LETTRES GRECQUE S, PAR LE RHÉTEUR ALC1PHR0N. TOME PREMIER. Les Courtisannes.   LETTRES GRECQUES, PAR LE RHÉTEUR ALCIPHRON; o u ANECDOTES ■SUR LES MOEURS ET LES USJGES DE LA GRÈC E j Traduites pour Ja première fois en francofs , Avec des Notes hifloriques & critiqueu TOME PREMIER, Les Courtisannes. A AMSTERDAM; Et Je trouve a Paris, Chez Nï on Paipé, Libraire, rue du Jardinei, quartier S. André-des-Arcs. M. DCC. L X X X V.   P RÉ FA C E. Il me parok difficile d'affigner le tems auquel Alciphron a vécu. Sa perfonne & le lieu de fa naiffance font également inconnus. On eft fondé par fes Lettres a préfumer qu'il fut un rhéteur diftingue' dans fon art. Bergler , fon dernier éditeur, qui a fait quelques recherches a ce fujet, prétend qu'il a exifté dans les tems qui ont fuivi immédiatement le regne d'Alexaadre-le-Grand. Je men tiens a cette idéé, & je le crois antérieur a Lucien. Quelques-unes des Lettres d'Alciphron, entr'autres la pre- a i ij  V) P R É F A C E. miere de la feconde Partie, & la vingt-unieme de la troifieme Partie, paroiffent avoir fervi de modeles a Lucien pour fes Dialogues intitulés les Laphhes ou le Banquet des Philofophes, & le Coq ou le Songe. J'ai expofé dans mes remarques fur ces Lettres , les raifons qui me déterminent a penfer qu'Alciphron a exifté long-tems avant Lucien. Je laiiTe aux fcrutateurs des antiquités grecques a vérifier fi Alciphron le méandrien, dont Athenée fait mention (liv. i) & que Suidas dit avoir été un philofophe de Magnéfie fur le Méandre, a quelque rapport avec notre Alciphron. Je ne vois rien qui me porce a le conjecturer.  P R É F A C Èé Vl| Mais je ne crois pas que Ton puiffe dire avec Bergler, qu'Alciphron foit le même que le rhéteur Alcime, dontparle Diogène-Laërce dans la vie de Stilpon (liv< z j figm. 114 )4 Pourquoi ce changement de nom ? Comment recounoitre Alciphron dans eet Alcime qui tenoit le premier rang parmi tous les rhéteurs grecs ? II n'y a qu'un éditeur épris du mérite de 1'auteur qu'il fait reparoitre en public , qui ait pu trouver la même perfonne défignée fous deux noms fi différens. II eft vrai que la beauté du ftyle d'Alciphron a pu déterminer Bergler a adopter cette conje&ure. Son expreflion conftamment pure, a iv  Vlij P R É F A C E. faine , précife, toujours proportionnée a la nature du fujet qu'i-1 traite, eft vraiment attique. Lucien eft beaucoup plus enfté, plus diffus; fa di£tion eft plus afiatique que grecque. Alciphron fait parler les courtifan-nes, les parafites, les pêcheurs, les gens de la campagne, les efclaves même avec une naïveté & une fimplicité toujours élégantes, mais bien dans le cara£tere des perfonnes qu'il met en avant. Ce ftyle ne conviendroit pas a la majefté de 1'hiftoire, a la gravité de la morale ; il n'éfoit propre qu'a des lettres du genre de celles d'Alciphron j que 1'on peut regarder comme autant d'héroïdes, d'éclogues, d'idylles, d'élégies & d'épi-  P R É F A C E. \x tres en profe poëtique, dont il ne fera pas difficile aux verfificateurs de notre tems de tirer des fujets de compofitions nouvelles. Plufieurs Lettres de la première Partie en offrent des modeles que 1'on peut regarder comme neufs. La Bibliotheque grecque de Fabricius (rome i J ch. 10 3pag. 426) ne fait mention que de quarantequatre lettres d'Alciphron , comprifes dans 1'ample recueil qu'Alde Manuce fit paroitre a Rome en !X4pp} fous le ntrzEpiftolce diverforum philofophorum ^ in-^0. Ce même recueil fut réimprimé a Genève en \i6o6y in-fol. avec une tradudion latine de toutes les lettres. Lambe'cius, bibliothécaire de a y  X P R É F A CE. 1'empereur (livre 6 du Catalogue raifonné de la bibliotheque de Vienne) avertit qu'il y exiftoit en manufcrit plufieurs lettres d'Alciphron qui n'avoient pas été connues d'Alde Manuce. On favoit qu'il y en avoit d'autres- au Vatican. C'eft fur ces indications que Bergler entreprit den donner une nouvelle édit-ion qu'il croyoit complette. II en raffembla foixantedouze qu'il joïgnit aux quarantequatre que 1'on connoilToit déja. Cependant, il peut fe faire que dans les manufcrits de la bibliotheque duRoi, cotés 1696,2720, 3021} & 3050, il y en ait quelques-unes qui ne foient pas comprifes dans 1'édition de Bergler:  P R É F A C Ê. X; mais comme elles font indïquées fous le titre général de pêcheurs , de parafites & de gens de la campagne, je ne préfume pas qu'elles foient différentes de celles que Bergler a recouvrées. Je fuis obligé de m'en tenir a cette conjedure, paree que je ne fuis pas a portée de confulter ces manuf crits. Si j'avois eu le deffein de donner une nouvelle édition du texte original, je n'aurois pu me difpenfer de les voir; mais celle que Bergler en a donnée, palfant pour être cor* rede, je m'en fuis contenté pouf faire ma tradu&ion franeoife. On verra néanmoins dans plufieurs de mes remarques, que j'ai a vj  XÏj P r É f a c e. étudié le texte avec affez de föin, pour changer quelques termes qui ne m'ont pas femblé confarmes a la compofition originale , & leur donner en conféquence une autre (ignification que celie que préfente 1'édition de Bergler; en quoi j'ai certainement eu plus a coeur de rendre ma tradu&ion exa£te, que de faire parade d'une vaine érudition qui n'eft plus du goüt de notre fiecle, Le do£te Barthius (Adv erf. 1.2 j cdp. ij) parle d'Alciphron comme dun écrivain ingénieux & agre'able, mais trop recherché dans fon atticifme; ce qui diminue le plaifir que 1'on trouve a le lire. II dit qu'il a befoin d'un bon interprête. On ne connoiffoit de fon tems que  P r é f a c e. xiij la veriïon latine jointe au texte grec del'édition deGenève. Bergler n'a travaillé que long-tems après fur Alciphron : mais fi Barthius avoit été fon contemporain, peut-être n'eüt-il pas trouve' fa verfion latine préférable a 1'ancienne. Elle eft d'une dureté tout-a-fait déplaifante. Si on la compare au texte, on fera étonné qu'un horame qui 1'avoit étudié avec tant d'attention, fait rendu fi mauiTadement. Cela n'a pas empêché que fon n'en ait beaucoup vanté 1'exaditude. Les Adcs desfavans de Lüpfick {Mai ijiS, art. vu),h Bibliotheque andenne & moderne de ie Clerc (rome 3, part. 2, art. iv) en parierent avec éloge,  Xlv P R É F A C E. Le Journal de Trévoux (Janvier iji63 art. vu) en annoncant cette nouvelle édition, dit :«Ceuxqui » ne cherchent qu'un ftyle étudié, » élégant & concis , en demeure» ront fatisfaits. Mais du refte, c'efl: » ce qui s'appelle de pures baga»telles, dans celles qui fe peuvent » lire; dans les autres, c'efl; des » obfcénités. On n'y voit ra traits » d'hiftoire, ni fentimens moraux , 3> ni rien qui puiiTe contribuer a » perfe&ionner 1'efprit & le coeur. j) Alciphron n'a pas écrit ces lettres » en fon nom; il emprunte divers t> perfonnages de pêcheurs, de la»boureurs, de parafites laches & » effrontés, auxquels il donne des » noms qui ont rapport a leur genre  P R É F A C E. XV » de vie. Mais il introduit auflï des » courtifannes fans pudeur. Une de » leurs lettres a été aiTez, pour fe » croire obligé de paffer toutes les » ïlutres. Ce n eft guère 1'ufage par» mi ces fortes de gens d'écrire »des lettres. Théocrite, Virgile, »Sannazar, les font entretenir » enfemble, ce qui leur convient » mieux ». A la fuite de ce Jugement fevere, & tout-a-fait dans le caractere & les mceurs des journaliftes qui le portent, lis ajoutent: « II » n'y a guère de choix a faire dans »les lettres d'Alciphron, & on n'en » a vu aucune qui mérite beaucoup »de préférence ». Enfin ils en citent deux qui dans 1'ordre oü je  XVJ P R É F A C E. les préfente, font la première de la troifieme Partie, 6c la huitieme de la feconde. Je ne dirai rien fur cette partie de leur décifion : on a les Lettres, & on jugera s'il n'y a aucun choix a faire entr'elles. Je fuis plus furpris qu'ils aient avancé que 1'on n'y trouve ni traits d'hiftoire , ni fentimens moraux, ni rien qui puhTe contribuer a perfecl:ionner 1'efprit & le coeur. Je les ai confidérées fous un tout autre afpe£t: j'y ai trouvé quantité de traits d'hiftoire indiqués, ainfi qu'ils doivent 1'être dans une lettre. II en eft de même des fentimens moraux ; la plus grande partie de ces lettres en contiennent de très-frappans. On en  Pk é f a c e. xv3| trouve même dans celles des courtifannes & des parafites. II y a donc des traits qui peuvent contribuer a la perfeftion de 1'efprit & du coeur. La décifion des journaliftes de Trévoux ne doit donc être confidérée que comme le fentimenfi particulier de quelque littérateur jéfuite, pieux, & d'une confcience timorée. II fut chargé de parler de ce livre que tant d'autres >ournaux littéraires avoient annoncé avec éloge; mais fcandalifé du ton qu'y prennent les courtifannes, indigné de 1'efFronterie & de la baffeffe des parafites, il prit de la totalité du recueil 1'idée la plus défavantageufe; il ne fongea qu a  Xviij P R É F A C E. prévenir le public contre la leerture d'un livre qu'il regardoit comme aufll inutile que dangereufe. Après 1'avoir bien examiné, je n'en ai pas jugé de même. J'ai penfé qu'une tradu&ion en notre langue des lettres d'Alciphron, enrichiroit la littérature' francoife d'une produtlion peut-être unique dans fon genre, ou du moins affez finguliere pour être piquante. J'y ai retrouvé la plus grande partie non-feulement des ufages civils & religieux de fancienne Grèce, mais de plus les coutumes ordinaires des peuples, celles qui fervent le plus a cara&érifer une nation, a en faire connoitre les mceurs ÓC les fentimens. J'y ai reconnu le but  P R É F A C E. XIX moral d'Alciphron; & ces Lettres, qui n'ont paru au journalifte de Trévoux que de pures bagatelles , font devenues pour moi une fource utile d'inftru&ions fur tous les points principaux de 1'antiquité grecque. Les remarques dont fai accompagné ces Lettres en feront la preuve; elles naiffent immédiatement du texte qu'il falloit développer, pour faire connoitre fintention qua eu 1'auteur en les compofant. J'efperemême que Ion me faura quelque gré de la maniere dont j ai traité tout ce qui regarde les moeurs. Les lettres des courtifannes ont une utilité réelle, en ce qu'elles expofent le danger qu'il  XX P R É F A C Ë. y a toujours eu a avoir des liaifonö avec elles. Dans tous les tems elles ont été ce qü'elles font encore de nos jours. S'il y a quelques exceptions a faire , elles ne tournent eer-» tainement pas a 1'avantage de 1'honnêteté publique. II n'y a plus de parafites de pro-» felTion, ainfi qu'il y en a eu a 'Athènes; mais combien de vils adulateurs, de bas complaifans, d'intrigans fubalternes les ont remplacés, & pourront fe reconnoitre dans ce qu'Alciphron dit des parafites grecs ! La troifieme partie de ces Lettres a pour objet la vie des gens de la campagne, leurs travaux, leurs fentimens, leurs mceurs. C'efl en quelque forte 1'hif-  P R É F A C E. xxj tolre du peuple de la Grèce; non celle du moment, mais celle de Ja nation & de fes ufages, de fon état indépendant des révolutions publiques. Chaque lettre préfente un tableau ^ différent, dont 1'enfemble forme celui de la maniere de vivre de toute la nation. Je n'en dirai pas davantage ici , m'étant expliqué plus au long dans les Difcours qui font a la tête de chaque Partie de ces Lettres. II me refle a parier de 1'ordre que j'e leur ai donné. Je crois avoir fuivi celui qui ferale plus au goüt du public, en raffemblant dans la première Partie toutes les lettres des courtifannes & celles qui font du genre érotique; dans la fe-  •XXI) P R É F A C E. conde, les lettres des parafites ; dans la troifieme, celles des pêcheurs, des habitans de la campagne, 6c d'autres gens de cette clafle. Dans les éditions précédentes auxquelles Bergler s'eft conformé, elles étoient toutes mêlées enfemble. Cette confufion eft peutêtre une des caufes qui ont empêché que Ton n'ait fait jufqu'a préfent quelque attention a ce monument de 1'antiquité grecque. Au titre fimple fous lequel les Lettres d'Alciphron ont été mifes au jour, j'ai ajouté la qualification d' Anecdotes fur les mceurs & ufages de la Grèce. Je fais que le terme Anecdotes défigne des faits qui n ont pas encore été publiés, de  P R É F AC E. xxiij forte qu'un auteur qui annonce fon ouvrage fous le titre d'anecdotes, s'engage k apprendre a fon leaeur des chofes qui ont été ignorées jufqu'alors. Ce n'eft pas ma prétenrion. Cependant, les faits particuliers, les remarques fur la conduite & les moeurs privées des Grecs, que j'ai tirés d'une mnftk tude d'écrivains oü ils font comme cnfevelis fous 1'importance des récits oü ils fe trouvent difperfés, ne me donnent-ils pasle droit dW noncer mon travail fous le titre d'anecdotes ? N'eft-ce pas leur donner une nouvelle exiftence, que de les préfenter k la fuite de ces lettres, dont ils font le développement & 1'explication.  XXIV P R Ê F A C 3. Je n'ofe pas me flatter d'avoir rempli les vceux du favant Barthius, qui eftimoit aflez les Lettres d'Alciphron , pour fouhaiter qu'elles trouvaffent un traducteur plus élégant & plus fidele que ceux qu.elles avoient eus jufqu'a fon tems- Bergler les atraduites au eommencement de cefiecle; fa traduaion eft eftimée pour la fidélité; mais elle fe reffent de 1'afpérité de fon caraaere , & de la mauvaife fortune contre laquelle il eut a lutter toute favie O). II rend la { a) Etienne Bergler , né a Hermanftad en Tranfilvanie, favoit parfaitement le grec ; mals il étoit d'un caraftere infociable. Son humeur difficile, & fes manieres brufques & groffieres, lui ayant aliéné parens, amis & con- penfée  P R É F A C E. XXV penfée de fon auteur, mais avec une dureté qui lui enleve toutes tioiffances, il quitta fon pays pour chercher £ortune ailleurs ; il vint a Léipfick, & Ce mie aux gages du libraire Fritfch, en qualité de correfieur d'imprinierie. II paffa enfuifc a Amfterdam, oü il donna iès foins a l edition d'Homere , pubüée en deux volumes par les Welïeins en 1707. Peu après il alla a Hambourg, oü il. aida Fabricius dans la compo/ition de fa Bibliotheque grecque. II retourna chez Fritfch, & fit imprimcr fon .Alciphron en 171 j. II s'attacha enfoite a Jean-Nico!as iVlauro-Cordato, prince de Valachie , dans la bibliotheque duquel il trouva les cinq premiers chapitres de la Démonftration évangélique d'Eufebe, qu'il envoya a Fabricius, qui les fit imprimer en 1715. La mort de ce printe ayant laiffé Bergler fans patron & fans reffburce , fon humeur inquiette & chagrine le fit pafler a Conftaminople , oü 1'on dit qu'il mourut mufulman ; trifte fin de la vie errame & miférable qu'il avoit prefque toujours menée. Ces particularités lur Bergler font tirées de Ia préface d* Tome I, b  XXvj P R É F A C E. fes graces; & c'étoit ce quJil falloit conferver a Alciphron; c'efl par-la qu'il intéreffe le plus. Je me fuis donc attaché principalement a faifir fa maniere, a la rendr#autant qu'il étoit polTible en francois. Pour cela, dès que j'ai cru avoir bien faifi le fens & 1'expreffion originale d'une lettre, je 1'ai promptement traduite : je 1'ai revue enfuite avec foin, confervant le delfin & toutes les nuances du tableau original. Je nai corrigé que les négligences infé- I'Ariöophane publié par Pierre Burman en 1760, avec la traduction latine de Bergler : Burman dit qu'il en acheta le manufcrit après fa mort, & que 1'ayant trouvé très-exact, il auroit cru faire tort au Public, s'il n'en eut pas fait rédition.  P r ê f a c ë, xxvij parables du premier trait, & quelques répétitions des mêmes termes que Ion ne pardonne point dans une piece auffi peu étendue qu'une lettre, fouvent fort courte, J'ai penfé que trop de refontes & de corredions n'étoient propres qu'a faire difparoitre les beautés de 1'original que fon faifit aux premières idéés, & qui s'anéantïffent quand on repalle trop fouvenr le pinceau fur le même trait. Ce tatonnement indique le travail fervile du copifte, & autorife la critique a dire que 1'on étouffe un auteur en voulant lui donner une perfedion qui lui eft étrangere, & qui n'exifte que dans 1'imagination froide de celui qui veut le revêtrr  Xxviij PRÉFACE* de fes couleurs foibles & obfcures. Je ne dois pas préVenir le Lecteur fur mes femarques; il Jugera de leur utilité & de leur agrément : elles'font fi variées, que j'efpere qu'elles ne donneront pas une nouvelle exiftence a Vennui qui naquit un jour de ïuniformité. Nota. Ori a exigé quelques retranchemenS qui tombent fur des endroits d'autant plus itttéreffans , qu'ils caradérifent mieux les meeu-9 des Grecs & leur goüt pour le plaifir ; mais on a cru qu'ils blelTeroieflt la décence par la libetté des tableaux qu'ils préfentent. Ce que 1'on a confervé de la IXe Lettre de la première Partie , peut en donner une idéé ; on 1'auroit même entierement retranchée, fi elle n'eüt rappellé l'origine d'un des plus beaux monumens antiques de la Vénus aux belles fefTes , ft connue des amateurs des beaux arts , tant de fois imitée par les artifles modernes, que 1'on voyoit aufrefois a Rome au petit Farnèfe , & qui depuis a été tranfportée a Naples. LETTRES  LETTRES D U RHÉTEUR ALCIPHRON. PREMIÈRE PARTIE; LES COURTISANNES. DISCOURS PRÉLIMINAIRE. L'Ouvrage publié par Athence, grammairien grec, qui vivoit dans le fecond fiecle de notre ère, efl de tous les livres anciens le plus propre a nous Tomé I, ^  2 Les Courtisannes, faire connoïtre les ufages & les mceurs des Grecs. Ce recueil, qui a pour titre les Deipnofophijles, ou les Sophiftes a table, prouve que fon auteur avoit une érudition immenfe, & qu'il avoit lu une multitude prodigieufe de livres de tous genres, dont la plus grande partie nous feroient abfolument inconnus fans les fragmens qu'il en cite, & qui font en partie le fujet des converfations qu'il fuppofe entre les différens perfonnages qu'il fait parler. Ce n'eft que dans eet ouvrage que 1'on trouve une multitude d'anecdotes curieufes & intéreffantes fur Ia vie privée des Grecs; & lorfqu'il y eft queftion des affaires publiques, on voit que le but de Pauteur eft toujours de donner une idéé du caradere, des mceurs & des fentimens du perfonnage qui y jouoit le principal róle.  Discours préliminaire. 3 Les meilleurs critiques, a la tête defq»els on peut mettre Bayle, prétendent qu'Athenée a été tres-maltraité par les copiites. Le premier & Ie feCond livre, "ne partie du troifiéme & du quinziéme, font perdus, & ont été remplacés par ce que 1'on a tiré d'ün abrégé de tout 1'ouvrage fait il y a fept ou huit cen$ ans par un Grec du bas-Empire. Les autres font regardés comme entiers, f tds è-Pe«-prés qu'ils fom fords ^ la plume d'Athenée. II a employé la plus grande partie du treiz,éme livre a parler des courtifannes grecques. C'efl de-la que j'ai tiré prefque tout ce que je vais en dire , & qui me paroit néceffaire a 1'inteüigence de la première partie des lettres d'AIciphron. On peut regarder ce treiziéme livre comme une partie de Ja chronique fcan-  £ Les Courtisannes; daleufe de la Grece; il s'y trouve même des traits trop obfcènes pour être traduits dans notre langue: mais on en peut citer encore aflez pour fe former une jufte idee des courtifannes, du rang qu'elles tenoient dans les villes principales, de 1'efpece de confidération dont elles jouiffoient, de leur luxe, de leurs qualités, de leurs vices, & du goüt effréné des Grecs pour la volupté la plus licentieufe. Je laiffe a mes leéteurs le föin de faire la comparaifon des célébres eourtifannes de notre tems avec celles des beaux fiecles d'Athènes. Ils jugeront fi les nïêmes gouts & les mêmes exces n'établiffent pas une reffemblance fenfible entre les mceurs & les ufages des tems les plus éloignés les uns des autres, fur-tout parmi des peuples policés, cbez lefquels les fciences, les arts &  Discours préliminaire, f Ie luxe ont été portés au plus haut degré. C'eü environ k Pan 600 avant 1'ère chrétienne que 1'on doit fixer 1'établiffement des courtifannes ou femmes publiques a Athènes ; lorlque Solon abrogea les loix aufteres deDracon, & qu'il en publia^de plus douces; faifant plus, par cette réforme , pour le bien public, que le philofophe qui avoit donné les premières (a). Philémon, poëte comique, contemporain de (b) Ménandre, dit que le nouveau légiflateur acheta des jeunes filles qu'il placa dans des licux publics de proflitution, & qu'il les ofFrit comme (a) Voyez Arift. liv. 4, polit. cap. 1. (b) Athenée, liv. 13 , toutes les citations des anciens poëtes grecs font tirées de ce livre, ainfi que j'en ai averti plus haur. A iij  '6 Les Cotjrtisannes, nn foulagement néceiïaire aux defirs ardens & impétueux de la jeuneffe Athénienne, & comme un moyen fur de mettre I'honneur des femmes mariées en füreté ( gerent en enlevant k leur tour deux »filles qui appartenoient a Afpafie; Av  io Les Courtisannes, jjPéricIès, excité par fa favorite, fit dé« clarer la guerre aux Mégariens. Ainfi 33 une étincelle allumée par ce puiffant «foufflet, excita un incendie général, 33 & une guerre qui intéreiïa toute la 33 Grèce 33. Ce fait eft cité par un des ïnterlocuteurs d'Athenée, comme une preuve du danger qu'il y a de s'attacher aux courtifannes qui fe mettent au plus haut prix... cc II y en a tant d'autres, dit Iphicrates dans la piece intitulée 1'AntiLaïs, 33 que 1'on peut voir a moindres 33 frais, & dont les talens pour la mu33 fique & la danfe font propres a faire 33 paffer le tems agréablement 33. II cite pour exemple Laïs, fans doute celle de Corinthe, dans les différentes circonflances de fa vie. cc Confidérez-la, dit-il, aduellement, ï3 elle paffe tout fon tems a boire ou  Discours préliminaire, ii 33 dans Poifiveté, car une de fes prin33 cipales occupations eft de fe repaitre 33 du,fpedacle de ceux qui font a table. 33 On peut la comparer aux aigles dans 33 les différens périodes de leur vie. 33jeunes, hardis & forts, on les voit 33 faifir fur les montagnes les moutons 33 & les liévres, & les enlever a une très'3 grande hauteur, pour les dévorer en33 fuite tranquillement dans leurs aires. 33 Sont-ils vieux, ils deviennent laches & 33 timides, ils fe perchent fur Ie fommet 33 des batimens inhabités, attendant que 33 le hafard leur prëfènte quelques vüs 33 animaux dont ils faflènt leur proye. 33 La faim les tourmente fans cefie. Nous 33 connoiflbns ces vicifïïtudes, elles ne 33 nous étonnent pas. Laïs doit-elle nous 33 furprendre davantage f Au printems de 33 fon age, Iorfque fa beauté étoit dans 33 tout fon éclat, Por qu'on lui prodiguok A vj  12 Les Courtisannes, 53 a pleines mains, la rendoit intraitable* » On eüt plus aifément abordé le fatrape J3 Pharnabafe, le plus fier de tous les j3 mortels. A préfent que fa carrière eft 33 fort avancée , que fes attraits ufés dé33 périffent chaque jour ; rien n'eft plus 33 facile que de la voir & d'en jouir: elle 33 va par-tout oü on Pinvite a boire & 33 a manger. Elle dédaignoit Por; aujour=3 d'hui elle fe contente de la plus pe33 tite monnoie. Jeunes ou vieux ,\ elle 33 ne refufe perfonne: elle eft adoucie 33 a un point que la moindre attention, 33 le plus petit préfent, quelques pieces 33 d'argent, font recus avec reconnoif33 fance 33. Tel étoit en général le fort des courtifannes grecques, même de celles qui dans leurs beaux jours avoient fait les délices des rois fucceffeurs d'AIexandre & des grands de leurs cours: c'efl:  Discours préliminaire. i% 1'idée qu'en donnent les anciens poëtes comiques dans les fragmens qu'ils en citent a leur fujet, & oü il paroit que leur but étoit de ramener les Grecs a la fimplicité & a 1'honnêteté des mceurs antiques. Cela n'empêchoit pas qu'elles ne tinffèntun rang diüingué dans la fociété5 8c même dans le culte public : il paroit qu'elles formoient entr'elles corps & communauté, 8c qu'a ce titre elles offroient des facrifices au nom du peuple en certaines occafions. On en verra la preuve dans plufieurs des lettres écrites fous leur nom , & dans les notes qui fe trouvent a la fuite. Par-tout, dit le poëte Philetère dans la CharTererTe, on trouve des temples de Vénus-populaire ou courtifanne (a)3 {a) EVa/pa, Amka, meretrix, focia,  "14 Les Coübtisannes, tandis que dans toute la Grèce il n'en exifle pas un feul de Vénus-époufe. II y a eu des occafions oü les peuples lui ont érigé, par une jufte reconnoiffance, des temples fous cette dénomination; tel étoit celui d'Abide en Mifie. Les efclavess'étoient emparésdela viile, & en avoient chafle leurs maitres. Ceux qui avoient la garde de la place fe croyant en füreté, firent un grand feflin auquel ils inviterent plufieurs courtifannes; ils poufTerent la débauche fort avant dans la nuit. Une d'entr'elles les voyant ivres & endormis, enleva les clefs des portes, les ouvrit, courut avertir les Abidéniens, qui ayant auflr-töt pris les armes, entrerent en foule, & maffacrerent les foldats de la garnifon. Pour témoignér leur reconnoifiance 3 la femme qui les avoit fi bien fervis, ils éleverent un temple a Vénus-cour-  Discours préliminaire, if tifanne , dont elle fut la "prêtreffe principale. Alexis de Samos, au livre fecond de 1'hiftoire de fon pays, dit que les courtifannes qui accompagnerent Périclès au fiege de la capitale de cette ifle , batirent un temple de Vénusproftituée, d'une partie des gains immenfes qu'elles firent par le commeree de leurs charmes. Une des plns anciennes loix de Coxinthe ordonnoit que dans les occafions oü la confervation de la ville & le falut des citoyens conroient des rifques imminens, on fit venir une affemblée nom*breufe & folemnelle de courtifannes, pour adrefTer des fupplications publiques a Vénus, protedrice de la ville, après qu'elles étoient finies, & que le peuple s'étoit retiré, elles avoient le pri-  'x6 Les Courtisankes; Vilége de refter feules dans le temple de la déefte. Lorfque le roi de Perfe fit cette invafion qui fembloit devoir anéantir toute la race des Grecs, les courtifannes de Corinthe fe rendirent au temple de Vénus, & y firent des prieres & des facrifices publies pour le falut de toute la Grèce. Ce fut a leur zele & a leur ferveur, amant qu'a la protedion de la déelïe, que 1'on attribua la confervation du boulevard de Ia Grèce. C'eft ainfi que 1'on qualifioit la ville & la citadelle de Corinthe, que Philippe de Macédoine appelloit les clefs de la Grèce. Les Corinthiens, pour conferver la mémoire de ce grand événement, confacrerent dans le temple de la déefTe un tableau oü 1'on voyoit les portraits des courtilannes qui avoient rendu Vénus propice aux vceux des citoyens,  Discours préliminaire, ij & qui, après avoir fait les fupplications publiques, étoient reftées dans le temple. Cet ufage, autorifé par les loix, devint bientöt la regie de la conduite des particuliers. Dans quantité d'occafions intérefTantes pour eux , ils promettoient folemnellement a la déeffe de lui préfenter des courtifannes s'ils obtenoient 1'effet de leurs vceux. C'ell airjfi que Xénophon, citoyen de Corinthe, allant combattre aux jeux olympiques, promit a Vénus une nouvelle courtifanne s'il revenoit vainqueur. La treiziéme des Olympiques de Pindare nous apprend qu'il remporta le prix de la courfe du ftade & des cinq jeux publks, le pugilat, le jet du difque, la courfe, le faut, 8c la lutte. Cette ode fut compofée a 1'honneur de Xénophon,  H8 Les Courtisannes, Ce poëte célébre fit une nouvelle piece de vers encore a la louange du même vainqueur, qui fut chantée lorfqu'a fon retour a Corinthe il immola des vidimes. II parle d'abord des courtifannes qui accompagnerent Xénophon a fon retour, lui firent cortége lorfqu'il yint faire fes remercimens a la déeffe iVénus, Sc facrifierent avec lui. O reiae de Chypre, dit-il, il s'eft fait accompagner dans ce bois qui vous eft confacré, par vingt-cinq filles charmantes, pour remplir fon vceu avec plus de fatisfadion Sc d'allégrefTe. Et vous, jeunes étrangeres, miniflres des facrifices de 1'opulente Corinthe, que 1'on voit chaque jour orïrir 1'encens fur vos mains délicates; vous qui traitez le citoyen & le voyageur avec tant d'affabiiité; combien de fois vous nous avez rendu propice la mere des amours!  Discours préliminaire, ip Vos prieres ferventes & finceres s'élevent jufqu'au tröne de Ja divinité, & nous en attirent les fecours & les faveurs. JeunefTefortunée, qu'il vous eft doux, lorfque la nature' vous y convie, de jouir a votre aife, dans des retraites voluptueufes, des charmes de ces aimables prêtreffes! Mais , ajoute le poëte, que penferont de moi mes maïtres, de m'entendre chanter fur ce ton , de confacrer mes vers a 1'éloge des femmes publiques ?.... Craignoit-il que les citoyens de Corinthe ne défapprouvaflent cette Jiberté ? Les courtifannes ellesmêmes, fuivant Athenée, lui avoient donné quelques inquiétudes II fe rafïure bientót, il ne prévoit rien que d'heureux de tout ce que fon génie lui infpirë a ce fujet, il ne s'attend quJa  2o Les Courtisannes, des applaudiflemens unanimes; il reprend & dit avec afliirance : N'ai-je pas chanté fur ma lyre combien 1'or eft précieux ? C'eft la pierre de touche de la beauté & de fes prérogatives. Le goiit dominant de la volupté , le commerce aftidu des courtifannes qui fembloient tenir le premier rang, & donner le ton par-tout, avoit acquis une forte de célébrïté a la ville de Corinthe au-deiïüs de toutes celles de la Grèce. II paroit même que les moeurs y étoient afTez dépravées, pour qu'elle fe fit une gloire de Pemporter fur Athènes, au moins dans ce genre. Auiïi les Corinthiens fe vantoient-ils que Vénus, fortant des ondes, avoit falué leur citadelle. Mais leurs prétentions ne les mettoient pas a 1'abri de la fatyre des poë'tes comiques. Eubule, dans une de fes pieces qui a pour titre des Intérehes,  Discours préliminaire. 21 {Cercopes), fait dire afTez plaifamment a un de fes aéteurs: « Je fuis venu a "Corinthe, je comptois m'y régaler " de quelques-unes des productions du jjpays, de 1'Ocimon (a) ou de quel33 qu'autre iégume, mais tandis que je 33 m'amufois a la bagatelle, j'ai perdu 33 ma cafaque 33. Ce goüt pour la volupté paroit avoir toujours été le même a Corinthe, tant qu'elle a été habitée par les Grecs: dès. les tems les plus reculés, dans i'embarras des plus grandes affaires, il prenoit le de flus. Cyp.felus ( b ) qui s'empara du gou- (a) Ocimon étoit une courtifanne de Co» ilnthe, très-fameufe, Le comique a joué fur Ie mot; Ocimon, nom de la courtifanne, fignifioit auflï bafilic , plante très-connue. . (£) Paufanias, Voyagé hifiorique, liv, 1,  2.2. Les Couetisannes, vernement de cette ville, plus de fept fiecles avant 1'ère chrétienne, puifqu'il fut pere de Périandre, l'un des fept fages de la Grèce, qui regnoit a Corinthe en qualité de tyran, forcé de quitter Ja ville dans les premières tentatives qu'il fit pour 1'afTujettir a fa domination, fe retira avec fes partifans fur le bord de 1'Alfée, fleuve afTez confidérable du Péloponnèfe, connu aujourd'hui fous Ie nom de PQrféa. Cette ville qu'Athenée ne nomme point, & oü Cypfélus commenca par établir des jeux ou combats de la beauté entre les femmes, fut peuplée en partie par les Parrhafiens, habitans de 1'Arcadie. Ceux-ci, fideles aux inftitutions de leur fondateur, confacrerent dans la nouvelle ville un bois & un autel a Cérès d'Eleufis, & annon^ cerent qu'a fa folemnité il y auroit un combat de la beauté entre les femmes;  Discours préliminaire. 2? Ia première qui y triompha fe nomrrroit Hérodice. Cec ufage, dit Athenée, s'eft confervé jufqu'a nos jours. Les femmes qui fe préfehtent a cette lice font qualifiées de Chryfophores , on Port'or. C'efl, fans doute, par ces artifices que les légiflateurs des Grecs adouciffoient les mceurs trop agreftes des premiers habitans du pays« la civilifation dut fon origine a Ia volupté, & toujours elle en conferva 1'empreinte. On craignoit a Corinthe que les courtifannes n'y manquafient; on faifoit acheter dans les pays voifins, fur-tout dans lesifles de 1'Archipel, & jufqu'en Sicile,- de jeunes filles que 1'on élevoit pour les proftituer lorfqu'elles auroient atteint un age convenable pour répondre aux defirs du public. On les voyoit croïtre } on jugeoit par leurs traits naiffans  224 Les Courtisannes, de la réputation qu'elles devoient fe faire un jour. Le peintre Apelles ayant rencontré Laïs toute jeune encore , & vierge, qui venoit de puifer de 1'eau a la fontainè dePyrène, furpris de fa beauté, il 1'amena a un feflin que lui donnoient fes amis; Tu te moques de nous, lui dirent-ils, de nous amener eet enfant au lieu d'une courtifanne. Patientez, répondit le peintre, avant qu'il foittrois ans, vous la verrez en état de vous donner tout Ie plaifir que vous pouvez attendre des graces & de la beauté. Elle devint fi belle que les peintres venoient fans ceflê deffiner fa poitrine & fa gorge. Jaloufe de la réputation de Phryné, elle mit tout en ceuvre pour la furpafTer s'il étoit poffible. Elle eut une foule d'amans qu'elle traita tous également bien. Le philofophe Arillippe paffoit tous les ans avec elle,  Discours préliminairs. 15 elle les fêtes de Neptune a Egine, & Ia payoit très-généreufement. Un de fes efclaves lui repréfentoit qu'il faifoit trop de dépenfe pour une femme qui fe proftituoit gratuitement a Diogène : Je lui donne beaucoup, dit Ie philofophe, pour avoir le plaifir d'en jouir, fans prétendre pour cela en priver les autres. Le cynique qui n'échappoit aucune occafion de mordre, prctendoit qu'Ariftippe devoit ou ne pas rechercher Laïs, ou prendre comme lui la beface cSc Je manteau de fa fecte. Te paroit-il étrange, répondit Ariflippe, d'habiter une maifon qui l'a déja été par d'autres, ou de monter fur un vaiSTeau qui a fervi a quantité d'autres paflagers? Non, dit Diogène, Et pourquoi t'étonnes-tu donc que je voie une femme qui en a déja tant vu d'autres. Cette proftitution publique ne diminuoit rien de 1'empreüeTome I. g  2.6 Les Cou rtisannes , ment que 1'on avoit pour ces fortes de courtifannes; elle ne fervoit qu'a rendre leur réputation plus éclatante. Laïs, née a Hiccare, petite ville de Sicile, & amenée dans fon enfance a Corinthe oü elle fut élevée, avoit rendu Ie Iieu de fa nahTance célébre, au point qu'on le mettoit au rang de ce qui étoit deplus curieux dans cetteifle, fans autre raifon que d'avoir vu naitre Laïs. C'étoit une forte de mérite que de démêler dans les traits d'une fille encore enfant le germe de la beauté qui devoit la rendre fameufe. On citoit comme une preuve de la fagacité de Socrate, d'avoir prédit peu après la nainance de 1'Athénienne Théodote, qu'elle feroit d'une beauté éclatante. Quand elle y fut arrivée: Allons, difoitle fage, voircette courtifanne, c'eft Ie plus beau fpedacle de la nature, dont on ne peut fe faire  Discours préliminaire. 27 mie idéé, fi on ne 1'a pas confidérée a fon aife. Un peuple auffi voluptueus que 1'étoient les Grecs, devoit regarder la fociétédes courtifannes comme une partie effentielle du bonheur de la vie. Nous en trouvons lapreuve dans une des harangues de Dcmoflhène. Nous avons, dit-il, pour notre plaifir des concubines avec lefquelles nous vivons dans un commerce habituel de galanterie: nos époufes font pour nous donner des enfans légitimes, & pour veillcr au foin de nos affaires domeftiques (a). On verradans les lettres d'AIcipHron que les femmes honnêtes évitoient avec (a) Difcours contre Nésera. Apollodore cicé Par Athenée.l'attribueacet orateur, ouoioue Jes cr.tigues en doutaflèm des ce tems. Bij  28 Les Courtisannes, foin la compagnie des courtifannes, & jouifïbient de la confidération & des refpeös, tant de leurs maris que des chefs de la république. C'étoit même un crime capital aux courtifannes de' troubler la paix des ménages. Les tribunaux ufoient en pareil cas de la plus grande févérité contr'elles. Mais les dames Athéniennes n'avoient rien a efpérerdes éloges du public. Leurs vertus & leurs qualités ne devoient point faire d'éclat hors de 1'enceinte de leurs maifons. II femble cependant que la raifon 8c les intéréts des bonnes mceurs euffènt exigé davantage. Théophrafte, dans fes Paradoxes, dit qjie chez quelques Barbares , il y avoit des tribunaux établis expres pour juger de la tempérance des femmes & de leur prudence dans 1'adminiflration des affaires domeftiques, leur en décerner le  Discours préliminaire. 29 prix, en même-tems que celui de la beauté, qu'ils refpedoient comme un don précieux de la nature, quoique des mceurs bien réglées & une conduite fage & m,odefte leur parufient bien préférables. Ces nations, que les Grecs orgueilleux traitoient deBarbares, avoient certainement pris le meilleur moyen pour rendre les femmes rcfpedables, & les attacher aux devoirs de leur état (a). (a) Les anciennes traditions fur 1'honnêteté des mcEurs & les vérités religieufes que Ton peut regarder comme naturelles, s'étoient mieux confervées parmi les Barbares que chez les Grecs. Ce n'elt pas que ceux-ci ne les euflènt connues auffi-tót que les autres; mais leurs connoifTances multipliées, le luxe, la volupté , & plus que tout encore , les difputes des philofophes entr'eux, avoient tellement obfcurci les vérités primitives H lumlere qui luit dans tous les cccurs, que per-  50 Les Courtisannes, Dans une ville oü le luxe étoit porté au plus haut point, les dames mêmes les plus vertueufes ne pouvoient paroitre en public que fous Pextérieur de la propreté & de la décence convenables a leur état. Si 1'on en rencontroit quelquesunes dans les rues en habit malpropre ou négligé , elles étoient condamnées a une amende de mille drachmes, par les magiürats nommés Ginécomi, qui faifoient attacher a un platane du Céramique, un écriteau oü on lifoit le nom de la dame fonne n'y faifoit plus d'attemion. II fuffifoit qu'une fecte de philofophes eüt propofé un fentiraent, & prls quelque mefure pour 1'accréditer , pour qu'une autre cherchat a le détruire. La vanité feule ccnduifolt tous ces piétendus philofophes , tandis que les Barbares, qui négligeoient les fciences & les arts de la Grèce, fe conduifoient d'une maniere plus conforme aux loix de ia nature & de la raifon.  Dxscvuns préliminaire. 31 Sc la fentence qui 1'avoit condamnée. La fomme étoit confidérable, fi la drachme attique doit étre évaluée a fix livres douze fols de notre monnoie. Quelques progrcs que la philofophie eüt faits a Athcnes, elle étoit loin de la perfeclion oü 1'on efTave de Ia porter de nos jours; puifqu'on s'imagine avoir fait de grands progrcs dans la connoifTance de la vérité, des que 1'on ofe aflurer que la nature n'exige ni n'autorife point toute cette modeftie extérieure que d'anciens préjugés demandent dans les difcours, les habillemens Sc les adions des femmes. J'ai trouvé Panecdote du platane dans la Relation d'Athènes ancienne Sc moderne, par Guillet. Paufanias qui ne s'eft occupé qu'a donner la defcription des monumens de Ia Grèce, Sc 1'hiitoire antiaue du pays, qui fervoit a les exBiv  32 Les Courtisannes, pliquer, n'en parle pas: comme ce trait avok plus de rapport aux mceurs dont il ne dit rien, qu'aux arts, il n'eft pas étonnant qu'il 1'ait omis. II eft fi peu parlé des dames Athéniennes dans tout ce qui nous refte fur les antiquités de .ce pa}'s , que 1'on me pardonnera cette petite digreffion. Je reviens aux courtifannes , qui même dans 1'état politique ont joué un röle beaucoup plus éclatant. Les loix défendoient que les enfans qu'elles mettoient au monde fufTent mis au rang des citoyens, quoique reconnus par des peres d'un nom illuflre. Coryfthius, cité par Athenée, rapporte au livre troifiémede fes Commemaires hiftoriques, que 1'orateur Ariftophon publia , fous la préture d'Eucléide, une loi qui portoit que tout enfant qui ne feroit pas né d'une mere citoyenne, feroit réputé batard. Le poè'te comique Cal-  Discours préliminaire. 33 lias ne laifTa pas échapper 1'occafion de reprocher au légiüateur qu'il avoit eu de la courtifanne Choris des enfans qui fans doute ne feroient pas foumis a Ia févérité de cette loi, a laquelle dans tous les tems on fit des exceptions. Thémiflocles, fils de Néocles, ent pour mere une courtifanne de Thrace. Timothée , illuftre capitaine athénien, étoli fils du célébre Conon & d'une courtifanne thracienne fort réglée dans fes mceurs, au fujet de laquelle on temarqué que les femmes de eet état qui ambitionnoient la réputation d'être honnêtes , 1'étoient plus conltamment & plus réellement qu'aucune autre. On reprochoit un jour a Timothée d'être iflii d'une telle mere: Je lui dois tout, tfitJïl fahc «li» ;~ rv,..~„ r.i. j~ Conon. II n'ell pas de mon fujet de parler B v  34 Les Courtis annes, des étrangers d'un rang illuflre qui éponferent des courtifannes, & en firent des femmes légitimes. Je citerai feulement Hiéronyme, tyran de Syracufe, qui époufa Ia courtifanne Peitho qu'il aflbcia publiquement aux honneurs du tróne , & Philetere , roi de Pergame, fils d'une courtifanne paphlagonienne nommée Boa, celébre joueufe de flüte. Mais je remarquerai que la p'apart des fouverains qui régnoient dans les contrces Iimitrophes de la Grèce, tirerent d'Athènes les courtifannes dont ils firent leurs favorites. Cyrus le jeune, qui prit les armes contre Artaxerxe fon frere, & fit foulever 1'Ionie en fa faveur, menoit avec lui dans fes expéditions , la célébre courtifanne Afpafie, qui d'abord eut le nom de Milto. II en avoit encore une autre née a Milet, mais formée a  Discours préliminaire. 3 j* Athènes. Après la bataille de Cunaxa, oü il perdit Ia vie , Afpafie tomba entre les mains d'Artaxerxe-Mnémon, qui n'eitt pas moins de paffion pour elle que Cyrus. Philippe de Macédoine enrichit la danfeufe Phylinna, dont il ent Aridée, qui fuccéda a la couronne après la mort d'Alexandre-le-Grand. L'Athénienne Thaïs fit les délices d'Alexandre; elle Pengagca, a Ia fuite d'une partie de débauche, a mettre le feu au palais de Perfépolis. On prétend qu'aprèslamort du conquérantde PAfie, elle époufaPtolémée, Pun de fes généraux, qui fut le premier roi del'Egypte, Sc qu'elle en eut trois enfans, deux princes, Léontifcus Sc Lagus, & la princefTe Irene, qui fut mariée aSolon, dit le fortuné, roi de Chypre. Ptolémée - Philadelpbe , autre roi B vj  36 Les Couetisannes, d'Egypte, eut plufieurs favorites grecques. On vante la beauté de Dydime, qui fut 1'une d'elles; les graces & 1'efprit de Stratonice , a la mémoire de laquelle il fit ériger un monument remarquable fur le bord de la mer, dans 3e voifmage d'Eleufis. Ce prince voluplueux fit des dépenfes extravagantes pour fes maitrelTes. On voyoit par-tout les flatues de Cleiné, qui lui avoit fervi d'échanfon ; elle étoit repréfentée couverte d'une tunique tres-légere, tenant a Ia main la coupe royale (a). II fit élever des palais fuperbes aux courtifannes Myrthéis, Mnéfide 8c Pothéines , quoiqu'il les eüt tirées de 1'état de muficiennes ou joueufes de flutes, (a) Cette coupe , appelléeRython , étoit faite en corne d'abondance; elle tenoit deux congés cu lix pintes mefure de Paris.  Discours préliminairs. 37 & que Myrthéis ,"qui fembloit tenir le premier rang parmi elles, eüt été livrée au public avant que d'appa; tenir a ce prince. Ptolcmée - Philopator fut 1'efclave plutöt que 1'amant de la courtifanne Agathoclée, qui bouleverfa tout fon Royaume. Lamia, fille de 1'Athénien Cléanor, celle qui fit batir un magnifique portique a Sicione , d'abord courtifanne pubiique , devint enfuite maitreffe de Démétrius-Poliocerte, qui lui aflbcia la courtifanne Lerena. La première des lettres d'Alciphron , dans le nou vel ordre que je leur donne, mettra au fait du crédit que cette femme avoit fur Démétrius, & de fes fentimens pour lui. Les officiers principaux de ces princes, a 1'exemple de leurs fouverains, voulurent auffi avoir pour maitreffes des  38 Les Coubt isannes, courtifannes grecques. Je ne parlerai que du Macédonien Harpalus, intendant de 1'armée d'Alexandre. Après s'être enrichi par fes concuiTions, il fe retira chez les Athéniens, Sc y devint amoureux de la courtifanne Pithionice. II prodigua pour elle 1'or qu'il avoit accumulé, & après fa mort il lui confacra le plus magnifique monument. II lui fit des funérailles pompeufes , auxquelles aiïiflerent en grand nombre les muficiens & les chanteurs les plus fameux, qui conduifirent le corps a fon tombeau. Ce monument, dit Dicéarque dans le livre qu'il a écrit fur la defcente a 1'antre de Trophoniiis, fait 1'étonnement de ceux qui arrivent a Athènes par la voie facrée qui conduit d'Eleufis a la ville. Etant placés au point d'oü 1'on a en perfpedive les temples, la citadelle, ils voient a cóté du chemin un monu- ii  Discours préliminaire. 39 ment qui 1'emporte en grandeur & en beauté fur tous les autres. Ils imaginent d'abord que ce ne peut ctre que le tombeau de Miltiade, de Périclès, de Cimon , de quelque général fameux , d'un grand homme qui après avoir rendu les fervices les plus fignalés a la république, en aura recu par reconnoiflance ce fuperbe monument érigé aux frais du public. S'ils veulent favoir précifément pour qui il a été conftruit, & qu'on leur réponde que c'efl pour la courtifanne Pithionice; quelle idéé prendrontils des Athéniens qui 1'ont fouffert f Théopompe, dans fa lettre a Alexandre, oü il dévoile a ce prince la conduite indecente & les mceurs corrompues d'Harpalus : « Voyez vous-même, 33 dit-il, la vévité de ce que j'avance , 33 interrogez les habitans de Babylone 33 fur le fafle avec lequel il a fait mettre  40 Les Coürtis ankes, 33 au tombeau la courtifanne Pithionice. 33 Ce n'étoit cependant qu'une efclave 33 de Bacchis la fluteufe, qui auparavant 33 avoit été aux gages de la Thracienne 33Synope, & 1'avoit fuivie lorfqu'elle 33 tranfporta fon manoir d'Egine k Athè33 nes. Voyez par quels degrés de prof33 titution elle eft arrivée a ces honneurs! 33 Les deux monumens qu'il a fait élever 33 a fa mémoire, lui ont coüté plus de 33 deux eens talens, au grand fcandale 33 de tout 1'univers, tandis que tous 33 ceux qui font morts en Cilicie a votre 33 fervice, ou qui ont facrifié leur vie 33 pour la défenfe de la patrie , n'ont 33 recu apres leur mort aucun hon33 neur funébre , pas plus d'Harpalus 33 que de vos autres officiers princi;3 paux; 8c 1'on voit deux fuperbes 33 monumens, 1'un a Athènes , 1'autre a 33 Babylone, coirfacrés a la courtifanne  Discours préliminairs. 41 5> Pithionice que 1'on a vu fe profiituer « a tout venant pour une très-modique » rétribution. Cet Harpalus qui ofoit 33 faire trophée de votre amitié, éleve 33 un temple , dédie un bois facré & » un autel a Vénus-Pithionice , bravant « la vengeance des dieux dont il aviüt 33 le-culte par 1'ufage indigne qu'il fait 33 des cérémonies religieufes; négligeant 33 même de vous rendre les honneurs 33 qui font légitimement dus a votre va33 leur & a vos héroïques entreprifes «. Je n'ai pas entrepris de faire la chronique fcandaleufe des maitrefTes des rois, tirées du nombre des courtifannes. Ce que j'en ai rapporté n'eft que pour prouver quel cas les princes vo-y luptueux faifoient de celles qui avoient été élevées a Athènes, & qui joignoient aux charmes de la figure, aux talens pour la danfe & la mufique, les agrémens de  42 Les Courtisannes, Pcfprit, Ia vivacité des faillies propres a prefque toutes les femmes grecques, fur-tout a celles qui vivant dans la plus grande liberté, ne fe gênoient fur rien, & donnoient en toute occafion carrière libre aux réparties les plus vives, quelqu'indécentes qu'elles fufTent. Je n'en citerai aucune de cette efpece; j'en laifTe les détails dans la compilation d'Athenée, qui les a tranfmifes a la poftérité. Les auteurs dont il nous a confervé les fragmens, en ont parlé, les uns pour les blamer, les autres pour plaire a un peuple qui tirant vanité de tout, vouloit même dans les circonftances les moins intéreffantes, avoir la gloire de I'emporter fur les autres nations; il voyoit avec fatisfaction que des femmes méprifables par état, paree qu'elles avoient été élevées a Athcnes , oü leurs talcns naturels s'étoient perfedionnés, étoiënt  Discours préliminaire. 4.3 recherchées par les plus grands perfonnages de leur fiecle qui les admettoient a une familiarité intime, & leur accordoient fouvent un crédit fans bornes. Au refle, on a vu dans tous les tems, même parmi des peuples aufTi policés & aufïï initruits que 1'étoient les Grecs , ces exemples fe renouveller, 8c toujours h la honte de ceux qui les ont donnés au public. L'hiftorïen Théopompe , célèbre orateur 8c hillorien grec, dont nous avons rapporté une lettre adreffée a Alexandre-le-Grand, dont il étoit contemporain (a), dit au livre 13 des Philippiques, que les plus illuftres d'entre les Athéniens fouvent fe dégoütoient de vivre au milieu d'un peuple qui avoit porté la dépravation des mceurs, le falie (a) II eft citc par Athenée, livre is.  '44 Les Couktisannes, & Ie luxe k 1'excès ; qui toujours divïfé en fadions, ne s'accordoit que pour traiter les riches citoyens, les hommes illuftres, Sc les généraux célébres comme des criminels d'état : ce qui détermina plufieurs d'entr'eux a préférer un exil volontaire au féjour d'une ville fi orageufe. Ainfi Iphicrate fe réfugia en Thrace; Conon dans 1'ifle de Chypre; Timothée k Lefbos; Charès a Sigée dans la Troade; Chabrias en Egypte. Tous n'avoient pas cependant le même mérite ; on en jugera par le portrait que Théopompe fait de Charès. II fut, dit-il, lent dans fes opérations 8c d'une afTez grande nonchalance;il auroit pu ajouter qu'il étoit vain & préfomptueux, ainfi qu'il le prouva dans la guerre des afliés , 3ƒ8 ans avant notre ère. Mais il fut fameux par fa vie voluptueufe, même k la tête des armées: il trainoit k fa fuite  Discours préliminaire. 47 une foule de courtifannes & de muficiennes; il employoit a leur entretien une partie de 1'argent deftiné au paiement des troupes. Pendant ce tems, il ne touchoit point a fes revenus: ils lui fervoient a gagner les orateurs, les chefs de fadions , les juges mêmes qui aiw roient pu s'élever contre lui : aiuTi 1'emporta-t-il fur fes collégues. Quel que fut leur mérite, il vint a bout de les éloigner du commandement, même de les faire condamner a des amendes; quoiqu'il . eut par-tout du défavantage, & que 1'on fut qu'il s'étoit laiiTé gagner par 1'or des fatrapes du roi de Perfe , il ne ceffa de jo'uir de la faveur du peuple. Cela devoit être ainfi, car tel étoit alors le goüt général des Athéniens pour la volupté la plus licentieufe, que toute la jeuneffe ne faifoit pas d'autre emploi de fon tems qu'avec les courtifannes & les  4<5 Les Coüetisannes, muficiennes : ceux qui étoient plus agés le paffbient au jeu & a d'autres exercices auffi pernicieux & auffi blamables; de forte que les revenus de Ia république fe diffipoient plus a des feffins publics, a des diftributions de viandes au peuple, qu'a fa confervation, fa défenfe & fa gloire. Plutarque nous a confervé un bon mot de Timothée fur ce Charès dont nous venons de parler, qui nous apprend quelle étoit fon efpece de mérite. Lorfque le peuple, charmé de fa bonne mine, de fa haute taille, de fa force, & fans doute gagné par fes libéralités, le propofa pour général: il fera très-bon, dit Timothée, pour porter le bagage de Parmée, mais non pour en êtrelechef, qui doit avoir des yeux devant & derrière, & 1'efprit afTez penetrant pour juger tout de fuite du parti qu'il convient de prendre.  Discours préliminaire. 47 Timothée avoit raifon , mais il n'en fut pas plus écouté du peuple , dont Charès étoit 1'idole, paree qu'il employoit toute fa fortune, tout ce qu'il pouvoit enlever fur les ennemis, a donnet des fêtes & des repas publics. II dépenfa dans un jour foixante talens qui lui avoient été aecordés pour fa part du burin fait dans le temple d'Apollon a Delphes, a un feflin fplendide qu'il donna au peuple dans Ia grande place, & a des facrifices dont les offrandes tournoient également au profit de la populace. Ce ne fut pas le feul des chefs de jla république qui fe conduifit ainfi. . Hyppias Sc Hypparque, fils de Pififtrate, ï établirent en faveur du peuple, plutöt 1 pour le corrompre que pour le per;: fedionner, des feffins publics a certains ( jours de fêtes, Sc des débauches que la : religion fembloit autorifer. Les cour-  48 Les Cotjrtisannes, tifannes y étoient admifes: le nombre en étoit fi 'grand, que leur afTemblée fe comparoit aux flots de la mer. Perfonne ne fut plus voluptuenx que Périclès ; il mëprifa les bienféances au point de mettre hors de fa maifon fa femme légitime pour habiter avec la courtifanne Afpafie de Mégare. Je n'entrerai pas dans le détail du luxe & des débauches de tout genre d'Alcibiade ; je dirai feulement qu'a fon retour d'Olympie, il ne craignit pas d'expofer en public deux tableaux, dans 1'un defquels il étoit repréfenté recevant la couronne aux jeux olympiques; dans 1'autre, il étoit affis fur les genoux de la courtifanne Néméa , 8c peint fi avantageufement, que fa beauté avoit un air de volupté dont une femme même auroit diï rougir. On peut juger que dans un état populaire, conduit par de tels chefs, les  Discours préliminaire. 42 les mceurs publiques répondoient a celles des particuliers qui gouvernoient. Démétrius fils d'Antigone qui rétablit a Athènes la démocratie que Lifandre de Lacédémone avoit détruite, fut lui-même 1'exemple le plus frappant de cette licence voluptueufe : il en fera parlé plus au long dans les notes a Ia fuite de la lettre que lui écrit Ia courtifanne Lamia. II n'eft pas de mon fujét de rapport et ce qui fe pafToit de femblable dans les autres états de la Grèce, je me contente de parler ici dAthènes, oü les arts de luxe furentportés au plus haut point, & nous ont laifTé les modeles les plus parfaits. Ce peuple étoit douë d'un gout naturel & d'une fenfibilité pour Ie plaiCr, qui lui faifoit regarder les artiffes difiingués comme la portion la pWeffemielle du bien & du bonheur public? Tomé i. q  yo Les Courtisannes,- il Jeur accordoit la plus grande confldération, & dans 1'enthoufiafme dont il étoit pénétré pour les talens, il mettoit au même rang un poè'te comique célébre, une courtifanne fameufe, un flatuaire, un peintre, un muficien, & leur donnoit la préférence fur des perfonnages dont les qualités euffent été de la plus grande utilité a la république, Le nombre des courtifannes renommées, établies 8c connues a Athènes, étoit confidérable. Athenée nous apprend qu'Ariflophane de Bifance, grammairien, qui vivoit plus de deux fiecles avant notre ère, faifoit mentionde cent trentecinq de ces femmes: mais il remarque en même-temps qu'il en avoit oublié plufieurs^u'il auroit du citer. Sans doute qu'il iravoit parlé que de celles qui faifoient le plus d'éclat dans la fociété, 8c  Discours préliminaire, fi le nombre en étoit confidérable pour une ville dont la population n'étoit pas fort nombreufe. II eft vrai que les étrangers contribuoient a 1'entretien de quelques unes d'entr'elles; mais en général les citoyens opulens & voluptueux en faifoient les frais, & plufieurs s'y ruinoient entiérement, ainfi qu'on 1'apprend de quelquesUnes des lettres d'Alciphron. Ces femmes étoient d'autant plus attrayantes , qu'aux charmes de la figure, aux attraits d'une coquetteric rafinëe, a une parure élégante, a une proprcté recherchée, elles joignoient tous les agrémens de 1'efpiic, la vivacité, la finefie, la fubtilité des réparties; elles aflaïfonnoient les plaifirs de leur fociété par tout ce que le fel attiquë avoit de plus ingénieux & de plus piquant. Plufieurs d'entr'elles donnoient uo  $2. Les Coujrt-isannes; certain tems a 1'étude des belles-lettres & a celle des mathématiques. Leur converfation. en devenoit plus intéreffante, mais elles faifoient payer bien cher a leurs amans les foins qu'elles prenoient a fe rendre plus aimables. Elles exercoient fur eux un empire abfolu, leurs complaifances n'étoient jamais qu'en proportion avec ia libéralité & les moyens de ceux qui les entretenoient. Dès qu'ils n'avoient plus de quoi fournir a leur goüt pour la dépenfe, ils étoient éconduits. Quelques courtifannes , celles qui pafToient pour les plus honnêtes, admettoient a leurs tables ceux de leurs amans qu'elles avoient ruines, quand ils avoient les fentimens affez bas pour fecontenter d'un pareil traitement: peutêtre fe trouvoient-ils heureux de jouir de cette reffource. On n'en doutera mê-  Discours préliminaire. me pas, fi 1'on fe rappelle que de tous les hommes, les Grecs étoient les moins délicats fur les moyens de fatisfaire leur goüt pour la bonne chere. Comme dans les profeffions même les plus honteufes, il fe rencontre des ames auxquelles on ne peut refufer une certaine honnêteté, il s'en trouvoit quelques-unes de cette efpece parmi les courtifannes. Bacchis étoit regardée parmi elles comme un phénomene de conftance, de défintérefiement, de douceur; on verra dans les lettres qui fuiyent, qu'elles ne lui épargnoient pas les plaifanteries, les farcafmes, qu'elles répandoient a pleine gorge le ridicule fur fes qualités eftimables. Tant il eft vrai que les mceurs, le cara&ere & 1'efprit des courtifannes ont été les mêmes dans tous les tems, & qu'elles n'ont du la réputation dont elles ont joui, qu'a un gout effréné pour C iij  T4- Les Coürtisannes, ■la volupté & les plaifirs faciles que 1'on a toujours payés trop cher. Les courtifannes qui avoient une certaine célébrité, que leurs talens & leurs charmes élevoient a la faveur des rois & des fatrapes, devenoient utiles a la nation- II ne leur étoit pas permis de fortir d'Athènes pour paffer a une cour étrargere fans 1'agrément des chefs de la république, qui fe laifibient gagner ou par Pefpérance d'une protedion utile, ou par de grandes libéralités. On verra que la courtifanne Lamia, favorite de Démétrius-Poliocerte, obtint de ce prince des graces pour la ville & fes \ citoyens; il ell vrai qu'elles ne furent pas gratuites. Lorfqu'Harpalus de Pergame voulut s'approprier la courtifanne Glycere, il envoya aux Athéniens dix mille niefures de froment j préfent très-confidérable pour  ê Discours préliminaire. 57 un pays auffi peu fertile que 1'étoit 1'Attique. II eft douceux que cette quantité de grains eutété fidélement diftribuée au peuple. Un poëte de ce tems, dans une piece fatyiïque intitulée YAgenis , du nom de la mefure de ce gram, fait dire a un de fes adeurs: cc Apprenez quelle ti eft la profpérité des habitans de PAtti» que, dans quelle aifance ils vivent; 53 tout leur tourne a fouhait.... On lui répond: cc II eft vrai qu'autrefois les den33 rees y abondoient; chacun avoit fans ja peine de quoi couvrir fa table; a pré33 fent ils font réduits aux légumes, au =3 fenouil; rarement ils mangent du pain: 33 quoique j'apprenne qu'Harpalus leur 33 a envoyé dix mille mefures de fro33 ment de la grandeur de 1'agénis. Par 33 reconnoiflance il a été mis au rang »s des citoyens. II eft vrai que ce grain 33 a été le prix de Glycere : il eft a erairf» Civ  ? avec fa barque f Théano n'eft qu'une » fyrène épiiée: elle a la voix Sc la phyb ffonomied'une jolie femme, fescuifies * & ^ jambes font féches & noires - comme celles d'unmerle.En un mot, "on Peut regardér toutes les courti» fannes comme autant de fphynx de M Thébes : tous leurs difcours font a » doublé fens : elles vous difent qu'elles » vous aiment, qu'elles vous chéritTent, » qu'elles ont pour vous la tendreffe la » plus vive; puis elles vous parient d'une «fervante a deux pieds, d'un Kt ou «d'une chaife a quatre, d'un trépied *> d'airain qui leur manque (a). Celui qui (a) Le poëte fait ici allulïon aux réponfes obfcures & énigmatiques du fphinx a Fénigme 'fi connue de 1'homme , quel eft l'ammal qui marche a quatre pieds en naüfant, &c,  Discours préliminaire. y$ 33 reconnoït oü elles enveulent venir, qui 33 s'en éloigne cömme s'il ne les eüt pas 33 même appercues, fe tire habilement 33 du péril. Mais ceux qui fe croyent 33 aimés, qui dans le délire d'une vaine 33 félicité fe placent au rang des dieux, 33 il n'y a rien a leur dire ; tót ou tard ils 33 reconnoïtront que de toutes les bêtes 33 féroces, la plus dangereufe eft la cour33 tifanne 33. Telles étoient ces femmes dont les noms ont paffe a la poftérité a cóté de ceux des hommes célébres qui les affocioient a leurs plaifirs. On ne peut rien ajouter a la peinture qu'en vient de faire le poëte Anaxilas. Quelles étoient donc les mceurs publiques a Athènes ! II n'y en avoit point. Le goüt eftiéné des Grecs pour la volupté , leur en tenoit lieu : la corruption étoit fi générale, qu'aucun d'eux n'en Div  '$o Les CoitrtisanneSj rougifFoit. Tous étoient livrés a un lrbertinage extréme. Socrate lui-même, le fage Socrate, que M. Dacier, dans un mouvement d'enthoufiafme, aurort placé au rang des faints, s'il 1'eut ofé, n'efl pas exempt de tout foupcon. Mais le diviiï Platon, Ie dode Ariftote, Périclès, Thémiftocle, Miltiade, Cimon, Epaminondas, tous les plus célébres des Grecs fuivirent le torrent. Le jufte Ariftide eft peut-être le feul dont on n'ait. rien dit. Démofthène, eet orateur véhément, dont la male éloquence & les maximes féveres annoncent une régularité de caradere a laquelle on croiroit que fes mceurs ontrépondu, donna dans tous les exces de la table, des jeunes gens & des femmes. Un poëte contemporain, cité par Athenée (livre 73), dit de lui: « Que doit-on penfer de Désa mofthène fles projets qui lui ont coiïté  Discours préliminaire. 8i » une année entiere a concevoir, a for33 me-r, une femmelette peut, dans une 33 nuk, y mettre la confufion & les 33 bouleverfer. II aimok a la folie le wjeune Ariftarque, il s'appercut queNi33 codeme voulokle lui enleverj & dans 33 un mouvement de fureur, il arracha 33 les yeux a fon mignon, afin que leur 33 beauté netentat plus perfonne. II prk 33 enfuite le jeune Cnofion; il ne rongit 33 pas de le loger dans fa maifon , ce 33 qui dépiut a fa femme au point qu'elle 33 n'imagina pas d'autre moyen de s'ea 33 venger,que de fe proflituer a ce même 33 Cnofion 33. C'eif ainfi que la corruption devint générale, il n'y eut plus de réforme a efpérer quand ces excès fe fitrent répandus parmi le peuple, les artifans, les gens de la campagne. On voit dans les lettres d'Alciphron, par quels de-  Sa Les Couetis annes, &c; gres 1'exemple des chefs féduifit infenfiblement toute la nation. Ceux qui conferverent des mceurs, ne les durentqu'a 1'indigence ou a 1'habitude d'un travail continuel & nécefTaire, qui les tenoit éloignés de Ia contagion de la ville. Nous admirons encore les productions admirables de 1'efprit des Grecs, leurs chef-d'ceuvres dans tous les arts, font d'une perfeclion a laquelle "il paroit impoffible d'atteindre. Mais que devons-nous penfer de- leur police, de leurs loix, de leur culte religieux, puifque tous ces grands moyens ne mettoient aucun frein k leurs défordres ?  LETTRES des COURTISANNES. LETTRE PREMIÈRE. Lam ia a Dé mé triv s (i> Je vous dois, feigneur, la liberté que je prends i vous ctes roi, & vous m'accordêz la permiffion de vous écrire. Me poiTédant toute entiere , vous ne regardez point comme au-deiTous de votre grandeur de recevoir mes lettres. Je vous 1'avoue, feigneur, quand je vous entcnds, quand je vous vois paroitre en public , au milieu de vos gardes , avec cette efcorte nombreufe de troupes, environné de vos officiers & de vos miniftres , dans toute lapompe de lamajefté royale {z)\ Dvj  84 Les Coürtisankes, j'en attefte Vénus, je Tuis faifie d'un tremblement refpedueux; la crainte & le trouble s'emparent de mes fens; je n'ofe vous regarder, je crains que ïeclat qui vous environne, comme un foleii trop ardent, neme brüle les yeux ( 3 ). C'efl: alors que je vois le grand Démétrius-Poliocerte dans toute fa fplendeur. Quelle eft dans ces inftans la fierté de vos regards! ils n ont rien que de formidable & de guerrier (4). Tout ce qui s'eft pafte entre nous, ne me fembie plus qu'une illufion. J ai beau me dire : c'eft ce prince qui vient partager ton Et, qui paffe la nuit a t'emefidre iouer de la flüte ; c'eft lui qui t'a honoréeaujourd'hui de fes lettres, qui t'a donné une préférence marquée fur la courtifanne Gnathène (5), je ne m'en crois pas möi-mémej tous mes vceux, tous mes defirs font de vous voir de nouveau chez moi, poot m aflurer cle la vérité de mes idéés, lorfque je vous ferre entre mes bras,  L E T T R E 1. Sr dans ces inftans déiicieux ou vous me prodiguez vos carelïès, je me demande a moimême i eft-ce la ce conquérant, ce grand général qui fait trembler la Macédoine, la Grèce, la Thrace? O Vénus! fois-moi favorable; je vais lui livrer d'autres eombats avec mes flütes (6), je verrai s'il peut réfifter a mes aflauts. De grace, féignear, reftez a Athene? encore trois jours, & vous me ferez 1'honneur de venir manger chez moi. Aprèsdemain eft un jour fólemnel, que tous les ans je confacre a Vénus; & je n'épargne rien pour que chaque fête Temporte fur la précédente par la foxnptuofité de 1'appareil. Vous ferez recu agréablement & de la maniere la plus convenable a une prêtrefle de Vénus, qui veut lui faire un facrihce pompeux. Vous m'en fournirez les moyens (7). Je vous le demande, feigneur, avec d'autant plus de confiance, que je n'ai rien fait d'indigne ds vos bontés, depuis cette nuit  86' Les Courtisannes, fainte & mémorable , oü je vous recus la première fois dans mes bras (8). Quoique vous m'euffiez taillé la liberté entiere de mon corps & de mes aétions, je n'en ai point abufé ■■, je me fuis comportée d'une maniere digne de vos faveurs; j'ai fermé ma porte a tout autre amant. Croyez-en, feigneur, Paflurance que je vous en dorine : je rougirois de mentir comme une courtifanne vulgaire. J'en attefte la chafte Diane. Si depuis ce tems la jeunefiè d'Athènes n'a plus ofé élever fes deins jufqu'a moi, je n'ai pas été moins infenfible a tout ce qu'elle a d'attrayant. Elle a refpedé une place dont vous vous êtes emparé , & je vous 1'ai confervée fidélement. L'amour, grand roi, eft prompt Sc léger , & lorfqu'il vient, & lorfqu'il fe retire: 1'efpérance lui donne des aïles ; eft - elle fatisfaite , fes plumes tombent, il difparoït. Auffi le grand art des courtifannes eft de retarder le moment des jouiflances qu'elles femblent toujours prêtes a accorder.  L E T T R E I. %7 & de couferver leurs amans par 1'efpérance. Mais avec les rois, il ne nous eft pas permis d'ufer du moindre délai, tant nous craignons de p;rdre 1'inftant favorable, de leur infpirer quelque dégout pour nos perfonnes, ou de nous attirer leurs dédains. Nous avons mille prétextes a donner aux autres hommes, tantot des devoirs de religion, tantot des dérangemens de fanté: les foins indifpenfables de la maiion que 1'on tierit, fervent quelquefois d'excufe. Un facheux fe préfente a propos: on recule le tems de la jouhTance , que tant de raifons rendent bientöt infipide; on le retarde, mais on agace , on promet, on carefle , on s'empare des efprits & des cceurs; on les fubjugue, & ils craignent d'autant plus que de mouveaux obftacles ne s'oppofent au bonheur auquel ils afpirent, que 1'on a mis plus d'art a exciter leurs defirs, & a foutenir ïeurs paffions ( 9). Peut-être pourrois-je encore tenir cette  «8 Les CourtisanNes, conduite artificieufe avec nos Athéniens; mais avec vous, feigneur, je déguiferois mes fentimens, mes defirs, ma reconnoiffance; que les mufes m'en préfervent! Avec vous, qui me traitez avec tant de bonté, qui m'honorez d'une préférence marquée, qui me vantez comme me trouvant fort au-deffus de toutes les autres courtifannes, qui femblez vous faire gloire de votre goüt pour moi! Non, je n'ai pas affez peu de fens, pour ne pas me montrer a vous telle que je fuis (10). Oui, feigneur, quand je facrifierois tout ce que je poffede, jnfqua ma vie même pour Vous, je croirois avoir peu fair : ma reconnoiffance feroit encore au-dellous de vos bienfaits. Je fais que cette fête de Vénus, dont je fais les apprêts, que vous hcnorerez de votre préfence, non-feulement fera célébre dans la maifon d'Hyppéride, oü eile fe prépare, mais encore que le bruit s'en répandra dans toute la viile d'Athènes, &  L E T T R £ I. de-la dans le refte de la Grèce (n). Les triftes Lacédémoniens, ces lions de la Grèce, devenus renards a Ephèfe, chercheront a rétablir leur réputation, & a fe montrer dignes de leurs aufteres ayeux, en blamant fur le mont Taigète, dans leurs retraites fauvages, la magnificence de nos repas. Ils oppoferont les féveres inftituts de Lycurgue, leur économie fordide, a votre bienfaifance royale, a vos fentimens humains j a la bonne heure, s'ils s'en trouvent bien (12). Je vous fupplie de nouveau, feigneur, de ne pas oublier le jour du feftin. L'heure * qu'il vous plaira d'indiquer, fera la plus favorable pour moi. Adieu. NO TES. (l)DÉMÉTRIUS-PoLIOCERTE,Oule Preneur de villes, fils d' Antigpne, 1'un des genera ux & fucceffeurs d'Alexandre-le-Grand, qui établit un royaume puilTant en Afie, d'une partie des conquêtes d'Alexandre a  «?o Les Courtisannes, s'empara d'Athènes, en chafla Démétriusde-Phalere, & y rétablit le gouvernement démocratique, z$s ans avant 1'ère chrétienne : 1'année fuivante il s'empara de Ia Macédoine. La reconnoiflance des Athéniens pour le fervice qu'il leur avoit rendu, fut exceffive,~& long-tems ils eurent pour Démétrius la foumifllon que 1'on doit k un maltre abfolu. Cette lettre le repréfente dans tout 1'éclat de fa puiffance , & le rhéteur n'en dit rien qui ne foit juftifié par 1'hiftoire. Quant a la courtifanne Lamia, il en a déja été parlé dans le difcours qui eft a la tête-des lettres; j'ajouterai feulement quePlutarque, dans la vie de Démétrius, dit que Lamia fut une partie du butin que fitDémétrius fur Ptolémée, lorfqu'ils combattoient enfemble pour la fouveraineté de 1'ifle de Chypre. «Dans le butin fe trouva cette tant renommee courtiw fanne Lamia, laquelle au commencemeiit » avoit été requife & renommee feulement » pour fon art, a caufe qu'elle jouoit affez » bien des flütes. Mais depuis quand elle » commenca a fnener le train de courti» fanne, elle fut en bien plus grande vogue s> que devant; tellement que lors, encore » qu'elle fut déja au déclin de fon age & de  L E T T R E L 5* *> fa beauté, & quelle eüt trouvé Démétrius » beaucoup plus jeune qu'elle, fi eft-ce qu'elle 33 le gaigna & retint par fa douceur Sc bonne 33 crrace, de forte qu'il étoit amoureux de 33 celle-la feule , & toutes les autres femmes 33 amoureufes de lui 33. Traducl. d'Amiot. (2) Démétrius & fon pere Antigone furent les "premiers des généraux d'Alexandre qui devinrent fes fucceifeurs dans la plus grande partie de fes conquêtes en Afie : ils prirent les premiers le titre de rois, Sc porterent le diadême. Elien , livre iz, chap. 7 de fes Hiftoires diverfes, dit exprelfément que Démétrius, qui tenoit fbus fon empire tant de nations, Sc fi puiffantes, alloit publiquement au logis de la courtifanne Lamia , avec tout 1'appareil de la majefté royale, le diadême en tête, fuivi d'une efcorte nombreulé. 11 fatisfaifoit ainfi le goüt qu'il avoit pour la pompe. D'ailleurs, la majefté royale ne brilloit dans aucun prince avec autant d'eftet que dans toute la perfonne de Démétrius: la noblefle de fon port en impofoit a fes courtifans & a fes amis, Sc fa beauté tcuchoit fes ennemis au point de les lui gagner.  '$z Les Couetisannes, O) Cette flatterie, alïez délicate dans la bouche d'une femme telle que Lamia, devoit plaire a Démétrius. Aurelius-Viélor , Aansla vie d'Augufte, attribue la même réponfe a un foldat qui détournant fes yeux du vifage de 1'empereur, & interrogé par ce prince fur ce qui le déterminoit a agir ainfi , il répondit qu'il ne pouvoit foutenir Téclat de fes ïégards. (4) «Démétrius étoit de belle & grande « taille, d'un air & d'une beauté de vifa*e » fi merveilleufe &r fi excellente, qu'il n'y » avoit ni peintre n'imageur qui put avenir » a le bien tirer & contrefaire naïvement »> après le vif, car on voyoit en fa face une 33 douceur conjointe avec une gravité, une » révérence avec une grace , & y reluifoit 33 une héroïque apparence de majefté royale « très-difficile a repréfenter. Même fon riatu» rel & fes mceurs étoient compofées de telle »forte, qu'elles étonnoient & délcftoient 33 tout enfemble ceux qui hantoient & fré33 quentoient avec lui; car quoiqu'il fut gay 33 & récréatif en Compagnie, quand il étoit de 33 loifir & le plus fuperflu en feftoyemens 93 délicat en fon vivre, & diflblu en toutes  JL E T T R E I. d'affaires , il s'abandonnoit diflblument  y6 Les Courtisannes, » & fe laifioit aller a toutes fortes de vo33 luptés; mais en tems de guerre il étoit 33 fobre & chafte comme ceux qui le font » naturellement 33. C'étoit encore aux dépens des Athéniens qu'il entretenoit les courtifannes. « Démétrius , dit Plutarque , or33 donna aux Athéniens de donner prompte33 ment a Lamia deux eens cinquante talens. 33 Le reeouvrement de ces deniers leur fut 33 dur, tant pour la briéveté du tems qui 33 leur fut préfix, que paree qu'il ne fut jamais 3> poffible d'en rien rabattre. Quand il eut 33 vu tout eet argent, qui lui fut apporté 33 devantlui dans unmonceau,il commanda 33 qu'on le baillat a -Lamia & aux autres 33 courtifannes, pour leur avoir du favon. 33 Car la vergogne leur faifoit plus de mal 33 que la perte de leur argent, & la parole 33 dont il ufa au grand mépris d'eux, les 33.to.ucha plus que ne fit ce qüils payerent. 33 Toutefois aucuns difent que ce ne fut 33 pas aux Athéniens, qu'il rit ce vilain tour33 la, mais aux Theffaliens 33. Lamia dit a Démétrius qüil lui fournira les moyens de payer les frais du feftin qu'elle lui prépare ; elle fe fervit, au rapport de Plutarque, du crédit que lui donnoit dans la  L S t T X £ I. $J ■311e, 1'attachement connu de Démétrius pour elle. Lamia, de fon autorité privée, rancon» na & exigea de 1'argent de plufieurs particu» liers, pour un feftin qu'elle fithDémétrius, » duquel Fappareil fut fi fomptueux & li » magnifique , que Linceus, natif de 1'ifle » de Samos, en mit 1'ordonnaoce par écrit: »» &pourtant un certainpoëte comique,non w moins plaifamment que véritablement, p appella ladite Lamia Elépolis, ceft-a-dire, » engin a prendre villes. Démocharès, natif so de la ville de Soli, appelloitDérnétrius ,fa* m tó,pour autant qu'il avoit cette Lamia toua> jours avec lui, comme ès fa-bles que les a> vieilles content aux pctits enfans, il y a vo» lontiers une Lamie , c'eft-a-dire, une fée ou *» forciere. En maniere que le grand crédit Sc to autorité qu'avoit ladite Lamia, & 1'amour » que lui portoit Démétrius, ne lui caufoient »» pas la jaloufie feulement & 1'envie des •> femmes époufes dudit Démétrius, mais *> auflï la haine de fes familiers & privés *> amis 53. ce que fes ambaiTadeurs témoignerent au roi Lyfimachus , qui s'entrere-. jiantfamiliéremeötavec euxjleurfaifoit voir  j,8 Les Courtisannes, les cicatrices que lui avoient laiflees fur les j bras & fur les cuiffes, les griffes du lion avec lequel Alexandre 1'avoit fait enfermer dans une cage : « Eux riant, fe prirent a dire que » leur maitre portoit auffi au col les marqués » & morfures d'une mauvaife béte, qui étoil dj Lamia ». (8) Lamia eut la vanité de faire paffer fon nom a la poftérité, en faifant batir un magnifique portique a Sycione, ville du Peloponnèfe ; c'eft, fans doute, ce qu elle appelle avoir fait un bon ufage des bontés 8c des dons de Démétrius. Peut-être que les Athéniens n'avoient pas encore porté 1'adulation pour Démétrius a 1'excès ou ils en vinrent, lorfqu'ils ne rougirent pas de faire batir un temple a Vénus-Lamia , en quoi ils furent imités par les Thébains; ce quï leur fut reproché par les poëtes & les ora-. teurs contemporains, comme le comble de la baffeffe. Athenée , liv. 6. (p) Tel a toujours été le manége des| courtifannes entendues dans leur métier. IlJ eft a propos, dit 1'une d'elles (AriJlenetJ épit. i, liv. 2) de faire éprouver quelquesj difficultés aux jeunes amans, de ne leur pas.  L E T T * E I. 99 accorder tout ce qu'ils demandent. Cet artifice empêche la fatiété, foutient les delirs d'un amant pour une femme qu'il aime, & lui rend fes faveurs toujoufs nouvelles. Mais il ne faut pas pouffer les chofes trop loin: 1'amant fe laffe, s'irrite, forme d'autres projets & d'autres liaifons; 1'amour s'envole avec autant de légéreté qu'il eft venu.... Un amant, tant qu'il compte d'arrivera fon but, eft patiënt; il s'opiniatre a obtenir ce qu'il fouhaite; mais s'il perd toute efpérance, Ia paflion change , a 1'amour fuccéde le defir de la vengeance, & il met tout en oeuvre pour la fatisfaire... Achilles Tatius dans Clitophon & Leucippe , liv. 4. Les jouiffances que 1'on efpere, dit encore Ariftenet, liv. i, e'ptt. 21, ont en idee des douceurs, des charmes inexprimables; elles animent & foutiennent toute la vivacité des defirs; les a-t-on obtenues ,-on n'en fait plus de cas .... c'eft pour cela, dit Lucien , Difcours de ceux qui fe mettent au fervice des grands, que les courtifannes tiennent comme enchainés, ceux qu'elles croyent avoir rendus amoureux : ce n'eft que rarement qu'elles leur permettent quelques baifers , paree qu'elles favent par expérience que la Eij  ioo Les Couktisannej, jouüTatice eft le tombeau de 1'amour; mais elles ne négligent rien pour foutenir 1'efpérance & les defirs; elles veiilent attentivement a ce qu'un amour extréme ne fe tourne en défefpoir , & que la-paffion ne s'éteigne i auffi elles ne ceflent de fe rendre agréables, d'amufer Sc de promettre ... On peut regarder ces citations, tirées d'auteurs érotiques, comme 1'abrégé des loix politiques des cour^ tifannes grecques, (10) La paffion de Démétrius pour Lamia étoit fi connue, que 1'on ne ceftbit de Ten plaifanter, fans qu'il le trouvat mauvais, «e Lamia étant tout apertement maitrefle de •> lui, dit Plutarque , ainfi qu'il retournoit *> des champs , il vint, fuivant fa coutume, m baifer fon pere, & Antigonus en fe riant, » lui dit: Te femble-t-il pas, mon fils , que oj tu'baifes Lamra ?.... C'étoit une chofe a> étrange comment Démétrius étoit ainfi 3» épris de Lamia, Sc comment il 1'aima fi » conftammentjfi long-tems, attendu qu'elle s> étoit déja pafifée & furagée; Sc pourtant » Démo, celle qui fut furnommée Mania ou » 1'enragée , lui répondit plaifamment un ' » foir que Lamia avoit fonné des flutes durans  'L E T T K Ê I. IO» ïe fouper, quand Démétrius lui demanda s « Eh bien f que te femble-t-il maintenant, » Démo , que c'eft de Lamia ? Une vieille, *» dit-elle, Sire. Une autre fois qu'on avoit s> fervi le fruit a 1'iffue de la table : Voyezso vous , dit Démétrius, combien de petites 33 gentilleffes m'envoye Lamia ? Ma mere, o> dit Demo, t'en enverra encore davantage, s> fi tu veux coucher avëc elle 3,. D'autres difoient encore aflez plaifamment que Démétrius s'occupoit avec Lamia a percer des flütes; efpece de proverbe ou de plaifanterie qui s'appliquoit a ceux qui paffoient leur tems avec des courtifannes déja fort exercées. II ne fa ut pas s'étonner que Lamia eüt beaucoup de jaloufes parmi les courtifannes; Démétrius étoit fi perfuadé de fa fidélité & de fon attachement pour lui, qu'il la mettoit au-deflus de Pénélope; c'eft ce qu'il répondft a Lylïmachus, qui lui faifoit quelques reproches fur fes liaifons avec cette femme, (Jthenée, liv. 74.) La préférence qu'il lui donnoit fur toutes, ne pouvoit que les irriter, car dans les momens oü ce prince dépofoitl'éclat de la majefté royale, qu'il aimoit a faire briller en tant d'autres occafions, il devenoit le plus aimable des hommes dans E iij  io2 Les Courtisannes, la converfation , le plus agréable convive a table, Sc 1'amant le plus voluptueux avee fa maitreffe. (11) Athenée, liv. 4, dit, ainfi que Plutarque , que Lincée de Safnos tranfmit a la poftéritéladefcription de la féte fomptueufe que Lamia donna a Démétrius : elle étoit dans un recueil dt lettres fur les feiiins les plus magnifiques qui s'étoient donnés de fon tems, & qui étoit très-conr.u lorfqu'Athénée écrivoit. On peut juger par-la qu Athènes ainfi que Paris, fourmilloit d'écrivains qui s'exercolent fur toutes fcrtes de fujets, Sc dont la plupart, ainfi que Monugne le diï de la grandeur, fe vengeoient a médire de ce a quoi ils ne pouvoient atteindre. ( 12 ) Elien cite comme un bon mot de Lamia, ou comme une réflexion fine & cauftique , ce qu'elle dit ici des Lacédémoniens (Hifi. diverfes , liv.. 13). Ce changement de mceurs fe fit remarquer principalement lorfqueLyfandre !es commandoiraEphèfe; il venoit a bout de fes delfeins par fon adrelfe & fa complaifance pour les fatrapes du roi de Perfe , defquels il tira des fommes confidérables. Callicratidas qui lui fuccéda,  L E T T R E I. I03 reprit la févérké des anciens inftituts, mais ne réuffit pas a les rétablir dans leur première vigueur ; ainfi la rérlexion fubfiftoit dans toute fa vérité , & les lions étoient devenus renards. D'ailleurs la courtifanne flattoit en même-tems les Athéniens & Démétrius 5 les premiers, en jettant du ridicule fur la conduite de Lyfandre , & les moyens qui lui avoient fait remporter tant de victoires fignalées fur les Athéniens; le fecond, en lui rappellant que la ville d'Athènes lui devoit fa liberté, &: i'anéantifiement du gouvernement tyrannique que Lyfandre avoit tenté d'y établir. Ce qui eft.dit ici da mont Taygete, dans la Laconie, dont les rochers & les fombres forêts étoient la retraite dune multitude d'ours, de fangliers & d'autres bétes fauves (voye\ Paufanias , liv. 3 , ch. zo ), fait allufion- a la vie dure & auftere des anciens Spartiates, dont la diéte.févere , très-oppofée au luxe des feftins de Lamia, étoit une des loix fondamentales deLycurgue. Les Lacédémohiens les revendiquoient encore au moins en apparence, pour continuera jouir de la réputation qu'ils avoient eue d'être le peuple de la Grece le plus attaché ï fes loix, chez lequel elles E iv  tq4 Les Cöü-rtisanneS, décidoient de tout. Ce qui, a en croiré La* mia, n'étoit que vaine oftentation. Elle fl'avoit pas tort; les Lacédémoniens de fon tems, avoient beaucoup .dégénéré de la vertu de leurs ancêtres. LETTRE II. Léontivm (i) a Lamia. Rien heft plus bizarre qu'an vieillard qui veut faire le jeune homme (2). Si tu favois, machere, comment eet Epicure ma traite ; il me chicane fur tout, fes foupcons ne finiftènt pa's. II m'excéde de fes lettres favantes, fouvent obfeures & prefqu'inintelligibles (3); il me menace de m'interdire 1'entrée de fon jardin ! J'en attefte Vénus! oui, ft Adonis pouvoit revenir, & qu'il eüt quatre-vingts ans (4), qu'il fut accablé des infirmités de eet age, rongé par la vermine, couvert de toifons puantes & malpropres, ainfi que mon Epicure, il me paroitroit infoutenable. Et je  L £ T T R £ II. 10$ fupporterai patiemment mon philofophe avec tous fes attributs! Oh, qu'il fe contente de fes fyftêmes fur la nature des chofes; qu'il fe conduife par fes loix & fes regies qu'il fait plier a fes fantaifies ( 5 ); je ne lui difpute rien : mais qu'il ne s'avife pas de témoigner de 1'inquiétude & du chagrin fi j'ufe de mes droits. Voila le charmant vainqueur qui prétend me fubjuguer. Ne le trouves-tu pas, diere Lamia, digne d'être comparé a ton Démétrius? Et je me refuferai tout pour plaire a un pareil galant. II fait plus, il veut fe donner pour un autre Socrate. On n'entend que lui bavarder, interroger, difputer (6). 11 a même a fa fuite un certain Pitochles dont il fait fon Alcibiade (7). Prétendroit-ii me traveftir en Xantippe ? J'en fuis excédée; & fi je n'avois d'autre moyen de me fouftraire a fes importunités, je fiurois plutöt de villes en villes, que de refter expoféexa fes reproches, & fur-tout a. fes lettres extravagantes. Ev  iotj Les Courtisankes", II a bien d'autres prétentions, qui me paroiflent &C plus ridicules & d'une plus grande conféquence. C'eft a ce fujet que je t'écris, te demandant tes confeils fur la conduite que je dois tenir. Tu connois fans doute le beau Timarque, eet aimable Céphifien (8), auquel je conviens que je fuis intimement attachée depuis long-tems (car je n'airien a déguifer avec toi). C'eft lui qui le premier m'a iniriée aux myfteres de 1'amour: il demeuroit dans mon voifinage, & je crois qu'il eut les prémices de mes faveurs. Depuis ce tems il n'a celTé de me combler de biens: robes, argent, fervantes, efclaves, bijoux des pays étrangers •, il m'a tout prodigué. Que te dirai-je de plus? il en a toujours été avec moi aux foins les plus emprelTés; il les portoit a m'envoyer les premiers fruits & les fieurs nouvelles de chaque faifon : il auroit fouffert avec peine que quelqu'un en eüt avant moi. Et c'eft un amant de ce mérite qu'il veut  L E T T R E II- ï°7 que je lenvoie. Qu'il ne t'approche point, me dit-il avec humeur. Comment le qualifie-t-il i de quels noms 1'appelle-t-il} Tu ne reconnoïtrois a fes termes, ni un Athénien, ni un philofophe; mais tu croirois entendre un Cappadocien brutal & groffier , tout nouvellement débarqué dans 1'Attique ( 9 ). • Quant a moi, toute la vjlle d'Athènes fut-elle peuplée d'Epicures ou de leurs femblables, j'en jure par Diarie, )e ne les eftimerois certainement pas tous enfemble autant que la moindre parrie du corps de Timarque, que le bout de fon doigt. Qu'en penfes-tu, Lamia ? la vérité , la raifon ne m'infpireroient-elles pas. Je t'en conjure par Vénus, ne me condamne pas. Je conviens que mon philofophe a un nom illuftre , & beaucoup d'amis (ro): qu'il y joigne encore les miens : je lui céde tout ce que je polTéde. Qu'il fe contente d'être le maïtre des autres &: de les endodriner; qu'il jouifie de fa gloire , je ne la lui envie E vj  ïo§ Les Couetisannes, point, elle ne me touche pas. Mais, ö Cérès s je te demande mon Timarque, c'eft tout mon bien. Cet admirable jeune homme, eet amant unique a tout quitté pour moi, le Licée, la jeuneftè d'Athènes, fes amis, fes fociétés: il vit honnêtement avec Epicure, il a pout lui les complaifances les plus recherchées, jufqu'a vanter fans cefle tous fes fyftêmes imaginaires; & mon philofophe, aufli féïoce qu'un autre Atrée, lui dit avec dureté, ■r fors de mon empire , renonce a Léontium (11)-, comme ft Timarque n'avoit pas plus de raifons de lui défendre d'approcher d'une femme qui lui appartient a tant de titres. II eft aimable, il eft jeune, & il fouffre fans fe plaindre fon vieux rival; tandis que le vieillard impatient veut fe débairafler, a quelque prix que ce foit, de celui qui a tant de droit fur ma perfonne. Que ferai-je donc, ma chere Lamia , je te conjure par tous les dieux de ne me pas abandonner: les extrêmités facheufes oü je  L E T T X E 11. lOf me trouve, me mettent dans le plus violent état. Me féparer de Timarque ! L'idée feule m'en eft plus affreufe que celle de la mort: je me fens faifie d'horreur; mon cceur fe brife ! De grace, permets que je me retire chez toi pour quelques jours. Peut-être que mon abfence fera fentir au philofophe les agré- ^ mens & les avantages que je lui procurois* Je prévois qu'il fera piqué de 1'air de mépris qu'aura ma démarche; qu'il nc^s enverra melTagers lur melfagers; il n'épargnera pas les pas de fes confidens les plus intimes , de Métrodore , d'Hermaque, de Poliénos. Combien de fois, chere Lamia, ne lui ai-je pas dit dans le tête-a-tête: Que faitesvous , Epicure ? Vous vous traduifez vousmême en ridicule; votre jaloufie va devenir le fujet des converfations publiques, des plaifanteries du théarre : les fophiftes gloferont fur vous. Mais que faire d'un vieillard qui ofe encore aimer avec impudence ? Oh  sio Les Coobtisanneï, bien, je 1'imiterai, je n'ai rien a ménager, 8c je n'abandonnerai pas mon cher Timarque. Adieu. N O T E S. (i) Léohtium étoit athénienne. On peut fe faire une idéé de fon caraétere & de fes mceurs, d'après ce qui eft rapporté dans Athenée (liv. 13). « La fameufe coura^fanne Léontium fut amie intime d'Epi» cure. Après s'être donnée a Tétude de la 3» philofophie, elle ne cefla point pour cela 33 d'exercer fa profefllon, au point que les 3> jardins d'Epicure étoient le théatre public s> de fes proftitutions avec tous les difci3> pies du maitre , auquel elle ne rougilfoit »3 pas d'accorder fes faveurs devant tout le 33 monde. Un goüt fi décidé donnoit quel33 ques inquiétudes a Epicure: ü en parle 33 dans fes lettres a Hermaque 33. Le fameux pere Hardouin , jéfuite , qui néchappoit aucune occafion de fe fingularifer, aprétendu, contre le témoignage formel de Diogène-Laerce & dAthenée, que Léon-  L E T T R E II. III tium étoit la femme léginme d'Epicure,8e non ia maitreffe. 11 donne pour preuve de fon fentiment un paffage du chapitre 11 du livre 3 $ de Pline , qui parlant des tableanx du peintre Théodore , cite le portrait de Léontium en ces termes: Leoncium Epicuri cogitantem, qu'il explique par ceux-ci: Leontium , femjne d'Epicure , repréfentée méditant fur queique fpéculation philofophique. La raifon fur laquelle s'appuie le docle jéfuite , eft que dans les médailles antiques on lit : Plotina Trajani, Subina Hadriani, fans le mot conjux; quoique 1'on doive entendre, Plotine, femme de Trajan, Sabine , femme d'Adrien ; & que c'eft ainfi que dans Pline toutes les femmes légitimes font déiignées, & non pas les courtifannes. On peut regarder cette alfertion comme une des rêveries du P. Hardouin. Il faudroit avoir vu le tableau de Théodore , pour juger fi le naturalifte de Rome avoit bien faifi 1'idée du peintre, car une femme telle que Léontium , pouvoit réfléchir avec un air férieux fur la phyfique des corps, de même que fur des fpéculations intellecluelles. Ce n'eft pas que fouvent elle ne s'élev*  (m Les Courtisannes, au-deflus de fon goüt dominant, pour fe livrer a des méditations purement fpirituelles. Elle écrivit un traité contre Théophrafte , d'un ftyle auffi pur qu'élégant, ainfi que le dit Cicéron (De Natura Deor. I. 1, ff. 33). Cotta, 1'un des interlocuteurs, en fait un reproche a 1'épicurien Velléïus en ces termes: « Tel fut 1'cxcès ou le jardji d'Epicure por33 toit la licence, que la Slrtifanne Léonw tium ofa écrire' contre Théophrafte , fine»ment, je Tavöue, & d'un ftyle attique, « mais fans lui épargner les termes infultans » qui coutent fi peu dans votre feéte Ces termes piquans que 1'orateur romain reproche a Léontium, ne doivent-ils pas être regardés comme 1'effet de la jaloufiVqui divifoit les feftes entr'elles ? Peut-étre encore Ia courtifanne combattoit-elle avec avantage les incertituies du philofophe, qui après avoir fuivi tour-a-tour les écoles deLeucippe, de Platon & d'Ariftote, n'avoit pas pour cela des fentimens plus aflurés fur les objets les plus importans. cc Théophrafte, dit Cicéron dans le livre cité ci-defius (#• *3) M eft d'une inconftance qui n'eft pas o> fupportable; dans un endroit il attribue 9 la fuprême divinité a 1'intelligence , dans  Z E T T R £ II. u i s> un autre au ciel en général 5 après cela » aux aftres en particulier ». (2) Ménandre citépar Stobe'e (DifcourSf lig) : cc Rien n'eft auffi pitcyable qu'un s> yieillard amoureux , fi ce n'eft un autre 33 vieillard qui lui refièmble : celui qui af-« !o pire a des jouiflances dont les anntes lui 33 interdifent 1'ufage, n'eft-il pas bien i 33 plaindre ? 33 Euripide , dans h même Dip» cours : 3, O vieillefle , que tu es facheufe a 33 ceux dont tu t'empares: il ne refte plus »> ni force ni courage aux vieillards, qu« 33 po'ur fe livrer fans ceflè a 1'imparience & a> a la colere. La vieillefle fait fuir loin 33 d'elle Vénus & les Graces ; ces déefiej *> ne fupportent pas des amans furannés *>, (3) Diogène-Laerce a confervé le commencement d'une lettre d'Epicure b. Léontium , qui eft dans le flyie d'un amant a fa maitreffe : « Je triomphe, ma chere reine, »3 de quel plaifir je me fens pénétré a. lg 33 leéhire de x-otre lettre » 1 Ce ne font pas fans doute les lettres ainfi concues, que la courtifanne traite de favantes & obfcures. Au refte il eft douteux que cette lettre & beaucoup d'autres écrites fous le nom d'Epi-  ii4 Les Courtisannes, cure, foient vérkablement de lui. Lorfqu elles parurent , on accufa le ftoïcien Diotime, ennemi déclaré de notre'philofophe , d'avoir donné fous fon nom un recueil de cinquante lettres amouréufes du ftyle le plus libre & le plus déshonnéte; expres pour le décrier. Celle-ci paroït avoir été conpofée dans. le méme goiit, & faite plutót pour prouver 1'inclination de la courtifanne Léontium pour Timarque , que les torts d'Epicure avec elle. Quant a Epicure, après avoir comparé ce qu'ont dit de lui fes apologiftes & fes détrafteurs, il me femble que perfonne ne fa mieux jugé que Saint-Evremont, qui peut, a iufte titre, pafler pour un épicurien décidé , qui regardöit la volupté comme le fouverain bien. « L'age apporte de grands changemens » dans notre humeur, & du changement de s> 1'humeur fe ferme bien fouvent celui des 33 opinions: ajoutez que les plailirs des fens 33 font méprifer quelquefois les fatisfaclions 33 de 1'efprit, comme trop féches & trop 33 nues; &■ que les fatisfactions de 1'efprit 33 délicates & rafinées font méprifer a leur 33 tour les voluptés des fens, comme grof-  Lettre II. k> fieres. Ainfi on ne doit pas s' étonner que \m dans une fi grande diverfité de vues & de » mouvemens , Epicure, qui a plus écrit » qu'aucun philofophe, ait traité différemL ment la même chofe , felon qu'il 1'avoit 33 differemment penfée ou fentie Il a pu 33 être fenfible a toutes fortes de voluptés. 33 Qu'on le confidere dans fon commerce 133 avec les femmes, on ne croira pas qu'il 33 ait palTé tant de tems avec Léontium Sc 33 Thémifto a ne faire que philofopher. Mais 33 s'il a aimé la jouilTance en voluptueux, 33 il s'eft ménagé en homme fage. Indulgent 33 aux mouvemens de la nature, contraire »3 aux efforts , ne prenant pas toujours la 33 chafteté pour une vertu , comptant tou33 jours la luxure pour un vice, il vouloit 33 que la fobriété fut une économie de l'ap33 pétit, Sc que le repas que 1'on faifoit ne 33 put jamais nuire a celui que 1'on devoit 33 faire. II degageoit les voluptés de finqüië33 tu-ie qui les précéde, & du dégout qtu 33 les fuit. Comme il tomba dans les inlirM mités Sc les douleurs , il mit le fouverain 33 bien dans 1'indolence ; fagement a mon 3> avis, pour la condition oü il fe trouvoit: 33 car la ceffation de la douleur eft la fé-  fU LSS COÜRTISANMES, » licité de ceux qai fouffrent. Pour la trart* j * quillité de 1'efprit qui eft 1'autre partie de » fon bonheur, ce n'eft qu'une fimple exemp-1 » tion de troubles. Mais qui ne peut avoir ■ >o de mouvemens agréables , eft heureux =» de pouvoir fe garantir desimpreffions dou» loureufes ». Difcours'fur la morale d'Epi- ■ *ur& a la moderne Léontium , (Euvres de Saint-Evremont, tome V, édit. de iju. L'arni tendre, ou fi 1'on veut 1'amant fi- j dele & fouvent .mal mené de la belle Hor- j tenfe, traite beaucoup mieux Epicure que la courtifanne Léontium; mais dans les ! circonftances ou Alciphron lui fait écrire cette lettre, elle étoit irritée , Sc une femme en colere peut tout dire. (4) Léontium ou 1'auteur de la lettre I écrite fous Ion nom, fuit ici 1'opinion qui ij porte la durée de la vie d'Epicure jufqu'a ] quatre-vingt-douze ans; quoique Diogène- j Laerce & fes commentateurs les plus éru-' 1 dits ne lui accordent que foixante-douze ] ans de vie , dont il en paffa plus de dix j dans les infirmités d'une vieilleffe que 1'on 1 peut dire prématurée, & que peut-étre il I avoit accélérée par 1'excès Sc la continuitc  L M T T R X II. ii f 5es plaifirs auxquels il s'étoit livré. Quant 1 a fon exterieur-, il n'avoit rien qui ne con\ vlnt a un vieillard infirme, & fur-tout a un I philofophe. Aucun d'eux njétoit recherché . dans fa parure. Le poëte comique Ariftoa phane , cité par Athenée (livre 4) , repré-< r fente un vieux pythagoricien buvant de rj'eau, ne mangeant que des légumes, rongé | -de vermine & couvert de 1'habit le plus. I lale : la malpropreté des jeunes étoit encore I plus infupportable. Dans la troifiéme des ■ Epitres Socratiques , Ariftippe parlant de* I cyniques de fon tems, qui fans celfe bla- I moient fon goüt pour le luxe , leur dit 1 | « Vous étes étonnés de ma maniere de vi- ■ a> vre; mais n'auriez-vous pas plus de raifon II de vous moquer de ces hommes qui tirenfi lê> vanité de 1'épaiffeur de leur barbe, d'un je» baton noueux, & d'un manteau en gueka nilles , fous lequel ils cachent la faleté la I» plus outrée, & toute la vermine qui peut |a> s'y loger? Que direz-vous encore de leurs d'une féücité digne des dieux Jamais Socrate n'a rien écrit d'aufli paffionné a fon Alcibiade. ( 8 ) Timarque étoit fans doute du canton de la Grèce qu'arrofoit le Céphife, dont Jes inondations fréquentes rendoient le fol très-fertile. «; Les arbres , les grains', les pa- v •> turages y viennent également bien , dit Paufanias, liv. 10 , chap. 33 , » auffi n'y an t-il aucunes terres mieux cultivées: c'eft par ce vers: Et des bords du Céphife, habitans fortunés ; t> avoit prétendu défigner le peuple qui ■» habitg  Lettre II. ut »» habite les bords dece fleuve». C'eftd'après cette idéé que Timarque eft qualifié de Céphifien. La bonté dupays, 1'abondance qui y régnoit, devoit contribaer a la douceur du caracïere & a 1'aménité que Léontium. vante dans Timarque. Ce peut être le même auquel Métrodore adrefle le propos qui luit„ tk qui eft rapporté par Plutarque dans le Traité contre 1'épicurien Colotès (ff. ip-.} « Nous ne ferons rien que de bon' & de » beau , li nous détachant de toute aftecbo tion terreftre & des embarras communs » de la vie , nous nous élevons aux concep33 tions fublimes Sc vraiment divines d'Epi»3 cure is. ($ ) II demeuroit dans mon voifinage , -& je crots qu'il ent les pre'mices de mes faveurs. Léontium , quoique prêtterTe de Vénus , ne fe fouvenoit pas du moment auquel elle avoit été initiée a fes myfteres, ni avec qui elle lui avoit facrifié pour ia première fois. •Quartilla , prêtrefie de Priape, qui joue un róle fi remarquable dans la fatyre de Pétrone, ne rougit pas de dire : « Je veux que les dieux me puniffent fi je 33 me fouviens d'avoir été vierge , car je Ti-me I. F  in Les Courtisannes, s> n'étois encore qu'un enfant, que je m'a-r m bandonnois a ceux de mon age». Cet aveu fuppofe dans la cour de Néron une diffolution de mceurs inconnue aux Athéniens, quoiqu'ils fuflent dans l'habitude de fe livrer a tous les exces de la volupté. ( i o ) La grofliéreté des Cappadociens Sc la dureté de leur caraélere étoient généralement connues. Cétoit le terme extréme de comparailon des Grecs avec les Barbares. Quand les maïtres de ce tems parloient des jeunes Cappadociens qu'on leur donnoit a élever, c'étoit comme d'une entreprife trèsdifficile, comme d'un Négre a blanchir. Voye\ les lettres de Libanïus a Bafile de Ce'fare'e. LaCappadoce , grande province de 1'Afie mineure, a.voit autrefois titre de royaume, dont le dernier roi fut Archélaüs. Strabon étoit cappaiocien ; il dit de fes compatriotes qu'ils ne pouvoient fe gouverner euxmémes, Sc que les Romains leur ayant permis de vivre fuivant leurs loix, ils les prierent de ne pas leur laiffer cette liberté qui leur étoit infupportable. Sans doute que cette grofliéreté dont on les taxe ici, les rendoit  L E T T R S II. lij sncapables d'aucune police entr'cux, & qu'il leur falloit nécelfairement un maitre qui les tint en regie. Aujourd'hui cette région , foü* mife a 1'empire des Turcs, eft divifée en quatre berglierbeglics ou gouvernemens, qui font ceux de Sivas, Trebizonde , Marafch & Cogni. ( 11) Soit douceur de caraétere dans Epicure , foit a raifon de 1'aifance qu'il établiffoit dans le commerce de la vie, jamais aucun philofophe, & peut-être aucun homme n'eut autant d'amis que lui, & auffi fidélement attachés. 11 y en avoit de quoi peupler des villes entieres. Toute la Grèce, une partie de TAlie, fur-tout la ville de Lamplaque ; une multitude d'Egyptiens étoient attac-hés autant a fa perfonne qua fon école. Plutarque , qui n'étoit pas le partifan de fa doclrine, qui fouvent s'eft élevé contre le relachement de fes mceurs, admiroit, ainfi que Diogène-Laerce, la multitude d'amis qui lui étoient lidélement attachés. II met a la téte Néoclts, Cheiédème & Ariftoclès, les trois freres d'Epicure, qui eurent conftamment pour lui une tendrefle accompagnée des plus grands égards. 'Néoclès fembloit difputer le premier rang a F ij  ii4 Les Courtisannes, ce fujet: il étoit perfuadé que fon frere étoit le plus fage des hommes, & regardoit comme une merveille que le (ein de fa mere eiit pu contenir une fi grande quantité d'atómes parfaits, de 1'union defquels avoit été formé ce fage. Métrodore de Lampfaque, Timocrate, Poliénus , Hermaque ne 1'abandonnerent jamais , & lui donnerent les preuves de 1'attachement le plus fidele. On pourroit citer encore Hérode, Ménecée, Pythoclès, auxquels font adreflees les lettres confervéespar Diogène-Laerce. Outre Léontium, Thémifto de Lampfaque & Philénis de Leucade furent attachées a fon école; la derniere écrivit fur la phyfique. Athenée dit (liv. 8) que le fophitte Polycrate publia fous fon nom un livre infame, afin de la décrier. Le poëte Efcrion de Samos fit fon épitaphe oü elle fe plaint de cette imputation odieufe, &c prend a témoin les dieux de la pureté de'fes mceurs; ce qui na pas empêché quelques commentateurs , tels que Scaliger & le grammairien Conftantin, de qualifier Philenis de première Tribalde , de femme qui avoit donné dans les excès de la débauche. De tout ce que nous venons de rappor-  LettrsII* ti$ ter , il réfulte que 1'école d'Epicure fut aufli brillante que nombreufe. Il mourut dans fes jardins, au milieu de fes amis, dans les douleurs d'une colique néphrétique , comme il entroit dans un bain chaud qu'il alloit prendre, efpérant y trouver quelque foulagemenr. , Ses dernieres paroles furent une exhortation a fes amis de reder attachés a fes maximes. Son teltament refpire 1'humanité & la bienfaifance; il ne s'occupe que du bien-être de fes ' i amis. Ses biens , qui n'étoient pas confidé-. j tables, font deftinés a 1'honnête entretien de ceux qui avoient vieilli avec lui dans le . jardin avec fatisfaétion & contentement. II s'intéreffe fur-tout aux ènfans de Métrodore, auxquels il fubftitue une partie de ces biens lorfqu'ils feront en age d'en jouir. On prétend que ce Métrodore avoit époufé la célébre Léontium , & que ce pouvoit bien être ! la caufe qui rendoit fes enfans fi chers a Epicure. 11 conclut ce teftament par accorder la liberté a quatre de fes efclaves. (12) Cette comparaifon eft tirée de 1'hifi toire fabuleüfe de la Grèce. Si Epicure joue 1 le perfonnage d'Atrée, fans doute que Timarque avoit fait le róle de Thyefte relaF iij  r*s Les Coürtisannes, tivement a Léontium, qui remplace Erope, femme d'Atrée, rei de Mycène. II falloit que cette intrigue eut été affez bien conduite , pour que 1 on regardat comme une merveille qu'Atrée eét pu la découvrir. De-Ia le proverbe connu parmi les Grecs: II a les yeux d'Atrée, a'tps'«; ^aTtl. C'eft ainfi que 1'on défignoit ceux qui voient tout, auxquels rien n'échappe. Erafme, dans fes adages (chiliad. 2, cent. 7) cite ce proverbe, & ne lapplique qu'aux regards féroces & cruels, tels qu'étoient ceux d'Atrée dansles tragédies de fon nom. LETTRE III. Glycere (i) a Bacchis. enandre (2) a voulu nous quitter pour aller voir les jeux ifthmiques (3) a Corinthe. Ce n'étoit pas trop mon avis. Tu fais, ma chere, combien il en dok coiiter pour fe féparer d'un amant de ce mérite, quelque courte que puiffe ctre fon abfence. 11 n'étoit pas trop poffible de i'ea  Lettre Ut **? détourner, lui qui voyage fi rarement. Je ne fais a quel titre te le recommandêr ou te le confier, pendant le féjour qu'il fera avec toi. Je ne puis cependant m'en difpenfer, car il me dit qu'il prétend être de tes amis , & je fens que cette idéé me donne quelque jaloufie. Tu 1'excuferas, tu connois les fentimens qui m'attachent a Mé* nandre; quoique tes mceurs, ma très-chere, 8c ta conduite fi honnête pour letat dans lequel neus vivons, duffent me ralTurer (4); il hen eft pas de même de Ménandre; il eft du tempérament le plus amoureux, & 1'homme le plus auftere ne fe défendroit qu'avec peine des charmes de Bacchis. Je fuis même perftudée que le delir de faire connoiffance avec toi, le preffe plus que la curiofité des jeux de 1'ifthme. Ne me taxe pas de former des foupcons injuftes, & pardonne-moi, ma chere , les inquiétudes de 1'amour. Jeregarde comme la chofe la plus importante a mon bonheur de me conferver Ménandre pour amant. F iv  128 Les Couetisannes, Car fi je venois a roe brouiller avec lui, U fa tendrefie venoit feulement a fe refroidir, ne ferois-je pas fans celle dans Ia crainte d'être traduite fur la fcène, en butte aux propos infultans des Chremès & des Diphiles (5 ), Mais li Ménandre revienr pour moi tel qu'il partit, que ne te devrai-je pas de reconnoifiance & de remercïmens finceres ? N O T E S. (i) Athenée (liv. 13) rapporte que* 1'orateur Hyppéride, dans la harangue qu'il prononca contre Mantithée, formoit un des chefs de fes accufations, de ce qu'il entretenoit fecrettement & comme rnalgré elle, la courtifanne Glycere , fille de Talaffis; c'eft celle qui vécut depuis dans le palais d'Harpalus de Pergame , 1'un des principaux officiers .1'A.lexandre , qui fit des dépenfes énormes pour la table & les femmes. J'at déja parlé de eet Harpalus dans le difcours préliminaire au fujet de fon amour pour la courtifanne Pithionice. Après la mort de  Lettre III. 129 : celle-ci , il fit venir Glycere d'Athènes, la logea dans le palais royal de Taife, & il ordonna a tous fes fujets de la regarder comme reine , de lui rendre les refpeéts dus a ce titre, & de ne lui point décerner Il de couronnes, que 1'on n'en fit autant pour t Glycere. Cette paflion fans bornes enhardit Glycere au point qu'elle fit placer fa Itatue II de bronze a cóté de celle d'Harpalus; preuve convaincante du crédit étonnant que ces fortes de femmes avoient fur leurs amans, quel que fut leur rang dans le monde. Elles I vivoient quelque tems dans 1'état le plus i brillant, qu'elles abandonnoient fans regrets ji apparens , pour venir achever a Athènes leur carrière dans leur premier état de courli tifannes publiques. 11 y avoit cependant une I forte de diftinétion entr'elles , & on peut ;i mettre Glycere au nombre de celles qui i eurent le plus de réputation. A era juger par 1 la cinquiéme lettre qui fuit dans 1'ordre 1 que je leur ai donné, elle étoit véritableI ment attachée a. Ménandre, quoique le poëte jl fut de tems en tems de mauvaife humeur ; 51 mais dans ces circonftances, elle ne réponSi doit ï fes brufqueries que par des propos vifs I & gais, On lit dans Athenée (livre 13) que F v  130 LES COÜKTISANNES, Ménandre revenant du théatre fort échauffé & chagrin de ce qu'une de fes pieces n'avoit pas réuffi, Glycere lui préfenta du lait & le prelfa d'en boire; ce qu'il refufa , fous prétexte qu'il fentoit le vieux , & étoit couvert d'une crème rebutante, lui reprochant ainfi fon age, &c le fard dont elle couvroit fes rides. Laiffez, dit en riant la courtifanne , ce qui eft au-deffus, & prenez ce qui eft plus bas. Cette anecdote porte a croire que Glycere vécut avec Ménandre après fon retour de Tarfe. Ce poëte étoit jaloux , & quoique très-attaché a fa maitreffe , il ne trouvoit pas bon que d'autres raimalfent. Philérnon> fon rival au théatre & en amour, très-épris des charmes de Glycere , vantoit dans une de fes pieces 1'excellence du caraétere de Glycere ; a quoi Ménandre répondit durement, qiül n'y avoit pas une courtifanne qui fut honnête. (2) Un patfage d'Apollodore , célébre grammairien d'Athènes, qui vivoit environ cent cinquante ans avant notre ere, & qui a été confervé par Aulugelle (liv. ij,ch. 4) nous apprend que Ménandre, le pcéte corKique, rils de Diopéthe,de la race des Céphi-  Lettre III. 13 r fiens, avoit compofé cent cinq comédies, 8c même felon quelques auteurs, cent huit óu neuf.Huit feulement de ces pieces furent couronnées; mais elles firent une telle réputation a leur auteur , qu'il fut furnommé le prince de la nouvelle comédie. Ménandre mouiut égé de cinquante-deux ans, pres de trois fiecles avant 1'ère chrétienne ; il ne nous refte que quelques fragmens de ces comédies , dont la plus grande partie a été coufervée par Athenée, Stobée 8c d'autres compilateurs. Plutarque , dans la comparaifon d'Ariftophane 8e de Ménandre, regarde celui-ci comme le plus excellent poéte comique qui eüt 'paru en Grèce, 8c qui auroit porté fon art a. la "plus haute perfeétion, s'il ne fut pas mort a l age oü le ftyle, comme le prétend Ariftote , prend toute la force tk les graces dont il eft fufceptible, parmi ceux qui s'exercent a écrire des ouvrages deftinés aux p'aifirs & a l'inftruélion du public. Ce qui doit donner une grande idéé du mérite poëtique de Ménandre, c'eft que Térence en 1'imitant, a compofé d'excellentes comédies. Philérnon , poëte contemporain de Ménandre , 8; fon inférieur, a en juger par le fentiment unaniine des critiqoes F v)  132 Les Courtisannes, grecs, 1'emporta fouvent fur lui, ce qui étonnoit Ménandre, tk le fachoit a un point, qu un jour il demanda publiquement a fon rival s'il n'avoit pas honte de fes triomphes. M. 1'abbé du Bos (Réflexïons fur la Poëfie & la Peinture , tome 2 , page 437 ) remarque a ce fujet qu'il ne faut pas conclure de cette préférence que les comédies de Ménandre aient étéjugées mauvaifes, mais bien que les autres plurent davantage ; tk que li nous avions les pieces qui 1'emporterent fur les Hennes, peut-être feroit-il poflible de démêler ce qui éblouilfoit le fpeéiateur, & même prouver qu'il avoit bien jugé, 11 n'étoit pas facile alors de difcuter les pieces dans la tranquillité du cabinet comme on le fait a préfent. Le charme de la repréfentation décidoit de leur mérite; tk dés que Ie peuple avoit prononcé, la critique n'avoit plus rien a dire. Combien ne voit-on pas de pieces très-médiocres applaudies a 1'excès aux premières repréfentations , tk tomber enfuite pour jamais ne fe relever. II eft vrai que les Athéniens jugeoient par gout, tk ne fe laifloient pas entraiuer aux bruits concertés de la cabale.  L X T T R £ III. J3J (3) Les jeux ifthmiques fe célébroient tous les troii ans dans 1'ifthme de Corinthe, prés du temple de Neptune. Le concours y étoit fi grand qu'il n'y avoit que les principaux citoyens des premières villes de la Grèce qui puffent y avoir des places marquées. Ils étoient 1'un des quatre grands jeux qui fe faifoient dans la Grèce, les olympiques, les pythiques, les néméens & les ifthmiques. Les courfes des chars & a pied , la lutte, le jet du difque, le faut, étoient les exercices ordinaires de ces jeux. Les Jeux ifthmiques furent inftitués parSifiphe, roi de Corinthe, 13$0 ans avantl'ère chrétienne ; Paufanias dit qu'ils furent établis en l'honneur de Mélicerte, fils d'Athamas x roi des Orchoméniens. & d'Ino , & qu'ils ehangerent fon nom en celui de Palémon. Ces jeux ne furent pas interrompb , même après que la ville de Corinthe eut .été détruite , 1'an de Rome 60 7, par le conful Mummius; les Sycioniens eurent ordre de les célébrer malgré le deuil & la défolation publique. Mais après te rétabliffement de Corinthe, les nouveaux habitans en prirent foin. La couronne du vainqueur étoit de feuilles de pin.. Voyez Paufanias ? liv, rt  ij4 Les Courtisa nnes, chap. 44,- liv. 2, chap. 2; <£• Hv. 8, ch. 48. Outre la couronne de pin, on afligna dans Ia fuke au vainqueur une récompenfe de cent drachmes en argent, qui valoient environ foixante livres de notre monnoie. C'efl: dans ces aflemblées folemnelles que les anciens poëtes lifoient publiquement ou faifoient repréfenter leurs pieces de théatre. Les Grecs ont donné une grande célébrité a ces ibrtes de jeux ou d'aiïemblées; ils n'ont eu befoin que d'en relever Fimportance pour entrainer tout 1'univers dans*, leur fentiment. Ils étoient le peuple le plus renommé par les beaux arts qu'ils avoient portés a la perfeéïion. Les nations policées qui afpiroient a la même gloire , n'imaginoient rien de mieux que de les imiter. Pindare chanta les vainqueurs de ces jeux; fes odes fi fublimes que 1'on défefpere d'y atteindre, font confacrées a. les immortalifer : cependant il n'étoit queftion que d'une couronne remportée pour avoir bien couru, bien fauré, ou jetté le palet avec force & adrelfe. On pourroit prendre une idéé de ces jeux fi vantés dans les foires ou fêtes* des difFérentes villes d'Italie, qui y attirenc le plus grand concours de gens aifés, d&  Lettre III. 135 noblefle oifive, & de marchands de 1'Europe & du Levant. II y en a pour toutes les faifons de 1'année. Les opéras, les comédies boufonnes, les baladins de toute efpece, les courfes de chevaux & d'anes,, les jeux de cartes & de dez y remplacent les anciens exercices de la Grèce. Les acT.es de dévotion fe trouvent mêiés a ces différens fpeétacles 5 lorfque le concours des marchands, des hiftrions 8c des curieux fe trouvent réunis a une folemnité religieufe,. ainfi qu'il arrivé a Padoue au mois de juin , Ies poëtes n'y manquent pas.. On voit tous les jours des odes, des chanfons, des fonnets imprimés 8c affichés au coin des rues,. aux porres des églifes, a 1'honneur de tous ceux qui fe diftinguentdans leur genre. L'éloquence de 1'orateur facré , la voix brillante du caftrat, le cheval qui a remporté le prix de la courfe , le feigneur qui s'eft montré avec le plus brillant équipage, y font loués indirféremment. Mais aucune de ces produélions poétiques n'eft connue au-deia du «arrefour oü elle eft aflichée. (4 ) Les mceurs & le caraftere de la bonne & honnête Bacchis feront comius par  ij5 Les Courtisannes, les lettres VI, VII & VIIle, & fur -tout par la Xe de ce recueil. L'honnéteté de fa conduite étoit le fcandale de la plupart des courtifannes de fon tems, qui n'échappoient aucune occafion de la tourner en ridicule avec cette licence de propos qu'elles fe permettoient, & qui les faifoit connoitre pour ce qu'elles étoient. (j) Chrémès étoit le nom d'un des perfonnagesde théatre de Ménandre, que Térence a adopté dans la comédie du Facheux : il lui fait jouer le róle d'un vieillard fenfé , mais qui fouffre avec peine le goüt des jeunes gens de fon fiecle pour les courtifannes ; quoique dans cette piece il y en ait une nommée Bacchis, qui ne dit & ne fait rien que d'honnête. Diphile pouvóit être un autre perfonnage des pieces de Ménandre ; a moins que 1'on n'aime mieux penfer que Glycere veut parler ici de Tanden poëte comique de ce nom, dont 1'ufage étoit de fe venger de ceux qui 1'avoient oftenfé, en les tournant en ridicule dans fes pieces de théatre, ou en les chargeant d'inveftives. Les auteurs grecs fe permettoient, dans ces circonftances, les plus gtandes li-  Lettre III. i?7 cences: s'ils ne nommoient pas expreflement les perfonnes, ils les défignoient de facon ane pouvoir être méconnues; & fouvent les imputations dont ils les chargeoient avoient les fuites les plus funeftes. Les courtifannes les recherchoient pour amans , plutot pour fe mettre a 1'abri de leurs farcafmes, que par goüt pour leurs perfonnes ou pour leur efprit. Nous verrons dans' la fuite que les poëtes grecs, ainfi que les gens de lettres , n étoient pas aflez opulens pour entretenir les courtifannes dans Je luxe qu'elles exigeoient. Un riche négociant, un jeune diffipateur né opulent, & qui confentoit a diffiper fa fortune avec elles, étoient fürs de la prétërence.  ijS. Les Courtisannes, LETTRE IV. Ménandre a Glycere. J'E N attefte les déefles d'Eleufis & leurs myfteres facrés, que j'ai fi fouvent pris a témoin de la fincérité de mes fermens (i), lorfque dans le tête-a-tête je t'aflurois ] ma chere Glycere , de ma tendrelTe. Je ne prétens pas tirer vanité de ce que je vais t'apprendre, & je ne t'écris pas pour tannoncer mon départ. Loin de toi, queiles douceurs trouverois-je dans la vie ! Y a-t-il au monde quelque chofe qui puiffe me flarter davantage, &c me rendre plus heureüx que ton amitié ! Ton caractere charmant, la gaieté de ton elprit conduiront jufqu'a notre vieillefle extréme les agrémens de la jeuneflè. Paffons donc enfemble ce qui nous refte de beaux jours ; vieilliflbns enfemble, mourons enfemble (i); n'emportons pas  Lettre IV. 13? jtvec nous le regret d'imaginer que le dernier furvivant pourroit encore jouir de quelque féiicité. Que les dieux me préfervent d'efpérer aucun bonheur de cette efpece. Après toi , me refteroit-il encore quelque bien dans ce monde ! Je fuis , comme tu le fais, au Pirée (3 ), toujours d'une foible fanté. Tu en connois les caufes réelles , que quelques envieux traitent de délicatelfe recherchée & de mollede. Les haloennes (4) de la déefle t'obligent de refter a la ville •, Sc voici pourquoi je me fais déterminé a técrire. J'ai recu des lettres de Ptolemée , roi d'Egypte , par lefquelles il m'invite, me prie, m'exhorte de me rendre a fa cour, me promettant, en prince généreux, de me combler des faveurs de la fortune ( 5): il demande auffi Philémon, qui me fait part des lettres q i'il en a recues ( 6), Sc je vois que ce pr nee proportionne fes inftances a la réputation que nous nous femmes faite: il s'en faut beaucoup qu'il  140 Les Courtisannes, preflè Philémon autant que moi. II fera ce qu'il croira lui convenir, & fa réfolution n'influera en rien fur la mienne. C'eft ma Glycere qui me décidera par fes avis: elle fera mon aréopage, mon tribunal fouverain (7), mon unique arbitre. J'en jure par Minerve, je n'ai d'autre volonré que la tienne. Je t'envoie la lettre même du roi, afin de t epargner la peine de lire une feconde fois ce que je pourrois t'en dire, & qu'il ne me refte qua t'apprendre ce que j'ai réfolu en conféquence. Les douze grands dieux m'en font témoins ( 8 ) ; je n'ai pas même 1'idée de m'embarquer pour 1'Egypte , & d'allerme tranfplanter dans un pays auffi éloigné de 1'Attique. Quand même il en feroit auffi voifin que 1'ifle d'Egine (9), je n'en aurois pas plus d'envie, s'il falloit abandonner ma Glycere, mon feul & unique empire. Retrouverois-je dans la foule des Egyptiens les témoignages enchanteurs de la  Lettre IV. 141 1 tendreffe 2 Sans elle, la cour même du roi me feroit une folitude trifte & infupporj table. Je jouis plus délicieufement de tes cai refles, & avec moins de dangers que je i ne le ferois des attentions des fatrapes & ; des graces de la cour. II eft dangereux de ■ rifquer fa liberté , méprifable de devenir !: flatteur, & les faveurs de la fbrtune font j prefque toujours perfides. Pourrois-je comparer Ia magnificence des buffèts des rois, les coupes dor tk de |' pierres précieufes ( 10) , & toutes ces marI ques extérieures de 1'opulence , qui font | 1'objet des defirs des courtifans, avec la | folemnité & 1'agrément de nos fêtes (11) fl publiques, avec les exercices du lyce'e &C les entretiens de 1'académie. Je préférerois toute cette vaine pompe au lierre de Bacchus! Non , j'en jure par ce dieu puiftant; | il m'eft bien plus doux & plus glorieux 1 de recevoir fes couronnes fur le théatre, fous les yeux de ma Glycere qui partage  14* LesCourtisannes, mes triomphes, que d'être décoré du dia-» dême de Prolémée. Retrouverois-je dans 1'Egypte ces affemblées oü chacun donne fes fuftrages a fon gré > eet état populaire, oü la liberté eft 1'appanage de toute la nation ? ces légiflateurs couronnés de myrte & de lierre, rempliffant leurs fonctions dans les differens cantons de la république (12); Y verrois-je ces aftemblées nombreufes qui n'ont pour toute défenfe qu'un cordeau tendu; leleétion des magiftrats (13); les fêtes nationales, le céramique (14), les places publiques; les tribunaux de la juftice 5 Salamine, Pfytalie , Marathon (15), enfin toute la Grèce raftemblée dans Athènes ; toute 1'Ionie , les Ciclades ? Je me priverois de la beauté de ce fpeciacle; je m'éloignerois de ma Glycere; je partirois pour 1'Egypte-, j'irois y chercher de 1'or, de 1'argent, toutes les inquiétudes de 1'opulence! A quoi me ferviroient ces richefles, fi j'étois féparé de ma Glycere par 1'im-  L £ T T R E IV. 14 } menfe étendue des mers > Sans elle, tout cela ne feroit a mes yeux qu'une indigence faftueufe. Er li je venois a apprendre que mes .chers & refpeclables amours font devenus le partage d'un autre, tous mes tréfors me paroitroient plus viisque la cendre: jenmourrois de regret, n'emportant avec moi que mes chagrins, laiflant k 1'avidité de mes jaloux ces richelTcs qui me rendroient odieux. Eft-il donc fi defirable de vivre a la cour d'un roi, au milieu de fes fatrapes, & de tous ces courtifans qui n'ont rien de plus important que les vains titres de leurs emplois; fur Tamme defquels il feroit fou de compter, & dont 1'inimitié eft toujours dangereufe ? Si par hafard ma Glycere paroït fachée contre moi, je la prends, je Tembrafie: fi fa fantaifie devient plusforte, mes inftances redoublent. Si je la vois irritée, mes larmes la fléchiffent; elle s'en inquiette; elle me prie, me conjure d'oublier ce qui vient de fe pafte;.  ■144 Les Courtisannes1, Je n'ai ni gardes , ni miniftres qui lui en impofent: Ménandre eft tout pour elle. Eft-il donc fi curieux de voir le Nil ï Mais ne faudra-t-il pas auffi courir fur les bords de 1'Euphrate, fuivre le cours immenfe du Danube, voyager fur le Thermodon, le Tygre (16), 1'Halis, le Rhini En voyageant ainfi de fleuve en fleuve, je paflerois ma vie fans voir ma Glycere. Le Nil même, fi vanté, n'eft-il pas infefté d'une multitude de monftres qui, toujours cachés fur fes bords, arrêtent la plus ardente curiofité par la crainte den être dévoré. O puiffant Ptolémée, je n'ai d'autre ambition que d'être couronne des lierres attiques, de vivre dans ma patrie, d'y être enterré dans letombeau de mes ancêtres; doffrirun facrifice annuel a Bacchus fur fes autels •, de célébrer nos grands myfteres-, de préfenter au théatre chaque année une piece nouvelle, lorfque nos jeux folemnels reviennent, & d'arriver au triomphe par les viciffitudes  Lettre IV. 14$ viciflïtudes de joie, de fatisfaction, de crainte, de danger même qui conduifent enfin a. la viétoire (17). Que Philémon aille jouir du bonheur qui m'attendoit en Egypte, qu'il y recueille les couronnes, les richefles qui m'étoient deftinées : Philémon n'a point de Glycere. Etoit-il digne d'un bien fi précieux) O ma chere Glycere, auffi-tot après ia fête, monte ta mule •■, ne perds pas un moment a venir me rejohidre. Jamais abfence ne m'a paru durer auffi long-tems, & n'eft venue auffi mal-a-propos. Cérès, fois propice a mes defirs! N O T E S. (1) Riek n'étoit plus refpeétable dans Tantiquité payenne, que les fêtes de Cérès. & Proferpine a Eleuiis, que 1'on appelloit les myftef^s par excellence. Lorfqu'on les prenoit a témoin de la vérité qu'on affirmoit , c'eut été le plus horrible parjure Tome I. G  t$6 Les Courtihnnes, que d'en impofer fous un nom aufli facré. L'inftitution des mylteres de Cérès a Eleufis, remonte a la plus haute antiquité : ils font de beaucoup antérieurs au fiége de Troye. Les uns Tattribuent a Orphée, d'autres a Erechtée, qui devoit regner a Athènes au moins 1500 ar.s avant notre ère. On appuie ce fentiment fur ce qu'Hercule s'étant préfenté pour être initié aux grands myfteres d'Eleufis, il ne put y être admis, paree qu'il étoit né a. Thèbes, & non a Athènes. Mais comme on devoit des ménasemens a ce héros célèbre par fes merveilleufes entreprifes, on inftitua en fa faveur les petits mylteres, qui fans doute le rendirent capable d'être admis aux grands. Paufanias n'en a rien dit, il avoit fans doute été initié aux mylteres , & dès-lors il étoit obligé au fecret le plus inviolable. II nous apprend que ceux qui ne font pas initiés, ne doivent pas en. prendre connoiffance , & même n'ont pas la liberté de s'en informer curieufement (liv. i , chap. 38. ) M. 1'abbé Gedouin , dans une note fur eet endroit de Paufanias , fe contente de dire qu en général les plus grands hommes , foit grecs, foit romains -(après que ceux-ci eu-  L s r r s s I-V%~. 147 rent réduits la Grèce en province foumife a leur empire ) avoient l'ambition d'être initiés a ces ïnyfteres , qu'il ne s'y pafloit rien contre les bonnes mceurs, & que ceux qui s'enroloient dans cette efpece de confrairie, contraétoient 1'obligation de vivre d'une maniere plus pure & plus vertueufe q : les autres: c'efl: bien aflez, dit le fava; t traducteur, qu'ils euifent le malheur d'être idolatres , fans qu'on leur impute d'autres crimes. Nous verrons dans la fuite de cette note , quelles étoient ces impntations. Le dofte Meurfius, dans fon Traité fur les mylteres d'Eleufis, a ralTemblé tout ce que 1'on peut recueillir fur eet objet dans les auteurs anciens : je le fuivrai, en commencant par 1'éloge que Cicéron en a fait. Parmi les chofes excellentes & comme divines dont on devoit 1'établifiement aux Athéniens, il regarde les mylteres comme ce qu'il y avoit de plus parfait. Ils avoient plus contribué qu'aucune autre inftitution, a tirer les hommes de la vie agrelle & fauvage, pour les rendre humains, doux & fociables. C'eft par eux , dit-il, que nous avons pris une idéé des commencemens," Gij  148 Les Courtisannes, c'eft-a-dire, des vrais principes de Ia vie fbciale Sc cultivée; non-feulement ils nous ont inllruits de la maniere de vivre honnêtement, ils nous donnent encore l'efpérance d'une heureufe mort : Neque fólum cum leetitia vivendi rationem accepimus , fed etiam cum fpe meliore moriendi. Cis. de Legibus, lib. z, n. 36. On voit que 1'on donnoit a ces mylteres le nom de commencemens, inïtia, ou principes. Le mot thefmophories, fous lequel ces fêtes font défignées , avoit la même fignification. II rappelloit Finltitution des premières loix données aux Athéniens, & le commencement de la vie fociale; paree que Cérès leur ayant appris la maniere de cultiver les grains, & d'en tirer leur fubfiftance , il falloit divifer les terres entre les habitans, & étabiir les droits de la propriété de chacun , d'oü Cérès eut le nom de légiflatrice, ou thefmophore. (VoJJius de origin. idololatrice, lib. 1 , cap. ij.) II y avoit les grands & les petits myfteres ; ceux-ci fervoient de préparation aux autres, Sc fe célébroient au mois anthet terion qui répondoit a notre mois de novembre. Les purifkations des petits myf-  teres confiftoient \ fe laver dans le fleuve Ilifius, a faire certaines prieres en offrarit des facrifices, a vivre dans la continence pendant un tems marqué , fur-tout \ être inftruit des principes de la doftrine des grands mylteres. Ceux-ci fe faifoient au mois boedromion , qui répond au mois d'aout. Les Athéniens feuls pouvoient y être admis, & y avoient droit a tout age, & de quelque conditiën qu'ils fuifent. Lorfque 1'on avoit fubi les éprcuves des petits mylteres , on étoit admis \ être initié aux grands. La cérémonie fe faifoit de «üt , ce qui lui donnoit quelque chofe de plus formidable. L'imagination échauffée du récipiendaire lui faifoit voir des chofes raetveilleufes; il avoit des vifions, Ü entendoit des voix extraordinaires; des coups de lumiere inattendus diflipoient les ténèbres qui après eet éclat n'en étoient que plus profondes : lapparition des fpeftres , un bruit de tonnerre, des mouvemens du fol fur lequel étoit 1'initié, quonlui donnoit pour des tremblemens de teire , en augmentant la terreur, pénétroient de refpeft pour la cérémonie. C'étoit dans le moment que le hiérophante, revêtu d'habits f crés quil G iij  i5° Les Coüktisannes, ne portoit jamais que dans ces occafions, faifoit Ia leéture de certains livres merveilIeux que 1'initié écoutoit avec tremblement, & qu'il n'étoit pas trop en état de con- cevoir. Le hiérophante étoit accompagné de trois autres miniftres fubakernes, dont I'un porton un flambeau, 1'autre pronongoit de tems k autres certaines paroles myftérieufes, & le troifiéme fervoit a 1'autel. Ces myfteres devoient étre tenus fous le plus grand fecret, & comme ils ne fe faifoient que dansl'obfcurité de la nuit/on a prétendu qu'ils occafionnoient beaucoup de défordres, que la Ioi du filence rigoureufement impofée aux initiés couvroit d'un voile impénétrable. Nous parierons dans la feite de ces imputations, & on verra que lignorance feule de la doétrine eniei-née dans les mylteres, & quelques fymboles mal exP!iqués,y ont fait fuppofer des défordres qui peut-être n'ont jamais exifié que dans l'imagination de ceux qui en ont parlé. ^ On étoit perfuadé a Athènes que cette cérémonie étoit un engagement a mener une vie plus pure. & mieux réglée , qu'elle attiroit une proteécion fpéciale des déeffes  Lettre IV. %\\ qui y préfidoient, & même qu elle affuroit peur 1'autre vie un bonheur certam ; tandis aue Ceux qui n avoient pas ére jgj «és , outre les malheurs de cette vie quils avoient fans cefte a redouter, étoient condamnés a refter éterneilement dans la fange & 1'ordure s auffi les Athéniens ne manquoient pas de faire initier de bonne heure a ces myfteres leurs enfans de 1'un & 1'autre fexe, & regardoient comme un crime de les laiffer mourir fans leur avoir procuré eet avantage. . . ., 11 n'y a pas apparence que tous les mities enffent la même confiance aux myfteres: plufieurs même des plus éclairés d'cntre les Athéniens négügerent de s'y faire mitier : Socrate n'y fut jamais admis 5 négligence qui rendit fa religion fufpeéle. Diogène , qui avoit le droit de dire hautement ce qu'il penfoit > fans courir aucun rifque , ne pouvoit pas croire qu'Agéfilas & Epaminondas fuffent relégués dans la bcue & le fumier , tandis que les plus vils d'entre les Athéniens occuperoient des places diftinguées dans les ifles des bienheureux peur avoir été tnitiés aux myfteres d'Eleufis. Les grands myfteres, ceux du mois d'aoüt, G iv  ijl Les Courtisa nnes, duroient neuf jours confécutifs, employés a différentes cérémonies dont on trouve partout la defcription, paree qu'elles fe faifoient publiquemenr. Le fixiéme étoit Ie plus folemnel, & deftiné a une proceilion nombreufe qui précédoit 1'initiatioii générale, ou la repréfentation des grands myfteres. Elle partoit du céramique, traverfoit toute» les places de la ville, & fe continuoit juf. qua Eleufis, dans un efpace d'environ deux lieues. Elle étoit au moins de trente mille perfonnes , qui toutes pouvoient entrer dans le temple, affez vafte pour les contenir; les initiés feuls avoient droit de s'y trouver. Un étranger qui fe feroit gliflé dans la foule, auroit été condamné a mort tmpitoyablement, Titc-Live, liv. 31, ch. 14, en cite un exemple mémorable. « Les Athé» mens , dit-il, s'engagerent dans la guerre » contre Philippe , pour un fujet peu im=»portant, lorfquil ne leur reftoit de leur ancienne fplendeur que la fierté de fe la » rappeller. Durant les jours de 1'initiation, » deux jeunes Acarniens, qui n'étoient point ^ initiés , & qui n'avoient aucune idéé de ce » culte relïgieux , enirerent avec la foule » dans le temple de Cérès. Leurs difcours,  Lettre IV. rSi wies queftions qu'ils firent, découvrirent « leur ignorance & les trahirent. On les « préfenta au grand-prêtre du temple, & » quoiquü fut évident qu'ils y étoient en33 trés fans favoir ce qu'ils faifoient, ils fu33 rent condamnés a la mort comme cou33 pables d'un crime énorme Quelques indifcrétions d'Alcibiade au fujet de ces myfteres, furent une des principales caufes de fa difgrace. La loi du filence étant fi rigoureufe , comment a-t-on pu être inftruit autant qu'on 1'eft, de ce qui fe paflbit dans le fecret de 1'initiation? C'eft que la puiflance des Athéniens étoit anéantie, & quoiqu'alors les myfteres confervaflent encore aflez de crédit & de refpeél, pour que les plus célébres des Romains defiraffent d'y être initiés; ils furent moins difcrets que les Grecs. Ainfi 1'on prétend que la defcription que fait Virgile de la defcente d'Enée aux enfers, dans le fixiéme livre de 1'Enéide (a), n'eft autre chofe qu'une allégorie de 1'initiation aux (ar 1'abbé Dcsfomaines, page tij. G v  154 Les Couktisannes, mylteres d'Eleufis , ce qui donne a croire qu'il y avoit été admis. Quand il commence a en parler, il femble redouter la colere des dieux vengeurs dont il va révéler lesfecrets : « Dieu de Tempire des morts, dit-Ü, 33 fouffrez que je raconte ce que jai en3> tendu, & que je révele des fecrets enfe33 velis dans les ténébreux abymes de la 33 terre 3,. La fybille qui guide Enée dans fon voyage aux enfers, & qui lmftruit de ce qu'il doit faire, n'eft autre chofe que 1'hiérophante. Le rameau d'or dont il faut qu'il foit mimi avant que de commencer ce voyage étonnant, défigne 1'initiation aux petits mylteres. 11 entre dans une vafte caverne, les montagnes font émues, les foréts agirées, la terre mugit fous fes pieds; d'horribles hurlemens annoncent rarrivée de la déelfe des enfers : « Loin d'ici , profanes, s'écrie la 33 fybille, fortez tous de ce bois facré 3, > Procul, o proeul efte, profani. A 1'entrée du gduirre infernal, font couchés le chagrin & les remords vengeurs. Li réfident les pales maladies,- la trifte vieillefle, Ia peur , Ia faim, Ia honteufe indigence , figures affreules... La , font encore plufieurs autres monf-  Lettre IV. Itf tres, tels que les centaures, les deux fcylles, 1'hydre de Lerne, dont les fifflemens font terribles, la chimère armée de Hammes, les gorgones, les harpies , &c On peut fuivre dans Virgile la defcripüon de tout ce qui fe préfenta a Enée dans fa courfe aux enfers , la comparer a ce que dit Claudien .au commencement de fon poëme de 1'enlevement de Proferpine , fur les myfteres d'Eleufis, & on verra que la defcente d'Enée aux enfers, n'eft que 1'allégorie de I'inkiation a ces myfteres. A mefure que 1'on s'éloigne des tems ou les Grecs étoient puiflans & refoeclés, on craint moins dof arler des myfteres d'Eleufis. Dion-Chryfoftöme, philofophe & orateur grec, qui vivoit du premier au fecor.d fiecle de notre ère , dit (orat. i 2 ) : CC_L°^» qu un grec ou un barbare dok être initié , M on le conduit dans un certain dómc d'une M grandeur & d'une magnificence admi» rable , ou il vok divers fpeétacles myf^ tiques, & entend de même une multitude =o de voix ; oü les ténébres & la lumiere » affectent les fens alternativement ; ou & mille chofes extraordinaire fe préfsnteni a les yeux ».  156 Les Courtisa nnes, Thémiftius, autre philofophe grec , dont nous avons plufieurs harangues eftimées, qui fut en crédit a la cour de l'empereur Julien, dit que 1 initié entrant dans le dóme myftique , eft rempli d'étonnement & d'horreur; 1'inquiétude & la crainte s'emparent de fon ame, il ne peut avancer d'un feul pas, & ne fait comment entrer dans Ie droit chemin qui conduit au lieu ou il doit arriver, jufqu'a ce que le prophete (1'hiérophante, ou quelqu'autre miniftre ) ouvre le veftibule du temple. Le même Thémiftius s'exprime en termes plus précis dans un fragment que Stobée nous a confervé dans f*||ii7e difcours, intitulé, Louange de la Mort: cc Nous dioj fons que 1'ame périt lorfqu'eüe change de 33 maniere d'être, & qu'elle rentre dans »1'ordre univerfel des chofes. Unie au corps, » elle ne prévoit rien de ce qui doit être 33 au moment de fa mort ( ou de fa iepa»3 ration d'avec le corps.), Elle éprouve 33 dans la mort les mêmes paflions qu'elle a 33 reifenties dans 1'initiation a certains grands 33 myfteres : aufli les mots répondent aux 33 mots, & les chofes auX chofes, car » Tïhwrcv hgnifie mourir, & Tê?,s7e-fla; étie  Lettre IV. 157 s> initié. D'abord des erreurs , des incerti» tudes , des courfes fatigantes, des maros ches pénibles & inutiles remplilfent 1'ef33 pace de la vic : a la fin de la cairiere, 33 tout devient plus terrible : ce n'eft qu'hor33 reur, tremblement, fueur froide, frayeur 33 infurmontable : ( voila les préludes de 331'initiation.) Mais après 1'inftant de la as mort, ces objets effrayans difparoiflent; 33 une lumiere merveilleufe frappe les yeux 33 des défunts; ils font recus dans des bois 33 charmans; des plaines émaillées de fleurs 33 s'ouvrent de tous cótés devant eux, des 33 hymnes & des chceurs de mufique en33 chantent leurs oreilles ; ils entendent les 33 récits admirables de la fcience facrée. 33 L'homme initié, devenu parfait, maitre 33 de foi-méme & libre , couronné & triom33 phant, célèbre les myfteres a fon gré ; il 33 fe promene dans la région des bienheu33 reux ; il converfe avec des hommes faints 33 & vertueux ; il ne voit plus que dans 331'éloignement la troupe profane & im33 pure, qui fur- la terre fe bouleverfe , fe 33 jette , fe foule elle-même dans les ténebres 33 & dans d'affreux bourbiers 33. Ces récits, s'ils font conformes a la vé-  158 Les Courtisannes, rité , donnent une idéé bien avantageufè des mylteres d'Eleufis : la doèïrine publique étoit que 1'initiation, fans la vertu, ne fervoit de rien; au lieu que les initiés qui s'attachoient a la pratique de la vertu, avoient de grands avantages fur le refte des hommes, dans une autre vie : c'étoit le fond de la perfuafion des peuples, & fans doute tel fut 1'objet primitif des myfteres lors de leur inftitution. Mais dans la corruption générale des mceurs qui s'établit a Athènes, n'ajoutat-on rien ? ne fupprima-t-on rien ? C'eft ce fur quoi 1'on ne peut décider, a raifon du fecret qui fut toujours gardé. Ceux qui entreprenoient de le révéler , fe regardoient comme pourfuivis fans celTe par la vengeance des dieux. On en peut juger par ce que Macrobe (au premier livre fur le fonge de Scipion , chap. 2) raconte de Numénius, philofophe grec d'Apamée en Syrië, qui vivoit au fecond fiecle. Curieux de s'inftruire des cérémonies les plus fecrettes , il reconnut par fes fonges, qu'il avoit cffenfé les dieux, en publiant une explication des-. myfteres d'Eleufis. Les déelfes lui apparurent en habit de courtifannes, debcut devant un lieu public ouvert. Etonné de les  Lettre IV. i$9 voir dans une place fi peu décente & fi peu convenable a leur divinité , il leur en demanda la caufe. Elles lui répondirent avec colere, qu'ayant été tirées par force du fanétuaire oü leur pudeur étoit en füreté, elles fe voyoient proftituées a tout venant: elles vouloient dire par-la que le culte qui convenoit le mieux aux dieux, étoit celui que le peuple leur avoit rendu de toute antiquité ; que les plus fages des philofophes s'étoient conformés a eet ufage, fuivant en tout les fentimens établis & adoptés par le vulgaire. D'oü vient donc que 1'on a tant calomnié ces myfteres; que 1'on n'a pas craint de dire que l'indécence des chofes qui s'y paffoient étoit la grande raifon du fecret; qu'elle étoit portée au point de propofer aux initiés les parties naturelles de la femme pour objet de leur culte? Mais 1'ignorance feule a pu regarder cette repréientation comme un objet criminel. Si jamais elle a eu lieu dans les folemnités des grands myfteres , ce n'étoit qu'en tant qu'elle étcit le fymbole de la fécondité. On n'a pas voulu s'en tenir a cette explication, & 1 on n a confidéré dans cette allegorie que ce  iéb Les Courtisannes, quelle préfente d'obfcène a la première vue. On verra dans la fuite de ces remarques que cette repréfentation allégorique étoit recue dans d'autres cérémonies religieufes qui fe faifoient publiquemenr. Ce préjugé défavorablc aux myfteres d'Eleufis, s'eft perpétué de fiecle en fiecle. Au comrnencement de celui-ci, on a vu le doéleur Averanius, profefleur de 1'univerfité de Pife, dans fa jj6 diflertation fur Virgile, juftifier les poëtes de 1'imputation qu on leur a faite très-anciennement, d'avoir gaté 1'efprit des peuples par les fables qu'ils ont imaginées, & dire en leur faveur, que c'étoit dans 1'opinion commune des peuples que les poëtes ont puifé tous les contes abfurdes qu'ils débitent fur les dieux, ainfi que les aventures indécentes qu'ils leur attribuent ; les myfteres d'Eleufine, qui fuppofent une partie de ces fables, font antérieurs aux poëtes les plus anciens. Homere, le premier que 1'on connoifle , eft de quatre eens ans poftérieur a Hercule. Et fi jamais il y a eu quelque poëte plus ancien qu'Homere, au moins eft-il fur que ce poëte , quel qu'il foit, eft de beaucoup poftérieur a Hercule. (Le doéte profefleur n'a pas  Lettre IV. 161 penfé \ Linus & Orphée , contemporains d'Hercule.) Or les myfteres d'Ëleufine font inconteftablement plus anciens que ce demidieu de la fable, & les cérémonies de ces myfteres repréfentoient des aétions très-infames des"dieux. 11 s'enfmt donc que les idéés indécentes qu'on avoit de ces dieux, ne font point venues des poëtes, Sc que ceux-ci en les employant n'ont fait que fuivre les principes de la théologie payenne, telle qu'ils 1'ont trouvée établie (a). Ce qu'il y a eu a reprocher aux initiés d'Eleufis dans leurs derniers tems; c'eft 1'enthonfialme fanatique dans lequel ils s'entretenoient les uns les autres. Ils étoient perfuadés qu'ils commercoient immédiatement avec les dieux; qu'ils avoient les démons Sc les génies a leur commandement; qu'ils pouvoient les évoquer par les incantations, Sc s'élever a eux par 1'extafe. Des cérémonies religieufes qui communiquoient ces merveilleufes prérogatives, paroiflbient a leurs fpeétateurs trop intéreffantes pour (a) Voyez le Journal de Trévoux , Février 1719, oü le Recueil des differtations d'Averanius eft annoncé , Sc ou 1'on trouve l'excraic de celle tes attraits: puis-je efpérer d'autre plaifir 33 aufli folide 33. Les coupes appellées carchéiïennes étoient d'un ufage plus ancien que les thériclées', elles étoient fakes en gondoles , & appuyées fur un pied un peu élevé. Hérodote d'Héraclée dit que Jupiter donna a Alcméne, pour prix de fes faveurs, une coupe d'or de cette efpece. On fait qu'il avoit pris la figure du véritable Amphkrion ; & Plaute lui fait dire : cc Cette coupe dont je 33 te fais préfent, eft le prix de ma valeur. 33 Le roi Ptérélas, que j'ai tué de ma main, 33 s'en fervoit a fes feftins d'apparéil 33. Veye\ Athenée, liv. 11. Ce luxe s'étoit confervé long-tems après 1'invention de ces coupes. Kéron ayant, dans fa colere, brifé deux coupes de cryftal de roche, cette perte fut Tome I, H  t7o Les Courtisannes, regardée comme un malheur pour 1'empire même qui s'appauvriffoit d'autant. Pline, Hifi. Nat. liv. 3j, ch. 2. (11) Nos fétes pubüques. Elles font défignées dans le texte fous le nom de Choés & de Chytres; elles fe célébroient le fecond & le troiliéme jour des anthefteries ou fêtes de Bacchus , les 11, 12 & 13 du mois anthefterion ou novembre. Le premier jour étoit appellé pithoinia, (m&oma), ou ï'ouverture des tonneaux , paree qu'on ouvroit les tonneaux, & que Ton en goütoit le vin, Le fecond choés ou ^c'c?, congé, mefure qui tenoitle poids de dix livres, ou environ trois pintes de Paris, ce qui étoit fans doute la quantité de ce que chacun pouvoit boire de vin dans ce jour. Le troiliéme, chytres, Xvrgoi de ^uVja, olla, marmite. La cérémonie confiftoit a faire cuire dans une grande marmite des femences ou grains de toute efpece en 1'honneur de Bacchus Sc de Mercnre Chroniens ou Terreftres, par kt proteflion defquels on obtenoit les fruits de la terre. L'origine de cette fête étoit \ très-ancienne , elle avoit été inftituée par I ceux qui ayant furvécu au déluge de Deu-  L E T T R IS IV. 171 taHöB, offrirent a Mercure-Terreftre toutes fortes de graines & de femences pour le rendre propice a ceux qui avoient été fubmergés dans les eaux. II n'étoit permis k perfonne de toucher a cette offrande , & aucun prétre n'y goütoit; elle étoit difperfée par les campagnes. La même cérémonie fe pratique encore dans quelques régions des Indes oriëntale*, a Ia Chine , au Tonquin, a la Cochinchine, oü ion voit les jeunes lettrés répandre a certain tems de 1'année avec beaucoup de dévotion , du ris crud & cuit, & d'autres légumes qu'ils offrent aux ames des parens pour lefquels on a négligé de faire les offrandes & les facrifices prefcrits par le culte du pays. Ménandre fait une raention particuliere de la féte des chytres, paree que ce jour étoit le plus folemnel des anthefteries , cV le plus intérelfant pour lui, en ce que 1'on repréfentoit des tragédies & des comédies. (12) II y avoit fix mille juges pour la ville d'Athènes & fes dépendances, diftribués en dirTérens tribunaux oü fe traitoient les affaires tant générales que particulieres. On pouvoit appelier de toutes leurs ordonHij  ijl Les Couetisannes, nances & arrêts au peuple; ce qui rendoit fon pouvoir fans bornes. Tout citoyen , même le plus pauvre, étoit recu au nombre des juges, dés qu'il avoit trente ans accomplis, 8e qu'il étoit reconnu pour être de bonnes mceurs. Chaque juge fur fon tribunal portoit une efpece de fceptre, marqué de fa dignité, qu'il dépolbit en quittant fa place. La république payoit des honoraires a tous ces magiflrats, qui ne furent jamais portés au-dela de trois oboles (environ dix fols de notre monnoie); ils n'étoient payés que pour dix mois, les deux autres étant employés en fêtes qui interdifoient toute affaire juridique. On voit par la comédie d'Ariftophane , intitulée les Guêpes, dont les Plaideurs de notre célèhte Racine font une imitation , quel étoit 1'emprefTemcnt des Athéniens a juger, & leur avidité pour le gain qui prolongeoit Se multiplioit les procés a 1'infini; on y voit encore ce qu'il en coütoit au tréfor public pour payer fi mefquinement cette multitude de magiflrats dont 1'Attique étoit inondée 5 ce qui ne pouvoit monter qu'a trois eens talens: Cependant leurs honoraires étoient fur 1'état ce.> dépenfes de la république, pour deux  Lettre IV. 173 r,mille talens. Le jeune athénien quAriftoi phane niet fur la fcène, ne craint pas de I dire que les dix-fept eens talens au-deli i p-aifoient entre les mains des orateurs qui I ne ceflbient de flatter le peuple, Sc de ceux I qui avoient part au gouvernement civil Sc I a. celui des armées, qui tous font qualifiés I de voleurs du tréfor public. (13) Ces affemblées nomhreufes, Sec. MéI nandre indique les affemblés générales qui I fe faifoient a la place publique. Le lieu defI tiné a contenir le peuple , étoit entouré I d'une efpece de réfeau ou filet teint en I rouge , pour empêcher le peuple de fe reI tirer avant la fin des délibérations a prendre, I & le contenir dans une forte de tranquiliï lité qui confervat de la décence Sc de TatI tention. Les robes de ceux qui n'y prenoient ■ pas garde fe tachoieht de la couleur du I réfeau , Sc il n'en falloit pas davantage pour ■ les tourner en ridicule. (14) Le céramique... II y avoit a Athènes I deux quartiers de ce nom , ainfi appellés I de K5pa,u,5;, tuile, paree qu'on en avoit lij d'abord fabriqué dans eet endroit. PaufaI nias (liv. 1, ch. 3) dit que le céramique < H «ij  i74 LesCourtisannes, tiroit fon nom de Céramus, héros des tems fabuleux, fils, a ce que 1'on croyoit, de Bacchus & d'Ariane; ce quartier ou place étoit entouré de portiques décorés de peintures & de ftatues en terre cuite. Au tems dont parle Ménandre , c'étoit un des plus beaux quartiers d'Athènes, entouré d'édifices publics, & orné de grands arbres qui formoient une promenade. C'étoit la que 1'on faifoit, aux dépens du public, les funérailles de ceux qui étoient morts pour le fervice de la patrie, On él e voit fur leurs tombeaux des colonnes ou étoient infcrits leurs noms & leurs belles aétions. On y célébroit trois fois par an des jeux folemnels en 1'honneur de Minerve, Mercure & Prométhée. Dans ces derniers jeux on faifoit une courfe avec des flambeaux, fans doute en mémoire du feu facré que 1'on prétendoit que ce demi-dieu avoit dérobé au char du foleil, pour animer le corps de 1'homme qu'il avoit formé. Les enfans avoient le droit de donner des coups du plat de la main a ceux qui reftoient derrière en cette courfe; c'eft ce que 1'on appelloit des coups céramiques. Voyez Joan. Meurfiï Athence Attica:; Le fecond céramique hors de la ville ,  Lettre IV. 175 étoit le quartier oü les femmes débauchées s'aiTembloient. Il en eft quelquefois queftion dans les lettres qui fuivent. Spon , dans fon voyage de la Grèce & du Levant, dit que le premier céramique étoit dans la partie occidentale d'Athènes auprès de la porte Dipilon , qui fe nommoit auffi la porte du céramique ou de 1'ancien marché. On n'y voyoit plus de fon tems que quelques reftes épars d'une trèsbclle architeéture. Le bourg céramique ou le fecond céramique, fuivant le même Spon, porte encore ce nom 5 il eft hors d'Athènes, a gauche du chemin d'Eleufis. Les Grecs modernes 1'appellent Keramaia, tuiterie, paree que 1'on y fabrique des briques ou tuiles, d'une terre argileufe que 1'on tire des champs voifins, plantés d'oliviers. (15) Salamine , Pfittalie, Maraihon,'tkc Ménandre indique par ces noms les événemens les plus glorieus a la ville d'Athènes & aux Grecs. Salamine, ifle de 1'Attique, a dix milles au nord de l'tfle d'Egine, appellée aujourd'hui Colouri , avec un bon port, étoit célèbre par la viéloire que Théniiöocle fit remporter aux Grecs fur les H iv  17* Les Couktisannes, Perfes. Les .Athéniens avoient élevé ut* trophee a Salamine pour en conferver Ia mémoiré. Pfittalie éft Une ifle entre celle de Salamme & le port Pyrée,odles Perfes. fur un faux avis que leur fit donnet Thémiftocle , firent débarquer 400 hommes. Après le combat naval ou leur flotte fut défaite, les Grecs pafferent dans cette ifle, ou ils firent main-baffe fur les 400 foldats, dont il ne refla pas un feul. Cette ifle, appellée aujourd'hui Lipfocoutalia, eft inhabitée. _ Ce fut dans les campagnes de Marathon , ville de 1'Attique, ou 1'on trouve encore «ne bourgade du même nom, que Miltiade, a la rite des Grecs, fit un horribe carnage de 1'armée perfanne, dont on fait monter la perte a 100000 hommes. Vlonie étoit la partie de 1'Afie mineure oü Smyrne tient aujourd'hui le premier rang, & qui étoit unie d'intérét avec la Grèce. Les Cyclades font toutes les ifles qui compolënt aujourd'hui 1'archipel de Grèce, qui s'éténd de 1'ifle de Négrepont au nord, juf, qua celle de Candie au midi. (16) Le Thermodon eft un fleuve qui  Lettre IV. 177 Kent des montagnes de la Cappadccc , & fe jette dans la mer de Conftantinople. Le Tygre prend fa fonrce en Armenië dans les monts Gordiens, fe joint a l'Euphrate au-deffous d'Apamée, ou il prend le nom de Pafttygris , ou Scat-cl-Arab, fleuve des Arabes, & fe jette dans le golfe Perfique, entre 1'Arabie & les provinces méridionales de la Perfe. VHalls eft un fleuve d'Afie, qui fe jette dans le Pont-Euxin par le golfe d'Amafie. (17) Tout ce que 1'auteur des lettres fait dire ici a Ménandre, le détail des caufes qui le portent a donner la préférence au léjour d'Athènes fur celui de la cour du roi d'Egypte, eft digne d'un grec amateur des beaux-arts, & qui contribuoit par fes talens diftingués a 1'illuftration de fa patrie. Ménandre vivoit dans le période le plus brillant de la gloire d'Athènes; dans un tems ou les génies les plus éminens^dans tous les genres, exiftoient & portoient a 1'envi les arts a leur perfeftion. La tragédie , dans un efpace de tems très-borné , acquit toute fa fplendeur par les productions immortelles d'Efchile, Sophocle, Euripide. Hv  178 Les Courtisannes, Dans le même tems, Cratinus, Arifiophane & Eupolis donncrent a lancienne' comédie un éolat qui fe foutient encore dans toute fa force. Ménandre fut le pere de la nouvelle comédie. La beauré de fes ouvrages, dit Quinüüen, Uv. 10, ch. 1 , a obfcurci ou plutót erfacé la gloire de tous ceux qui ont couru la même carrière que lui; ainfi on ne doit regarder Philémon & Diphile que comme fes contemporains, & non comme fes égaux. Tous ces excellens auteurs parurent dans un efpace de tems très-borné. La philofophie n'acquit pas moins de célébrité par les lecons de Socrate, Platon & Ariftote. Avant Ifocrate, on connoilfoit a peine 1'éloquence & fes effets merveilleux : après fes premiers difciples , elle déchut de toute fa gloire. Si Ten compare les beaux tems de Rome & ceux de la Grèce, le fiecle de Léon X & celui de Louis XIV, a ceux ou les beauxarts fleurinmt dans un tems plus ancien , on verra que tous les grands génies qui ont fait la gloire de ces différens fiecles, vécurent dans un très-court efpace. Si on demande les caufes de ces phénomenes finguhers & brillans, peut-étre feroit-il diificile  ^Lettre IV. V9 d'en affigoer de véritables, mais au moins on en peut donnet de vraifemblables. L'émulation nourrit lesefprits; la jaloufie & 1'admiration les excitent & les enflamment: on fait tous fes elforts pour atteindre l la perfeftion j ony arrivé; mais il eft difficile de s'arrêter a ce point d'élévation; & Ü eft dans la nature de retomber lorfqu'il n'eft plus poflible de s'élever. Ainfi les efprits d'abord portés a égaler , même a furpaffer les modeles qu'ils fe propofent pour objets de leurs travaux, voyant par de triftes expériences qu'ils ne peuvent y réuffir , 1'ardeur s'éteint avec 1'efpérance qui les foutenoit. On ceiTe de courir une carrière ou 1'on n'efpere plus d'être couronné : on eflaye d'en ouvrir de nouvelles; Sr n'afpirant plus a la perfeaion des grands modeles , on prend d'autres routes, dans lefquelles on fe flatte d'acquérir quelque diftinaion. Or ces variations, cette inconftance font le plus grand obftacle a la perfeaion. C'eft ainfi que raifonnoit VelleiusPaterculus (lib. i ) fur des fiecles bnllans de la Grèce & de Rome qui avoient précédé le regne de Tibere , fous lequel il vivoit. Ses réflexions font vraiment lumiH vj  iSo Les Courtisannes-, «eufes ; & on reconnok que ce qu'il ne donnoit que pour des vraifemblances , 3 acqms par la fuite toute la cettitude de Ia ven te. Ce qu'il ajoute fur la gloire d'Athènes , dont Ménandre parle avec 1'enthoufiafme d un bon ckoyen & d'un génie qui y partieipoit plus que perfonne, eft vu avec autant de fagaeité. L'étonnement, dit-il que nous caufe la différence des tems, paffe a celle des villes. Le génie de 1'éloouence amü que des autres arts, éclata davantage danslafeule ville d'Athènes que dans tout ie refte de la Grèce j de forte que les efpnts fembloient tous renfermés dans fon enceinte , tandis que les corps étoient dift perles dans le refte du pays qu'ils peuploienr. 11 eft etonnant qu'Argos , Thebes , Lacédémone, n'aient produit aucun orateur qui ait fait du bruit de fon tems, ou c^i ait conferve quelque réputation après if mort. On ne doit excepter que Thebes, dont Pindare eft la gloire, car c'eft k tort que Laeédémone compte le poëte Alcman au nombre de fes enfans. Ainfi toute la Grèce étoit raffemblée j Athènes , comme toute la France left a Paris : c'eft-la que les  Lettre IV. iBi beaux-arts ont été portés a leur perfecE tion. E Ajoutons a la gloire du génie, au fpecI tacle que donnoient tous les beaux-arts | réunis & traités par les mains les plus habiles , la pompe du culte religieux , qui dans la folemnité de fes fêtes, intéreiToit d'autant plus toute la ville, quelle feule I avoit le droit d'y être initiée tk de participer au fecret de fes myfteres. Quelque ridicules que fulfent a ce fujet les prttentions I du peuple , le philofophe s'y conformoit I au moins en apparence, tk avoit le plus I grand refpeét extérieur pour toutes les céI rémonies qui y avoient rapport. 11 ne paroiflbit jamais au temple qu en pofture de I fuppHant, perfuadé que la religion étoit le moyen le plus propre a conferver la paix tk 1 union des .ccjeurs entre les citoyens d un I même pays. Quelques audacieux s'éleverent contre ces pratiques, tk les blamerent, furtout en des perfonnages qu'ils favoient être I' perfuadés de la futilité des dieux que Pon I honoroit avec tant de pompe Un certain Dioclès difoit d'un ton railleur: Je ne a> connois jamais mieux ta grandeur, ó Ju»3 piter, que depuis que je vois Epicure dans  j.82 Les Coürtisaknes, *> ton temple & a tes genoux Mais ces farcafmes étoient généralement méprifés. il eft arrivé plus d'une fois de les voir punis d'une mort ignominieufe. Les fectateurs de Pyrrhon, d'Epicure, de Diagoras, n'oferent fe montrer a découvert, que lorfque les beaux jours de la Grèce furent éclipfés, que les fciences tk les arts y eurent perdu tout leur luftre. Confidérons encore que les plaifirs & les fpecbacles fe fuccédoient a Athènes fans interruption. Tout s'y rapportoit a la fatisfaétion du peuple , juge prefque toujours équitable des produétions des arts dans tous les genres. Les artiftes ne s'attachoient qua lui plaire tk a mériter fes applaudilTemens; & il le ur accordoit de la proteétion , des bienfaits & la conlidération la plus diftinguée. Les courtifannes ellesrmémes, cette efpece fi avilie parmi nous, contribuoient a la réputation d'Athènes autant qua fes plaifirs. Elles avoient dès-lors tous les gouts, tous les défauts des femmes de eet état; mais elles avoient des talens, des graces, des charmes qui n'étoient qua elles, & 1'art enchanteur de les rendre toujours nouVeaux,même dans un age avancé. On les vit  Lettre IV. 183 plus d'une fois réfifter aux oftres féduifantes des princes les plus puiffans, & préférer la liberté voluptueufe dont elles jouiflbient a Athènes, a 1'opulence faftueufe de la cour des rois. Tous ces motifs réunis rendirent 1'enthoufiafme de la patrie plus fenfible a Athènes que dans aucune autre république connue. Les citoyens étoient unis par le goüt des plaifirs , des arts & des fciences. Ils étoient aimables , & n'afpiroient qu'a jouir délicieufement de la vie. 11 n'y a aucune comparaifon a faire dans ce genre, entre la vertu févere des Romains, & 1'urbanité des Athéniens. Ces beaux tems durerent peu; le regne de la frivolité eft 1'avant-coureur immédiat de la décadence des empires. « Si 1'on fup33 pute , dit Plutarque, ce qu'il en a coüté » aux Athéniens pour la repréfentation des 33 piéces de théatre, on verra que les fommes 33 employées a eet ufage , font plus grandes 33 que celles qui ont été dépenfées pour 33 la défenfe de la liberté & du falut de la 33 Grèce. Les magiflrats prépofés a la cé33 lébration des jeux publics, fe donnoient 33 des peines extraordinaires : la grande  Les CouetisanneSj affaire étoit d'amufer le peuple , & de 3> 1'occuper fans ceffe de fpeftacles & de » plaifirs nouveaux. On s'en occupoit plus 33 que du foin de fa fubfiftance «. Traité de la gloire des Athéniens. Queftions de table, liv. 7, queft. 7. « Les chofes étant portées a eet exces, sa il n'étoit pas poflible qu'un état oü les 33 cceurs étoient fans ceiTe amollis par une 33 vie douce & voluptueufe ; oü les repré53 fentations du théatre 1'emportoient fur les 33 exercices du camp ; oü la valeur & la sa fcience militaire ne fe comptoient plus 3> pour rien; oü les applaudiifemens & les 33 acclamations n'étoient plus que pour les »3 bons poëtes & les comédiens diftingués, S3 ne s'acheminat d'un pas rapide vers fa 83 ruine 33. Juftin, liv. 8, ch. g.  LETTRE V. c Glycere (i) cl Mé man d re, ' J'AI la les lettres du roi dans l'infrant i même qu'elles m'ont été rendues. Jen i prens a témoin Calligénie (1), dans le : temple de^laquelle je fuis acluellemenr, 1 mon cher Ménandre, elles m'ont pénétré d'une joïe qui m'a mife hors de moi-même. ) Je n'en ai pu rien cacher aux perfonnes i qui étoient préfentes, au nombre defquelles \ étoient ma mere, Euphorion ma fceur , j Sc cette jieune amie qui a foupé chez toi, I dont la franchife, la gaieté, le langage ij attique te plaifoient li fort; qu'il fembloit ; que tu n'ofaffes leuer qu'avec réferve; lorfque je te donnai ce baifer li tendre, fi '. chaud : tu ne 1'as pas oublié, cher Ménandre. Elles me regardoient avec furprife; une I joie extraordinaire éclatoit fur mon vifage  i%6 Les Coüetisannes, & dans mes yeux. Elles me demandoient avec emprelTement quel bonheur m'étoit donc arrivé, qui m'affèétoit fi fenfiblement que toute ma perfonne en fembloit pénétrée, tant j'avois changé promptement, tant il s'étoit répandu d'agrémens fur moi. A les en croire, je brillois dans ce moment de tout 1 'éclat de la fatisfadion la plus vive. Alors élevant la voix, & prenant le ton ampoulé de la déclamation pour que fon fit filence & que 1'on m'écourat avec plus d'atrention : Ptoléméc , roi d'Egypte, leur ai-je dit, appelle mon Ménandre, & veut en quelque forte partager fon empire avec lui. Je tenois en même-tems la lettre a la main-, je 1'agitois, afin qu'elles viflènt le fceau royal dont elle eft revêtue. Tu feras donc bien contente, me difoient-elles , s'il t'abandonne ? Quelle étoit leur erreur, mon cher Ménandre! Elles étoient loin de deviner ma penfée. Oui, quand, ainfi qu'on le dit, un bceuf parle-  Lettre V. 187 tok pour m'en alTurer (3 ), je ne croirois pas encore que Ménandre put abandonner Athènes & fa -Glycere, pour régner feul en Egypte, même dans la fortune la plus brillante. J'ai trés-bien compris, par la lettre que j'ai lue, que le roi fait quelque chofe des fentimens qui nous unilTent, Sc que fans trop fe mettre a découvert, il cherche a te piquer d'honneur par des plaifanteries auxquelles il effaye en vain de donner cette légéreté qui n'appartient qua nous. C'eft ce qui me comble de joie; le bruit de nos amours a pafte les mers; il a pénétré jufqu'en Egypte , Sc par ce qu'il eh a appris, il doit concevoir qu'il tente la chofe impoftible, en prétendant faire pafler Athènes a fa cour. Car qu'eft-ce qu'Athènes fans Ménandre? Que feroit Ménandre fans Glycere ? qui te ferviroit comme moi! qui te prépare tes mafques, qui te donne tes habits , qui fais me prélénter a tems fur 1'avant-fcène, faillr les applaudiflemens du cêté d'oü ils  18$ Les Coüktisannes, partent, & les déterminer a propos par le mouvement de mes mains (4)! Diane m'en eft témoin! combien de fois t'ai-je ranimé lorfque je t'ai vu tremblant, ferrant dans mes bras avec les tranfports de Ja plus vive tendrefte, cette tête facrée, d'ou font forties tant d'excellentes comédies. Quant a cette joie que j'ai laifle éclater devant mes amies , elle étoit occafionnée par ce que j'apprenois, que ce n'eft pas Glycere feule quit'aime ; mais que les"rois d'outre-mer fe font gloire de ce fentiment, & que ta réputation répandue au loin annonce par-tout tes admirables talens. Je vois d'ici 1'Egypte, le Nil, le promontoire de Protée (5), les jettées du Phare remplis d'un peuple curieux qui t'attend, qui regarde comme le comble du bonheur de te voir, de te pofieder, de jouir de ces tableaux frappans que toi feu! as pu donner , des avares, des fuperftitieux , des amans infidèles ou dupes, des peres crédules, des fils étourdis, des  Lettre V. \%$ efclaves & de leurs fourberies; enfin tous les caracleres diiïerens mis fur la fcène, avec cette vérité, eet intérêt qui charme le fpeétateur, & entraïne tous' les fuffrages (6). lis entendront parler de toutes ces merveilles; ils defireront de les voir •, mais ils n'auront Ménandre qua Athènes, chez fa Glycere ; c'eft-la qu'ils feront. témoins de mon bonheur, & qu'ils verront l'illuftre Ménandre , donr la réputation- eft fi brillante, pafter avec fatisfaéiion les jours & les nuits a. cöté de moi , dans mes bras , faire toutes fes délices de ma fociété. Cependant, fi les ofFres du roi ne te paroiftènt pas a négliger; fi même, fans aucune raifon d'intérêt, tu cédes au defir de voir les merveilles dont 1'Egypte eft en il me fera difficile d'abandonner tous ces objets : mais pourrois-tu te féparer plus aifément de moi ? Nous fommes unis par des Hens trop forts. En vain les rois t'écriront, te folliciteront;jnafouveraineté 1'emportera fur leurs inftances , mon amant me reltera fidele, il fera religieux obfervateur de fes fermens. Reviens a la ville le plus promptement poflible, afin que fi tu changes de réfolution, & que tu te détermines a partir pour 1'Egypte, tu mettes en ordre tes comédies ; celles fur-tout qui doivent être le plus au goüt de Ptolémée. Tu fais qu'il üj  \<)6 Les CorjKTisANNEs, eft capable d'en bien juger. Tu lui donneras de préférence Thaïs, 1'Odieux, le Malveillant, Thrafyléon, 1'Inconftantj le Querelleur, le Sycionien. Ne feras-tu pas étonné de la témérité, de 1'audace avec laquelle je décide du mérite des comédies de Ménandre! Mais ton amour n'a-t-il donc pas dü m'inftruire aftèz pour être en état d'apprécier tes productions ? Tu m'as donné des lecons, cher amant; qui pouvoit en profirer plus utilement qu'une femme d'un heureux naturel» Les amours hatent les progrès , ils développent toutes les reflburces de 1'elprit. Que n'aurions-nous pas a redouter de Diane, fi le défaut d'intelligence rendoit inutiles les lecons de nos amans. Je te demande avec inftance, mon cher Ménandre, de mettre au rang de tes piéces favorites , la comédie dans laquelle tu me fais jouer le principal röle (14); afin que fi je ne t'accompagne pas, elle me fafle connoïtre a la cour de Ftolemée ; qu'elle ap-  Lettre V. 19J prenne a ce roi 1'empire que j'ai fur mon amant, puifqu'il veut 1'inltruire de l'hiftoirê de fes amours, lorfqu'il efl; forcé d'eu laiiTer l'objet a Athènes ; mais tu ne t'en fépareras pas. En attendant que tu viennes me rejoindre , je vais fans celle m'exercer au Pyrée. J'y apprendrai a tenir le gouvernail, a diriger la proue d'un vaiüeau. Mes mains, mon irtduftrie, feront employees a te conferver. Je veillerai moi-même a la füreté de la navigation. Que les dieux nous infpirent donc le parti qui nous fera le plus avantageux: que ma phrygienne le devine. Mais qui peut être plus cla'lrvoyante fur tes intéréts, que ta maitreiTe, éclairée par 1'Amour, le plus puilïant des dieux. Adieu. N O T E S. (1) J'ai déja parlé de Glycere dans la note première fur la troiliéme lettre. Je ne fais fi 1'anecdote fuivante doit fe rapporter a celle qui écrit a Ménandre. La voici Iiij  i$8 Les Couetisannes, telle que Pline ia raconte : « Glycere de =» Sycione, courtifanne & bouquetiere , ex=» celioit dans 1'art de faire des couronnes, =» elle en étoit regardée comme 1'inventrice. » Paufias, auffi de Sycione, peintre (con- temporain d'Appelle ), en devint amou? reux > & P0L»r lui plaire & 1'imiter , il ^ s'appliquaapeindre des fleurs. On vifalors =» 1'art & la nature faire des efforts pour fe o> furpalfer réciproquement; ehacun vouloit » 1'emporter fur fon émule, & on ne fa=» voit auquel des deux adjuger la viétoire. s> Ce Paufias perfeclionna la peinture en » cauftique, 1'art d'appliquer les couleurs " iur Ie bois & 1'ivoire, par le moyen du » feu. II décora le premier les lambris & » les plafonds de cette forte de peinture ». Hifi. Nat. liv. 21, ch. 3 , & liv. 35 , ch. 11. Un des plus beaux ouvrages de Paufias étoit celui oü il avoit peint Glycere affife, faifant une couronne de fleurs. Ce tableau, que Lucullus acheta fort cher , étoit appellé ftepkanocoplos , la faifeufe de couronnes. Paufanias (liv. 2, ch. 23) dit qu'aii temple d'Efculape \ Epidaure, on voyoit quelques tableaux de ce Paufias, entr'autres celui de 1'ivrognerie , repréfentée par une  L £ T T R £ V. femme qui buvoit dans une bouteille de verre , dont le vifage paroilfoit au travers de la bouteille, illuminé par le vin. Effet fingulier de lumiere , qui prouvoit le talent du peintre. Les Flamands ont réuffi dans plufieurs tableau* de ce genre. Dans les portiques de Pompée a Rome , on admiroit un tableau de ce même peintre , qui repréfentoit un facrifice. II y avoit un bceuf peint de front, qu'on ne lailToit pas que de voir dans toute fa longueur. Horace témoigne que 1'on faifoit de fon tems grand cas des tableaux de Paufias. On en peut juger par le trait fuivant: Vel cum Paafiaca torpet, infant, tabella. Lorfque vous admirez un tableau de Paufias , jufqu'a en perdre le fentiment. Sat. 7, lib. 2, carm. gs. ( 2 ) Calligénie. Héfychius dit que c'étoit un furnom de Cérès fous lequel on 1'invoquoit dans fes fêtes. D'autres ont dit que c'étoit une de fes nymphes ou fa nourrice. A confidérer la vraie fignification du mot, il répond a. celui de généra^rice , ou mere de la beauté: ainfi il devoit être très-ordinaire aux courtifannes de facrifier a Cérès fous I iv  zoo Les Cotjrtisannes, cette qualité , & même de fréquenter foö temple de préférence aux autres. ( 3 ) Erafme , dans fes Adages (chil. 3, cent. i,prov. 4£T), cite ce paffage d'Alciphron , & dit que ce proverbe eft tiré de ce que lesannales des nations rapportent que des bceufs ont parlé quelquefois. Valere-Maxime, hv. 1, ch. 6, de-s prodiges, dit que fous le confulat de P.Volumnius, & de Serv.SuIpitius, un bceuf, dans fes mugiffemens, imita la voix humaine, & fit entendre. . Pline, liv. 8, ch. 45, dit que parmi les prodiges rapportés par les anciens, on a quelquefois cité des bceufs qui avoient parlé, & que lorfque cela arrivoit, on tenoit le fénat en plein air. Je ne fais fi ce proverbe ne tireroit pas plutót fon origine d'une mon.. noie de Grèce, fur laquelle étoit l'empreinte d'un bceuf. Nous avons vu plus haut que leloquence des orateurs étoit très-vénale, & en les payant bien , on étoit fur de leur faire dire ce que 1'on vouloit; d'ou le proverbe grec affez connu, un bceuf a parlé, un bceuf eft monté fur fa langue ; allufion a la monnoie qu'fls avoient regue. Voyez Celius Rhodiginus , liv. 10, ch. 2.  Lettre V. 101 (4) Dans ies applaudiffemens que donnoient les anciens aux fpectacles oü ils aflïltoient, les mains , Sc uur-tour. le pouce , avoient une grande expreffion. Celui qui favorifoit un parti, prelfoit le pouce ; la marqué contraire étoit de le tenir ouvert Sc renverfé. On applaudiflbit des deux mains > c'étoit une marqué d'admiration de lesjoindre enfemble , en rapprochant les pouces 1'un contre 1'autre ; ou 1'on étendoit les mains en les élevant 8c les agitant, en figne de fatisfaélion. Un gladiateur vaincu, qui demandoit grace au peuple, s'il voyoit le pouce étendu 8c renverfé, n'avoit rien a efpérer que la mort Converfo pullice , vulgi Quemlibet occidunt popularitcr .... dit Juvenal, en reprochant aux veftales qui afliftoient aux fpectacles, de donner elles-mêmes pour plaire au peuple, le figaal de la mort, au mépris de la douceur 8c de la fainteté de leur miniilere. On tiroit de eet ufage une facon de parler proverbiale fort commune.... Confentire fuis Jiudiis , qui crediderit te , Fautor utroque tuum , laudabit pollice ludum, m Celui, dit Horace , qui fera perfuadé que Iv  io2 Les Couktisannes, 31 vous approuvez fes goiits , approuvera » les vótres a fon tourOn lit daiïs le texte grec fur lequel je fais cette note : « Et » prelfant mes doigts lorfque le théatre apS3 plaudit ». De-la étoit né le proverbe, premerepollicem, converterepollicem , rapporté par Erafme (chil. i,tent. 8, adag. 46.) ( j") Le prombntoire de Protée étoit une pointe avancée formée par des rochers faillans dans la mer que Servius appelle 1'extrémité de 1'Egypte & les colonnes de Protée; fans doute de quelque monument érigé fur ces rochers par Protée , très-ancien roi de ce nom, contemporain des héros de la guerre de Troye. L'ifle du Phare étoit éloignée de fept ftades ou hüit eens quarante pas du continent. Ce n eft aujourd'hui qu une prefquifle a Textrémité de laquelle fut batie par Ptolemée-Philadelphe , fur un rocher contre lequel les flots de la mer venoient fe biifer, cette tour fi magnifique , quon la mettoit au rang des merveilles du monde. On dit qu'elle étoit quarrée , & que pour la grandeur , elle pouvoit être comparée aux pyramides. Ses cotés avoient ■a la bafe cent toifes fur chaque face ; elle  L E T T R E V. 2.0 $ étoit a plufieurs étages voutés, qui alloient en diminuant, de forte que le plus élevé n'avoit qu'une plate-forme deftinée a allumer pendant la nuit, des feux que 1'on découvroit de trente a quarante lieues. Elle avoit quatre eens cinquante pieds de haut. Elle eft dégradée prefqu'en entier, ce qui en refte forme un petit chateau quarré, appellé faraillon, au-deflus duquel on allume un fanal pour éclairer les vaiffeaux, (6) Athenée nous a confervé les titres & quelques fragmens de cinquante-trois pieces de Ménandre, que je vais citer. Les Adelphes ou les Freres ; le Pêcheur ; les Poiflbns; 1'Androgyne , ou le Crétois ; les Coufins; le Hableur; les Flatteurs ; le Dattkr ; le Demiurgue, ou le Magiftrat fouverain; les Gemeaux; le Facheux; 1'Ennemi de foi-mêrrie ; 1'Aggrelfeur; la Solliciteufe ; les Tuteurs ; 1'Héritiere ; 1'Ephéfien ; les Ephéfiennes ; Thais; 1'lnfpirée j 1'Enthoufiafte; Thrafyléon , ou le Brave ; Carine, ou la Pleureufe ; les Carthaginoisj le Réfeau (coëffure de femme) ; le Joueur de harpe; le Fluteur; les Collines; les Lemniennes; i'Ennemi des femmes; 1'ïvreffe •, ïvj  204 Les Courtisannes, le Pilote ; le Légiflateur ; la Colere ; le Courtier d'amour; le Dépot ; le Camp ; la Périnthienne ; la Femme vendue; le Complaifant, ou 1'Homme a tout; Trophonius; les Inconftans ; 1'Aiguierre; Hymnis, ou la Chanteufe ; le Suppofé; 1'Apparence 5 les Flambeaux; Phannion , ou la Courtifanne; le Speflre ; les Fabriques de cuivre ; le faux Hercule; Glycere , piece dont parle Helichius. (7) Le texte indique ici des ftatues qui parient ; c'eft - a - dire , qui rendent des fons. II eft a préfumer que dans 1'Egypte, que 1'on s'accorde aflez a regarder comme le berceau des fciences & des arts, mais oii le peuple ignorant ne fut jamais qu'admirer fans connoitre, les artiftes , poar fe rendre plus recommandables, lui perfuaderent que certaines ftatues, plus excellentes que les autres, avoient le don de la parole. Je trouve dans Célius-Rhodiginus (liv. 29, ch. 24,) que 1'on croyoit que les mages fabriquoient des ftatues parlantes, non qu'elles fuflent animées , ou que les aftres fe fiflent entendre par leur moyen ; mais certains génies ou démons foumis a  X E T T R E V. 20jf 1'empire de la conftellation fous 1'afpeól de laquelle elles avoient été fabriquées, s'y établiffoient, & répondoient a ceux qui les interrogeoient. Cette fable, digne de la fourberie des prêtres égyptiens, & de la ltupide ignorance du peuple auquel elle étoit racontée, n'en étoit pas moins capable d'exciter la curiofité des Grecs, celle furtout d'une courtifanne fuperftitieufe. De toutes ces llatues parlantes ou réfonnantes , la plus fameufe étoit celle de Memnon que 1'on voyoit a Thebes dans la haute Egypte. Le géographe Strabon en a parlé fort fenfément. II dit (iiv.i j) que la ftatue étoit de bafalte noir, & qua la première heure du jour, lorfqu elle fut frappée des rayons du foleil, elle lui parut rendre quelques fons ; ce qu'il attribue a quelqu'artifice caché, fok dans la bafe ) foit dans le corps de la ftatue, plutót qu'a aucune difpofition de la pierre dont elle étoit formée. Le géographe affure qu'il étoit alors dans la compagnie d'Elius Gallus, de plufieurs de fes amis avec une nombreufe efcorte de foldats, & que dans cette quantité, il pouvok fe trouver quelque perfonne inïéreffée a conferver la réputation du pro-  2o6 Les Courtisannes, dige, & a exciter un bruit que Ton donnoit pour un fon que rendoit la ftatue. Ca bruit refiembloit aflez a celui que fait une corded'inftrument lorfqu'elle fe rompt. Cette ftatue repréfentoit un jeune homme affis , les yeux tournés vers le foleil levant pour le fixer , les pieds appuyés a terre , tk les deux mains fur fon fiége dans 1'attitude d'une perfonne qui veut fe lever. Ceux qui ont vu quelques ftatues égyptiennes , fe feront aifément une idéé de celle de Memnon, qui probablement n'avoit rien de plus agréable, & étoit d'une maniere aufli roi.de que toutes celles qui font travaillées dans le même goüt. Dans ce que 1'on en racontoit vulgairement, il y avoit de quoi piquer la curiofité des Grecs, toujours fi empreffés a entendre ce qu on leur racontoit de 1'Ëgypte, qui fut conftamment pour eux le pays des merveilles. Le labyrinthe étoit, fuivant Hérodote, qui en parle comme 1'ayant vu , ce qu'il y avoit de plus curieux tk de plus fingulier en Egypte, tk fort au-deflus des pyramides, quoique celles-ci 1'emportaflent en magnificence fur tout ce que la Grèce vantoit le plus, même fur les temples de Diane  L £ T T R E V. 207 a Ephèfe & a Santos. « II eft formé par 3» douze falies immenfes, couvertes, 8r per3> cées chacune de fix portes du coté de » raquilon, 8e autant du cóté du midi, » toutes enfermées a l'extérieur par le même 5» mur. Quinze eens chambres difpofées aus> tour des douze falies forment une fuite 3> furprenante d'appartemens : tout cela eft 3> doublé , il y en a autant de caché en » terre que Ton en voit au-dehors. J'ai par»> couru tout 1'étage fupérieur, & je ne parle *• que de ce que j'ai vu, Je ne conncis les » fouterreins que par oui-dire, car les Egyp33 tiens prépofés a la garde du labyrinthe 33 en refufoient 1'entrée, paree que, difoient33 ils, c'étoit la fépulture des rois qui avoient 33 fait ériger ce monument, & Ia retraite as des crocodiles facrés. 33 Mais 1'étage fupérieur eft d'une magni33 ficence qui eft au-delfus de toute expref3»fionj'on eft étonné de paffer fans cefTe 3» d'une falie dans une chambre, de-la, dans 33 un cabinet, d'en fortir par une terralTe, » de rentrer de nouveau dans une autre 33 diftribution d'appartemens toute fem33 blable 8c qui paroit la même. Les plaw fonds de toutes ces pieces font de grandes  loS Les Coüetisannes, » pierres ornées de fculptures. Les falies font » revêtues de marbre blanc poli, & fou»tenues de colonnes de même matiere. A » 1'angle qui termine le labyrinthe3 eft une » pyramide de quarante pas de large , char»gée de grands animaux en bas-reliëfs, » fous laquelle eft 1'entrée du fouterrein ». Telle eft la defcription qu'Hérodote, témoin oculaire,donne dulabyrinthed'Egypte (liv. 2, pag. 166, édit. de Henri Ejlienne, jol. 1^92; ) & après ce qu'il en rapporte, qui ne fe récriera pas avec Varron, fur la vanité des fouverains qui afpiroient a fe rendre célébres par des entreprifes & des dépenfes qui n'avoient aucune utilité? Ils épuifoient leurs fujets par des travaux qui auroient du plutöt immortalifer les artiftes qui les dirigeoient, que les monarques par les ordres defquels ils étoient faits. Voye\ l'Hifl. Nat. de Pline, liv. 36, ch. 13. Le defpotifme fle refufa jamais rien a fes fantaifies , quelqu'abfurdes qu'elles fuffent, & il eft encore le même' dans la plupart des régions orientales, oil il exifte des fouverains qui s'amufent a faire élever des montagnes dans les plaines qui leur paroiflent trop unies, paree qu'ils n'en favtnt pas  fi Sffez pour forcer leurs malheureux fujets a § fe livrer gratuitement a des travaux plus 1 magnifiques ou mieux entendus. (8) Quand les rois d'Egypte vouloient obtenir quelque chofe des Athéniens , ils I leur faifoient des gratifications confidérables, fur-tout en bied. Les Grecs n'étoient I pas délicats fur les moyens de les obtenir. I On voit par cette conduite que leur ont I fouvent reprochée les anciens comiques, I que leur vain orgueil n'étoit pas la preuve I de leur défintéreflement ou de la noblefle | de leurs fentimens. (p) Naxos, aujourd'hui Naxia ou NicI Jia, ifle alTez grande, bien cultivée & trèsI fertile, avec ville archiépifcopale du rit I grec : elle a au moins quatre-vingts milles de tour; elle eft 1'une des plus peuplées de 1'archipel de Grtce. Elle portoit trèsanciennement le nom de Dia , ou Dyonifia ; elle étoit confacrée a Bacchus. Ulyfle, dans le voyage qu'il fit aux enfers par I'ordre de Circé ( Odijfée , liv. i o, ) raconte qu'il vit la belle Ariane, rille de 1'implacable Minos , que Théfée enleva autrefois de Crète, & qu'il avoit intention de  aio Les Couetisannes, mener dans la facrée ville d'Athènes; maïs il ne put 1'y conduire, car Ia chafte Diane larrêta dans 1'ifle de Dia (Naxos) , fur le témoignage que Bacchus rendit contr'elle. La déeiTe otTenfée de ce qu'Ariane avoit profané fon temple, la retint dans cette ifle ou elle mourut. Glycere, par cette allufion au voyage d'Ariane & de Théfée , foutient le carafïere d'une courtifanne inftruite. Elle ne regarde pas Théfée comme a 1'abri des reproches que fon infidélité méritoit, fous prétexte qu'il obéiffoit a Diane, & cédoit a la puiffance de Bacchus. II y a toute apparence que , s'il y a quelque réalité dans cette aventure , un des principaux habitans de Naxos enivra Théfée, enleva Ariane dont la beauté lui avoit plü, & parvint a perfuader a 1'athénien que fa maitrefTe avoit difparu par un effet de la vengeance de Diane, dans le temple de laquelle ces deux amans, prelTés par leurs defirs , s'éroient peut-être permis des Iibertés qui auroient été tolérées dans un temple de Vénus , mais qui devenoient indécentes &r même criminelies dans celui de la chafte Diane. (10) Les frélons de l'Attique. Dans les  Lettre V. m Jbuêpes d'Ariftophane , les perfonnages du ■chceuf, qui d'ordinaire repréfentent le peuple , paroiifent fous la figure de guêpes ou de frêlons. Le poëte rend raifon de ce dé. guifement fingulier, en difant que les Athéniens, une fois irrités, font de tous les hommes les plus acharnés au combat. Ce qu'ils prouverent a Marathon , lor'fque les Perfes s'aviferent de vouloir détruire leur ville ou guêpier, & fur lefquels ils remporterent cette victoire admirable qui anéan' tit la puilfance formidable de Xerxès; événement d'ou le poëte avoit tiré le refrein de fes choeurs. Les'Barbares eux-mêmes crient par-tout que rien n'eft plus courageux qu'un frélon de 1'Attique. II dit enfuite ; « Confidérez-nous bien, & vous nous sa trouverez en tout , dans nos mceurs & 33 dans notre maniere de vivre, femblables »3 aux guêpes. D'abord il n'y a point d'ani33 mal irrité qui foit plus colere & plus in33 commode que nous ; quant au refte, nous 33 nous conduifons affez comme les guêpes 33. Le comique attaquoit ouvertement 1'avidité des Athéniens pour acquérir fans peine. Je remarquerai encore qu'Alciphron faifant peindre ainfi les moeurs des Athéniens par  ziz Les Couetisannes, la courtifanne , femble nous indiquer qu'il vécut dans un tems peu éloigné de celui dont il parle, & que dès-Iors il eft plus ancien que Lucien , qUi a tiré de ces lettres le fujet de quantité de fes dialogues. (n) Théophrafle. Alciphron, en citant »ci ce philofophe, fe trouve d'accord avec Diogène-Laerce, qui dans la vie de Théophrafte, dit que ce fut un homme trés-prudent , qui avoit élevé Ménandre le comique. Ce qu'il rapporte fur L'autorité de Pamphila, dans le 3oe livre de fes commentaires. (12) Nousfommes de la race du dleu, tkc. les Athéniens regardoient Apollon comme le chef de la familie dont ils defcendoient, paree qu'ils rapportoient leur origine a Ion , fils d'Apollon & de Créufe , du nom duquel ils avoient été d'abord appellés Ioniens. Platon , au livre 4 de la République , dit que lorfqu'il eft queftion de loix qui regardent le culte des dieux tk les cérémonies facrées, il faut confulter Apollon a Delphes, paree que ces connoiflances font au-deffus de la i portée des hommes. « Nous ne favons rien , \ 9> dit-il, fur des objets aufii relevés, & Jorf-  L E T T R E V. 21 J fc> qu'il conviendra d'établir la police gésa nérale de la cité, fi nous fommes fages, I b nous n'écouterons & nous ne confulterons » que le dieu dont nous defcendons ; placé w au milieu de la terre & fur fon centre , *> les réponfes qu'il donne, font celles d'un I » pere a fes enfans ». Diodore de Sicile , I liv. 16, dit de même que les Athéniens | lè glorifioient d'avoir Apollon pour le preI mier de leurs ancêtres. ( 13) La facon de deviner de cette phryI gienne étoit la rabdomancie, divination 1 qui fe faifoit par le moyen des baguettes, 9 & que le prophete Ofée , chap. 4, verf. ra, 1 reproche aux Hébreux en ces termes: « Mon 9 »3 peuple a interrogé du bois, & fon baton I »> lui a prédit 1'avenir ». Ce que S. Jéróme dans fon commentaire fur ce prophete, dit être la rabdomancie. Cette efpece de prétention a la connoilTance de 1'avenir, remonte comme on le voit a la plus haute antiquité. Hérodote, liv. 4, en parle expreffément. Les Scythes ont, dit-il, une quantité de devins qui exercent leur art avec des baguettes de faule ; ils en apportent de grands fagots qu'ils pofent a terre, qu'ils  114 Les Courtisannes, délient; les rangeant toutes féparément les unes des autres , ils exercent'la divination; ils recommencent enfuite en les remettant en paquet. Ils tiennent de leurs ancêtres cette maniere de deviner. Peut-être eft-ce a cette efpece de divination que la courtifanne fait allufion. Les Perfes, dans leurs facrifices , employoient des petits faifceaux de branches de bruyeres; pendant que les viciimes cuifoient fur des fagots faits de branches de mirte &c de laurier, ils donnoient les réponfes que leur indiquoit le mouvement des bruieres qu'ils tenoient a la main. Tous les peuples du monde ont eu leur maniere. de deviner, dont la plupart fe font confervées dans les Indgs orientales oü elles font encore en ufage. Quant aux purifications & aux préparations dont ufoient toutes les devinereffes , elles varioient fuivant 1'importance des objets fur lefquels on les confultoit. On voit que les gateaux ronds & plats faits a la lune , & qui avoient fa figure, étoient d'un ufage commun. C'étoit a la lune & a la nuit que les devins dc les magiciens s'adrelToient, comme aux témoins fideles de leurs myfteres. « O nuit, dit Médée, Métam. VII,  Lettre V. ne »»fidele témoin de nos myfteres, & vous, » Diane, qui connoifiez. & favorifez nos » defleins ». Dans toutes les conjuraftsns ou enchantemens, on bruloit de 1'encens male: a Brülez de la verveine & de 1'ensi eens male , je veux effayer fi par une *> cérémonie magique je regagnerai Ie coeur 3> de mon amant ; il ne me manque plus s> que de recourir aux enchantemens». ( Virg. Et'log. 8.) Quant aux pajlilles oblongues de ftyrax , on fait que le ftyrax ou ftorax, eft une gomme odoriférante dont, fuivant Strabon (liv. 12,) les fuperftitieux faifoient un fréquent ufage dans leurs invocations ou facrifices. Cette efpece de réfine fe tire, a ce que 1'on dit, de 1'arbre appellé ftyrax ou rofa mallos-, qui reffemble au coignaffier, avec des feuilles plus petites tc cotonneufes: on en enleve 1'écorce tous les ans, on la fait bouillir dans 1'eau de la mer pour en tirer la réfine dont il eft queftion , & qui eft encore fort eftimée chez les Orientaux. (14) La comédie dans laquelle tu me fais jouer le principal róle. Cette comédie portoit le nom même de Glycere. Quelques  ïi fouvent pris a témoin de mes fermens^. LETTRE VI. Bacchis (i) a Hypéride (2). Toutes les courtifannes de cette ville en général, & chacune d'elles en particulier, doivent vous rendre autant d'acrions de graces que Piiryné (3). L'accufation intentée contr'elle par Euthias (4), le plus méchant des hommes, femblok n'intérelTer qu'elle directement; mais le péril nous devenoit commun a toutes. Car li pour n'avoir pas obtenu de nos amans 1'argent que nous leur demandons, ou fi pour avoir accordé nos faveurs a ceux qui les payent généreufement, nous devenions coupables  L £ T T R £ VI. ZIJ coupables d'impiété envers les dieux ; il faudroit renoncer a tous les avantages de notre état; ne plus faire commerce de nos charmes; nous abftenir même de voir ceux avec lefquels nous vivons d'habitude (5). Mais, graces aux dieux , nos gains font légitimés ; Euthias eft reconnu pour le plus injufte des amans. La droiture & 1'équité d'Hypéride fe font montrées dans tout leur éclat •, nos droits nous font confervés. Que les dieux récompenfent de leurs dons les plus précieux, votre humanité bienfaifante. Vous avez fauvé, refpeclable Hypéride, une tendre amie, & vous avez acquis les droits les plus facrés fur la reconnoiflance de nous toutes. Si même vous jugiez a propos d'écrire &c de rendre publique la harangue que vous avez prononcée pour Phryné, nous noüs engagerions, nous toutes courtiftmnes, a vous ériger une ftatue d'or dans 1'endroit de la Grèce qui vous conviendroit le mieux ( prendrai-je quelque goüt pour elle : tu ne =» fais pas, fans doute, quel honneur je lui » fais en me rendant a fes empreiTemens (4) Quintilien (liv. 2, dj infi. cap. 15) penfoit comme le public d'Athènes : « Quelr» qu'admirable que fut 1 é'oquence d'Hy=»péride, quelque forte & tou'.hante que » fut fon action, ce n'eft pas a ces moyens  Lettre Vil 233 s> que Phryné dut fon falut, mais i la beauté 33 rare de fon fein, que 1'orateur fit paroitre 33 en ouvrant fa robe ». Efchile, avant Hypéride, avoit mis fur la fcène cette efpece de coup de théatre (dans les Coépkores , %éï. 4 , fcène 5.) Lorfque Clytemneftre eft au moment de recevoir le coup de la mort de fon fils Orefte , elle fe découvre la gorge en lui difant: « O mon fils, calme ta fu=3 reur! refpecle le fein de ta mere , ce fein 33 qui t'a fi fouvent allaité 33. Euripide, dans fa tragédie d'Orelte, lorfque ce héros infortuné eft agité par les furies, lui fait dire : cc Malheureux, quelle étoit ta rage , lorfque 33 ta mere te montrant fon fein a décou33 vert, na pu arrêter ta main furieufe! tu 33 le voyois , ce fein qui t'a nourri, lorfque 3> tes mains parricides y plongeoient un fer 3, meurtrier 3,. Ménélas, quelque fujet qu'il eut de fe plaindre d'Hélene, fut moins ctuelj il ne réfifta pas aux charmes de fa belle gorge qu'elle préfenta découverte a. fon épée dont il vouloit la percer; le fer lui tomba des mains, & fes projets de vengeance refterent fans exécution ( Arlftophanes in Ly-> fijlrata. )  234 Les Courtisannes, 'lettre viii. Bacchis a Mvrrhinis. Ne puifies-tu jamais rencontrer d amant plus digne de toi! que Vénus exauce mes vceux. Que eet Euthias, aótueliement 1'objet de tes complaifances, palTe avec toi fa vie (i). O malheureufe femme, oü te porte ta folie 1 quelle confiance aveugle t'infpire ta beauté! tu ne crains donc pas qu'il t'abandonnepour retourner l Phryné? Sans doute que tu as voulu piquer la jaloufie d'Hypéride, paree qu'il avoit moins d'emprelTement pour- toi? Tu 1'as quitté. Mais tu ne peux difconvenir qu'il n'en foit bien dédommagé: ü a une amie digne de lui & de fa belle ame, & toi un amant tel qu'il te le falioit. EfTaye d'exiger quelque chofe de lui, & tu verras li tu n'es pas accufée d'avoir  Lettre VUL 235 ïncendié la flotte, ou violé les loix fondamentales de 1 etat ( 2 ). Je ne t'en dis pas davantage ; mais fois perfuadée que tu t'es rendue lob jet de 1'averfion la plus forte de nous toutes dévouées au fervice de Vénus-bienfaifante. NO TES. ( 1) On a vu dans les notes fur les deux lettres précédentes que Myrrhine étoit entretenue par Hypéride, lorfqu'il entreprit la défenfe de Phryné contre Euthias , & qu'il la négligea pour s'attacher a Phryné dont il avoit fait la conquête. Cette lettre eft une nouvelle preuve des fentimens de Bacchis; & fon amant, ainfi qu'on le verra dans la lettre dixieme, avoit raifon de dire qu'elle étoit vraiment digne d'être 1'exemple & le confeil des courtifannes de fon tems, comme elle en étoit la plus honnête. (i ) Euthias eft repréfenté par Bacchis, comme un calomniateur infame , un vrai fycophante , tels que les poëtes les peignoient au théatre. Ariftophane , dans les Acharniennes, fair paroitre un campagnard  %ï* Les Courtisaknes, thébain, qui parmi d autres marchandifes a des lampes a vendre. Auffi-tót vient un fycophante qui menace de le déférer au magiftrat: «Et fur quel prétexte accu- fer ce bonhomme ? — Quoi donc, cette * lampe ne peut-elle pas fervir k mettre le » feu a la flotte » ? Lucien met les mémes menaces dans la bouche de 1'adulateur Déméas , lorfque pour récompenfe des louanEes ridicnlps a , y "c FIupos qun donne a Hmon, celui-ci le regale de . quelques coups de baton : « Au fecours , amis , s ecrie Déméas, »fouffrirez-vous que ce tyra.n » frappe un citoyen , lui qui ne jouit pas * de ce privilege ? mais bientót il portera » Ia peine due a fes attentats. N'a-t il pas » mis le feu a la citadelle pour piller le * tréfór public ? c'eft par ce moyen qu'il » s'eft enrichi tout d'un coup. — Mais on » na pas brülé la citadelle, on n'a pas volé » le tréfor ! — Qu'importe, fi tu n'es riche " .1ue de tes larci"s.... o,. La difpute fe termme par de nouveaux coups de baton.  *37 LETTRE I X. (i) MÉ gare a Bacchis. ï L n'y' a que toi, ma chere, qui fois aiTez paffionnée pour aimer ton amant au point de ne pouvoir pas t'en féparer un moment. Quel ridicule tu te donnés I j'en attefte Vénus! Quoi, invitée depuis fi long-tems par Glycere (car elle t'avok retentie dès les fêtes de Bacchus,) & tu ne parois pas. Ton amour t'a peut-être dégoütée de la fociété de tes amies : je ng^eux pas le croire. Serois-tu allez chafte^Pur n'aimer qu'un feul homme > Ambitionnerois-tu la réputation que te donneroient des mceurs fi rares ? tandis que nous ne pafferions que peur des courtifannes livrées a tout venant. Philon eut auffi Ion baten de figuier (2). J'en jure par la grande déefie, ta conduite avec nous me choque.  Les Courtisannes, Nous étions toutes raffemblées, Theflala, Myrrhine, Chryfium , & même Philumène. Quoique nouvellement mariée, ayant a redouter la jaloulïe de fon mari, elle avoit trouvé le fecret d'y venir, en plongeant fon cher époux dans le fommeil le plus profond, tandis que tu gardois a vue ton Adonis. Tu craignois, fans doute, que li fa Vénus 1'abandonnoit un moment, Proferpine ne le lui enlevat (3). Quel fouper délicieux nous avons fait! Car pourquoi ne te donnerois-je pas des regrets ? Les graces^y avoient prodigué tous leurs charmes; les chanfons, les piaifanteries, les m^ums, les couronnes de fleurs, toutes les THindifes les plus recherchées : enfin nous avons bu les vins les plus exquis jufqu'au chant du coq. La table étoit fous des berceaux de laurier (4): rien ne nous aurcit manqué fi tu eufies été de la partie. Souvent nos foupers ont fait bruit, & je doute que jamais nous en ayons fait un auffi gai & aufii agréable.  Lettre IX. 239 Rien ne nous a autant amufées que la difpute qui s'eft éjevée entre Thriallis &c Myrrhine , fur leur beauté (5 ) C'eft dans ces plaifirs que nous avons paffe la nuit entiere. Nos amans actuels n'en ont pas été mieux traités. Tous nos voeux réunis fe portent a en rrouver d'autres : car Vénus aime le changement & la nouveauté. Enfin nous nous fommes retirées après avoir bu largement. Ayant formé, en revenant, des projets tels qu'on peut les concevoir dans 1'état d'ivrefTe, nous avons été faire une nouvelle débauche chez d'Eximaque, qui demeure au carrefour doré, fur le chemin de 1'Agnon, a cöté du logis de Menephron (6). Thaïs 1'aime a la folie; elle a bien raifon, car le jeune homme vient d'entrer en pofleffion de 1'opulente fuccelTion de fon pere. Nous te pardonnons pour cette fois ta négligence & tes dédains; mais a la prochaine fête des aioennes, nous nous  *4-o Les Courtisannes, raffemblerons au colyte chez Tamant de ThefTala, pour y maneer enfemble. Fais en forte d'y venir avec Cétius, CoralÜus & 1'Adonis que tu gardes avec tant de foin. Neus comptons nous réjouir & boire avec nos amans» N O T E S. (1) Cette lettre donne une idee des combats de la beauté, dont j'ai rapporti rinftitution dans le difcours fur les courtifannes, qui fe trouve a la tête de ces lettres. Celle-ci me paroit très-curieufe; elle laiffe la queftion indécifc fur le tems auquel Alciphron a vécu. Un fujet anffi agréable , s'il eut été connu de Lucien , ne lui eut pas échappé; il en eut tiré la matiere dun dialogue auffi agréable qu'intérelfant. On ne peut pas dire qu'il eut trouvé le fujet trop voluptueux pour ofer le traiter; la plupart de fes dialogues, fur-tout ceux oü il fait parler les courtifannes, font beaucoup plus libres. Mais quelle licence effrénée ! quels rafnnemens fur la volupté dans les courtifannes grecques! Quel empire elles devoient  L E T T R^E' 1 X 14I> cltvoient exercer fur les jeunes débauchés. qui s'attachoient ï elles ! combien elles en ont du ruiner par les dépenfes folies ou elles les engageoient! (2 ) Phïlon eut auffi fon baton de figuier; proverbe peu connu , tk qui ne fe trouvé pas ailleurs. Suidas, au mot lyhiro, cite comme proverbe, Mandronus eut auffi une. barque de figuier. On 1'appliquoit a ceux qui s'énorgueiUiiïoient du bonheur tk des richelïes dont ils étoient comblés, fans mérite de leur part. Erafme (chil. 4, cent. 5, prov. 45 ) rapporte le même proverbe que Suidas, & dit qu'il doit fon origine aux aventures d'un certain Mandronus, qui de batelier devint général d'armée , quoiqu'Ü en fut abfolument indigne. Le baton de figuier eft cité ici comme quelque chofe dont on ne doit faire aucun cas. Quand les Grecs vouloient defigner quelque chofe de foible tk de méprifable , ils difoient que c'étoit du figuier. On voit par-la que la courtifanne Mégare n'eftimoit pas beaucoup la conduite honnête de Bacchis. (?) Tu gardois a vue ton Adonis. Cette comparaifon étoit famüiere aux .courtifanTome I. L  £42 Les Courtis annes, nes, lotfqu'elles reprochoient a quelqiiesunes d'entr'elles d'aimer trop conftamment un feul amant. Voyez Ie feptieme Dialogue des courtifannes de Lucien , ou Mufarium, pour être trop attachée a Chérea , qui fourniffoit peu a fon entretien , fouftre les reproches les plus vifs de la part de fa mere, de ce qu'elle ne lui préféroit pas des galans plus généreux & plus riches qui fe préfentoient tous les jours. (4) Dans quelques jardins il y avoit des berceaux de verdure élevés expres pour tenir lieu de falies a manger, avec des tables & deslits oufiéges de gazon deftinés a eet ufage. (Lucien, dans le Dialogue des Amours.) C'étoit fur-tout dans le voilïnage des temples de Véuus, que 1'on avoit planté ces bofquets deftinés a célébrer les myfteres de la volupté la plus recherchée. Ces bofquets étoient de laurier & de myrte, entremêlés de jafmin. II eft probable que dès-lors ils étoient difpofés & taillés avec 1'élégance que 1'on fait encore leur donner dans les climats heureux ou ces beaux arbres croiflent par-tout dans la campagne.Les orangers n'étoient pas connus en Europe dans le tems oü ces letü-es  L £ T t R £ IX. t\% ónt été écrites; ainfi on n'a pu les faire entrer dans ces fortes de décorations dont ils font aujourd'hui .'ornement, fur-tout en Italië, ou 1'on en voit des berceaux de la plus grande beauté. (y) Que cette difpute entre les deux* courtifannes foit réelle ou feulement imaginée par le rhéteur , 1'idée en remonte a. la plus haute antiquité, au tems oti la fimplicité primitive des mceurs étoit encore entiere. On lit dans Athenée (liv. 12) que deux fceurs, de la figure la plus intéreffante, difputoient entr'elles fur leur beauté , & que prétendant toutes les deux ne fe rien céder fur leurs charmes, elles réfolurent de s'en rapporter au jugement du premier qui pafferoit. Ce fut un jeune homme de Syracufe, fils d'un pere fort riche & déja agé. Elles lui découvrirent 1'objet de la difpute ; il décida en faveur de 1'aïnée, & en devint fort amoureux. Etajit de retour a la ville, il tomba malade , & raconta fon aventure a fon frere, qui ayant fait connoilfance avec les deux belles villageoifes, fe prit de pafiion pour la cadette. En vain le pere de ces jeunes hommes voulut les engager a faire des maLij  244 Les Cotjetisannes1, riages plus fortables, il ne put 1'emporter fur 1'amour dont ils étoient épris; de forte que pour les fatisfaire , il alla lui-même demander en mariage les filles pour fes fils5 elles lui furent accordées fans difficulté, & les citoyens de Syracufe leur donnerent k toutes deux le furnom de Callipyge. Ce fut en reconnoiffance de cette heureufe aventure, que les deux fceurs étant devenues fort riches par les mariages qu'elles avoient contractés, firent batir a Syracufe un temple 3 Vénus-Callipyge. (5) On prétend qu'il eft poflible de re» eonnoitre encore a préfent toute cette to« pographie d'Athènes. Le Colyte étoit un des quartiers qui aboutiffoit a la place appellée Agora, aujourd'hui celle du Cadi, paree qu'il y demeure. C'étoit 1'endroit de la ville ou , fuivant Philoftrate , naiffoient les plus beaux enfans. L'auteur d'Athènes ancienne & nouvelle , prétend que ce quartier conferve encore cette heureufe prérogative. Les Grecs aétuels y font moins d'attention que les étrangers, paree qu'ils font irès-ignorans fur leur hiftoire ancienne.  ■ Hi LETTS.E X. MÈNÊCLIVE a EuTICLES. La charmante Bacchis eft morte, rnon cher Euticles j elle eft morte! II ne me refte plus que mes lafmes, le fouvenir de 1'amour le plus tendre, & ia douleur de l'avoir perdue. Jamais je n'oublierai Bacchis! rtoii jamais! Quelle douceur, quelle bonté de caradere ! Si on 1'appelle 1'honneur deS courtifannes ; 1'apologie de leur profeftion-, on ne fera que lui rendre juftice (i). Que leur conduite feroit digne de louam ges, fi elles fe réuniffoient de toutes parts, pour placer la ftatue de Bacchis dans lè temple de Vénus ou des Graces. On leur reproche fans cefte qu'elles font méchantes, infidcles, intéreflees au point que rien ne les touche que leur profitj Lftij  z*6 Les Cotjrtisannes, qu'elles ne s'artachent qua ceux qui leur donnent ; qu'elles deviennent une fource intarilTabie de maux pour tous ceux qui vivent avec elles (2). L'exemple de Bacchis détruit toutes ces imputatlons, & prouve que fouvent elles ne font que des calomnies. Ses mceurs, fes fentimens étoient d'une honnêteré qui confondoit tout ce que la médifance pouvoit imaginer contr'elle. Vous avez connu ce Méde qui abc'da de Syrië dans cette ville, avec une nombreufe fdte de domeftiques, & 1'appareil Ie plus faftueux. II vit Bacchis, il lui propofa de 1'entretenir, de lui donner des eunuques (3), des femmes, de la mettre dans -cette abondance, ce luxe prodigieux, qui ne convientqua des barbares, de lui faire un état de reine. D'elle-même, fans en être follicitée, elle ne voulut pas feulement le recevoir chez elle. Comme elle plaifantoit de fes propofitions! Contente de dormir fous mon furtüut(4}, quelque commune  Lettre X Hl tju/én foit 1'étoffe , elle bornoit-la fon anv bition & fes plaifirs. Avec quelle reconnoifiance elle recevoit mes préfens, quelque peu confiderables qu'ils fuffent, tandis qu'elle n'eut jamais que dédain & mépris pour les richeffes & toute la magnificence du fatrape ! Voulut-elle feulement écouter le mar4 chand égyptien, qui lui offroit des monts d'or? Non, jamais lanamre ne formera une créature auffi excellente! Pourquoi la fortune n'avoit-elle pas placé de fi admirables mceurs dans un rang plus élevé (5 )• Elle eft donc morte! elle melaiffe i chere Bacchis, te voila feule & abandonnée pour toujours! N'eft-Ü pas injufte , parques cruelles, que je ne fois pas étendu a cóté d'elle , dans le même tombeau ! devois-je en être féparé! Mais je refte, je vis encore au milieu de mes concitoyens, de mes amis, & je nepuis plus efpérer de U voir m'y fourire avec tant de gaicté & d'agrément. Je ne L iv  M$ Les Cöürtisanites', pafierai plus avec elle dans une douce tranquillité, ces nuits délideufes , qu'elle favoit rendre fi agréables par fes carelres & fes agaceries toujours nouvelles. Que de graces dans fa voix, dans fes regards! les criants des fyrènes n'avoient rien de plus enchanteur. Le neclar des dieux & lambroifie étoient moins délicieux que fes baifers : la douce perfuafion regnoit fur fes levres (6). Tous les attraits. tous les charmes de la beauté, la ceinture même de Vénus faifoient fa parure ordinaire (7). Je n'entendrai plus les jolies chanfons dont elle égayoit nos repas, ni cette lyre dont fes doigts blancs comme 1'ivoire , tiroient de fi beaux fons, Tout eft fini, Bacchis; la favorire des graces eft étendue fans paroJe, fans mouvement, fioide comme marbre ; hélas , ce fl eft plus qu'un peu de cendre. Juftes dieux, vous laiflez vivre 1'infarne Mégare (8) qui a miné fi complettement Ie malheureux Théagène, qu'après ayoi?  Lettre X. M5> VU diffiper la fortune la plus opulente , il ne lui eft refti d'autre moyen de fubfifter que de s'enroler en qualité de foldat mercenaire •, & vous m'enlevez, la tendre Bacchis qui m'aimoit de ft bonne foi, avec tant d'honncteté &c de défintéreflèment! Je me foulage, mon cher Euticles, a ïépandre mes larmes dans votre fein : je n'efpere plus d'autre douceur dans la vie, que de parler de Eacchis, de vous en écrire. Hélas! il ne men refte que le fouvenir. Adieu. NO TES. (1) Les lettres précédentes ont déja tlonné une idéé favorable des fentimens de la courtifanne Bacchis. Celle-ci peut être regardée comme une élégie fur fa mort j & quoiqu'écrite par ua amant défolé, elle ne paroit pas avoir rien d'outré. Dans les anciennes comédies, les courtifannes y font toujours- repréfentées comme intéreffees, fripponnes, perfides. Bacchis, au contraire,. L-V.  250 Les Co uetisannes, y joue un róle honnête. Refte a. favoir fi c'eft a celle dont parle Alciphron, que Térence fait allufion dans l'aéïe je, fcène iere de FHécyre: « Mon état, dit-elle au vieillard Lachès, m'intimide, & je crains que 1'idée 33 que 1'on s'en fait, ne me nuile dans votre » efprit, quoique je fois attachée a 1'hon33 nêteté des mceurs 33, Le perfonnage qu'elle fait dans le refte de la piece , eft celui d'une courtifanne modefte tk défintéreffée, tk même d'après 1'éloge que Ménéclide en fait dans cette lettre, on doit croire que 1'honnêteté de Bacchis ne reffembloit en rien celle de certaine Chariclée dont parle Lucien dans le Toxaris , qui étoit fi bonne, fi humaine, qu'aucune courtifanne de fon tems n'étoit auffi facile. Elle accordoit fes faveurs a tout venant, fi peu qu'on voulüt les payer. (2) C'eft ce que dit expreffément Antiphanes dans la comédie intitulée le Rufrique ou 1'Habitant de la campagne : « Malss heur 3 celui qui entrctient une courti33 fanne; il croit y prendre fon plaifir, mais 33 il a chez lui le plus grand de tous les 33 maux >».  Lettre X. z$x (3) C'étoit un objet du plus grand luxe pour les femmes entretenues , d'avoir des eunuques a leur fervice : elles croyoient par ce moyen fe mettre de niveau avec les. femmes des fatrapes, même avec les reines.. Phédria reproche a Thaïs , qui parok lui préférer un étranger, qu'elle n'a qu'a fouhaiter pour avoir tout de fuite ce qui peut lui plaire : «Vous avez voulu un eunuque,, » paree qu'il n'appartient qu'aux reines d'em » avoir, & tout de fuite je vous en ai donnabj un 33. Porro eunuchum dixti veile te , Qiiia folie- utuntur his regina j reppen. Terentius in Eunucho , aft. 1 , fcèn. r.- (4) Contente de dormir fous mon fuftout. Cet ufage rappelle la fimplicité des mceurs antiques, lorfqu'on fe fervok de fes habks pour fe couvrir pendant le fommeil, au lieu de couvertures de lit; ce qui étoit. commode aux Orientaux qui portoient a.. la ville de longues robes & fort amples.. C'eft ainfi que dans le Banquet de Platon, Alcibiade dit qu'il paffoit les nuits fous le manteau de Socrate, & qu'il y dormoit comme un fik a coté de fon pere. Ce qui, entendu dans le même efprk que  i$i Les CourtisanNes, Flaton 1'a rapporté, óte toute 1'idée déshonnête que Lucien , dans fon Dialogue des Amours, a voulu donner des liaifons kitimes des philofophes avec leurs éleves favoris. La couturae de coucher fous le manteau d'un homme ou la robe d'une femme, étoit générale dans 1'antiquité. C'efl; ainfi que Théocrite , dans Tépithalame de Ménélas & d'Hélene, dit que la fille de Jupiter vient enfin fe ranger avec lui fous la même robe. Sophocle , dans les Trachiniennes , fait dire a Déjanire, accompagnée d'Iole, que toutes deux elles attendent les embrafièmens d'Hercule fous la même robe : Et mme nos duee expeclamus una fub Icena amplexum. 11 parok que dans ces tems les lits n'étoient que des eflrades couvertes de nattes, de peaux ou de quelques tapis qui fervoient de matelas ; on s'y placoit pour dormir, & on'n'employoit d'autres couvertures que fes habits. On peut prendre une idéé de la pofition de ces lits dans les reftes du palais d'Adrien, au-dellbus de Tivoli. On y voit encore la place des lits, dans de petits cabinets re? tirés, uniquement deftinés a eet ufa ch. j.):  2H Les Courtisannes", Telle étoit, dit Cicéron, féloquence Penelès, que les anciens comiques ont dit que les graces habitoient fur fes levres .Cujus in labiis veteres comici Leporem habuajfe dixemnt. (Lib. 3 , de orat. ) (7) Cette charmante allegorie de la ceinture de Vénus, qui préfente k fimaginatron tout le pouvoir & les attraits de la beauté, eft tirée du i4° livre de Hliade dHomère. Junon , après setre parée avec le plus grand foin, fent quelle a encore befoin des graces enchantereiTes de Vénus, peur réuffir dans le projet quelle a coneui .de réconcilier 1'Océan & Thétis. Donnezmoi, dit Junon Ces charmes enchanteurs, ces féduifans attrairj Ces defirs, eet araour, cjui prés de vous refpire " Et des cieux i la terre étend fon doux empire ,, la déefle Z ces mots d'étaché fa' ceinture, ' Oü tiffiis avec art font les enchantemens les defirs de 1'amour, les foupirs des amans, 1'art de perfuader,. ce langage ü tendre, Dont les plus fages mêmes, ont peine ü fe défendrtv Voyez 1-Hiade d'Ho mere , trad. par M. de'RocheJO", l. 24, v. i9o& 208 .quife trouve chez Nrow. taine, rue du Jardinet. 'Madame Dacier, qui rend plus littéraleraent le texte grec, dit; «En mèWten*.  Lettre X- ïf$ » elle détacha fa ceinture, qui étoit dun » tiffuadmirablement diverfifié. La, fe trou39 voient tous les charmes les plus féducteurs,, * les attraits, 1'amour, les defirs, les amu» femens , les entretiens fecrets , les iuncn centes tromperies, & ie charmant badtas nage qui infenfiblement furprend 1'efprit' » & le cceur des plus fenfés: elle lui remet s> cette ceinture entre les mains , & fin du r Recevez ce tiffu & le cachez dan3 votre » fein , tout ce que vous pouvez defirer s'y x trouve , & par un charme fecret qu on ne 3> peut expliquer, il vous fera réuflir dans » toutes vos entreprifes Jamais poëte n'a rien imaginé de plus heureux que cette allégorie : elle donne unefi grande idéé de la beauté, des graces & de leurs elfets, que 1'expreflion reliera toujours au-delfous. Homere a tout dit, lorfqu'il' a défini la ceinture de Vénus « un» charme fecret qu on ne peut expliquer m Les artiftes ont repréfenté cette ceinture,. & lorfqu'ils ont peinV ou fculpté Vénus drapée ou habillée, ils lui ont donné deux ceintures , 1'une au-defibus du fein , 1'autre placée au-deffous du.ventre. C'eft ainfi qti'eft repréfentée la Vénus qu'on. voit a coté de  2^ Les Courtisanes, WW au Capitole. Cette ceinture inférieure e« celle que les poëtes appellent particuiKretoent la ceinture de Vénus. Lorfque Junon voulut plaire a Jupiter, elle la de™nda a Vénus, & ,1a placa, felon 1'expreffion originale JHomere, dans fon &. ron, ceft-a-dhe, a lentour & au-deffous du ventte. L'auteur de fHiftoire de 1'Art chez les anciens, prétend avoir Ie premier fait cette obfervation. Tom. i, ck. 4, §, 2. (*) Dans le grec, elle efl qualifiée «W*, qU1 littéralement fignifie courtifanne cheval, de h^, cheval, & m, courtifanne ou femme abandonnée. Le met I cheval, fervoita compofer tout autre mot auquel on vouloit donnet une fignification outrée. Ménéclide qualiriant airfi Megare, la donne Pour une courtifanne qui portoit a 1 excès la licence & les goüts de fa profeffion. Ceft dans ce fens que Diogène voyant paffer a cheva! un homme paré avec une magnificence ridicule, & dont 'e métier n'étoit rien moins quhonnéte, méme \ AtHèneS^ dit ^oit long-tems cherché lhippopornos , m£is q,f enfin il venoit de le fencontrer. Voyez Athenée, liv. i3.  ij-7 LETTRE XI. Th ais (i) « Thessala. Je n'aurois jamais imaginé qu'après avoir vécu dans la plus intime familiarité avec Euxippe, je ferois contrainte den venir avec elle a. une rupture ouverte. Je ne lui reproche pas tous les fervices que je lui ai rendus lorfqu'elle débarqua dans cette vills en arrivant de Samos. J'étois alors entretenuc par Pamphile ; tu fais quelle étoit fa générolité. ISléanmoins m'étant appercua que le jeune homme cherchoit a. faire liaifon avec cette nouvelle débarquée, je ceflai de le recevoir chez moi, fans autre deffein que de fervir Euxippe dans cette intrigue nailTante. Or voici comment elle répond aux bontés dont je 1'ai combiée , & cela pour plaire a Mégare, la plus décriée de toutes les courtifannes (i), avec laquelle j'ai eu jadis quelques difrérens au fujet de StratoRj  258 Les Cot/RTïSANNES, & qui pouvoit tenir des propos imperdnens fur mon compte, fans que j'en fufiè furprife. Nous touchions aux haloennes (3) ,86 nous étions toutes affemblées chez moi pour célébrer la veille de la fête (4); le maintien d'Euxippe m'a étonnée. Elle a femblé me déclarer la guerre en fouriant a Mégare de la fagon la plus niaife (5) & en lui adreffant quelques fades plaifan-teries. Elle s'eft mis enfuite a chanter tout hautdes vers qui faifoient aliufton a I'amant qui m'avoit quittée. Tout cela m'afFecroit fort légérement, & ma tranquillité a donné carrière a fon impudence (6), aa point qu'elle a parlé très-infolemment du fard dont je me fervol»s (7) 5 tk du rouge dont je me peignois le vifage. Elle a donc oublié 1'état de mifere ou je 1'ai vue, quand elle n'avoit pas même un miroir. Si elle favoit que, fon teint eft de couleur' de fandaraque ( 8), oferoit-eile parier du mieniv  Lettre XI. iff Mais dans le fond, toutes ces fottifes m'intéreflent peu-, c'eft a mes amans que je yeux plaire, non a des figures de iïnge (?), telles qu'Euxippe ou Mégare. Je t'ai rendu compte, ma chere, de toute cette tracafleric, afin que tu ne me blames pas lorfque j e tirerai quelque vengeanee de "es impertinentes créatures. Ce ne fera pas par des plaifanteries ou des mjures: j'employerai des moyens plus furs, plus piquans , plus douloureux pour elles: je leur apprendrai quon me m'attaque pas impunément. Adrafte( 10), puiffante^éelTe , c'eft toi que j adore en ce moment. N O T E S. (i)Uyaeua Athènes une courtifanne célèbre, du nom. de Thaïs, qui devint la maitrelfe d'Alexandre-le-Grand. Quelques hiftoriens difent qua Ia fuite d'une dèbauche, elle 1'engagea a metrre le feu au palass de Perfépolis, d'oü s'enfuivit 1'incendle de toute la ville. Après la mort d'Alexandre T elle  ïtfa Les Courtisannes, paffa entre les mains de Ptolemée, 1'utl! des généraux de ee conquérant, qui euti 1'Egypte en partage, & fit de Thaïs fa femme plutót que fa concubine, dont il eut; trois enfans, Léontifque, Lagus, & Irenej Ie fecond fuccéda va fon pere au tróne: d'Egypte i Irene fut mariée a Solon , dit: Eunoftus ou le bienfaifant roi de Chypre,. II n'eft pas certain que la maitrefle d'Alexartdre foit la Thaïs que 1'on fait parler dans i cette lettre 5 ou fi c'eft la même, elle devoit alors faire fes premières armes a Athènes , ou elle acquit affez de réputation dans fon état, pour arriver a celui de favorite d'un fi grand pdnce. On cite de Thaïs un bon mot qui prouve qu'elle étoit inftruite. Un curieux la trouvanc hors de chez elle, lui demanda ou elle alloit; elle répondit par un vers d'Euripide, dont le fens étoit: « Joindre Egée, fils de » Pandion, 8c le mettre dans mes bras *>. Elle jouoit fur le mot cdyêc, bouc, qui peut-être fe prononcoit comme Fgèos, ' Egée, & faifoit allufion a 1'odeur que rendoit i'amant qu'elle alloit trouver (Athenét I tiv. 13.) Cette lettre annonce que de tout tems I  Lettre XI. 26" r les tracafferies entre les courtifannes ont été produites par les mémes caufes: un amant enlevé; jaloufie excitée paria beauté, avidité plus grande dans les unes que dans les autres, impudence plus décidée; enfin il paroit que les mêmes moeurs ont donné dans tous les tems la même conduite, les mêmes fentimens, la même facon de s'exprimer. (2) La courtifanne Mégare eft maltraitée dans cette lettre, elle ne 1'eft pas mieux dans la précédente, lorfque le trifte Ménéclide compare fa conduite a celle de 1'honnête Bacchis. La lettre neuvieme , écrite fous fon nom, ne nous la préfente pas avec des traits plus avantageux; elle parle en rille inconltante, avide , prodigue & dé-; bauchée. (3) J'ai déja dit quelque chofe des haloennes dans la note 4 fur la lettre quatrieme. J'ajouterai ici que cette féte fe célébroit en 1'honneur de Cérès & de Bacchus, après la récolte des fruits. Parmi les reproches que Démofthène fait a un certain Archias, il fonde celui d'impiété, fur ce qu'il avoit fait un facrifice au foyer de la falie de  Les Courtisannes, la courtifanne Synope , fon amie, qu'il avoit; conduite a Eleufis, tandis qu'il étoit défendu i par la loi facrée, a quelqu'homme que cc i fut, de faire aucun facrifice dans ces cir- < conftances, tk qu'ainfi il n'a voit pu s'arroger ce droit, qui appartenoit a »a feule prêtreffe furintendante des cérémonies religieufes. Or ces prêtreffes étoient des courtifannes déja d'un certain age, qui en inftruifoient de plus jeunes dans la fcience & la pratique des myftères.Nous avons vu plus haut que Phryné n'étoit jamais plus belle que lorfqu'elle s'occupoit a ces fonctions, n'ayant alors d'autres ornemens que ceux qu'elle devoit a la nature. Ainfi les courtifannes tenoient & Athènes, de même qua Corinthe , un rang qu'on ne leur accorda jamais ailleurs; il paroit même, par ce que je viens de dire , qu'elles jouilfoient dans certaines occafions de prérpgatives auffi marquées que celles des veftales a Rome. Cependant quelle différence d'une profeffion a 1'autre ! (4) Les veilles de fêtes fe celebroient avec une folemnité qui raffembloit beaucoup de gens dans le voifinage des temples. 11 y avoit des corps de batimens deftinés  Lettre XI. zöz ja cct ufage. Les courtifannes avoient des I fonctions marquées dans ces fortes d'affemIblées: on en a vu les preuves pour les fêtes Ide Cérès, de Bacchus & de Neptune ; elles I étoient miniftres eiTentielles de celles de Vénus. Un peuple auflï voluptueux que 1'étoient les Grecs, dans ce que 1'on appelle les beaux tems d'Athènes, les admettoit a toutes les cérémonies publiques, même celles de la religion , ou la volupté fembloit toujours être la- divinité principale. Le retour de ces fêtes étoit une occafïon pour les courtifannes de fe ralfembler, & de faire des feftins fomptueux aux frais de leurs amans. Les plus riches ou les plus prodigues en faifoient la dépenfe, & même recevoient fouvent chez eux toute la compagnie, quelque nombreufe qu elle fut. La lettre neuvieme donne une idéé fuffifante des plaifirs libres que 1'on fe permettoit a la fuite de ces feftins, oü le culte de Vénus faifoit oublier celui des autres divinités. (5) La maniere de rire des courtifannes paroiffoit fi indecente auX perfonnes hon- netes, ciuon tui avoit oonne un nom par¬ ticulier aui etoit devenu une iniure oour.  26"4 Les Courtisane?es, ceux qui s'y laiffoient aller. On le regar-» dok comme un exces déshonnêtei-c'eft ce que 1'on appellok cachynnus, ris immodéré, dans lequel la phylionomie fe démontoit. V. Clem. Alexand. in pedagogOj l. 2, ch. 5. (6) Tel eft le progrès naturel de 1'infolence de ces fortes de femmes les unes » 1'égard des autres. Elles mettent une certaine réferve dans leurs médifances mutuelles, tant qu'elles efperent que leur méchanceté ne fera pas découverte; mais une fois reconnues pour ce qu'elles font, elles portent 1'impudence au plus haut degré. C'eft ainfi qu'Héliodore les dépeint, liv. 8 des amours de Théagène &c de Chariclée. (7) Le rouge que 1'on reproche k Thaïs eft la couleur que les anciens ont appellée pcederota; elle fe compofoit avec les fleurs d'une plante épineufe qui croït en Egypte, ou avec la racine d'acanthe, & elle donnoit aux courtifannes cette teinte vive 8c fraiche qui brille fur le vifage des enfans fains & bien conftitués. Un fragment du poëte comique Alexis, confervé par Athenée (liv. 13,) met au fait des artifices que les  L £ T T M E XI. 2£f _les courtifannes employoient pour faire valoir leurs charmes. II eft tiré d'une comédie- qui avoit pour titre Ifoftafion, ou la Balauce; car on faifoit a Athènes la balance du mérite des courtifannes & de leur indufirie, comme on fait aujourd'hui celle du génie, du ftyle, des talens des peintres, des poëtes, des philofophes, 8rc. «Leur *> inclination dominante eft de gagner beaun coup , & de dépouiller tous ceux qui s'at33 tachent a elles. Tout autre foin leur parok n fuperflu .• aufti dreifent-elles des piéges a » tous les hommes qu'elles tachent d'attirer 33 par 1'appas du plaifir qu'elles leur pré33 fentent. Lorfqu'elles fe font enrichies, ce 33 qu'elles ne peuvent faire qu'avec le tems, 3i elles prennent avec elles de jeunes filles 33 qu'elles dreffent au même manége. La 33 première, ainfi que la principale inftruc33 Bon qu'elles leur donnent, eft que ni le ! 33 caraétere , ni les traits, ni la phyfionomie 33 ne paroiflent conftamment les mêmes. Des 33 variations fucceffives ajoutent aux char33 mes de la beauté, & rendent toujours 33 nouveaux les attraits de la volupté. La 3, petite taille s'agrandit par les chaulfures I 33 élevées: fi la ftature parok trop haute Tome I. M  i66 Les Courtisannes, 33 dans quelques-unes, elles ne portent quutil » foulier mince & plat; elles penchent néss gligémment la tête fur 1'épaule ; elles 33 mettent une certaine mignardife dans toute • o> leur contenance , qui n'eft pas fans agré03 mens. Celle dont la maigreur donneroit 33 une idéé peu attrayante de fes appas fe33 crets , s'arrange de maniere a préfenter 03 aux amateurs les apparences d'une belle j 03 conformation. Si le ventte eft trop éle- j o, vé , on le reiferre avec des bandages. 03 Les difformités de la taille fe corrigent ^i oj avec de perites tablettes artiftement dif-f » pofées. Celles qui ont les fourcils roux : oj les teignent avec le noir de fumée. Les oo teints bruns s'éclairciflent avec la cérufe.j o, La blancheur qui parok trop fade, eftj os animée avec le- rouge. oo Elles laiflent a découvert tout ce quelles* 03 ont d'atti-ayant. Celles qui doivent a lal 03 nature de belles dents , rient fans ceiTe] >3 pour que la beauté de leur bouche fok 03 mieux appercue. Celles au conrraire qufl oo out le rire défagréable, dont les dentsj oo font mal arrangées ou noires , ne fe mon-| '33 trent que la nuit, & tiennent toujours] » entre les lèvres une petke branche dd  Lettre XI. iCy »> myrte qui couvre leurs dents lorfqu' elles a> fout obl.igées d'ouvrir la bouche 3», C'ell par ces artifices multipliés qu'elles confervent leurs agrémens, qu'elles réparent les ravages que produiiènt fur leur figure les fatigues attachées 3 leur profeffion , & qu'elles font difparo'ure les défauts mêmes de la nature. (8) Le grec dit exprefleiïient (,x?a/xec, vttvS*a.%d%r,c.), couleur ou peau de fandaraque, d'un rouge orangé, ce qui ne pouvoit préfenter qu'un teint très-défagréable. (?) Arillophane, dansles Acharniennes, appelle une vieille coquette, figure de fi 'nge, couverte de cérufe & de rouge. (10) Les Grecs, peuple vif Sc fenfible, firent de la vengeance une déeffe favorite, a Ia puilfance de laquelle ils avoient recours dès qu'ils fe fentoient oftenfés. C'eft ainfi que Démofthène fait parokre les fentimens don* '1 étoit animé dans fa harangue contre Ariftogiton : « Je fens que je fuis 33 homme; je t'adore , puifiante Adraftia. Je =j vous rends graces, dieux immortels! Sc 33 vous tous, mes conckoyens, c'eft par votre Mij  2.6% Les Coürtis an ne s, » prote&ion que j'exifte encore fain 8r » faufPlaton (/. 5 (ff Republ.) parle avec la même chaleur de la déeffe de la vengeance, dont il attend Ia protecïion pour ce qu'il va dire. C'eft la même déefle que 1'on invoquoit fous les noms d'' Adraftia , NtSniéfis, Rkamnujta. Les Grecs lui donnerent le nom d'Adraftia, paree qu'Adrafte , roi de Sycione , lui fit batir un temple a Pvhamnus, bourgade, dit Paufanias (liv. 1 , ch. 35,) éloignée de Marathon de foixante ftades , d'oü elle prit le nom de Rhamnulïa. Les habitans de ce bourg, dit Paufanias, ont leurs maifons fur le bord de la mer j & Néméfis a fon temple fur une éminence, Elle y étoit repréfentée tenant d'une main une baguette de frêne, & de 1'autre une phiole.Le bourg de Pvhamnus fubfifte encore aujourd'hui fous le nom de Tauro-cajlro. Lorfque la vengeance étoit portée a 1'excts, on lui donnoit le nom d'Erynnis. Tantót on la regardoit comme produite par le deftin dans toute fa force; tantót comme fille de la Juftice, rendant a chacun ce qu'il mérite; quelquefois comme une puiffance célefte qui n'avoit point de rang fixé parmi les dieux, punilfant les eoupables, proté-  Lettre XL 2.6$ geant les bons. Comme fes elfets étoient fenfibles & prompts , on la repréfenta ailée, avec une roue fous fes pieds, fymboles qui fignifioient la promptitude de fon aéiion. Elle portoit un frein & une regie , pour défigner que la vengeance ne pouvoit s'exercer qu'avec mefure & retenue. Dans les troubles qui fuccéderent aux beaux fiecles de la république romaine , les poëtes feignirent que Néméfïs , indignée contre les crimes des mortels , ne daignoit plus jetter les yeux fur leurs démarches , qu elle s'étojt retirée avec fa mere dans la partie du ciel la plus reculée, ou elle attendoit le renouvellement du monde, pour paroltre de nouveau fur la terre. Allégorie frappante de 1'impunité des crimes dans les tems de aéfordre. Miij  27° Les Courtisannes, LETTRE XII. Thaïs a Euti-iydême. 33epuis que vous vous êtes mis ert têtè de philofopher, vous êtes devenu orgueilleux, & votre regard hautain annonce la fierté qui vous domine (i). Couvert du manteau de votre profeffion nouvelle, tenant un livr-e a la main , vous allez d'un pas grave a 1'académie. Vous pafiez devant ma porte avec autant d'indiflerence que fi jamais vous ne fuffiez entré chez moi. Vous devenez fou, Euthydême ! Vous ignorez quel eft le fophifte arrogant qui vous entretient de fes rêveries obfcures, qu'il vous donne pour des connoiftances merveilleufes. 11 y a long-tems que j'aurois fait fa conquête li je i'avois voulu (2); mais n'ayant rien pu obtenir de moi, il s'eft jetté dans les bras d'Herpyllide , la fervante de Mégare (5 ).  Lettre XIL Vous favez ce qui m'a empêchée de le fatisfaire; je préférois le plaiftr de vivre avec vous, a tout lor des fophiftes. Puis donc qu'il vous a fait rompre tout commerce avec moi, rien ne m'empêchera plus de le recevoir; & fi vous le voulez, je vous ferai connoïtre ce maitre févere qui a tant d'averfton pour les femmes. Vous verrez ff, lorfque pendant la nuit il s'abandonne a 'fon goür pour la volupté, il fe contente des plaifirs ordinaires (4). Son extérieur grave, fes difcours aufteres, ne font donc que fupercherie & vanité pure; c'eft ainfi qu'il en impofe a la jeunellé dont il tire un ft riche falaire. Penfez-vous donc qu'il y ait tant de différence entre un fophifte & une courtifanne; S'il y en a , ce n'eft que dans les moyens qu'ils employent pour perfoadw; 1'un &c 1'autre ont le même but, de recevoir (5 )• Mais combien fommes-nous au-deflus d'eux par la bonté & 1'équité dont nous M iv  272 Les Couetisannes, faifons profeffion. Jamais nous n'avons révoqué en doute 1'exifbnce des dieux, nous qui croyons fi volontiers les fermens & les proteftarions de nos amans (6). Bien loin de confeÜler aux ciroyens de fe tout permettre avec leurs plus proches parentes (7). notre intérêt eft de les éloigner même du cemmerce de toutes les femmes Kiariées. Seroit-ce paree que nous ignorons la caufe de la formation des nuées & la pro priéré des atómes, que nous vous paroifions au-deffous des fophiftes? Mais fachez que j'ai perdu mon tems a m'inftruire de ces fecrets de votre phiiofophie, «Sc que j'en ai raifonné peut-être avec autant de connoifiance que votre maïtre (8). Ce n'eft pas dans la fréquentation des courtifannes que fe font formés les tyrans. On n'a jamais vu fortir de leurs bras les féditieux qui ont bouleverfé les républiques ( grave, dit Licinus a fon ami! pourquoi sj cette mine auftere ? dis-moi ce qui ta » rendu fi dédaigneux ? tu nous regardes a dj peine. — C'eft que de pauvre je fuis de33 venu riche; d'efclave, libre, de fou, fage. 33 j'étois dans cette penfée lorfque tu m'as 33 abordé, tk comme tranfporté dans le ciel; 33 je méprifois toutes !es chofes du monde, 3, comme fi -c/eut été de la böue 3,. Dialogue de Nigrinus, ou les Maeurs d'un philofophe. C'eft ainfi que les fophiftes, par leurs pompeux difcours, favoient exalter 1'efprit 'de leurs difciples, qui d'ordinaire payoient fort cber ces fublimes lecons.- Aujourd'hui elles fe. donnent gratuitement, tk les fuceeffeurs de Nigrinus trouvent a peine dès auditeurs affez complaifans pour les écouter, & encore moins pour'les croire.  Lettre XII. ^75 Dans le dialogue de Caron, Mercure & plufieurs mórt's , le portrait du philofophe eft achevé. «= Quel eft eet autre avec fa » mine grave ? on diroit qu'il rêve profondement : fon fourcil me fait peur. Veux» tu, Ait Ménippe, que je lui óte un peu de la hauteur de fes fourcils , car il les » releve par-deffus fon front *. ? On le fait déshabiller , & on trouve fous fon manteau un amas prodigieux de doutes , d'impertinences, de rêveries , de penfées vaines & frivoles , de queftions obfeures & embrouillées, de curiofités inutiles. « Mais qu'eft-ce qu'il nous cache ici, dit » Mercure ? Son ambition, fon avarice , fes » débauches. Quitte tout cela,ajoute-t-il,& » ton arrogance, ton efironterie & ta colere, » car il faudroit une galere a trente rames „ pour te porter ». D'après une pareille autorité , on voit qu'il n'y a rien d'outré dans le portrait que fait Thaïs des fophiftes de fon tems. Les jeunes gen? qui les écoutoiept fe faifoient une gloire de modeier leur extérieur fur celui de leur maïtre. »Us ont une » vanité ridicule qui leur fait affeCter une Mgravité compofée, une afiurance inful3> tante , un air de dédain & de mépris pour M vj  a-76 Les Co urtïsannes, ?i tout le refte des hommes. Voila ce qu'inf« pire, ce que donne le manteau philofc33 phique aux jeunes gens qui ont Ia vanité 33 de s'en couvrir 3,. Plutarque , de la diftinclion du flaneur & de l'ami. (2) Thaïs femble défigner ici Ariftote qu'elle ne nomme point; mais la maitreffe qu'elle lui donne , en eft la preuvej comme on le verradansla note qui fuit. En général, toute cette lettre eft une critique des chefs des fecïes les plus célébres j de Platon , Socrate , Ariftote, Epicure , &c. & fur-tout de la morgue philofophique. ( 3 ) Herpyllis, qui eft ici qualifiée fervante de Mégare , courtifanne fort décriée, étoit plutót une jeune courtifanne a fon apprentiifage, &: probablement Ia même qui fit depuis les délices du célèbre Ariftote, dont il eut un fte-appellé Nicomaque. II vécut avec elle dans Ia plus grande intimité, jufqu'a la mort 5 il aflura fa fortune par fon teftament en reconnoiffance, dit-il, des fervices qu'il en avoit recus, & de fon excellent caradiere. On peut lire le teftament du philofophe dans Diogène-Laerce.  Lettre XIL zjj On y verra que le bien-être d'Herpyllis lui tenoit plus a cceur que tout autre objet par 1'attention avec laquelle il recommande fes intéréts a fon exécuteur-teftamentaire.Voyez Athenée , l. 3 , & Diogène-Laerce in Arift. (4) S'il fe contente des plaifirs ordinaires. Ceci ne demande pas une explication plus ample. La courtifanne Drocé , dansles dialogues de Lucien, inveélivant contre Ariftenete qui lui enleve Clinias, fon amant, dit que ce philofophe avoit un amour malhonnéte, & qu'il ne lifoit a fon difciple que les dialogues amoureux d'anciens philofcphes. C'eft un reproche que 1'on a fait aux Grecs dans tous les tems, & dont on a peine a les difculper. Cependant eet Ariftenete affublé d'une longue barbe , ne fe montroit jamais au Pecile fuivi de fes difciples, que fous un extérieur févere, avec un air toujours penfif Sc mélancolique. (y) Ce qui prouve combien les courtifannes étoient répandues dans la fociété a Athènes , c'eft qu'elles avoient des querelles continuelles avec les philofophes, & qu'il ne paroit pas que jamais elles leur aient cédé le terrein. Elles fe mettoient au même  278 Les Couetisannes, ' rang qu eux, pour les dangers & les avanrages que la jeunefle pouvoit efpérer ou craindre de leur fréquenration mutuelle. j'ai rapporré dans le difcours fur les courtifannes, la réponfe de Glycere a Straten, qui 1'accufoit de gater la jeunefle; elle lui prouva par bonnes raifons, que les philofophes n'étoient pas exempts de ce blame. Thaïs va plus loin encore , elle déprime tout-a-fait leur profeflion , ne les traite que comme des fophifles, & leur fait en peu de mots , comme en paifant, les reproches les plus graves fur 1'abus qu'ils faifoient de la philofophie ou de 1 etude de la fageffe, & fur les inccnvéniens qui en réfultoient pour la république en général, & chaque citoyen en particulier, ainfi qu'on le verra dans Ia fuite des notes fur cette lettre. (6) Jamais nous n'avons révoqué en doute Cexiftence des dieux. On ne peut pas douter que ceux qui fe donnoient pour philofophes n'enlëignaflent en termes prefque formels, qu'il n'y avoit point de dieux. Ils difoient ouvertement que la nature & lehafard étoient les auteurs de ce qu'il y a de.plus beau & de plus grand dans 1'uni-  Lettre Xlh vers; fentimeng auquel ils donnoient une explication fondée fur certaines lcix de la nature qu'ils prétendoient être généralement connues , & qui a été renouvellé plus d une fois dans notre fiecle. * Ils affuroient, dit Platon , » que les dieux n'exiftoient point » par nature, mais par art & en vertu de » certaines loix: qu'ils font différens dans les „ différens pays, felon que les légiflateurs fe » font plus ou moins concertés entr'eux. Que „ 1'honnête eft autre fuivant la nature, autre „ fuivant la loi. Que pour ce qui eft du jufte, „ rien abfolument n'eft tel par nature ; mais „ cue les hommes, toujours partagés de fen» timens a eet égard, font fans ceffe de nous. velles difpofitions par rapport aux mêmes „objets. Que ces difpofitions font la mess fure du jufte pour autant de tems qu'elles ssdurent, tirant leur origine de 1'art & des loix , & nullement de la nature. » Telles font les maximes que nos fages » débitent a la. jeuneffe ; foutenant que rien bi n'eft plus jufte que ce qu'on vient a bout 54 d'emporter par la force. De-la 1'impiété » qui fe gliffe peu a peu dans le coeur des os jeunes gens,lorfqu'ilsviennenta feperfua„ der qu'il n'exifte point de dieux, tels qae  i2o Les Coüetisa nnes, » la loi prefcrit den reconnoitre. De-la lesi » féditions, chacun tendant de fon cóté versi «1'état de vie conforme a la nature, lequel I «confifte dans le vrai a fe rendre fupé-. » rieur aux autres par la force, & a fecouer : m toute fubordination établie par les loix *.. Voyei les loix de Platon, liv. 10. II ne faut pas réfléchirlong-temspour reconnoltre la très-antique origine de tous les fyftêmes modernes que la plupart de nos génies créateurs prétendoient avoir imaginés pour le bonheur de leurs femblables. (7) Se tout permettre avec leurs plus proches parentes. La courtifanne continue fes raifonnemens captieux, & tente d'établir combien fa profeinon eft plus utile k la république que celle du philofophe. Elle attaque la doctrine du divin Platon, fans le nommer. Dans fes livres politiques , il cherche a excufer Ie crime qui conduifit le malheureux (Edipe a Ia fin la plus tragique, fur. 1'ignorance ou lbn peut être de la perlonne a laquelle on fe trouve uni : ce qui peut arriver très-aifément a des freres & 3 des foeurs; alors lunion eft auffi légitime quelle puiffe 1'être, & on na rien a lui  Lettre XII. 28 * reprocher. Il s'efforce de pallier ces griefs; il emploie toutes les reflbutces de fon éloquence pour éviter les reproches qu'on eft en droit de lui faire ; mais c'eft par des moyens fi peu fürs, que fon embarras eft a découvert. D'ailleurs ce philofophe inclinoit beaucoup a rendre les femmes communes. Auffi Epiftete dit-il que les dames romaines, lors de la plus grande corruption des mceurs, avoient fans ceffe entre les mains les livres de la République de Platon, oü il infinue qu'il eft avantageux que les femmes foient communes. Comme ce légiflateur tenoit le premier rang parmi les philofophes, la courtifanne attaque fes dogmes, qu'elle croit avec raifota être contraires aux mceurs Sc au bon ordre de la fociété, pour égaler au moins fon état, que la philofophie déprimoit fi fort, a celui des fophiftes, relativement a 1'utilité que le public pouvoit attendre des deux profeüions. Les partifans enthoufiaftesde Platon Sc de Socrate ne verront pas de bon ceil que leurs héros aient donné dans ces écarts : mais qu'ils penfent aux foibleffes, aux incertitudes de 1'efprit humain abandonné a fes feules lumieres, Sc ils n'en ferontpas furpris.  a8z Les Couetisannes, (8) J'ai perdu mon tems d m'inftruire de ces fecrets. Toutes les courtifannes de quelque réputation faifoient gloire d'être inftruites dans les belles - lettres, plufieurs même s'appliquoient aux muthématiques & a la philofophie. Nous avons déja parlé de Léontium , tout-a-l'heure Afpafie paroitra fur la fcène.: il eft a croire qu'elies avoient des imitatrices. Les connoiifances qu'elles a-cquéroicnt par 1'étude, rendoienr leur conv.erfation plus int#relTantc, leurs réparties plus vives & plus fpirituelles, on recherchoit leur fociété avec plus d'emprelfement, ainfi elles multiplioient leurs amans, & augmentoient leurs profits. (p) On n'a jamais vu fortir de leurs bras les fe'ditieux qui ont bouleverjé la république. Ceci eft un nouveau fophifme de la courtifanne; elle prend 1'air de la vérité pour aflurer que ceux qui paffent les jours & les nuits dans les lieux de débauche, ne s'occupent jamais de grands deffeins ni d'entreprifes périlleufes ; qu'ils ne fongenc qu'a s'y livrer a. tous les excts de la volupté : tandis que les philofophes, difputant fans ceffe fur lesintérêts publics, échauffent  L £ t t r e XI L 28; Timagination de leurs difciples, & fouvent font la caufe première des troubles qui s'élevent, & des dommages qui. en réfultent. On voit quelle attaque iciindireaementSocrate, dont Critias, 1'un des trente tyrans qui s' emparerent du gouvernement d'Athènes après qu'elle eÜt été fubjuguée par Lyfandre, avoit été le difciple, même 1'un des plus renommés par fes grands talens qu'il n'employa q«i opprimer fa patrie. 11 porta la cruauté au point que les bannis de la république n'ayant plus de reffource que dans leur défefpoir, vinrent 1'attaquer fous la conduite de Trafibule , avec tant de fuccès , que Critias périt les armes a la main , & avec lui les trente Archontes dont il étoit le principal. II eft bon d'obferver que ce même Critias interdit a Socrate, fon maïtre , 1'inftruction de la jeunefle , lorfqu'il fe fut emparé de la puiflance fouveraine , paree que le philofophe déclamoit ouvertement contre les violences du tyran. Voyz^ le livre premier des Dits mémorables par Xénophon. (10) Périclès a été le difciple d'Afpafie. Je me fervirai ici de la tradufticn d'Amyot, ainfi que jc 1'ai déja fait, pour rapporter ce  2§4 I-ES Co UETISANNESj que Plutarque dit d'Afpafie dans la vie de Périclès. « Quant a Afpaiïa, les uns difenÉ => que Périclès la hanta comme femme fa» vante & bien entendue en matiere de » gouvernement d'état; car Socrate 1'alloit » auffi voir quelquefois avec fes amis; & p> ceux qui la hantoient y menoient aucunes 33 fois leurs proptes femmes , pour 1'ouir si devifer, combien quelle ne mendt un » train qui n'étoit guère fionnête , pour ce »qu'elle tenoit en fa maifon de jeunes » garces qui faifoient gain de leur corps, » Efchine a écrit qu'un homme de la plus4 ss baffe naiffance , dont 1'état étoit de comm mercet en bétail, devint, par les intrigues *> d'Afpafia j après la mort de Périclès, le si premier homme de la république. Cette 33 femme avoit le bruit d'être hantée par 33 plufieurs Athéniens, pour apprendre d'elle 331'art de la rhétorique. Cependant il eft 33 vraifemblable que Périclès avoit concu 33 une vive paffion pour elle , car il répudia 33 une femme dont il avoit déja eu un fils, 33 pour époufer Afpafia, pour laquelle il eut 33 toute fa vie la plus grande tendreffe. Auffi »3 eu égard au mérite de Périclès &: a. fon s» rang , on appelloit Afpafia, la nouvelle  Lettre XII. z§$ k Omphale, Déjanire, Junon; c'eft fous ces » noms que les poëtes comiques la défignem rent: fouvent même ils la traitoient encore 33 plus mal... Hermippus, poëte comique, ac» cufa Afpafia de ne point croire aux dieux, » difant de plus qu'elle fervoit de macque» relle a Périclès, recevant chez elle les » femmes des citoyens dont Périclès vouloit 33 jouir. Le crédit de Périclès , & fes folli3> citations inftantes, qui mème étoient ac33 compagnées de larmes, ia fauverent & la 33 firent abfoudre : tandis qu'il abandonna 33 fon ma'itre Anaxagoras, accufé d'impiété, 33 défefpérant fans doute d'obtenir tant de 33 graces a-la-fois 33. Cette Afpafie, fi célèbre a Athènes, étoit •née a Milet, ville de 1'Afie mineure. Nonfeulement elle fut regardée comme trèsinftruite dans 1'art de 1'éloquence, mais en■ core elle eut la gloire d'avoir formé des éleves de la plus grande réputation, tels que Périclès & Socrate, qui avouerent publiquement devoir tous leurs fuccès a fes inftruflions. On peut voir ce qu'en dit Socrate, ou plutót Platon dans le Banquet & dans le Phédre. Les fatyriques de fon tems pré-  z%6 Les Courtisannes, tendent que la vogue qu'eut cette Afpafie, multiplia les courtifannes dans la Grèce fur-tout a Athènes, oü elle en forma plu-I fieurs, uniquement deftinées aux plaifirs de cette ville voluptueulè. J'ai parlé dans le difcours fur les cour-ï tifannes, de la caufe qu'Ariftophy.ne donne a la guerre du Péloponnèfe, qu'il auribuej principalement a Afpafie 5 il auroit pu lui joindre la folie paflion de Périclès pour lal courtifanne Sirr.èthe enlevée aux Méga-J riens, Sc qu'il ne voulut pas leur rendre J paree qu'elle lui plaifoit; ainfi que le dil Cleitarque, dans fon livre des avantures amoureufes, cicé par Athenée ( livre 13A Ces traits contredifent formellement l'affer-» tion de Thaïs, qui avance dans cette lettrd qu'elle & fes femblables n'ont jamais cauft}: aucun trouble dans la république. Quant a Socrate, il dit lui-même dan| le Phédre , que c'eft d'Afpafie qu'il a apprisl comment on peut s'élever par la vue de, la beauté des corps a la contemplation decelle de 1'ame: que c'eft elle qui 1'a infij truit dans la connoiffance des génies & del dieu même. Une telle fource d'inftrudlion étoit-elle bien pure ? Il y a quelque lieu]  Lettre XII. 287 d'eti douter. Outue cc qui eft dit dans 1c Protagoras de Platon, des empreffemens de Socrate pour Alcibiade , qui reffembloit a une paffion violente , Athenée (livre ,5 ) rapporte des vers attribués a Afpafie ,. qui péignent avec de fortes couleurs cette incliriation. « Je vois, lui dit-elle , que vous 33 êtes tout de feu pour le fils de Dinoma33 que & de Clinias.-Ecoutez-moi, fi vous 33 voulez que votre amour arrivé a fon but, 33 faites ce que je vais vous confeiller... ,3 Socrate. Vos paroles font naitre, en moi 33 la plus douce émotion ; je fuis prêt a en 33 pienter de joie... Afpafie. Allez clonc , & 33 que les mufes vous infpirent, ce font elles =3 qui vous le gagneront: il aime les chantsj =3 la mufique vous 1'attachera; a ce pre33 mier moyen, joignez quelques préfens qui 33 lui piaifent 33. Mais rien ne réuffiifoit a Socrate ; Alcibiade paroiffoit infenfible : le .philofophe étoit pénétré de ,1a plus vive douleur; c'eft dans eet état qu'Afpafie le rencontre tk lui dit: te Quoi, vous pleurez, 33 ami Socrate ! 1'amour renfermé dans votre 33 fein , auffi violent que la foudre, fait for33 tir de vos yeux cette abondance de lar33 mes. Ce jeune homme, que je m'étois en-  288 Les Coüetisaxnes, » gagée de rendre fi doux, fi complaifani, » eft toujours iuexorable a vos défirs On jugera par ce trait de la liaifon intime des courtifannes fameufes avec les philoibphes le's plus célébres, ainfi que des confeils qu'elles favoient leur donner dans 1'occafion. II y a eu une autre courtifanne du nom d'Afpafie; elle étoit de Phocée, & portoit le nom de Milto, qu'elle changea en celui d'Afpafie, lorfqu elle devint maitreffe de Cyrus le jeune , après la mort duquel elle palfa entre les mains d'Artaxerxe, J'en ai déja dit quelque chofe. LETTRE XIII. SlMALION U P Ê T A L A. Si c'eft pour vous divertir, ou pour en tirer yanité auprès des perfonnes de votre fociété, que vous m'accablez de vos dédains •, lorfque je me préfente fans ceftè a votre porte, fans pouvoir pénétrer jufqua vous \ ou que j'en fais mes plaintes a vos femmes lorfque je les rencontre allant de  L E T T i! E XIII. jgc; de votre part chez des amans plus heureux que moi, vous avez raifon de me traiter auffi durement. Sachez cependant, quoique je fois perfuadé que c'eft en vain que je vous parle de ma lituation & de mes fentimens, qu'aucun de vos amans, méprifé comme je le fuis, ne vous refteroit autant attaché que moi. Je croyois trouver du foulagement a mes niaux, en büvant amplement avec Euphrone, ces trois derniers jours. J'efpérois fcannir par ce moyen les inquiétudes de la nuit qui m'étoient infupportables (i): tout le contraire eft arrivé; le vin n'a fait qu'augmenter ma paflion pour vous: elle me dévore; je pleure, je jette les hauts cris; quelques ames honnêtes & compatiflantes ont pitié de mon état, les autres me rient au nez, & fe moquent de ma folie. Le fouvenir d'une légere attention que vous avez eue pour moi, eft le feul motif Tome I. N  zyo Les CourtisanneSj, de confolation qui fe préfente a mon chagrin. La derniere fois que je me fuis trouvé a votre table, lorfque je me plaignois de vos riguears, vous laifsates tomber de mon cbté quelques-uns de vos beaux cheveux que vous me parütes avoir arrachés exprès pour que je les confervalTe* (2). Votre def fein auroit-il été de me faire entendre paria que mon amour ne vous eft: pas touta-fait défagréable ? Si mes plaintes vous amufent, je confens que vous les prolongiez encore, que vous en plaifantiez avec ceux que vous vous piaifez a rendre heureux. Ils doivent s'attendre a être traités bientöt avec autant d'indifFérence que moi. Mais prenez garde que votre orgueil n'irrite Vénus contre vous, appaifez-la par vos fupplications. Tout autre que moi vous eut accablée de reproches ; & je me crois heureux de pouvoir vous adreffer mes vceux. O ui, charmante Pérala , je vous aime éperduement. Quelque douloureufe que foit ma fituation,  L È T T R & XII ï, 2«>! |e tremble qu'elle ne dévienne encore plus affligeante, & que mon dépit n'attire fur moi tous les malheurs que j'ai vu naitre de querelles amoureufes portées trop loin* NO TES. (i)Quoique les Grecs regardaffeat le vin comme le don le plus précieux des dieux bienfaifans, ils en connoilfoient affez les effets pour favoir qu'il n'étoit rien moins que propre a calmer les paflïons, & furtout les ardeurs de 1'amour; ainfi Pétalion s'y prenoit mal , de boire beaucoup pour éteindre fes feux, Callimaque avoit chanté que la force du vin eö égale a celle du feu : pris abondamment, il met toutes les humeurs du corps en mouvement avec autant de violence que le vent du midi ou Borée foulevent les flots de la mer. 11 tire les fecrets de 1'homme du plus profond de fon coeur; il met le défordre dans fon efprit 8c fes idéés. Ariflophanes s'exprime a ce fujet avec la plus grande énergie. « Le si vin eft, dit-il, agréable a boire , c'eft »le lait de Vénus & des amours, mais il Nij  tj» Les Courtisankes, si précipite dans les excès de la débauchc 3, la plus honteufe & la plus criminelle 33 ceux qui en prennent avec excès ... 33. C'eft a TefTet du vin qu'Antiphane, autre poëte comique , attribue le crime de Macarée. " Epris de 1'amour le plus violent 33 pour fa foeur Canace , il fut contenir pen33 dant quelque tems la paflion qui le tour» mentoit; elle paroiffoit avoir cédé a la 33 fagefle de fes réflexions ; mais enhardi 33 par le vin, qui n'infpire que des réfolu33 tions violentes, il oublie tout ce que Ia 33 raifon & 1'honneur pouvoient oppofer a 33 fes defirs inceftueux 5 il fe leve pendant 33 la nuit, & va ravir cette fleur qu'il n'au33 roit jamais dü flétrir 33. Voye\ Athenée, liv. 2 & 10. Dans Ie livre 7 de 1'Anthologie , on trouve cette jolie épigramme fur 1'aótivité que le vin donne a 1'amour: «Ncuant une couronne , j'ai découvert 33 1'amour caché entre des rofes. Je 1'ai faili 33 par 1'aile, j'ai plongé dans le vin le petit 33 étourdi, & je 1'ai avalé. Mais comme il 33 s'en venge ! il fait rage jufques dans la 33 moëlle de mes os 33. (i) 11 eft queftibn ici d'une faveur qui  ; Ij e t t r e X 111- z9i a toujours enchanté les amans, de la réeompenfe la plus chere que la beauté put accorder a 1'amour, au moins parmi les Grecs : c'eft ainfi que s'exprime un poëte de cette nation dans 1'Anthologie , liv. 7: «Doris , avec un cheveu qu'elle a tiré 33 de fa belle chevelure, blonde m'a enchai0) né ; je me moquois de la foibleffe de ce o> lien qui me fembloit fi léger; >e croyois os m'en débarrafler fans peine. Mais j'en ,3 éprouve la force , je me fens lié d'une o, cbaine de bronze contre laquelle tous 03 mes efforts font inutiles. Malheureux que 03 je fuis! je ne tiens qu'a un cheveu, & ma » belle me conduit comme ii lui plak».... Tant il eft vrai que , comme le dit une de nos anciennes 8c joyeufes chanfons, Un cheveu de ce qu'on aime , Tire plus que quatre bceufs. L'efpérance que laiffoit au langoureux Simalion cette faveur légere, ne tenoit qu'a un cheveu ; il paroït par la fuite de fa lettre qu'il y comptoit peu, puifqu'il fe dévoue a»x plailanteries, même aux infultes de la courtifanne pour autant de tems qu'il lui plairoitOn verra dans la réponfe qui fuit, qu'il ne devoit pas s'attendre a un fort plus heureux, N iij  2?4 Les Courtisannes, LETTRE XIV. PÉTAZA a SlMAlION. Si vos plaintes & vos pleurs pouvoient entretenir une maifon, je vivrois dans 1'opulence, car vous me les prodiguez. Ce qu'il me faut a préfent, c'eft de 1'or, des habits, de la parure & des fervantesi ai-je tort d'en demander, & puis-je me foutenir autremcnt t Mes parens ne m'ont point laifle dc biens .a Myrrhiuonte (i), je n'ai intérêt »i pré tention fur les mines dargent de l'Atxiqua^z) : j'attends tout de la généroftté de mes amans. Je n'ai d'autres fonds que leurs préfens fouvent fort mefquins & prefque toujours faits de mauvaife grace, quand ils ne gémilTent pas tout haut ftir la dépenfe (3 ). Depuis un an que vous me fréquentez, eutre 1'ennui dont vous m'excédez, volts me laiflez manquer de tout. Voyez dans.  Lettre XIV. ijj quel état eft ma chevelure faute de parfums : la malpropreté forcée de ma tête m'eft devenue infupportable. Je n'ofe pas fortir & voir mes amies, avec cette vieille robe de poil de chevre que je porte depuis un fiecle (4). Et je dols être contente de eet équipage , palier les jours & les nuits a votre coté , pendant qu'un autre aura fans doute la bonté de pourvoir a mes befoins. Vous pleurezl oh, cela ne durera pas. 11 me faut de toute nécelfité un autre amant qui m'entretienne mieux, car je ne veux pas mourir de faim. J'en reviens encore a vos larmes, elles font dun ridicule qui m'étonne. J'en jure par Vénus, vous êtes charmant 1 Vous m'aimez, vous voulez que je vous accorde toutes mes faveurs, vous ne pouvez vivre fans cela-, vous me le répétez fans ceiTe. Eh quoi donc! n'avez-vous point de coupes dargent chez vous? ne favez-vous pas oü votre mere cache fas N iv  Les Coürtisannej, épargnes, oü votre pere refierre le produit de fes revenusïmettez Ia main delTus, & venez (c ], Que Phyloris eft heureufe ! elle vit fous 1'afpect le plus favorable des graces. Quel amant que Ménéclide! tous les jours il ia eomble de nouveaux préfens. Cela vaut cerrainement mieux que des iarrnes. Quant a moi, pauvretre , j'ai pour mon tot, non un amant, mais un pleureiir qui croit avoir tout fait en m'envoyant quelques fteurs; fans doute pour orner le tombeau oü me conduira la mort prématurée qu'il me ménage. II ne fauroit que dire, s'il n'avoit a m'apprendre qu'il a pleuré toute la nuit. Si vous avez quelque chofe a m'apporter, venez , & ne parlez plus de vos pleurs ( dit que fes compagnons de voyage fe firent apporter de la - terre de la montagne de Laurium , Jk qu'ils trouvoient dans fa couleur noiratre, dans fa pefanteur, & dans fa diflblution , toutes les qualités des terres qui font mêlées de quelques veines d'argent. Si par la fuite des tems, les mines anciennement abandonnées a raifon de leur épuifement, fe régénerent ainfi que le prétendent quelques minéralogiftes, il feroit poffible d'exploiter de nouveau les mines de i'Attique , & d'en tirer les mêmes profits fjuell^pionnoient autrefois. (5) Il fe trouvoit quelques courtifannes défintérefiees, mais elles étoient rares. Leurs meres, ou celles qui tenoient la maifon , veilloient a ce qu'elles n'accordaffent leurs faveurs qu'a ceux qui étoient en état de  Lettre XI V x$$ les payer. Voye\ dans les Dlalogues des courtifannes de Lucien , celui de Mufarium & la mere, oü celle-ci dit avec étonnement: tc Quoi ! depuis deux mois qu'il a 1'air de s> t'entretenir, ilne te paye que de paroles... 33 fi mon pere meurt; .... fi je fuis jamais 33 le maitre ;... fi je puis avoir du bien , o> & autres propos femblables. Mais pour 03 de 1'argent ou des préfens , il n'en eft pas o, queftion. Tu n'en recois pas même des os parfums. Croit-il nous entretenir toujours 03 d'excufes & de révérences ? c'eft faire o. 1'amour a trop bon marché 33. (4) Cette vieille robe de poll de chevre, On lit dans le texte : cette e'tofe de Tarente. On y fabriquoit autrefois, & dans plufieurs autres villes de la grande Grèce, des étoffes de laine fine & de poil de chevre, qui fuivant qu'elles font défignées, devoient relTemblera nos camelots ou a nos étamines, & qui étoient fort recherchées. Celles de Tarente étoient les plus belles, & un objet de luxe dans un tems oü la foie étoit prcfqu'inconnue. Voye\ Pline, Hift. Nat. liv. 8, ch. 48. Ces étoffes étoient rayées de différentes couleurs, & on les employ'oit aux Nvj  3o<3 Les Courtisannes, habits de théatre, ainfi que nous 1'apprend Athenée (liv. 14. v (5) Mette\ la main dejfus , & venei, C'étoit 1'ufage des courtifannes de donner de femblables confeils aux fi!s de familie qui s'attachoient a elles. Dans le dialogue 1 2 des courtifannes par Lucien, Joeffe fe plaignant de • 1'indifférence de Lyfias, fon amant, lui dit qu'elle ne lui a jamais demandé de 1'argent comme font les autres, & qu'elle ne la pas obligé a dérober fon pere & fa mere pour lui faire des préfens. (6) C'eft ainfi que s'exprime dans Térence un entremeteur, parlant a un amant d'autant plus langoureux, qu'il n'avoit pas de quoi payer. « Je vous ai fouffert pen*> dant plufieurs mois contre mon inclina33 tion & mon goüt, pleurant, promettant » & n'apportant jamais rien. J'ai enfin trou» ve ce qu'il me faut, un homme qui paye =0 & ne pleure pas. Adieu, je vous fouhaite »> meilleure chance, fi vous pouvez la trou» ver ». Dans le Phormion , act. 3, fein. 2. KJ-  3or LETTRE XV. MYRRHIN E (i) CL NlCIPPE. Dl PHILE n'a plus d'artentions pour moi: il paroïr êntiérement livré a 1'infame ThelTala. II a conftamment mangé & couché avec moi jufquaux dernières fêtes d'Adonis (2). Je m'appercevois cependant qu'il commencoit a s'en dégoüter; ii faifoit le merveilleux, il me donnoit a entendre qu'il avoit une autre paffion: quoiqu'il ne vint ordinairement que déja ivre & foutenu par fon ' ami Helice , qui bien qu'amoureux d'Herpyllis, palïbit une partie de fon tems chez moi. A préfent, il dit tout haut qu'il n'y mettra plus le picd. Je le crains avec d'autanr plus de raifon, que depuis quatre jours entiers, il n'eft pas forti des jardins de Lylïs oü il fait la débauche avec ThelTala, & le  302 Les Courtisannes, fcélérat Strongilion , qui pour me faire piece, lui a donné cette nouvelle maitrefte. Je lui ai écrit a difterentes fois: je lui ai envoyé menages fur menages ; j'ai pris tous les foins, toutes les précautions convenables en pareil cas, qui n'ont fervi a rien ( 3). II paroït au contraire qu'il n'en eft que plus vain & plus difpofé a fe maquer de moi. II ne me refte donc d'autre parti a prendre que de dire que je 1'ai renvoyé, & même de lui fermer ma porte, s'il s'y préfentoit: le moyen le plus sur de confondre 1'orgueil eft de le méprifer (4). Si toutes ces démarches ne me réufliflent pas, il faudra, comme dans les maladies défefpérées, recourir aux remedes extrêmes. Je fens combi en il me fera facheux de perdre tout ce que je tirois de Diphile, qui s eft montré toujours très-généreux avec moi; mais il me feroit encore plus infupportable de de venir le fujet des railleries de 1'impudente ThelTala.  L E T T R E XV- Vous m'avez dit avoir éprouvé dans totre jeunefle 1'efficacité des philtres (J) V c'eft ce que je veux employer. Ainfi, je parviendrai a rabattre les faftueux dédains, & la vanité dont notre homme paroït enivré. Je lui enverrai différentes entremetteufes qui lui propoferont de fe raccommoder avec moi. Mes larmes fauront appuyer \ propos mes propofitions: j'y joindrai les prieres les plus inftantes \ je lui ferai envifager ce qrfil doit redouter de la déefle de la vengeance , s'il continue a dédaigner une femme qui 1'aime fi tendrement •, je mettrai tout en oeuvre pour le perfuader de ma bojM£ foi & le toucher. II fe reWra a mes empreffemens, ne fut-ce que par pitié pour une femme qu'il croira brüler d'amour pour lui. Le vaurien n'en fera que plus orgueilleux. Se rappellant ce qui s'eft paffé entre nous, 1'intimité dans laquelle nous avons vécu, il croira faire un acte de juftice & d'honnêteté, en m'accordant cette légere fatisfadion.  304 Les Couktisannes, Je compte auffi fur les follicitations d'Hélice: Herpyllis, dont il eft amoureux, fe joindra a lui pour me fervir, & tc>us nos effbrts réunis feront donner 1'infolent Diphile dans le panneau. Cependant 1'ufage du philtre eft treshafardeux; fouvent même il eft funefte a celui qui le prend (6). Mais, qu'importe; il faut que Diphile vive pour m'aimer, eu qu'il rn^ire pour ThelTala. N O T E S. (i) Le poëte comique Timoclès , cité par Athenée (liv. 13 ), danslapiece intitulée le Tautodéide dorien, ou le P tj^par-tout, nomme Myrrhine comme une courtifanne connue a Athènes. II repréfente un homme ruiné par fes débauches & rongé de chagrins, & dit: cc A coté du malheureux, font 33 couchées & dorment fes vieilles amies, as Nannio , Plangon , Lyca , Gnathène , 33 Phryné, Pythionice, Myrrhine, Chryfis, 33 Conalis, Hieroclée, Lopadium 3,. De tems -ea tems le théatre donnoit au public les  Lettre XV. 305 noms de ces filles fameufes , & ce n'étoit jamais pour en faire 1'éloge. Il eft parlé de Myrrhine dans la lettre neuviéme , oii elle difpute de la beauté avec Thryallis. (2) Les fêtes d'Adonis étoient fameufes dans tout 1'Orient. II paroit qu'elles furent dabord inftituées a Biblos en Phénicie, ou Cynirrbe , pere d'Adonis, avoit regné. On fait que la beauté du jeune Adonis infpira 1'amour le plus vif a Vénus, & qu'elle fut inconfolable de la mort de eet aimable Prince, qui fut tué par un fanglier. Tous les ans on célébroit la mémoire de eet evenement funefte par un deuil général, dans lequel les femmes s'arrachoient les cheveux, fe déchiroient la poitrine, pouffoient des cris iamentables, pour rendre les honneurs funébres a Adonis. Les femmes mêmes étoient obligées de ie couper la chevelure. Celles qui ne vouloient pas facrifier eet ornement fi cher, fe proftituoient publiquement pendant un jour a prix d'argent, tk ce qu'elles avoient gagné étoit offert a Vénus. Le deuil ne duroit.qu'un jour, le lendemain étoit confacré a la joie, a caufe de la réfurrection d'Adonis. Cette fête paffa de Phénicie en Grèce, ou elle fe célébroit avec les  50(5" Les Coüetisannes, mêmes rites. Théocrite, idylle iy , a donné une defcription très-pompeufe des fêtes d'Adonis : 1'ancien fcholiafte de Théocrite dit fur cette idylle, qu'il étoit encore d'ufage dans la Grèce de préparer des terres que 1'on enfemencoit de froment aux fêtes d'Adonis, & que 1'on appelloit jardins d' Adonis. Voffius de idol. Uv. 2 , ch. 4. Ces fêtes n'étoient, aux yeux des gens raifonnables, que le fymbole de 1'accion du foleil fur la terre qu'il féconde. Adonis repréfentoit le foleil, & Vénus, fa terre. Le premier jour de deuil rappelloit le tems de 1'année oü le foleil échauffant un autre hémifphere , fembloit avoir abandonné celui que les Grecs habitoient, laiifant la nature dans 1'inaction , tk comme morte de douleur a raifon de fon éloignement; le fecond jour de plaifir & de réjouilfance étoit pour célébrer le retour du foleil tk celui- de la fécondité. On difoit qu'Adonis avoit été tué par un fanglier ; 8c on indiquoit par eet animal, qui fe plait dans la fange & les marais , dont 1'extérieur a quelque chofe de trifte 8c d'horrible, les rigueurs de 1'hiver. C'eft 1'explication qu'eg donne Macrobe (liv. 1, ch. 2i des Saturnales ) : «L'hiver,  Lettre XV. 307" s> dit-il, eft en quelque maniere la plaie da 3> foleil , en ce qu il diminue fa chaleur Sc fa lumiere ; que les bruines épaifies Sc 33 froides femblent 1'anéantir pour nous, Sc 3> réduire toute la nature a un état de mort 33. On fuppofoit qu'Adonis avoit été tué dans la Syrië fur le mont Liban : on y .célébroit fes myfteres, lorfque les eaux d'une riviere qui porte fon nom, Sc qui coule de cette montagne dans la plaine, changeoient de couleur, & paroifibient teintes de fang : ca qui arrivoit tous les ans au printems , Sc ce que 1'on regardoit comme un miracle, paree qu'on croyoit que 1'eau du fleuve fe changeoit en fang chaque année pour renouveller le fouvenir du meurtre d'Adonis. Les eaux de cette riviere prenoient en eftet une couleur rougeatre, mais qui étoit prcduite par les terres du Liban, qui fe melant a 1'eau dans la faifon des pluies , la teignoient. Voye\ Lucien, Difcours de la deejfe de Syrië. Probablement la même merveille fe renouvelle encore tous les ans dans ce fleuve, appcllé aujourd'hui Hahar-afcalb, ou le fleuve du chien, qui coule entre les villes de Biblos {Giblet), Sc Beryte (Barut),  }o$ Les Courtisanmes, en Phénicie t & fe* jette dans la mer a fi« milles au-deffous de Barut ou Beryte. Les courtifannes, dans ces fêtes, ne cherchoient que les occafïons de fe montrsr avec éclat, de faire parade de luxe , de Fafte & de vollipté. C'étoit pour cela qu'elles fe raffembloient, & qu'une d'entr'elles choifie unanimement, célébroit les myfteres en qualité de prêtreffe. Tout ce qui pouvoit contribuer a leurs plaifirs, étoit bien recu dans ces ckconftances. Auffi le poëte Diphile fait-il placer un cuifinier chez une courtifanne dans le tems des fêtes d'Adonis. cc L'endroit cü je te mene, dit le courtier, * eft un lieu public j une courtifanne acs> créditée y célébre les fêtes d'Adonis, avec » une nombreufe troupe de fes compagnesj m c'eft-la oü il faut que tu te préfentes, aufïi» tót que tu te feras mis en état de pa«3 roltre ». ( Athenée, liv. j. ) O) Lucien, dans le dialogue Toxaris, ou de l'amitié, rapporte les moyens que les courtifannes employoient pour s'attacher leurs amans. Il parle des rufes d'une des plus célébres d'entr'elles, pour engager dans fes filets le jeune Dinias, riche Athénien.  Lettre XV. *o$ e D'abord on vit meffagers de part tk d'au33 tre chargés de billets galans, & de toutes « ces petites attentions qui tiennent lieu 33 des faveurs les plus précieufes a un jeune 3» amant 33. II eft queftion enfuite de bouquets flétris que la courtifanne avoit portés, de fruits oü elle avoit mordu, tk d'autres petites faveurs alors de mode a Athènes. Puis, viennent les fervantes qui font accroire au galant que la maitreffe ne dort ni jour ni nuit; quelle ne fait que fonger a lui tk foupirer, ce qui gagne principalement le coeur de ceux qui ont bonne opinion d'eux-mêmes, fi bien qu'a la fin ils fe perfuadent qu'ils font aimés. « Car elle cou33 roit 1'embraffer quand il arrivoit, 1'arrê33 toit quand il vouloit partir; faifoit fem33 blant de ne fe parer que pour lui, &: s> favoit mêler a propos les larmes, les dé33 dains , les foupirs, parmi les attraits de »> fa beauté, & les charmes de fa voix & 33 de fa lyre 33. C'eft par ces artifices que les courtifannes grecques faifoient des dupes autrefois -. ils ne font pas encore tellement ufés qu'ils n'aient les mêmes fuccès. (4) Le moyen le plus sür de eonfondre  Sio Les Courtisannes, l'orgueïl ,.ejl de le méprifer. C'efl: ce que confeilloit Ampélis, courtifanne déja fur le retour de 1'age, a la jeune Chryfis. « Veux-tu 33 que je te dife ce que je fis un jour a un 33 galant dont la paflion commencoit a fe 33 refroidir ? Je lui fermai la porte, & en 33 fis entrer un autre. Alors il commenca a 33 faire 1'eriragé & le défefpéré; mais tout 33 cela n'aboutit qu'a me faire de nouveaux 33 préfens, & a ne me plus quitter: fa femme *3 prétendoit que je lui avois donné un breu33 vage pour fe faire aimer, mais mon fecret 33 n'étoit qu'un peu de jaloufie excitée bien 33 a propos. Ufe de cette recette, & tu ten 33 trouveras bien 33. Lucien,Dialogue d'Ampélis & de Chryfis, & dans celui de Joejfe , de Pithiades & de Lyfias. «; Tu 1'as gaté 33 en 1'aimant trop , & en le lui faifant trop »> connoitre. S'ils fentent leur empire fur 33 nous, ils deviennent fiers & dédaigneux. 33 Si tu m'en crois, ferme-lui ta porte pen33 dant quelque tems, tu verras fes feux fe 33 ranimer, il t'aimera vraiment a la folie 3,. (y) L'efficacité des philtres. La reflburce des vieilles courtifannes abandonnées de leurs amans, étoit les fortiléges & les phil-  L £ T T R £ XV. 31 r tres. On voit dans les Dialogues de Lucien, Méliffe demander a Bacchis de lui amener quelques-unes de ces vieilles magiciennes de Theflalie, qui favent rendre les femmes aimables, Sc ramener les galans refroidis. k Que pouvois-je faire, dit une amante » défefpérée (Liv. 5 des Amours de Ciitophon & de Leucippe), *> croyant vous avoir 33 perdu pour toujours, que de recouiir aux 33 philtres enchanteurs? n'eft-ce pas la ref33 fource de ceux qui font malheureux en 3> amour 33} (6) L'ufage des philtres, Sec. Les Grecs croyoient a 1'aflion des philtres, Sc ils étoient en ufage parmi eux. lis en compofoient de différentes efpeces. Les vieilles femmes auxquelles on avoit recours pour cela, y employoient certaines cérémonies magiques, qui donnoient aux ingrédiens dont elles fe fervoient, toute leur vertu. lis étoient plus capables de déranger le tempérament de ceux a qui on les donnoit, que de leur infpirer de 1'amour. « Les femmes, 33 dit Plutarque, qui compofent certains 33 breuvages d'amour , ou quelques autres 33 charmes Sc forctlleries pour donner a leurs  'ji2 Les Couetisannes, 33 maris, & qui les attrayenr ainfi p.ar allé33 chemenc de volupté , il eft force qu'elles »vivent, puis après avec eux, infenfés, 3> étourdis, 8c tranfportés hors de leur bon 33 fens 33. Traité des préceptes du mariage. La courtifanne avoit donc raifon de craindre les funeftes effets du philtre. La compofition en étoit fecrette, je n'en ai trouvé qu'un dans Athenée (liv. 7). « Le vin dans 33 lequel on avoit fait étouffer un furmulet, =• étoit un philtre qui rendoit les hommes 33 impuiffans, 8c qui empêchoit les femmes 33 de concevoir 33. Terpficlos , liv. de Ventreis. Diofcoride (liv. 2) dit très-férieufement que la racine du cidamen ou chaméeijfos, qui eft une efpece de thitymale, pilée 8c mife en paftilles , eft un préfervatif contre les efpeces de poifons que les Grecs appellent philtres. Pline en parle auffi, livre 25 , ch.(). On verra dans 1'idylle 2 de Théocrite, la préparation folemnelle d'un philtre, êc tous les enchantemens que la magicienne Simette emploie pour faire revenir un amant volage, ou pour le faire périr. Vanhelmont, qui a radoté fur ce fujet comme fur quantité d'autres , dit que les véritables philtres font ceux "qui peuvent con- cilier  Lettre XV. 313 cilier une inclination mutuelle entre deux perfonnes, par finterpofition de quelque moyen naturel £V magnétique qui puiffe tranfplanter l'affection. 11 foutient ce galimathias par la maniere obfcure & inintelligible qu il donne de compofer les philtres, dans lefquels il fait entrer la mumie comme ingrediënt principal. Au relle, ces chimères ont perdu tout leur credit; & fi les philtres ont quelqu aftion , c'eft de caufer des révolutions nuifibles a ceux qui les boivent, & •non d'exciter en eux quelqu'inclination a laquelle ils ne font pas portés. II feroit même 2 craindre qu'ils ne fe tournafl'ent en poifon, comme il arrivoit quelquefois parmi les Grecs. Ariftote, liv. 1, ch. 17, Magnorum morallum, dit qu'une femme ayant fait prendre un philtre a un homme qui mourut de 1'effet de ce breuvage , ayant été traduite devant 1'aréopage pour crime d'homicide, fut abfoute par ce tribunal, paree qu'elle n'avoit pas eu intention de faire mourir eet liomme, mais de ranimer fes feux languiffans. Je remarquerai, au fujet de ce jugement cité par Ariftote, que ce philofophe , qui avoit perdu tout fon crédit, femble 1'avoir repris en entier depuis vingt Tomc 1, O  314 Les Courtisannes, ou trente ans, & que fes préceptes moraux & politiques influent peut-être plus qu'on ne le penfe, fur certaines légiflations modernes que 1'on regarde comme 1'effort de la raifon, & le triomphe de 1'humanité. LETTRE XVI. Philumeime a Cr i ton. Potjrqtjoi vous tourmenter & perdre votre tems a m ecrire J J'ai befoin de cinquante pieces d'or, & non de vos lettres. Si vous m'aimez, donnez-les moi fans retard. Si le demon de 1'avarice ou de la mefquinerie vous polléde, ne me fatiguez plus inutilement. Adieu. N O T E. Cette lettre peu intérelfante prouve feulement que les mêmes mceurs ont toujours donné les mêmes goüts & les mê.nes fentimens , qui font exprimés par-tout dans des termes équivalens. Je remarquerai que  L E T T R £ XVII. 3 I ƒ Ie nom de Philumene délïgne en grec une femme intéreffée qui aime le fien, & Criton un homme prudent, qui prpbablement ne donna rien. LETTRE XVII. 'An I C E T a Phébianne, "Vo u s me fuyez , ö Phébinane , vous me fuyez, après avoir abforbé prefque tout ce que je pofledois •, tout ce que vous avez, vous 1'avez recu de moi. Vous avez oublié les paniers de figues, les fromages frais, les belles poules que je vous envoyois. Toute 1'aifance dont vous jouiffiez, ne la teniez-vous pas de moi ? il ne me refte que la home & la mifere. Vous m'avez ' culbuté, dépouillé, réduit a rien (i): vous, ne tenez plus aucun compte de moi qui vous aime fi tendrement. Allez donc, a Ia bonne heure; jouiffez de vos avantages. Mon parti eft pris, je fupporterai, quoi qu'il m'en coüte, cette ignominie, & j'aurai le courage de la dévorer en filence (z j, Oij  3ie? Les Courtisannes, no tes. ( i) Culbuté^ dépouillé. Les tenues grecs préfentent 1'idée d'un coq battu, becqueté & déplumé, même par les poules. II parok que le rhéteur fait ici allufion aux traits de la comédie d'Ariltophane, intitulée les Oifeaux, ou il eft queftion d'un vieillard amoureux , auquel, de même qua un coq, fes femelles arrachent les plumes. L'art de dépouiller les amans, & fur-tout les vieillards qui s'avifoient de 1'être , étoit pratiqué par toutes les courtifannes grecques. Les vieilles ne donnoient pas d'autres confeils aux jeunes filles qu'elles formoient pour les plaif.rs du public : préfomption Sc d'infolence 5 il croit qu'il 3> ne fauroit lui arriver aucun mal. Et lorf*> que ces mêmes dieux le précipitent de eet „ état heureux dans les malheurs qu'il a „ mérités par fes fauffes démarches , il fouf3> fre ce revers avec un courage forcé, qui * n'eft qu'un efprit caché de révolte: ce n'eft » que petiteffe tk bafleffe : car 1'efprit de n 1'homme eft toujours tel que font les jours „ ('es événemens) qu'il plalt au pere des m dieux 8c des hommes de lui envoyer Oiij  ?jS Les Courtisannes, LETTRE XVIII. P HÉ BIAN N E a ANICET mes voifines , en travail denfant, venoit de me demander , & j'y allois en hare, portant avec moi les chofes néceffaires a mon art (i), lorfque je vous ai rencontré tout d'un coup; & que me prenant par le col, vous vouliez que je m'arrêtalTe a recevoir vos baifers. Ridicule vieillard , qui n'avez pas deux jours a vivre , pourquoi vous attaquer a nous autres filles dans la fleur de lage \ Etes-vous aflèz infenfé pour compter fur le renouyellement de votre jeunefle & de vos forces (2)? Déformais incapable de tout travail champêcre , ne fongez qu a préparer la monnoie que vous devez au batelier de 1'Achéron : votre décrépitude vous exempte même des moindres foins domeftiques, & yoas fakes encore Ie lan-  Lettre XVÏlL 319 goureux ; vous croyez fóupirer amoureufement, malheureux Cécrops (3); épargnez-vous ces travers, & ne vous occupez que de votre trifte &c impuiffante vieillelTe. N O T E S. ( 1) Fr altais en Mte. Cette excufe fervoit a propos aux femmes grecques. Ariftophane la met dans la bouche d'une femme a laquelle fon mari dem'andoit pourquoi elle étoit fortie de nuit 8c clandeftinement. (2) Sophocle le tragique, fur la fin de fes jours étoit fort amoureux de la courtifanne Théoris, 8c pour en obtenir quelques faveurs conftantes , il adreffe cette priere a Vénus, « Divinité protectrice de 33 la jeuneffe, ne rejettez pas mes vceux } 33 faites que ma Théoris méprife 1'amour & „ les baifers des jeunes gens ; qu'elle leur 33 préfére les cheveux blancs de la. vieilleffe 33 Si les fovces de mon corps font épuifées} 3> ne font-elles pas bien compenfées par »31'élévation 8c la vivacité de 1'efprit 33 ? U O iv  32© Les Courtisannes, crut fans doute fa priere exaucée , car il entretint publiquement jufqu'a la fin de fes jours la courtifanne Archippe, qu'il fit fon héritiere univerfelle. On demandoit a Smicnnes, qui avoit entretenu cette fille , ce quelle pouvoitfaire avec Sophocle:« C'eft; «■dit-il, une chouette qui veille fur un tom» beau ». Sophocle étoit alcrs agé de pres de cent ans: fes enfans avoient voulu le faire interdire quelques années auparavant, fous prétexte d'incapacité de gérer fes affaires , &' d'aliénation d'efprit, ce qu'ils prouvoient par le goüt qu'il confervoit pour les courtifannes. Le poëte ne répondit a cette accufation fi déshonnête , qu'en Iifarit au public fa tragédie d'CEdipe a Colone , dont les juges furent charmés. Sophocle fut renvoyé de 1'accufation , & peu s'en faUut que fes enfans ne fuffent taxés d'impiété. (3 ) Cécrops, premier roi d'Athènes, paroiffoit être le fymbole de 1'antiquité & de la vieillefle a une jeune perfonne telle que Phébiane.  Lettre XIX. 311 LETTRE XIX. G e s e zl u s a Salamine. D 'OU te vient donc ta fierté , Salamine ? N'eft-ce pas toi que j'ai tirée de la boutioue de ce frippier boiteux, a 1'infcu de ta mere, que j'entretiens chez moi fur le ton d'une fille honnête & bien dotée que j'aurois époufée? Et toi, vile créature, tu fais la revêche! tu ricanes a mes propolitions! 11 t'en moques , tu les méprifes! continueras-tu fur ce ton d'impertinenceï Prens garde que ton amant ne fe relTouvienne qu'il eft ton maitre, & que je ne te réduife a la campagne au pénible métier de faire griiler L'orge & de le moudre (1). Tu fauras alors par ton expérience, en quei abime de maux tu t'es précipitée.- N O T E. ( r ) C'étoit une très-ancienne coutume des femmes de la campagne, de faire griiler Ov  3i2 Les Couetisannes, & de moudre de 1'orge avec lequel on faifoit une efpece de gruau, ou des gateaux cuits fous la cendre. On la trouve indiquée dans Hérodote (liv, 8), ou rappellant les anciens oracles qui avoient annoncé la déroute de la Hotte de Xerxès, il dit que Mufée avoit prédit autrefois que les femmes da promontoire Colias feroient griiler de 1'orge au feu des rames ; ce qui put arriver lorfque les débris de la flotte perfienne couvrirent les rivages de 1'Attique. Quant a la menace que fait Gebellus a.Salamine, elle eft irnitée des Adelphes de Ménandre, piece traduite par Térence. On y lit qu un vieiliard, amoureux d'urie muficienne qui ne fécoutoit pas, dit, afle 4, fcène 3 : « jg 33 m'en irai a la campagne , j'y menerai r 33 fous belles promefTes, cette merveilleufe S3 créature , nous verrons fi elle ne s'adou33 cira pas , lorfqu'elle fe verra couverte de 33 fumée tk de cendres, & qu'elle fera laffe 33 de Lire griiler de 1'orge 3,. La réponfe qui fuit a la lettre de Gebellus, apprend que la menace ne réufflflbit pas toujours au gré des vieillards, & que les jeunes courtifannes grecques favoient fe raettre au-deffus.  3*5 LETTRE XX. Salamine d Gebellvs. Ou i, mon maitre , je fuis déterminée a tout fouffrir plutót-que de coucher avec vous. Je n'avois pas pris la fuite cette nuit comme vous le foupconniez •, je ne m'étois pas cachée dans les broffailles; j'étois fous la huche que j'avois renverfée fur moi. Je fuis réfolue a me pendre; je vous le déclare haurement. Ecoutez-moi, Gebellus; je vous hais \ la malle énorme de votre corps me fait horreur, je ne vous vois que comme une béte féroce qui veut me devoter , & dont la puanteur m'infecte. Allez donc a la malheure, ö le plus déteftable des hommes, allez, & cherchez a contenter vos defirs avec quelque vieille falie & édentée, qui fe fera parfamée avec un ieffe d'huile rance de térébenthine. O vj  3*4 AVERTISSEMENT. Les Lettres qui fuivent juf qua Ia fin de ce Livre, ne Jont pas écr'ues fous le nom des Courtifannes j mais comme plufieurs y om rapport , & qu'elles Jont dans le genre érouque, il m'a paru que je ne devois pas les placer aïdeurs, dans le nouvd ordre que je donne aux Lettres d'Alciphron,  3** LETTRE XXI. PANOPE a EUTHI BU LE. EuthiBüLE, lorfque vous m'avcz époufée, ma conditior. étoit honnête; je tenois un rang diftingué parmi les filles de mon état. Mon pere Softhène le Tyrien, & ma race Damophile jouiffoient d'une confidération afturée: ils me fiancerent a vous, m'inflituerent leur héritiere univerfelle, & me marierent avec vous pour avoir des enfans légitim.s. Mais votre légéreté , votre incor.ftance , votre goüt pour la volupté vous portent a me négliger ainfi que nos enfans, pour vous livrer entiérement a la paflion que vous infpire cette Galene, fiüe de Thalaffion (i), qui eft venue ici d'Hermione (2), prendre une maifon a louage , & étaler fes charmes dans le Pyrée (j),oi elle en fait commerce, au grand détriment de  jitf Les CouETrsAtfNEs', toute la jeunefle amoureufe. Nos jeunes pêcheurs vont faire la débauche chez elle j Us la combient de préfens; elle n'en refufe aucun; c'eft un gouffre qui abforbe tout. Vous ne vous contentez pas de lui envoyer des anchois, des mulers, ou d'autres poiflbns (4), tels que le commun des pêcheurs peut lui en apporter. Pareils préfens feroient mal recus de la part d'un homme marié, déja d'un age aflez avancé tk pere de grands enfans. Vouiant vous y prendre de maniere a exclare vos rivaux, vous donnez a la belle des réfeaux (ou dentelles) de Miler, & des robes de Sicile. Vous lui prodiguez lor. Ceflez de vous conduire ainfi, Euthibule, renoncez a votre penchant pour la débauche & les courtifannes, ou fachez que je me retirerai chez mon pere, qui ne m'abandonnera pas, & qui vous in entera une aéfion criminelle pardevant les magiflrats, pour avoir raifon des mauvais trsitemens que vous me fakes (5 ).  Lettre XXL 327 N O T E S. ( 1 )' Tkalaffion flgnifie porteur d'eau,, ou homme qui tire fon profit de 1'eau ; ce pouvoit auffi être un pêcheur, mais d'urt rang fort au-delfous d'Euthibule , puifque Panope, quoique femme de pêcheur, le traite avec une forte de mépris» (2)Hermione, ville fort ancienne da Péloponnèfe, fon^ée par Hermion , fil» d'Europs (Paufanias , liv. 2, ch. .34). On connok encore fes ruines fur les bords du. golfe de Napoli de Romanie. Quantité de filles de cette ville ou de fes environs venoient a Athènes, faire relfource de leur* charmes, & le nom d'Hermionienne étoit fynonyme avec celui de courtifanne. Ct& ainfi que la ville de Vénufe, dans la Campanie, fourniflbit aiureföis a Rome quantité de ces créatures, toujours au goüt de ceux qui aiment les plaifirs faciles. Je préfere , difoit Juvénal (Shit. 6), une vênufienne a. Cornélie , mere des Gracques. Malo Venufinam quam , te Camelia mater Gracchorum, On prétend que Nettuno, dans la cam-  '328 Les Courtisanïjes, pagne de Rome, a fuccédé aux ^roits id Vénufe. (3 ) Dans le Pyre'e. Voyez fur le Pyrée la note 3 de la lettre IV. C'eft la que les courtifannes fe montroient en foule aux amateurs des plaifirs qu'elles promettoient. Et ce n'étoient pas les femmes feules que les Grecs y cherchoient. Efchines , dans un de fes difcours contre Timarque , lui reproche qu'il avoit paffe fa jeuneffe au Pyrée, dans la boutique d'un barbier, pour y tirer profit de fon corps, fous prétexte d'apprendre a ra fer. (4) Des anchois, des muiets ou d'autres poijjbnr. Panope dit que fon mari n'envoyoit pas indifféremment toutes fortes de poiffons a fa maltrefle. II auroit craint que pareils préfens ne lui rappellaffent ce que ce métier avoit de vil. II faifoit 1'homme d'importance , & ne vouloit pas être regardé comme un pêcheur. Peut-être auffi que 1'anchois & le mulet étant des poiffons confacrés a la chafte Diane , ne devoient pas être envoyés a une courtifanne qui les auroit pris a mauvais augure , fur-tout de la part d'un amant déja agé qui devoit bien fe garder de doHner de  Lettre XXL W lui quelqu'idée contraire a fes prétentions. (Voyez Athenée, liv. 7) ; mais il lui envoyoit des réfeaux ou dentelles de Milet, & des robes de Sicile. Cette ifle fourniffoit au luxe d'Athènes des chofes recherchées, telles que d'excellens fromages, des pigeons . qui fe fervoient fur les meilleures tables, & des robes de laine très-fine , de différentes couleurs, qui portoient le nom du pays oü on les fabriquoit. (Ach. I. 14.) (y) Les mauvais traitemens que vous me fai tes. Plutarque parlant des maris qui vont porter leurs galanteries hors de chez eux , dit: « Quand ils font couchés auprès » de leurs époufes , qui feront belles bien 53 fouvent, & qui leur porteront grande amis> tié, ils ne bougeront. Mais s'ils fe trouvent » avec telle courtifanne , comme étoient 33 Phryné ou Laïs, auxquelles ils auront 53 payé de bon argent pour coucher avec 53 elles , encore qu'ils ne foient pas bien dif=3 pofés de leur perfonne , ou autrement 53 laches atel métier, ils feront néanmoins =3 tout ce qu'ils pourront pour exciter leur =3 hixure a cette volupté par une vaine » gloire , tellement que Phryné étant déja;  339 Les Coürtisannes, » vieille & paffée, difoit quelle vendoif =» plus chérement fa lie , pour la réputam tion ». Plutarque , Regies & preceptes de lafanté, art. 14. Et ceft-la ce qui excitoit, avec raifon, les plaintes des femmes honnêtes, telles que Panope. LETTRE XXII. AuCHÉN IUS a ARMÉNI OM. Si vous êtes en état de m'aider, ditesle moi; mais ne découvrez mon fecret z qui que ce foit (1). Je vais vous raconter du mieux que je pourrai la fituadon ou je me trouve. L'amour s'eft emparé de moi, & necoute plus ce que la raifon m'infpire: mon bon fens eft comme fubmergé par limpétuofité de la paffion. Comment l'amour a-t-il pu fe rendre maïtre d'un miférable pêcheur, qui a tant de peine a. fe procurer fa fubfiftance, au point de ne pas lui laiftêr un moment de relache'! Oui, les 'feux dont je bruis  L E T T X E XXII. 331 font auffi vifs que ceux de nos jeunes Athéniens les plus riches & les plus élégans ! Moi, qui me fuis moqué fi longtems de ceux que la moliefle rendoit efclaves de leurs paflions, je fuis devenu la proie des miennes: je ne penfe plus qua me marier ; je n'invoque d'autre dieu que 1'Hymenée (1). La beauté dont je rafole eft fille d'un de ces nouveaux venus , qui ont pafte , on ne fait pourquoi, d'Hermione (3) dans le Pyrée. Je n'ai point de dot a lui aflurer, je n'ai que ma perfonne & mon état de pêcheur, & cependant je me crois 1'époux qui lui convient le mieux, fi fon pere n'eft pas aflez déraifonnable pour s'oppofer a notre union. N O T E S. (1 ) Ne découvre\ mon fecret a qui que ce foit. II y a dans le grec : foyez plus taciturne qu'un aréopagite; t\\wna.yiTK e-iyctWT8fc;. C'étoit un proverbe parmi les grecs,  532 Les Courtisannes, qu'Erafme cite comme tiré d'une des lettres d'Alciphron. (ChiL 4, cent. 10, adag. 6.) A Athènes, on faifoit le rapport des caufes capitales a 1'aréopage pendant la nuit, afirt que 1'attention ne fut point troublée, & c'eut été un crime aux magiflrats de ce tribunal den révéler quelque chofe. Le confeil des Dix a Venife, dont la févérité eft: fi formidable, peut être comparé a ce tribunal: les caufes qui y fontportées, font traitées avec le plus grand fecret, & la difcrétion des magiflrats eft impénétrable. (2) L'Hymenée. Selon les poëtes, ce dieu eft fils de Bacchus & de Vénus: les peintres le repréfentent fous la figure d'un jeune homme a chevelure blonde , couronné de rofes, tenant un flambeau a la main, & d'une phyfionomie douce & très-bénigne. Proclus le lycien nous apprend que dans la folemnité des nóces, on invoquoit Hymenée, & que les chants que 1'on faifoit en fon honneur, n'étoient dans l»ur inftitution que l'exarefiion des regrets qu'avoitlaiffésHymenée, fi!s deTerpfichore, qui difparut au moment qu'il venoit de fe marier. D'autres difent que ces chants ie jok fe renouvelloient en mémoire  Lettre XXII. 335 d'Hymenée, jeune guerrier de 1'Attique, qui pourfuivit les pirates qui avoient enlevé plufieurs filles de fon pays, Sc les tira de leurs mains. Quant a'moi, dit Proclus, je penfe que ces criants ne font que les vceux que 1'on fait pour demander une vie heureufe, Sc une fociété tranquille dans le mariage, entretenue par un amour mutuel. Dans la dialecte éolique , vjj.tvot.iuv Sc vciiv expriment le vceu que ceux qui doivent vivre enfemble, forment pour trouver dans leur union , un accord conftant de goüts Sc de fentimens. Biblioth.igrecque de Photius , n°. z 35. (3) Hermlone. Voyez fur cette ville, Sc les filles qui en fortoient, la note 2, de la. lettre précédente.  3 34 Les Coürtijakues, LETTRE XXIJI. Eu^lous a Thalasséros. L'Abondance vous plonge dans la volupté ; vous devenez fou. J'apprends que vous aimez une chanteufe, que vous ne ceflèz d'aller chez elle •, que tous les jours vous lui envoyez votre pêche (i). C'efl: 1'honnête Sofias, le meilleur de nos voifins , qui m'apprend cette nouvelle. II eft de ceux qui s'informent exactement de la vérité, dans la crainte d'accréditer un faux bruit. C'eft ce même Sofias qui fait tirer un excellent coulis des petits poiflbns qu'il prend dans fes vervaux(2). Dites-moi donc oü vous avez pris ce goüt pour la mélodie, la chromatique, le rapport harmonique des fons? C'eft ce qui étonnoit notre voifin, lorfqu'il m'apprenoit vos amours. Car ce ne fera pas feulement la beauté de la jeune fille, mais encore les talens qui vous auront charmé.  Lettre XX11I. 335 Si vous m'en croyez, vous ceflerez de faire tant de dépenfes pour elle ; autrement le naufrage dont vous êtes menacé fur la terre, fera plus ruineux pour vous, que ceux que vous auriez a craindre fur la mer; &C le logement de la muficienne vous deviendra plus périlleux que le golfe Califfibnien (3), ou la mer Thyrrénienne (4), car vous invoquerez inutilement Cratée ( 5), fi vous vous expofez volontairement au danger de faire naufrage. NO TES. (O Vous lui envoye\ votre pêche. Les auteurs contemporains nous repréfentent les pêcheurs de 1'Attique comme une efpece d'hommes grofliers, de mauvaife foi, livrés a toutes fortes de débauches. Les poëtes comiques les traitent mal. Diphile, dans le Cafion, dit : tc Je penfois qu'il n'y avoit » qu'a Athènes oii les pêcheurs fuffenr in3> folens & trompeurs; mais c'eft une race 33 féroce dont la méchanceté eft par-tout »% même, & dont il faut fans ceiTe fe  Les Courtisannes, 53 défier 3>. Antiphanes, dans le Mifoponéron ou 1'Ennemi des méchans, dit qu'aprts les ufuriers qui font les plus exécrables des hommes, il n'y avoit rien de pis que les pêcheurs. Si 1'on marchandoit quelques poiffons auprès d'eux, a peine répondoient-ilsj pour fe donner un air plus décidé & plus di* , ils n'articuloient que la moitié des fyllabes dont le mot étoit compofé, pour teftares, quatre , ils difoient teftr'; oclo, huit, ocT. Ils rendoient par leur prononciation groifiere une langue douce & fonore aufli défagréable que les jargons barbares des peuples du nord. ( Athén. liv. 6.) Les gens dc *mer & les pêcheurs napolitains peuvent donner une idéé des grecs de leur profeffion. Ils ont changé les agrémens de la langue italienne en un jargon dur & groffier que tout le peuple a aiopté, & que les révolutions fréquentes ou la populace tenoit fouvent le premier rang, a rendu le langage commun, même des perfonnes de 1'état le plus diftingué. Les Siciliens furtout font remarquables par la dureté avec laquelle ils prononcent 1'efpece d'italien dont ils fe fervent. •  Lettre XXIII. 337 {2) Coulis de petits poifons. Les Grecs appelloient ce coulis ou fauce, garos ou garus ; il entroit dans la plupart de leurs ragouts. 11 parolt qu'il étoit relevé avec le fel & le vinaigre; on le comparoit a la moutarde , qui, je crois , en faifoit partie. Les anciens poëtes comiques en parient. Cratinus donne a entendre qu'on le portok dans des petits paniers, tels que ceux oii 1'on mettoit les fromages : d'autres le repréfentent comme liquide. (Voyez Athe'n. liv. 2 & 9.) C'étoit un objet de commerce pour les pêcheurs intelligens. Cette efpece de fauce eft encore d'ufage dans les Indes orientales; elle entre dans 1'alfaifonnement de la plupart des mets. Voyez 1'HiJloire natur. civile & politique du Tonquin, partie I, chap. 6. ( 3 ) Le golfe Calydonien. C'eft la partie de la mer de Grèce qui eft reiTerrée entre les deux caps qui terminent 1'Etolie & 1'Achaïe au midi; on 1'appelle aujourd'hui le golfe de Corinthe ou d'Engia. Vovez Strabon, liv. S. Cette mer eft très-orageufe, & les vents contraires ou de réflexion qui fe Mant fur les cötes élevées, réagilfent Tomé I. P  338 Les Cotjrtisannes, fur la mer, y caufent des tempêtes prefque . continuelles. La quantité de petites illes dont ces parages font femés, le confluent de la mer du Péloponèfe ou de la Morée, avec les eaux de la mer fupérieure, tiennent les flots dans une agitation continuelle , Sc leur donnent une forte de fiux Sc reflux incertain , qui ne permettent pas aux navires de jouir jamais fur cette mer d'une navigation tranquille. Voyez Héüodore ,liv. 5. (4) La mer Thyrrénienne , aujourd'hui la mer de Tofcane, qui s'étend le long d'une partie confidérable de 1'Italie, entre laSicile, la Sardaigne Sc la Corfe 5 elle baigne les cótes de Tofcane , de 1'Etat de 1'Eglife & du royaume de Naples; de forte que 1'écueil fameux de Scylla, dans le déttoit appellé le fare de Meffine, fur la cóte de Calabre , fe trouvoit dans cette mer. Le rhéteur y fait allufion lorfqu'il parle de Cratée. ( y ) Crarte. On prétend que cette déeffe 'eft la même quHécate, qui préfidoit aux enchantemens Sc aux fortiléges. Homere, ( Odyf. 12 ) fait confeiller a Ulyffe par Circé, lorfqu'il fe trouvera entre Carybde tc Scylla, de pafter vite, & d'appeller a  Lettre XXIIL 339 fon fecours la déeife Cratée , qui a mis au monde ce monftre horrible (Scylla). Elle devoit arréter fa violence , & 1'empêcher de fe jetter fur lui. L'auteur des lettres fait allufion aux confeils que Circé donnoit a . Ulyffe, pour fe fouftraire aux chants des fyrènes & a la cruelle avidité de Caribde & de Scylla, qui étoient repréfentés comme deux monftres qui engloutilfoient tous les navires qui les approchoient. Comparaifon propre a caraétérifer ce que le pêcheur amoureux avoit a redouter de la courtifanne dont les charmes 1'avoient féduit. LETTRE XXIV. Thalasseros a Euplous, Vos remontrances font inutiles , mon cher Euplous, l'amour m'a fubjugué (1). Je me fens blelTé de fes traits, embrafé de fes feux. Je ne me féparerai pas de la beauté qui m'enchante. Ne fommes-nous donc pas faits pour aimer ? N'eft-ce pas d'une déelTe de la mer qu'eft né le peut dieu auquel  340 Les Couetisannes, j'obéis? Cupidon n'exifie que pour notre bonheur, ils'elt rendu maïtre de mon cceur. Lorfque j'embraiTe ma mairrelTe fur le bord de la mer (2), je fuis heureux, je crois tenir entre mes bras Panope ou Galathee t les plus belles des Néréides (3). N O T E S. ( 1) VAmovr m'a Jubjugué. Le poëte Alexis , cité par Stobée (Dif. 61), dit: « L'Amour eft le plus grand des dieux, &c „ le plus puiflant. Parmi les hommes, on *> n'en rencontre point, quelqu'exacbes que » foient leurs moeurs, quelque circonfpec■» tion qu'ils apportent a toutes leurs dé„ marches , qui ne cedent quelquefois a fon » empire ». (2) Sur le hordde la mer. Mélitte, dans les Amours de Clitophon & de Leucippe, liv. , dit a peu - prés la même chofe : « Les amans trouvent par-tout le lit nuptial: „ aucun lieu n'eft inacceffible a Cupidon. x La mer même femble 1'endroit le plus m favorable aux fecrets myfteres de Vénus  Z £ T T R £ XXIV. 34I 63 8c de l'Amour. Vénus eft fille de la mer: » rendoiss graces a la mere des Amours; dj uniflbns-nous , c'eft le moyen de lui plaire » 8c de nous rendre dignes de fes faveurs ». ( 3 ) Les plus belles des Ne'reides. Panope , Néréide , une des divinités littorales^ que 1'on difoic fille de Nérée 8c de Dorisj celle que les gens de mer invoquoient le plus fouvent, 8c dont ils efpéroient le plus de fecours, ainfi que 1'indique fon nom. Galathée étoit une autre Néréide, fceur de' Panope, célèbre par fa beauté, fur-tout par la fraicheur de fon teint 8c la blancheur de fa peau. On voit que le pêcheur, touché des charmes de fa belle, la comparoit a tout ce qu'il pouvoit imaginer de plus aimable 8c de plus féduifant. «Tout amou« reux, dit Euripide dans Stobée (ub. fup.), 3> s'ü trouve une amante fenfible a fes vceux , 3> ne defire plus rien , il fe croit au comble 3> du bonheur ». P lij  34* Les Courtisannej, LETTRE XXV. Glaucippe a Charope. O M a mere! je ne fuis plus a moimême. Non, je ne foutiens pas 1'idée d'époufer Méthymnée, fils du gouverneur, auquel mon pere dit qu'il m'a fiancée derniérement, depuis que j'ai vu ce jeune citoyen qui faifoit les fonctions d'ofcophore (i), lorfque vous m'ordonnates d'aller: a-la ville pendant les dernieres fêtes deBacchus. Qu'il eft beau , ma mere! qu il eft charmant ! qu'il me plaït! fes cheveux, naturellement frifés, retombent en boucles fur fes épaules: fon fouris eft plus agréable. que le frémifiement de la mer tranquille (2), ,1a douceur de fes regards, la beauté de fes yeux ne peuvem être comparées qu'a 1'onde éclairée par les premiers rayons du foleil levant. L'agrément de toute fa phyfiono-  Lettre XXV. 343 mie eft tel que les Graces au fortir de la Fontaine de Gargaphe (3), femblent avoir abandonné Orchomène (4) pour venir folatrer fur fes joues: fes levres ont 1'éclat & la fraïcheur des redes que Vénus auroit. détachées de fon fein pour les former. Oui, je 1'aurai pour époux, ou a 1'exemple deSapho la Lelbienne, je n'irai pas chercher le rocher de Leucade (5 )5 mais je me précipiterai dans la mer du haut des écueils qui bordent le Pyrée. NO TES. (1) Oscophore. On donnoit ce nomaux jeunes gens qui dans les fêtes de Bacchus que 1'on célébroit au mois doflobre, portoient des thyrfes environnés de pam-k pres, & furmontés d'une couronne de fleurs« Geux qui étoient choifis pour eet exercice , devoient avoir leurs pere & mere encore, vivans. Ils couroient du temple de Bacchus a celui de Minerve. Le premier arrivant remportoit le prix de la courfe 5 & pou: récompenfe, il avoit 1'honneut de P iv  344 Les Courtisannes, faire le facrifice, en répandant d'un vafe un melange de vin , de farine , de miel & d'huile. Les auteurs grecs font d'accord fur rétabliffement de cette fête qu'ils attribuent a Théfée; mais ils lui affignent différentes caufes. Les uns prétendent qu'elle fut inftituée au retour du voyage que fit Théfée a Tille de Crète , dans lequel il fut affez heureux pour tuer le minotaure, & délivrer la ville d'Athènes du tribut annuel de fept jeunes hommes qu'elle devoit envoyer tous les ans pour être dévorés par le monltre; & c'eft pour cela, difent-ils, qu'il n'y en a que fept employés dans la courfe des «fcophories. Les autres difent que cette fête fut établie en 1'honneur d'Ariadne, dont la tendreffe ingénieufe avoit tiré Théfée des détours du labyrinthe. Comme le héros retourna dans la faifon de la vendange , le culte de Bacchus s'eft trouvé mêlé a cette cérémonie. Minerve y eut auffi quelque part, comme inventrice de 1'art de filer. Les jeunes gens n'étoient pas couronnés de fleurs dans cette cérémonie comme dans les autres, paree que Théfée ayant oublié de changer Jes voiles noires de fon vaiffeau, ainfi qu'il en étoit convenu avec fon pere Egée, s'il  Lettre XXV. 34J' étoit vainqueur. da minotaure , celui-ci appercevant de loin le vaifl'eau avec fes voiles noires , crut que fon fils avoit péri dans 1'expédition, & fe précipita dans la mer. Cet accident funefte empêcha que Théfée & les jeunes gens qu'il ramenoit ne fe couronnaffent de fleurs dans les fêtes & les facrifices qu'occafionna leur heureux retour.Voyez Plutarque, vie de Théfée, & le Traité des fêtes de la Grèce par Meurfius. ( z) Le frémijfement de la mer tranquille. Dans le grec il eft dit qu il fourit auffi agréablement que la mer ttanquille. Cette idéé riante a été fouvent «nployée par les meilleurs poëtes : 1'Océan , dit Lucrece , liv. 1 , prend une face riante ; tibi rident aequora portti : mais il ne fimt pas fe fier, dit ailleurs le même poëte, a ces apparences gracieufes qui fouvent font fi voifines de la tempête & du naufrage; fubdola cum ridet placidi pellacia ponti (1. 2 ). 11 faut fuir les trahifons de 1'élément perfide , & fe défier de fon attrait au milieu du calme. Auffi lit-on dans 1'Anthologie (liv. 3 , ep. 22): « Vous ne me verrez pas m'embarquer » quand même. la mer riante me préfentePv  34* Les Courtisannes-, s> roit toutes les apparences de la tranquil»lité , ou que le doux zéphir ne feroit 3} qu agiter mollement les ondes ». Cet afpect de la mer au foleil levant ou a fon couchant, donne le fpectacle le plus noble & le plus gracieux , par les couleurs variées que produifent les différentes réfractions de la lumiere fur la furface de 1'onde, lorfque , comme le difent les Vénitiens , la mer fait huile , mare fa oglio, ( 3 ) La fontaine de Gargaphe. Pline , l. 4, chap. 7 , place la fontaine de Gargaphe en Béotie. Paufanias, l. ch. 4, dit qu'elle étoit auprè^ de la ville de Platée; que le fatrape Mardonius en infeéta 1 eau, paree que les Grecs, qui étoient campés dans le voifinage, n'en avoient point d'autre a boire ; mais qu'elle fut enfuite nettoyée & purifiée par les Platéens5 fans doute après que les Grecs eurent vaincu Mardonius qui périt a la bataille de Platée. (14) Orchomêne. Etéocle, roi de Thèbes , érigea le premier un temple aux trois Graces a Orchomêne, ville de la Béotie , qui n'eft plus qu'un petit bourg de la Livadie, qui' a confervé le nom d'Orcomeno. Les  Lettre XXV- 347 anciens n'ont d'abord reconnu que deux Graces fous le nom d'Auxo 8c d'Egémone, deux termes grecs dont le premier fignifie j'augmente, Sc le fecond je conduis. Héfiode, dans fa Theogonie, eft, a ce qu'on prétend, le premier qui en ait reconnu trois, fous les noms d'Euphrofine , Aglaé 8c Thalie. Les premiers artiftes grecs ont repréfenté les Graces habillées. C'eft ainfi qu'on les voyoit dans les monumens antiques, 8c même dans leurs ftatues placées a 1'entrée de la citadelle d'Athènes , que 1'on difoit avoir été fculptées par Socrate. Leur culte étoit accompagné de cérémonies que 1'on cachoit au vulgaire. Par la fuite, les peintres & les fculpteurs crurent donner plus d'expreffion aux Graces en les repréfentant nues. Cet ufage, déja ancien du tems de Paufanias, n'a pas changé. Voyez, Paur fanias, l. 9 > eet appareil qu'elles fe montrent 5 mais 3> quelle eft leur conduite ? Lorfqu'elles fora> tent ainfi parées, c'eft pour affifter a des 33 cérémonies, a des myftères, pour hono33rer des divinités dont les noms mêmes 33 font inconnus aux maris, & qui leur font 33 légitimement fufpects. Quoique 1'on dife 33 que 1'on n'y admet point d'hommes, pourr 33 quoi donc au retour font^elles obligées osde refter fi long-tems dans le bain »? 11 eft queftion dans ce paiïage des koliades & des ghénétylliades. Les premières grecques , ainfi que toutes les femmes, vivant dans 1'état de la nature , ignoroient le pouvoir de leurs charmes; elles étoient auflï indifférentes fur un intérêt fi cher, que lèurstriftes & fombres époux. Mais avec le tems, elles goüterent le prix de la louange, ellesfurent faire valoir leurs attraits, en les accompagnant d'une parure qui les rendit plus piquans. Ainfi elles s'attirerent les regards & les emprefiemens des hommes»  35Les Coustisannes, dont elles chercherent a fe conferver i'attachement, en développant les qualités aimables du caraftere, & en affurant a leur fociété des agrémens toujours nouveau'x. Ce n'eft qua la longue que les maris s'habituerent a cette facon de vivre de leurs époufes. LETTRE XXVIII. Cherestraste il Lérion. Qüe les dieux te puniffent, perfide Lérion ! tes careffes, ton vin, ton concert de flutes m'ont amufé au point que j'ai oublié les ordres de mes maiKes, qui m'avoient envoyé a la ville. Ils m'attendoient dés le matin avec les cruches que je devois leur rapporter; & moi qui ai voulu faire 1'agréa. ble mal-a-propos, j'ai pafie une partie de la nuit a prendre part aux plaifirs dont tu es fi libérale, j'ai dormi jufqu'au jour. Va', malheureufe ! ce n'eft: pas avec les gens de mon état que tu dois faire étalage de tes charmes;  Lettre XXVIII. 357 tu en tireras meilleur parti avéc les jeunes citoyens d'Athènes (i); car fi tu m'y reprends jamais, ce ne fera pas a ton avantage. N O T E. ( 1 ) Les jeunes citoyens d'Athènes. Sans doute ils reifembloient aux jeunes gens de la cour d'Alcinoiis, qui, fuivant ce qu'en racontoit le bon roi des Phéaques a Ulylfe , n'étoient occupés que des feftins, de la mufique , de la danfe , des habits , des bains chauds , du fommeil, 8c d'une moile oifiveté ; Odyjfe'e, liv. 8 , inclinations qu'Horace peint dans la feconde épltre du livre i, vers 2p , In cute curanda plus ctquo operata juvcntus, Cui pulchrum fuit in medios dormire dies, & Ad ftrepitum eitharce ceffatum ducere curam. Toujours appliquée a faire bonne chere,a vivre dans les plaifirs, qui ne trouvoit rien de plus beau que de dormir jufqua midi, &: d'aller enfuite calmer fes ennuis par la danfe 8c la mufique.  -3j8 Les Courtisannes, LETTRE XXIX. Epiphtllis a Amaracine. J'Avois fait une guirlande de fleurs choifies; je la portois au temple de 1'Hermaphrodite (i), pour 1'y fufpendre a la mémoire de eet homme qui avoit fi bien sü me plaire, & que je regrette encore (2). Je me fuis appercue qu'une troupe de jeuneslibertins obfervoient mes démarches, & j'ai foupconné qu'ils étoient apoftés par Mofchion. Car depuis que j'ai perdu 1'excellent Phédria, il n'a ceiTé de me perfécuter, voulant, dit-il,m'avoir pour femme. Mais la tendrefTe que je conferve pour mes jeunes enfans, & plus encore le fouvenir de mon cher Phédriam'ont empêchée de fécouter. Mon imprudence m'a conduite, fans le prévoir, a 1'hymen le plus honteux. Une forêt a été mon lit nuptial. Le cruel Mof-  Lettre XXIX. 359 chion m'a fait entrainer dans le plus épais du bois; la, dans 1'obfcurité Une entreprife criminelle m'a donné un fecond mari: c'eft contre ma volonté qu'il a acquis des droits fur ma perfonne ; mais il n'en eft pas moins mon mari. Qu'il eft heureux de n'avoir jamais été expofée a de pareils malheurs •, mais quand on les a foufferts, il faut les dévorer en filence. NO TES. ( 1) Au temple de l'Hermaphrodite. Cette lettre finguliere me paroit être 1'allégorie de quelqu'aventure cormue du tems d'Alciphron. Je ne devine pas quelle étoit la dévotion d'Epiphyllis , d'aller offrir une guirlande au temple de 1'hermaphrodite, ni quel rapport eet être indécis dont on fait ici une divinité, pouvoit avoir avec un mari tendrement aimé, & qui lailfoit des enfans chéris a fa veuve.  3 Corifque , tantót avec Chamétippe, tan33 tót avec d'autres créatures auffi aban33 données 33 ? Le vieux fou répond : « Eh! »3 qu'y a-t-il donc de plus agréable que ce  3é"4 Les Couktisannes, „bel embonpoint »? tkc. Ce vieillard, toujours ivre de la crapule de la volupté, vivoit avec les plus viles des courtifannes; les noms que leur donne le poëte 1'indiquent: Corifque fignifie jeune vache, & Chamétippe, proftituée a tout venant. Voyez* Athenée, l. 13. LETTRE XXXI. D I P S A P A USILIPPE a P LAC EN T A M I O N. . J'A I appercu la belle Névris, cette fills charmante qui porte les corbeilles (1) a nos folemnités, la forme réguliere de fes bras & de fes mains, le feu de fes yeux , 1'élégance ae fa taille, 1'éclat de fon teint m'ont infpiré tout d'un coup Famour le plus vif. J'ai oublié qui j'étois (2), je fuis accouru pour 1'embraffer. Mais réfléchiflant auffitöt fur la folie de ma démarche, j'ai reconnu que je ne pouvois tout au plus prétendre qu'a baifer la tracé de* fes pieds  Lettre XXXI. divins. O témérité inouie! moi dont toute 1'ambition devroit fe bórner a me nourrir de légumes ou de gruaux, enivré, étourdi des fumées dun repas trop fucculent, je porte mes v.ceux fur un objet fur lequel je ne devrois pas même lever les yeux! O mes amis! réuniiTez-vous, accablez-moi de pierres ; que la quantité dont vous m'en couvrirez devienne le tombeau de mes amours, avant que mes feux infenfés nc me faffent fécher de langueur. t, — 1 ——> N q TES. (1) Qui porte les cofbeilles. La belle Névris eft défignée dans le texte par la qualité de canéphore. C'eft le nom que 1'on donnoit a des jeunes filles qui dans les cérémonies religieufes portpient fur la tête des corbeilles couronnées de fieurs, qui contenoient ce qtii étoit néceflaire aux facri' fices. Dans ces fortes de cérémonies, la canéphore marchoit la première; enfuite venoit le phallophore , ou celui qui portoit le thyrfe couronné j le corps de la mufique  36 1 v°l' in-n. ' ■ Mémoires pour fervir a 1'Hiftoire de la Religion fecrete des anciens peuples , ou Recherches hiftoriqnes & critiques fur les Myfteres ia Paganilme , par M. le Baron de Sainte-Croix. Paris, 1784. in-8« 6 U Dialogues des Moris, avec un Recueil de Fables & morceaux d'Hiftoire , fait pour 1'éducatÏQn, par M. de Fénélon. Paris , 1784 , in-iz, x 1, 10 f. Nouveaux Dialogues des Morts , recueillis de divers Journaux, & choifis avec foin. Bouillon, i77ï , in-\i. 3 U Dialogues des Morts , & Pluralité des Mondes , par Fontenelle. Paris, \ j66 , in-n. 3 1, Dialogues des Morts, traduits de 1'anglois de . Lyttelton. Amjlerdam , 1767, in-S. 4I. 10 f. Lettres de Plinè le jeune , & Panégyrique de Trajan , traduits par de Sacy. Paris, 1711, 4 vol. in-ïi. gros car. 10 1. — Les mêmes, 3 vol. in-ii. pet. pap. 6 I. Extrait des Epitres de Sénéque , par M. Sallier. Paris , 1770» iVi-iz. 11. 10 f.  Eiclionnaire Claflique , portanf Je Ia Géographe ancienne. Paris, 1768, in-8. 6 !. Di.cticmnaire Géographiqne , H:ftorique & Critiq^e .ie la Marüniere. Paris, 170S , 6 vol . nol. Oeographie anciennp abrégée . p?r M. d'AnviUe. Paris, x769, in-fol. gr. pap. en feuilles. 24 1. — La même. Paris, 1765», 3 vol. in-u.fig. 01 , 10 10 k Chronologie manuel , par M. Chaudon. Paris, 1770, Z/Z-24. j| i0 f. Hiitoire univerielle de Bofuet. Paris , 177 r , 1 vol. in-11. ^ ■ Extraits de 1'Hiftoire univerfelle de Boiïuet': Paris , 1777 , w-12. i f! Principes d'Hiftoire pour 1'éducation de la jeunefle , par 1'Abbé Lenglet du Frenof. Paris i7?z , 6 vql. in-n. ,g j' Révolutions des Empires, Royaumes , Rëpublqnes & autres Etats confidëraWes du .monde ' depuis la création jufqu'a nos jours , par Renaudot. Paris, 1769, % vol in-n.' 7 I, Epoques e'iémentaires de 1'Hiftoire univerfelle" par M. Mahaux, en 10 grandes feuilles in-fol'. en feuilles. , h \ Aiiaiyfe cluonologique de 1'Hiftoire univeifelle * par M. Phillppe de Prétot. Paris i7té' in-8. * Abiégé de 1'Hiftoire Ancienne. Paris , 178? ' ir.-tt. £,* Hiftoire du Comtnerce & de la Navigation des Egyptiens, fous le regne de Ptolomée, par M. Ameillon. Paris, 1766, in-S, 2 1. iof,