LETTRES GRECQUES, F AR LE RHÉTEUR ALC1PHR0N. TOME II, PARTIE II, Les Parasites.   LETTRES GRECQUE S, PAR LE RHÉTEUR ALCIPHRON; o v ANE CDOTES SUR LES M(EURS ET LES US4GES DES GRECS 3 Traduices pour Ja première fois en francois, Avec des Notes hijlonques & crhiques. TOME SECOND, Les Parasites. A AMSTERDAM; Et fe trouve a Paris, Chez Nïo» 1'ainé, Libralre, rue du Jardinel, quartier S. André-des-Arcs. - ,_>. M. DCC. L X X X I V.   LETTRES D U RHÉTEUR ALCIPHRON. SECONDE PART IE; LES PARASITES. DISCOURS PRÉLIMINAIRE. I_jes Lettres fuivantes, écrites foas le nom de différens parafites, nous les préfentent comme 1'efpece d'hommes la plus yile , la plus méprifable que A iij  6 Les Parasites, 1'on ait jamais tolérée dans une fociété policée. On ne concevroit pas comment la pareiTe & la gourmandife auroient pu former un ordre de gens, qui faifoient a Athènes profeffion ouverte de la parafitique, fi leur inflitution n'avoit d'abord été autorifée par les loix, & s'ils n'euflent eu des fon&ions publiques qui aiTuroient dans 1'état un rang a ceux que 1'on appelloit anciennement parafites. Ainfi cette qualité fi jufiement décriée dans la fuite des tems, a raifon des moeurs éi de la balTeiTe de ceux qui en conferverent le nom, eut dans fon origine la confidération que méritent toutes les inflitutions politiques, qui ont pour but le bon ordre de la république, Punion des membres de la fociété entr'eux, & Ie mamtien des  Discours préliminaire. 7 prérogatives de ceux que certaines places font regarder comme les repréfentans de la nation dans 1'exercice des fonöions qui leur font confiées. Dans Forigine , la qualité de parafite fut accordée a un certain nombre de citoyens qui devoient fe trouver a des repas publics qui fe donnoient aux hótels-de-ville ou maifons communes de la cité : ce qui fe pratiquoit dans les républiques pour rappeller les citoyens aux fentimens de 1'égalité & de 1'union qui devoient régner entr'eux. C'elt a eet ufage que Plutarque fait al* lufion, lorfque dans la vie de Solon il dit que 1'on doit regarder comme une inflitution propre a ce légiflateur, « ce 33 qu'il a ordonné touchant ceux qui 33 devoient manger a certains jours aux 33 palais & hötels-de-ville, ce qu'il apm pelle en fes ordonnances parafuer: A 'vr  :8 Les Parasites; « car il ne veut pas qn'une même per33 fonne y mange fouvent; mais auffi 33 fi celui auquel il échet d'y devoir 33 aller ne le veut faire, il le condamne 33 a Tarnende; reprenant la chicheté 33 & 1'avarice méchanique de 1'un, & J31'arrogance de l'autre de méprifer 33 les coutumes publiques ( Vie ds Solon, trad. d?Amiot. ) Chez les Grecs il étoit aufïï honorable d'être nourri gratuhement &: aux dépens du public, qu'il j'eft aujonrd'hui d'être décoré de titres honorifiques ou du cordon des ordres inftitués par les fouverains. On appelloit mangeurs (aêV/rci) ceux qui étoient nourris dans le pritanée aux dépens de la république; foit qu'ils exercafTent des emplois qui leur donnoient ce droit, foit qu'ils defcendiflent de parens qui avoient rendu de grands fer-  Discours préliminairs, p vices a la république , ou qu'ils euffènt mérité par eux-mêmes eet honneur. Le nombre des prytanes qui mangeoient a la table publique, étoit de cinquante: le lieu o 11 ils s'affembloient étoit appellé le döme (Sc'ags), falie alTez vafle pour que le fénat entier, quoique compofé de cinq eens perfonnes, put y manger a une même table. On nommoit indifféremment les prytanes, mangeurs ou parafites («eV/tc(, wapaa-tVoi), cette qualification n'avoit alors rien de méprifable (a). Dans la fuite, le nom de parafite fembla acquérir une nouvelle confidération : il étoit donné aux commenfaux des dieux, a ces citoyens choifis dans les différens ordres , pour repréfentec (a) Fajll Attici ab Eduard. Corfino. FloTentice, 1747. Av  go Les Parasites, la république aux feftins que 1'on offïoit aux divinités dans leurs temples, & Jorfqu'on célébroit leurs fêtes. On voyoit dans le temple d'Hercule , bati au fauxbourg d'Athènes, appellé le cynofarge, une colonne fur laquelle étoit gravé un decret d'Alcibiade, portant que tous les mois Ie prêtre y devoit faire le facrifice, accompagnédes parafites. Dansle tréfordePalléne, ville des Achéens, on lifoit cette infcription: « Les préteurs & les para33 fites ayant re9u la couronne d'or, fous 33 la fouveraine magiflrature de Pitho33dore, ont fait élever ce monument 33. lis avoient des droits &. des privileges confignés dans les söes les plus authentiques. On avoit gravé fur une colonne du temple de Caftor & de Pollux 1'órdonnance qui fuit: « De deux 33 bceufs choifis, on fera trois parts,  Discours préliminaire, n 53 dont 1'une fera employee aux frais 33 du facrifice , 1'autre fera pour les 33 prêtres, & Ia troifiéme fera accordée 33 aux parafites 33. II y avoit un collége ou corps de parafites; & fuivant la loi royale, en même-tems que le premier Archonte ou le chef de la république préfidoit a l'éleöion des magiftrats, il devoit choifir dans les tribus, les parafites deflinés a manger dans les temples , conformément aux anciennes coutumes. II efl même vraifemblable qu'ils avoient des intéréts communs qui les obligéoient a fe réunir , puifqu'ils avoient une cour ou lieu d'afiemblée, dont les réparations fe faifoient aux dépens du tréfor public. C'étoit dans eet édifice qu'étoient les greniers oti ils reiïerroient les prémices des grains qu'ils étoient chargés de recueillir poux A vj  12 Les Parasites, le fervice des temples. Ufage.mémorable, qui prouve que de toute antiquité , & dans tous les cultes, les premiers fruits de la terre ont eu la même deffination. Comme les dieux avoient leurs pai*rafites, on crut qu'il étoit de la dignité des principaux officiers de la république d'en avoir a leur fuite. On en donna deux aux préteurs, & un aux polémarques ou intendans généraux des armées, auxquels les pêcheurs & autres marchands de denrées étoient obligés de fournir une quantité déterminée de provifions de bouche. Suivant' toute apparence , ces parafites étoient des fecrétaires ou des employés fubalternes aux ordres de ces premiers officiers de Pétat (a). (a) Voyez Athen. Deipnofopk, lib. 6.  Discours préliminairs, i 3 lis étoient qualifiés de parafites, paree qu'ils étoient commenfaux des officiers defquels ils dépendoient. Cette dénomination n'avoit alors rien de vil; elle ne défignoit que les droits de la place qu'ils occupoient ; puifque Ie terme de parafite, dans fa vraie fignification, n'exprimoit qu'un emploi qui donnoit quelque droit fur les denrées (a). Mais comme les abus s'intróduifent aifément, même dans les inffitutions les plus fages, & que ce qui n'étoit que le prix des fervices rendus a 1'état, ou une diffinélion honorable, devint le partage de gens mégrifables ] la qualité de parafite tomba dans le plus grand difcrédit; fur-tout quand elle fut (a) II ert compofé de ■*ae«.,propter,juxta> & 3 toujours alTeoir a fa table , & le 33 mettoit de toutes fes parties de plai-  Discours préliminaire, 33 fir. Comme il fe difpofoit a prendre 33 la fuite, Ménélas le perca de part en 33 part avec fon javelot i*. Ce que Ie poè'te dit du courage de Podès paroit ironique: a la vérité il fuit Heflor aa combat; mais il eft bleiïe a mort lorfqu'il fe difpofe a prendre Ia fuite; & il eft a remarquer que Ie javelot de Méné-f las le frappe dans les reins, & lui perce Pabdomen. Si Pon y fait attention, on verra que le poëte défigne le genre de mort de Podès comme un chatiment de fon internpérance. 'C'eft ainfi que Pandarus, pour s'être Vanté mal-apropos d'avoir blefle Diomède a mort, eft frappé d'un javelot, qui après lui avoir brifé les dents, coupe fa langui (IliaiL lib. 5.) Ainfi, dès le tems de la guerre de Troye, ou au moins dans le fiecle d'Homcre, on n'échappoit aucune oc-  ib* Les Parasites; cafion de jetter du ridicule fur la conduite des parafites. Mais ce fut bien pis, lorfque la licence des poëtes comiques ne reconnut plus de bornes, & qu'ils mirent impunément fur Ia fccne des perfonnes de tout état & de toute profefilon. La vieille comédie ne garda aucune mefure; Ia nouvelle, un peu plus polie dans fes expreftions, n'épargna cependant pas fes farcafmes aux malheureux parafites. Celui qui en a parlé avec Ie moins de chaleur, eft un certain Diodore de Sinope, dans la comédie intitulée Ie Légataire univerfel (eViJt>.»pes), cité par Athenée (tiv. 6), il met fur la fcène un parafite qui parle de fa profelfton dans les termes que je vais rapporter. « Je prouve, clair comme Ie jour, 33 que eet ufage eft refpectable, auto33 rifé par les coutumes les plus faintes 5  Discours préliminaire. ïj1 53 & qu'il tire fon origine de la divi33 nité même. On n'attribue point aux 33 dieux 1'inyention des autres arts; on 33 en fait honneur a des hommes fages os & prudens : mais Jupiter-Philius ( dernier fymbole ne conyient qu'a Jupiter».  'j 8 Les Parasites, 55 par-tcut, chez les pauvres comme 33 chez les riches; dès qu'il y Voyoit 33 des lits préparés, une table propre»3 ment drelTée & fervie , il s'y ^placoit 33 fans attendre qu'il y füt invité; & 33 après avoir fuffifamment bu & man33 gé, il s'en alloit fans jamais rien payer. 33 C'eft ce que je fais toutes les fois 33 que j'en trouve I'occafion. Si je vois 3» une porte ouverte, des lits difpofés 33 autour d'une table bien garnie, j'entre 33 modeftement, & fans mot dire-, je me »3 place de facon a n'être incommode 33 a aucun des convives. On feit les 33viandes, je mange de tout, je bois >3 a proportion ; & après m'être bien )3 repu , femblable a Jnpiter-Philius/je '3 me retire difcrettement. 53 Que ce métier ait toujours été 33 louable & confidéré, on en fera con>5 vaincu, fi on fait réflexion que.dans  Discours préliminaire, 33 toutes les villes oü Ie grand Hercule 33 eft honoré , chez quelque nation que 33 ce foit, lorfqu'on lui fait un facrifice ssfolemnel, on ne tire point au fort, 33 & on ne prend pas indifieremment 33 dans la foule des habitans les para33 fites qui doivent être admis a fes myf33 teres; mais on choifit avec attention 33 douze citoyens parmi les principaux *> & les plus riches de la ville, dont 33 la conduite ait toujours été fans re33 proche, qui faflent les frais du fa33 ciifice & du feflin qui doit Ie fuivre. 33 Enfuite, pour fe conformer a 1'exem33 ple du dieu dont on célèbre la fête, 33 on défigne le nombre des parafites 33 qu'ils doivent s'alTocier, & on les 33 exhorte a les bien traiter. II eft vrai 33 qu'ils ne font pas toujours choix des 33 plus agréables & des plus honnêtes v de ceux qui fe font voués a cette  20 Ees Parasites; 33 profeffion : trop fouvent ils donnent pla préfcrence aux flatteurs les plus 33vils, a ces gens qui ne favent que wlouer, dont Ja bafle complaifance 33 leur attire toutes les avanies dont 33 ils font fans eeffe accablés(a). C'eft 33 par de tels procédés qu'ils ont rendu 33 honteufe une profeffion qui dans fon 33 origine n'avoit rien que d'honnête 33 & de louable 33, Aucun de tous les anciens poëtes comiques n'a parlé avec autant de mo- (a) On ne peut pas rendre en frantjois les termes du poè'te , i!s donnent Pidée la plus ie-> butante de la baflëflè des parafites: Quibus in faciem fi juis rullet, Radicula vorata , aut fluro putri , Rofam ipfam & violas dicent pranfum ejje .Aut cum quodam accumbens, fi pepedcrit Admotis naribus vult eum fic alloqui ; Unde fuffitum hunc accipis ? .... Athcnsus, 1. 6.  Discours préliminaire. 21 dération des parafites que celui que je viens de citer • d'autres traits confervés par Athenée, & que je vais rapporter, les repréfentent comme les plus vicieux & les plus vils de tous les hommes. Alexis, 1'un des plus anciens comiques grecs, fait répondre un parafite a un curieux qui 1'interrogeoit fur les prérogatives de fon état, dans les termes qui fuivent: « Je mange avec tous ceux »qui fe préfentent, pourvu qu'ils le »trouvent bon5 mais dans les feflins »des nöces, fy ai ma place de droit, H quand même on ne m'en prieroit pas. » C'eft alors que je fuis joyeux & que » je fais faire rire. fe loue en face » celui qui me donne a manger. Si quel" qu'un des convives ofe me contre» dire , je 1'accable d'injures, & je finis »par le tourner en ridicule. Enfin, '> gorgé de yiandes & de vin', je m«  22 Les Parasites, 33 retire. Je n'ai point de domeftique »3 pour m'éclairer : je rampe dans les 33 ténébres, & je n'avance qu'en trem33 blant. Si par malheur je rencontre le 33 guet faifant fa ronde, je rends graces 33 aux dieux s'il ne m'accable pas dé 33 coups de poings ou de fouet. Quand 33 j'ai regagné mon trifte manoir fans fa33 cheufe aventure , je m'endors tran33 quillement, & je jouis du fommeil 33 agréable que me procurent les fumées 33 du vin que j'ai bu 33. Diphile, auteur connu parmi ceux de la nouvelle comédie, fait parler ainfi un autre parafite: cc Lorfqu'un de nos 33 opulens citoyefis m'invite a fouper, 33 je m'occupe peu du lambris de fa 33 falie, ou de Pélégance de fes pla»3 fonds; je ne m'informe pas li fon S3vin eft de Corinthe; mais je regarde 33 attentivement fi la fumée de fa cui-  Discours préliminaire. 23 » fine forme une maffe épaiffe qui forte »avec rapidité, paree qu'elle m'an» nonce les appréts de Ia bonne chère. » Mais fi elle ne s'éleve que lentement, fr » elle céde au moindre mouvement de » 1'air, je prévois a!orsa & je ne me »trompe pas, que Ie repas fera mince, » & ne me donnera point d'indigefiion ». On voit par les portraits que les anciens nous ont laiffés des parafites grecs, qu'il y en avoit de tous les états. Poëtes, médecins, philofophes, militaires, hiftrions, ils jouoient tous Ie même róle dans la fociété, mais avec une confidération différente, quoiqu'ils fuffent tous également les flaneurs & les complaifans de celui qui tenoit table. Quelques-uns étoient recus par-tout avec diftincTion : les autres, généralement honnis, erroient ca & la, a Ia pourfuite d'un repas qu'ils payoient cher,  24 Les Parasites* par le mépris qu'on leur témoignoit. Eubule,'dans la comédie des Fiatteur s} fait parler ainfi un de fes perfonnages qu'il donne pour un poëte parafite:« Soyez attentifs, & vous allez » favoir quelle elt la vie dun fiatteur. « Nous fommes tous auffi agréables que 53 bien avifés. Le valet qui me fuit 33 d'ordinaire n'eft que d'emprunt, «Sc 33 je le nourris au meilleur marché pof33fible, auffi frugalement que moi, 35 quand je vis a mes dépens. J'ai deux 33 habits propres; quand j'ai mis 1'un 33 ou 1'autre, je vais me montrer a la 33 place; & fi j'appercois quelqu'un de 3= nos riches imbécilles, je ne manque 3, pas de 1'acofler; s'il dit quelque pla33 titude , je le loue avec excès; fon 33 efprit m'étonne, fes faillies font mon 33 bonheur. Ceft-la oü le fiatteur doit S3 payer de fa perfonne, ou s'attendre a 33 être  Discours préliminaire. 2.5 v être éconduit honteufement, comme »il arriva derniérement au médecïn » Aceftor. Quoi, lui dit Je maitre de » Ia maifon, vous ne dites rien qui « nous amufe & nous falie rire! gar33 9011, qu'on Ie roette a Ia porte. Vrai*> ment, eet liomme n'eft bon tout au 33 plus que pour un fouper de cabaret 3,. Timoclès, autre poëte comique, peint le parafite avec des traits diffcrens. «II n'y a pas, dit-il, dans la fo33 ciété, d'homme plus utilej il n'eft oc33 cupé qu'a plaire a fes amis, & a Hatter » leur gout. Si vous êtes amoureux, 33 la même paflion femble tout de fuite 33 s'emparer de lui: vous réglez fes ac33 tions & fes fentimens. U fent qu'il 33 eft de 1'équité d'en agir ainfi avec 33 celui qui Ie nourrit. Comme il vous »loue ! comme il vous admire ! Mais, » direz-vous, fans les repas qu'il eft fik Tome IL j3  26 Les Parasites, « de prendre gratuitement, feroit-il tel « qu'il fe montre ? Qu importe .... Et jj pour ne pas m'épuifer en raifonne>3 mens inutiles, quel état plus hono« rable que celui de parafite ? Ne va t-il «pas de pair avec les héros & les » dieux ? Traité comme le vainqueur » aux jeux olympiques, il eft nourri gra30 tuitement: toute maifon devient pour « lui un prytanée, dès qu'il y peut vivre 33 fans qu'il lui en coüte rien ». « Ce font, dit Antiphanes, les meil53 leurs gens du monde , que les para53 fites; ils partagent avec vous vos plai33 firs & votre fortune: ils ne vous fou93 haitent que du bonheur. Bien éloi53 gnés d'être fufcêptibles d'envie, ce 33 font les amis les plus finceres, ceux 55 qui s'intéreflent le plus a ce que vos 53biensaugmentent, pour en jouir avec 53 vous. Ils ne font ni querelleurs, ni  Discours préliminaire. 2j *>jaloux, ni chagrins. Toujours gais , *> vous vous moquez d'eux; ils font les » premiers a en rire. Si vous le jugez ' *> i propos, ils deviennent les confï» dens de vos amours, ils feroient même =» braves & combattroient pour vous, » fi un fomptueux repas devoit être la « folde de leurs exploits ». Ceft fous ces diflerens afpecls que les poë'tes grecs ont préfemé les anciens parafites; & c'efl d'après eux que Ie rhéteur Alciphron les fait parler dans les Lettres qui fin vent, & qui en donnent des carafleres variés, tous également vils & mépiifables. On verra encore dans la fuite de ces Lettres, 8c dans les notes dont elles font accompagnées, que les princeï 8c les feigneurs avoient ordinairement a leur fuite quantité de ces parades ou flatteurs. Leurs adions les plus marBij  2.8 Les Parasites, quées annoncent toujours leur inclination dominante pour la flatterie la plus bafTe & fouvent la plus ridicule. Denys-le-Tyran aimoit la compagnie • de ces hommes, & on avoit furnommé ceux qu'il entretenoit, Dyonlficolax , ou flatteurs de Denis. Ils 1'imitoient en tout, même dans fes défauts naturels. II avoit la vue fort courte 3 les parafites a table affeétoient tous de moins yoir que lui. Ils avancoient la main en tatonnant pour rencontrer les plats, qu'ils faifoient femblant de ne pas apperce- VOir , au poiui que »w — ri 1 crw.t Ini.mAmp 1p<; nlats I emuarraiies , uuuuun r— fous leurs mams. Auffi, fuivant le poëte Eubule, ce tyran intraitable & féroce : pour toutes les perfonnes honnêtes, n'étoit gracieux 8c affable que pour les flaneurs 5 quoiqu'ils ne ceflaflent de fe moquer de lui. Mais 1'air de complai-  Discours préliminaire. 2$ fance & de refpeét qu'ils y mettoient, leur attiroit toutes fes attentions. Le grand Alexandre fe délafToit dans la fociété de cette efpece d'hommes; il fuivoit en cela le torrent de la mode. On raconte d'un certain Hégéfias le Nicien, fon fiatteur & fon parafite, que le héros fe plaignant de 1'incommodité des mouches qui le piquoient, 8c les chaffant avec impatience, le Nicien fe lïiit a dire : Prince, celles qui ont goüté votre faug, n'en font que plus braves, Sc dès-lors plus incommodes. Voyez Athenée , liv. 6. On jugera par ces traits de 1'efpece d'efprit des parafites. Pour réuflir, il falloit qu'ils fuffent jeunes, d'une figure agréable, ou qui prêtat a la plaifanterie. « Le beau tems d'un fiatteur eft de peu 53 de durée, dit Alexis dans la comédie «du Menteur; perfonne ne s'amufe B iij  30 Les Parasites, " d'un parafite a cheveux gris». Auffi le mêine poè'te ne les repréfente pas comme fort attachés a la vie; ils ne fouhaitoient que de crever d'un excès de mangeaille a la fuite de quelque repas fplendide. Malgié ce que la fatyre, 1'ironie , le farcafme le plus piquant débitoient fans ceffe contre cette efpece d'hommes, il n'y a point eu de pays au monde oü la profeffion de parafite ait eu plus de vogue & fe foit maintenue plus longtems qu'en Grèce. Sous les fucceffeurs de Conftantin, les Grecs fe trouvant confondus avec les Romains, & ne formant plus avec eux qu'une feule nation foumife au même empire, on vit le luxe de la table & des habits portés en Grèce au plus haut point. A tous les feflins, même chez les plus grands feigneurs de Pempire , fe trouvoit un grand nombre de parafites dont  Discours préliminaire. 31 1'emploi étoit d'égayer Ia compagnie, & de payer de bons mots & de flatteries 1'honneur d'être admis aux tables des grands. Ces fortes de bouffons formoient le.cortége ordinaire des hommes riches , qui ne fortoient guère de chez eux fans être fuivis d'une foule de clients de cette efpece (a). Les Romains eurent des parafites, mais ils ne les traiterent pas avec autant de mépris que les Grecs: il faut croire qu'un refte de fierté naturelle a un peuple qui avoit pu fe croire le fouverain du monde connu, ne fe fut pas accommodé d'un avilifTement auffi marqué. Horace, qui en parle en diflerens endroits de fes fatyres, ne les repréfente que comme des gourmands, dont (a) Voyez les Memoires de VAcadémie des Belles-Lettres, tome 73. Biv  g 2 Les Parasites, la gloutonnerie amufoit ceux qui tenoient table, mais que 1'on ne traitoit pas auffi indignement que les Grecs traitoient leurs parafites. II paroit que du tems d'Augufte, lorfque les dames romaines eurent dépofé 1'ancienne auftérité des mceurs républicaines, elles avoient a leur fuite des complaifantes, qui gagnoient leur vie a les fiatter, a louer leur beauté, leur propreté, leurs habits, leurs meubles. Horace (liv. i, fat. z) les qualifie de parafites. - Plus la corruption augmenta, plus les parafites fe multiplierent. Quand les Romains eurent dépouillé les provinces qu'ils gouvernoient, & furent venus étaler aRome le fafie afiatique, ils tinrent les tables les plus fomptueufes. Les parafites leur devinrent néceffaires, pour que eet étalage de luxe dont ils faifoient gloire ,  Discours préliminaire. 33 eüt au moins des admirateurs Sc des pro neurs. Les muficiens , les poëtes, les hiftrions de toute efpece formoient la fociété favorite de Néron. Vitellius & Othon fe plaifoient avec les gourmands décidés. Eliogabale, eet infenfé fur le trêne qui pouffa la débauche a un tel exces , qu'il fut nommé le Sardanapale de Rome ( a ) , avoit une fac,on finguliere de régaler la mu'titude de para- (a) Peut-être e(l-ce le traiter favorab'.ement que de lui donner ce nom , attendu que les favans penfent afTez unanimement qu'il y a eu plufieurs rois d'AfTyrie du nom de Sardanapale. Quol qu'il en foit, il ne doit être queflion , dans la comparaifon citée , que de Sardanapale II, celui qui ert connu par la fameu e infeription que 1'on lifolt fur le monument ou 1'en croyoit que f.s cendres étoient renfermées prés de NiIiive , & qui a fait paffer le nom de Sardanapale Bv  34 Les Parasites, fites qu'il admettoit a fa table. II leur faifoit fervir des mets figurés de bois, d'ivoire, de terre cuite , quelqitefois même de marbre : il les pretïbit de a la poftérité , avec 1'idée d'un prince livré a loutes fortes de débauches. Voici cette épitaphe, lelie qu'elle eft rapportée par Athenée (liv. 8 ): J'ai regné Tant que j'ai joui de la liimiere du foleil, J'ai bü , j'ai raangé ; Je me fuis livié aux plsifirs de 1'amour. Les mortels n'ont que peu de tems a vivre ; Sans cefTe ils font agicés Par des vicilTïtudes & des changemens imprévus. Les délices dont j'ai joui Devoient bientöt êcre le partage d'un autre. Je n'ai paffe aucun jour fans me fatisfaire. Ceft cette infeription qui a aiïuré au nom de Sardanapale la fignification qu'on lui donne en? core d'un roi efteminé & voluptueux a 1'excès: Sardanapalus Me vitiis multb qnam nomine deformior , difoit Cicéron au liv. 3 de la République, ouvrage perdu , dont il ne nous refte que quelques fragmens confervéspar d'anciens auteurs.  Discours préliminaire* %f manger; leur faifoit fouvent fervir a boire, & après les avoir tenus longtems a cette repréfentation grotefque, il avoit foin qu'on leur donnat a laver les mains comme s'ils eufTent beaucoup mangé (a). On ne doit pas oublier que c'étoit un jeune empereur qui périt agé 3 peine de vingt ans. Pendant un regne d'environ quatre ans, il fe conduifit comme un infenfé qui abufoit de la puifTance fouveraine pour fe livrer h tous les excès de la débauche la plus honteufe; il traita avec autant de mépris que d'indignité les Romains, peut-être alors plus avilis que ne le furent jamais les Grecs. Le fatyrique Lucien, qui vécut prés d'un fiecle avant Eliogabale, n'a pas (a) Voyez Alexand. db Alex. Dies ge-i niales, lib. 5, cap. 21. Bvj  36" Les Parasites, oublié de mettre fur la fcène les parafites. II prend pour l'interlocuteur d'un de fes dialogues, un certain Simon qui faifant 1'éloge de fa profeffion, définit la parafitique: «1'art utile de vivre » aux dépens d'autrui fans rien faire, 33 qui a pour fin la volupté , & pour 33 regies une fuite de préceptes que 1'on 33 ne met en pratique que pour un but 33 profitable a celui qui 1'exerce 33. C'eft, a en croire Simon ,1'état de vie le plus heureux. II n'a ni les incommodités de 1'indigence , ni 1'embarras des richeffes. Le parafite vit dans cette parfaite tranquillité en quoiconfifte la béatitude; pour comble de biens , il ne féme ni ne moiffonne, & trouve tout abondamment, comme au fiecle d'or. . Plus raifonnabte que tous les philofophes, fans s'informer fi le monde eft fini ou infini , queüe eft la grandeur  Discours préliminairs. 37 du foleil ou fa diftance dc Ia terre , s'il y a des dieux ou non, ou s'ils fe mêlent de ce qui fe fait ici bas; croyant que tout va bien , & qu'il ne fauroit aller mieux, le parafite boit, mange, fe réjouit, goiite en repos les délices de la vie, fans être jamais tourmenté de fonges facheux. N'ayant aucune inquiétude pendant le jour , il ne peut être tourmenté pendant le fommeil. Sou métier eft le même par tout le monde, & ne s'exerce pas autrement en Grèce qu'en Italië, ou chez les Barbares. Les parafites fe reffemblent par-tout, & font tous d'accord entr'eux ; tandis que les philofophes les plus célèbres difputent fans ceffe les uns contre les autres fur les principes du bonheur ou de Ia fagefTe, & fur les moyens d'y arriver. Auffi ne voit-on point de parafites fe couvrir du manteau de la philofophie ;  38 Les Parasites, tandis qu'une multitude de philofophes deviennent tous les jours parafites. Modefles par état, ils méprifent la gloire, & ne fe fachent jamais de ce que 1'on peut dire d'eux, tandis que les philofophes, les orateurs, les poè'tes en font éperdüment amoureux. Courageux dans 1'occafion, ils ne tremblerent jamais a la vue d'un fanglier en fureur, aiguifant fes dents contr'eux: ils font fürs d'en triompher, & de lui faire fentir le tranchant de leurs dents. La plupart des artifans ne travaillent de leur métier qu'avec regret & amant que la néceffité les y contraint: le parafite au contraire n'eft jamais plus content que lorfqu'il exerce le fien. En un mot, on voit périr d'excellens pilotes; le plus habile charretier verfe, mais le parafite fe trouve toujours fur fes pieds. L'efTentiel de Part eft de trouver  Discours préliminaire. 3$ un homme qui foit capable de le bien nourrir. Dés qu'il a fait cette heureufe rencontre , il doit faifir toutes les occafions de le flatter de fa^on a gagner fes bonnes graces & a les conferver. II y réufllt, paree que les grands ne peuvent fe paffer des parafites, & qu'ils feroient plus a plaindre qu'eux, s'ils ne les avoient pour compagnons 8c admirateurs de leur félicité. C'eft avec ces traits ingénieux que Lucien a repréfenté les parafites de fon tems. Le fecret de leur art, leurs feminiens 8c leur conduite font dépeints de maniere que la gaieté de 1'ironie n'óte rien a la franchife de lavérité: & fi la parafitique étoit auffi a la mode dans notre fiecle qu'elle 1'étoit du tems de Lucien ou a Athènes, les parafites penferoient encore Sc fe conduiroient d'après les mêmes principes que celui qui vient de parler.  40 Les Parasites, Ce feroit fur-tout dans les pays méridionaux , que 1'art iniie de vivre aux dépens d'autrui , fans rien faire, auroit la plus grande vogue, fi les grands & les riches qui les habitent fe communiquoient davantage. Mais on peut afTurer que le luxe de la table ne domine point dans ces régions : il femble avoir fixé fon empire dans des zones plus tempérées, oü les convives les plus aftldus & les plus complaifans ne font plus quaiiiiés de parafites. Leurs places ne font marquées aux tables fomptueufes qu'a raifon de leurs talens, de leur réputation, quelquefois même de leur nom; & a tous ces titres, les mceurs acluelles leur affurent une confidération qui les met fort au-deffus des avanies auxquelles étoient expofés les parafites d'Athcnes Sc de Rome. Le fameux Montmaur, ce pédant  Discours préliminaire. 41 hériffé de grec & de latin , qui après' avoir bien bu & bien mangé, payoit fon écot a médire des favans tant morts que vivans, étoit regardé comme un parafite de profeffion ; c'eft fous ces traits que Boileau le défigne, en lui affociant le pauvre Colletet (a). La Bruyere parle d'autres gens a talent que les femmes fe difputoient, & qui certainement avoient le caradere & les moeurs des parafites grecs (£). (aj Tandis que Colletet, croté jufqu'a I'échine, S'en va cherchant fon pain de cuiline en cuifinej Savant en ce métier fi cher aux beaux efprits, Dont Monr.naur autreiois fit lec,on dans Paris, Sm. I. (b) Dracon le joueur de fiütes, plaifant d'aiüeurs; il fait rire jufqu'aux enfans & aux femmelettes. Qui mange & qui boit mieux que Dracon en un feul repas ? II enivre toute une compagnie, & fe rend le dernier: La Bruyere , Cara&eres, &c. art. des femmes.  42 Les Parasites, Etoient-ils en grand nombre ? ont-ils laifTe beaucoup d'imitateurs! en exiftet-il encore aujourd'hui? C'eft un point d'hiftoire que je laifTe a décider a ceux qui traiteront des mceurs de notre tems. Peut être tourneront-ils en plaifanterie le ton d'importance que fe donnent certains petits perfonnages affez connus, qui courent les bonnes tables avec empreiïement, que Ton eft étonné d'y voir, & qui n'en ont pas moins la vanité de faire entendre qu'ils accordent la préférence a ceux qui les recoivent, fur quantité de gens en place, qui probablement ne penfent pas a eux , mais dont ils fe vantent d'être recherchés. Cet artifice peut avoir quelque vraifemblance dans une fociété auffi nombreufe que celle de nos grandes capitales, oti les liaifons & la conduite des citoyens les plus magnifiques font a peine quel-  Discours préliminaire. 43 que fenfation. On y eft habitué a voir quantité de jeunes voluptueux fe ruiner obfcurément avec quelques parafites de différens fexes, qui fous les dehors de la complaifance, de 1'eftime & de 1'attachement, nes'occupent qu'a les duper. lis courent a l'indigence, dit la Bruyere, dans des équipages ballans , & dans fix mois, il ne leur refte pas même le moyen d'aller a pied. II n'en étoit pas de même a Athcnes, quelque célébrité qu'ait eu cette vüle, elle n'étoit pas affez étendue, la population n'y étoit pas affez nombreufe, pout que 1'on ne connüt pas tous ceux qui avoient la folie de fe ruiner avec les parafites & les courtifannes. On me dira fans doute qu'il n'étoit pas fort utile de tirer de 1'obfcurité des Lettres deftinées a rappeller le fouvenir de gens auffi méprifables que les pa-  44 Les Parasites, rafites grecs. Mais comme ils vivoient aux dépens des principaux Athéniens, on ne peut parler d'eux fans faire conHoitre ceux qui les nourrifToient, & qui dès-lors vivoient avec un luxe qui les tiroit de la claffe ordinaire des citoyens. Ils fe ruinoient prefque tous , & après avoir diffipé promptement leur fortune, ils tomboient dans 1'indigence , & ils étoient réduits a faire le métier de parafites. Ce luxe regne-t-il encore parmi nous? A-t-il les mêmes fuites, & nos mceurs ont elles dans ce genre quelque rapport avec celles des Athéniens ? Si cela étoit, les Lettres dAlciphron auroient un but moral qui les rendroit utiles a notre fiecle ; car en faifant parler les parafites, il donne autant d'averfion que de mépris pour la profeffion vile a laquelle ils s'étoient voués.  LETTRES DES PARASITES. LETTRE PREMIÈRE. AUTOCLÈTE a HÊTÉMARISTE(a). C^es grands difcoureurs qui ont toujours a la bouche les mots d'honnêteté & 'de vertu; ces prétendus philofophes, (je parle de ceux qui mettent notre jeunelTe a contribution , a raifon des vains propos dont ils Tentretiennent), ces foi-difant ia) Je dois avenir que les noms grecs qu'Akipliron donne a fes parafites , font tous des noms de caracxeres, qui défignent les inclinations dominantes de ceux qui patiënt. Je les conferverai tels qu'ils font dans Ie rexte grec, ne leur donnant que la terminaifon fran- gciie. Siutocute ligmne L invite, tietemanjte, ceiui qui t:oit D:en aiipo'.e a vemr u on 1 en eut priej.  4«ï Les Parasites, grands hommes font peu au-deflus, ou plutot font bien au niveau de la plus vile populace. Quel repas fomptueux tu viens de manquer! Scamonide célébroit le jour dc la naiffance de fa fille. 11 avoit invité en grand nombre les citoyens les plus confidérés d'Athcnes par leur naiffance ou leurs richeffes •, & il a cru que rien ne manqueroit a la célébrité de la fête , fi une troupe de philofophes en faifoit i'ornement (i). 11 en avoit choifi dans toutes les fecftes. On y voyoit le ftoïcien Etéocle, ce vieillard dont la barbe avoit échappé depuis tant d'années a la main du barbier. Ses habits étoient craiTeux , fa tête malpropre; fa décrépitude étoit annoncée par un front auffi ridé qu'une vieille bourfe vuide depuis long-tems. Vis-a-vis étoit le péripatéticien Thémiftagoras, dans la force de l age, d'une figure affez intérefiante , avec une barbe crépue, dont ii étoit aifé de voir qu'il pre-  L E T T R E I. 47 noit foin. On y voyoit auffi Zénocrates 1'épicurien : fes cheveux bouclés étoient proprement tenus: une barbe épaiffe lui donnoit un air refpedable. Le plus célcbre de tous, celui pour lequel les autres marquoient le plus de confidération, le pythagoricien Arcliibius fe faifoit remarquer par la paleur de fon vifege: fa chevelure tui pendoit de la tête jufque fur la poitrine, & accompagnoit une très-longue barbe qui fe terminoit en pointe. Un nez crochu, des lèvres preffées 1'une contre 1'autre, & fermées avec un foin qui annoncoit la févérité du iilence pythagorique , ajoutoient a la lingularité de fa figure. Teut d'ufr*coup eft arrivé avec fracas Ie cynique Pancrates, heurtant les uns, renverfant les autres, appuyé fur un gros baton de chêne , qui au lieu de noeuds, étoit garni d'efpace en efpace de clous d'airain (z). 11 avoit pour toute parure une ample beface, très-propre a comenir après  48 Les Parasites, le repas, le refte des viandes qui lui fe- roient fervies (3 ). Tous les convives, du commencement du repas a la fin , fe font comportés affez honnêtement entr'eux , & m'ont paru manger également bien. Mais les philofophes ayant déja bu largement, & s'étant porté mutuellement les fantés comme il eft d'ufage, ont cherché a fe faire valoir de la maniere qui leur fembloit la plus avantageufe , quoiqu'en elle-même très-frivole. Le ftoïcien Etéocle, accablé par le poids des années & la quantité de nourriture dont il s'étoit gorgé , étoit étendu tout de -fon long, & ronfloit profondément. Le pythagoricien ayant rompu le fïlence, a récité dans la modulatioW d'un certain rhytme harmonique, quelques paffages des vers dorés du chef de fa fecte. Le beau Thémiftagoras, fuivant les dogmes des péripatéticiens, foutenoit que le bonheur ne confiftoit pas feulement dans les plaifirs de 1'efprit & du corps, il vou- loit  L i t t r £ I. 49 foit de plus 'élégance & la fomptuofité de la table, & prétendoit que le choix des mets & leur délicateffe en faifoient partie : ce qu'il prouvoit par fon appétit & fon attention a fe fervir les entremets les plus fins. - Zénocrate 1'épicurien, ferroit de trèsprès une muficienne qu'il avoit tirée auprès de lui. La mollefie & la lafciveté étoient exprimées au vif dans fes regards; elle y répondoit fans y faire trop d'attention, le philofophe afluroit que c'étoit le moyen de tranquillifer la chair & de fixer la voiupté (4). Le cynique, auffi effronté qu'aucun autre de fa fedte , foulageoit, fans aucun égard, les befoins de Ja nature, laiffant trainer négligemment fon mauvais manteau, & s'étant approché de Doris Ia chanteufe, il prétendoit en jouir au confpedt de toute 1'auembJée, difant que Ja généxation étoit le principe de toute exiftence, & la loi la plus facrée de la nature. , Tomé II, q  jo Les Parasites, Dans ce triomphe de routes les fecTel de la philofophie, les parafites n'ont pas eu beau jeu, on n'y a fait aucune attention. On n'a pas même accordé a ceux qui avoient été invités pour donner entr'eux une forte de fpeétacle , le moment de faire briller leurs talens; quoique 1'on eüt fait venir expres Phébiade, le joueur de harpe , & les bouffons Philiftiade & Sannyrio (5 ). Mais tous ces plaifirs, fi agréables en d'autres circonftances, ont été négligés : les rêveries philofophiques 1'ont emporté , & dans cette occafion, elles ont brillé d'un éclat qui étourdiffoit plus encore qu'il n'offufquoit. "NO T E S. (1) On peut comparer cette lettre au dialogue de Lucien, intrtülë les Lapiies, ou le Banquet des Fhilofophes. Ceft le même plan , & a peu-près les mêmes idéés. Lucien, a la vévité , entre dans de plus grands détails fur les différens perfonnages  L E T T R £ I. qu'il fait parler & agir ; mais les portraits d'Alciphron, quoique plus racourcis, font mieux frappés; toute la piéce en général me paroit plus élégante & d'un meilleur ton que celle de Lucien , qui en plufieurs occafions fort des bornes de 1'honnéteté & de la pudeur, pour donner, iuivant fon ufage , plus d'expreftion & d'énergie a fes perfonnages; mais c'eft aux dépens de cette belle fimplicité qui eft un des caraéteres diftinéuTs des anciens auteurs grecs. (1) Un gros baton garni d'efpace en efpace de clous dairain. On fait que 1 equipage ordinaire d'un cynique étoit le baton noueux & la beface: mais on n'a pas remarqué que ce baton fut pour eux une efpece de parure , un ornement diftinctif de la feite. Or c'eiï ce que femblent défigner les clous d'airain dont Alciphron dit que le baton de Pancrates étoit garni. Les fceptres des rois étoient ornés de clous dor. Achille, dans la grande querelle qui s'éleva «ntre lui & Agamemnon pour Briféis, jette par terre fon fceptre orné de clous dor; Homere & Alciphron fe fervent du même participe, mTra^hoi (lliad, Hvf.t) pour Cij  ji Les Parasites, peindre la même idéé. Dans une difpute entre deux bergers, le vainqueur re§oit pour prix une houlette ornée de clous d'airain , & remarquable par 1'égalité de fes noeuds. Sume pedum Vormofum paribus nodis , atqne are Virg. Eclog. V. D'oü je crois pouvoir inférer que malgré la négligence & la malpropreté affe&ée des cyniques dans tout leur équipage, ils regardoient leur baton comme une efpece de fceptre. Ils avoient affez de vanité & d'impudence pour fe croire les premiers des hommes. ( l ) Une ample beface. Cétoit 1'ufage des parafites d'emporter tout ce qu'ils ne mangeoient pas 5 & pour qu'il n'y eüt point de querelle entr'eux , o'n faifoit fervir a chacun une piece de viande rótie, de poiffon , d'entremets, & de deffert, qu'il mangeoit ou qu'il emportoit a fon gré. Ces denrées ne paroiffoient fur la table qu'au fecond fervice; le premier étoit de ragouts que 1'on ne pouvoit mettre dans la beface ou la poche. Voyezle Dialogue de Lucien, le Banqiiet ou les Lapites. On obfetve en-  L £ T T R E I. ƒ j core quelques reftes de ces ufages antiques, aux feftins folemnels qui fe donnent dans quelques pays méridionaux, ou 1'on voit des perfonnes d'un nom & d'un rang diftingué, ne pas reugir de remplir de grands mouchoirs de différentes pieces d'entremets & de deffert qu'ils emportent, malgré les plaifanteries qu'on ne leur épargne pas dans ces occafions. (4) -De fixer la volupté. Ceft ainfi que sexprime Epicure lui-même dans fa lettre a Menecée, confervée par Diogène-Laerce dans la vie de ce philofophe r « Partie des » defirs de la concupifcence font naturels, si partie font illufoires. Quant aux aéles par « lefquels on les fatisfait, les uns font né*> ceffaires, les autres font feulement na» turels. Parmi les néceffaires, les uns con» tribuent au bonheur, les autres a la tran» qudlité du corps; quelques-uns a la con33 fervation de la vie ( j) Philijllade , Sannyrlo. On peut juger par-la des gens qui faifoient le fond de la \ fociété des citoyens les plus opulens d'Athè-, nes lorfqu'ils donnoient des repas d'appareil. II paroit que Philiftiade & Sannyrio C iij  54 Les Parasites, étoient des mimes; au moins il y en a eu de fameux de ce nom, qui probablement fatfoient le métier de parafites. Antiphanes le eomique, cité par Athenée (liv. 6), parle d'un parafite nommé Sannyrion : « Oü allez»vous, cfit-il , Pfythire , Colax , Sannyrion , flaneurs mfames, gourmands ef3> frontés»> L E T T R E II. EuBULE a G É M E LLO (a). O N nous avoit fervi un gateau de Sicile: il avoit lï bonne fagon, que je fouhaitois beaucoup plus de le manger, que je n'avois de plaifir a le voir ( r). Mais il étoit comme remparé d'un deffert abondant & recherché, en petites patifferies, ( a) Eubule fignifie en grec un homme prudent; ainfi il pourroit y avoir dans "le texte une faute de copifte, Sc on pourroit lire Eubute ou Eubote, qui fignifie bien nourri. Gemelle veut dire quelqu'un bien chargé.  LettreII. 55 en confitures de toute efpece , en piftach.s, amendes de palmier , noix écalées. Ja, voyois tout cela avec ennui, je n'afpivois qua l'inftant de mettre la. dent fur le gateau: le maure de la maifon s'amufant a fervir ces bagatelles, & faifant circuler les verres ( 2 ) , retardoit d'autant ma jouiffance. Tous les convives fembloient être d'accord pour contrarier mes defirs. L'un prenant un curedent, recherchoit avec une lenteur affetfée, s'il n'étoit rien refté entre fes dents des viandes qu'il avoit mangées! I autre fe laiflarir aller nonchalamment fur fon fiége, paroiffoit plus difpofé a s'endormir qua s'intéreffer a ce qui fe paffoit a table , chacun caufoit avec fon voifin, & on s'occupoit de toute autre chofe que de fervir ce delicieus gateau tant attendu. Enfin les dieux ont pris en pitié l'ardent appétit qui me dévoroit. J'ai gouté, j'ai mangé, je dirois volontiers que j'ai eiv glouti une partie de ce gateau. Vous te Civ  $6 Les Parasites; dirai-je ? mon goüt a été moins flatté que je ne 1'efpérois : 1'impatience d'attendre m'avoit trop fatigué. NO T E S. (i) Un gateau de Sicile. Les gateaux ont tenu de toute antiquité un rang diftingué parmi les mets du fecond fervice des repas en regie. On connoiffoit les endroits de la Grèce ou on en faifoit de bons. Les intéréts du goüt porterent plufieurs auteurs a écrire fur la facon des gateaux. Callimaque, dans un catalogue général d'écrivains de tout genre, en cite plufieurs qui ont traité exprès iïxiéme fait fuccéder la pétulance u Vhon33 néteté. La feptiéme óte les forces & la =3 railon; les buveurs ne fe foutiennent plus: 33 ils fe meurtriffent la face & les yeux en =3 tombant fur la table & fur les fiéges, en » fe heurtant mutuellemenr... La huitiéme 33 eft matiere a querelle , chacun accufant 33 fon voifin des coups qu'il a recais : on 33 devient furieux; on tombe de table pêle33 mêle ; on fe bat, & on ne revient a foi 33 que lorfque les fumées du vin font cal33 mees 33. II faut croire que 1'on n'en venoit pas toujours a ces extrémités; mais en général  les jours & les nuits a bofre; imitez les » Grecs 5 achetez des amies, n'épargnez 33 rien , nourriffez des parafites, tenez une 33 table fomptueufe 33. Plant, in Mojlellaria. Voyez Adag. Era/mi, ckil. 4, cent. 1, adag. 6*4.  £8 Les Parasites, LETTRE III. Thermolépyre a Ocïmon (a). N"o u s avons été indignement traités; pendant que nous voyions fervir aux autres convives les mets les plus fins & les plus recherchés ( i), on ne mettoit devant nous que les reftes dégoütans de viandes communes fort mal apprêtées. Ils buvoient dexcellent vin de Chalibon (z); & nous du vin pouffé ou aigri. O dieux juftesl (3) & vous génies qui préfidez anos deftins, & dirigez le fufeau des parques, ne mettrez-vous pas enfin des bornes a l'injuftice du fort! le bonheur & les délices feront-iis le partage conftant des uns, tandis que les autres feront voués a 1'indigence & a la faim (4)? Si la deftinée des hommes eftdetre fujets a ces befoins, (a) Thermolépyre, homme pour tjui rien n'eft trof cbaud. Ocimun, frêlon tendre & gtaffe , ou quun ventre de truie w bien apprêté : Cum fit obefo NU melius turdo , nil vulva. pulchrius ampli ... Flutarque {Regies de la /ante') s'éleve  L E T T R E III. -, j contre ces excès de gourmandife , en difant : cc Après avoir pris ce qui fuffit a la » nourriture du corps, il faut bien fe gar» der de fe livrer au goüt pour ces fortes » de friandifes j il blame les gourmands f» qui difent que c'eft fimpleffe de ne pas » prendre abondamment d'une chofe qui =» eft rare & chere , quand on peu* i'avoir, =3 comme feroit, par exemple , de la fc=» made {/urnen ) , ou des champignons » d'Italie , afin qu'ils puinent en parler aux » autres, & être par eux réputés heureux » d'avoir eu jouiffance de chofes fi fingu» üeres, fi cheres, & fi diflkiles a recou« vrer ». La philofophie d'Horace étoit plus accommodante : cc Quand 1'argent me man" que , dit-il, je fuis frugal, & je fais fouf°' fnr la médiocrité avec courage; mais fi =' je me trouve a une bonne table, dans 9» une maifon riche , il me paroït quil n y a « de gens fages & heureux que "ceux qui => ont de grands revenus aflurés fur de belles 'p> terres: Vosfapere & folos aïo bene vivere, quorum Conjpicitur nitidis fundata pecunia villis. Hor, ubi fup, ^'excellent vin de Chalibon, Athe--  7i Les Parasites, née (/. /) parle de ce vin de Chalibon , réfervé pour la bouche des rois de Perfe , pour lefquels on cherchoit tout ce que la terre & la mer produifoient de plus exquis dans toute 1'érendue de leur empire : il dit , d'après Poffidonius, que 1'on recueilloit ce vin en Syrië, dans le territoire de Damas. Plutarqu^ , au difcours fecond de la fortune d'Alexandre , en parle comme d'une de ces fuperfluités qui ne convenoierit qu'au luxe afiatique , lorfqu'il dit que le but d'Alexandre, dans la conquête de 1'Afie, n'étoit pas d'en amener a fa fuite une foule de chameaux chargés d'or, les délices de la Médie, ie luxe de la table & des femmes, les vins excellens de Chalibon , & les poilfons de 1'Hyrcanie ; mais de foumettre toutes les nations connues a fon empire, & d'amener tous les hommes a une même maniere de vivre , également avantageufe a tous (?) O dieux juflis , & vous, génies. Par ces dieux & ces génies, les Grecs entendoient Jupiter & Apollon. Paufanias, liv. 5, th. 15 , dit qu'il a vu i Elis , dans le Péloponnèfe, un autel dédié au génie Méra- gete,  L E T T R E III. 73 gete, qu'il croit être Ie même que Jupiter, qui fait ce que le deltin accorde & refufe a chaque homme : les Parques , Apollon & Jupiter-Méragete étoient raflemblés dans le même Iieu comme les arbitres des deftinées : cc Pourquoi, demande Korace , les » inclinations & les deftinées des hommes, I =3 même des freres, font-elles fi difFérentes » entr'elles ? il n'y a que notre génie qui » le fache : ce dleu qui regie le mouve33 ment de 1'aftre qui nous domine, qui 33 nous eft attaché inféparablement, & qui 33 ne femble fubfifter que pour nous & avec 33 [TOUS 33. S at genius , natale, cornet, qui temperat ajlrum t Hatura deus humance , mortalis in umim QuoJque caput: vultu mutabilis, albus & ater... Epift. 2 , lib. 2. Cette idéé d'Horace tient a la philofophie la plus ancienne , a 1'origine même chi polithéifme. Les plus éclairés d'entre les hommes reconnurent de toute antiquité un Idieu fouverain; mais foit pour cor.defcendre ja la foiblelfe des vues du vulgaire , foit qu'ils ne puffent eux-mêmes concevoir une intelligence fuprême aflez puiflante & aflez fage pour difpofer feule de tout, ils lui Tome II. D  74 Les Parasites, affocierent un certain nombre d'autres intelligences éternelles & incorporelles, qui, quoique fubalternes , ne laiffoient pas d'être regardées comme des divinités. Ces intelli- 1 genees avoient des noms différens felon leur | département. On appelloit Rhéa ou Vefta celle qui préiidoit a la terre; Neptune, celle qui dominoit fur la mer, & ainfi des autres. J A ces divinités fubalternes étoient foumis des génies qui portoient le nom de la divinité particuliere a laquelle ils obéiffoient. j Héfiode prétendoit qu'il y en avoit trënte mille répandus fur la terre : sil en eut connu toute 1'étendue, il en auroit certai- 4 nement admis davantage. Les anciens philofophes donnoient a ces prétendus génies uh corps très-fubtil, qui ne devenoit vifible que quand ils le vouloient: mais pourtant 1 un corps réel qui les mettoit en état d'avoir commerce avec les femmes. Aum croyoientils que les demi-dieux, les héros, les homrries illuftres, & en particulier les fonda- j teurs des nations & des villes defcendoient de ces génies. On voit d'oü les cabaliftes ririt pris 1'idée des fylphes, des gnomes, des | falamandres & des ondains. Cette doftrine eft encore en vigueur dans une partie des  L E T T R E III. 7j- Indes orientales, oü les fouverains, a la tetc des armées & de la nation, font de tems en tems des facrifices folemnels aux génies. (4) La deftinée des hommes eft d'être fujets d ces befoins. Lucien , dans fes épitres faturnales, traite ce fujet avec amant d'élégance que d'agrément. II fait écrire le pauvre Chronologon a Saturne, pour fe plaindre a lui du rifque qu'il court de ne pouvoir pas célébrer fa fête. II lui demande de rétablir au moins pour ce tems 1'ancienne égalité des biens, ou d'engager les riches a faire part aux pauvres de leur abondance, & de les traiter, non a la maniere accoutu- . mee, ceft-a-dire, en ne leur faifant préfenter que ce qu'il y a de plus commun & de plus vil fur la table, fouvent des os décharnés. Ne vaudroit-il pas mieux, dit Chronologon , qUe \es riches donnaflent dans ce tems aux pauvres quelques habits dont leurs garderobes font pleines, que de les laifler mangel par les vers dans des coffres oü ils font entaifés ? Saturne lui répond & lui fait entrevoir les avantages que les pauvres ont fur les riches , au moins du cóté de la fanté & de la force. Vous Dij  7^ Les Parasites, admirez, lui dit-il, leur fafte & leurs dé' lices, fans aller plus loin. Mais fi vous les méprifiez , fi vous les laifliez jouir feuls de leurs richeffes , ils viendroient eux-mêmes vous rechercher; car c'eft peu de chofe que la fortune qui na point d'admirateurs; toute fa félicité confifte dans 1'opinion d'autrui. Saturne écrit aux riches qui répondent & expofent leurs juftes griefs contre les parafites , qui d'ordinaire font très-difnciles a contenter, & qui abufent prefque toujours du bien qu'on leur fait. Ils fe juftifient par 1'exemple d'Ixion , qui ayant été admis 3 la table de Jupiter, s'oublia au point de porter fes defirs jufque fur Junon. Cependant ils promettent de" donner aux pauvres de quoi fe vêtir & fe nourrir, s'ils s'engagent a être plus honnêtes & plus reconnoiflans a 1'avenir.  77 LETTRE IV. Co N O P O S P H RAN T E (a) cï Is C H O LI M E. J'Avois formé de vains projets fur la fbrtune du jeune Polycrite. Je penfois que fi fon pere venoit a mourir, il prodigueroit fon bien a fe procurer tous les plaifirs de la table & de la volupté ; que nous nous réunirions aux courtifannes les plus agréables , pour 1'aider a expédier promptement fes richeffes. Mais le vieillard donne encore quelqu'efpérance de vivre; & le jeune homme, auffi frugal que fon pere, ne prend chaque jour qu'un léger repas vers le foir. II n'eft pas recherché dans la nourriture ; du pain de place (i), quelques ragouts communs lui fufEfent. Les jours qu'il veut fe régaler, il y ajoute quelques olives ramafiees, ou des fruits (a) Conopofphrante , infccle dévorant. Ifchoüme, maigre, af&mé, D iij  78 Les Parasites, eommuns, tels qu'on les trouve au marché. Déchu de cette flatteufe efpérance,je ne fais en vérité de quel cöté me tournet! Car 11 celui qui tient table a belbin de convives; combien plus eft-il néceffaire a celui qui compte fur fa bonne chere ! Quelle reffource trouveroit un affamé tel que moi, avec un homme qui fe nourrit a peine J Je 1'embarrafferois inutilement (z). N O T E S. ( i) Du pain de place. Le poëte Antiphane, cité par Athenée (liv. 3), dit que 1'on faifoit a Athènes du pain excellent que Ton vendoit a la place, blanc, bien travaillé , d'une couleur qui annoncoit fa bonté , & qui charmoit les yeux avant que de flatter le goüt. II paroit par les fragmens des anciens poëtes recueillis par Athenée, que la délicateife des Grecs fur le pain étoit portée fort lóin. Outre le pain ordinaire ou pain de place, ils avoient Vufage du pain moliet, de celui au laitj  h B T T R £ IV. 7 <) ils en faifoient de différentes farines, & ceux dont ils mangeoient ordinairement, étoient fermentés ou levés, & fe cuifoient dans des fours. Les boulangers qui fe diftinguoient dans leur métier , jouiffoient d'une réputation étendue. Platon, dans le dialogue intitulé Gorgïas, parle du boulanger Théarius, du traiteur Mithécus, & du marchand de vin Sarambus; le premier faifoit d'excellent pain ; le fecond étoit fameux par la finefle & la bonté de fes ragouts j le troifiéme ne fourniffoit que des vins exquis. Si des artifans de eet ordre ont été ïmmortalifés dans les écrits du divin Platon, il ne faut pas s'étonner fi tous les arts font arrivés li-tót a leur perfeclion chez les Grecs. (z ) Je Fembarrafferois inutilement. 11 eft vraifemblable que les poëtes Grecs ont chargé les portraits qu'ils nous ont laiffés des parafites. Mais quoique 1'on puilfe rabattre fur 1'idée qu'ils en donnent, le róle qu'ils jouoient dans la fociété , leur attachement fervile a, la perfonne dont ils hantoient la table , font bien éloignés de nos mceurs. Le poëte Alexis fait parler ainfi le parafite Stratius: « En vérité, j'aimerois mieux être D iv  8o Les Parasites-, » attaché a Pégafe , aux flls de Borée, a 33 tout aotre qui courroit encore plus lé» gérement, qu'a Déméas, fils de Lachès? a> de race facerdotale. — Cependant, dit 33 Déméas, vous m'aimez , Stratius? — Plus » que mon pere : il ne me nourrit pas , & 33 vous me faites fi bonne chere. — Vous 33 adreflez donc aux dieux des vceux bien 33 finceres pour que je vive long - tems ? 33 — Hélas , fi vous mouriez , quelle ref33 fource me refteroit-il pour vivre 33 ! On voit par ce paffage , & quantité d'autres femblables, que les parafites étoient des efpeces de fuivans qui accompagnoient partout le maitre, comme 1'ombre fait le corps, dont on faifoit peu de cas, mais que fon fouffroit, paree que c étoit la mode.  tl L E T T R E V. PzatvlÊme (a) a Erébintholéon. Jamais 1'Attique n'a eu d'hiver auffi rigoureux que celui que nous venons d'épröuver (i): non-feulement nous avons été battus, pénétrés par les vents les plus impétueux & les plus froids; mais de plus une neige abondante qui couvroit la terre, s'élevant en grolïes malles , permettoit a peine d'appercevoir le coin de la rue, de la porte de la maifon. Je n'avois ni bois, ni charbon, pas même de la fuie a brüler; comment aurois-je pu m'en procurer! La violence du froid me percoit jufqua la moëlle des os. Dans cette extrémité, j'ai pris une réfolution digne du prudent Ulyffe (2); j'ai eu recours aux fourneaux des (a ) Platyléme, qui n'a ni feu ni lieu. Erébintholéon , le lion ou le roi des ayares. Dy  §2 Les ParasiteSj bains publics; mais on ne m'en a pas permis rentree. La place étoit occupée par quantité de gens de ma profeffion , auffi cruellement vexés que moi de la puiffance de la déeffe qui m'accabloit (3 ), de la terrible Pauvreté. Voyant qu'il n'y avoit pas moyen de m'y retirer, je me fuis rendu très-promptement au bain particulier de Thrafylle (4); je 1'ai trouvé vuicfe , & ayant gagné les bonnes graces du baigneur par deux oboles que je lui ai mifes en main3 je me fuis chauffé a mon aife. Pendant ce tems, la neige a pris de la conlïftance èc s'elt glacée en partie; les chemins font devenus plus praticables, la glacé ne faifant qu'une maffe avec le pavé. Enfin la rigueur du froid s'eft calmée, le foleil a commencé a fe faire fentir; je puis quitter ma retraite, &c recommencer mes promenades ordinaires. N O T E S. (1) Jamais l'Attique n'a eu d'hiver auJJÏ  L E T T R E V. 83 rlgoureux. On ne doit pas regarder les effets de Thiver dont il eft parlé dans cette lettre, comme une exagération du parafite. On en a éprouvé de plus cruels encore dans cette latitude; on en jugera par ce que je vais rapporter. Dans les derniers mois de 1'année 753 , tout.es les guerres, routes les affaires même civiles, furent fufpendues par un froid exceflïf qui fit craindre Textinction entiere & des hommes & des animaux. La nature parut être fur le point d'expirer dans toute 1'étendue de la terre, fuivant le récit des auteurs Bizantins ; mais ils ne nous donnent de détail que fur Conftantinople & fes environs. Dans le commencement doftobre, le Pont-Euxin fe glaca a la profondeur de quarante-cinq pieds, jufqua plus de trente lieues de fes bords. II tomba fur cette glacé trente pieds de neige; de forte que depuis la Crimée jufqua Méfembrie dans la Thrace , la mer fe confondant avec la terre , offrit pendant quarre mois entiers une route folide & fure aux voitures les plus pefantes. Oh paffoit a pied fee de Conftantinople a Chryfopolis (Scutari). On traverioit de même tout le golfe de Céras. Au mois de février de 1'année fuivante, cette D vj '  §4 Les Parasites, furface fe rompit en une infinité de glacons qui fembloient autant de montagnes. Pouffés par les vents fur les cötes de Bithynie & a 1'entrée du Bofphore, ils fe porterent fur Conftantinople , dans la Propontide , dans 1'Hellefpont, fur la cöte d'Abyde, jufqu'aux ifles de la mer Egée dont ils borderent tous les rivages. L'hiftorien Théophane rapporte qu'étant alors fort jeune , il monta fur un de ces glacons avec trente de fes camarades, & qiuls y trouverent des cadavres d'animaux tant domeftiques que fauvages. La citadelle de Conftantinople s'avancoit jufquau Bofphore : une de ces montagnes emporta les degrés par oü Ton defcendoit a la mer; une autre vint donner contre Ia muraille avec tant de force, que les édifkes voifins en furent ébranlés. La violence du choc ayant fait rompre eet énorme glacon en trois morceaux, il embraffala citadelle, &c fembloit être une feconde muraille appliquée a la première quelle furpafloit en hauteur. Les habitans de Conftantinople furent jour Sc nuit dans des allarmes continuelles jufqu au 20 mars, que ces glacés commencerent a fe fondre. Dans ce même mois, l'air parut  L E T T R E V. 85 embrafé de tant de feux, que les peuples s'imaginerent que les étoiles tomboient du ciel, & que le monde alloit périr. L'été fuivant, une longue féchereffe caufée par des vents fecs & brülans, fit tarir prefque toutes les fources & les fleuves. Hifioire du BasEmpire , torn. 13 , l. 64. Quoiqu'il y ait trois degrq| de différence entre la latitude de Conftantinople Sc celle d'Athènes , on peut imaginer aifément que cette même année 1'hiver fut en Grèce d'une rigueur étonnante pour le climat, & fort prolongé , puifque les glacons qui fe porterent jufqu'aux ifles de la mer Egée y durent prc»duire une température très-froide , même au retour du printems- (2) U?ie réfolution digne du prudent Ulyffe. II n'y avoit pas grande fineffe a. chercherun afyle dans les bains pour fe fouftraire au froid , c'étoit 1'ufage de ceux qui n'avoient d'autre moyen de fe chauffer; peutêtre s'y trouvoient-ils mieux que dans les chauffóirs entretenus aux dépens de la ville fous les galeries couvertes appellées lefchés (parloirs ), oü les défceuvrés s'affembloient pour s'entretenir enfemble des nouvelles courantes. Platylême ayant été en  8 que Ton gagnoit par quelques gratifications les domeftiques des maltres que 1'on devoit aborder, ainfi que 1'avoit pratiqué notre parafite a 1'égard du baigneur. Les conciërges ou garderobes des maifons & des palais d'Italie, ou il y a quelque chofe de curieux a voir, comptent encore beaucoup fur la générofité des voyageurs étrangers j elle fait même partie de leurs gages. LETTRE VI. TRÉCHÉDIPNE a LO P AD E C T A M E E (a). C^u'rL s'en faut encore que le ftyle ne marqué la lïxiéme heure du jour! La faim (a) Tous les noms qu'Alciphron donne aux parafites font de caractere. Tréchédipne fignifie coureur de repas ; il eft compofé de rfi^», curro , & fthrnt, cana. Lopadeclambe figtiifte décroceur de plats, de >.»7r«,  ?o Les Parasites, me dévore, je fuccombe fous fes atteintes! Quel parti prendre, ami Lopadeclambe ? Comment arrêter le mal qui me tourmenté; Si nous renverfions la colonne qui foutient cette horloge facheufe (i); fi nous difpofions feulement le ftyle de facon a précipiter le cours des heures; ne feroit-ce pas une imagination digne de Palaméde (2)? La faim me defféche, me brüle, &c Théocharès ne fe mettra point a table qu'un efclave ne vienne lui annoncer qu'il eft fix heures. II nous faut donc trouver un moyen de le tromper, & de le faire fortir de l'exact-itude de fa regie. Elevé par un pédagogue infolent & bizarre, il n'a rien de la vivacité de la jeuneffe & de fa gaieté. Mais auffi grave qu'un devin (3), auffi mefuré qu'un apprentif philofophe , fes mceurs font d'une aufté- patella, Ik ir.rt(mi , excidu. Je ne les expliquerai pas tous; ceux qui en feront curieux , en trouyeront aifémenc la fignifïcation dans les termes grecs donc ils fonc formés.  L e t t a £ VI. 5>1 rité ridicule , & jamais il n'a befoin de manger avant que 1'heure ordinaire ne foit arrivée. N O T E S. ( I ) Cette horloge facheufe. II eft queftion d'un cadran folaire, & non d'aucune machine a roue qui reffemble a nos horloges adtuelles. Le terme ne doit pas faire illufion, il eft grec d'origine , & fignifie une invention quelconque propre a déligner les heures. Les cadrans folaires des Grecs étoient dreffés avec un art qui exigeoit une connoiffance exaéle du cours du foleil & de fa pofition lors des folftices d'hiver & d'été, & des deux équinoxes. Cependant le jour étoit divifé dans toutes les faifons en douze parties égales, de forte que les heures étoient néceffairement plus ou moins longues. Anaximène de Milet paffe pour 1'inventeur de ces cadrans folaires. La fixiéme heure répondoit toujours au point de midi. II fut aifé de divifer de même la nuit en veilles ou parties égales fuivant les faifons. II paroit que du tems d'Homere la nuit étoit divifée  92 Les Parasites, en trois veilles (Illad.liv. 10). Il eft probable qu il y avoit a Athènes, ainfi qua Rome, des gens prépofés par le public, pour indiquer pendant la nuit la divifion du tems, qu'ils connoifibient par le moyen des clepfydres qui fervoient au même ufage pendant le jour, lorfque le foleil étoit caché paf les nuages. ( 2 ) Une imaglnatïon digne de Palaméde. C'étoit un proverbe très-ancien parmi les Grecs; on donnoit le nom de Palaméde k quiconque inventoit ou propofoit quelque chofe de nouveau. Eupolis le comique, cité par Athenée (liv. i), dit: cc Cette invention 33 eft digne de Palaméde, & très-fage». Ariftophane , dans les Grenouilles : cc Fort 33 bien, Palaméde, la fubtilité eft merveil33 leufe 33. Ce que je vais dire de Palaméde prouvera que ce n'étoit pas fans raifon que la mémoire devfon génie inventif s'étoit eonfervée parmi les Gr^cs, & que fon nom même faifoit proverbe. Palaméde, fils de Nauplius, roi de 1'ifle d'Eubée (Négrepont), conduifit les fujets de fon pere au fiége de Troye. II étoit tellement eftimé des chefs de 1'expédition, qu'il fut choifi pour com-  L E T T R E VI. 23 mand-er 1'armée grecque, lorfqu'Agamemnon fut dépouillé du commandement pour avoir refufé de facrifier fa fille Iphigénie a Diane qui étoit irritée, paree que ce prince ayant débarqué en Aulide, avoit tué une chevre confacrée a Diane. La déefle , pour s'en venger, rendit la navigation fi contraire aux Grecs, que ne pouvant avancer, ils confulterent le devin Calchas fur les moyens de fe rendre les dieux favorables: il répondit qu'ils ne réuffiroient qu'autant qu'Agamemnon offriroit fa fille en facrifice. Ce fut Palaméde qui découvrit que la prétendue folie d'Ulylfe, qui atteloit un cheval avec un bceuf, n'étoit qu'une feinte , & qui le prouva fi bien, que le roi d'Ithaque convaincu , fut obligé de fe montrer tel quil étoit , tk de partir pour 1'expédition de Troye. Mais il ne ceifa de cabaler fecrettement contre Palaméde ; il irrita la jaloufie d'Agamemnon, & 1'amena au point de confentir a la perte de fon rival, qui fut réfolue entr'eux , fur le faux prétexte d'une trahifon contre les Grecs en faveur des Troyens.; pour laquelle 1'infortuné Palaméde fut condamné a être lapidé. II paroit qu'il étoit vraiment digne de commander en chef  94 Les Parasites, rarmée; & fi ce que 1'on dit de fes connoiffances eft vrai, c'étoit le prince le plus habile de fon fiecle : il étoit même fort audeffus de tous fes contemporains. II augmenta 1'alphabet grec de cinq lettres, 8, 3, ■¥, %, Ulyfie difoit a ce lujet qu il n'avoit pas eu grande peine, que 1'ordre que tiennent les grues en volant, lui avoient indiqué la figure de ces lettres. Obfervation fuggérée par la jaloufie, & qui n óte rien au mérite de 1'invention. Une éclipfe de foleil avoit fort allarmé les Grecs, il leur en expliqua la caufe naturelle , & les raffura en leur confeillant un facrifice au foleil. Le premier, il divifa le rems ou 1'année en faifons, mois &c jours, fuivant le cours du foleil. 11 donna aux Grecs les premiers élémens de la taétique, en rangeant lëurs troupes en bataillons fous des enfeignes différentes. II inventa les poids & les mefures, ainfi que le jeu des échets tk des dez, pour amufer les foldats que la longueur d'un fiége de dix ans faifoit périr d'ennui. Malgré tant de talens qu'il tournoit entiérement a Tutilité de fa nation, il n'échappa point a la jaloufie du fourbe U^fle, qui fit tant par fes intrigues, que ce prince malheureux  L £ T T R £ VI. c,^ I fut condamné k une mort ignominieufe. Les I Grecs n'ouvrirent les yeux fur fon mérite I qu'après 1'avoir perdu. Suidas alfure quil I avoit compofé des poëmes très-intérelïans I furlaguerre de Troye, a ce que Ion croyoit, I mais qu'Homère les fupprima. On remarque 1 que pour en détruire jufqu'au fouvenir, il I n'a pas même nommé Palaméde dans 1'Iliade. j Philoftrate dit qu'après fa mort les Grecs I fhonorerent comme un dieu , & lui ériI gerent une ftatue avec 1'infcription : Au I dceu Palaméde ; hommage tardif rendu au | mérite d'un prince bienfaiteur de fa nation I & du genre humain. Voyeicla Bibüotkeque I grecque de Photius , n. i9o, art. de Pto•|1 lémée , fils d'Héphaeftion , & les Commen| taires de Raphael de Volterre , liv. 18. Pau| fanias, liv. 10, chap. 31, dit que dans un i tableau immenfe de Polignote de Thafe , j peint a Delphes, & qui avoit pour fujet I la defcente d/Ulylfe aux enfers , on voyoit i Palaméde jouant aux dez avec Therfite; & lil affure avoir lu dans les Cypriaques que i Palaméde étant allé un jour pëcher fur le óbord de la mer, UJyffe & Dioméde le pouf«ferent dans 1'eau, tk furent caufe de fa rooit.  96- Les Parasites, ( 3 ) Auffi gr ave qu'un devin. II fera pane ci-après (Lettre 28 , notes 2 6 5) des devins; quant a la marqué & aux prétentions des philofophes, on peut voir ce qui en a été dit ( note 1 fur la lettre 2 2 de la première partie). J'ajouterai feulement que ces ridicules n'étoient nulle part plus remarquables qua Athènes. Les anciennes écoles y conferverent long-tems des feétateurs 5 elles avoient perdu tout leur crédit, & cependant ceux qui leur reftoient attachés affecloient encore la gravité des premiers maitres, & fe modeloient fur leur extérieur; ce qui ne fervoit qua les faire moquer dü peuple. Un homme d'efprit, dit Horace , qui a choifi pour fa retraite le tranquille féjour d'Athènes , qui a employé fept années a étudier les philofophes, qui n'a fait que méditer, & qui a vieilli fur les livres , fort dans les rues fouvent plus taciturne quune ftatue, & fait toujours rire le peuple. Ingenium fibi quod vacuas defumpfit Athenas, Et Jhidiis armos fsptem de fit, infenuhqut Librls & curis, Jlatud tacïturnior exit Plerumque, & rifu populum quatit Epift. 1, lib. II, Carm. 81. LETTRE  97 LETTRE VII. Hectodiocte a Knisosome (a). TT Alier, fur le foir, je rencontrai Gorgias 1'Eréobutade CO» il me falua honnëtement, & Te plaignit de ce que je ne lui rendois pas de plus fréquentes vifites. Ayant plaifanté quelque tems avec moi; Allez, me dit-il, de par Jupiter, le plus excellent de nos amis, faites un tour au bain, & amenez-moi enfuite la courtifanne Edonion. Je la connois intimement; elle loge, ainfi que tu fais, prés de Léocorion^z). J'ai commaridé, continua Gorgias, un fouper délicieux, fur-tout une matelote de beaüx poifions, & quantité ■de flacons remplis du meilieur vin de Mendès (3 ). Sur ce propos, il me quitta. Je neusden de plus prefle que de courir chez ( a ) Heftodiocle , nom relacif i 1'aventure qu'i! va raconter, 8cqui fignifiepourfuiviau-dehors. Kmfofome^ .tjui fenc, qui reipire les fauses. Tomé II. E  Les Parasites, Edonion , & de lui apprendre par qui elle étoit invitée a fouper. Saus doute qu'elle avoit a. fe plaindre des procédés de Gorgias; peut-être mcme en avoit - elle été mal payée. Prenant mon invitation pour une mauvaife plaifanterie , elle tenta de me faire porter les effets de fon reffentiment. Elle faifit a fon foyer un pot d'eau bouillante dont elle m'auroit couvert la face, fi je n'euffe fauté a propos en arriere ; car très-peu s'en eft fallu que je naie été échaudé. Ainfi de fauffës efpérances nous uomperont fans ceffe, & 1'ignominie attachée a notre état, 1'emportera toujours fut les piaifirs que nous nous promettons. N O T Ê S. (i) UEtèobvt at>e, c'eft-a-dire, un defcendant de la race de Butés, Tune dés plus illuftres families de la tribu Pandionide , puifqu elle rapportoit fon origine a Butés , fils de Pandion, qui fut honoré, après la mort de fon pere, du facerdoce de Minerve.  Lettre VIL 99 Voyei Pau/anias, liv. i , & Meur/, des Peuples de VAttique. Suidas en parle auffi au mot Etéobutade , comme d'une familie confidérabie k Athènes, d'oü 1'on tiroit les prêtres des dieux. (a) Le léocorion étoit une partie de Ia place ou rué du Céramique ou étoit le tornbeau de Léos, qui ayant dévoué fes filles pour le falut de la république, mérita d'avoir un monument dans le lieu deftiné a conferver la mémoire des bienfaiteurs de la patrie. Voyei Paufanias, liv. i, chap. s. Selon Suidas , ce Léos étoit fils d'Orphée , & il étoit compté parmi les héros éponymes (célébres) de 1'Attique. (3 ) De vin de Mendès. II n'eft pas aifé de décider d'oü venoit ce vin de Mendes, ou de Mendès, ville maritime de la Thrace, ou de Myndes, ville de Carie. Le territoiré de ces deux villes produifoit du bon vin. Celui de Carie étoit un vin paillet, léger & agréable a boire. Celui de Thrace avoit une réputation qui fembloit répondre de fa bonté. L'ancien poëte Cratinus dit d un amateur ; «S'il rencontre du vin de Mendès.de 33 quelques années, il fe réjouit, tout va E ij  ïoo Les Parasites, » bien, dit-il, qu'il eft bon, qu'il eft franc , m il portera bien 1'eau ». L'ufage ordinaire étoit de mêler le vin de trois ou de cinq parties d'eau, toujours en nombre impair. On n'en buvoit jamais pur ; on verra même dans la fuite que les parafites regardoient comme le comble des mauvais traitemens d'être forcés d'avaler le vin pur a grands traits. Le poëte Hermippe repréfente Bacchus faifant 1'énumération desmeilleurs vins, qui parle de celui de Mendès comme émané des dieux mêmes ; Mendceum vinutn crant ( r). S'il fe contentoit de fes befoins , s'il ne falloit que le remplir ! mais il effc exigeant a 1'excès. II faut, pour le fatisfaire , 1'abondance la plus fomptueufe; & ma face déshonorée ne peut plus fupporter les coups dont elle eft fans ceffe lebut.L'un de mes yeux , a force de gourmades, s'eft (a) Mandilocolapte, dans 1'habmide d'être fouffleté. Artepuhyme , (jui guette le pain. E iij  ïoi Les Parasites, obfcurci, & ne me fert plus qua me faire fentir fon inutiliré par les douleurs quil me caufe. Hélas , que de maux (i), que d'avanies nous attire un ventre afFamé, toujours pret a engloutir les mets les plus multipliés! J'ai pris mon parti; je n'attends plus que 1'occafion de me trouvera quelque repas fplendide, a la fuite duquel je terminerai ma malheureufe vie par une mort qui ne fera peut-être pas fans agrément (3). N O T E S. ( 1 ) L'insatiable aviditéde mon eflomac. Il falloit ou renoncer au métier de parafite , ou être déterminé a, fouffrir toutes les avanies, les nazardes, les foufflets, les gourmades des convives infolens & ivres. Un vrai parafite devoit être tel qu'Ariftophane le dépeint dans la comédie du Pithagorifte. « S'il faut recevoir des coups, ma => têie eft plus dure que le noeud d'un vieux 33 chêne, tout mon corps n'eft qu'une en35 clume 33. Athenée, liv. 6. Plaute , dans les Captifs, acïe 1 ,fcène 1 ; « Tout parafite  Lettre VUL 103 33 qui craint les foufflets, ou d'avoir de tems 33 en tems les pots & les plats brifés fur la astéte, doit renoncer a fa profeffion, 3c 33 aller mendier 33. C'eft le parti que préfere un malheureux qui a tout diffipé, & qui ne peut fe déterminer a faire le métier de plaifant, ni a fouffrir les coups:' Aft ego infiS'x neque ridiculus ejfe, Ncjue plagas pati poffum .... Teient. in Eunucho, Aü. 2 , Scen. 2. Ainfi le poëte comique Alexis a raifon de dire dans Athenée (liv, 10): cc Otez le » ventre ï eet homme , il fera a 1'abri de 33 toute infuke, de tout traitement ignomi33 nieux 33. (2 ) Hélas , que de tnaux. On voit combien les Grecs des tems pokéiieurs avoient profké de la lecture d'Homere , toutes les idees du parafite font tirées de fOdyffée. « Le ventre accoutumé a faire affronter les 33 plus grands dangers , me force de hafar33 der un combat fi inégalss, dit Ulyffe aux pourfuivans de Pénélope, avant que de fe battre contre kus. OdyJT. liv. 8. . cc On ne doit point être furpris, dit encore Ulyffe ( Liv. 17 ) frappé d'une efcabelle E iv  io4 Les Parasites, par Antinous, Tim des amans de Pénélope, m qu'un homme foit bieffé, quand il combat 33 pour défendre fon bien , ou pour fauver » fes troupeaux qu'on veut lui enlever. Mais 33 qu'il le foit quand il ne fait que deman33 der fon pain, & chercher a appaifer une 33 faim impérieufe qui caufe aux hommes 33 des maux infinis; voila ce qui doit pa33 roitre étrange; & c'eft en eet état qu'An33 tinous m'a bleffé. S'il y a des dieux pro33 teéfeurs des pauvres, s'il y a des furies 33 vengerelfes , puiffe Antinous tomber daras 33 les liens de la mort, avant qu'un mariage 33 Ie mette en état d'avoir des nis qui lui 33 reffemblent 33. (3 ) Par une mort qui ne fera , &c. Sans doute que ce genre de mort que fouhaite Mandilocolapte eft celui que defiroit un autre parafite auquel Alexis fait dire dans. la comédie du Menteur : « Je fuis heureux , 33 j'en attefte Jupiter-Olympien & Minerve ; 33 non pas, chers amis, paree que je dois 33 être de ce feftin de nóces, mais paree 33 que j'en creverai. Dieux favorables, que 33 je tienne de votre bonté une mort aufti 33 delirable 33! (Athenée, liv, 6.)  10 J LETTRE IX. HÉTÉMOCORE a ZOMECPNÉQN (a). A H! que Ia journée d'hier fut terrible pour moi! Quel génie , quel dieu vint tout d'un coup a mon fecours & me fauva, lorfque j'étois au moment même du trépas. Si par un heureux hafard le médecin Acélilas ne m'eut pas appercju fortant de table , étendu furie pavé, demi-mort, que dis-je, fans mouvement, fans aucune apparence de vie, en un mot, le cadavre d'un trépafle ; s'il neut pas ordonné a fes éleves de m'enlever, de me porter chez lui ; s'il ne m'eut pas donné un violent vomitif; (a) Hétémocore fignifie toujours piêt a fe remplir. Zcmecpnéon, quifent, qui refpire la fauce ou le bouillon. Arillophon, dans la comédie du Médecin 'Athenée , l. 6), dit que 1'on avoit donné a un parafite le nom de petit bouillon , paree qu'il fe trouvoit toujours ie premier a table par tout oü 1'on donnoit a manger. Ev  ioó" Les Parasites, s'il ne m'eut pas ouvert la veine , & fait une copieufe faignée, il n'y a pas de doute que je n'eulTe fini ma carrière dans eet état d'infenfibilité. Hélas 1 quelle fatisfaction barbare trouvoierit ces opulens débauchés a me réduire a eet état violent; Les uns me forc;oient a boire coup fur coup; les autres me contraignoient a manger a 1'excès : 1'un me gorgeoit de farces •, 1'autre me fourroit dans la bouche tout ce qu'il y pouvoit entrer de pain; un troifiéme me prenant pour une efpece de tonneau (i), me faifoit avaler a grands traits, non du vin, mais une fauce compofée de moutarde, de jus de poilTon & de vinaigre. Enfin, j'en avois tant & tant pris,' qu'en le rendant j'ai rempli une telle quantité de pots & de terrines, qu'Acéfilas ne pouvoit comprendre comment un feul eftomac avoit pu recevoir, eet amas énorme de nourriture. Mais puifque les dieux fauveurs m'ont tiré des bras de la mort la plus imminente, mon parri  Lettre IX. ioj eft pris 5 je travaillerai pour vivre : j'irai au Pyrée; je m'employerai a tranfporter les marchandifes des vaiiTeaux dans les magafins. 11 vaut mieux avoir fa fubfiftance affurée d'oignons & de pain bis (2), que d'être expofé tous les jours au danger de périr en courant les repas ou les viandes les plus recherchées (3) & la chere la plus exquife nous font prodignées fans mefure. N O T E S. (1) Me prenant pour une efpece de tonneau. Timoclès , dans la comédie intitulée XAthLete, die : « Parmi tous ces amis 33 de table , combien y en a-t-il qui fe rem3j plilfent outre mefure de viandes, & difent 3» vrai, lorfqu'ils fe comparent a des facs 3j quil faut remplir3,. (Athenée, l. 6.) Mufonius, philofophe ftoïcien du fecond fiécle, cite par Stobée (Sermon. 16, de Incontinentid), dit: cc La voracité & la gloutonnerie 33 font certainement des vices très-honteux: 33 j'ai peu connu de perfonnes qui fuffent 33 capables de prendre le parti de s'en corri E vj  *o8 Lis Parasites, M ger. Lorfque foccafion s'en préfente, ils ea 33 ufent avec tant d'avidité, qu'ils ne peuvent 33 qu altérer infeufiblement leur fanté. Tous les exces font vicieux, mais celui-ci 1'eft 33 au-deflus des autres; il précipite les gour»3 mands & les gloutons dans un état au93 deffous de celui des animaux les plus im33 mondes: leurs geltes , leurs regards, leur 33avidité, leurs cris n'ont plus rien d'hu?3 main. Voila oü les réduit eet appétit in33 fenfé pour la bonne chere. Qu'y a-t-il de 33 plus affreux que d'en ufer avec une irw 33 tempérance qui mette 1'homme au niveau 33 de la brute, même au-deftbus, & d'affron33 rer de gaieté de cceur, tous les dangers » qui font la fuite nécelfaire de ce genre 33 de vie 33. ( 2 ) D'oignons & de pain bis. II y a dans Ie grec de racines & de farines , cPlVw/c xai aXcpiToa i il auroit peut-être fallu traduire de racines tk de gruaux 5 j'ai cru devoir préférer les expreflions dont je me fuis fervi. Ces farines font ce que les Latins ont appellé polenta, terme dont fe fervent encore les Italiens pour défigner toute efpece de gruaux. II n'eft queftion, fans doute, ici que  Lettre IX. ic$ des plus communs, non de ces patés fines & recherchées dont parle le gourmand Archeftrate dans fa Gaftronomie ( Athenée , liv. i ), ou parmi les dons de la blonde Cérès, il vante les patés qui fe font avec la fleur de farine d'orge. Ainfi la crainte de la mort détermine le parafite a un genre de vie plus honnête & plus fimple. Socrate, fuivant Mufonius que j'ai c\x$ dans la note precédente, étoit étonné de voir tant de gens vivre pour manger, tandis que 1'on ne devoit manger que pour vivrei fur quoi ce philofophe fait cette rérlexion remarquable : « Dieu nous a accordé les ali» mens pour la fanté, & non pour en faire » un objet de délices. Le goüt que 1'on =' trouve 3. manger ne dure quun moment, =3 au lieu que la nutrition qui en eft la fuite, =3 & qui nous eft infenfïble, ne fe fait que 33 très-lentement. Or, fi 1'auteur de la na» ture nous eut accordé les alimens plus 33 pour le plaifir que pour la néceflïté, la 33 digeftion nous eut été aufft agréable que 33 la déglutition ...,. Cependant , pour le 33 moment feul oü 1'on a la fenfation de ce 33 que 1'on mange, que de recherches fur 53 la terre 6c dans les mers? Que na-t-on  ïio Les Parasites, ?> pas imaginé pour flatter le goüt & irriter » 1'appétit? Combien un cuifiniér n'eft-il pas » plus confidéré qu'un laboureur ? Et qu en » revient-il au corps a la confervation 3> duquel les alimens font deftinés ? Rien 33 autre que des incommodités fans nom33 bre, & une ruine ptématurée 33. D'oü le philofophe conclut que quand même les viandes les plus recherchées feroient auiTi faines que les plus communes, il conviendroit a un homme raifonnable de préférer celles-ci, paree qu'elles coütent moins, fe trouvent plus aifément, exigent moins d'apprêts, & font au moins aufli nourriffantes. On ne doit pas oubüer que c'eft un ftoïcien qui vivoit il y a plus de feize eens ans, qui prétend parler raifon, & que depuis ce tems la philofophie a bien changé de ton & de goüt. ( 3 ) Les viandes les plus recherehe'es. Des faifans , dit le texte , le rhéteur en fait fervir aux parafites comme un mets rare & précieux. Cela étoit ainfi du tems des Ftolémées a Alexandrie , oü Ton n'en nourtilfoit que pour la bouche du ro'i; encore ne lui en fervoit-on que dans les repas d'appareil..  Lettre IX. iiï Du tems d'Athenée ils étoient dèvenus fi communs , que 1'on en donnoit un a chaque convive, au fecond fervice, après que 1'on avoit déja beaucoup mangé ( Athen. I. 14); il eft vrai que 1'ufage des parafites étoit d'emporter le refte des viandes róties qu'ils n'avoient pu manger. m*iW.aill"*lW1glMl»>'l« »J.H..VJgpi. f_.'.JBUJ W,...!»"!!, LETTRE X. ElVOPECTE a KOTYLOSROCTISE "Vas, prends ta flute & ton tamboürifl; trouve - toi a la première veille de la nuit au carrefour doré, prés de 1'Agnon. C'eftla que je te donne rendez-vous. Nous y prendrons nos mefures pour enlever du quartier de Scyros (1) la courtifanne Clymene, & la conduire d Thérippide 1'Exonien , dont la fortune eft devenue tout d'un ( a) Enopeile, grand buveur. KotyZobroJife fignifie a-peu-près la même chofe, un homme cjui avale de grands coups de vin.  ni Les Parasites, coup fi brillante. II aime éperduemenfi cette femme; & même il a déja fait pour elle une dépenfe affez confidérable. Mais voyant le jeune homme épris d'une vive pafiïon, elle fait la renchérie , & a 1'air de le dédaigner. Ce n'eft pas qu'elle n'accepte tous fes préfens; mais elle allure qu'elle ne fe livrera point a lui, s'il ne lui donne, outre une fomme d'argent confidérable , un beau domaine qui lui appartient. II eft tems que nous mettions une fin a cette intrigue, & que nous enlevions de fofce la courtifanne, fi, conftante dans fes refus , elle ne fe rend pas de bonne grace a nos follicitations. Nous fommes deux , jeunes & robuftes, nous 1'aurons promptement emmenée, quelque réliftance qu'elle oppofe. Thérippide ne manquera pas d'être auffi-töt informé de notre entreprife ; il connoïtra quel eft notre zele a le favorifer dans fes plaifirs (2); il nous en faura gré, & nous ne devons pas moins attendre de fa reconnoiffance, qu'une bonne fomme  L E T T R £ X. 113 tn or, & des habits bien étofFés. Nous aurons déformais leS entrees libres dans la maifon , & nous jouirons des avantages qui y font attachés. Sans doute qu il nous regardera moins comme fes parafites que comme fes amis. Car quand on nattend point les invitations & les promeffes d'un patron pour le fervir, on doit en être traité non comme de fades complaifans, mais comme des amis finceres. NO T E S. (1 ) Qvartier de Seyros. C'étoit celui d'Athènes oü la plus grande partie des courtifannes fe Iogeoient. Etienne de Bizance en parle dans fon Dictionnaire géographique. Thérippide (urnommé TExonien , étoit fans doute de la familie connue fous ce norn, & fort accréditée a Athènes, fur-tout dans le peuple. (i) Le favorifer dans fes plaifirs. Voila bien le caraccere d'un infame, tel que Théophrafle le donne ; « Un coquin eft celui  ii4 Les Parasites, * a 1ui les choies les plus honteufes ne o> coütent rien a dire & a faire *». Quelle idéé prendre dun peuple qui 'paffe pour avoir été fi poli, & qui fouffroit de pareils monftresdans la fociété, oü il eft très-probable qu'ils vivoient impunis. LETTRE XI. Raghêstrangisb d Staphilodémon (a\ T JE fuis perdu fans reffource! Hier j'étois vêtu avec une forte de magnificence qui me donnoit de la confidération : aujourd hui, je couvre ï peine ma nudité avec ïes plus vils haillons (i). Pétécion, ce fcélérat ma tout enlevé. Ma bourfe, comme tu le fais, étoit bien fournie; il m'a engagé a une partie de dez, & fa maudite adreffe ne m'a pas laillé un feul écu, pas une drachme, pas une obole. Je pouvois (a ) Raghéjirangift, un homme hrifé par quelque torture. Staphilodémon , qui n'a de reflource qu'a fe pendre.  Lettre XI. n<( m'en tenir a cette première perte, & éviter 1'extrémité oü je fuis réduit, mais la dif-~ pute ayant excité ma colere, je me fuis livré a toute la fureur du jeu. Je me fuis dépouillé de toutes les parties de mon habillement, les unes après les autres , je les ai toutes perdues fucceffivement, & me voila nud. Que devenir! Comment fupporter la rigueur de la faifon , &z les traits piquans de la bife qui me percent de toutes parts! je ne vois de reffources qu'au Cynofarge (2). Peut-être quelques-uns de nos jeunes opulens me prendront en pitié & me donneront un habit: au moins je me rangerai dans un des chauffoirs publics, dont la chaleur me rendra ma mifere plus fupportablc Quand on eft réduit a la nudité, la flamme & 1'abri tiennent lieu de faie & de robe fourrée. N O T E S. ( 1 ) Les plus vils haïllons. Il y a dans le texte une étoffe de Cilicie déchirée j  ïitr Les Parasites, c'étoit une efpece de gros baracan a 1'ufage du peuple, qui fe fabriquoit avec du poil de chevre, ( 2 ) Je ne vois de reffource qu'au Cynofav ge. J ai parlé dans le Difcours qui eft a la rête de ces Lettres, d'un décret rendu en faveur des parafites, & gravé dans le temple d'Hercule au Cynofarge. Le parafite dépouillé avoit donc quelque raifon de le regarder Comme un lieu privilégié pour lui, 8c il étoit fur de sy chauffer au feu que Ton y entretenoit fous des galeries couvertes, dans les tems froids, pour les pauvres citoyens. Le Cynofarge étoit originairement une colline d'un des fauxbour«-s è'Athènes , qui prit ce nom d'une chienne blanche qui enleva la viclime qu'orfroit a Hercule un citoyen d'Athènes nommé Didyme. Le fuppliant effrayé de eet accident, & ne fachant qu'en penfer, entendit une voix qui' lui ordonnoit d'élever un autel a Hercule dans 1'endroit même ou la chienne s'étoit arrêtée. Cet autel, qui devint dans la 'fuite un temple , fut dédié I a Hercule-Cynofarge, ainfi nommé des deux aiots grecs kunos Sc arghe's, chienne blan-  Lettre XL 117 che. Ce fut-la que les philofophes cyniques établirent leur école, après qu'ils eurent été forcés de fortir du Lycée. On y batit des portiques fous lefquels on expofoit les enfans illégitimes; & on y voyoit un gymnafe ou lieu.d'exercice pour 1'éducation de ces enfans, de ceux'des affranchis, & de ceux qui étoient nés de parens étrangers. Les Athéniens les mettoient tous au même rang. On prétend même qu'HercuIe n'avoit un temple dans ce quartier que comme le plus diflingué de tous les enfans illégitimes. Thémiftocle, né d'un citoyen d'Athènes fort obfcur, & d'une mere étrangere, étant en quelque forte métif, fit cefifer adroitement cette diftinétion odieufe , en engageant quelques jeunes gens des plus notables de la ville a venir faire leurs exercices avec lui dans le Cynofarge. Cet ufage s'établit fi bien , que Thémiftocle parvint a abolir la dirférence que 1'on mettoit auparavant entre les batards métifs & les enfans légitimes des citoyens d'Athènes. Voyez Plutarque, vie de Thémiftocle. Les batards tout-a-fait abandonnés , avoient un tribunal prés du temple d'Hercule, oü ils traduifoient ceux qu'ils croyoient être leurs per es, qui étoient  n8 Les Parasites, obligés de les reconnoltre fi la preuve étoit concluante. Voyez Paufanias > l. i, ch. ig. LET T R E XII. P SI C H O C LAU S T E a BuCION. ./i-PRÈs nous être fait rafer, & nous être bien lavés dans le bain de Sérangius (i), les parafites Struthion, Cynethus A PRÉS nous être fait rafer, & nous être bien lavés dans le bain de Sérangius (i), les parafites Struthion, Cynethus & moi,nous allames avant-hier en hate, environ la cinquiéme heure du jour, au fauxbourg d'Angele (2), oü le jeune Chariclès a une maifon de plaifance. II nous y a rec^us de bonne grace : il aime a rhe Sc a fe faire honneur de fa dépenfe. Nous 1'avons égayé, ainfi que fes convives, par nos plaifanteries: ils y ont répondu par des railleries, des chanfons piquantes, pleines d'efprit, a la vérité, mais trop infolentes. Ce qu'il y avoit de pis , c'eft qu'ils ne nous épargnoient pas les nafardes, les foufflets , & autres carefles de cette efpece qu'ils ne nous prodiguent que trop fouveat.  L E T T R £ XII. 1!^ Cependant tout alloit bien , le feftin & I les convives refpiroient la gaieté la plus tranche & la plus animée, lorfque tout d'un coup s'eft montré le bouru, le brutal Smicrines. II étoit fuivi d'une nombreufe efcorte d'efclaves, qui tous en en trant fe font jettés fur nous. Pour Smicrines, il a commencé par batonner Chariclès, & 1'ayant enfuite foufrleté , il la fait fortir & fuivre comme le dernier & le plus foumis de fes efclaves. Au premier figne du vieiilard, on nous a ramenés, les bras fur le dos, & il nous a fait charger impitoyablement d'une grcle de coups de fouet (3). Enfin, ayant ordonné que 1'on nous tirat de la falie du feftin, ie barbare nous a fait mettre aux fers. Peut-être même fa fureur nous eutelle livrés aux bourreaux, fi le charmant Eudéme, ce magiftrat qui tient un rang fi diftingué dans 1'aréopage , ne nous etit fait ouvrir les portes de la prifon. Sans I doute nous devons cette taveur au fouvenir I qu'il a conferyé de la familiarité dont  xia Les Parasites, il nous honoroit autrefois, lorfque dans des tems plus heureux, il nous permettoir de jouir avec lui de la belle dépenfe qu'il faifoit de fon bien. Le féroce, le crue! vieillard, irrité a I'excès contre nous , mettok tout en oeuvre pour nous faire con-. damner au dernier fupplice, nous repréfentant comme auffi criminels que les facriléges ou les homicides. Sn ■ ■ -—■ ■ '■ NO T E S. ( i ) Le bain de Se'rangius. Héfychius &: Suidas en parient au mot Se'ranghion , & difént que c'étoit un quartier du Pyrée oü fe trouvoient des bains publics. On voit par un palTage de 1'orateur Ifée , que ces bains appartenoient a des particuliers qui les vendoient. II parle d'un bain vendu au Séranghion trois mille mines, d'oü 1'on peut cónclure que 1'on payoit quelque droit pour fe laver a ces bains, ainfi que pour le falaire de ceux qui en avoient foin, & qui en entretenoient le feu ; car outre le bain, on trouvoit des étuves dans le même corps de batiment. (0  Lettre XII. ut ' (»} Le fauxbourg d'Angefe. Héfichius, .Etienne de Bizance , & après eux Meurfius, parient d'un bourg d'Attique de ce nom. C'eft dans ce quartier qu'étoit le tombeau du héros Eudanus, fils de Neptune, furnommé Angelus. II y a apparence que ce quartier s'appellok anciennement le bourg ou fauxbourg d'Augele. La Guilletiere (Athènes ancienne & nouvelle) lui donne le nom XEudancon, Paufanias {iïv.j, ch. 4) parle decefilsde Neptune comme du premier habitant de 1'ifle de Chios ou il étoit né, qui pafla de-la dans 1'Attique avec les premiers Ioniens auxquels on croit qu Athènes doit fa fondation. II faut remarquer que foit que les Lettres d'Alciphron foient trèsanciennes, foit quil ait voulu leur donner 1'air de 1'antiquité, il ne dénomme les différens licux dont il parle, que par leurs nom*. les. plus anciens. ( , ) Une grêle de coups de fouet. Le parafite fe récrie avec quelque raifon contre un traitement auffi cruel. II devoit y avoir de la proportion entre la faute Sc le chatiment : & comme fétat de parafite étoit en quelque forte autorifé, au moins par Tome IL p  ï22 Les Parasites, l'ufage , le vieillard Smicrine n'avoit aucun droit de faire traiter auifi cruellement les parafites qu il avoit trouvés a table chez Chariclès, qui probablement étoit fon fils. il y a dans le texte grec des fouets tilTus de foie de porc , fans doute pour en rendre, les coups plus douloureux. 11 faut, dit Horace , qu il y ait une regie qui proportionne les peines aux crimes , tk ne pas faire battre de verges quelquun qui ne mérite qu'une punition légere. Adfit Regula, peccatis qua pcenas irroget aquas ; Nee fcutica dignum , horrïbili feclere flagellv. Lib. i. Sat. i. Scutica , dont parle Horace, étoit une courroie légere dont fe fervoient les maitres d'école pour chatier leurs difciples quand ils manquoient z leurs devoirs. Le fouet, horribile flagellum, tel que celui que Smicrine fit appliquer aux parafites, étoit une punition atroce accompagnée d'ignominie. On 1'employoit a Rome pour punir les eC-j claves & ceux qui avoient été condamnés par fentence des triumvirs, comme Horace Ie dit, Ode 5 Seclus fl'agdlzs hk triumviralibus , Tr&conis ad fajliikm.  L £ T T R £ XI I. 123 Cet homme qui a été fuiligé par fentence des triumvirs jufqua laffer le crieur public, paree que le crieur comptoit les coups de fouet. Le parafite qui fe plaint, remarque avec raifou quil en a recu une fi grande quantité , qu'on n'auroit pas pu aifément les compter. Autre irijuftice qu'il reproche a Smicrine, qui ne pouvoit infliger de fon. autorité, des peincs a des hommes libres , encore moins les porter a 1'excès. Le nom de Smia-ine eft de caradere, il paroit tiré du mot grec e/xiV.«, je brife, je détruis, analogue a la cruauté du vieillard. ILETTRE XIII. Gnathon d LlKOPINACE (4). On ne fait pas plus de cas de nous I que des Mégariens ou des Eginiens (i); I ( fl) Gnathon eft un nom de parafite très-connu. Lief Xopinace, qui fignifie qui ronge ou qui dévore le's plats, I eft le nom d'un des généraux des rats dans la BatraI chomiomachit d'Homere. On voit que tous ces noraj i ridicules font imaginés exprèspour rendre les parafites ! plus vils & plus odieux. F ij  i24 Les Parasites, le feal Gryllion (2) brille & femble dominer dans la ville. Auffi fortuné que le fut jadis Cratès le Thébain (3), toutes les portes lui font ouvertes. Quant a moi, je penfe quil fe foutie'nt dans 1'efprit de notre jeuneffe, par le fecours de quelque vieille magicienne de TheiTalie (4) ou d'Acarnane. Car enfin, qu a-t-il de féduifant ? Sa politeffe, fes agrémens perfonnels méritent-ils d'être remarqués ? les graces le favoriferoient-elles de leurs dons les plus chers, au point de le faire rechercher & recevoir comme un homme charmant dans la fociété, tandis que les traitemens les plus vils font notre partage (5) ? Nous avons tort de le regarder comme un enchanteur ; il ne fait qu'ufer des faveurs de la fortune. Elle préfide a la deftinée des humains; elle y fait tout (6"): la prudence & la conduite n'y peuvent rien. Celui qu'elle favorife eft alTuré de plaire & d'être xecherché. ^  Lettre XIII. 125 N O T E S. (1 ) Des Megariens ou des Eginiens, Proverbe grec qui tire fori origine de ce que les habitans de 1'iile d'Egine, ayant vaincu les Etoliens, ils prirent la dixiéme rame de chaque vaiifeau ennemi, & en firent un trophée qu'ils confacrerent a Apol1 lon-Pythien, comme un monument éternel de leur viftoire. Enfuite ils confulterent Toracle , & demanderent quels étoient les ' plus excellens des Grecs, ne doutant pas que leur triomphe ne déterminat le dieu i a les placer au premier rang. L'oracle, dans fa réponfe ambigue , leur apprit que les jumens de Theffalie & les femmes de Laconie 1'emportoient fur toutes les autres : que les hommes qui s'abreuvoient des eaux de la belle Aréthufe, les Tyrinthiens, les 5 habitans de 1'heureufe Arcadie, les Argiens, i_fameux par leur courage & par leur vertu 1 guerriere , devoient être au premier rang; \ mais pour vous, Eginiens, vous n'êtes ni i au troifiéme , ni au quatrjéme, pas même j au douziéme ; reftez tranquilles , on ne vous 1 comptera jamais pour rien. On ne faifoit I iij  126" Les Parasites, pas plus de cas des Megariens. C'eft ainfi que dans les Propos de table de Plutarque, il eft dit que 1'on ne tient pas plus de compte des atómes plaftiques ou fimulacres de Démocrite que des Eginiens ou des M'égariens.' On ne prévoyoit pas alors qu'après quinze ou dix-fept liecles les mêmes idéés reparoitroient avec éclat, & feroient données pour de nouvelles déco'uvertes. Voyez les Adages d'Erafme, chil. 2, cent, 7, adag. 79- (2) Le feul Gryllion brille. II fera encore! parlé de ce Gryllion , parafite fameux , auquel fon effronterie fembloit attirer qUefefu'6 diftinclion. II étoit fans doute de ces impudens qui fe croient néceffaires par-tout; grands hableurs, ils parient hant; ils décident, ils fe mettent au niveau de leurs fupérieurs, traitent leurs égaux avec- dédain. Les perfonnes fenfées les regarderit comme gens fans conféqucnce, comme des efpeces de foux dont 1'impertinenc'e amufe a force d'être ridicule. On les tolere, on ne leur ferme pas les portes, & cela leur fuffit pour qu'ils fe croient un mérite tranfcendant qui les fait rechercher.  Lettre XIII. ny (3) Cratès le Thébain. Ce philofophe étoit furnommé 1'ouvreur de portes, paree que , felon Diogène-Laerce dans fa vie , il entroit par-tout hardiment, ck-difoit de même fon avis. Apulée (lib. 4, Florid.) dit que Cratès, le fectateur de Diogèr.e, fut refpeété a Athènes comme le génie proiecteur de toutes les mailbus. Aucune porte ne lui fut jamais fennée, quels que' fulfent les fecrets des families, on les lui confioit fans indifcrétion. II étoit farbitre & le conci-* liateur de tous les difrérens qui s'élevoienc entre les proches. Si la confiance .générale étoit Ci bien établie, perfonne ne fit un ufage aufïi noble & auffi. utile de la li bert é cynique que Cratès. (4) Vieille magicienne de Theffalbe. Les femmes de ce pays paflbient pour très-habiles dans Tart de la magie. C'eft de-la que les différens auteurs font venir les magiciennes les plus puiffantes. Celle qui opéra la métamorphole d'Apulée étoit une Theflalienne. Ariflophane, dans la comédie des Nue'es , fait demander confeil a Socrate pour favoir fi 1'on peut recourir aux enchantemens d'une Theffalienne qui fait defcendre la lune du ciel en terre, l\ trouver F iv  128 Les Parasites, par fon moyen le fecrct de ne pas rendre 1'argent dü a la néoménie (au premier du mois). 11 y avoit une comédie de Ménandre, intitulée la Thejfalienne, dans lacjuelle deux «nagiciennesjouoientlesróles principaux. On pr-étend que les Theffaliens devoient la connoiifancede eet art, ainfi que celle des poifons, a Médée, qui fuyant de Colchos ala fuite de Jafon , jetta, du char oü elle étoit portee dans les airs, un coffret plein d'herbes & de graines propres aux enchantemens, qui pullulerent merveilleufement en Theffalie, Les Homains avoient la même idéé des femmes de TheiTalie que les Grecs. Pline (liv. 30, chap. 1) dit que la magie ayant pénétré dans le pays, s'y établit fi bien, que magicienne & theffalienne étoient deux termes fynonymes. « Quelle forciere , dit Horace , * quel magicien , quel dieu » même vous mettront a Uabri des poifons » de Theffalie » ; Qua faga , quïs te folvere Theffalis Magus renenis ; quis poterit deus ! (f ) Les traitemens les plus vils font notre partage. Le texte porte : Les attentions les plus recherchées font pour Gryl-  Lettre XIII. 129 lion , tandis que 1'on nous accordé a peine les reftes les'plu's dégoutans , ce qui eft deftiné a la-nourriture des chiens. On fe fervoit alors d'une efpece de pate ou de mie de pain dont on s'effuyoit les doigts lorfqu'ils. étoient gras, & que Ton jettoit enfuite aux chiens. De-la le proverbe qui qualifie les parafites de chiens, qui vivent de hachis puans & fales. Canis vivens è magdalia. Erafm. Adag. Wel. 4, cent. 1, ad. 23. ( 6 ) Elle y fait wat. Relativement a la maniere d'être de certains individus, 1'on ne fauroit s'empêcher de remarquer les effets de ce que Ton appelle les caprices du hafard & les jeux de la fortune : on ne peut en donner pour caufe ni leur efprit, ni leur capacité, ni les conjonclures. On ne peut quen être étonné. Dans un fujet plus férieux, on pourroit dire que de tout tems les hommes ont mis la fortune entreux & la providence, afin d'avoir dans leurs difgraces a qui s'en prendre fans offenfer la divinité Fy  130 Les Parasites, LETTRE XIV. Trapesolichon d psykodialecte (a). Je fuis vraiment aftligé , tres-excellent Plïchion, de 1'infulte que vous avez foufferte en face. Si la chofe eft arrivée comme nous 1'a racontée Lirione, cette jeune efclave de la mulïcienne Phillis, qui revenoit du feftin; vous avez fouffert tous les dangers du fiége le plus meurtrier, quoique 1'on n'ait fait agir conrre vous ni tour, ni bélier. Elle nous a dit que votre höte , eet homme efféminé, fi méprifable, vous a brifé une coupe fur la face, au point que le fang a jailli, fur-tout de votre nez & de la joue droite, avec autant d'abondance que 1'on voit couler 1'eau des rochers du (a) Trapefolicon , lêche-table. PJykodialecle, babillard a la toife. C'eft, fans doute, Ie même que Pfichion auquel on patle, & qui eft moins qualific dans le cours de la lettre que dans la fulcription.  Lettre XIV. 131 mont Géranien (1). Commcnt fupporter encore les traitemens indignes de ces fcélérats' Ils nous vendentbien cher la nourriture qu'ils nous donnent, puifque nous 1'achetons au péril même de la vie. La faim nous fait redouter la mort (2), & nous ne pouvons la vaincre qua travers des dangers fans cefle renaiiTans. NO T E S. (1) Le mom Géranien. Autrefois appellé Lycée , la plus haute montagne de 1'Attique , d'oü couloient les fources qui fourniffoient 1'eau de 1'aqueduc de Mégare. On • raconte que Mégarus, rils de Jupiter 8c d'une des nymphes Sithnides que 1'on croyoit originaires du pays même , fe fauva du déluge de Deucalion en gagnant le haut du mont Géranien, quialors avoit un autre nom. Mégarus, guidé par les cris d'une bande de grues qui voloit de ce cóté, nagea jufqu'au haut de la montagne, qui depuis eet ■événement a été appeljée le mont Géranien, du mot grec gerano-s j_quiï.f;gnifi.c F vj  i}i Les Parasites, grue. Les Arcadiens y alloient facrifier a Jupiter Lycéus. Ce facrifice étoit accompagné de cérémonies quil n'étoit pas permis de divulguer, il fe faifoit fur un autel de terre, dans un temple étroit 8c relTerré5 probablement 1'un des premiers qui eulTent été batis dans ce pays après le déluge; on croyoit que ceux qui y entroient mouroient inévitablement dans 1'année. Peut-être cette idéé étoit-elle fondée fur ce que 1'on difoit que ce culte avoit été originairement établi par Lycaon , roi d'Arcadie , qui avoit élevé un autel a Jupiter fur lequel il immoloit des vidtimes humaines ; mais que le dieu 1'avoit changé en loup pour le punir de fa cruauté. Voyez P'aufanias-, /. i , ch. 40, 8c liv. 8, ch. 38: (2) La faim nous fait redouter la mort. « Permettez, dit Ulyife au bon roi Alci=ïnoüs, que facheve mon repas, malgré •» fafHiélion qui me confume. 11 n'y a point » de néceflïté plus impérieufe que la faim; » elle force le plus affligé a la fatisfaire, o> elle me fait oublier tous mes malheurs » & toutes mes peines pour lui obéir ». Nous avons vu pendant un . certain tems «juelqües petits écrivains faméliques, pren-  Lettre XIV. 13? dre pour fujet de leurs trines produétions, 1'embarras de fubvenir aux befoins les plus preflans de la vie. lis n'avoient pas, comm'e nos parafites, la reflburce de la table des opulens citoyens. S'ils en euifent été aifurés r qaoique moins gourmands que les Grecs, puifqu'ils ne foupiroient qu'après le fimple nécellaire , la faim ne leur eüt-elle pas fait braver les avanies & les dangers auxquels les parafites étoient expofés a Athènes, fur-: tout encore fi 1'ufage eut été d'emporter ce qu'ils n'auroient pu manger, & qui eut fi bien convenu a leurs indigentes families • au moins a en juger par ce qu'annoncoient leurs pitoyables élégies. LETTRE XV. S t e m p h i X O C h E r o N d Tr a pe zo c ar o N. Q U E je fuis heureux! que tout a bien tourné pour moi ! Ne me demancle pas ce qui m'eft arrivé ; j'ai trop d'empreflèment a te le raconter. Nos eitoyens cé-  134 Les Parasites, lébroient avec folemnité la fête appelles cuféotis (i): on m'avoit invité a un repas dont je devois faire 1'agrément; & j'exécutois une danfe comique (2) que 1'on m'avoit demandée. Pendant ce tems-la les convives buvoient al'envi, & occupés a 1'emporter les uns fur les autres, ils s'enivroient tous fans s'en appercevoir; ils fe font endormis infenfiblement, & il ne leur eft plus refté d'autre mouvement que le balancement de leur tête mal affurée. L'oc■cafion étoit favorable, je regardois de tous cötés s'il ne m'étoit pas poffible d'enlever quelques vafes dargent • mais le maïtre de la maifon les avoit fait emporter & mettre en lureté. avant .que d'être ivre. Je n ai pu m'approprier que la nappe que j'ai pliée & cachée fous mon bras. Je me fuis retiré avec tant de préchbitation , que j'ai perdu, en fuyant, un de mes fouliers fans . m'en appercevoir. Qu'elle eft belle , cette nappe ! que le tiflb en eft fin! C'eft un ouvrage d'Egypte (3), & des plus précieux qui  Lettre XV. '135 s'y fabriquent. Elle eft teinte en pourpre d'H-.rmione (4), ce qui en augmente le prix. Si je parviens a la vendre avec quelque füreté, je te donne rendez-vous chez Pythacion le cabaretier, oü je te promets un copieux. régal. Nous avons eu a fouffrir enfemble tant d'avanies de la part de ces ivrognes, qu'il eft jufte qu'ayant fupporté les mêmes infortunes, tu partages avec moi le bien que je me fuis procuré a leurs dépens. N O T E S. (1) La fJte appellee curéotls. Cétoit le troifième jour des apaturies., fêtes qui fe céiébroient a Athènes , & dont la divinité principale étoit Bacchus. L'ancien fcholiafte dAriftophane, & d'après lui Suidas Sr Meurfius , en rapportent 1'origine a un combat fingulier, que Mélanthus , roi d'Athènes , eut a foutenir contre Xanthus, roi de Béo-tie , pour regler les limites de leurs états, & oü le premier rempcrta la viétoire par fiipercherie 5 ainfi la fête tiroit fon nom du  i}6 Les Parasites, mot grec ctTrctri,, fraude, tromp.erie. La fo? lemnité duroit quatre jours. Dans !e premier, tous les citoyens d'une même tribu fe traitoient réciproquement : cette cérémonie s'appelloit dorpia. Hérodote (liv. i) en parle , & dit que tous les peuples originaires d'Athènes célébroient cette fête , excepté les Colophoniens & les Ephéfiens qui n'y étoient pas admis , pour avoir commis anciennement un meurtre. Le fecond jour, appellé anarwfis, étoit deftiné aux facrifices que 1'on faifoit h Jupiter & a Minerve. Le troiiieme, appellé cureotis, fe paffoit k recevoir dans les tribus les jeunes garcons & les jeunes filles qui avoient l'%e compétent. Le quatrième s'appelloit épidda ou lavenir. Cette fête, fuivant Xénophon, avoit pour but de fe réjouir de 1'acquifition que letat faifoit de nouveaux citoyens, les parens & les alliés des peres & des meres qui donnoient des fujets a la république, fe joignant a eux pour célébrer la fête qui fe faifoit a ce fujet. ( Xénophon, Traité du gouvernement des Athéniens.) Il me paroit plns raifonnable de s'arrêter a cet.ufage, fur 1'inftitution de cette fête ou cérémonie, plutót qua ce que difent les Athéniens,  Lettre IK 137 trop amateurs du merveilleux , du prétendu combat des deux rois Mélanthus & Xanthus , dcnt même il leur étoit peu hono-rable de rappeller le fouvenir, puifque ce n'étoit qua la rufe qu'ils avoient dü le fuccès. Mais peut-être ont-ils toujours penfé comme Sinon : Dolus an yirtus, quis in hofie requirat ? iEncid. ï. (2 ) J'exe'cutois une danfe cómique. II Tappelle la cordace , dont Lucien fait mention au dialogue apologétique de la danfe , & qui ne devoit pas être fort décente, a en juger par le përfonnage qui dit ici 1'avoir danfée. Elle étoit, dit-on, très-lafcive, & il n'y avoit que des gens ivres , ou les parafites livrés a tous les caprices de ceux qui les admettoient a leur table , qui ofaffent 1'exécuter. L'imbécille Trimalcion, dans Pétrorte, trouvant fïngulier que perfonne neut prié fa femme Fortunata a danfer, dit que 1'on avoit eu d'autant plus de tort, qu'aucune femme ne danfoit mieux qu'elle la cordace : depuis quelques années , certaines danfes font a la mode , qui doivent tenir beaucoup de 1'ancienne cordace.  138 Les Parasites, (O C'eft un buvrage d'Egypte. Les toiles qui fe fabriquoient avec le lin d'Egypte, étoient très-recherchées. Suivant la defcription que Pline en donne ( /. j_o, ch. 1), il paroit que la plante qui portoit le lin , reffembloit beaucoup a 1'arbufte du coton ; le nom goflipium ou xilon fous lequel on Ja défigne, eft celui que 1'on donne encore au cotonier. 13 n'y avoit, dit Pline, aucune efpece de lin qu'on put lui comparer pour la fineffe & la blancheur. Les prétres égyptiens en faifoient leurs habits de cérémonie, regardant ce lin comme une fubftance beaucoup plus pure que la laine que portoit un animal tujet a quantité de maladies & d'impuretés. Auffi couvroient-ils dun voile de lm les offrandes qu'ils préfentoient a leurs divinités. Voyez auffi fur le lin d'Egypte, le livre 2 d'He'rodote. Ainfi la fabrique des toiles de coton remonte , comme on le voit,, ala plus haute antiquité. Mais comm^l'induftrie étoit médiocre, elles n'étoient pas auffi communes qu'eües le font aétuellement, & c'étoit un luxe que de s'en fervir. ■ Quant a. la maniere d arranger les nappes fur les tables , je conjeéhire qu'elles ne les couvroient pas comme a préfent, mais  Lettre XV. 139 qu'elles n'étoient que tendues a 1'entour, de la même -maniere qu'elles le lont encore dans quantité de régions des Indes orientales, oii Ton accroche autour de la table, •-plus pour 1'ornement que pour 1'ufï.ge, une toile de coton peinte ou blanche. • (4) Pourpre d'Hermione. Plutarque en ■ parle dans la vie d'Alexandre ; il dit que ce • héros s'étant'emparé de la ville de Sufe , on trouva , parmi les richefies ilnmcnfesquc •renfermoit le chateau, trcis eens mille livres pefant de pourpre hermionique , que 1'on y avoit amaffée & refferrée dans I'efpace de cent qu.atre-vingt-dix ans - « & néanmoins 33 retenoit encore toute la vivacité de ia =3 couleur, auffi gaye comme fi elle eut été 33 toute frefche; & dit-on que la caufe pour33 quoielle s'étoit ainfi bien confervée, venoit .33 de ce que .la teinture en avoit été faite 33 avec du miel ès laines qui -a paravant 33 éto'ent teintes en rcuge 33.. Dans ces tems reculés, on faifoit grand cas des étoffes de laine teintes en pourpre , & 1'endroit de 1'Europe qui avoit le plus de célébrité a ce fujet, étoit la ville d'Hermione dans le Péloponnèfe. Elle avoit été bdtie par Her-  H° Les Parasites, mion, fils d'Europs, a lextrémité de 1'ifthme de Trezène , dans la dépendance de Corinthe. L'anciennc vi'le de ce nom , dont ©n ne voyoit plus que des ruines du tems de Paufanias, avoit été rebaue quatre itadcs plus loin, fur le penchant da mont Pronos. II nen refte plus rien, felon Baudrand, que quelques habitations a demi-ruinées, encore connues fous le nom de Maria a 1'extrêmité oriëntale du golfe de Napolie de Komame. On y remarquoit anciennement, dit Paufanias (liv. 2, chapi ^y. m *emp]e dedie a Vénus-Pontia & Liménia, c'eit-aégumes.  142 Les Parasites, k plus jufta frayeur. Hélas! que s'en eft-il fallu, que tel qu'une vidtime dévouée a la vengeance de Diane, je n'aie été déchiré en morcea.ux: Je pouvois être dévoré de manière a ce qu'il ne reftat rien de moi, qui le lendemain put exciter la commifération de ceux qu'un fentiment de piété auroit portés a m'accorder les honneurs de la fépulture. Je ne me fuis fouftrait au fort aifreux qui me menagoit, qii'en me jettant dans un foffé peu profond, oü je me fuis caché. Je tremble, je fuis encore faifi d'horreur en te faifant ce récit. Le point du jour s'annon^oit a peine, que n'entendant plus le terrible aboiement des chiens, je les ai crus loin de moi-, peut-être les enchaïnoiton alors dans leurs loges. J'ai couru au Pirée • j'y ai rencontré tout a. propos un vaiffeau de Sicile, levant fes amarres, aii moment de prendre le large ; 8c j'ai vendu 1'aiguiere au patron. J'en ai re$u la valeur en efpeces comptantes: j'en fuis chargé au  Lettre XVI. 143 point qu'étonné de mon opulence nouvelle , je forme les plus magnifiques projets. Je veux déformais nourrir une troupe de flatteurs., être fuivi par des parafites. Je ne ferai donc plus ce vil métier! Mais 1'argent fe dépenfera , je retomberai dans 1'indigence : eh bien ! je retournerai a ma première profeffion. Un chien accoutumé a ronger le cuir (4), ne peut en perdre fhabitude. NO T E S. (i) Divinités puijfantes. Ces invocations étoient fort en ufage parmi les Grecs ; quoi qu'ils tiffent, a quelques exces qu'ils fe livralfent, ils avoient recours a la proteclion des dieux , avec d'autant plus de confiance, qu'ils trouvoient en eux 1'apologie & le modele de toutes leurs aétions. Lucien , Héliodore , IT.uftathe le commentateur d'Homere, qualifient toujours Mercure , dieu du gain , lucrifer. De même , 1'épithete propre d'Hercule étoit Alexicacos, malorum averfor, qui détourne les  144 Les Parasites, maux: c'étoit l'un des plus puiffans des dieux que les Romains nommoient averrunci Sc averrunctitores. (z) L'aiguïere d'argent. Ces vafes étoient de ditférentes grandeurs, communément ornés de bas-reliefs, quelquefcis d'infcriptions tirées d'Homere & d autres poëtes célébres. On en a trouvé dans les ruines d'Herculanum, de plufieurs formes Sc grandeurs, dont quelques-uns font affez bien cifelés pour donner la meilleure idéé des talens des artiftes grecs. Les uns fervoient a porter 1'eaulorfque 1'on préfentoit alaverlesmains • ces eaux étoient parfumées, & les ferviettes que 1'on portoit dans cette occafion étoient du lin le plus précieux. Les autres étoient deftinés a méler 1'eau avec le vin que 1'on devoit boire. L'ancien poëte Yon, cité dans Athenée ( liv. 11 ) , dit que « les garcons 33 qui doivent fervir a boire , préparent le 3j vin dans les aiguieres d'argent; Que cha33 cun prenne une coupe d'or remplie de 33 vin , que 1'on faffe de pieufes libations s, a Hercule, a Alcmène , a Proclée, a Per»3fide, après avok commencé par Jupiter. »> Buvons, foldtrons; chantons toute la 33 nuit.  L E T T R JE XyI. I4J »> nuit. Perfonne ne danfera-t-il ? Vous qui 33 avez une fi belle époufe , foyez le chef s> de cette joyeufe bande, qui doit boire 5> avec plus de fatisfaction (3) Des chiens de Moloffe & de Cf été. Ce^endroits & la Laconie fourniffoient alors d'excellentes races de chiens. Ceux de Laconie pour la chaffe, ceux de Moloffe en Epire, & de Gnoffe en Crète, pour la garde. Les premiers étoient des efpeces de dogues, les autres de grands & forts mdtitis. Veloces Spartce catulos , acremque Mohjfum , Pafte fero pingui : numquam ciiftodibus illis, Woilumum ftabulis furem, incurftifque luporum, Aut impacatos a tergo horrebis iberes, Virgil. 3°. Geor. Carm. 4j. «Les chiens de Spatte, fi légers a la » courfe, & ceux d'Epiré, vous les nourria> rez d'une paté faite avec du petit lait. 33 Sous ces gardiens attentifs & fidéles, vous 33 n'aurez a craindre ni 1'incurfion des loups, 33 ni les voleurs de nuit, ni les furprifes »> des brigands d'Ibérie 33. Gnoffe, ou Cnoffe, ainfi qu'il eft écrit dans le texte, étoit une ville de 1'ifle de Crète , qui eft ruinée , & que Baudrand dit Tome II, G  146 Les Parasites, ëtre remplacée par une petite bourgade appellée Eginofa. (4) Un chien accoutuméi ronger le cuir. Erafme cite ce proverbe %cec,chil. 2, cent.4, adag. 22. D'après Théocrite, ( Uil. 10) oü* Milon répond'a Battus qui lui demande li jamais 1'amour ne Ta empêché de dorrfir: cc A dieu ne plaife ! il eft dangereux qu'un => chien mette jamais le nez a la curée ». Horace, Sat. 5, üb. 2, vers 80: « Votre » Pénéloppe a été fage, mais fi elle avoit » une fois taté d'un bon vieillard , & qu'elle => eüt partagé le profit avec vous, elle ne => le quitteroit non plus qu'un chien de chaffe 93 fait une peau toute fanglante Sic tibi Penelope frugi eft , qua fi femel uno De fene gufiarit , tecum partita lucellwn , Ut canis a curie, numquam abfierrebitur unflo. Ce proverbe fert dans la lettre d'Alciphron, ainfi que dans les autres paffages cités, a prouver la force de 1'habitude. Sur quoi Erafme remarque qu'il eft difficile de fe contenir, quand une fois on a gouté 1'attrait du vice. 11 ne faut qu'avoir vécu quelque tems avec une courtifanne; avoir augmenté dans quelqu'occafion fa fortune , par le parjure ou par le larcin, ou  Lettre XVII. 147 avoir réuffi par la fourberie dans quelqu'intrigue de cour, pour en contracter 1'habitude-pernicieufe , & y refter attaché le refte de lés jours. LETTRE XVII. G N atH O PI d CaLLICOMIDS. Vous avez connu, cher Callicomide, Timon, fils d'Echécratides , eet habitant du Colyte ( 1), qui après avoir confumé une fortune brillante avec nous autres parafites tk les courtifannes, eft tombé dans une extreme indigence. C'étoit alors le plus honnête & le plus généreux des hommes : aujourd'hui il a la plus grande averfion pour toute 1'efpece humaine. On ne peut comparer fes fentimens qua la haine univerfelle dont Apemante eft tourmenté. II habite un champ qu'il cultive, il accable de coups de pierre quiconque ofe 1'aborder- toute fon attention eft d'empê] cher que perfonne ne 1'approche, tant il Gij  14? Les Parasites, hait fes fembiables (2). Ce qui refte a Athènes de citoyens jouiffans d'une fortune honnête, font plus avares, plus vilains que Pheidon ou Gniphon (3). Ainfi je fuis contraint de quitter la ville, & de gagner ma fublïftance par mon travail. Recevez-moi donc chez vous comme un journalier de campagne , je fuis déterminé a tout, pourvu que je trouve a remplir mon infatiable ventre. N O T E S, ( i)' Colyte. Voyez fur le Colyte, la note 10 de la Lettre IX de la première partie. On conhoit encore ce quartier d'Athènes, & Ton y montre les maifons oü naquirent Platon & Timon le mifantrope. Les enfans qui naiffoient dans ce quartier étoient fi beaux , qu'on les appelloit les délices de la Grèce. Les relations modernes alfurent qu'il jouit encore de la même prérogative. Ce feroit un fait a. vérifier exactement; il faudroit enfuite faire  L £ T T R £ XVII. I49 en forte de reconnoitre la caufe naturelle d'un effet auffi heureux, (2) Tant il ha.it fes fembiables. Je ne déciderai pas quel eft Ie plus ancien d'Alciphron ou de Lucien ; mais le portrait de Timon eft le même dans cette Lettre &c dans le Dialogue de Lucien intitulé Timon ou le Mifantrope. Un parafite nommé Gnathon, comme celui-ci, abordeTimon, veut le flatter , & en recoit pour récompenfe une volée de coups de batons. Plufieurs citoyens veulent approcher le Mifantrope, il entreprend de les éloigner a coups de pierres, & il en vient a bout, après avoir choifi une pofition aflez avantageufe, pour ne pas jetter une pierre qui ne portat. « Timon le mi» fantrope, dit Plutarque en la vie d'Antoine (ch. is), Mrefuyant & abhorriffant 33 toute compagnie Sc cornmunication des 33 autres hommes, fors que d'Alcibiade , 33 jeune, audacieux & infolent, auquel il 33 faifoit bonne chere, & rembraffoit & bai33 foit voloritiérs i de quoi s'ébahiflant Apé33 manthus , & lui demandant la caufe pour33 quoi il choififlbit ainfi- ce jeune homme-la. 33 feul, & aborninoit tous les autres? Je G iij  ijo Les Parasites, 33 raime, répondit-il , pour autant que j*e 33 fais bien, & fuis fur qu'un jour il caufera 33 de grands maux aux Athéniens. Ce Ti33 mon recevoit auffi quelquefois Apéman33 thus en fa compagnie, pour autant qu'il 33 etoit femblable de nature & de mceurs 33 a lui, & qu il imitoit fort fa maniere de 33 vivre. Un jour donc qu'on célébroit a 33 Athènes la folemnité qu'on appellé choce, 33 c'eft-a-dire, la fête des morts; la oü on * fait des effufions & des facrifkes pour 33 les trépaffés; ils fe feftoyoient eux deux 33 enfemble , tous feuls • & fe prit Apéman33 thus a dire, que voici un beau banquet, 33 Timon! Et Timon lui réponditr oui bien fi 33 tu n'y étois pas 33. Ajoutons encore une fingularitéde Timon. Les Athéniens furent étonnés un jour de le voir monter a la tribune aux harangues ; c'étoit pour leur dire , qu'ayant dans un petit terrein qui lui appartenoit, & oü il vouloit faire batir une maifon, un figuier oü plufieurs Athéniens s'étoient déja pendus , il avertiifoit ceux qui avoient deffein de fe pendre , de fe dépêcher avant qu il ne fit couper le figuier. Timon mourut a Hales, ville de "Argie , &: fut inhumé fur le bord de la mer. On prétend qu'il fe  Lettre XVII. 151 fit 1'épitaphe qui fuit, rapportée par Plutarque : Ayant fini ma vie malheureufe , En ce lieu-ci on m'y a inhumé : Mourez, méchans, de mort malencontreufe, Sans demander comment on m'a nomme. (i) Pheidon ou Gniphon , deux avares fameux a Athènes. Ariftophane fait mention du premier dans la comédie des Nue'es. LETTRE XVIII. Nepheloglypte d Mapp aphas ius. Peste foit de 1'hiftrion tragique Licimnius! Que ce maraut n'eft-il muet pour toujours! II 1'avbit emporté fur Critias de Cléone & Hyppafe dans le récit des Propompes d'Efchile (1). II ne devoit eet avantage qu'au ton aigre & pénétrant de fa voix. II triomphoit follemenr, & couronné de lierre, il fembioit avoir communiqué fes tranfports infenfés a toute l'affemblée. J'en faifois partie pourG iv  J51 Les Parasites, mon malheur; & que n ai-je pas eu a en fouffrir! Les uns s'amufoient a me brandillerla tête, ou a me fouffler de la faumure dans les yeux; les autres me faifoient entrer a force dans la Douche, des cailloux ftotés de miel; prétendant que c'étoit pour moi la même chofe que les petits gateaux aulait qu'ilsmangeoient. Mais aucun d'eux, a mongré, ne m'a plus ridiculement traité qu'Hiacinthis de Phenée (2), cette petite courthanne nouvellement établie dans Ie Céramique. Elle fe divertiffoit a me Rapper la tête en cadence avec une veffie remplie de fang. Outre le bruit qui men paroiffoit lort ennuyeux, j'ai été tout d'un coup inondé de fang; fans doute que ma figure étoit alors 11 ridicule, que tous les convives fe font abandonnés a des éclats de rire immod-rés & très-infultans. Quel a été le prix de tant d'infultes & de fouffrances 2 J'ai été déshonoré; mon ventre s'eft rempli, & voila' tout ce qui men eft. refté. PéruTe donc a jamais ce Licimnius  Lettre XVIII. 153 que je ne puis plus regarder que comme un ennemi des dieux ! Les fons aigus de fa voix retentilTent encore a mes oreilles;. & fi 1'on m'en croit, déformais il ne fera plus regardé parmi nous, & même parmi les hiftrions fes confrères, que comme le coriphée des piailleurs. N O T E S. (1) Pr OP O MP ES, Trpo-re^Trü; , OU les chefs. 11 eft probable qu'Alciphron indique ici la tragédie d'Efchile connue fous le nom des fept chefs devant Thtbes , 1'une des pieces de ce tragique qui nous eft reftée en entier. M. de Pompignan , dans la traduflion qu'il a donnée des tragédies d'Efchile en 1770, Paris, Nyonl'ainé, regarde celle-ci comme 1'une des meilleures de ce poëte , ou la terreur & la pitié font portées a leur comble. L'auteur grec de la vie d'Efchile lui donne foixante-Jix tragédies & cinq drames fatyriques; Suidas, quatre-vingt-dix; Fabricius , dans fa Bibliothéque grecque, en a recueilli un bien plus grand nombre dont il donne les noms d'après Athenée &z HéGy  154 Les Parasites, fychius. Difons, en paffant, qu'Efchile a réiüfifupérieurement dans lespieces oü il fait paroitre des généraux d'armée 5 oü il donne des defcriptions de batailles, de fiéges, de marches, de déróutcs , de triomphes. Il avoit porté les armes pour fi patrie, avec diftinüion ; il avoit combattu avec la plus grande valeur a Salamine & a Marathon, &: n'étoit pas moins brave que fon frere Cynégire , dont la valeur opiniatre eft fi connue par les récits qu'en ont fait les auteurs contemporains. Relativement aux plaintes du parafite, on doit remarquer que les hiftrions déclamateurs difputoient enfemble fur la perfeétion du récit, & que ce n'étoit pas un honneur médiocre pour eux de vaincre dans ces fortes de combats. Ils avoient a Athènes la vanité qu'ils auroient eue ailleurs, fi on les eut mis a portée de faire parade de leurs talens. (a) Phénée ou Phénéon, ville d'Arcadie, batie par Phénéus-Autoétqne, ou naturel du pays. On y voyoit une citadelle placée fur un rocher inabordable de tous les cótés. Mercure étoit celui de tous les dieux pour lequel les Phénéates avoient le  Lettre XVllh 155 j plus de dévotion. lis avoient chez eux un tempte de Cérès-Eleufmienne, ou les myf! teres fe célébroient de même qua Eleuiis. Ils prétendoient avoir recu Cérès chez eux, & que pour récompenfer ceux qui lui firent un bon accueil, elle leur donna toutes fortes de grains , excepré des féves, tant inconnus, devinrent des myfteres facrés. Je rappellerai ici, au fujet des Phénéates, un trait peu connu de leur hiftoire qui a tant de rapport avec le fameux combat des Horaces contre les Curiaces, que le récit de 1'un paroit avoir fervi de modele a 1'autre; ou plutót ce n'eft que 'e même fait d'armes attribué a deux peuples différens. Quelqu'inG vj  ijö' Les Paeasites, térêt que nous ne connoifions plus, avoit armé ies villes de Phépée & de Tégée dans 1'Arcadie 1'une contre i'autre. Elles eonvinrent, pour épargner le fang de leurs citoyens, de remettre la décifion de ia querelle a la valeur de quelques-uns d entreux que 1'on choifiroit de part & d'autre. Trois Phénéates, fils jumeaux de Démoflrate , furent choifis pour combattre contre trois Tégéates, fils jumeaux de Reximaque. Deux des fils de Reximaque furent tués dés le commencement du combat. Le troifième feignit de fuir, & tua 1'un aprés I'autre fes trois adverfaires. Démodia, fafceur, projnife en mariage a 1'un des Phénéates, fut la feule qui au milieu des acclamations & de la joie publique de la patrie, lailfoit couler des larmes fur la mort de fon amant. Critolaüs, indigné de fa douleur, lui plongea fon éoée dans le fein, & fut abfous de fon crime par le peuple. Telle eft 1'anecdote rapportée par Stobée {Serm. 37 de patrid) d'aprts un certain Démarate, auteur grec, fans doute fort ancien. Plutarque cite le même trait d'après Apollodore, hiftorien grec d'Athênes. Le hafard a-t-il pu produire chez deux nations dhTérentes un '  Lettre XVIII. 157 événement auffi femblable dans toutes fes circonftances? Sont-ce les Grecs ou les Romains qui en ont impofé a la poftérité ? il) Le coripke'e des piailleurs. On lit dans le grec ortokorudon, qualification que je n ai pu traduire autrement, pour fuivre 1'idée du parafite qui ne cherchoitquarendre méprifables les talens de 1'hiftrion Licimnius. II fait allufion au proverbe : Inter indoclos Klam corydus fonat; 1'alouette hupée Te fait entendre parmi les ignorans. Corudos ou corydus, alouette hupée , oifeau peu eftimé a Athènes, dont le cri comparé au chant du roffignol étoit infupportable ; mais qui, au milieu d'une volée d'oifeaux muets, fe faifoit entendre avec une forte d'avan> tage. Ainfi le proverbe avoit fon applica* tion, fur-tout a.1'égard de ceux qui, grands parleurs avec les idiots , n'ofoient ouvrir la bouche quand ils fe trouvoient avec des gens inftruits. Erafm. chiliad. 2 , cent. 2 , adag. 92. Ici le parafite ne prétend infifter que fur le défagrément de la voix aigre de Licimnius, quil compare aux cris aigus de falouette hupée. Athenée (liv, 6) parle d'un parafite appellé corydus (1'alouette ), homme hardi, plaifant par fois, affez vÜ  158 Les Parasites, pour fe prêter aux complaifances les plus baffes, & que ce fobriquet caradtérifoit. Soit jaloufie de métier, foit mépris réel, un autre parafite appellé Philoxtne , lui fit fentir un jour combien peu il étoit eftimable. On parloit de la cherté des grives, il en convint, mais, dit-il, les alouettes ne valoient quune obole. LETTRE XIX. Capjvosphrante a Ar1stomaque ( prendre ? Je fais le prhc des denrées que » vous' fervez 5 ü ny en a pas^our huit 3, oboles.Donneza chacun un ample plat de «marrons, des coquillages en abondance, „ & du refte de même; mais ne préfentez pas „ a tous les convives, ce qui ne peut tout au * plus fuffire que pour un feul *. Antiphanes, dans la piece intitalée Pdops , parlant de la frugalité des Grecs , dit : * Que peut-oó 03 faire avec des Grecs, accoutumés a tenir =, des tables fi chétives. Ils ne mangent pas, *. ils ne font que ronger quelques racines » frittes, quelques petits poitfons communs. 33 S'ils ont un morceau de viande qui leur 33 coure au plus quatre oboles, ils croyent 33 avoir préparé un repas fplendiie. Nos 33 ancêtres en agiflbient bien plus noble33 ment. On fervoit entiers les bceufs, les  i Si pranderet olus patienter , regibus uti Hollet AriJHppus ....fi fdret ngibus uti, Faflidiret olus , qui me notat On peut confulter Pline (liv. 21, c. 15» & liv. 22, c.21) fur les racines & les légumes dont le pauvre peuple d'Egypte & de Grèce fe nourrifToit communément. 11 cke fpécialement [e Jcandix dont parle Al-  ió4 Les Parasites, ciphfon. Quant aux Collages,, nous ver, rons ailleurs que c'étoit la partie de la pêche que les riches & les gens aifés abandonnoient aux pauvres. • (O L'eau de VEnnédcrutte. Elle fut d'abord appellée la fontaine de Callirhoé. Après qu'elle eut été décorée par les ordres de Pififtrate , comme l'eau en fortoït par fieuf bouches, elle prrt le nom d'Enne'acrune , de Ennea,novem , & Krounos,fcatebra. Les dénominations différentes ont fait croire k Pline que c'étoient deux fontaines de 1'Attique , diftinguées 1'une dé ' 1 autre. Cette fontaine fournit encore auJOiirdhui aux pauvres grecs une eau trèsbonne k boire & trés-faine. Elle n'a plus d autre baflln que le gazon de Ia prairie quelle arrofe. LaGuilletière, tiv. 3 d'Athènes ancienne & moderne, dit qu'il en trouva 1 eau fi admirable, qu'il la préféra aux flacons de vin de Lépanthe , & que deux allemans de fa compagnie, malgré leur goüt décidé pour le bon vin, ne burent oue de cette eau k la collation qu'ils firent fur les bords del Ennéacrune.Cette prairie , dans laquelle i6S Premiers --tours de la comédie grecque  Lettre- XIX. ié$ -donnèrent les premières repréfentations des farces de Thefpis , a 1'ombre des peupliers qui la bordoient, après avoir éré décorée des plus fuperbes édifices , entr'autres du magnifique théatre de Bacchus, fi célèbre dans les beaux tems de la Grèce, dont on _voit encore quelques veftiges; cette prairie eft revenue a fon premier état; les peupliers & 1'herbe couvrent les ruines de quantité de chef-d'ceuvres de l'architecture grecque : la feule eau de i'Ennéacrune a confervé toute ■fa bonté; ce qui prouve que depuis deux a trois mille ans, Je fond du fol n'a éprouvé aucune variation elfentieile. (4) Un cordeau d'Aliartt. Les campagnes de Marathon , dans fAttique , fotirniffoient d'aiuli bon chanvre que celles d'Aliarte dans la Béotie : le parafite croit-il fe donner un air d'importance en prenanr pour fe pendre un cordeau fait de chanvre étranger? II fe regardoit fans doute comme trop néceffaire aux plaifirs des feftins des riches Athéniens, pour prendre le parti défefpéré dont il les menace. Le fuicide étoit une efpece de folie inconnue a Athènes. Un parafite de profeffion , c'efl-a-dire, pareifeux,  iet Les Parasites, gourmand, frippon & infolent, laiflbit a l.a nature & aux 1'oix de fon pays, le foin de décider de fes derniers momens. En attendant, il fe vengeoit des avanies auxquelles fa gloutonnerie 1'expofoit, en parlant mali de fes hótes, lorfqu'ils ne pouvoient 1'entendre. (5) Au dipylon. Le dipylon eft la feule porte de 1'ancienne Athènes, quifubfifte en-core aujourd'hui. Elle eft fituée a 1'orient, compofée de trois portiques qui fe fuivent, larges & fort exhaufies, de la plus belle architeéture. Dans fon état actuel, elle eft encore un des plus beaux reftes des conftruétions antiques d'Athènes. Tite-Live en : parle (liv. 31 , eh. 24) comme d'un des monumens publics d'Athènes, très-remarquable par la magnificence de fa conftruótion. :(6) Du mois pyanepfion. C'étoit le cin- \ quiéme mois de 1'année des Athéniens, ifl répondoit a notre mois d'octobre. Le fep- j tiéme jour de ce mois on célébroit une fête I appellée pyanepfie, dans laquelle les Atbé-niens cuifoient des fêves, en faifoient une bouillie & la mangeoient en familie. Plu-| tarque dit que ce fut Théfée qui inftitua  Lettre XIX. i6j > cette fête, lorfqu'au retour de fon expédition en Crète il fic une efpéce de facrifice a Apollon de ce qui lui reftoit de provifions quil fit cuire, Sc quil mangea avec fes compagnons de voyage. Ce que 1'on imita dans la fuite, en mémoire de fon heureux retour. (7 ) Le premier ou le fecond jour. Le premier jour des noces étoit appellé gamot nuptiiz; le fecond jour que 1'on foupoit chez le marié étoit nommé epibda&cpalia chez les Grecs, Sr repotia par les Latins. Ce fecond jour n'étoit pas précifément le lendemain, il paroit plutót qu'il fe célébroit huit ou quinze jours après, & le mot palia ou re]\potia, fignifioit plus communément le fefI tin que' les mariés donnoient tous les ans -j ii leurs parens & amis, pour célébrer le jour 1 anniverfaire de leurs noces. Coutume qui I depuis quelque tems s'eft renouvellée parmi I nous, mais feulement après cinquante ans I de matiage. ( 8 ) La prefence des parafites. II paroit :| que 1'ufage des princes, des grands feiI gneurs Sr des perfonnes très-opulentes qui I habitoient les contrées voifines de la Grèce , I «toient d'inviter un certain nombre de pa-  xtJS Les Parasites, rafites grecs, aux feftins folemnels, tels que ceux qui Te donnoient a 1'occafion des noces. On connoiffoit la vanité des Grecs , & combien ils vanteroient la magnificence. de ceux qui les auroient régalés fplendi.dement. On efpéroit que par leur moyen, toute la terre feroit inftruite de la dépenfe que 1'on avoit fake. C'étoit ainfi que penfoient les Barbares * voifins de 1'élégante ville d'Athènes, qui ne pouvant atteindre a la réputation que lui donnoient les agrémens de 1'afprit &les beaux-arts portés chez elle a leur perfeétion, vouloient au moins 1'emporter par leur opulence. Telle dut étre 1'efpérance de Caranusle Macédonien, dans ce feftin fplendide, dont nous allons donner la defcription. Si elle n'eft pas imaginaire , le luxe le plus recherché des Antoines & des Lucuilus anciens & modernes n'a rien qu'on puiffe lui comparer. Cette defcription fe trouve dans une lettre d'Hyppolochus a Lincée, qu1 Athenée a confervée dans fon entier, paree qu'elle étok fort rare de fon tems (Deipnofoph. I. 4.), re Caranus faifant un feftin nuptial en, Macédoine, y invita vingt parafites. Aufft- tót  L £ T T R S XIX. 16$ tót qu'ils furent placés a table, il fit donner a chacun d'eux une bouteille d'argent. Je ne dois pas oublier qu'avant qu'ils entralfent dans la falie du feftin, ils avoient recu chacun une couronne ou bandelette dor eftimée cinq pieces ou écus d'or. Auffi-tót qu'ils ont eu vuidé leurs bouteilles , on a apporté dans de grands plats d'airain de Corinthe, un pain qui en tenoit toute la largeur • il étoit furmonté de poulets, de canards, de pigeons , de jeunes oies, & d'autres denrées de cette efpece entaffées les unes fur les autres. Chacun donnoit a. fon valet fon plat a garder, paree que la table étoit couverte de quantité d'autres viandes que 1'on mangeoit. On a fervi enfuite de grands plats d'argent', & fur chacun un pain, une oie , un lievre , un chevreau j quantité de pieces de patifferie travaillées avec beaucoup d'art,&qui reffembloient k différens oifeaux, tels que perdrix, tourterelles, pigeons. Nous avons, dit 1'auteur de la lettre , également mis les plats en réferve entre les mains de nos domeftiques. Après ce fervice,onaapportédes couronnesde toutes fortes de fleurs, garnies de rubans d'or de même valeur que les bandelettes que nous Tornt II. H  170 Les Parasites, avions recues en entrant. Hyppotochus parle ici d'un certain Protéas, petit-fils d'un autre Protéas, fils de Lacinna, qui avoit été une des nourrices d'Alexandre; ce Protéas, ainfi que fon ayeul, étoit un des plus fiers buveurs de fon tems, & fort avant dans les bonnes graces d'Alexandre; enfuite il continue fon récit. Le plaifir & le vin commencoient a prendre tout-a-fait le deffus. Nos difcours & nos aélions s'en reffentoient, lorfqu'on a fait entrer des chanteurs , des muficiennes, & des femmes que je crois de rille de Rhodes, qui jouoient de la guirarej elles m'ont paru toutes nues, quoique 1'on m'ait affuré qu'elles avoient des robes légères; elles n'ont fait que paroitre tk préluder a un concert qu'elles fembloient devoir exécuter. Elles ont été remplacées tout de fuite par d'autres femmes qui portoient des vafes a parfums : ils pouvoient tenir chacun une émine (cotylam, chopine); ils étoient attachés deux a deux avec un ruban d'or; 1'un des vafes étoit d'or, I'autre d'argent. Chacun des convives en a recu autant. 3> Mais nous n'avions encore rien vu, quoique 1'opulence & la générofité de Caranus' euffent déja paru avec tant d'éclat  L E T T R E XIX. IJl' dans les premiers fervices de ce feftin. On a apporté des plats d'argent, épais & folides, dorés fur les bords, affez grands pour contenir chacun un porc entier roti, fervi fur le dos, le ventre ouvert & rerripU de toutes fortes de mets, plus appétiffans les uns que les autres- 'de grives , de tetines , de petits oifeaux rótis, de jaunes d'ceufs, d'écreviffes, d'hiutres qui fervoient d'affortimens On a donné a chacun de nous le porc encore brulant avec le plat fur lequel il étoit. Nous avons bu, & on nous a préfenté ï tous un chevreau roti , fur un plat de même grandeur que le précédent, arrofé d'une fauce bouillante, avec des cuillers d'or. Caranus voyant que 1'abondance du fervice & des viandes nous embarraffoit, a fait apporter de grandes corbeilles tiffues d'ofier de diverfes couleurs, ainfi que des paniers a pain affez grands pour contenir tout ce qui nous avoit été donné. Cette attention généreufe a mis le comble k nos plaifirs; nous avons prodigué nos éloges au nouvel époux, qui tout de fuite nous a fait apporter des couronnes fraiches tk d autres vafes a parfums fembiables a ceux que nous avions déja recus, & du même poids. Hij  i-jt Les Parasites, Le filence 8c la tranquillité régnoient dans toute i'alfernblée, lorfque font entrés des miniftres des fêtes athéniennes & des itiphales (a); enfuite des acteurs de théatre & des-efpeces d'enchantereffes qui fembloient fe précipiter la tête en bas fur des pointes de poignards, 8c qui jettoient du feu par la bouche. Ces fpeétacles nous ayant éveillés, nous avons bu de nouveau des vins les plus délicieux,du Mendès, duThafe, du Lefbos, dans de grandes coupes dorées, que 1'on venoit de nous donner expres. On a fervi un plat de verre de deux coudées de diamètre, couvert de toutes fortes de poifions frits, & a. chacun une corbeille remplie de petits pains de Cappadoce, dont nous avons mangé quelques-uns, 8c mis les autres en réferve fous la garde de nos domeftiques. Nous nous fommes lavé les mains : on nous a apporté de nouvelles couronnes avec des (a) Les itiphales étoient des efpeces de perfonnage» publics qui paroiffoient tantöt a des cérémonies religieufes, tantót au théatre ; leur habit de cérémonie étoit la robe longue de laine fine de diverfes couleurs , avec des gants violets. Ils pottoient au haut d'un thyrfe, le fymbole du dieu Priape, femblême de la fécondité , rectum veretrum.  L £ T T R E XIX. IJS l rubans d'or, dont la valeur étoit doublé de i celle des premiers, tk nous avons recu en 1 même-tems d'autres boetes de parfums. Après I quelqu'intervalle, Protéas a quitté fon lit, 1 &• fe tenant debout, ila demandé une coupe I d'or, qu'il a remplie de vin de Thafe, dans I lequel il a mêlé un peu d'eau, & il a dit: I Courage, amis! plus nous boirons, & plus I nous aurons de plaifir. Puifque tu as fi bien I parlé, & que tu as bu le premier, a dit CaraI nus, tu recevras le premier cette coupe pour I récompenfe: ceux qui t'imiteront feront traii tés de même. 11 n'avoit pas achevé , que I nous nous fommes tous mis en pied; c'étoit | a qui prendroit la coupe le premier. Un malI heureux de la compagnie qui ne pouvoit I plus boire, étoit refté affis, & pleuroit de I ne pouvoir gagner une li belle coupe au I même prix que les autres : Caranus en a eu I pitié, & lui en a donné une vuide. Enfuite I eft entré un chceur de cent muficiens, qui I ont chanté 1'épithalame : ils ont été fuivis I par une troupe de danfeufes déguifées en 1 néréides & en nymphes. On continuoit de 1 boire 5 le jour finiffoit, &r tout d'un coup I s'eft ouverte une grande falie tendue de riI ieaux blancs, qui s'étant élevés comme Hiij  174 Les Parasites, d'eux-mêmes, ont laiffé paroitre quantité de figures d'Amours, de Dianes, de Pans, de Mercures, tk d'autres divinités éclairées par une muhitude de lampes d'argent. Nous admirions la beauté du fpectacle tk 1'artifice des machines, lorfqu'on a préfenté a chacun de nous un vrai fanglier d'Erimanthe, percé d'outre en outre d'un javelot d'argent, dans un grand plat quarré, doré fur les bords. Ce qui m'a paru de plus admirable, c'eft que quoique nous fuflïons tous complettement ivres, ayant la tête étourdie par les fumées du vin que nous avions bu, cependant a chaque nouveau fpeclacle, nous nous levions , nous reftions en pied avec autant d'affurance que fi nous euflions été a jeun. Nos valets avoient tout entaifé dans les corbeiiles qui nous devenoient fi utiles, lorfqu'enfin le fon de la trompette a annoncé la fin du repas , fuivant 1'ufage des Macédoniens. Alors Caranus faifant diftribuer des petits verres a la ronde, nous a invités a boire du vin trempé avec de l'eau, ce que nous avons accepté d'autant plus volontiers, que nous 1'avons regardé eomme un rafraichiffement, dc même comme un reméde nécelfaire au vin pur que nous avions  Lettre XIX. t?f bu. Pendant ce tems-la eft entré Mandrogène, le plus ridicule de tous les boufiöns, qui nous a fait rire a gorge déployée, en danfant avec une femme plus qu'oétogénaire. Enfin, on a apporté le dernier de tous les fervices, un deffert dans des corbeilles tiffues d'ivoire , oü étoient toutes fortes de patilferies que 1'on noirs a données. Après quoi nous nous fommes levés & nous fommes fortis. Les richeffes que nous emportions avec nous, fembloiant nous donner le fens-froid des gens les plus fobres. x Quant a vous , vous vous croyez beaucou~ pius fortunés a Athènes. Vous y entendez les propos fententieux de Théophrafte & de fes fembiables ; vous y jouüfez du fpeftacle des fêtes de Bacchus &z de Cérès: mais vous y vivez fobrement de légumes & de petits pains tortiüés. Pour nous , heureux pour le refte de nos jours, de ce que nous emportons du feftin de Caranus, nous cherchons des maifons, des biens de campagne, des efclaves a acheter, avec les préfens dont il nous a comblés. S'eft-il jamais donné «n Grèce un repas que 1'on puilTe'comparer u celui dont je viens de vous faire le récit»? Hiv  j76* Les Parasites, LETTRE XX. B U CO PNI TE d AnTO P1 CTE. Je ne fipporte pas la conduite atroce de Zeuxippe , la plus infame de toutes les courtifannes , avec le jeune Philébe.' Non-feulement il a déja dépenfé pour elle tout ce qu'il avoit comptant. d'or & d'argent , mais au train dont elle y va, il ne lui reftera bientöt plus ni maifons ni terres. Pour foutenir la paffion qu'il a pour elle, elle feint d'aimer ce jeune eubéen qui la fuit; & par fes artifices, elle parviendra a les ruiner tous les deux: après quoi elle fe livrera a d'autres amours. Je fens mon cceur qui fe déchire, lorfque je vois la belle fucceflion que Lyfias & Phanoftrate d'heureu'fe mémoire ont lailTée a leur héritier, fe diffiper li mal-a-propos & li prompterhent. Le fruit de leurs épargnes conftantes, ce qu'ils ont amalTé fou a fou , deviendra la proie du moment & des fan-  Lettre XX. 177 taifies de la femme la plus décriée & la plus méprifable d'Athènes. Le trifte fort de ce jeune homme m'affecte; il n'a pas été plutöt maïtre des biens qu'il prodigue fans réflexion, qu'il a témoigné avoir pour nous de 1'afFecrion, & plus d'honnêteté que nous n'en rencontrons d'ordinaire dans fes fembiables; nos affaires ne feront qu'empirer par fa ruine. Si 1'indigne Zeuxippe continue de s'approprier toute la fortune de eet honnête jeune homme , que nous reviendra-t-il, grands dieux ! des tréfors qu'elle accumulera? Pouvons-nous efpérer d'en être mieux nourris > Philébe, comme tu le fais, eft fïmple. Ses manieres a 1'égard de nous autres paralites ont toujours été douces & aifées: il s'amufe plutöt de nos plaifanteries & de nos chanfons, qua nous faire les infultes que nous ne fommes que trop accoutumés a fouffrir. Hr  178 Les Parasites, LETTRE XXI. Lemocicle a Iphicréolabe (a). J'AI parcouru les pays agréables arrofés par l'Eurotas & la Lerna (1); j'ai vu les rives fleuries de Pyrène (2), & je quitte avec emprelTement Corinthe pour Athènes: je reviens a la belle fontaine de Callirhoé (3 ) avec une nouvelle fatisfaclion. Le luxe & les feftins de ce pays n'ont point eu d'agrémens pour moi; je les abandonne fans regret pour me rejoindre a vous. Les habitans du Péloponnèfe m'ont paru groffiers & les moins aimables de tous les convives. Dans leurs parties de débauche, il s'en faut beaucoup que le plaifir aille de pair avec les avanies qu'ils nous prodiguent. Ainfi, tout bien comparé, les figues & les raifins d'Athènes font préfé- (a) Lemocicle, qui voyage pour trouver des feftins. Tphicréolabe, conquérant a table. Allufion au célcbre Iphicrate.  Lettre XXL 179 rables a Tor de Corinthe , que 1'on achete en quelque forte au prix de fa vie Leurs ufages font auffi ridicules qu'incommodes: ils nous forcent a boire en fautant fur un pied: ils nous verfent de copieufes rafades (4) d'un vin violent, &c nous les font avaler fans permettre de les tempérer avec l'eau. S'ils nous donnent quelques morceaux de roti ( 5 ), ce font ceux qui valent le moins, dont ils ne mangeroient pas •, Sc ils nous les jettent comme a des chiens» Tantöt ce font des baguettes qu'ils s'amufent a brifer fur nos têtes & fur nos bras; tantöt ils nous régalent, par maniere de paffe-tems, a grands coups de lanières. O Minerve , proteótrice & foutien de ma patrie ! qu'il eft bien plus heureux de vivre & même de mourir a Athènes. Oui, il Yaut mieux être étendu fans vie devant la porte Diomée , ou 1'Hyppade (6), y être foulé aux pieds des paffans fous une trifte tombe, que de jouir des plaifirs prétendus du Péloponnèfe. JH vj  i8o Les Parasites, NO T E S. (i ) L''Eurotas & la Lerna. L'Eurotas, fleuve du Péloponnèfe qui prenoit fa fource dans les montagnes de 1'Arcadie : après avoir parcouru le pays de Lacédémone, il venoit fe jetter dans la mer par le golfe de Corinthe. II eft appellé aujourd'hui Bafilipozamo, ou le fleuve royal. Les gens du pays le nomment Livis. Ses bords font enrichis de carrières de très-beau marbre. —Lerna, autre riviere du Péloponnèfe, qui fort des marais du même nom, jadis delféchés par Hercule. L'intempêrie qu'ils occafionnoient dans cette partie de la Grèce voifine d'Argos, avoit donné lieu a la fidtion du monftre ou hydre de Lerne a fept têtes.. Ce pays, anciennement nommé Argie, fait partie de la Romanie. (i) Pyrène, fontaine célébre dans 1'ancienne Grèce: elle avoit fa fource au pied de la citadelle .de Corinthe , & étoit confacrée aux mufes. C'eft le fons caballlnus dont parle Horace, paree qu'elle paroilfoit fortir de deffous les pieds d'une figure du  Lettre XXI. 181 cheval Pégafe. Quant a 1'origine de fon nom , Paufanias ( liv. z , ch. 3 ) dit que Pyrène, inconfolable de la mort de fon fils Cenchrius qui avoit été tué malheureufement par Diane, verfa tant de larmes, qu'elle fut changée en cette fontaine qui a depuis porté fon nom. Aufli a-t-on pris grand foin de 1'embellir : elle eft batie de marbre blanc, & 1'on a pratiqué des enfoncemens en maniere de grottes, d'oü l'eau fe répand dans un grand baflïn. Cette eau eft fort bonne a boire. On dit que Pégafe buvoit a cette fontaine, lorfque Bellérophon fauta deffus par adreffe, 8c s'en fervir pour aller combattre la Chimère, qu'il vainquit. Les poëtes ont fait Pyrène fille du fleuve Achéloüs; elle eut de Neptune deux fils, Cenchrius 8c Léchés, qui donnèrent leurs noms aux deux ports de Corinthe. (3) Callirhoé. C'eft la même fontaine que 1'Ennéacrune, dont il eft parlé ci-deffus dans la note 3 fur la Lettre XIX. (4) Ils nous verfent de copieufes rafades. L'ufage de forcer les convives a boire, fut de tout tems odieux aux Grecs. « Plüt aux ïj dieux, dit Callimaque, que cette coutume  ïSi Les Parasites, 33 barbare n'eüt jamais palfé les limites de 53 la Thrace & de la Scythie, tk ne fut pas 3» venue jufqua nous. Non-feulement nous »3 buvons avec excès, mais nous y contrai33 gnons les autres. Si on réfifte., nous fai53 fons violence: peut-être eft-il plus inhu33 main de forcer a boire quelqu'un qui n'en 33 a pas befoin, que d'en refufer a quelqu'un 33 tourmenté de la foif 33. Les Grecs, tk furtout les Athéniens, tempéroient la force du vin en y mêlant deux, trois, jufqua cinq parties d'eau, ainfx que le dit Plutarque dans les Propos de table (liv. 3, quejl. $.) Les anciens poëtes comiques, Cratinus, Alexis, Ménandre, cités par Athenée (liv. 10), parient des ditférentes manieres de mêler Ie vin avec l'eau. Le poëte Ion dit que le devin Palamède avoit prédit que la navigation feroit heureufe pour ceux des Grecs qui boiroient leur vin mélé de trois parties d'eau. Les anciens redoutoient 1'ufage du vin pur; il les animoit au point de les rendre furieux. La force du vin, dit Callimaque, ell la même que celle du feu : lorfqu'il agit dans nos corps, il y excite un défordre femblable aux tempétes qu'élevent fur la mer les vents impétueux du midi & du  Lettre XXI. 183 flord; il mee au jour les fecrets le plus profondément cachés; il bouleverfe 1'efprir. La fable d'Orphée, déchiré par les bacchantes, les tigres & les lions attelés au char de Bacchus , ne font que des defcriptions allégoriques des elfets du vin fur le corps & 1'efprit des Grecs, qui, lorfqu'ils le buvoient pur, fe livroient aux excès les plus furieux les uns contre les autres. Auffi, dans les feftins d'appareil, oü ils tenoient table longtems, ils employoient différens moyens pour prevenir ou même empécher 1'effet du vin. Ils fe ferroient la tête étroirement avec des bandelettes. On a vu plus haut que dans le feftin de Caranus, on donna a difterentes fois aux convives des rubans d'or deftinés a eet ufagwLe lierre étoit une plante commune en Grèce, & affez forte pour pouvoir comprimer la tête, on s'en fervit dans les repas pour s'en courojmer, & on en fit la parure de Bacchus tk de fes miniftres. On peufoit que les parfums devoient abattre les fumées du vin , &f on en diftribuoit des boetes aux cónvives, ou 1'on en faifoit brüler dans les falies oü ils étoient aflemblés. On avoit enerre recours a 1'odeur de la rofe & des autres iieurs pour arrêter les efiets  184 Les Parasites, de 1'ivrefle : les couronnes que Ton en formoit & dont on fe coëffoit, devenoient un ornement utile & très-agréable. Anacréon , dans 1'ode fur la rofe, vante fes propriétés pour faire de belles couronnes. « Elle eft 33 l'honneur des feftins; fans la rofe, com3» ment célébreroit - on les folemnités de 33 Bacchus 33 ? (ƒ) Quelques morceaux de roti. C'eft ce que les parafites recherchoient comme le plus commode a emporter, & rarement on les fervoit a leur gré. Machon le comique dit que le parafite Chéréphon n'étant fervi que d'un morceau fort mince , le fit remarquer au cuifinier qui lui en coupa un plus confidérable, mais garni d'un^ quantité d'os : « Ah , mon cher, dit Chéréphon, de 33 grace, épargnez-moi tous ces os. — Vous 33 ne favez donc pas que cette viande eft 33 la plus délicate! —Cela eft vrai, ó le 33 meilleur de tous les hommes, la chair eft 33 délicieufe, mais ce que vous y ajoutez eft 33 bien indigefte 33. Athenée, liv. 6. (6) La porte Diomée , ou tHyppade , deux portes d'Athènes. La première étoit au pied de la colline du Cynofarge, lieu  Lettre XXI. i%$ renommé par 1'établifiement de 1'école des cyniques. II en a déja été parlé dans la note z far la Lettre XI. L'Hyppade, pilcehyppades, ou la porte aux chevaux , ainfi nommée des grands pilaftres quarrés dont elle étoit décorée, & des chevaux de louage que 1'on y tenoit, conduifoit au bourg de Colonne. Les reftes de 1'orateur Hyppéride, qui avoit été mis a mort par les ordres d'Antipater de Macédoine, furent apportés a Athènes, & mis dans un tombeau auprès de cette porte, dit Plutarque, Vie des dios Orateurs. Le parafite avoit 1'ambition d'être enterré dans une place honorable, avsc les hommes illuftres de fa patrie. LETTRE XXII. COPADION d ÊVÉNISSE. Je ne m'en mêlerai pas ! Gronthon & Sardanapale feront ce qu'il leur plaira. Ce fcnt des étourdis, & jamais ils ne m'engageront a prendre part a une entreprife criminelle. Je n'en ferai rien, quand même  186 Les Parasites, Poracle de Dodone (r) me garantiroit fon utilitë. II eft rare de rencontrer dans 1'efprk des jeunes gens de la retenue 8c de la füreté. lis s'attachent d'abord a gagner la maïrreffè du pere de familie, pour en jouir a leur aife. Bientöt ils ont pris a fatiété' de leurs amours inceftueufes; d'autres defirs furviennent, & ils enlevent furtivement les effets de la maifon les uns après les autres. II peut arriver que ces forfaits foient ignorés pendant quelque tems : mais tót ou tard les voifins parleront •, les efclaves en murmureront, & enfin le crime fera découvert. Le terme de toutes ces menées fera pour les coupables d'être condamnés a Ia cigue ( 2 ), ou a être précipités dans 1'abïme, après avoir fouffert le feu, le fer ] & tous les fupplices qui feront employés a tirer d'eux 1'aveii de leur crime. Penfez- ! vous que ceux qui les auront aidés de leurs -j confeils & de leurs perfonnes, feront traités i  Lettre XXII. 1S7 plus doucemant ? Ils méritent certainement les mêmes peines. NO T E S. ( 1) L'oracle de Dodone. Ovide , au I quatriéme livre des Trijles , e'le'g. 4, a dis I de même: Hac mitii fi Delphi, Dodona.pie diceret ipfi>, Ejje viderctur vanus uterque deus. La forêt de Dodone, dans la Thefprotie, contrée de 1'Epire , fpécialement confacrée I a Jupiter, avoit des chênes quirendoientdes I oracles, ainfi que deux colombes qui veI noient percher deflus. La fable de ces colombes fatidiques n'étoit fondée que fur une erreur de nom, en ce que deux vieilles femmes qui fe mêloient de prédire 1 avenir fous ces chênes, étoient appellees ircXaai, terme grec qui fervoit quelquefois a déligner les colombes a raifon de la blancheur de leurplumage, maisplus fouvent les vieilles devinerelfes. Les Grecs, toujours amateurs du merveilleux, profiterent de 1'équivoque, 8f ne manquerent pas de changer la fimplicité de la tradition qui avoit confervé le nom de ces femmes, en pro-  i88 Les Parasites, dige fabuleux. Mém. de l'Acad. des Infeript, torn. 5. Un de ces arbres vénérable par fon antiquiré, avoit confervé fa vertu fatidique plus long-tems que les autres. Sans doute que les oracles confiftoient dans 1'explication que 1'on donnoit du bruit que le vent excitoit dans les branches & les feuilles en les agitant: un arbre ne peut avoir d'autre langage. Paufanias , au fujet de ce vieux chêne , parle de quatre arbres ou arbuftes qui paifoient, fur la foi des Grecs, pouf avoir eu une durée extraordinaire, & qui fubfiftoient encore de fon tems. L'ofier que 1'on voyoit dans le temple de Junon a Samos , le chêne de Dodone, folivier de la citadelle d'Athènes , le pairnier de Délos qui avoit cru prés de 1'autel d'Apollon ; il y ajoute le plane de Ménélas (liv. 8, ch. 33 ). Dans le tems de Pline & de Tacite, on prétendoit que le figuier fous lequel une louvedépouillant fa férocité naturelle, avoit allaité Rémus & E.omulus , fubfilloit encore. (Plin. liv, 15 , ch. 18). On fe plaifoic a croire que la nature , pendant plus de huit fiecles , avoit fufpendu le cours de fes loix pour' entretenir ce monument de rintérét  Lettre XXII. i$9 qu'avoient pris les dieux a la confervation du fondateur de Rome. ( 2 ) Condamnés d la cigue. La cigue , poifon qui fe donnoit par ordre de 1'aréopage aux criminels condamnés a mort; labime, Barathrum, efpece de puits profond oü ils étoient précipités, étoient des fupplices en ufage a Athènes. II paroit par ce paiTage que les tourmens de la queftion par le fer tk le feu, y étoient employés pour arracher aux coupables 1'aveu de leurs crimes & la connoiffance de leurs complices. Tout ce qui tendoit a troubler Ia paix des families athéniennes, tk la füreté de leurs chefs, étoit puni comme crime capiral. Cétoient autant de facriléges qui devoient £tre expiés par une mort violente.  ijs Les Parasites, LETTRE XXIII. ACRATOLYMAS a ChONICRATE. H ier, tandis que Carion (i) étoit occupé autour du puits, je me fuis gliffé dans la cuifine. Auffi-töt fe font préfentés a ma vue, un grand plat couvert de viandes exquifes, une volaille rötie (z), & un pot a oille plein d'un ragout garni d'anchois & de petits poiffons. Je m'en fuis emparé, & me retirant a. la hate, je cherchois un endroit commode ou je pus être a mon aife, & faire feul un excellent repas. II ne s'en préfentoit point dans le voifinage •, j'ai couru au pécile: c'étoit juftement 1'heure ou il n'étoit plus embarraffé de la troupe importune &c bavarde des philofophes & de leurs fuites. J'y jouiffois délicieufement du fruit de mes travaux, lorfque quittant mon plat de vue, j'ai appercu de loin un de ces jeunes débauchés qui paffent leur tems dans les jeux publics ( 3 ). Cette apparition  Lettr£ XXIII. i9i m'a effrayé : j'ai caché derrière moi mes denrées , & je me fuis étendu de facon a les couvrir de mon dos. Dans ce moment j'adreiïbis aux dieux les prieres les plus ferventes, pour qu'ils me préfervalfent de toute rencontre finiftre : je leur promettois quelques reftes d'encens ramaffé dans nos temples, & que je réferve pour les befoins urgens : mes vceux ont été exaucés; ils ont tourné d'un autre cöté les pas de ce facheux. Je n'ai point perdu de tems; j'ai avalé, j'ai englouti a. la hate tout ce qui étoit dans les ulrenfiles ; puis j'ai porté a un cabaretier de mes amis, le pot, le plat & quelques refèes de viandes qui s'y trouvoient encore. Ce préfent, fait a propos, me confervera fon amitié, & fans doute que dans 1'occafion il m'en témoignera fa reconnoilfance. NO T E S. (1) C.mcw. Cetoit fans doute un nom commun a la plupart des cuifiniers d'Athè-  ijz Les Parasites; nes. On voit dans le Plutus d'Ariftophane , Carion ordonner a Mercure, fon carnarade, efclave comme lui, d'aller laver au puits,» les inteftins de quelques animaux. ( 2 ) Une volaille rode. Le texte dit unj coq róti; comme il n'eft pas d'ufage parmi nous de les préparer ainfi, j'ai préféré ld terme générique de volaille. Quant au ragout; dont parle le parafite, il eft a préfumer que: c'étoit une efpece de fauce compofée, qui fervoit a affaifonner d'autres .viandes, ou que 1'on mangeoit feule avec le pain. Notre gourmand n'y faifoit pas tant de facon ; il paroit qu'il avaloit les denrées telles: qu'elles fe préfentoient. Nous n'avons pas: d'idée dans nos moeurs d'une efpece d'hommes auffi vile que 1'étoient ces parafites grecs, qui étoient frippons, efcrocs,basflatteurs, & toujours difpofés a dévorer toutes les avanies dont on les chargepit fans ceffe. Au refte, üs avoient de beaux modèles; tous lesbéros d'Homère étoient d'une gloutonnerie extreme. On a déja vu avec quelle franchife Ulyffe parloit des befoins de 1'eftopaac & de la néceffité de les fatisfaire; mais aucun d'eux ne peut aller de pair avec TT 1- nercme  Lettre XXILI. 155 Hercule, le protecteur des parafites. Les Grecs racontent de lui des exploits étonnans dans ce genre , & qui font comparables a fes travaux tant vantés. On en jugera par le fait qui fuit. Un certain Lépréus, qui probablement avoit la vanité de fe croire capable d'aufli grandes chofes que le fils d'Alcmène , prit querelle avec lui, lorfqu'il exigeoit du roi Augias le falaire qui lui avoit éré promis pour avoir nettové fes écunes. On ne dit pas quel étoit le fujet de la querelle; mais Hercule le trainoit enchalné a fa fuite, & ne lui rendit la liberté qua la priere de Caucon, fils de Neptune , & pere de ce Lépréus. Cclui-ci ne fut pas plutót libre , qu'il propofa de nouveaux défis a Hercule, entr'autres, d'eifayer a qui auroit plutót mangé un bceuf; ce fut un jeu pour le héros de le dévorer tout de fuite, Lépréus fuccomba dans 1'épreuve qu'il ne put mener a fa fin. II ne réuflït pas mieux dans d'autres tentatives; enfin a la fuite d'un défi nouveau, a qui boiroit le plus, Herculeimpatienté des infultes de Lépréus, qui dans l'ivrelfe ne celfoit de le provoquer, l'affomma, pour s'en débarraifer. (Athénée , liv. jo.) L'humeur gloutonne d'Hercule Tornt II, y-- I faffomma. nour s'pn déKarrafTVr / AA/,,/.  i94 LES Parasites, s'étoitdéveloppéede bonne heure, fi 1'on peut en croire ce qu'en dit Alexis, dans la piece intitulée Linus. Cet ancien poëte ou devin, inventeur de la lyre , & frere d'Orphée , fut chargé de 1'éducation d'Hercule. Voyant fon éleve occupé a confidérer différens livres, il lui demanda quel étoit celui auquel il donnoit la préférence : il avoit choifi entre tous un traité de la cuifine. En vain fon inltituteur tenta de le déterminer a un choix plus raifonnable : Vous avez beau faire , réponditil, f ai toujours appétit , & je ne connois lien au-deflus du plaifir de le fatisfaire... Ainfi les parafires étoient en quelque forte autorifés a regarder la gloutonnerie comme un acte de dévotion envers la divinité qui les protégeoit. ( 3 ) Les jeux publics. II y avoit des mailons ou des tripots de jeux a Athènes, ou il n'étoit pas honnêté d'aller. On lit dans 1'index du tréfor d'Henri Etienne, au mot rnXlct, cornet a de\ , deux pafiages ; 1'un d'un difcours d'Efchine contre Timarque, qui 1'accufe de palfer les jours dans les tripots deftinés aux jeux de hafard, oü font des tables deftinées a cet ufage; oü 1'on  L M t t g £ XXIV. 19 f fait battte des coqs, & ou 1'on joue aux dez. L'autre , de la trente-deuxiérne lettre de Synefius, qui parle d'un homme qui dès fa première jeunelfe avoit paffe fon tems dans les tripo.ts de jeu, & dans les tavernes. LETTRE XXIV. Chytr.oli.cte d Patellokaron (a). Qu'ai-je a pleurer? pourquoi ai-je Ja tête fracalTée: pourquoi mes habits fonttous déchirés? quefèions facheufès pour moi! J'ai joué aux dés, j'ai gagné , & plüt au ciel que cela ne me fut jamais arrivé ! Pourquoi , foible comme je le fuis, ai-je ofé entrer en lice avec des jeunes gens forts & vigoureux? A peine avois-je ramalTé avec foin, Sc je m'étois faili de tout ce que le fort m'avoit accordé, que mes adverfaires, a qui il ne reftoit plus un fol, <> J"'A V o i s bu plus que de raifon ; je croyois faire 1'agréable en accablant de mauvaifes plaifanteries 1'intendant de notre jeune patron, & je ne m'en trouve pas mieux. Sans doute qu'ayant fans celTe (a) hnolalus, qui ne parle que vin. F'otérophüart, ie fléau des verres pleins.  Lettre X XV1. 203 les oreilles rebattues des plaintes de cet homme, il eft devenu moins libéral 3 mon égard ; car ce qu'il me donne eft fi peu de chofe , que ce n'eft plus que pour fe conformer a 1'ufage (1). Aux fêtes principales il avoit coutume de m'envoyer tantöt une camifole, tantöt une cafaque ou un manteau: aux dernières faturnales, il s'eft contenté de me faire préfent d'une paire de fouliers neufs (2), que Dromon, fon efclave, m'a apportés. Celui-ci faifant valoir fa peine, en exigeoit le falaire avec infolence. Tout cela n'eft. pas fait pour me contenter; j'ai beau a me mordre la langue, a me reprocher mon indifcrétion, je reconnois ma faute trop tard. Quand on fe livre fans réflexion a 1'intempérance de la langue (3), elle ne peut que devenir un inftrument nuifible 8c pernicieux. N O T E S. ( 1) Pous.fi conformercï 1'ufage. Lucien, Ivj  a©4 Les Parasites; dans le Chronofolon, explique les obligations des gens riches a 1'égard des pauvres, des parafites, & même des gens de lettres. « Dans le tems des faturnales, les riches feront un état de tous ceux qu'ils veulent traiter , ou l qui ils doivent envoyer des préfens, & mettront a. part pour cela la dixiéme partie de leurs revenus , fans qu'ils puiffent 1'employer a autre chofe, fous quelque prétexte que ce foit. Ils en feront autant des meubles & des habits qu'ils ont de trop , ou qui ne leur fervent plus , pour en faire préfent a leurs amis maf pourvus des biens de la fortune. Ayant préparé pour chacun ce qui lui convient, ils enverront fur le foir leurs préfens par des domeftiques fidéles , qui auront foin de ne rien prendre, fi ce n'eft un coup a boire ; tk pour plas grande süreté du préfent, on en fera mention dans un billet. On enverra toujours le doublé aux perfonnes de lettres, comme z ceux qui le méritent le mieux, tk qui en ont plus befoin; fans qu'ils foient obligés pour cela de payer de louanges tk de flatteries. Mais, & celui qui donne & celui qui recoit, ne parleront que fort modeftement  Lettre XXVl. 205 du préfent, ou n'en parleront point du tout». On voit que très-anciennement les riches ont été proteéteurs-nés des philofophes 8c" des gens de lettres, & qu'ils ont eu des égards pour le mérite obfcur.Dès-loxs on vouloit que dans la maniere de donner, ils s'effagajfent pour ainfi dire eux-mémes, 8c qu ils employaffent au luxe de bienlaits, tout ce qu'ils retranchoient au luxe de vanité, Préceptes admirables , que le fophifte grec ne prévoyoit pas devoir un jour être fi fidélement accomplis dans la moderne Athènes, par une femme opulente, la mere commune de tous les gens a talens diftingués, 8c qui proportionnoit fes libéralités au rang qu'elle imaginoit qu'ils devoient tenir dans la république des lettres. On ne trouve aucune femme dans 1'antiquité que 1'on puiffe lui comparer. Afpafie donnoit des confeils a Socrate, Léontium avoit la prétention de réformer 1'humeur d'Epicure, 8c de donner le ton dans fes jardins; mais il s'en falloit beaucoup que rien en reliëf fut la devife de ces femmes célèbres : il ne nous refte pas le moindre monument de leur utile générofité ; elles ne furent jamais ce que c'étoit que donner & pardonner.  206" Les Parasites, Combien elles fe font trompées, fi elles ont efpéré qu'elles arriveroient a 1'immorralité par les habitudes qu'elles avoient avec les philofophes de leur fiécle ! leur nom n'a paffe a la poftérité que comme celui de prêtrcffes de Vénus, parmi lefquelles elles fe font diftinguées par la tournure de leur efprit. Car fi la vanité des Grecs n'eut pas été de tenir le premier rang dans tous les genres, & de fournir au refte des nations des rhodeles de tous les arts, de tous les goüts, de tous les plaifirs, ces femmes fi tameufes feroient tombées dans 1'oubli le plus profond. Aucun des rhéteurs d'Athènes, aucun des fophiftes n'a rien écrit a leur mémoire; fi Ariftophane , Ménandre , Diphile, &r leurs fembiables, en ont parlé, ce n'a été que pour les couvrir de ridicules. La reconnoiffance a bien plus de prife fur les cceurs modernes: on a loué M. G.... on a chanté fur tous les tons fa générofité fans fafte, fes bienfaits cachés; le prétendu comique qui a parlé fi plaifamment de ceux qu'elle entretenoit, 1'a refpeélée. Mais le drame desj Originaux eft déja tombé dans 1'oubli ; le Monument Littéraire le ftfvra de prés, & ce qu'il y a de plus ficheux pour  Lettre XXVI. 207 les gens de lettres, c'eft que cette femme li bienfaifante trouvera peu d'imitatrices. On n'ofe pas efpérer qu'il s'en trouve une autre, qui portant un jour dans la retraite d'amples richeffes, conferve jufqua la fin un gout décidé pour les gens d talens dïftingués , avec 1'inclination de les entretenir auffi honnêtement. (2) Une paire de foullers neufs. II eft dit dans le texte des fouliers d l'iphierate. C'étoit, fuivant Julius-Pollux, dans fon Dicfionnaire, une efpece de chauifure bonne & commode a 1'ufage des anciens Grecs, Pourquoi les appellé-t-on d l'iphierate?fans doute paree que le célèbre Iphicrate étoit fils d'un cordonnier; mais il n'en fut pas moins un homme illuftre, & qui rendit de grands fervices a fa patrie. Auffi réponditil a Harmodius, qui lui reprochoit la baffeffe de fon extraction : «La noblefle de sa ma race commence a moi, celle de la 3J tienne acheve a toi ». Plutarque, Dits notables des Anciens. (3) L''in tempera nee de la langue. Le parafite fe reproche avec raifon fes plaifanteries déplacées, a raifon du ton qu'elles  ïo8 Les Parasites, lui caufoient. II y avoit des regies connues a ce fujet, auxquelles les Grecs devoient fe conformer. Celles que prefcrit Ariftote font li fenfées, qu'elles peuvent être regardées comme de tous les tems & de toutes les nations: « La vie, dit ce philofophe, a s> fes tems de repos & de délaffement: quel03 quefois il eft permis de rire ck de badiner; 33 mais ces amufemens ont même des bornes. 3311 y a un certain milieu a garder; il faut 33 prendre garde a ce que 1'on dit, & a qui 33 on parle Ceux qui cherchent a tous 33 propos a faire rire, font de miférables 33 bouffons, fouvent même infupportables & 33 odieux: voulant trouver par-tout le ri» dicule ou le plaifant; ne craignant pas 33 de facrifier 1'honnêreté & la pudeur pour 3i fe fatisfaire; & ne ménageant ni la dé33 licateffe , ni la fenfibilité de qui que ce 33 foit. 33 D'autres donnent dans 1'extrémité oppo33 fee, & n'ayant pas la moindre teinture de 331'efprit de plaifanterie , fe piquent de tout 33 ce qui en a 1'apparence : leurférieux eft la 33 grofliéreté & la rudeffe même... Mais ceux 33 qui entendcnt Tart de plaifanter, qui aifai33 fonnent leur badinage d'un fel agréable,  Lettre XXVI. 209 s> paffent pour plaifans & pour polis; ils 33 font connoitre la foupleffe Je leur ef33 prit.... ces badinages doivent être re33 gardés comme des monurnens de 1'efprit 33 & des mceurs; ils indiquent leurs quali33 tés, de même que les mouvemens du corps 33 le font connoitre. 33 Dans certaines fociétés oü le ridicule 33 regne , oü les plaifanteries & les mots 33 piquans tiennent le haut bout, les bouf33 fons remplacent les gens polis , & y paf- 33 fent pour tels II y a cependant bien 33 de la différence entre tous ces caractères... 33 11 y a une certaine dextérité a en faifir le 33 vrai milieu, qui eft de ne rien dire & 33 de ne rien fouffrir qui ne conviciirié a iin 33 homme franc & honnête; rien qui puiife 33 choquer.... Souvent encore c'eft le ton 33 dominant qui décide de la plaifanterie ; ce 33 qui eft odieux a 1'un peut plaire a I'autre, 33 & on ne doit pas fe facher d'une ripofte 33 que 1'on a en quelque forte provoquée: on 33 doit s'amufer autant de la défenfe , qu'on 33 s'eft plü a 1'attaque .... aufïi les loix ne 33 permettent-elles pas indifféremment toute 33 plaifanterie. Ce qui eft bon en particu33 lier feroit infultant en public La poli-  ïio Les Parasites, s> teife tient lieu de loi a un honnête hommej « il garde toujours une belle retenue. 11 n'en »> eft pas de même du bouffon, il ne separ» gne ni lui-même, ni les autres pour faire •» rire; il ne refpecle ni la décence, ni 1'hu« manité, ni la pudeur.... fhomme dur & * groflier doit éviter toutes ces occafions, « 11 n'y entend rien , il y feroit déplacé , & » ne pourroit qu'y trouver matiere a être » offenfé , ou a choquer les autres». Arljl. & hic lib. 4, cap. 8. LETTRE XXVII. xiLöCUmlïrjt d ?'lijiöjvjÉzavf. JE faïs auffi peu de cas de ta perfonne que de tes menaces. Tu te trompes , fi tu crois te rendre redoutable par tes calomnies. Le généreux Uien ( i) qui nous regale fi bien, eft un brave militaire, bon & fimple; il s en faut beaucoup qu'il foit fufceptible de jaloufie contre ceux qui aiment les femmes. Le propos étant tombé fur ce fujet derniérement, comme noue  L X T T g E XXV11. 2 11 étions a table chez lui, il paria de maniere a nous perfuader qu'il penfoit fort mal de ceux qui donnoient dans cet excès. II difoit avec raifon qu'une femme honnête une fois mari'ée, ne devoit être remarquable que par le foin de fa maifon, fa chafteté & la régularité de fa conduite : mais que les courrifannes étoient un bien commun (2), auquel le premier venu qui en avoit envie, avoit autant de droit que tout autre. II les comparoit aux bains publics & aux portiques*, quelle que foit leur dénomination, ils font a 1'ufage de tout le monde. Il en eft de même d'une courtifanne, dès qu'elle eft connue pour faire profeffion de cet état. Sachant donc que tes fauffes imputations lèront fans effet, je n'ai rien a en redouter, &C jamais je ne ferai dans le cas de me mordre les levres (3) pour avoir parlé mal a propos. Notre capitaine ne reiTemble en rien aux jeunes Athéniens enivrés de fafte & d'orgueil, qui prétendent que toutes leurs  %ti Les Parasites, fantaifïes doivent être refpeétées: c'eft urf honnête guerrier qui a toute la franchife: de fon état. II n'a que du mépris pour les flatteurs &c les médifans (4): de-la tu peux juger combien il eftimera tes rapports, & quelle idéé tu lui donneras de ton caractere. NO TES. (1) Le génêreux Uien. llienfis, d'Ilium, Troye. On donnoit alors ce nom aux peuples des colonies envoyées des ifles de Sardaigne, de Corfe & des Baléares , qui setoient établies fur les ruines de Troye. Cette ville n'étoit fituée ■ qu'a une demilieue de la mer. Les reftes des fondations de fes murailles font connoitre 1'étendue de fon circuit, qui étoit de douze müles ou quatre lieues. La partie méridionale étoic fituée fur une colline ou les ruines font plus apparentes que celles qui approcheut de la mer. On voit encore quelques .veftiges d'un chateau bati de marbre, fur la colline: on prétend qu'il y en avoit un femblable élevé fur le bord de la mer... Voyage de  Lettre XXVll. 213 Duloir. Paul Lucas, tome 1 , dit que le vaiffeau oü il étoit ayant été obligé de mouiller fur les bas-fonds entre 1'ifle de Ténédos & le rivage de 1'Afie , on eut tout le tems de confidérer les lieux oü avoit été 1'ancienne Troye , & que 1'on appercut le petit village qui porte encore Je nom de ; cette fameufe ville. Alexandre fit batir une ^nouvelle ville du même nom, a cinq lieues au midi des ruines de 1'ancienne, dont il ne fubfifte plus rien actuellement. (2) Les courtifannes étoient un bien commun. C'eft ainfi que penfoit 1'illuftre Caton le cenfeur., qui voyant un homme d'une naiffance diftinguée, fortir d'un lieu public de débauche , le loua & 1'exhorta de faire toujours de même, plurót que de s'amufer h corrompre la femme dun citoyen , ainfi que le dit Horace (Satyr. 2 Ub. 1.) Nam fimul ac vcnas inflavit tetra libido, Huc juvents aquum eft defeendere; non alknas Permolere uxeres.... Le même Caton ayant remarqué que ce jeune homme y paffoit la meilleure partie de fon tems, lui dn; « Je te louois de venir  ai4 Les Parasite?, m ici quelquefois, mais cela ne devoit pas s> t'engager a en faire ton féjour habituel »: AdoUfcens, ego te laudavi quod interdum huc venires , non qubd Mc habitares . . . .. C'eft ce que la morale d'Athènes & de Rome imaginoit de mieux pour la confervation des mceurs publiques & du bon ordre : c'eft ainfi que penfoit Marcus-Caton, cet homme qui, fuivant 1'expreflïon de Velléius-Paterculus (liv. 2), étoit le plus refpeéïable des mortels, reffemblant a la vertu même, dont la nature approchoit plus de celle des dieux que de celle des hommes; qui ne fit jamais Ie bien pour paroitre 1'avoir fait, mais paree qu'il n'étoit pas en lui de faire aurement: Homo virtuti fintiUimus , & per omniet , in~ genio , diis qudm hominibus propiori, qui nunquam rcclè fecit ut facere videretur, fedquia aliter facere non poterat. Une femblable tolérance dans un homme auffi vertueux & auffi accrédité , n'autorifoit-elle pas le vice trop ouverrement? Mais telle étoit la morale des philofophes les plus célébres ; celle de Socrate & de Platon n'étoit pas plus auftere ; & peut-être la vertu du Romain 1'emportoit-elle fur celle des Grecs.  L £ T T * £ XXVII. 21, (}) Me mordre les levres. Ce proverbe, m par Erafme, Chil. 3 , cent. 7, adag. 69\ étoit fouvent employé par les Grecs. Homère ( Odyjfée, liv. 20) dit que les pQUr_ fuivansde Pénélope, après un difcours fenfé, mais courageux du jeune Télémaque , fe mordirent tous les levres, & garderent Ie filence ( a la lettre, prefferent leurs levres avec leurs dents.) On fe mord les levres pour avoir trop parlé & imprudemment; mais quelquefois auffi c'eft un figne de colere , d'impatience, de menace ou de dépit. On dit proverbialement en francois, ferrer les levres comme un chat qui boit du vinaigre : il fe mord les levres pour s'empêcher de rire. (4) Les flaneurs & les médi/ans. Les médifans, dit Plutarque, Bits notables des Lacédemoniens , font chaftiés & punis de médire des gens de bien, paree qu'ils n'en font aucun cas.... Le fiatteur, dit le méme, eft bien de fa nature envieux, & exerce fon envie a 1'encontre de fes fembiables, s'efforcant de les furpaffer en gaudifferie' & en babil ; mais il redoute & tremble devant celui qu'il fait être plus homme de  né Les Parasites, bien que lui, ne comparoiffant pas certes auprès de lui, plus que du plomb noir auprès de fin or. Au Traité comment on peut difcerner le fiatteur de Vami. LETTRE XXVIII. Li menteros d Am as e t e. Jtrai trouver un de ces devins, dont les tableaux font expofés auprès du temple de Bacchus, & qui promettent d'expliquer les fonges (1) que 1'on a faits. II m'en coütera les deux drachmes que tu fais que j'ai mifes en réferve; mais j'aurai la fatisfaótion de leur raconter la vifion finguliere que j'ai eue en dormant. En attendant, je vais ten faire le récit; 1'aventure te paroitra auffi nouvelle qu'incroyable. II me fembloit donc dans ce fonge, que; j'étois devenu un jeune homme de la plus belle figure : tout étoit intéreffant en moi. N'imagine pas de rien avoir vu de femblable parmi notre jeunefle. J'étois ce troye»  Lettre XXVIII. 217 Troyen charmant, fi beau, fi mignon ; ce Ganiméde., fils de Tros: muni d'une flüte & d'une houlette , la tête couverts de la.thiarre (2) des Phrygiens , je menois paitre mes moutons fur le mont Ida ( 3). Tout a coup j'ai vu voier a moi un grand aigle, dont le regard vif, le bec crochu & les ongles recourbés étoient efirayans. li m'a pris dans fes larges ferres, m'a enle /é du rocher oü j'étois afiis, & me portant au plus haut des-airs , je me fuis cru au moment de pafier au féjour des dieux. Je <3evois déja toucher les portes confiées a ia garde des heures ( 4), tant ie vol étoit rapide; lorfque frappé de lafoudre, je fuis «tombé. Ce fuperbe oifeau qui m'avoit enlevé, n'étoit plus un grand aigle : je n'ai vu dans ce moment qu'un vautour fM^. & je me fuis retrouvé le même Limentros que tu connois, dépouillé de tous mes habits, en un mot nud, comme fi j'euife été fur le point d'entrer dans le bain, ou de me préfenter fur 1'arène pour la Jutte. Tomé II, g  2iS Les Parasites, Etonné, comme. tu peux le croire, d'uné. fi lourde chüte, je me fuis éveillé avec une commotion, un étonnement qui durent encore. Je ne fais ce que m'annonce ce rêve extraordinaire; & je veux apprendre de ceux qui font profeffion d'interpréter les fonges, ce que celui-ci me préfage 5 fi cependant il eft poffible d'avoir quelques. connoiflances certaines fur pareil fujet, S>C fi lorfqu on les a, on dit toujours la vérité (5). N O T E S. ( 1) Qui promettent d'expliquer les fonges' 11 eft queftion ici de ces interprêtes des fonges qui exercoient publiquement la divination i Athènes; métier vil oü 1'on payoit de paroles vagues la curiolité indifcrette du peuple qui vouloit donner quelque confiftance a fes viftons ou a fes fonges. Plutarque nous apprend que le petit-fils d'Ariftide-le-jufte exercoit cette profeffion fous les portiques du temple de Bacchus: il avoit devant lui des efpeces de tableaux, dont  L £ T T A £ XXVIII 21, chacun contenoit 1'explication d'un des fonges qu'on bi propofoit a développer. La divination par les fonges, dans les premiers tems de la Grèce, attiroit la plus grande confidération a ceux qui la profeffoient. Le devin Amphiaraüs , qui périt au fiége de Thèbes, fut mis après'fa mort au ■rang des dieux, pour avoir refufé d'abord de fuivre Polinice, fur ce qu'il prétendoit avoir prévu au moyen de fes fonges qu'il pé_ riroit dans cette guerre; ce qui lui arriva .effechvement, ayant été englouti dans un mouvement extraordinaire 'de la terre qui -s'entr'ouvrit. Cette fin funefte qu'il avoit anuoncée, le fit regarder après fa mort comme une divinité que 1'on devoit confulter fur !'ex. plication des fonges. Les peuples d'Orope, petite ville de la Béotie, voifine de Thèbes* lui éleverent un temple, oii il rendit des oracles, & ou 1'affluence des confukans itoit toujours très-grande , méme pour les affaires les plus importante*. Hérodote nous apprend.que Créfus, effrayé de la puhfance des Perfes, fit confulter tous les oracles les plus célèbres , entr'autres. rplni A'a u- raüs; Cette célébrité ne fut pas de longue durée; quoique les temples coöfovaflëtot Kij  ito Les Parasites, encore quelque refpeft, dans le fyftêmedtf la religiën des Grecs , on ne faifoit guère plus de cas des oracles que des devins établis a Athènes, tk dans les autres villes de la Grèce , tk que 1'on faifoit parler pour un prix fort vil. Voye^ HérodAik i. Plutarq. in Arifiui. Paufanias , liv. 1, & la Théorie des Songes, in-i i,Paris, Nyon 1'aïné, 1766. (1) La thiarre. C'étoit le nom d'un bonnet que portoieut les bergers phrygiens , d'ou pendoiènt de chaque cöté deux pieces propres a couvnr les joues: c'eft ainfi qu'eft coerTé le berger Paris dans la plupart des monumens antiques oü il eft repréfenté décidant du prix de la beauté entre les trois déeffes. II paroit que le mot thiarre eft le terme criginal que les Grecs & les Latins nous ont confervé. Dans une fignification plus relevée , la thiarre étoit le nom de Ja coëffure des rois tk des grands de la Perfe; hommes & femmes s'en fervoient. Elle approchoit de la forme de la thiarre des papes, fans cependant êcre chargée de trois couronnes , ainfi que 1'eft celle des fouverains pontifes, que les Italiens appeb» lent pour cette raifon triregne.  Lettre XXV111. nr (3) Le mont Ida. La montagne dont il eftici queftion, eft celle connue fous ce nom en Phrygie , célebre dans 1'ancienne mythologie par le jugement de Paris. C'eft la plus haute & la plus vafte montagne dü pays.' Son'fommet, appellé Gargarus, eft arrofé d'une multitude de föurces d'eaux vives, qui fourniflbient autrefois a 1'entretien de quinze rivieres au moins, mais dont la plupart, dés le tems de Pline le naturalifte, n'étoient plus que de foibles ruiffeaux dont le cours étoit interrompu une partie de 1'annee. On le reconnoit encore a fes eaux abondantes_qui font environnées de bons paturages. II ne faut pas confondre cette montagne avec celle du même nom dans Tille de Crête, ou la fable dit que Jupiter a été nourri & caché pendant fon enfance. (4) Les portes confiées a la garde des Heures. Ceci eft imité du cinquiéme Livre de 1'lliade. « Les portes du ciel s'ouvrent » d'elles-mêmes avec un mugiffement horw nble; ces portes , dont le foin eft dommis4 m aux Heures, qui dès le commencement' 3> des tems veillent a la garde du haut- 3» olympe , & qui, lorfqu'il faut ouvrir o'u K üj  121 Les Parasites, » fermer ces portes d'éternelle durée, écar-33 tent ou rapprochent fans peine le nuage » épais qui leur fert de barrière 33. Madame Dacier prétend qu'Homère, fous le nom d'heures, entend les faifons , & quil dit avec raifon que les portes du ciel leur font confiées, paree que ce font les faifons qui' ouvrent & qui ferment le ciel, en chalfant, en approchant, ou en amoncelant les nuages. Elle s'en tient a cet avis fur lé paifage du Livre XI de 1'Iliade, oü il eft dit: « A 331'heurc que le bücheron prépare fq.n di33 ner 3>; •& fur celui du Livre XXI: « Lorf33 que les heures favorables eurent amené 38 le tems de la récompenfe y. Mais il ne me paroit pas bien décidé que les Grecs du temsd'Homère, n'euffent pas diftribué le jour en diïférentes parties qui répondent aux heures. J'ai dit plus haut,. fur différentes autorités tirées des auteurs grecs, (note 2 fur la Lettre VI de cette Partie ) que Palaméde , 1'un des héros du fiége de Troye, dont il eft vrai qu'Homère n'a fait aucune mention pour des raifons qui pouvoient lui être perfonnelles, avoit divifé 1'année en faifons , mois & jours, fuivant le cours du foleil. Le principal étoit fait, la divifion  Lettre XXV lil. 11$ du jour en vingt-quatre ou douze parties, étoit facile : eft-il probable qu'un homme d'un génie auflï pénétrant que 1'étoit Palaméde , foit refté court en {i beau chemin. Ainfi, quand madame Dacier dit fur le paffags du Livre onziéme de lTliade, que du tems de la guerre de Troye, & même de celui d'Homère , qui a vécu quatre eens ans après, on divifoit les différentes parties du jour par des opérations fixes & connues; comme par ce qui fe paffoit dans les marchés, dans le barreau, dans les temples: par exemple, on difoit quand on revient du marché , quand les juges levent leur fiége, quand on offre tel ou tel facrifice : je ne puis pas être de fon avis, paree que la divifion du jour auroit été très-incertaine, attendu qu'il n'y a jamais eu rien de moins réglé que le moment auquel on revenoit du marché; que celui auquel les juges levoient 1'audience. On a vu plus haut dans les notes fur la Lettre quatriéme de la première Partie, que.les juges étoient payés par jour& non al'heure; d'oü 1'on peut conjecturer que la durée de leurs féances étoit relative a la quantité de caufes qui fe pré.fentoient a juger. L'agriculture , dit encore v :„  224 Les Parasites",- la dofte dame , a donné auffi des datèï très-certaines , « a i'heme que le laboureuf » dlne , a. 1'heure q-tfii délie fes bceufs U, Ces dernieres ont même duré après 1 etabliffement des heuresj c eft-a-dire , que lespoëtes ont confervé ces facons de s'expliquer, plus pittorefques, & dès-lors plus" poétiques. Mais dans le tems que les poëtes parloient ainfi, 1'ufage des cadrans folaires, des clepfydres & d'autres horloges étoit établi; on avoit la divifion dn jour par heures. Je men tiens donc a dire & 4 penfer que la divifion du jour en treure* eft plus ancienne que ne le fuppofe madame Dacier : que lorfqu'Homère dit (Liv. zi de l'lüade) cc Quand les heures favo=» rables auront ramené le tems de la ré» compenfe =>, il a voulu dire le moment favorable ; ce qui. défigne plus précifémenc la divifion du jour par heures, qu'ancune des faifons de 1'année. J'ajoute que le nombre des heures confidérées comme déefies , a été fort incertain. Paufanias (liv. i, Voyagê de l'Attique ) d it que dans un bois confacré a Jupiter-Olympien , prés de Mégare , eft un temple ou 1'on voit une ftatue remarquable de jupiter. Sur la tête du dieu fon?  Lettre XXVIIL 225 les heures & les parques, peur fignifier ce que tout le monde fait, que les deftinées obéiflent a Jupiter; que les faifons & les tems dépendent de fa volonté fuprême. (Liv. 5 , Voyage de l'Elide.) II dit qu'on repréfente les heures au nombre de trois. Ainfi ce qu'Homère a défigné par le mot d'heures, convient beaucoup mieux ï la divifion du tems, telle que nous la connoiffons, qu'au changement des températures de 1'année, fuivant le cours du foleil, tv fon éloignement pius ou moins grand. (t) S'il eflpoffible d'avoir quelques connoijfances cenaines. L'impatience fï naturelle au vulgaire de connoitre 1'avenir & de favoir ce qui arrivera dans la fuite des tems , a toujours été 1'origine de quantité d'inventions ridicules exercées par les plus' vils & les plus fourbes des hommes , tirés d'ordinaire de la lie du peuple. On' peut adopter a leur fujet le fentiment dn poq>e Ennius, cité par Cicéron (lib. 1 de divin. n°. ultimo ): «Je ne fais aucun cas , dit-il, » des devins du coin des rues, des aftro» logues du cirque , ni des prognofliqueurs » d'Ifis, ni des interpretes des fonges; ik Kv  22(s* Les Parasites, *> n'ont ni art, ni connoiffance qui les » éclaire fur 1'avenir; ce font des fuppóts » de la fuperftition; des menteurs impu=»dens; des ignorans , des parefieux; des » fous que la mifere fait agir. Us ne favent » par oü aller, & ils veulent le montrer *> a tout le monde. Ils promettent des monts » d'or , &: en méme-tems ils demaudent une » drachme ; qu'ils la prennent par avance » fur les richefles qu'ils annoncent, & qu'ils » faflent avoit le refte ». Le peuple d'Athènes, qui les corifultoit, ainfi qu'il fait par-tout, doutoit autant de leur connoiffance que de leur fincérité. Quand il n'étoit pas fatisfait, il croyoit que le devin n'avoit pas voulu parler. On a vu dans ce fiecle un devin trés - accrédité en Angleterre , qui, fuivant 1'opinion du vulgaire, étoit devenu muet a force d'étudierj auffi ne rendoit-il fes oracles que par écrir. II avoit la plus grande célébrité a Londres % a Weftminfter.  LETTRE XXIX, Chaskosuce a Hypnotrapeze, JE n'ai eu garde de m'arrêter a Corinthe (i) •, il ne faut qu'en approcher pour connoitre auffi-tot la mefquinerie des riches de cette ville , & la mifere des pauvres. II étoit midi, on fortoir du bain; j'ai remarqué quantité de jeunes gens d'une figure intérefTante, d'une phyfionomie gaie & fpirituelle: aucun d'eux na pris le chemin des maifons les plus diftinguées. Tous fe font difperfés par le Cranium (i), oü fe tiennent d'ordinaire les marchandes de pain Sc de fhiits. Je les ai tous vus,les yeux tournés vers la terre: les uns ramafToient des gouffes depois, les autres des écales de noix, cherchant avec attention s'ils n'y trouveroient rien a mettre fous la dent. Ils racloient avec leurs ongles lés écorces des grenades; les plus peüts morceaux de Kt)  228 Les Parasites, pain, quoiqu'ils euflênt été foulés aux pieds, ne leur échappoient pas, & ils les mangeoient. Tel eft le fpectacle que préfente la fuperbe entree du Péloponnèfe : cette ville lï celèbre, fituée entre deux mers, d'un afpect il agréable, oü 1'on vivroit délicieufement, fi elle n'étoit pas habitée par les plus grofliers & les plus chiches des hommes. Ik ont beau fe vanter que la déefie de la beauté fortant clu fein des ondes, falua la citadelle de Corinthe 5 il fe peut que Vénus y faffe éprouver fes faveurs aux femmes (3 ), mais fa faim y eft la divinité cruelle qui exerce la tyrannie fur les hommes. NO TES. ( 1 ) Je rfai eu garde de m'arréter d Corinthe. Diphile , dans la comédie intitulée le Marchand, parle d'une loi établie a Corinthe , qui étqjt d'une fageffe bien capable de rendre cette ville & fes habitans odieux aux parafites de profeffion. « Si 1'on y vait  Lettre XXIX. 22? *» quelqu'un tenant une table fplendide, les 33 magiftrats 1'interrogent fur fa maniere de » vivre & 1'emploi de fon tems : ils s'in-33 forment li fes revenus font affez confidé03 rables pour fournir a ce luxe. S'il dépenfe » plus que fes facultés ne lui permeuent, ^^ on lui défend de continuer : s'il n'obék 33 pas, il eft condamné a 1'amende. S'il fe si trouve qu'il n'ait aucun bien au jour, qui 33 le mette en état de foutenir ce train de 33 vie , il eft livré a 1'exécuteur de la jufrice, 33 qui lui fait fubir une peine infamante. 33 — Eft-il poffible ? — Qu eft-ce qui vous 33 furprend dans cette loi ? Quelqu'un qui 33 veut faire grande dépenfe fans biens réels, 33 ne peut étre qu'un méchant homme. IL 3> faut ou qu'il dépouille de nuk les paf03 fans, ou qu'il factie entrer dans les maifons » pour en enlever les effets, ou qu'il foit de sa fociété avec quelque troupe de voleurs, 3> ou qu'il foit délateur a gages, ou faux aotémoin. Or n'eft-il pas effentiel de purger 33 la ville de pareils garnemens? — A 33 merveiltes; mais que m-'importe a moi? 33 — L'honnête homme ! Cela ne peut vous o» regarder, vous qui fakes tous les jours fi » grande chere ! Poiffons, gibier,légumes,  23o Les Parasites, » vous & vos fembiables nous enlevez tout: =» vous ne- nous laiifez même pas le plaifir *> de voir une perdrix voler. De combien »n'avez-vous pas fait renchérir les vins ai étrangets » ? Athenée , liv. 6. (2) Tous fe font difperfés par le Cranium. 11 eft fans doute queftion dans cet endroit d'une place du fauxbourg de (Corinthe, oü étoit un bois de cyprès appellé le Cranée. Une parrie de ce bois étoit confacrée a Bellérophon ; dans I'autre, il y avoit un temple dédié a Vénus-Mélanis ou la brune. On y voyoit auifi le tombeau de la fameufe courtifanne Lais, furmonté d'une lionne qui tenoit un bélier dans fes pattes de devant. Voye\ Paufanias, liv. 2, ch. 2. Cette femme avoit donné par fa beauté tant de reliëf a la ville de Corinthe, que fes habitans regardoient comme une de leurs prérogatives, de ce qu'elle étoit née parmi eux. Cependant, il y a toute apparence que c'étoit une vaine prétention de leur part, L'opinion commune eft qu'il y a eu deux Lais, 1'une qui fut amenée toute jeune dHircare en Sicile a Corinthe, par des athéniens de 1'armée de Nicias, & qui, devenue grande ?  Lettre XXIX. 23» furpaffa en beauté toutes les courtifannes de fon tems ; c'eft la première & celle dont on voyoit le tombeauauCranée.La feconde, fille de Damufandra , courtifanne arhénienne, qu'Alcibiade aima, eft celle qui donna lieu au bon mot de Démofthène r que tout le monde fait. Elle mcurut en Thelfalie , & on montroit fon tombeau fur les bords du Penée. Paufanias, des deux Lais, n'rn a fait qu'une, quoiqu'il parle des deuk tombeaux 3 Athenée (liv. 13 ) ne lailfe aucune incertitude a ce fujet, ( 5 ) II fe peut que Vénus, &c. L'hiftoire fabuleufe fait fortir Vénus du fein des ondes , & la repréfente avec tous fes charmes, s'élevant au-deifus des flots, & allant des bords de Cythere a ceux du Péloponnèfe, accompagnée d'une troupe de néréides & de tritons qui célébroient la nailTance de la mere des amours, Sc lui faifoient cortége. C'eft dans cette- navigation merveilleufe qu'el'e'falua, dit-on, la citadelle de Corinthe , ou plutót le rocher fur lequel on devoit la batir: fans doute qu'elle le regardoit dès-lors, par fa prefcience divine, comme une place qui devoit un jour lui ap-  ï|* Les Parasites, partenir. Les Corinthiens , ainfi que la plupart des autres Grecs, difoientque les dieux s'étoient difputé 1'empire de leur pays, tant ils le trouvoient beau. Le Soleil & Neptune ayant une pareille difpute au fujet du territoire de Corinthe , prirent pour juge Briarée, 1'un des cyclopes, qui adjugea rifthme & le port a Neptune, & le promontoire qui domine fur la ville , au Soleil. Celui-ci le céda enfuite a Vénus, dont on voyoit le temple en entrant dans la citadelle de Corinthe, avec fa ftatue armee, celle du Soleil, & une autre de 1'Amour, tenant un are. Paufanias, liv, z , ch. a & 4. J'ai déja parlé ( Difcours fur les Courtifannes, d la tête de ces Lettres ) de la confidération dont jouilfoient les courtifannes a Corinthe. Une des loix du pays étoit que dans les événemens les plus intérelfans pour la patrie, ces femmes publiques offrilfent a Vénus des facrifices , précédés de proceffions folemnelles oü elles tenoient le premier rang. C'étoit encore 1'ufage des Corinthiens ,. de préfenter a. la déeffe une courtifanne nouvelle, en reconnoiiTance des fuccès qu'ils avoient eus dans quelqu'entreprife d'éclat. Ceft fans doute i ces coutumes  Lettre X X X. ijl que le parafite fait illufion. Quant a la faim, dont il fait une divinité cruelle , voyez les notes fur les Lettres V, VIll & XIV de cette Partie. LETTRE XXX. EyDROSPHRANTE d MÊRIDA (a}3 O Puissant Hercule! qu'il m'en a coüté de peines, de favon & de nitre (i), pour dégraiflêr mon habit que 1'on avoit inondé hier d'un plat de fauce gluante. L'infamie du traitement me touche moins encore que ravililTement oü je me voïs réduit, moi, fils d'Anrhémion, qui a tenu un rang fi diftingué a Athènes, & d'Axiothé y dont la noble origine remonte a Mégacles ( 2). Et qui eft celui qui nous fait ces avanies ï Un homme forti de la lie du peuple , fils d'un pere inconnu & d'une mere (a) Hydrufphrante, rem, Omnia conduclis coïmens obfonia nummis ? Sordidus, attjue anbni quod parvi nolit haltri; , Refpondct..... 11 étoit loué des uns, & blamé des autres; .... Laudatur ab his, culpatur ab illis. Sac. 2 , lib. i. Les gens fenfés défapprouvoienr. fa conduite,.les flaneurs Sr les parafites 1'exaltoient. On voit tous les jours reparoitre des hommes de ce caraélere , qui fe précipitent eux-mêmes dans 1'état de mifere dont fe plaim notre parafite, pour avoir cru qu'ils fe feroient quelque confidération par une dépenfe mal entendue qui les a ruines & avilis.  ^1 Les Parasites, ( 5 ) Man-hes de la nouvelle lune. Ces marchés, foires ou affemblées des nouvelles lunes , nous rappellent les premiers fiecles de la Grèce, les tems auxquels la population commenca a devenir nombreufe, & lorfqu'on fe rappelloit encore les défaftres généraux qui avoient dépeuplé le monde, & dont on craignoit le retour. La lune , qui ceffoit d'éclairer la terre pendant un certain tems, avoit fait craindre a des hommes qui ignoroient les caufes de fes phafes différentes, qu'elle ne fut tout-a-fait perdue pour eux. Lorfqu'elle repaioiffoit, elle occafionnoit une fete générale : tout le peuple fe raflembloit pour fe féliciter mutuellement de cet événement heureux: on placoit dans les catrefours des tables couvertes de pain & d'autres denrées pour les pauvres, & on difoit que c'étoit Hécate qui les avoit mangés. C'eft ainfi que Ia néoménie ou nouvelle lune devint un jour folemnel chez les Grecs: il étoit confacré a tous les dieux, & fut-tout a Apollon, comme auteur de la lumiere. On faifoit des facrifices dans la citadelle d'Athènes, accompagnés de voeux pour la félicité p'ublique, pendant le cours du mois ou de la lune; les enfans implo-  Lettre XXX. i$) roient les dieux pour leurs peres. Ces cérémonies religieufes attiroient tous les habitans du canton. Ils établirent des foires ou marchés qui fe tenoient en méme-tems, ou chacun trouvoit a acheter les marchandifes dont il avoit befoin, ou a vendre celles qu'il avoit de trop. Le commerce des efclaves fe faifoit fur-tout dans ce tems. Dans la fuite, lorique L'rritérêt 1'emporta fur tout autre motif , les marchés contribuerent beaucoup plus a raffembler les peuples, que les devoirs de religion. Cependant 1'ufage de faire des" réjouilfances a la nouvelle lune , fe conferva long - tems en Grèce & dans les régions voifines, même après 1'établiifement du chriftianifme. Le concile de Conftantinople, in trullo, tenu en 6$i (canon 6$ ), cenfure les chrétiens qui allumoient des feux 3 la nouvelle lune devant leurs maifons, danfoient autour & fautoient par-delfus; ufage très-ancien, que lesjuifs eux-mêmes avoient pratiqué, ainfi que la plupart des nations payennes, qui croyoient que les fe«x les purifioient & les régénéroient avec la nouvelle lune. Mais n'avoient-ils pas perdu 1'idée primitive de cette inftitution > N'étoit-ce pas plutöt une  24° Les Parasites; efpece de fête qu'ils celébroient cil mé* moiré du rétabliffement du genre humain après le déluge. II étoit teut fimple que fachant que le monde avoit été en quelque facon détruit par la violence des eaux, ils regardaffent le feu comme le principe de fon renouvellement. Si nous en revenons aux fêtes des Néoménies chez les anciens Grecs, a ces tables chargées de pain pour les pauvres, nous trouvons des veftiges de ce qu'il a plu aux poëtes nommer le fiecle d'or, des mceurs des hommes des premiers tems, de ceux qui vécürent peu après les grandes révolutions de la terre. On les reconnoit a la douceur, a la bienfaifance, al'union qui régnoit entr'eux : on ne voyoit alors que foumiflion pour les peres & les vieillards ; que craintc de lette fuprême ; que fimplicité & franchife parmi ceux qui vivoient enfemble. Ces heureufes difpofitions du genre humain renailfant en quelque forte des ruines du-monde, étoient le feul moyen qui lui reftat de foutenir, en s'entr'aidant, le fardeau des miferes communes dont il étoit comme accablé.« La » terre malheureufe, dit un auteur moderne, »> fut le temple de Ia vertu, & le crime » fut  ■ L 2 T T R £ XXX. I4I »o fut le temple de la vertu, & le crime » fut long-tems fans ofer violet fon fancsj tuaire. Les premiers hommes, frappés des *> malheurs qu ils venoient d'éprouver , déo> pourvus d'efpérance , n'ofoient plus s'oc*> cuper d'établiifemens en faveur de la pof«térité : la crainte de la fin du monde fut .=»long-tems fans les quitter. En un mot, » toutes leurs vues fe porterent vers une => vie futute-, vers oe bonheur éternel qu'ils » y efpéroient, & dont ils fentoient bien s> qu'ils ne pouvoient fe rendre dignes que s' par une foumiflion parfaite a 1'être fu» prême,, Ia pratique des vernis fociales , & k> un renoncement abfolu aux 'biens de ia' « terre , que tant d'accidens pouvoient leur » 'enlever w. Voye\ l'Antiquité de'voilée par fes ufagès, liv. 6, ch. z. N'a-t-on pas vu bien poftérieurement les peuples frappés par 1'apparition de quelques phénomenes extraordinaires dont ils ignoroient les caufes naturelles, être faifis des mêmes terreurs, regarder la fin du monde comme prochaine fe dépouiller de toutes leurs polTeflions, & fe livrer k des pratiques que la fuperftition, plutót qu'une piété vraiment éclairée, leur préfentoit comme le moyen le plus affuré Tome IL, L  242 Les Parasites, de fe mettre en état de paroitre avec quelque confiance devant le juge fouverain des mortels. Si jè me fuis arrêté quelques inftans fur ce fujet, c'eft que fon origine m'a paru intérelfante, & que j'ai cru me conformer aux idéés d'Alciphron, qui paroit avoir eu intention de rappeller tous les ufages tant civils que religieux des Grecs. On a vu & on verra dans la fuite de ces notes qu'il n'en échappe prefqu'aucun. S'il ne fait que les indiquer, c'eft que fes lettres étoient deftinées a 1'amufement des leef eurs qu'il fuppofoit avec raifon être inftruits fur ces différens objets, 'qu'-il fuffifoit de rappeller a leur mémoke pour les intéreifer. (4) L'infolent Dofiade. Le mot grec dofiade, fignifie un homme comblé des dons de la fortune. C'étoit probablement un parvenu, un de ces enfans qui, fuivant les loix de Platon, étoient élevés au Cynofarge, &r enfuite adoptés par la république, & recus au nombre des citoyens a 1'age de vingt ans. ( Voye\ la note 2 fur la Lettre XI de tette partie. ) Dofiade jouiflbit peut-être de fa fortune avec trop d'infolence , ainfi qu'il  L J> t t k £ XXX. 24J arrivé a beaucoup d'autres; cependant, il eft aife de juger que 1'envie tourmentok autant 1'Hydrofphrante que la faim. A quel propos reproche-t - il au peuple Tabus qu'il fait de fon pouvok, en condamnant Miltiade a la prifon , & Ariftide a 1'exil ? On voit que par-tout la mifere fait les frondeurs. ( S ) Polybe , du mot grec 7Tc\vfoot, qui mange beaucoup, nom de caractere , qui convenok a un décofteur tel que celui qui parle. LETTRE XXXI. Cmidrolêpise u Kap ir os&h ran te. Sais-tu pourquoi les femmes de Ia maifon font fi courroucées contre moi ? Pourquoi cette vieille fervante, après m'avoir infulté fur tous les tons, a fini par me dire : Que la pefte t'étouffe, babillard importun! Elles font toutes dans la confidence d'une inttigue, qu'elles prétendent Lij  244 Les Parasites, tenir plus fecrette que les mylteres d'Eleufis. Elles veulent que nous ne nous en doutions pas, nous qui fommes inftruits de tout 1 Elles ont entrepris que nous ne croyions rien de ce que nous avons vu & entendu. Pour moi, qui fuis au fait de toutes leurs menées, je ne tarderai pas d'en informer le patron. On ne me reprochera pas de moins valoir qu'un chien qui aboie pour la fureté de fon maïtre, & le défend avec courage. Ce jeune agréable, nouvellement arrivé de liElide , cet enchanteur charmant d'Olympie (i), déshonore la maifon du maitre fa femme en raffole. Tous les jours elle lui envoie des billets écrits de fa main ; des bouquets qu'elle aportes, des fruits dont elle a gouté ( 2). Ces furies acharnées contre moi font fes" complices; fur-tout cette efclave décrépite que les autres domeftiques traitent de vieux fpeótre (j)a paree qu'elle fait &c fouffre tout.  Lettre XXXI. 24? En pareille circonftance, il n'y a pas moyen de fc taire. Je prétends jouer dans cette occafion," non le röle d'un parafite, mais celui d'un ami; & d'ailleurs je ne ferai pas fiché de me venger de toutes ces mégeres. Car 1'intrigue une fois découverte, il n'eft pas 'douteux que toutes les efclaves feront mifes aux Iers; que 1'adultere périra (4) parle fupplicedeftinéa 1'expiation de fon crime; & que la femme coupable fubira les peines dues a fon infame débauche. A moins que Lyficle ne foit plus indolent, plus infenfible que le boffu Polyagre, qui pour faire profit de tout, n'exigeoit des galans de fa femme, que de fournir a. fon entretien & a fa parure (5), les mettant par cet accord a 1'abri des peines prononcées contr'eux par la loi. N O T E S. (1) Olympie , ville du Péloponnèfe dans la région appellée 1'Elide, aujourd'hui la • province de Belvédère; c'eft dans cette ville L iij  z$6 Les Parasites,, que fe célébroient tous les cinq ans les jeux olympiques. La petite ville de Langavico dans la Morée, s'efr élevée fur les ruines de Vancienne Olympie, (2 ) Des billets , des bouquets, des fruits. Le texte porte des bouquets flétris fur fon fein, des fruits qu'elle a mordus. On a-vu dans les notes fur les Lettres des Courtifannes, que c'étoit les faveurs qu'elles accordoient aux galans qu'elles vouloient perfuader de leur attachement. La femme dé Lyficle ayant les mêmes mceurs & les mêmes goüts, fe conduifoit de même. (3) Vieux fpeclre. Dans le texte elle eft appellée s^was-a, empufa, fpectre" femelle, de 1'efpece de ceux qu'Hécate, déeftc protectrice de la magie, faifoit paroitre tantöt lous une forme, tantöt fous une autre. Ariftophane, dans la comédie des Grenouilles, Suidas, Héfichius, difent que ce fantöme prenoit la figure d'une belle femme , d'une vieille, d'un bceuf, d'un chien, ou de quelqu'autre animal5 ce qui donna lieu au proverbe : Plus changeant qu'Empufe. L'idée commune étoit que ce fpectre n'avoit qu'un pied d'airain, & ne  L E T T R £ XXXI. 247 fc montroit que pour effrayer les hommes. Quelques lexiques grecs définiflent 1'empufe, fpeclre effrayant aux pieds d'airain & d'ane, que la déeffe Hécate faifoit, apparoitre aux infortunés. Erafme en parle , Adag. chil. 2 , cent. 2,, adag. 74. Démofthène dit que la mere de 1'orateur Efchine, qui portoit le nom deLeucothoé , recut dans fa vieillelfe celui d'Empufe, paree quil n'y avoit rien qu'elle ne fit & qu'elle fouffritpour gagner, tant elle étoit avare. (4) L'adulterepérira,&c. Le texte porte:' 'Adulterautem peribit ano raphanis obturato. Le genre de fupplice dont il eft parlé ici, a quelque chofe de fingulier. On prenoit une ou plufieurs grofies raves que 1'on faifoit entrer a force dans 1'anus du galant. Cette opération , qui pouvoit être douloureufe , fans être mortelle , étoit tellement ignomiriieufe, que 1'on ne fuppofoit pas qu'un homme qui y avoit été expofé,, fut tenté d'éfi courir les rifques une feconde fois. 11 paroit que ce chatiment n'étoit en ufage que parmi les payfans de 1'Attique. A Athènes, la punition étoit plus cruelle; * on faifoit entrer dans le penis du coupable Liv  248 Les Parasites, un petit baton armé d'épines , qu'il ne potrvoit en retirer fans devenir lui-même fon bourreau. J'ai déja dit plus haut que Solon , pour empêcher les adulteres Sc prévenir les entrepnies d une jeuneffe bouillante, n'imagina pas de meilleur moycn pour mettrs les femmes mariées a couvert de fes ter» tatives , que de faire v'enir des courtifannes a Athènss, quil obligea de fe proftiruer a tous ceux qui fejageroient. Cette infiitution politique eut a£ez de fuccès; & oa a vu dans les Lettres de la première Partie, 'combien elles acquirent de célébrité , Sc même de. crédit, dans les beaux tems de la république, lorfque le luxe ëc la dcbauche eurent été portés au plus haut point. D'abord Solon avoit ordonné que le mari furprenant fa femme en adultere , eut le • droit de mettre le galant a mort. Cette loi fut adoucie par la fuite il fut défendu k 1'offenfé de fe faire jullice par fes mains; -il fuj obligé de déférer le coupable aux tribunaux; ce qui donna lieu aux accommodemens, aux compenfations , dont les maris d'un caraétere doux Sc benin fe contenterenr. Il y a moins de vingt ans qua Rome, parmi lx populace, un mari qui  Lettre XXXI. 249 furprenoit fa femme en flagrant délit, pouvoit la tuer avec fon complice, pourvu qu'il eut foin tout de fuite d'appeller des témoins, & de conftater le crime qui 1'avoit obligé de févir. Un boucher tua au commencement de 176a, d'un feul coup, la femme & le galant, fans être recherché, paree qu'il avoit pris les précautions ordonnées. On trouve dans le livre d'Alexandre ab Alexandro, intitulé Dies geniales (lib.4, cap. 1), quantité d'anecdotes fur les peines infligées aux adulteres dans les différens pays connus & civilifés. ( ƒ ) N'exigeoit des galans de fa femme , que, &c. Les hommes abandonnés a la débauche, livrés a la pareife & a 1'indolence, oublient aifément les principes les plus naturels de 1'honnêteté. Tel étoit ce Polyagre dont il eft parlé dans cette lettre 5 & tels font encore la plupart des habitans de 1'ancienne Colchide, de la Géorgie, & de la Mingrelie. Dans ces régions, les femmes font très-belles & très-lafcives : les maris font jaloux, mais pourvu que le galant ait de quoi payer, ils s'arrangent aifément. Chardin & plufieurs autre-s voyageurs rapLv  25° Les Parasites, portent qu'un mari qui a pris fa femme fur le fait, fe, contente ordinairement de faire payer a fon complice un cochon & une très-grande cruche'de vin , dont ils font enfemble un repas: la vengeance n'eft pas portee plus loin. II y a peud'années que ces conventions étoient encore très-communes en certain état de 1'Italie. Des riches infulaires, fatigués de refpirer un air épaiüi par les vapeurs du charbon de terre & de la tourbe , alloient jouir fous un ciel plus beau , & dans une température plus agréable, de leur opulence. Ils mettoient au nombre des agrémens qu'elle peut procurer, favantage de vivre librement avec une femme, fouvent d'une figure charmante, par accord fait avec le mari. Ces arrangemens fcandaleux ont été profcrits par un fouverain attentif a la confervation des bonnes mceuis & de 1'honnêteté publique. II n'y a pas long-tems qu'un de ces époux vils & intérefles, fa femme extravagante , & même 1'infulaire, ont été condamnés tous les trois a des peines dirféfaetes, pour avoir fait entr'eux un marché de cette efpéce. X  LETTRE XXXII. Philomagire d PlNAKOSPONGE (a). Quelle eft la conduite, quels font les fentimens de ces odieufes courtifannes ? Elles font en fociété d'intrigues avec 1'époUfe du patron, & Phédrias ne s'en doute pas. Cinq mois après le mariage, la petite femme eft accouchée d'un fils (i). Les confi den tes 1'ont enveloppé dans des langes; lui ont mis un collier & d'autres marqués auxquelles on put le reconnoïtre, & font fait porter au haut du mont Parnès (i), par le journalier Afphalion. II n'eft pas a propos de dévoiler ce forfait, quant a préfent-, auffi prens-je le parti de me taire; mais le filence ne fait qu'accroïtre le reffentiment. Pour peu que ces viles créa- (a ) Plülomagire, ami de la cuifine ou du cuiünier. Finakofponge , l'épong« d«s plats. Lvj  ifyï Les Parasites, tures me chagrinent; fi elles ofent me qttaBfier de fiatteur ou de parafite, me faire quelques - unes de ces avanies dont elles font capables, Phédrias faura tout ce qui fe paffe. NO TES. (i) La petlte femme eft accouchée d'un fils, &e. Cette anecdpte donne une idee de 1'excès de corruption auquel étoient portées les mceurs dans Ia ville d'Athènes, li favante & li polie. Un luxe élégant, des talens célèbres, des arts porrés a leur perfeétion, auroient-ils occafionné ces défordres ? II ne feroit pas honnête de les attribuer a des caufes que Ton a conftamment regardées comme 1'honneur & la perfection de fefprit humain. Ce font cependant ce luxe, cette politeffe, ces beaux arts par lefquels Ia Grèce, alTujettie par les Romains, s'aifujettit a fon tour fes propres vainqueurs. Grcecia capta ferum viSlorem cepit, & artes Intulit agrejli Latio dit Horace 5 ils accoutumerent les Romains,  Lettre XXXII. 25? aufteres.& féroces, a-une vie délicieufe qu'ils auroient méprifée dans ce que nous appellons les beaux fiécles de la république. Avec ces délices, s'établirent infenfiblement a Rome tous les vices que 1'on a pu reprocher a Athènes; ils y furent même portes beaucoup plus loin, paree que la nation étoit beaucoup plus puiiTante & plus riche, Sc qu'elle fe foutint long-tems par une opulence & une population étrangeres ; mais enfin ils furent la caufe de fa mine, ainfi qu'ils 1'avoient été de celle d'Athènes. (2) Au haut du mont Parnès. Cette montagne féparoit 1'Attique de la Béotie; elle étoit couverte de vignes , a ce que dit Strabon ; les gens du pays 1'appellent aujourd'hui Ofia. Athenée ( llb. 5 ) en parle fous le nom de Pametha. Paufanias ( 1 ) dit que les chaifeurs y trouvoient une grande quantité d'ours & de fangliers qui s'y font confervés jufqua préfent; car Spon, dans fon voyage de Grèce, releve une erreur de 1'auteur & Athènes ancienne & moderne, qui dit: « Le mont Anchefme a fait parler » de lui a la Porte, en ce qu'il pouvoit » fournir aux ménageries du grand-fei-  254 Les Parasites, »> gneur, des bêtes fauves quil nourrit». Ce qui, fuivant Spon, eft vrai du Parnès, mais point du tout de 1'Anchefme, qui n'eft qu'une petite montagne, ou plutót un rocher aride, fans bois. II s'appuie de 1'autorité de Paufanias, qui, parlant de 1'Anchefme, dit que c'eft une montagne peu confidérable. Spon ajoute que c'eft un rocher inhabité, ou il n'y a même pas de place pour batir, & que Meurfius a eu tort de le compter parmi les bourgades de 1'Attique. LETTRE XXXIII. TlTRDOSYNAGE a E P H A L L O K Y T R E S. L'ImeÉcille Criton, qui jamais ne s'eft occupé que de quelques contes de vieilles, & n'a rien fu au-dela, a voulu que fon fils allat prendre des le$ons de nos philofophes. Ce vieillard auftere & trifte, qui tienr école dans le Pécile, lui a paru de tous nos maïtres le plus digne d'être 1'inftituteur de fon fils. Sans doute qu'il  Lettre XXXIII. 255 efpere que nourri des préceptes, inftruit des maximes du philofophe, il deviendra comme lui, opiniatre dans fes fentimens, querelleur, & toujours incertain & irréfolu fur les queftions qui feront a décider (1). Le difciple s'eft exacbement model é fur le maïtre; il ne s'eft pas contenté d'en retenir les difcours fententieux, d'en prendre le ton emphatique ; il imite fa contenance & fes manieres. II a vu que de jour il eft grave, qu'il affecte'un air fombre Sc cha~ grin; que la nuit, caché fous un vieux manteau, il ne fait que roder autour des maifons de débauche; le jeune homme fuit encore fon philofophe dans cette carrière, Sc fe montre digne éleve d'un tel maïtre. Depuis trois jt>urs, il eft devenu éperduement amoureux de la courtifanne Akalanthis (2), qui loge dans le Céramique. Cette fille m'eft attachée ; elle avoue qu'elle m'aime, Sc réfifte a toutes les inftances du jeune homme. Cependant elle paroit touchée de la violence de fon amour,  z}6 Les Parasites, & pour ne pas Je défefpérer, elle lui a dit qu'elle ne fe rendroi't a fes delirs qu'autant que j'y confentirois; car elle me donne le droit de difpofer de fa perfonne & de fes faveurs. O Vénus populaire (3 )! foyez conftamment favorable a une femme qui doit m'être fi chere : elle fe conduit avec moi, plutöt comme une amie fidelle, que comme une courtifanne. Depuis ce moment, les préfens de toute efpece arrivent chez moi 5 & fi par la fuite du tems j'acquiers quelque fortune par ce moyen, qui empêchera que je ne tire la bonne Akalanthis de fon état, & que je n'en fafiè mon époufe'fur-tout après qu'elle aura amaffë une dot aux dépens de 1'amoureux. La reconnoifiance n'exige-t-elle pas que j'uniffè mes deftinées avec celle dont 1'attachement me procure les aifances de la yie ?  Lettre XXXIII. 257 N O T E S. ( 1) Toujours incertain & irréfolu, &c. Oette lettre eft encore un farcafme contre 1'abus de la philofophie, les prétentions de ceux qui s'arrog*eoient la qualité de philofophes, & la mauvaife éducation qu'ils donnoient a la jeuneife qui prenoit leurs lecons; qu'ils faifoient paycr le plus qu'ils pouvoient. lis jouerent d'abord un róle important a Athènes 5 enfuite ils y furent touta-fait décriés. Les poètes comiques n'échapperent aucune occafion de les démafquer. Je citerai ici ce qu en dit Athenée (liv. 13) : vl A-t-on un li grand tort d'avoir de 1'aver33 fion pour ces philofophes, dont tout le 33 mérite eft d'être verbeux jufqua. en être 33 infupportables. Le roi Lyfimaque leur 33 ordonna de fortir de fes états : les Athé33 niens les traiterent de même. Las de les 33 erttendre difputer entr'eux, & répéter fans 33 cefle : 1'académie penfe ainfi, Xénocrate 33 eft de cet avis; ils s'en dégoikcrent, dit 33 le comique Alexis dans la piéce intitulée 33 Le Cheval: Que les dieux combient Désa métrius de biens 5 mais que tous ces pro-  z$$ Les Parasites, » mulgateurs de loix nouvelles, qui n'en=» feignent autre chofe a notre jeuneffe quö *> des termes vuides de fens., & auxquels ils « attribuent une certaine valeur , fortent => de 1' Attique, & deviennent ce qu'ils pour» ront». L'archonte Sophocle rendit un decret qui les banniffoit tous. Quelque pea attentif que fut le gouvernement d'Athènes fur les intéréts des mceurs & de la relio-ion, il n'étoit pas poffible qu'il fouffrir des°prétendus fages affez audacieux pour faire profeffion publique d'Athéifme , tels que Théodore, Diagoras, Théotime; auffi en vit-on plufieurs condamnés a mort , fans qu'il y eut la moindre réclamation contre la févérité de leurs jugemens. Quant aux pyrrhoniens & autres de cette efpece , qui femblent particuliérement défignés dans cette lettre , on fe contentoit de les tourner en ridicule dans toutes les occafions, & on détaurnoit la jeuneffe de fuivre leurs écoles. Les poëtes comfques les pourfuivoient fans ceffe, & les expofoient a la raillerie du public. Anaxippe fait dire a un de fes acteurs: ne conilfte qu en paroles , & que dans »la conduite des affaires ils ne font que 33 des fots 33. (2) Akalanthis eft un nom de caraétere, il fignifie une femme tranquille, aimable, dans la fleur de la beauté & de la jeuneffe; il eft compofé des mots ahalos, quietus , tranquille, & anthos, fleur. Lucien, dans un des Dialogues des Courtifannes , fait faire au jeune Clinias un perfonnage a peu-près femblable a celui que fait ici le rils de Criton. Le pere de Clinias 1'a mis fous la conduite du philofophe Ariftenete , qui garde fon difciple a vue d'ceil, ne lui prêche que la vertu & le detachement des plaifirs des fens, pour lui faire oublier la courtifanne Drocé; tandis que, lorfqu'il eft libre de Ia contrainte que lui impofe la préfence de fes difciples, il fe livre en fecret a des excès tout-a-fait oppofés a ceux qu'il condamne ; c'eft ce dont la courtifanne 1'accufe fur le rapport de fon valet. Mais le philofophe a beau faire, le jeune Clinias écrit a fa maitreffe, & 1'affure qu'il ne fe croira heureux que lorfqu'il lui fera réuni. (3) O Vénus populair^On lit dans le  ifio Les Parasites, texte acfgoJ'tT» 7rclv ont plufieurs fta33 tues de Vénus , & fi. anciennes, qu'ils » prétendent que c'eft Harmonie , femme de »> Cadmus, qui les a confacrées , & qu'elles m furent fakes des éperons des navires qui => avoient amené Cadmus ( d'Egypte) , lef» quels éperons étoient de bois 3c non de » fer. Quoi qu'il en foit, 1'une de ces ftatues 33 eft Vénus-Uranie, ou la célefte; I'autre, 33 Vénus la vulgaire; Sc la troifiéme eft Vé33 nus furnommée Apoftrophia. Ce fut Har«monie elle-même qui leur impofa ces 33 noms, pour diftinguer les trois fortes 33 d'amours : 1'un célefte, ceft-a-dire, chafte 33 & dégagé du commerce des fens; I'autre 33 vulgaire, qui s'attache aux fens Sc aux 33 plaifirs du corps; le troifiéme, défordon33 né, qui porte les hommes a des unions 33 inceftueufes Sc abominables 33.  161 LETTRE XXXIV. PeSAGNIPHE a Rl G O MAQ17E. C'Est une grande & heureufe aventure pour nous, que 1'arrivée de ce vaiffeau d'Hiftia (i), qui eft a 1'ancre auprès du möle. II appartient a ce négociant admirable , dont les libéralités fans égales font paroïtre les plus riches & les plus généreux de nos Athéniens, comme des gens chiches & avares; jamais bourfe ne s'ëft: oiiverte avec autant de profuhon que Ia fienne. Ce n'eff. pas un parafite feul qu'il a invité; il nous a tous fait venir de la ville a fon bord. II a raffemblé les courtifannes les plus élégantes & les plus fameufes, les plus belles de nos muficiennes, & quantité d'acleurs des difFérens théatres. II n'emploie pas fon patrimoine a ces fortes de dépenfes; il n'y met que les profits de fon négoce, qui doivent être immenfes. I] 3  zéz Les Parasites, ua goüt. décidé pour la mufique inftrumentale, fur-tout pour les flütes & la lyre dont il fait fes délices. Sa converfation eft auffi polie qu'agréable, il n'y mêle jamais rien d'infultant. Sa phyfionomie eft gracieufe & aimable: les graces femblent jouer fur fon vifage (i); fon regard eft charmant: fes propos réunifTent 1'enjouement, la finefFe & 1'élégance: les mines ont répandu fur fes lévres la douceur du ne&ar ( 3 ), & il a 1'avantage de jouir avec nous de tous les agrémens de fon mérite; il ne doit pas en douter; les gens inftruits font perfuadés avec raifon que le goüt des arts & 1'eftime des talens font plus généralement connus, & trouvent a Athènes , plus aifément que par-tout ailleurs, la confidération qui leur eft düe. NO TES, ( 1) Histia ou Hijlicea, ancienne ville de 1'ifle d'Eubée ou Négrepont; on ignore oü elle étoit fituée. Paufanias (l.j,ch. 4)  Lettre XXXIJS. zt$ en parle au fujet d'un certain Amphyctus qui en fortit fur la foi de 1'oracle de Del-, phes, pour aller chercher fortune a Chio, dont il devint le fouvejain. Du tems de Spon , (Voyages de la Grèce & du Levant) les marchés du dimanche étoient très-confidérables a Négrepont j ils y attiroient une quantité de Grecs & d'habitans des autres ifles, qui y faifoient un commerce fort utile. (z ) Les graces femblent jouer , &c. Les Grecs ont toujours reprélènté fous cette allégorie ce qu'ils vouloient exprimer de plus aimable & de plus attrayant. Les graces, dit Ariftenète dans une de fes Lettres galantes, voloient autour des yeux de Cydippe, non pas au nombre de trois, mais par centaines. Combien les poëtes en augmentoient le nombre a leur gré ! Les Lacédémoniens n'en admirent que deux fous les noms de Clito & de Phaenné 3 les Athéniens n'en reconnurent d'abord pas davantage; ils les nommerent Auxo ik Hégémone. Héfiode en a compté trois, qu'il a appellées Aglaé, Thalie & Euphrofine. II dit qu'elles étoient filles de Jupiter & d'Eu-  •2t?4 Les Parasites, rinome, fille de 1'Océan. Les Grecs les .placerent a la fuite de Vénus ou de la beauté., dont elles faifoient 1'agrément principal. On s'en eft^ tenu au nombre fixé par Kélïode; & fi Homère en a reconnu une quatriéme qu'il nomme Pafithée , c'eft qu'il a confondu les graces avec les heures, qui, fuivant 1'ancienne théogonie , étoient au nombre de quatre. Alciphron , dans cette Lettre, les défigne auffi fous le nom wga, hora : foit qu'il ait vécu dans un tems affez reculé pour confondre a 1'exemple d'Homère les graces & les heures, foit qu'il ait voulu donner a fes lettres par cette expreffion & d'auttes fembiables, 1'apparence de 1'antiquité. Ou regarde ordinairement les graces comme filles & vierges: on a cru qu'elles ne pouvoient exifter avec tous les avantages & les charmes qu'on leur attribue, que dans un état parfait de liberté, oü les paflions même n'euffent aucun accès: elles n'auroient pu qu'altérer la douceur ia gaieté, le vrai don de plaire qu'on leur accordé en partage. Cependant Homère en marie deux; 1'une, la plus jeune des quatre, la charmante Pafithée, que Junon donne au Sommeil pour époufe, & dont il fera toujours?  Lettre XXXIV. 16$ toujours amoureux (Wad. liv.. 74 ); I'autre, la belle Charis eft préfentée fous un afpect li agréable, avec un ton fi gracieux , fi infinuant; on voit tant de charmes répandus fur toute fa perfonne , qu'elle fait le contrafte le plus marqué avec Vulcain fon mari ( Wad. liv. 18 ). II faut convenir que li dés le tems d'Homère, 1'étrange bifarrerie que 1'on remarque dans la plupart des mariages, avoit déja lieuj-ceux de Pafithée & de Charis, deux graces charmantes, étoient deftinés a confoler toutes les jeunes beautés qui fe trouveroient auffi mal partagées. ( i ) Les agrémens de fon mérite. C'eft par de fembiables flatteries que les parafites fe concilioient la bienveillance de ceux qui étoient aflez fots pouries écouter avec quelque fatisfaction. Ils faifoient par état le métier de flatteurs; ils n'épargnoient rien, pas même la vérité, pour fe rendre agréables a ceux dont la bonne chere les attiroit. Le fiatteur, dit Platon dansle Phédre, eft une béte dangereufe , quoique la nature lui ait donné certains agrémens qui féduïfent au premier abord. Le poëte Anaxile Tome II. M  x66 Les Parasites, les peint au naturel, en difant que les flat-1 teurs font les vers rongeurs des riches. S'ils fe font une fois emparé de fèfprit d'un homme fimple &r facile, ils s'y logent, le rongent & ne le quittent qu'après qu'ils l'ont mis a fee, comme le ver n'abandonne le grain de bied que lorfqu'il n'en refte plus que 1'écorce (Athenée, l. 6~). Les Grecs les appelloient encore les amis de la marmite , les chaffe urs au plat ; expreffions qui avoient paffe en proverbe parmi eux. LETTRE XXXV. Gymnochéron d Phagodéte O). Vous avez été témoin de la maniere dont m'a traité cet exécrable barbier; ce bavard infupportable que 1'on rrouve par-. tout en fon chemin , qui va propofant fa machine d'optique ( r) a tout venant, qui ïé mêle d'apprivoifer les corbeaux , & de j (a) Gymnochéron, berné expres , courné en dcrifioa. Fhagodéts, qui engloutit un repas.  Lettre XXXV. 'ï€j ïeur apprendre a parler (i), qui par defceuvrement amufe la populace d'une efpece de concert affez harmonieux qu'il exécute en frappant fes rafoirs les uns contre les autres. J'avois befoin d'être rafé ; je fuis entré dans fa boutique; il m'a recu avec emprelTement, Sc m'ayant fait placet fur une chaife élevée, il m'a paffé un linge blanc autour du col. II femblok avoir pris a tache de montrer toute fon adreffe a faire Ie poil, tant fa main me fembloit légere. Mais alors même il n'étoit occupé qua me killer fur le menton des preuves parlantes de fa fourberie Sc de fa méchanceté; ce qu'il a fait fans que je m'en fois appercu ; de forte que j'avois le tour de la machoire alter.nativement rafé Sc hériffé de poils. Ne me doutant pas de ce mauvais tour, je fuis allé a 1'heure ordinaire au logis de Pafion , oü j'étois invité a. diner. Tous les convives m'ayant envifagé, fe font mis a éclater de rire: ma furprife n'a fait qu'augmenter les ris ; jufqu'a ce que 1'un d'eux s'étant Mij  268 Les Parasites, approché de moi, a arraché une partie des poils que le maudit barbier avoit killes fur mon menton. Pour faire ceffer les ris & la plaifanterie, j'ai pris mon couteau, je les ai rafés , ou plutót arrachés le plus promptement que j'ai pu, non fans me caufer de vives douleurs. Mais je m'en vengerai, je briferai la tête du fcélérat a coups de batons, au moment oü il s'y attendra le moins. II convient bien a un coquin de cette efpece, qui ne peut m'être d'aucune reffource , de prendre 'avec moi des pafle-tems qui ne font permis qu'a ceux qui me nourriffent. NO TES. (1 ) Sa machine d'optique. Le texte porte : miroirs de nuit; il femble indiquer la petite machine d'optique appellée lanterne magique, ou quelqu'autre invention auffi peu importante, a en juger par le caraótere du barbier, & aux moyens que 1'on peut fuppofer a un homme de cette pro-  L 2 T T R £ XXXV. 169 Kfllon, aflez induftrieux, felon ce qui eit dit de fes petits talenS; mais grand bavard, & dès-lors peu capable d'inventer quelque machine qui exigeat plus de réflexions & de connoifiances. C'eft de cette efpece de gens que i'on peut dire avec Plutarque: « L'importunité de fon parler óte toute la =» grace de fon bienfaire ». Du trop pariër, ff- 5- ( 2 ) Apprivoifer les corheaux , &c. Prefque tous les oifeaux peuvent apprendre a parler ou a rendre des fons qui imitent la voix humaine , fur-tout ceux qui ont la langue large & plate; ce qui narrive cependant pas a tous les oifeaux de même efpece : ainfi on regardoit comme un prodige la grive d'Agrippine, femme de Claude, paree qu'elle parloit. Pline (liv. 10, c. 45) en cite plufieurs exemples qu'il a tirés en grande partie de ÏHiftoire des ahimaux d'Ariftote , le premier des naturaliftes, qui dit exprefiement que de tous les animaux, après les hommes, les oifeaux font les plus capables de rendre des fons articulés, de prononcer des mots ou des lettres. Pline rapporte l'hiftoire d'un jeune corbeau né M iij  27© Les P arasite sf fous 1'empire de Tibere, au-deffus du temple de Caftor & Pollux. Son premier vol, au fortir du nid , le porta dans la boutique d'un cordonnier voifin. Cet homme éleva avec le plus grand foin un oilèau que les dieux fembloient lui avoir envoyé. Il lui apprit a parler, & le dreffa fi bien, que pendant plufieurs années on le voyoit tous les matins venir fe percher fur la tribune aux harangues, & fe tournant du cóté de la place, il faluoit 1'empereur, les céfars Germanicus & Drufus , & le peuple romain , après quoi il revenoit a. la boutique de fon inltituteur. Un cordonnier voifin , foit par brutalité, foit par jaloufie, tua 1'oifeau d'un coup de pied, fous prétexte qu'il avoit folMon ouvrage avec fes ordures.. Le reifennment du peuple fut fi grand, que le corvicide eut beau fuir, il fut faifi & mis a mort fur le champ. On fit des funérailles pompeufes a 1'honnête corbeau; il fut brülé fur un bücher de bois aromatiques, a un mille de la ville, a droite de la voie Appienne , oii on lui érigea un monument. Ce chapitre de Pline eft rempli de preuves de 1'intelligence de ces oifeaux. Plutarque, au traité Quels font les animaux les plus  L F. T T R £ XXXV. IJ* avifés,ff. 18, traite ce fujet d'une maniere plus relevée. «Les merles, les corbeaux, >j dit-il,qui apprennent a parler, me fembient 33 plaider affez, & défendre fuffifamment r» la caufe des autres animaux : nous en» feignant, par maniere dc dire, en ap23 prenantdê nous, qu'ils font capables non53 feulement du difcours intérieur de la rai33 fon, mais auffi de 1'extérieur proféré au3o dehors par la parole. En la ville de Rome,33 au-devant du temple que 1'on appellé 33 Grecoftafis, un barbier qui tenoit fa bou*3 tique vis-a-vis , nourriffoit une pie qui 33 faifoit merveille dc chanter & de parler, 33 contrefaifant la parole des hommes, la 33 voix des bêtes,s'y étant accoutumée d'elle33 même, & faifant gloire de ne laiffer rien a 33 dire ni a contrefaire. Or avint-il que 1'on 33 fit les funérailles d'u-i des plus gros & plus 33 riches perfonnages de la ville, & empor33 toit-on le corps par-la, devant, avec force 33 trompettes & clairons qui marchoient de33 vant. Avint que le convoi fit une paufe 33 en cet endroit-L\ , & s'y arrêterent les 33 trompettes , faifant grand devoir de fon33 ner, & bien longuement. Depuis cela, 33 tout le lendemain la pië demcura muette, M iv  q 272 Les Parasites, » fans fiffler ni parler, ni jetter feulement » fa voix naturelle Ceftoit, ainfi cm'il »apparut, une eftude profonde & une 1 33 rettaite en foi-même, fon efprit s'excitant, 33 & préparant fa voix comme un inftrument » de mufique. Car a la fin fa voix lui revint, 33 & fe réveilla tout foudain, ne difant tien 33 de tout ce qu'elle avoit accoutumé aupa33 ravantde dire ou contrefaire, finon le fon »3 des trompettes, avec les mêmes reprifes, 33 lesmêmespaufes, les mêmes nuances & les 33 mêmes cadences. Chofe qui confirme de 33 plus en plus ce que j'ai dit, que les ani33 maux montrent plus d'ufage de raifon 3. 33 s'enfeigner foi-même, que non pas a ap- 33 prendre d'autrui 33 Si nós naturaliftes modernes, a 1'exemple des anciens , vouloient nous inftruire fur les caufes des facultés morales des animaux , il eft probable que les lumieres qu'ils tireroient de 1'anatomie comparée, leur donneroient de grandes facilités , pour dire a ce fujet des chofes nouvelles & vraifemblables 3 mais ils ne les ont employees qua découvrir leur plus ou moins de puiffance pour le phyfique de l'amouri & s'ils ont reconnu en eux quelques difpofitions morales, ils ne les ont  Lettre XXXV. 273 Vues que relatives aux moyens d'exercer cette puiffance. Car, qui auroit deviné avant eux, pourquoi le plus grand des oifeaux, la ftupide autruche , préfere les déferts arides ce 1'Afrique a tout autre climat, s'ils ne nous apprenoient que «leur vie doit être un sa peu dure dans ces folitudes vaftes Sc fté33 riles, mais elles y trouvent la liberté Sc 03 1'amour; Sc quel défert a ce prix ne feroit »3 un lieu de délices! C^eft pour jouir au s3 fein de la nature de ces biens ineftimaP3 bles, qu'elles fuient les hommes 33. Qui auroit imaginé dans 1'autruche des fentimens aufli rafinés; un penchant a la galanterie qui 1'emporte fur le foin de fa propre aifance. C'eft cependant ce que 1'on nous donne, ou plutót ce que 1'on nous vend comme 1'expreifion la plus fublime du génie.  274 Les Parasites, LETTRE XXXVI. Hevydipne a Arjstocorax. protecteurs , continuez - mot long-tems vos fecours & vos faveurs! A quel péril viens-je d'échapper! Ces exécrables convives étoient a 1'inftant de m'inonder d'une chaudiere d'eau bouillante. Ayant appercu leur delTein de quelque diftance , j'ai fait un faut en arriere, & je me fuis mis hors d'atteinte. Les fcélérats l'ont jettée étourdiment, Sc le torrent enflammé eft tombé furie jeuneBatylle qui avoit fervi a boire pendant le repas. II ne lui refte plus un cheveu, la peau de fa tête a été emportée, & fon dos eft couvert de puftules qui s'y font élevées de toutes parts. A qui de nos dieux dois-je adrelTer mes actions de graces ? Sans doute que c'eft aux diofcures fauveurs ( i), qui m'ont  Lettre XXXVI. 275. préfervé de la chüte de l'eau bouillante, ainfi qu'ils tirerent autrefois Simonide du banquet de Cranon ( 2 ). NO TES. (1) Dl oscures fauveurs. De toute antiquité , Caftor & Pollux ont été regardés, & même attendus comme les bienfaiteurs du genre humain. Dans la tempête, certains météores qui font un effet naturel de 1'état de l'air embrumé & du phlogiftique qui y eft répandu, & que les gens de mer appellentle feu Saint-Elme, étoient pris pour des lignes certains de leur préfence; dès que les matelots les appercevoient, ils étoient ralTurés. Aujourd'hui encore ils ont la même confiance , avec d'autant plus de raifon qu'elle eft fondée fur 1'expérience. Cette tradition des Grecs remonte jufqu'aux tems qui fuivirent immédiatement le déluge de Deucalion. D'après quelques Jignes fembiables , les Romains crurent que ces dieux avoient combattu pour eux a la bataille de Régille. Ils montroicnt même fur une pierre 1'impreffion des M vj  i-j6 Les Parasites, pieds du cheval de Caftor, & ils firent batir un temple aux deux freres. Perfonne ne les avoit vus, mais on ne doutoit pas qu'ils n'euffent combattu. (z) Banquet de Cranon. Cranon , ville de Theffalie , oü demeuroit 1'athlete Scopas, a la louange duquel Simonide avoit compofé une piece de vers pour un prix convenu. II y avoit peu de chofe a dire fur Scopas: les parens de 1'athlete étoient gens inconnus; Son pere un Bon bourgeois, lui fans autre mérite; Matiere infertile & petite, dit le bon la Fontaine. Le poëte fe rabattit fur les louanges des Tyndarides; ce qui déplut fans doute au riche Scopas, au point que fans égard a fa parole, Sc fans refpeét pour les dieux, il ne voulut donner au poëte que la moitié de ce qu'il avoit promis , difant que c'étoit a Caftor Sc a Pollux a payer le refte. A peine eut-il proféré le blafphême, que 1'on avertit Simonide que deux jeunes gens demandoient i lui parler dans Ia rue. II fortit auflï-tót de la falie du feftin, vint a la porte, & ne trouva perfonne. Pendant ce tems , la maifon  L £ T T * E XXXVIl 277 s'écroula, Scopas & fes convives furent écrafés fous les ruines, & perfonne ne douta que ce ne fuffent les Tyndarides qui étoient venus fauver Simonide du malheur dont il étoit menacé. LETTRE XXXVIL Trichinosarax d Glossotrapeze (a). J'AI annoncé a. Mnéfiloque le Péanien (1) les intrigues fcandaleufes de fa femme. II auroit dü prendre par lui-même toutes les précautions propres a s'afTurer de la vérité: mais le bonhomme s'en eft rapporté au ferment de la dame. Elle 1'a conduit au puits de Callichore (z)■, a Eleufine; elle a juré qu'elle étoit fidéle, & s'eft lavée par fa parole de toute imputa- (a) Trichincfarax, triplicï ore carnes detrahens , on he peut pas qualifier plus énergiquement 1'avidité d'un fatalist. Qluffotrape\ea qui ne parle que de manger.  278 Les Parasites, tion criminelle. Peu s'en faut qu'il n'aif été perfuadé de fon innocence, car il ne lui refte plus le moindre foupcon fur fa chafteté. Quant a moi, je livre ma maudite langue (3) a quiconque voudra la couper 5 fa légéreté & fon incontinence ne font pas dignes d'un traitement plus favorable. N O T E S. (1) AInêsiloqv e le Fe'anien. Péanon étoit une petite ville de 1'Acarnanie, dont parle Polybe, & dont la fituation eft inconnue aujourd'hui. LAcarnanie eft appellée encore la Carnie ou il defpotato. Elle fait partie de 1'Epire, plus connu fous le nom d'Albanie inférieure. (2) Au puits de Callichore. Les femmes d'Eleulïs avoient inftitué des danfes & des /choeurs de muiique en 1'honneur de la déeffe Cérès, qui s'exécutoient autour d'un puits qui s'appelloit pour cette raifon le Callichore, ou 1'afiemblée de la beauté (Paufanias , l. 1 , ch. 38.). Cette Lettre nous apprend que  Lettre XXXVII. 27$ les femmes foupconnées par leurs maris, fe purgeoientde toute imputation, en atteftant fiir ce puits que c'étoit a tort qu elles avoient été accufées d'infidélité. Le Puits d'amour, fitué a Paris,a la pointe du triangle que forment les deux rues de la grande & de la petite Truanderie, ppuvoit, dans fon tems , être comparé a celui de Callichore a Eleufis. Les femmes & les filles grecques, fans doute plus humaines que les francoifes du treiziéme §c du feiziéme fiecles, n'obligerent jamais par leurs rigueurs, les amans a fe jetter dans le puits. Auffi celui de Callichore n'étoit connu que par les danfes , les chants, & les fermens amoureux qui fe faifoient autour. Le Puits d'amour étoit un rendez-vous defiiné aux mêmes ufages : mais il étoit encore famcux par le défefpoir de deux amans qui s'y précipiterent. Voyez les Ejfais fur Faris , par M. de Saira-Foix. ( 3 ) Je livre ma maudite langue, &c. On lit dans le texte, oftraco Tenedio, tefta Tenedia; il permertoit qu'on lui coupat la langue avec un fragment de pot de Ténédos. On trouve dans dilférentes ifles de  ïSo Les Parasites, 1'Archipel une terre bolaire avec laquelle on fait de la poterie alfez fine pour que les fragmens en foient tranchans. Anciennement on en fabriquoit des couteaux; ceux de Samos font les plus connus. Les prêtres de Cybele s'en fervoient pour fe mettre en état de fervir la déelfe. Samia tejla, matris deum facerdotes , virilitatem amputant. (Pline, lib, 35, cap. 12.) Le poëte Lucile en fait auffi mention dans une de fes fatyres : « Un homme, dit-il, prend un couteau de terre de Samos, & fur le champ as il fe mutile tout-a-fait 33. Teftam Jumit homo famiam , Jïbipie illico ulo Pracidit caulem , tejlefque una amputat ambo. C'eft a cette cruelle opération que le rhéteur fait allufion dans cette Lettre.  .11 ii iiwiii«riT>Jirw«*«»^i^>OT»gM^ LETTRE XXXVIII. RlMOPYSTE a ThROSOCYDEME. J'Avois fair quelque connoilTafice avec" Corydon le laboureur. II prenoit plaifir a me toürner en ridicule: il réullilfoit d'autant mieux, qu'il fait pouflèr trcs-loin la plaifanterie attique, Sc qu'il a plus d'intelligence Sc de fineffe qu'il ne convient a un homme de la campagne. I.'ayant bien examiné un jour, je me fuis cru infpirépar Mercure, Sc avoir trouvé le moyen infaillible de me mettre au-delTus des foins Sc des peines qu'entraïne la vie que nous menons a la ville. J'ai cru faire merveilles en me retirant chez un honnête laboureur de mes amis, tranquille, bon ouvrier, dont l'aifance ne dépendoit. point de i'efprit de chicane ; qui comptoit pour rien les gains que 1'on peut faire en fufcitant d'injuftes querelles; qui n'attendoit enfin fa fubfif-  iSz Les Parasites, rance que du produit de la terre qu'il cultivoit. Ayant concu une idee ravi^ante du bonheur de cet état, je fis une liaifon plus intime avec Corydon; & un jour m'étant habillé en payfan, armé d'un hoyau, & couvert de la velte de peau de mouton, il n'y eut perfonne qui ne m'eut pris pour un pionier ; & je m'en allai avec lui. Tant que je me fuis fait un jeu de Ja befogne, ma fituation m'a paru , finon délicieufe , du moins très-fupportable : je me trouvois heureux de n'êtfe plus expofé aux avanies, aux coups, aux infultes piquantes des riches qui me recevoient a leurs tables. Mais 1'habitude de me voir m'ayant fait regarder comme un domeftique ordinaire; Corydon s'étant accoutumé a me commander le rravail; étant en conféquence obligé tantöt de lab.ourer, tantöt de porter les engrais dans les terres, ou de faire des folies pour provigner; le féjour de la campagne m'efi; devenu infupportable. J'ai  L E T T R E XXXVIII. 2§3 reconnu combien ma réfolution avoit été folie. J'ai regretté la ville , fon oifiveté, les bonnes tables, & même leurs inconvéniens. J'y fuis revenu, mais on ne s'y fou'venoit plus de moi: on ne m'a regardé que comme un montagnard groflïer & défagréable \ la fociété. J'ai trouvé toutes les portes des riches fermées pour moi; il ne m'eft refté que la faim & fes inquiétudes. Enfin, fans relfource, manquant même du néceffaire le plus abfolu, périffant d'inanition, je me fuis mis de fociété avec quelques voleurs du pays de Mégare, oui fe tiennent entre les rochers de Sciron (1), pour détrouffer les paflans. Ainfi j'ai trouvé le moyen de vivre fans être obligé au travail (2). Mais ce nouvel état fera-t-il long-tems ignoré? c'eft ce que je ne fais pas. Tout ce que je crains actuellemeiit, c'eft le changement; fi peu qu'il en arrivé, il tend, non a la confervation de la vie , mais a fa dtftruétion.  2s4 Les Parasites, no tes, (i) Les rockers de Sciron. Paufanias {liv. i, ch. 44) parle du chemin de Sciron , & dit qu'il eft ainfi appellé , paree que Sciron, dans le tems qu'il commandoit les troupes de Mégare , le fit applanir pour la commodité des gens de pied. Enfuite, par les ordres de l'empereur Adrien , il a été élargi, de forte qua préfent il y peut paffer deux chariots de front. A 1'endroit ou il forme une efpece de gorge ou de défilé, il eft bordé de grofles rochesdont 1'une nommée Moluris, eft fameufe, car on dit que ce fut fur cette roche qu'Ino monta pour fe précipiter dans la mer avec Mélicerte, le plus jeune de fes fils, après que le pere eut tué Léarque, qui étoit Fainé. Les roches des environs ne font pas moins odieufes, on les regarde encore comme fouillées, paree que Sciron , qui habitoit-la, exercoit fa cruauté envers les paflans, & les jettoit dans la mer. La montagne de Sciron eft encore connue fous le même nom ,• elle eft fituée entte Mégare &c Corinthe, fur le bord du golfe Saronique , appellé par  Lettre XXXV111. 28; les gens du pays, golfo d'Egina, ou d'Engia, bordée de rochers qui s'avancent dans la mer, qui , fuivant^Jacob Spon, Voyage a Corinthe, n'offrent qu'un chemin étroit &: difficile , a cinq ou fix milles de Mégare, au couchant, entre la mer & les rochers, que 1'on eft trois quarts-d'heure a pafler. Ils fervent encore de retraite aux voleurs & aux corfaires qui infeftent le chemin & les mers voifines ; aufll les Grecs modern es les appellent kakifcala, chemin dangereux & impraticable. (a) J'ai trouvé le moyen de vivre, &c. Cette lettre doit être confidérée comme 1'expreifion la plus vraie des fentimens des parafites, qui auroient préféré tout autre état au leur, s'ils eulfent pu vivre dans le défceuvrement; mais une parefle habituelle dans les uns , la gourmandife dans les autres , étoient capables de les déterminer aux partis les plus honteux, même au crime, pour trouver les moyens de fubfifter. « Tant 33 il eft vrai, dit Héfiode dans Stobée, Dif~ cours 28, » qu'un homme oifif & qui fe 33 repait de vaines efpérances, que la faim »> & le befoin tourmentent fe porte aux  i86 Les Parasites, » réfolutions les plus criminelles». Cette inclination n'eft pas éteinte parmi les Grecs modernes, & même dans quelques autres pays méridionaux de 1'Europe , oü 1'on voit encore la populace fe déterminer fans peine aux aclions les plus viles & les plus odieufes pour fe procurer les moyens de fubfifter dans 1'inertie oü ils femblent placer le bienêtre. Le parafite Snit par indiquer le fujet de fes craintes. Les loix de Solon fur le vol étoient très-févères; quiconque enlevoit ce qui ne lui appartenoit pas, étoit puni comme un méchant. Celles de Dracon Fétoient encore plus; la peine de mort étoit prononcée même contre ceux qui voloient les fumiers deftinés a 1'engrais des terres , ou les légumes dans les jardins , & les fruits de la terre dans la campagne; il regardoit toute efpece de vol comme un crime capital, qui étoit elfentiellement contraire k ia tranquillité & au bon ordre de la fociété.  lij LETTRE XXXIX. PüILAPORE a Ps ICOMAQUE. LExiphane, le poëte comique, m'ayant vu expofé a toutes les infultes que nous fommes obligés de fupporter des convives lorfqu'ils font ivres, m'a pris a part. II m'a d'abord dit qu'il ne concevoit pas comment je pouvois refter dans un état d'oü je n'avois(a attendre que des avanies. II m'a repréfenté qu'avec les talens naturels dont j'étois doué, je ferois bientót capable d'être recu dans la troupe des acteurs de la comédie, pour peu que je voululïè prendre de peine. Cette profeffion , a-t-il ajouté, vous proctirera de quoi vivre honnêtement & dans une forte d'indépendance. II a même voulu que je m'y difpofafte tout de fuite, afin qu'aux prochaines fêtes de Bacchus (i), je puhTe jouer le röle  288 Les Parasite», d'efclave dans la piece qu'il donnera au public. A mon age déja avancé, ayant en quelque facon dénaturé mes difpolitions & mon caracbere, il a eu peine a. tirer de moi quelque parti. Je n'ai plus cette fouplefTe d'efprits &c d'organes nécefiaire a plier le corps & même les fentimens ï toutes les fituations qu'exige la' comédie. II a du me trouver bien inepte & bien peu capable de répondre a fes efpérances. Mais voyant que je n'avois rien de mieux ni de plus utile a tenter , j'ai appris le röle qu'il m'a donné; je 1'ai répété •, je me fuis exercé; & me voila prêt a parofcre fur Ia fcène. Je compte fur tes applaudiffemens Sc fur ceux de nos amis, de maniere a ne pas craindre d'être hué & fifflé pai nos jeunes citoyens ; s'il m'arrive d'héfiter quelquefois, ou de faire quelqu'étourderie qui ne foit pas de mon róle, vos fuffrages réunis 1'emporteront fur les railleïies & les farcafmes que mon jeu encore imparfait pourroit m'attirex. NO TE,  Lettre XXXIX. zt9 N O T E. (i) Aun prochaines feces de Bacchus. II eft queftion ici des fêtes appellées liberalia, que 1'on célébroit en pleine campagne , 'environ vers le milieu de mars, au retour du printems. On les appelloit aufli dyonifiaques & agoniennes. Le terme de liberale* venoit de liber, libre , paree que Bacchus confidéré, i°. comme conquérant, avoit, fuivant une ancienne tradition, rendu la liberté a toutes les villes de la Béotie. a°. Comme dieu du vin, il met les efprits en liberté, & éloigne jufqu'a 1'idée des foucis. 30. Paree que, comme 1'affure Varron, cité par S. Auguftin ( Cite' de Dieu, liv. 3 ), les prêtres étoient libres de toutes fonélions pendant ces fêtes : c'étoient de vieilles femmes qui en faifoient les ceremonies & les facrifices. Voyez fur ces fêtes, Voffius, de Idololatrid, lib. 2, cap. 70. Tomé II. N  29© Lis Parasites, LETTRE XL. (Snochéron a Raphanocortas. Ojeux qui avoient mutilé les ftatues d'Hermès (i), ou profane les myfteres de, la déeffe d'Eleufis, n'avoient pas a redouter un jugement auffi févere que celui que j'attendois des pourfuites de 1'abomiuable Phanomaque, a la diferétion de laquelle je me trouvois livré. Ayant découvert que fon mari entretenoit cette jeune Ionienne, que nous avons vu s'annoncer au public par fon adreffel faire fauter des boules (2), & a tourner en rond des lampes allumées fans les éteindre ; elle a foupconné que j'avois été le courtier de cette intrigue. M'ayant fait faifir par fes efclaves, j'ai d'abord été mis aux fers •, le lendemain j'ai été conduit par fon ordre a fon pere , au terrible Cléanete, qui préfide aéluellement le tribunal, 5c  Lettre XL. 191 dont 1'avis regie celui de tout le refte des aréopagites. Mais quand les dieux s'intérefient a la confervation d'un homme, ils favent le tirer fain & fauf de 1'abime même (3) oü il a été précipité. Je dois être perfuadé qu'ils In'ont arraché de la gueule du chien a trois têtes, que 1'on dit prépofé a la garde des portes du tartare. Car a peine le vieillard auftere a-t-il eu propofé a fes collegues L'accufation iutentée contre moi, qu'il a été faifi d'une fievre violente qui 1'a emporté tout de fuite. Son cadavre eft étendu dans le veftibule de fa maifon, & fes domeftiques fe difpofent a en faire les funérailles. NO TES. (1) Ceux qui avoient mutile'. Alcibiade fut accufé d'avoir mutilé pendant une nuit toutes les ftatues d'Hermès ou de Mercure, que 1'on voyoit a 1'entrée des maifons & des temples a Athènes; ce qu'il ne pouvoit Nij  292 Les Parasïtes, avoir fait feul, mais avec unetroupe de jeunes débauchés quil avoit a fes ordres. C'eft avec eux qu'il ofa contrefaire les myfteres de Cérès & de Proferpine , repréfentant le hiérophante , ainfi que cela fe pratiquoit a Eleufis avec tant de religion & de fecret. On 1'en accufa , & dans ces circonftances il partit pour la guerre de Sicile. Ses enne-« mis profiterent de fon abfence , & fous prétexte de zele pour la religion, qui couvre, dit M. Rollin, fouvent les plus noirs attentats y tous fes prétendus complices furent arrêtés fans qu'on daignat les entendre. Alcibiade inftruit, échappa a la pourfuite de ceux qui avoient ordre de 1'arrêter. 11 fut condamné a mort par contumace , tous fes biens furent confifqués, & il fut enjoint aux prêtres des dieux & aux prétrelTes de4e maudire; c'eft-adire, qu'il fut folemnellement excommunié. La feule Théano eut le courage de s'oppofei a ce décret, & de dire qu'elle étoit prêtrefle pour bénir, & non pas pour maudire. (2) Son adrejfe d faire fauter des boules , &c. Ce premier exercice eft d'adrefle &• d'attention. On voit très-communément des bergers de Naples & de Sicile , couchés  L E T T R X XL. 2J fur le dos, jouer avec fix oranges, dont quatre font toujours en fair. Le fecond cortfifte a difpofer une certaine quantité de lampes alluniées fur deux batons qui fe croifent, ou autour d'un cerceau, & de les tourner en tout fens, fans que 1'huile s'en répande ou que les meches s'éteignent. Cet exercice eft très-ancien 5 il eft encore en ufage dans les Indes orientales, oü les coutumes font les mêmes de tems immémorial. Dans les fêtes publiques, on vcit des femmes y danfer, ayant fur leurs têtes un bafiin garni de petites lampes allumées. Pour réuffir au gré des fpeétateurs, elles doivent s'agiter avec beaucoup de vivacité, aller, venir, fauter, fe donner des mouvemens prompts & variés, reglés fur la cadence des inftrumens, fans répandre 1'huile des lampes, ni les éteindre. (1) De l'abime, &c. Barathron ou Origma, abïme fameux a Athènes, oü 1'on précipitoit les criminels par ordonnance des juges. II étoit litué derrière le Métroon, ou le temple de la mere des dieux, au pied de la roche efcarpée de la citadelle d'Athènes. Ce quartier étoit un lieu d'ignominie. U  Les Pabasites, &c. paroit que ce précipice ou gouffre étoit fait de main d homme j 1'ouverture en étoit ctroite, & le fond beaucoup plus Iarge , difpofé de facon que ceux qui y étoient jettés ne puffent s'en tirer. Fin du Tome fecond.  Deuxieme Suite du Catahgue de quelques Ouvrages relarifs a l'Hiftoire Ancienne, qui fe trouvent chz\ ie mime Libraire. Hiftoire A'Héroiote , traduite par M. Larcher, avec des remarques , & un EiTai de Chronologie d'Hérodote. Paris , 1785 , 7 vol. in-S. 6 lil. — La même, 7 vol. in-S.gr. pap. en feuilles. 72 1. — La même , 7 vol. in-&. papier i'Annonay, en feuilles. lS° »• — La même , 7 vol. zVz-4. papier vélin , en feuilles. Mo 1« Hiftoire Romaine , par Rollin & Cvev'iev. Paris , 17651 , 16 fcZ. in-12. 48 1. Hiftoire des Empereuis Romains , par Crevier. Paris, 1750, 6 vol. 271-4- 60 — La même. Parij , 1763 Ef /uiV. 12 yo/. in-12. 3^ Hiftoire du Bas-Empire, depuis Conftantin, par Al. le Beau., & conrinuée par M. Ameillon. Paris, 1757 É>JuiV. 22 wi> in-n. La fuite Jou* prej/è- 66 Abrégé de l'Hiftoire Romaine. Pari*, 1783 , f/I-12. 1 « Hiftoire des douze Céfars , traduite de Suétoney par M. Ophellot de la Paufe. Paris , 1771, 4 voZ. in-8. 20 1. République Romaine, ou Plan général & raifonné du Gouvernement Romain , par M. ie Beaufort. Amjlerdam, 1766, z vol. in-4. fig. 18 1. — La même. Paris, 1766 , 6 vol. in-ü. IS 1»  Miftorre des progrès & de la chüte de la RéW blique Romaine , par M. Fergufon , traduite de 1 Auglo.s, par M de Meunier , avec carteS. rans, 1784, 3 vol. in-it. 9 j. —- La même , pour completeer l'Hiftoire de M. Gitbon , 3 vol. in 8. iy' J, La fuite, traduite par M. Gibelinjouspreffe. Vie de 1'Empereur Julien , par de la Bletterie. Fans, i77< , in-iz. , ] Hiftoire de Théodofe , par Fléchier. Paris,' 1776, zn-ï». 11. 10 f. Hiftoire de 1'Empereur Jovien , par de la Bletterie. Paris, i776 , f/z-12. , 1. Commentaires fur les Inftitutions Militaires de ' Yégéce, par M. le Comte de Turpin. Paris, ,1783 , 2 vol.' in-4. , 14 j# Diftionnaire abrégé d'Antiquités ,* par M. Monchablon. Paris, 1773 > in-12'. 3 J. Recueil d'Antiquités Egyptiennes , Etrufques , Grecqnes , Romaines , Gauloifes , par le Comte de Caylus. Paris, 1752 & fuiv. 7 vol. M-q. Iég j Traftatus de Am'maiibus, Curribus & Plauftris^ a Boneto de Sambonetis. Avenione, 1750 2 vol. in-fol. 1Ai Difiertation fur les Métropoles Grecques , & leurs Colonies , par de Bougainville. Paris, > in-iz. br. rl. i0f. riiftoire des Conteftations fur la Diplomatique, avec 1'analyfe de cet Ouvrage , par D. Malillon. Naples, 1767 , in %.'~br. 2 1. Noiivelles Recherches fur la fcience des Médailles, Infcriptions & Hiérogliphes antiques , par M. Poinfinet de Sim, Makricht, 1778 , W-4. Ir. ' 6 im