c'eft pour lui une forte de plaifir que de s'expofer aux plus grands dangers pour afiurer leur fubfiftance. La pofition de Blankenberg, eft pour la pêche aufli favorable que celle d'Oftende & de Nieuport, mais, dira - t - on , Blankenberg ne fait pas comme Oftende & Nieuport la pêche du hareng & de la morue , par conféquent fa pêche n'eft pas aufli importante que celle qui fe fait dans ces deux ports; cela eft vrai; mais la pêche de Blankenberg , telle qu'elle eft aujourd'hui, n'eft elle d'aucune utilité,, & fi elle étoit plus étendue, outre qu'elle fourniroit de poiflbn frais les marchés des provinces Autrichiennes, qui le tirent aujourd'hui en partie de la Hollande , elle en approvifionneroit aufli les marchés des pays voifins; elle feroit donc  44 Le Vo ta g eu e: refter dans le pays 1'argent qu'il envoya. a 1 etrauger & y feroit refluer 1'argent de 1'étranger, Qu'on dónne n Blankenberg un port &. Blankenberg fera comme Oftende & NieuPort la pêche du hareng & de la morue, lans même abandonner la pêche du poiffon frais: feu te de ce port, les barques des pêcheurs de Blankenberg, font obligées de s'échouer fur la grêve oü elles font continuellement battues par les vagues & par conféquent elles font de peu de durée, & la néceffité oü elles font de s'échouer-, obiige a les conftruire fans qmlle, fans tillac, fans réfervoir; conftruites ainfi, peuvent-elles s'éloigner de la cóte de plus de douze lieues ? pendant les mois d'oétobre, novembre , décembre, janvier, février, mars & avril, te poiiTon s'éloigne des cótes de 50 a 60 Üeues, & pendant ces mois parconféquent les barques de Blankenberg, qui ne peuvent s'éloigner de plus de 10 ou 12 lieues des cótes, reftent prefque dans l'inaclion,  dans les Pays-Bas. 45 & ce n'eft que pendant les mois de mai, de juin, de juillet, d'aoüt & de feptembre qu'elles peuvent être employées utilement , paree que c'eft pendant ces mois que le poiffon approche des cótes. La pêche que ks mate.lots font alors, leur eft bien moins utile que ne le feroit celle qu'ils feroient pendant les fept mois d'hiver que le poiffon peut être tranfporté a 1'étranger, fans craindre la corruption. La pêche étrangere eft toute 1'année la même; on la fait avec des batimens a qtfille , tülac , réfervoir ; ces 'batimens peuvent.attaquer le poiffon quand il s'approche des cótes comme quand il s'en éloignc; fi la tempête les affaillie , ils trouvent un azile affuré dans un port; s'ils s'éloignent, ils peuvent le faire fans danger; qu'en arrivé-t-il , que les pêcheurs étrangers font pendant fept mois de 1'année , les pourvoyeurs des marchés •des Pays-Bas Autrichiens dont ils enlevent un numeraire confidérable. Si Blankenberg avoit un port ou balïin oü fes  *6 L E VoYAGETJR. batimens pêcheurs puffent fe retirer, & ■'ils pouvoient pourfuivre le poiffon aufli lom que peuvent le faire avec fureté les batimens pêcheurs étrangers, & fi les -batimens pêcheurs de Blankenberg vouloient le faire, il faudroit par principe d humamté & de politique Ie leur défendre. Ces batimens n'ayant point de tillac, ne doïvent pas s'éloigner des cótes au point de ne pouvoir pas regagner le -rivage, quand ils fe voient menacés de 1'orage; s'ils étoient par un trop grand éloignement dans 1'impoffibilité de le faire , ils s'expoferoient a être au moindre .gros tems fubmergés par les vagues. Qu'on compare la polition des pêcheurs de Blankenberg avec celle des pêcheurs qui ont un port. Les 73 batimens, ou plutot barques que Blankenberg employé ,a fa pêche, occupent fur la grêve de droite & de gauche un terrein affez confidérable pour que les plus éloignés foient a une demi lieue de diftance de Blankenberg : eet éloignement nuit beaucoup  dans les Pays-Bas. 47 & aux pêcheurs & au poiiïön qu'ils ont pris; aux pêcheurs parcequ'il leur faut faire au moins une demie lieue pour aller changer de vêtements qui, quand ils réviennent de la pêche, font d'une humfdité dangereufe dans le repos ; au poiffon , parceque dans les chaleurs de l'été il peut fe corromper facilement, enfin peur te pêche même, parceque le pêcheur a.fouvent befoin de changer fes filets ou de les faire réparer. Le chemin que le pêcheur eft obligé de fuivre eft trés dur, trèspenible, furtout dans les chaleurs, 'fe ;pour faire ce chemin , il ïfa fouvent qu'un tems tréscourt. Quand le rpêcheur revient a fa barque, .accompagné de fa femme & de fes enfans qui font chargés de filets, de ;provifions &c. ce font de nouvelles fatigoes -qu'il faut qu'il effuye , ainfi que tous .ceux qui 1'accompagnent: pour juger de ce qu'elles font, il fuffit de con•fidérer les hommes & les femmes pêcheurs de Blankenberg. Si la femme n'eft agée .que de 25 ans, elle a les traits de la  Le Votagedr phifionomie de 70 ans. Le travail des femmes de ces -pêcheurs, eft on ne peut pas ,plus rude; elles n'ont aucun tems de repos; quand elles ont tranfporté le poiffon de la barque chez elles, elles le préparent pour le vendre, ou elles le font fécher, fi elles ne croient pas en trouver Je débit; enfuite il faut qu'elles racommodent les vêtemens de leur mari, qu'elles prennent foin de leurs enfans, enfin qu'elles reparent les filets qui fe trouvent endommagés. Tout cela doit décourager les pêcheurs, & c'eft aufli en partie la eaufe de ce que la pêche de Blankenberg ne prend pas de grand accroiffement. Ce .qui décourage encore fës pêcheurs , c'eft 1'incertuude de la vente de leur poiffon; le premier qui apporte le fien, le vend, parceque les pourvoyeurs & les courtiers qui ignorent fi la pêche a été bonne ou mauvaife, fe hatent d'acheter, de maniere que le pêcheur qui arrivé le dernier, vend moins chcr, & fouvent ne vend pas. De la différence de la pofition des  dans les Pays-Bas. 49 des barques fur la greve, il nait néceffairement beaucoup de jaloufie entrc les pêcheurs; celui dont la barque occupe fur la grêve la place la moins éloignée de la'ville, eft 1'objet de Penvie dc fes camarades, & ccla eft certainement nuifible a Pintérêt de la pêche. Tout cela n'arrive pas dans les endroits oü les pêcheurs ont un port pour fe retirer ; a leur arrivée ils trouvent fur le port, leurs femmes & leurs enfans qui les attendent ; ils n'ont qu'un pas a faire pour fe rendre chez eux; leur poiffon eft vendu dans leurs batimens mêmes, ou eft facilement tranfporté dans le minck : tout cela n'cxifteroit plus fi l'on conftruifoit a Blankenberg un port & qus les pêcheurs y euffent un baflin oü ils pouroient armer leurs batimens & les y Tamener a leur rétour de la pêche; ils pouroient devenir les rivaux des pêcheurs des autres nations ; ils ne fe ferviroient plus de fimples barques, mais de batimens ayant quille , tillac &réfervoir, corame Tornt V Partic I. C  'L' E V o r A G E U H. font ceux des pêcheurs Hollandois"; au moyen de quoi ils pouroient comme ■ ceux-ci pêcher toute 1'année & s'éloigner de leur port de cinquame, foixante , & même de cent lieues, s'ils croyoient pouvoir le faire avec avantage pour leur pêche, paree qu'ils pouroient alors refter en mer plufieurs joqrs fans craindre ni le mauvais tems ni même la tempête: joignant a ces batimens quelques pinques comme le font les pêcheurs Hollandois , ils feroient aufli comme eux la pêche du hareng .& de la morue : la pêche de ces poiffons fe fait fur les cótes d'Angleterre .& d'Ecofle, dans la Manche & dans la mer du Nord. Blankenberg n'eft pas plus éloigné de ces endroits que ne le font les ports pêcheurs de la Hollande. L'effct de eet accroiffement de la pêche de Blankenberg , feroit d'aifranchir les provinces Autrichiennes des Pays-Bas de 1'efpece de tribut de plufieurs millions., ■qu'elles payent aujourd'hui aux Hollandois pour le poiffon qu'elles en regoi-  dans les Pats-Bas. 51 vent, & de faire entrer dans ces mêmes provinces plufieurs autres millions que leur cnveroit Pétrangcr & principalcment la France pour le poiiTon qui leur feroit fourni par les pêcheurs de Blankenberg dont le port eft moins eloigné de la France que ne le font ceux des Hollandois. Mais il ne faut pas confidérer 1'accroiffement de la pêche de Blankenberg feulement relativement au numeraire; il faut aufli pour juger fainement de tous les avantages que la nation en retireroit, la voir dans tous fes rapports : elle intércffe les habitans des Pays-Bas Autrichiens dont elle allure la fubfiftance dans les tems de difette, & elle intércffe leur marine marchande, paree que Blankenberg ayant une pêche florilTante , feroit une école &, fi l'on peut parlcr ainfi , une pepiniere de matelots. Le pays qui a une pêche abondante, n'a jamais rien a craindre des horreurs de la difette. La mer eft inépuifable, au lieu ape dans les terres les plus fertiles & les Ca .  SP- Le Voyagiür önieux cultivées, il peut arriver que les •recoltes manquent tout a fait. Le pays He plus riche en beftiaux , peut , par quclqu'accidcnt funefte, fe voir privé de -viande, de laitage , & autres alimens ■qui tient de fes beftiaux. Si la 'pêche •etoit moins importante qu'elle 1'cft pour un pays, les Anglois &'les'Hollandois :-auroient-ils fait tant de chofes en fa faveur? Ils ont dans tous les "tems'accoTdé des primes pour encourager les pêcheurs; ils ont armé pour les protéger; ils ont même quelque fois fait la guerre pour confervcr ou pour étendre leur pêche. .Mais pour fe formcr une idéé jufte ,des avantages que les Pays-Pas Autri.chiens retireroient de 1'accroiiTement de la pêche de Blankenberg , il fuffit de voir ce qu'elle produit dans 1'état de foibleffe ou elle eft aujourd'hui ; elle m'employe que 73 barques pendant cinq anois de 1'année , & cependant elle vend lo.us les ans a la France pour plus de  Dl'N S LES PAÏS-BAS. £3 ' 300,000 fl. argént courant de Brabant; fi elle les employoit pendant les 12 mois ■ de 1'année , fon exportation pour la France pouroit être de 900, 000 fl. l'on • peut en tirer la conféquence que fi le nombre des batimens pêcheurs étoit qua- druplé , après la conftruction d'un port a Blankenberg, 1'cxportation de fon poiffon s'eleveroit facilement. a 2, 000,000 > de fl. Nous fommes moralemcnt pcrfuadcs, qu'après cette conftruclion & avant que dix aDS fe foient.. écoulés , l'on comptcroit dans Blankenberg au moins 1000 batimens pêcheurs toujours en ac-> tion. Les 73 barques pêcheurs apportent préfentement a Blankenberg pendant les cinq mois de 1'année qu'elles font employés 30000 panniers de poiffons; elles en rapporteroient Ó6000 , fi elles étoicnt employees toute 1'année & 264000, fi l'on en quadruploit le nombre. Le prix moyen de chaque pannier étant aujourd'hui C 17 81 ) de huit florins, le produit de cette . pêche feroit de C 3  £4 L E Vo Y A G E U R. 112, ooo chaque année dont les deux tiers feroient payés par les marchés de la Flandre , du Brabant & du Hainaut , & un tiers par les marchés de Liïïe, de Valencienne, d'Arras, de Cambrai, de Paris &c.,par conféquent ce "feroit 1,509,750 fl. qui refteroient dans le pays & qui en fortent aujourd'hui pour payer le poiffon qu'ils tirent de 1'étranger; ce feroit aufli 602, 250 fl. qu'il tireroit de la France , lefquels fortent aufli aujourd'hui du pays pour payer a la France ce qu'il tire de fes denrées & marchandifcs. Si ces avantages que les Pays-Bas Autrichiens retireroient de 1'établiffement d'un port pêcheur a Blankenberg, font tels que nous Venons de le dire, les dépenfes qu'il fau. Öroit faire pour la conftruéfion de ce port ne peuvent être un obftacle a ce qu'elles fe faffcnt, d'autant qu'au produit de la pêche qu'on fait aujourd'hui a Blankenberg, dont nous venons de parler, on poura encore ajouter le produit de la pêche du hareng & de la morue que les pêcheurs de Bian-  dans dis Pats-Bas. SS' kenberg ne font pas & qu'ils pouront faire , quand ils auront un port & des batimens avec quille, tillac & réfervoir. Cette pêche vaudra certainemcnt le doublé. .& le tripte de celle du poiffon frais.- Dans les circonftances préfentesO 781) que la Hollande en gucrre avec 1'Angle-terre ne peut faire la pêche du hareng , combien de richeffes cette, même pêche n'auroit-elle pas valu aux Pays-Bas Autrichiens , ft fes pêcheurs euifent pu la faire, ou plutot, fi Blankenberg eut eu un port qui eut donné .a fes pêcheurs les moyens de la faire comme le font les pêcheurs. de Nieuport, qui n'y employent que ij batimens & ceux d'Oftende qui n'y en employent que huit 1 la France tire chaque.année de la Hollande pour un million de harefigs ; nous les lui fournirions-aujourd'hui , & peur-être la France continueroit - elle de s'approvifionner a Blankenberg de cette denréc , fi cette pêche y étoit établie. Nous obferverons encore que la facilité du tranfport donneC 4  5^ Le Voyageur. roit un grand avantage fur celle de la Hollande a Ja pêche de Blankenberg. II eft certain que fon poiffon, au moycn des chauffées qui font depuis Blankenberg jufqu'a Paris , y arrivcroit plus frais que.ne pouroient y arriver ceux de la pêche hollandoifè. Nombre de poiffons tels que la folie , la barbu , la rayc , peuvent être tranfportés fort loin quand ils arrivent vivant a terre & il eft rare qu'on les tire morts a Blankenberg du bateau pêcheur ; les chaffe-marécs qui les y prennent peuvent les tranfpoiter en 24 ou 36 heures au plus tard a Paris: aufli le poiffon qui vient de Blankenberg a-t-il toujours la préférence a la halle du poiffon a Paris, ainfi que dans tous les. marchés des villes de France oü il eft cxporté, fur celui qui vient des ports de la Hollande. Depuis vingt ans les magiftrats de Blankenberg follicitcnt la permiffion de faire conftruire a cöté de leur ville un baffm oü les batimens de leurs pêcheurs puiflent ctre h couvert des coups Je vent  dans les Pays-Bas. 57 & des tempêtes; aucune raifon politique ne peut s'oppofer a 1'obtention de leur .demandé. Les traités qu'a faits la maifon d'Autriche avec la république des -Provinces-unics, ne contiennent ricn qui puiffe empeche la conftruét ion de ce •jbaffin : la difpofition de Partiele 38 du ■traité de .Munftcr.de 1648, ne peut en .aucune maniere s'appliquer a la conjftruóïion d'un port. Aucun nouveau fort aux Pays-Bas, dit eet article, ne fera conjiruit ni d'un coté ni de Vautre ; aujji on ne poura faire aucuns canaiix ou fojfés par lefquels on pouroit repoujfer ou détourner Buii 'ou Vaiive pays. II n'eft pas queftion dans eet article ni de port -ni de baffin oü puiifent mouiller des barques ou des batimens pêcheurs; il n'y ■eft pas même queftion de nouveaux fof-fés, de nouveaux canaux qui détourneroient les eaux pour former un azile , pour établir un abri aux pêcheurs qui teviennent de la pêche. Ce qu'on a fait d'ailleurs dans les Pays-Bas Autrichiens C5  58 Le Votageür depuis le traité de Munfter, fans que Ja république des Provinces-unies s'y i0W oppofée & même s'en foit Plaint prouve que la difpofition de Partiele de ce traite n'eft pas contraire a la conftruction d'un port a Blankenberg. L'on ! Cn. 1666 Pajonge le canal d'Oftende depuis PiaiTcbendaele jufqu'a Slvkens.; en *%&} , l'on a conftruit de nouveaux canaux a travers des villes de Gand & je Bruges; en im un canal depuis Louvain jufqu'a Malines, a été ouvert • Ion a fait aufli cn 1-Ó7 de nouvellcs eclufes a Moerbcke fur Ja frontiere de la Hollande pour facilker Pécoulcmcnc des eaux du Pays de Wacs & la république des Provinces-unies n'en a porté aucune plaintc. La conftrueues en longueur & lrois ]jCUcs J largeur., ta Voilé quelle a été.Porigine de Ja de--  dans les Pays - B a s. 6"o ftruction dc Pécïufe de Blankenberg en & de l'éclufe bleue en 1640 & des fréquentes inondations qui en ont été la fuite depuis plus d'un fiéclc & demi. Mais, dira-c-on , fi l'on privc le canal des eaux du canton du Nord, le canal éprouvera la même difette d'eau qu'il éprouvoit en 1626 ; cela nc peut pas arriver depuis la jonétion qu'on a fait a Gand en 1751 des eaux de PEfcaut avec celles de la Lys qui ont une communication immédiate avec le canal de Gand a Bruges par les éclufes de St. Agnès & par les trois troüées hors de la porte de Gand a Bruges. En fermant les éclufes de la ville de Gand, Pon détoürne le cours des deux rivieres & on les force a fe jetter dans le canal de Bruges d'oü elles tombent dans celui d'Oftende. Pour emportcr le limon que la mer •poura dépofer & en débarafiêr le baffin, le port & le chenal, les eaux fuperflues du canton du Nord fuffiront & ce fuperüu eft trés confidérable pendant toute  70 ^ L E VOYAGEUS. 1'année. Par le moyen de cette évacuatiort, les éclufes du baffin contribueront a en~ trctenirla profondeur nécelfaire tant dans le chenal que dans k baffin , car la pente de ces eaux étant de trente pieds, leur chute eft plus que fuffifante pour faire reuffir cette opération. L'éclufe de décharge pouvant être faite fur vingt quatre pieds d'ouverture divifée en deux & devant même avoir ces vingt quatre pieds d'ouverture, afin que cette éclufe de décharge remplace 1'ancienne qui en avoit trente cinq, fon effet fera de débaraffer les terres des eaux qui 1'inondent & en même tems de nétoyer k baffin &k chenal. L'éclufe de navigation n'a befoin que de vingt fix pieds de largeur pour k paffage des barques de la pêche du poiffon frais & des pinques qui fout employées a la pêche de la morue & du hareng. La ville de Blankenberg ne prétendant point a devenir une ville commercante, il lui fuffit de pouvoir •employer fes barques & fes pinques.  dans les Pays-Bas. 71 Lcsmagiftratsdu franc de Bruges, confukés par les états de Flandre fur la demande des magiftracs de Blankenberg, ont répondu que cette demande méritoit de la part des états la plus grande attention, la plus grande proteclion, paree que le port & le baffin dont les magiftrats de Blankenberg follicitoient la conftruction, étendroient &rendroient floriffantc la pêche nationale, que ce port d'ailleurs mettant le canton mêridional a couvert des inondations, procureroit a la province une plus grande abondance de productions territoriales. Le franc de Bruges a même offert de contribuer pour fa part de 120000 fi. a la conftruction du port ;a Blankenberg. Cette fomme de 12,0000 fl., quelque confidérable qu'elle foit-, ne 1'eft pas en comparaifon de favantage que le pays du franc retireToit de la conftruétion du port a Blankenberg , puifque la conftruction de ce port, mettant le canton du Nord a couvert des inondations, empêcheroit que  72 L E Vo T A G E V K Je Pays ne perdit tous les ans plus "de 900,000 fl. d'ailleurs fi au fieu de conftruire ce port l'on vouloit rétablir une des éclufes qui ent été démolies cn 1626 Jf cn 1640, il cn couteroit au Pays du ïranc de Bruges ou moins 200000 fl. • Sur la réponfe des magiftrats du franc de Bruges, les états de Flandre fe font vivement intéreflës auprès du gouvernement pour qu'il accordat aux magiftrats de Blankenberg leur demande; mais au lieu d'orfrir de contribuer par un fecours d'argent puiflant a la conftruction du port demandé, les eVats fe font contentés de faire des ceffions lux les cifets futurs du projet raj propofé. Tel eft 1'état des chofes. fA) Ce rejfus des états Se Tlandre de contribuer 8 la eonftrufb.on du baffin de Blankenberg a été tonde fur l'incerutüda de ia reciprecité 1 u'aiil-urs & voila rmeorvéi.ient des pays d'état, les députes aux etats des viües ou corps, cotiGderent plus, torqu.il taut aenberer, Pintérêt de leur< com-ectans que celui de la prownce cn généra] , a p'.us forte raifon d'un canton de cette province. Le depute ue Ninove, par exemple, calculèra ce que «s comajettans payeront pour la conftruction du  baffin de Blankenberg & confiderera fort peu fi le canton du nord du franc de Bruges ceflera d'êtte ïnondé, li ce baffin a lieu. Les états" dè Flandre pouroient prêter leur credit a Blankenberg pour que celle-ci put emprunter les 500,000 fl. qui lui font néceffaires pour faire conftruire le baffin qu'elle defire avoir. Cet emprunt, ainfi garanti, fe feroit a 3 pour cent, mais 11 faudroit fixer les différens termes auxquels fe feroit le lembourfement. Pour parvenir ace rembourfement, on pouroit, je crois, impofer fur les terres du canton du nord du franc de Bruges qui fe trouveroient améliorécs, fuivant 1'auteur du mémoire, après la conftruaion du baffin, de 9 fl. par bonnier, ce qui feroit urie augmentation de produit de 900,000 fl. pour les intéréts des 500,000 fl., il faudra 15000 fl. je fuppofe qu'on impofe chaque bonnier de terres améliorées a 3 fl. par an, cet impot donneroit 30000 fl. dont 15000 fl. pour payer les intéréts des 500,000 fl. & 15000 pour faire progreffivement le rembourfement. . Toute la Flandre retireroit certainement un grand avantage de 1'augmentation de la pêche que produiroit la conftruction du baffin de Blankenberg; il ne feroit donc pas jufte que la dépenfe en fut fupportée en entier par le canton du nord du franc de Bruges. Cette confidération devroit donc engager les états de la province a entrer dans 1'emprunt pour une fomme quelconque, pour 100 ou 150000 fl., furtout n'étant pas chargés des intéréts qui, dans le vrai, ne feroient payés que par le canton du nord du franc. Les états de Flandre accordent des primes pour la pêche; cömmerit fe fait-il que ceux de Blankenberg n'aient point de part a cet encouragement? leur pêche eft certainement aufli intérefiante pour la province que celle des ports d'Oftende & de Nieuport. Fin de la première Partie.   LE VOYAGEUR DANS LES PA fS-BAS AUTRICHIENS, o u LETTRES fur 1'état acluel de ces Pays. Felix qui potuit rerum coanofcere caufas! V irgile. T O M E CINQUIEME. Seconde Partie. A AMSTERDAM, chez Changuion , Libraire. On en trouve des Exempiaires chez JE. De Bel, ImprimeurLibraire, a Braxelles. M. DCC. LXXXIII.   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS BAS AUTRICHIENS. L E T T R E V. Gand ce Juin 1783. Il y a ici, IVFonfieur, deux colleges, le college Royal term par des féculiers & celui des Auguftins; dans tous les deux l'on enfeigne les humanités & l'on fuit la nouvelle méthode dont Mr. BrouiTart , profefleur de rhétöfique au... college Royal de cette ville, vient de faire connoitre les avantages dans une petitc brochure imprimée a Bruxellès. M. D 2  70 Le Votasïur Brouffart jouit ici de la plus grande réputation & tous ceux qui m'en ont parlé m'ont affuré qu'il la méritoit a toute forte d'égards; je n'ai pas vu fon ouvrage , mais comme je crois la nouvelle •méthode préférable a 1'ancienne, je fuis perfuadé qu'il ne peut en réfulter que de trés-bonnes réflexions. Le college Royal eft bien compofé; le principal, confidéré icomme cccléfiaftique , mérite une forte ,de vénération & regardé comme favant-, la plus grande eftime; il poffede furtout rfupérieurement le talent "de conduire la \jeunelfe; il eft de Bruxelles & fe nomane M. Van Berghem. On ne comptc (dans le college des Auguftins que 150 (étudians: je ne fais pas combien on en •compte au college Royal, mais l'on m'a suTuré que lors des cxcrcices publics , il ai'y avoit que quelqucs Capucins & queliques Récolets qui y affiftoient. Ici l'on aie fait plus grand cas des langues motnes: 1'étuue des langues vivantcs eft la feule a laquelle les jeunes geus s'appii-  danS' les Pays-Bas. 77 pent: dans le vrai elles font plus néceffaircs a ceux qui s'adonnent au commerce que les langues mortcs. j'ai vifitc* ce matin , Monfieur , les paroifles de St. Michel & de St. Sauvcur & après mon diner j'ai rendu viftte a Péglife des Auguftins; ceilé-ci nc m'a pas arrêté longtems, deux tablèaux de Crayer feuls m'ont véritablement occupé ; 1'un repréfente plufieurs faints & faintc-s; il eft bien compofé-& avec agrément; les têtes font routes belles & bien pcintcs ; 1'autre eft,St. Nicolas Tolcntin qui diftribue dc petits pains benis aux maladcs; tout eft beau dans cc tableau ; la compofition en eft excclente , le deffin de la plus grande corrcêlion , la couleur & Péffet en font admirables; toutes les têtes font parfaitcment belles. Huit tablèaux de N. Roofe qui repéfentent la profanation des boftics , font bons , mais m'ont peu arrêté; je Pai encore moins été par plufieurs payfages de Van-Uden : on les a voulu nettoyer & D 3  7§ Le Voyageur rcpeindre en certains cndroks & on les a gatés. Ma matinée avoit été mieux employés. J'avois vu dans Péglife paroifliale de St. Miehei un Van-Dyck qui eft placé fur 1'auttl de la chapelle de St. Croix ; il repréfente Jefus-Chrift crucifé ; au bas de la croix eft la Vierge, St. Jean & Ja Madelaine , des bourreaux & des foldats a cheval ; un de ceux-ci préfente au Sauveur au bout d'une lance une éponge;dans le'haut du tableau font des anges qui pleurent. Ce tableau eft un des plus beaux qu'ait faits Van-Dyck; il eft de la plus belle facon de faire, trés-correct de deffin; les expreflions font toutes vives, vraies & variées. II y a quelques années qu'un peintre nommé De Meere Pa netoyé: en Pexaminant avec attention de prés, l'on voit que la poitrine du Sauveur a été anciennement repeinte; la couleur en eft lourde; on a aulli repeint le fond du bas; il eft trop noir; le refte du tableau a aulli noird. On a  dans les Pays-Bas. 79 co la maladreffe de faire peindre Pantel en blanc, ce qui fait que ce tableau parok y faire tache: ce tableau a été gra~ vé par Bolfwert. Des deux tableaux de Crayer qui font dans Péglife de St. Michel j, Pun eft bien fupérieur a 1'autre: cciui-ci repréfente la Pentecóte : on y reconnoit le pinceau & 1'efprit de fon auteur ; mais on n'y trouve point ce goüt & cette belle fimplicité & furtout cc grand ordre qui caracterife fa compofition. La trop grande confufton qu'il a mife dans cette Pentecóte 'eft telle qu'on a pcine a diftinguer les plans : il a fait fes figures trop grandes, en général ce tableau manque d'effet: celui-la repréfente Ste. Catherine enlevée au Ciel par des anges; pour faire voir que'la Sainte triomphe de tout ce qui peut fiatter & intéreffer fur la terre & dans' le monde, le peintre a pofé dans le bas de fon tableau des reines, des princes, des favans. Ce tableau eft d'une excellente cómpofuion: il eft fupérieurement defiiD 4  ÖO L E VoTAGETJR. né, d'une belle couleur legere & argentine; toutes les têtes font belles;- elles .ont de la nobleiTe & du caractcre : Ie pinccau aimable y eft fondu, mais fans ceffer d'être facile & ferme. Quatre tableaux de Langen-Jan décorent encore cette églife; celui qui repréfente la Vierge fur un croiffant & dans le Ciel les perfonnes de la Ste. Trinité accompagnées de beaucoup d'anges,& dans le bas Zacbarie & Elifabeth d'un cóté & Adam & Eve de 1'autre, eft un beau tableau pour la couleur: le faire en eft facile. Celui qui repréfente St. Hubert a genoux devant un cerf qui a fur fa tête un Crucifix, ne lui cede en rien. II eft facheux qu'il foit un peu noirci: celui qui eft fur Pantel de la chapelle de la communion , eft compofé d'une grande maniere : la couleur cn eft argentine & tout paroit y être fait avec une facilité étonnante : c'eft une efpece d'emblême. L'ancien teftament y eft repréfenté par Moyfe & Aaron , & le nouveau tefta-  dans les Pays-Bas. 8 i ment par St. Jean, St. Sebaftien & le Pape; celui qui eft dans la chapelle dédiée a St. Ives, repréfente ce Saint; fa figure eft bien deffinee & drapée d'une belle k grande maniere dans ie goüt de Rubens. Un trés beau tableau de cette églife k qui eft compofé avec feu & beaucoup de corrcétion , repréfente St. Charles Borromée & St. Sebaftien ; il eft de Vander Mandel, de même que deux autres grands tableaux qui font dans la chapelle de la Communion; ils font faits avec liberté, mais au deffous de la réputation méritée d'ailleurs de leur auteur , furtout quand on les examine • après avoir vu dans une autre chapelle le martyre de St. Jean peint par ce maitrc; ce tableau eft plein de feu & de génie : Pautel de cette chapelle eft decoré d'un tableau de J. B. Champagne , c'eft St. Gregoire qui approuveTe plan d'une églife qu'il fait conftruire : ce tableau eft froid & noir. Les autres tableaux de Péglife de St. Michel, font notre Seig- D 5  82 Le Voyageur neur avec fes difciples qui appelle h lui Zachée monté fur un arbre; il eft corredt de deffin, affez bien drapé & d'une brcn bonne couleur, fon auteur eft Bernard; un de Floquet eft fi dur , fi mal defiiné , fi médiocre qu'il ne mérite pas la peine d'être confidéré; un d'Antoine Yanden Keuvele" qui a quelque mérite ; un autre du même maitre qui eft encore plus médiocre ; il repréfenfente le martyre de Ste. Agathe; JefusChrift mort par Louis Primo Gentif, eft d'un deffin correct, mais fans finelTe: toutes les têtes font médiocres & manquent d'expreffion; le martyre de St. Adrien par Tbeodore Van-Thulden, eft compofé avec feu & génie, d'une maniere large; les têtes en font belles; en tout il eft bien dans la maniere de Rubens, mais la couleur en eft ün peu foible; enfin des anges qui dél'ivrent des martyrs des mains des bourrcaux: ce tableau a été peint par J. Van-Cicef; ft eft foiblement colorié, mais bien compofé, bien deffiné & bien drapé.  dans les Pays-Bas. §3 La chairc a prêcher de cette églife , n'eft pas fans mérite; elle a été exécutéc par le fculpteur Huydelberg. Aux fonds baptifmaux exécutés- par P. Verbruggen d'Anvers , j'ai remarqué des enfans qui font bien faits. Le maitre autcl qui eft de marbre & compofé cn grand, eft d'une bonne architecture & d'une belle exécution ; il a été fini en 17193 mais il eft déflguré par 1'ange qu'on a placé au millieu & qui foudroye les anges rebelles; cette figure eft fans goüt & fans corrcction ; en général toutes celles qui décorent cet autel , font médiocres. Les richeffes pittorefques de Péglife paroiffiale de St. Sauveur, ne font pas confidérables; cette églife ne poffede pas un tableau capital, celui peint par Bernard & qui eft une defcente de croix, eft d'une affez bonne couleur, mais toutes les têtes font on nc peut plus médiocres. La Vierge , Penfant Jefus & St. Jofcph peints par Mattheus & qu'on a pcfés fur l'épitaphe de Coppenolle , eft noir dans D 6  ^4 Le Voyaoeur. les ombres. La defeente de croix qui décore l'épitaphe de Vander Houte, eft un affez bon tableau peint par Don Antcrio : le repos pendant la fuite en Egypte peint par E. Quellyn le jeune , eft médiocre, noir & lourd dans les om"fcres : la naiifance de notre Seigneur qui eft fur le maitre autel, a été peinte par Vander Mandel; il eft bien compofé, mais d'une médiocre exécution : les meilleurs tableaux de cette églife , font de N. Roofe, fur tout celui qui repréfente la Ste. Trinité il eft d'un beau deffin & de la plus belle couleur; la tcte de Dieu lepere eft trés belle. Douze autres tableaux de ce maitre font au pourtour de la nef & du choeur : les ftgures y font plus fortes que de nature ; les fujets de ces tableauxfont tirés de la vle de Jefus-Chrift; ils ont du mérite, mais pêchent par la cerrection du deffin ; les figures font trop courtes & lourdes & la couleur eft fouvent fauife & triviale. Je fuis, &c,  dans les Pays-Bas. 85 LET T RE VI. a 1'Auteur du Voyageur. Bruxclks ce jfL'in 17%y C^uand vous vous trompez, Monfieur, vous ne rcugkTez pas, lorfqü'on vous en fait appercevqir, de le faire connoitre a vos leéfeurs. II feroit a fouhaiter que tous les auteurs fuiviifent votre exemple, la critique alors feroit vraiement utile, la crainte de déplaire au public, lui feroit bannir de fon ftyle le fiel & 1'amertume : elle éclaireroit fans déplaire & mériteroit même la reconnoiffance de ceux dont elle releveroit les erreurs. J'en ai' commife une dans Pouvragc que j'ai donné au public il y a quelqties mois & qui a pour titre Voyage d'un amateur des arts, a 1'occafion des défrichemens qui fe font dans les environs d'Anvers. Connoiffant ce que vous penfez par ceque yous en  U Le Voyageür. avez dit dans le T. III du voyageur, j'appergus ma méprife, mais il étoit trop tard : mon ouvrage étoit imprimé. La Jettre qu'on m'a adreiiée & que je vous envoye, en vous laiffant la liberté d'en taire tel ufage que vous jugerez a propos, a acheve de me couvaincre que j'avois mal vu & que je m'étois laiffé trop prévcmr par les propos que j'avois entendu tcmr fur ces défrichemens. Je fuis, &c. D. L. R * * *  dans les Pays-Bas. S7 LETTRE VIL a M. D. L. R_*** auteur du Voyagï d'un amateur des arts &c. Bruxelles 3 ce 6 Mai 1783. ï? S2j n parcourant quelques feuiües de votre voyage , Monfieur, Le Hazard m'a fait tomber a la page 54 du ier. vol., ou fc trouve une note fa) touchant le défrichement des bruyéres. Vous me permettrez de vous obfervcr que cette note eft en partie hazardée & je crois que vous ne Tavez inférée dans votre ouvrage que fur le faux préjugé qui regne ( a ) on a tcnté depuis quelques années quel» ques défrichernens ; mais ou ces tentatives font mal dirigées, ou le terrein fe refufe a toute efpece de culture: en général une femblable opération demande les plus grands frais en avance, & ce n'eft g' ères dans un pays de commerce ou da forts capiuliltes fe portent a ces foitcs ,de fpéculatioos.  ^ Lê VoYAGEtlü. dans ce pays-ci fur le défrichement des Bruyéres. Vous ditcs ou ces tent ativ es font mal dirigées .... cela eft en partie vrai y tous les Anvcrfois qui ont fait défricher, 1'ont fait avec perte. Un grand nombre ont dirigé leurs défrichemens eux-mém es fans- intelligence, fans la moindre connoiffance de culture , encore moins de ;défrichement, quoiqu'ordinairement 1'amour propre leur faife croire qu'ils fa vent tout. D'autres en ont donné la direclion a des payfans qui n'en favoient pas plus qu'eux & n'avoient qu'un peu plus de routine pour la culture. II n'en a pas été de même de tous ceux qui ont formc des entreprifes femblables •Nous ofons avancer que nous connoiffons & employons Ié vrai & 1'unique moycn de défrichcr les bruyéres avec avantagc & nos opérations, eu egard aux modiques fonds que nous y avons dépenfés, ont furpaffé nos efpérances. Vous pourfuivez ou le terrein fe refufe i toute ejpece de culture. Que ne pouvez  dans les Pays-Bas. 89 vous vous tranfporter un inftant fur notre terrein, la richefie des produclions en tout genre, fans fecours d'aucun fumier étranger , (car nous n'employons que celui que nous produir nos beftiaux) vous donneroit la preuve évidente du contraire. Le fol de nos bruyéres eft le même que celui de la riche plaine entre Vilvorde & Malines qüe vous citcz page 38 du même vol. Je ne prétends pas cependant que cette plaine immenfe entre Anvers, Breda & Berg-op-Zoom , foit partout égale en bonté; il y a des parties moins bonnes que la nötre, mais aufli il cn eft de meilleurés. Quant aux frais immenfes que vous croyez qu'il faut faire en avance, c'eft encore une erreur; ils nc font pas fi confidérablcs que le préjugé les fait. 100 mille florins fufiifent, en adoptant le vrai plan , pour mettre 1500 arpens en valeur égale a la riche plaine que je viens de vous citer, ce qui ne -fait- point 70 fl. de dépenfes par arpent. Deux arpens font plus que le peti't bon-  9° L E V O Y A G E U K. nier de Bruxelles. La fin de votre note eft totalement vraie, mais j'aurois fouhaité que vous euflïez mis dans ce pays-ci au. lieu de mettre dans tin pays de commerce, car dans ce pays-ci les hommes font fi peu familiarifés avec les arts utiles, fi attachés T leurs préjugés, par conféquent fi peu a même de juger des fpéculations i nouvelles qui s'écartent de leur routine ' ou de leurs opérations ordinaires, qu'ils; ne font point cn état d'apprécier des fpéculations beaucoup plus avantagenfes. En Angleterre de femblables entreprifes ; ne refteroient jamais imparfaites. Je ferois au défefpoir, Monfieur, fi cette obfervation vous faifoit la moindre peine; ce n'eft pas mon intention. J'ai fimplement voulu vous donner une legere efquiife du préjugé national dont peutêtre vous vous étcs laiflé prévenir. J'ai 1'honneur d'être, &c. Delheid avocat au confeil fouverain de Brabant.  dans les Pays-Bas. 91 L E T T-R E VIII. a 1'Auteur du Voyageur. Bntxelks ce... Juin 1783. Il n'eft pas poffible, Monfieur, que ce foit fcrieufement que vous aiez dit dans une de vos lettres qu'il feroit trés utile aux Pays-Bas Autrichiens qu'ils cuffent plus de luxe qu'ils n'en ont. Le luxe pouroit être utile a leur commerce; mais il nuiroit a leur population, mais il corromproit leurs mceurs & fans les mceurs il r,e peut y avoir de population. Les ambaffadcurs efpagnols qui vinrent a la Haye en 1608 , pour négocier avec les Hollandois, rencontrerentfur leur chemin dix perfonnes qui, s'étant aiSfes fur 1'herbe, firent un repas de pain, de fromage &' de bierre. Qui font ces voyageurs, demandercnt les Efpagnols a un payfan qui paiïoit? Ce font répondit le payfan 5  32 Le Vo ya g e u-r ks dépuUs des états ,, nos fouverams feigneurs & maitres : voila des gens, s'écrierent alors les ambaffadeurs■, qu'on ne pourra jamais vajncre & avec lefquels il faut faire lapaix. Les Hollandois 'b'avoient alors ni commerce. ni arts; le foin de conferver la liberté qu'ils s'étoicnt procurée a eux-mêmcs, les occupoit tout enticr: Devenus commercans , ils font devenus riches'; la poffeffion de la richeife leur a donné le go'üt du luxe. Le luxe corrompt tout, dit le philofophe de Gene ve, & k riche qui en jouit & le miférable qui le convoite : il n'eft pas de corps politique dont il n'entraine la mine. A mefure que le luxe s'êtablit dans une république , dit Montefquieu , Pefprit fe tourne vers Pintérêt particulier.' A des gens d qui il ne faut rien que le nécejffüre, il ne refte d dcfirer que la gbire de la .patrie & la leur propre ; & voila précifement ce qui eft arrivé a la Hollande ; elle n'étoit redoutable en 1608 a 1'Efpagne , qui 1'étoit elle-même a toutes  dans les Pats-Bas. 93 les autres puiffances de TEurope , que paree qu'il n'étoit pas alors un Hollandois qui n'eut facrifié fa vie pour fon pays. Mais depuis que 1'égoïfme , qui nait toujours du luxe , s'eft introduit parmi eux, les plus rich.es, c'eft a dire ceux qui gouvefnent, font fans zelc & fans chaleur pour tout ce qui intérefle la patrie. Un monarque fous le nom de Stadhouder les tieht dans fa dépendance, & la partie de leur or qu'ils ont confiée aux Anglois les a fouvent rendus les victimes oe leurs alliances avec eux. Je n'examine pas la Jégitimité des droits de nos provinces lorfqu'elles prirent les armes pour les foutenir eontre les entreprifes de Philippes IJ , leur fouverain, mais je ifoTjüens que fi les habitans de nos provinces cuifent alors connus les fantaifies & qu'ils fe fuffent livrés a toutes les 'frivolités du luxe, leurs ames n'cuffent pas eu cette farce & cette énergie qui lesa fait réfifter a tous les efforts du plus puifl'ant monarque qu'il y eut alors  94 Le Voyageur. en Europe. Le luxe, lorfqu'il a gagné le Peuple, caufe neceffairement fa corruprion. Le plus grand malheur, Monlieur, qui puiife arriver a une nation, c'eft que les befoins fa&ices foient pour la derniere claffe des citoyens en aufli grand nombre que fes befoins réels; alors Pinduitrie la plus laborieufe, le travail le plus opiniatre ne peuvent fuffire & fatisfaire les uns & les autres, & il faut que Partifan y fupplée ou par une infidelité dans fon travail oü par quelqu'autres reflburces plus condamnables encore ; il vend fa fille a 1'homme riche auqucl elle plait; fouvent la livre-t-il au grand feigneur dont il brigue ia protection. Le^luxe commence dans une nation par ceux qui la gouvernent , paffe enfuite chez ceux qui y tiennent un rang diftingué par leur naiffance ou par leurs emplois; il fe communiqué enfuite aux gens richcs & ne s'arrête que quand il a infeflé Ja claffe des citoyens les plus pauvres. Si le luxe, Monfieur } devenoit dans  dans les Pats-Bas. 95 ïios provinces plus grand qu'il n'y eft, il y feroit, comme en France , deftruéfeur de la fortune des particuliers, paree qu'il y feroit un luxe d'émulation auquel cederoient tous les principes moraux & politiqucs. Permettez moi , Monfieur, de vous faire part de ma facon de penfer fur le luxe & furtout fur celui de la nation ifancoife. Je définis le luxe comme Melon, une fomptuofité extraordinaire que donnent les richejjès & la fécurité du gouvernement; c'ejl une fuite néceffaire de toute fociété policée. 'Cenfidéré fous ce point de vue, il a été critiqué par bien des politiques ,& loué par beaucoup d'autrcs. On peut dire du luxe cc que Boffuet difoit a Louis XIV des fpeélacles; il y a de grands exemples pour & de fortes rai/bns contre. d'Ailleurs le luxe tient par toutes fes branches aux plaifirs des fens , aux illufions de 1'imagination, queiquefois même aux defirs du cceur, toujours a la vanité & 4  pó" Le Voyageüh, 1'orgueil: que de foutiens pour le rendre invulnérable aux attaques de la philofophie, de la morale & de la politique! Tant qu'il n'eft qu'innoccnt , c'eft a dire , lorfqu'il ne rend pas vicieux, il n'eft pas, je crois dangereux; mais il le devient toutes les ibis qu'il empeche ceux qui s'y livrent d'être bons peres, bons maitres, bons amis, bons citoyens.. La vertu n'eft que 1'cxercice couftant de tous les devoirs de 1'liumanité & de la fociélé. D'après cela, ne pouroit-on pas décider en morale & c*n politique la grande queftion du luxe; cn difant qu'il eft toujours avamageux aux peuplcs qu'il nerend pas vicieux & toujours pernicieux a ceux qu'il empêcbe d'être vertucux. Dans les petits états tcls que le notre, le luxe eft plus nuifible que dans les grands ; il 1'eft moins aux monarcliics qu'aux républiques : Genève & les SuiiTes Font banni; la Suede le prufcrit. Les loix. fomptuaires ont tres bien. réufli aux fué.dois ; il feroit ridicule & d'une bien mauvaife  I dans les Pats-Bas. 97' mauvaife politique de vouloir en faire aujourd'hui de* nouvelles. La culture des terres, la fabrique des étoflès utiles aux habitans, & la défenfe du pays, voila oü doivent fe porter toutes les vues des legülateurs d'un pêü'plé aulli peu nombreux que les fuédois; car on ne peut pas hief que te luxe ne foit un malheur pour une nation dont le territoire eft ft fort réfferré que les befoins de fes habitans dèviennent plus grands que leur fortune au point de leur rendre le fuperflu aulli intëreflant que le néceffaire. Si leur induftric leur donne les moyens de fuffire a 1'un & a 1'autre, il cn refulte toujours la perte de leurs mceurs & tot ou tard la ruine de 1'état. Que Gencve introduife dans fes mceurs la frivolité & la délicatefie du luxe, elle quittera bientöt la rigidité de fes mceurs; elle perdrax fa vertu & fa force qui ne font autres que 1'union 'de tous ceux qui Phabitent, leur refpeét pour les loix & Famour de Fordre & du travail. Chaque Tom. V. Partie II. E  '9$ L E V O Y A G E U B. particulier aura alors plus de befoins a 'fatisfairc & moins de moycns de les ■contenter. L'Angletcrre & la France ne peuvent pas être confidérées de même. Ces pays font riches, peuplés & étendus; ils font perpetuellement cn rivalité de commerce; ils ont des bras pour -cultiver leurs terres, travailler .leurs manufaclures & défendre leurs fronticres : ces nations font un centre oü tous les autres pcuplcs de 1'Europe .apportent leurs ricbefles. La France les attire par la douceur de fon climat & les agrémens de fa fociété; 1'Angleterre par la conftitution de fon gouvernement & la grandeur de fa fortune, On veut voir les frangois & vivre svec eux; on veut connoitr-les anglois .& commercer avec eux ; il faut donc chez ees peuples qu'une émulation continuelle excitéepar le luxe, empêche que 1'oifiveté & la paTcffe ne s'emparent d'eux : s'il n'y avoit pas de luxe en Angléterre, il y suroit moins de commerce intérieur; s'il  dans LES Païs^BaS. 9ry 'ö'y avoit pas de luxe en France, il y auroit moins de commerce extérieur. C'eft le commerce intérieur des anglois qui augmente leur force, en mukipliant leurs richeffes par la circulation aeïive de leur argent ; c'eft le commerce exté-' ricur des fran?ois qui foutient leur puiffance, en rendant tous leurs voifins leurs tributaires. L'appas du gain attire 1'étranger a Londres ; la liberté nationale 1'y fixe; leplaifir 1'attire a Paris & 1'aifance de la fociété 1'y attaché. Le luxe en France déguife a fes habitans leurs maux; le luxe des anglois les diftrait de cette inquietude naturelle, fuite néceffaire de la conftitution de leur gouvernement. Si le luxe les occupoit moms, ils craindroient plus pour le ir libcrte : Pénvie d'augmenter leur iortune que ks befoins du luxe accroiffent tous les jours , eft un reÜört puiffant qui donne plus de force a tous les autres & la machine de leur gouvernement marche :avcc plus de facilké. E 2  xoo Le Voyageur. II eft de principe que le luxe eft toujours en proportion de ■ la grandeur des villes & du nombre de fes habitans. Londres a environ huit a ncuf eens mille habitans; on en compte a Paris douze eens mille & plus de quinze cent mille avec fa banlieue; le luxe de Londres doit donc être préfumé a peu prés auffi grand que celui de Paris. Le luxe fuit toujours les richeffes des uations; il eft relatif a 1'incgalité des fortunes ; il eft . en rapport de la fociété. La France eft plus riche que 1'Angleterre, mais les fortunes des anglois font plus foiides que celles des fran$ois; elles font plus graduées a Londres qu'a Paris; ici il y a plus de malheureux, la il y a moins de grandes fortunes; c'eft que les objets des gains font plus a la portée de tous citoyens a Londres qu'ils ne le font a Paris. La fociété en France eft plus générale qu'en Angieterre ; ie luxe des franyois doit donc être_ plus brillant, plus frivo-  DANS LES P]ATS-BAS. ICI jl le , plus remarc|uable , plus agréabie que i celui des anglois qui, étant plus con. centré, eft plus frappant, plus éconnant & plus folide : il eft plus orgueilleux que vain; en France il eft plus vain - qu'orgueilleux. Lc luxe de 1'anglais a pour principe Pamour de la célébrité; Penvie ' de plaire eft le principe de celui du francois; il eft tout de recherche & de délicateffe; celui de Panglois eft- tout d'oftentation. C'eft un- aflemblage de chofes rares & bifares , une magnificence fans goüt, un mélange confus d'or & d'argent employé fans art & melé au hazard avec 1'éclat des pierredes qui font fans effet. L'ouvrage du Correge fe trouve a cöté de celui de PAlbane : il n'y a pas la moindre commodité dans les appartemens; ce font de grandes picces vaftes & ifolées ; des ornemens antiques & modernes mólés cnfemble les décorent • un bufte grec eft entouré de petits magots de la Chine , de riches tapifferies font accompagnées de meubles oü la ro-  102 Le Voyageur fe & le jafmin font femés; de grands. parcs agreftement décorés, d'une étendue énorme, plantés fans ordre , ornés fans projets, toujours remplis d'ouvrages oü la nature imitéc , eft defigurée par des formes qui lui font étrangercs : tout cela étonne fans plaire, paree qu'on y voit plus de caprice que de goüt,&plus de grandeur que qe choix. L'Europe , Monficur , fe dépcuplo; il eft, je crois, prouvé que Ja population de cette belle partie du monde, n'eft plus ce qu'elle étoit il y a un ficcle : la nature cependant n'a point changé , elle eft aujourd'hui ce qu'elle étoit alors. La durée de la vie des hommes eft approchant ,1a même, & quoique les palfions de nos ancêtrcs exercent fur nous le même empire qu'elles exercoient fur eux, peutêtre avec moins de force , du moins il eft certains excès auxquels nos peres fe livroient qui parmi nous font prefqu'inconnus; car il eft de principe, & 1'expérience le prouve , que plus les hommes ra-  üans les Pays-Bas. 103" finent fur le plaifir , moins ils fe livrent aux grands excès, par la raifon que rien: nc dctruit plus le véritable. plaifir que: de parcils exces.. D'ailleurs nos peres n'avoientpas au^tant de moyens que nous d'aider la nature affoiblie par la maladie. L'art de la chirurgie., la fcience de la médecine ne leur. ofTroient que de:-foib!es fecours ; les gucfres duroient longtems & elles étoient beaucoup plus meurtricres qu'elles nc le font preTentement : la furcur des duels moiffonnoit.dans leur printems un nombre infini de citoyens; des émi'gfations- fréquentes otoient a PEurope fes~ plus ütilcs habitans; les cloitres enfevelfffoiént tous les ans fa plus floriffante jeunciTc'; aujourd'hui les cloitres font déPerts & tous les. principes de dépopulation qui fubfiftoient il y a un demi fiecle, fe font affoiblis, quelques-uns mê'me ne fubfiftent plus. Un feul les a tous remplaccs; c'eft le luxe qui, cn changeant de nature, eft devenu le fléau E 4,  104 Le Vota geur. le plus redoutable de la population de 1'Europe, principalemcnt pour celle de France & d'Angletcrre : il a fi fort dégradé la race de leurs habitans, qu'on feroit prefque tenté de douter que ce foit la même qui 1'habitoit autrcfois. Le peuple même, furtout cn France, n'a pu fe défendre de la contagion. Le luxe a commencé par corrompre le riche; le riche a corrompu le pauvre en lui faifant connoitre les befoins du luxe, & ces befoins qu'il n'a pu faüsfaire qu'aux dépens dej'honneur, & de la vertui'ont aifervi au libertinage du riche. Les pays ou il y a le moins de luxe, font ceux qui font les plus peuplés; fi le luxe des anglois s'intróduifoit en Allcmagne, fi cn Angleterre, il étoit de même nature que celui de France, il cauferoit chez les allemands & chez les anglois les memes maux qu'il caufe cn France. Cette propofition vous paroitra fans doute contradictoire avec ce que je vous ai dit précédemment de votre luxe,  d\a n s les Pats-Bas. 105 elle nc Pcft ccpendant pas. Je n'ai parlé de fon effet que relativement au commerce des deux pays, & non a leur population. II en eft du luxe des anglois comme de celui qui regnoit parmi vous dü tems de Louis'XIV; 'c'eft un'luxe de magnificence qui n'affeéte qu'un petit nombre de citoyens,'au lieu que celui qui s'eft introduit "parmi vous depuis le fiftême , a infedé tous les ordres de la nation : a dire le vrai, il n'y avoit que la cour qui , fous Louis XIV , donnat dans les excès du luxe &' ces excès par leur nature' fervoient plus qu'ils ne nuifoient a 1'état. Tout étoit -grand chez ce prince , & tout Pétoit aufli chez les grands feigneurs; les fetes qui fe donnoient a la cour, avoient un air de grandeur ; elles étoient d'ünc fi grande magnificence , qu'il falloit néceffairement pour y .être admis, en avoir le drc'it, & par la naifiance & par le rang. La richeffe des habits répondoit a Ja majefté du lieu, & a proprement parler, ce n'étoit que E5  io6 Le Voyageur. lors qu'ils entouroicnt leur roi, que les grands de la nation paroiffoient av ir du fafte : chez eux il confiftoit a partager leur fuperflu avec de pauvres gentilshommes donc les enfans leur iervoient de pages, & dont ils fe regardoient tellement comme les peres, qu'ils fe croyoient obligés de pourvoir a leur fubfiftance, ou tout au moins a leur avancement : une valtaille infolente & nombreufe ne rempliffoit pas leurs anti-chambres, & comme leurs valets n'étoient pas les confidens de leurs débaucbes, ou les miniftres de leurs intrigues galantes, ils ne leur foutfroient pas ces airs infolens que la farailiarité de leurs maitres leur a donnés depuis. Le luxe de France , dit-on , ne confomme pas; il eft tout de délicateffe, & c'eft précifément cette délicateffe & ce rafinement exceffif des plaifirs qui le rendent fi nuifibles a votre corps politique. Un des plus pemicieux effets du luxe, dit de la Beaumelk:, c'eft d'avoir multi-  dans les Pats-Bas. 107 plié les canfes qui troublent la propagation de Vefpeee hümaine en multipliant les objets de plaifir & de diftipation. L'on entre riche dans le monde , on y devient frivole en confumant fa jeunejfe & fon bien dans des plaifirs qui font f image du mariage & qui ne remplifiènt pas fa fin ; on fe mar ie ufé & on meurt i nu tile. ■ L'amour n'eft i pas toujours nécejfaire pour former d'heureux mariages, a dit 1c philofophc de Genêve ; Vhonneteté, ld vertu , de certaines convenances , moins de condition & d'dge que de caraclere & d''humeur , fuffifent entre deux époux, ce qui n'empèche pas qu'il ne réfulte de cette union un aitachement trés tendre, qui} pour n'être pas précifement de Pamour, n'en eft pas moins doux & n'en eft que durable. II n'eft pas impoffible qu'il y ait encore aujourd'hui en France de telles unions, mais elles doivent être trèsrares, vu 1'efpece de fon luxe. II eit prèfqu'impoffible qu'il ne donne du moins 1'apparence de coquettcrie aux femmes E 6  <ïoS Le Voyagetjr qu'il ne corrompt pas tout a fait; car s'il eft de la nature de la femme de vouloir touiours plaire, elle dok avoir de continuels defïrs de poffeder tout ce qui peut donner de 1'éclat a fes attraits, & dèllors toutes les frivolités' de la mode, toutes les lüperfluités du luxe font pour elle de première néceffité. Si la raifon ou la fortune de fon mari s'oppofe a ce qu'elle les a;t , elle lui en fait un crime qui le lui rend odieux & dont fouvent elle fe venge , en fe couvrant elle-même de honte & de déshonneur ; le mari qui le fait le tolere & fouvent 1'autorife; il en eft même qui, quelquefois, cn retke avantage , & c'eft le comble de 1'infamie de voir des bourgeois mêmes fe faire une reffource, pour foutenir leur luxe, des attrais de leurs femmes, plus encore de ceux de leurs filles. . il ne faut pas dire que le luxe eft tombé en France , mais plutót qvW a changé de nature: tel qu'il eft aujourd'hui, je le foutiens plus nuifible a fon ccrps  dans', les Pats-Bas. r'üfjs politique que celui dont il a pris la place r les habits y font moins riches, mais leur ftmpiicité eft ruincufe, & la dépcnfe de la garde robe d'une femme & d'un homme eft aujourd'hui plus forte qu'elle ne ?étoit autrefois'. Ce n'eft plus ni Por ni 1'argent qui brille dans- les étolfes, c'eft 1'élégance & funout la fraicheur qu'on y recherche : on veut dans 1'hiver même être couvert des fleurs du printems. Toutes les . autres dépenfes qu'occafionne le luxe actuel, font du même genre; on n'a plus de grands appartemens , mais • on veut plus de pieces, & que toutes les commodités poülbles s'y trouvent reünies : celui du mari & de la femme occupent tout autant de terrain qu'on en auroit autrefois employé a loger deux ou trois families nombreufes; de facon que ce que vos peres dépenfoient pour fe loger,.' n'étoir pas le quart de ce que vous coutent -vos logemens. On fert fur vos tables moins de plats, mais ils font tousdélicats, & le vb yre depuis dix ans eft d'un tiers plus .cbir-  110 Le VotAGEUS. Si la dépenfe qu'occafionne le nouveau luxe eft plus grande que celle de Panden, il faut pour y fuffire que ceux qui s'y livrent ayent néceflairement recours a des emprunts forcés & ufuraires, ou a 1'aliénation de leurs fonds : leurs revenus diminuent toqs les jours & leurs befoins vont toujours en augmentant: ces befoins plus preffans que ceux mêmes de la nature , leur font aufli préférés ; on ne chcrche aucun moyen pour fatisfaire ceuxci, & on met tout en ceuvre pour contenter ceux-la, Les devoirs du citoyen devienncnt indiflerens , paree qu'on eft tout aux foins d'un joli jardin qu'on fait décorer & d'une agréable maifon qu'on fait deffiner. Le mari paffe des jours entiers avec fon brodeur, fon marchard de porcclaine & n'a jamais un moment k donner a fon intendant: il connoit tous les brocanteurs de Paris, a peine fait-il le nom du gouverneur de fon fils. La femme, entourée de fes marchandes de modes, n'a pas un moment a elle, elle  dans les Pays-Bas. iiï ne parle a fa fillc que pour lui apprendre fair de fe mettre avec goüc, de fe tenir avec grace; elle n'eft pas encore tout a fait corrompuc , fi elle ne lui enfeigne pas Tart de féduire & de tromper. Jugez, Monüeur fi, d'après ces obfervations , nous devous defirer dans les Pays-Bas Autrichiens que le luxe y devienne plus grand. Je fuis, &c.  na Le Vota geur. L E T T R E IX. " Gand ce.... Juin 1783.V C>e n'eft pas , Monfïeur , d'après -les ouvrages de pure imagination, qu'on peutjuger du caradere d'un auteur : rien n'étoit moins tendre que Mad. De Tenfm; elle a ccpendant fait le comte de Comminges & les malheurs de 1'amour qui font pleins de fentimcns : je n'ai point connu d'homme moins philofophe que GreiTet & fes ouvrages ont le cachet de la pbilofophie. II. eft rare que les poétes fe pcignent dans'leurs ouvrages ; ils font makrifés par leur imagination. Racine étoit mechant & Boileau un tres bon homme : c'tft d'après les ouvrages en profe d'un écrivain qu'on peut juger de fon cceur. La ledure que je viens de faire de deux petits vol. du princc de Ligne qu'on a imprimcs dans fon hótel & qu/on m'a envoyés ici, me  dans les Pays-Bas. ns confirme dans 1'idéc que je me fuis formée de la fenfibilité de fon ame & de la bonté de fon cceur; dans fa poélie il eft aimable, dans fa profe il eft intéreffant: •dans 1'une comme dans Fautre, il y a •de 1'efprit & du gout : fa profe occupe & force a penfer; elle intércffe le cceur ; fa poéfie amufe &c plait a Tefprit. Ces deux vol. font un mélange de df£férens petits ouvrages; on y trouve de Ja philofopbie , des raifonnémens fuivis & bien devéloppés, beaucoup de goüt9 unc imagination fage guidée par la raifon, de férudition même, mais fans pédantifme. Je n'analifcrai point tous les morceaux que contiennent ces deux petits vol. , je me contenterai de vous en citer quelques paifages. Dans le difcours fur la profcffion des armes, Torateur dit, faifons, bien, nous trouverons en nous une récompenfe inté ricure du bien que nous ferons. Le plaifir de bien faire efi pour les grandes ames mie fource de délices. qu'il n'appartient  "■4 Le ToïAGEUi qu'a eiïes de connoïtre ; jaloafes cependairtde leur réputation, elles font-fenfibles d Vidée du public , & fans? s'en rendre efclavcs au point de tui facrifier la vertu , clks recoivent-avec plaifir fes louanges: les guerriers fur lefquels te monde entier a les yeuxfont plus- dans le cas d'en recevoir que les autres; une marche en bon -ordre, un camp avantdgeux , une bataille gagnée , une place d'importancc cmportce, une attaque valeureufe de rctranchemens, une retraite fdvante ; tout cela leur en proeure de la part des contemporains qui, inftruits de leurs belles opérations par leurs yeux ou par ceux des autres, s'emprejfent de leur accorder le tribut qu'ils méritent. Je dis plus : d la guerre point d^aBion indifférente , point d'aaion qui ne leur en attire, même les plus petites. Venlevemcnt d'un - convoi \ un fourage bien conduit, une embufcadt bien drejfée , une efcarmouche qui a réuffi, la prife de quelques prifonniers volent de houche en bouche 3 & le récit de ces ao~  D-an--s les' Pays-Bas. i i'5" tions ne fe fait jamais fans que ceux qui s'y font diftingués ne recoivent le prix qiti leur efl diL N'entendez vous pas le cri général d'une armee eiitiere? la voix de tout le pcuple qui en eft inftruit? on entoure le jeune héros ,. on le porte en triomphe, on le jette entre les . bras d'un perg. qui , baïgné de pleurs, le laijje, en fourïant, pafter dans ceux que la jeuncjjl P la beauté, l'amour s'empreftent. de pafter atttour de fon cou. Le citoyen applaudit, la vieillejfe fe traine pour tac/ier de voir ou d'entendre, Le beau fexe eft fous les 'armer & la jeune familie du fouverain aux fenêtres de fon palais ; quel triomphe encore que le mauvais vifage d'un jaloux ! le compliment fcrcé d'un miniftre , les larmes d'un compctiteur jufte & généreux , mais plein de regrcts. Quand le. prince de Ligne a compofé ce difcours,il n'avoit que 15 ans; s'il Teut écrit plus tard, on y trouvcroit peut-être moins de. flcurs de rhétorique-.. Dans un dialogue des morts,. peut - être  n6 Le Voyageur. un pen trop long , le prince de Ligne a introduit Henri IV & Louis XIV paree que tous deux ont été honoré du titre de Grand ; il fUpp0fc que Minos , jirge de Vautre monde , & aujjï ignorant que s'il étoit juge dans celui-ci, a rangé par claffe tous les habitans de fon empire & qu'il en a fait une de tous ceux qui portoient Ie nom de Grand. Ce que difent Henri IV & Louis XIV, prouve combien peu celui-ci méritoit le' nom de Grand en comparaifon de celui-la. Louis XIV dit qu'il a cu des maitres cn tout genre & du plus grand.mérite. Henri. Des maitres! moi, je n'en ai eu qu'unLouis. Quel étoit-il ? Henri. ■ L'adverfité. Vous 1'avez eu , mais il étoit trop tard ; il ne vous a pas corrigé, & vous a rendu ridicule, au licu de vousrendre intéreffant.  bahs les Pays-Bas. U7 Louis. Les Graces avoicnt préfidé a ma uaiffance ; tous les lieux s'cmbeÜiffoient a mon approche , chaque pas que je faifois étoit une tête: je brillai dans tous mes exercices. Henri. Mes pas a moi, dans les montagnes de mon pays , étoient d'une autre efpcce , mais je m'y endurciiTois au travail, & J'avois dïuyé bien des moufquetades a 1'age oü vous daniicz la courante & l'almable vainqueur. Ce n'eft pas pour me vanter au moins ce que je vous dis. Mais je ne fuis pas gafcon pour rien. Dans Poraifoo funèbre des guerriers^de fon tems, il y a nombre de paiïages qu'on ne peut lire fans être vivement afïeóté. L'orateur dit qu'en écrivant il a verfé des larmes. Je ne fuis pas trop tourné d la douleur ; cependant , fi vis me fiere , dolendum primum ipfe tibi. Eh bien! je Vai fende en écrivant. Le prince de Ligne ne fe contente pas de payer aux officiers morts a la guerre un tribut d'éloge, il  11 S Le V O VA GEUR «q*id des fleurs même fur la tombe des itmples foldats. Tranjportons , dit-il, notre tfprit a de nouveaux objets. Le defaut de fenjibilué f W l'f$nité irnpardonnablc d jamaisJropde fenfibiliU eji une foiblejjè. Confolons l humanitépar ce qui lui fait honheur jans tant nous aitendrir fur fon fort quel nom donner a la confance de ce ore', nadier hongrois qui, étendu dabord fhr le carreau d la batatllc de Prague d'J coup monaaune cnifê , troure d cöté de lui feq»«ftéde cartouches, ' ramajfe fon ff, cjjaie fes forces & fur ce qui lui rtjhu encore de ce dont il avoit befoin pmr fe foutcmr même fur un cöté, ne fut de les tircr que , lorfque n'en Pou* ara plus, il tombe baigné dans fon fang - . . . Une compagnie entiere du régiment de mon perc donna fon pain & tous fes kreutzers i une viciUe femme prête de mounr de faim. Le cceur a plus de part que l efprit a ce difcours & c'eft pour cela que je 1'ai lu deux ibis.  tta ns les Pays -Bas. 119 . Ce vol. finit par une fable en profe , 'lm fermon aux foldats de Los-Rios & des lettres a Mr. De la Harpe. Dans une des lettres eft un parallèle bien fait de Henri IV & de Céfar. Le fecond vol. commence par des lettres a M. Schöfflin , fur Céfar : l'on y voit que ce grand-homme eft le héros du prince de Ligne : Vous aimez Céfar, qui eft tout ce que faime. Ces lettres font connoitre parfaitement Céfar ; elles font femées de traits d'erudition qui intcreffent autant que ceux qui fe trouvent dans la plupart des erudites ennuicnt. Le prince de Ligne n'aime pas les favans qui ne font que ftivans ; J'ai peu de confidérations s ■ dit-il „ pour ces Mefjieurs , paree qu'il me [femble qu'il n'y a qu'd s'enfermcr chez foi \pour le devenir. Je ne connois perfbnne qui ].ne fut parfaitement une chofe dont il s'octcuperoit pendant fix mois defuite. On ne ]peut pas louer d'une fagon plus ingémieufe que le fait le prince de Ligne;Vous i êtes connu 3 dit-il a M. Schöfflin, de tou-  ï2o Le Vota geus. tes les nations qui font connues ; on vous aime comme fi l'on ne vous admiroit pas. Vous avez de la fanté, de la philofophic & des amis,tout va bien. Vous me montrez des bontés , tout va d merve'üle. Aprcs ces lettres font quelques pages que le prince de Ligne employé a p«rler de lui ; c'eft un badinage ou il y a de 1'efprit & de la philofophie. 11 dit de Pegoïfme Ce n'eft pas d parler de foi que confifte le fatal egoïjme, c'eft d rappor ter tout d foi. La lettre oü Ie prince de Ligne traite de celles fur 1'heroïfme par J. J. Roufieau, m'a fait le plus grand plaifir. Je ne connois point d'auteur qui ait encore parlé avec plus de jufteffe, de vcritc & même d'equitc de cet écrivain célèbre. Un mémoiré pour fon cceur accufé, un mémoire fur Paris &; des propheties terminent ce vol. Je fuis, &c LETTRE  dans les( Pats-Bas. ia* L E T T R E X. Gand ce....jfuin 1783, Il y a ici, Monfieur, un entrepót dont Fétabliflement n'a pas été ici généralement approuvé. J'ai fous les yeux deux, lettres qui ont été imprimées en 1778; on y traite d'impie & d'hérétique celui qui avoit donné au gouvernement le projet de placer cet entrepot & une halle aux toilles dans Péglife paroiiiiale de St. Nicolas & de transferer le chapitre de Ste. Pharaïlde qui y étoit établi dans Péglife des Ex-Jéfuites, dont il vouloit aufli qu'on fit une églife paroifliale. L'auteur de ces lettres s'éleve aufli avec humeur contre la propofition faite par le donneur de projet de transférer 1c fiege du confeil de Flandre au college des mêmes Ex-Jéfuites. Malgré toutes les raifons de Pauteur de ces lettres, la tranflation du chapitre de Ste. Pharaïlde auTome V Partie II. F  W$i Le Votageür ra licu & celle du fiege du confeil s'eft faite ; 1'entrepöt s'eft ctabli & Péglife des Jéfuites a été érigée en ptiroifle qui fert aufli de chapelle au confeil de Flandre. Un entrepot eft utile aux commercans de la ville oü il s'établit, quand il fait u tems que Guichardin écrivoit, elle jouiifoit déja d'une grande réputation: elle eft trés-riche en m.s. l'abbé -actuel 1'a confidérablement augmentée. La piece'qui renferme cette bibliothéque, a un plafond & des bas reliëfs en attiques imitant le bois de chène qui ont été peints par Gueraerts d'Anvers. L'ëgiife de cette abbaye eft belle. Le chceur & la nef font décorés de pilaftres c< rinthiens. La coupole de la nef eft richement décorée. Dans les penden-  dans les Pays-Bas, 13-? duites au procés ; deux feulement en prcnnent connoiffance & fi leur avis eftconforme, le troifieme ne donne pas lefien : l'on dreflé la fentence, on la rend & les échevins fouvent ne favent pas auparavant ce qu'elle doit contenir. Cela n'a pas ïieu cependant dans les procés criminels. C'eft du moins quelque chofe. II n'y a que les avocats du confeil de Flanure qui n'aient pas le droit de porter 1'épée quand ils ne font pas nobles. Les enfans d'un confeiller de ce confeil qui n'eft pas né gentilhomme, peuvent prendre le titre & le porter fans qu'on le lui contefte. Cependant 1'office de confeiller ne donne pas la nobleflé héréditaire. Les places de greflier de ce tribunal font héréditaires. J'ignorois ces particularités quand je vous ai parlé de la conftitution de ce confeil. Je fuis, &c  136 Le Votageur. LETTRE XII. a 1'Auteur du Voyageur. Gand ce Juin 1783. Je n'ai pas 1'honneur d'être connu de vous, Monfieur, ni celui de vous connoitre particulierement ; mais Pintérêt que vous paroifléz prendre a tout ce qui peut intéreiTer notre province & furtout notre commerce, me fait croire que c'eft vous obliger que de vous faire part des obfervations fur tout ce qui a rapport a ce même commerce; celui de Gand eft confidérable & pouroit 1'être cependant bien davantage, fi l'on vouloit le favorifer, & furtout faire quelques réformes en fa faveur. Gand fait un grand commerce avec 1'Eipagne en toilles qu'on appelle'brabantes, & fanow en tems de paix; elle n'envoye pas de ces toilles en France; peut-être qu'on pouroit trou-  dans les Pays-Bas. 133 Bénoit. Un des deux tableaux de Crayer repréfente ï'ange qui ordonne a Tobie 'de -retirer le fiel du pohTon qu'il vient de prendre & qui doit fervir a rendre la vue a fon pere. Les têtes de ce tableau font belles & le payfage bien fait &S furtout d'une bonne couleur. L'autre tableau de Crayer eft d'une grande beauté pour le deffin & la couleur qui eft argentine; les têtes en font admirables, mais de peu d'eifet, paree qu'une main maladroite a employé une faufle & mauvaife couleur qui couvre le ciel & le refte du fond. Ce tableau repréfente un officier de Tobila préfénté a St. Bénoit. Le tableau de Van-Cleef repréfente Notre-Seigneur fur la croix. Ce tableau eft deffiné avec bien de la fineife, bien peint & a un bon effet. L'un des deux tableaux de Jordaens repréfente la femme adultere: il eft bien compofé & d'une bonne couleur, mais la tête de Notre-Seigneur n'eft ni belle ni noblc: les têtes des accufateurs ont de la force, du caractere Sc beaucoup d'expref-  134 Le Votageux. fion. L'autre tableau de J. Jordaens qui fert de pendant a celui de la femme adultere, repréfente Jefus-Chrift qui ordonne a deux ennemis de fe réconcilier & de j s'embrafier avant que d'offrir leurs oifran- des a Dieu: la couleur en eft belle; elle a un etfet piquant: la tête du grand prêtre eft beile , mais les autres font médiocres. Le tableau d'A. Jan flens repréfente le couronnement d'épine: ce fujet éclairé au flambeau eft bien traité ; mais ce qui ' rend ce tableau précieux, c'eft la conection du deffin & la vigueur de la couleur. J'ai été on ne peut pas furpris, Monfieur, en apprenant 1'abus que 1'ufage a confacré & qui s'eft introduit ici dans le tribunal des échevins de cette ville; ce ne font-pas eux qui jugent les procés qui font inftruits devant leur tribunal • quand ils font en état d'être jugés, le premier échevin ou celui qui tient le tribunal , nomme trois penfionnaires ou fecretaires pour examiner les pieces pro*  dans les Fats-Bas. 1-37 ver le moyen de s'y en procurer une vente aflez eonfidérable. Mes eompatriotes font aufli un com* mcrce aflez floriflant d'huile de colzat & de navette, mais il s'étendroit davantage ebcz fétrangcr, fi on exemptoit ces huiles du droit de fortie. Tant que cela ne fera pas, PArtois & la Flandre francoife auront toujours fur nous la préférence. Les grains, Monfieur, feroient la branche la plus eonfidérable de la Flandre & même de tous les Pays-Bas Autrichiens, fi la fortie en étoit toujours libre. Vous avez dit tout ce qu'on pouvoit dire en faveur de cette gêne, mais cependant je crois avoir entrevu que votre opinion n'étoit point qu'on gênat le commerce de grains dans aucun pays. Quand on le permet dans nos provinces , on öte a cette condefcendance une partie de fon effet , en aflujetiflant quelquefcis les grains qui fortent a des dr its fi forts qu'il eft impoflible a ceux qui en font commerce de faire des fpéculations folides8  Le Voyageur & aux négocians étrangers qui cn tirent, de diriger leur opéracions fur cet ob;et Ces droits ne font pas réguliers, ils font pour ainfi dire arbitraires, & vous étes tropéclairé , Monfieur, pour ne pas fentir que la variation en toute efpece d'impots, eft on ne peut pas plus nnifible au commerce. Qu'arrive-t il parmi nous de la permiffion & de la défenfe fucceflives de la fortie des grains, que les gens riches profkent, pour faire valoir leur argent, de la permiffion de la fortie des grains pour en envoyer aux Hollandois une grande quantité ; ces Hollandois, leurs commiffionnaires , les amagafincnt & les gardent jufqu'a ce que de mauvaifes récoltes faifent rencherir le prix des grains dans les pays qui en manquerit. Si le commerce de grains étoit libre dans nos provinces , ces magaftns de grains y refteroient, & les Hollandois ne profiteroient pas , comme ils le font aujourd'hui, du bénéfice du fret, du droit de commiffion, de eek*-de 1'amagalinaSe, des '  dans les Pats-Bas. i 39 frais de chargement & de déchargement, & leurs amirautés, des droits d'entrée & de fortie. La crainte de la difette eft une chimère qui a fait établir la défenfe de la fortie des grains. Chaque récolte nous donne toujours un fuperflu eonfidérable qu'on peut évaluer au moins a un tiers de ce que nos provinces confomment. Si la fortie des grains y étoit toujours libre, le fouverain y gagneroit beaucoup , paree qu'on pouroit mettre fur ces grains un droit de fortie dont les négocians ne murmureroient. point & qu'ils payeroient même avec plaifir. Le commerce de Gand feroit d'un tiers plus eonfidérable qu'il n'eft a préfent. Dans la Flandre, Monfieur, nous avons des entraves qui nuifent beaucoup a notre commerce. Les magiftrats de nos villes y donnent a titre d'office le droit de charger & de décharger, de vendre & d'acheter les marchandifes. Ces offices s'achetent par des gens riches & s'exercent par des gens pauvres, leurs falariés; fi ces offices ne fubfiftoient pas les com-  r4o Le Vöyageur niergans, pouvant fe fervir de ceux qu'ils voudroient pour cn remplir les foncüons, feroient mieux fervis & un plus grand, nombre des gens du peuple feroit* em-ployé. Vous avez déja, Monfieur, condamné cet abus a 1'occafion des chargeurs & des é chargeurs des navires, & furement vous en parlerez encore quand vous. ferez a Bruges a 1'occafion d'une communauté de courtier» qui y tyrannifent le commerce. L'empereur ignore furement ces abus; mais doit-on les lui laifferignorer? Parlez-en avec force, tous nos négocians vous en prient. Votre ouvrage,nous le favons, va a Vienne, & il pourra procurer cette réforme que nous defirons tous. Nous avons ici quelques fabriques de pctites étoifes de bafin & de toilles peintes; elles ont cu du fuccès pendant la guerre ; elles languiffent préfentement; elles tomberont tout-a-fait , fi on ne leur donne pas des encouragcmens. Le defir que l'empereur a fait paroitre, quand il eft venu dans ces pro vinces-s  DANS LES PAYAS-BAS. 141 d'y voir licurir le commerce , avoii difpofé nombre d'étrangers a venir s'y fixer. Ils ont fgu la maniere dont on y adminiftroit la juitice par rapport au commerce & ont abandonné leur projet. Ici, Monfieur, leplus petit différend qui s'éleve entre deux commergans, eft porté en première infiance au confeil de Flandre ou fouvent il arrivé qu'il n'eft point terminé a moins de trois ans. Ce font des délais fans nombre , des formalités de toute efpece toutes inutiles qui occafionnent une perte de tems épouvantable, des frais confidérables qui prefque toujours excedent la valcur de la chofe conteftée. Au jugement qui furvient, fuccedc un appel au confeil de Malines, oü il faut effuyer une nouvelle perte de tems & d'argent & des longueurs encore plus grandes, parceque dans ce tribunal réformateur , il n'y a que deux juges qui entendent le flamand. Ën France prefque toutes les affaires de commerce font jugées en vingt - quatre heures & les plus grands frais qu'elles oc-  142 Le Voyageur cafionnent font de 36 1. C'eft cette grande célérité établie en France par la création des chambres confulaires qui a le plus contribué a rendre le commerce de la France aufli eonfidérable qu'il 1'eft a préfent, & ce font au contraire les longueurs qu'effuyent dans les Pays-Bas Autrichiens les décifions des affaires de commerce qui rendent fi difficile la négociation du papier du commerce. Nous n'aurons de commerce , Monfieur, & vous Pavez trés bien dit dans votre ouvrage, que quand notre fouverain nous aura donné ün code de commerce fait non par des jurifconfultes, mais par des négocians. Le croiricz vous, Monfieur, nous n'avons ici de banquiers en titre que MM. Hamelink , Tricot , & Alph. HeutensII eft vrai que nombre de nos négocians font aufli la banque , tels que MM. Morel, Goethals, Standart, Ve. Vulf, Ve. Meulemeefter , Conick; Scot, Sounins , Kermans , Supmans , Ve. Wolde , Ve* Loofdame , Carpentier , Vofver, Caters.  dans les Pays-Bas. 143 Le plus grand commerce de Gand eft avec 1'Efpagne, elle en fait un auffi eonfidérable avec 1'Angleterre : la guerre a 1 prefque fufpendu celui de toille qu'elle I faifoit avec la Hollande ; il faut efpérer I que la paix le rétablira. Nos capitaliftes ont encore plus de dé; france que ceux de Bruxelles des commer: i gans & en général nos capitaliftes ne font >j pas gens a confier facilement leur argent; il . I leur faut pour les y engager une hypotheque >: bien folide & même que cette hypotheque Si foit un tiers en fus de la valeur de la fom: me qu'ils prêtent: ils prêtent a 4 pour I cent, mais plus fouvent a 5 pour cent. Tout eft ici plus chêr qu'a Bruxelles, ü les vivres, les maifons, le chaufage & par ; conféquent la main d'oeuvre; Tout cela a li diminué un peu depuis la paix, mais cet! te diminuation n'aura pas lieu longtems; il feroit cependant a fouhaiter pour le ! commerce qu'elle augmentat & cela arrii\ veroit fi l'on effecluoit le projet qu'on ij dit que l'empereur a formé d'abolir les  *44 Le Vota geur. corps & metiers. Si par exemple on laif&it la vente de la viande iibre , je fuis perfuadé qu'elle diminueroit de plus d'un tiers. La crainte d'en manquer eft une de ces chimères qui ne devroient pas exifter dans ce fiecle. Manque-t-on dans toutes les villes de volailles, de légumes, de fruits &c. dont la vente eft libre par tout ? toutes les fois qu'il y a une grande confommation dans un endroit, IV bondance y regne. Un camp de iooooo hommes n'a jamais manqué de fubiiftance & perfonne cependant n'eft chargé de fon approviiionnement, tandis qu'il n'eft pas rare de voir des villes, d'une bien momdre population, éprouver la difette, paree que des corps font fpécialement chargés du foin de pourvoir a la fubfiftance de leurs habitans. L'empereur vient d'accorder a tous les habitans du royaume de Bohème, la liberté de vendre de la vimde, & les bouchers n'y jouirontplus du privilege exclufif de cette vente. Je fuis, &c. Fin de Ia feconde Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, o u LETTRES fur 1'état aétuel de ces Pays. Felix qui potuit remm coa;noicere caufas1. V ik.gile. TOME CINQUIEME. Troijieme Partie. A AMSTERDAM, chez Changuion , Libraire. On en trouve dos Exemplaires chez M. De Bël, ImprimeurLibraire, a Bruxelles. M. DCC LXXXIII.   LE VOYAGEUR LANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS. LETTRE XIII. a 1'Auteur du Voyageur. Gand ce Juin 1783. Je penfe comme vous, Monfieur, que 'la nobleüe de Flandre a inconteftablement le droit d'encrer aux états de cette province, mais je crois aulli que tous les gentilshommes indiftinctement de cette même province ne peuvent pas prétendre 51 la jouiifance de ce droit, s'il eft inhéG 2  *48 Le Voyageur. iïenta>ar qualité de gentilhomme; mais ■c'eft a la poffcffion des terres ou autres •biens fonds qu'ils pofledent dans la province, qu'ëft attachée la jouiflance de ce ■droit. Cette diümctien eft la fuite nécefiaire de 1'objet principal Pour lequei .les gentilshommes fe réuniffent aux eccléfiat tiques & aux commune- a llaflèmblée des ■états. Cet objet eft la fixation de la contribution générale, & comme cette contr-jbution-eft volontaire, il faut , pour •qu'elie ioit jufte, ou du moins préfumée itlle, qu'elle foit régiée par tous les contribuables, ou du moins par leurs repréfentans. La plus grande partie de cette contribution eft a la charge des terres; ce font donc ceux qui pofledent des terres qui doivent la régler,' & c'eft paree que n'entrant pas aux états & par conféquent n'ayant pa< de part a la fixation de la contribution, que la noblefle pouroit dire qu'elle nc doit pas y être afiujettie : elle l'eft cependant & c'eft cequi rend jufte & légitime fa réclamation ,  dans les Pays-Bas. V0> mais feulement pour ceux des gentils-hommes qui pofledent dans la province; des terres ou autres biens; ceux qui n'en pofledent' pas , n'étant du nombre descontribuables, ne peuvent pas prétendrea être admis aux afiemblécs du corps repréfentatif qui regie cette contribution.'Je crois que fi l'on rétabliffoit- la noblefle de Flandre dans fes droits, elle devroit elle-même demander'qu'iln'y eut d'admis aux aflemblées des états que les gentilshommes qui poflederoient cn Flandre une • certaine quantité de. terre,, ainfi qüe celafe pratique dans- le Brabant. Quand la . noblefle s'aflemble pour tout autre objet que pour la contribution , comme par exemple pourl'inauguration dufouverain , alors nul gentilbomme ne doit être exclu; c'eft comme fujet que chacun d'eux aflifte 4 cette cérémonie;'c'eft pour lui perfonneliement qu'il recoit le ferment du prince & qu'il prête le fien. S'il s'agiflbit de quelques droits perfonnels , de quelques privileges particuliers attachés a la qualité O 3  J5° Le Vota geur. de gentilhomme, tout gentilhomme indiftjnclement devroit aulli être appelé a i ajlemblée qui fe tiendroit en conféquence. Voila, Monfieur, ma facon de penfer fur 1'admiffion des gentilshommes a 1'affemblée des états. Vous parlez, Monfieur, dans votre ou' vraêe dc Ja ftatue de Charles-Quint de bois doré qui n'eft certainement pas une merveille, mais vous avez oublié le pied-d'eftal, pilier, ou maffe de pierre fur lequel on P» pofée ; il eft d'une feule pierre bleue , qu'on a chargée de guirlandes & «ie fleurs en fculpture , qui en a fait ie pied-d'eftal de FJore au lieu de celui d'un grand monarque, qui en avoit les talens & les qualités. Ce chef-d'ceuvre, ainfi que la belle grille de fer qui 1'entoure, a été placé il y a environ fix ans & a couté, dit-on,al'hötel-de-ville de Gand 30000 fl.; il auroit mieux valu joindre ces 30000 fl. a 3C000 autres, envoyer cette belle fta^ tue de bois au grenicr & lui fubftituer fans grille celle de Joferh II qui, a tous  dans les Pays-Bas. f£t égards,a plus de droit a Pafiiour des gantois que Charles-Quint qui les a fort mal tra ités. Et cette piece de canon d'une groffeur ■enorme que vous avez du. voir dans un coin de cette place , pourquoi n'en avez vous rien dit? c'eft cependant un bel an-tique que ce canon dont on ignore 1'origine: depuis dix ans un de nos antiquaires la cherche & n'a pu encore la découvrir ; il a fouillé toutes les archives du pays ; il a confulté tous les hiftoriens, & 9'a été fans doute pour exciter les autres antiquaires a faire de nouvelles recherches fur cette belle piece d'artillerie, que nos magiftrats 1'ont fait placer if y a quelques mois fur une maeonnerie de pierre bleue, foi idement, travaillée qui conferyera a la poftérité.le fouvenir de leur vigilance & de leur attention pour conferver les beaux monumens de 1'antiquité qui décorent notre ville. Vous avez , Monfieur, confondu la cour du prince avec cc que nous nomG 4  Le Voyageur *Jandre : charles-Quint y naquk , , S^ïf-^^ ^'eft placé e tableau du jugemcnc de Salomon dort vous parkz; ij eft dans j officrs de la juftice de la ehatelL" du qu'au grenier & fous tok ™ p grande Pref" belliè en forme de cabinet a 'c Z ^J*1 em" cnaues V Cet ornement eit modem* UJPereuT vaster la ported'entrée qui eft pj'' i"^'011 qui apparemment en a ordonné la décorat on q-s bofe & cretaflèl, mal , ^ fpP!' Stlen&ItoUtreSmarqUeSde ^ ï^ifS .i?Tiré destroubles des Pays-Bas imprimés en  dans les Pays-Bas. 153 vieux bourg tiennent leur fiege : ce tribunal occupe une partie de ce batiment; 1'autre qu'occupoit le confeil de Flandre avant qu'il eut été tranfporté chez les Jéfuites', a été vendue a un particulier qui y fait conftruire des maifons. Ce chateau eft plus ancien que la cour du prince : c'eft le plus ancien batiment qui foit ici. • Je fuis étonné, Monfieur/ que vous li'aiez rien dit d'une ftatue de la vierge placée fur un pept autel de Péglife de 1'abbaye de Baudeloo : de 1'aveu des connoilfeurs, la tête en eft admirable, mais le corps n'eft pas aulli parfait: c'eft un jeune homme de cette ville qui a fait cette ftatue & c'eft le premier ouvrage qui paroit ici de lui. En parlant de 1'abbaye de Baudeloo, vous auriez bien du , Monfieur, faire connoitre a vos ledleurs fon abbé aétuel; il gouverne les biens de fon abbaye d'une maniere bien fage; les revenus en font employés, comme devroient 1'être ceux de toutes  I.T4 - Le Vo ta g eur. 'les maifons rcligicufes, a fournir aux religieux non fculcment une fubfiftance abondante , mais tout ce qui peut contribuer a leur rendre la vie agréable, a embellir fon églife, a augmenter, mais jamais inutilement, les batimens de fon abbaye & de fes fermes, a mcttre en jaleur des terres incultes, & furtout a fournir aux pauvres les moyens de travailler. Un nombre infini d'ouvriers de toute efpece font toute 1'année occupés par l'abbé de Baudeloo. Vous auriez dü, Monfieur, parler du bon ordre qui regne dans notre ville : elle a une compagnie de foldats qui , bien commandée, contribue beaucoup a y maintenir la tranquilité. Gand eft di* vifce en 18 quartiers cV dans chacun eft un crieur de nuk qui parcoure continuellement la ville; ces iS quartiers font fubdivifés en plufieurs pctits quartiers qu'on nomme voifinages. Chaque voifinage a fon bailli & fon doyen particulier dont les fonclions k les devoirs font  dans les Pays-Bas. 155 pprochant ceux des commiilaires de qÜartier des villes de France; ils veillent au maintien du bon ordre & furtout a ■ la confervation des bonnes mceurs : au moyen de ces efpeces d'officie'rs de police, le magiftrat peut-être inftruit régulierement de tout ce qui fe paiTe dans la ville & furtout connoitre tous les étrangers qui 1'habitent. Cbaque voifmage ne forme, pour ainfi dire, qu'une familie; toutes celles qui le compofent vivent entr'elles dans la plus grande union; elles fe rcuniffent quelquefois pour diner & enfuite danfer : toute la dépenfe fe fait a..frais communs fous la dircétion d'une doyenne qu'on choifit ; alors tous les états, toutes les conditions fe confondent, &r le gentilhomme fe trouve fans répugnance a cöté de la femme de Partifan qui de fon cöté fe place prés de la femme du .gentilhomme.^ Je fuis, &e." G 6  Le Voyageuk. OBSERVATIONS adreües a 1'Auteur du Voyageur. Bruxelles ce... Juin 1783. Page 263 du T. 4. 4e. partie. Villes, chatellenies & métiers ("a^. ( a ) Métier veut dire diftria. Xva vraie fignification du mot Ambacht eft intéreffante pour 1'hiftoire Belgique; une differtation académique fur cet objet feroit plus utile que cent mémoires fur 1'étymologie des mots Loven, Braband, Brufel, Antwerpen, &c. Le mot Ambacht dans fon acception moderne ou commune, fignifie corps-demetiex ou métier en Corporation & Ia qualification cVambachten n'a été accordéc aux arts mécaniques & a différens trafics que depuis & a méfure que ceux qui exercent ces arts & trafics ont été légalcment éta-  dans les Pays-Bas. 157 blis en corporations foumifes a des regies & ftatuts. Les métiers en corporations ne font pas une chofe fort ancienne chez les flamands; les trois quarts de ceux qui exiftent a Bruxelles n'ont été établis en corporations qu'au 17e. fiecle: avant qu'1 eut des corpsde-métiers aux Pays-Bas il y avoit des ümbachten qui n'avoient rien de commun avec ces corps-de-métier. Qu'étoient donc & que font ces ambachten qui n'étoient pas & ne font pas des métiers ? Les ambachten qui ne font pas des métiers étoient avant qu'il y eut des corpsde-métier, & font encore aujourd'hui des Offices, & les jufticicrs fupérieurs & inférieurs étoient & font également qualifiés tantöt ambachteren ou hommes d'office, tantot rechteren, c'eft-a-dire jufliciers ou juges j fuivant le fens propre du mot judex. Je le prouve par plufieurs textes des joyeufes entrees des ducs de Brabant des 15,  J58 Le Vota geur. chcs-jufncers du Prince&lcs fogrands dromde Brabant, de mayeur de Louvain d'amman de Bruxelles, d'éeoutet-te dAnvers &c. par les mots Haerc Ma" je/iyu ambachteren ende rechteren van haere/cs groote ambachten. Ou l'on déngne également lesJufiicj£„ inférkurs ^ donnés aux grands opspar les mots on- der-ambachten C&). ^fzcht eft done fynonime ft ^ qttJ figmfic egalement Office & Province Jnbactcronjupjcier cü dans le même fens c eft par corrupaon qu'on nomme Amman enlranSo:s&^e 0u Q ^arnand le jufticier de Bruxelles, fes pa! mi*cbteren. V-^'^nésfwae/,  baks les' Pays-Bas. tentcs & la cotitume & toutes les chartrcs le nomtnent trés bien Amptman c'efta-dire homme d'office puifque man fignifiehomme & que le mot ampt fignifie office.: Le mot ambacht équivaut donc dans fon fens propre & originaire a celui da' Bailliage ou Maïrie; & de même que lex mot bailliage fert a la fois a la dénomination de 1'office du. bailli, & a celle de f étendue du territoire compris fous le reffort de fon office, de même le mot ambacht a 1'un & 1'autre fens , c'eft-a-dire que fuivant le fens dans lequel il eft employé il indique ou bien fuivant 1'ancienne fignification du mot. province 1'office; du bailli, ou bien le diftricl compris fous le reffort de cet office , ou la province de ce reffort fuivant 1'acception moderne du mot province ; ainfi Ton peut dire „ le; \, bailliage de N ..... . eft vacant ,, & „ ce même' bailliage eft limitrophc a. telle „ rivicre a tel diftricl:. Telles ont été dés la plus haute antiquité les vraics fignifications. des mots  l6° , Le Voyageux ttt ^ L°rfqUe ks * font Ws cn corporations ils fe font foumi ades ltatuts,adesreg,es&devoirs ficc; les devoirs d'office de chaque mem- bre de ces corporations ont été défilés en langue flamande par les mots ampt & ambacht qui fignifient également office & Sd' fc;;&1ftitre ou h rmet^aetéd0nnéeèch^ -rps j faireult0g7PheS fran?°iS ^ °nt vo^ laire ufage des anciennes cartes BeJgiques t°ricfs^SCfS ^ IaFkndre ]-'itncts d AJenede , de Bouchaute, de M &c caracléüfés par le mot f ont cherchéle mot ambacht dans les dil tionnaires modemes , ils ont vu que ee mot fignifioit métier, ils ont fur leurs car- «es donne aux provinces, aux reflorts des ft^f^m^ BoïlhaZ « &c. la quahfication ridicule de métier& parmi les flamands qui au i?e fiede voulurent s'avifer d'écrire en franeois le  dans les Pays-Bas. rös plus grand nombre a commis la même foute par une ignorance bien- moins- excufable. II étoit évident que les ambachten mentionnés fur les cartes géographiques étoient des diftricls. C'étQient des diftricls, mais le mot diftricl n'exprime pas la chofe dont il s'agit, ce mot n'exprime qu'une qualité de cette chofe & non pas la chofe même, ca? toute province > tout office dans le fens du mot ambacht eft un- diftricl , mais tout diftricl n'eft pas un office. 11 falloitdonc, ce me femble, dire Yoffice de Huift, 1''office d"Ajfenede , Voffice det Bóuchaute &c.  i6>. Le Voyageur, LE T T R E XIV. Bruges ce..,. Juin 1783.,. Je fuis ici, Monfieur, depuis-quelques jours ; j'y fuis arrivé, par ]e ^ dg J^and. C'eft une maniere de Voyageur *ort^gréable. furtout. dans cette faifon « £ nCn coute'^ H fous parperfonne pour vemr de Gand ici. Bruges n'eft plus aujourd'hui ce qu'elle Jtoir dans le 13 fiecle. ^ L/c 01t. Robertfon , /e pi,ncipal fj™^ marchandifes \d>Italië, fut d Bruges. La navtgation étoit alors fi imparfaite qu'un voyage de la mer baltiqu* dans la médi«rranéene pouvoit fe faire dans un feul etc. C eft pour cela qu'on jugea nécejfaire detahhr un magafin ou entrepót d moitié chemin entre les villes commercantes du Nord & cdks d,hal.e f gardce comme la place la plus commode.  dans les Pats-Bas. 163 Ce choix fit entrer de grandes richeffes^ dans les Pays-Bas : Bruges étoit tout d la fbis le magafin des laines d' Angleterre, des manufactures de draps & de toiles des Pays-Bas , des munitions de Marine & a"1autres marchandifes du Nord; enfin de' de tout ce qu'y apportoit PItalië , foit des marchandifes de Pinde , foit de fes propres produclions. L'étenduedu commerce que Bruges faifoit avec Vcnife, en produBions de Pinde, peut fe prouver par un feul fait. En 1318, cinq galéajjes vénitiennes, chargées de marchandifes de Pinde, arriverent d Bruges pour vendre leurs cargaifons d la foire. Ces galéajjes étoient des vaijfeaux d'une charge trés. eonfidérable. Bruges étoit le plus grand marché de toute PEurope. Toutes les na- . tions du monde fe rendoient a Bruges pour y négocier ; chacune d'elle y avoit fa maifon de commerce , fes magafins, fon conful pour veillcr a la confervation de fes droits & de fes privileges particulicrs. - Plufieurs chofes fe  ' m Le Voyao'eur font reünies pour faire perdre au «hdrneree de Bruges- eet état. floriiTant qui tendoit cette. ville la plus- commereante .gl Europc; les révoltes-frequentes de % ^bnans contre leurs fouverains; celles des ouvriers. de fabriques contre kurs maitres, & des maitres contre ]cs magiftrats, oceafionnercnt tant de troubles &. de confufion dans cette ville, quelle devint un fejour trés défagréable Pour les etrangers qui s'y étoient fixés comme pour ceux qui n'y venoient que Pour trafiquer. Les uns préférerent d'aller a AnyerS,.leS autres s'y tranfplanterent. Quand les troubles du iö fiecle commencerent, non feulement les étrangers qui étoient reftés a Bruges, mais encore • un nombre eonfidérable de fes habitans les plus induftrieux & le plus. laborieux en fortirent & pafferent en Angleterre & en Allemagne. Si Anvers avoit élevé fon commerce fur les ruines de celui de Bruges, celui d'Amfterdam s'éleva aux depens de celui d'Anvers. A cette époque  dans les Pats-Bas. i6j j-pMéurs chofes contribuerent a atToiblir .1 encore Je commerce de Bruges : elle faiil foit fon commerce mari time par le pon jde 1'Éclufe; ce port s'envafa & 1'Efpagne hs ceda a la république des ProvincesI unies. Par une iiégligence impardonnable , I on négligca de tcnir ïe canal de Damme 1 a la prolondeur qu'il falloit qu'il eut pourI naviger. On fit alors du port d'Ofbnde \ qui n'étoit qu'un port de relache & de I pêche, un port marchand. Tous les foins, 1 *outes les attentioris du gouvernement I furent pour Oftende. On négligea BruI ges; fi on Peut plus favoriféc & qu'on 1 eut laiffé le port d'Oftende un port de I relache & de pêche , le commerce de Bruges fe feroit rétabli, furtout fi on en eut | fait un port CaJ> franc au lieu de lui préfércr, comme on 1'a fait, celui d'Of: tende. Le commerce de Bruges pourra devenir plus floriiiant qui ne 1'eft pré- (a) Voieztom. 1 pag. 386, tom. 3 pag. 395.  I66 LE Voyageur Wment mais ce feroit une chimère que de vouiour ie rétablir dans 1'état oü 2 «%n™ Pas aU *3 f^i mais même an 16 iiecle avant la reconnoiilance de i maependance de ia république des Pro. vinces-unies. Je ne vous ennuyerai pas de tous les verbiages que les érudits ont écrits fur 1 origine du nom de Bruges : il eft fon peu intérellant de favoïr fi cette ville a eté nommée ainfi a caufe de la grandequantité de ponts qui fe trouvoient a lendroit oü on la battit, ou feulement paree qu'il s'y trouvoit un lèul pent qu'on nommoit BruJi-ftock. En fiamand JSrugh veut dire un pont. Bruges eft fituée au 5ié u" de Iatitude & au 26" 44» de'longitude dans une belle plaine au nord eft de ia Flandre, a quatre lieues de la mer & d'Oftende , a huit de Gand , de Courtrai , de Furnes & de Middelbourg. Bruges communiqué avec la mer & Oftende par un Canal qui a ij a 20 pieds de pro-  dans les Pays-Bas. 16*7 ïondeur , par le même canal avec Furnes , Nieuport & Dunkerque : en été Pon peut en partant le matin de Bruges arriver le foir a Dunkerque. Ce canal ayant .été élargi en 1665 , porte depuis des navires de 400 tonueaux qui peuvent venir décharger dans le baffin de Bruges qu'on jiomme de Komme : ce baffin peut contenir un grand nombre de navires. Le terrain qu'occupe Bruges eft entouré d'un doublé foffé rempli d'eau courante, paree que ces foffés fervent a la décharge des eaux fauvages des campagnes voiiincs fe des rivieres de la Lys & de 1'Elcaut qui fe déchargent en partie par la vers Oftende & la mer. Bruges n'eft arrofée ni traverfée par aucune riviere, mais elle eft coupée par plufieurs canaux qui fervent au tranfport des marchandifes d'une extrêmité de la ville a 1'autre. Le principal de ces canaux , eft celui qui la traverfe vers le milieu; il a 'onze pieds de profondeur ; il fert pour la navigation des vaifleaux  t6$ Le Voyage ur de mer ■qui du canal d'Oftende doivent paffer dans celui de Gand. Les eaux de ce canal ne font Pas dormantes; elles lont toujours courantes plus ou-moins amh que celles des canaux de la ville maïs l'on ménage ce palfage des'eaux par Ja ville de maniere que leur rapidité n empêche pas la navigation interne. Du -canal de Gand a celui d'Oftende, il r ^une chute de fept pieds; il n^ni^ plus aucuns vaiifeaux dans le baffin de Mmnenéte ; il, arrivent .Qurs deyMt les cclufes des Dominicains au quartier des üjes. La barque de Gand eft le feul büteau qui aborde encore a Minneaclc ■ dans peu elle abordera au nouveau quaï qu on conftruit a la porte St. Catherine Le canal d'Oftende a Bruges eft remarquable, en ce que les eaux de ce canal ne fe mèlent jamais avec celles de la mer qui font retenucs par les éclufes de fonde'ur00 ^ * *P a 20 &4. Öe P«>Bruges communiqué avec 1'Éclufe par un  dans les Pays-Bas. 16*9 un canal & par trois bonnes chauiïees avec Blankenberg, Mcnin & Courtrai. On entre dans Bruges par fix portes qui aboutiffent a la grande place, ce qui produit un bel effet & rend cette place la plus belle des fix principales qui font ici. Sur la place du bourg eft la cathédrale, le palais épifcopal, 1'hötel de ville & 1'hötel du franc, la cour prevöt'ale & canoniale. La place ou fe tient le marché de vendredi, me plait; elle eft plantée d'arbres, mais'il y a au milieu un corps de garde qui me déplait beaucoup : on devroit 1'oter & élever quelques beaux monumens en fa place. Le grand marché eft une place fort vafte au milieu de laquelle eft un grand corps de logis qu'on nomme les halles; fous les halles eft Ia bourfe qui eft d'une belle conftruétïon trés éclairée & a 1'abri des injures de Pair. L'on m'a dit qu'on comptoit ici 260 rues; plufieurs que j'ai déja vues, font belles, larges, bien percées & bordées d'affez belles maifons. Quoiqu'un Tom. V. Partie IJL H  ï 7° Le Voyageur. peu vieilles, on voit encore des veftiges des maifons qu'occupoient les confuls des dilférentes nations dans le tems de la grande profpérité du commerce de Bruges. Le circuit de cette ville en dedans eft de 26600 pas géometriques, c'eft a dire aprochant le même que celui de Bruxelles & de Louvain. La population de Bruges n'eft que de 40000 ames, mais ce qui eft étonnant, c'eft que .11000 de fes habitans, font a la charge de la charité publique. II n'y a pas a Bruges d'caux de fontaine; on y fupplée par celles du canal, de la Lys & de 1'Efcaut qui, rafl'emblées dans un grand réfervoir, font conduitcs dans les différens quartiers de la ville par diiférens tuyaux; mais pour en avoir 1'ufage, il faut payer tous les ans une petite redevance a la ville. Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 171 LETTR.E XV. Bruges ce Juin 1783. ^RUGes, Monfieur, eft le fecond mem- . Ere repréfentant les états de Flandre; le franc de Bruges en eft le 3e'depuis 1224 ou 1225 qu'il fut fcparé & rendu indépendant de la ville de Bruges dont le fouverain étoit tres mécontent.', Le franc de Bruges eft une étendue de pays d'cnviron fept lieues de long fur fix de large qui eft fituée aux environs de Bruges,' bornée au couchant par i'Yper qui le fépare du bailliage de Furne , au midi par les chatellenies d'Ypres & de Courtrai, au levant par la vicomté de Gand , la Zélande, 1'iiie de Cadzant & au nord par la mer : on divife cette étendue de pays en méridionale & en fepuntrionale. Si cette derniere' partie n'étoi-t pas expofée comme elle Peft aux inondations, elle feroit d'un exceient rapport. H 2  i?2 Le Voyageur. , ; Dans le territoire du franc, font les villes d'Oftende, de Nieuport, de Dixmude &'de Blankenberg , nombre de riches abbayes, plufieurs bourgs confidérables & environ 120 villages dont Te franc eft feigneur haut jufticier.' En donnant a ce territoire Je nom de' franc de Bruges, l'on a voulu exprimer fon affranchilfement de la ville de Bruges dans', la chatellenie de ia quelle il étoit auparavant. Le franc a aujourd'hui fes magiftrats particuliers, fa coutume particuliere, fon revenu & fon tréfor'qui n'ont rien de commun avec ceux de la ville de Bruges :. il a fes députés particuliers qui le repréfentent a .raffemblée des états: cc qu'il fournit pour le fubfide de la ' province & 1'entretien de la cour , ne fait pas partie de ce que paye pour ces objets la^ville de Bruges : les magiftrats municipaux qui ont leur fiege a Bruges, font iuges civils, criminels & de police, de memo qu'adminiltrateurs des revenus  dans les Pays-Bas. 173 & des fmances du franc. L'on appele de kur fentence au confeil de Flandre. Le corps municipal du franc 'eft com-. pofé de quatre bourguemaitres'qui retirent chacun de leur place un peu plus que 2000 fl., .de 27 échevins' qui chacun ont tant en émolumens qu'en appointemens 1000 fl., tde huit penfionnaires qui re-' tirent de leur place annuellement chacun 2000 fl. & de deus tréforiers : tous ces officiers font nommés* par le prince; ils font a vie quand ils achetent leur place & amovibles quand ils ne 1'achetent pas: leurs places peuvent être occupées par des roturiers comme par des nobles. La jurifdiótion des magiftrats du franc , " s'étend jufqu'a Nieuport- & la ville de 1'Éclufe, & depuis la mer jufqu'au village St. Georges entre Gand & Bruges. Ces magiftrats jouiifent non fculement dans la Flandre , mais dans toutes les provinces des Pays-Bas Autrichiens de la plus grande réputation ; ils font d'une intégrité étonnante, d'une vigilance & H 3  174 Le Voyageur d'une activité fingulicre pour prévenir le crime & peut-être d'une trop grande •feverité pour le punir. Le pays du franc eft le pays de 1'Europe oü il fe commet le moins de crimes;'( aucun n'y refte Jmpuni, aufli peut on y voyager en tout tems avec la plus grande fécurité : il n'eft cependant gardé que par vingt cing hommes de maréchauflée a pied, mais dans chaque village 'il y a des fergens qui veillent a ce qu'il ne s'y commette pas de defordre; ils font aux ordres de la loi. Aux-conhns du franc, font cinq a fix feigneuries dont les feigneurs .font haut-jufticiers , mais ils en laiflent les fonélions pour la pourfuite des crimes aux magiftrats du franc auxquels les fujets de ces feigneurs payent tous les ans 15 fous par bonnier de terre, au moyen de quoi leur feigneur eft décharge des frais pour la pourfuite des crimes. Je ne concois pas comment les feigneurs haut-jufticiers de tous les pays n'abandonncnt'pas aux fouverains la haute-juf-  dans us Pays-Bas- 17$ tice dont ils iouiffen^la po-fete de crimes fe faifant a leurs fa*, un trés-grand intérêt a ce qu'ils reftent impunis. . , „ Les magiftrats du franc tiennent leuraudience dans un hótel qu'on nomme 1'hötel du franc : c'étoit autrefois u chateau qu'on nommoit le chateau du bourg.' Pludouin, bras de fi», comte drFlandres,lefit batir en 869; on cn a changé & amelioré 1'tnteneur , fon plus grand mérite cependant eft fon ancienneté:je n'y ai vu de remarquab e que quelques tableaux dont 1 un p.a«. dans la grande falie repréfente logement dernier; il a été pemt Par P. Porbus ; iï a du mérite, mais ü manque d'effet & eft trop tranchant fur les bords; Fntn peint par Van Ooft le pcre eft dans la falie oü fe tient 1'audience du famedi; on y voit un crimincl a qui Ion lit fon arrèt de mort. L'on m'a dit que les iuges & une partie des autres figures qu'on voyoit dans ce tableau, étoient H 4  I7ö Le Voyageur es portraits de ceux qui , brfqu'on Je ht , occupoient des places dans la magiftrature du franc. Le fond de ce tableau repréfente la falie décorée comme elle 1'eft aujourd'hui. II y a dans ce niorceau du génie, de la correeïion, une belle faeon de faire; il eft plus fini que ne Ie font ordinairement les grands morceaux de ce maitre. Sur la cheminée de Ja même falie & aux deux cötés de cette cheminée, font trois payfages peints par Monper : Jes figures & les animaux qu'on v voit, önt été peints par Breugel de Velours. , , A la tête du magiftrat de la ville eft un grand bailli qui repréfente le fouverain & fait ics demandcs pour le fubfide & un écoutette qui requiert au nom du prince la pourfuite des crimes & la pUmtion de ceux qui contreviennent aux ordonnances : 1'un & 1'autre font officiers du prince. Tout ce que je vous ai dit des fonöions du grand bailli de Gand peut s'appliquer a celui de Bruges • c'eft  DANS LES PAYAS-BAS. I?? le fouverain qui le nomme ainfi que iëcoutette : tous deux font a vie. Le magiftrat de Bruges eft compofé d'un bourguemeftre des échevins, de douze échevins , d'un bourguemeftre de la commune ou des bourgeois, de douze confeillers de ville , d'un tréforier & de huit confcillers penfionnaires. Ce font le tréforier, le bourguemeftre des bourgeois & les douze confcillers qui font chargés de 1'adminiftration de la police; le fecond bourguemeftre connoit des oifenfes verbales. Les échevins font juges civils & criminels; ils fuivent la coutume particuliere de la ville & a défaut de difr pofttions dans la coutume & dans les loix du prince , ils fe conforment aux difpofitions du droit romain. En maticre civile, l'on apelle de leur fentence au confeil de Flandre , mais ils jugent au fouverain e» matiere criminelle. Tous les officiers du corps municipal de Bruges, font a la nomination du prince , qui H 5  J7° Le Voyageur ne la fait qu'après avoir confulté 1'évê- que, le grand bailli, & 1'écoutette' L'hötel de ville de Bruges eft fort ancien; c'eft un batiment gothique dont les fondemens ont été jettés en r,76fa facade eft ornée de nombre de ftatues des comtes & comtelfes de Flandre placees dans des niches; entre les croifées attenant a 1'hötel de ville, eft d'un cöté la chapelle du précieux W qui crois eft auffi ancienne que le batiment du miheu. De 1'autre cöté eft un batiment plus moderne quifertde greffe : dans la chapelle du précieux fangeftun beau tableau de VanOoftle pere; il repréfente la def cente de croix; ce tableau eft compofé d une belle manicre, il y a bien du genie Les tableaux qui décorent les falies de cet hotel, ne font pas précieux ; celui qui eft dans la falie d'aflemblée , n'eft cependant pas fans mérite; il eft bien dans la manicre de Quentin MaiTys • il a été reint par A. ClairTens:cc tableau repréfente ie jugement de Cambife : il y  dans les Pats-Bas. 179 K de la couleur & du caradere dans les têtes, mais trop de fechereffe. Dans la même falie eft auffi le portrait en pied de la feue impératrice reine peint par de < Vich : c'eft une copie de celui peint par Meyntens. Dans la falie des états eft auffi une copie du portrait de cette princeffe peint par le même Meyntens & copié par le même Vich : 1'impératrice y eft repréfentée habillée en dentelles & affife fous un dais. Dans la falie oü 1'onjuge les criminels , eft un tableau qui repréfente le repas d'Efter; il eft bon, mais a trop de fechereffe; A. ClaiiTens 1'a peint. D'après tout ce que les magiftrats de la ville de Bruges ont fait & font encore tous les jours pour encouragcr 1'induftrie de leurs concitoyens , pour faciliter les opérations du commerce, pour 1'attirer dans leurs murs , ainfi que les éirangers, l'on ne peut trop admircr & louer leur patriotifme; c'eft a jufte titre qu'on leur donne le beau nom de peres Hó  iSo Le Voyageur. du pcuple. Loin de chercher a aggraver fes charges, ils mettent tout en ufage pour les diminuer; ils adminiftrent les revenus de la ville avec tant de fageffe & d'oeconomie, qu'ils peuvent faire les plus grandes chofes fans avoir recours a la voie de 1'emprunt, ou a celle de 1'augmentation des droits qui fe percoivent & qui forment la principale branche du revenu de la ville. Quand il s'agit de faire quelque chofe d'utile pour le public , de former un établiflement en faveur des malheureux, c'eft alors qu'ils font prodigues : dans 1'adminiftration de la ^juftice , ils font d'une impartialité quon ne Peut trop louer, & dans la diftnbution des places & des emplois qui dépendcnt d'eux, c'eft le mérite & les talens qu'ils pefent. Les détails que je vous donnerai dans la fuite de tout ce qu'on a fait ici depuis quelques années, vous convaincra, Monfieur, que c'eft avec jufte raifon que les magiftrats de Bruges font cheris de leurs conci-  dans des Pays-Bas. i8ï toycns qui les aiment par reconnoiffance & les refpeélent moins par dcvoir que par fentiment. . Je ne fais pas quel eft le revenu de, la ville, ni la maniere dont il eft formé; on garde fur cela ici un filence dont je nc concois pas l'objet. On obferve la même difcréüon fur 1'em.ploi de ce revenu. La ville de Bruges doit beaucoup mais elle paye exaétement fes engagemens. L'évêque de Bruges en fa qualité de prévöt de St. Donat & de chancelier héréditaire de Flandre, a un tribunal oü s'adminiftre la juftice en fonnom par des officiers qu'il nomme : ces officiers font un bailli , un préfident , 24 lindics, un greffier & un receveur des^ épices& amendes : leur jurifdiétion s'étend' fur une partie de la ville & fur une partie du franc ; ils prennent connoiffance des affaires civiles & criminelles, mais ils n'ont aucune part aux affaires de finances. Les chanoines de St. Donat ont auffi  m Le Voyageur Me jurifdiction affezétendue, mais quand saSIt du criminel, leurs officiers qui exercent cette jurifdiétion, fe réuniffent a ceux du prévöt pour ne former qu'un college; il D'y a aIors qu>un fed nant bailli & un greffier pour ^ ^ « 24 ieudataires de ladite cour vulgairement apellés Redenacrs. Les procés s mftruifent par tour de role & quatre chanoines affiftent a 1'inftruction des proces. L'on appele de leurs fentences au chapitre aflemblé & dela au confeil de Flandre. La cour fpirituelle de Bruges eft compofée d un official , d'un fifcal & d>ungreffier : ce tribunal a fes avocats & fes procureurs II y a auffi a Bruges quatre juges finodaux. ^ II y a a Bruges une cour féodale a la quellc prefide le grand bailli. Ce tribunal eft compofé des hommes de fief 6 d'un lieutenant-bailli & greffier 0n 7 juge tous les procés concernant les  dans les Pays-Bas. 183 Les juges ici font payés comme le font ceux de Bruxelles, mais les avocats a Bruges regoivent 28 fols par heure. Les medecins ne font pas mieux traités ici que le font ceux de Bruxelles ; fept fols par vifite eft tout ce qu'ils peuvent exiger. Les meilleurs font , a ce qu'on m'a dit, MM. Jamin de Vaux, & Feutzj il y a parmi eux des charlatans comme il y en a partout ailleurs. C'eft la rcffource des ignorans & de ceux de ce corps qui défefperent d'obtenir la confiance du public. Le médecin de Bruges qui eft apellé en confultation, regoit 2,6 fols, les chirurgiens n'ont que la moitié de ce que les médecins ont droit d'exiger , pour leurs honoraires. Je ne fais pas pourquoi cette diftinction. II feroit plus facile de fe paüer de médecin que de chirurgien & tout médecin qui ne poifede pas les connoiffances qui conftituent 1'habile chirurgicn, nc mérite aucune confiance. Les journaliers font ici bien mieux payés Nque partout ailleurs; ils regoivent 20  lS4 Le Voyageur fols par jour de leurs maitres, mais celui pour qui leur maitre les employé, lui paye 24 fols ces quatre fols font réputés être pour les outils qu'il leur fournit • ceux qui fervent les journaliers & que nous nommons manoeuvres, rcgomnt 12 fols par jour. Les vivres n'étant pas plus chers rei qu'a Bruxelles, il eft étonnant que la main d'ceuvre y foit plus chere. Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 185 LETTRE XVI. Bruges ce.... Juin 1783. Le diocefe de Bruges, Monfieur , n'eft pas fort étendu ; il ne contient en tout que 114 paroiifes divifées en un archiprêtré & fept doyennés ; on compte dans ce diocefe deux abbayes d'hommes & une abbaye de filles de 1'ordre de St. Bénoit , une abbaye d'hommes & une abbaye de filles de 1'ordre de Citaux, une abbaye d'hommes & une abbaye de filles de 1'ordre de St. Auguftin, 17 couvens d'hommes, 16 couvens de filles y compris ceux qui viennent d'être fupprimés. II y a aufli dans ce diocefe une commanderie de Malte , fept villes & 136 bourgs ou villages. L'évêché de Bruges a été erigé en 15595 avant Bruges étoit de 1'évcché de Tournai. L'évêque de Bruges eft fuffragant  186 Le Voyageur de 1'archévêque de Malines; fon revenu eft ü'environ 45000 ff il a fe citre de Chaneeher perpétuel & héréditaire de ■Mandre: On compte dans Bruges huit paronTes en outre 1'églife cathédrale, deux collégiales. U y a auffi une églife collégiale a Thourout. L'églife cathédrale dédiée a Donat eft trés ancienne; elle fut dabord batie en 621 & rebati enfuite par Baudouin, dit Bras de fer, comte de flandre; en 994 Arnoud, comte de Flandre , établit dans cette églife 13 Chanoines avec un préyxit; leur nombre a de* pms été porté a 32 par Robert de Jerufalem qui donna au prévót le titre de chanceher de Flandre & aux chanoines eelui de fes chapelains. Comme la prévóté a été unie a 1'évêché, 1'évêque de Bruges a toujours continué depuis a prendre le titre de chancelier perpétuel de Flandre.'Le nombre des chanoines eft a préfent de 28 dont cinqfont dignitaires du ■ nombre defquels eft le doyen. 11 y a auffi  dans les Pats-Bas. 187 dans cette églife bi chapelains & vicaires II V a dans cette cathédrale des canonicats qui valent 1600 florins d'autresqm ne rapportent que 600 fl. les chapelains retircnt chacun 500 ft, La cathédrale de Bruges eft d'une architeéture gothique ; elle eft grande & claire : le maitrc-autel du chceur eft de marbre , grand & bien compofé; mais le couronnement en eft un peu lourd & fans bonnes formes. Trois tableaux décorent alternativement cet autel , 1'un peint par G. Seghers eft une adoration des rois; celui des rois qui eft placé fur le devant, eft de la plus grande beauté : on peut regarder ce tableau comme un des plus favans qu'ait faits ce maitrc ; la compofition efcxd'une grande maniere , le deffin ferme , tout y eft du meilleur goüt & du faire lc plus large & le plus libre , auffi ce tableau a.t.il le plus grand effet; le fecond eft de Philippes Champagne ; il repréfente des anges , des percs dc Tanden & du nouveau teftamcnt en adoration devant le bt.  fS Le Voyageur Sacrcment; c'eft un fujet ingrat aflez bien ^ dans ce tableau. Le 3e. vaut mieux; grande correcïion de deffin, d'une belle couleurbien peint, Wen d'accord & cependant de peu d'effet. fl g ^ fTai eft bien en ■ il n y a dans ce tableau que cette %ure. Ce tableau me rapelle la dcfcrip! tion que donne M. de la Roche dans ion Voyage d'un amateur, de deux bas rehefs qm décorent a 1'extérieur le jubé de la cathédrale de Bordeaux. Le bas reliëfd oZ tr'T^ U ^rreclion; oyvou Jefus-Chrifl klever de fon tornbeau porté fur un aigle , de la „terne manme que les payens repréfentoient Jupiter apparotfant dans fa toute-puijfance:onremarque fur le devant quelques faldats endormis ; d autres qui s'éveillent & paroiffent vouloir s'oppofer a Pafcenfion du Sauveur; mais farehange St. Michel leur pré Jente d une main la tête de Médufe,& tient de- f autre fon epée flamboyante : dans lt  dans les Pats-Bas. 1-89' haut on appercoit un phoznix fur un bucher quï-paroit renaitre de fes cendres &c. Le bas reliëf d droite , a pour fijet la defcente de Jefus-Chrijl aux enfers; on le voit fur le devant combattre avec les armes B fous la figure d'Heren le, Phydre qui s'oppofe d fon entree , Caron & fa bar que font de Pautre cöté du fleuve. Nombre de diables regardent ce combat^d''autres fuyent: une mee d'anges paroijfent en attendre Pijfie & femblent tendre une mén fecourable dquelques ames heureufes & afpeiger toute la fcène avec une forte de goupillon. Les ■ têtes des damnés font principalement remarquables ; on en voit qui portent des cafques , des mitres , des capuchons , des couronnes &c Ces écarts d'imagination fe trouvent quelqucfois dans les plus grands maitres. Combicn dc fingularités n'appercoit-on pas dans le jugement dernier de Michel Ange; ici c'eft un diable qui faiftt un cardinal , condamné au feu éter; nel , par la partie de fon corps qui lui avoit fi fouvent fait oublier le vceu d©  ipo L e Voyageur chafteté; la c'eft une reJigieufe peu chafte qui eft faifie Par 1'cndroit par ou elle avoit le plus pêché. C'eft par la barbe qu'un demon entraine aux enfers un capucin. Ce tableau ome, je crois, une' des lalles du vatican. Au delfus des ftales des chanoines, font huit tableaux de J. Van-Orley. Les fujets font tirés de la vie de Jefus.Chrift. Tout ce qu'il y a de meilleur dans ces tableaux , a été pilié chez les plus grands maitres & furtout dans Jouvenet. Quelquesuns de ces buitiableaux, font cependant alkz bien compofés , toutes les teintes loca.es manqucnt de vérité; la nature n y eft pas affez rcfpedléc. Ces huit tableaux ont été exécutés en tapilferie a Bruxelles par Vander Borgt & on les tend fur les tableaux depuis paques jufqu a la touifaint, pourquoi cela , c'eft ce qui n'eft pas aifé è deviner. Une autre fingularité qui m'a frappé, c'eft le foin qu on y prend de £enir enfermé ^ le trcior de la facrifiie de cette églife  dans les Pays-Bas. 191 deux fuperbes tableaux de Rubens ; on 'ne les laiffe voir au public que les jours de grandes fêtes. Le facriftain a eu la complaifance de me les montrer & meme de me laiffer toutle tems de les examiner avec la plus grande attention ; lm eft le bufte de St. Pierre , 1'autre celui de St. Paul ; la nature n'oiire rien de plus beau; les caraéteres des têtes font fublimes, les formes fixées avec la plus grande eorreétion,^ c'eft le faire le plus facile; c'eft 1'expreffion la plus forte : a la fraicheur de la couleur l'on croiroit que ces tableaux fortent .des mains de 1'artifte. Les autres tableaux qui ornent cette cathédrale, font une adoration des bergers par Otto Venius; il eft beau & a bien de 1'effet; un enfeveliffement de jefus-Chrift par A. Janifens; le fujet eft .éclairé au flambeau : ce tableau eft correct, vigoureux & d'une grande maniere St. Charles Boromé qui donne la communion aux peftiférés par Gilles Bakereel;  Jo_ Le Voyageur on le croiroit de Rubens tant il eft compofé avec nobleffe & fentiment; la couleur en eft belle & argentine; il eft du deflin le plus fin & de la rneilleure draperie : enfin une adoration des rois de Van-Eyck; il y a dans les têtes un peu de fecherefie , furtout dans celle de St. Don at. La chaire a prêcher de cette églife, eft d'une forme ordinaire, mais d'une belle exécution, elle a été faite par Vervoot d'Anvers. Trois maufolées d'évêques méritent qu'on les confidere avec attention, deux font du fculpteur Puline & le 3e du fculpteur Van-Poucke, dont je vous ai déja parlé , lorfque j'étois a Gand. On aime ici les arts agréables & il n'y a pas un feul cabinet de peinture. Feu MM. Wapenaert & Van-Overloop font les derniers qui en aient eu un ; a leur mort ils ont été venaus : il y avoit dans celui du premier plufieurs morceaux précieux. II y a cependant ici une académie de peinture, de deffin & d'architecture  dans les Pays-Bas. 193 d'architecture civile ; un de fes éleves, nommé Suvé , a remporté en 1779 le prix de 1'académie de peinture de Paris; 1'année derniere celui de 1'académie de Ivlilan, a été remporté par un autre éleve nommé Goddyn ; 1'un & 1'autre font bourgeois de Bruges. Tous les ans 1'académie de cette ville diftribue fix médailles d'argcnt, que lui envoye S. M. Imp. aux deux premiers de chaque claffe : lés profeffeurs actuels de cette académie, font MM. de Cock, Heylbrouck, de Rycke" & Fcyts junior. Une autre académie bien plus importante pour une ville maritime , a été établie ici il y a quelques années par les refpeétables magiftrats de Bruges; on y enfeigne tous les jours de la femaine a Pexception du famedi, depuis neuf heures jufqu'a onze heures & 1'après midi, depuis deux jufqu'a quatre, 1'hydrographie ou 1'art de naviger. Le profeffeur fe nomme Mr. de Wind; il a été longtems fur mer & a fait plufieurs ■ Tome V. Partie III. I  194 Le Votagetj-r. voyages cn qualité de capitaine de vaiffeau; il eft penfionné par 1'hötel de ville dont il reeoit a ce qu'on m'a dit} chaquc année 1200 fl. 11 eft déja forti de .cette école de bons capitaines de navires marchands. II y a ici une chapelle remarquable pour fa forme qui eft celle, dit-on , qu'avoit la chapelle du St. Se.pulchre de Jerufalem; pour qu'elle lui reflemble parfaitement, fon fondateur , nommé Adorne, a fait cxprès deux fois ie voyage de la terre fainte : cela peut encore être mis au nombre des fingula•rités. On nomme cette chapelle la chapelle des pcintres. La garde des archives de leur corporation a eu la complaifance •de me faire voir un tableau de Jean Van-Eyck qui eft le portrait de fa femme : on expofe tous les ans ce tableau le jour de la St. Luc, mais il eft attaché avec des chaincs & des cadenats dans la •crainte qu'il n'ait le même fort que fon pendant qui a été enlevé fans qu'on ait pu favcir ni par qui , ni eomment, J'ai  dans les Pats-Bas. 195 trouvé dans ce tableau de la vérité & de la couleur , mais aufli beaucoup de fechereffe: ce.qui le rend précieux, c'eft 'qu'il eft un des premiers tableaux qui (alt été peint a 1'huile. Je fuis, &c»  ip'5 Le Voyageur. LETTRE XVII. Bruges ce... jfuilkt 1783. I^a fuppreiïion des couvens , Monfieur, n'a produit ici aucune efpcce de fenfationj le bien général qui en reiultera pour la fuite de leur fuppreiïion, fait qu'on confidere peu le mal préfent qu'elle occafionne en particulier a quelques citoyens. L'on a été plus fenfible a la fuppreiïion des Jefuites paree que c'étoient des hommes laborieux , véritablement utiles a la religion & a Ia fociété, on peut même dire aux arts & aux fciences. II auroit fallu réformer leur régime, qui pouvoit être dangereux, mafs moins qu'on ne le croyoit, & fupprimer tous les autres ordres religieux , & furtout ces riches abbayes d'hommes & de femmes qui fervent de retraite a des êtres inutiles a Ia fociété. Ces abbayes font d'autant plus  dans les Pays-Bas. i97 nuiftbles dans les Pays-Bas Autrichiens - i ila ■ celles d'hommes qu'elles font peuplees . cenes de citoyens dont la fociété pouroit retirer de trés grand? avantages tant pour la culture que pour la défenfe de 1 etat. H Y a ici huit paroiifes ; ce nombre eft trop petit. Les fondtüms d'un cure font fi mukipliées,ft diverfifiées,-fi importante*, qu'il n'eft pas poffible Ju* les rempliffe avec fruit a 1 egard d un grand nombre d'individus. Un viüage L ioo fcux occupe tous les momen d'un curé, comment peut-on fuppofer que huit curés dans une ville qui comme celle de Bruges contient 45000 habitans, puiifent s'acquitter a leur egard de toutes les fonétions penibles & «n portantes qu'ils ont a remplir & qu il faut qu'ils rempliffent pour être véntablement utiles. Je crois qu'on pouroit tripier a Bruges le nombre des paroiffes; cela eit d'autant plus facile aujourd'hui qu on peut ériger en églifes paroiffiales celles des I 3  io8 Le Voyageur maifons réligieufes qu'on vient de fup- primer. J'ai vifité aujourd'hui 1'églife paroiffiaJe & collégiale de Notre Dame; le chapitre de cette églife a été fondé par un eveque de Tournai en , op i; il fut alors compofé d'un prévót & de 12 chanoines; ïl ny en a aujourd'hui que 10, 23 chapelains & quatre vicaires. Les prébendes de ce chapitre valent chacune fl. 600 le prévót eft curé de cette paroiife. Rien « plus beau, Monfieur, que le groupe ce marbre que j'ai vu dans la chapelle de la communion de cette paroiffe; il eft d Angelo Buonaruoti, ou Michel Ange • , *V01J été fait Pour la ville de Gcnes; ie vaifleau qui en étoit chargé fut Pris Par un corfaire hollandois en fortant de Uvita V ecchia qui leconduifit a Amfterdam ou il fut vendu a trés bas prix a un négociant marguiller de la paroiffe de Notre Dame qui Ie lui donna en prélent. L'on afTure que Lord Walpole en palfant par ici, en a offert vainement  dans les Pays-Bas. 199 aux marguillers 30000 fl. argent derchamgc ; il en auroit donné le doublé, fi. les marguillers PeuiTent éxigé , mais ils ne voulurent entendre a aucune efpece de propofuion que leur fit le Lord. Le-déffin tereÜement de ces marguillers eft trés louable , mais, comme je vous 1'ai déja dit, Monfieur , a 1'occafion de la vente des tableaux, je crois qu'il feroit utile aux arts qu'on donnat dans les Pays-Bas Autrichiens une loi qui deffendroit a tous les gens de main morte de vendre aucun tableau, ni morcean de fculpturc, fans le confentement du miniftere public. Le beau groupe que poflede Péglife Notre Dame repréfente la Vierge aflife de face , ayantfon enfant debout entre fes genoux ; tout y eft grand comme nature; les chaires font traitées avec fouplefle & ferme, té, les têtes avec la plus grande finefië; elles ont des expreflions vraiement divines ; les pieds St les mains font d'un deffin fin & correct; les draperies font bien dans la maniere antique; elles pa- I 4  aoo Le Voyageür roüTent pillées au gré de h nature fans nen cacher des formes; touc eft annonce fans iechereffe : le hazard femble avoir tout indiqué. Quoique 1'exécution foit d un beau hni , e]]e eft favante & parat cependant avoir peu couté de travail a 1 artifïe. Les maufolées de Marie de Bourgogne morte en i482 & de Charles le Hardi ion pere tué devant Nancy en 1477 qui font dans l'églife de Notre Dame ,'m'ont occupé fingulierement; vous devez vous rapeller que Louis XV voyant le premier dit voila le berceau de Pinimitié funefte qui regne depuis fi longtems entre la France & PAutriche. Ces deux maufolées ont été conftruits en 1558 par les ordres de Marie d'Autriche , 'petite fille de Charles le Hardi & feur de Charles Quint après qu'elle eut fait transférer a Bruges & dépofer dans l'églife Notre Dame le corps de fon grand pere qui avoit d'abord été enterré a Nancy dans l'églife St. Georges. Ces. maufolées font  dans les Pays-Bas. sop de pierre- de touche; les figures de grandeur naturelle , font de cuivre d'oré au feu; fur 1'un des maufolées eft la figure de Marie, & fur 1'autre celle de Charles, toutes deux font couchées. Les armes des 17 provinces qui fervent d'ornemens a ces monumens, font en email ; les autres ornemens font en cuivre d'oré aufli au feu- Pour un amateur des arts, rien n'eft indifferent. L'on m'avoit dit qu'on confervoit dans le tréfor de cette églife, une chappe , une chafuble & des dalmatiques de la derrtiere richeffe que Maris deBourgogne avoit elle même brodés ; jedemandai a les voir & l'on eut la complaifance de me les faire voir : les perles & les diamans qu'on a répandus avec profufion fur ces habillemens facerdotaux, font leur principal mérite , fi ce n'eft qu'on regarde comme un plus grand encore leur ancienneté de 300 ans. La broderie d'alors étoit trés folide, mais elle n'avoit ni autant d'éclat ni autant d'agre- I 5  soa LE Voyageur ment que celle d'apréfent. II n'en eft pas de même de Part de la peinture & de la fculpture, leurs productions, enfans du geme, ne ciennent rien du tems. lelie de ces produclions qui a été feite il 7 a plufieurs fiecles & feroit faite dans cclui-ci par Ie même artifte, ne fero,t m plus belle ni plus fraPFante. Le geme eft immuable, il ne varie jamais. Dicu dit que la lutniert ft fit & la l^ere fut faite, fera roujours Pexpref,Z hf fS ^ & la plus fublime dont fe f01t fervi ]e génie. Le gu'ïl mourut de Corneille ne vieillira jamais Les produclions des arts qui tiennent' tout leur principal mérite de 1'efprit & du goüt, n'ont que des beautés de conventions : ce qu'on admire en elles aujourd'hui pourra déplaire dans le fiecle lutur. II y a dans l'églife de Notre Dame quelques tableaux; celui du maitre autel qui repréfente notre Seigneur crucifié entre les larrons, peint Par P. Porbus, eft au  dans ies Pays-Bas. 203. deffous du médiocre : les figures fur le premier plan foni trop grandes pour les autres ; elles font lourdes &c courtes: tout eft"" noir dans ce tableau. Ce qu'a peint M. de Vos fur les volets vaut bien mieux; fur Tun eft le couronnement d'épines,fur 1'autre une defcente de croix. Ce qu'on a peint au deffus de ces volets ne merite pas la peinc qu'on en parle. Je ne vous dirai ricn non plus d'un grand tableau qui eft placé dans le chceur de cette églife; il a été peint par P. J. Bernaerts & repréfente les trois perfonnes de la Ste. Trinité. J'ai été bien plus content du tableau de J. Van Ooft le pere qui repréfente la Vierge, 1'enfant Jefus , St. Jofeph, Ste Catherine, St. Eloi; il eft bien compofé, deffiné avec correétion; les tctes en font belles & bien peintes: ce tableau fe voit dans une chapelle en entrant dans cette églife par le grand portail. Dans la chapelle de la communiön eft une adoration des bergers peinte en 1574 par F. Porbus ; le deffin en eft correct, la couleur belle & bien fondue: I 6  204 Le Voyageur quoique le pinceau qui les a employés paroiffe liffé, il eft fans moleffe; c'eft vraiement un beau tableau. Les tanneurs de Bruges ont dans cette églife une chapelle fur 1'autel de laquclle eft placé derrière le tabernacle un tableau de J. Hemmelinck qui, dans fon efpece , mérite 1'attention des amateurs & même des vrais connoiffeurs; il repréfente différcns fujets de la paffion de notre Sauveur; les figures ont fix pouces de hauteur : ce tableau eft d'un fini précieux; la couleur cn eft belle, pleine de chaleur & de fineffe; 1'émail le plus parfait n'eft pas plus poli. J'ai vu peu de tableaux de J. Macs qui foient plus beaux que celui qui eft fur 1'autcl de Ste. Marguerite;il repréfente la Vierge & 1'enfant Jefus dans unegloire;au bas font St. Jean & Ste. Marguerite; la tête de cette Sainte eft belle & noble. Les tifferans en laine ont auffi dans cette églife une chapelle dans laquelle ils ont placé un tableau de Herrcgouts le vieux; il repréfente St. Tryon a genoux ayant  dans les Pays-Bas. zog un mouton prés de lui ; des anges font daas le haut, cela ne dit pas grande chofe ; mais ce tableau eft d'une bonne couleur & bien deflïné; pour les têtes elles font d'une nature pauvre & mal coërfées. Paime bien mieux deux tableaux de J. Maès qui font dans deux chapelles de la grande nef; 1'un eft St. Jofeph averti en fonge de fuir en Egypte, 1'autre notre Seigneur avec fes difciples & la Madelaine a fes pieds; le premier eft bien compofé & aflez bien peint, le fecond eft d'un deffin roide & manieré. Dans la chapelle de la croix eft une defcente de croix de Woeyelinck : elle a peu de mérite. Je fuis, &e.  206 Le Voyageur. L E T T R E XVII L Bruges ce.... Juillet 1783. Le5 fabriques ici Monfieur, ne font pas confidérablc-s; elles pouroient devenir plus floriiFantes qu'elles ne le font, fi ceux qui les tiennent avoient plus de moyens, ou que les capitaliftes vouiuffent leur confier leur argent. La fabrique de collie rayée & acarreaux, eft celle qui m'a Paru profperer darantage. Les maitres de cette fabrique, faute de facultés, ne peuvent profiter des circonftances pour 1'achat des fjfc qu'iis employent: c'eft dans le pays & a Elberfelft qu'ils achetent ces fiis. Cêux qui tiennent les fabriques de bafin , n'ont aicune efpece de crédit;cela fait qu'ils travaillent peu. Les fabriques de ferge blanche & noire, ne font pas plus florüTantes ; les ouvriers qui y font employés, ainfi qu'a celles des bafins,gagnent huit & dix fous par ?our mais ü faut qu'ils fe metcenc au travail a'  dans les Pats-Bas. 207 la pointe du jour & ne le ceflent qu'a neuf a dix heures du foir : il y en a cependant quelqu'uns d'entr'eux qui gagnent 12 fols, mais le nombre en eft fort petit. Ce falaire n'eft pas eonfidérable, furtout fi l'on confidere la chereté des vivres & les charges publiques qui fe payent a Bruges. C'eft d'Ypres, de Courtrai & d'Anvers qu'on tire les fils qu'on employé ici a la fabrique des dentelles : l'on m'a dit que les neuf dixiemes des femmes & des filles qui y travailloient, ne gagnoient que 4, g3 6 ou 7 fols par jour, que les autres ne retiroient de leur travail que huit a dix fols & celles qu'occupent les lingeres 12 fols; toutes , pour ce falaire modique travaillent depuis le matin jufqu'a la nuit; dans 1'hiver elles font obligées de travailler a la lumiere, ce qui diminue encore leur gain. Prefque toutes ces ouvrieres fe nouriffent de lait, de pain bis & d'un peu de beurre; fi elles mangent par hazard des pommes de terre, elles les font  2o8 Le Voyageur. cuire dans du lait aigre avec un peu de fel. II 7 a ici des corporations ou communautés d'art & métiers comme dans les autres villes des Pays-Bas Autrichiens; ces corporations ont des ftatuts que ceux qui exercent ces arts & métiers font obligés du fuivre : ces ftatuts font trés anciens & leur effet eft de gèner 1'induftrie des fabriquans, de retrecir leur génie, de contrarier leur goüt; ils les découragent. II faut que le fabriquant donne a fon étoffe la largeur & la longueur qu'on a ordonné qu'elle auroit; il ne peut y rien changer; s'il le fait il eft condamné a 1'amende. Ce qui nuit encore aux prqgrès & 1'augmentation des fabriques dans les Pays-Bas Autrichiens, ce font les droits d'entrée auxquels font affujetties les matieres premières qu'on employé dans ces fabriques & les droits de fortie que payent ces mêmes matieres après qu'elles ont été manufaéturés. L'on m'a hier affijré que les laines que les fabriques de  dans les Pays-Bas. 209 draps font obligées de tirer de 1'Efpagne, payent encore aujourd'hui les mêmes droits d'entrée qu'elles payoient il y a cinquante ans qu'on les tiroit des hollandois. Les fabriquans les tirent aujourd'hui dire&ement de 1'Efpagne; ce devroit être un motif, fi ce n'eft pour les affranchir en entier du droit d'entrée, du moins pour les diminuer. Ce feroit certainement une loi trés fage qui affranchiroit de tous droits de fortie, toute efpece d'étoffes fabriquées dans le pays; en France les papiers qui s'y fabriquent & s'y vendent, payent un droit dont ils font arfranchis quand ils font envoyés au dehors. J'ai vu aujourd'hui l'églife des ExJefuites; elle eft grande & claire, mais on 1'a entierement dépouillée de tous les tableaux qui la décoroient. On y a laiffé la chaire a prêcher qui eft belle & la table de communion exécutée comme la chaire par le fculpteur Vervoot; les figures & les ornemens qui la décorent,  *™ Le Vota geur y font traités avec beaucoup de délicateffe fc^dart. Tous les tableaux, a ce qu'on m'a dit, ont été envoyés a Bruxelles. Un regrette ici beaucoup celui qu'avoit peint Theodore van Thulden; il étoit fi bien dans la maniere de Rubens que nombre de connoiffeurs Pont cru de cc maitre ; il repréfentoit Jefus-Cbrift qui recevoit la vierge dans le ciel. L'on a transféré l'églife paroifïïale de j*t. Walburge dans celle des Jefuites ; leur college a été changé en caferne. Les deux autres églifes de Bruges que j'ai encore vues aujourd'hui, font celles de St. Gilles & de Ste. Anne. Dans la première il n'y a que deux tableaux remarquables, Pun repréfente Jefus-Chrift mort fur les genoux de Dieu le pere; il eft bien compofé & eft d'un effet vigoureux : il a été peint par J. Van-Ooft le pere, 1'autre une Sainte qui communie par les mains d'un prêtre : il eft de Maés: la- paroiffe de Ste. Anne eft plus riche: le plus beau des tableaux qui la décorent,  dans les Pays-Bas.' aix a été peint par Louis de Deyfter : c eft une élevation de croix : c'eft un beaufujet compofé avec efprit, deffiné correctement, peint avec facilité & d'un bel eifet. St. Roch a qui un ange panle la playe eft auffi un beau tableau : on le croit de Van-Ooft le pere. II y a beaucoup d'efprit'dans un autre tableau du même maitre qui repréfente la circoncifion; un autre qui repréfente une apparution & qui eft auffi de Van-Ooft, eft trés bon; mais St. Sebaftien mort du corps duquel des femmes retirent les fleches qui 1'avoient percé , lui eft bien fupérieur; il eft de Deyfter; il a un effet furprenant tant pour la couleur que pour les oppofttions grandes & bien foutenues. Le tableau du même auteur qui repréfente Jefus-Chrift dans le jardin des olives, eft aflez bon, mais les têtes y font médiocres. Le tableau de Van. Cleef qui repréfente notre Seigneur parmi les doéteurs, a un grand merite; il eft compofé & deffiné dans le goiit du Pouffm. Deux payfages que j'ai encore vu dans  212 Ls Voyageur cette églife, m'ont occupé agréablement; 1'un eft de Van Artois, c'eft une fuite en Egypte, 1'autre eft de Lucas Achtfchel-* ling; il eft trés piquant tant pour 1'eifet que la couleur & la touche : les figures qui font de Louis de Deyfter repréfentent le repos pendant la fuite d'Egypte. Un jugement dernier qui occupe toute la largeur de l'églife en dedans & qui va jufqu'a Ia voute , eft une belle compofition, abondan te & variée avec génie; il y a du feu & de 1'efprit, mais les figures font trop grandes pour être vues de fi prés : 1'autcur de cette produétion eft Henri Herregouts:. il n'a pas voilé le nud a certain égard ; fon deffin n'eft ni correct ni élégant; il a poufle les ombres trop au noir. Le ta- bleau du maitre-autel eft du même maitre; il eft compofé avec confufion, égal d'effet & fans aucune harmonie; c'eft la Vierde dans le ciel; au deffus d'elle l'on voit la Ste. Trinité dans une gloire entourée d'anges. Les deux tableaux qui font a cöté de cet autel dont les fujets font  DANS LES PAYAS-BAS. 2I3 tirés de 1'écrïture fainte, ont été peints par M. Gaeremyn j il n'y a rien a en dire. Une fainte familie qui eft le dernier tableau, de cette églife que j'ai vue , vaut mieux quoique ce ne foit qu'une copie de Rubens. Je fuis, &c  214 Le Voyageur L E T T R E XIX. Bruges ce Juillet 1783. JL/ e s ordres mandians , Monfieur, ne poilèdent aucun bien ; ils ne peuvent même, fuivant leur regie, jouir d'aucun revenu autre que celui qu'ils tiennent de la charité publique^ & dans les Pays-Bas Autrichiens , ce font leurs églifes qui font les plus ornées de tableaux. Je ne crois pas qu'ils les tiennent de la liberalité des peintres; ils les leur ont payés du produit de leur quêtesj Cet heureux tems n'eft plus & je crois que ces quêtes ne font plus auffi abondantes qu'elles 1'étoient dans les fiecles paffés; elles le feront encore moins dans les fiecles futurs & je crois même au point que fl l'on laiflbit fubfifter les ordres mandians encore quelque tems, il faudroit que les fouverains fe chargeaffent du-foin de pour»  dans les Pays-Bas. aijj *oir a la fubfiftance de ces bons religieux. Dans l'églife des récolets deBruges, j'ai vu aujourd'hui deux tableaux qui méritent la plus grande attention desconnoiffeurs; celui •du maitre autel peint par Jean Van Hoeck, eft d'une couleur & d'une compofition beite comme de Van Dyck; il repréfente notre Seigneur crucifié, & au pied de la croix la Vierge, St. Jean & St. Antoine. Le tableau de 1'autel de St. Antoine de Padoue ne lui cede en rien;le Saint y paroit dans une gloire ; au bas font des eftropiés & des malades qui Pinvoquenr pour obtenir leur guerifon : le Saint eft en Pair d'une legereté furprenante ,bien pofé & trés expreflif; toutes les .têtes font belles comme de Jordaens : ce tableau eft de J. Van Ooft le pere. Les autres tableaux de cette églife font médiocres; ceux qui le font le moins font eeux qu'a peints un récolet: ils font entre les croifées. Celui de Jean Van Ooft le fils -qui eft fur 1'autel de Ste. Marguerite & qui repréfente cette Sainte appuyée fur un dragon a été copié d'après Vouet; il eft d'une  2iö Le Voyageur. grande foiblefle. Sur 1'autel du nom de Jefus eft un tableau de J. Van Ooft lepere; la couleur en eft crue & 1'eifet foible: il repréfente la circoncifion. Je vous ai parlé etant a Gand d'un tableau de Rubens que J avois vu dans l'églife des récolets de cette ville : ceux de Bruges en ont une copie ' dans leur églife. Je fuis, &c. Fin de la troifime Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, o u LETTRES .fur. 1'état aauel de ces Pays. Felix qui potuit rerum cognofcere caufas! VlRGILE. TOME CINQUIEME. Quatrieme Partie. A AMSTERDAM, Chez Changuion, Libraire. On en trouve dw Exemplaires chez JE. De Bel, ImpnmeurLibraire, a Bruxelles. M. DCC. LXXXIII. "   LE VOYAGEUR DANS LES PAYS BAS AUTRICHIENS. LETTRE xx. Bruges ce, Juillet 1783. jPour bannir de cette ville la mandicité , Ton a , Monfieur , fuivi le plan qu'avoit- donne M. Taintenier tant pour la perception que pour la diftribution des aumones. Ce qu'on fait ici eft précifément ce qui fe pratique a Gand : je vous 1'aifait connoitre. Depuis 1776, une cliambre compofée de 19 citoyens recucilK 2  -22o Le Voyageur Jent dans la ville les aumones volontaires qu'on leur remet & toutes les femaines chacun d'eux en fait la diftribution aux pauvres du quarticr qui lui a ■été allighé. Cette diftribution eft proportionnée aax befoins de chaque pauvre qui-fe trouvc dans le cas de'mendier foute de. travail. LeS- autres pauvres. font fecourui'chacuny dans fa paroiffe par ■ ce qu'on nomme dans chaque paroiffe la table du St. Efprit. Depuis peu de tems' ceux de ces pauvres .qui. font agés de: 77 ans, font .a la charge de la chambre des pauvres. ^'Chaque- table du -St. Efprit a fon adminiftrateur : il me paroi-t qu'il auroit mieux valu né fai're qu'unc maf-^ lè des aumones _recueill,ies-par les membres de la chambre . des pauvres & des xevenus des tables dü St. .Efprit. '11 y a ici, Monfieur, des fondations pieufes attachées a trois maifons ou hópitaux ou fe retirent de vieux hommes, &de vieilies femmes pauvres; ils y font %és ,. chauffés & éclairés ; l'on diiir.f-  dans les Pats-Bas. aar buc a chacun d'eux chaque femainc une petite fomme d'argent pour leur fubfiftance. Ces trois höpitaux font ceux de la' Madelaine, de St. Nicolas & de la Poorterie: dans l'églife de celui-ci, font deux tableaux de J. Van-Ooft le pere ;^ 1'un repréfente la Vierge & fon fils; a leur genoux eft un homme en prieres ; c'eft un bon tableau ; 1'autre eft bien compofé & d'une couleur vigourcufe ; il repréfente une adoration des bergers. Dans la même églife eft auffi un tableau de Van . Baclen ; il. a quclquc mérite.- J'ai trouvé trois tableaux de Herregouts le vieux , dans- l'églife de Phópital de la Madelaine; s'ils ont quclque mérite dans la compofition , ils font tous trois d'une grande foibleiTe ; 1'un repréfente 1'affomp: tion , 1'autre la Madelaine pénitente & • notre Seigneur mis au tombeau. L'églife de Phópital de St. Nicolas poffede un fuperbe tableau de G. Crayer; il repréfente Tcfu^-Chrift mort ; un vieillard lui tient J ~ Ka.  la têcc; St. Jean Paroit lui foulever les jambes; la Madelaine eft auprès & quelques autres figures; ce tableau eft auffi frais que s'il vcnoit d'être peint; il eft de Ia plus belle cempofitien , du deffin le plus corred , d'une couleur excelente , d'un grand eifet & d'un beau pinceau; les têtes. fortbelles. 11 fubfifte encore ici un hópital qu'on nomme 1'hópital St. Julien, il eft pour les pelcrins ; c'eft une fondation trés ancienne : on y recoit aujourd'hui les voyageurs pauvres qui pafent par Bruges; ils y font nourris fe logés gratuitement. Dans eet hópital j'ai vu le plus bcau^ableau qu'ait peint J. Hemmelinck; il eft de 1484, d'un précieux fini & de la plus plus belle couleur : l'on y voit St Chriftophe qui porte Jefus-Chrift a bord d'une rivicre qu'il traverfe a pied ; St. Bénoit & St. Gilles font auprès. Sur le volct a gauche eft Ste. Barbe & une femme & fa fillc a genoux; fur le vqlet a droite eft peint St. Guillaume & une homme fe fon nis a genoux.  dans l£s Pats-Bas. ai% Dans cette même maifon de charité font encore un joli tableau de Poelembourg ; il repréfente Jefus-Chnft a la croix & aux deux cötés de la croix la Vierge & St. Jean ; deux bons tableaux de J.. Van Ooft le pere ; fur 1'un eft peint un \ philofophe; la tète en eft belle ; fur 1'au- ■ ~tre font repréfentés la Vierge & 1'enfant Jefus ; la Vierge eft belle; enfin une réfurrection du Lazare par L. de Deyfter; il eft bien peint & bien compofé. Tous ces tableaux feroient mieux placés dans un ma- • fcum qu'on formeroit icr , ou dans une-falle de 1'académie de peinture. , Deux écoles de charité'ont été ancicnnement fondécs & fubfiftent encore ici; dans Pune l'on éleve cent jeunes gargons pauvres qui y entrent a 10 ans & y reftent jufqu'a ce qu'ils aient appris un métier & puiifent 1'exercer, dans 1'autre font élevées cent jeunes'filles qui y entrent aufli a 10 ans & n'en fortént qu'a vingt, fi ce n'eft ' qu'elles'nc trouvent occafion auparavant de fervir ou de travailler utilement chez dejs K 4  224* . Le Voyageur perfonnes bien famées qui s'en chargent & en répondent: ces deux maifons de charité font adminiftrées gratuitement par 'des notables de la ville. Dans chaque paroifle de Bruges eft une école gratuite oü l'on enfeigne aux enfans des pauvres a lire, a écrire, aux filles a fiier & aux garcons a faire des filets. Ces écoles font fous 1'adminiftra^ tion de quelques paroiffiens les plus notables des paroiiïes qui s'en chargent gratuitement; il y a encore dans Bruges une école gratuite & publique oü l'on enfeigne tous les dimanches a lire, a écrire & 1'arithmétique ; cette école fe nommé la congrégation des apotres. Les pauvres malades font reeus a Bruges dans un hópital qu'on nomme 1'hópital St. Jean ; on y peut loger 130 malades ayanc chacun leur lit particulier; mais comme ces lits font faits de maniere a pouvoir contenir deux maladés, 260 peuvent y être reeus, mais ce doublement ne peut fe faire fans un ordre du  dans les Pays-Bas. 11$ magiftrat de la ville dont cet hópital dépend entierement. Le revenu de 1'hópi.tal de Bruges eft de 25000 fl. comme il n'y a pas d'hópital pour les malades ni a Oftende ni a Nieuport, il arrivé quelque fois que le magiftat de Bruges permet a 1'höpital de cette ville d'y recevoir les malades de Nieuport & d'Oftende; l'on y en a regus de eclie-ci dans le ; courant de 1'année derniere 1500 dont . 310 y font morts. Cette multiplicité de malades envoyés d'Oftende, étoit occafionnée par les ouvrages publics qu'on ■ y faifoit: le foin qu'on a pris d'eux a été aufli grand que s'ils euflent été citoyens . de la ville de Bruges. C'eft un acte . de charité & d'humanité qui fait hon. neur au magiftrat de cette ville ; fon hópital eft deflervi par des réligieufcs qui ne font recüs a faire leurs vceux qu'aprcs que le ' magiftrat a corfenti qu'elles les fiflent. J'ai vifité , cet hópital & j'ai été attendri jufqu'aux larmes de voir - avec quelle bonté, quelle humanité les K 5  22<5 Le Voyageur. malades y* font traités; les bonnes religieufes qui les fervent ont des égards & des attentions pour eux qui m'ont furpris : le bouillon , les alimens, tout y eft foigné avec un attention extréme ;on ne tefufe rien dans cet hópital a un malade, quand ce qu'il demande ne peut lui nuire : les médjcamens font apprê- , tés avec le même foin qu'ils le feroient chezle meilleur apothicaire , mais ce qui m'a le plus frappé, c'eft la grande propreté qui y regne; tous les jours & a toute heure du jour Phópital de Bruges eft ouvert auxMnalades que la pauvreté oblige a y chercher un azile; il ne feut pour y être recu qu'une atteftation de pauvreté de fon curé : les étrangers qui venent y être admis, en payant une médiocre rétribution y font traités &' foignés aufli bien qu'ils le ïèroient chez eux. J'ai demandé a être introduit dans 1'intérieur de la maifon de ces bonnes réligieufes; elles me Poef permis & j'ai vu dans la falie oü elles tiennent chapi^  dans les Pays-Bas. zij ; tre deux tableaux de J. Hcmmelinck j 1'un repréfente la Vierge & 1'enfant Jefus, St. jean 1'Evangelifte, St. Jean le précurfeur, Ste. Barbe, Ste. Catherine & de Anges, & fur 1'un des volets la décolation de St. Jean, & fur 1'autre *un fujct tiré de 1'apocalipfe : tout eft d'un fici précieux dans ces trois morceaux; les têtes y font jolies, mais aufli le deffin y eft roide & fans vérité ; 1'autre eft une adoration, des Rois: fur 1'un des volets , l'on voit Notre Seigneur prcfenté au tcmple : dans ces tableaux les draperies font de mauvais gpüt '7 elles font boudinécs, . mais cela eft compenfé par beaucoup de fineffe & de' caraclere dans les têtes & par un fraicheur de couleur qui étonne vu le tems oü elle a été employee. Sur la cheminée de cette falie eft un tableaux bien compofé & bien peint de J. Van Ooft le pere; il repréfente la Vierge , 1'enfant Jefus , St. Jean , St. Auguftin & des religieux a genoux : paflant & K 6  £2ö Le Votaseür de cette falie du chapitre dans le refectoire, j'ai vu huit tableaux 1 peints par Vifch, aucun d'cux ne m'a occuré. Dans l'églife trois tableaux de J. Van Ooft le pere, mont fingulieremcnt affeclé, furtout celui du maitre autel qui répréfcnte la Vierge tenant 1'enfant Jefus, aubas font des Saints en adoration : ce tableau eft bien dans la maniere du Pouffin , d'une bonne couleur & bien peint; toutes les têtes en font belles; 1'autre tableau qui eft une defcente de croix, eft auffi un bon tableau; fur 1'un des volets, fonts de religieufcs qui vivoient lorfque fut fait ce tableau. Le troifieme tableau placé fur 1'autel de Ste. Apoline repréfente cette Sainte portée au ciel ; il eft auffi trés bon. li y a encore dans cette églife un tableau qu'on n'y expefe aux yeux du pub'ic que dans certains jours de 1'année; on ie nomme la ckaffe decarte Fan Mander; elle a été peinte par J. Hemmclinck • le fini en eft preucux, la couleur de la plus grande renté, mais il y a dans ce  DANS LES PAYS-BAS. 229 tableau un peu de fechereffe qui le depare. L'églife des carmes chauffésquej'aivifitée auffi aujourd'hui, eft ornce de fix tableaux de L. de Deyfter dont le plus beau repréfente Jefus-Chrift mort fur les genoux- de fa mere, la Madelaine qui ambraffe fes pieds '& St. Jean qui eft placé derrière elle; il a bien du feu & furtout une grande correction de dein. Celui qui repréfente un Saint de 1'ordre a qui un ange porte a manger, eft bien compofé & d'une bonne couleur; la tête du Saint a bien de 1'expreffion. Ste. Marie de Fazzi & notre Seigneur a la croix, ont quelque mérite; Deyfter y a repréfenté la Sainte foutenue par un ange recueillant le fang qui coule des playes du Seigneur; fi la tète de la Sainte eft d'un cara&ere médiocre & maniéré, le refteeft d'une grande & belle maniere.Un carme careffé par 1'enfant Jefus qui eft fur les genoux de fa mere. feroit un beau tableau fi Deyfter avoit moins négligé la tête de la Vierge qui eft trés médiocre. L'affomptiou du même mai-  a3° Le VoYiGETJR. Ve eft mal compofée & furtout le groupe d'en bas: je n'ai refté que peu de tems vis a vis de celui ou il a repréfenté un Saint de 1'ordre célébrant la meife; le plus grand 'mérite de ce tableau eft d'être bien peint. St. Charles Borromée qui donne le viatique aux malades eft un trés beau tableau peint par Bakereel;il eft compofé fupérieurement; il a beaucoup de fineffe dans le deffin & furtout dans les têtes ; la couleur en eft belle ; l'on voit qu'elle a été employée par un pinccau ferme & moëlleux; auffi ce tableau a-t-il le plus grand effet. Le débarquement de St. Louis & recu a terre par des carmes, peint par O. Noliet, ne mérite d'être confidéré qu'a caufe du payfage qui eft beau ; toutes les figures font d'une couleur crue & fauffe: c'eft auffi le payfage qui eft d'un bon ton dé couleur qui fait le mérite d'un autre tableau du même maitre & qui eft dans la même églife des Carmes; il repréfente Elie fur le haut d'une montagl ne & qui voit détruire par le feu ceux qui le pourfuivent, II y a encore dans cette  dans les Pays-Bas. ajt églife un? tableau médiocre de Herregouts .le jeune; il repréfente un religieux Carme qui prêche au milieu d'une affemblée de cardinaux & d'évêqucs. L'on ne m'a pas pu dire le nom de 1'auteur du tableau qui eft au deflus de la porte d'entrée ; il eft trés médiocre & repréfente la Vierge qui donne le fcapulaire a St. Simon Stock. Je fuis, &c  232 Le Voyageur LETTRE XXI. Br"ges ce ....^Juilkt 1783. Les Pays-Bas Autrichiens, Monfieur, n ont pas encore toute la valeur qu'ils pouroient avoir; il feroit, a ce que je crois, trés aifé d'y iutroduire de nouvelles cultures & furtout d'y augmentcr le nombre & la quantité des terres productnces. Pourquoi ne pas employcr au défnchement des terres incultes qui s'y trouvent ceux de fes habitans que la juf. tice a deciarés indignes du titre de citoyen? on les renferme dans des maifons de force , & ils y font d'aucune utilité pour la fociété; s'ils ne font plus membres de la fociété, ils appartiennent a la fociété, & c'eft pour elle qu'on doit les employer; renfermés dans des maifons de force, que font-ils pour elle? rien ; le fruit de leur travail eft pour eux, ils  dans les Pays-Bas. 233 ■tiennent de lui leur fubfiftance : pourquoi ne pas en forraer des corps de travail■leurs qu'on employeroit a deffecher par ■exemple ce haut marais qui fe trouve -dans'É le duché de Luxembourg, a défticher ceslandes, ces bruyéres qui ne font aujourd'hui d'aucun rapport & qui en auroient un trés grand, fi elles étoient remuées & travaillées, Pour un homme -ordinaire, cette idéé paroitra une chi-mere, mais un homme d'état 1'approfon-dira fe cn fentira toute la vérité; elle n'échapera certainement pas au nouveau 'miniftre plénipotentiaire , le comte de Belgiojofo, que l'emperepr vient de charger -du gouvernement de fes états dans les Pays-Bas , fous LL. AA. RR. Parchidueheife, fa fceur, & le duc de Saxe-Tcfchen, -fon beau frere. Sans confondre ces malfaiteurs avec les mendiatis a qui l'on ne pouroit reprocher que leur parefTe, l'on pouroit formcr de ceux-ci d'autres corps ■de travailleurs qui feroient employés.a des travaux moins penibles que le feroient  *34 Le- Voyageur. les malfaiteurs, a.la démolition par exen*. Ple des fortifkations d'une ville, a 1'entretien-du Pavé des vil]es, h la conftruction dos nouvelles chauffées, a la culture des plantes exotiques qu'on voudroit introduire dans le pays, ce qui fe feroit aux frais- du gouvernement & des états de la province. Ces mendians traités avec humanité par ceux qui leur commanderoient, defaineans qu'ils étoient, deviendroient actifs & laborieux, furtout fi, affocians a leurs travaux leurs femmes & leurs enfans, ils vivoient avec eux : l'on pouroit les diviferpar compagnies de 150; un feul homme qui auroit le titre d'officier du prince, fuffiroit pour les gouverner, & pour appuycr fon autorité', dix a douze fufiliers fuffiroient auffi. II faut, dit-on, pour conftruire un baffin a Blankenberg, 500,000 fl. : qu'on y raffemble tous les hommes qui font aujourd'hui renfermés dans les maifons de force, tous ceux qu'on trouveroit mendier dans les villes & dans les campagnes, & ]es tra-  dans les Pays-Bas. vaux- que demande cette nouvelle conftruction , feront bientöt achevés. L'été ils logeroient fous des tentes, Phivcr fous des baraques; ils auroient une paye & leurs femmes & leurs enfans qui travailleroient avec eux, en auroient une aufli; la leur pouroit être de 15 fols de France par jour, celle de leurs femmes & de leurs enfans qui auroient 16 ans, de 8 fols; fi l'on vouloit les mettre a la ration, ce qui vaudroit peut être mieux, l'on pouroit leur donner deux livres de pain par tête & trois livres de viande pour fix perfonnes , hommes, femmes & enfans. Leurs habits feroient uniformes : divifés par compagnies, chaque compagnie auroit fon étendart, fon chef ou capitaine: dans le cas de maladie on les foigncroit dans un hópital établi dans les environs de 1'endroit oü ils feroient employés; dans le cas d'accidcnt qui les rendroit incajpables de continuer leur travail, on leur aflureroit une fubfiftance honnête , mais oü trouver les fonds pour -fubvenir aux  2#? Le Voyageur frais' d'un tel établiifement ? dans le pro-, duit de la vente. des-maifons religieufes; fupprimées , dans ce que les provincesi qui ont des-maifons de force "payent: pour leurs entretiens , dans le produit même de leur travail. Si toutes les terres qui. font aujourd'hui incultes dans les Pays-Bas Autrichiens, fi tous les marais qu'on y pouroit deffecher, étoient mis en valeur, le produit qu'on en retireroit feroit plus que fuffifant pour payer la dépenfe qu'il auroit faUu faire pour res mcttre a ce point. Dans les campagnes des Pays-Bas Au- tnchiens que j'ai parcourues, je n'ai pas appercu de terre cultivable qui ne fut en valeur, mais dans les villes combien de terreinsimmenfesn'y ont aucunevaleur! jettez, Monfieur, les ycux fur le plan | que je vous ai envoyé de la ville de Bruxelles & vous verrcz combien de terreins qui n'y ont aujourd'hui qu'une trés petite valeur, en auroient une tres grande fi Pon y formoit des plantations;  dans les Pays-Bas. 237 Ti l'on y établiffoit des manufactures : dans la partie occidentale de cette ville, quelle quantité de terrein ne pouroit on pas y employer par -exemple a la culture du murier. Le murier croit partout, toutes les terres lui font bonnes; il communiqué même une valeur intrinfeque «aux, mauvaifes. QnLempêcheroit qu'on introduifit dans cette ville oü il y a 12000. pauvres la culture des vers a foye? La réuflite de cette. culture dépend abfolument de celle du murier, car du moment, qu'on peut fournir a la fubfiftance du ver a foye, l'on eft fur dans tous les climats quelconques -de réullir dans la culture du ver a foye. Jai vu en France dans une ville de province une familie compofée -du pere 8r de la mere , de fix enfans :& de deux. domeftiques fubfifter honnctement du produit qu'elle retiroit tous les ans de la culture des vers a foye. Le climat du canton qu'elle habitoit étoit le même que celui du Brabant ,& de la Flandre. Les vers a foye n'étoient  23S Le Voyageur pas élcvés fur les muriers, mais on les tenoit fous une efpece d'engard oü au moyen d'un poële, l'on entretenoit toujours une chaleur douce telle qu'il convenoit pour que les vers a foye y vecuflent , y travaillaffent & s'y multipliaffent. Depuis que la confommation des dentelles eft diminué & que leur fabrique n'offre plus un moyen de fubfifter comme auparavanr a un nombre eonfidérable de femmes & de filles dans les Pays-Bas Autrichiens , on auroit pü y fuppléer en introduifant dan's les principales villes la culture du ver a foye : Pon m'a dit, étant a Bruxelles, qu'elle n'y avoit pas réulii; cela a pu être non paree que les muriers n'y font pas bien vcnus, mais paree qu'on n'y a pas bien cultivé le ver a foye. La foye qu'on recueilleroit dans les Pays-Bas Autrichiens, ne feroit pas d'une qualité auffi parfaite que celle qu'on recueille dans le midi de la France , dans le Piémont &  Ï)ANS LES PaYAS-BaS. SgQ en Italië ^ mais fon infériorité n'empêcheroit pas' qu'on en fit ufage dans les fabriques de foye oü Ton employé des foyes de toute cfpece de qualité & fuivant 1'efpece d'étoffe qu'on y fabrique. Le peuple eft & fera toujours ce qu'on voudra qu'il foit; ce ne fera jamais la faute du peuple, s'il eft faineant & miférable ; ce fera toujours celle de ceux qui le gouvernercnt. Je n'ai jamais vu le peuple fe refufer au travail, mais je 1'ai vu toujours abufer des fecours qu'on lui donnoit, méme dans fa plus grande mifere. Quand la ducheffe d'Elbceuf, & cela s'eft paffé fous mes yeux, vint habiter le bourg de Moreuil qui lui appartenoit, elle prodigua ïoute efpece de fecours aux pauvres families qui , foulagées pour le moment, Teftoient dans l'inaction & reitomboient peu a prés dans la mifere. La tduchefle fupprima toute efpece d'aumone, mais elle ouvrit des atteliers; elle fit applanir des terraffes dont fon chateau étoit ■entouré ; toutes les families indigentes  -240 Le Voyageur demanderent & furcnt regues a y'travailler; les uns tranfportoient les pierres, les autres chargeoient les terres; ici l'on arrachoit d'ancicnnes racines, des ronces, des épines, la l'on plantoit des arbres; les hommes, les femmes, les enfans, les vieillards, tous étoient employés fuivant leurs forces; cela dura cinq ans; les families indigentes cefferent del'être; elles avoient contracté Phabitude du travail, & le travail étoit pour elles une fource de bonheur comme la fainéantife avoit -été une fource de malheur. Je fuis, &c. LETTRE  dans les Pays-Bas. 241 LETTRE XXII. Bruges ce.... jfuillct 1783, T out eft ici, Monfieur, cn corpoTation : depuis le vendeur d'allumettes jufqu'au plus riche marchand, depuis le favecicr jufqu'au plus célèbre fculpteur , tout eft fous le joug, perfonne ne peut faire ufage de fes talens, ni exercer fon induftrie comme il le veut , le génie même eft en curatelle; il ne peut aller, au- de-la des borncs qui lui font indiquées ; peu importe que le public, que la fociété, que Phumanité même foient intéreifés a ce qu'il s'en écarté; il eft coupable & doit être puni d'avoir contrevenu aux ftatuts dreffés par 1'ignorance dans des tems oü le préjugé tenoit tout aflervi a fon empire. L'on m'a aiTuré , Mon-1 fleur , qu'il y avoit ici plus de cent -corporations ou corps de métiers, mais Tom. V. Partie IV. L  242 Le Voyageur il y en a quelqucs-uns qui ne le font plus que de nom, tels que ceux des vendeurs de legumes & de fruits, des ganders & des fcieurs de bois; ceux qui les compofent , ne jouiflent plus préfentement du privilege cxclufif d'exercer leurs profeffions : quiconque veut aujourd'hui vendre des fruits & des legumes, faire des gands , fendre & fcier du bois, le peut faire li brement. L'on peut auffi vendre de la viande fans être de la communauté des bouchers& deux fois chaque femaine les forains ont la liberté d'en apporter du dehors & de la vendre publiquement. L'effet de ce commencement de réforme a été de faire diminuer confidérablement le prix des denrées qui auparavant étoient ici beaucoup plus chcres qu'elles ne le font préfentement & qu'elles ne 1'étoient a Bruxelles & a Gand.' II y a encore ici nombre de perfonncs qui imagiment que ce feroit un trés grand mal que de détruire les corporations, furtout celles des arts méca-  dans les Pays-Bas. 243 niques : c'eft un vieux préjugé que 1'intérêt perfonnel bien plus que Pintérêt public fait qu'on refpeóte encore. II y a ici , • Monfieur , un corps de battelicrs. mais il n'y en a pas un de chargeurs & de déchargcurs : ce corps de battelicrs répond des accidens qui arrivent aux marchandifes chargées "fur leurs batteaux : ce corps de batteliers a fes partifans qui voudroient qu'on le confervat, mais qu'on 1'inc'orporat a tous les autres corps de batteliers qui- font dans la Flandre pour nc faire de tous qu'un feul & même corps divifé en clalfes & chaque elaffe défignée par le nom de la ville a la quelle les batteliers appartiendroient : •ces corpo de battelicrs feroient obligés de recevoir indiftin&ement dans leur corps tous ceux qui fe préfenteroient pour y entrer & qui feroient cn état de haviger dans tous les canaux, a 1'cxception cependant des batteliers de la campagne ■qui ne pouroient pas y être admis. Je ne vois pas la neceffité & quel bien il reL 2  244 Le Voyageu-r. fulteroit de cette corporation de batteliers;je la regarderai même comme trés nuifi-, ble au commerce, furtout quand le commerce fera ailujetti a fe conformer aux ftatuts & regies de cette corporation, de maniere qu'il ne fera pas libre ,a un commereant de fe fervir du .battclier qu'il voudra &c qu'il faudra qu'il .confie fa marchandife a celui qui fera en tour de préférence a celui .en qui il aura plus de confiance. C'eft une errcur que d'imaginer que fi les batteliers n'étoient pas. réunis en corporation, il pouroit arriver que les commergans fe trouveroient quelquefois obügés, .de retarder leurs envois-, Lc voiturage de terre eft libre & iamais les commercans manquent de rouliers pour le tr-tnfport de leurs marchandifes. II y aici, Monfieur, une corporation bien plus extraordinaire; c'eft celle des francs-courtiers; elle eft trés ancienne ; elle fut formée dans le tems de la grande proipérité du commerce de Bruges, en faveur des étrangers qui venoient dans  dans les Pays-Bas. 245 cette ville; ces courtiers alors devoient loger , conduire & aider les marchards forains dans-toutes les affaires de leur commerce; ces courtiers, agiflant au nom des forains, faifoient les déclarations aux douanes de toutes les marchandifes appartenant aux forains qui entroient ou fortoient : de ce fervice que ces courtiers rendoient aux forains, ils s'en font faits xm droit excluftf de faire la déclaration aux bureaux des douanes de tout ce qui eft envoyé d'ici a Pótrahger, de maniere que le commereant do Bruges qui fait cet cnvoi foit pour fon proprc compte, foit pour' celui de fon correfpondant, eft obligé d'en faire la déclaration par 1'un des francs courtiers. : Ces francs courtiers forment aujourd'hui la chambre de commerce de Bruges "& cette chambre exerce une jurifdiélion. Les francs courtiers font tous marchands détailleurs &, fuivant leurs ftatuts, aucun marchand en gros qui n'eft pas né en Flandre, ne peut. pas être admis.dans L 3  H6 Le Voyageur leur corporation. A Bruges un grand nombre de ceux qui font le commerce en gros, ne font pas nés dans cette province , par confequent ils ne peuvent entrer dans ce qu'on y nomme la chambre de commerce. Eans le vrai il n'y a pas ici préfentement de chambre de commerce , mais il y a la corporation des francs courtiers qui en fait les fonctions. II me paroit qu'il cenviendroit ou de iermer une chambre de commerce dont les membres feroient pris indiftinctement parmi les commergans en gros & en détail & d'abolir la corporation des francs courtiers dont les feneiions gênent le commerce, ou de la laifler fubfiftef en lui otant fes tcnétions de courtiers, pour qu'elle ne fit que celles de chambre de commerce, mais en même tems en y admettant indiftinctement tous les marchands en gros & cn détail, étrangers & regnicoles. La jurifdiction actuelle de la chambre des courtiers , confifte a faire droit fur  dans ns Pats-Bas. 247 toutes les difficukés ou conteftations qui furviennent entre les capitaincs& matelots fur les falaires & journées & auffi celles qui s'éleVent relativcment au fret entre les patrons des navires, les marchands les faóteurs, battelliers & autres , fauf 1'apel au magiftrat de la ville. Les francs courtiers fe confiderent comme formant un corps de magiftrature, ayant droit de faire des ordonnances, des ftatuts & des regiemens de police fur le fait du courtage & même de ftatuer des amendes & autres pcincs contre les contrevenans. Cette prétention des francs courtiers eltd'autant ridicukrque Partiele 2 de la coutume veut qu'ils s'addreifent au magiftrat de la ville toutes les fois qu'ils jugeront que le bien du commerce demandcra la réforme d'une ordonnance , ou une nouvelle ordonnance. Au magiftrat feul appartient le droit de faire ces ordonnances comme aulli d'ordonncr le payement de quelques nouveaux droits, lors même que les befoins de la chambre L 4  24^ Le Voyageur. de commerce Karige; autrement cette iuburdmation, ou fout toutes Jes corporations & par conféquent Jes francs courtiers du magiftrat de la rille, n'exifteioit plus, ce qui feroit contraire a tout principe, au bon ordre & même a la tranqoiïité publique qui eft inféparable de la gradation des pouvoirs. La chambre de corporation des francs courtiers, eft compofée de cent membres qui fe choififfent un doyen & fept jurés lefquels nommcnt un tréforier & un greffier ; Ce font ces dix perfonnes qui exercent la jurifdiction de la chambre de commerce : la durée de leur fervice eft d'un an excepté pour le greffier & le tréforier qui font a vie; ils prêtent ferment entre les mains du magiftrat & s'affemblent une fois chaque femaine & auffi toutes les fois que le demandent les affaires; dans ce cas c'eft le doyen qui les convoque : toutes les affaires fe jugent a la chambre de commerce fommairement, & dans le cas d'inftruclion, les  dans les Pays-Bas. 149" delais font de 24 en 24 heures : les doyens & findics ne retirent chacun rien autre chofe pendant 1'année de leur excrcice que fix jettons d'argent de 30 föls chacun. L'on pouroit, en faifant quelques rcforines & quelques changemens dans Ia compofition de cette chambre de commerce, en faire un tribunal de commerce qui connoitroit non feulcmcnt des chofes dont elle prend aujourd'hui connoiffance, ' mais encore de tout ce qui auroit rapport a toutes les affaires du commerce. J'ai vu cc matin dans une chapelle qui eft prés de la boucberïe fept tableaux dont fix ont été peints par Louis de Deyfter & le feptieme par J. van den Kerckhove: ces tableaux affez bien compofés &C affez bien coloriés, font lourds de deffin, fans fineffe ; toutes les figures y font trop courtes. Celui de Van den Rerckhove repréfente la réfurreótion du Sauveur : les fujets d es fix de Deyfter , font tirés de fa vie a 1'époque de fa paffion. Jai été L5  250 Le Voyageur bien plus content d'un tableau du même maitre que j'ai vu auffi aujourd'hui dans une chapelle dédiée a St. Amand; c'eft le martyre de ce Saint : il eft traité d'une grande maniere avec des expreffions fortes, une belle harmonie pour la couleur & pour 1'effet. Je fuis, &c  dans les Pats-Bas. 251" 'L E T T R E XXIII. Bruges ce... jfuillet 1783. • X_iES mceurs des habitans de Bruges, Monfieur , font douces; il y a peu de villes oü les étrangers foient mieux reeus & plus accueillis qu'ici, & quand ils y font connus, oü ils joniifent de plus d'agrcmens; fi 1'étranger a des talens, on le confidere; s'il a du mérite on a pour lui les plus grandes attentions & les égards les plus marqués ; toutes les maifons lui font ouvertes & bientöt on ne le confidere plus que comme citoyen. II y a ici plus de fociété que dans aucune autre ville des Pays-Bas Autrichiens, les nobles vivent avec le bourgeois , le commereant avec 1'homme de robe : il n'y ia plus que la derniere claffe du peuple qui -frequente les "cabarets: il n'y a pas 3é fpcctacle permanent , mais il y vient prefque- 'tous '-les hivers une troupe de L 6  252 Le Voyageur Comédiens frangois qui, quand ils font bons, reufliffent toujours: les balks dans cette faifon font fréquer.s: on airr.e a Bruges la danfe & les mafcaradcs. Les mceurs publiques font ici générakment refpectées, & la police y eft d'une attention & d'une vigilance peu ordinaires; c'eft le bourguemeftre des bourgeois & 1'écoutette qui en font chargés; 1'un comme officier du prince chargé de la viniicte publiquer 1'autre comme juge, & en cette qualité il connoit de toutes injures verbales. L'on foigne ici beaucoup 1'éducatiort des jeunes gens ; celle même des enfans du peuple, au moj'en des écoles publiques dont je vous ai parlé dans une de mes précédentcs , n'y . eft pas négligée. Les commercans de Bruges Jont attachés a leur profefficn Si pour peu . qu'ils appergoivent dans- leurs enfants des difpofuions pour le commerce, ils dirigent principalemcnt i'éducation qu'ils leur don-i nent vers le commerce, fans cependanfc - négliger la culture de leur efprit & lesf  dans les Pays-Bas. 253 excercices du corps. L'on ne croit pas ici qu'il fuffife qu'un commereant fache lire , écrire & chiffrer , l'on veut qu'il ait encore une connoiflance théorique '& pratique des arts utilcs, qu'il ait du goüt pour les arts agréables; fi l'on ne penfe pas qu'il lui foit efiéntiel de favoir les langes mortcs , l'on eft perfuadé qu'il lui eft tres utile de ne pas ignorcr les langues vivantes furtout la frangoife & 1'angloife : les enfans des gens riches & même des gens aifés qui n'ont pas de goüt pour le commerce, prerinnent le partie des arm es de préférence, a celui de la robe & de l'églife. Jamais ici, Monfieur , l'on a vu les parens gêncr 1'inclination de leurs enfans tant pour le mariagc que pour le choix d'un état,; aufli voit on moins ici que partout ailleurs de mauvais menages , des prêtres &c des religieux fcandaleux, des gens de loix ignorans & fans principes & des commergans de mauvaife foi. Je n'ai pas vu dans tous mes voyages de villes oü ü  254 Le Voyageur regne plus de patriotifme qu'a Bruges; fes habitans font tout vraiemcnt bons pa- triotes. Je fuis fort riche, me difoit il y aquelques jours un négociant de cette ville qui fait le commerce de toile, /non commerce eft tres êtendu & procure la fubfiftance a 3 ou 400 de mes concitoycns; fi je Pabandonnois , cette branche de commerce pajferoit dans une autre ville & ces 3 ou 400 habitans de Bruges que j'employe fe trouveroient fans moyen de fubfif. ter. Les principales maifons de commerce de Bruges font celles de M. M. Inoli , Auguftin Van-Outrive, Herries, Maf'terfon, De Bare, Willaert, Nonfield, De Rouquieres , Denis De Brauwere , Serweytens, Gilliot, Stallignon & de Gillon. II n'y a ici que trois ou quatre barir •quiers en titre, mais tous les négocians font la banque quand ils ont un furplus de fonds inutiles pour les opérations de  dans les Pays-Bas. 255 leur commerce ; 1'ufure ici n'eft pas commune ; elle ne s'y montre jamais avec cette audace que lui donne toujours Pimpunité. La maifon d'affurance qui s'eft formée ici 1'année paffée fous la raifon " d'Hout , Van-Outrive' & confors, a eu Te plus grand fuccès; on a eu en elle la plus grande confiance; elle étoit fondée non feulement fur la grande folidité de cette fociété dont on evaluoit la fortune a plus de 10 millions, mais encore fur la connoiffance qu'on avoit de la grande probité des affociés : s'il arrivé quelques conteftation entre les aifureurs & les affurés , elles doivent être jugées pas des arbitres : il devroit en être de même de toutes les conteftations relatives aux affaires du commerce. Je n'ai vifité aujourd'hui qu'une églife, celle de St. Jacques qui eft une paroiffe; le maitre autel en eft beau & trés grand avec des colonnes torfes; il eft d'une bonne architeéture & .a été bien  Le Voyageur. cxécuté : le tableau qui Je décore a été Feint par Thomas Willebords Boffcearer ; il repréfente le martyre de St. Jacques : cc Saint paroit être trainé par les bourreaux au lieu de fon fupplice; un chien aboit & paroit prêt a le dévorer; fur Je devant font des foldats cuiraffés a pied & a cheval ; dans le haut eft une gloire avec beaucoup d'anges : ce tableau eft bien dans la manicre de Van-Dyck : il eft trés pittorefque , d'une correétion de deffin furprenante, de Ja plus belle couleur ; il eft largement peint & d'un effet trés piquant. Un autre beau tableau placé au deffus du grand portail, eft de J. Van Ooft le pere; c'eft une Ste. familie ; il eft compofé & peint d'une grande maniere ; toutes Jes têtes font belles & ont toute 1'expreffion naturelle cu'eUes doivent avoir 1 du même maitre l'on a placé fur l'autel de la chapelle de la Vierge , une préfentation au tempie : on y remarque comme un fingularité que Ia Vierge y eft coeifée comme 1'eft une re-  dans les Pays-Bas. 257 ligieufe : ce tableau eft d'une belle fagon de faire & entierement dans la maniere de G. Crayer. Les ceuvres de mifericorde font bien rendues par compartiment dans un tableau peint par le même VanOoft le pere; chaque füjet eft traité avec efprit & intelligence prefque de la maniere que 1'auroit fait Teniers. Des trois tableaux de Louis de Deyfter qui font dans l'églife St. Jacques, deux font beaux', 1'un qui repréfente la réfurreétion de JefusChrift, eft d'un delfin eorreót ; il eft bien compofé, d'un erfet piquant & fait d'une belle maniere ; 1'autre qui repréfente la mort de la Vierge, eft peint d'une grande & large maniere & fuperieurement compofé : le troifieme a de belles parties; il repréfente le crucifiement de Notre Seigneur; s'il eft correct de deffin, vigoureux d'eifet & fait de la plus grande maniere, il a de grands defauts : la tête de la Vierge & celle de la Madelaine par exemple, loin d'être belles, font trés défagréables.  258 Le Voyageur Les fept tableaux de M de Vifchs qui font dans l'églife. de St. Jacques, repréiement, 1'un un adoration des bergers, 1'autre St. Jacques dans un nuage & des malades qui font en prieres dans le bas du tableau pour obtenir leur guerifon; trois autres font dans la chapelle des ames du purgatoire ,• les deux derniers repréfentent 1'un les difciples d'Emaus& 1'autre Notre Seigneur qui lave les pieds desapoftres. Maesa auffi peint un tableau pour l'églife St. Jacques ; il y eft placé dans la chapelle St. Leonard; il repréfente ce Saint avec d'autres Saints : ce tableau eft bien compofé, d'un aflez bon goüt de deffin ; il eft bien peint. La defcente de Croix peinte par Hugues Vandergoes, eft un tableau dur & fee; s'il a quelque mérite, c'eft d'avoir quelques têtes oü il y a bien de la vérité & même d'être belles. Les derniers tableaux que j'ai examinés dans cette églife , font ceux qui font dans le lambris au dcflbus des croifées dans la retite  dans les Pays-Bas. 259 nef : ils ont été peints par Dominique Noliet; il y en a quelqu'uns qui ont du mérite : Pon voit qu'ils font d'une peinture facile , touchés avec efprit, mais leur grand défaut eft d'avoir Pair de la détrempe. Je fuis 5 &c.  2-6o Le Voyageur. LET T RE XXIV. Bruges ce Juilkf 1780. JL^ e tous les arts- liberaux, Monfieur, ce font la peinture & la fculpture qui affectent le plus; il faut, pour que les autres plaifent , avoir des connoiffanccs qu'il n'eft pas nécefl'airc d'avoir pour être fenfiblc aux beautés d'un tableau ou d'une ftatue.; c'eft, dit d'Alembert, que la peinture & la fculpture font de toutes les connoiftances qui conftftent dans Pimitation, celles oü Pimitation ■approche le plus des objets qu'elle repréfente &' park le plus dircSement aux fens. La peinture & la fculpture expriment toutes les parties de la belle nature, & les beautés de la nature font fenties par quiconque les appergoit. L'on a vu des gens du peuple s'arrêtcr a confiderer avec une forte d'attention & même de raviffcmcnt la familie de Darius de le Brun. Cc matin  dans les Pays-Bas. 2,61 je fuis refté aflez longtems "devant la flgure de Dieu le pere que Quellyn a executée en marbre blanc & qui décore le jubé de l'églife paroilliale & collégiale Se St. Sauveur de cette ville : Dieu le pere y paroit entouré de nuages ; c'eft un des beaux morceaux de fculpture que j'ai vus; 1'idéc en eft grande & du plus beau ftyle & bien dans la maniere de Raphael : j'y ai cependant remarqué un défaut, ce font des plis trop rhultipliés & fans choix qui donnent même quelques équivoques, fous le bras gauche & fait paroitre le corps trop étroit. Cette ■églife en total eft belle & d'un beau gothique; elle eft décorée par plufieurs tableaux dont les plus beaux font de Van Ooft le p:re : ceux qui repréfentcnt St. Pierre & St. Paul placés aux deux cötés du maitre autel, font comme de Jordaens ; les têtes font du plus beau choix, bien pcintes, d'une belle couleur & d'une grande vigueur. Sur le maitre .autel eft une belle réfurrection de J.  262 Le Voyageur Janlfens; elle eft peime & coloriée comme de Van Dyck; la figure du Chrift eft bien cn 1'air; le deffin eft bien correct. Un autre tableau du même maitre qui ■eft placé fur 1'autel de la chapelle de Notre Dame de Lorette & qui repréfente nne annonciation , eft bien compofé, bien deffiné; 1'ange m'a paru cependant éngoncé & peu élégant. Le martyre de Ste. Godelieve de J. Van Ooft le pere qui eft dans la chapelle de cette Sainte, eft un beau tableau, bien deffiné & fin de couleur : du méme maitre jai vu un autre tableau qui repréfente 1'enfant Jefus, St. Jofeph & une gloire d'ange; il eft bien compofé bien drapé, d'une belle couleur & vigoureux d'effet; il eft placé dans la chapelle des charpentiers. Dans la chapelle de la Vierge de douleu.r , jai vu encore du même maitre deux autres beau tableaux , 1'un eft. Notre Seigneur qui montre a fa merc les inftrumens de fa paffion, 1'autre Jefus-Chrift qui quitte fa-mere pour marcher au lien  dans les Pays-Bas. 26" 3 de fa paffion; tous deux font bien faits, d'une bonne couleur & ont bien de 1'effet. II n'en eft pas de même du tableau de 1'autel de St. Hubert qui repréfente ce Saint; dans le haut, font la Vierge, Ste. Anne & des anges : les figures ne font ni belles ni jolies; elles font mal drapées & même contre le coftume : toute la compofition eft plus que médiocre. Le tableau aulli de J. Van Ooft le pere qui eft au deffus des fonds, n'eft pas aufli beau que ceux dont je viens de vous cntretcnir; la figure du Chrift eft froide, les têtes d'un mauvais -choix n'ayant aucune nobleife; il eft fee & dur dans les ombres. Au deffus de la table des pauvres font encore trois tableaux du même maitre; ils font accompagnés de quatre autres de Jofeph Van den Kerckhove:; les figures de ces fepr " tableaux, font petites, jolies, touchées avec efprit .comme de Teniers. L'Églife de St. Sauveur poflede un ■beau tableau De Martin de Vos ; il fe-  264 Le Voyageur préfente St. Eloi qu'on facre évêque; iL-eft bien compofé, bien deffiné , biea drapé , toutes les têtes font belles : le fond eft d'une bonne & Tiche architecture; on peut cependant reprocher a ce tableau d'être fee & d'avoir peu d'effet; il eft auffi noirci. Des autres tableaux de cette églife, un £ ft de Hemmelinck; il repréfente un martyr tiré a quatre chevaux; ft les têtes ont de la ftneife , elles n'ont point d'effet : les figures y reffcmblent a des de coupures fans ombres portées : fi ce tableau n'avoit pas le mérite d'être un antique, on ne le regarderoit pas: les autres font de Maès; c'eft le batême de Conftantin ; ce tableau eft d'un bon effet, mais les têtes en font lourdes ; ce font Ste. Agathe, Ste Dorothée & d'autres Saintes filles; c'tft un tableau de peu de mérite , dont les têtes font fans choix & fans grace; c'eft Notre Seigneur qui conduit la Vierge au ciel; c'eft un joli morceau, mais d'un deffin médiocre, c'eft  dans les Pays-Bas. 265 c'cftun joli morceau, mais d'un deflin médiocre; c'eft Notré Seigneur environné d'une gloire & d'anges; s'il étoit moins tranchant, moins dur dans les ombrcs, ce feroit un bon tableau; c'eft la découverte du bois précieux de la fainte Croix ; les figures y font trop courtes , mais il y a du mérite dans la compofition. Le dernier tableau que j'ai vu dans la paroiffe de St. Sauveur, a été peint par Francois Porbus; il eft placé fur 1'autel de la chapelle de la Communion ; les têtes font belles, la couleur d'une grande vérité, mais 1'effet eft trop égal & un peu fee. La chaire a prêcher de cette églife eft moderne & belle ; elle eft de bois d'acajou ; les ornemens font de cuivre d'oré au feu & les medaillons de marbre blanc; la figure qui foutient cette chaire eft auffi de marbre, elle repréfente St. Eloi, & a été exécutée avec eftrit, goüt & génie par Van -Poucke de Gand. Tomc V. Partie IK M  26(5 Le Voyageur. Lc chapitre de St. Sauveur a été erigé par un évöque de Tournat en k-i0 pour un doyen & feize chanoines. ' Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 26*7 LETTRE XXV. Bruges ce jfuillet 1783- 0 u s étcs étonn'é', Monfieur, de Ia grande quantité de tableaux qu'a peints Van-Ooft le pere; il n'y a pas eu d'artifte qui ait autant travaillé que lui, & ce qui eft le plus-furprcnant , c'eft que fes derniers tableaux font, a jufte titre , les plus eftimés. Van-Ooft naquit a Bruges 1'an ióoo d'une familie trés ancienne & trés aifée; fon éducation fut trés foignée : il eut des mceurs douces & furtout un éloignement extréme pour toute efpece d'excès ; fon gout peur la peinture, lui fit négliger toutes les chofes qui n'y avoient pas rapport & qu'il pouvoit ignorer fans que 1'cxercice de fon talent en foulfrit. L'on ne fait pas qui a été fon maitre; il fit fon chefd'ceuvre a Bruges cn 1621 ; ce chef-d'ceuM 2  -268 Le V o y a g e u k vre lui mérita les plus grands éloges : on le confidcra même , deflors, commeun trés habile peintre. L'eifet de ce premier fuccès fut d'augmenter en lui le defir de le devenir. II fut a Rome, il y travailla . avec une ardeur extréme , copiant fans ceiTe les ouvrages des grands maitres, .mais ce fut la maniere d'Annibal Carrache qui 1'aifecta davantage ; il le prit poui modele & fe rendit tellement proprc fa .compolition qu'il étonna les plus grands .artiftes de Rome. Revenu a Bruges, ü y époufa Marie de Tollenare d'une familie diftinguee; il en a eu deux enfans, un garcon qui embraifa la profelllon de fon pere, s'y diftingua, mais ne 1'égala point & une filic qui eft morte chanoineffe ■réguliere .dans 1'abbayc de St. Trude de Bruges. Van-Ouit a eu un frere qui fut auffi un bon peintre , il fe fit Jacobin. Van-Ooft mourut a Bruges en 1671 ; il ■a travaillé jufqu'au dernier moment de fa vie ; il exceloit dans tous les genres, imais il n'aimoit pas le payfage & préfé- '  DANS LES PAYAS-13AS. 269 rok d'orncr le fond de fes tableaux avec de 1'ai'chiteéture qu'il entendoit parfaitement , airifi que la perfpÈ&ive. Dans fa jeuneffe Rubens & Van Dyek furent les deux maitres qu'il étudia avec le plus d'attention; il leur dut cette entente favante, cette belle fonte & cette' touche admirable qui fe remarquent dans fes tableaux : il a traité 1'hiftoire en grand , mais on ne connoit de lui aucun tableau de chevalet. Ses éfquiffes paroiifent avoir été faites avec peu de travail ; elles nc font tout au plus qu'heurtées. Si fes compofitions étoient fimplcs, elles étoient reflechies; elles font les produftions du génie fans écart; il y introduifoit peu de figures; aucunesn'y étoient inutiles; il les pofoit avec noblelfe, il les drapoit bien & leurs ornemens étoient fimplcs & ingénicux. Son deffin , moins chargé que celui de Carrache. étoit de trés bon gout. Tout ce qu'il a fait eft bien dans la maniere de ce maitre: dans fes tableaux la couleur des chaires eft fraiche & natuM 3  -7° Le Voyageur. turelle; cl!e n'eft pas auffi belle dans fes draperies ; la couleur y eft trop peu rompue , ce qui donne une crudité défagréable a fes draperies : fa maniere d'opérer n'étoit pas toujours la même : il y a de fes tableaux qui font peints avec une forte ce couleur admirable ; d'autres font faits avec tant d'art que de prés il eft impoffible de pouvoir y rien diftingucr, tandis qu'ils ont le plus grand effet confidérés de loin. U réuffiffoit fupérieurcment dans le portrait , tant pour la reffemblance que pour 1'expreffion : a la maniere de le compofer, l'on rcconnoiffoit le peintre d'hiftoire: fes portraits étoient de véritables tableaux ; l'on cito entr'autrcs celui d'un médecin & de fa femme; le médecin y paroit tater le pouls de fa femme ; on s'appergoit aifcment qu'elle eft enceintc ; 1'expreffion dans fon mari marqué fon attention a étudier le mal de la malade, & dans Ia femme 1'inquiétude avec laquelle elle épie les mouvcmens de fon mari,dont elle attcnd la guerifon»  dans les Pays-Bas. 271 De tous les tableaux de Van-Ooft que j'ai vu jufqu'a préfent, aucun ne m'a pas plus frappé que celui qui eft placé au fond du chceur des chanoincffes de St. ïrude de cette ville : le fond de ce chceur eft une muraille unie fur laquelle Van - Ooft a peint un beau portique a 1'cntrée d'un temple qui commence depuis le haut jufqu'en bas; quatre colonnes de marbre y paroiffent foutenir rcntablcment;lc refte de 1'architeóture eft de marbre blanc & noir avec des orncmens en or : tous les profils, toutes les formes de cette architcóture font admirables : un ridcau noir qu'un jeune homme ouvre , marqué 1'entrée du temple; ce ieune homme étoit le fils de VanOoft. Dans le dedans de 1'édificc, l'on voit le St. Efprit qui defcend fur la Vierge & fur les Apötrcs. La grande Itimiere que produit les rayons du Ciel foutepus par les oppofitions des marbres du portique, cn rend les cffets furprenans: au' bas font cinq marchés fur lefquelles l'on voit quatre Apötres qui montent au M 4  272 Le Voyageur temple & qui font furpris de ce qu'ils voient ; 1'un d'eux paroit monter avec précipitaticxi & fe foutenir a la prémiere des colonnes. Van-Ooft s'eft peint fous la figure d'un des Apötres qui font fur lts pas de Femrée. Pour cn interrompre les formes froides & régulieres, des marchés "Van-Ooft a placé un livre entr'ouvert & des papiers: cc beau morceau a été peint en 1658. Cette même églife eft encore décorée par huit autres beaux tableaux de VanOoft; i!s repréfentent St. Auguftin qui lave les pieds de Notre Seigneur fous la figure d'un pélerin , St. Martin qui partagc fon Manteau avec un pauvre, Ste. Gertrude abbeffe de 1'ordre, St. Trude , fondateur de cette abbaye, St. Jofepb & Penfant Jefus, St. Jean 1'évangelifte, St. Profper & St. Jean dans le céfert. Plus je vis, Monfieur, avec les habitans de cette ville, plus je fuis étonné du peu d'egoïfme qui regne parmi eux; 1'amour de la patrie les ecflamme (Tex-  dans les Pays-Bas. 073 prefiron n'eft pas trop forte , furtout pour leurs refpeétablcs magiftratsj); un' étranger qui vient ici pour les affaires de fon commerce, trouve en eux, s'il a quelques conteftations avec un habitant, des iuges de la plus grande impartialité; la faveur eft même pour lui toutes les fois que les regies de la juftice nc s'y ©ppofent pas. Si 1'étranger veut fe fixer h Bruges, y exercer fon induftrie, il eft protégé & même encouragé; s'il fait le commerce , le magiftrat le favorife , les commercans le previennent, s'il profpere dans fes entreprifes, ils s'en rejouLTent; s'il cifuye des revers, ils volcnt tous a fon fécours. Savez vous, Monfieur, ce qu'il cn coute pour acquerir ici le droit de bou/geoifie, trois florins, c'eft a dire moins que fix livres de france. Si 1'étranger epoufc une bourgeoife, il deyient bourgeois; il le devient encore s'il entre dans un corps de métier & a une refidence fixe d'un an & un jour dans la ville ; mais il faut pour cela qu'il ne M 5  274 Le Voyageur foit pas déja bourgeois d'une autre ville de Flandre. Peribnne ici n'eft exemrt de payer les droits de fortie & d'entrée qui appartiem.cnt au fouverain, mais le magiftrat peut quelquefois & dans certains cas accorder 1'exemption des droits de ville. Les ioyers des maiions font approchant aufli cbers ici qu'a Gand & a Bruxelles. Les mailons ici payent un demi de so.e, c'eft a dire neuf fols par vingt efcalins courant & 1'efcalin courant vaut fix fous. Invité hier a diner chez M * * *, riche négociant, j'y trouvai un Oftendois, grand partifan de fon port. : Croiez vous, lui dis-je , d préfent que la paix eft faite, que votre port puijje foutenir avec avantage la rivalité de commerce avec le port de Bruges la franc hife de notre port nous connera toujours un avantage eonfidérable mais ne vous faites vous pas illufion 7 croycz vous que votre port aura la préfcrence en tems de paix fur celui de Dunkerque dont Pabord efl plus facile , qui eft franc comme le votre & oü il doit  dans les Pays-Bas. 275 je trouver néccflair ement plus d'objets de commmerce qu'a Oftende 7 d''ailleurs vous n'ignorez pas tout ce qu'a fait le gouvernement de France pour rappeler d Dunkerque le commerce que la guerre en avoit éloigné; il a fupprimé nombre de droits, il a rctabli des chaujfces en faveur du commerce de tfanjit : le bourgeois prit alors la parole ; vous jouijjcz , dit - il a 1'Oftendois, d'une franchife qu'il auroit été plus jufte & plus utile au commerce en général de nous accorder: un jour viendra oü l'on ver ra qu'il auroit été plus avantageux pour 1'état que le port d'Of tende refldt comme il étoit autrefois un port pêcheur. Vous ne difconviendrez pas que le frêt eft le même fur Oftende que fur Bruges : le navire qui aura abordê ici aura payé de frêt de navigation 40 d 50 fl. de plus que s'il eut abordé d Of tende, mais n'en fera-t-il pas dédommagé. par tous les avantages que lui ojfrira notre port & qu'il n'auroit pas trouvés dans le votre. Après le diner , nous allames M 6  276 Le Voyageur promencr fur le port; le baffin eft con~ ftruit de facon que les navires y doivent être oans la plus grande fécurité ; ils y font toujours a flot, a 1'abri de tout accident ; ils y peuvent charger & décharger leurs marchandifes fans interruption , depuis 1'aube du jour, jufqu'au coucher du foleil: le long de ce baffin regne un quai de 1498 pieds de longueur fur 56 pieds de largeur; fur ce quai font pofés des grus pour facilitcr le chargement & le déchargement; fur cc quai eft fentrepót; il eft a doublé étage, a 1015 pieds de longueur fur 126 de largeur : les marchandifes qui y font entrepofées ne payent par jour ouc trois Hards par tonneau pendant les trente premiers jours; fi elles y reftent encore enfuite 11 móis, elles ne payent plus rien. Un autre magafin fervant aulli au même ufage, a 581 pieds de longueur fur 27 de largeur. Dans le cas oü ces magafns ne fuffiroient pas, me dit lc bourgeois, nos magiftrats en fourniroient d''autres dans la ville 6" au meme  dans les Pays-Bas. 277 prtse & condition, & il n'y auroit même aucun de nous- qui dans ce cas ne viendroit ojfrir fes magafins aux maitres de navire qui ne pouroient trouver place dans Ventrepot pour fes marchandifes. L'on peu: dans le baffin de Bruges décharger de bord a bord, les marchandifes qui doivent fortir par mer pour tranfiter ; Ton n'y paye pas d'autres droits qu'a Oftende. Après avoir parcouru la rive méridionale du baffin, je vifitai la rive feptentrionale; j'y vis de bons chantiers qui ont aflez d'étcndue pour y conftruire ou radoubcr des navires de gros port, des corderics & toute efpece de métiers relatifs a la navigation. Tous les ponts qui font fur le canal de navigation, ont 24 pieds d'ouverture; ils font tous tournans & d'une bonne & ingenieufe conftruction. Je fuis, &&,  a7° Le Voyageur L Ë i T R E XXV L Ifln/tftr ce.... ^7/7/c; 1783. l rnc paroit, Monfieur, qu'il y a ici moins dc luxe que dans les autres grandes villes des Pays-Bas que j'ai parcourues; les femmes cependant y aiment la parure; quelques unes, dit-on, font coquetes , mais rarement en voit-on donner dans les excès de la coqueterie. II y a ici peu de celibataires, mais auffi les divorces y font aflez communs; on y procédé devant le juge ecclcfiaftique, non pour ce qui concerne les biens, pour le partage defquels il faut proceder devant les juges fécuiiers. Cette muftiplicité de divorce qui fe voit rarement dans les villes de commerce, me feroit croire ou que les mariages fe font ici tropprécipitamment ou que les mceurs des bourgeois commencent a s'altdrer : pour les mariages de fait ils peuvent avoir licu , mais l'on en voit peu. Je n'aurois pas cru que Pair ftit ici auffi fain qu'il 1'eft; il me paroit qu'il y eft plus pur, moins epais qu'a Gand.  dans les Pats-Bas. 279 Les eaux des cananx 11c lont pas ici ftagnantes. Les ven is du nord & de mer qui y - sgfféflt trés! frequemment, cn renuent le chiïiac un peu froid. II eft rare qu'on voit ici d^s flcvrcs putrides : la petite verole y fait peu de ravage. Depuis quelques années l'inoculation eft ici fort cn ufage , perfdnne n'y croit que ce foit un crime de pfëvenir un mal & qu'il foit défendu a 1'homme d'employer pour fa confervation toute efpece de moyen. L'on refpecte a Bruges la religion plus que partout ailleurs ; on cn fuit les pratiques, mais fans fuperftition. Les mceurs du clergé y font tres réguheres; les moines font eftimés quand pcrfonnellement ils ont du mérite & travaillent avec zele a la vigne du feigncur : l'on verra leur anéantiifement avec indifierence, paree que perfonnc ne croit que leur exiftance tient elïcntiellement a celle de la religion. L'on refpecte dans le moine Ie miniftre du Seigneur , mais l'on ne veut pas qu'il gouverne les families. L'Eglife, des Domlnicains eft ornée  28o Le Voyageur d'un grand nombre de tableaux dont plufieurs méritent 1'attention des véritables amateurs; celui du maitre autel eft Une adoration des mages peinte par Langhen Jan ; il eft bien compofé : un chicn qu'on y voit dans un coin , m'y a paru déplacé. Au pour tour dc l'églife font quinze tableaux par de Diyfter & Kerckhoven : il y en a quelques-uns qui font bien faits ; tous les fujets font tirés de la vie de Jefus -Chrift. jè n'ai pu deviner & ^perfonne n'a pu me dire de quel maitre étoit un beau tableau que j'ai vu dans cette églife qui repréfente St. Dominique reflufcitant un mort; ileft compofé d'une grande maniere. Le même Saint qui opere un autre miracle eft auffi repréfenté dans un tableau dont l'on ignore le maitre; il eft dans la maniere de Van - Ooft le fils. II y a dans cette églife deux tableaux de Van-Ooft le rere ; 1'un eft une Vifitation; il y a de la fineffe dans le deffin , mais il eft un peu noirci ; 1'autre eft bon , mais il a peu i'effet; il repréfente 1'enfant Jefus dans  dans les Pays-Bas. abi une gloire célefte. Une Saince de 1'ordre délivrée de la prifon eft un tableau d'autel : il a été peint par J. E. Quellyn ; il eft bien peint dans la maniere de G. Crayer. Le tableau de Roofe qui repréfente St. Uominique qui recoit le Ro« faire, a le mérite d'avoir de jolies têtes comme de Van-Dyck, mais une infcription en lettres d'or le dépare. Deux anges peints par Langhcn Jan eft un beau tableau ; il eft gaté par le portrait de St. Dominiquc qu'on a placé au milieu ; ce portrait eft médiocre, même mauvais ; il dépare la belle compofition de ce morceau : l'on croit ici que ce portrait a été peint du vivant même de St. Dominiquc. Un tableau d'Herregout le pere repréfente St. Dominiqüe en priere devant le crucifix; il eft bien compofé & correct de deffin , mais un peu noir dans les ombres Le tableau d'Herregouts le fils qui repréfente le martyre de St. Pierre, eft auffi un affez beau tableau. Jefus-Chrift entouré d'anges & de Saints qui donne un anncau a Ste. Cathe-  282 Le Voyageur. rine, eft un beau tableau de E. Quellyn le jeune; il eft bien compofé, bien deffiné, d'un bel effet & d'une couleur tranfparence. Le tableau de Jacques de Gheyn, peint cn 1611 , a du mérite & même de la fineffe dans la couleur, mais tout y eft dur & tranchant fur les bords ; il repréfente JefusChnft qui préfente ia croix a 1'impératrice Helene. Les autres tableaux de cette églife font deux de Maès; 1'un repréfente St. Pie, pape, a genoux pour obtenir du ciel la victoire en faveur de la flotte chrétienne qui combat celle des tures; la Vierge, 1'cnfant Jefus & des anges forment un beau groupe dans le haut; Pautre eft 1'apparition de Jefus-Chrift a Ste. Catherine; les têtes y font manierées & fans choix , le refte n'eft pas fans mérite. Un payfage d'Achtfchelling eft beau, les figures y ont étépcintes par Van-Ooft le Jacobin ; enfin St. Hyachinte qui tranfporte une image de la Vierge de Pautre cöté d'une riviere; c'eft un tableau foible dont l'on ne connoit pas 1'autcur. Les pcres Auguftins poffedent plufieurs  DANS LES PAYS-BAS. C183 tableaux dans leur églife; j'y en ai vu un de J. Van-Ooft le pere qui, eft bon, correct de deffin & d'une bonne couleur; il repréfente la Ste. Trinité dans une gloire; au bas fur le premier plan font des enfans & plusloinSt. Auguftin méditant fur le bord de la mer. Dans la bibliothéque de ces bons peres, font vingt-quatre buftes qui repréfentent lesévangeliftes, des peres de l'églife & des portraits des religieux de cet ordre; ils ont été peints par E. Quellyn le jeune; quelques-uns ont du mérite, mais le plus grand nombre eft médiocres. Le même maitre a fait encore pour ce couvent 14 tableaux qui font dans le réfectoire ; lesfujets de la plufpart font trois de la vie de St. Auguftin : les meilleursfont le bon pafteur, la charité & la religion : la couleur dans tous ces tableaux eft affez bonne, mais le deffin y eft incorrect & les figures trop courtes. Des onze tableaux dont les fujets font pris dans Panden & le nouveau teftament, il y en a qui ont du génie & une grande facilité. Je fuis, &c.  284 Le Voyageur L ET T R. E XXVII. Bruges ce Juillet 1783. . J'a 1 employé ,-Monfieur , toute la journée d'hier & la matinée d'aujourd'hui a vifiter les églifes & chapelles que je n'avois pas encore vues. De tous les tableaux qui font dans l'églife des Carmes Déchauffés , un eft d'Herregouts le jeune , il eft placé fur le maitre autel; il eft beau comme de Van-Dyck; la compofition en eft favante & la couleur trésbelle ; il repréfente Jefus -Chrift qui dans fa colere paroit pret a foudroyer les pauvres humains : la Vierge , Ste. Therefe, St. Jean de la Croix & d'autres Saints, pofternés a fes pieds, implorent fa miféricorde & obtiennent qu'il fufpende fa vcngeance : il y a bien de 1'expreffion dans les têtes & bien de la vé- " rité dans les pofitions. Le tableau de Van-Ooft le pere qui repréfente des an-  dans les Pats-Bas. 285 .ges qui adorent 1'enfant Jefus dans la crèche, eft bien peint, intéreflant & digne de la réputation de fon auteur. Le tableau de De Vifch qui repréfente une Ste. Familie, celui de j. Vanden.Kerckhove qui repréfente la circoncifion , la naiffance de Jefus-Chrift , peinte par L. de Deyfter, font médiocres ainfi que les quatre evangelift.es de Dl Vifch-11 n'en eft pas de même de 1'offrande d'Elie peinte par De Vifch qui eft une grande compofkion , pleine de goüt & de génie : deux autres tableaux du même maitre, 1'un repréfentant St. Joièph qui foutient 1'enfant Jefus pofé fur un globe dans un gluire célefte, l'autre une adoration des mages , ne méritent pas qu'on les examine. Des tableaux d'Herregouts le jeune qui fon; encore dans cette églife, 1'un eft médiocre, c'eft une fuite en Egypte; l'autre qui repréfente la prcfentation au temple , eft affez bien compofé , mais la couleur eft mangéc. L'Eglife des Capucins n'a qu'un ta-  4oó Le Voyageur. bleau, mais il eft de Crayer ; il repréfente Notre Seigneur attaché a la croix : a droitceft la Vierge, a gauche St. Jean avec la Madelaine & St. Francois & puis encore un homme a cheval en cuiraflé & des boureaux : c'eft un fujet bien compofé , peint d'une belle maniere , d'un. effet argcntin & piquant. Trois tableaux décorent une chapelle dédiée a St. Chriftophe ; 1'un eft de J. De Maès; il repréfente St. Roch, St. Sebaftien , St. Charles Borroméc & d'autrcs Saints : c'eft un beau tableau pour la couleur & 1'inteliigence; l'autre eft de Porbus , il repréfente la pêche miraculeufc du fauveur ; il eft correét de deffin , d'une bonne couleur, un peu fee cependant ; le troifieme eft de Mare Duvencdc, c'eft le martyre de St. Laurent; il eft foiblc. Les religieufes colettes ont un beau tableau de Jean Van-Ooft le pere; il eft placé fur le maitre autel : c'eft une adoration des bergers d'une ■excellente couleur,.  dans les Pats-Bas. 287 -Lesfceurs noires du Chataignier ne font pas plus riches. Le tableau qu'on voit dans leur églife repréfente Jefus-Chriffc attaché a la croix; au bas la Vierge, St. Jean & la Madelaine ; il eft aufli de Van - Ooft le pere, bien compofé & bien peint d'une belle & grande maniere. Dans l'églife des religieufes St. Clairc eft un bon tableau bien peint dans la maniere de Jordacns; il repréfente la naiffancc du fauveur : l'on cn ignorc 1'autcurDans la même églife eft un tableau de Duvenede d'un mérite foible; il repréfente Ste. Clairc ailife fur un trone entouréc de Vierges Saintes qui femblcnt lui demander 1'habit de fon ordre. Le troifieme tableau que j'ai encore vu dans l'églife des religieufes de Ste. Clairc , eft un beau payfage avec des figures de VanBaelen. 'Le roi de Prufie poflede trois beaux tableaux de Van-Dyck; 1'un eft un couronnemént d'epine , l'autre St. Jean Baptifte & 6t. Jean 1'Evangelifte & le troi-  288 Le Voyageur. fieme la dcfcente du St. Efprit fur les Apötres; les religieufes de 1'abbaye aux Dunes de Bruges en poffedent dans leur églife des copies peintes par Van-Ooft. le pere; elles ont encore un bon tableau du même maitre qui repréfente la mort de St. Idisbalde; elles ont aulli une copie de Rubens qui repréfente une defcente de croix , enfin les derniers ta- ■ bleaux que j'ai vu dans cette églife, font des payfages & des perfpeélives placés derrière 1'autel & qui- ont été peints par Meuninxhoven ; 1'a couleur eft trifte, mais elle n'eft pas fans mérite. Les religieufes nommées fupremaiüeS: n'ont qu'un tableau qui eft médiocre: on en ignore 1'auteur; c'eft St, Bernard. qui donne la communion aux pauvres. Je fuis, &c. Fin de la quatrieme Partie.  LE VOYAGEUR DANS LES PAYS-BAS AUTRICHIENS, o u LETTRES fur 1'état acluel de ces Pays. Felix qui potuit rerum comiofcere caufas! Virgile. TOME CINQUIEME. Cinquieme. Partie. A AMSTERDAM, diez Changuion , Libraire- On en trouve iet Exemplaires chez JE. De Bel, ImpnmeurLibraire, a Bruxelles, ML. DCC. XXXIII.   LE VOYAGEUR. DANS LES PAYS BAS AUTRICHIENS. £b{£ ^.••^►.•■^■^ ^ ^ ^ r' LETTRE XXVIII. a 1'Auteur du Voyageur. Bruges ce .. .. jftillet 1783. X-^'ouvra ge, Monfieur, que vous mettez, fous les yéux du public, recueille cn bien des circonftances 1'a'veu des connoifleurs; il forme un fupplcmeht aux deiïces des Pays-Bas , & les rape'le au fouvenir de vos foüfcripteurs. Depuis Na  2q2 Le Voyageur. quclque tems ils ont gris leclure de quelques defcriptions hiftoriques foit du Brabant foit de la Flandre , & votre ouvrage devant être confidcré comme pofterieur a tous ceux qui ont traité des villes refpectives de la Flandre, je m'étonne que vous ne foycz pas plus exacr. a décrire les chofes préfentes, & que vous vous contentiez fouvent de ne donner que des détails, reis qu'ils fe trouvent dans des deicriptions anterieurcs; vos lecteurs, confiderant avec attention lcsparticularités que vous leur donnez des villes qu'ils habitent, laifïent entrevou» quelque mecontenrement, de ce que vous donne/. une defcription quelquefois faudve & que vous ncgligez de faire des remarquts , qui ne laiiléroient pas de contribuer a donner a votre ouvrage un air plus moderne. Vous dites que la cathédrale de Bruges eft grande & claire, fans faire connuitre, qu'autrefois elle étoit pour ainfi dire obfeure , furtout dans les contours du chceur; ce n'eft-que depuil  dans les Fats-Bas. 293 cette année que cette églife a pris une autre ferme, par les changemens qtfy a fait faire Monfeigneur notre évêque, en y facrifiant par libéralité une partie de fon revenu ; la grande nef étoit bornée par deux chapelles, placée chacune entre les premier & fecond pilliers de part & d'autre , appartenantes de fondation & propriété ancienne aux trés nobles & antiques families de Pardo, & d'Heere; ces chapelles, du confentement de ces families, ont été fuprimées mais le fouvenir en eft confervé par une defcription sulégorique en marbre blanc placée contre les murailles en face de Pemplacement de ces chapelles, ce qui a rendu notre églife cathédrale, non feulement d'une commodité fpacieufe pour le public qui frequente les offices divins , mais auffi d'une clarté étonnante : les petites nefs auteur du chceur ont effüiées un changement eonfidérable ; les chapelles qui s'y trouvoient , étoient fermées par des murailles & quelques grillages de N 3  =94 Le Voyageur Ier, ce qui contribuoit natureflement a 1 obfcurité de ces. petites nefs; toutes ces chapelks font maintenant ouveites ; les £-ncios, defaits pour laiffer paifer le jour, ont rendti un effet étonnant pour leur clarté : le public ne ceffe d'applaudir a ce changement; il fait honneur a la furyeillance de Monfeigneur notre évêque ; la nouvelle entrée faite a la chapelle du faint Sacrement dans ladite églife, n'y a pas peu contribué , de même que le renouvellement des portaux de cette églife; le chceur ne doit ceder en rien par le renouvellement de fon pavé t qu'on a fait il y a trés peu d'années en pierres de marbre b^u & blanc , ainfi que. 1'enceinte du fanéfuaire orné en marbre colo:é, & deux portcs en grilles de fcr , artiftement travaillées , entrelacées de fes ornemens dorés , & qui ent été données par feu 1'évêque Caimo. Tour ce changement merite , Monfieur , d'occuper une place dans votre defcription; le public y applaudira; vos lecleurs  dans les Pays-Bas. 295 vous en fcauront bon gré, & les voyageurs auront plus de défir de voir ces heureux changements. Quant a Pacadémie de peinture , de deffin & d'architeélure de cette ville, je m'étonne que vous ayez omis de produire a la connoiflance générale, que fa majefté l'empereur a daigné , lors de fon paffage par cette ville en juin -1781, viftter 1'emplacement de cette académie , & de figner fur les regiftres de Pacadémie comme membre, & pro'tecleur des beaux arts. S. M. a rendu Pacadémie impériale & royale, ce qui eft une époque qui doit paifer a la poftérité. Lorfque vous étiez dans notre églife collégiale & paroiffiale de Notre Dame, vous n'avez furcment point bien vu le tableau que vous dites être placé fur 1'autel dans la chapelle des tanneurs, car depuis que la voute a été refaite tout au long de cette églife en 1762, les tanneurs ont óté ce tableau, & orné leur chapelle d'un plafon, travaillé en deffinN 4  2p6 Le Voyageur ils y onc placé un tombeau a la romaine , fervant d'autel a cette chapelle, fans tableau ou ornement ultérieur. Vous vous trompez encore, Monfieur, lorfque vous dites que dans l'églife paroiffiale de fainte Anne, le tableau du maitre autel a été fait par Henri Herregouts; ce tableau n'y eft plus, depuis plufieurs années : il a été remplacé par une production du pinceau de M. Gaeremyn, auteur de deux autres tableaux , dont vous faites mention , a cöté du maitre autel; le fujet eft fainte Anne qui inftruit la Vierge Marie : cet auteur jouit de quelque reputation, mais fouvent ce n'eft que la mort, qui récompenfe les aruftes. Je fuis, &c. Un de vos abonnét.  kans les Pays-Bas. 297 LEÏTRE XXIX. OJlende ce ., . jfuillet 1783. Je nc refterai pas ici longtems: cette ville , M-jnfieur, n'eft plus ce qu'elle étoit avant la fïgnature des préliminaircs de la paix. La guerrc y avoit attiré une foule d'Anglois, de Francois & d'Hollandois. Prefque toutes les maifons ic commerce qu'ils y avoient formées , y font encore, mais elles n'ont plus la même aélivité : toutes ont réformé la plus grande partie de leurs commis. Pendant la guerre , les vivres étoient chers , les maifons & loyers n'avoient pas de prix ; depuis les caves jufqu'aux greniers tout étoit plein d'habitans, d'étrangers, ou de marchandifes ; tout aujourd'hui eft prefque vuide. II fe fait encore ici cependant bien plus de commerce qu'il ne s!y cn faifoit avant la guerre. Je doute No  298 Le Voyageur que jamais Oftende devienne un port extrêmement marchand; quelque chofe que l'on laffe, fon port fera toujours un mauvais port; la nature le veut, & l'on ne peut le rendre meilleur tant qu'on voudra qu'Oftende foit une ville commereante ; g'a été paree qu'on a voulu qu'elle le fut, que les éclufes de St. Philippes ont été pofées oü elles Font été ; elles font a peu de pas en arriere de remplacement de celles qui fe font ecrouléés en 1752. Les éclufes de St. Philippes ne produifent aucun effet; elles en auroient un trés-grand, fi on les eut placées dans le polder de Breedene a 1'eft du port: ce qui a empêché qu'on les y plagat, c'eft que ia ville alors auroit été féparée du port. Les vaiffeaux en entrant dans le port auroient paffé les éclufes avec la même marée ou le même vent avec lequel ils feroient entres dans le port fans toucher Oftende qui alors feroit devenue une place de défenfe, protectrice du port, & non une ville de  dans les PaYS-B'aS. 200 commerce comme Pon vouloit qu'elle fut, quoiquc cela fut fort inutile pour les intéréts du commerce vu la proximité du port de'Bruges. En cxaminant avec attention le local-, j'ai reconnu qu'il n'y avoit cependant que cette facon de pofer les éclufes de St. Philippes qui puiiicnt rendre le port d'Oftende un bon port, paree que ces éclufes ainfi .pofées détruiroient le banc de fablc qui barre 1'emrée du chenal & 1'auroient maintenu a la profondeur qu'il doit avoir. Tout ce qu'on y- fera fans cela , fera inutile, & Pon ne parviendra jamais a faire unbon port de celui •d'Oftende. La dépenfe qu'il faudroit faire pour cela, feroit eonfidérable & d'autant plus inutile que le port de Bruges pouroit oifrir au commeree de bien plus grands avantages que celui d'Oftende : j'en juge fur 1'état actuel du commerce de ces deux villes; celui de Bruges depuis la paix n'eft certainement pas diminué autant que celui d'Oftende.- Le commerce de celle-ci eft N 6  joo Le Voyageur a préfLnt réuuit a prefque ricn cn compa- raiibn de celui qui le fait encore dans celle-la. Je vicns de vifiter le port: ce qu'on y a fait & ce qu'on fe propole d'y faire, poura bien 1'amériorer au buut de quelque. tems. Vous avez le pian de ce port; prcnez-le , Sc vous en jugercz. Au bout du ibifé (te circonvailation de lu nouvelle ville du cöté de la mer abouii;funt au fecond jvmc d'huitres appartcnanc a une compagnie de Gand , on fe propufe v.'ctablir unenouvelle éclufe oü aboutiront tant les eaux fuperieures des terres que celles de la grande crique qu'on détuurnerü a. cet eifet. Vu h pofition de cette nouvelle éclufe, i! n'y a pas de doute qu'elle ne cure parfaitement le port; mais cai.e éclufe, n'étant pas encore prète a ctre conftruite, on a refolu de s'occuper prélimma-iremcnt du fora d'enlever ou au moins de.diminuer le banc de fobie qui s'eit tb-mé a vu d'ceil .depuis le commencement de. la guerre a.la partio de 1'oueft du port au deilbus de 1'enaroit  dans les Pays-Bas, 301 nommé Yru!gairement grand planeher oü , foute de place ailleurs, les navires, s'amaroient fouvent a 5 & 6 dehautcur. On coneok aifément que cet affemblagecontinuel de navires obftruoit néceifairement le courant, & que la partie qui fe trouvoit au deifóus devoit s'enfabler étant privée de la force néceifaire pour repoufier les fables qu'y apporte la mer; mais aétuetr lcment au moyen de cc que le nombre des navires elf d'iminué d'une part & que les batlins & emrlaccmens font augmentés de l'autre, les eaux fupcrieures, ne fe trouvani plus obftruées dans leur cours, vont repoufier en mer ,.St au moyen des travaux que l'on fera pour les fee onder , le banc de fable qui s'étoit formé. Quant a préfent la feule amélioratfm fenfiblé qu'cn ait pu faire au port. c'eft un allongement eonfidérable de la peinte dq feit, réparation dautant plus inftante que c'étoit a cette partie que 1'écboue-» rnent des vaüïeaux arrivoit. Tous les ouvrages qu'on a faits ici' 85  go2 Le Voyageur. qu'on fait encore tant a 1'extérieur qu'a 1'intérieur , ont déja couté confidérablement: ceux de 1'intérieur fe font aux dépens du fouverain par des foldats & fous la direclion d'un ingenieur de S. M. , nommé Mr. Bouck, qui demeure ordinairement a Gand: il a rencontré de grands obftacles qu'il a fallu furmonter; la mobilité du terrain 1'a beaucoup contrarié ; l'on a été obligé de recommencer plufieurs fois les mèmes ouvrages : 1'ingenieur 1'avoit prévu, mais il lui avoit été impoflible de prévenir les éboulemens qui font arrivés. Les ouvrages intérieurs fe font aux dépens de la ville; ils ont été bien conduits & bien dirigés. Le nouveau baffin eft furement un des plus beaux qui foit en Europe, mais il a fallu déja faire des réparations confidérablcs qu'on auroit pu prévoir en vifant moins a 1'ceconomie: au moyen de ce baffin les vaiffeauxneferont plus, comme ils 1'étoient avant fa conftruélion, ex-» jofés a des avaries confidérables.  dans les Pays-Bas. 303 L'on travaille a la conftruétion des magafins avec une aéïivité étonnante : celle de la nouvelle ville avance auffi ; mais qui habitera ces nouvelles maifons pendant la paix ? a quoi ferviront tous ces magafins ? avant tout il falloit, ce me femble , s'occuper des moyens qu'on auroit pu employer pour rendre Pentrée du port moins dangereufe & fon abord plus facile. Le mémoire ci inclus que je vous envoye, a été remis au gouvernement au mois de Juillet 1780 : il eft de M. Donche , ancien inarin, qui a fervi longtems avec diftinélion dans la marine de France & d'autres pays: ce mémoire n'a pas été gouté : l'on a regardé , m'a-t-on dit, comme impraticable le projet qui y étoit propofé : on y reviendra peut-être un jour, car je le répête, c'eft de 1'abord du port d'Oftende dont il faut principalement s'occuper. II y a ici, Monfieur, quatre corporations que les magiftrats de la ville fou* tiennent & qui font on ne peut pa?  504 Le Voyageur. plus nuifibles au commerce; on les nommé Droogenboon , Bierboon , Ceyerboon , & fac Draegers : l'on m'a dit qu'elles tcnoient de 1'hötel de ville 1'exercke de leurs fonétions a titre de ferme & que c'ëtoit cela qui empêchoit qu'on ne les en privat, quoique les commercans euflent nombre de fois demande leur fuppreffion. La ville d'Oftende , Monfieur , tire fon nom de ia fituation oriëntale. Oftende figmfie, dit-on , port qui regarde 1'orient; il eft a quatre lieues de Bruges, a trois de Nieuport & a fix de Dunkerque. Dans toutes les faifons la mex baigne les remparts d'Oftende : on y entre par une feule porte, & par le port. Oftende n'étoit qu'un village en 814 qui devint bourg en 1072, tems ou fut batie fon églife dédiée a St. Pierre. On 1'entoura en 137a de palillades ; a^ors prefque tous fes habitans étoient pêcheurs. phihppes le bon la fit envirur.ncr' dè lauraiiles en 1445. Ce fut ie prince  DANS LES PAYAS-BAS. %0§ d'Orange qui en 1583 la fit fórtifier, & depuis elle a Jbutenu plufieurs fieges dont le plus eonfidérable fut celui de 1604 qui dura, a ce que difent les hiftoriens , trois ans , trois mois , trois femaincs, trois jours & trois heures; fi on les en croit les affiegeans y perdirent 80000 hommes & les affiegés 50000 h, Le gouvernement d'Oftende eft municipal; fon magiftrat eft compofé d'un bailli, d'un bourguemeftre, de huit échevins , d'un tréforier & de deux confeillers penfionnaircs ; ceux-ci font a vie ainfi que le bailli; ceux-la fe renouvellent tous les ans au mois de fcptembre. Tous ces magiftrats font nommés par le fouverain. Les fonctions du bailli font les mêmes que celles des baillis des autres villes de la Flandre. Les échevins font juges civils , criminels & de police & l'on appele de leurs fentences au confeil fouverain de Flandre. Oftende a une coutume qui a été homologuée; quand elle fe tait, ainfi que les loix du prince,  306 Le Voyageur. l'on luit les difpofitions du droit romainLe magiftrat d'Oftende peut. faire des ordonnances & des ftatuts concernant la police, le commerce & les métiers. II n'y a ici que le bailli ou fes-, fergens qui peuvent arrêter & faifir les perfonnes & leurs erfttSj mais il faut la préfence de deux échevins ou du penfionnaire ou du gretirtr : cela n'eft pas néceflaire pour 1'arrêt & faifie des perfonnes étrangeres. A Oftende un bourgeois ne peut être arrêté qu'il n'y ait fentence du juge qui 1'o'rdonne : il en eft de même de la faifie: des biens. Les bourgeois de cette ville, font exempts dans toute la Flandre de: payer aucun peage. La coutume défend aux maris & femmes de s'avantager fi ce n'eft par contrat de mariage & comme ils fontcommunsen biens , ils font tcnus è la mort 1'un de l'autre d'acquitter les dettes contraétécs pendant! la communauté, mais la femme a ce-1. pendant 1'avantage de fe décharger dei cette obligation, cn renoncant 3 dit lai  dans les Pays-Bas. 307 coutume, d la ma.ifon mortuairc; mais dans cc cas il faut qu'elle abandonne tous les effets qui lui appartiennent qui;. font a fon ufiige & qui fe trouvent dans la maifon mortuairc, a 1'exception d'ün: lit garni ; elle doit aulli pofer les clefs de la maifon fur la folie de fon mari, ou les remettre au bourguemeftre. La policc dans la v-ille elt alfez bien obfervée, mais dans le port elle nc 1'eft pas également ; des commercans m'en ont paru fort mécontens & defirent | même que le gouvernement faffe un reglement ppur.y réforrrjer les abus qui s'y commettent- : pour que ce réglement foit bien. exécuté , il faudroit charger. les commercans de. fon exécution. Un vaif-. feau appartenant a M. de Gamarache & autres armateurs de Br-uxclles ne feroit pas péri il y a quelques mois., s'il eut pu fortir du port quelques heures plutöt. La cargaifon de ce vailfeau. étoit trés eonfidérable. L'hötel de ville eft le feul édifice pu-  308 Le Voyageur blic qui mérite quelqu'attention;. il a été commencé en 1711 & fini la même année. J'ai vifité les é'glifes de eette ville & je n'y ai vu que fix tableaux qui méritaffen t quelqu'attention : trois de ces tableaux font dans Péglife paroifliale de St. Pierre; 1'un eft bien compofé & coforié avec vigueur comme de Jordaens; il a été peint par G. de Crayer; il repréfente la pêche miraculeufe; les deux autres font de Jean Maes : tous deux font bons ; 1'un repréfente St. Philippcs de Neri; il eft bien delliné & peint d'une bonne maniere ; l'autre eft d'une belle maniere & harmonieufe pour 1'effet: c'eft St. Jofeph averti par un ange de fuir en Egypte. L'immaculée conception peinte par le même peintre, eft bien coloriée& d'un effet piquant. La dcfcente de croix qui eft dans l'églife des capucins, a été peinte par Victor Bouquet: le deffin eft court, les têtes peu belles : il y a bien de la crudité dans la couleur. Le  ©ans les Pays-Bas. 309 tableau de Jofeph vanden Kerckhar qui eft dans Pé'glMe des foeurs noires, repréfente le martyre de St. Laurent : il eft affez bon. Les vivres ici font fort chcrs. Oftende n'eft rien moins qu'un fejour agréable : Pair qu'on y refpire , aujourd hui eft moins malfain qu'il 1'étoit autrefois: il n'y a pas d'eau; celle qu'on y boit, vient de Bruges ; elle eft ürée des batteaux qui Papportent par les bratfcurs qui la verfent dans un réfervoir qui eft prés du port. Je compte partir d'ici demain, pour Furnes. Je fuis, &c.  3io Le Voyageur. MEMO I R E. Pour exécuter Ie projet que je propoic, {e lecours de Part n'eft néceiiaïre que pour aider Ja nature. Je crois qu'en exéeutunt ce projet l'on pouroit rendre le port u'Oltende auffi commode, qu'aucun port de la cóte : les navires qui tirent juiqu'a 15 a 16 pieds d'eau pouroient y entrer de baife mer, & a la haute marée : les vaiffaux de toute grandeur y trouveroient un azile afluré contre la violence du vent & 1'impétuofité de la mer. Oftende oiire une perfpedtive des plus étenducs, pour la navigation & le commerce : la mer du nord & 1'entrée de Ja manche, lui donnent un débouché dans toutes les partics du. monde. Les cannaux & pavées lui facilitent les tranfports interieurs des matériaux & marchandifes: qucls avantages fi fon port étoit plus praticable!  dans les Pays-Bas. 311 J Le- port n'eft qu'un port médiocre; I ce n'eft qu'a la faveur de la marrée que lies navires y peuvent entrer, n'aiant de | baife mer que 5 pieds. d'eau & d'un vent I & de large que 7 a fon embouchure : la i mer y munte ordinairement de 18 a 20 I pieds & extraordinairement de 24 a j 26 pieds. Tout navire qui veut entrer ] dans ce port eft obligé d'attendre au large I la marrée , & comme il arrivé que le I vent change penuant cet intervalle, il eft obligé quelquefois de ie rejetter au large ou de chercher ailleurs un lieu de relache, au grand préjudice du commerce & de la navigation. La rade eft déieifueufe en gros tems & la cóte remplie de bancs n'oitïe aucune baye ou cap, ou les navires puiifent furement mouiller, s'y trouvant expolés a la merci des fluts & des vencs, ou ils font aulli par fois obhges de couper leurs mats ou leurs cables & u'abandonner leurs ancres pour fe retirer au large s'il eft poflible. La mer étant affés montée pour qu'un  jia Le Voyageur navire puiiïe cingler vers le port, il doit BéceÜairement diriger fa reute entre la ville & le banc au devant du port, ou il y a un chénai de 4 braifes d'eau do balfe mer , qui mminue a proportion qu'il avance vers le port; fi par malheur, y étant arrivé , le navire écoute mal fon gouvernail, ou que le vent change, il n'a d'autre reflburce qu'a faire cóte, ce qui eft arrivé dans le port méme. Ce même banc au devant du port n'a de balie mer qu'un picd d'eau qui le couvre; les navires le doivent nécetfairement doubler a la pointe de 1'otieft oü il y a une baye pour cmboucher le chenal. Le port n'eft entretenu jufqu'a préfent que par de ibrtes Cvacuations d'eau qu'on tire de tuut le pays pour charier les fables du banc a la tête de 1'ouelt du port, que le vent y jette : ce banc le: retrecit confidérableinent. & ces évacua-. tions font 1'unique moyen qui y cntretient: aflez d'ouverture pour que les ravir s y entrenL Mais en chariant ces fables, ils; fc  dans les Pays-Bas. 313 fe rejettent dans d'autres parties, dont a la fuite il en peut réfulter d'autres inconveniens. Aprcs ces reflexions fur une partie de defectuofités St inconveniens, Pexamen des cartes marines, le local de la ville Sc du port, les defcriptions tant anciennes que modernes Sc les informations prifes fur le lieu, j'y ai porté mes fpéculations, & effayé de trouver un moyen pour prévenir ou diminuer autant qu'il étoit poflïble les dangers. Le banc qui couvre le port a fait partie de la ville d'Oftende, ou il y avoit plufieurs ouvrages de fortificatioc, jettées ou coffres St autres batimens, que Pimpétuofité de la mer a engloutis Sc emportés; il eft inconteftable que les fondemens de ces ouvrages n'y foient encore, que la fuite du tems a couvert de fable , Sc qu'en les fondant on les découvriroit. C'eft a ce banc que je m'arrête, y aiant deja un fond preparé folide Sc praticable, pour le retirer de Peau , Sc 1'élever . Tornt V. Partie V. O  314 Le Voyageur. auffi haut qu'on le defireroit au deflus de la plus haute & extraordinaire matree , en forme d'ifle, comme il a été ci-devant mais plus élevé. Par cette levée je couvre non feulement la ville qui fe trouve quelquefois expofée a la violence de la mer , mais auffi le chenal.& une partie de la cóte, ou les plus hautes marrées font prefque tous les ans des degats confidérabies , furtout " du vent de N. O. C'eft un terrain perdu que je reprends, qui deviendroit d'une trés grande importance pour Oftende. L'efpace qui refte entre la ville & cette levée qui forme préfentement le chenal, ferviroitefficacement aux navires;' auffitöt qu'ils auroient doublé la pointe de 1'oueft de cette nouvelle ille, ils feroient a 1'abri de Pinftabilité du vent & de Pinconftance de la mer : & les dangers qu'ils doivent furmonter encore aujourd'hui ne fubfifteroient plus. Selon les cartes marines & les rapport je trouve dans ce chenal =3, 4 & 5 braffes  DANS 1ES PAYS-BAS. 315 d'eau de baffe mer, & la mer montant ordinairement de 18 a 20 pieds, on y a de haute mer 7, 8 & 9 brafles d'eau, dont le plus grand vaiffeau n'a pas befoin. Cette nouvelle levée ou iile, feroit trés propre pour y élever quelques ouvrages de fortiiication pour la detfenfe du port &c. La face regardant la ville, pourra trés utilement fervir pour y comftruire les chantiers, carrenages, & quarantaines, ce qu'on manque a Oftende. Ce banc eft aflez long & large pour 1'élever auffi haut qu'on le pourroit con- S venablement defirer; fon étendue qui eft E. N. E. & O. S. O. fur le compas, facilite fa conftruction de telle longueur & largeur qu'on le jugeroit a propos, felon le nombre des matériaux que l'on voudroit y emploier. J'ai donné au plan ci haut 220 verges d'arpentage de long fur 85 de large qui forme un maffif de 30000 verges cubes &c. O 2  316 Le Votageur. LETTRE XXX. Furnes ce JuiUet 1783. CIvettx petice ville, Monfieur, de la Flandre occidentale, n'eft éloignée d'Oftende que de cinq lieues, de quatre de Dunkerque & de deux de Nieuport ; elle eft fituée fur plufieurs canaux h. une lieue de la nier fur le bord de laquelle elle étoit autrefois : c'eft le chef lieu de la chatellenie qui porte fon nom , autrement appellé Furner-Ambacht. Ne me demandez pas ni fon origine, ni 1'étimologie de fon nom; tout ce qu'on m'a dit fur Pene & fur Pautre, m'a fort peu inftruit & fort ennuié; elle exiftoit avant les courfes des normands; elle fut fortifi.ee & agrandie a diiférentes fois ; dans 1'état oü elle eft aujourd'hui, elle doit être placée dans la claffe des petites villes & des moins importantes de  dans les Pays-Bas. 317 la Flandre : l'empereur a ordonné la deftruétion de toutes fes fortifications ; nous nous en emparames en 1744; elle étoit une des villes de barrière. Furnes eft bien batie, mais il y regne des brouillards qui en rendent le féjour mal fain; ces brouillards s'élevent d'un grand étang peu eloigné de la ville ; cet étang eft utile tant pour fertififer les terres qui 1'avoifinent que pour fournir d'eau un canal qui traverfe la ville. La population de Furnes eft a préfent de 3000 ames partagées en trois paroitfes, Ste. Walburge, St. Nicolas & St. Denis; la première de ces trois paroilfes eft aufli collégiale, les deux autres font deflervies par des religieux de 1'abbaye de St. Nicolas , ordre de premontrés: 20 des religieux de cette abbaye font employés aux fonctions paftorales. Furnes & fa cbatellenie font de 1'évêché d'Ypres : chaque paroiffe a une table des pauvres dont les biens font adminiftrés & les revenus employés par quatre a cinq des plus ncO 3  318 Le Voyageur tables paroiffiens; ils vifitent ceux qui font dans le befoin & leur donnent les fecours néceflaires tant pour fubfiiter que pour fe procurer les moyens de travailler : ces fages adminiftrateurs prennent aufli foin des orphelins; üs les envoyent a la campagne ou ils les mettent en penfion & veillent a ce qu'ils y foient bien foignés dans leur bas agc & bien inftruits quand ils ont acquis la force de pouvoir travailler. Cette maniere d'élever les pauvres orphelins , me paroit bien préférable a celle qu'on fuit ordinairement. Les élever dans les villes, les _y faire apprendre des métiers, m'a toujours paru un abus; élevés a la campagne, ils y acquereroient un tempéramment robufte & une induftrie plus analogue a leur fituation que celle qu'ils acquierent dans les villes, oü, devenus leurs maitres, ils fe livrent quelquefois a la débauche & redeviennent fouvent a charge a la charité publique : élevés a la •campagne, ils euflent été des hommes  dans les Pays-Bas. 319 robuftes que 1'habitude feule du travail .auroit rendus laborieux; a la campagne le travail ticnt ïieü de richeffes : tous ceux qui 1'habitent y font égaux & le défaut de parens & de biens n'eft pas un obftacle qui s'oppofe a ce qu'il s'y forme de nouvelles families. Dans les tems de difette & de mifcre, oü le revenu des pauvres fe trouve infuffifant, ceux qui font chargés de 1'adminiftration de ce même revenu ont le pouvoir, & ils le tiennent dc laconfiancc qu'on a cn eux, de taxer chacun dans leur paroiffe les autres paroiffiens au prorata d'un bien qu'ils poffedent de leur naiffance &. de leur rang, mais ceux qui payent cette taxe , font cn droit d'affifter aux comptes que rendent ceux qui en touchent le produit; cecomptc, aurefte, fe rend publiquement & peut être cxarniné par tous ceux qui ont droit d'affifter a fon audition, de même qu'ils peuvent auffi criüquer 1'adminiftration des comptablcs & s'oppofer même a ce qu'ils O4  3'O , L E Vo Y A G E U R. voudroient faire pour ou contre les pauvres. Cette maniere de pourvoir aux befoins des pauvres peut réuffir dans une , petite ville comme Furnes , mais ne réuffiroit pas dans une grande ville, oü pour les plus petites chofes extraordinaires qu'on veut faire, il faut le concours du pouvoir & de 1'autorité. Les capucins font les feuls mandians qu'on voit a Furnes & ceux de ces bons peres que j'ai rencontrés en fonélion, font, je vous1'aifure, d'une activité peu commune; ils ont même une éloquence trés perfuafive; n'en foicz pas furpris , me difolt hier mon höte , ces pauvres enfans de St. Francais ont eu, dans Ie courant du mois de juillet de 1'année defnicre, leur couvent piefque réduit en cendres i l'on n'a pu fauver que leurs cellules : depuis ce malheur ils quètent avec une ardtur extréme. Les autres maifons religieufes de cette ville, font 1'abbaye de St. Nicolas, les freres Alexiens, les prêtres de 1'oratoire, les feurs noires, les  dans les Pa ï s-B a s. 3*21 rccollectes , & les dames blanchcs ou norbertines; c'eft un prieuré qui vient d'être fupprimé. Les prêtres de Foratoireenfeignent ici les humanités & tiennent un penfionat. L'églife collégiale & paroiffiale de Ste. Walburge , a été batie en 870 ; elle appartint a un couvent de bénédiétins jufqu'a ce qu'ayant été détruite ainfi que le couvent par les Normands, Beaudouin III, comte de Flandre, fit rebatir l'églife & y fonda en 959 pour la deffervir 13 chanoines réguliers dont un fut qualifié de doyen : le nombre des canonicats fut augmenté de trois en 1095, de deux encore cn 1114 , enfin d'un autre en 1123 : avant 1'établiffement de ces trois nouvelles prébendes , cnviron Fan 1100, le chapitre de Furnes avoit été fécularifé : le revenu des prébendes de la première fondation étant cunfidérablement augmenté, les chanoines en 120Ó, d'un confentement unanime, diviferent leurs prébendes & formerent 30 caO 5  g2i Le Votageok nonicats & 28 places de chapelain a la nomination du chapitre. Le pape Honoré III en 1224 conürma cette nouvelle compofition : les iix prébendes de fondation poftcrieure s'appellerent prébendes de fondation mineure & les graces de chapelain furent réduits a 9 en 151 7; on arlecta une des prébendes de la première fondatiort qü'on appeloit fondation majeure a 1'entretien Ge Iix enfans de chceur & d'un maitre de chant : a la tête de ce chapitre étoit un prévót , un doyen & autres dignitaires. En 1559, lors de 1'éreclion de Févèché d'Ypres, la prévóté & dix canonicats de fondation majeure du chapitre ce Furnes cn furent féparés & tranf. pertés a Ypres & la prévóté fut affectie au fiega épifcopal. La cure de Ste. Walburge iut unie en 1591 a un canonicat de fendatien majeure. Le chapitre de Ste,1 YYalburge eft compofé aujourd'hui de quatre dignitaires, le doyen, lechantre, le tréforier & 1'écólatre, qui fort auffi chancihes, dont les prébendes font de  dans les Pats-Bas. 323fondation majeure & de fix chanoines dont les prébendes font de fondation mineure. Tous les canonicats du chapitre de Ste. Walburge qui, avant Férection de Pëvéché d'Ypres, étoient a la nomination du prévót, font aujourd'hui k celle de Pévêque d'Ypres alternativemenc avec le pape. Des canonicats de fondation majeure , un eft deüêrvi par un religieux de 1'abbaye de St. Nicolas, paree qu'il a été arfeété au fiege abbatial de cette abbaye. Le fouverain a la nomination d'un des fix canonicats de fondation mineure. J'ai vu dans l'églife de Ste. Walburge un bon tableau de Vigor vanden FJeede; il repréfente 1'enfant prodigue : il eft bien compofé dans la maniere de Layreife. Sur le maitre autel eft un tableau de J. Jordaens; c'eft Notre-Seigneur parmi les doéteurs : la compofition en eft riche, les têtes font belles & d'un grand caraérere; la couleur y eft vigoureufe & belle; le fond eft d'une architeéture riche O 6  324 Voyageur & d'un bon ftyle : 1'effet de ce tableau eft piquant; il eft d'un deffin trés correct. Le martyre de Ste. Barbe qui eft encore dans cétte églife peint par L. de Deyfter, 'a du mérite. Je viens de recevoir de Bruxelles , Monfieur, la nouvelle édition du Diétionnaire Géographique, Portatif &c. de Vofgien , que Pimprimeur Le Francq vient de mettre en vente; elle eft cn i vol. in 8vo. de 600 pages chacun & préférable a toutes celles qui ont paru jufqu'a préfent; elle a été corrigée avec le plus grand foin par l'abbé Mann de Pacadémie de Bruxelles qui a enrichi cette édition de 700 articles qui ne fe trouvent pas dans celles qui Pont précédée. Le nom feui de 1'éditeur fuffira pour faire préférer cette édition a toutes celles qui pouront paroitre; cette édition eft trés correcte & fait honneur aux preifes de Le Francq. Cet imrrimeur vient de mettre fous prefle les mémoires de Pombal: on me mande que cette  dans les Pays-Bas. contrcfaétion paroitra- inccflammcnt & qu'elle fera exécutéc avec le plus grand foin S? iür du trés beau papier. Je fuis, &c.  3*6 Le Voyageur LETTRE XXXI. Furnes ce... Juilkt 17S3. JLiE gouvernement de Furnes, Monfieur, eft municipal; il eft entre les mains d'un corps d'ufficiers municipaux qui font juges civils, criminels & de police, non feulement pour la ville, mais encore pour toute la chatellenie. l'on appelle de leurs fentences au confeil de Flandre; ce font eux auffi qui reglent 1'impofition & pourvoyent aux moyens de fe procurer les deniers néceifaires pour payer au prince le fublide & ce que Furnes & fa chatellenie doivent fournir pour 1'entretien de la cour : ce corps de magiftrat eft compofé de deux bourguemaitres & Landhouder , 1'un 1'eft de la commune, l'autre 1'eft de la loi, de 12 échevins & Keurheers, de quatre confcillers penfionnaires, d'un receveur général, & d'un greffier crimjnel: a la tête de ces magif-  dans les Pats-Bas. 32^ trats ëft un grand bailli, officier du prince & qui Je repréfente & requiert pour lui toutes les fois que Pintérêt du prince ou du public le demande ; cet officier eft a vie & nommé par le prince; les bgurgucmaitres & les échevins font auffi nommés par le prince, mais ils ne reftent en place qu'autant que le fouverain le veut. L'on fuit a Furnes & dans fa chatellenie tant dans les jugemens civils que crimincis une coutume qui a été deerctée , ou , comme nous difons, homqloguée; cette coutume contient 66 titres chacun divifé par articles. Je n'ai ricn revnarqué dans cette coutume qui merite que je vous en parle. Le magiftrat de Furnes & de fa chatellenk fournit tous les ans pour fubvenu* aux dépenfes de leur adminiitration 126000 1. parifis & plus quand les dépenfes augmentent. Une livre parifis fait vingt gros monnoye de Flandre. Chaque bonnier de terre paye 4 f. dont le produit eft employé a i'entretien des fortifications. Fur-».  328 Le Voyageur. nes & fa chatellenie payent pour Pentreticn de la cour 29254 1. p. & 176618 L p. pour le fubfi.de ordinaire & autant pour le fubfide extraordinaire quand le cas le requiert. La connoiifance & direction des eaux eft de la compétence de ce-même magiftrat qui n'agit pour cet objet que fous l'infpeclion du grand bailli qui doit auf-r fi veiller a ce qui concerne Pentrétien des chemins & chauflees. L'entretien des éclufes, des ponts & des digues iitués dans Pétendue de la chatellenie & dans la ville de Furnes , a couté 1'année der-> Eiere 54000 L p. cette dépenfe auroit monté le doublé , fi elle eut été faite par les officiers du prince & avec fes deniers. Dans les provinces de France ou les grands chemins font faits & entretenus aux dépens de la province & fous 1'infpeétion des étars de la province , les dépenfes qu'il iaut faire pour cela font de la moitié moins forres que celles qur fe font pour le même objet dans les pro-  dans les Pays-Bas. 320 vinces oü les chemins & leur entretient fe font aux dépens du fouverain. Dans chaque village de la chatellenie, il fe fait une levée de deniers qu'on nommé Binnccoflcn en faveur des pauvres & pour fubvenir aux dépenfes publiques du lieu. Chaque habitant de ces villagés paye aufli au fouverain chaque année une capication de 12 f. p. qu'on nomme droit de moulage; les pauvres feuls en font cxempts. Chaque cheval qui travaille paye aufli au fouverain chaque mois & pendant huit mois de 1'année 8 f. p., chaque bceuf ou vache 6 f. p. , chaque mouten ou brebis 1 f. p. ce droit s'apelle Vaqudage. Le fouverain pergoit encore dans la chatellenie 3 f. 9 drs. par pot de vin & 3 1. 10 drs. par tonne de bierre, & de bien plus forts droits fur les eaux de vie tant de vin que de grains. Le fouverain dans la chatellenie de Furnes, jouit du droit de cantine ; ainfi il n'y a que lui qui peut y faire vendre au détail toute efpece de hqueur.  33° L e Vota g'*e u k. L'hötel de ville de Furnes eft aflez beau ; fa facade eft ornée d'un grand nombre de ftatues de rois & de princes, mais le plus grand mérite de ces ftatues eft d'être fort anciennes. La tour & le carillon qu'elle renferme font fort eftimés dans le pays. Je n'ai vu de remarquable dans 1'intérieur que deux tableaux; 1'un qui eft placé dans la falie d'audience, eft de Jordacns; il repréfente le jugement dernier: c'eft„une grande compofition pleine de génie & très-variée; mais le deffin en eft incorrect: & la couleur & le fini très-négligé : ce n'eft véritablement qu'une cfquifle : les figures de ce tableau ont a peu-près un pied de haut. L'autre eft un tableau d'autcl peint par E. Quellyn: il eft bon & bien confervé; il repréfente Jefus-Chrift mort fur les genoux de la Vierge: 'la Madelaine eft a fes pieds & des anges font en pleurs: il y a bien de 1'expreffion dajas ce morceau. Je fuis, &c.  dans les Pays-Bas. 331 LETTRE XXXII. Furnes ce,... Juillet 1783. L a chatellenie de Furnes , Monfieur, Furner-Ambacht, furpaffe toutes les chatellenies voifines par 1'étendue de fon territoire, par la richcile de fes productions & par 1'avantage de fa fituation : la mer la baigne au feptcntrion & plufieurs rivieres, ruifleaux & étangs fertilifent fes terres. L'on compte dans cette chatellenie 42 villagcs divifés en 32 ammanies & ils renferment une étendue de terrein de 77755 mefures 135 verges non compris les dunes, chaque mefure de 300 verges & chaque vcrge de 12 pieds de France. L'on évalue chaque mefure a 70 ou 80 1. de gros 1'une dans l'autre, chaque livre de gros faifant fix florins & chaque florin 40 gros, monnoye de Flandre. Anciennement les habitans de ce pays étoient tellement alfervis a la vo-  332 Le Voïagecs. lonté de, leur fouverain qu'on pouvoit plutöt les confidcrer comme fes efclaves que comme fes fujets. Ce ne fut que vers 1240 qu'ils commencerent a pouvoir fe regarder comme hommes libres; leur fouverain leur donna des loix & leur permit de fe choifir des juges pour veiller a ce qu'elles fuifent exécutés. En 1332 le comte Louis augmenta confidérablement ces loix & remit a fes vaifaux de la' chatellenie les droits de péage vulgairement apeliés le Balfart; il leur permit auffi d'élever des remparts de fix pieds de haut & de creufer des foifés de Ia largeur de 40 pieds autour de leurs habitations. L'on divife la chatellenie de Furnes en pays couvert qu'on nomme het Houtland & pays découvert het Bloote : le pays couvert eft une étendue de terrein planté qui donne une grande quantité de belles produótions ; l'on y rccueille beaucoup de grains & l'on y cultive avec fuccès le colfat, le lin & le tabac. L'on  dans les Pays-Bas. 333 tftime la recolte paffablcment bonne quand ■on recueille huit rafieres de fromcnt par mefure, 16 rafieres d'avoine , ou 14 defcourgeons forge halive_) la raficre de frcment pefe depuis 250 jufqu'a 260 1. Le pays non couvert eft une étendue de terrein qui forme une plaine dont les deux tiers font -en patures graffes remplies de beftiaux qui forment une riche branche de commerce, & ce commerce eft la véritable fource de la richeffe du pays. Lors du dénombrement de la chatellenie qui fut fait en 1778 , Pon y comptoit 33 a 34000 bêtes a cornes, 2764 chevaux & 1274 poulins. Les bceufs y font a préfent vendus de 8 a 11 Louis d'or la piece & les poulins de 10 a 12 Louis. La chatellenie de Furnes eft trés avantageufemcnt iltuee pour le débit a Pextérieur de fes produétions ; le voifinage des ports de Dunkerque, de Nieuport & d'üitende lui en affure la vente ainfi que Je voilinage des provinces de France :  334 Le Voyageur c'eft même avec ces provinces qu'elle fait un commerce le plus avantageux. Vers la fin de Pautomnc, les marchands du Cambraifis, de PArtois & de la Flandre franeoife" viennent s'y approviftonner de bceufs gras & autre hetail qui y font en grande quantité. J'ai vu bien des gens dans le Brabant, même dans la Flandre, blamer le gouvernement de ce qu'il en permettoit la fortie. Ces frondeurs ne voyent pas que c'eft la libre exportation: des produétions d'un pays qui 1'enrichttl & y rend ces produétions abondances., Pour facüiter 1'exportation des produétions: de la chatellenie de Furnes, Fon fe propofe de faire un nouveau chemin furi Rousbruggc Les vaches qui naiifent dans les paturages de la chatellenie de Furnes, donnenti un lait excellent dont on fait ce beurra qu'on a nommé beurre Dixmude, pareet que ces paturages font en grande partiet dans le voifinage de cette ville & que£ ceux qui le recueillent le portent vendre;  dans les Pays-Bas. 335 dans fon marché plutöt que de le porcer dans les marchés qui font plus éloignés de leurs habitations. Ce beurre eft gras; *il a plus de confiftance que les autres beurrcs : falé il fe conferve longtems & il eft tiavailté de faeon qu'il eft trés .profitable pour la cuiline. La chatellenie de Furnes eft coupée par nombre de canaux, par le moyen defquels - elle communiqué facilement & a peu de frais non feulement avec les provinces Autrichiennes, mais encore avec 1'Artois & toatc la Flandre franeoife : ces canaux font mal entretenus : on négligé de les n'étoyer : l'on devroit même les creufer: l'on ne le fait pas, dit-on, par ceconomie, comme fi, lorfqu'il s'agit du bien public, il étoit permis d'être ceconome. Etre prodigue pour le bien public, c'eft être ceconome. La prodigalité qui eft un vice dans le particulier, eft une vertu dans 1'homme public, mais pour le fentir & le croire, il faut des vues, des principes & des connoiifances que n'ont pas  336 Le Voyageur. les hommes ordinaires : il n'y a que 1'homme d'état qui les a. Si l'on curoit plus fouvent les canaux de la chatellenie de Furnes, fi on les approfondiffoit, l'on feroit un grand bien au pays , furtout a la partie méridionale dc la chatellenie de Furnes qu'on mettroit a couvert des inondations fubites qui fouvent lui caufent les plus grands dommages ; tclle a été celle du mois de mai dernier. Cette inondation n'eut pour caufe qu'une pluie abondante de quelques jours. Les herbes qui fe trouvent dans les canaux, retiennent les eaux & empêchent leur écoulement qui fe feroit facilement fi les canaux étoient fouvent curés & furtout fi on les curoit avec plus de foin qu'on ne le fait. L'on ne voit dans la chatellenie de Furnes que de 1'argent de France; celui du pays y eft fort rare : celè prouve combien fon commerce d'exportation mérite 1'attention du gouvernement. La chatellenie ne peut confommer qu'une partie de fes  dans les Pays-Bas. 337 fes produétions; elle feroit de la plus grande pauvreté, fi fes voifins ne lui achetoient pas fon fuperflu. La feule chofe qu'elle importe eft la chaux que lui apportent les artéfiens & les calaifiens : cette chaux fert d'engrais aux terres cultivées. Les batteaux qui 1'apportent, retournent a vuide a Pexception de ceux qui viennent des environs de St. Omer qui ordinairement prennent pour cargaifon de retour des pannes, ou tuiles pour couvrir les maifons, de la fabrique d'Alveringhem vis-a-vis de laquelle ces batteaux paifent. Cette fabrique vend tous les ans a la France 200000 de ces tuiles. L'on éleve dans la chatellenie de Furnes une grande quantité de moutons ; leur laine eft excellente, elle eft longue & fine. Les moutons qu'on tient dans les dunes ont une chair fucculante & un meilleur gotit que celle de ceux qui font élevés dans le plat pays oü il croit d'excellentes herbes , mais point de ferpolet & autres herbes aromatiques comme dans Tom. V. Partie F. P  s38 Le Voyageur les dunes. L'on voit, a ce qu'on m'a dit, dans quelques cantons de la chatellenie de Furnes de grandes brebis ayant quatre mammclles qui ordinairement donnent 3 agneaux par an , quelquefois quatre & même cinq .: je doute qu'elles en donnent jamais fept comme le difent quelques perfonnes. La population de toute la chatellenie eft évaluée a 60 ou 70000 ames : c'eft la partie couverte qui eft la plus peuplée, & on 1'attribue, je crois avec raifon , a ce que dans cette partie les cenfes ou tormes font d'une moins grande étendue que dans la partie decouvorte oü toutes les fermes font beaucoup plus confidérables. Plus la terre emploie de bras, plus la population du pays oü cette terre eft fituée eft eonfidérable. Dans la partie de la chatellenie qu'on appele découverte , la terre produit, pour ainfi dire , fans culture : ce font des paturages qui n'en demandent pas & les fermiers dans cette partie font perpétuellement dans 1'inac-  DANS LES PAYS-BiS. 339 ■ tion, & lc föin de leurs beftiaux qui eft la fource de leur richeife, eft le feul qui les occupe. Lc bois eft rare dans la chatellenie de Furnes & cette rarété vient de ce qu'étant prés de trois ports, les bois y font tranfportés & vendus avec avantage. Le peuple dans la chatellenie fait ufage de tourbes pour fon chauifage. II y a dans les dunes une grande quantité de lapins; ces duncs font des efpeces de garennes d'un bon rapport. Une partie appartient au fouverain, une autre partie a 1'abbaye des Dunes & une 3e. partie a un particulier. La partie qui appartient au fouverain , avoit été attachée au gouvernement de la ville de Furnes & elle lui rapportoit tous les ans 18 a 2000 florins. Entre Furnes & Bergue St. Winox , font ces moeres qu'a mis en valeur feu Je comte d'Herouville. Ce terrein qui contient cnviron 8700 mefurcs, appartient aujourd'hui a des hollandois. P 2  34° Le Voyageur. Le commerce des habitans de Furnes n'eft pas eonfidérable; il confifte principalement dans Fexportation des denrées qui font apportées dans leurs marchés & qui en font exportées pour les villes voifines principalem°nt pour Oftende & Nieuport. C'eft dans le marchés de Furnes que les marchands d'Ypres, de Poperingue & autres petites villes voifines viennent s'approvifionncr de grains & furtout de 1'orge efcourgeon qui eft gros & excelent pour faire la bierre: on le préfére a 1'orge ordinaire qui fouvent donne une aigreur défagréable a la bierre. pour faciliter le tranfport des denrées & grains qui font achetés dans les marchés de Furnes , le gouvernement des Pays Bas a 1'année derniere permis au magiftrat de Furnes de faire conftruire une chauffée qui communiquat par Pervyfe avec le franc de Bruges. L'effet de cette chauffée fera d'attirer dans le marché de Furnes ceux qui, étant trop éloignés de Bruges, ne peuvent y aller  dans les Pats-Bas. 341 & en revenir dans un jour. Un autre avantage de cette chauffée, c'eft que, croifant la chauffée d'Oftende, l'on poura, en tout tems , aller d'Oftende a Furnes & de Furnes a Oftende & parconféquent cette chauffée affure en quel• que facon Papprovifionnement du port d'Oftende au marché de Furnes. L'on m'a dit qu'on avoit concu le projet de faire une autre chauffée ou par Elfendanence fur Ypres ou fur Rousbrugge qui fe joindroit a la chauffée qui conduit a Dunkerque. Je fuis, &c. P 3  342 Le Voyageur LETTRE XXXIII. Nieuport ce... Aoüt 1783. ÏVieuport, Monfieur, n'étoit anciennement qu'un hameau nommé Santhooft , ou Sandcshove, de la dépendance d'une petite ville voifine qui avoit un port: les fables ayant prefque comblé ce port , l'on en fit un vers 1'an 1200 a Sandeshove qui changea de nom & fut apellc Nieuport. Le village alors devint ville & la ville village. L'on fortifia Nieuport, mais fa principale défenfe fut toujours en fes éclufes, au moyen defquelles l'on peut en un infiant inonder fes environs. Nieuport eft fituée fur la petite riviere 1'Yper dont les eaux , s'étant jointes a celles de la Colme , forment un canal , au moyen duquel Nieuport communiqué avec Furnes, "Oftende , Dunkerque, Bruges & Ypres: ce canal va fe jetter dans  dans les Pays-Bas. 343 la mer a environ un quart de lieue de la ville. Le port • de Nieuport eft prefque a fee quand la marée eft rétiréa, & a environ 13 a 14 pieds d'eau quand elle revient: ce port n'eft aujourd'hui que pour de moyens batimens , mais l'on prétend qu'on pouroit le rendre propre a recevoir des fregates. Je n'ai pas affez examiné le local pour juger de la poffibilité d'exécuter ce projet ; mais ce qui me paroit certain., c'eft que les-avantages qu'on en retireroit ,.ne dédommageroient pas de la dépenfe énorme qu'il occafionncroit-: améliorer.ee port, voi!a-a quoi doivent fe borner les dépenfes qu'on voudroit faire : petttsêtre vaudroit-il'mieux ne s'occuper que des encouragemens qu'il faudroit donner a fa pêche & a-fon commerce : 1'un & l'autre peuvent devenir plus confidérables qu'ils ne le font :préfentement, & l'on doit 1'efpérer des foins vraiment patriotiques -de.fes officiers municipaux , fur-tout de ceux de fon bourgüemaitre, M, De Brauwcre, qui, a des grandes connoiffances P 4  344 Le Voyageur. en tout genre, joint un zele étonnant pour le bien public ; il aime les arts & eft trés bon jurifconfulte : l'on a de lui un commentaire fur la coutume de Nieuport qui eft fort eftimé. J'ai vu chez lui quelques bons tableaux, entre autres un tableau de familie de Bernard. Le principal commerce de Nieuport fe fait avec les contrebandiers anglois; c'eft pour cela qu'il n'eft pas de 1'intérêt de ce port qu'on en établiife un a Blankenberg; mais celui-ci, fi l'on 1'établiffoit, ne devroit être qu'un port pêcheur, & pour: que la pêche y foit floriffante, il faut: même qu'il ne foit pas en même tems; un port marchand; c'eft ce que 1'auteur du mémoire fur la pêche de Blankenberg,, que je vous ai précédemment envoyé , a. trés bien prouvé. L'établiffement de la pê- ■ che du hareng & de la morue a Blanken- ■ berg, ne nuiroit pas a celle de Nieuport:. c'eft pour 1'encourager , ainfi que celle d'Oftende, que l'empereur, a la follicitation des magiftrats d'Oftende & de Nieu-  dans les Pats-Bas. 345 port, a rendu le 9 du mois dernier une-ordonnance qui affranchit tout poiffon falé - provenant de la pêche nationale aux Pays-Bas, de 1'obligation d'être porté au minck, comme le poiffon falé étranger, & de-toutes efpeces d'impöts de ville & autres impöts quelconque&, & dans quelque endroit que ce foit, toutes. perfonnes indiftinéte• ment pourpnt vendre a :lavenir ce poif?fon , fan-s.'tqste Jes .corps des poiffonniers puiffent s'y oppofer. A la tête du corps municipal de Nieuport , eft un bailli, officier du prince qui ;le repréfente, requiert pour lui & pour .le public si eft nommé par lui & a vie; il jeft dans le magiftrat de Nieuport ce-qu'eft .le grand baftli. a Gand , ou 1'amman a Bruxelles: les autres officiers du corps municipal de'Nieuport,font un bourguemaitre , fix échevins^ deux confeillers peri-fionnaires.,. dont Pun eft greffier civil & ¥ autre greffier ciriminel, & d'un tréforier: xes officiers font a la nomination du fouverain qui les 'change quand il le veut; P 5  34ö Le Voyageub. ils font tout a la fois juges civils, crimiriels & de police ; ils fuivent dans leur jugement une coutume particuliere qui contient 23 rubriques , chacune divifée par article; cette coutume a été décrétée & a par conféquent force de ici : a déiaut des difpofuions de cette coutume & de celles des loix du prince, le magiftrat de Nieuport doit fuivre les difpofuions du droit romain : l'on arelle de fes fentences au confeil de Flandre. Les officiers municipaux de Nieuport peuvent faire des ordonnances concernant la police, la vente des denrées & les corps & métiers ; ils peuvent établir des margvillers dans les paroifles, des adminiftraicurs dans les hópitaux qui tous dépender t d'eux , enfin des officiers de ville. Nul autre que le magiftrat n'a jurifdiction fur les bourgeois & habitans de Nieuport : fa jurifdiélion s'étend fur les maifons mortuaires de ces mêmes habitans, en quelques lieux qu'elles fe trouvent , & fur-tout fur celles des batards dont le  dans les Pays-Bas. 347 fouverain eft héritier de droit. L'on acquiert ici la bourgeoifie par la naiffance ; on 1'acquiert auffi en payant certains droits , mais fi après Pavoir acquis on change de domicile & qu'on aille fe fixer hors de la ville & de fon diftriét , il faut pour la conferver avoir une maifon de caution dans la ville & continuer a y payer les charges de ville: une abience d'un an & fix fcmaines fuffit pour perdre le droit de bourgeoifie & tous les biens de 1'abfent qui fe trouvent dans la viile, font confifqués, s'il n'ena pas payé le droit d'iffue qui eft le ioe. de ces biens: ce droit payé, il peut en difpofer. Nieuport eft une ville d'arrêt, mais au- cun bourgeois ne peut etre arrete ni les biens faifis qu'en vertu d'une fentence des juges. Si c'eft un étranger qui procédé contre un bourgeois, il faut préalablement qu'il donne auparavant caution. La coutume ordonne aux procureurs & aux avocats d'être courts & concis & de ne point produire d'écritures inutiles ; mais P 6  34^ Le Voyageur. cela n'eft pas plus fuivi ici que par-tout ailleurs. L'hötel-de- ville de Nieuport n'a ricn de remarquable qu'un grand tableau de V. Bouquet qui eft placé dans la falie d'audience & qui occupe toute la largeur du fond; il repréfente le jugement- de Cambife: la compofition en eft grande, mais les figures dans le point de vue ou il eft placé en paroiifent trop courtes : d'aillcurs la couleur m'en a paru un peu crue : ce tableau a été peint en 1671. Nieuport dépdnd pour le fpirituel de 1'évêché d'Ypres; elle n'a qu'une églife paróiffialë qui eft aifez belle & que deflervent des prémontrés de 1'abbaye de St. Nicolas de Furnes. Deux tableaux feulement m'ont occupé dans cette églife; 1'un eft d'Antoine Ferrcr; il eft bon, mais ufé & gaté: il repréfente Fférodiate qui perce la langue de St. Jean Baptiite dont elle porte la tête: fur Fun des volets eft St., Sebaftien dont l'on perce le corps a coups; de fiéches; fur l'autre ce Saint eft repré-  1 dans les Pays-Bas. 349 fenté mourant : l'autre eft le rachat des capïïïs par des trinitaires: il a été peint par V. Bernard. Les. autres églifes de Nieuport, font celle des récolets, des carmes, des reli- • gieufes pénitentes ," du bégüinage , de -1'Höpital notre dame & des chartreux. . Je n'ai vu dans toutes ces églifes qu'un : tableau .qui m'ait frappé, c'eft la mort ; de St. Francois : il eft placé parmi 'plufieurs autres dans l'églife des récolets. 11 y a ici une fondation refpecfable; • elle a été fake pour 40 orphelins qui y font nourris & élevés avec beaucoup de -foin. - ■■ ■ Je partirai d'ici demain pour me rendre ->>$' LETTRE XXXVI. S^rcr cc... ^orfr 1783. I_>e nombre des pauvres, Monfieur, n'eft pas ici eonfidérable, & il y a dans chaque paroiffe une table des pauvres qui peut fournir a leurs befoins : ces tables font fagement adminiftrécs par des provifeurs nommés par le magiftrat, elles ont un revenu fixe produit par d'anciennes fondations pieufes. II y a auffi des fonda- Q2  364 Le Voyageur tions pieufcs dont lc produit fert a fou- ■ lager les pauvres honteux : les adminif- ■ trateurs de' ces fondations font aulli nom- ■ més par le magiftrat: je ne fais pas a quoi. peut monter le revenu de ces fondations,, mais l'on m'a affuré qu'on pouroit, en les: réunifiant, en faire une maffe, au moyen 1 de laquelle l'on pouroit, fi on le vouloit,, bannir d'ici la mendicité. II y a ici des maifons de charité oü. l'on éleve & inftruit les orphelins & les: orphelines; ils y reftent jufqu'a 1'age de : 18 a 20 ans ; alors on leur donne une: petite fomme d'argent pour les aider a, faire ufage du talent qu'ils ont acquis: pendant leur fejour dans cette maifon. Quant aux malades de 1'un & de l'autre 1 fexe , ils font foignés dans un hópital. qui eft fous la direction du magiftrat. II. y a ici aufli un hópital ou aufpice qu'onnomme 1'hópital de Nazareth oü l'on re- • coit de vieux bourgeois que 1'age ou les: infirmités mettent hors d'état de pourvoir a leur fubfiftance: cet hópital eft auffi  dans les Pays-Bas. 36*5 fous 1'adminiftration du magiftrat. Un autre hópital qu'on nomme Labelle eft adminiftré par les defcendans du fondateur de cet hópital; l'on y nourit & entrctient de vieux hommes & de vieilles femmes. Les pclerins ont aufli a Ypres une aufpice qui , vu fon inutilité, va être , dit-on , fupprimée. Une belle fondation eft celle qu'ont faite ici feues Mlles. Lutpene de la Motte, Boneart & autres; c'eft une école oü Pon regoit des jeunes filles: on les y inftruit, nourrit & entretient. II y a dans cette ville un étabiiflement -qui eft tout a la fois de charité & de commerce; on le nomme l'école de St. Sebaftien : l'empereur vient de 1'approuver & de le prendre fous fa proteclion: cette école eft tenue par plufieurs Uemoifelles qui fe font reünies par amour du bien public; elles vivent retirées & regoivent quantité de jeunes filles en bas age; elles les forment a la vertu, les inftruifent de la religion, les logent, les nouriflent, les entretiennent gratuiQ 3  36*6 Le Voyageur tement quand leurs parens ne font pas en état de payer leur penfion: elles y reftent jufqu'a 1'age de 22 ans: a cet age on les renvoye a leurs parens & on leur donne en fortant un petit troufieau tel qu'il convient a une bourgeoife de cette clafle. Cette maifon n'a d'autre revenu que le produit des dentelles qu'on y fabrique & les pcnfions des jeunes éleves qui en payt ni, ou des Demoifelles qui, voulant fe retirer du monde, fe mettent en penfion dans cette maifon. Non contentes de fe confacrer a 1'inftruftion de Ia jeunefle, ces vertueufes Demoifelles font aufli continuellement occupécs du foin de foulagcr les malades indigens; elles leur donnent des fecours; elles les vifitent, les confolent. A 1'extérieur de cette maifon eft une école oü l'on inftruit gratieufement tous les enfans qui fe préientent. Je ne peux comparer cet établifiement qu'aux monaftcres des filles de la providence qui font en France,  dans isj Pays-Bas. 367; II y a ici, Monfieur, des couvens de toute efpece, & des moines & des rnoniales de toutes couleurs. Grace a la fageffe de l'empereur, Ypres comme toutes les autres villes des Pays-Bas Autrichiens* va être délivrée de cette furcharge d'habitans qui vivent pour eux feuls fans être utiles ni a la vigne du Seigneur ni a la fociété. Déja plufieurs de fes couvens font fupprimés & cette fuppreiïion s'eft faitc fans occafionner le moindre regret ni aux fupprimés ni a leurs concitoyens. L'on attend même avec une forte d'impatience une feconde fuppreffion qui, a ce qu'on me mande de Bruxelles, ne tardera pas a fe faire. Comme la première fuppreiïion n'a frappé que fur les moniales, il eft a croire que la feconde frappera fur les ordres mendians. A tout hazard j'ai vifité aujourd'hui Péglife des récolets: dans cette églife il y a un tableau de Jordaens qui poura bien faire le voyage de Vienne: II poura y paroitre avec diftinéiiion; il eft Q4  g6S Le Voyageur bien compofé & d'une belle couleur, les têtes cn font jolies, mais c'eft principalemcnt le groupe d'en haut qui eft d'une grande beauté; ce tableau eft une affomption. Un autre tableau remarquable eft celui qui repréfente Notre Seigneur prêt a foudroyer le monde ; la Vierge qui y paroit dans un grand défordrc & tel qu'on peut le fuppofer , quand on s'eft fort haté, paroit intercéder pour les pauvres humains; elle découvre a fon fils fon fein, comme pour lui rappeler les foins qu'elle a pris de fon enfance ; St; Franeois paroit dans ce tableau couvrir le globe de fon manteau & cette fauvegarde paroit auffi arrêter le Sauveur. Les récolets polfedent encore trois tableaux peints par Suvé de Bruges. L'un qui eft la naiifance.du Sauveur a remporté le prix de 1'académie de Rome; l'autre repréfente la defcente du St. Efprit fur les Apótres, & le 3e la préfentation au temple. 11 y a auffi dans cette églife plufieurs tableaux de Beke d'Ypres dont  dans le s Pays-Bas. 369 les fujets font tirés de la- vie de la Vierge. L'églife des dominicains qui étoit affez belle, vient d'être démolie ainfi que leur couvent, de forte que d'un endroit écarté de la ville, on en a fait un défert. Ces peres ont acheté la belle églife & la maifon appartenant aux ci-devant jéfuites, moyennent 2,0000 florins payables en 20 ans. Si Pon avoit pu faire fortir les religieux de 1'abbaye de St.. Jean de leur léthargie , & leur perfuader qu'il leur convenoit d'acheter ce couvent & l'églife, puifqu'ils n'ont préfentement que le chceur de Péglife paroiifiale de St. Nicolas qu'on leur a cédé a leur arrivée de Terrouanne, la ville y auroit gagnéV beaucoup; les dominicains feroient reftés dans leur couvent qui, s'il n'écoit pas moderne, étoit affez habitable furtout pour des réligieux qui , inflitués pour confacrer leur vie a la dévotion, a la retraite, a la pauvreté & pour donner aux prochains le fecours fpirituel 3 ne.  S?o Lê Votageur doivent connoltre les aifes de ce monde que pour les fuir: l'églife paroiffiale auroit été plus belle & plus grande, le chceur & fes nefs laterales n'en étanc pas féparés : & les petites rues qui font au centre de la ville qu'on a retrecies autrefois en faveur de 1'abbaye, auroient pu s'elargir aux dépens d'une partie du jardin de l'abbé & on auroit rendu ce cmartier plus falubre. Je fuis, &c. P. S. Avant de vous parler d'Ypres, j'auroisdu, Monfieur, vous rendre compte du féjour de quelques heures que j'ai fait a Loo: je les ai employées a vifiter l'églife paroiffiale & j'y ai vu quelques tableaux qui ont du mérite. Celui qui eft fur le maitre - autel, a été peint par Langhen-Jan; il repréfente Notre Seigneur crucifié entre deux larrons & au bas de la croix la Vierge & St. Jean; Ste. Anne qui apprend a lire a la Vierge & qui eft placée dans la chapelle de cette  dans les Pats-Bas. 371 Sainte, a été peinte par Ycurdigne, éleve de Corbéen. Yeurdigne étoit muet & fourd de naiiïance : il feroit intéreifanC de favoir commcnt il étoit parvenu a apprendre fon art & même a y exceller dans le payfage. Dans la chapelle de Ia Vierge eft un tableau de Jeremie VanTiercndorf peint en 1621 ; il eft compofé avec génie & repréfente Padoration des bergers. Les autres tableaux de cette églife , qui font au nombre de huit, ont été peints par V. Bouquet: fept repréfentent des fujets tirés de la vie de la Vierge: plufieurs des têtes qu'on y voit, ont le mérite de 1'cxprcffion , mais dans les tableaux, le deilin eil fans fineiTe & d'une nature courte. Le huitieme, placé dans la chapelle de St. Roch, repréfente ce Saint en priere qui demande a Dieu le foulagement des peftiférés: ce tableau eft compufé avec génie , mais d'un deffin un peu lourd.  372 Le Voyageur. LETTRE XXXVII. Tpres ce Aoüt 1783. s & fa chatellenie, Monfieur, formoient le troifieme membre des états de Flandre avant que cette ville eut paffé fous la domination frangoife, a laquelle elle fut cédée par le traité de Nimegue en 1678; la France 1'ayant rétrocédée a la maifon d'Autriche en 1718, les chofes reftcrent fur le même pied oü elles étoient avant cette rétroceffion. Ypres & fa chatellenie ne fe réunirent pas aux états de Flandre, & continuerent a être impofées par le fouverain feul, comme elles Pavoient été fous la domination franeoife. Tous les ans le fouverain envoye un commiilaire a Ypres qui fait connoitre aux magiftrats de cette ville quelle eft la fomme qu'il demande pour le fubftde ordinaire. Pour la chatellenie, ce fubfide, je crois, eft de 00000 fi. & 1500Q  dans les Pays-Bas. 373; fl. pour Pentretien de la cour. La ville devroit payer 50000 fl., mais le mauvais état de fes finances fait qu'elle Be paye que 2000 fl. pour l'entretien de la cour. Pour lever la fomme que demande le fouverain a la ville & chatellenie d'Ypres , il n'eft pas néceflaire du confentement de leurs habitans : il n'eft pas même abfolument eflentiel pour le fubfide extraordinaire, car fi on le refufoit, le gouvernement pafleroit outre & en ordonneroit la levée Le fouverain fe fait inaugurer a Ypres, mais dans cette cérémonie , il ne prend vis-a-vis de fes fujets aucun engagement; il ne leur prête point de ferment comme en Flandre & en Brabant, mais il reeoit celui que fes fujets lui prêtent de lui obéir & de lui être fidels. La chatellenie d'Ypres comprend 41 paroifles y compris les annexes; ebe eft régie, tant pour la police que pour les finances, par un corps de magiftrat compofé d'un bailli, d'un premier échevin a  374 Le Voyageur de huit autres échevins & de quelques confcillers penfionnaires : les magiftrats reglcnt la part que chaque feigneurie doit payer des charges publiques, & la levée s'en fait fur les proprietaires des terres: chaque paroiffe fait ce qu'elle doit fournir, & ce font fes officiers de juftice qui en font la répartition fur chaque mefure de terre. Le magiftrat de la chatellenie doit ^veiller a ce que 1'impofition fe faffe avec équité & furtout a ce que les deniers levés foient employés a leur véritable deftination. Ce magiftrat n'a aucune junk diétion dans la ville; celle qu'il exerce n'eft que fur les paroiffes de campagne; l'on appele de fes fentences direétement au confeil de Flandre. Dans les affaires de quclque conféquence i comme font I'audition des comptes, les i impofuions nouvelles & la répartition des; charges publiques, le magiftrat de la, chatellenie doit convoquer les gentil-. h. mmes qui po iêdent une terre ou haute • juftice dans la chuteilenie, & qui out;  dans les Pats-Bas. 375" voix confultative & délibérative dans ces fortes d'aflbmblées. Le magiftrat ne peut ordonner aucune depenfe qui va au-deflus de 400 fl. fans ie confentement des gentilshommes qui pour la chatellenie jouiflent des mêmes droits que ceux de la grande commune pour la ville. La charge de bailli de la chatellenie eft héréditaire : c'eft le bailli, les échevins & poflefleurs de fiefs qui nomment les confeillers penfionnaires:autrefois le bailli, ou vicomte d'Ypres, nommoit les échevins de la chatellenie, aujourd'hui c'eft le fouverain qui les nomme & ils ne reftent en place qu'autant qu'il le veut. Ancicnnement lc magiftrat de la chatellenie tenoit fes aflemblées dans un village de fon reflbrt ; il les tint enfuite dans une maifon d'Ypres nommée le Salhove appartenante au fouverain, & qu'avoit habitée Robert de Bethune comte de Flandre: aujourd'hui le magiftrat tient fon ficge dans une maifon fituée fur la grande place & qu'on nomme hotel de la cha-; tellenie.  %j6 Le Voyagetjh L'adminiftration de la ville d'Ypres efr municipale ; fon magiftrat eft compofé d'un grand bailli, d'un avouó , de 13 échevins & de cinq penfionnaires\& greffiers. La charge du grand bailli eft héréditaire ; les confcillers font a vie &l'avoué & les échevins nommés par le fouverain qui les change quand il le veut. L'avoué & les échevins nomment 13 confcillers de ville qu'on nomme ici confaux qui avec les autres officiers du magiftrat forment le grand confeil de la ville. Le magiftrat de la ville nomme le college des 271, celui des notables compofé de 15 principaux bourgeois & celui des marchands auffi compofé de 15 : ces trois i colleges , le grand confeil de la ville, l'avoué & les échevins forment un corps 1 de 85 perfonnes qu'on nomme la grande eommune d'Ypres; elle nomme a tous les : emplois qui dépendent de la ville, déli— • bére fur les demandes du fouverain &: lui fait des repréfentations lorfque le cas: .le requiert : le grand bailli y repréfente! Je fouverain s & l'avoué le peuple,  dans les Pays-Bas. 377 L'avoué & les échevins peuvent faire des ordonnances de police; ils font juges civils, crirninels & de police tant pour la ville que pour fa banlieue : on appelle de leurs fentences au confeil de Flandre; -mais dans le jugement des procés les confeillers penfionnaires n'ont que la voix confukative. Le bailli requiert au criminel, l'avoué affifte au jugement del'accufé, intercerde pour lui, & ne le juge pas. L'on fait a Ypres une coutume qui n'eft que pour la ville & fa banlieue; elle a été homologuée, ainfi que la coutume de la chatellenie. A défaut de ces coutumes & des loix du prince, Fon fuit les difpofkionsdu droit romain. L'allignement deS rues, & la conttruétion des maifons & autres batimens font foumis a 1'infpeótion des échevins. L'avoué & les échevins d'Ypres peuvent faire des ordonnances de police, mais elles ne peuvent être publiées qu'après avoir été approuvées par le bailli. L'avoué & les échevins font tuteurs nés de tous les  I 378 Le Voyageur mineurs bourgeois; ils leur nomment un tuteur en chef qui, affifté de quatre no^> tables bourgeois , prennent connoiffance de toutes les affaires qui concernent les mineurs & orphelins : l'on appele des fentences qu'ils rendent au tribunal du magiftrat. Ce magiftrat jouit d'un beau privilege accordé, dit-on , par la comtefle Jeanne; c'eft celui de pouvoir délivrer un criminel le jour du vendredi faint & de le renvoyer abfous; mais il faut qu'il ait avoué fon crime & que fon procés lui ait été fait. L'on acquiert a Ypres le droit de bourgcoife par la naiffance , par une habitation non interrompue de trois ans, quand l'on n'eft pas bourgeois d'une autre ville de Flandre, par le mariage avec une bourgeoife de la ville & enfin en payant a la ville une fomme trés modi que. L'étranger qui veut recueillir la iücccffion: d'un habitant d'Ypres , doit payer a lai ville le ioe. du montant de cette fuc~ eeffion pour tout ce qui n'eft pas fief 9.  dans les Pays-Bas. 379 c'eft ce qu'on nomme le droit d'iffue. Pour qu'une donation faite par un bourgeois d'Ypres a un étranger, produifefon effet, il faut payer le 10e. de fa valeur h la ville. Mais ce qui eft bien étonnant, c'eft que ceux de la ville d'Ypres qui font foumis h la jurifdiction du magiftrat de la chatellenie, ne peuvent pas acquerir n'y jouir a Ypres du droit de bourgeoifie & vicc-verfa. Je fuis, &e»  380 Le Vo yageur LETTRE XXXVIII. Tprcs cc.. . Aoüt 1783. Xv'évêché d'Ypres, Monfieur, eft un démembremenc de celui de Terrouanne fupprimé en 1553: d'une partie du revenu de celui-ci reuni au revenu de la prévóté de Ste. Walburge de Furnes, & d'une partie de celui de 1'abbaye de St. Martin d'Ypres qui fut fupprimée, Fon forma la menfe épifcopale de 1'évêché d'Ypres qui fut érigé en 1559. Le. revenu actuel de cet évêché, eft, a ce qu'on m'a afJbaè, de 24000 florins. L'évêque d'Ypres eft fuffragant de Parc „évêque de Malines ; il compte dans fon diocefe les villes de Furnes , Nieuport, Dixmude, Warneton, Popcringue, Bcrgues , Dunkerque , Caffel, Bailleul, Hondtfchotte, Steenvoorde, Hazebrouck, J57 paroiffes dont 67 font fous la domination franeoife; un archiprêtré, fept  dans les Pats-Bas. 381 doyennés , deux abbayes d'hommes, & trois de filles de 1'ordre de St. Benoit, cinq abbayes d'hommes de 1'ordre de St. Auguftin, une abbaye d'hommes de 1'ordre de Prémontrés & deux abbayes de filles de 1'ordre de St. Viétor , 27 couvens d'hommes & 34 couvens de filles y compris ceux qui viennent d'être fupprimés. II y a a Ypres quatre paroiffes qui chacune a pour curé un chanoine de la cathédrale, une abbaye d'hommes & deuxabbayes de filles, fix couvens d'hommes & huit de filles: il y a auffi un beguinage pour 15 a 20 filles; elles ont chacune leur logement & environ 150 fl. de leur fondation. Avant i'éreétion de 1'évêché d'Ypres, l'églife de St. Martin étoit une prévóté deifervie par des chanoines réguliers de 1'ordre de St. Auguftin; on les fécularifa & l'on érigea leur églife en cathédrale; de leurs revenus & de ceux de quelques canonicats de Terrouanne & de Furnes, l'on forma celui de 31 prébendes dont  382 Le Voyageur. fept furent afteclées a fept dignïtés, celles de doyen, d'archidiacre, d'archiprêtre, de grand pénitencier, dechantre, d'écolatre & de tréforier; fix aux üx curés de la ville, une au théologal & neuf a des gradués, favoir trois en théologie, trois en droit canon1, trois a des nobles du diftriét d'Ypres ou licentiés en droit ou en théologie & une au fiege épifcopal. Le fouverain nomme le doyen, & 1'évêque les autres dignitaires; mais il faut qu'ils les choififlent parmi ceux qui pofledent les prébendes qui ont été transferées de Terrouanne a Ypres; elles étoient au nombre de 10 & quand il vient h en vaquer une, ce font ceux qui pofll'dent les neuf autres qui nomment a celle qui eft vaquante. Les prébendes qui ont été tranfferées de Ste. Walburge, font a la nomination de 1'évêque pendant 4 mois & a celle du pape pendant les huit autres mois. Les 12 prébendes qui ont été formées des revenus de 1'abbaye de St. Martin , font a la nomination de 1'évêque &  dans des Pays-Bas. 383 ee font parmi ceux qui les pofledent qu'il choifit les 4 curés; car depuis qu'Ypres n'eft plus peuplée comme elle 1'étoit autrcfois, deux de fes paroifles ont été fupprimées. L'évêque nomme aufli a une prébende de fondation particuliere qui eft la 23e. de fon chapitre : les chanoines de ce chapitre jouiflent de 1'exemption de deux cinquiemes des droits de ville fur la bierre & le vin qu'ils confomment. Le bas chceur de cette cathédrale eft compofé de 20 fujets tant chapelains que muficiens. Cette cathédrale eft dediée a St. Martin : c'eft un vaifleau d'un beau vafte, d'un ftyle gothique & lourd : cette églife eft bien éclairée , elle eft décorée par quelques bons tableaux, celui qui eft fur 1'autel de la chapelle de la communion qui eft de Van-Ooft le pere , eft bien defliné , d'une bonne couleur & d'une compofition ingénieufe; il repréfente les nations profternées, ainfi que des malades &des mourans adorant le St. Sacrement que des anges foutiennent dans le ciel. Des  3?4 Le Votageuk. autres tableaux, trois font de Vande; Velde & un de T. Rombouts ; celui-ei eft fur 1'autel de St. Jofeph : il repréfente: la vifitation; il eft bon, mais ii pêche: dans la compofition, manque d'effet &: de liaifon : le fond d'cn bas eft trop grand-. Des trois tableaux de Vande-Velde, 1'un i repréfente le triomphe de l'églife; fi c'eft: une grande compofition, elle manque d'ef- ■ fet & ce tableau fent la détrempe , l'autre qui eft fur le maitre autel, repréfente St. Martin qui chaffe un démon du corps d'un poifedé ; l'on a voulu nétoyer ce tableau & on 1'a ga té ; il eft devenu fi noir, qu'a peine diftingue-t-on les objets: le troifieme eft plus que médiocre; c'eft une Ste. familie; la couleur en eft triviale, le deflin fans efprit. La cathédrale eft aufli une des quatre églifes paroifliales d'Ypres; ies trois autres font celles de St. Pierre, de St. Nicolas & de St. Jacques : je les ai vifitées & n'ai vu dans ceile de St. Pierre que deux tableaux de J. Van Tiercndorf: ils font  bans les Pats-Bas. font bons; Pun repréfente la cêne, l'autre notre Seigneur qui remet les clefs a St. ' Pierre. Dans celle de St. Nicolas eft un tableau de la Vierge dans une gloire céleftc, St. Bernard, St. Bénoit & d'autres Saints : il a été peint par M. de Vifch. L'églife de St. Jacques n'eft pas plus riche; elle ne poflede qu'un taNeau aflez bien peint par J. Van Tierendorf: il repréfente la nailfance de Jefus-Chrift. L'on m'avoit dit que je trouverois dans "Péglife des Auguftins des morecaux de peinture qui meriteroient mon atrention; j'y fus & j'y vis quatre tableaux peints par M. de Vifch dont les fujets font tirés de la vie de St. Auguftin; un tableau d'E. Quellyn le pere qui repréfente St. Ntcolas de Tolentin qui bénic des pains avec Jefqucls il guérit des malades : la compofition en eft d'un beau caraclcre Sc d'un aelim correct: il eft bien peint & d'un beau pmceau:on Pa négligé. & laiffé faiir : cela ne prouve ni le gout ni lcs 'Connoiffunces des moines qui le pofledent Terne F. Partie VI. H  3^6 Le Votaget-'S. Un beau tableau de cette églife eft celui peint par tierendorf: il y a du génie dans la compofition, & un grand caractere dans le deffin : toutes les têtes en font belles: ce tableau repréfente la Vierge, 1'enfant Jefus dans une gloire célefte: dans le bas l'on voit St. Auguftin en habit d'évêque qui regarde lc modèle d'une églife que lui préfente un ange, & derrière un autre ange qui foutient une croix d'argent. Dans l'églife des religieufes appcllées JSlonnen-Bo£c/ie ou religieufes au bois, eft une affomption de T. Boyermans: ce tableau eft beau comme de Van Dyck. L'opinion générale eft qu'une image de la Vierge qu'on voit dans cette églife , a été peinte par 1'Efpagnolet: il fufiit de la confidérer pour voir , ft peu que l'on ait de connoiifance , qu'elle n'eft pas de ce ipaitre. Quoique l'églife des Carmelitcs foit fermée depuis la fuppreiïion de leur couvent, je m'en fuis procuré 1'entrée & j'y,; ai vu quatre beaux tableaux de Mathieu,-  dans les Pays-Bas. 387 Elias & du meilleur tems de ce maitre; 1'un repréfente la Manne qui tombe dans le defert, l'autre Moyfc qui frappe le rocher , le troifieme la multiplication des pains & des poiflbns & le quatrieme la iéfurreétion du Lazare. Les autres tableaux de cette églife qui méritent quelqu'attention , font de M. De Vifch; 1'un repréfente la femme péchereffe, l'autre le retour de 1'enfant prodigue , le troifieme. Jefus-Chrift qui rend la vue aux aveugles & guérit d'autres malades. Ces tableaux feront probablement vendus dans le pays: on ne leur fera pas faire le voyage de Vienne. Je fuis, &c R 2  3*8 LE V.OTAGÊU* LETTRE XXXIX. Menin ce.... Aoiit 1783. j|\.vant 1744, Menin, Monfieur, étoit conficiérée comme une des places de 1'Europe les mieux forüfiées : elle étoit ville de barrière, & les Hollandois en avoient la garde. L'on y entre par quatre portes, dont les rues qui y conduifent, viennent ©boutir a la place d'armes, dans laquclle fe trouve Phötel-de-ville qui n'offre rien de remarquable. Menin eft du diocèfe de Tournay , dans la chatellenie de Courtrai & dans le reifort du confeil de Flandre : l'on évalue fa population a 6000 ames. II n'y a ici qu'une paroiffe; cette églife eft dediée a St. Waft. Je n'y ai vu que deux tableaux remarquablcs; 1'un eft de jean Van Ooft le fils : il repréfente Ja Ste. Familie: il eft compofé d'ene grande maniere , deüiné corredement & peint u'un  dans les Pays-Bas. 3%> large & d'une facilité étonnante : Pautre eft la Vierge qui donne le rofaire a Sff. Dominique : il a été peint par Wamps,,, & n'eft pas fans mérite. Les autres églifes de Menin font celle des Capucins9 des Bénédictins réformés , des Domini* c ai nes , des Seeurs bleuwettcs & des Hofcpitalieres. A deux lieues d'ici eft la petite ville de Commines, dont la plus grande célé'brité eft d'avoir vu naitre notre Philippe de Commines en 1445 : il étoit de la maifon de Wavrin,a qui'la terre de Corn!» mines appartenoit. Commines étoit de la branche cadette & c'eft la branche ainée qui poifedoit cette terre. Philippe de Commines quitta le fervice du duc de Bourgogne fon fouverain , Charles le hardi, pour pafler a celui de Louis XI: il mourut en France fous Louis XII, a fa terre d'Argenton dans le Berry, agé de 64 ans.. Commines a été autrefois fortiftée. Depuis que toutes. fes fortifications ont été rafées, c'eft plutot un village qu'une viU  m goo Le Voyageur le. II y a cependant une églife collégiale» dont 1'évêque de Tournai eft prévót; ce chapitre eft compofé d'un doyen & de fept chanoines a la nomination de 1'évêque de Tournai. Commines eft fur la Lys, par laquelle elle communiqué avec Menin, Wervike & Warneton. Ces deux dernieres villes ne font pas d'une plus grande conféquence que Commines. Ce qui rend cependant Warneton plus recommandable, c'eft que dans fes environs font les triftes reftes de cette belle race de moutons qu'on jiomme flandrins. Un négociant de cette ville auquel j'étois adreflé, m'a remis le mémoire ci joint que je vous envoye; fon auteur eft aufli inftruit qu'il eft bon patriote. Demain je me rendrai a Courtrai. Je fuis, &c,  dans les Pays-Bas. 391 MÉMOIRE fur la ville & la vcrge de Menin. M en in, ville de la Flandre-Autrichiennc, fituée fur la Lis, riviere trés navigatie , communicant a Gand avec 1'Efcaut, & conféqucmment avec TOcéan , eft a 2,0 lieues de Bruxelles & autant d'Anvers, 10 de Gand , 9 de Bruges, 7 de Tournai, 55 de Paris, 3 de Lille, autant d'Ypres & 2, de Courtrai, entre lcfquelles trois dernieres villes elle forme un point prefque central. Lc terroir de fes environs , connus fous le nom de Verge de Menin , eft trés fertile & produit du bied tant froment que fcigfe, de 1'avoine, de 1'orge, du fucrion qui eft une autre efpece d'orge meilleure pour la compofition de la bierre, & que l'on donne aulli en verd a manger aux beftiaux des pommes de terre, du tabac , & furtout grande abondance de lin & de colfat qui eft une plante produifant une petitè; R 4  392 Le Voyageur. graine noire différente de la navette & beaucoup plus abondante, & dont, ainfi que de celle de lin , on tire une grande quantité d'huile propre non feulement a brüler , mais aufli a faire le favon noir. II renferme aufli quantité d'excellentes prairies, outre qu'elles produifenr d'excellent foin, elles ferventencore a nourrir & élever grand nombre de bêtes a cornes & furtout de vaches, qui, par 1'abondance & la bonne qualité de leur lait , fourniilént grande quantité de trés-bon beurre qui, au moyen du fel blanc, que l'on employé pour le faler, conferve fa bonté aude-la d'une arnée , en forte que cette denrée devient une branche de commerce pour fon fuperflu. Outre ces prairies naturelles , il y en a aufli grand nombre d'artificiellcs par 1'abondance des treffles que l'on feme dans les campagnes, & qui donnent quelquefois jufques a trois coupes dans la faifon d'été. Dés qu'il eft fleuri, on le donne a manger aux beftiaux, & on conferve le furplus  Sans les Pats-Bas. 393 pour Phiver, pour la nourriture des mêmcs beftiaux, aidée du foin naturel, & fecondée par diiférentes autres nourritures, telles que les pommes de terre, les navets, les carrottes, les gateaux faits du réfidu . de ]a graine de colfat lorfque 1'huile en eft extraite; & par une efpece particuliere de choux a haute tige; toutes produétions très-abondantes dans cette contrée, d'oü il eft aifc de conccvoir que le bétail y eft très-nombreux. On y nourrit & engraiffe particulicremcnt beaucoup de veaux de lak, & Menin eft très-renommé pour la blancheur & le goüt exquis de cette viande. II y a aufli de grands troupeaux de moutons , dont la chair eft délicate, quóique ces animauxy foient de grande taille; ce qui fait que leur toifon produit beaucoup de laine, qui eft d'une très-bonne qualité. Pour ce qui eft des chcvaux , il feroit fuperflu de dire qu'un pays ou 1'agriculture eft en auffi" grande recommandation , & au point que Ton n'y voit jamais la moindre partie'de terre en jachére, & oü l'on ne- R 5  §94 Le Voyageur. laboure qu'avec cette efpece d'animaux, ils n'y foient très-nombreux; ils font de feaute taille, forts & beaux. Le cultivateur y eft trés laborieux. La terre n'y eft pas plutot dépouillée d'une production qu'on y met la charrue & qu'on y féme ou plante autre chofe. C'eft ainfi qu'après la récolte du colfat , du lin , des grains, la terre recoit de nouveau dans fon fein les principes d'autres trélors, tels que les plantes de tabac, celles de choux a haute tige, la femence de navets, Sec. qui donnent dans la même année une lecon.de production , laquelle fait place a fon tour aux apprêts de celle de 1'année fuivante. Et la terre, fans avoir befoin de repos, répare aifement fes forces épuifées , par 1'abondancc & la diverfité des engrais que l'on y incorpore. En outre, hommes, femmes, enfans, dans la campagne, tous s'occupent des différentes opérations nécevfaires a la préparation du lin, pour le mettre cn état d'être employé a la fabrication des toiles; tous lea  *ans lès PaTS-BaS. hommes y font tifferands, de fagon qü'iï n'y a, pour ainfi dire, ni maifon, ni chau* miere dans la campagne, ou il n'y ait un ou plufieurs métiers eontinuellement battans: ce qui produit une quantité immenfe de toiles de. toute fineife & de tous prix-, eü égard a Pextrême population des villages de Ja verge de Menin , dont les habi*. tans viennent enfuite vendre ces toiles écru a la ville, qui en fait fon principal commerce , ainfi que du linge de tabJe qui fe~ fabrique en grande quantité dans- la ville même , ou il y a de belles & vaftcs blanehiiferies le long de la riviere, & a laquelle la bonne qualité & Uv fineife des Jins de fes' environs , donnent Pavantage d'avoir de fon propre cru , les plus belles, les plus fines & les mcilleures toiles qui fe fabriquent dans la Flandre; l'on peut dire auffi les plus blanchcs, les plus fóupïes & les mieux apprêiécs, car la propriété favonneufe des eaux de la Lis, la netteté de fesprairies fervant aux blanehifferies, que Poneotrecient avec le plus grand foin & R- 6  396 Le VOYAGEUJt mcme jufqu'au fcrupule , en les purgeant fouvent des mauvaifes herbes qui peuvcnt tacher les toiles, jojntes au difcernement & a 1'habileté des blanchiffeurs dans le choix des matieres & la fa?on de les employer, en confervant le grain des toiles , leur donnent un éclat, une foupleffe qui les diftinguent parriculiérement. Les principales maifons qüi font ce commerce font celles de JVlrs. Antoine Van Ruymbecke, Paul Van Ruymbecke, Becquaert & Vandermeerfch, Lievin Hovyn, Werkers & Deligne , Jean Bte. Couvreur. Une autre forte branche de commerce de ladite ville, eft la dentelle qui s'y trouve cn abondance, d'autant qu'il y a quantite d'écolcs que les fillcs fréquentent dès 1'afce de quatre ans pour y apprendre ce métier qu'elles continuent toute leur vie, roême étant mariées,& qu'elles enfeignent a leur tour aux enfans. Ces dcntelles qui font en iacon de Yalenciennes , font fupérieurement faitcs , folides , d'un blanc éblouifiant,& fe rafinent a 1'eau. Les prin-.  dans Lts Pats-Bas. 397 cipaux magafins de dentelles font ceux ds Melle. Renard, directrice de la rnaifon des orphelins, Mrs. Ghefquiere, BecquaertjacquesVanfteenkifte, Melles.Caftelein^foeurs. Nous avons dit ci - deffus que les deux principales productions des environs de Menin font le lin & le colfat , dont nous avons fpécifié la nature, & de la graine des quels on tire de l'huile,ce qui s'opere par le moyen de moulins a vent & quelques-uns a eau, qui font en grand nombre difperfés tant au-tour de la ville que dans les villages fitués fur la verge de Menin , ils produifent une grande quantité de ces huiles, dont il fe fait un trés grand commerce , & qui s'envoyent au loin, tant pour 1'ufage des lampes que pour la compofition du favon noir. II y a plufieurs particulLrs qui font ce commerce, les piincipaux font Mrs Mare Ghefquiere , Guille. Claeyffens, Francois Vandermcerfen, . . . Vandenberghe.. II y a auiü dans ladite ville deux fabri^ues de favon noir, favoir celles de Mra*  jo8 Le VcTTAGfÜJt Mare Ghefquiere, Guillaurne Claeyffenffr qui le font 1'un & 1'autre d'une très-bunns qualité. La même ville renferme deux falinieres ou rafrineries de fel; celles de Mr. Guille. Claeylfens, Melle. Roucheu. II s'y trouve aulfi pluüeurs fabriques de tabac en carottes, dont il s'en exporte beaueoup a 1'étranger; les principales font celles de Mrs. Guille. Claeylfens, Philippe Romy, La grande quantité de beftiaux dont le pays eft rempli, fait que les peaux y font en abondance ; ce qui a donné lieu a 1'établiflement de ditférentes tanneries, dans lefquelles il fe fabrique d'excellens cuirs , dont un grand nombre s'exporte a 1'étranger : ces tanneries font au nombre de trois, favoir celles de Madelle. la veuve Bareel, Mrs. Charles Caftelein , Jean Bte, LahcuiTe. II y a dans Menin plufieurs atteliers oü Ton trav.illc a cégraii7«.r !a lair.e éerre, a Ia peigner & a la préparer, de m:miere qu'élJe n'a plus a recevoir que le fliage pou^  das9 tii Pats-Bas. go> Ctre employee a la fabrication des étoffes. -Ces attelicrs font confidérables II s'y apprête chaque année une très-grande quantité de laines très-fines & trés blanches qui s'envoycnt enfüitè a 1'étranger, & particulierement dans les villes de France,oü il y a des fabriques d'étorTes de laine; il s'en fait a Menin un ires grand commerce. Les principaux manufacturiers de cctte efpece font Mrs. Pierre Jh. Stock, Jean Sette. Les charrons de ladite ville excellent dans la ftruéture des roues pour les vuitures, tant pour la délicateffe, que pour la folidité. Nombre de voyageurs en font ordonner d'avance, en envoy.tnt a leurs correfpondans le diametre qu'ils veulent y donner, ainfi qae Ja longueur du moyeu , & en leur indiquant a peu prés le tems de leur arrivée a Menin , pour les trouvcr prétes & les faire mettre a leur voiture de voy'jge. Ce qui arrivé journeliement , d'auc;mt que Menin eft un grand palfage, & que de tous cótés  400 Le Votagiür il' y a de belles chauffées qui y abonti(Tentr & qui conduifent par-tout oü 1'on veut aller. Tous ceux qui fe font pourvus de ces roues, conviennent qu'elles furpaflent en tout genre tout ce qu'ils ont vu ailleurs. II faut a peu prés 60 aunes de Menin pour 36 aunes de Paris a Pégard des toiles, dentelles, &c. mais pour le linge de table,c'eft une aunc particuliere, dont les 60 n'en font que 35 de Paris. II eft a obferver cependant que fur la toile il y a un bon d'aunage d'environ 5 aunes du pays plus ou moins a la piece. Mais fur la dentelie ainfi que fur le linge de table , il n'y en a aucun. Le poids de Menin eft de iai par % plus foible que celui de mare; ce qui fait | ; & ainfi 100 x poids de Menin ne font que 871 x- poius de mare. Le fac de bied contient une rafiere & demie. La rafiere fe divife en 4 avcts, pefsnt chacun,année commune, 391 ^, pour le froment de la meilleure quaïité. L'avot fe fubdivife en 4 pintcs. Le prix du grain s etabüt a tant l'avot.  dans les Pats-Bas. 401 L'on compte a Menin 34 rafieres de froment pour un laft , & lefdites 34 rafieres équivalent a 25 facs mefure de Bruxelles, qui font auffi un laft. L'on négocie en ladite ville,comme dan* toute la Flandre-Autrichienne, parfols & deniers de gros, ou a tant pour §, fuivant les difTérens pays. 11 faut 12 deniers de gros pour un fol de gros, qui eft la même chofe que Pefcalin, & 40 deniers de gros font un florin. L'on confidére le pair des monnoyes9 comme il fuit: fur la France a 56 deniers de gros pour un écu de 3 „£. Sur 1'Angleterre , a 35 efcalins 7 gros pour une livre fterling. Sur la Hollande, parlant d'argent courant , a 4J pour % de difterence, c'efta-dire a f. 1044 argcnt courant d'Hollande pour f. 100 de change. Et parlant d'argent de banque, il n'y a point de pair , quoique Ton négocie de même a' tant pour cent de diiférence ; mais cela fe régie fur la valeur de 1'argent de ban.que a Amfterdam.  402 Le Votageur Sur 1'Allcniagne , a 20 p. § c'eft-a-drre fl. 100 d'Allemagne pour fl. 120 de chan- ge; ce qui fait 5 pour 6. Sur l'Efpagne, a 06 deniers de gros pour un ducat. Tout cequi va au-defTus ou en-deffous de ces évaluations, eft agio. II eft a obferver que 1'argent courant différe d'un 6e. en-fus de 1'argent de change, & que fl. 6. de change font équivalens a 7 argent courant de Flandre ou de Brabant. Le prix marchand des toiles & du linge de table qui font le principal commerce de la ville & de la verge de Menin , & leur augmentation ou diminution accidenteles ont pour bafe le plus ou Ie moins d'abondance ou de difette de la maticre premiere, qui eft le lin. Cette produétion eft fujette a tant de contretems , qu'il eft rare qu'elle réuffiffe pleinement; fouvent même elle manque en tout ou en partie dans la quantité ou dans la hauteur; & la qualicé en différe infinimcnt d'une annéc a 1'autre par les variétés & 1'intemperie de  dans les Pats-Bas. 405 1'air, ainfi. que par divers autres accidens. Quand il pêche par la qualité , le toiles que l'on en fabrique s'en reffentent * proportion. Comme le fil n'en eft pas bon elles font maigres & légeres , peu grainues, quelquefois diificiles a blanchir, au point qu'il faut les chatier beaucoup pour les rendre blanches; ce qui atfoiblit leur qualité. Quand il manque dans la quantité t jl eft fort cher, & il en arrivé ou que let toiles font cheres a Pavenant, fi elles font fort demandées, ou que fi elles le font peu, le thferand ne peut vivre, parceque le prix de fa toile qui devient trop bas, ne peut Pindemnifer de fa mife dehort & de fes peines. Et lorfque le défaut vient du peu de hauteur de la tige, alors il ne peut pas fe travailler, & il n'eft bon a rien. Ainfi dans ces trois cas, dont 1'un ou Pautre arrivé fréquemment, il fe trouve des inconvéniens. II eft vrai que dans de certaines années, cctte production étant abondante, de bonne qualité & de belle hauteur, une feule année  404 Le Voyageur d'une telle rdcolte pourroit fuppléer au défaut de plufieurs autres, fi les chofes étoicnt bien ménagées. Mais qu'arrive-t-il alors ? les nations voifines , & particuliérement les francois en enlevent la plus grande partie, & de crainte qu'il ne leur échappe, ils Fachettent même fur pied avant qu'il foit récueilli, ou même parvenu a fa maturité-, ce qu'ils n'onc garde de faire quand cette produftion eft viciée, de facon qu'ils empo reent la majeure parcie de ce qu'il y a de plus beau & de méilleur, & qu'ils ne nous en laiffent que la moindre, en forte que cette matiere première fe tient prefque toujours a haut prix dans le pays, & que quand il furvient une mauvaife année, le beau lin y eft a un prix exceffif a caufe de fa difette, ce qui por e un préjudice notable a la fabrique des toiles, a Pentretien de laquelle il conviendroit de veiller d'au-r tant plus qu'elle eft la principale du pays» k qu'il eft interreffant d'empêcher nos voifins de Pemporter fur nous par la qua*  Cans les Pats-Bas. 405* Ihè de leurs toiles & par la concurrence des prix. II eft vrai qu'il eft difficile de reméJier a un tel inconvcnicnt, & que c'eft dans fa propre fagelfe que le Gouvernement doit puifer les moyens d'y parer. Mais il femble que pour y parvenir, il feroit a propos de prohiber la fortie du lin crü en bottes, ou du moins d'y impofer un droit fi fort qu'il tint lieu de prohibition, au lieu de celui qui fe paye aétuellement, & qui n'eft que de dix fols du cent péfant. Par ce moyen k lin qui ne pourroit fortir avant d'avoir recti du moins le premier apprêt, refteroit plus longtems au pays, & les habitans auroient plus de terns & plus d'aifance pour en former des magafins qui feroient d'une très-grande refluurce pour la fabrique, outre que la main- d'ceuvre de ce premier apprêt tourneroit au profFt defdits habitans qi;i le voyenc a préi'ent paffer a 1'étranger. Un abus inveteré dans le pays & bien préjudiciable au commerce, eft 1'ufage oü  4ot> Le Votageu*. font la plupart des ouvriers, de faire le Lundi blanc; c'eft-a-dire de ne pas travailler le Lundi, mais au-contraire de fréquenter ce jour-la les cabarets; ce qui fait un doublé abus: car loin de gagner'ce jourla leur journée, ils en dépenlent une en chofes fuperflues ; d'ou il refulte qu'un manoeuvre, par exemple, qui, a raifon de dix fols de falaire par jour, devroit gagner pendant les fix jours ouvrables de la femaine, trois florins pour vivre pendant fept jours, y compris le Dimanche; ne gagne que 50 fols fur quoi déduifant dix fols qu'il dépenfe le Lundi au cabaret, 4 lui refte 40 fols pour vivre pendant les fef t jours; ce qui réduit fes moyens de fubfiftance a un tiers de moins. II en eft de même, proportion gardée , des autres ouvriers qui gagnent de plus ibrtes journées. Or d'un tel abus il réfulte de deux chofes 1'une : ou que 1'ouvrier & fa familie dpivent perir de mifére,faute de moyens furïïfans pour fubfifter , ce qu'il eft a fou&auer qu'on empêche: ou que fi ces mcyens  dans ies Pats-Bas. 407 font fuffifans, malgré la réduétion a laquelle il les porte volontairement, il annonce de lui-même qu'on pourroit rédmrc fa paye d'un tiers; ce qui diminucroit la main-d'ceuvre dans la propomon de deux florins contre trois, & rendroit les marchandifes manufa&urëes dansle pays a beaucoup meillcur compte, au grand avantage du commerce. Mais comme il n eft pas poflible de réduire un falaire fixe par Pufage a un certain taux , il feroit preférable de he confulter en ccla que lebien de 1'ouvrier, en Pobligeant de travailler le Lundi comme les autres jours; ce qui le mcuroit plus a fon aife & tourneroit en mêste tcms a 1'avantage du commcrce , en muitipliant le produit des fabnques. Un tel abus n'a point échappé aux yeux clairvoyans d'un prince éclairé voifm de eet Étatqui vient de faire émaDer de fages régiemens pour le öétruire. Quel inconvenient y auroit-il a fuivre fon exemple? le fage fuit volontiers le fage. La ville de Menin eft gouvernée par  4°$ Le Voyaöeur. un bailli qui a Je titre de grand - bailli , & par un magiftrat compofé d'un bourguemaitre & f« échevins, un confullerpenfionnaire & un greffier. Ce collége a 1'adminiftration de la police & 1'autorité de faire des ordonnances de police & de les changer comme bon lui femble, du fcü & de la connoiffance du grand-bailli. II a auffi 1'adminiftration de Ja juftice* tant civile que crimineJlc. excepté, pour cette derniere, les cas de fouveraineté & privilégiés , lefquels font réfervés a la connoiffance de fa majefté, ou a ceux de fon confeil provincial. U y a encore en ladite ville une jurifdiction inférieure compofée de fept perfonnes nommées pacificateurs ou appaifeurs dont le premier eft, fuivant 1'ufage, le plus jeune échevin fortant de la magiftrature , lefquels ont , cour & jurifdiction fur les caufes qui concernentles dettes de douze livres parifis ou fix fiorins, & en-deffous, & en cas d'appeJ, lefdites  dans les Pays--Bas. 409 lefdices caufcs font traduites pardevant les bourguemaitre & échevins. II y a auffi un collége compofé de quatre perfonnes nommées gard'orphes , en flamand wees-heeren, dont les deux principaux font les deux premiers ou plus anciens fortans de la magiitrature; ce collége, a l'adjonétion d'un greffier, a la charge de connoitre des cas qui concernent les orphelins, de leur faire établir dés tuteurs , de faire produire 1'état de biens des maifons mortuaires oü lefdits orphelins ont intérêt, de faire rendre compte aux tuteurs &c. Quant au plat pays de la contrée de Menin, connu fous le nom de verge de Menin, il n'a ricn decommun avec la ville:ce plat pays eft compofé de douze paroiffes y compris le bourg d'Ifenghien, & de trois hameaux: chaque paroiife ou hameau eft gouycrné par fon propre magiftrat qui eft fubordonné a un chef - collége ou magiitrature compofée d'un grand-bailli de la ville qui a en même tems le titre de grand-bailli de S  4io Le Votageu*. la verge , &: qui préfide a ce collége, de «quatre échevins & d'un confeiller-penfionaiaire ,faifant auffi les fonctions de greffjer. Ce corps tient fes affemblées dans la ville, .& connoit particulierement de tout ce qui concerne les tailles & impofitions lefquelles il établit, & les répartit fur chaque paxoiiTe ou hameau, en fuivant pour bafe de cette répartition le reglement appellé le iranfport de Flandre du 31 juillet 1631. Comme ce réglement, tranfport ou cadaftre eft de date très-anciennc, il eft aifé ée concevoir qu'un fi grand laps de tems a. apporté bien des changemens dans les avantages locaux des duférentes parohTes, non feulement de la verge de Menin, mais de toute la Flandre en général , foit par de nouvelles routes ou de nouveaux canaux qui ont été percés , & qui en attirant le paffage ou la navigation par des villes & .des cantons auparavant oubliés, en ont privé ceux qui étoient alors fréquentés ; foit paree que le commerce s'eft transferé d'un endroit dans un aurre oü il fe faifoit avec  dans les PaYS-BaS. 4U plus d'aifance ; foit par le défrichement des terres lors incultes dans certaines contrées, lefquelles étant devenues depuis d'un bon rapport, ont procuré a ces contrées des avantages égaux, même fupérieurs a ceux des autres contrées reputées pour les plus fertiles, & ont été taxéesen conféquence par le cadaftre, tandis que les premières ne Tont été que peu ou point du tout ; foit enfin par dilférens autres accidens que le tems ne peut manquer de produire. Or comme tout cela a apporté depuis ce tems une différence notable dans la plupart defdits avantages locaux , & a dérangé infiniment la proportion lors établie pour la cotifation de chaque généralité, & de chaque paroilfe en particulier, il feroit a défirer qu'il fut donné des ordres de travailler inceffamment a un autre tranfport, & que cela fut renouvellé au moins tous les cent ans. Le magiftrat ou chef-collége de la verge de Menin a auffi la juftice criminelle fur les vagabonds & gens fans aveu appréhen- S %  4ta Le Voyageur dés dans fon relfort, a la pourfulte d'un officier ad hoe , qui a le ticre d'aman. Mais a Tégard de tout délit perpetré dans 1'étendue de la verge par les habitans d'ïcelle, la juftice en appartient aux différens feigneurs des paroifles, foit a ceux du clocher , foit a ceux des diverfes feigneuries fituées dans lefditcs paroiffes,chacun dans fon diftriét, & elle s'adminiftre a la pourfuite du bailli de chaque feigneurie, par le magiftrat que chacun defdits feigneurs a droit d'établir, a 1'aide du grefficr de ladite feigneurie ; & les jugemens y font 'rendus de 1'avis de plufieurs jurifconfultes de 1'une des villes voifincs que Ton aifume, & auxquels on envoye ies pieces du procés, lorfqu'il eft par inftruit, pour le juger. U y a un abus criant & bicn préiudiciable a la tranquillité publique dans rsdminifLraÜMn de cette juftice. Comme les fraix en font a la charge des feigneurs, chacun pour le reilbrt de fa feigneurie, ils ont intérêt a les éviter , & a induire leur bailli a fermer les'yeux fur les déiitsper-  dans LES PaY^S-BaS. 413. petrés dans Pétendue de leur feigneurie. Du moins 1c bailli qui fait bien que les pourfuitcs qu'il feroit & les informations qu'il. prcndroit fur les crimes commis, feroient a charge a fon fcigneur, a qui il craint de déplaire, en prétend caufe d'ignorance; ou s'il ne le peut abfolument , a caufe de la trop grande publieke, il pourfuit dc manicre a ne rien découvrir dc certain , & donne fouvent au coupablc le tems de s'évader; quelqucfois même il nc s'évade que pour un tems, & revcnant lorfque la chofe eft aflbupie , on le lailfe tranquille. Tout cela fait que les méchansfe flattent de 1'impunité , s'en dure iffent dans leurs vices , & fe.rendent redoutables aux bons qui n'ofent pas même s'en plaindre , crainte de les aigrir. Or comme 1'expérience prouve que 1'adminiftration de la juftice criminclle eft mal entre les mains des feigneurs, il feroit. a défirer que l'on y apportat un changement , & que Pon en chargcat 1'adminiftration des chefs-colléges du plat pays r c'eft-a-dire les chatellenies , verges & ter- s a  4M Le Voyagetjk. ritoires, chacun pour fon diftricl, en faifant contribuer les feigneurs refpectifs pour une certaine portion dans les fraix des procés , & en établilfant pour le furplus dans chaque reffort , une caifie particuliere & deftinée ad hoe , aTentretien de laquelle il feroit fourni par tous les contribuables aux impofitions , par une taxe annuelle acceffoire a la taille; a peu prés comme cela fe pratique dans le franc de Bruges, oü par ce moyen cette juftice eft exactement adminiftrée, & le feroit de même par-tout ailleurs fi Ton y fuivoit le même fiftême. L'on terminera ce mémoire par quclques cbfervations fur la navigation de la Lis, & fur les entraves que la franchife du corps des batteliers de Gand met a cette navigation : cette franchife eft telle que tous les batteaux qui n'^ppartiennent pas au corps defdits batteliers, lorfqu'ils arrivent en Ia-, dite ville avec des marchandifes a deftination ultérieure, doivent rompre charge , c'eft-a-dire qu'ils ne peuvent paffer outre, mais que lefdites marchandifes doi-  DANS li E S PATS-BAS. 4T£ vent être transferées dans un batteau. gantois, pour pouvoir être tranfporcées a leur dcftination; ce qui augmente confidérablement les fraix de tranfport , nonfeulement paree que le tarif du corps defdits batteliers gantois eft très-haut, mais auffi a caufe de la main - d'ceuvre qu'il faut payer a Gand pour transférer les marchandifes d'un batteau a 1'autre, outre le dégat qui peut furvenir a partie d'icelles par cette manoeuvre. Le gouvernement toujours attentif a favorifer le commerce, fit émaner le ia may 1781. Une déclaration. qui permet aux batteaux chargés de pierres, de paffer ladite ville de Gand, & d'aller jufqu'a leur dcftination, fans rompre charge. Mais ceux de la Navigation de Gand ont trouvé moyen de fufciter d'autres difficultés aux batteliers qui ne font pas de leur corps, & de les obliger a certains fraix pour le paffage de la ville de Gand, en 'les foreant de fe fervir pour ce palTage, d'un certain nombre d'hommes qu'il S 4  4i6" Le Vo yageur. faut payer chércment, au moyeii de quoi le fret, au lieu dediminuer, comme on avoit lieu de 1'cfpercr en conféqucnce de cette déclaration , eft au contraire de bcaucoup augmenté. L'on peut en apporter pour preuve que, depuis cette déclaration, les pierres ou grez a paver, payent deux a trois florins par mille plus qu'auparavant, pour le même trajet. Ce feroit -un grand bien pour le commerce , que toute franchife du corps de batteliers put être abolie, & que chacun fut libre de naviguer comme bon lui fembleruit fur toute riviere indifféremment. La navigation de la Lis eft fouvent interrompue pendant 1'éié, par^eque dans certains endroits cette riviere manque de profondeur 8e cela vient dece que fon fond a été fuccellivement hauGe dans ces endroits par les terres qui s'y font amaffécs, de maniere que quelquefois les batteaux font obligcs de refter trois femaines & plus dans un endroit au-defious de -Menin, avant d'y pouvoir palier. 11 fe-  dans les Pats-Bas. 417 roit donc important de faire nettoyer & creufer le lit dc cette riviere dans les endroits qui 1'exigent , d'autant que tout rétardement dans la navigation porte un préjudice confidérable au commerce. Quelques perfonnes objeétent a cela que ce font les batteaux même qui occafionr nent eet inconvénient paree qu'étant de conftruclion trop haute, & prenant conféquemment trop d'eau, leur fond entraine avec lui des terres & des matieres qui s'amoncelent dans certains endroits , & forment des bancs. Elles ajoutent que fi l'on nettoyoit la riviere au point de la rendre navigable en tout tems & partout, l'on n'y gagneroit rien, paree que l'on conftruiroit dans la fuite les batteaux a une hauteur ou profondeur proportionnée a celle de la riviere, & qu'ainfi le menie inconvénient fe repréfenteroit bientöt. A quoi l'on répondra qu'il eft aifé d'ob-. vier a tout cela par un reglement qui fixe la hauteur d'eau que les batteaux s 5  4-ï8 Le Voyageür pourront prcndre, avec défenfes aux batteliers de charger au-dela de cette hauteur , fous peine d'une amende qui feroit , par excmple, de trois florins pour tin pouce d'excedent, de fix florins pour le fecond pouce, par-deffus les trois florins du premier, 8c de douze florins pour chaquc autre pouce, par-deffus les neuf florins des deux premiers. A quel effet les batteaux feroient jaugés 8c marqués d'une marqué a la hauteur permife, 8c tous les pouces en-deffus de ladite marqué feroient également marqués par divifton jufqu'au bord du batteau. Par ce moyen les prépofés que l'on étabüroit pour vcillcr a 1'obfervation de ce régler ment, qui pourroient être les éclufiers 8c pontoniers, & auxquels on accorderoit une certaine part dans les amendes, feroient a même de s'affurer jufqu'a quel point les batteliers 1'auroient enfreint, 8c l'on remedieroit efScacement au mal. Je fuis, 8cc.  DANS LES PAtS-BAS. 419. Opende ce... Aout 1783. XJn négociant d'Oftende , Monfieur 9 vient d'avoir a 1'égard de M. Romberg' de Bruxelles, un procédé fi extraordinaire, qu'on auroit peine a le croife, s'il n'étoit rendu public par 1'imprimé que Je vous envoye. M. Hcrries eft anglois '& je fuis perfuadé qu'il n'y a pas un anglois qui ne défapprouve fa conduite; elJe eft d'autant plus condamnable qu'elle ne paroit avoir d'autre principe que 1'envie & la jaloufie. Si j'étois commercant, je vous affure que je ne voudrois avoir aucune liaifon avcc un homme auquel Ton pouroit reprocher d'avoir agi a 1'égard de qui que ce fut comme Ta fait M. Herries, fur-tout d'un négociant auffi eftimable que M. Romberg. Je fuis, &c» S 6 LETTRE XL. a 1'Auteur du Voyageur.  420 Lë Votacetjk Précis du procés de Guillaume Herries 6> compagnie négociants d OJïende & banquiers d Londres 3 contre le négociant Romberg. I^rédéric Romberg & compagnie négociants a Oftende reeurcnt au commencemcnt de 1780 commiffion de la part d'un négociant étrangerde faire aiTurer pour 3050 liv. fterl. de marchandifes neutres : cette commiffion fut exécutée : mais un corfaire efpagnol ayant pris cette cargaifon , cette prife fut déclarée bonnepar le juge du lieu. Frédéric Romberg & compagnie en donnerent auffi- tót avis tant aux propriétaires qu'aux aflureurs , qui confentirent a 1'appel de cette fentence. Pendant que ce procés rouloit , les propriétaires eurent recours a Frédéric Romberg & compagnie au mois d'aoüt 1782 & les prierent de leur vouloir avancer la valeur de Jeurs marchandifes 3 ou du moins  dans les Pats-Bas. 421 de leur donner cette valeur dans un billet h. un terme affez long , que la procedure pourroit être terminée avant fon échéance. Ce billet, Frédéric Romberg & compagnie le donnerent par pure bonté , puifqu'ils n'étoient tenus a rien , tant que le procés n'étoit pas définitivement jugé , & que ce n'étoit que d'après fon réfultat , que l'on pouvoit voir, fi les aflureurs devoient payer ou non. Le payement de ce billet fut fixé au 17 Juillet 1783 au domicile de Meffieurs Robert & Thomas HarriiTon a Lcndres, auxquels ils remirent en conféquence les fonds néceffaires: mais environ trois femaines avant Péchéance on recut avis, que par fentence en dernier reffort la cargaifon, dont il s'agit, avoit été déclarée de bonne prife, paree quelle avoit été rcconnue appartenir d Vennemi. Frédéric Romberg & compagnie n'eurent rien de plus preffé que de faire paffer eet avis aux porteurs de leur billet & de requérir leurs banquiers de n'en pas faire le payement; démarche, qui a été..  422 Le Voyageur. approuvée par de célèbres avocats de Londrcs. Les porteurs du billet mécontcnts, comme on le fent bien, de cette précaution firent arrêt fur la fomme de 3050 liv. fterl. dépofée ehez MM. Robert & Thomas Harriflbn ainfi que fur d'autres fonds, que les maifons de Romberg avoient a Londres : ils firent plus; ils remirent le billet aux Négociants Hcrries & compagnie , qui en firent demandcr le payement : on leur répondit, que les endoffcurs devoient s'adrelTer aux premiers endoffcurs, auxquels on avoit dans le temps donné les motits du non payement. Ccpendant Hcrries demanda le 7 Aotit par requéte au confeil en Flandres permiilion d'arrêt fur les biens & cffets, que la maifon de Frédéric Romberg & compagnie a en cette province , & le même jour il fit infmucr quatre arrêts dans la feule ville de Gand, 1'un a ma maifon Romberg & Confors, un autrc a un de mes affociés, le troifieme a un de mes  dans les Pats-Bas. 423 commis nommé Servaes & le dernier a i'entrepót: le 9 dans la matinée je reeus par le courier la copie de 1'arrêt , qui avoic été fait a ma maifon de Gand; j'ignorois jufques-la les trois autres : cependant j'envoyai le même jour mes inftructions a mon gerant & a des avocats du confeil de Fiandres : lc 10 étoit dimanche; & Hcrries n'avoit fait encore aucune démarche ni ici (h BruxellesJ) ni a mes maifons de Bruges & d'Oftende: mais le lendemain li il fit a la fois arrêt a Bruges fur deux navires, fur des marchandifes, qui font a I'entrepót & enfuite fur les meubles & effcts de ma maifon, dont on prit 1'inventaire. Cet cxploit étant ainfi achevé a Bruges avant midi, on fe mit d'abord en marchc vers la ville d'Oftende, toujours avcc le même éclat & le même appareil, & précédé de Mormal affocié de Herries: en chcmin faifant dc 1'une ville a 1'autre les exploiteurs eurent grand foin de s'informer le long du canal, a qui ap-  424 Le Votageur. partenoient les navires, qu'ils recontroient 5 deux d'entr'eux s'étant déclarés appartenir a Romberg furent d'abord arrêtés ; au moment qu'on alloit pratiquer les arrêts a Oftende, le gerant de ma maifon y offrit a Herries des furetés plus que fuffifantes & parvint ainfi a ftater les pourfuites. Pendant ces entrefaites, conformément aux inftruétions, que j'avois données a ma maifon & aux avocats de Gand , la fomme de 3050 liv. fterl. qui faifoit robjet des arrêts de Herries, avoit été confignée au greffe du confeil en Flandres , & ce tribunal a incelTament ordonné Ia levée des arrêts, ainfi. qu'il fe voit par les acres ci - joint. Herries convient dans un billet daté d'Oftende du 11 Aout écrit par lui-même a ma maifon de ladite ville qu'il n'eft que commiffionaire dans cette affaire; il dit même " qu'il étoit malheureux pour lui d'être chargé d'une commiffion auffi défagréable. " II devoit donc agir aulfi  DANS LES PAYS-BAS. 42$ comme il convenoit a un commiffionaire: préfcnter fes ordres a mes maifons a Bruges ou a Oftcnde, exhiber fon pouvoir d'arrêt qu'il avoit obtenu, enfin aucuné de mes maifons ni moi, n'ont eu la moindre connoiiTance de ces démarches. A juger de la furprife, de la précipitation & de 1'éclat, que Herries a mis dans tous fes procédés, on conviendra, que je fuis fondé a préfumer, que ce Négociant n'a d'autre but que de décréditer a la fois toutes mes maifons, & que je ne faurois me difpenfer d'en demander juftice ^ dommage & réparation d'honneur. Le préféót avis a été retardé afin de lui donner la précifion & qu'il puiffe être accompagné des piéccs de la première inftance ci-joint. Jufqu'au jour d'aujourd'hui Herries eft refté en défaut pour la production de fes titres au confeil de Flandres & pour y donner la caution que ce confeil fouverain a oidönné.  4i6" Le Voyageur. II eft a obferver que le billet de 3050 liv. fterlings portoit valeur a une cargaifon fur le navire VHercule, cette valeur n'a pas été récue, elle n'étoit point payable, & les premiers Endoffeurs n'ont pas négocié ce billet, ils 1'ont endoffé a Comerel & Lubock qui ont convenu de n'avoir fait qu'une avance fur ledit billet, que Herries a fait figurer pour une lettre de change & comme a lui appartenante,&c. Signé Frédéric Romberg. Bruxelles le 23 Aoüt 1783. Copie par tranllat. Tout vü, foit montré, d partie pour y repondre endedans trois jours après Vinfinuation péremptoirement , non objïant les vatances , d peine de dijpojition. A3um 13 Aoüt 1783. Signé J. B. Bauwens. Injinué copie de cette au domicile du proc. Le Begue, Vainé, le 13 Aoüt 1783. Signé F. Du Brulle.'  dans les Pats-Bas. 4*7 Aux hauts & puiffants Seigneurs Mefiéigneurs du Confeil de Flandre. Suppliant rémon trant humblement les fieurs Frédéric Romberg & compagnie négociants a Oftende , que les fieurs Herries 6 compagnie négociants a Bruges dans la feule intention de préjudicier au crédit Se commerce remarquable des fuppliants, ont fpéculé a controuver a charge des fuppliants pardevant cette cour une prétention de trois mille cinquante livres fterlings , & pour affurance & recouvrement téméraire fait faifir les biens.fe marchandifes des fuppliants, comme confte de Pexploit du 7 de ce mois d'Aoüt, ci-joint; les fuppliants qui ne redoivent aucun obole fur cette prétention inventée ont d'abord interpeilé ledit Herries a produire le titre préfomptif & d'en prendre conclufion incelfamment , ce que cette cour a été fervie de lui ordonner endedans la quinzaine  4-S Le Voyageur péremptoirement, a quoi il n'a pas fatiffait jufqu'a préfent, les fuppliants néanmoins ne voulant fouffrir plus long-tems lefdits arrêts , défirent en pourfuivre la main-levée , parmi confignant au grefFe de cette courladite fomme de trois mille cinquante livresfterlings,fans pré:udiee néanmoins des dommages & intéréts apporrés aux fuppliants par lefdits arrêts; fuiet, que les fuppliants recourent vers cette cour. La fuppliant d'être fervie de permettre aux fuppliants de configner au grefFe de cette cour ladite fomme de trois mille cinquante livres fterlings, & ce fait, accorder la main-levée des arrêts pjcécités. Quoi faifant &c. Signé G. F. Buyck. Copie par tranüat. Tout vü , la cour inhérant dans Vappointzmcnt du 13 de ce mois , leve les arrêts , mentionnés en cette. ABum 18 . Aoüt 1783. Signé Bouwens,  Dans les Pats-Bas. W Sous correclion de la Cour. Lfs fieurs Frédéric Romberg & compagnie négociants a Oftende , fuppliants par la rèquête ci-anexée du 13 de ce mois, repréfentent, que partie eft reftée en detfaut de dire la moindre cbofe a la demande y faité, a quel filence les fuppliants ie font bicn attendus, vü que cette demande tfcft pas fufceptible d'oppofition, d autant moins que les fuppliants par la caution pécuniaire, au moycn du nantiflement, font un payement judiciaire d'un objct, auquel ils ne font tenus aucunement comme on le demontra clairement a la confufion des arrêtans mal intentionnés&auffi-tötqu Us ofcrent en former la demande judiciaire, entre-tems le terme péremptoire de trois jours étant écoulé , les fuppliants ont fait au grefFe de cette cour fous le grelr.tr Z-oetacrt le nantiiFement de la fomme dc 3050 livres fterlings faifant fl. 31872 „ 10 „ de change comme il confte du billet du me-  43° Le Votageur, me nantiffement ci-joint en original; raifons , que les fuppliants recourent autrefois vers cette cour. La fuppliant d'être fervie inhérant dans 1'appointement du 13 du courant de lever les arrêts y mentionnés plus amplement. Quoi faifant &c. Signé G. F. Buyck procr. I^antisé fousfieur & maitrejean Pierre Jofeph Zoetaert, Greffier du confeil de Flandre, par les fieurs Frédéric Romberg & compagnie négociants a Oftende felon le borderau la fomme de trente-un mille huit cents foixante-douze florins dix fols de cbange faifant trois mille cinquante livres fterlings. Nantifement qui fe fait a 1'efTet de jouir de la main-levée des arrêts, que les fieurs Herries & compagnie négociants a Bruges ont hazardé de faire interpofer pour aflurance mal-fondée d'une prétention ehimerique , qu'ils forment a charge des  dans les Pats-Bas. 43* mntiffants pour pareiUe fomme de trois mille cinquante livres fterlings , le tout plus ampiement & en conformité du confentement de la cour fuivi fur la requête des nanuüants , & fous correaion préfentée a cette fin a quoi, pour éviter des longueurs , on fe refére en tout, fous proteftation expreffe de refter entier en tout & fans préjudice , comme il appartient. Ce 18 Aoüt 1783. Signé J. P. J. Zoetaert. Jnfinué copie de cette au domile du procureur Le Begue , l'ainé , le 18 Aoüt 1783- Signé A. De Porrc. Fin du cinquieme Volume.  E i<- ii- A T .3.. 7) i> „V**" ^""J'^ois,/^ j'aUai. -f. o9-A 2 /. & aufli jufte. Pi 64 l. 5 un neu, /. une lieue P II i LCvm CÏ i {■ 'f Preinier repréfente. P. 79 l. 13 Pentecote, /. Production. £. 7?** ió celui-la , /. 1'autre. P- i=>7 /• 19 L plus durable. P- ni A 2 1'air, i. l'arc. i>. 132 /. 3 force , 4 proportion. -P. 155 /. i pprochant, /. approchant. P. 157 £ 7 qu'1, /. qu'il y. i>. 162 /. 5 Voyageur, /. voyager. P. i«a /. ij, faldats, t. fold^ts P. 199 /. 13 morcean, /. mcrceau. P. 200 /. 1 piilées, /, püées. P. au /. ia / mort, au corps du oud. ƒ». 227 /. 1 tableaux, /. tableau P. 251 /. 11 marqués, /. marqués. P. 252 /. 2 balles, /. bals. P. 338 /. 18 /. population. •] La Ire.lettre je - - /. 19 ƒ. tituée. 1 J/VKWK öte c« 4 - - /. 2o/.lachatcilenie. f lignus a coulée n " '/' *l „Ia terre- -I 4ansquelq.exempl P- 339 '8 18 a 2000 florins,/. 1800 è 0000 S. Des circonftanccs imprévues ayant retardé la carte générale promiie a la fin de ce volume, elle ne fe délivrera qu'avec la table qui formera la 6e. partie du torne óc. & dernier.