VERZAMELING H. P. G. QUACK 1913 01 1763 6589 UB AMSTERDAM  THÉORIE DES LOIX C RIMIN EL LES. Par J.P. BaissoT de Warvizxe. O great dejign ! if executed.fr ell With patiënt care & Wisdom temper'd^eat. THOMSON'S, Winter. TOME PREMIER.   P RÉFAC E. La multiplicité des abus qui fouillent Ie code pénal de toutes les nations de 1'Europe, engagea, il y a quelques années, un ami de Phumanité a propofer un prix pour celui qui donneroit le moyen de les réformer. La Société économique de Berne fut choifie pour juge. Elle détailla dans un programme les vues fous lefquelles ce fujet important devoit être confidéré. Un des hommes qui a leplus éclairé fön liecle, qui s'eft le plus conftamment occupé du bien de 1'humanité, M. de Voltaire voulut concourir a 1'exécution d'un fi beau projet. II ajouta non-feulement une fomme a ce prix, mais même , qüoiqiie fur les bords de fa tombe, il compofa un ouvrage fur cette partie de la législation. Ses vices m'avoient depujs longtems frappé. Je les étudiai plus particuliérement alors, j'en cherchai Ie remede , guidé par les lumieres de ce grand homme. Jamais on n'avoit enTome L a  ij P R E F A C E. vifagé la législation pénale fons un afpeil philofophique, c'étoit cependant 1'unique voie pour réuffir; j'ofai donc appliquer la philofophie a la jurifprudence, & après avoir épuifé prefque tous les codes, obfervé toutes les conftitutions, je deffinai un plan de code pénal propre a tous les climats, & même a tous les gouvernemens. J'en avois défefpéré au premier coup-d'reil. Mon plan étoit fait, lorfque M. de Voltaire arriva dans cette capitale. Je lui en adreflai 1'introdudion; il étoit bien naturel de vouloir débuter fous les aufpices de 1'écrivain immortel qui pouvoit dire, comme Homere dans le cavalier Marini, Al mio corporeo vdo Fiï p atria in terra , il mio na tal fu in cielo Fit celefle l'ingegno el canto mio. II me répondit ainfi, Ie 13 avril 1778: " Celui a qui vous avez fait, mon„ fieur, 1'honneur d'écrire & d'envoyer un plan, elf bien loin d'être •» un grand homme; mais il cherche ■« a en former... Votre ouvrage fera i digne de la philofophie & de Ja légit  P R E F A C E. üj „ lation; il pourra contribuer au bon„ heur des hummes, s'il eft écrit avec „ I'énergie qui caradérife 1'exorde , 35 (S^c» (Sec* ^ Ce fuffrage étoit flatteur, il m'enconragea, j'envoyai mon plan a la Société de Berne. i J'a* appris depuis cette époque que, pour donner aux concurrens le tems néceflaire pour bien méditer leur fujet, elle a^oit différé la diftribution du prix jufqu'a cette année. Au moment ou j'écris, je ne lais quelle fera fa décifion. Je ne fais fi le fuccès couronnera mes travaux. Plufieurs raifons m'ont cependant déterminé a faire imprimer cette théorie (*) criminelle, même avant de favöïr le réfultat du concours. Le moment eft favorable; tous les yeux fe tournent fur la législation; les philofophes en (*) M. Linguet a publié une Theorie des loix ci. viles, quej'ai fouventeu occafion de citer. Cetouvrage eft entre les mains de tout le monde. II eft jugé, je n'en dirai rien. Je n'ai pu fuivre fa marche. Les regards de M. Linguet paroiflent s'êcre attachés a ['origine & a la raifon des loix civiles. II a peint la fociété a fon berceau , dans fes développemens. Marquer fes abus aduels, en préfenter le remede, voilaquela été mon doublé but. a ij  W P R E F A C*ï. marquent les abus(*), les princes cherchent les moyens de les détruire. Au milieu de cette fermentation générale, la Société économique de Berrie n'a pas été la feule qui ait fixé les regards fur cette matiere. CJne autre académie, qui s'occupe fpécialement des móyens de rendre les hommes heureux, 1'académie de Chalons - fur - Marne avoit propofé pour fujet d'un prix en 1780, de déterminer quels pourroient être en Frame les loix pénales les moins féveres, 6' cependant les plus efficaces (*) Sans parterici des ouvrages connus fur cette matiere, j'en vais citer quelques-uns qui ontparudepuis peu. Traite'du vol & de la peine, par M. Simoni. Dijfertation fur le fondement du droit de punir, par M. le comte Arco. A brief enquiry into the juftice & policy of long confineinent for debts. London , 1779. Traite de M, Sonnenfeis fur les loix penales. Le grand-duc de Tofcane, pour récompenfer cec auteur, vient de 1'appeller pour veiller a réducation de fon fils! Difcoursfur la rcforme des peines capitalcS, par M. Phlipon. Saggio fopra gli delitti e lepene per ilfgn. Pefca. tore. Turin, 1779. Von verbrechen und flrafev.. Leiplic , 1780. Réjlexiomfur la civilifation , par M. de Lacroix. Les journaliftes en ont fait beaucoup d'éloges. Je n'ert connois que le premier numéro.  P R E F A C E. V pour contenir & réprimer le crime par des chatimens prompts & exemplaires, en ménageant Vhonneur & la liberté des citoyens. L'occafion me parut belle, je la faifis, j'eflayai d'appliquer a laFrance en particulier le plan que j'avois tracé pour toutes les nations. Je réduilis a nne petite échelle ma grande carte du code pénal. Mon travail fut fuivi du fuccès. L'académie a daigné couronner mon memoire,dans fa féance du sf aoüt dernier. (* ) II devoit y avoir & 1'on trouvera des rapprochemens & des différences entre cette théorie & le mémoire couronné. L'un eft en effet, fi j'ofe m'exprimer ainfi , une mappemonde, 1'autre n'eft qu'un plan topographique. D'un autre cöté, il eft une partie de ces deux écrits entiérement femblable, elle devoit 1'être : c'eft celle qui roule fur les moyens de prévenir les crimes. Quant aux peines qui doivent leur être infligées, quoique celles que je {*) Ce mémoire paroftra fous pcu de tem». a iij  Vj P R E F A C E. propofe pour la France foient diclées par Fefprit de la législation univerfelle 5 cependant cette partie difFere dans ma théorie & dans mon mémoire. Cette différerice ne furprendra point, fi 1'on veut obferver que dans le code général je ne coniidere les loix que corame les géometres confiderent le point & la ligne, que comme les raathématiclens fe fervent des abftractións. Dans le code particulier, j'ai dü modifier l'efprit général des loix, le plier a nos moeurs, a notre pofition, foit phyfique, foit politique , a la religion dominante. Dans le premier cas j'ai dü m'élever avec force contre certains abus; jene nommois aucun état: dans le fecond, ces abus n'ont été que montrés; plus fortement frappés, on auroit malicieufement interprété mes tableaux 5 j'aurois ofténfé fans guérir. J'avouerai cependant que, même dans cette théorie , il eft une foule d'idées qui ne paroitront qu'effleurées. II auroit peut - être été dangereux de les préfenter dans tout leur jour; la matiere eft neuve, leur éclat auroit  P R E F A C E. vij imitilementfatigué les efprits qui doivent être accoutumés par degrés aux vérités pour les fentir, pour les adopter. Car vouloir renverfer a la fois tous les préjugés recus , c'eft manquer fon but, c'eitnuire a 1'établinement de la vérité. J'aurois pu, par exemple, faire un tableau plus étendu de la corruption des moeurs Européennes, des inconvéniens nombreux qu'elle entrame , comme les dilputes, les duels, les vices, les crimes, mille maladies phyfiques & morales, la dégradation complete de 1'efpece humaine. Mais quel fruit en anroit-on tiré ? Séneque dit avec raifon: Definit ejje remedio locus ubi quce fuerant vitia, mores funt. Epift. 39. J'aurois pu m'étendre fur les caufes de la fréquence de 1'adultere, crime abfolument inextirpable a préfent, les trouver, les faire voir, dans 1'excemve autorité des peres qui forgent eux-mêmes a leurs enfms les chaines pefantes du mariage, dans les loix qui lient les mains des enfans jufqu'après la plus belle faifon de la vie, dans le peu d'accord de 1'impulfion de la nature & des a iv  VÜj P R E F A C E inftitutions civiles, dans le vif motif qui préfide a toutes les unions, dans la fu reur générale pour le luxe, pour la diffipation, dans la trop grande liberté accordée aux femmes , dont les droits d'un autre cöté font évidemment léfés , dans le nombre immenfe de célibataires de tous états, occupés a rompre les nosuds de i'union conjugale , enfin dans 1'indiflolution du mariage. J'aurois pu contre ces défordres propofer de faire revivre la fameufe loi Papéienne. Mais on la refiiifciteroit, que les adulteres n'en feroient pas moins fréquens ; la fource du mal eft dans les moeurs, & ni les peines ni les déelamatioös ne 1'arrêteront. J'aurois pu m'étendre plus que je ne l'ai fait fur le crime du defpotifine, ce crime dont jamais les jurifcónfultes n'ont parlé. Mais cui bono ? Les bons princes n'ont pas befoin de ces tableaux, les tyrans ne s'y reconnoiffent pas. J'aurois pu mettre au rang des cri, mespublics un grand nombre d'actions autorifées par les loix, j'aurois pu tirer au contraire de cette claffe d'autres ac-  P R E F A C E. ix tions que 1'opinion publique y confond imprndemrnent. Aihfi j'aurois pu prouver, contre 1'avis des écrivains routiniers , que tout être a droit de renoncer au pafte fo.cial du lieu qui 1'a vu naitre, quand il n'y trouve pas les avantages qu'il a droit d'en attendre. J'aurois pu, en m'étendant fur i'infame trafic des negres, peindre la cupidité Européenne achetant des peres barbares le droit de martyrifer leurs enfans pour le plaifir des voluptueux Européens. Peut-être aurois-je fait verfer des larmes aux bourreaux même qui s'enrichiflènt de ce trafic. Mais comme tout le monde profite de ce crime, les philofophes crieront long-tems en vain , il fubfiftera toujours. J'aurois pu , dans 1'article de Ia contrebande, dévoiler les incon vemen s qui réfultent de j'ufage d'aflujettir la claflè d'hommes la plus nombreufe au defpotifme illimité de la finance, d'en faire un corps particulier , de lui donner un code particulier, que perfonne n'entend, hors fes fuppöts. J'aurois pu réduire a une feule ligne mon article fur les corvées, conleiller de les abolir... Mais encore une  X P R E F A C E. fois, ces détails auroient été peut-être précoces pour le fiecle, au moins ils m'auroient qonduit trop loin ; j'ai mieux aimé m'appefantir fur les principes généraux de la législation, d'oü ils découlent. ( * ) On ne fent pas encore affez la vérité de ceux qui doivent fervir de bafe au code pénal, c'eft-a-dire, la fimplification des loix & la douceur des peines. ( **) Vous trouverez une foule de gens qui, même en s'amchant pour partifims de 1'humanité, fe récrient fur la vérité des tableaux qu'on leur préfente, traitent de chimère la poffibilité d'une réforme, & concluent qu'il vaut mieux croupir dans la fange de nos barbares coutumes que de hafarder une innovation falutaire. Je paroitrai fans doute bien hardi a ( *) Je dois prévenir dès a préfent, que mon deflein eft de publier une Hiftoire univerfeüe de la législation criminelle, a laquelle je travaile & ou 1'on trouvera le développement de beaucoup de chofes que je n'ai pu qu'indiquer dans ce traité. (**) Plufieurs écrivains les ont combattus. Lifez les différentes réfutations du Traite des de'lits & des peines. Dans un nouveau code publié pour une nation voifine, on s'eft même viliblement écarté de ces principes.  P R E F A C E. Xj ces êtres pufillanimes. Maisce que j'ai dit, tous les bons écrivains ne l'ontils pas penfé conime moi ? Ne fe fontils pas exprimés fur leurs abfurdités même avec prus d'énergie? Lifez , pour en être convaincus, Montefquieu, Helvetius 3 Linguet, Blackjlone , Beccaria 3 &c. &c. " On regarde communément, dit „ 1'auteur de la Morde univerfelle, t. II, M feci 4,c. 5,laréforme des loix com„ me une entreprife fi dimcile qu'elle » furpalfe les forces de 1'efprit humain. „ Cette difficulté ne vient point de la „ nature des chofes, mais des préjuM gés des hommes Le prince qui par la vertu s'attirera la confiance 3i de fes fujets, fubftituera, quand il le „ voudra, des loix juftes & claires a ces „ loix obfcures & li fouvent déraifon„ nables, pour lefquelles les nations „ ont un attachement machinal; & 33 cette époque arrivera quand les rois „ feront des fages. „ Ne doit-on pas croire que cette époque eft arriyée, quand on voit cette réforme s'exécuter dans plufieurs grands états de 1'Europe; quand on voit un  Xl') P R E F A C E. jeunefouverain, occupé du bonheur de les iujets, chercher a améliorer Je fort de ceux qui Janguiiïent dans les prilons, banmr de fes tribunaux I'affreufe torture; (*) qumd on- voit les monarques qui gouvernent la Prufle, la Rufile, Ia Suede, la Tofcane, opérer cette revolution dans tout le corps des loix, remplacer les anciennes par d'autres puifées dans la nature des circonftances adfuelles, fubftituer aux volummeufes compilations des ordonnances limples &en petit nombre, paree que, ditTacite, inpejjima repubticaplurimaz leges ; quand on les voit abjurer la methode tantprónée par Hobbes (**) r) II eft a efpérer que Ia fuppreffion de Ia queftion , taite en France , s'etendra a toute efpece de torture , menie a celle qui fe donne au coupable condamné, afin öe decouvrir fes complices ou d'autres crimes. Car, ciit ] .mperatrice de Ruffie, dans fon admirable code, celui qui s'accufe lui-même, accufera les autres » encore plus facilement, & il eft injufte de tourmen. " %i homme Pour les crimes d'un autre. „ ( ) Tout gouvernement, difoit Hobbes, eft en luimeme un mal; il ne fubfifte qu'en infpirant continuellement la terreur, que par la guerre. Hobbes en parlant de fon principe de guerre eternelle,haifloic tous les auteurs, & leurs écrits, & leurs perfonnes. Milord Devonshire, difoit-il a Saint-Evremond, a plus de dix mille volumes dans fa maifon, &  P R E F A C E. Xïij de conduire les citoyens par la terreur & la févérité des peines, s'attacher plus a prévenir les crimes qu'a les punir, & plus a punir utilement qu'a martyrifer les coupables ? A qui doit-on eet heureux commencement de réforme ? A la connoiflance perfeftionnée de la morale politique, cette fcience fublime, fans laquelle il n'eft point de vrai philofophe, point de legislateur éclairé, point de magiftrat équitable. C'eft elle qui leur apprendra que Ihomme eft conduit par un mobile bien fimple, par 1'amour de fon bonneur ; qu'il lui faut peu pour être heureux. C'eft elle qui leur apprendra qu'011 eft bon citoyen ou fcélérat par la vué du même intérêt; que le coupable eft un malade ou un ignorant; qu'il faut le guérir,l'éclairer, & ne pasl'étoutfer; que la cruauté des peines ne tend qu'a multiplier les crimes. je l'ai priéi de me loger le plus loin poffible de et cndro.t pdtilentiel. Jen'ai qu'un livre ^4 Eudide & Hcommence a m'ennuyer:jeerois qu'il afait plus  xiv P R E F A C E. C'eft fur - tout en conteraplant le trifte fort du peuple dans tous les coins de 1'univers, en voyant que par-tout la balance eft contre lui ( * ), que nous avons fuppriméla rigueur des peines. Nous avons été guidés dans cette fuppreffion par un excellent modele, par la législation angloife. Quelle autre a fu mieux concilier 1'intérêt de la fociété avec les droits de chaque citoyen ? La tout citoyen ac- ( ) II eft très-vrai de dire que le fardeau focial tombe enticrement fur le pauvre. Quelque proportion qu'on garde , il eft toujours léfc,il paie plus d'impóts que le riche. Si les loix fontféveres, c'eft contre lui feul, paree qu'il n'a pas le moven d'etouffer leur voix. S'il eft quelque darger, c'eft lui qu'on y précipite. Y a-t-ilun incendie? on le force a prêter fon fecours, ón le relance dans fa maifon, on 1'en arrache, on 1'affomme pour le faire travailler, tandis qu'on laiffe un oifif bien vétu, tranquille fpectateur des ravages que fait Pincendie. La patrie eft-elle en danger ? on ordonne des milices; Ie riche s'en fait exempter , & ls pauvre eft forcé de livrer a la mifere fa familie qüi ne vit que par lui, pour aller au loin fe battre contre des gens qu'il ne connoit pas, qui ne Pont jamais offenfé. A-t-il un petit héritage qui fuffife a peine a fa fubfiftance ? des milliers d'animaux viennent dévorer fa récolte fous fes yeux, & il lui eft defendu, de par monfeigneur, d'en tuer aucun: s'iltire, en prifon ou aux galeres. Une révolution fait-elle hauffer les denrées? ilpaie 1'augmentation, & le riche ne paie pas uue augmentation de falaires, &c. &c.  P R E F A C E. XV cufé puit de la liberté en donnant caution. La on ne confond point dans un noir tartare 1'homme fimplement foupconné avec le fcélérat convaincu. La les captifs ne fouffrent point mille morts dans Pattente d'une feule. La ' l'inftruétion eft douce, les peines font douces; mais la loi eft inflexible, mais elle évite les longueurs des procés ft terribles ailleurs. Admirable conftitution que tant d'écrivains modernes décrient, les uns paree qu'ils ne la connoilfent pas , les autres paree que leur bouche accoutumée a mordre le frein de 1'efclavage ne fait plus qu'aboyer apres les partifans de la liberté. Ces derniers ne me pardonneront pas d'avoir tant exalté la Iégislation angloife, de 1'avoir propofée pour modele. Ils pourront encore groffir leur parti de ces favans ennemis de toute efpece d'innovation , paree qu'elle les reduiroit a Ia nullité, en détruifant les préjugés dont ils ont approfondi les détails. Tous s'éleveront peut-être contre la nouveauté de mes principes, jeteront peut - être des foup?ons fur mes intentions.  XVJ* P R E F A 0 E. Je leur répondrai comme un magiftrat connu par plufieurs bons traités. Yoyez De V' adminiflration provinciale & de la réforme de Vimpót, Ï779 , Bale , p. 61 $i" je ne puis trop protefter que „ je n'ai entrepris eet ouvrage par au„ cun defir de blatner ce qui exifte; M mais par le zele le plus pur & le plus „ défmtérelïë pour le roi & pour ma „ patrie, &c. Un philofophe qui comM bine un plan dans fon cabinet, cher- che le mieux pomble. L'adminiftra„ teur voit ce qu'il eft poifible de faire, „ il eft fouvent arrêté par des obfta„ c'cs que le philolophe n*a pas pré„ vus.,, ïl en eft certainement beaucoup que je n'ai pu prévoir dans ce plan. II eft polTible en conféquence qu'il ne foit pas tout-d'un-coup exécuté , qu'il ne le foit même jamais. Mais il produira toujours un bien, il ouvrira les yeux des lecteurs fur une foule d'abus qui fe rencontrent dans notre jurifprudence criminelle, abus que le voile de la preC cription rendoit facrés; il accoutumera les efprits a méditer fur ces abus, a chercher ce qu'on poufroit leur fubf- tituer 5  ■T R E F A C E. xvij tituer, k interroger, pour y réuffir, lordre de la nature. & 1'état des choles. On n'imagine pas combien de iruits peuvent produire un jour quelqueslégeres femencesde vérités jetées au hafard. Peut-être la génération qui acheve de s'écouler ne me croira pas ne me lira pas; mais celle qui s'éleve dans le filence, qui doit la rempfacer mais la jeuneflè, cette portion pré! cieufe de 1'humanité, la feule impartiale paree qu'elle eft, dit Helvetius, Ia ieule fans intérêt a contefter les vé rités, paree qu'elle les faiflt fans préyention, pourra adopter quelques-unes de mes idéés , les réalifer un jour. J'ai eent avec un efprit limple & déhntérelle, elle me lira de même, & mes travaux feront payés. / Que dis-je, payés! Cette récompenfe dedommage-t-elle des peines qu'on eprouve en voulant faire Je bien ? Et pour n'en citer qu'une feule particuliere a la carrière des lettres, un écrivam dans ce fiecle, en proie a mille partis,ne marche-t-il pas entouré de pé nis ? S'il prend un parfci, il eft déchiré Tome I. ]y  Xviij P R E ï A C E. par la fa&ion contraire ; n'en embraffet-il aucun ? il eft attaqué par tous. Cependant , quoique le danger de la neutralité paroiffe doublé, je la fuivrai exactement. Voué a 1'étude de la philofophie & de la jurifprudence légiflative, je cherche mon bonheur dans fruie, la vérité dans 1'autre; & pour réuffir dans cette recherche, j'emprunte indifféremment les lumieres de tous les partis.  XlJ£ PLAN De l ' O u r x. a g . TOMEPREM ER. Introduction. page t CHAPITRE PREMIER. Moyensde prêvenir les crimes. 2 7 DlVISÉ en six Sections, Bonté du gouvernement. Amèlïoration des moeurs. Rejorme de l'éducation publique. Protection accordée aux fciences„ Extirper la mendicité. Police, maréchaujjèe. Etablijj'emens publics. CHAP. II. Tableau correfpondant des crimes & des peines. ^ Divisé en trois Sections. 1°. Principes généraux fur les crimes. 2°. Sur les peines. 3'0. Tableau des crimes publics & particuliers, divije en fix tableaux ou paragraphes , des crimes moraux , cfétat, religieux , contre U furete, la pwpriété, Chonneur des particuliers.  Plan de i'ouvrage," TOME SECOND. CHAP. III. Des preuves judiciaires. Page £5 On en examine cinq. ConfeJJion de l'accufe. Preuve ttflimoniale. Preuve laterale. Preuve par experts. Indices, préfomptions. CHAP. IV. De la procédure criminelle. 16% Divisé en trois Sections. Conjlater le crime. Le crimind. Juger. CHAP. V. Des trïbunaux criminels. 215 On y examine les abus de ceux qui exiftent, & la meilleure maniere de les limplirier & de les epurer. Resumé de l'Ouvrage ou conclusion. THÉORIE  THÉORIE des LOIX CRIMINELLES. INTRODUCTIO N. EnchainerIh force & la violence par des hens pacifiques, affervir toutes les volontés fans attenter a la libèrtë, fubordonner 1'intérét perfonnel de chaque individu a 1'intérét général les combiner avec tant d'art qu'ils ne fe nuifent pomt par un choc dangereux, diri^er fans effort vers le bien public les paffions humaines, tel eft le but & 1'effet des loix civiles; & fous cet afpecl nen n'eft plus fublime que leur invention , rie„ n eft plus admirable que le fpeftacle de la machine politique dont elles font le reffort. Mais quand on voit cette théorie fublime dégradée par une pratique barbare, quand on voit 2a juftice s'arnier aveuglément d'une rigueur danTome I.  C * ] gereufe contre les défordres qui nainent du défaut même de 1'organifation fociale , étre cruelle dans la punition des atteintes portées aux loix civiles paree qu'elle eft impuiflante pour les prévenir, expier le fang par le fang , réparer des pertes par des pertes, hérifler 1'enceinte de la fociété de potences & d'échafauds pour protéger fa füreté, fon bonheur, n'eft-on pas tenté de gémir fur les avantages tant exaltés du contrat focial, puifque la confervation de quelques membres n'y eft que le fruit de la deftruc"rion des autres , &. que la vie n'y fubfifte que par la mort ? II femble que la fociété foit ici 1'image de la nature , dont le tableau préfente a 1'oeil un contrafte frappant des beautés les plus fublimes &C des ombres les plus affreufes. En effet, combien ne fera-t-on pas révolté fi 1'on parcourt les tables de fang dreflees par-tout contre les coupables, les inftitutions gothiquesromaines des Européens qui fe difent civilifés, la procédure expéditive du defpotifme , les loix étranges de ces Afiatiques qui fe vantent d'avoir peuplé 1'univers & de 1'avoir inftruit ? Hordes barbares ou nations civilifées, monarchies , républiques, gouvernemens mixtes, tous orTrenf dans leur législation pénale un grouppe d'abus plus ou moins confidérable. Dans tous les codes,  U] depuis celui des Gentoux qui écrafent fous la peine & 1'opprobre le Souder avili pour les plaifirs du Bromt importeur, jufqu'a ce code romain , trop proné fans doute , qui arma imprudemment le defpotifme paternel d'un glaive aigu contre la liberté & la vie des enfans : dans tous, les loix paroiffent être une confpiration du plus fort contre le plus foible, du riche contre le pauvre, de 1'autorité contre 1'humanité : dans tous, la fociété par une inconféquence ridicule févit contre les crimes moraux, lorfque fes moeurs font dégradées; contre le vol, lorfqu'eile eft dévorée par la mifere : dans tous , comme le difoit un orateur philofophe (i) , lom d'être une émanation de la nature, le cocle pénal en eft exaflement le revers. On y rencontre en effet mille contracliftions entre les principes de la nature & les inftitutions civiles , entre les mceurs & les loix, entre ies loix & les circonftances. D'oü proviennent ces ( i) Lex efi ratio Jumma infita in natura qiüg jubet ea qua facknda funt, prolübctquc contraria Cicer. de kgibus. J'avois lu eet ouvrage dans 1'elpoir d'ytrouverd'excellens principes propresaêtreadantés a la matiere que je traite. Mais ce n'cft qu'une diflertation relative aux loix romaines. Le fecond live roule fur ies^ loix religieufes. Ciceron y prouve tju'on doit croire a la divination, aux augures, ce qui eft trèsphilofophique. A ij  C4] contradiöions ? Elles font 1'ouvrage, & du hafard qui a préfidé a la plupart des législations, 8t des législateurs dont le génie ( 2 ) reflerré ne pouvant embrafler 1'enfemble du grand ouvrage qu'ils faifoient, s'égara dans un labyrinthe de détails inutiles , & des circonftances qu'ils ne furent maïtrifer , enfin des commentateurs qui n'ont par leur érudition indigefte qu'augmenté les ténebres 6k 1'incertitude des loix. L'ignorance & la férocité different leurs premières loix aux fauvages de 1'Europe. Ils nous les ont tranfmifes; & quoique nos mceurs les aient adoucies , nous avons laifle fubfifter le gothique éciince de leurs coutumes barbares. Nous leur avons amalgamé d'autres loix puifées dans des codes étrangers , faites spour d'autres fiecles , (2) La plupart des législateurs ont été des hommes bornés que le hafard a mis a la tête des autres , & qui n'ont prefque confulté que leurs préjugés & leurs fantaifies. II femble qu'ils aient méconnu la grandeur & la dignité méme de leur ouvrage ; ils fe font amufés a faire des inlUtutions puériles, avec Icfquelles ils fe font, a la vérité, conformés aux petits efprits, mais décrédités auprès des gens de bon fens; ils fe font jetés dans des détails inutiles, ils ont donnc dans les cas particuliers ce qui marqué un génie étroit qui ne voit les chofes que par partie & n'embrafie rien d'une vue générale : quelques-uns ont affecté de fe fervir d'une autre langtte que la vulgaire, chofe abfurde pour un faifeur de loix. Comment peut-on les obferver, fi elles ne font pas connues? Lett. perfanes, lett. 76.  C 5 ] d'autres climats , d'autres gouvernemens ; & de eet alliage eft réMté un compofé monftrueux oü regnent les inconféquences, les ridicules , les atrocités. C'étoit 1'efprit de chaque nation qu'il Mm confulter pour former les loix, & 1'on confultoit le génie d'une nation étrangere. Chaque révolution qui changeoit la face d'une contrée, amenoit une révojution dans les loix crimmelles: ainfi elles devinrent tour-a-tour militaires fous un roi guerrier, fifcales fous un roi diflipateur , arbitraires fous un defpote, douces a 1'ombre de la liberté républicaine. Au milieu de ces variations Ie tableau des crimes n'étoit point fixé, le caprice diétoit les condamnations , la procédure étoit monftrueufe. On attachoit 1'infaillibilité a des preuves bizarres , on parvint même a mettre fur Ie compte de la divinité des atrocités qui fauvoient le coupable heureux, en faifant périr 1'innocent mal-adroit. Cette confufion qui régnoit dans nos loix criminelles , augmenta bien davantage lorfqu'elles furent infeclées des décifions prétendues religieulés , fabriquées par un importeur, ( 3 ) fous le ( J ) Cette impofture a été cvidemment démontrée par plufieurs auteurs. Cependant 1'Europe en a été dupe pendant plufieurs fiecles, quoique le célebre Hincmar eut reclame même a fon origine. A  [«] nom d'Ifidor. Le droit canonique abforba tout. Nos tribunaux de militaires fe métamorphoferent en religieux. Le glaive myftérieux de 1'inquiütion & des officiaux fuccéda aux combats, aux épreuves. Ce tunefte abus avilit 1'Europe pendant plufieurs fiecles ; mais enfin on fe laffa de porter le joug théocratique. A mefure que la raifon fe répandit, les nations connurent leurs intéréts; les vrais magiftrats reprirent leurs droits trop long-tems ufurpés , on refireignit les limites de la puiflance fpirituelle; & ce qu'il y a d'étonnant, le nord éclaira le midi; en un mot, on détruifit une infinité d*abus. C'étoit le premier pas vers le bien, mais il n'étoit réfervé qu'au fiecle philofophique d'achever eet ouvrage ébauché. Les fiecles pafles ont pu, dans leurs ténebres , entrevoir quelques é tincelles de la vérité; mais il n'appartenoit qu'au fiecle qui a créé la politique, de faifir 1'efprit de la bonne législation crimine'le (4). ( 4 ) Tout femble en effet annoncer une révolution-> prochaine dans la législation criminelle de 1'Europe entiere. On alTure que le roi d'Efpagne a donné des ordres pour la oonfection d'un code. M. de Campomanes eft , dit-on, chargé de drefTer des loix. Un avocat Américain a 'es détails de la rédaétion. Ce feroit un grand bien qu'une législation claire, courte & uniforme ; & il feroit plaifant que ce fut le Mancanarez qui en donnac le premier exemple a 1'Europe, & même au monde.  Ê?3 Les vérités fe tiennent dans la poütique comme dans la phyfique. Si la célebre loi de Kepier a fait découvrir le vraifemblable fyftême de 1'attraction, Bodin devoit annoncer Montefquieu, ce dernier préparer la naiflance du Traité philofophique des délits & des peines , & ce traité qui a démafqué les inconféquences de nos loix devoit faire éclorre le projet d'un bon code criminel. C'eft ainfi que mon tant de degrés en degrés, de 1'erreur on s'éleve a 1'évidence, des vraifemblances a la réalité. Un Grec remercioit les dieux de 1'avoir fait naitre grec ck non barbare; & moi je remercie le Voyez les Annales de Linguet, n°. 21. Par la fedion 38 du code de Penfylvanie, il eft porté que les loix pénales feront reformées Ie plus tót poffible qu'on tachera de les rendre moins fanguinaires dans' de certains cas, & mieux proportionnées a la nature des crimes. Le grand-duc de Tofcane a par plufieurs édits firnplihe la procedure criminelle de fes états, réuni toutes les jurifdictions criminelies au grand tribunal de Florence. Voyez YIndication fommaire des regiemens du grand-duc de Tofcane, imprimée a Bruxclles en 1770 On s occupe en Pologne de la confection d'un nouveau code de loix. La rédadtion en eft confiée a M Zamoiski & au grand-chancelier de la couronne. Le pre, mier volume a déja paru. Une des propofitions faites par le dcfpoce humain de la Suede dans la diete de novembre 1778 , eft de corriger le code criminel, de moderer la rigueur de certaines loix j ainfi que les peines qu'elles inrligent, A iv  C 8 ] del de m'avoir fait naïtre dans un tems oü la raifon peut impunément éclairer 1'univers, oü 1'humanité fait entendre fa voix a tous les cceurs , oü la faine politique fe combinant avec la morale, cherche a perfeftionner toutes les branches de la législation ; je le remercie d'avoir infpiré a des hommes vertueux & fenfibles le projet de rendre heureux tous les peuples, en purgeant leurs loix eriminelles des abus qui les infedent. C'eft a toi, fublime Voltaire , toi qui foufflant fur ton fiecle le feu de ton génie, Tas créé , 1'as vivifié ; c'eft a toi que 1'univers doit le jour pur qui 1'éclaire ! A ta voix la vérité a repris fon flambeau , la raifon fon eflbr , 1'eflaim nombreux des préjugés a difparu, le fanatifme fanguinaire a caché fa tête en lancant fon poifon contre toi. Ami 1'humanité , pere des malheureux , tu déployas ta male éloquence , tu prodiguas tes tréfors pour foulager leurs maux & pour extirper ces atrocités raifonnées qui fouillent nos tribunaux criminels ; fi 1'admiration t'a érigé des ftatues , la reconnoiffance t'a drefle des autels dans tous les cceurs. Chéri pendant ta vie, regretté après ta mort, admiré par-tout & dans tous les tems , tu fus moins qu'un dieu fans doute, mais tu fus plus qu'un homme. Pour exécuter Pimmenfe projet de réforme,  f9] imaginé par ce grand homme, il ne fuffit pas d'être jurifconfulte , il ne fuffit pas cravoir pali longterm fur le Digefte , il faut encore avoir le vafte coup-d'ceil du philofophe (5) , le calcul du politique obfervateur, la plume d'un éloquent orateur, & fur-tout le foyer brülant d'un ami de 1'humanité. Montefquku , Locke, Beccana(6) , ( ï) Solonis, Licurgi, Zaleuci leges laudantur. Hi non mforo, nee in confultorum atrio, fedin Pithagora taato fan&oque fecejju didiccmnt jura au* florenu tunc&cili* &per Italiam Grtciaponermt. r -i . „ Ep(ft- 9o de Séneque. tomme ,1 pourroit fembler étrange a certains efprits, &TrCOu Ulte^lutÓt^nsle cours de^et ouvragè tesphilofophes qui ont écrit fur la morale que les junfconfukes a ce paflage de Séneque qui me juftifie, .1ajouterai 1 autorité d'un magiftrat même quia donné dit M. Letrofne puifer & les élémens & les détails d une nouvelle legislation dans une étude approfondie de la morale, &c. Voyez les Réflexions fur la juftice cnminelle. Voyez encore leDifcoursde M. Servant futia jultice cnminelle. (£) L'auteur de ce traité a parfaitement réufli, fi ion but a ete d exciter dans les ames fenfibles ce doux Jrnuffementpar lequel elles réponlnidia vat de L tiumamte. Son ouvrage renferme des vérités lumi neufes, & tous les pbilofophes ont applaudi i la réforme heureufe qu il propofe pour ce code que 1'Europe foit toujours; s, eft permis cependant de le dire, on eót defire plus d ordre dans le plan de eet ouvrage, plu, de clarte dans certains chapitres, plus de hardielTe dans d'autres. II femble que l'auteur, en sWIoppant du calcul algebrique, ait voulu fe dérob* a Ia perfé cution de fes trop clair-voyans ennemis, & ne parler  [ IO ] & toi qui as peint avec tant d'énergie nos variations , nos erreurs, éloquent Linguet, c'eft a vous feuls qu'il appartient peut - étre de tracer le tableau des crimes , de diftribuer fagement les peines, de former par une gradation bien fuivie des délits & des cbitimens, une doublé chaïne , dont toutes les parties fe correfpondent exa&ement; d eclajrcir les nuages qui couvrent le chaos des preuves & des préfomptions Jeune adepte dans la philofophie, je n'ai pour moi que 1'amour de mes femblables & Thorreur des préjugés. Mais pour entrer dans cette carrière , faut-il donc d'autres armes ? Eft-on trop jeune , quaid il qu'a des fages. Je fais qu'on a difputé au marquis de Beccaria 1'honneur de eet ouvrage. Je ne jugerai point ce proces délicat; mais de quelque plume que vienne le Traité des délits & des peines , il mérite 1'attention des législateurs , & le fuffrage des amis de 1'humanité. On fera peut-être furpris de me voir mettre fur la nièrae ligne, & l'auteur de ce traité, & le célebre an. naüfte qui en a fait la critique. Mais c'eft une fuite de rimpartialité dont je fais profelTion. J'ai trouvé d'excellentes vues dans le premier; les différens ouvrages de 1'autre offrent une Foule de réflexions judicieufes, développées avec énergie, fur les abus de nos loix pénales. J'ai profité des découvertes du premier; le flambeau du fecond m'a conftamment éclairé. En leur rendant ce doublé hommage, pourrois-je bleflér leur déUcatèfle ou offenfer leurs partifans ? C'eft au vrai talent que j'ofFre eet encens, & le talent a mes yeux n'a point de cou|eur de parti. Malheur a celui qui blamera nn franchife ! II n'eft pas digne de fon fiecle.  i»] s'agitde défendre les droits de 1'humanité outragée? Timide écrivain qui doutes de tes talens, defcends dans ces horribles cachots oü Pinnocence 'eft confondue avec le crime, oü Pon fait 1'eflai de tous les fupplices avant le dernier; vois ce malheureux qu'on mutile avant de Pavoir convaincu , pour arracher de luil'aveu d'un crime que peut-être il n'a pas commis; entends fes cris, vois fes douleurs : ils t echauffèront 1'ame; des traits de feu jailhront de ta plume, frapperont fes bourreaux.... Animé par le fpe&acle de 1'humanité fouffrante, j'ofe donc entrer en lice. J'ofe tracer le plan d'un code criminel qui puifle être utile a toutes les nations. Pour atteindre ce but, c'eft la raifon feule qu'il faut écouter ; c'eft elle feule qui doit fixer invariablement la nature des crimes, les clafier exa&ement, donner le fceau de la certitude aux preuves qui les conftatent; c'eft 1'humanité feule combinée fagement avec la füreté du citoyen, qui doit compofer Péchelle des peines. Ecartons d'ici tous les préjugés civils ou religieux répandus dans tous les codes (7). Si nous y fouillons, que ( 7 ) Je m'abftiendrai de citer exadtement les loix de tous les peuples. Ce n'eft point ici une compilation de tous les codes criminels, ni une réfutation de toutes leserreurs. J'en rernplirois des in-folio. Onpeut être fur que j'ai parcouru a peu prés tout ce qui a paru fur cette mattere. Choifir le bon, mettre a 1'écart les  [ 12 ] norre choix ne tombe que fur le petit nombre de vérités qui y font difleminées ; abjurant tout efpnt de parti, tout préjugé national, tout intérêt de feóle, foyons cofmopolites dans nos décifions. Le philofophe fe déshonore quand il n'a qu'une raifon locale. N'écoutant donc que la voix de la nature, que le langage de la raifon, je rejeterai avec la méme impartialité la procédure myftérieufe des Francois, les preuves trop faciles ck conféquemment dangereufes des Anglois, les fupplices cruellement raffinés du defpotifme; & fur - tout je me garderai bien de puifer dans ce code fabriqué a. Conftantinople , que fes contradi&ions innombrables & 1'hiftoire fcandaleufe de la réda&ion auroient du faire rejeter , fi cette plante exotique n'avoit pas été tranfplantée dans le fiecle de Pignorance , & fi Pécoulement des tems ne Pavoit pas naturalifée en France ( 8 . ) loix inutiles ou mauvaifes, tel a été mon but. Si quid novifli reclius iftis, Candidus imperti}fi non , his utere mecum, ( 8 ) Quoique la plupart des hiftoriens qui nous ont tranfmis la yie de Juftinien, en aient parlé diverfement, comme Suidas, Procope, Agathias, cependant tous conviennent a pen prés que ce prince défola cruellement la Paleftine, qu'il perfécuta les Samaritains fans faire un profélite, qu'il compila fort mal les loix anciennes , qu'il partagea fon tróne avec une femme proftituee, qu'il ne fe trouva jamais a une action de guerre , qu'il fe mêla indécemment dans ces factions de Bleus  [ i3 ] Conformément aux vues de la Société économique de Berne , nous envifageons eet important fujet fous trois afpefts. & de Verds qui du théatre & du cirque avoient pafte a la ville & a la cour. Ce fut cependant ce prince qui fe donna le titre de triomphateur toujours augufte, titre qu'il daignoit a peine partager avec Narfés & Bélifaire: ce fut lui qui entreprit la réforme de ces loix qui, fuivant Ennapius, formoient la charge d'un grand nombre de chameaux. Tribonien, homme très-avare, fuivant les hiftoriens ci-deffus nommés, fut chargé de la compilation d'une infinité de fénatus-confultes, des réponfes des prudens , de conftitutions impériales qui avoient inondé 1'empire depuis que les Romains avoient été chercher en Grece les loix des douze tables. On lui affocia plufieurs perfonnes, & 1'ouvrage parut au bout de cinq ans. Tel fut le foin qu'on y apporta, que les Pandeétes fe trouverent en contradiction avec elles-mémes, & avec le code qui contredit a fon tour fon propre texte, & les Pandedtes & les Inftitutes & les Novelles qui contredifent tout & jufqu'aux textes détachés, qui fe contredifent eux-mêmes dans leur propre teneur. Le chaos des loix fut donc encore plus grand: le peu d'accord des dix-huit législateurs venoit en grande partie dece que les anciennes fedes d'Atteius & de Capiton partageoient encore les légiftes. On ne confulta point d'ailleurs dans ces loix les principes conftans & généraux de la juftice naturelle. Tribonien & Théodora fabriquoient des édits fuivant leurs intéréts. Les oracles de la juftice étoient vendus argent comptant par Tribonien, homme qui,fuivant Procope, aimoit a faire un profit légal, & qui fuivant le befoin caflbit ou forgeoit chaque jour quelque loi. Voila 1'ame mercenaire qui a préfidé a eet amas de loix que Pon cite encore aujourd'hui avec la plus profonde veneration ! Le fort fembloit en avoir fait juftice en  [ 14] Dans Ia première partie nous flxerons Ia nature des crimes, nous les claflerons; leur nöm , leur genre , leur importance, varient, augmentent, l'engloutifTant dans rinondation des 'barbares. Un malheureux hafard fit retrouver au douzieme fiecle les Pandectes : avec elles renaquirtout d'un coup la fureur des commentaires, les doutes arriverent en foule alafuite des Paratilles, des Glofes; a 1'aide des confeils,il devint facile dedépouiller fon voifin au nom des loix, & difficile d'être un jurifconfulte, c'étoit le tems de la barbariejes croifades avoient renverfé 1'occident fur 1'orient, 1'Europe étoit aftbiblie par des émigrations immenfes, le défordre & le fanatifme régnoient par-tout. Nos peres rougirent de leur barbarie, & abandonnerent peu a peu les loix faliennes , gothiqucs & lombardes; la jurifprudence romaine s'introduifit & fut recue avec la plus ftupide avidité ; 1'on crut avoir fait une réforme, tandis qu'on ne faifoit qu'un changement. Les Accurfe, les Barthole, les Balde & une foule de pédans célebres couvrirentl'Italie d'un délugede gros volumes; & grace a notre fottife, ils font encore refpectés, & fe diftinguent du moins par 1'efpace qu'ils occupent dans les bibliotheques. Les fubtilités des légiftes augmenterent la décadence, & au milieu des livres de jurifprudence, nous nous trouvames fans loix. Quand on réfiéchit fur ces commentaires, on voit qu'ils font inutiles ou abufifs , fi le code eft clair; que fi le code eft obfcur, ils ne remédient que foiblement au mal, & qu'il vaudroit mieux tout refondre ou tout abolir. C'eft une vérité qui a frappé Juftinien ou celui qui écrivoit en fon nom , & qu'il n'a pas eu le courage de fuivre avec défintéreffement. Tous les hommes éclairés de ce fiecle fe font accordés dans leurs fentrmens fur ce code Juftinien. Voyez ce qu'en difent Montefquieu, Lettres perfan.es, lett. 97,  c 15.3 ou deviennent nuls, a raifon des climats , des gouvernemens , des mceurs, de la religion. Ainfi tel crime qui dans une république fera au premier degré, defcendra au plus bas fous le defpotifme. La lacheté , crime capitale dans une république militaire , ne mérite que des coups de baton a Conftantinople. A ce tableau des délits , nous joindrons un tableau correfpondant des peines qui toutes font puifées dans la nature du crime. En confidérant cette doublé échelle correlative des délits ck des chatimens, le juge n'étant plus livré au défordre d'un code arbitraire, fera prefque toujours éclairé par une lumiere invariable. La vie du citoyen ne dépendra plus du caprice d'un magiftrat; tout homme pourra être juge, & tout juge fera forcé d'être homme. Dans la feconde partie on examinera la nature & la force des dirTérens genres de preuves, des diverfes efpeces de préfomptions adoptées par toutes les nations. C'eft ici la partie la plus déli- Voltaire, le marquis de Beccaria, Helvetius, Linguet, Letrofne, le roi de Prufle. Voyez Yordre d fon grand c/iancelier, du 22 avril 1780. Je conviendrai cependant qu'on y rencontre quel, quefois des loix excellentes. Mais elles font noyées dans un déluge de décifions fi ridicules, qu'au lieu de s'amufer a en faire le choix pour réformer nos loix, il vaudroit mieux les mettre tout d'un coup a 1'écart, C'eft encore une idéé de M. Letrofne.  lm cate; le chemin qui conduit a la vérité eft fi obfcur ! Le vulgaire voit par-tout des preuves, tandis que le philofophe peut a peine former une chaïne de probabilités auxquelles il n'ofe affigner le titre de certitude. 3°. Un principe clair & lumineux, bien faift, bien développé, nous tracera la marche facile d'une procédure fimple qui, en pourvoyant promptement a la vengeance du citoyen outragé, n'offenfera point les droits du citoyen accufé. J'avouerai que je le dols en partie a la législation angloife , oü Pon s'eft attaché fur-tout a refpeéter le titre & les droits du citoyen, tant avilis ailleurs. C'eft un hommage que je lui rends avec d'autant plus de plaifir que je vois tous les écrivains modernes s'élever contre la conftitution angloife ( 9 ). Je ne me fuis pas borné a examiner " (9 ) Je yiens de lire le premier difcours de M. le comte d'Albon, contenan: des obfervations fur 1'Angleterre : je n'y ai trouvé qu'une longue déclamation en termes ampoulés, en phrafes bien arrondies contre la conftitution anglicane. II paroit que Ia mode aujo.urd'hui eft de crier contr'elle & contre Montefquieu qui Panalyfa le premier , la fit connoitre & la pröna. M. le comte d'Albon s'attache a peindre fous de fines couleurs ,a exagérerles abus de la conftitution de 1'Angleterre, il va plus loin, il ofe lui préférer le monarchifme illimité. La queftion entre les enthoufiaftes & les frondeurs du gouvernement anglois, n'eft pas de favoir s'il y a des abus, on en convient; mais 11 les abus la  [ i7 3 la ïëgislarion criminelle fous les trois rapports prérenf.és par la Société économique de Berne. JJai cru concourir plus efficacement a fes vues font moindres ou plus grands que dans les états monarch,ques. Voila le vrai point de la difficutté. Un gouvernement fans abus eft en politique la pierre Philofopha e :1e meilleur du monde eft celui oü il y a le jnojn, de défordres. C'eft en partant de ce point que p ° jammer cette thefejje conviens qualors toutes fcs belles phrafës de M. le comte font perdues , qu on s'eit inutilement battu les flancs pour enfoncer une porte ouverte, que les déclamations con. tre la corrupuon des membres de la chambre baffe, ;K mfts exceffifs'la dette nationale>&c- &c ne lont que des repetitions. Tout cela peut être ioli leT S! t0Ut Cda "'eft pas la 1ueftion- MM. Grof! Ik ' red li CentautfeS/UteUrS de ia mêl"e force ont cl t redit la meme chofe, calomnié la législation angloife pour le plaifir de donner un démend a Montefquieu. En les mettant a Fécart, il faut donc en revt 2 3U T-r qUV a' indiq"ë ' d>e«nnner li la conftkutron angloife a plus ou moins d'abusque la nótre par exemple ; & ce problême ne peut fe décidèr què Lr cieies, jundiques des deux -nations, que par un calcul exact des bons & mauvais effets que cl acun a p oduks ettVrettsfief leV e,t- r 'en oppefan; encore la fn W * ^ &C" °n en Peut trouver encore la folution en examinant chez quel peuple la l>ber e lapropriété font plus refpeclées, ch«quS Peuple les nnpöts font plus également répa tis 'Lp. vfteges plus refceints s ]es droks dg rh Pmme ;espn. vcres en examinant quel peuple développa de nlus SSS*; ^ grdS Procluififde exTmfn il fn TtS wherïfme Patriotit3"« • & dans eet Jat on V ra blen„fe garder d,a«"in,er a la légifJation des guerres cruelles qui ne furent que 1'efFet des " Tornt I. B  C 18 ] falutaires, en difcutant deux autres queftions qui tiennent efïentiellement au code pénal. La première roule fur la maniere de prévenir les crimes. Cet important objet ne s'eft jamais offert a 1'efprit des législateurs , ck j'ofe même le dire, il a a. peine été entrevu par quelques philo- clrconftances particulieres. Par exemple, les guerres dc la Rofe blanche & de la Rofe rouge, qui inonderent l'Angleterre de fang, ne furent pas un efFet de la liberté angloife, mais bien du defpotifme des chefs qui ié difputoienta qui auroit Phonneur de Pégorger. Cette liberté fe débattoit fous fon couteau barbare, & parvint a s'en failir. Les ennemis de la conftitution aétuelle voudroient appatemment faire revivre ces tems orageux. C'eft a la fin de cet examen qu'on pourra décider fi cette conftitution eft un monftre , comme dés la première page la definit M. le comte d'Albon. Je n'ignore pas que deux auteurs célebres, MM. Moreau & Linguet, ont écrit avec beaucoup de chaleur contre Padminiftration angloife ; mais il feroit facile de prouver au premier, qu'il Pa calomniée fans la connoitre ; & quand au fecond, il fuffit de confulter fes annales pour fe convaincre qu'il a fouvent fait 1'éloge de 1'efprit d'humanité, de popularité,qui regne dans la conftitution de l'Angleterre, & fur-tout dans les loix criminelles. En prouvant que les Angiois n'avoient pas plus que les autres nations de 1'Europe, la liberté'politique , il eft convenu que nulleautre ne jouiflbit dans yne fi grande étendue , de la libertc' civile. Et c'eft cette portion de la liberté qui feule fait le bonheur de 1'individu , qui conféquemment lui eft eiTentielle. Encore une fois, la législation angloife a des abus: M. Linguet 1'a prouvé, j'e/i conviens; mais elle en a moins que celle de tous les autres peuples civilifés, ce que je prouverai un jour.  t *9 1 fophes modernes qui ont écrk fur Ia législation criminelle. Cependant un code pénal feroit prefqu'entiérement un hors - d'ceuvre dans un état bien organifé , oü le bonheur régneroit & s'étendroit fur tous les individus. Le glaive de la juftice y repoferoit dans fon fourreau, paree que la fatale loi de la néceffité ne provoqueroit point le citoyen au crime. i*. II ne fuffit pas d'avoir de bonnes loix, il faut encore les faire exécuter, & pour obtenir cet effet, en confier la manutention a des tribunaux; fans eux les loix font muettes, tout eft dans 1'anarchie & le défordre. Mais en quel nombre doivent-ils être ? comment doivent-ils être compofés ? par qui les juges doivent-ils être nommés ? enfin doivent-ils être a tems ou a perpétuité ? Telle eft rmtérelTante difcuftion par laquelle je finirai le traité fur les matieres criminelles. Je n'ai point Ia prétention de vouloir faire adopter exclufivement mon plan ; j'ai vu les loix & leurs abus fous un rapport, d'autres pourront les voir différemment. C'eft en tirant la quinteffenoe de chaque ouvrage, en raftemblant & en combinant toutes les bonnes idees , tous les bons projets, fans acception de préjugés & de perfonnes, qu'on pourra faire un bon code crimi- B ij  [ ] nel , oü 1'humanité & la liberté des citoyens feront refpeftées fans donner attëinte a la füreté publique. Je m'eftimerai heureux d'avoir fourni quelques matériaux a cet utile édifice. J'ai cru, comme un écrivain politique, membre de cette refpeclable fociété, que pour parvenir k faire une bonne réforme, il ne fuffifoit pas de faire une collecYion des loix adoptées par les anciens peuples ou par les nations voifmes, de les comparer avec les loix qui exiftent, de faire un choix de ce qui paroïtroit le meilleur. ( Réfiexions fur la juftice criminelle, par M. Letrofne, 1777- ) -*'aicru comme lui qu'en mettant k 1'écart les traditions ,. les ufages, les coutumes fi imparfaites , fi contradiftoires , fi incohérentes, il valoit mieux chercher les élémens d'ime nouvelle législation, puifer fes détails, dans une étude approfondie de la morale , de la juftice eflentielle , de la fcience des rapports, de 1'intéret de la fociété & de la connoiffance du cceur humain. Si j'ai confulté les loix anciennes & modernes, ü j'ai apprécié leur influence & leurs effets, c'a été moins pour m'appuyer fur leur autorité, que pour me mettre en garde contre les erreurs inévitables qu'entraine une théorie qui n'a pas 1'expérience des fiecles panes pour un de fes fondemens. Mais en les confultant je les ai foumifes a  [ 21 J la diicuflïon , j'ai' examine leurs rapports avec les circonnances oü elles ont été publiées ; & en les appliquant a celles oü nous fommes , j'ai vu que la plupart feroient ou inutiles ou dangereufes. Jen ai conclu qu'en jetant un voile fur le paffé , ü valoit mieux recourir d'abord a 1'inftitution primitive des fociétés , enfuite k leur état aöuel pour favoir quelle législation feroit plus conforme a la juftice & a 1'intérêt focial. On a fait bien des romans pour expliquer 1'origine de la fociété ; je me garderai bien de les détaiüer, encore plus de les réfuter. Ce qui m'a paru leplus vraifemblable, c'eft que 1'amour de la paix ralTembla les hommes errans dans les foréts, les fociétés fe formerent, les premières loix furent fimples & diftées k la bite, chacun facrifia volontairement une portion de fa liberté pour jouir avec fécurité de la portion qu'il confervoit. Le depót facré de ces libertés fut confié aux mains , ou de repréfentans choifis par la fociété , ou de fouverains qu'elle fe donna ; telle eft 1'origine la plus vraifemblable de tous les gouvernemens. Puifque la confervation de la paix commune eft le but de toute union, les loix criminelles datent leur exiftence de 1'origine même de la fociété ; & c'eft une erreur d'en fixer 1'origine poftérieurement k celle des loix civiles. Parmi les B iij  C ti ] conventipns en efTet qui fignalerent cette heureufe époque , oü 1'homme renonca a végéter dans les forêts, on dut ftipuler que les attentats commis contre la tranquillité publique feroient punis. Tolérer alors Pimpunité , c'eüt été encourager le crime , rompre tous les liens civils qu'on vouloit ferrer étroitement. Rongées par un vice deftructeur, les fociétés dès leur berceau même tendent infenfiblement a leur deftru&ion. Compofées de deux principes non-feulement hétérogenes, mais même diamétralement oppofés, elles s'anéantiroient bientöt, li par une heureufe combinaifon le législateur ne concilioit 1'intérêt individuel avec 1'intérêt de la maffe , s'il ne favoit pas rendre nuls les chocs de ces deux intéréts, prévenir la deftruclion de 1'un, en diminuant Padtivité de Pautre. Aucune fociété ne peut donc exifter fans loix criminelles. C'eft le palladium du bonheur général , tout s'écrouie fi vous Penlevez. La raifon de 1'inftitution primitive des fociétés eft donc le premier point que le législateur doit confidérer : en ne le perdant jamais de vue , il refpecïera alors le doublé intérét qui fait le lien de tous les états civilifés. Mais il doit aufti rixer fes regards fur les circonftances oü les états fe trouvent; ces circonftances font les mceurs , le caraftere, le climat, &C circonftances qui variant  [ *3 "j chez prefque toutes les nations, doivent mettfe une grande différence, non pas dans les principes ginéraux de leur législation, mais dans Papplication modifiée de ces principes. Nous examinerons plus amplement dans une autre partie ce point intéreffant; je me borne a efquifler ici les traits principaux qui ferment le tableau d'un code pénal. C'eft la raifon qui nous indique ce doublé afpefl: fous lequel on doit Penvifager ; c'eft elle encore qui nous dit qu'il doit être clair , limple , précis , invariable & public , peu de principes , mais encore moins de faits ou d'applications particulieres; ce foin n'eft réfervé qu'aux juges. II doit être clair : une équivoque , une obfcurité font naitre des doutes (10) dans 1'efprit des (10 ) La loi doit être claire: le moindre terme équivoque peut couter la vie a un innocent, Iorfque 1'irriquité ou la prévention d'un juge fe chargent de 1'interpréter. Un article de l'brdonnance de la marine angloife porte que toute perfonne qui ne fera pas dans un combat les derniers efforts pour prendre & couler bas chaque vaifTeau qu'il fera de fon devoir d'attaquer, fera punie de mort. Voila le fatal article qui fervit de prétexte ala condamnation du malheureux amiral Byng, & qui de nos jours a favorifé la méchanceté des ennemis du brave Keppel. On difoit au premier , vous n'avez pas battu les Francois a Minorque, donc vous n'avez pas fait, &c. II répondit : les Franqois étoient plus forts , j'ai cependant rifqué un premier combat, un fecond auroit ruiné.ma flotte, cela étoit évident. Cependant B iv  [ H ] juges, & jettent la liberté & la vie des hommes dans le chaos de Parbitraire. II doit être clair, afin que chaque membre de la fociété puifle diftinguer les acïions criminelles des aétions vertueufes, connoltre les devoirs qui lui font impofés; les magiftrats qui font chargés de punir les infraftions a ces devoirs, les procédures qu'ils doivent fuivre pour conftater le crime & découvrir l'auteur. II faut donc, pour procurer a tous les/ujets ces connoiffances néceffaires, pour éloigner les interprétations meurtrieres & les commentaires éternels , fimplifier le code criminel. Lzjimplification, voila la qualité par excellence de la législation. Malheur aux états dont la législation eft compliquée ! C'eft une machine furchargée de reflbrts qui fe nuilent par leur multiplicité, le défordre s'y introduit promptement. Définiflons clairement Ie crime , clanons - en les différentes il fut condamné, paree qu'il n'étoit pas de 1'intérêt du parti dominant alors qu'il eut raifon. On fuivit la lettre de la loi, ou plutót on la corrompit pour perdre un innocent. Keppel a été fur le point d'être la viétime de cette loi trop vague. Le fyllogifme de fes adverfaires etoit plaifant. L'amiral n'apas battu les Francois, c'eft faute d'intelligence ou d'intention : dans 1'ün & dans 1'autre cas, il mérite la mort, puifqu'il n'a pas fait tout ce qui étoit en fon pouvoir pour détruire 1'ennemi. Quand Ia loi ou plutót le magiftrat s'avife de vouloir deviner Pintention , de lajuger, elle tombe fouvent dans 1'erreur, elle eft prefque toujours inhumaine.  C M 3 efpeces, fixons les limites des probabilités, marquons d'un fceau invariable Ia preuve de 1'évidence, fimplifions la procédure, par-tout ne fuivqns qu'un petit nombre d§ principes, & alors la machine de la législation ne fera plus une énigme indéchirfrable aux yeux du peuple , dont le mot n'eft connu que des légiftes. Quand un vice introduit par des circonftances imprévues, ou par le laps des tems , en dérangera la marche, facile a appercevoir , il fera facile k réformer. On ne nfquera pas de détruire un bon reffort pour en corriger un mauvais, de faire naitre, comme les médecins, trois ou qua:re maladies pour en arrêter une feule. L'ignorance produit ces maux , & la lïmpiicité des principes dans les loix chaffe Pignorance. On ne fera pas alors obligé de multiplier les loix & de les renvcrfer fucceflïvement. C'eft un abus du defpotifme, paree que le defpotifme cherche k égarer le peuple , & i dérober fa conduite k fes regards. C'eft donc fervir la déteftable caufe que de multiplier les loix ( 11 ). (li) Canlya, dit Montaigne, autanMe liberté & d etendue a 1'interprétation des loix qu'a leur facon Au miheu de tant d'interprétations fans doute , on peut choifirarbitrairement; Stoute volonté arbitraire peut trouver une raifon ou un prétexte dans ce dédale immenfe. Effais de Montaigne. Ce n'eft point 1'étendue d'un code qui démontre les  [ 26] La précifion doit accompagner cette fimplicité : les mêmes raifons que nous venons de développer pour 1'une , peuvent s'appliquer a 1'autte qualité. Mais fur-tout il faut que le code des loix foit fixe & invariable dans fes principes. Le peuple, chez qui la nature des crimes n'eft point fixée, oü les peines font arbitraires , n'a que des defpotes pour magiftrats (12). Non pas cependant que je veuille foutenir qu'on ne doit jamais changer les loix , ce feroit une abfurdité. Multa renafcentur qua jam cecidere, Cadentque qua funt nunc in honore. Hor. Les circonftances forcent 'fouvent la main chargée du gouvernail de la législation , a s'écarter de la route , & les circonftances changent fouvent: mais jamais le principe qui doit diriger le législateur dans fa marche ne doit être altéré. Ainfi lumieres d'un peuple. D'ordinaire plus il y a de loix dans un état, & moins il y a de moeurs. Si on en doute, qu'on compare Rome fous Juftinien , & Rome fous les Scipion, n'ayant que les douze tables. Philof. de la nat. tomell, difc. prélim. ( 12 ) C'étoit donc un vice de la république de Lacédémone que les Ephores jugeaffent arbitrairement, fins qu'il y eüt des loix pour les diriger. A Rome les premiers confuls jugerent comme les Ephores: on en fentit les inconvéniens, & on fit des loix précifes.  t *7] n'importe dans quelles circonftances il foit placé: il fe fouviendra toujours, par exemple, qu'il faut tirer chaque peine de la nature du crime. L'ceil fans cefle fixé fur ce principe, comme celui du pilote fur fa bouftole, il ne rifquera jamais de s'écarter (13). C'eft donc a pofer des principes fürs & invariables qu'il faut conftamment nous attacher , puifqueux feuls doivent dans tous les te»; guider le législateur : alors nous éviterons * monftrueux abus qui fouillent les codes' criminels de prefque toutes les nations. Le hafard feul les a créés , les circonftances les ont étendus; de la tant d'ennuyeufes rapfodies, d'erreurs & d'inconféquences; on nous difpenfera de les retracer ïci; c'eft bien aftez que nous ayons été obligés* d'en parcourir le faftidieux amas (14). ( 13 ) Quand Locke donna des loix ala Caroline il voulut quelles n'eufient de force que pour cent ans Ce grand homme qui avoit fait une étude profonde du* cceur humain , fentoit qu'il ne faut pas un fiecle a une nation pour que les moeurs s'alterent. Or dés que les mceurs dans un état fe dépravent d'une maniere fenfible, la machine politique a befoin d'être remontée par la législation. Philof.de Ia nat. tome II, difc. prélim. (14) II ya un fiecle que ce mélange abfurde des loix humames & d'ufages féroces excite une grande reclamationenAngleterre. Le chancelier Bacon, 1'un des premiers qui aient fixé fur cet objet les regards de la politique, difoit que dans fon paysles loix vivantes  [ i8 ] Enfin il faut que le code pénal de chaque nation foit public, & nous infiftons fur cette pubficité , paree que plufieurs auteurs fe font élevés contr'elle. L'auteur d'obfervations trés - judicieufes fur le traité des délits & des peines a obfervé, par exemple, qu'il feroit a craindre que cette étude dans 1'efprit des fcélérats, ne produilit le même effet que le^ode-civil a produit chez les gens procefïifs Qu'ils combineroient tellement leur crime que la loi fe trouvant en défaut, laifferoit le crime impuni. Cette crainte me paroït peu fondée , & c'eft un motif trop foible pour arrêter la publicité d'un code qui intérene toutes lesclaffes des citoyens, * & que conféquemment toutes les clafles doivent connoitre a fond. Tout citoyen, en faifant le rnouroient a cöté de celles qui devoient n'être plus. Dans d'autres états on n'a pas ofé toucher a 1'édifice gothique & barbare des anciennes loix; mais chaque docteur s'eft permis de les interpréter a fon gré : de la cette foule de commentaires qui rendent fi pénible Temde de la jurifprudence. Chacun s'occupe, non a examiner la loi, mais a voir ce qu'a penfé en tout tems 1'homme de loi. Telle feroit la navigation qui ne fe conduirok que par le fillage du vaifieau qui le précede. La nuit lurvient, le guide difparoit, il valoit mieux reg!er fa route fur le cours du ciel. Le ciel du grand jut ifconfulte eft la morale de la nature. Plülof de la nat. tome II, difc. prélim.  [ *t ] facrifice d'une portion.de fa liberté, doit favoir i quel prix il achete fa füreté , fa propriété , quelles font lesbornes quê la fociété lui impofe, queile peine fuit ordinairement le coupable qui les franchit ; & s'il eft plus d'une fois arrivé qu'un juge féduit ait tendu clans une procédure infidieufe des pieges a rinnocent qu'il vouloit écrafer , s'il n'eft? que trop vrai que la fource des injuftices judiciaires ne peut jamais être tarie , ne feroit - il pas barbare d'empêcher le citoyen de s'inftruire des reflources que la loi lui préfente pour démafquer ou prévenir 1'iniquité ? Que de martyrs fecrets des formes judiciaires qu'ils ignoroient, auroient échappé au trait fanguinaire s'ils avoient pu les connoitre ! Non , jamais un code pénal ne peut être trop public, trop connu; il n'y a qu'un tyran qui puiffe 1'envelopper du myftere : mais le fouverain qui veut de bonne foi diminuer le nombre des crimes , loin de craindre que la promulgation de fes loix n'engendre les fcélérats, les mettra fous les yeux de fes fujets; elles feront partie de 1'éducation nationale : un catéchifme fur les loix pénales, en gravant dans 1'ame de fes enfans 1'amour de 1'ordre, la terreur des fupplices les écartera des forfaits. Clarté dans 1'expreffion de la loi, invariabilité dans fpn principe, préeifton & briéveté, publi-  130] eité dans fa connoiffance : telles font donc les quatre principales qualités d'un code pénal. J'ai cherché a y établir Péchelle graduée des peines d'après Péchelle graduée des crimes , a bannir Péquivoque des preuves , a combiner dans 1'inftruction judiciaire 1'intérêt focial avec les droits du citoyen accufé. C'eft par - la que ce code pourra être utile a tous les citoyens , a tous les corps dans un état, a tous les états, quel que foit leur genre d'adminiftration; je n'en excepte pas même celle qu'on appelle defpotique. Ainli il pourra fervir a drefler un code pour les militaires, membres de la fociété qui exigent une législation criminelle particuliere; car la juftice y doit être expéditive, paree que les preuves des crimes militaires font faciles a acquérir , paree que li Pon veut conferver la difcipline, il faut rapprocher le plus qu'il eft poftible les deux rapports de crimes & de peines, paree qu'enfin la lifte des crimes y eft peu nombreufe &£ qu'ils ne font pas compliqués: cependant en vengeant 1'intérêt politique des atteintes que lui donne le militaire, il ne faut pas outrager la nature. LTiumanité doit diriger ce code comme tous les autres, paree qu'il a pour bafe comme les autres le même contrat focial.. Ce code pourra être de quelqu'utilité même  r 31 ] aux états foumis a ce defpotifme oriental qu'on a tant décrié. Entrainé par Popinion reeue aujourd'hui, j'avois cru quelque tems le contraire ; mais la vérité me force aujourd'hui de changer de fentiment. Si nous en croyons les voyageurs du dernier fiecle , les Tavernier , les Chardin , les Ricauts, qui ne virent les mceurs orientales qu'au travers d'un microfcope obfcurci par le préjugé national, fi nous en croyons le célebre Montefquieu qui traca fon Efprit des loix d'après ces faifeurs de relations infidelles , il n'y a point de pays plus malheureux que la Turquie , la Perfe , 1'Inde; tout y languit fous le defpotifme; il n'y a point de loi, le juge eft lui - méme fa regie; un feul fans loi , fans regie , entraine tout par fa volonté, par fes caprices. D'après ce tableau Ia tourbe des écrivains qui ne font que copier les erreurs des grands hommes fans copier leurs beautés, a peint le defpotifme oriental fous les couleurs les plus noires; la foule des lefteurs a fuivi le torrent, jufqu'a ce qu'un écrivain célebre s'élevant avec hardiefle contre le préjugé , a prétendu prouver que toutes ces déclamations n'avoient pour bafe que le menfonge. On a prêté a M. Linguet le projet le plus affreux, le projet de fervir le defpotifme en s'en rendant 1'apologifte ; & paree qu'il prouvoit qu'on pouvoit être heu-  E 3* ] reux a Ifpahan, quoique gouverné paf un fophi | quoique jugé par un cadi, quoique catéchifé par un nnan , on a imaginé, publié, répéfé par-tout que M. Linguet étoit Je partifan de cet état violent, oü tous trembloient dans les chames d'un feul, oü le peuple „'étoit qu'un troupeau d'mdividus malheureux & dégradés, le pafleur, qu'un bourreau mhumain. Les gens les plus fenfés fe bornoient a lui imputer Ja manie du paradoxe , fans lm préter une atrocités II vient enfin d'être jufMi ; & ce qu'il n'avoit que démontré dans la théorie, vient d'être confirmé par les relations, les écrits des obfervateurs philofophes de toutes les nations , qui ont étudié dans le pays même h coutume de 1'Inde, qui ont recueilli fes monumens, interrogé les favans. Ce point de fait eft fur-tout bien développé dans 1'ouvrage de M Anquetil li connu par fa paffion pour I'étude des langues orientales, qui lui a fait franchir les mers les combats, mille dangers , pour s'inftruire a fond dans leur connoiffance ; il eft intitulé : Législation Oriëntale, & le titre feul en dévelóppe le but. En y montrant quels font en Turquie , en Perfe & dans tout 1'Indouftan, les principes' fondamentaux du gouvernement, on y prouve , que la maniere dont jufqu'ici on a ^^«0* le defpotifme qui paffe pour être abfolu dans ces trois  [ 33 ] rrois états, ne peut qu'en donner une idéé abfolument faufte. i°. Qu'en Turquie, en Perfe & dans 1'Indouftan , il y a un code de loix écrites , qui obligent le prince ainfi que les fujets. 3 °. Que dans ces trois états les particuliers ont des propriétés en biens meubles & immeubles, dont ils jouiffent. En effet, s'il eft prouvé, comme on n'en peut douter, que les états defpowques ont un code de loix certain & déterminé, dont lemonarque ne peut s'écarter; fi 1'Alcoran guide les mahométans* le Veda, les Indiens; lesJafa de Gengiskan, les Tartares ; fi les fujets jouiftent d'une propriété fur laquelle le gouvernement ne peut étendre fa main ; fi cette propriété peut être tranfmife par la fucceffion , cédée par une vente; fi le mariage a fes loix; fi le cadi ne peut s'écarter d'aucune ; s'il eft une juftice diftributive , une police réguliere dans ces états ; en un mot, s'il exifte des tribunaux deftinés ou a régler les débats civils des fujets, ou a réprimer la main audacieufe du criminel & fermer les plaies de 1'opprimé , le citoyen n'y eft donc pas un animal vil que fon maitre peut égorger quand il lui plait, un meuble qu'il peut aliéner a fa fantaifie^ un être dégradé, gémiflant fous le poids de fes fers fans avoir ie courage de les rompre. II a Tome I. Q  [ 34] des droits , une propriété , des loix, comme le citoyen des monarchies ; & fi les grands dans ces vaftes états éprouvent quelquefois la fureur du defpote fans 1'avoir méritée, fi le fimple particulier eft expofé a 1'in'juftice du magiftrat particulier , quel eft donc 1'état monarchique , oü ne fe faffent pas fentir ces orages paffagers , qui font même une fuite de Pefience de la conftitution fociale ? Ces faits ne font point des fables réalifées par 1'imagination d'un philofophe qui peint tous les hommes heureux , paree que la vue de 1'infortuné 1'afflige. Non, ces faits font atteftés par d'autres voyageurs philofophes, par MM. Holwell, Dow, 1'hiftorien des guerres de 1'Inde, &c. Halhod, le traducleur des loix des Gentoux. Ils font atteftés par les livres facrés de ces peuples , par le Jeada Vefta, 1'Alcoran. Ce dernier livre, dit un auteur anglois, eft la fource de leurs inftitutions religieufes , de leurs loix civiles ck de Padminiftration de la juftice dans les affaires criminelles; les cadis tiennent les cours oü Pon décide les affaires qui concernent la propriété, & le Cotonat eft juge & exécuteur dans les affaires criminelles. Le defpotifme de 1'Indouftan, dit M. Dow , ne fut jamais un gouvernement de pur caprice, de pure fantaifie. Les mahométans por-  t 35 ] terent dans leurs conquêtes un code de loix par lequel la volonté du prince étoit circonfcrite. Le même M. Dow, dans fon Hiftoire de 1'Indouftan , donne un détail des fondtions importantes du Cotonat qui répond a notre lieutenant de police & criminel: ces fonétions que la loi lui recommande font autant d'honneur a 1'humanité des Indiens qua la fagefle de leur adminiftration. M. Linguet n'a pas été le feul qui ait cru que les gouvernemens qu'on a appellés defpotiques ont des loix fixes, que les fujets y ont une propriété , qu'il y exifte une jurifprudence criminelle, quoiqu'elle foit peut-être fouillée d'atrocités & remplie d'incertitudes. M. de Voltaire, éclairé par des relations de voyageurs plus modernes & plus philofophes , avoit, il y a long - tems , adopté la même opinion ( 15 ) ; & pourroit-on reprocher des abus a la législation des états defpotiques, lorfqu'on voit une nation policée dans 1'Europe n'avoir pas même de code pénal, lorfque le défordre dans cette partie eft tel qu'on ne fait oü prendre ( 1? ) Le comte Marfigli, cité par Voltaire dans fon Effaifur les mceurs, dit: in tutte le nojire ftorie fentiamo efaltar lafovranita che cofi difpoticamentepraticafi de fultano; ma quanto ft cqftano del vero. M. de Voltaire, dans fon EJfaifur les mceurs chapitre de 1'ctat de la Grece fous le joug des Turcs, s'eleve vivement contre 1'opinion qui attribue au fultan une propriété générale. C ij  [ 3 pöts font légers, fi la perception n'en eft pas rigoureufe, fi la fubfiftance eft facile , le nombre des mariages augmente, ils font heureux, Sc la population s'accroit. Le peuple alors ne regrette point fes travaux, puifqu'ils font entre-mêlés de plaifirs. II s'attache a fa patrie qui lui offre le bonheur , a la vie qui lui donne le moven d'en jouir. II ne trouble point la tranquillité , paree que fon bonheur en eft le fruit. Propriétaire luimême, il fe garde bien de donner atteinte a la propriété ; & quand la nature ne lui auroit pas infpiré de 1'horreur pour 1'erTufion du fang humain , fes jours lui font trop précieux pour qu'il ofe trancher le cours de ceux de fes concitoyens. Qu'on ne s'imagine pas que ce tableau ne foit que le fruit d'un rêve plus brillant que poffible a réalifer. Quoi qu'en difent les miniftres mal-adroits ou pervers qui traitent les hommes comme des troupeaux d'efclaves , il n'eft pas fi difficile de rendre le peuple heureux , d'en obtenir 1'aveu confolant. II en coute fi peu aux rois de faire aimer leur joug, de I'alléger , qu'on ne concoit pas qu'ils préferent a ce plaifir fi pur , la trifte gloire d'infpirer la terreur qui fuit le defpotifme arbitraire. Le bonheur du peuple confifte, comme ' C iy  f 40 ] celui des grands, dans la fatisfaftion des befoins ; mais chez 1'un ils font peu nombreux, chez les autres ils varient a 1'infini. La nature dicle les uns, la fantaifie les autres; la nature a des bornes , 1'imagination n'en a point; mais veut-on avoir des preuves inconteftables de la vérité que 1'on développe ici , que les crimes font plus rares fous une adminiftration éclairée , fous un gouvernement heureux? Qu'on parcoure les annales des hiftoires anciennes & modernes; qu'on compare notre fiecle a ceux qui l'ont précédé. Calculons : tfrouvera-t-on plus de crimes dans le cours de 1'heureufe époque oü nous vivons, époque oü la culture des lettres adoucit les efprits, oü le génie de la fageffe éclaire les législations, que dans ces ages de fer, oüdes hordes de barbares, ne jurant que par leur glaive, intitulant les affaffinats des a6r.es de bravoure, faifoient métier d'égorger d'autres fauvages; dans ces ages oü mille petits feigneurs érigés en tyrans pilloient les cultivateurs & les marchands, mettoient des entraves au commerce , forcoient leurs vaffaux défefpérés amourir de mifere, ouavoler & affamner pour leur fubfiftance; que dans ces. fiecles affreux, oü la France déchirée par des guerres inteftines, couverte d'échafauds & de potences , voyoit le fang de fes enfans ruifTeler de tous les cótés, le crime  C 4i ] naïtre du crime, & les différens partis ne s'accorder qu'en un point, que dans la multiplicité, 1 enormité des forfaits ? Les vols , les affaffinats, les poifons , les crimes de toute efpece déshonorentils aujourd'hui 1'Italie qui refpire enfin fous des gouvernemens modérés, qui même éclaire infenfiblement les différentes branches de fa législation comme ils fouillerent ces fiecles d'ignorance & de confuiïon, oü la rage de la vengeance bouleverfant toutes les tétes, changeoit cette belle contrée en un bücher dans lequel le plus fortprécipitoit le plus foible , oü lareligion, loin de fervir k 1'éteindre, prêtoit quelquefois fon flambeau pour le rallumer ? L'humanité n'étoit qu'un mot inconnu , 1'honneur n'étoit plus que le vil efclave, 1'apologifte de la noire perfidie. Dans le fein de ces troubles, il n'y avoit ni. propriété , ni commerce, ni lettres, ni arts. La nation comptoit prefqu'autant de malheureux que d'enfans qui, forcés de confpirer contre la tranqmlhté , ne confervoient leur exiftence qu'en facrifiant celle de leurs femblables. Le crüne devoit donc naïtre a chaque pas; le cadavre d'un ennemi fervoit de degré pour monter , fes Tichelles , pour réparer 1 injuftice de la fortune. Ce bouleverfement de tous les rangs difparoit aujourd'hui ; le peuple heureux fur le bord de Ia  r 42 j circonférence , ne regarde point avec un ceil d'envie les places du centre : s'il a des befoins, il jouit d'un état paififcfe dont le produit pourvoit a leur fatisfaftion. Or tout homme qui a un état n'eft jamais tenté d echanger fon titre, fes privileges de citoyen eftimé, contre 1'affreufe perfpeftive des tourmens deftinés au voleur oui 1'aiTaffin. Tranfportons-nous encore dans un autre hémifphere, jetons les yeux fur Ie climat fortuné qu'habitent les Bramines: ayant la nature pour mere, la fuivant comme leur guide, ils n'ont d'autres loix que les hennes ; leur cceur eft pur comme le ciel perpétuellement ferein qu'ils contemplent; infufceptibles de grands vices, n'ayant pas même une idee des forfaits, ils ont la plus grande horreur pour 1'effufion du fang humain. Auffile foleil n'éclaire-t-il jamais d'affaffinats chez ce peuple ami de la paix. Voulez-vous voir le revers de ce tableau ? Arrêtez un moment vos regards furlesisles éternellement orageufes qu'infeftent. plutöt qu'ils n'habitent, les peuples d'Achem & de Macaflar. Secréant fans ceffe des befoins faftices , violant dans leurs plaifirs le vceu de la nature, furieux dans leurs jouiffances, jaloux jufqua Ia frénéfie , infatiables dans leur ambition, atroces dans leurs vengeances,  [43 ] ils font tour-a-tour les bourreaux de leur patrie, de leurs amis, d'eux - mêmes. II n'eft pas de jours oü ces paffións éclatant avec violence dans quelques individus, n'orTrent des fpe&acles de fang. Les loix y font rigoureufes 6c cruelles: ce qui prouve que le caraftere des habitans 1'eft mfiniment, que la loi eft incapable d'arrêter les crimes qui fe multiplient en raifon des cruautés légales. Qui pourroit préférer ce trifte état d'orage perpétuel oü vivent les Macaffars, au calme qui embellit les jours des heureux habitans de 1'Indus? Et quel eft le fouverain qui, méditant profondément fur le contrafte frappant des mceurs de ces peuples, qui comparant le doublé tableau des crimes commis dans des tems ignorans ou éclairés fous une adminiftration perverfe ou dirigée par 1'amour du bien général; quel fouverain, dis - je , ne verra pas aifément qu'il a dans fa main le véritable frein des crimes dans le reflbrt du bonheur public , 6c ce reffort dans la législation civile. Oui, plus elle tendra vers fa perfeftion , moins on aura befoin de législation criminelle; elle fera prefque nulle lorfque la doublé Safe lür laquelle doit repofer la législation civile feta fixe 6c invariable, lorfque la propriété, la liberté des fujets feflönt refpeÉtées par le monarque, lorf-  [ 44 ] que 1'infortuné que le hafard fait naïtre fans propriété , quoiqu'avec des befoins, pourra par fon travail corriger lmjuftice du fort, & effacer 1'inégalité de la répartition des richefïes; lorfqu'enfin le fruit de fon labeur ne fera pas la proie du traitant avare. Le riche pourra 1'être alors impunément, paree que le défefpoir ne prêtera plus fon couteau a 1'indigent qu'infultoit fa fiere opulence. Nous pofons ici pour fondement d'une bonne législation la füreté de la propriété perfonneüe & fonciere; un chef-d'oeuvre de politique feroit de la rendre inutile en ilanéantifTant s'il étoit poffible : ce feroit arracher au crime fa racine. Ce fut ainfi que Licurgue , dont on a tant calomnié les loix paree qu'elles ont paru inimitables aux efprits étroits, tarit adroitement la fource de tous les crimes. Pour prévenir ceuxqui blefloiont la propriété , il abolit toute propriété : pour prévenir 1'adultere, il mit les femmes en commun : pour faire du Spartere un héros, il en fit 1'efclave de fa dure législation : enfin pour arréter les triftes effets des paffions , il ne lui perinit d'avoir que celle du bien public. Voila pourquoi les crimes furent fi rares a Sparte tant que fes habitans obferverent fidélement ces loix. Mais lorfque Lifandre rapport de la fatale conquête d Athenes, des tréfors, le goüt des arts , la fu-  r 451 reur du luxe , tous les vices s'introduifirent rapjdement: alors naquirent les crimes; 1'ambition fit commettre des parjures, des aflaffinats, des trahifons; alors le vertueux Agis qui vouloit reffufciter les mceurs , périt fous le couteau perfide de la fervitude royale ; alors parurent les Nabys, le Machanides ;"bn connut enfin un code pénal, Sc Sparte ne fut plus qu une ville ordinaire. Je n'ai pas le deffein de vouloir adapter a 1'immenfe royaume de France la législation févere de Licurgue combinée avec fagefle pour le petit territoire oü elle étoit circonfcrite ; il feroit impoffible de 1'exécuter clans un vafte royaume. Elle a pour bafe 1'anéantiffement de toute propriété, 1'égalité parmi les citoyens qui en eft la fuite; Sc cette égalité ne fera jamais ici qu'une chimère. Poflïble chez les peuples uniquement agriculteurs ou chafieurs, elle eft impraticable dans un pays commercant. On peut en effet limiter la propriété d'un laboureur ; mais comment borner celle du négociant ? Elle eft dans fon portefeuille , elle ne dépend que des circonftances, un coup heureux la doublé, un coup malheureux la ruine. Telle étoit la bonté de la conftitution Lacédémonienne, que les loix y maintenoient les mceurs', Sc les mceurs y rendoient prefqu'imt-  [ & 1 tiles les loix. Le profond Licurgne avoit fenti que les bonnes mceurs ou les mceurs patriotiques pouvoient prévenir les crimes , & devoient feules les punir , a moins que leur force ne füt altérée par la corruption introduite dans 1'opinion publique; & le législateur qui voudra réuffir doit s'attacher a fufcre cette tracé précieufe, a améliorer les mceurs pour diminuer ou prévenir les crimes. Un coup-d'ceil rapide jeté fur le rapport des mceurs au crime fera voir 1'utilité, la grandeur de ce principe politique. Les mceurs font dans les citoyens la maniere de fe conduire , 1'habitude de diriger leurs paffions & leurs adions. Ont-elles pour but le bien .particulier des citoyens ou le bien public ? elles font bonnes. Lorfque I'égoïfme feul en eft le mobile, elles font mauvaifes; il produit quelquefois des fruits dont leclat apparent féduit. C'eft le mancenilier qui trompe Pimprudent voyageur pour Pempoifonner plus fürement. II réfulte de la qu'il doit y avoir peu de crimes la oü regne la pureté des mceurs : auffi jetez les yeux fur les berceaux des républiques. L'auftérité des mceurs en foutient les colonnes; le vice ne les ronge que long - tems après, & le vice précede toujours le crime. Ainfi, lorfque Pamour du bien public échauffoit a R.ome toutes les ames d'un feu facré,  C 47 ] il y avoit beaucoup de Fabricius; 8c la débauche de concert avec les furies n'avoit pas encore pêtri 1'ame atroce d'un Catilina. Ainfi lorfque 1'efprit de chevalerie animoit la nation Francoife , lorfque le refpeéf. pour 1'honneur des dames étoit fa devife, les amours étoient plus longs, mais ils étoient plus faints. Le lien de Thymen étoit plus refpefté. L'infame adultere cachoit avec foin ce front odieux qu'il étale avec tant d'impudence de nos jours. Ainfi, lorfque la bonne-foi étoit 1'ame du commerce, lorfque le banqueroutier qui la violoit, livré a 1'ignominie publique, étoit profcrit, excommunié de la fociété, moins de faillites interrompoient le cours de ce commerce que nous confolons dans les fecoufles qu'il éprouve par des pafquinades en comédie 8c en procédure. En un mot, lorfque 1'opinion qui fait les mceurs imprimoit a 1'amour de la patrie le fceau de 1'héroïfme, attachoit a 1'amour conjugal le refpeft , au refpeét de la bonne - foi la confidération civile; il y avoit moins de criminels , paree qu'il y avoit plus de moeurs; les crimes domeftiques étoient plus rares. Je ne parle point des crimes publics qui furent le produit des circonftances politiques indépendantes des mceurs. Mais a peine 1'aftuce 8c la perfidie italiennes eurent infefté de leur poifon la franchife refpeeïa-  [ 4§ ] ble de la nation , a peine la débauche qiü fignab une longue fuite d epoques malheureufes eut fuccédé a la galanterie francoife ; 1'autorité commanda le crime, la loi n'ofa pas le venger: alors toutes les barrières furent rompues, la nation n'eut plus de mceurs 6c elle n'avoit point de code pénal : en vain, pour venir au fecours de la patrie éplorée, la main févere de la juftice frappa de grands coups, les grands criminels paroiflbient renaitre de leurs cendres; Sc li les crimes énormes cefferent infenfiblement de fouiller notre patrie, on doit cette heureufe révolution au génie qui diffipa les ligues, ranima 1'amour des lettres , donna plus d'influence aux fouverains fur la maffe de 1'état : alors le fléau des crimes , femblable a celui que nous avons apporté d'Amérique, dont les limptomes d'abord fi terribles, fe font affoiblis par la fucceffion des tems, ceffa fes ravages ; & la renaiffance des mceurs primitives parmi le peuple , parvint enfuite a procurer le calme prefqu'entier dont nous jouiffons aujourd'hui; calme qu'elles feules peuvent conferver. Elles le conferveront, n'en doutons pas, fi la main habile du législateur fuprême fait éearter les vices qui les rongent impereeptiblement. Les vices font en effet aux mceurs ce que les crimes font aux loix, 8c le vice eft toujours pere  t 49 1 pere du crime : c'eft une race de monftres qui comme dans cette effrayante généalogie du pêché décrite par Milton , femblent fe reproduire les tins des autres. Je vois un malheureux prét a fubir le trépas; dans fes regards fe peignent tourk - tour les remords, le défefpoir ; au travers je déméle quelques-unes de ces lueurs qui manifeftent les reftes dune belle ame, comme des haillons magnifiques décelent un fuperbe habillement. Pourquoi monte-t-il fur 1 echafaud ? Suivez la chaïne de fes a&ions, vous verrez que le premier anneau a été prefque toujours la violation de la barrière facrée des mceurs. II avoit un bon caractere ; mais plongé dans la débauche, il a fuivi tous fes gouts , eflayé de tous les vices; une paftion en a fait éclorre une autre ; pour les fatisfaire, il a fallu trouver des reflburces ; celles que la fortune lui ofFroit ont été bientót épuifées, on a eu recours a des voies criminelles; le myftere a pendant quelque tems préfidé a ces manceuvres ténébreufes, 1'ceil de la juftice a enfin percé le voile , fon bras s'eft armé du glaive vengeur, & le vicieux devenu criminel va recevoir le coup fatal. II étoit cependant deftiné a jouer un röle brillant dans la fociété. Jeune homme, qui dans les égaremens capitules toujours avec le remords qui te pourfuit, & qui toujours Tome I. J)  [ 5«] Violes la capitulation , lis ton fort dans le tableau que je te préfente! Législateurs qui voulez prévenir le crime, voyez ici la route que fuivent tous les criminels, marquez la première borne cju'ils franchiront, c'eft celle des mceurs ; rendez - la donc infupérable , Sc vous ne ferez pas fi fouvent forcés de recourir aux peines ! Puifqu'il eft démontré que le débaucbé , le diflïpateur, Findigent font prés du voleur , que le voleur eft prés de Faffaffin , que tous les vices fe touchent entr'eux & que la chaine des vices communiqué a celle des crimes , il en réfulte qu'en améliorant les moeurs qui corrigent les vices, on diminue le nombre des crimes , qu'on prévient leur naiffance. Mais cette amélioration eft-elle poftible dans 1'Europe ? Obfervons y Fétat aétuel des mceurs , faififlbns leurs variations , leurs nuances de différence dans les différens rangs. Ne confondons point d'abord les mceurs des habitans des villes avec celles des habitans des campagnes. Si les vertus ont encore un afyle fur la terre, il eft fans doute dans nos campagnes. On y montre encore 1'adultere du doigtde Fopprobre; on y fuit Finfame qui a trahi la bonne-foi: on y croit a Pamitié, a la fainteté des fermens; on y voit enfin d'heureux mariages, de bons peres; &C 1'eftime publique  15* ] s*afrêtè encore avec cómplaifance fur cette can-' dide innocence des jetmes payfannes , que noi jolies petites - maïtrefles perfifflent avec grace paree qu'elles fe font hatées de la perdre. C'eft en confervant les bonnes mceurs parmt les étres vertueux qui habitent les campagnes, qu'on étoufferadans leurame le germe des grands crimes. II faut donc écarter de leurs limples cabanes tout ce qui pourroit les altérer , il faut empêcher fair peftilentiel des villes d'y pénétrer. Le luxe qui peut être nécefiaire clans ces dernieres pour y exciter 1'induftrie , pour arraCher des mains du riche les tréfors qu'elles rece» lent, ce luxe feroit un incendie dévorant dans les campagnes. II faut que les payfans foient bien habillés, mais non pas a la mode. II faut profcrire des ajuftemens des jeunes payfannes , ces frivolités qu'invente le luxe dans les cités. La fimplicité, la modeftie doivent feules les embcllir : c'eft un mauvais préfage pour leur candeur, pour leur innocence , quand elles ont recours a des ornemens plus recherchés. II s'eft introduit depuis quelque tems dans certaines campagnes qui avoifment la capitale un luxe fingulier de table & d'ameublement. II eft des laboureurs, des meüniers qui fervent leur hötes en argent, qui ont des fallons fuperbes ornés de tapiflerie de Dij  [ 5* ] fauteuils, qui préfentent a la fin du repas ces liqueurs mortelles que Favarice va chercher au loin pour ranimer les goüts blafés des gens de la ville. Bons payfans, enivrez-vous, mais ne buvez jamais du café. La franchife fuit Pivrefle; mais quand on a recours a ces produélions étrangeres , quand Fhabitude en forme un befoin, on eft bien prés de copier dans les autres parties les mceurs de la ville. Des loix fomptuaires inutiles dans les cités feront donc excellentes pour les campagnes. Le voifinage des chateaux, le féjour des foldats femeftriers font deux fources de corruption pour les campagnes. Les maltres s'empreflent d'apporter dans leurs chateaux le luxe & fes raffinemens, 8c tous les vices agréables de Paris. On commence par les admirer, on finit par envier leur fort; le payfan jette un coup-d'ceil de réflexion fur le fien', le trouve miférable , jette la beche 8c le rateau, 8c court du fein du bonheur endofler la livrée de Fopprobre qui le rend malheureux. Les domeftiques des feigneurs, qui aux vices de leurs maitres ajoutent 1'impudence ( 18 ), ( 18) Onapublié bien des ordonnances pour prévenir Finfolence & les excès des domeftiques, on leur défend de^porter des cannes & des épées, on leur interdit 1'entrée des fpedacles. C'eft une excellente politique pour empêcher le nombre des domeftiques d'augmenter, qu« de les accabler d avililfemens.  I 53 J qm comme eux en violant les mceurs, n'en favent pas auffi bien refpefter le décorum, offrent le fpetfacle le plus dangereux dans le villam. Ils emploient leurs loifirs a féduire les jeunes filles du canton, 1'or brille dans leurs mains, leur jargon ridicule qui n'eft qu'une plate copie les met aux yeux des jeunes innocentes bien audeflus des Jeannot & des Colin; on cede a lillufion, on fuccombe, le déshonneur fuit la défaite, ckles regrets le déshonneur. Ce tableau n'eft malheureufement que trop vrai, que trop fréquent. II fe renouvelle pendant le féjour des foldats femeftriers dans nos campagnes , ils y apportent fous un habit refpeftable 1'infeaion de leurs mceurs corrompues. Puifque les riches habitans des villes font afiez malheureux pour avoir befoin de cent efclaves qu'ils aviliflent , puifque la politique veut que nos frontieres foient gardées par des militaires dont 1'incommode céli. bat eft 1'efprit, concentrons foigneufement ces deux caufes de corruption dans les villes qui n'ont plus rien k rifquer pour leurs mceurs, que la lOI défendeaux maltres d'emmener beaucoup de domeftiques a la campagne; qu'elle en bannifie les foldats; qu'elle éleve, s'il eft poflible, des laiarus oü les habitans des villes foient forcés de fe purifier avant d-'entrer dans les campagnes, D iij  I 54] ck peut-être 1'antique pureté des mceurs y renaïtra. II faut 1'avouer a la gloire de notre fiecle , on s'épuife en inftitutions pour ranimer leur vigueur ; ck la fête ( 19 ) des bonnes gens , les récompenfes accordées dans tous les lieux aux travaux, aux vertus des habitans de la campagne,prouvent qu'ils ont encore des mceurs, ck que les habitans des villes favent les eftimer. Ainlï 1'aveugle bénit le foleil qui ne Féelaire plus. Les villes ont reffenti leur heureufe influence. Je parle des villes de province, oü le flambeau des mceurs n'eft pas entiérement éteint comme dans la capitale. L'indifférence pour les moeurs regne a la vérité dans les unes : dans Fautre. c'eft la corruption dans tout. fon développement. Ici le vice a des pröneurs , mais fecrets; la il leve un front altier ck perfiffle impudemment la vertu. Ici 1'humanité ,1a reJigion foutiennent encore le temple des moeurs; la Fégoifme joue 1'un & Fautre pour les détruire plus fürement. Amea honnêtes qui avez fui la fange de la capitale pour jouir du calme dans la (19) Pour la vertu , elle fera excitée, & 1'on aura effez d'empreflement a fervir 1'état, pourvu que vous donniez des couronnes & des ftatues aux belles actions , & que ce foit un commencement de nobleffe pour les enfans de geux qui les auront faites. Tele-  E 55 ] folitude des provinces, paroiflêz & atteft ez la vérité de ce tableau; atteftez s'il n'efl pas encore de veftiges confolans des mceurs dans les pro vinces , & dans quel rang ? Citoyens éclairés par Féducation , rougifTez. .. dans les dernieres dalles de ces citoyens, dans ces clalTes oü s'étend le voile épais de 1'ignorance , oü Pindigence difpenferoit pour ainfi dire les vicYimes qui fe débattent fous fon couteau d'avoir des moeurs & de croire ala vertu. En effet, dans la clafie fupér ieure des habitans des villes on a Pair d'avoir des mceurs, mais on n'en a point au fond. Le rejpeét feut pour foi - même, pour le décorum public, y Jupplée : dans la région inférieure que compofent les propriétaires, les gens riches , on commence a douter fi Pon aura des moeurs. Enfin dans la derniere claffe, dans la clafie la plus nombreufe & la plus méprifée , la plus utile & la plus malheureufe, on a des mceurs fans en avoir 1'apparence ; ck ce qui frappera fans doute le peuple jufqu'au fein du crime (zo) a fouvent refpe&é les mceurs. Un phénomene étrange qui feroit ( 20 ) La fameufe Defcombat fait affafliner fon mari pour époufer fon amant. Si elle etit moins refpedé les mceurs, elle les auroit confervés tous deux, les femmes du plus haut rang font moins criminelles, mais plus vicieufes, D iv  I 5*3 prefque douter de 1'influence des mceurs fur les crimes , c'eft que la première clafie des citoyens en produit moins, & qu'on en voit plus dans la derniere qui les refpefte davantage : mais fi malgté Fanéantifiement des mceurs , les premiers rangs de la fociété font moins fouillés de forfaits, c'eft que Féducation a fuppléé aux mceurs en gravant dans Fame de certains principes d'honneur aflez efficaces pour arrêter le bras du forcené qui voudroit troubler la tranquillité publique, ck que la crainte de perdre fon bien - être effraie toujours. Cette perfpeftive falutaire n'eft jamajji devant les yeux du peuple, ck 1 on voit plus de crimes dans fa clafie que dans les deux autres, 1°. paree que Féducation y eft prefque nulle, adoucit moins 1'efprit, paree que le peuple ne fait guere le point oü il doit s'arréter ; 20. paree que la mifere qui le pourfuit, lui fait franchir toutes les bornes; 3°. paree que la fociété lui offre trop de moyens pour fe débaucher. Ainfi réformez fon éducation, rendez-le plus heureux fupprimez les occafions de débauche, ck vous aurez amélioré les mceurs. J'indique ici les remedes. Avant de les approfondir qu'on me permette de m'arréter un inftant fur les mceurs des capitales: fous quelques traits qu'on les peigne, on ne fera jamais accufé d'en faire la fatire , ck les couleurs ne feront jamais trop noires.  I 57] Londres, Madrid, Paris, ces villes oü les crimes fe multiplier* en raifon du nombre des individus , oü lafureur des jouiflances , entaffant fur un point une foule infinie d'individus , transforme en tigres les citoyens riches, & en vils efclaves ceux qui ont moins, oü le fquélette de 1'indigence paroït a cöté de la grofte opulence , toutes les capitales n'offrent qu'une fcene affreufe de débauche , de mifere , de vices & de forfaits, qui tous partent du même centre de 1'égoïfme. C'eft dans ce gouffre d'horreur qu'il paroit avoir établi fon empire : la, les manieres tiennent lieu de mceurs, la fauffeté s'intitule politique, la trahifon y eft le jeu ordinaire, la fureur du luxe fait fouler aux pieds les noms fi chers d'ajnis , de parens, de citoyens ; tous les degrés font bons paree qu'ils menent a lafortune, & ce n'eft pas fouvent le plus coupable que les loix puniffent, c'eft le moins adroit. Le luxe y confond tous les rangs, tk rapproche les extrêmes , mais ce n'eft que pour augmenter le poids de 1'infortune des citoyens, qui relégués par le fort aux derniers rangs, montent impudemment aux premiers; La mifere fuit de prés leur étalage éphémere , & le crime eft prefque toujours fur les traces de la mifere. En un mot, fi 1'homme riche eft plus vicieux, 1'homme du peuple commet plus de crimes.  1581 Aux claffes que j'ai diftinguées dans les villes ordinaires j'en ajoute trois autres pour les capitales, celles des courtifans, des financiers & des gens qui n'ont point d etat. Les rois font les mceurs des premiers , la fortune corrompt celles des feconds qui corrompent a leur tour tout ce qui les environne : c'eft a 1'opinion a les flétrir , la mifere eft 1'enveloppe générale des derniers; leurs reflburces font dans une induftrie criminelle , & ils trouvent leur fin dans les afyles de 1'opprobre préparés par la juftice. Les mceurs des courtifans fe reglent fur celles des princes: fouples caméléons, ils fe prêtent a tous les changemens avec facilité , volent aux champs de Mars , foutiennent les fatigues de la guerre avec un Alexandre, fe piongent dans une débauche crapuleufe fous un Sardanapale, dévorent les in-folio poudreux fous un roi favant, font économes, probes , ont des mceurs quand leur fouverain eft le premier a les refpe&er. Quand le ciel au jour de fes bénédiftions accorde un pareil prince a la terre, il femble le foleil qui vient difliper les nuages affreux qui bordoient 1'horizon. Les miniftres impurs des débauches fecretes difparoiflfent a fon regard impofant, le bel-efprit celTe de proftituer fes faillies  t 59] au fardanapalifme, 1'époufe outragée reprend fes droits , le mari n'eft plus honteux de 1'être , ck 1'innocence ck la candeur reparoilTent dans cette cour , d'oü 1'air empefté du libertinage les avoit bannies. Ce tableau n'eft point une chimère. J'ai 1'original fous mes yeux , dans mon cceur: tous mes leéteurs diront, c'eft lui. S'il me lifoit ^ il feroit le dernier a fe reconnoitre : le génie fait le bien , ck ne s'y voit jamais. O heureux , difoit Mentor a Idomenée, heureux le roi aftez aimé des dieux ck d'un cceur afTez grand pour entreprendre d'être ainfi les délices de tout un peuple, ck de montrer a tous les fiecles dans fon regard un fi charmant fpe&acle ! La terre entiere, loin de fe défendre de fa puiffance par des combats 7 viendroit a fes pieds le prier de régner fur elle. C'eft cet efprit de fageflê cjui régnoit dans les confeils que donnoit au roi de Salente le vertueux Mentor , qui a dicTté ces ordonnances bien propres a refTufciter les moeurs dans les clafles inférieures de la France, fi le tronc n'étoit pas trop vicié; ces ordonnances qui ont fermé la plupart de ces coupe-gorges infames décorés du titre d'académies, oü 1'efcroquerie fe démafquant infolemment, s'enrichiffoit aux dépens de 1'honnête homme dupé. Telles font encore ces autres  l6o ] ordonnances quï ont diminué par la flétrifiW le renfermement, ces malheureufes vicWs de Ia proftitution publiqueque le libertinage 8cquelquefois la mifere jettent dans 1'abyme de la corruption. De tous les chocs qu'ont recus les mceurs, celui-ci a été fans doute le plus funefte dans fes conféquences, 8c la plaie qu'il a faite ne peut jamais être fermée. La dégradation d'une partie d'un fexe qui mérite nos hommages, a réfléchi fur 1'autre; & 1'opinion publique qui difpofe des réputations, a tout renverfé, en donnantüchement le pas fur une femme honnête, a la fille dévergondée qui fe pavane de fes crimes. S'il eft vrai que 1'opinion publique peut feule reparer ce mal, puifqu'elle feule crée, change 8c imprime k fon gré des modifications aux mceurs ; s'il eft vrai que 1'opinion publique a fa fource dans' les ouvrages des écrivains , avec quelle chaleur les fouverains ne doivent-ils pas accueiliir les lettres qui gouvernentdefpotiquement 1'opinion publique, adouciffent les mceurs 8c les épurent J Quoique par leurs divifions fcandaleufes, les gens de lettres aient eux-mêmes affoibli 1'empire que la raifon leur donnoit fur le vulgaire, cependant on ne peut nier qu'ils n'exercent encore cet afcendant; 8c ce fiecle, tant de fois le témoin de leurs débats,peut en fournir la preuve. II n'en  [ 6i J exifta jamais aucun, oü les connoilTances fbrent plus univerfelles,'oü 1'amour des lettres fut plus refpectable, oü les fciences fbrent plus perfec tionne'es. On cite les fiecles d'Alexandre, d'Augufte ck de Médicis; mais vit-on k ces époques , comme k celle oü nous vivons, le flambeau de la raifonéclairerégalement le nord ck le midi, brilIer fur tous les peuples, fur tous les rangs, fur tous les états ? Quand les Démoflhenes, les Périclès fubjuguoient par leur éloquence la Grece policée , le farouche Sueve, enfeveli dans fes forêts ténébreufes, facrifioit k la barbarie. LesGaulois & les fiers infulaires leurs voifins n'étoient que des hordes de fauvages qui ne foupconnoientpas 1'exiftence de la lumiere. Quand Médicis rafiembloit dans fes états les fciences effarouchées par les armes des Turcs, la malheureufe Stamboul retomboit dans les ténebres qu'avoit diflipées le regne éclatant de Conftantin; il fe couchoit pour elle, ce foleil qui fe levoit pour une autre partie de 1'hémifphere. Mais aujourd'hui quelle partie de 1'Europe ne participe pas au bienfait général de la lumiere ? La philofophie fait entendre fa voix jufques dans les déferts de laSibérie; Tornéa a vu franchir fes glacés par des gens de lettres, ck leur fert d'afyle. En un mot, fi la raifon embraflant les deux poles a éclairé tou*  [ 61 ] les efprits, 1'humanité, fa compagne inféparable, a adouci ces cara&eres féroces en raifon de leuf ignorance. Incrédules qui doutez de Pinfluence bienfaifante des lettres fur le caraftere des nations, jetez vos regards fur le fiecle préfent, fur ceux qui 1'ont précédé: nos fideles hifioriens vous diront que les peuples étoient des meutes de chiens qui fe lailïbient conduire ala chafle;que les fouverains ne connoiffant point les limites de leur pouvoir, defpotesou fainéans toujours placés a un extréme, fefaifoient un jeu de faire couler les larmes de leurs fujets & le fang de leurs ennemis; que les feigneurs craints de leurs vaffaux, craignant leur fouverain, écrafoient les uns pour les affoiblir, luttoient contre Fautre pour n'en étre pas écrafés: ils vous diront que les nations peu éclairées fur leurs intéréts, ne fe voyant qu'avec les yeux de la jaloufie & de la haine, faifoient la guerre par befoin, la finiffoient par laffitude, la recommencoient par habitude: ils vous diront que les peuples portoient 1'efprit de férocité dans les camps, 1'efprit de corruption dans le fein de la paix, la fuperftition dans leur croyance, le fanatifme dans leurs difputes religieufes. Oppofez a ce tableau celui du fiecle préfent, & jugez. La guerre a quelquefois embrafé 1'Europe entiere; mais au  C 63 ] milieu des combats même, 1'humanité guidoit les guerriers. Ils fe font montrés pour la première fois avares du fang de leurs foldats. Pour la première fois on a vu deux monarques également amis des lettres, également refpeétables, que des intéréts politiques avoient défunis; on les a vus foumettre la décifion de leurs différends a la raifon ck nón a la force, faire fuccéder le calme de la paix a des orages qui menacoient tout 1'univers. N'eft-on pas forcé d'attribuer cette maniere nouvelle , mais admirable , de terminer les différends a 1'influence de la philofophie qui s'eft affife fur prefque tous les trónes ? Oui, quoi qu'en difent fes détraéfeurs , elle gouverne dans prefque tous les cabinets , elle a changé 1'abfurde machiavélifme pour lui fubftituer une politique plus douce ck mieux raifonnée pour les intéréts de 1'humanité. Si elle ne préfidoit pas aux confeils des rois,fi elle n'échauffoit pas de fon feu facré les têtes de leurs miniflres , que ferions-nous finon des efclaves du defpotifme ? Qui empêcheroit les fouverains d'appefantir fur nos têtes leur verge de fer, fi la raifon ne leur difoit pas que leur bonheur eft dans le nötre, que leur gloire eft moins dans les conquêtes que dans une fage adminiftration ? La révolutionqui s'eft faite avec rapidité dans la politique des rois, dans les mceurs, dans le caraclere  [64] des nations, dans tous les efprits, paroitra fans doute un phénomene a la poftérité. Nos peres nous 1'auroient enviée, nous en recueillons les fruits, bénifibns la main qui nous les procure. Oui, li les fouverains fe rapprochent de leurs fujets, fi les fujets aiment leurs mairres , fi les favans moins Couverts de la rouille du pédantifme , fe montrent fous un extérieur aimable, fi les militaires font valeureux fans être féroces, fi les membres de ce corps jadis fi redoutable par 1'arme facrée dont il fe couvroit, font vertueux fans être intolérans, fi les hommes de loi font humains fans ceiTer d'être équitables, fi les femmes font moins ignorantes fans être précieufes , fi le peuple eft plus policé fans perdre de fes mceurs antiques, rendons-en graces aux écrivains modernes, a ces écrivains qui ne refpirant que Ie bien de leurs femblables, ont fait pafier dans leurs écrits la douce chaleur de 1'humanité , la haine vigoureufe du préjugé qui les animcient. Les femences jetées au hafard dans toutes les têtes ont germé; Péducation publique, Féducation bien plus puiflante de la fociété, les ont fait éclorre; 1'opinion publique s'eft hxée & a recu lempreinte de la raifon. On a raifonné par-tout, on a vu par-tout que le bonheur particulier dépendoit du bonheur public; on a fenti que la guerre étoit un fléau de 1'humanité, que la guerre civile raflembloit  L 65 ] ' ralTembloit tous les fléaux, que 1'état le plus trifte étoit préférable aux horreurs de 1'anarchie. Nos contemporains, inftruits par les fcenes fanglantes de leurs prédécefleurs, ont payé les impöts fans murmurer , ont travaillé fans maudire le travail, 1'agriculture a été honorée, la carrière du commerce s'eft agrandie, les arts fe font perfeéïionnés , les manufaclures fe font élevées de tous cötés, tous les bras ont été employés : alors point d'oififs, & moins de criminels parmi le peuple; plus de gens éclairés parmi les grands & les gens riches, tbc moins de criminels. Voila le dernier anneau de la chaïne admirable des prodiges opérés par les lettres. Législateurs qui voulez prévenir les crimes, encouragez donc la culture des lettres, honorez ceux qui s'y dévouent, honorez ceux qui par leurs mceurs, par leurs écrits, inftruifant leurs concitoyens, leur apprenanta refpecler leurs maitres, a chérir leur état, méritent le titre glorieux de précepteurs du genre humain. Ils font néceffaires a vos états , protégez-les: ils font défintéreffés , vertueux , eftimez-les , répandez fur eux vos bienfaits, s'ils peuvent payer les lumieres qu'ils entretiennent pour le bien général. Quand je parle de 1'homme de lettres , je n'entends pas un mince faifeur d'épitres, ni le frivole rapfodifte de quelques froides compilations, mais cet homme utile 1 Tornt I. £  [ 66 ] dont les opinions fcrt cara&érifées par 1'amour d* vrai, les actions par la vertu. Ses écrits, en banniffant Terreur , étendent 1 empire de la raifon, la douceur de fa morale la fait aimer a fon ixecle: rois, peuples, tous s empreflent de fuivre fes pas, paree qu'ils conduifent au bonheur... Pere de la philofophie moderne , toi qui dans un difcours éloquent décrias autrefois les lettres que tu honorois, ma plume a fans le vouloir tracé ton portrait, ton cceur fut égaré par ton imagination : oui, tu calomnias les lettres. Cette mere qui bravant le préjugé , donne a fon enfant une feconde vie, ces époux qui s'aiment tendrement, ces efprits qui s'éclairent en te lifant, atteftent le pouvoir de tes écrits, & 1'influence imperceptible des lettres fur, 1'opinion, de 1'opinion fur les mceurs. En voyant Ie bien que tu as fait, on devine celui qu'on peut opérer; il eft encore des erreurs, des abus, des atrocités a extirper; tu nous en as montré la voie , c'eft féducation nationale. (21} Éducation du peuple. Quand le célebre Leibnitz recommandoit aux ( 21 ) Par 1'efprit philofophique dont je fais ici 1'éloge, je n'entends, comme M. de la Chalotais dans fon excellent Mémoire fur V éducation nationale, que « cet efprit de lumiere utile a tout, applicable a tout r 33 qui rapportechaquechofeafesvéritablesprincipes, „ indépendamment des opinions & de la coutunie. -  [ 67 ] fouverains dans fes ouvrages immortels de porter un eed plus vigilant fur féducation de leurs peu-: pies , de bannir les abus qui 1'infeéroient, il avoit vu les conféquences funeftes pour les états , qui découlent de Fignorance qui étouffe la raifon , ou de mauvais principes qui 1'empoifonnent en s'amalgamant dans 1'ame trop flexible de la jeunefle. Ses cris ont réveille 1'attention des philofophes, ils les ont répétés avec enthoufiafme ; ck les chefs des nations fortant enfin de leur lethargie , rejetant les abfurdités des Machiavéliftes, ont vu clairement que, pour être ignorans, leurs fujets n'en étoient ni plus foumis ni plus heureux : ils ont d'abord jeté leurs regards fur féducation qu'on donne a la jeuneffe dans ces maifons que 1'on croit 1'afyle des lettres ck des mceurs , & qui ne le font plus que du pédantifme ck peut - être de la corruption. Le regard du monarque a été le fignal du combat pour les écrivains. Malgré la force des armes philofophiques, ( 22 ) le préjugé appuyé de 1'étai facré de la prefcription , lutte encore avec fuccès: c'eft un édifice immenfe dont (22) De la foule des écrits qui ont paru fur cette matiere, il faut diftinguer YEJJ'ai d'éducation natio. naledeM. de la Chalotais 1765 , le livrede YEduca. tion publique, & les différens ouvrages de M. Verdier qu'on peut appelier le martyr de féducation nationale. Torne I. E ij *  i 68 ] l'antiquité femble en impofer, qu'on n'ofe anéanbr, paree qu'on fe défie des mains hardies qui veulent élever fur fes débris un monument augulle a la raifon. Dans ces combats littéraires fur 1'éducation nationale , il ne fe préfentoit perfonne pour plaider la caufe du peuple, toujours oubhé paree qu'il a toujours multiplié fes fervices, fans jamais en demander le prix. II falloit que , fur ce point comme fur tant d'autres, le pord que nous dédaignons, donnat la lecon au midi. (23) II falloit que la Pologne , au milieu des troubles qui la déchirent, au fein de 1'affreux fyft cme de la féodalité qui la déshonore, apprit aux nations eivilifées qui refpirent fous un cümat plus nant, fous un gouvernement moins orageux, les moyens d'augmenter le bonheur public en élevant des établihemens confacrés a 1'édueation du peuple. Et quel autre mobile que celui d'une bonne éducation développera dans le cceur de 1'homme du peuple le germe des vertus fociales ? Quel autre lui imprimera ces tendres mouvemens qui le portent vers tous fes femblables ? Quelle ( 25) Tout le rnonde a entendu parler des projets d'éducaüon nationale qu'on exécute aujourd'hui' en Pologne & en Suede, II y a en Danemarck une efpece de cenfeurs chargés de veiller fur les éducadons tant Publiques queparticuliei-esdesepfan^,  [69] autre que la main de 1'éducation gravera ineffacablement dans fon ame ce langage dicïé par la nature: homme , aime tes femblab'es, tu le dois a la fociété , tu le dois a toi-même; fujet, chéris ton fouverain , il veille fur tes jours quand tu te repofes; époux, aime ton époufe , elle eft ton image , elle doit faire tes délices, refpeéte-la, elle eft foible, eftime-la, elle eft ou peut devenir ton égale; pere, éleve avec tendreffe tes enfans, étends fur eux une main perpétuellement bienfaifante, ils font le fruit de ton amour, & leur éducation eft un garant fur de ton bonheur & de leur gratitude ; maitre, ne laiffe point tomber fur tes domeftiques un regard dédaigneux ou courroucé, la nature les a fait naitre fur la même ligne que toi, s'ils font plus malheureux, ils font plus refpeélables, pratique lareligion de tes peres, mais pour la foutenir, n'emprunte pas le glaive enfanglanté du fanatifme; fois tolérant fi tu es dans Terreur, fois - le encore fi la vérité t'éclaire, Taveugle a droit a la pitié & jamais k la haine ? Avouons-le, fi tous les efprits étoient pénétrés de ces maximes, fi ce langage gravé dans tous les cceurs étoit répété par toutes les voix , la furface de ce globe féroit-elle fouillée par tant de forfaits ? Le voleur qui viole avec hardiefie le droit de la propriété, Taflalfin qui verfe fi légérement E iij  C 70 ] Ie fang de fes femblables , fe livreroient-ils a ces exces-, fi une bonne éducation avoit appris a 1'un a diftinguer les bornes facrées du tien & du mien, i courber fa rite fous le faix du travail pour corriger le fort plutöt qu'a les franchir, fi elle avoit imprimé dans le cceur de Fautre ces tendres fentimens qui nous attachent a nos femblables? Le fanatifme religieux oferoit-il encore montrer fon front hideux,fi Féducation prêchoit dans nos écoles la tolérance ? Non, il n'eft point encore éteint par-tout: la même année Fa vu dans deux pays différens jouer un róle important. La perfécution excitée contre le malheureux Olavidès, fon injufte & ridicule condamnation prouvent que les Efpagnols retombent dans ces ténebres épaiffes, dont leur commerce avec les Francois auroit pu les tirer. Ils ne regardent qu'avec horreur Hume ck Voltaire, ils les bi-ülent folemnellement, ck la main, la fatale main des inquifiteurs ofe s'élever contre Fautel dédié au génie. Dans FEcofle, le parti dominant du farouche presbytérianifme copie les moines ck renouvelle contre les catholiques les premières perfécutions. Des parlementaires philofophes, amis de 1'humanité, veulent adoucir les loix rigoureufes porties contre les catholiques, ils veulent les rendre a Ia fociété, leur donner un état eivil: une chapelle s eleve, & les presbyté-  C 7* ] riens ameutant aufii-tót le peuple au nom du Dieu de paix, vont la torche d'une main, 1'épée de 1'autre, détruire, embrafer ce monument élevé par le patriotifme raifonnable. Poulïant plus loin leur fanatifme, ils font expier aux malheureux catholiques , par leurs vols, leurs affaffinats,, la proteftion que le gouvernement leur accordoit; ils ont 1'audace de demander 1'anéantilTement du bill , & on a la foiblefie de le leur accorder. L'impunité enhardit au forfait, & il eft toujours dangereux de laifier connoitre au peuple fes forces ; c'eft un lion dont il ne faut pas laiffer croltre les ongles. On a demandé quel étoit le remede contre ce fanatifme. II eft fimple, il n'eft point dans la main impuiffante du gouvernement qui ne doit jamais commander la tolérance ; c'eft a féducation feule a opérer ce miracle. Corrigez celle du peuple, corrigez fur-tout celle des prêtres: qu'on n'entende plus les univerfités, les écoles , les chaires, retentir de ces maximes abominables qui élevent une barrière inféparable entre les concitoyens, entre un pere & fon hls: qu'on y enfeigne 1'humanité , la tolérance: que les prétres en apprennent les douces loix pour les répéter enfuite au peuple & 1'on ne verra plus ni les féroces citadins d'Edimbourg, ni les juges ignorans de 1'Efpagne, E iy  [ 7* ] déshonorer ou condamner au feu celui qui ne penfe pas comme eux ( 24 ). Ces fcenes fcandaleufes que donnerent autreois chez nous les Torqutmada, ne déshonorent plus notre patrie; il n'eft plus befoin d'invoquer contre le ^fanatifme 1'éloquence de la raifon: les chefs, le peuple, tous reffentent les heureux effets d'une converfion falutaire au tolérantifme qu'enfeigne 1'éducation fociale, puifque 1'éducation des colleges recele encore un refte de cet impur levain qui pourroit 1'altérer. Mais Heft d'autres vices qui corrompent les citoyens, d'autres crimes qui flé- (24.) Voyez le Courier de VEurope ,n°, 13 , tom V page ioj. Le rédacteur s'émerveille de ce que cettè Icene afFreufe s'eft paffée vers la fin du fiecle philofophe. Cela neft point étonnant, le peuple eft & fera toujours peuple , tant qu'on ne changera point 1'éducation actuelle ; & tant qu'il fera dirigé par des miniftres mtereifes a le laiffer croupir dans 1'ignorance , il n y aura qu une très-petite partie du globe éclairée. Qui le croiroit cependant ? les juges du malheureux ülavides ont trouvé un obfcur apologifte. On concoit que 1 abominable Neron ait aflaflïné fa mere & fes amis ; mais on ne conqoit pas qu'il fe foit trouvé une plume pour lejuftifier:onne fe familiarifera point avec les horreurs. On avoit d'abord regardé en Angleterre comme une plailantene , la reclamation des puritains contre le bill tiu catholicifme; mais le jeu a été peut-être plus loin qu on ne 1'auroit cru, & les étincelles de ce feu ont rejailh fur ceux qui 1'avoient allumé. II s'eft formé une aüociation de fideles presbytériens, comme dans le tems ou 1'on iu périr Charles premier.  [73 r triflent de tems en tems l'afpeét du bonheur général : Féducation combinée avec les moyens que nous avons déja préfentés, en étouffera le/germe, ou du moins en diminuera le nombre Sc les ravages. Donnez en effet plus de refïbrt a Féducation du peuple, ouvrez-lui des écoles de morale, de politique, formez fon ame aux vertus, Sc il y aura plus de bonne - foi dans fes engagemens, plus de douceur dans fon cara&ere , plus de pureté dans fes mceurs. II ne fera pas alors fi prompt a fe jeter dans le crime, Féducation excitant a propos le remords , arrêtera fon bras prêt a devenir coupable. Incrédules qui doutez du pouvoir de Féducation, defcendez dans les cachots, interrogez les fquélettes qui y languiflent, Sc vous verrez que prefque toujours la mauvaife éducation a fait éclorre les événemens afFreux qui les ont précipités dans le crime. Mais comment améliorer Féducation du peuple ? On a regardé long-tems ce problême comme infoluble. Marchant fervilement fur les traces de nos peres, nous n'ofons toucher a leurs inftitutions, nous laiflbns fubfifter la perfide routine enfantée dans des tems ignorans, qui forme ou plutöt écrafe toutes les tétes fur un feul modele, tbc fur le plas mauvais. II eft tems que ces abus difparoiffent, Sc faflent place a un fyftême raifonné d'éducation populaire. J'en ai  E 74 ] tracé le plan dans une differtaüon foumife aux lumieres d'une académie refpeöable; j'aime a me perfuader qu'en le fuivant, la lumiere fe répandra dans nos campagnes, & qu'en éclairant les efprits, ellepréfervera les cceurs de la tentation de porter fi fouvent atteinte aux loix fociales. Doit - il paroïtre étonnant que ces atteintes foient fi multipliées aujourd'hui, & qu'il y ait partout tant de voleurs & d'affaffins, lorfqu'aux caufes qui donnent naiffance aux crimes & que nous avons développées, il feut joindre encore cette makdie horrible des états Européens, Ia mendicité ? Lorfque les eaux deftinées par Ia nature a étancher la foif de tous les hommes, font artincieufement détournées par des canaux particuliere pour 1'ufage exclufif de quelques individus, le malheureux que le befoin tourmente, tombe du morne abattement dans le défefpoir ' ck brife avec fureur ces canaux meurtriers, d'oü il fait retomber les éclats fur la tête de fes ennemis. Les jouilTances, les propriétés exclufives ont partout produit la mifere de la claffe la plus nombreufe, ck la mifere a enfanté la mendicité qui, dérobant d'une main pour afTouvir fa feim, a de l'autre plongé le poignard dans le fein du riche pour étoulfer fes cris. Voila en deux mots 1'origine dn vol & de 1'affalïinat. Pour en extirper les  [ 75 1 racines, ïl faudroit ramener parmi les hommes cette égalité de conditions fi prönée par les philofophes modernes, mais qui ne peut point entrer dans le cadre des gouvernemens aétuels: il faudroit diftribuer les richelTes dans une jufte proportion parmi tous les citoyens : il faudroit arracher de leurs cceurs le defir corrofif de 1'ambition, modérer 1'aiguillon de leur intérêt perfonnel: il faudroit... Mais encore une fois , ces idees romanefques doivent être reléguées avec la fable de lage d'or parmi ces rêveries poétiques. Dans le cercle des conftitutions politiques, oü la main des fouverains a marqué des rangs, diftingué des claffes, accordé des privileges exclulifs, la fource des richelTes publiques s'éloignera toujours de la circonférence, pour s'engloutir dans le centre ; des canaux particuliers en déroberont toujours la plus grande partie. En un mot, il y aura toujours des riches , il doit donc y avoir des pauvres. Dans les états bien gouvernés, ces derniers travaillent & vivent; dans les autres, ils fe revétent des haillons de la mendicité, & rongent ïnfenfiblement Tétat fous le manteau de la fainéantife. Ayons des pauvres, & jamais de mendians. Voila le but oü doit tendre une bonne admininration. Depuis long-tems le gouvernement s'occupe de la deftruclion de la mendicité: mais les régie-  mens publiés de tems en tems, fans même en excepter le dernier, ne font-ils pas des palliatifs plus propres a cacher la plaie qu'a la guérir , & qui, grace a 1'artifice cruel des fubalternes , n'ont fervi peut-être qu'a 1'augmenter ? Je ne prétends pas décrier ici le motif de bienfaifance qui donna nailTance aux maifons de force ; je fais que 1'humanité devoit préfider a leur adminiftration, 1'ordre en écarter les abus. Je fais que les magiftrats chargés de veiller fur ces afyles de la mifere, s'occupent des moyens d'en bannir 1'oifiveté, la mifere, par d'utiles projets. ( Voye^t le Programme d'un prix propofé pour fubffituer a Bicêtre le travail des bras a la force motrice qui fert a élever 1'eau. ) Mais le fuccès a-t-il répondu aux efpérances qu'on avoit concues de ces établilTemens ? Les malheureux qu'on y a renfermés ontds été . traités avec plus d'humanité ? a -1 - on adouci leur mifere , foulagé leurs infirmités > Leur a -1 - on procuré une fubfiftance honnête ? Enfin tant de cris qui partent du fein de ces gouffres, font-ils des cris de joie ou de défefpoir ? Je cherche a me faire illufion, je tire le rideau: mais , ö mes femblables ! fi vous êtes fenfibles , fi 1'infortune a quelquefois fait couler vos pleurs, n'entrez jamais dans les maifons de force. II eft des villes oü, pour fupprimer la mendi-  [77] cité, Ton a eu recours a des moyens" plus conformes a 1'humanité , 6c dont les effets ont été plus heureux. Tels font les bureaux établis a SaintOmer. ( Voye^ fon fage réglement du x i aoüt 1778. ) A Boulogne-fur-mer (25 ) la bienfaifance publique prévient 1'importunité des mendians par des fecours fuffifans 6c fecrets. Dans d'autres endroits, de fimples particuliers ontréuffi k bannir la mendicité par des établiffemens con j fidérables. Ath (26 ) 6c Bar-le-duc (27), Paris même (28) , en voient profpérer tous les jours de femblables, élevés dans leur enceinte. Cependant un philofophe ( 29 ) , au fein même du malheur qui le pourfuivoit, n'arrêtant fes regards que fur celui de fes femblables , propofa un prix pour rechercher la caufe de la mendicité, pour (2?) J'ai réfide quelque tems dans cette agréable ville , ou je n'ai pas vu un feul mendiant, quoique pendant la guerre atfuelle le nombre des pauvres foit im menfe par 1'abfence des matelots. II y a une foufcrip. tion pour leurs fecours, qui monte a 600 liv. parmois Les Anglois qui y font établis, fourniffent la majeure partie de cette fomme. (26 ) Voyez la defcription de cet établifTement, Annales de Linguet, tome II, page 2^. (27; La Gazette d'agrkultureóu 24r.ovcmbre 1778 ( 28 ) Etabliflement pour les pauvres de la parohTe' de Saint-S'ulpice. ( 29 ) Prix propofé par M. Linguet, -Annal. polit. tome III page 341, tour un difcours fur les cuufes de la mendicité. 1  r 7* ] la fupprimer. S! le fuccès n'a pas répöndu a foh zele, les amis de 1'humanité ne lui en ont pas moins payé leur hommage ; fes vceux avoient été prévenus par ceux de 1'académie de CMlons-fur-Marne,quiapublié depuis le réfumé des excellens mémoires qui lui ont été envoyés ( 30). On a propofé de rechercher les caufes de la mendicité, & den donner le remede. Cette queftion propofée trop généralement ne peut jamais avoir de folution. Telle caufe en effet produit ici la mifere , qui ailleurs n'influe point fur le peuple. Tel remede fera efficace dans une ville, qui dans une province fera infuffifant. La mendicité eft une fuite de»la mifere, la mifere eft le produit de mille circonftances accidentelies : guerre, imP6ts, famine, engorgement de canaux, défaut de débouchés , oifiveté , fureur du luxe , &c. on rempliroit des volumes de 1'hiftoire des caufes de la mifere. Ce ne font pas les mêmes circonftances qui les produifent par-tout, il ne peut donc y avoir de remede univerfel. C'eft fe confumer en efforts inutiles que de le chercher. On doit fe borner a 1'inveftigation d'une méthode ( ;o) M. Linguet doit publier dans peu fon Traité fur la mendicité. Son plan -pour 1'extirper ne reffemble en rien a ceux qui ont paru.  i 79 1 générale pour trouver les caufes de la mendU cité, & d'une méthode de cure qui fe modiflera fuivant les lieux & les circonftances. Telle eft celle dont je préfente ici le canevas, elle eft fondée fur un enchalnement de faits faciles a conftater. La mendicité eft le fruit de la mifere qui eft ellemême produite par mille accidens furvenus , foit dans les produdions de la terre, foit dans le produit des manufadures, foit dans le hauffement des denrées, dans un excédent de population, &c.' Le remede doit être dans la nature même de chaque accident: principe qu'indique le feul inftind du bon fens & dont on ne doit point s'écarter. Si 1'on veut donc trouver les véritables caufes de la mifere , il faut que les fouverains faffent faire chaque année dans chaque province, ville, bourg, &c. un dénombrement exad de la population, des produdions, des manufadures , des vices du climat, de fes reflources. La feront confignés 1'état de chaque citoyen, le montant de fon fakire, le nombre de fes enfans , le prix des denrées , &c. Pour faire ce dénombrement, on établiroit dans chaque capitale de province, fous la dépendance d'un bureau fupérieur, un bureau général, dent reflbrtiroient les bureaux de« villes  C So] & des vülages. Les corps de ville, les fyndics dans les bourgs feroient chargés de faire ce dénombrement, afin d'éviter la confufion dans les formes; on imprimeroit des regiftres oü ils feroient tenus de marquer le nombre, 1'age , les qualités de chaque individu , fes reflburces. Ce plan n'eft point impraticable dans un royaume étendu tel que celui de la France. Elle n'eft fürement pas fi étendue que 1'empire Romain dans le tems de fa fplendeur. Or, fous le regne d'Augufte on fit trois dénombremens de perfonnes, biens & taxes. La Suede nous a déja frayé la route. V. le Tabel Wercket. II y a long - tems qu'on y a établi un bureau de population qui donne chaque année le dénombrement exacï: des habitans de Ia Suede, des naiflances, des morts : pourquoi la France n'imiteroit - elle pas une conduite fi fage ? Pourquoi n'auroit-elle pas un tableau politique-tópographique de la population de la France, femblable au tableau médical-topographique projeté par la Société royale de médecine ? Quels heureux effets découleroient d'un pareil établiflement! Les befoins, les reflburces de chaque province feroient connus; la fainéantife feroit dé-, mafquée , le pauvre feroit fecouru. Alors, fi une paroifle avoit trop de bras, on les répartiroit dans celles qui n'en ont pas fuffifamment. Si une branche de  [ Si ] de commerce étoit obftruée , on en faciliteroit la circulation. La Beauce , cette province fi fertile en bied, fourmille de mendians; c'eft que le nombre des grands propriétaires eft trop confidérable , c'eft qu'un feul fermier exploite un terrein qui faifoit fubfifter autretbis vingt families. Une fage législation interdiroit les exploitations trop étendues, les répartiroit fur un plus grand nombre de têtes. II eft tel vignoble oü le payfan meurt de faiiTj au milieu des richelTes qui Tentourent: ouvrez-leur un canal, & il s'enrichira. D'un autre cöté, les grandes villes qui, fous le mafque d'un étalage faftueux, cachent la mifere qui ronge leurs habitans, les grandes villes font inondées de gens fans état, fans afyle , fans reflburces , qui ne mendient pas a la vérité, mais qui ne s'occupent que des moyens de fubfifter aux dépens du commun. De la les efcrocs , les filoux, les joueurs ; il faut les connoitre, les arrêter , les revêtir d'un uniforme ou leur mettre une beche a la main , s'ils ne prouyent pas qu'ils aient un état qui les faffe fubfifter. On y voit encore une foule d'individus qui fe parent impudemmerit du titre d'hommes de lettres, & fe croient en droit de ne rien faire paree qu'ils ont compofé quelque madrigal. II faut purger la littérature de cette nuée de frêlons; & c'eft par refTome /. F  [8l] pe£t pour Ie véritable homme de lettres, que Ie législateur doit rétrécir fa fphere.« J'ai une grande caufe a défendre , difoit dans la derniere guerre d'AUemagne 1'empereur k un jeune avocat qui refufoit de porter le moufquet, fous prétexte de fon titre , & votre bras me fervira. » Le prince avoit radon ; c'eft le langage que pourroient tenir tous les législateurs k la plupart des gens de lettres. Et pourquoi feroient-ils difpenfés de rendre fervice k 1'état ? L'auteur d'un poëme qui meurt le jour de fa naiftance ne feroit-il pas plus utile fur un pont que fur le Parnaffe ? Forcer tous les citoyens a prendre un état, ou au moins les forcer de prouver qu'ils ont de quoi fubfifter , eft donc un moyen trés - fage pour éloigner la mifere & prévenir les crimes. C'eft au fein de 1'oifiveté & de 1'indigence qu'ils naiflent tous. L'homme qui n'a pas de pain , qui rougit de travailler pour en gagner , devient infenfïblement un voleur, & pour cacher fes vols , un aflaflin (31). (31) Je ne fais pas pourquoi 1'on a fait en France une clafie particuliere des gens de lettres. L'éloquent Penclès gouvernoit Athenes, Cicéron fut conful a Rome, Newton étoit directeur des monnoies. Un rimeur en France n'eft qu'un rimeur, & devient par force un parafite, un être inutile. On a beaucoup crié contre 1'inutilité des moines. Ils auroient pu direavec juftefie a quelques - uns de leurs adverfaires : nofce. t.e ipjum.  183 ] On voit par-la que la mifere n'eft que le produit de caufes locales & circónfcrites , qu'elle ne peut être guérie que par des remedes locaux. Or on ne parviendra jamais a afligner les unes, a trouver les autres , que par la méthode du dénombrementdont j efquiffe ici le projet. Mais quel que foit le remede qu'on applique a cette plaie, fi la mendicité difparoit , la fource des crimes fe tarira. C'eft une conféquence néceflaire: moins de mendians, moins de voleurs ; moins de voleurs , moins d'afiaffins ; ce doublé axiome eft infaillible en politique. S'il reftoit encore quelque doute fur cette vérité, malgré les raifonnemens qu'on a développés , il fuffiroit pour les difliper, de jeter les yeux fur deux contrées qui offrent le contrafte le plus frappant, foit du cöté du climat & du caraftere des habitans , foit du cöté du gouvernement & des mceurs , je parle ici de la Hollande & de 1'Italie. (32) Dans 1'une qui paroit être la proie des élémens déchamés contr'elle , les habitans (32) Vol confidérable commis le 22 mai 1778,au foir dans le lief grand-ducal de Grappoli. Le vicaire de ce fief avoit beaucoup d'argent& d'argenterie: huit inconnus y pénetrent, affaffinent trois ou quatre perfonnes, emportent tout 1'argent & fuient vers Geneve. Cette fcene fe re nouvelle fouvent. Gaz. Flor. du 5 juin 1779. F ij  [ U ] forcés de difputer leur exiftence a Fair, a la terre & a la mer, font condamnés a un travail éternel. Dévorés de Fardeur des richelTes, ils travailloient autrefois pour reculer les hornes du commerce ; ds travaillent aujourd'hui pour conferver la prépondérance qui leur échappe. L'aftivité eft un befoin, & le befoin eft prefque nul chez eux. II femble, en un mot, que la Hollande recele une mine inépuifable de richelTes ; elle ne manque pas aux hommes, quelque nombreux qu'ils foient; ce font les hommes qui lui manquent. II doit donc y avoir peu ou point de mendians dans fon fem , & Fexpérience confirme cette conféquence théorique de la bonté de fa conftitution. Abattu par les chaleurs d'un climat brülant, 1'Italien au contraire fe dérobe au travail qu'il détefte: le repos eft fa fphere , le plailïr fon élément. VIdalgo, a qui la nature a fait un préfent d'un vain titre de noblefle que la fortune avare a déchiré, préfere Fhumiliation accablante de demander la mineftra, a la reftfourcehonnête du travail. L'homme du peuple dédaigné par le noble, accablé fous le poids des impöts, en proie a des paflions que fait fermenter Ia chaleur du climat, mendie s'il n'a pas de pain, vole li la mendicité ne lui en procure pas, aflamne ft dans fes vols il n'eft pas le plus fort. Sur de trouver un afyle dans 1'état voifin de celui oü il  i[ 85 ] a commls fes crimes^ il ne craint point de les multiplier, paree qu'il a toujours devant les yeux la perfpeftive de 1'impunité. L'Italie fourmille donc de mendians & de voleurs, ck de sbires qui font néceffaires dans ce malheureux pays, comme les médecins dans une maladie épidémique. Mieux vaudroit n'être point affligé de la maladie. II paroïtra fort étrange que les pays oü il y a plus d'archers, de sbires, d'alguafils , foient ceux oü il y a plus de mendians, de voleurs ck d'alfaffins; feroit-ce donc une vermine deftruclive qui pulluleroit en raifon des précautions que 1'on prendroit pour 1'anéantir ? L'Efpagne , 1'Italie , la France fur - tout ont des corps nombreux de citoyens, chargés par état de veiller a la füreté des autres , d'arrêter les malfaiéleurs, dont le nombre eft toujours confidérable. La Hollande ck l'Angleterre qui n'ont point de S'ainte-Hermandad, fe plaignent peu de vols ck prefque jamais d'affaflïnats. Quelle eft donc la raifon de cette différence ? Elle eft dans la différence des mceurs ck du gouvernement intérieur. Dans ces derniers pays 1'être que la nature a créé fans fortune , trouve dans 1'agriculture , le commerce , les manufaótures ou ies arts mécaniques que la politique y comble de faveurs raifonnées, F iij  LS6] trouvé, dis-je , une reffource füre pourcorriger 1'influence de fa mauvaife étoile. II préférera donc le travail a 1'expédient cruel ckincertain des'enrichiren pillantamain armee, paree que le travail lui donne un titre & des privileges , la confidération, le bonheur. Dans les autres , foit excès de population, foit pareffe dans les individus favonfée parle climat ou la nature du gouvernement, foit découragement produit par la vue du fardeau' focial qui accable, foit difette de reflburces occafionnée par 1'engorgement des manufadures, le peu de débouchés de denrées , ou d'autres vices, foit enfin par 1'impoffibilité de jamais réparer par le travail 1'injuftice du'fort, un grand nombre d'êtres qu'il maltraité , fe jettent dans les bras de la mendicité. Poufles par la mifere, & ne trouvant pas dans cette reffource le foulagement qu'ils attendent, ils confpirent contre la propriété , 1'exiftence de leurs femblables pour conferver la leur. Pourréprimer leur audace, le gouvernement doit multiplier les alguafils & les bourreaux, hériffer fes chemins, fes places, de potences ck de roues, que chez les deux autres nations la nature du gouvernement rend prefqu'inutiles. Que Ie Francois , toujours ardent a ridiculifer les ufages & les mceurs des infulaires fes voifins, celle donc de leur crier d'mftituer des maréchauf-  [§7] fées k Ia place de leurs Watchmens (33). Heureux le peuple chez lequel un homme feul, revêtu par la fociété du titre de fon gardien , a le fecret de la faire refpe£ter avec le foible figne de fa dignité ! La, les mceurs, la bonté du gouvernement ck le bonheur des citoyens y font le plus fur rempart contre les atteintes qu'on voudroit donner aux loix. II n'en exiftera plus aucun > veilige , ck 1'Anglois fera fur la trifte ligne de tous les autres peuples, quand fes chemins , quand fes villes feront couverts de gens armés qui ne préparent que trop fouvent les chaïnes de la fervitude, en veillant fur les afyles des citoyens. II en fit la cruelle expérience dans ces tems orageux oü Guillaume le Conquérant,aigri par les révoltes fréquentes, craignant le peuple qu'il avoit mis dans fes fers, étoit forcé d'appuyer fes loix par les armes ck d'étouffer les feux de la rebellion avec le poids du plus dur efclavage (34). Ce n'eft pas cependant que je veuille élever ici ma voix contre 1'inftitution des maréchaulTées en France. Elle eft utile, elle eft même néceflaire; (33) Voyez 1'article Police, tome I du Voyage de Londres. L'auteur y dit en parlant de cette ville, ce que j'ai moi-même étéa portee de vérifier: urbs'hcïc nee purior ulla eft, nee magis his aliena malis. (34) II inftituale couvre-feu. F iv  [ ss ] & Ia loi (3 5) qui a récemment illuftré fes chefs' qu. a fait difparoïtre 1 'abfurde préjugé qui les aviWloit, eft diftée par une politique bien combinéé. Ceft un reffortdontlWenceentraïneroit peutétre la perte de la monarchie, ou y cauferoit au momsun grand défordre. La corruption y dégradant fans ceffe les mceurs, la mifere y créant une foule de mendians & de voleurs , il faut pour la fïïreté commune prévenir leurs excès par une force coërcitive, & cette force doit fubfifter jufqu'au tems heureux oü cette lepre regardée comme incurable ceffera d'affliger les parties intéïieures de 1'état. Ils nous 1'auroient enviée cette utile inftitution , nos aïeux qui, fortis a peine des guerres ridicules & cruelles de la ligue & de la fronde, n'ofoient pas encore refpirer librement dans les villes qu'infeftoientdes eflaims toujours renaiffans de voleurs (3 6). Les maifons n'étoient point des afyles afturés contre leur audace , la nuifcouvroit de fon ombre leurs coups myftérieux, leurs affaffinafs répétés; le jour même les éclairoit impunément. ( H ) Voyez le nouvel édit fur les maréchauffées ' qui accorde rang d'officiers aux exempts , &c. (,5<5) Qu'on fe rappelte qu'alors on jouoit la comé01e a deux heures. narr.p m,'i r„nthi„ _m. '. .. remolie Hp ™1 ' '""T"""" lrt VJUe et01t  [*9l II vlnt un magïftrat éclairé, animé par 1'amour du bien public, qui purgea la fociété de ces amas de flibuftiers que Tappas du gain accroilToit; une garde nombreufe répandue dans tous les quartiers de la capitale prévint les defordres, effraya le crime pret a naitre , le forca de s'envelopper de 1'ombre du myftere ; 1'ordre naquit, & avec 1'ordre la füreté publique. Nous goütons machinalement les fruits de cette admirable inftitution : reportons nous fur les fiecles précédens, & nous verrons combien elle a diminué la lifte des forfaits. Heureux fi fes décrets diftés par la fagefle étoient toujours exécutés avec fermeté (37}, fi le faix n'en retomboit pas prefqu'entiérement fur le peuple ! Plus heureux encore, fi aux refforts qu'indiqua la raifon pour maintenir la füreté publique, on ne joignoit pas des moyens terribles paree qu'ils font obfeurs, de ces moyens puifés dans le fein affreux du machiavélifme, que les tyrans employerent dans tous les tems,dans tous les pays, pour affermir leur domination chancelante (38), ( 37 ) Une ordonnance de la police du 20 juin 1779, défendoit aux domeftiques de porter cannes, fabresou couteaux de chafTe ; & lorfqu'on la publioit, on voyoit une rille publique fe promener dans un fuperbe équipage , derrière lequel étoient deux géans avec fabre & épaulettes. (38) Ariftote, dans fon Traité fur les gouverne*  190 ] contre les efforts de la liberté, & qui ace titre devro,ent être rejetés par un prince chéri de fes fujets ; de ces moyens enfin qui font trembler jufques dans fes foyers le citoyen auquel un vil falaire a peut-être donné dans fon domeftique un efp.on dangereux, & dont la liberté, les jours même font a la merci du premier délateur. Félicitons-nous cependant; ces armes autrefois fi redoutables lorfqu'elles tomboient indifféremment fur toutes les têtes, ceflent de 1'être aujourd'hui que , dans la main d'un miniftre ami de 1'humanité, elles font dirigéesavec des précautions fcrupuleufes fur les coupables dont le crime les attire. L'ordre qui regne dans la capitale de la France, cet ordre qui caufe 1'admiration de tous les étrangers étonnés de ce que rien n'échappe a 1'ceil vlgilant du magiftrat, cet ordre, dis - je , devroit être fuivi dans toutes les villes des provinces. Ce n'eft pas affez que les vallées (39) & les forêts qui offrent des afyles aux voleurs, foient exactement & perpétuellement parcourues, vifitées mens, fait remonter 1'origine des efpions chez les Perles. II y avoit chez les Syracufains des femmes chargees de ce v.1 m.niftere, qu'on appelloit potagogides. Hieron, Dems le tyran., &c. mirent ce moyen a la mode pourdecouvnr les confpirations. ( J 9 1 On ne devroit jamais permettre de planter des üois dans ces fonds ou lieux nommés a juite titre  C 9- 1 fouillées par les maréchauffées ; ce n'eft pas aflez que le négociant puifle faire circuler fürement (40) fes richelTes d'un bout du royaume a l'autre. L'enceinte des villes voit quelquefois fe commettre des crimes qu'une garde exacle auroit prévenus. II eft étonnant qu'elles n'imitent pas la capitale fur ce point, que les lecons fréquentes que leur a données 1'audace impunie de quelques affaffins , ne les aitpas corrigées (41) coupe-gorge. C'eft fournir une retraite aux voleurs. ( 40 ) On entend peu parler de crimes dans la petite province du Boulonnois; grace aux rondes exacles & non interrompues des cavaliers de maréchauffée. Smolett, le lourd compilateur d'une Hijioire d' Angleterre, allure cependant dans fon voyage en France, qu'il fe commet dans ce pays fréquemment, tant a la ville que dans la campagne , des meurtres barbares ,& que les payfans par reffentiment ou par envie font afTez dans 1'ufage de mettre le feu a la maifon de leurs voifins. Nota bene que ce benêt voyageur qui a rempli fon ouvrage de tant de faufletés, n'avoit vu Boulogne & fes environs que par la fenétre de fon auberge, qu'il en avoit étudié les moeurs en caufant au coin de fon feu avec fon höte & la fervante de 1'hóteüerie. Et on nous juge fur ces miférables rapfodies ! Voyez Traveh through France and Italy , by Smolett, London, Baldwin. (41) II y a deux ans environ, un chanoine de Chartres fut aftaffiné chez lui avec fa fervante a huitheures du foir. Ce malheur ne fut découvert que le lendemain a trois heures après - midi. Tous les habitans efFrayés & redoutant un fort femblable, établirent une garde pour prévenir de pareils crimes. La terreur difparut peu a peu, & la garde ceffa de faire la ronde. N'eft-ce  [ 9* ] de leur funefte fécurité. Pourquoi n'obligeroit-on pas les citoyens , comme dans les tems malheureux des guerres civiles, a veiller tour - a - tour pour le maintien de la tranquillité publique ? & fi, paifibles cafaniers, ils préféroient le repos a ces veilles, pourquoi ne pas les remplacer par ces foldats qui fur le déclin de leurs jours s'emprefferoient encore d'être utiles aux villes qui leur accorderoient une retraite honorable ? Enfin pourquoi négligeroit-on de prendre toutes ces précautions que difte une lage défiance , d'élever quelqu etablilTeinent qui préviendroit une foule de crimes que les tribunaux ne peuvent prefque punir fans injuftice ? Car Pon ne peut appelier précifément jufte , a dit un philofophe, la punition d'un crime tant que la loi n'a pas employé, pour le prévenir, les meilleurs moyens polfibles dans les circonftances données dans lefquelles fe trouve une nation. Tels font, par exemple, le fuicide , la pédéraftie, pas inviter 1'indigerjt au crime? Dans toutes les villes, les commifiaires de police devroient être chargés de prendre le nom, la demeure, la qualité, le métier de tous ceux qui y habitent ou qui y paflent. Dans les bourgs & les villages, les fyndics feroient chargés du même emploi; & lorfqu'ils découvriroient quelqu'homme fufpect, ils en avertiroient l'infpedeur de Ja ville voifine. Tous les voyageurs feroicnt tenus d'avoir un paifeport.  C 93 ] 1'onanifme, Finfanticide ft fréquent de nos jours. Le premier eft le fruit d'une maladie de 1'ame aflez inexplicable. L'exiftence eft a charge; c'eft une chaïne que Pon rompt. Que la fociété rende cette chalne moins pelante , & il y aura moins de fuicides. ( Une chofe étonnante , c'eft qu'on en voit infiniment plus en Angleterre que partout aiïleurs. On en attribue la caufe a la mélancolie de la nation , & cette mélancolie eft le produit de Pifolement des deux fexes, de la vie méditative-politique que menent.les Angïois. Qu'ils laiflent aux femmes le foin d'embellir par des fleurs les épines de la vie , & ils pourront les fupporter. II n'y aura plus de fphen, lorfque la gaieté réuniflant les deux fexes, leur fera partager fes plaifi rs.) Que féducation encore adouciffe les mceurs, arme 1'efprit contre les malheurs de la vie, & il y aura moins de fuicides. Vouloir les punir en exercant une vengeance impuiffante fur leurs cadavres, c'eft manquer le but des loix, c'eft en amortir 1'effet. Quant a la pédéraftie, c'eft un fruit de Ia corruption des mceurs. Elle naït oü les femmes ceffent d'être eftimées, oü leurs faveurs font proftituées fans pudeur, oü le repentir ruit Pimprudence qui les cueille. Que les femmes honnêtes ne fe bornent pas a en avoir le nom; que les fem-  [94] mes qui trafiquent de leurs carefles , foient renfermées dans les lieux publics, d'oü les foins de Ia vigilante Hygie écarteront le mal, & le crime fi revoltant de la pédéraftie difparoïtra. Ona démontré dans des livres très-favans publiés dans ce fiecle, combien 1'onanifme engendroit de funeftes effets ; mais a-t-on pris des mefures pour le prévenir ? Et que doit-on attendre d'une jeuneffe effrénée qui, confinée étroitement dans de triftes colleges, brüle de feux qu'elle ne peut éteindre? O» fent que le vice eft ici dans Féducation & dans nos coutumes. La nature donne de bonne heure des paftions a 1'homme ; la fociété par fes inftitutions le force a différerle tems du plaifir jufqu'a un age avancé. Comment donc contenir ce fang bouillant dans les veines ? On dérobe quelques jouiflances dangereufes , ou 1'on cherche dans Ia folitude des plaifirs criminels. La nature eft outragée, on fruftre la fociété, & ce doublé crime eft fon ouvrage feul. Je laifle entrevoir ici qu'il faudroit bouleverfer notre éducation, nos ufages: mais qui en aura le courage? Les anciens Gaulois marioient leurs garcons a vingt-unans. Acet age, un jeune homme de nos jours a déja vécu: il eft vrai que le premier étoit élevé dans les forêts, nourri fobrement, fatigué par les exercices corporels, l'autre eft k quinze  i 95 ] ans plus avancé que le Gaulois qu'on deftinoit au mariage : il falloit donc changer 1 epoque du mariage chez nous, 1'avancer en raifon de la précocité du tempérament. Point du tout, nous 1'avons reculé : de la tant de mariages fans union , tant d'enfans d'une conftitution frêle & abatardie, de la la dégradation phyfique & morale de 1'homme. L'infanticide, fi commun de nos jours, eft encore le réfultat de la contrariété de la nature avec nos mceurs. A cet age heureux oü la nature foufflant dans les cceurs le feu de 1'amour, porte les deux fexes 1'un vers Fautre, la fociété contrariant ce but facré, leur défend de s'aimer. L'opinion publique déshonore les jeunes perfonnes qui fuccombant a une foibleffe, en portent le trifte fruit; la loi condamne a la mort celles qui veulent éviter leur déshonneur par 1'avortement, 1'expofition ou le meurtre d'un enfant. Quelle foule de contrariétés ! Pourquoi la fociété contrarie-telle le but de la nature ? pourquoi l'opinion publique flétrit-elle une aclion que commande la nature ? ck pourquoi la juftice punit-elle un délit que produit la feule influence de l'opinion publique fur Fimagination des filles ? De deux chofes Fune : il faut, ou que toute efpece de groflefie foit refpe&able , ou que la loi foit moins rigoureufe.  [96] Un fouverain qui a le premier donné 1'exemple d'une réforme judicieufe dans fes tribunaux , a embraffé le premier parti ck fait taire l'opinion publique. Un autre monarque que le mêmeamour du bien public caraétérife, a diminué la févérité de la loi, ck il en eft réfulté que les infanticides font moins communs dans leurs états ; mais pour opérer leur entier anéantilTement , il faut dans les grandes villes élever deux établiffemens qui feront de la plus grande utilité, ck pour lefquels cette ville admirable, oü 1'amour de la patrie fait encor des héros citoyens , Londres a donné 1'exemple a fes rivales. Le premier eft une maifon publique d'accouchemens gratuits. Le fecret y étant inviolable , 1'honneur d'une jeune vi&irne de 1'amour n'y court aucun rifque. De la la fociété fe chargera d'élever 1'enfant dans une maifon , de lui faire apprendre un métier, d'en faire un citoyen utile. Ces deux inftitutions préviendront Finfanticide; car pourquoi une mere öteroit-elle a fon fils le jour avant de le lui avoir donné ? Elle eft raflurée par le fecret fur la perte de fon honneur, & furie fort de fon enfant par les foins vigilans de fa patrie. C'eft en multipliant ces inftitutions utiles (42) ( 42') Par un calcul exact & vérifié, on a trouvé en dont  [ 97 ] dont je me borne a préfenter une foible efquifle , que le génie qui préfide aux deftins de la Tofcane a fu prefque bannir de fes états le crime autrefois fi fréquent. II a rendu au commerce fa liberté, a 1'induflrie fes droits; il a fupprimé les bannalités, les proliibitions pernicieufes ; il a rétabli autant qu'il a été poffible Fégalité entre les citoyens; fes regards fe font portés fur 1'éducation publique; fa générofité a furveillé aux befoins de ces infortunés que la crainte de 1'opprobre abandonne au berceau ; fa fermeté a réprimé les excès des fubalternes; enfin il s'efl montré par-tout plus ardent a déraciner les abus qua donner des loix de fang , a tarir la fource des crimes plus qua les punir. Qu'en eft-il réfuité ? Le nombre des crimes a diminué fenfiblement ; & peut-être ceffera-t-il d'en exifter, lorfque la maffe de 1'état fera entiérement purifiée. N'en doutons pas, la même opération exécutée partout produiroit la même révolution. Puiffe donc le gouvernement adopter 1'efprit philofophique qui a reffufcité la Tofcane de fes ruines! 1779 qu'au lieu de vingt-un hommes condamnés aux galeres année commune, iln'yen a eu que quatorze • au lieu de dix-fept hommes exécutes a mort en dix' ans, il n'y en a eu que deux en treize ans. Voyez ITndication fommaire des régiemens du grand-duc de Tofcane. Tome I. Q  [98 ] J'ai indiqué dans ce premier chapitre les moyens de prévenir les crimes. Si le plan que j'ai tracé étoit fidélement exécuté, a peine auroit-on befoin de faire un code pénal. Détruifez en effet la mendicité , on verra peu de voleurs ck prefque point d'alTalTins. Rendez aux mceurs leur pureté, a l'opinion publique fon empire, aux lettres leur luftre ; améliorez 1'éducatjon du peuple , & les vices qui recelent le germe de la plupart des crimes ne paroitront plus fi fréquemment. Multipliez les inftitutions publiques, élevez des höpitaux, des afyles; que les regards de 1'adminiftration fe fixent enfin fur 1'intérêt fi méconnu des pauvres, ck la terre ne fera plus fouillée de tant de crimes perpetuellement renaiftans. Les peines établies par la loi ne feront plus que comminatoires. Seroit - elle moins refpeftable pour n'avoir plus befoin du trifte appui de 1'échafaud ck des büchers ? II ne faut pas fe bercer cependant d'un vain efpoir. Malgré le zele éclairé qui guidera le législateur dans fes établiffemens, malgré la douceur qui régnera dans fon code pénal, malgré 1'art avec lequel il faura concilier les intéréts de tous les membres de la fociété, il exiftera toujours de ces êtres aflez mal organifés pour ne chercher leur bonheur que dans la calainité d'au-  i 99 1 trui, aflez audacieux pour le faire naïtre; & c'eft pour enchainer plutöt que pour punir inutilement leur rage, que la loi doit s'élever , que nous ofons lui marquer la route que la raifon tracé elle-même. Le printems, en faifant éclorre ces fleurs qui embelliffent le magnifique jardin de la nature, y voit naitre mille infeftes dangereux deftinés k le ravager ; c'eft a la main prévoyante de 1'art a en extirper les germes s'il le peut, ou au moins k en di-.ninuer le nombre ; Sc tel eft le but des loix pénales. «ai • ^ifi - = que deux intéréts, G iij  [ 102 ] 1'intërét général & 1'intérêt des particuliers. II ne peut donc y avoir que deux efpeces de crimes , ï. les crimes contre 1'ordre public ; 2. ceux contre 1'intérét des particuliers ( 43 ). 1. Crimes publics. L'intérêt général repofe a 1'abri de (44) trois efpeces de loix qui le garantilTent: 1. loix morales; 2.' loix civiles & politiques ; 3. loix religieufes. II y a donc trois efpeces de crimes publics: 1. moraux; 2. civils & politiques; 3. religieux. 2. Crimes particuliers. Les intéréts de tous les citoyens peuvent fe réduire a trois branches : 1. Honneur. 2. Propriété. 3. Süreté. ( 4? ) Cette divifion me paroit plus exade , plus étendue que celle de l'auteur du Traité des délits £f? des peines. " Parmi les crimes , dit-il page 50 , il en eft qui tendent diredement a la deftrudion de la fociété , ou de celui qui la repréfente. Quelques-uns nuifent a la füreté particuliere des citoyens , en attaquant leur vie, leurs biens ou leur honneur; d'autres enfin font des adions contraires a ce que la loi prefcrit ou défend en vue du bien public. „ Cette derniere claffe rentre dans les autres, & la divifion des crimes fociaux eft trop vague. La définition donnée dans le Diólionnaire encyclopédique, ne me paroit pas meilleure. On définit Ie crime, une faute énorme. Voyez article Crime. ( 44 ) Jurd inventa metu injuftifateare necejfe eft, Tempora fi faftofque velis evolvere mundi.  1103 ] II n'y a donc que trois efpeces de crimes particuliers qui attaquent, 1. 1'honneur , comme les injures, calomnies; 2. la propriété , comme les vols; 3. la füreté , comme les alTaffinats. II réfulte de cette divifion fimple qu'il ne peut y avoir que deux mefures des crimes ; que dans les uns, c'eft le tort qu'ils font a 1'ordre public ; dans les autres, le tort a 1'intérêt des particuliers. Se fervir des autres mefures inventées par le defpo. tifme ou le fanatifme, c'eft tyrannie , c'eft atrocité. Ce principe fimple bien faifi , jetera la plus grande lumiere fur le code pénal; a fa lueur les juges franchiront aifément les obftacles qui rendoient auparavant leurs pas chancelans. Amis de ce principe , ils verro nt que les mêmes crimes ne méritent pas toujours la même peinc ; que les afles purement intérieurs ne fauroient être aftüjettis aux peines, puifqu'ils n'ont fait aucun tort a la fociété: ils verront Je m'arrête; je ne finirois pas fi je voulois épuifer toutes les conféquences de ce principe fécond en vérités. Obfervatlons fur cette cLiflïficaüon. La définition générale du crime , les divifions , les claflifications que nous avons faites de ces efpeces, les mefures du crime que nous avons G iv  r 104 j indiquées doivent être les mêmes dans tous les pays , dans tous les gouvernemens. Car par-tout «I >' a doublé intérêt , général & privé ; partout les citoyens ont une propriété, leur vie h défendte ; par-tout enfin les mceurs doivent être refpecïées; de même les principes qui en découlent & qui fervent de bafe au code pénal doivent être adoptés par-tout. Ainfi dans tous les climats, dans tous les gouvememens , 1'humanité doit guider le législateur qu. puriit; la raifon doit être la même pour admettre ou rejeter des preuves ; une probabilité ne doit pas être plutót érigée en preuve fous un monarque que dans unc république , fous un climat chaud que fous un climat froid : la procédure par-tout doit être fimple pour confrater le crime , lente pour le juger , &c. Cependant ni les dénominations ou claftifications des crimes, ni les principes ne peuvent fe reffembler exactement en tout & par - tout; ils recoivent des modifications générales & particulieres que leur impriment les circonftances générales & particulieres. Modifications générales. Les limites du crime & de la vertu changent & font plus ou moins reculées., en propurtion des  I i©5 J gouvernemens , du climat , des mceurs , & de mille autres rapports. Ces rappoits variant fans ceffe, la dénomination des aétions varie en proportion. Vérité & juftice en-deca de ce ruifleau , erreur & injuftice au-dela , difoit Palcal. Cependant il eft poffihle d'aflujettir ces variations a un principe certain, & de détenniner paria les différences que ces rapports doivent introduire dans les différens codes crijninels. Je les réduis tous a quatre principaux : 1. Forme du gouvernement. 2. Climat. 3. Mceurs. 4. Caraétere natiónal. La forme du gouvernement doit fans doute influer fur Ia législation civile , & fur les loix criminelles qui en font le foutien. Cette forme varie parmi tous les peuples. Le célebre Montefquieu ( 45 ) ( 4-0 Efprit des loix, nouvelle édition accompagnée de remarques, 1764. Cette édition eft précédée de Téloge de M. de Montefquieu, & de 1'analyfe de fon ouvrage par M. d'Alembert. L'éioge eft fimplement écrit. II eft intéreflant, paree qu'il y regne ce ton philofophique qui marqué les bons ouvrages. L'analyfeeft claire, rapide ; malgré l'opinion de M. d'Alembert, nous croyons qu'il n'a point du tout démontré qu'il y eüt un plan dans I'Efprit des loix, II n'y regne point cet enchainement d'idées, cette méthode dont il fait tant d'éloges. On en feraconvaincu en lifant 1'analyfe même de ce plan chimérique. L'anonyme qui y a joint  [ u>6 J a voulu ramener a trois efpeces les différente* adminiftrations , 8c a créé pour chacune un principe différent; nous ofons le dire , c'eft un tiflu d'erreurs 8c de vérités préfentées 8c enchainées ingénieufement. Quelqu'hommage que nous rendions d'ailleurs a fon ouvrage qui a fait époque dans notre fiecle, qui fera fans doute marqué du fceau de 1'immortalité , nous croyons qu'il eft rempli d'une foule d'erreurs morales 8c politiques. J'en marquerai quelques - unes ici. Oü la vérité ne fouffre-t-elle pas cet alliage ? Et ne devoit - on pas 1'attendre dans un ouvrage qui étoit le premier dans fon genre ? Au nombre de ces erreurs on doit fans contredit ranger la divifion triennaire des gouvernemens (46) en monarchie, defpotifme 8c république. fes remarques, a très-bien obfervé que la définition des loix par M. de Montefquieu étoit louche, inintelhgible, faufle. En confidérant les loix de la nature il les réduit au fentiment de notre foibleffe & de nos' befoins. Cet article n'eft point du tout approfondi il meritoit de 1'être. La feule loi de la nature eft celle de' la latisfatfion des befoins ou de la confervation de 1'être. Hobbes vouloit que dans la nature tout fut en guerre. Montefquieu veut que tout foit en paix. (46) M. de Montefquieu dit que les pouvoirs intermédiaires dépendans conftituent la nature du gouvernement monarchique, c'eft-a-dire de celui 011 un feul gouverne par des loix fondamentales. Mais a quoi fervent ces loix, lorfque le monarque peut les violer  [ io7 ] II eft démontré que le dépotifme abfolu eft un état contre nature qui n'exifte en aucun endroit, ou qui ne peut au moins avoir qu'une exiftence impunèment ? a quoi fervent ces pouvoirs intermédiaires, s'ils n'ont pas la puiffance d'arrêter les entreprifes du monarque? La nature de la monarchie eft non-fculement que le peuple y foit gouverné par des loix fondamentales , que le pouvoir de gouverner foit dans les mains d'un feul homme, mais encore qu'il y ait un pouvoir intermédiaire qui fafTe refpecter au fouverain ces loix fondamentales. Sans 1'exiftence de ce pouvoir, le roi eft defpote. Or, qu'on memontre une monarchie oti il en exifte un. D'oü il faut conclure que la monarchie eft un vrai defpotifme , mais defpotifme modéré, puifque le prince y peut faire tout ce qu'il veut. D'ailleurs qu'eft-ce que ces loix fondamentales ? On en parle beaucoup, & peut-être il n'y en a pas une feule. I! n'y a donc réellement que deux efpeces de gouvernemens, comme nous 1'avons dit. rïï. de Montefquieu eft obligé lui-méme de convenir de ces vérités d'expérience. " Quoique la maniere „ d'obéir foit différente dans les gouvernemens mo„ narchiques & defpotiques , le pouvoir eft par-tout le „ même: de quelque cóté que le monarque fe tourne, il emporte & précipite la balance,ileft obéi; toute „ la différence eft que dans la monarchie, le prince a 3J des lumieres, & que les miniftres y font infiniment „ plus habiles & plus rompus aux affaires que dans ,3 Pétat defpotique. „ N'eft-ce pas convenir exprefiement, qu'a quelques nuances prés, la monarchie & le defpotifme fe reffemblent ? D'après ces idéés confirmees par 1'expérience , il eft étonnant que M. de Montefquieu donne un principe ou un reflort différent a la monarchie & au defpotifme. L'honneur, dit-il, eftle reflort du premier gouvernement. Et qu'eft-ce que cet honneur ? Le préjugé  L ioS* ] rapide & bientót éteinte ; que la monarchie illimitée n'eft que le defpotifme ordinaire. II eft démontré qu'il n'exifte point d'état républicain pur. de chaque homme pour les rangs & les préférences. fcn reduifant a cc feul principe toutes les vertus qui pourroient animer les fujets d'un monarque, n'eft-ce pas les reduire au rang des efclaves orientaux ? Car les Onentaux fous le jougdu defpotifme ne peuvent-ils pas aufli pretendre a des titres, a des rangs ? Cette difference, fi elle exiftoit entre un gouvernement monarchique & un defpotique, feroit que 1'un eft compofé d efclaves titres & divifés par rangs, & que dans Fautre ils font tous egaux. Pourquoi d'ailleurs donner la crainte comme le reflort de tous les gouvernemens defpotiques. L'eft-elle a la Chme, oü le defpotifme le plus doux a régné pendant de Iongs fiecles, & y re^ne encore? Le fut-elle fous les empereurs philofophes de Rome ? Non , fans doute. Et cependant la douceur de ces defpotes n'accelera point la chüte de ces gouvernemens. Tout cela prouve qu'un defpote peut fe faire aimer impunément, qu'un roi fe fait fouvent craindre de même. Tout cela prouve que la vertu politique, n'eft pas cet amour de Ia patrie qui tournela tête aux républicains, mais 1'amour de fon bien-être, de celui de fon pays & de tous les gouvernemens. Quand un auteur a pofé un principe erroné, fes conféquences font infecties de la meme erreur. M. de Montefquieu prétend que féducation doit être relative aux trois principes différens des gouvernemens qu'il a pofés. En conféquence il veut que les hommes foient élevés en hommes libres dans les repubhques, en efclaves fous le defpotifme, en hommes d'honneur dans les monarchies. Confeils pernicieux qui n'auroient jamais dü fortir de la plume d'un philofophe ; car fi la liberté eft le premier des biens, fi la faculté de penfer eft le plus beau don de la nature, pourquoi vouloir priver de leur exercice  [ io9 ] Enfin il eft démontré qu'il n'y a réellement que deux efpeces de gouvernemens : celui oü le peuple joue un röle plus ou moins confidérable, le fujet du defpote ? Pour être éclairé, en fera-t-on plus malheureux ? Les lettres ne font-elles pas le chemin des honneurs a la Chine ?Legouvernement décline-t-ilpour cela?Rien donc n'empêche qu'en apprenant aux fujets d'un defpote a le refpeéter, on ne leur donne en même tems des vertus & des talens. Ces' vertus & ces talens, M. de Montefquieu les öte même aux fujets d'un monarque. II ne veut faire d'un Francois qu'un petit-maitre , qu'un homme faux, qu'un homme hon~ nête enfin. II met toute la probité a paroitre en avoir, & ne lui en demande pas davantage. Si Ton ne croyoit pas que le chapitre fur Féducation dans les monarchies eft une plaifanterie, (liv. IV, chap. 2 ) une fatyre de nos mceurs, onne pourroit concevoir comment Montefquieu a pu 1'écrire , comment il a pu réduire 1'exiftence d'un Francois a Pautomatifme d'un petit-maitre. Pourquoi donc les vertus, les talens ne pourroient-ils' pas être cultives dans une monarchie ? Les fujets en font-ils moins fideles, pour être plus vertueux ? Les rois en font-ils moins juftes pour être plus éclairés? Dans le cinquieme livre, l'auteur pofe pour principe que les loix doivent étre relatives au principe du gouvernement. Ainfi dans la démocratie les loix doivent inlpirer 1'amour de la patrie, de i'égalité, de la frugal;te. On fent bien qu'il n'eft poffible aux loix de produire cet effet que dans les petites républiques. Sparte étoit frugale, mais Sparee ne contenoit que neufa dixmille citoyens. On fent bien encore que les loix ne peuvent pas toujours entretenir I'égalité & la frugalité dans une republique commerqante, paree que le commerce attire 1'inégalité des richelTes, & par une conféquence néceftaire le luxe. . En général on doit remarquer que toutes les maximes generales pofees par M. deMontelquieu, doivent étre  [ MO ] comme dans les républiques; & celui oü il eft nul dans 1'ordre politique, en confervant cependant plus ou moins la liberté civile, comme dans les différentes monarchies. Ces deux gouvernemens admettent des nuances. Ainfi dans 1'ariftocratie , la liberté politique des peuples efi moindre que dans la démocratie. Ainfi fous un monarque dont un pouvoir intermédiaire arrête le pouvoir exécutif, les peuples font moins efclaves que fous un modifiées, & font fujettes a une- infinité d'exceptions paree qu'il n'ya prefque point de gouvernement pur! M. de Montefquieu fait un chapitre de 1'excellence de la monarchie. II eft vrai que fi elle eft fupérieure au defpotifme , elle eft bien inférieure au gouvernement républicain. On n'y voit pas, dit-il, tant de révolutions. Non paree qu'un chien enchainé aboie & ne mord pas. Dire' que dansles monarchies il y a eu beaucoup de s^uerres civiles fans révolutions, c'eft démentir les hiftoires d'Angleterre, de Suede, &c. C'eft dans les monarchies, dit-il encore, qu'on verra autour du prince les fujets' recevoir fes rayons. La métaphore eft faufie. C'eft du peuple que le roi tire fes rayons. II eft bien fingulier que cet auteur emploie plufieurs chapitres a prouver que le defpote nc doit qu'effrayer fes fujets, qu'il ne doit point faire de loix, qu'il doit accabler fes efclaves fous fa verge de fer, &c. C'eft un code du defpotifme tracé par un philofophe. On y voit Ia tyrannie érigée en art & fondéefur des principes. Un fultan doit en confeience égorger fes freres, ruiner fes miniftres , piller fes peuples". Voila la vraie maniere de foutenir fon gouvernement. Si on vouloit étendre ces remarques fur les paradoxes du refpedtable écrivain que nous citons, on pourroit faire un treslong volume. Ab uno difee omncs.  [ "I ] defpote oriental. Je ne m'étenderai pas davantage fur cette diftinction, la difcuffion pourroit en paroitre étrangere a.mon fujet. Je me borne a conclure qu'il eft bien peu de cas oü les principes des loix criminelles doivent varier dans ces deux efpeces de gouvernemens, & dans les mixtes qui réfultent de leur dégradation. Ainfi les crimes contre 1'ordre politique & les attentats a la religion, doivent y efluyer la même peine, paree que dans une république, comme dans une monarchie, il intérene a un égal degré que la forme acïuelle de 1'adminiftration & la religion qui y eft adoptée ne foient point troublées. Mais les crimes moraux n'y préfentent pas le même afpeét. Dans une monarchie limitée ou illimitée cette efpece de crime eft prefque nulle relativement a la machine politique, fur laquelle leur dégradation a peu d'influence.' Mais comme elle entraïne la fubverfion des états républicains qui font fondés fur le refpeét & la pratique des vertus, il faut févérement y punir les corrupteurs des mceurs publiques. L'honneur, la füreté , (47) la propriété font des droits que (47) Je neme laflerai point de le répéter, malgré l'opinion du préfident Montefquieu, les Turcs, les Perfans ont une propriété, un honneur, une füreté a défendre, & font protégés par leur fouverain, comme  [ II* ] 1'homme tient de la nature , qu'il ne peut jamais aliéner: ces droits font» donc par-tout refpe&ables, ck le crime qui les viole eft puniffable k Conftantinople comme a Paris ou a Venife ; il n'eft pas même poflible qu'ils y foient conftamment violés. Dans cette clafie de crimes , le rapport du gouvernement ne doit donc point modifier le principe de la claflification des crimes, ck le Francois & 1'Efpagnol. Je citerai ici pour garant M. de Voltaire. Prefque tous les auteu»s- & voyageurs ont cru que le grand-mogol étoit le maitre des biens de tous fes fujets, & que nul homme depuis Cachemire jufqu'au cap Comorin n'avoit de propriété. Bernier 1'écrivit a Colbert. Cette même erreur préjudiciable au genre humain a été cent fois répétée fur le gouvernement Turc, & a été puifée dans la même fource. Pour réfuter cette opinion, il cite MM. Holwell, Dow, & les paroles même de M. Serafton. "Je vois, dit-il avec furprife, tant d'auteurs aflurer que les poffelTions des terres ne font point héréditaires dansl'lnde, & que 1'empereur eft 1'héritier univerfel. II eft vrai qu'il n'y a point d'arïe du parlement dans 1'Inde, point de pouvoir intermediaire qui retienne légalement 1'autorité impériale dans fes limites. Mais 1'ufage confacré & invariable de tous les tribunaux, c'eft que chacun hérite de fon pere. 5J II ne faut donc pas croire , comme l'affure M. le préfident de Montefquieu, qu'un cadi, qu'un homme puiffant peuvent impunément dépouiller un fujet de fa propriété. II ne faut pas croire, comme il 1'enfeigne , qu'un Indien catéchifé doit fe laiffer paifiblcment voler, infulter, martyrifer, & qu'il n'y ait point de loi qui vienne a fon fecours. de  t "3 ] de leur punitlon. Ce rapport ne mérite de confidérationque pour les crimes moraux. On peut en dire de même du rapport du climat. L'influence des climats a fans doute été tröp exaltée par quelques écrivains, trop décriée par d'autres. On ne peut nier que la chaleur ou le froid, ou la tempéraaire du climat n'influent fur 1'organifation phyfique ck conféquemment fur 1'organifation morale des habitans de cet univers. On ne peut nier que les pallions ne produifent dans les régions du midi des explofions terribles , & une foule de crimes qui ne paroiffent point ou fouillent peu fouvent les régions du nord. Cette différence en doit entrainer une, non pas dans la punition , mais dans 1'art de prévenir ces crimes. Cet art feroit inutile au nord , & très-efficace au midi. Mais la punition doit étre par-tout la même. Mahomet faifit avec fagelTe cette confidération puiffante quand, en profond législateur, il défendoit a fes feftateurs 1'ufage du vin, tandis qu'il leur permettoit d'avoir des ferrails. La polygamie énervoit 1'efclave ck tranquillifoit le defpote, tandis que 1'excès du vin ne pouvoit produire que des frénétiques ck des furieux. Mais encore une fois, le rapport du climat ne peut mettre de différence que dans Ia punition des crimes moraux ; car dans tous ces climats on doit refpeéter égaleTome I. H  r 114 ] ment les loix civiles, religieufes, la propriété, Ia füreté des citoyens. Le voleur & 1'affaffin de Pétersbourg ne font pas moins coupables que ceux des contrées du midi. C'eft faute d'avoir faifi cette diftindion dans 1'influence du climat fur les différentes branches des loix, que des auteurs modernes ont mêlé tant d'erreurs aux vérités qu'ils enfeignoient. Les mceurs, ce troifiemerapport que nous confidérons dans la modification des crimes, n'ont donc une grande influence fur eux que dans les états républicains. La, les atteintes qu'on leur donne doivent y étre févérement punies , tandis que la fociété eft forcée de les tolérer dans les autres gouvernemens, paree que l'opinion publique n'y a plus aucun nerf, paree que la rigueur des peines y feroit un remede inutile, feroit des hypocrites fans améliorer les moeurs , paree qu'enfin , il faut dire le mot de 1'énigme, la bonté des mceurs n'eft pas partie effentielle & intégrante des gouvernemens monarchiques comme des républiques: leur corruption n'eft donc dans les premiers qu'un vice politique', il eft un crime puniffable dans les autres. Enfin 1'efprit national doit être confidéré dans 1'application des principes du code criminel univerfel. Combien il differe chez tous les peuples I  t "5 ] L'efprit militaire eft celui de la nation Francoife ; 1'efprit du commerce, celui des Anglois; Fefprit de myftere , celui des républiques foibles comme Venife. La lacheté fera donc un crime plus grave chez les Francois que chez les deux autres peuples , le faux fera un crime irrémiffible a Londres , comme Findifcrétion politique a Venife. Parmi les rapports qui influent fur Fétat d'une nation & fur les loix, on met ordinairement la religion. Je ne contefte point cette influence ; mais je ne crois pas que la diverfité des religions doive en mettre dans la législation criminelle. Car quoique 1'objet du culte des différentes nations foit bien différent, cependant dans le rapport de la fociété c'eft toujours le même fond , toujours le mêmeintérêt, toujours la même nature de crime. L'habitant du Bonntau qui foule aux pieds le réfidu de la garde-robe du grand Lama , Findien qui renie Viftnou, le negre qui blafphême fon Marabou , font auffi criminels politiquement parlant que le chrétien qui fouleroit aux pieds une chofe facrée: par-tout c'eft Fintérêt général qui eft blefle a un égal degré ; le crime eft donc le même, &C la punition la même. Je ne détermine point le degré de crime relativement a la divinité ; je tracé ici un code criminel focial, & non pas un code criminel tkéologique. C'eft pour Fintérêt de H ij  [ Hó ] la fociété que j'écris • je me croirois un blafphémateur , unimpie , fi j'ofois entreprendre de fixer les limites du crime par rapport a 1'Être fuprême , ck fi j'avois la témérité de vouloir venger les injures qu'on fuppofe lui être faites. Voila les quatre rapports principaux qui peuvent mettre les nuances de différence dans les différens codes criminels des nations, dans lamaniere de clalTer les crimes , dans la maniere même de les punir. Je me fuis borné a les effleurer. Ils feront difcutés plus amplement dans le tableau des crimes. Nous ne nous aftreindrons donc point a marquer ici toutes ces nuances de différence: feroit-il même poffible de 1'entreprendre ? II y a tant d'inconnues ck les données font en fi grand nombre ! L'enfemble du tableau n'échapperoit-il pas d'ailleurs a 1'oeil trop partagé ? & 1'harmonie générale ne feroit-elle pas détruite par la multiplicité des détails ? Laiffons donc aux législateurs de chaqué nation le foin de modifier nos principes généraux en raifon des circonftances générales oü ils fe trouvent. Eux feuls, avec la patience infatigable de 1'obfervation continue, pourront faifir toutes les déclinaifons locales 6k y plier les regies. Je me fuis cependant hafardé quelquefois a  tracer des formules particulieres. Je tente le bien; ils feront le mieux. Modifications particulieres des crimes. Elles font fournies par les circonftances particulieres oü les crimes, foit publics, foit privés, font commis. Les crimes ont une valeur, une intenfité réelles; mais on convient que les motifs qui ont porté au crime, la maniere dont il a été commis , les inftrumens dont on s'eft fervi, le caraclere du coupable, la récidive , Page, le fexe , le tems', les lieux, &c. contribuent a caraétérifer le crime , a le rendre plus ou moins atroce. Je ne defcendrai point dans le détail de ces circonftances. Les loix ne peuvent embrafler tous ces cas. II faut donc que le juge fupplée au législateur , mais toujours en fuivant le principe général qui a guidé ce dernier. Neque leges neque fenatufconfulta ita fcribi pojjunt, ut omnes cafus qui quandoque inciderint comprehendantur; fed fufficit & ea quce plerumque accidunt contineri. L. 10. ff. de legib. Je me contenterai de faire quelques réflexions fur les circonftances les plus frappantes qui doivent guider le magiftrat pour juger fainement de la gravité ou de la légéreté du délit. Circonftances relatives au coupable. II faut con» H iij  {ii* ] fVérer fon organifation, fon Ége, fon fexe, fon éducation, fa vie privée , &c. La différence feule du fexe doit en mettre une dans lapeine; car plus je réfléchis fur la différence qui exifte dansl'organifation des hommes &des femmes , fur fefclavage naturel & focial auquel ces dernieres font condamnées , plus je me convaincs que la loi des Juifs qui exemptoit les femmes de quantité d'obligaöons & de peines impofées aux hommes, eft fondée fur la raifon & 1'équjté. (48) Auphyfique elles jou.ftent d'une conftitution délicate & foible; au moral la nature leur a fait des préfens dangereux, un cceur trop fenfible & trop enclin è huvre les impreffions bonnes ou mauvaifes que leur communiqué 1'être qui les attire fortement, uneimagination vive & ardente qui dérobe aleur vue les funeftes effets des paffions en groffiffant les plaifirs que procure leur vaine fatisfaftion , nést MovLf'Vab nnS dlvifent IeS con^andemens donÏSanfc 7 Pffl Uren 61 ? P^cePtesaffirmatifs & negat.fsLesaffirmatifs confiftoient, feloneux,en ~4s SS^Tf^Ï corps humain dans J™ tnne. Le negat.fs en 36,-, nombre des jours folaires. Ils aft eignoienc tous les hommes a 1'obfervation de ces 6 3 preceptes. Les femmes étoient exemptes de la les rïbles fo ?J Pf C£C échantiI,on ' de ^tï divfn? T, ,L!^ueflesles "bbins ont traveftila loi juonita liguri, 1655.  [ "9 ] une délicateffe clans le fens intime qui ne permet aux fenfations que d'être fuperficielles, & qui commande par-la même l'inconftance & entraine la légéreté, une fineffe dans 1'efprit qui exclut prefque toujours la juftefTe , un égoïfme dominant que la funefte complaifance des hommes ne fait que juftifier; enfin la nature leur a donné tout ce qu'il faut pour s'écarter des loix fociales; & la gêne finguliere oü les retiennent ces loix, femble les entrainer a fuivre les confeils de la nature. Dans leurs amans ou dans leur maris, elles n'ont que des maïtres & fouvent des tyrans déguifés qui les maïtrifent toujours en paroiffant fuivre leurs impreffions. Sont-ils vertueux ? leurs époufes marchent avec plaifir dans le chemin de la vertu. Sont-ils dans le vice ? ils font a coup fur imités. Se plongent-ils dans le crime ? ils ont toujours des complices, & forcent fouvent leurs femmes d'en prendre le titre. Puis donc que la nature & la fociété femblent confpirer a öter aux femmes la liberté de penfer & d'agir d'après elles - mêmes , puifque par cette privation elles leur ötent la faculté du mérite & du démérite , puifque leurs vertus & leurs vices viennent de nous, pourquoi les loix s'acharneroient-elles a pünir auflï févérement que dans les hommes les crimes qu'elles commettent ? Punit-on 1'efclave dont un H iv  [ HO ] maitrefurieuXarme,dirige,conduitIa main meurtnere fur le fein de fon ennemi ? L'aveugle qui trompé par un fcélérat, fe précipite dans 1'abyme' n eft-il pas plus a plaindre que coupable ? (49) h ne veux pas conclure de la que Pon doive ■bffer impunisles excès auxquels s'abandonnent les femmes. Maisjecrois qu'on doit plus s'attacher 4 les prévenir par une bonne éducation ; que les charimens doivent étre moins durs, moins féveres ; que dans leur diftribution on doit avoir égard k leur dégradation phyfique, morale & focrale; qu'on doit plutót les traiter alors comme des étres foibles, dont la nullité eft un titre au pardon, dont la foibleffe ne devient un crime que quand la main adroite du fcélérat fait la développer ,1a faire fermenter , la volatilifer. Enfin il n'eft point d'équité dans un code pénal, s'il n'eft point de jufte proportion entre la peine & le délit, fi les circonftances du délitnefont pas pefées exaftement: or, en mettant dans la balance le caraftere du coupable, on verra que le crime doit diminuerlepoids en raifon de la foibleffe de , celui des femmes. Cette diminution doit donc fuivre aufli dans le cMtiment qui eftinfligé. Voila pourquoi Paduitere de la femme, malgré les décla- f49 ) Mahomet: les envifageoit ainfi , quand il leur refufa I entree de ion paradis. Voyez l'Akoran.  [ I2Ï ] mations éloquentes du citoyen de Geneve, ne révoltera pas tant que celui de 1'époux , 1'ceil dégagé du préjugé focial. Voila pourquoi le crime que fait commettre la force de 1'amour , femble plus excufable dans les femmes , paree qu'elles font plus efclaves que nous de leur organifation, des feux de leur tempérament, des circonftances, paree que la nature leur a donné moins de force pour combattre les paflïons, & moins de raifon pour fentir la néceflité des privations fociales. Une autre circonftance relative a 1'accufé , qui doit entrer dans la balance pour pefer fon crime , eft le principe qui le lui a fait commettre. C'efl: ou deflein prémédité , ou colere , ou imprudence. La colere rend plus coupable que 1'imprudence, & le deflein prémédité que la colere. CoROLLAIRE FAISANT REGLE GENERALE. Point de crime fans volonté réfléchie, ainfi les infenfês ne peuvent être criminels. Autre Corollaire. Les crimes commis par la crainte de la mort, de la faim , de la douleur, font plus excufables que ceux qui font commis par d'autres motifs. Lemotifde 1'infracf.ion de 1'ordre eft quelquefois . tel qu'il- peut même 1'excufer. Car , par exemple,  l m 3 le malheureux Indigent qui prêt de mourir déroberoit du pain, mérite fans doute fon pardon, fi méme alors on peut prononcer ce mot. Dans 1'efpecede circonftances que nous exammons, il ne faut pas oublier la qualité du coupable; car le crime augmente en raifon direéte del'élévation de fa place, des talens de celui qui 1'occupe , de 1'éducation qu'il a recue , &c. Dans les mauvaifes législations, c'eft précifément Pin* verfe. Le poids des chltimens tombe principalement fur le peuple : la claffe des fujets qu'on intitule gens honnêtes , gens comme il faut, a 1'art de s'en exempter , ou au moins de les faire adoucir. Nous ne copierons point cet odieux bouleverfement des principes qu'admet la raifon. Un etre eft d'autantplus coupable qu'il eft plus élevé, plus éclairé, plus puiffant, paree que les circonftances lui donnent alors plus de moyens de le garantrr du crime: auffi les eccléfiafliques, les magiftrats , a parité de crime, doivent étre punis plus févérement que 1'homme du peuple. Thomas Becket ne penfoit pas ainfi , lui qui faifoit bróler un Jaïque ignorant fous prétexte d'héréfie, tandis qu'il protégeoit les jours d'un prétre aflaffin , fédufteur, violatéur. On s'mdigne de nos jours de ces traits révoltans parfemés dans 1'hiftoire de nos peres. Ledeurs imparfiaux, jetez les yeux fur nos  C 1 gouvernemens a&uels, & voyez fi la qualité du coupable n'eft pas toujours un titre au pardon, Sc fouvent même a 1'impunité. z°. Circonftances relatives a la perfonne offenfee. On doit les pefer avec la même exa&itude que les autres , paree qu'elles fervent a diminuer ou augmenter la gravité fpécifique du crime. Mais qu'on fe garde bien de confulter dans ce cas les in -folio des commentateurs. Ils fourmillent d'erreurs : & doit-on en être furpris, lorfqu'on fait qu'ils ignoroient jufqu'aux élémens de la morale, la fcience par excellence, qui doit fervir de fondement a une bonne législation criminelle. Ce n'eft en effet que par la connoiflance du cceur humain , que le législateur peut pofer des^rincipes exa&s fur la valeur des crimes, que le juge peut apprécier. 3 °. Circonftances du tems , du lieu, &c. II faut encore rejeter ici'tous les principes admis chez les différens peuples. La loi des douze tables regarde comme plus coupable le voleur de nuit que le voleur de jour. Cela eft vrai relativement a la füreté des citoyens, qui eft plus expofée la nuit; mais cela eft faux relativement au fcandale que caufe Pinfra&ion publique. Et fi cette même loi regardoit comme plus confidérable un crime commis en public qu'en particulier, pourquoi sfé-  cartoit- elle de ce principe pour les vols ? Certains peuples attachent encore une idéé d'atrocité plus grande aux crimes commis pendant les jours que leur religion deffine au repos , ou dans des lieux confacrés a fon culte. Cette diftinétion eft purement idéale. Le voleur qui dérobe dans ces circonftances , a moins 1'intention de profaner ces lieux Sc ces jours, que de s'approprier des effets qui peuvent remédier k fa mifere. C'eft fon befoin fatisfait qu'il voit dans levafe facré qu'il dérobe , & non la divinité offenfée. Pourquoi la peine augmenteroit -elle donc alors ? On veut venger ï'Etre fuprême! Tous les voleurs des temples facrés font-ils donc des Héliodores , qui veulent fe mefurer avec lui ? C'eft encore par une fubtilité fophiftique que les loix pénales de certains peuples ont diftingué Ie vol fimple du vol fait avec effraétion, qu'ils ontregardé cedernier comme bien plus violent, qu'ils 1'ont prefqu'aflimilé a 1'afiaflinat par la peine. L'argument des légiftes eft ici fort plaifant. Un vol eft un crime , 1'effracüon en eft un autre, puifqu'il violela füreté publique. 11 ya donc doublé crime , tandis que dans le vol fimple iln'y en a qu'un. Comment ne voient-ils pas que 1'effraction n'eft ici qu'un moyen pour parvenir au méme crime, Sc non pas un nouveau crime, quefi  [ "5 1 1'effraftion viole la füreté des particuliers, 1'introduft ion furtive du voleur ne la viole pas moins; que même entre ces deux moyens, celui-ci étant le plus ordinaire, le plus aifé pour les coupables , le plus dangereux pour les citoyens, paree qu'il eft plus caché, mérite conféquemment une peine plus forte que l'autre ? Que d'erreurs ne trouveroit-on pas encore, fi 1'on vouloit difcuter féparément tous les carafteres que les loix attribuent au crime pour augmenter ou diminuer leur gravité ? Erreurs qui proviennent de ce que les législateurs ou les jurifconful- . tes qui les commentent n'envifagent une aftion que fous un rapport, ck ne 1'envifagent qu'avec 1'ceil des préjugés recus dans leur patrie, tandis qu'ils oublient fouvent le caraftere donné par la raifon générale , par lequel on doit apprécier les délits. II en eft un qui leur a toujours échappé, c'eft 1'erTet d'un crime donné fur 1'ordre focial. C'eft par cet effet feul, j'ofe le dire ck je le prouverai, qu'on doit fixer le degré de la peine. Si c'eft aux législateurs a modifier les principes généraux par les circonftances générales oü ils font placés, c'eft aux juges a appliquer les principes aux différens cas qui fe préfentent, fuivant les circonftances particulieres dont nous venons de parler. Encore une fois, il eft impoftible que  [ t* ] la lol générale prévoie tous les cas. Un code trop précis ou trop étendu eft également dangereux (50). La lettre y doit être claire , 1'efprit invariable. Dans le doute, c'eft ce dernier qu'il faut préférer. II fuffit de pofer Ie principe général théorique. Les juges dans la pratique adouciront ou augmenteront la peine portée par Ia loi, en raifon des circonftances qui aggraveront ou diminueront le caraélere du crime. C'eft abftraérion feite de ces «cadens particuliers, que nous confidérons chaque crime ; c'eft dépouillé de toutes les circonftances , que nous déterminerons fa valeur intrinfeque, l peu prés comme les fcolaftiques examinoient autrefolS rétre ut fic > Ie rationis objeclivum purum. < ?o) Un Anglois ayant coupé le nez a un de fes ennenus, fut pourfuivi en iuftice. Mais Ja loi ne parloi point de ce cas & ne s'étendoit que fur la mudla ion des membres. Or le coupable foutenoit que le nez K to.t pas un membre. Avant de le punir Je parlement a quel ridicule cet exces d'afferviffement peut expofer.  [ ii7 ] DOUBLÉ ÉCHELLE CORRESPONDANTE des délits & des peines, Contre l'intérêt géneral. Délits publics. i°. Crimes moraux. 2°. Crimes civiles, politiques. 3°. Crimes religieux. [Crimes particuliers. i°. Crimes contre la vie & fureté. 2°. Crimes coRtre la propriété. 3°. Crimes contre 1'honneur des particuliers. Mcfure des crimes. Lc tort fait a Fintérêt général ou particulier. Peines. i". Peines infamantes. 2°. Peines civiles , corporelles, pécuniaires , fifcales mutilations, travail, efclavage. 3 Les moeurs ont changé, la philofophie a ramené 1'égalité parmi tous les hommes, il y a de 1'honneur chez le rotuner comme chez le feiyneur. ( S7N II n'y arien de plus revoltant, dit M. de Montefquieu dans la Jurifprudence Chinoife, que 1'ufage emprunte des Scytes, par lequel onpunitles parens du coupable uifqu'au neuvieme degré. Ce même ufage regne au Japon. a  t **5 3 qui doit toujours avoir pour objet le rétabliffe-» ment du bon ordre ( 58). Principe IX. Lorfque le coupable eft convaincu , alörs Ie juge doit être fourd a fes prieres & paroitre infenfible aux peines que les loix infligcnt, paree que la fociété en retire la première des avantages confidérables. Nocet quifouis pepercit malis. Invitat culpam qui peccaturn prceterit (59)' Mais il ne doit point y avoir de capituladon entre le juge & le coupable , ni de ventes de lüpplices, comme dans certains pays ( 60 ). ( S8 ^ Les Orientaux qui ont expofé des femmes k des éléphans dreffés pour un abominable genre de fupplice ,ont-ils voulu faire violer la loi par la loi ? Efprit des loix. Uu ancien ufage des Romains défendoit de faire mourir les filles qui n'etoient pas nubiles. Tibere trouva 1'expédient de les faire violer par le bourreau avant de les envoyer au fupplice. Tyran fubtil & cruel,ildétruifoit les mceurs pour conferver les coutumes. Ibid. (59) Les crimes dont un homme fe rend coupable pour la feconde fois, doivent étre imputés au juge qui n'a pas puni les premiers. Muien. Dov.deGuïd. (60) A la Chine il eft permis de fe racheter en certains cas a prix d'argent, Sc ce premier abus en a int.oduit un autre; c'eft-a-dire , qu'a la Chine on trouve des hommes avides ou affez pauvres pour porter la cangue & recevoir une baftonnade a la place du criminel qui paie pour cela. Le juge veut faire une exécution, & il lui faut un patiënt: il prend celui qui fe pré. I iv  t *3« I Principe X. Dans tout délit qui par fa nature doit prefque toujours demeurer impuni, la peine eft un aiguillon de plus. Principe XI. On avilit la juftice, on manque fon but, lorfqu'on prodigue les peines a des êtres infufceptibles de mérite ou de démérite ; tel le fupplice du cochon pendu pour avoir blefle un enfant. (61 ) Principe XII. On manque fon but également en prodiguant trop fouvent les peines efficaces , on émouffe leur pointe. ( 62 ) Après avoir tracé les principes qui doivent guider les législateurs & les juges day la fixation & Ia diftribution des peines , il eft'néceflaire de " ' ri*j& fente. De cette ventede fupplices'il réfulte qu'on perVÉrtit les premières'notions de la juftice, en laiflant fubfifter toutes les formalités. Eecherc/i.philof. fur les Clunois, tome II ;page 2^3. (61) Si contre ce principe les Romains pendoient tous les ans un chien, & montroient en triomphe une Öie, le ridicule de cette parade étoit fauvé par le grand evenement qui 1'avoit occaflonné. ((52; 'Si quoties peccant honünes ,fuafulmina miU tat Jupiter, exiguo temporeinermis eriL  C 137 ] préfenter des obfervations fur la nature des peines qu'on doit établir & fur celles qu'on doit rejeter. Dans ce tableau 'des peines, que nous avons offert, il eft aifé de diftinguer quatre efpeces de peines. 1. Les peines corporelles ; 2. infamantes ; 3. pécuniaires; 4. religieufes. Qu'on nous permette quelques réflexions eflentielles fur la nature des peines que nous choififlbns, fur les abus de celles adoptées par tous les peuples & que nous nous hatons de profcrire. 1. Peines corporelles. Elles fe fous-divifent en peines mortelles, mutilantes ck contre la liberté. Peines de mort. On lit dans le traité des délits 6k des peines, un chapitre éloquent, ck ce qui eft encore mieux, bien raifonné, fur cette peine que l'auteur veut faire profcrire de tous les gouvernemens bien policés; perfuadé que 1'exemple toujours préfent des vi&imes infortunées de leur imprudence doit faire une impreflion bien plus forte que celle des fupplices , dont la vue endurcit 1'ame plutöt qu'elle ne la corrige. II a épuifé la matiere en peu de pages. Vouloir tracer le même tableau feroit  [ '3* ] une témérité. A quoi ferviroit un canevas d'écoüer, lorfqu'on a un excellent tableau de maïtre ? Je me bornerai donc a analyfer les raifons de l'auteur, en confeillant cependant aux législateurs de lire & relire cet excellent chapitre. i °. La peine de mort ne peut être le réfulfat du contrat focial; il n'eft que la fomme totale des petites portions de liberté que chacun a dépofées. Mais quel eft celui qui a voulu céder a autrui le droit de lui óter la vie ? Comment fuppofer que dans Ie facrifice que chacun a fait de la plus petite portion de liberté qu'il a pu aliéner, il ait compris celui du plus grand des biens ? ( 63 ) 2°. Quand cela feroit, comment ce principe s'accorderoit - il avec la maxime qui défend le fuicide ? Ou 1'homme peut difpofer de fa propre vie, ou il n'a pu donner a un feul ou a la fociété entiere un droit qu'il n'avoit pas lui-même. 3 °. L'expérience de tous les fiecles prouve que la crainte du dernier fupplice n'a jamais ar- ( 6? ) Cette opinion , qui a été vivement combattue de nos jours, eft appuyée paria maniere dont fe rendla juftice criminelle chez des peuples que nous appellons Jauvages, & qui font bien plus prés que nous de la nature. Lorfque le juge a prononcé, fi 1'acculë eft coupable , alors ce dernier eft remis entre les mains de 1'offenfe. C'eft la jurifprudence des negres & des peuples de Visie d'Otahity. C'eft qu'ils croient qu'aucune fociete n'a droit de difpofer de la vie de fon femblable.  C 139 J têtê les fcelérats déterminés a porter le trouble dans la fociété. L'exemple des Romains attefte cette vérité , elle eft mife dans fon plus beau jour par vingt années du regne de l'impératrice de Ruftie Elifabeth. 4°: Les peines effraient moins 1'humanité par leur rigueur momentanée que par leur durée. Notre fenfibilité eft affeclée plus facilement & d'une maniere plus permanente , par une impreffion légere mais réitérée , que par un choc violent mais paffager Le ftein le plus propre a arrêter les crimes n'eft donc pas tant le fpeftacle terrible, mais momentané , de la mort d'un fcélérat, que l'exemple continuel d'un homme privé de fa liberté , transformé en quelque forte en bete de fomme , & reftituant a la fociété par un travail pénible & de toute fa vie , le dommage qu'il lui a fait. Chacun, en faifant un retour fur foi-même, peut fe dire, voila 1'affreufe condition oü je ferai réduit pour toujours, fi je commets de telles actions. Et ce fpeftacle toujours préfent aux yeux agira bien plus puiflamment que 1'idée de la mort 50. Pour qu'une peine foit jufte,elle ne doit a^ oir que le degré de rigueur fuffifant pour éloi gner du crime. Or eft - il un homme qui puiffe préférer les  [ i40 ] avantages du forfait le plus fruétueux au rifque de perdre a jamais fa liberté ? Donc un efclavage perpétuel fubftitué a la peine de mort, a autant de pouvoir qu'elle pour arrêter le fcélérat le plus déterminé. 6°. Je dis plus , il y en a davantage; on envifage fouvent la mort avec un ceil ferme Sc tranquille : le fanatifme 1'embellit ; la vanité, compagne fidelle de 1'homme jufqu'au tombeau , en dérobe 1'horreur Mais au milieu des cages de fer, dans les chaïnes , fous les coups, 1'dlufion du fanatifme s'évanouit , les nuages de la vanité fe diffipent Notre efprit réfifte plus aifément a la violence des dernieres douleurs qu'au tems 8c a 1'ennui. 7°. Si 1'on m'objecfe que 1'efclavage perpétuel eft une peine auffi rigoureufe Sc p*ar conféquent aufli cruelle que la mort , je conviens qu'elle le feroit même davantage en réunifiant en un feul point tous les inftans de malheur qu'éprouve celui qui le fubit. Mais ces inftans répandus fur tout le cours de fa vie ne fauroient être comparés au moment affreux du dernier fupplice que par le fpeétateur qui en calcule la durée 8c la totalité , Sc non pas le coupable que fes maux préfens diftraient de la penfée de fes peines a venir. Tous les genres de malheurs s'accroiflent dans  r mi 3 Pimagination. Celui qui fouffre trouve clans fon ame endurcie par 1'habitude de fouffrir , des reffources ck des confolations que la fenfibilité du moment cache aux témoins de fon infortune, ck voila ce qui conftate les avantages de I'efclavage perpétuel, plus utile comme exemple , qu'infupportable comme chatiment. 80. La peine de mort nuit encore a la fociété par les exemples de cruauté qu'elle donne aux hommes. Si les paflions ou la néceffité de faire la guerre ont appris a répandre le fang humain , les loix dont 1'objet eft d'adoucir les mceurs né devroient pas au moins multiplier cette barbarie d'une maniere d'autant plus cruelle, qu'elle donne la mort avec des recherches d'appareil ck de formalités. Voila les motifs qui ont déterminé l'auteur de 1'excellent traité que nous copions , a fubftituer pour tous les crimes la peine de I'efclavage a la peine de mort. Je fens, ajoutoit-il a la fin de ce chapitre , combien la foible voix d'un phüofophe fera facilement étouffée par les cris tumultueux des fanatiques efclaves des préjugés. Mais il eft quelques fages répandus fur la furface de la terre, ck ceux - la m'entendront ck me répondront du fond de leur cceur. Oui, fans doute, ils lui répondrontj mais non pas  [ i4i ] dans 1'ombre du cabinet. Les vérités utiles doivent percer 1'athmofphere épaifle des préjugés; Sc le philofophe qui lescache eft lachement criminel. Ce langage difté par 1'humanité , trouvera des partifans Sc frappera loreille des monarques. Les phüofophes fement les vérités , elles germent lentement, le public n'en recuedle le fruit qu'après quelques fiecles; mais enfin le jour arrivé; 8c puifiions-nous hater cette révolution heureufe ! puifftons-nous, en nous élevant contre Ia funefte loi du talion, contre les codes fanguinaires de nos peres , faire abattre a jamais les roues , les gibets, éteindre la flamme des büchers, épargner a 1'univers lahonte deproduiredes boi rreaux Sc de commettre juridiquement tant d'affaiïmats inutiles! (64) Je n'ajou'.erai rien aux raifons du profond Beccaria. Je fais que beaucoup de juiifconfultes ont combattu cette innovation, je fais que le bienfaifant (65) citoyen de Geneve a même voulu ( 64 ) Dans un état les peines plus ou moins cruelles nefont pas que 1'on obéiffe davantage aux loix. Dans les pays ou les chatimens font moderés,on les craint comme dans ceux oii ils font tyranniques & affreux. Lett. perf. let. 78. " ( 6 5 ) On demande comment les particuliers n'ayant point, dit Fouffeau, le droit de difpofer de leur vie, peuvent tranfmettre au fouverain ce droit qu'ils n'ont pas... Tout homme 3 droit de rifquer fa vie pour la confer.  [ M3 J prouver que la fociété avoit droit de mort fur fes membres, j'ai lu enfin les déclamations des parf- ver. A-t-on jamais dit que celui qui fe jette par une fenêtre pour échapper a un incendie , foit coupable de fuicide ? Le Traité focial a pour fin la confervation des contradans. Qui veut la fin , veut auffi les moyens, & ces moyens font inféparables de quelques pertes. Qui veut conferver fa vie aux dépens des autres, doit la donner auffi pour eux quand il le faut... C'eft pour n'étre pas vidtime d'un affaffin que 1'on confent a mourir fi on le devient... D'ailleurs tout malfaicteur attaquant le droit focial, devient par fes forfaits rebelle & traitre a la patrie! 11 ceffe d'en être membre en violant fes droits, & même il lui fait la guerre. Alors la confervation de 1'état eft incompatible avec la fienne , il faut qu'un des deux pcrifie. Voyez le Contratfocial. Le leöeur qui a bien médité les principes de M. Beccaria, prévient les réponfes qu'on peut faire aux lophilmes deRouffeau. i°. Un homme peut rifquer fa vie quand il n'a pas d'autre moyen de la conferver. Mais dans la fociété ne peut.on conferver fa liberté, fa vie , fans abandonner aun tiers le droit d'en difpofer? Seroit-on maitre de faire un pareil abandon ? 20. Qui veut la fin veut les moyens. Cela eft clair; mais pourquoi parmi ces moyens en mettre un aufli violent, auffi peu néceffaire que la mort , tandis qu'il y a d'autres moyens utiles ? 3<\ En rompant le padte focial, le criminel devient ennemi; mais doit-on tuer tous fes ennemis, quand on peut les conferver, les rendre même utiles ? Si legrand homme dont nous combattons le fentiment , a cru qu'on pouvoit licitement óter la vie a un coupable, il ne comptoit pas fournir des armes a 1'in, juftice, au defpotifme;il en étoit bien éloigné, & il  [ *44 ] fans^routiniers de (66) Panden fyftéme de barbarie. Mais que peuvent tous les fophifmes, que peut Pargument frivole de la prefcription contre penfoit a cet égard comme M. de Voltaire qui a tant de fois prouvé qu'un pendu n'étoit bon a rien. (66) Je ne citerai point ici toutes les critiques ameres qui ont paru contre l'opinion de M. Beccaria; ce feroit une tiche auffi pénible que dégoutante. Un jurifconfulte franqois qui lui a dit bien des invetfives comme les autres, mais qui plus que les autres a donné quelquefois des raifons, a voulu prouver que la peine de mort étoit conforme au droit naturel, des gens, canonique, civil. Citer le droit canonique dans ce fiecle, me paroitroit uneplaifanterie,fi je n'avois pas vu dans les différens traités de M. Muyart, eftimables d'ailleurs, qu'il eft encore du fiecle oü 1'on croyoit a 1'infaillibilité du pape, a 1'exiftence des revenans,& a la bonté de la queftion. Ce qu'il y a d'étrange , c'eft qu'il cite du droit canon un article deftructif de toute bonne fociété. Qui malos percutit ideo quodmalifunt, & habet vafa interfeólionis ut occidat peffimos, mini/ter eft Dornini. N'eft-ce pas rendre tous les citoyens juges de délits, bourreaux de leurs femblables, lèurmettre au nom de Dieu les armes a la main pour venger ce qu'ils ;trouveront criminel, c'eft-a-dire, contraire a leurs intéréts ? N'eft-ce pas bouleverfer la fociété ? Si M. Muyart eft orthodoxe, il n'eft pas au moins heureux en citations. Quant au droit civil, il y a long-tems qu'aux yeux des philofophes les compilations de Juftinien ne font qu'un magafin d'erreurs oü la raifon dédaigne de puifer. Voyez la note 8. La citation de la loi des douze tables peut, pour 1'heureux choix, fervir de pendant au fragment trés. peu canonique qu'on vient de citer. C'eft une trés, douce loi qui condamne a la Chine au fouet, au feu b  [ *45 ] Ia douce fenfibilité, contre la raifon , contre 1'évidence ? Qu'importe que nos peres, aveugles dans l'économie politique , aient verfé le fang de tant de criminels, s'il eft démontré aujourd'hui que cet ufage abfurde viole a la fois le droit naturel & focial, nuit a fintérêt général en voulant le venger, encourage les crimes au lieu d'effrayer, punit enfin un délit fouvent néceftïté par un crime raifonné ? LailTons au defpotifme qui fe déchire lui-même en déchirantles autres, fesroues, fes cordons, fes büchers , fes fupplices recherchés , oü tout Fart des Phalaris femble avoir été épuifé pour la deftruftion du genre humain. Mais vous , monarques intelligens , qui gouvernez des hommes libres & non pas des efclaves, jetez loin de vous cette verge de fer qui déshonore vos mains en écrafant vos fujets; banniffez de vos états & la torture abominable & ces fupplices de mort qui vous enlevent une infinité de fujets , enfin celui qui a commis quelque vol contre la maifon de fon voifin. On fe difpenfe de rapporter les autres raifons de cet écrivain; onpeut juger par ces deux échantillons , combien il feroit dangereux pour les peuples de recevoir un code de la main d'un jurifconfulte quoiqu'intelligent, paree que le faux prifme du droit romain décompole les rayons de la vérité avant qu'ils parvien. nent a lui. C'eft ce qu'on verra encore mieux prouve dans le chapitre des preuves judiciaires. Tome L K  [ i46- ] fans couper la tête toujours renaiffante du crime; ck fuivant les traces de la bienfaifante législatrice (67) du nord, cherchez moins k punir cruellement Ie coupable qu'a fauver Pinnocent; foyezjufles fans être atroces ; vengez la fociété fans lui nuire (68) . ( 67 ) Si Pimpératrice de Ruffie s'eft écartée de la loi de ne pas condamnera mort, dans la révolte de Pugatchew, c'eft que ce rebelle plus bourreau que guerrier avoit fait écorcher plus de cinq cents families. ( (68 ) La républiquede Penfylvanie adopte dans fa législation cette méthode fi fage de détourner du crime par le fpectacle des chatimen; de longue durée & foumis a tous les yeux. C'eft 1'unique moyen de rendre les punitions fanguinaires plus rares. Elle accorde k chacun la permiflton de vifiter a certaines heures les prifonniers. Les droits de propriété y font finguliérement refpe&és , la chafle eft libre pour tout le monde, 1'étranger y doit être bienaccueilli, on adopte une tolérance univerfelle pour toutes les religions. Que de crimes cette fage législation doit prévenir! J'ai fu par des témoins oculaires , que dans la Nouvelle Angleterre, oü la peine de mort eft rare, en quinze ans on n'avoit vu qu'un feul coupable ainfi puni. Ün y voit rarement des voleurs & des aflaffins, paree que tout le monde peut y vivre. ( On commence a fentir dans tous les royaumes oü Ia législation fe perfectionne, combien tous nos codes Européens font fanguinaires. Ainfi dans la dicte tenue en 1778 en Suede , on a arrêté i. la limitation des peines de mort infligées par la loi contre certains crimes qui, felon Pavis des ordres. feront punis en proportion de leur énormité; 2°. qu'al'avenir aucu» crime n'entrainera la perte de  E 147 ] Mais que fubftituer a la peine de mort, me dira un jurifconfulte mécontent de cette innovation, paree qu'il ne la voit pas appuyée des noms impofans de Cujas & de Farinacius ? L'efclavage qui met le coupable hors d'état de nuire a la fociété , le travail qui le lui rend utile , la douleur longue & permanente qui effraie ceux qui feroient tentés de 1'imiter. On demande des fupplices utiles ! La France , l'Angleterre n'ontelles pas leurs colonies ? La Suede, la Pologne , leurs mines de Coperberg Sc de Wiëliska; la Ruffie, fes déferts de Sibérie ; 1'Efpagne les mines du Potofi & de la Californie , 1'Italie fes marais , fes galeres , tous les pays des déferts a peupler, des landes a défricher, des manufaftures a perfecf ionner , des édifices, des chemins publics a conftruire ? Remplacez ces malheureux negres qui ne font coupables que d'avoir une téte lanu^ineufe & d'abforber dans leur rézeau muqueux tous les rayons de lumiere, au lieu de les réfléchir comme les blancs, remplacez ces negres dans vos plantations , dans vos fucreries , clans vos moulins, par les coupables que vous aurezjugé dignes 1'honneur, a 1'exception de ceux dont Ja bafTefie & 1'infamie font la bafe ; 3°. la fixation du tems de la prefcription dans ies affaires criminelle? , avec une reltriction annexée relative a des forfaits plus graves. K ij  [ i48 ] d'être pnvés d'une liberté funefte au genre humam. Par-la vous vous épargnez le doublé crime d'impofer un joug violent a des êtres nés libres comme vous, & de verfer inutilement un fang coupable; vous fauvez deux hommes a 1'état (69). Mais infligera-t-on la même peine au voleur, a 1'aiTaffin , au parricide, au régicide ? Pourquoi non ? Ce fera la même peine , mais on peut 1'adoucir ou 1'agraver fuivant la nature des crimes. Ainfi le voleur ne mérite pas un efclavage auffi long, auffi dur que 1'aiTaffin, ce dernier que le parricide. On différenciera la peine en raifon de la différence du dommage. Pourquoi condamner a trainer fa vie clans un défefpoir éternel ce malheureux que la néceffité peut-être a réduit a voler? PunilTez fon infra&ion ; mais il pourra devenir meilleur; mais lorfqu'il aura expié fon forfait, rendez-le a fa patrie , dont il pourra par la fuite bien mériter. Que de criminels perdus a jamais pour 1'état par 1'abfurde fupplice de la mort, on auroit ramenés ainfi dans fon fein! Le citoyen ~ ■ ( 69 ) Les Portugais, lors de la découverte des Indes orientales,firentun fingulier, mais fage ufage des criminels condamnés a mort. Vafco de Gama en emmena beaucoup avec lui, & c'étoient eux qu'on chargeoit d'aller a la découverte dans les pays inconnus. La première opération de la pierre fut rifquee fur deux criminels.  E M9 ] violent qui a attente a la vie de fon femblable , doit fans doute avoir toujours les mains liées: c'eft un frénétique qu'il faut enchainer dans une cage de fer; c'eft Pêtre dénaturé qui a ofé tremper fes mains dans le fang de celui qui lui donna la vie, qu'il faut plonger a jamais dans le cachot infemal des mines du Potoft; il faut lui dérober la lumiere , il la fouilleroit, & il doit par un défefpoir éternel expier fon forfait, s'il y a quelque expiation. Le malheureux! il enviera plus d'une fois la roue , le bücher, & il n'aura pas même 1'affreufe confolation de repofer fa tête fur féchafaud. Mais je voudrois que, pour rendre les fupplices plus terribles encore, on püt réunir tout ce que l'opinion publique a d'énergie pour accabler le fcélérat qui a ofé troubler 1'ordre. Je voudrois qu'avant d'être renfermé dans des mines ou conduit a des travaux publics, il parut publiquement & a plufieurs reprifes; qu'on püt lire fon crime & le lui reprocher; qu'expofé aux regards, a 1'indignation de fes concitoyens, on ne le vit qu'avec horreur , ck que tout le monde s'écriat : fuyons-h , cejl un monfire. Je voudrois que de tems en tems , après avoir préparé les efprits par un difcours raifonné fur la confervation de 1'ordre focial, fur 1'utilité des chatimens, on conduifit les jeunes gens, les hommes même aux mines , K iij  [ 15° ] aux travaux, pour contempler Ie fort affreux de ces profent, Ces pélerinages patriotiques feroient bien plus utiles que eeux que font les Tures a la Meeque. Je voudrois que les coupables dont le Jupphce ne devroit avoir d'autre tenne que celui de leur vre, fuffent marqués, non pas fur le dos, mais ce front, du caractere vifible de 1'opprobre , afin qu ils ne puflent jamais échapper a la peine de leur crime , même en fecouant leurs fers & en reprenantleur liberté. Je voudrois que Fon n'ötat pas ennerement 1'efpoir de cette liberté a ces citoyens que de malheureufes circonftances plutót • quel'habitude du vice ont jetés dans le crime Je voudrois ... Incrédules qui doutez de 1'effetprodigieux de ces fpectacles fur le cceur humain,ne vous «es-vous jamais tranfportés dans ces prifons , dans ces maifons de force, oü fon enchaïne les foux, leslibertins, les fcélérats ? Soyez vrais & repondez, votre cceur ne s'eft-il pas refferré a lapprochede ces maifons de deuil, en contemplantvos femblables avilis , dégradés , transformes en bétes de fomme ? N'avez-vous pas frémi, n avez-vous pas juré dans Ie fond de votre ame «etre toujours fideles a 1'ordre focial? Ne vous êtes-vous pas dit a vous-mêmes: voila donc le féjoür qui m'eft deftiné , fi je fuïs criminel? . Je vous en attefte ici, militaires Francois, vous  L *ii ] qui ne redoutiez jamais la mort lorfqu'elle étoit la peine ordinaire de vos délits, quelle impreflion ne fait pas fur vous la peine du mépris, la peine de la vie qu'on lui «fubftituée ? J'ai vu moi-même dans cette cérémonie lugubre, oü 1'on dégrade le coupable, 1'horreur fe graver fur vos vifages ; j'ai vu vos regards fe détourner malgré vous du miférable revêtu des haillons de 1'opprobre.... La peine de vie, lorfqu'on la fature, pour ainfi dire, du fiel du mépris, eft donc plus terrible que la peine de mort. Ce n'étoit pas le fentiment de 1 'il— luftre Montefquieu; mais ce philofophe s'égara , pour avoir voulu poufler trop loin & fans exception fon principe pénal, que les peines doivent toujours fortir de la nature du crime. La peine de mort n'a eu pour bafe que la fatale loi du talion,qui a égaré une infinité de législateurs. II eft bien fingulier que cette loi, qui outrage l'intérêt focial a un fi haut degré, ait été adoptée par les peuples les mieux policés. Les Grecs , les.Juifs ( 70 ), les Romains ( 71 ) , les ( 70 ) L'Exode porte, art. 24 : óculuiti pro oculo dentan pro dente , vulnus pro vulnerc. (71 ) La loi des douze tables ordonnoitle talionfi membrum rupit, nee curn eo pacit, talio efio. Cette loi du talion fut abrogée par la loi Cornélfenne. On a remarqué -que cette loi eft celle de toures les fociétés dans 1'enfance. Elle font encore trop prés de la na- Tome I. *  Perfans (7x), tous I'ont fuivie; & ce qu'il y a de plus étrange, c'eft que dans les fiecles modernes ou 1'on eft fi fort pcrfimié c]u princjpe qu,une bane ne donne pas le droit c&tre barbare , elle eft encore le fondement (ur lequel portent tous les codes criminels ( 73 ) ; on a vu méme des phi- ture^pour s'appercevoir qu'il faut"^u^i~d7- l 72 ) Chez les Perfes , Ie méiirfrfcr »t les mains des proches paren d ! ■ * entre qu'ils veulent. ",0rt' ^m en fö™ ce Si une cho'e a été vnl?» („ _ » eftobligé de la faSe priétaire. ' e 13 re»dre au pro- Les filoux font marqués au front d'un fer rL i ■ mourir. 'P PaS'0n les fait «WMfenl ^.Sp^^fflf»- —■»<. Les rotiiTeurs font embrochés & rrtrf- i« 1 1 gers ictés d-inc f 1L'l-Iit-i> cv- rotia , les boufaiu gers jetes dans un four ardent, lorfqu'ils vendenr deflus du taux fixé, ou k faux poids KtsTdes pefiïeT ^"^.^ k Traité des dé. Sme^dV ^ reft/ *W rf" qu'aSa'in exameTfetf /fïulJené' * «ux qui troublent. Cet fe fociétéit' ,pun,jma,s '9WOHrsütiIemeut pour «nats. ' d£ Ji qU'i! y aura raoins d'affaï Je ne nierai pas cette conféquence; mais je crois  [ H1 P lofophes en faire 1'apologie. Rien cependant de plus abfurde , de plus inutile a 1'état, de plus atroce. Quoi! paree qu'un barbare aura crevé un que le nombre des aflaffinats diminueróit encore, fi 1'aflaffin n'expioit pas fur la roue fon forfait. Si 1'on envifage,dit l'auteur, 1'effet des fupplices fur le peuple, on verra qu'ils fervent bien plutót a fortifier le mépris qu'un fcélérat doit avoir pour la mort, qu'a lui en infpirer la cra^nte. L'objet de la loi n'eft donc pas rempli ? Non-, mais il le fera, fi vous fubftituez a la mort des. fupplices qui, en confervant la vie du coupable , ne lui font pas moins féverement expier fon crime, & toujours utilement pour la fociété. L'auteur que nous examinons, propofe les galeres feches, les corvees, les reconftructions de batimens publics, le defrichement des terres , le deffechement CTes marais, les mines, les canaux , &c. comme des objets auxquels on pourroit employer les voleurs & les autres criminels, hors les alfalTins : & pourquoi n'y pas condamner auffi ces derniers, en différenciant la durée, le lieu , & l'objet du travail, &c ? Par exemple , occupez un vagabpnd a défricher des terres, le voleur a deflecher des marais, 1'affaffin a fouiller des mines, a tous les travaux les plus dangereux , les plus pénibles. En adouciffant le fort des premiers, que la vie des autres foit toujours remplie d'amertume; qu'ils aient un figne diftinótif; que le caractere particulier de réprobation qu'ils porteront, effraie le citoyen en décelant leur crime ; que leur nourriture foit moindre que celle des autres; que le tems de leur fupplice foit éternel; que les heures de leur travail foient prolongées, &c. Ces différences dans leurs fupplices ne feroient-elles pas en raifon des différences des crimes ? Au furplus je ne voudrois jamais que le voleur fut marqué a la joue , comme le penfe l'auteur , afin qu'il ne puifle s'echapper, paree que le vol n'eft fouvent que le produit des circonftances, de la  i '54 ] oeil k fon femblable , il faudra Ie rendre borgne ? Le bleue en verra-t-il plus clair ? Quand vous ferez périr dans les tourmens celui qui aura tué votre ami, votre frere , refTufciteront-ils de leurs cendres ? Le crime fera donc irhpuni, me dira-t-on ! Non , fans doute; forcez le coupable k dédommager le bleue de la perte qu'il elTuie , jetez-le clans I'efclavage , rendez-le utile k cette patrie dont il a violé les loix; mais ne multipliez pas les nieurtres pour en venger un, ne faites pas trois eunuques, pour venger un Abeilard, & ne tuez, ne mutdez jamais , quand vous pouvez punir autrement. Peines corporelles. En jetant un coup-d'oeil fur ( 74 ) l'affreux mifere, paree que le vol n'eft point un crime contre nature , paree que le voleur peut fe repentir, & après le tems de Ion travail redevenir un bon citoyen; qu'on inflige cette marqué a celui qui retombera dans le crime, a celui qui voudra écbapper a la peine. Soit, mais que le figne qui caractérifera celui qui aura verfé le fang foit ineffacable & vifible. Alors, qu'il s'échappe ou non, il ne pourra tromper la fociété. Peut-être ce malheureux s'accoutumera-t-il a fon fort ? Qu'importe ? Si 1'homme qui en fera le témoin nele voit jamais fans horreur , l'objet de la vengeance publique n'eft-il pas rempli ? C 74-) Le tableau des fupplices imaginés par toutes les nations, ne peut fixer 1'ceil du philofophe: on recule d'effroi, en voyant les hommes acharnés contre jes hommes, fe transformant en cannibales 3 trouver du  [ m 1 tableau des fupplices & des mutilations imaginées dans toutes les contrées de funivers, on ne voit qifavec horreur les hommes fe changer en bour- plaifir a faire fouffrir leurs femblables: fauvages barbares ou peuples policés, tous ont eu a peu prés les mémes loix. En voici un léger extrait. Tableau des peines autrcfois en ufage en France, en AUemagne , tic. 1. Ecorchc vif, c'eft un fupplice ordinaire dans ces etats oü celui qui gouverne fe plaint de ne pouvoir pas affez prolonger les tourmens. 2. Enterre' vif, fupplice éprouvé par Perette Mangé pour avoir commis plufieurs iarcins en 1400, ce qui paroic bien violent. 3. Coupe' en quartiers, fupplice réfervé en Allemagne pour le cas de haute trahifon. 4. Bouilli dans l'eau chaude, peine établie par la coutume de Bretagne contre les faux monnoyeurs. Avec quel art on cberchoit a être injufte & barbare ! 5. Etre noyc', peine trés-ordinaire ufitée encore en Allemagne. 6. Teux creve's.Le roi Chilperic inventa ce fupplice pour ceux qui meprifoient fes ordonnances. II étoit fort adroic de commencerpar crever les yeux aux gens pour les éclairer. 7. EJforeille's, peine des larrons, aujourd'hui des negres fugitifs. 8. Ncz coupe', peine des filles de débauche. 9. Caftration, fupplice imaginé contre des féducteurs ou des adulteres, par exemple, contre Roger Mortimer, convaincu d'adultere avec Ifabelle de France; contre le jeune Spencer, favori d'Edouard II. Ce dernier fupplice étoit un outrage fanglant a 1'honneur de ce roi d'Angleterre. 11 eft bien fingulier que contre la faine politique on ait toujours cherché a défigurer un  reaüx & fe tourmenter 1'efprit pour inventer de nouvelles manieres de tourmenter les autres. Sans endonnerun trop long détail qui feroit révoltant, coupable au détriment de la fociéré race CIo", 6 T ^ malhei™ «bus la première ■>W a ces fupplices ceux du feu, de la roue , de lecarteiement,pratiquéSli fouvent en France & ces mutilatiöns qui font fi fréquentes a la Chine Peines d la Chine. Les mutilations font trés-fréquentes a la Chine on y coupe les jambes, le nez, on imprime des fers' chaudsi fur le v.fage, &c. & cependant il y a toujours une infinue de voleurs. Dans la feule ville de Canton, dit M. Salmon , il y a prefque toujours dans les cal chots qmnze mille prifonniers. C'eft ici la faute du gouvernement, & non pas des fupplices. La propriété des fujets n eft point refpectée, 1'agriculture eft néeligee, le commerqant y eft pillé par les Mandarins :il pille a fon tour le peuple. Les Chinois fe prelfent, s'étouffent dans les villes, tandis que 1'intérieur des terres eftdefert : il faut donc qu'il y ait beaucoup de frippons, malgré les fupplices, paree que tout le monde veut vivre; on s'accoutume alors avec le chatiment Langue coupée, levre coupe'c. Peine prononcée coni tre les blafphemateurs du nom de Dieu , peu en ufage & fort heureufement. Oreilles oujarrets coupés. Peine décernée contre les elclaves qui fuient, trop crueile, paree qu'on n'a pas le droit d'cmpêcher un homme de foupirer après la liberté; déraifonnable, & anti - politique, paree qu'un  [ M7 ] fuffit de dire en partant du deuxieme corollaire du quatrieme principe , que toute mutilation qui privé un citoyen d'un membre qui peut lui être utile & a 1'état, eft une atrocité politique. II eft abfurde de disloquer les membres d'un homme qui eft condamné aux galeres , de couper le poing a cet aflaftin que Pon peut employer aux mines ou aux fucreries: il n'y a qu'un defpote comme ce Pierre le Jufticier , dont on ne cite le nom qu'en frémiffant ,(75) ou comme ce roi de Siam, qui efclave qui a le jarret coupé n'eft plus bon a rien. Cependant on a étendu cette peine jufqu'aux negres; & un jurifconfulte a prouvé que cela étoit jufte, paree que les Novelles, cette énorme production fi funefte au genre humain, portent : fervo fugitivo pes ampu. tatur. Poing coupé ou brülé. C'étoit autrefois la peine des faux monnoyeurs , .falfi monetarii manum perdant. Voyez les Capitulaires des rois de France. L'auteur des Capitulaties ne fit pas attention que couper la main a un faux monnoyeur, n'étoit pas 1'empécher de faire de la faufie monnoie, qu'on peut punir un coupable fans le rendre informe, & qu'on doit étre fobre a ordonner des mutilatiöns, paree qu'en méme tems qu'elles punifient un coupable, elles 1'enlevent a 1'état. Le poing brülé eft la peine préliminaire des régicides. On coupe ordinairement le poing aux aifaflins , aux brüleurs, &c. C'eft-a-dire , que par humanité on les tue par parcies. (Ys) Pierre le Jufticier, fi connu par fes actions cruelles , fit un jour fcier en deux un cordelieraccufé d'un commerce de galanterie avec une femme. Dictionnaire dts tribunaux. L'atroceMahomet fecond,que 1'Orientafurnommé  [ MS 1 regardant fes fujets comme de vils troupeaux (76) peut pour fon plaifir leur coudre la bouche , leur arracher les dents, &c. Toute peine, encore une fois, doit être utile & néceiTaire, ou devient tyrannique. De toutes les peines corporelles il ne faut donc conferver que celles qui peuvent punir le coupable , fans 1'exterminer & fans nuire a fon individu , ck qui en le puniiTant font utiles k 1'état. De ce nombre on peut mettre la baftonnade , le fouet, 1'eftrapade ( 77 ) , la peine d'être marqué le Grand, paree qu'il avoit plus qu'aucun autre dépeuplé la terre , faifoit écorcher les ennemis vivans, les faifoit enduire de miel, & les expofoit en cet état aux piquures des infectes & aux rayons du foleil. (76) A Siam, c'eft le roi lui-même qui fait juftice, il a pour fa garde quatre cents bourreaux. Les chatimens ordinaires font de fendre la bouche jufqu'aux oreilles a ceux qui ne parient pas afiéz, de la coudre a ceux qui parient tnp. Pour des fautes alfez légeres, on coupe les cuilfes a un homme, on lui brüle les bras avec un fer rouge, on lui donne des coups de fabre fur la tête, ou on lui arrache les dents. II faut n'avoir prefque rien fait pour étre condamhé a la baftonnade. Pour ce qui eft de fe voir enfoncer les bouts de cannes dans les ongles, qu'on pouffe jufqu'a li racine, mettre les pieds au cep, il n'y a prefque perfonne aqui cela ne foit arrivé quelquefois dans fa vie. Memoires du chevalier Forbin. ( 77 En Italië 1'eftrapade eft trés - fréquente; on attaché au coupable les mains derrière le dos, on le lie a une poutre qu'onéleveen 1'air acinquantepieds, & lorfqu'il eft ainfi hifïe,on laiffe tomber la poutre avec le patiënt qui a les bras tout disloqués. Le bourreau lui remet aufii-tót les bras dans leur état naturel, & au bout de quatre jours fouvent il eft gueri.  tM9l au dos , ou fur le front, d'un fer rouge , de porter des fardeaux, de travailler aux chemins , aux ouvrages publics, ckc. le knout même , quoique cru el, peut dans certains climats être confervé. J'ai lu avec étonnement dans des ouvrages eftimables ( Recherchesphilof. fur les Chinois, torn. II.) que fous le defpotifme on ne pouvoit trop multiplier les mutilatiöns pour arrêter les délits. La dit - on, les efprits font abrutis , il n'y a ni vertus ni vices, tout y eft permis pour le bien-étre , 1'honneur n'exifte point parmi ces êtres avilis , on ne peut les retenir que par des peines corporelles. Ainfi , continue -1 - on , k la Chine les principaux reflbrts du gouvernement font le fouet & le baton. On cite le pere du Halde qui a écrit que 1'empereur faifoit donner la baftonnade aux plus grands feigneurs par maniere de pafle-tems. Qu'un jéfuite tranfplanté a quelques mille lieues de fon pays ait écrit des fables & des invraifemblances fur un peuple dont il connoiflbit a peine les mceurs & la langue, je n'en luis pas furpris; mais qu'un philofophe parte d'un roman pour batir, un fyftême, voila ce qui a droit de nous étonner. D'ailleurs, quand il feroit vrai qu'a la Chine , qu'en Turquie on prodiguat fi leftement & fi fouvent la baftonnade & les mutilatiöns, qu'en réfulteroit-il ? Non pas que les hommes qui  [ i6o ] vivent fous ce gouvernement font plus abrutis que les autres , non pas que ces peines font infuffifantes, paree qu'elles ne diminuent pas le nombre des délits , mais bien que les gouvernemens violent la nature des chofes en appliquant des peines difproportionnées aux délits, ck doivent toujours manquer le but d'une bonne législation pénale. Jamais les defpotes ne confultent cette grande loi des rapports : auffi dans les peines qu'ils prononcent pour prévenir les crimes , 1'événement trompe toujours leurs efforts. C'eft par des mutilatiöns qu ils puniftent ck 1'indigent qui fraude les droits royaux pour gagner du pain , & le puiffant qui ne refpefte pas les mceurs dans fes plaifirs, & 1'efclave qui ne fatisfait pas alTez promptement aux caprices du tyran: auffi il n'eft pas de contrée oü la fraude ck la contrebande fe multiplient davantage , oü la corruption foit pouflee a un plus haut degré, oü I'efclavage rende le maïtre plus malheureux en aviliflant fes efclaves. Or tous ces délits ne fouilleroient pas fi fouvent leurs états, fi en tirant les peines de la nature même de la chofe , on appliquoit au délit pécuniaire unec peine pécuniaire , au délit moral une peine morale, ck ft par une abfurdité déraifonnable on n'appliquoit pas indiftinclement des mutilatiöns inutiles. En vain dit-on qu'il n'y a ni vertus ni vices fous le 'defpotifme.  C **i ] defpotifme. Un gouvernement de" cette efpece n'eft qu'un être de raifon , n'eft qu'un fantöme créé par 1'imagination. Le Turc, 1'Indien, ont comme nous des vertus & des vices , paree que comme nous ils tendent au bonheur, & que le bonheur, foit général, foit particulier, ne peut exifter fans obligations fociales, & conféqueminent fans vertus, fans honneur. La mutilation d'ailleurs manque toujours fon effet. L'indigent calcule fes befoins, & jamais Ia peine, qu'il fefait un honneur de braver & fur laquelle en outre 1'efpoir jette toujours un voile. De la la multiplicité des crimes ( 78 ). Je n'en dirai pas davantage pour (78 En Mofcovie on punit Tévérement pour frauder les droits du tabae & de 1'eau-de-vie. Cette peine eft appellée le knout. Le coupable eft nu, les bras lies derrière le dos. Le bourreau lui applique un grand nombre de coups de fouet avec de petites bandes de peau d'élan ,& chaque coup découvre Tos. En foliant de ce fupplice, un homme n'eft prefque plus que lambeaux : cela n'empéche pas les Mofcovites de frauder. Sftrueys vouloit empêcher un Mofcovite qui avoit efiuyé ce fupplice de faire la fraude. Taifez- vous , lui dit le Mofcovite , ce n'eft pas aux gens qui vous relfemblent a donner des avis : vous êtes d'uné nation lache & molle , qui ne cherche que les profitsaifés. La notre qui a plus de cceur. fait gloire d'acheter le moindre gain au prix des tourmens. Celui que j'ai -fouffeit depuis huit ou dix jours n'eft pas fi rude que vqu.s perfez. Voyez, dit-il en fe dépouillant, s'il y paroit & fi 1'on mérite de vivre, quand on pleure pour fi peu de chofe. Tome I. L  [ *B* ] profcrire les mutilatiöns. On en fent aujourd'huï vivement 1'inefficacité. Peines contre la liberté, Prifons. ^ Suivant les loix de la plupart des nations de 1'Europe , on öte la liberté aux citoyens, ou pour s'allurer d'un citoyen foupconné d'un crime, ou pour le punir de Pabus qu'il en fait au préjudice de 1'ordre focial. Comme dans le premier cas 1'emprifonnement n'eft qu'une précaution, que dans Pautre il eft un chatiment, il devroit donc y avoir deux fortes de prifons, & ne pas confondre enfemble le citoyen, peut-être innocent, mais accufé , avec le criminel convaincu, ou fubiftant déja fon chatiment. On a bien diftingué dans certains états les prifons & les maifons de force ; mais jamais on n'a diftingué clans ces prifons le malheureux débiteur infolvable, du fcélérat parricide. II y a une irrSnité de degrés dans cette échelle, ck pas un n'eft marqué. La jurifprudence criminelle de prefque toute 1'Europe eft encore marquée au coin fauvage des peuples qui batirent la bizarre loi falique. Ouvrons ces prifons ck ces maifons de force: que d'abus revoltans y font rougir 1'humanité ! Décrivons-les s'il eft pofïible , ft la plume ne  { ^3 ] tombe pas de mes mains. Que vois-je ! un citoyen né libre , tout-a-coup invefti par une foule de gueux a face patibulaire , attaqué , lié , garrotté , trainé avec un éclat fcandaleux , avec les outrages les plus marqué-;, dans le féjour alfreux qui recele le fcélérat. Pourquoi 1'a-t-on arrêté ? Par ordre d'un magiftrat a qui on( 79) laiffe le droit funefte d'incarcérer a fon gré les citoyens, & fur le moindre prétexte. Oü k-t-ïl été arrêté ? Dans fa maifon , dans cet afyle facré que toutes les loix doivent refpeéter, paree que c'eft le feul endroit ( 79 ) Par 1'art. 48 de la grande charte d'Angleterre, il eft dit :on n'arrêtera ni n'emprifonnera , ni ne dépoffédera de les biens, coutumes & libertés, & on ne fera niourir perfonne de quelque maniere que ce foit, que par le jugementde fes pairs, & felon les loix du pays. Détracteurs de la conftitution angloife, convenez donc au moins qu'elle refpecte plus que celle que vous prónez, le titre facré de citoyen, & qu'elle ne 1'en privé pas légérement. Tandis qu'en Portugal on s'amufoit k porter le deuil pour réparer un vol de vafes facrés, 1'efprit de liberté angloife fe manifeftoit dans un acte héroïque de juftice a Londres. Un imprimeur, contre les loix.de ce pays , éft arrêté, mis en prifon & retenu pendant trois moig par ordre de la chambre des pairs. A la proroüation du parlement, il demande fa liberté; & un feul juge nomina I5uller , malgré 1'autoritéde la chambre des pairs, déclare Femprifonnement illégal, & rompt les fers dc 1'intrépide Parker. II eft donc encore une contrée oü la liberté de 1'homme eft refpeétde! Voyez le Courkf dc 1'Europe, vol. ó,n«. j. Lij  [ i64 } ( 8o ) oü 1'homme puifle jouir pleinement de ce droit inviolable & imprefcriptible de la liberté. Je luis ce malheureux dans la demeure infernale qu'on lui prépare: archers, geoliers, bourreaux fubaltemes, étres vils qui, même en défendant Ia fociété , font regardés avec une efpece d'horreur, tous a 1'approche de cette nouvelle proie, laiffent entrevoir fur leur front fourcilleux cette joie maligne & ccuelle que les poétes peignent dans les furies chargées de tourmenter le genre humain. Loin de refpecler le malheur de ce citoyen , on 1'infulte, on 1'outrage, on le fouille indécemment, ( 80 ) M. Lmguet, dans le difcours qui précede la Theorie des loix, prétend que les maifons ne doivent: point femr d'afyle aux débiteurs. Cette infticution d'alyle remonte, dit-il, aux Romains, dont les maifons étoient regardees comme facrées, a raifon des pénates quilsy logeoient; mais comme nous n'avons point d'oratoire dans nos offices, pourquoi le débiteur trouveroit-il un afyle auprès de fon foyer ? C'eft favorifer d'ailleurs le débiteur frauduleux. J'ai examiné ailleurs li 1 empnfonnénient pour dettes étoit bien licite. Je ne fais pas (1 c'eft a raifon du refpect pour quelques figures de bois, que les Romains attachoient le droit d'afyle a leur domicile. Je pencherois plutót a croire que ce peuple fi fier, fi jaloux de fa liberté , n'envoyoit dépouiller fes membres même par les loix, qu'a regret, & multiplioit dans cette vue les entraves autour du' creancier impitoyable. C'eft dans ce même efprit que les législateurs modernes doivent faire refpeder la liberté du débiteur malheureux confiné dans fon domicile.  [ m} on lui enleve fes effets, on 1'enchame , on le conduit enfin dans un labyrinthe obfcur de détours a fa trifte demeure, oü de triples ferrures, des verroux lugubres répondent de fa liberté; il entre le coeur ferré de douleur dans ce cloaque d'infeftion, oü mille malheureux s'entre-communiquent le poifon lent de la mort, d'oü les miafmes les plus dangereux s'exha!en.t ck vont porter même au loin les germes de la putréfaction. Une nouvelle fcene s'ouvre : 1'afTaffin , le voleur , le libertin, tous devenus amis, paree que le même lieu les ralTemble, veulent exercer fur ce nouveau venu une efpece de defpotifme, même au milieu de leurs chaines, même clans la foffe affreufe qui les fépare du genre humain. II faut rendre hommage a cette affociation de ces nouveaux hötes qui lui difputent jufqu'aux malheureux reftes que lui ont laiflfé fes impitoyables alguafils. Ames fenfibles, cjui quek|uefois avez pénétré dans ce féjour horrible ! que de blafphême-;, que de malédictions avez-vous entendu vomir contre 1'Être fuprême , contre la fociété ! Que d'horreurs répétées en chceur ! Combien de fois ces miférables profcrits, las d'être trainés fur la fellette, n'invoquent-ils pas la mort trop lente qui leur ferme encore 1'oreille ! La nature, 1'humanité ne frémilTent-elles pas ! L'innocence a ccA)té du crime , L iij  [ i66 ] Ja vertu confondue avec le vice ! Oui, c'eft la, .c'eft fur cette pierre infeftée du venin du crime , ou Cartouche & la Voifm ont attendu le moment affreus .oü ils devoient expier , k la face du ciel, Jéurs affaffinats & leurs poifons, c'eft la que Langlade, Calas, Montbailly repofent leurs têtes également fatiguées des interrogations, des outrages , des atrocités qu'ils font forcés d'entendre. C'eft Ik que mille innocens épviifent la coupe de la douleur en foupirant après leur liberté. On la leur rend ; mais ils ne fortent de ce charnier qu'après avoir payé d'une énorme rancon le droit funefte de s'y être empeftés, qu'après avoir juré qu'ils n'oferont pas faire entendre leurs voix contre les brigandages qu'ils ont efluyés. Et cependant, qui le croiroit! k 1'afFreux tableau que nous venons de tracer , 1'incarcération légale , quoique fi funefte , n'eft point regardée par les juges comme un chatiment. Ce n'eft k leurs yeux qu'une afiurance de retro uver fous leurs mains 1'accufé quand ils viendront 1'interroger & le juger. Quelle eft donc cette terrible forêt de fociété , oü pour la liberté , la fureté de tous, on outrage fi cruellement Ia liberté de chaque individu ? Ce tableau des prifons n'eft point une chimère. Lifez 1'ouvrage de cet Anglois qui les parcourut toutes, & vous ferez convaincu qu'elles fe reffemblent par-tout.  [ i67 1 Je vïens d'entendre ( 81 ) la lecture de 1'hiftoire manufcrite d'une prifon d'une des premières vüles de 1'Europe. Mon fang bouillonne encore quand je penfe aux excès auxquels fe portent tous les jours, a chaque inftant, contre des individus malheureux, les monftresa figure humaine qu'on appelle geoliers, guichctitrs ; quand je penfe a 1'rndifférence des juges qui, regardant la juftice comme leur propriété, en tirent des émolumens, fans daigner compatir au fort des infortunés qui languiftent dans les prifons ; quand je penfe enfin a 1'indifférence fur ces objets de tous les membres de la fociété, de ces membres qu'un malheur, qu'un hafard peut plonger dans ces infernales demeures. Et qui ne fera pas révolté comme moi ., quand on apprendra que cette prifon n'eft qu'un cloaque arfreux, oü un fcorbut peftilentiel fait des ravages perpétuels, oü le défefpoir ronge tous les cceurs des captifs, oü 1'atrocité dirige le defpotifme des gardiens ! Qui ne fera pas révolté, ( 81 ) Cette hiftoire a été faite par un homme qui a eule tems d'obferver les abus des prifons. Le précis que j'en tracé ici eft le réfultat de la lecture qu'il m'en a faite. Si la critique y trouve a blamer quelques exprelTions énergiques, qu'elle obferve le motif qui m'a guidé , motif qui doit diriger les magiftrats & tous les hommes: c'eft 1'humanité. II ne faut pas fe plaindre du i ton des couleurs, li le tableau eft reffemblant. Voyez d'ailleurs ce qu'en dit M. Servant. L iv  t 168 ] quand on faura que les fages ordonnances fur le refpect dü aux prifonniers, font foulées impunément aux pieds par un conciërge inhumain; que comme untyran,,! peut difpofer du fort des prifonniers, les mettre au cachot, les frapper, les fcirepénr de langueur, ou les accabler de mauva,s traitemens, &, ce qui eft encore plus cruel, etouffer leurs gémifiemens & leurs plamtes; quand on faura que les perfonnes chargées du détail des prifons dédaignent d'y defcendre , d'écouter les requêtes des victimes qui y font détenues; que les médecins, chirurgiens & apothicaires dédaignent d'y donner leurs propres foins aux malades,dont la fanté eft abandonnée a 1'impéritie d'ignorans apprentifs, a la barbarie, k la cupidité d'un mfirmier ordmairement choifi parmi les plus tameux fcélérats pour remplir ce dégoütant métier; quand on faura que cet avare mfmmer retranche k fesmalades leur propre pain, leurs alimens, pour les vendre, altere leurs remedes, les maltraité , s'empare de leur argent, & font par les faire périr pour en jouir avec plus de fécunté; quand on faura que dans cette infirmerie les malades entaffés pêle-mêle avec les morts, ne re/pi rant qu'un air infefte , fequeftrés de route fociété , fubifient tous le même fort; que fi la mort eft trop lente a fermer leurs paupieres, 1'abominable  [ 169 ] infirmier les jette encore palpitans clans 1 endróit dégoutant qui recele les cadavres ? Qui ne fera pas indigné, quand on faura qu'il eft dans cette prifon un cachot plus affreux que tOutes les inventions de Néron, cachot armé de pointes de fer, ou le prifonnier enfeveli dans un amas d'infeétion, rongé par les rats , par les vers, par mille infeftes, peut a peine étendre fon corps toujours courbé, ck rencontre a tous les momens de fatales pointes qui le déchirent, & qui lui font éprouver mille morts; quand on faura que le conciërge , qu'un geolier s'arroge le droit, fans confulter le juge, d'étendre fur cette cfoix le prifonnier qu'il juge a propos d'y condamner; quand on faura enfin que ces bourreaux plus endurcis qu'un Cannibale, riant des tourmens qu'ils font endurer, exercent eux-mémes des fupplices fecrets fur les captifs qui ofent fe plaindre, les livrent a la voracité de leurs chiens dont ils ex'citent la colere , dont ils aiguifent la faim ? Et c'eft dans une monarchie tempérée, c'eft fous un monarque bienfaifant,fous des miniftres éclairés,que fe commettent ces atrocités incroyables, fi elles n'étoient atteftées par une foule de faits ck de témoins! Ils feront fans doute indignés comme moi, quand ils apprendront qu'a préfent, que dans le fiecle philofophique, 1'on batit de nouveaux cachots en-  [ '70 ] core plus terribles que les premiers; que 1'architefteapromis dereffufciter Pinfernale invention dont je parlois tout-a-l'heure. On ne me croira point, je le fais; car le conciërge répete fans ceffe k 1'infpefteur prévenu qui quelquefois entrevoit ces lieux,que les habitans de ce tartare ne font que des fcélérats & des fripons, des féditieux toujours prêts k fe révolter; & cetinfpeéteur le reditaux juges. Magiftrats qui aurez le courage de furmonter le dégout qu'infpire la vue de la mifere, ne vous laiffez pas prévenir , ne fermez pas 1'oreille aux plaintes du malheureux , defcendez vous - mêmes dans ces cachots affreux, pénétrez par-tout, pofez les doigts fur les plaies de ces malheureux; voyez s'il eft un feul endroit fur leur corps qui foit exempt de douleur; vous frémirez, des larmes couleront de vos yeux; & vous mettant bien au-deflus de ces juges qui croient avoir rempli leurs fonótions délicates, quand ils ont fait donner la queftion k un accufé , ou fait pendre un homme que la faim a contraint de voler , vous apprendrez k 1'univers par une réforme , que 1'humanité eft enfin refpectée , & dans vos tribunaux, & jufques dans vos prifons. Et vous, habitans de cette grande ville que 1'on voit tout de feu pour vos plaifirs, pour des riens,  [ ïfl ] ferez-vous toujours de glacé pour ces objets qui intéreffent votre propriété, votre liberté , vos vies ? Vous difputez pour des bamboches, vous vous enthoufiafmez, vous écrivez, vous vous jurez des haines irréconciliables pour des muficiens , vous prodiguez votre or pour des chevaux, des modes ridicules; & le fort de ce malheureux qui languit dans les prifons, parvient a peine a vos oreilles: vous voyez fes bleffures, & vous ne daignez pas les fermer; a peine le figne d'une ftérile compaifion échappe-t-il de votre bouche; & lorfqu'un ami de 1'humanité plaide fa caufevous le traitez peut-être de fou, de vifionnaire. Heureux encore s'il n'eft pas perfécuté ! Ou s'il obtient votre fuffrage , le livre eft a peine fermé , que 1'on a oublié les tableaux énergiques qu'il renfermoit, les projets de réforme qu'il confeilloit; onjuge fon ftyle, on ne parle pas de fes vues ; on fait a peine unvceu pour leur exécution , mais perfonne n'ofe mettre la main a 1'oeuvre. Jufqu'a quand cette cruelle indifférence ftibfiftera-t-elle donc ? Le feu qui brüle dans mes'veines, qui cherche a s'exhaler dans mes écrits, ce feu que j'ai puifé dans le fanctuaire de la philofophie, n'échauffera-t-il jamais 1'ame de ceux qui, prépofés a la garde des ioix , devroient en indiquer les abus, & le moyen de les réformer, au monarque éclairé qui nous gou-  verne. Ét comment ne les adopteroit-il pas? Né nous a-t-il pas prouve par cent ordonnances dictees par la juftice & 1'humanité, que fon ame bienfaifante n'étoit occupée que du bien de fon peuple ? Après avoir allégé lepoids desimpöts qui raccabloit,après avoir tari les fources rinancieres qui abforboient les fonds publics , après avoir détruit une infinité d'abus, pourquoi s'arrêteroit-il dans une carrière fi foblime ? Les étres qui gémiffont dans les chaines ne font-ils pas fes fujets ? Ah! s'il pouvoit entrevoir la plus légere partie de leurs maux,cetafpect le feroit friffonner, & il s'emprefleroit d'adoucir le poids de leurs fouffrances (82 ). Que dira-t-on donc de ces prifons fecretes imaginées par 1'efprit fatal du monarchifme , réfervées principalement ou pour les philofophes dans les mains defquels la nature a mis fon flambeau & (82) Un ancien gouverneur de Gorée m'a affuré que les pnfons de nosislesfourmilloient d'autant d'abus que celles de 1'Europe. Ledernier matelot qui entre, eft obl.ge de donner douze livres pour fon entree , douze hvres pour la fortie, autant pour la nourriture, quand ,1 n'y auroit refté que vingt-quatre heures. II en coute, pour faire fortir un negre de prifon , le tiers de fa valeur; &lorfqu'ilya été trois fois, fon prix eft entierement abforbé. " r.11 °»'a ai[uré 1ue le revenu de ces prifons étoit conliderable, & qu il mettoit a portée le conciërge & fes allocies d avoir un fafte énorme.  I m ] qui ofent éclairer leur fiecle, ou pour ces ames fieres & indépendantes qui n'ont pas la lacheté de taif e les maux de leur patrie; prifons dont de myftérieufes lettres ouvrent les funeftes portes pour y enfevelir a jamais ces malheureufes victimes ! Que dira -1 - on de ces lettres même, chefd'ceuvre d'une ingénieufe tyrannie, qui renverfent le privilege qu'a tout citoyen d'être entendu avant d'être jugé, qui font mille fois plus dangereufes pour les hommes que Pinvention des Phalaris , en ce qu'elles réunilTent a 1'illégalité la plus odieufe un impofant appareil de juftice, tandis que ce fupplice n'étoit du moins que Pafte de frénéfie d'un monftre infenfé, tel que la nature n'en vomit pas deux en plufieurs fiecles. Rendons grace au monarque éclairé qui gouverne a préfent le royaume oü cet abus a été multiplié a Pexcès : il a vu que tout citoyen devoit être entendu, condamné, avant d'être puni; qu'aucune loi ne pouvoit öter ce droit au citoyen ; & s'il n'a pas encore éteint ce foudre terrible, au moins il ne tombe plus que fur ces êtres qui troublent le repos de la fociété, & portent le déshonneur dans le fein des families. En pénétrant dans ces autres prifons oü Pon confine le libertin dont la corruption fcandaleufe a effrayé la fociété en couvrant d'opprobres fa  r m) familie , ces êtres oififs qui ne trouvent leur fubfiftance qu'aux dépens d'autrui, ces individus trop fortement organifés, dont les pamons ne peuvent eclater fans nuire , qu'y trouverons-nous ? DeS abus, par-tout le Hberrinage puni par la folitude oifive, la folie par I'inhumanité, 1'efcroquerie par la mifere qui ne fert qu'a entretenir ce goÜt, par-tout des êtres a charge a la fociété , & confpirant contre cette humanité fouffrante a cöté de 1'opulence, & les plus fages inftitutions dégradees parle luxerongeur. Par quelle malheureufe fatahté arnve- t-ii donc que les meilleures inftitutions des hommes dépériffent, & deviennent fouvent pernicieufes a la fociété ? L'amour de la tranquilhté, de la fóreté, publique donna naiflance aux maifons de force. L'humanité devoit préfider a leuradminiftration , 1'ordre devoit en écarter les abus. Tout paroiflbit bien combiné; & cependant 1'expénence a prouvé , prouve tous les jours que la hberté, 1'exiftence des pauvres ont été comme a 1'ordinaire facrifiées ici a la füreté des riches II eft prouvé que ces établilTemens occalionnent a 1'état des dépenfes confidérables; il eft prouvé que les malheureux qu'on y renferme trouvent bientót dans ces fépulcres la mort aprés avoir éprouvé toutes les horreurs de la mifere & du défefpoir. L'état y perd des membres qui pour-  [ *75 3 roient être utiles; les membres, leur liberté , leur exiftence. Et cependant on conferve les maifons de force ! Pourquoi donc n'en pas changer Padminiftration ? Sans doute on doit de la reconnohTance au législateur qui le premier imagina de raffembler les malheureux profcrits par - tout fous le nom de mendians, de pourvoir a leur fubfiftance en les faifant travailler pour le bien de Pétat; d'y confiner pendant quelque tems ces citoyens pervers qui troubloient la tranquillité; de punir par le travail leurs débordemens. Ces vues étoient louables & patriotiques, on doit de folemnelles actions de grace au fouverain qui les adopta. Falloit - il donc que la cupidité, Pavarice, la férocité , mais cette férocité civilifée pire cent fois que celle des Cannibales, vinffent défigurer ce chefd'oeuvre du législateur ? La France retentit depuis long-tems de plaintes qui ne font que trop fondées contre les abus de Padminiftration des maifons de force. Ceux qui ont le bonheur d'en échapper, en tracent des tableaux affreux. En mettant a part Pexagération de la vengeance, combien d'horreurs ne refte-t-il pas encore a contempler! Cette adminiftration étant arbitraire, les chefs fe livrent Ou peuvent fe livrer au defpotifme le plus outré; ils appefantiffent impunément leur verge de fer fur les viclimes qu'on entaffe dans ces cloa-  [ '76- ] ques: mauvaife nourriture, air infefte, travaux exceffifs, traitemens cruels, rien n'eft épargné pour les plonger dans le défefpoir, les en abreuver goutte a goutte , les forcer d'mvoquer, de fe donner fouvent la mort qui ne vient toujours que trop lentement. Pour ceux qui réfiftent a ces tourmens prolongés, I'efclavage eft éternel; on leur ferme la bouche , on leur öte tous les moyens de jnftification , d'éclairciflement, de plaintes. Ofentils élever la voix ? elle ne perce jamais jufqu'aux magiftrats chargés de furveiller ces étabhflemens, & leurs bourreaux redoublent les chatimens pour étouffer leurs cris. Ce tableau n'eft point tracé par l'imagination, qnoiqu'on 1'entende dire par ceux qui font intérefles a le faire croire. Qu'on life tous les écrivains (83 ) politiques, qu'on prête 1'oreille a (8? ) Les maifons de force font malheureufement neceffaires dans un état tel que la France ; mais ce qui feroit très-néceffaire auili, ce feroit que ceux qui v font renfermés yfulfent traités avec humanité II n'eft que trop vrai cependant que ceux qui font prépol-s pour veiller aux prifonniers , n'ont bien fouvent aucune forte d'humanite. Formidables a ceux qu'ils op. priment, s'ils ne peuvent pas étouffer leurs plaintes ils les empêchent d'éclater. Si elles tranfpirent quelquel fois, quels ménagemens, quelles precautions ne font pas neceffaires pour faire fentirl'égarement de 1'injuftice, lors même qu'on accufe ceux qui en font les auteurs ! Si par malheur elles parviennenc jufqu'a eux, tous  t '77 1 tous cecx que le hafard ou 1'humanité des magiffiafs a fou'lraits a ces prifons , qu'on pénetre dans ces féjours d'horreur, ce qui n'eft pas facile, ck PoH fe convaincra que la liberté, 1'humanité y fontviolées avec impunité ( 84). quels chatimens ne font-ils pas fubir ! Quelle vengéance n'exercent-ils pas fur des perfonnes qu'une main lécourable n'eft pas a portee de fouftraire a leur courroux , & qu'ils puniffent d'autant plus févérement qu'ils le font plus impunémenr par leur attention a ce que rien ne tranfpire! Si les maifons de force font regardées comme des maifons de corredion , pourquoi privent-iis de tout fecours ceux qui ont le malheur d'y étre détenus ? &c. Des caufes dc la dépopulation, Paris, 1766. ( 84Parmi les abus fans nombre qui regnent dans les maifons de force , je ne citerai que cëlui-cj. 11 en eft une ou !'on exige encore d'un pauvre qu'on y a mala-propos renfermé, cent livres pour fon élargiffement, s'il 1'obtient. Peut-on poufler la tyrannie a un plus haut degre ? Forcer un homme qui n'a pas le lol, qui na pas de pain, a payer une fomme li confidérable' i-aute de paiement, le retenir dans cette infernale prifon ! Maïs de deux chofes 1'une, ou cet homme eft pauvre & mendiant, ou il ne 1'eft pas'. S'il eft pauvre, cornment voulez-vous qu'il vous paie ? N'eft-ce pas rendre 3l^n%hJfVe,t de la libetté '« fupérieurs lui rendent . S il n eft ni pauvre ni mendiant, il ne falloit donc pas 1'arrêter, le renfermer. Et Ioin qu'il doive payer cette'fomme h 1'hópital, ce feroit aux exécu teurs barbares qui 1'ont arrêté, emprifonné, martvriie deshonore dans lepubic, qui ont privé fa familie du fecours de fes bras, ce feroir a fes bourreaux a le dedommager, a lui faire une réparation. Les fupérieurs ignorent ces abus; on a foin de les leur cacher. Les crucls fubalternes qui commettent Tome ƒ,. j^l  f 178 ] On commence k léntir la néceffité de réformo* ces abus; un rniniftre que le fiecle met dès * prefent i cöté des Colbert & des Suffi (8<) ne détourne point fes regards de cet objet intereflant, même au milieu des embarras de la guerre U^gifirat éclairé ( 86 ) s'emprefle a feconder ne pas la rendre illufoire fzcrZ ™* ^ P°UI voililenrotifdeeette cpncuff^fe"en? 5g?' & perfonne charitable qui a été a n J^I T >• 1 d Une ce régime des maifons de trj. dsSm^ * (8? ) M. Necker vient d'érahlrV,,^ u„r • - , > riere de Seves prés de Paris 1 fWC 3 h bar" bien foignés & k nl te faU n ^ ****** grande ville va devoir a fes &Si °"f ^ qUe 'cette rfirfï m f! r , 01ns la reforme des prifons (. 8° J Ie lieutenantde noliVp fi» n • >• blier dans le mois de mai i ,,0 .? * **1 PU* prix fur les meilleurs ^"dVfcbft^^^^ des bras a la force moTricactnelU r" ^ I'eau du grand puits dBSreSontof 3r H" i , : Preambule de ce programme intéreiTant vaux. C'eft dam ces »„e MP «e""! de «- de police, fecondl VaH,5? ■ général .ion.a fo méaueka'eaLefe *''Cde '» L'article 39 du Code de Penfylvanie porte : " On fera batir des maifons de force pour punir par un^travail pénible ceux qui feront coupables de crimes qui ne vont pas jufqu'a mériter la mort: la les criminels feront employés pour 1'avantage public,ou pour réparer le tort fait a 1'humanité. „ II y a beaucoup de ces maifons de force dans la France, telles que Bicétre, S. Yon , le dépot de S. Denis , d'Orléans, &c. &c. Mais par-tout 1'adminiftration n'eft pas également bonne. La maifon de Bicétre eft compofée en général de jeunes gens forts & vigoureux, qui foupirent après le trayail qu'ils regardent non-feulement comme leur unique reffource eontre 1'ennui inféparable de 1'inaction , mais encore comme le feul moyen de fe procurer de légeres douceurs par le pécule qu'on leur abandonne. On a vu que M. le lieutenant de police, pour les occuper, y a établi une manufaéture pour polir les gitces ; & 1'on efpere que d'autres établiffemens vont fucceder infenfiblement pour occuper ces malheureux. Les fruits qu'on en recueillera, pourront produire la balance qu'on chcrche depuis long-tems entrelacon, M iij  [ i8z ] maifons de travail, qu'on ne lailTat pas Innguir tant de bras vigoureux qu'on peut employer a ap? planir des routes, a creufer des canaux pour étendre le commerce : je voudrois.. . Que je plaifts les contrées oü un philofophe eft obligé de faire tant de vceux, & oü il y a beaueoup a parier qu'ils ne feront pas exaucés! Cependant je hafarde ici le plan d'une prifon générale. ( 88 ) iommation qui s'y fait, & le produit de ces inftitutions. On nefauroit que gémir fur les abus révoltans qui le trouvent clans 1'adminiftration des autres maifons. Les malheureux qui y font repfermcs , font mal nourris j nialyêtus & meurent bientöt dans la rage & dans la crapule , tandis que les adminiftrateurs prodiguent 1'argent pour leurs plaifirs. (88) II paroit qu'on s'occupe très-férieufement en Anglcterre du fpirj d'adoucir le fort des criminels ;on a pafte un bill qui a pour but de punir par 1'emprifonnement & le travail certains coupables , & d etablir des places propres pour les recevpjr. JérémieBentham, Anglois,a public en 1779 desobferyadons fur ce bill. Hyena d'excellentes, il y en a de ridicules. L'emploi de la muftque qu'il confeille les jours dedimanche, me paroit une voie non pas tout-a-fait capable d'épurer une ame gangrénée, mais au moins d'adoucir peu a peu la férocité d'un fcélérat. L'in. fluence de la mufique, telle que 1'ont décrite les anpiens, n'eft qu'une fable ; mais 1'influence de la mufique fur nos fens, & celle de nos fens fur notre ame font également inconteftables: le législateur peut donc J'omployer, II eft affez a propos d'accorder dans la femaine un jour aux prifonniers pour travailler pour leur propre coinptc. Ce travail leur procurcra un pecule & quelques  t l83 ] Esquisse d'un plan de prison générale. N. B. Ce plan peut être exécuté dans toutes les grandes villes, doit l'être dans les moyennes & dans les petites. Mais dans les grandes, ou le nombre desprifonniers eft confidérable, on pourra bdtir deux ou trois prifons tant pour la garde que pour la. peine. On choifira dans chaque ville un emplacement eonvenable ck proportionné au nombre de prifonniers qu'on peut y renfermer, en obfervant qu'il foit toujours plus que moins vafte. On le choifira dans un endroit bien aéré. Le batiment fera a quatre étages, divifé en quatre parties. Chaque partie aura fa cour féparée. Première partie. La mieux expofée fera pour les femmes, enfans, ckc. LLits & nourri- La feconde, pour les débiteurs, I ture paffabless'il en faut une pour eux. COinmodités. II faut certainement marquer les prifonniers , afin que s'ih. s'échappent, ils retombent infailliblement dans les mains de la juftice: mais comment leur impofer une marqué ÏBeffaqable ? M. Beccaria propofe de leur rafer Iamoirié du vifage, ou une partie de leurs four* 6ÜS. M iy  [ iS4 ] La rroifieme pour les libertins ,^ : perturbateurs du repos public. La quatrieme, pour les gens ac- cufés de crime capital, pour ceux Paille, pain & qui devront être privës de leur li- r eau , chaines. berté ou qui attendent le moment d'allerades travaux publics, aux galeres, aux mines, ckc. Dans chaque partie on multiphera les cellules, dont le plancher fera bien élevé , dont les fenêtres feront garnies de barreaux, dont les portes feront erméespar les geoliers: dans chaque partie il y aura une infirmerie oü les malades feront mdiftin&ement foignés par des fceurs de I'hópital. II y aura dans chaque partie, des chambres, des atteliers communs , oü 1'on établira des métiers, oü tous les prifonniers de chaque partie travailleront; ces atteliers feront échauffés dans 1'lnver par des poëles éconoiniques, diftribués de facon que le fourneau foit hors de la portée des prifonniers, L'ordre y fera entretenu par différentes fen» tinelles armées. Les ouvrages feront proportionnés a la force ou a la délicateffe, a la nature des crimes, &c. Ainfi les vagabons, les libertins, les fcélérats feront occupés 3. fcier des pierres, pohr le marbre, broyer des coulem-s , & aux manipulat.on, chy-  [ '85 ] miques, oü la vie des honnétes citoyens eft ordinairement en danger. La tache de chaque priionnier fera fixée, le prix de ce qu'il fera au-dela fera pour lui. Les heures du lever & du coucher, des repas, du travail, du repos, feront fixées. Pendant fheure du repos, les prifonniers pourront fe promener dans les cours. Au milieu de toutes les cours fera élevée une chapelle en forme de pavillon, oü 1'on dira tous les jours la mefie ; & tous les prifonniers feront tenus de 1'entendre de leurs fenêtres. Le dimanche il y aura mufique. Pour encourager d'un cóté les manufa&uriers des villes qui fourniront de 1'ouvrage aux prifonniers , la main-d'ceuvre ne fera comptée qu'a la «ïoitié du prix ordinaire; ck de l'autre cóté, pour encourager le travail, on accordera aux meilleurs une certaine récompenfe ou une allégeance de peine. Ainfi, comme la fainéantife, 1'ignorance ck le mépris de la religion font les deux caufes principales des crimes, on les préviendra, on retit era du crime les prifonniers en leur donnant le goüt du travail, en les inftruifant dans la religion. Les prêtres feront en conféquence obligés d'aller plufieurs fois par mois vhiter, exhorter, prêcher, confeffer les prifonniers, faire enfuite  C 1S6 } leur rapport au magiftrat. Amende contre le geolier qui n'avertira pas de la maladie d'un prifonnie*. Sur la porte de la prifon, épigraphe terrible, cbaïnes appofées, murailles peintes en noir, fentinelles , furveillans. Deux fois par an ouvrir au public les portes des prifons, & donner aux citoyens le fpe&acle des expiations du crime. Bannijfement. Je n'ai jamais bien concu 1'efprit de cette peine. Lorfqu'un chien enragé menace de communiquer a tous les autres animaux le poifon dont il eft attaqué, fuffit-i] donc de 1'éloigner, dele bannir d'un cantón, lorfqu'on peut préferver les endroits voifins de Ia contagion qu'il peut répandre ? Ou le criminel que 1'on bannit peut devenir utile a fa patrie, & dans ce cas il eft abfurde de le bannir; ou c'eft un fcélérat dont le caraéfers incurable médite dé nouvelles horreurs, & alors pourquoi ne pas étouffer ce monftre ou 1'enchaïner ? En France on ne bannit point les femmes, ne liberos pariant in terra aliena, difent les jurifconfuïtes. N'eft-il pas plus abfurde de priver 1'état de citoyens formés, que d'enfans a naïtre ? Ces profcrits ne peuvent-ils pas porter ailleurs leur induftrie ? Les mines fetiles du Puilov/avea  [ i87 ] ck d'Huelgeat dans la bafie - Bretagne occupent plus de quinze cents hommes libres: pourquoi ne pas y employer les bannis ck tant d'autres criminels;? D'ailleurs bannir un homme qui s'eft défhonoré par fes crimes, ce n'eft pas le punir , c'eft lui confeiller une fuite qui devient néceflaire pour lui. Quelle exiftence auroit-il dans un pays oü il eft marqué du fceau de 1'ignominie, oü fes femblables ne le montrent plus qu'avec mépris ? La véritable peine pour lui feroit de refter dans cette contrée : c'eft le délivrer de ce fardeau que de 1'en bannir. Je ne parle point ici de 1'exil, peine bien différente du banniflement; c'eft la fuite d'une difgrace du prince, fouvent utile a 1'état, ck toujours utile aux favoris qui favent jouir des faveurs de la fortung ck les dédaigner. Peines infamantes. Le triomphe d'une bonne législation, eft lorfque l'opinion publique eft alTez forte pour punir feule les délits qui bleffent ou les mceurs publiques, ou 1'efprit national, ou même ceux qui portent atteinte a la füreté publique. II y avoit chez les Francs une peine bien infamante, on 1'appel-f loit hachee: on faifoit porter au coupable fur fes épaules une felle de cheval ou un chien pendant  C 188 ] un certain nombre de pas. La hachée n'étoit-elle pas mille fois plus utile, plus propre a corriger, que cette peine de morr qu'on prodiguoit fi Ugerement dans le dernier fiecle aux foldats qui avoient commis les moindres fautes ? Heureux le peuple oü le fentiment d'honneur peut étre IV n.que loi! II n'a prefque pas befoin de législation : linfanue, voila fon code pénal ; & ce reflbrtb.en plus energique qu'ailleurs 1'appareil des fupplices les plus cruels, arréterale citoyen prêt a quitterlesdrapeaux de fon roi, ou a portér" la mort dans le fem de fon ami en lui raviffant fon honneur. C'eft plus dans le pouvoir des mceurs que dansja main des législateurs que rélide cette arme terrible de 1'mfamie, cette efpece d'excommunicatmn cmie quiprive Iavi6timede touteconfid,_ ration, qU1 rompt tous les liens qui lui atta&oient les conctoyens, qui Fifole au milieu de la fociété Plus fes mceurs font pures & intaétes, plus la force de 1'mfamie eft grande: elle diminue en raifon du relachement des mceurs, & ces mceurs fe relachent en raifon du gouvernement & du luxe. Les effets de cette peine doivent donc être lerens dans une petite république, que dans une vafte monarchie. Ce frein capable de retenir les hommes a Geneve ou a Sparte, eft prefqu'impitiuant dans de valles monarchies, oü Ie crimi-  [ 189 ] nel peut fe dérober a fon déshonneur , ea fe dérobant aux lieux qui pourroient 1'attefter. En la prodiguant ainfi, cette arme feroit vaine; elle produiroit peut-être une trop forte explofion, fi on 1'employoit ou imprudemment ou trop fouvent ailleurs. Cependant, quelqu'inimenfe que foit un gouvernement, 1'honneur, quoique divifé a Pinfini^ n'exifte pas moins, & n'en a pas fouvent moins de force. La réputation de la plupart des hommes, ainfi que leur exiftence civile, eft circonferite dans une petite fphere; 1'improbation de ce petit eerde d'hommes fuffit quelquefois pour prévenir le crime, il fuffit que les mceurs générales foient bonnes, elles le feront encore dans les foudivifions de cette échelle immenfe. Mais alors il faut reftreindre 1'infamie aux feuls délits moraux, première regie générale : deuxieme regie, il ne faut pas la prodiguer; fouvent fon effet s'affoibliroit trop: fur-tout il faut bien fe garder de tranfporter les hornes de 1'honneur , en infligeant ces peines, d'avilir une clafie de citoyens pour en punir une autre. Par exemple, il eft de certains états cü, pour punir un ncble fuicide, on le déclare roturier; c'eft-a-dire qu'on avilit la clafie la plus refpeciable, la plus utile de la fociété , qu'on la regarde coiiime le réceptacle des mauvais fu-  f 190 j Jets. Paimerois autant qu'on condamhatun roruWer H être noble, c'eft-a-dire a ne plus fervir 1'état. On coupe les bois du noble, on abatfa maifon. La juftice ne reffemble-t-elle pas a Penfanf qui, bleffé par un meuble, le cafle & décharge fur lui fa colere impuiflante ? La peine infamante, pour être jufte , doit étre bornée au coupable feul. En Angleterre , les condamnations n'ont rien d'infamant pour la familie des condamnés. Huit jours après I'exécution du lord Ferrers, fon frere puiné fuccédant a fes titres, prit féance dans la chambre des pairs. (88 ) C'étoit 1'ufage des anciennes démocraties, oü dans une exafte égalité tout citoyen étoit fils de fes propres ceuvres, oü Pon n'avoit pas la moindre idéé du point d'honneur. Loin de punir les enfans du coupable, il faut ,Fdifoit Platon , les louer de ne pas refiembler a leurs peres. A la Chine, au contraire, la familie eft enveloppée dans la punition de fon chef. En France ce préjugé étend a la familie du coupable 1'infamie de la condamnation qu'il a méritée. Ce préjugé, a dit un auteur, tient a cet honneur qui, fuivant M. de Montefquieu, eft le principe Sc ( 88) Le frere du dodeurDodd pendu en 1778,3 ©btenu fes bénéfices fur la repréfentation du lord CheC terfield méme.  [ *9i 3 1'ame du gouvernement monarchique , qui, quoique faux philofophiquement parlant, eft aufli utile au public que le vrai le feroit aux particuliers qui pourroient 1'avoir, qui eft inconnu dans les états démocratiques & defpotiques. Je ne vois point 1'utilité publique de ce préjugé. Je vois au contraire beaucoup de maux qui en découlent: mais quand elle exifteroit, une raifon politique ne doit point faire violer les loix de la nature ; ni des conventions du pafte focial, celles du bon fens. Peines pécuniaires & fifcales. Les peines pécuniaires font prononcées, ou au, profit du citoyen a qui 1'on a fait quelque tort, ou au profit de 1'état ou du fifc. La. premiers peine paroit fondée dans la nature & fur la raifon ; mais en eft-il de même des peines pécuniaires fifcales ? Si vous intéreffez les chefs-de 1'état a la condamnation d'un coupable, il y aura.rarement des innocens, les jugemens- ne feront plus alors rendus pour la vindiéle publique; ce fera une forte de procés entre le fifc qui percevra le prix du crime, & le coupable qui fera obligé de le payer. C'eft faire alors, comme le dit l'auteur du Traité des délits, un procés offenfif d'un procés criminel. Telle eft fans doute la raifon qui, dans tous. les-  [ 192 j Paysliferes, a modéré les peines nfcales,qui i engagéqUelques états modernes a les lupprimer. ( °5> ) C eft une maxime recue dans une certaine contree , que^f confifqutU corps confifauc f9o) fa W Maxime atroce qui fait mourir de fin Provfoi Uniei°LPf Iié6-Par ^ "atS xks ^t^^ai^» « -fifc, tendr, a Ia faifiedes habitattoTs, hatd s Jto neccflaires a la profeffion des particulier p! fe ™?me^fi,rit d'hl,manké & de faine politic,,., prefidaalarédaction de la grande charte d ?a Grande We, quoique faite dans un tems de troubï & cugnorance. uuic K L'article 29 de la grande charte d'Angleterre nortP que tout cttoyen ne pourra être mis a lL e lde noÏ de petites fautes, mais feulement pour le graVdes que 1 amende fera proportionnée au crime , faufla Tb frftance, dont .1 ne pourra être privé II en CeZ r 7 même aPégard des marchands aaxquS tfe^ffl sjsbetieur rera nécefraire po- — s Par Partiele 26 , on ne doit point toucher aux irf trumens de abourage d'un payfan mis a 1'amende Par lart,cle28, aucun eccléfiaftique ne fera mis a une amende proportionnée au revenu de fon benefice irfe.s feulement aux biens laïques qu'il poflede, & felon la jualite de fa faute. C9o) Ce qu'il ya de plus fingulier, c'eft que pour les crimes delefe-majefté , le roi a la faculté de prendre tous les biens du condamné fans payer fes dettes Lalegitirmte de la creance s'évanouit-elle, paree que' le debiteur eft un fcélérat ? u que Jes  [ *93 3 les enfans coupables , qui rend une familie refponfable des fautes d'un feul citoyen, qui dérobe aux créanciers du coupable leur gage légal; maxime enfantée dans les tems malheureux de profcription a Rome , renouvellée dans ces fiecles d'anarchie féodale , oü mille petits feigneurs vivoient du revenu qu'ils tiroient des crimes; maxime enfin qu'on doit profcrire par-tout aujourd'hui. Les frais des procés criminels font a la vérité a la charge du domaine royal; mais 1'état ne fournit-il pas des revenus a fes chefs pour affurer la tranquillité publique , & n'eft-ce pas faire un doublé emploi que de confifquer les biens du coupable pour remplir ces frais qui font déja remplis ? Malheur aux nations oü, malgré ces raifons, les peines fifcales font fouvent ordonnées ! Cette maxime prouve, ou 1'ignorance des vrais principes du code pénal, ou 1'efprit diffipateur de celui qui gouverne. (91) (91 ) Quand on voit du tems du bas Empire les amendes pécuniaires infligées dans tant de cas qu'on ne fauroit les compter , alors on fe perfuade fans peine que cela défigne unmauvais gouvernement. Montefq. Efprit des loix. Un bon juge doit s'abftenir d'infliger des peines pécuniaires. Elles font pour 1'ordinaire la caufe du relachement dans les mceurs, elles n'égalent jamais le délit & nuifent par-la a la fociété. Le riche s'appercoit peu de la peine, elle accable le pauvre, & la bourfe Tornt I. N  [ »94 ] II eft cependant quelques cas, par exemple* lorfque les fautes font légeres , lorfque la fociété a recu quelque doinmage, oü 1'on peut condamner le coupable a quelques amendes. Je ne prétends pas profcrire entiérement les peines pécuniaires , mais en reftreindre les bornes & la dureté de la perception, mais bannir fur-tout de la législation 1'efprit féodal, paree qu'il en rouille infailliblement les relïbrts, mais faire appliquer ces amendes plus au bien public qu'au fifc qui n'eft que le bien illégitime de quelques fang-fues particulieres. Peines religieufes. Si les peines religieufes étoient circonferites dans leurs vraies limites, je n'en parlerois pas. Si elles n'influoient pas fur 1'état de citoyen, je ne propoferois pas de les réformer & de les mitiger : s'il rfen étoit pas fouvent réfulté les plus funeftes conféquences, je ne confeillerois pas de ne compenfe jamais le mal caufé par le crime. II y avoit a Rome une peine qui fut portée par les décemvirs, par laquelle un particulier qui en infultoit un autre étoit obligé de payer vingt-cinq deniers. Un homme fort riche & d'un caractere féroce avoit toujours derrière lui un efclave qui portoit une groffe bourfe : il s'amufoit a donner des foufflets au premier venu, payoit fur-le-champ vingt-cinq deniers, & fe moquoit ainfi de la loi. Murena, Doveri dei giudici.  C '95 3 les abolir. Toutes les peines de cette clafie qui ne fortent point de la fphere que les canoniftes appellent for intérieur, appliquées a des délits de cette efpece commis par des prêtres , ne doivent être prononcées que par les chefs de 1'ordre hiérarchique. Mais il en eft autrement des peines publiques, comme de rexcommunication, (92) de la ( 92 ) Qu'un prêtre qui donne dans 1'héréfie foit dégradé par fon évêque, cela eft naturel; la peine fort du crime. On lui óte fes ordres, les bénéfices dont il jouiffoit; on le livre enfuite a la juftice féculiere. Telle étoit la marche de nos peres, dans un tems oü les clercs dominoient. Aujourd'hui il fuffit qu'un prêtre foit criminel pour qu'il foit puni. Le juge feculier n'a pas befoin de Ie faire dégrader. Une chofe finguliere a obferver, c'eft que , fuivant les canons, il n'y avoit que trois caufes de dégradation : 1'héréfie, le crime de faux commis fur les lettres du papé, lacalomnie envers 1'évêque. Les prêtres ne voyoient jadis des crimes que la oü ils étoient offenfés. C'étoit un crime de lefe - majefté divine de plaifanter fon évêque; affaffiner un homme n'étoit qu'un pêché véniel. 11 eft d'autres peines que la dégradation prononcée contre les eccléfiaftiques coupables. Par exemple , c'eft un ufage aflez commun en Italië, que les juges d'églife condamnent les clercs aux galeres. En France les clercs font condamnés aux galeres comme aux autres peines affliétives que méritent leurs crimes. Mais le juge laïque peut feul prononcer cette peine. Diftion. de droit can. par D. D. M. article Gaiere. Le fouet^ étoit autrefois une peine fort en ufage pour les délits canoniques. Nous tenons cette peine bizarre & ridicule des Hébreux qui 1'employoient pour teute forte de crimes. Cependant les prêtres en étoient N ij  [ i96 ] dégradation, de Fintefdit: alors on ne doit point laiffer les prêtres entiérement maitres de frapper les citoyens de leur glaive religieux; tout fidele nait citoyen avant de naitre a Péglife; la fociété a donc toujours droit de réclamer fon autorité fur lui, de le protéger par-tout. S'il perd publiquement fon titre de fidele, il perd au moins la moitié de la confidération dont il jouiffoit comme citoyen. La fociété a donc droit de voir fi la condamnation eft juftement prononcée : ou plutöt, pour obvier a tout inconvénient, comme deux pouvoirs, deux glaives fe croifent néceffairement, c'eft aux juges feuls féculiers a prononcer ces peines fur la dénonciation cléricale. Tel eft le vceu de la faine politique. Je n'en dis pas davantage; les yeux font déja aflez éclairés : je ne puis'cependant me refufer a faire une légere mention d'un abus autrefois univerfel, & qui regne encore dans exempts. Non eft dignuni ut prasbiteri honorabilia Jua membra verberibus fubjiciant. C. B. dift.^. On tire deux conféquences de ce canon. i°. C'eft que 1'évêque exercoit quelquefois cette décente fonction de fouetter;2°. que Ie derrière d'un prêtre étoit honorable, tandis que celui d'un fimple clerc ne 1'étoitpas. Lefouet civil, auquel on joint prefque toujours la flétriflure & lebanniffement a tems, ne fe prononce que contre des gens de balfe condition, des filoux , des coupeurs de bourfe. C'étoit autrefois chez les Romains la peine des efclaves, des ferfs chez les francs. La loi 'fulique fpécifie même la groffeur de la vcrge.  [ 197] quelques contrées oü la lumiere de la raifon n'a pas diffipé entiérement les ténebres. Je parle des afyles , exemptions & immunités des églifes. Afyles , exemptions , immunités. Je range fous le même titre les afyles & les exemptions, paree que leur but commun eft de fouftraire un coupable au glaive de la loi. ( 93 ) II ne doit pas plus y avoir d'hommes que de lieux hors la dépendance des loix; leur autorité doit s'étendre par-tout, frapper indiftinflement toutes les têtes, tout citoyen qui les a enfreintes doit être puni. S'il étoit un afyle qui püt le mettre a 1'abri ( 93 ) L'afyle eft ,ou 1'aveu formel de 1'injuftice des loix, ou une monftrueule inconféquence. Cette abfurdité politique exifte encore chez nous. Le Temple, le palais de nos princes, &c. offrent une retraite au débiteur malheureux. Ne feroit-il pas de la juftice d'un cóté d'abolir ces afyles, en diminuant de l'autre la févérité de 1'emprifonnement ? Traité des délits, &c. II me femble aufli que l'intérêt de toutes les nations eft de fe rendre réciproquement les coupables fugitifs , paree que, comme 1'obferve M. Beccaria , la perfuafion de ne pouvoir trouver un lieu fur la terre 011 les crimes puiifent demeurer impunis, feroit un moyen efficace de les prévenir. Tous les autres intéréts doivent être facrifiés a ce point d'utilité. Un ennemi de 1'ordre eft une acquifition plus dangereufe qu'utile a la nation chez laquelle il fe refugié, & fon chatiment eft nécetfaire a la nation qu'il a offenfée. N iij  [ i98 ] de Ia peine, ce feroit par une impunité fcandaleufe encourager Ie crime adroit. S'il étoit un citoyen privilégié, ce privilege ne feroit qu'une ufurpation contraire aü contrat focial. Tout gouvernement bien ordonné profcrira les afyles & les privileges qui font doublement abfurdes dans leur origine, ck fimeftes (94) dans leurs conféquences. (r9f') mcs 'iTmu°ités des églifes étoient autrefois confiderables. Que de criminels ce droit d'afyle a dérobes a la mort! 3 Le fameux canon Tabernacuïum, tant cité, porte ces paroles memorables : Si liber quantumcumque gravia maleficia perpetraret, non eft violenter ab ecciefa ex. tra/iendus,nec inde damnaridebet ad mortem vel ad poenam. N'etoit-ce pas fe jouer de ce que la religion a de plus refpectable, que d'accorder de pareils privileges a des fcelerats ? _ Les immunités des églifes ont une origine très-anctenne.Moyfe avoit afligné fix villes qui devoient fervir de refuge aux coupables involontaires. Les afyles des eghles chretiennes ne devoient fervir que dansce cas; mais hentót 1'abus les étendit. L'empereur Léon en 466 defendit de tirer perfonne des églifes. Un capitula.re de 788 porte que ceux qui s'/refugient, ne doivent point etre condamnés a mort ni a mutilation de membres. Iranqois premier, par fon édit de icjo. detru.fit les afyles. Les païens en avoient auffi ; le nouyeau code de Penfylvanie détruit ce droit d'afyle, ce benefice du clergé. Setfion 40. Aucun particulier ni aucune communaute^de quelque domination ou profeffion que ce pu.lle etre, n'a droit a raifond'aucun privilege de prétendre a une exemption de peines légales. Amfi Iss  [ '99 3 En parcourant en effet l'hiftoire de tous les peuples, de toutes les religions, on verra deux clalTes de citoyens, les nobles Sc les prêcres furtout, ardens a ufurper des privileges contre la löi, faire tomber le fardeau des peines fur le peuple feul, Sc s'en faire exempter : on verra que ces fatales diftinétions ont enfanté une infinité de crimes, Sc 1'on fe convaincra qu'ils fe multiplient en raifon du nombre Sc des exemptions. Cétoit cependant une abfurdité bien impie que de métamorphofer le temple de 1'Etre firprême en un repaire de fcélérats, Sc d'imaginer que fon bras puiffant devoit dérober a la vengeance publique les aflaffins qui fe difoient fes miniftres, pour avoir eu quelques cheveux coupés circulairement fur la tête. Les fouverains Sc les nations, doivent être toujours en garde contre cette derniere elaffe. II elt beaucoup de contrées éclatrées, oü Ton a fu fecouer leur joug théocratique; mais dans ces pays même les prêtres ont encore eu Fadrefle de retenir une partie du pouvoir, ou au moins de fe fouftraire au pouvoir féculier Sc de s'arroger mots, fans benefice de clergie, ufités quand la peine eft capitale, feront fupprimés dorénavant, & les criminels fubiront indiftinctement les peines auxquelles la loi les condamnc. N iv  [ 2,00 ] des privileges exclufifs. Cet efprit de corps s'étend d'unpole k l'autre : les Brames dans les Indes , intimement perfuadés qu'ils ont été produits par la bouche ou le membre fuprême du Créateur, & par conféquent que la fupériorité de leur titre eft hée a 1'efience de leur nature, eftiment qu'a ce titre ils.ne peuvent être fujets k aucune peine capitale. Ils peuvent bien être dégradés empnfonnés pour la vie, condamnés k un exil perpétuel. Mais il eft par-tout expreffément défendu de les mettre k mort pour quelque caufe que ce foit. Ainfi ils ont ufurpé ün privilege injufte,en avancant un menfonge abfurde. (95) Graces. Toute grace accordée k un coupable eft une dérogation k la loi. Si la grace eft équitable, la loi eftmauvaife: laoü la législation eftbonne, Jesgracesnefont que des crimes contre Ia loi. A mefure que les peines feront plus douces, dit M. Beccaria, la clémence & le pardon deviennent moins néceffaires. Heureufe la nation oü ces vertus feroient funeftes! La clémence, cette quahté qu'on a vu dans quelques fouverains fuppléer V V°>'ez le code des loix des Gentoux ou re'gletaites de longinal ecnt en langue famskrete.  [ 201 } a toutes les autres, devroit donc être bannie d'une législation parfaite, oü les peines feroient modérées, oü les jugemens fe rendroient felon les regies. Tels font les fondemens fur lefquels nous avons vouiu établir ce code pénal univerfel. Si nous avons réufti a le dégager des imperfecfions qui fouillent les codes criminels de toutes les nations, avons-nous donc befoin de recourir a des exceptions particulieres, dont l'objet feroit de favorifer un membre au préjudice de 1'ordre général ? Avons-nous befoin de tempérer par l'expeétative des graces la rigueur des fupplices ? Non, fans doute: les peines font douces, mais elles font irrémiflibles: li vous ótez ce frein de 1'irrémiflibilité, nous retombons dans ce défordre d'oü nous voulons fortir. Non pas cependant que je veuille profcrire entiérementles graces;c'eft contre l'abus(Q6) des graces que je m'éleve, contre le funefte trafic qui s'en fait dans certains états, contre la faclitéi dangereufe avec laquelle les criminels puiflans les obtiennent. II eft fans doute des citoyens plus (96) Lesévêques d'Orléans ont en France un fingulier privilege, c'eft de délivrer les prifonniers. En 1717 , neuf cents fortirent des prifons par ce moven ; mais en 1753 , on fentit 1'abus de ce privilege, on le reftreignit, on fpécifia les cas.  [ löl ] malheureux que coupables; la lol les condamnera. Mais quand le cri de la nation s'élevera en leur faveur, quand les juges, defcendant de leur ftege, Sc quittant leur glaive reipeclable, viendront eux-mêmes fupplier les fouverains d'être indulgens envers le citoyen qu'ils ont été forcés de condamner, alors la clémence eft une vertu & un devoir même. On fent que ces cas doivent être bien rares, que les fouverains feuls ont le droit d'accorder ou de refufer ces graces (97 ). II eft une voie bien plus équitable que celle des graces, pour réparer un crime fans Pexpier publiquement. Voie ouverte par 1'humanité aux accufés repentans qui fe dérobent au fupplice qui les pourfuit: c'eft la prefcription. Un malheureux qui fouvent a été forcé de commettre un crime qui n'a point été découvert, peut fe repentir, Sc réparer fon délit par une conduite conforme aux loix de la fociété. Si fon crime vient après quelques années a être découvert, doit-on (97) A 1'égard du droit de faire grace ou d'exempter le coupable de la peine portée par la loi & prononcée par le juge ,il n'appartient qu'a celui qui eft audeflus du juge & de la loi, c'eft-a-dire au fouverain ; encore fon droit en ceci n'eft-il pas bien net, & les cas d'en ufer font rares. Dans un état bien gouverné ,il y a peu de punitions: non paree qu'on fait beaucoup de graces, mais paree qu'il y a peu de criminels. Voyez 1? Contratfotial,  [ io3 1 le punir ? Non , fans doute; la prefcription dfe vingt ans ufitée en France eft trop rigoureufe. Ce n'eft point le nombre des années qui doit engager le législateur a faire grace au coupable qui s'eft dérobé au fupplice. Un fcélérat peut toujours être le même au bout de vingt ans. La grace ne feroit donc qu'un encouragement au crime. C'eft la conduite qu'a tenue le coupable depuis fon crime, qui doit déterminer le juge. A-t il été bon citoyen, bon pere ? il a réparé fon crime. Cependant fi fon délit a été préjudiciable a quelque particulier, il doit, malgré le laps de tems , réparer ce dommage privé. La bonne conduite d un coupable ne doit prefcrire que contre la réparation exemplaire exigée pour le bien général. Après avoir analyfé les principes qui doivent guider les législateurs Sc les juges dans le choix & la difpenfation des peines, il eft tems de tracer le tableau des crimes qui troublent la fociété , Sc de defcendre dans leurs détails. Les crimes publics devant d'abord fixer nos regards, nous devons nous arrêter aux crimes moraux qui occupent parmi eux la première place dans notre cadre criminel  [ 104 ] Section III. Tableau des crimes publics & des peines qu'ils m eritent. Il y en a trois clafTes : 1. Crimes moraux. 2. Crimes civils & politiques. 3. Crimes religieux. Crimes moraux. Gouvernement. Climats. Concubinage public. Monarchie. Républi- Chaud, froid. que. Mercenaire. Toléré, profcrit. Toléré,prof- en t. DéfintéretTé. .Maifon de proftitu- Idem. tion a établir. Séduction, ftupre. Toléré, puni par l'o- Tcléré. pinion. Incefte. Toléré oü il eft ad- Prévenir oü il mis. ne 1'eft pas. Incefte fpirituel. Crime chimérique. Adulcere. Toléré, prévenir. Toléré , pré. venir. Polygamie, bigamie Ordonné, to¬ léré. Sodomie. Peine infamante. Idem. Beftialité, mélange Point de recherches, d'efpeces. Maquerelage. Toléré, infame. Toléré. Proftitution d'enfans Infame degradé, óter le droit qu'il a par les peres. fur fes enfans, le renfermer.  [ ] Crimes moraux. Gouvernement. Proftitution de femme Idem. par fon mari. Proftitution d'une mai. Point de peines publiques. treffe a fes domeftiques. Célibat. pimpofer de fortes char- Laïques. J ges aux célibataires J laïques. Mendians. i Ayez des manufactures I & puniflez par le traL vailles mendians. Ouvrages contre les Déclarez l'auteur infamceurs. me, mais ne le pu¬ niflez pas par le feu. Hermaphrodifme vé- Nullement puni. ritable. Hermaphrod. a fexe Doit porter les habits du fexe parparfait, & l'autre fait, ou puni par 1'infamie. imparfait. Loix morales, crimes moraux. On a dit que la morale pouvoit être regardée comme Part de guérir les paffions défordonnées des êtres intelligens. Nous ne parierons de cet art, de ces paffions , que dans leur rapport politique avec la fociété. L'homme nait avec des organes, des befoins, des paffions ; & c'eft Part de diriger ces befoins, ces paffions vers le bien général , qu'on appelle morale politique. Les mceurs  [ 206 ] d'un état font bonnes, lorfqu'elles concourent a y maintenir 1'ordre; elles font dépravées ou corrompues, quand l'intérêt général eft facrifié a des goüts particuliers. II réfulte de la qu'il doit y avoir deux morales, la morale naturelle ou 1'art de diriger fes paffions dans 1'état naturel pour le bien d'un individu, tk la morale fociale qui n'a d'autre but que le bien général. Ce n'eft pas ici le lieu de faire un long traité de morale, de dé.tailler les différences de la nature k 1'état civil. Allons de principes en principes, Sc faifons toucher au doigt tk k 1'ceil 1'influence de la morale fur l'intérêt focial. Nos fens nous inftruife.nt de nos befoins, nos befoins de ce qui nous eft utile; la regie de 1'utile eft la regie du jufte, & la morale eft la connoiffance du jufte & de 1'injufte. Voifa Péchelle des principes de la morale naturelle ( 98 ). La morale politique en reconnoit d'autres. Le bien-être d'un individu étant fouvent oppofé au _ ( 98 ) Un Jacobin a publié en 1779 Un traité fur la junlprudence, ayant pour titre: EJfai fur la jurifprudence univerfelle. C'eft un ouvrage purement polémique ,oulondit beaucoup de fottifes aux philofophes modernes , & ou 1'on n'établit point du toutl'exiftence d'une loi eternelle, d'oü dérivent, dit-on, toutes les autres loix. L'origine des loix morales, telle que ie 1'ai tracée ici, me paroit bien plus vraifemblable.  I *°7 1 bien-être général, la regie de 1'utile indiviouel ne peut donc pas être la regie du jufte foatal. C'eft 1'avantage de la fociété qui donne aux paffions, aux acüons, la qualité de jufte ou d'injufte. La morale politique eft donc 1'art de combiner les paffions des particuliers pour le bien général. On doit fentir & préfent la différence effentielle qui fépare ces deux branches de morale. 11 réfulte de la que toutes les paffions qui peuvent concourir a 1'avantage d'un état font juftes , que conféquemment le jufte ou 1'injufte moral doit varier en raifon des gouvernemens, des climats , des religions, des tempéramens. Ainfi la haine du defpotifme étoit une vertu a Rome, Sc feroit un crime a Conftantinople, fi elle produifoit quelqu'explofion. Ainfi la fomptuofité des repas, des habits, qui étoit criminelle a Sparte, eft indifférente dans les ariftocraties, néceffaire dans les monarchies. Ainfi 1'adoration de Vénus Phalliqui, les fêtes des Lupercales, les myfteres d'Eleufine Sc cent autres fêtes des anciens, d'oü ce que nous appellons pudeur Sc mceurs étoit banni, feroient lcandaleufes, dangereufes chez nous, Sc ne Fétoient point chez les Grecs. En un mot, voulezvous favoir fi une paffion eft jufte ou défordonnée ? demandez fi elle nuit au bien général. Cettè «egle eft infaillible.  [ io8 ] La morale de Ja nature eft une dans fon principe, elle crie a tous les êtres, chériftez votre exiftence & foyez heureux. ■ La fociété nous crie : réglez vos paffions fur l'intérêt focial. Mais le principe de la nature eft invariable, paree que les hommes ont la même organifation , tendent au même but, ont les mêmes moyens: la morale politique varie au contraire, paree que l'intérêt de toutes les nations n'eft pas le même, paree que la conftitution n'eft pas la même. Faute d'avoir diftingué ces deux efpeces de morale, bien de philofophes font tombés dans l'erreur. L'homme dans la nature n'a qu'une paffion, c'eft celle de 1'amour. La fociété lui en donne cent autres faétices, 1'ambition, la foif des honneurs, des richelTes, la fureur de dominer, de briller, 1'amour du fafte, des repas fomptueux, ckc. C'eft en veillant a 1'éducation nationale, c'eft en honorant les arts utiles, en promulguant des loix fomptuaires, que certaines républiques ont trouvé l'art d'écarter ces paffions de leur fein, 6k de conferver leurs mceurs intacTes. Mais un pareil prodige eft - il poffible, feroit - il même avantageux dans les monarchies & dans les républiques modernes ? On ne cefle de nous próner Sparte ck Rome; mais Sparte n'auroit été qu'une trés-  1109 ] très-petite ville en France, & Rome n'eut plus ce qu'on appelle bonnes mceurs, lorfqu'elle eut un peu étendu fon territoire. Fabricicius pouvoit-il avoir le luxe d'Apicius, lorfque fon petit terrein cultivé par lui feul, pouvoit a peine lui donner quelques légumes ? La frugalité fuit la médiocrité , le luxe fuit toujours les richelTes. Lucullus devoit donc avoir un fuperbe palais , & Cincinnatus ne ne devoit avoir qu'une cabane. En un mot, il faut ou dépenfer le fuperflu ou 1'enfouir dans la terre. Dans les petites républiques, les fortunes font a peu prés égales, la dépenfe eft égale : il y a donc peu de luxe, peu d'ambition, peu ou point de filles proftituées: les mceurs y font bonnes, mais d'une bonté relative, car ces mceurs feroient déteftables a Londres , a Paris. Métamorphofez en effet deux cents feigneurs ou financiers de Londres en Epaminondas , en Fabricius: qu'en réfultera-t-il ? Que des millions d'êtres mourront de faim, paree que 1'or qu'ils répandoient auparavant pour leurs plaifirs, pour leurs fantaifies, pour chevaux , voitures, ckc. reftera enfoui dans leurs cofFres, & ne circulera plus. II eft donc avantageux pour tous les grands états, que ceux qui ont beaucoup, dépenfent beaucoup. Or, pour dépenfer beaucoup, comme leurs befoins naturels ne font pas plus étendus que Terne I, O  [ 210 ] éeux du pauvre , il faut qu'ils s'en créent de factices, qu'ils aient des paffions, qu'ils les fatisfaffent. Le Turcaret qui prodigue 1'or clans des fêtes magnifiques, eft donc auffi bon citoyen politiquement parlant, que le mangeur de légumes de Rome. Des milliers de citoyens vivent de fes prodigalités, dont les ondulations fe font même reffentir jufqu'aux derniers rayons de la fociété; &C fi 1'on créoit un cenfeur pour vedler fur les mceurs , ce n'eft pas ce Mondor qu'il faudroit punir , mais cet avare , cet économe qui fait un vol a 1'état en ne diffipant pas fes richefles. II feroit donc auffi abfurde que Paris eut les mceurs de la vieille Rome ou de Sparte, que celle-ci eut eu celles de Paris. Ne cherchons point de modele hors de nous-mêmes , & n'allons pas fur-tout copier des cadres de législation faits pour d'autres pays, d'autres circonftances. Nos mceurs changent, Brutus , il faut changer nos loix. Le commerce feul qui a donné une fecoufle fi violente a tout le globe, qui a changé la face de 1'univers, doit changer les législations & les mceurs; or le commerce n'a pour bafe que la confommation, que le luxe. II faut donc fans celle alimenter ce luxe, fomenter les paffions des hommes, en faire naitre même, pour multiplier les objets de confommation. Le malheureux navigateur qui nous apporta 1'ufage  [ III ] du poivre ck des épices devoit être pimi fans doute ; mais il faudroit punir celui qui propoferoit un moyen de s'en pafter: il ruineroit ce commerce qui occupe des milliers de mains. Je jette les yeux fur tous les gouvernemens de 1'Europe, ck j'y vois que cet efprit de commerce a pénétré par-tout. La France a fenti le befoin qu'elle avoit d'une marine pour protéger le fien; Venife ne voit qu'avec peine les limites que les nou.velles dc^rrertes ont fixées a fon commerce ; la Hollande qui n'a fubfifté que par les fautes des autres Européens, regrette de nous voir fi éclairés; par-tout enfin le commerce qui établit une communication univerfelle , qui rend les deux poles voifins, a multiplié nos befoins, nos goüts, nos plaifirs, a doublé notre bonheur ck celui de la fociété. Que les philofophes modernes ceffent donc leurs triftes jérémiades fur la dépravation de la morale ; qu'ils celTent de nous crier que c'eft en retranchant aux jouiflances des hommes qu'on peut ajouter a leur bonheur; qu'ils ceflent de nous rappeller la frugalité forcée de Sparte ck de Rome, la chafteté de ces Romaines , dont perfonne ne pouvoit payer les faveurs, la fimplicité de ces confuls.qui n'avoient ni argent, ni manufaéhires, ni étorTes brillantes. Les Romains avoient raifon, O ij  [ 212 ] mais avons-nous tort, & fommes - nous corrompus pour jouir de tous les avantages que le commerce nous allure ? II n'eft qu'un feul gouvernement que je connoiffe, oü 1'efprit de Rome doive être précifément confervé, c'eft la Suiffe; 1'efprit de liberté, d'indépendance eft encore la bafe du caraftere national. Ses peuples ont prefque toute la rudeffe de la nature & 1'apreté des mceurs fauvages, que leurs liaifons avec leurs voifins, que 1'efprit commercant qui s'introduit infenfiblement chez eux, qu'enfin 1'alliage des mceurs étrangeres corrompront infenfiblement. Réfumons. Si la morale eft 1'art de dj^ger les paffions des citoyens vers le bien général, fi le commerce, devenu le mobile de 1'univers, fait feul pencher la balance & donne la prépondérance, fi la dépenfe eft 1'ame du commerce, fomentons donc politiquement parlant, les paffions des hommes , excitons leurs goüts, multiplions leurs plaifirs. Ce fera concourir au bien général. L'heureux fiecle que celui oü le plaifir des individus eft le fignal du bonheur général! Reléguons donc les ( 99 ) loix fomptuaires, les cenfeurs , les fermons ( 99 ) Le févere Sulli lui-même avoueroit aujourd'hui que les loix fomptuaires ne font plus faites pour nous, qu'elles ne ferviroient qu'a rendre irrévocable  [ «1 ] dans ces petits états d'oü 1'indigence bannit néceflairement le luxe. Nous avons ici tracé le plan que doit fuivre le moralifte moderne : la législation criminelle doit peu ( 100) s'en occuper, quoi qu'en penfent certains philofophes qui prétendent que c'eft aux loix a maintenir les mceurs. Le luxe eft comme un torrent dans un état; une loi prohibitive eft une digue trop foible. On peut régler le couts de ce torrent, mais non pas 1'arrêter. Les efforts des monarques même font impuiflans. ( 101 ) Tel eft donc le devoir du légif- la diftribution trop inégale des biens, qu'a óter a 1'indigence les reflburces de 1'induftrie, a perpétuer la mifere oü elle fe trouve, & amortir en quelque forte les richelTes dans les mains qui les poffedent. Difcours fur les mceurs deM. Guyton deMorveau. ( 100 ) Principe géneral, les paffions & les loix n'ont & ne peuvent avoir rien de commun: le feul frein des premières, c'eft l'exemple & les mceurs; les fecondes ne peuvent s'appliquer qu'aux faits; & ces faits ne pouvant auffi leur être foumis qu'autant qu'ils prennent le caraétere du crime, c'eft-a-dire qu'ils nuifent eflentiellementa la fociété, tout législateur qui leur infiige la peine avant qu'ils aient acquis ce caraétere, brife lui-même dans fa main la verge dont il prétend les frapper. L'opinion, plus forte que la législation même quand elle eftimprudente profcrit la loi & la fait tomber dans 1'oubli. Annales de Linguet, n. LV, p. 421. ( 101 ) Louis le Débonnaire, fcandalifé de la conduite de fes fceurs qui s'avifoienta vingt ans d'avoir des amans, fitaffaffiner les uns, chaffer les autres de fon palais. II crut par cette férocité inconféquente retablir les moeurs: la débauche n'en exifta pas moins, elle fut plus fecrete. O iv  I "4 1 lateur de régler les paffions des citoyens , fi bien qu'elles ne pui {Tent nuire a l'intérêt général. II examinera donc quelles- font les paffions qui peuvent préjudicier a 1'état, quel frein peut retenir celles qui font nuilibles dans de juftes limites. C'eft a bien diftinguer ces deux points que nous allons nous attacher en parcourant la lifte des crimes moraux. Concubinage. Le concubinage public eft-il un bien ou un mal ? Cette queftion n'en feroit pas une dans 1'état naturel. Concubinage, fornication, mariage , adultere y font des mots fynonymes, des aftes également vertueux. Le confentement des deux parties en eft 1'eflence, & c'eft la feule loi qu'on y doive obferver : de la le rapt, le viol y doivent être regardés comme des crimes: lantipathie des cara&eres dans le phyfique y eft un obf. tacle dominant. Dans 1'état civil, le concubinage eft cet aéte par lequel une femme, au mépris des loix recues, accorde fes faveurs a un ou plufieurs hommes. I! y a deux efpeces de concubinage ; ou cette femme vit des faveurs qu'elle vend, ou c'eft le tempérament, le defir des jouifiances ou quelqu'autre motif défintérefie, qui la piongent dans le concubinage. Ces deux efpeces de concubi-  Ei1*] nage doivent-elles être tolérées ou permifes ? fontce des crimes, ou, pour parler plus clairement, font-elles préjudiciables aux états ? Dans tous les états oü la population donne un nombre difproportionné d'êtres des deux fexes , oü les femmes nailTent en plus grand nombre r oü cependant la polygamie eft févérement défendue , il y aura néceffairement des concubines. Dans tous les états oü la chaleur du climat raréfiant les efprits animaux, verfe dans tous les cceurs des feux bouillans & imprime a tous les êtres le defir violent de la jouiffance, oü cependant ces feux font contrariés par les inftitutions fociales, il y aura d'abord un concubinage clandeftin , enfuite il deviendra public. Dans tous les états oü 1'inégalité de la répartition des richelTes plonge les deux tiers des citoyens dans 1'indigence, & les affervit aux befoins , aux plailirs de l'autre tiers, oü le mariage eft ou une chaine tardive , ou ne fert qu'a doubler la mifere , il y aura néceffairement des concubines publiques. Dans ces états la législation eft forcée de tolérer Ie concubinage public ; car les loix qui voudroient 1'arrêrer, feroient parfaitement inutiles, ( 101 ) C'eft une tache ineffacable, mais qu'on (102) La févérité des peines parut le plus fur rooyen O iv  C ] peut empêcher de s'étendre. Le but du législateur ne doit donc pas être de punir le concubinage public, car il feroit imprudemment &cinuölement cruel; mais de le reftreindre dans dejuftes bornes. Que 1'état oü le luxe eft établi, oü la monarchie a intérêt d'énerver fes fujets, forme donc des établiffemens publics de proftitution: alors plus d'onanifme , plus de fodomie, plus d'autres crimes qu'on appelle infames. Que dans ces féminaires de propagation Pon établifte des directeurs féveres, éclairés qui veillent avec attention au bon ordre, des médecins qui écartent ce funefte fléau que la funefte découverte de 1'Amériquearépandu dans notre continent, qu'en un mot la bienfaifante Hygie y donne des loix ; que l'opinion n'en ferme pas les portes; & alors la maifon du concubinage public, loin d'être fatale a un état, deviendra 1'afyle des mceurs , confacré par a Juftinien pour arrêterle concubinage , cv il fe trompa. emm , difoit-il, ipfi raptoren metu vel atrocitatt pam* abhujus modi facinore fe temperaverint ,milli mulierijive nolenti fve volenti peccandi modus relimpietur,quiahocipfum veile muiierurn ab infdiis nequijjmu hominis qui meditatur rapinam inducitur ■ niji emm eam fol/icitaverit, nifi odiofs artibus cir ciimveneri t, non facietieam veile in tantum dedecus fefc proder e. Leg. r, ff. 2 m fine, Cod- de y. Juftinien calculoit mal; on trompe a la fois la na ture, les yeux vigilans & la fociété qui attend des fruits, « Je crime n en eft pas moins fouvent commis  [ 117 3 la nature, une branche de richelTes pour Fétat, un établiflement de population. Ce projet paroïtra fans doute étrange a nos aufteres moraliftes, ck fur-tout aux rigides théologiens. Mais quand un torrent peut inonder nos campagnes , ne vautil pas mieux en rompre la violence, en tirer un parti avantageux, en le divifant par mille canaux , que de le laiuer détruire les plus belles récoltes. Je ne parle ici que de cette proftitution mercenaire qui toujours annonce la corruption des mceurs dans un état; mais fi ce concubinage n'eft point di&é par un vil intérêt, fi le vceu de la nature , la voix irréfiftible du befoin en font les feuls inoteurs, loin d'être punhTable, il eft refpeftable alors , ou au moins il ne doit pas étre recherché. Qu'on life, pour s'en convaincre , le difcours ïenfé que tint dans ce cas cette femme fi célebre aux juges de la province de Connefticut. Elle rempliftbit le but de la nature; ck loin de nuire au bonheur de la fociété, elle y concouroit en lui donnant des citoyens. Ceflbns donc de crier contre le concubinage. II eft néceflaire dans les vaftes etats, ck il ne peut jamais lui être beaucoup préjudiciable, paree que la corruption des mceurs y influe peu fur les reftbrts de la législation. ( 103 ) ( 103 ) Je ne me lalTerai point de répéter que dans  [ n8 ] Influe-t-il même fur 1'efprit républicain ? Venife conferve-t-elle moins fon gouvernement ariftocratique , pour être remplie dé concubines ? L'Angleterre ne produit-elle plus de Chatham, de Rixhmond, paree que le luxe, le befoin peuplent Londres de filles publiques ? On me citera Rome , oü la corruption des mceurs annonca le déclin de fa puilTance. Mais ce fut moins le luxe, la dépravation des mceurs, que 1'énormité, 1'étendue exceffive de cette puilTance cololTale , qui Ia détruifit. Sa bafe étoit trop petite, fes branches étoient trop multipliées, fa hauteur trop confidérable. Je conviens qu'il feroit dangereux d'adopter ces principes dans cette heureufe contrée de la terre, dans la fage Helvétie, oü les mceurs peuvent encore trouver un afyle; elles ne font pas même entiérement bannies des campagnes des monarchies peuplées, lorfqu'elles ont 1'avantage d'être éloignées des grandes villes. Qu'on les préferve de Ia contagion, qu'une législation févere empêche ce fléau épidémique d'y pénétrer. Mais nous qui, piongés dans les cloaques de ces grandes villes, refpirons un air impur que tout l'art des chymiftes cette théorie je fais abftraétion de toute efpece de religion , que je n'envifage les objets que du cöté politique. Car on ne manquera pas de tronquer mes propofitions , de les préfenter fous un faux jour, pour trouver un prétexte de perfécution.  C H9 ] ne pourroit dépouiller enuérement de fon principe méphitique , nous qu'un venin corrofïf ronge incelTamment, ne fongeons pas a 1'extirper; ce feroit une chimère: corrigeons fes effets, adouciffons la violence de ce poifon ; imitons ces médecins qui des animaux les plus véneneux ont fu tirer des remedes falutaires. II eft une efpece de concubinage que dans certains états on qualifie de rapt de féduftion; (104) on y diftingué encore un autre rapt de violence. Toutes les diftinclions ne font cjue des fophifmes de législateurs ou de juges qui veulent trouver des coupables. Le rapt de violence ( 105 ) n'eft prefque toujours qu'une chimère. Le rapt de fé- ( 104 ) Sur le fait de féduction & de «roflêffe , je n'ai rien lu de plus fage que les articles paffes en loix dans la principauté de Ncuchatel le 14 fcvrier 175 Ces articles doivent fervir de modele a tous les législateurs. j'ai remarqué dans 1'article III, qu'il eft defendu au juge de faire préter ferment a la fiile qui fait fa declaration, duquel, eft-il dit, il ne fera fait aucun ufage ni dans ce cas ni dans aucun autre de cette nature. J'ai vu avec peine par d'autres articles , que 1'ufage abominable de la torture fubfiftoit encore dans ce pays. A la vérité un juge feul n'a pas, comme dans d'autres états , la liberté de martyrifer un accufé. II faut au moins la moitié des juges, & il en faut cinq d'entr'eux pour le faire emprifonner. Recueil des articles paffes en loix, au Locle, chez Girardet, 1756. ( io<;) Parunéditdu i6avril 1779,1e roi de Naples a défendu a tous fes juges de recevoir aucune plainte de viol, attendu les abus qui en réfultoient.  [ 120 ] dutton eft plutót un article demceur* qu'un article de loix civiles , un délit inconnu dans la nature, créé par la fociété. Oui, j'ofe le dire, ces aftions qualifiées par toutes les nations , de ftupre, fornications, rapt de féduéiion, ne font point de vrais crimes dans la nature. C'eft la fociété feule qui leur a impofé cette dénomination : mais fi cette fociété n'a pas la force par les loix de détruire un penchant naturel, pourquoi le puniroitelle ? Et d'un autre cóté, fi ces afiociations clandeftines nuifent k 1'ordre qu'elle a établi, les tolérera-t-elle ? L'alternative eft embarraiïante , violer la nature, ou déranger la machine de 1'état! Mais il n'y a pas a balancer; il n'eft point d'homme, point de fociété, qui ait le pouvoir de punir dans un autre homme un adTe conforme aux loix de la nature. Si l'intérêt général d'une fociété demande que les mceurs n'y foient point corrompues, que les unions ne foient pas de fimples goüts, mais des aéles authentiques fcellés de fon fceau; c'eft a la fociété a prévenir cette corruption , mais non pas a la punir lorfqu'elle s'eft introduite. Chercher a prévenir les jouiflances clandeftines, feroit un projet chimérique ; les punir , feroit une faute politique, un délit même du fouverain envers les citoyens qui doivent être dédommagés par les plaifirs privés , des facrifices fans  [ "I ] nombre qu'exige la fociété, de 1'efpece de nuliité oü le defpote les réduit. Dans les républiques, oü la pureté des mceurs eft une vertu effentielle, oü, lorlqu'elles fe degradent, la république tend a fon déclin, punir les corrupteurs ce n'eft pas empêcher le mal de s'étendre; c'eft, en multipliant les fupplices , les propager davantage. II faut prévenir le mal, 1'étouffer en naiffant, paree que la corruption des mceurs entraine la décadence cFun état; car quoiqu'il y ait loin de 1'apparition d'une fille proftituée a la chüte d'un empire , le philofophe qui mefure 1'intervalle qui fépare ces deux événemens , embraffe aifément tous les anneaux de la chalne qui lient néceffairement ces deux faits. Ainfi, pour nous réfumer, nous ne punirons point dans les monarchies , dans les ariftocraties, ces crimes iacTices, paree qu'ils ne nuifent point a l'intérêt général, paree qu'ils naiffent même de la forme du gouvernement. Ainfi nous óterons aux peres, a la Chine ( 106 ) le droit de ( 106) A la Chine, lorfqu'une fille ne conferve pas fa virginité jufqu'au moment de fon mariage, fon pere peut la vendre au marché pour 20 taels ou 2000 fois , quelquefois pour 'moins; & on la vend de la forte a un maitre, paree qu'on ne fauroitplus la vendre a un man'. On ne concpit pas par quelle fatalité les yeux des légiflateurs ont été fafcinés au point d'étendre fi excelfive.  [ 111 ] vendre leurs filles fous prétexte de concubinage ; droit qui étoit un doublé crime: nous rejeterons la loi des Juifs, qui forcoit d epoufer la fiüe dont on avoit joui: nous profcrirons ces peines fanguinaires ou ridicules prononcées par plufieurs peuples contre ces jouiffances naturelles. Nous les profcrirons fur-tout de ces climats, dont la chaleur commande plutöt qu'elle ne permet 1'amour, en en verfant les feux dans tous les cceurs. Mais nous dirons aux législateurs qui ont le bonheur de .vivre dans des démocraties : arrêtez ces léductions, punilTez-les, non pas cruellement, mais par l'opinion; déshonorez celui qui, après avoir joui ment 1'autorité paternelle. Lorfqu'ils accordoient au pere le droit de vendre fes enfans, ils ne voyoient pas que le pere ne poflede pas fes enfans comme des beftiaux. II ne falloit nulle pénétration pour comprendre cela , & cependant on ne 1'a pas compris: ce qu'il y a de bien bizarre , c'efl: qu'on trouve dans le code Juftinien un refcrit admirable del'empereur Dioclétien qui parle en philofophe, malgré 1'impiroyable loi de Romulus:il dit qu'il eft de droit manifefte qu'un pere ne peut ni aliéner, ni vendre, ni donner, ni enga;ier fes enfans; & immédiatement après ce refcrit fuit dans la même page celui de 1'empereur Conftantin qui affure qu'un pere peut vendre & fes fils & fes filles, & en conféquence il le permet dans toute 1'étendue du droit romain,pour fe moquer de Dioclétien, des hommes & des loix ; car le prctexte de pauvreté qu'il alleyue, n'a pas & n'a jamais eu aucune force contre le droit manifefte. Recherches phüofoplüques fur les Ègyptiens 8? les Chinois, tome I, p. $ 6.  [ 213 1 d'une fille, refufera de la prendre pour compagne ; armez contre ce féduiteur tous les préjugés , échauffez toutes les têtes, & felon les cas, ajoutez encore a Finfamie morale une infamie civile; mais ne permettez jamais a la juftice de fe fervir de fon glaive. Ince/le. II eft des adfions appellées dans certains états crimes horribles, qui dans d'autres pays font indifférentes, dans d'autres, regardées comme vertueufes. Ainfi 1'incefte en ufage chez les Coptes, recommandé chez les Guebres , eft regardé avec horreur parmi les chrétiens. C'eft un crime contre nature, fi 1'on en croit les jurifconfultes, qui le mettent de niveau avec la fodomie. N'écoutons que la raifon dépouillée de tous préjugés: elle nous dit que 1'incefte permis dans la nature n'eft qu'un crime de fociété; que les états qui le prohibent, ont raifon; que ceux qui le permettent n'ont pas tort. Le jurifconfulte Lebrun dit que 1'incefte eft contre nature , paree que nous devons plus d'honneur & de refpeft a notre fang, puifque 1'empereur veut quaffïnüatis veneratione a quarumdam nuptiis abjlineamus. Je pardonne k un légifte de croire que Juftinien eft 1'oracle de la nature; mais je ne lui pardonne pas d'être mauvais logicien. Quelle preuve de refpecT:, d"eftime plus grande  [ "4 ] diroit un Guebre, peut-on donner a une fbeur que de s'aüier 'avec elle ? Ce même jurifconiulte donnoit encore une autre raifon plus plaifante. II difort que fi Faffeftion du fang étoit jointe avec celle du mariage , elle entraïneroit un trop grand excès d'amour répugnant a la vraie chafteté, comme la voulu le dofteur Thomas. Que ce doéteur féraphique raifonnat ainfi dans fon fiecle, cela eft concevable; mais que dans le dix-feptieme fiecle on vienne répéter cette abfurdité, cela eft incroyable.Que fur une pareille abfurdité on condamne k mortun fiere & une fceur qui font alTez malheureux pour fuivre un penchant naturel, cela eft une atrocité inouie, politiquement parlant. Rejetons donc avec horreur les fupplices infligés aux inceftueux. Que la fociété, par une raifon de faine politique, (107) interdife les mariagesentre les freres & fceurs. Soit. Mais qu'elle ne les condamne pas au feu pour s'aimer. On a dit que fi ces mariages étoient permis, il en réfulteroit que les families s'ifoleroient. On cite les Égyptiens, qui par cette perpétuité d'inceftes étoient devenus laids & dé- 1 -(f*ti l°UT 1>incefte>1-1 ^ démontré que c'eft une J01 de bienfeance. Seroit-i! tems de ne plus regarder Jes mariages entre coufins germains comme inceftueux' Nos feigneurs pourront les permettre pour le bien des families; Ie pape les permet moyennant finance. Prix de la juftice ,p. 72. générés.  I "5 ] générés. Je réponds d'abord que pour une familie oü il fe trouvera un pareil mariage, il y en aura cent autres oü Pon admettra des étrangers. Quant a 1'autre raifon , les Egyptiens font aulTi laids aujourd'hui, & ils ne font pas inceftueux. Je ne parle pas ici d'un incefte fpirituel, (108 ) raffinement des papes puifé dans les décrétales, imaginé pour vendre des abfolutions, & qu iau fond rentre dans la clafie des acTions de ftupre & de fornication. Cependant, comme 1'incefte eft plutót un crime de mceurs qu'un crime de loix, je ne confeille pas de donner atteinte au préjugé, paree qu'une pareille atteinte a des fuites dangereufes. A duit ere. L'adultere eft Pafte d'une perfonne mariée qui, violant le ferment de fidélité conjugale qu'elle (108) Les canoniftes ont imaginé un incefte fpirituel dans le directeur qui abufoit de fa pénitente. On remarque même que ce crime fait vaquer les bénéfices de plein droit. Cet incefte, qui n'eft qu'un concubinage auxyeux d'un philofophe, s'agrave a ceux de la religion ,paree qu'il a bleifé la chafteté recommandée aux prêtres._Ce n'eft point fous ce dernier afpect que pen parle ici. Un arrêt du parlement de Paris, du 28juin 1673, a condamné un directeur qui avoit abufé de fa pénitente, a étre pendu & brülé avec fon procés. C'étoit ce crime qu'on reprochoit a Girard & a la Cadiere. Tome I. P  [ n6 ] a fait,accorde fes faveurs a une autre perfonne. Dans la loi naturelle, il n'y a point de mariage conftant (i 09), point de nceud indiffoluble, point de ferment de s'aimer & fe plaire éternellement. L'adultere n'y exifte donc point: il eft au contraire bien naturel de ne pas borner fon gout a un feul fruit, ck de cueillir toutes les fleurs qui (109) M. Linguet a prétendu prouver dans fa Theo. rie des loix , livre II, chap. I, p. 2,22 & 2? , que dans 1'ongine des fociétés, les hommes mirent les femmes au nombre des biens dont on rendit la pofléffion exclufive; que les mariages ne furent qu'un trafic réel d'immeubies, oü celui qui achetoit une femme acquéroit un domaine fans bornes fur elle; que ce fut cet efprit de propriété qui fit décerner contre 1'adultere la peine de mort; peine infligéeaux attentats ordinaires contre la propriété. Ces principes, bien ditjnes de 1'efprit fauvage des premiers fbndaceurs de la fociété , ne fubfiftent plus aujourd'hui. La raifon a relevé les femmes dégradées , les a rétabfies dans leurs droits d'égalité, dans leur rang de compagnes des hommes; elles ne' font plus nos efclaves , elles ne font plus des immeubles ; & pour fubjuguer leur coeur, ce n'eft pas la force, mais le langage de 1'ame, que nous employons. Maitrefles de leurs faveurs, nous n'avons dans Ja nature de droit fur elles, qu'autant que nous leur plaifons. Leur confentement ' veila notre titre ; mais elles peuvent l'óter comme elles font accordé. Voila le langage de la nature ; ce langage s'infinuant dans tous les efprks, a mitigé les peines portées contre 1'adultere qui fouvent eft néceffité par les entraves mifes par les loix a la liberté des femmes , qu'un inrérêt etranger plus que leur goüt plongedans un mariage indiflbluble.  [ 2*7 ] peuvent flatter Podorat ou diarmer 1'ceïl. Le fauvage eft-il heureux ? il .eft vertueux. II eft vertueux quand il plait a une fauvage, il 1'eft encore lorfqu'il voie dans les bras de cent autres. Dans cet état de parfaite nature , il n'y a de vrai criminel que celui qui ne fuit pas le goüt que lui a donné cette bienfaifante divinité; ck 1'adultere n'eft pas celui qui change d'objets , mais celui qui continue d'accorder fes faveurs a celui qui ne lui plait plus. Voila le code naturel. II en eft autrement dans prefque toutes les fociétés ( no). Cependant on trouve encore des nations oü 1'adultere n'eft pas connu, n'eft pas regardé comme un crime. Ces nations font bien plus voifines de la nature que nous. Chez nous, c'eft un crime focial, On a transformé , dit M. de Voltaire , 1'afte d'amour en un aft e civil. Les époux fe font regardés comme propriétaires de leurs ( 110) Je dis prefque ; car on trouve dans les loix de Solon une loi bien extraordinaire: le plus proche parent d'un héritier pouvoit demander fon époufe en mariage. Si Pépoufant étoit impuiiTant, il étoit permis a la femme d'avoir recours a quelqu'un des plus proches parens de fon mari, qui étoit tenu de careffer fa femme au moins trois fois chaque mois. Voyez Plutarque & Diodore de Sicile. A Vienne , dit milady Montagu dans fes iettres : 'tis the eftablish'd cujlom for every lady to have two husbands, one that bears the name and another that performs the duties. Lett. 10.  [ "8 ] époufes. Elles font devenues leur bien : 1'adultere les leur voloit, il introduifoit dans les families des héritiers étrangers : joignez a ces raifons la cruauté de la jaloufie, & ne foyez pas étonné que chez tant de nations fortant a peine de 1'état "de fauvage , 1'efprit de propriété ait décerné la peine de mort contre les féducleurs & les féduites. Aujourd'hui les mceurs adoucies ne puniftent plus avec cette rigueur un crime que tout le monde eft tenté de commettre , que tout le monde favorife quand il. eft commis, qu'il eft fi difficile de prouver ( in ) , & dont on ne peut guere fe plaindre en juftice, fans fe couvrir de ridicule. La fociété a fait une convention fecrete de ne point pourfuivre des délits dont elle s'eft accoutumée a rire. L'adultere ne doit donc jamais étre pourfuivi (in ) Pour decouvrir l'adultere , les Juifs avoient une eau facrce qui faifoit enfler le ventre de celle qui etoitcoupable, qui fortifioit & rendoit plus féconcies celles qui étoient innocentes. Je nefais pas fi 1'on fai foit fouvent ufage de cet expediënt, mais je fais que ce devoit etre une arme bien dangereule dans la main d un rripon. L innocence ou la conviction du crime devoient dependre entiérement du miniftre : quand on pourrort encore nous ramener au tems des expériences de 1 eau & du feu, je ne confeillerois pas de reffufciter l eau facree, des Juifs, pour effrayer quelques femmes & fat.sfaire la jaloufie des maris, fans diminuer les adulteres; elle prêtoit trop a 1'impolture, a latrocite même. v '  [ "9 ] que par le mari, il ne peut pas 1'être par le miniftere public. C'efl: un crime focial, privé, domeftiqüe \ & tant que le mari ne s'en plaint pas, perfonne n'a rlroit de s'en plaindre. Ce qu'il y a d'étrange dans les loix fur l'adultere , ce qui prouve que ce crime n'a été inventé que par la jaloufte des hommes qui n'étoient pas toujours fürs de plaire , c'efl que ces loix ne permettent point a la femme d'accufer d'adultere fon mari, c'eft qu'il n'exifte aucun chatiment pour 1'époux infidele, lui que la nature & la fociété des mceurs garantinent davantage de Pinfidélité. Tandis que la malheureufe efclave, foible par la nature, dégradée par la fociété , corrompue par les moeurs publiques , eft pènie de fuivre fon goüt aue tout concourt a lui faire fuivre, tout eft en faveur des hommes; ils peuvent tuer a leur gré une infidelle : font-ils coupables, ils doivent encore étre refpeftés. ( 11 z ) Réliimé. L'adultere n'eft point un crime naturel , il eft probable qu'il nuit a 1'ordre focial. Mais (112) Une loi ancienne porte : in adulteriofï uxorem tuam deprehendiJJ'es fine indiciu impune nccares. Illa tefi adulierares digito non auderet contingere, neque jus cffct. Saint Gregoire de Nazianze dita cette occafion : non laudo , non probo hanc legetn. Eam mores, tukrunt, idco fienunas tantum fequUur inccjjit. P iij  [ 233 ] il eft fi clifficile de le réprimer , il y a tant d'états ouileft ouvertement permis, tant.d'autres oü il eft toléré, tant enfin oü, malgré les chatimens, malgré le doublé frein de la religion ck de 1'état, il s'introduit fréquemment! Ces états en font-ils moins heureux, moins puiflans ? On me citera 1'aiiftérité de la république romaine , qui ne vit d'adulteres qu'au bout de cinq cents ans; ck moi je citerai Sparte , oü la pudeur étoit fi ouvertement violée, oü ce qu'on appelle concubinage étoit encouragé par les loix; je citerai la fage république de Platon, ckc. Eft-il poflible d'ailleurs de trouver une machine politique entiérement parfaite ? ck quel eft le point de ce globe oü 1'éguille des mceurs ne décline pas ? Ne déclamons donc plus contre les peuples qui ne croient point a l'adultere: mais pour ceux qui en font un crime, pour ces nations oü le préjugé focial & la religion (113) s'accordent fur ce point, Cu?) Jean Henri Hottinger, dans fon Recueil des loix des Juifs, donne une finguliere raifon de la défenfe faite jpar Dieu de l'adultere : ne, dit-il .fpecies cumjpecie commifceatur. Comment les efpeces fe confondent-eUes donc plus par l'adultere que par le mariage légitime ? Dieu, ajoute-t-il, a ordonné auxfenfans d'honorer leurs parens : or comment les honorer, s'ils ne les connoifl'ent pas ? Mais 1'enfant d'un adukere ne connoit-il pas fa mere, ne peut-il pas 1'honorer ? Juris Hebraorum leges, autlwre J. H. Hottinger. Tiguri, i6?5,p. 48.  [ ] il mérite fans doute d'être puni. Et comment le peut-il être ? Relativement" a la fociété, ce n'eft qu'un crime de mceurs; & fi les mceurs font pures, l'adultere fera bientót puni par 1'opprobre dont il fera couvert. Si les mceurs font corrompues, le crime doit refter hnpuni; le chatiment feroit inutile. Quant a la religion, dont cet acTe viole les décrets, quel eft le mortel fur la terre qui ofera jeter la pierre, lorfque le divin Légiflateur a pardonné a la femme adultere ? Époufes refpeftables, qui jufqu'a préfent avez regardé le lien qui vous uniffoit a vos mans cominej le lien facré de la nature, fortifié par la religion, vous frémirez fans doute d'indignation en me lifant, en voyant que je vous enleve le prix de votre vertu, de vos combats. Ah ! gardezvous de croire que je veuille détruire cette opinion qui peut-être eft le gage de votre félicité. Non; je fais que le lien conjugal fondé fur 1'idée de la poffeftion exclufive, eft certainement plus fort; je fais qu'il doublé le bonheur , qu'il attaché 1'époux inconftant, qu'on aime mieux un être dont on eft fur d'être aimé feul; je crois enfin que dans les états oü cette morale eft établie, elle doit être refpeftée; je détefte comme vous ces perfides féducTeurs qui fe font un jeu d'exciter vos foibleffes & de les divulguer. S'il étoit dans P iv  i m 1 mon pouvoir de reffufciter ces moeurs antiques de Rome , oü l'adultere étoit un crime inconnu, mceurs dont on trouve encore quelques veftiges dans nos villages; oui, je bénirois 1'équitable loi qui profcriroü par les peines les plus féveres le poifon de Ia féduftion. Mais aujourd'hu. que ce venin fe gliffant dans tous les cceurs a infecïé 1 éducation, a corrompu la maffe des moeurs, aujourd'hui que Phomme du bon ton libre ne connoü les femmes que pour les méprifer, marié n'efgT time qu'avoir fait un marché de plus; aujourd'hui enfin que l'adultere n'eft plus un crime que pour le peuple, ( & tous s'empreffent de fe tirer de cette clafie) voulez-vous que je ranime inutilement contre l'adultere les loix des Francs les cruelles peines des Égyptiens , des Juife ( 114 ) , &c ? Non : kiffons plutót au re- (114) Les peines fur l'adultere ont varié chez tous les peuples. ez Les Lydiens Ie puniffoient de mort defSet *tfS cMtioie.nt, uitere de mille coups cte rouet, & la femme avoit le nez coupé. Les Komains fe contentoient de couper les tefticules & lavergeal'adultere, comme fit Bibienus i ïïbo Actius.Aurelien fa foitpendre les foldats ponvalncus ece cnme La lo, romaine vouloit que 1'accufation f mm fe/n PrUbll'qiVe: f°n but étoit d'intimkr eï femmes, & de fa.re refpecfer les mceurs. Cette loi ne vaudroit nendans un gouvernement comme lenótre,  [ *33 ] tnord , au poignant défefpoir, le foin de venger les atteintes portées au lien conjugal. Si je connois bien le cceur humain, il ne doit point être , ij oü l'opinion flétrit la familie du coupable & le marl méme. La peine de mort prononcée par les loixa étéadoucie chez nous. La femme accufée d'adultere, convaincue de ce crime, eft condamnée a étre battue de verges , renfermée enfuite dans un monafterepour y vivre comme féculiere. Si fon mari ne la retire nas, elle eft contrainte de prendre le voile, & fa dot eft confifquée au profit de fon mari. II eftbien fingulier que dans nos loix la femme n'ait pas le privilege, comme fon mari, de former 1'accufation d'adultere. C'eft ici le lieu de relever une méprife de l'auteur des Queftions Jur l''Encyclopedie au mot adultere. On y lit ces mots : " 11 arrivé quelquefois chez nous qu'un mari mécontent ne voulant point faire un procés criminel a fa femme pour caufe d'adultere ( ce qui feroit crier a la barbarie) fe contente de fe faire féparer de corps & de biens. Un mari ne fe fait point en France féparer de corps & de biens, il a ce droit ipfo faólo. Mais il faut que la femme 1'obtienne de la juftice. „ Tous les mariages ne devroient-ils pas être difiolubles en cas d'adultere ? On lit dans les Chicjïions fur F Encyclopédie, t. I, au mot adultere: " Ce qui eft bien plus étrange, c'eft que la loi de 1'indifTolnbilité eft direótement contraire aux paroles que cette églife elle-même dit avoir été prononcées par J. C. Quiconque a renvoyé fa femme , excepté pour adultere , pêche s'il en prend une autre. „ Le divorcea été en ufage chez les catholiques fous tous les empereurs. Les rois de France qu'on appelle de la première race , ont prefque tous répudié leurs femmes pour de nouvelles. Enfin vintun GrègoirelX , ennemi des empereurs éi des rois , qui par un décret  i *34 ] n'eft point de plus cruelle peine pour une femme bien éïevée& fenfible, égarée par 1'illufion d'un moment, que 1'idée toujours renaiflante d'avoir fit du mariage un joug infecouable : fa décrétale devint une loi de 1'Europe. " Je dis a mon mari, dit une femme adultere, fi vous êtesfans pêché, rafez-moi, enfermez-moi, prenez mon bien; mais fi vous avez fait plus de péchés que moi, c'eft a moi de vous rafer,de vous faire enfermer & de m'emparer de votre fortune. En fait de juitice les chofes doivent être égales. Mon mari replique qu'il eft mon fupérieur & mon chef, qu il eft plus haut que moi de plus d'un pouce, qu il eft velu comme un ours, que par conféquent je lui dois tout, qu'iljne me doit rien.... „ 11 eft clair que fi les femmes ne font pas punir les hommes, c'eft quand elles ne font pas les plus fortes. N'ajoutons qu'un petit mot fur féducation contradictoire que nous donnons aux femmes. Nous les élevons dans le defir immodéré de plaire, nous leur en diétons des lecons. La nature y travailloit bien fans nous; mais on y ajoute tous les raffinemens de 1'art. Quand elles font parfaitement ftylées, nous les puniffons fi elles mettent en pratique 1'art que nous avons cru leur enfeigner. Que diriez-vous d'un maitre a danlerqui auroit appris fon métier a une écoliere pendant dix ans , & qui voudroit lui cafler les jambes, paree qu il 1'a trouvée danfant avec un autre ? Ne pourroiton pas ajouter cet article a celui des contradictions ? En SuifTe, l'adultere emporte la confifcation & le banniflement. Une loi des Brames condamne les femmes adulteres ou qui fe proftituent, a être mangées par les chiens. Code des loix des Gentoux. La caftration dans 1'ancienne Égvpte a été pendant un tems le chatiment de l'adultere. Ce peuple, a dit un philofophe, qu'Hermès n'avoit pas encore civilifé, trou-  C ] trompé un mari qui 1'adore, que la confcience de foi-même, que le mépris d'autrui. D'ailleurs ce n'eft point par l'intérêt du plus petit nombre d'êtres qu'on doit apprécier les aétions dans la fociété, c'eft toujours le plus grand nombre qui fait pencher la balance; & tel eft ici 1'afcendant de ce nombre , qu'une loi en faveur de ce qu'on appelle bonnes moeurs feroit une mauvaife loi. Que dans la naifïance de la république Romaine , oü les mceurs étoient eflentielles a fa confervation , les législateurs aient tant attaché d'importance au lien conjugal, je n'en fuis point étonné. II y a , dit M. de Montefquieu, tant d'imperfeclions attachées a la perte de la vertu dans les femmes , toute leur ame en eft fi fort dégradée, ce point principal óté en fait tomber tant d'autres, que 1'on peut regarder dans un état populaire 1'incontinence publique comme le dernier des malheurs ck Ia certitude d'un changement dans la conftitution. II n'en eft pas de même pour une monarchie. Les bonnes mceurs, qui ne lont pas eflentielles a fa conftitution , s'y corrompent promptement. Une loi contre l'adultere feroit inutile en France, ou fi on 1'exécutoit, les couvens feroient trop étroits. voit dans ce fupplice une forte de rapport entre le délit & la peine ,& il croyoit que ce rapport lui donnoit le droit d'être barbare.  [ *3« ] Si ce crime vient de la corruption des mceurs , il n'y a plus de remede; c'eft ün corps gangrené, dontonhateroitpeut-êtrela difiolution en voulant le guérir. Augufte & les empereurs qui lui fuccéderent, tenterent en vain d'arrêterl'adultere, 1'impudicité. La multiplicité des loix prouva leur impuifïance. Tous les états monarchiques de 1'Europe font aujourd'hui au même degré. Et fiet & fatla funt ifia, écrivoit Séneque a Lucilius, & licentia urbium, ram difciplina , metu minquam fponu conjidu. Epift. 97. Bigamie, polygamie. Aélions tour-a-tour criminelles ou vertueufes 4 hnvant les climats, les gouvernemens, les relig'.ons. La polygamie autorifée en Turquie par 1'alcoran, chez les Juifs par les loix de Moyfe, eft profcrite dans les climats froids oü la religion chrétienne s'eft introduite. On couvre ici d'infamie le bigame qui ailleurs eft encouragé par le politique. Si on demande quelle eft la loi de la nature a ce ftijet, elle eft fort claire. La mefore des plaifirs eft celle de la force virile. Un Hercule peut être impunément polygame; un homme d'un tempérament foible ne fera que monogame. Beaucoup d'auteurs ont prouvé que la polygamie étoit un  [ 237 ] bien pour les états qui 1 'adoptoient (115). Ce n'eft donc point un crime focial. La monogamie eft-elle un mal dans les autres pays ? Je le crois aflez : il y auroit moins de concubines publiques, moins d'adulteres, fi 1'on pouvoit avoir plus de femmes. Je ne vois pas pourquoi les législateurs fe font fur cet article permis , ou d'ajouter leur précepte au commandement de la nature , ou 1'ont violé. Pourquoi condamner ou défendre la polygamie ? Laiflons agir la nature & 1'influence irréfiftible du climat fur nos forces & nos paffions. II n'y a pas a. craindre que les peuples du midi foient monogames , que ceux du nord foient polygames ; chez les premiers on verra quelquefois des célibataires, chez les autres des polygames. Pourquoi la loi ne feroit-elle pas une exception en faveur de ceux que la nature excepte du ton général du climat ? Les polygames coupables font ceux qui laiflent incultes des terres qu'ils fe font chargés de labourer, pour me fervir du langage de Mahomet. Les monogames coupables font ceux qui molliflent dans une inaclion funefte a 1'état. ( 11 <; ) Voyez la Théorie des loix, livre II, chap. 9, oü M. Linguet prouve contre le fentiment de Montefquieu, que Ia polygamie eft avantageufe a la population, conforme au vctu de la nature.  [ ] Sodomie. Les Perfans ont des ferrails de garcons; les bonzes dans les Indes ne voient pas de femmes; mais ils favent s'en dédommager. On a remarqué que dans tous les pays chauds les hommes étoient fort portés a toutes les conjoncTions illicites ; que dans les religions même les plus rigoureufes le climat les fait tolérer. Je n'examine point fi ce crime eft contre la nature, je n'examine point fi de grands hommes l'ont commis, s'il a été même permis dans certaines circonftances. ( 116 ) II nuit a la population, il doit donc être profcrit. Mais ce n'eft point par la mort qu'il faut le punir; car le remede feroit pire que le mal : c'eft nuire doublement a la propagation des hommes. Tous les crimes contre les mceurs doivent être punis par l'opinion publique; c'eft du fceau de 1'ignominie qu'il faut marquer ceux qui donnent des atteintes aux mceurs, a la pudicité publique. On punit en France les femmes publiques en les pro- ( 116 ) Johannes Lydius , dans fes Analettes, prétend que Sixte IV accorda une permiffion de fodomifer. En doutant de cette alfertion , il n'eft pas au moins problematique qu'il fic batir un b fi 1'on en croit Agrippa. Sed & recentioribus temporibus Sixtus , pontifex maximus, Roma nobile admodum lupanar extruxü. CEuvres d'Agrippa, p. 135, vol. I.  [ *39 ] menant fur un ane, le vifage tourné vers la queue. La coupable en cet état eft huée par le peuple. Impolez la même peine a tous les fodomiftes, point d'acception de rangs, de perfonnes. Comme ce crime eft plus commun chez les grands, chez les gens opulens (car Fartifan fe borne a fa femme) c'eft par l'opinion publique qu'il faut les flétrir ; car ils y font plus fujets que les autres. Point de peines pécuniaires fur-tout. Ils ne paieroient pas moins des garcons pour leurs plaifirs; mais ils leur coüteroient plus cher. C'eft une faute en politique que de priver inutilement 1'état de fujets qui pourroient lui être utiles. Un fodomifte peut réparer fon crime. II ne faut point être fi ardent a trouver les malheureux qui commettent ce crime. La multiplicité des criminels nécelïïte la fréquence des fupplices, & cette fréquence diminue infenfiblement Phorreur que le peuple a pour ce crime; il fe familiarife avec fon image. (117) (117) Le crime contre nature n'eft pas févérement puni en France a préfent. La prifon eft la peine ordinaire de ceux qui font convaincus de ce crime que la religion , la morale, la politique condamnetst dans tous les pays, que la volupté ufée appelle a fon fecours dans les climats chauds. Montefquieu. Voyez la fuite. Conftantin II & Conftance étant confuls enfemble, furent les premiers: qui s'armerent contre le vice de ibdomie. Leur loi ,jtvir nubit, ne fpécifie pas la peine, mais elle dit que la juftice doit s'armer de glaive, &  [ ^40 ] Bejlialité. II eft des crimes dont il ne faut pas prononcer le nom. Ils font fi rares. Telle eft la beftialité. On condamna une femme qui avoit commis ce crime avec un chien , a être brülée avec le chien. Le fupplice de la femme peut être excufé; mais brüler un chien qui n'avoit point moralement participé au crime , cela eft ridicule & avilit 1'arrêt. La loi de Moyfe portoit peine de mort contre ce crime : qui coierit cum jumento , mom moriatur. Cette loi étoit trop févere ; je crois qu'il faut interdire la recherche de ce crime, paree que la punition peut devenir plus funefte pour le peuple a qui elle découvre des fources de plaifirs inconnus. II y a fi peu de ces monftres dans la nature , qui ont ces goüts bizarres! ( 118 ) qu'il faut des fupplices recherchés, lorfque ces délits auffi fecrets que l'adultere,& auffi difficiles aprouver font portes aux tribunaux qu'ils fcandalifent. Lorfque" ces tribunaux font obligésd'en connoitre, ne doiventils pas foigneufement diftinguer entre 1'hommefait & l age innocent qui eft entre 1'enfance & la jeuneffe °> Ce vice indigne de 1'homme n'eft pas connu dans nos nides climats. II n'y eut point de loi en France pour la recherche & pour fon chatiment. On s'imagina en trouver une dans les établiflémens de faint Louis, & en vertu d'un article qui condamnoit les hérétique='ou Bulgaresau feu. On brüla les pédiculaires. Juftinien plus fage neporta aucune peine contr'eux Prix de la juftice, p. 77. ( 118 ; Moyfe n'auroit pas imaginé qu'on auroit dans « Quant  [ ] « Quant aux peines infligées contre 1'ennem » des plaifirs purs & chaftes de la nature, elles » doivent, a dit un philofophe , dépendre beau» coup du caraftere de la nation que gouverne » le législateur: fans cela, la loi qui protégé les » mceurs, peut être auffi dangereufe que leur » infraction. Phil. de la nature, tome I,p. 2,67. » Dans une fociété naiffante, oü perfonne n'eft » riche ni oifif, il ne faut aucune loi contre les » délbrdres abominables de Pafiphaé. Le fouve» rain, s'd eft fage, ne doit pas fuppofer dans un » peuple neuf des crimes qui ne font le fruit que » de la dépravation réfléchie; & dans cette oc» cafion ignorer les outrages qu'on peut faire a » la nature , c'eft aflez la défendre. » Heureufes les nations de Fage d'or, oü 1'igno» rance du mal tient lieu de la vertu , qui font » gouvernées par un inftincT fage plutöt que par » des loix , & chez qui les remords puniflent bien » mieux les crimes que cevain appareil de fuppli» ces qui chez les peuples policés atteftent encore » plus la barbarie des législateurs que leur équité. la fuite appliqué le fens de cette loi au peuple chérL Même dans le douzieme fiecle le commerce d'un chjrétien avec une fille juive, étoit un crime- non moins énorme que la beftialité ; le coupable étoit condamne a être brülé vif. Voyez Gloff. de Ducange, au mot Judai. Hifi. de France par Velly, tome IV, p. 157. Tome I. Q  C] » Les chefs cle ces états tranquilles ck fortunés » doivent auffi long-tems qu'ils le peuvent entre» tenir une ignorance qui eft peut-étre Ia meil» leure digue contre Ie torrent de la dépravation; * ck fi malgré le mence prudent des loix , le crime » abominable d'une femme eft trahi par la naif» fance d'un Minotaure , il faut punir en fecret * Pafiphaé 6k brüler enfuite les aétes du procés, » pour anéantir jufqu a la tracé d'un attentat qui, ff en éclairant 1'imagination des hommes corrom» pus, pourroit les engager a 1'imiter. » II n'en eft pas de même d'un état qui penche » vers fa décadence, & oü la machine politique . » a ufé tous fes refforts fous le frottement du » luxe & du defpotifme. Les attentats de ce genre » y font trop multipliés pour qu'on puiffe fe » flatter de les détruire en épaiffiftant le voile qjli » les environne. On ne trouveroit dans le filence » affefté de la loi, que la foibleffe ou 1'efpoir de » 1'impunité.» En ajoutant aux réflexions judicieufes de ce philofophe, onpeut aftürer que pour cette efpece de délits, 1'infamie publique eft la feule peine qui puilTe en a rêter la propagation fecrete. Les légiflatears qui ont prononcés d'autres peines, ont évidemment erré. (119) (119) ba rjéftiafj-fé étoit j/ümethezfes Grecs'& les Viiigors; par la caltration,  [ M3 ] Mélanges des efpeces. En effet, les hiftoires anciennes & modernes ibnt remplies de faits étonnans fur les accouplemens monflrueux qui les prouvent.Tout le monde connoit 1'aventure de Pafiphaé, tout le monde a entendu parler de Fenfant veau , de Fenfant loup , des amours de finges pour nos femmes, &c. Les législateurs ontordonné les peines les plus cruelles contre ces croifemens d'efpeces, qui ne tendent qu'a dégrader la nature humaine. Sous le pontificat du pape Pie III, une Italienne qui aimoit éperdument un lévrier, donna le jour en Tofcane a un quadrupede humain qui avoit les oreilles ck les quatre pattes d'un chien; Pinquifition fit brüler la mere & baptifer Fenfant. Pour moi, fi j'avois cru néceflaire de faire brüler un des deux étres, c'auroit été le quadrupede. Ce métis qui auroit pendant toute fa vie atteflé Finfamie d'une femme, auroit encore pu par un autre accouplement procréer un métis plus monftrueux. C'efl: ainfi que, defcendant de degrés en degrés, 1'efpece humaine pourroit être au bout de quelques fiecles entiérement dérigurée ck méconnoilTable. Placés au haut de Féchelle des êtres vivans, il ne peut jamais être avantageux pour'notre efpece Q ij  [ 2-44 ] de Ia croifer avec une claffe d'animaux inférieurs. Si ce mélange eft un crime pour nous, il ne 1'eft pas pour cet orailg _ OHfang ^ ^ avec une négreffe; il eft prouvé, dit un philoi ibphe, qu'il acquiert pour fa poftérité des droits plus étendus * 1'intelligence. Si la mefure des crimes eft celle du tort fait k la fociété, la beftialité eft donc un crime énorme, puifqu'elle tend a la dégradation entiere de 1'efpece, & qu'elle nous fait rapidement graviter vers cet abrutiftement oü Ia faraeufeCircé plongea les malheureux compagnons d'UliiTe. Je ne parle point ici de l'outra.e que fait cette aclion k la nature. Je peins 1'homme en fociété, ck non 1'homme naturel, & fous ce point de vue j'applaudis aux fages décrets de ces législateurs qui foumettent feulement a 1'opprobre I'homm2 dépravé qui, blafé fur les embraffemens des Lucrece ou des Afpafie, ofe fe proftituer k des quadrupedes. Hermaphrodifme. Parlerons-nous ici du crime bizarre de 1'hermaphrodifme, imaginé par les hommes dans les tems oü ils croupiffoient dans 1'ignorance, ce crime qui aux yeux du fage n'eft qu'un jeu de la nature? On a pofé des ümites k fa puilTance; on Ju: a tracé la loi qu'elle devoit fuivre dans le myf-  [ 145 ] tere de Ia génération, & Ton a puni cruelleinent les individus dont 1'organifation s'écartoit de cette loi. Rappellerai-je ici les loix fanguinaires de ces Grecs & de ces Romains qui étouffoient ou maffacroient les androgynes, comme des êtres contrefaits, dont 1'organifation bizarre faifoit bonte a la nature ? Dans les fiecles de cette barbarie qui caraétérife le berceau des gouvernemens modernes , on a chargé d'anathême les hermaphrodites, comme s'il eut êté en leur pouvoir de ne naitre qu'avec un fexe; ck on les a exorcifés, comme fi on ne pouvoit réunir deux organes générateurs, fans être moitié homme ck moitié diable. Ce fanatifme des Européens s'eft même retrouvé dans le nouveau monde ; les Mexicains dévouoient ces infortunés a la mort. Législateurs qui lübftituez a ces loix de fang des loix plus conformes a la raifon ck a 1'humanité , lifez ce qu'a écrit a ce fujet un philofophe moderne, ck que fes obfervations judicieufes fervent de bafe a notre code dans fon rapport a 1'hermaphrodifme. Phil. de la nature , tome IV, p. 145. « Si 1'hermaphrodite, dit-il, eft un mélange » des deux fexes dans un égal degré d'imperfec» tion, il eft condamne par la nature a un célibat » éternel. La loi doit le regarder cemme un » vieil enfant; & d'ordinaire 1'hermaphrodite qui Q «i  [ 24* ] n eft un enfant par fes organes générateurs , 1'eft » aufti par fon intelligence. » Quand 1'androgyne n'a qu'un de fes organes » parfaits, i! doit adopter le fexe qui domine en » lui, & en prendre 1'habit & les mceurs. Sinon » ü mérite d'être puni pour avoir trompé fes con» citoyens & trahi la nature; la peine au refte ►> d'un pareil délit doit être dans Fopprobre plu» tot que dans les fupplices ; une fentence qu[ » condamneroit un pareil hermaphrodite outra» geroit plus la nature que le crime même. » Mais peut-on condamner a mort le vérita» ble androgyne qui pourroit engendrer avec » une femme & concevoir avec un homme ? Si » un pareil individu exifte,il eft dans la nature » comme la plante qui renferme chez foi le piftil » & Pétamine ; il ne mérite pas plus d'être puni v pour cette furabondance d'organes générateurs, » que 1'homme ordinaire chez un peuple d'an» drogynes... En un mot, législateurs , corrigez » les coupables fans les exterminer, & refpeftez » les hermaphrodites.» Parens qui projlituent Uurs tnfans. Ce n'eft que dans ces vaftes états oü le luxe entraine un défordre néceiTaire dans la morale, oü le riche voluptueux, par un raffinement de cor-  [ M7 ] ruption, achete chérement le déshonneur du pauvre, qu'un pareil crime peut être commis. C'eft un vice indéraeinable du gouvernement, & qu'il feroit ridicule d'y punir, paree que le chatiment n'y amélioreroit pas les mceurs & ne rendroit pas auxames corrompues leur énergie , leur pureté. Si le défordre eft caché, la juftice ne doit pas y porter un cejl imprudemment inquiet. II faut favoir cacher a propos a un état fa maladie. S'il eft public & trop fcandaleux , fi 1'aRias de certaines circonftances 1'agrave, il fera aflez puni par 1'opprcbre qui fuivra le coupable ; la juftice doit fe contenter d'indiquer au public le malheureux qu'il doit fiétrir par 1'ignominie. Dans ces états oü la vertu a encore de fon énergie & oü 1'on y croit encore , il faut pumr plus févérement ces pareus cruels qui vivent du déshonneur de leurs enfans. A l'intemie civiie il faut joindre la publicité , flétrir le coupable , en le promenant ignominieufement dans les rues avec un écriteau déshonorant, en le renfermant dans les prifons, après l'avoir dcgradé du titre de pere, & le forcer enfin a y travailler pour eux. Pröjlitufion d'une femme par fon maii. II eft clair que fi les femmes ne font que des meubles ( 120 ) deftmés p' r le plaifir des hommes (120) LesPéguans lailfent leurs femmes quand ils Q iv  [ 248 } celui qui en achete une peut en céder la JouilTance k fon voifin. Mais fi ce joli meuHe penfe, raifonne , agit comme 1'homme, il a bien Pair d'être fon égal, d'avoir les mêmes droits; & alors a quel titre un mari difpoferoit-il ainfi de fa femme en faveur d'un tiers ? Lorfqu'une femme a promis d'unir fon fort k 1'homme qu'elle aimoit, lui a-t-elie promis de fe vendre k un autre quand il en auroit la fantaifie ? Non, fans doute. C'eft donc d'abord de la part du mari violer la loi du mariage, le droit facré de la femme, que de la proftituer k un autre; mais eft-ce aufii un crime dans 1'ordre focial ? II paroit que dans prefque toutes les fociétés les législateurs ont voulu faire refpeérer le lien du mariage; ils croyoient que fi le fort de cette union n'étoit pas fixé, il en réfulteroit un défordre dans 1'état. Car un mari eftime-t-illa femme, peut-il la rendre heureufo, peut-il chérir fes enfans, lorfque la regardant comme un animal domeftique , il la prête k celui qui la lui loue ? Non , fans doute : alors il n'y a plus s eridegoutent, & les vendent quand elles font infi. Jelles. Les plus confidérables du pavs abandonnent leur epoufe a un autre la première nuit du mariage _ La radon de ces fingulieres coutumes eft dans Po' pinion qu ont les Peguans de leurs femmes; ils les regardent comme des meubles : un Peguan met fa lemme en gage.  [ 249 ] d'honneur , plus d'ame dans 1'efclave malheureufe qui obéit, plus de lien que le vil lien d'intérêt dans le cceur du faux mari, plus de mceurs, plus de rapport entre le pere & les enfans: tout s'anéantit. On ne concoit pas comment, d'après ces réflexions, les Anglois peuvent tolérer cette proftitution maritale, & peuvent permettre a un époux de men er au marché fon époufe, & de vendre fon honneur. II y en a plus d'un exemple furprenant dans cette nation policée: cet ufage eft répandu parmi beaucoup de nations qui vivent encore dans 1'ignorance; mais c'eft qu'on n'a pas encore fu y apprécier la valeur des femmes , fixer leur rang civil, connoitre leurs droits. Une femme, 1'égale de fon époux , ne peut être qu'a celui que fon cceur a choifi; c'eft la loi naturelle. Elle eft dégradée, fi 1'on peut difpofer d'elle comme d'un meuble, & 1'état s'anéantit dès qu'on avilit une femme. Et comme il eft important dans une république qu'il y ait des Cornélie , des Porcie, &c puniflez donc les Meftaline, les Fulvie & leurs corrupteurs. Mais quelle peine inniger au mari ? La tircr de la nature de la chofe. II a violé la loi fainte du mariage, il s'eft rendu indigne du titre d'époux ; il faut 1'en priver, lui öter fa femme, fes enfans,  [ ZfO ] & Ie forcer cependant de travailler toujours pour leur fubfiftance. II faut rendre public fon défhonneur, afin de prévenir les malheureufes qui pourroient encore être vicTimes de ces féductions. II faut même le bannir; en reftant il pourroit propager la corruption. Proftitution dune maitreftè a fes domeftiques. C'eft encore un des vices de ces femmes qui fe croient au-deflus des mceurs, tk qui finiflent par les corrompre; laiflez au mépris public le foin de les punir. Comment fe peut-il, a dit un fage ( Prix de la juftice & de Inumanité) que Conftantin , le plus débauché des empereurs , ait condamne ces domeftiques a être brülés tk les femmes a être décolées. II étoit abfurde de condamner les domeftiques. Pourquoi refuferoient-ils un plaifir qu'on leur offre tk qu'on leur paie ? Quant aux femmes , c'eft le gout d'une ame blafée fur tout, & ce n'eft pas par la mort qu'on punit ce vice ordinaire dans un état plein de luxe, il faut ou le bannir ou en admettre les conféquences. Méprifée du vil objet de fes complaifances, méprifée de foimême & de Ia fociété, fi la faute n'eft pas expiée, les mceurs font bien vengées. Célibat. Le célibat eft un crime dans la nature, il 1'eft  [ *fl ] encore dans la fociété. La nature tient a tous les êtres ce langage facré de la divinité : Croijfe^ & multipliesr. La fociété dont le bien-être augmente en raifon de la population , le répete a tous les citoyens. C'eft donc être doublement criminel que de garder le célibat. Qu'il y ait des états oü des hommes qui ont cherché a fe diftinguer par des ungularités, aient recommandé le célibat comme une vertu très-méritante, cela n'eft pas furprenant •, mais ce qui 1'eft, c'eft que des monarques aient fouffert 1'introduction dans leurs royaumes de principes auffi anttpolitiques, c'eft que dans un fiecle auffi éclairé que le notre on n'ait pas öté les fers d'une infinité d'efclaves des deux fexes qui gémiflent fous le joug afTreux du célibat qu'ils ont fait ferment d'obferver. II eft une autre efpece de célibataires , dont la philofophie moderne n'a pas peu contribué a augmenter le nombre. L'égoïfme, ce vice trop commun, dont lefouffle delïeche 1'arbre de la patrie, s'eft répandu par-tout. On craint 1'indigence, les chagrins; on redoute le lien conjugal, on le fuit, on s'en dédommage par des plaifirs ou fadices ou clandeftinement dérobés. Malheur aux états oü la corruption amene le goüt du célibat, oü l'égoïfme profcrit les engagemens & produit mille branches  [ ] parafites & fainéantes qui rongent le tronc. L'opinion publique même, en flétriiTant ce vice, ne 1'extirpe pas, paree qu'il eft f'ondé fur le fentiment du bien-être. Pour punir ces deux efpeces de célibat, il y a deux moyens a prendre : pour le premier, les états doivent faire ouvrir les portes de ces retraites, profcrire a jamais ces vceux toujours regrettés de chafteté éternelle , tk déchirer ces bandeaux funeftes qui dérobent tant de beautés aux plaifirs de 1'amour. L'autre fera plus difficile a guérir. Augufte fit des loix pécuniaires contre les céhbataires, tk le nombre n'en diminua pas. Cependant c'eft, je crois, 1'unique reffource. Doublez , triplez les charges du céhbataire, diminuez proportionnellement celles du pere de familie, alors on n'aura plus d'intérét a garder un trifte célibat, tk la population augmentera, paree qu'elle deviendra un titre d'exemption pour le citoyen. Chez les Gaulois , un jeune homme étoit déshonoré , quand a vingt ans il n'étoit pas marié. Cette fage coutume a été adoptée par bien des peuples; reilufcitons-la, & que l'opinion publique flétriffe les malheureux qui confacrent a la ftérile inaélion la plus belle faifon de la vie. ( i 2 i ) (122) Pour remédier ou plutöt prévenir les abus  [ M3" 1 Oijiveté. L'oifiveté n'eft qu'un vice de 1'opulence, ck il feroit ridicule de le punir. Tout citoyen riche veut jouir , ck la jouiffance perpétuelle exclut 1'idée du travail. En faifant travailler les pauvres pour augmenter fes plaifirs, il paie 1'efpece de tribut de travail qu'il doit a la fociété. II eft une autre efpece de gens oififs, que dans certains états la crédulitë iuperftitieufe entretient, ck que le vulgaire honore. Ces fainéans profitent de Terreur du vulgaire , de la tolérance funefte des monarques. Les punir feroit une atrocité; les profcrire feroit une juftice. L'oifiveté eft le iiéau des états. Voyez 1'Efpagne. C'eft par des récompenfes qu'on peut faire naitre 1'amour du travail. Les punitions manqueroient leur but. II eft des gouvernemens que le célibat engendre , il eft un moyen bien fimple, qu'employa 1'Efpagne autrefois. Elle étoit dépeuplée en 1625. On fit publier cette ordonnance, que ceux qui fe marieroient a 1'age de dix-huic ans, feroient pendant quatre ans exempts de tous impöts ; que ceux qui fe marieroient avant cet age, pourroient fans permiffion & malgré leur minorité gérer leurs biens & ceux de leurs femmes; que tous ceux qui auroient eu fix enfans males, feroient exempts a perpétuité de toutes efpeces de charges , & que les biens confifqués feroient employés a doterde pauvres filles. L'ordonnance qui empêche les enfans males ds fe marier avant trente ans fans le confentement de leurs peres, eft très-contraire au mariage.  [ ] qui entraïnent cette oifiveté après eux : a Ifphahan & a Conftantinople il doit y avoir beaucoup de gens oififs, paree que les grandes propriétés font entre les mains de peu de gen;. A Amfterdam il n'y en a point. En un mot, 1'homme oifif eft un mauvais calculateur; il faut 1'inftruire & non pas le punir, exciter en lui le gout du travail plutot que de charier fa fainéantife. (122) Pcffion du jeu. Un des plus grands maux qu'entraine l'oifiveté dans les fociétés nombreufes , eft 1'amour du jeu. C'eft un fléau des grandes villes; on a tenté mille iuoyens pour le fupprimer, & on n'a jamais réuffi. Les peines corporelles font trop rigoureufes, les peines infamantes font inapplicables, les pécuniaires font le< moins mauvaifes , quoiqu'elles aient des inconvéniens. Je ne puis m'empêcher de tranfcrire ici un paftage excellent d'un écrivain que j'ai cité plufieui s fois « Le goüt du jeu en lui-même n'eft pas fufcep» tible du frein des loix. Comme acTe il eft indif- (122) Solon chargea 1'aréopage du foin d'informer des moyens dont chacun fe fervoit pour fubfifter, & de chatier ceux qui menoient une vie oifive. Par une de fes loix, il étoit permis a chaque particulier d'in, tenter accufation a un homme coupable d'oifiveté.  [ ifj 3 » férent. Comme paffion il n'eft pas illégitime. » L'homme a qui la nature a donné ce penchant, » n'eft pas plus criminel que celui qu'elle a brga„ nifé pour aimer le vice, & ainfi philofophique„ ment le jeu n'a rien de condamnable. „ ( Anna les de Linguet, tome VII.) Mais il entraïne a des excès. La loi par conféquent ne peut-elle pas le ioumettre d'avance a un frein qui le contienne ? Je crois qu'elle ne le doit ni ne le peut. Elle ne le doit pas. Tous les penchans naturels menent au crime, quand la raifon cefle de les diriger ; mais il faut attendre qu'ils foient arrivés a ce degré de fureur & de perverfité, pour appeller le chatiment ck la force publique. Alors même ce n'eft pas le penchant, mais 1'abus, que vous déférez aux tribunaux. Un joueur frippon n'eft plus un joueur; c'eft un voleur, il faut le punir comme Cartouche : mais ce n'eft pas plus le jeu qu'il faut flétrir ck prétendre fupprimer , que ce n'eft 1'amour contre Lquel vous févifléz quand on demande juftice d'un rapt. Aufti, quand la loi s'eft laiflee emporter a cet excès, elle n'a fignalé que fon impuiflance. Rien n'a été , n'eft ck ne fera plus parfaitement inutile que les ordonnances fut cet article. Et ce qui le  [ itf ] prouve, c'eft qu'elles n'ont jamais été exécutéesv Dés lors, non-ieulement elles ne font pas un bien, mais elles deviennent un mal. II n'y en a peut-étre pas de plus grand ;dans la fociété que de multiplier des regies qu'on enfreint impunément: ce défordre eft plus dangereux encore que 1'uiage des dez ou des cartes; ck tel fera prefque toujours le fort d'une loi injufte , caraétere effentiel de toutes celles qu'on a portées contre le jeu. ^ Les unes ont attaché 1'idée du crime & Ia punition a la fomme jouée. La reine Anne, George II en Angleterre ont déclaré coupable indiftinétement quieonque perdroit plus de cinquante livres fterling; mais il n'y avoit dans cette peine ni équité , ni proportion , ni prudence. Le petit marchand qui ruinoit fa familie en perdantquarante livres fterling, n'étoit point puni; & le lord , le négociant opulent qui donnoient au hafard fans s'incommoder une fomme qu'une chanteufe , un caprice encore moins excufable leur auroit enlevé Je lendemain , .s'ils ne 1'avoient perdue aujourd'hui fur une carte, étoient expofés 3 des pourfuites flétriffantes. Y a-t-il rien de plus extravagant tout a la fois & de plus inique ? Et ces mêmes hommes dévoués a la févérité des loix pour une infracïion qui ne pourroit intérelTer leur fortune 3 n'auroient rien eu a redouter de  [ 1,7 1 de plus rigoureux, quand ils auroient pouffé Ia défobéiffance mille fois plus loin. Cinquante-une livres fterling ou cent mille conftituoient le même crime; la différence n'étoit que pour les délateurs, que la loi conftituoit les bourreaux, puifqu'elle leur adjugeoit la dépouille du coupable. Eft-il poffible que de pareilles regies trouvent dans les tribunaux, dans les adminiftrateurs réguliers de la juftice , des exécuteurs ou plutót des complices ? Non, fans doute; Sc tout ce qu'opéroient ces princes par leurs finiftres précautions, quand ils déclaroient nulles toutes les dettes contraótées au jeu , quand ils attachoient des récompenfes aux délations Sc promettoient le fecours des loix a 1'infidél.ité, c'étoit de travailler a rendre leurs fujets bas , parjures entr'eux, rebelles a 1'autorité légitime. Ils corrompoient de tout leur pouvoir ces mceurs qu'ils s'efforcoient d'épurer , ce qui eft le plus horrible des röles Sc la plus affreufe des méprifes pour un législateur. D'autres ont févi contre le jeu en lui-même : Louis XIII a déclaré par une ordonnance , infames , inteftables Sc incapables de tenir jamais offices royaux ceux qui auroient joué aux jeux de hafard. Mais pa* cette loi auffi méprifée que les précédentes, il ne faifoit que multiplier les exemples du defpotifme furieux Sc inconféquent qui a Tome I, R  £>5H fignalé tout fon regne depuis 1'aiTaffinat de fon premier miniftre & l'emprifonnement de fa mere jufqu au moment que la Baftille peuplée par fa fqibleffe devint défertc par le méme principe ï la mort du cardinal. Mendians & vagabons. La mendicité eft fouvent le fruit de la parefle & plus#)uvent encore un vice du gouvernement • dans le premier cas, il faut pumr cet homme qui perd dans 1'inaélion fa vigoureufe jeuneffe, & qui tend baffement au riche cette main qui pourroit etre utile k 1'état. L'employer, c'eft le meilleur moyen de le punir. Ce n'eft pas en renfermant des mendians dans des prifons infèéres qui font plutöf des cloaques que des demeüres de figures humaines, qu'on arrêtera la mendicité. Vous dépeuplerez 1'état; mais le mal fubfiftera toujours. Quand ï'agriculture eft honorée dans un pays ; quand une contrée qui n'étoit couverte que de triftes landps, d'affreux déferts , offre par-tout le fpeftacle d'une' riante prairie ; quand les arts font perfeétionnés, quand le commerce floriftant embraffe les deux poles de 1'univers', quand enfin les manafaftures multiplient a 1'envi leurs produélions qu'elles répandent par-tout, alors on ne voit pas dans la fociété de ces excitoyens, de ces êtres parafites qui,  L M9 J couvrant leur nullité, leur parefïe, du trifte voile de 1'indigence, fe vouent a 1'inacTion , Sc vivent du travail des autres. Voyez la Chine Sc la Hollande. Les mendians font des ulceres qui rongent un corps déja gangrené. C'eft lorfque le cultivateur furchargé d'impöts abandonne la charfue Sc laifle croitre des ronces dans fes fïllons fertiles, lorfque les canaux du commerce font engorgés, lorfque les manufaétures dépériflent, qu'on voit des milliers de bras robuftes réduits a une inacTion forcée. Punir les mendians alors, c'eft punir un peftiféré d'être attaqué, dans le fein d'une ville peftiférée, de ce fiéau épidémique. Détruifez le mal dans fa fource, Sc tout rentrera dans 1'ordre. Monarques, ótez ou diminuezles impöts qui fe détr uifent d'eux-mêmes, ótez ces entraves qui gênent la circulation du commerce , encouragez les manufaétures, Sc vous ne verrez pas des mendians fervir de témoins contre votre gouvernement , Sc attefter qu'il y a des malheureux dans vos états. Sous Henri IV, fous Frédéric , il n'en eft point. C'eft en marchant fur leurs traces que ce jeune roi que 1'Europe admire a tenté de bannir de fes états la mendicité; mais a-t-il pris des mefures aflez juftes pour atteindre ce but ? II ordonne aux mendians de fe retirer dans le pays de leur naiflance, d'y prendre un état qui puiffe les R ij  C 260 j faire fubfifter; JI ordonne d'enfermer dans des maifons de force tous les mendians qui n'obéiront pas ö fes ordonnances. Mais fi ces mendians retirés dans le lieu de leur [naiftance n'y trouvent pas de quoi iubfifter, fi fes avances indifpenfables des frais onéreux desimpóts qu'ils font hors d'état de payer leur ferment 1'entrée du commerce, fi ce commerce languilTant ne leur offre point des débouchés avantageux, fes punira-t-on donc de leur impuifiance ? Comment concilier cette fage loi fur la mendicité, avec ce funefte édit burfal fur fes communautës, qui a ruiné dans les provinces une mfimté demarchands en détail, qui, hors d'état de payer fes frais énormes d'agrégation, de maïtnfe, ont fermé leurs boutiques ? Oui, ce font fes impötstrop exceffifs qui font les mendians. Dans un état heureux il n'y en a pomt,on n'y voit point de ces affreufes prifons qu'on mmu\z maifons Je force, qui cachent Je mal de 1'état fans le détruire. Ah < fi ce jeune monarque , aux yeux duquel on'veut dérober ce trifte fpecla, cle , pouvoit y pénétrer, ne verferoit-il pas des Jarmes en voyant tant de Francois qui béniflent fon nom,amoncelés, prefTés comme descadavres dans un cimetiere,des fquélettes s'empoifonnant réciproquement, dévorant quelques morceaux d'un pam dur qu'on leur jette, appellant la mort a grands  [ 26X ] cris ? Ne feroit-il pas révolté de voir des bourreaux martyrifer en fon nom des êtres dont il ne veut que le bonheur ? II y a dans la France tant de manufacTures k élever & k étendre, tant de canaux a ouvrir, tant de ehemins k faire, tant de landes a défricher , tant de terreins mal cultivés, qu'on ne concoit pas qu'il y ait tant de mendians. Le nombre en diminueroit fans doute, fi le travail offroit k chaque individu un avantage certain , êc il eft dans le pouvoir d'un monarque de procurer cet avantage. La mendicité n'eft point un vice de 1'homme naturel; elle humilie un être indépendant, elle le dégrade; & comme c'eft un delïr inné dans tout citoyen de jouir d'un fort heureux , de jouir de 1'eftime de fes femblables, il n'eft point de travail poftible qu'il n'embraffe avec ardeur pour atteindre a ce but. II y renonce lorfque toutes les voies lui font fermées : voila Ia caufe de la mendicité, la fource des voleurs. La fociété n'a plus rien a craindre de leurs effets coupables, fi 1'on détruit la caufe. ( 12 3 ) ( 12 j ) L'académie de Chalons-fur-Marne avoit propofé pour fujet d'un prix en 1777, d'exaniiner les caufes de la mendicité, & les moyens de 1'extirper; elle a recu plus de cent mémoires, & après avoir diftribué le prix, elle a publié un réfumé de ces mémoires. R üj  [ ] Je ne parlerai point ici de quantité de délits moraux qui dépendent de ceux que nous avons exammes' °U ^ troP '«inutieux doivent échapper dit il le „écroïoge crimi^^lcil^énmn' t er que de quatre-vingt-dix mille hommes qui dar.; n fee" li vfiCde TT rf°US le ^ ff uft on a recours, même dans les tems les plus reculé, ! Xt£ " ™Mdidté: «-«S les moyens moraux peuvent fe réduire a on'»*» chefs pnneipaux : ,.. féducation de la jeunelTe 5 1 aumóne, fhofpitalité , 4°. les hópitaux ' Les moyens coaétifs confiftent dans les loi'xpénales POrtces contre es mendians. L'humanité les nrefcdt i ? P;°f'e/in[UffifanCe des m°y™ moraux ' L,e ?6S h°Pitaux' o" trouve une peinture STtttttüus ,e;abus,qui y re^ent-S"" penaant de celle que je donne des prifons On traite dans la feconde partie , des" moyens les  [ i63 ] a la plume du législateur univerfel. Les législateurs particuliers peuvent les infcrire dans leurs cadres, & leur attacher des peines dans les proportions que nous avons indiquées. Ivrognerie. Ainfi il eft des crimes légers dans les monarchies , qui doivent être punis févérement dans les plus propres a extirperla mendicité. ic. Renvoyer les mendians dans le lieu de leur naiffance , & 'obliger les communautés a en prendre foin en les faifant travailler. z°. Former un fonds deftiné a leur nourriture. 3°. Supprimer 1'aumóne publique. 4°. Diminuer le nombre des hópitaux. Réformer ceux qui feront confervés. 6°. Veiller a 1'éducation phyfique , morale & religieufe des orphelins. 70. Ëtablir des monts dc piété dans les principales villes de la France. La troifieme partie roule fur quelques autres moyens particuliers, dont les uns ont pour but de prévenir la mendicité , les autres de la détruire. On y traite de 1'établiffement des manufachires & métiers ,"des récompenfes & exemptions, de la réduction des fêtes, de rétabliifement des maifons de travail libres & volontaires , des maifons de force pour y renfermer ceux qui troubleroient 1'harmonie de la fociété ,& les y occuper utilement. Tels font, par exemple , les travaux publics, comme nettoiement des ports, fouille de terreins fangeux , defféchement de marais, defrichement de landes, &c. Avant cet ouvrage on avoit vu paroitre fur le même fujet un eifai fur le projet de 1'établilfement d'un hópital général dans la ville de Liege, & fur celui d'extirper la mendicité, de la prévenir, &c. par M. de Heuzy. Voyez encore un tres-bon mémoire publié fur cet objet par la fociété d'agriculture de Soiflbns en 1763. R iv  [ *enve_ pour óter b 5ef SnC ^ft B? mille que Ion veut ' & exten™er la fa- méïanrderifure » ^! 2?f m!s <ï"eWnotes par pas. Une 10^7,™' . 8 Une aéh'°n nel'eft claroit crim nels d" -i^'"8 & Honorius dé- «31 étoit eoupabl? SSS* nM« rinc"eftrenut'0'"!3^""6 deS mi- empereurs,T pareH Sk ^ 'f^1**^ des perfonne, &B3S^^^^ 'eur autrement. ' dle ne ParI«oit pas diu^décïare Li £ S^F* > ****** & W ' ' d£Clare les faux WWioyew, coupables du crime  C *7i ] loppent du manteau royal pour détourner les coups que 1'humanité & la liberté blefiees doivent leur porter. Enfin , a la lueur de ce principe de lefe-majefté : n'eft-ce pas confondre les idéés ? " La loi Julia déclaroit coupables de lefe-majefté ceux qui fondoient, vendoient des ftatues de 1'empereur, qui jetoient des pierres par hafard contre ces ftatues, &c. Une loi d'Angleterre paffee fous Henri VIII, déclaroit coupables de haute trahrfon tous ceux qui prédiroient la mort du roi. Cette loi étoit trop vague. Henri tomba malade, jamais fes médecins ne voulurent lui dire qu'il étoit en danger. II n'ya que les tyrans qui multiplient les crimes de lefe-nujefté, qui les devinent même , pour avoir un prétexte de punir. Un Marfias fongea qu'il coupoit la gorgea Denis. Celui-ci le fit mourir, difant qu'il n'y auroit pas fongé la nuit, s'il n'y eütpenfe le jour. C'étoit uiie grande tyrannie; car quand même il y auroit penfé, il n'avoit pas attenté. Rien ne rend encore le crime de lefe-majefté plus arbitraire que quand les paroles indifcretes en deviennent la matiere. Les difcours font fi fu jets a interprétation, ilya tant de différence entre 1'indifcrétion & la malice,& Hyena fi peu dans-les éxpreilïons qu'elles emploient, que la loi ne peut les foumettre, ces paroles, a une peine capitale, a moins qu'elle ne déclare expreflement celles qu'elle y foumet. Par-tout ou les paroles indifcretes font crime de lefemajefté, non-feulemént la liberté n'eft plus, mais fon ombre même. . Ce n'eft que lorfque les paroles font jointes' a Rad tion , comme lorfqu'un homme va dans une place exhorter les fujets a la révolte, qu'il y a crime de lefel majefté.. . Autrement on renverfe tout, fi Pon fait des paroles un crime capital, au lieu de les regarder comme le figne d'un crime capital.  [ 171 ] invariable, Pindifcrétjpn n'eft plus un crime de lefemajefté , les libelies ne font que des imprudences. Cinq-Mars n'eft qu'un infortuné, de Tlïou eft une viéfime innocente. Dans un gouvernement modéré & fous le defpotifme les loix contre les crimes de lefe-majefté font également inutiles. Dans 1'un le prince eft aflez gardé par 1'amour de fes fujets: des milliers de janiflaires font dans l'autre un trop foible rempart. Les édits multipliés de celui - ci n'annoncent que fa frayeur ; le filence de l'autre eft la preuve de fa fécurité. Monarques qui afpirez a mourir paifiblement fur le tróne, foyez donc aflez forts pour n'avoir pas befoin d'édits. Chéris, vos précautions feroient une infulte gratuite a vos enfans; déteftés, la menace de la loi ne fera qu'une amorce au crime qui prépare le bonheur public. Ces réflexions amenent naturellement une obfervation vérifiée par 1'hiftoire de tous les pays, c'eft qu'il n'y a de crime de lefe-majefté, de fédition, de révolte, que fous les mauvais gouvernemens. Ainfi Fon ne vit jamais tant d'accufations de crime de lefe-majefté que fous le foupconneux Louis XI; 6c par une fingularité remarquable, il n'y en eut aucune de prouvée. Lors donc qu'un état éprouve ces crifes violentes qui nécefiitent -les crimes de lefe-majefté, ce n'eft pas a punir ceux  [ m ] ceux qu'on croit criminels qu'on doit s'attacher • mais a réformer le vice du gouvernement qui les blelTe. Si les échafauds prouvent que le prince eft le plus fort, le murmure général démontre qu'il eft injufte > la voix publique proclame comme martyrs les viélimes de fon courroux ; ck le feu de la révolte toujours mal éteint par 1'effufion du fang, n'attend qu'un louftle plus heureux pour fe réveiller avec fureur. Rien ne prouve donc mieux la préfence du defpotifme ck 1'approche d'une révolution violente , que la multiplicité des accufations de crime de lefe-majefté. Henri VIII, roi d'Angleterre, fait déclarer Anne de Boulen criminelle de lefe-majefté , pour avoir dit que le roi n'avoit pas eu fon cceur. Le philofophe ne voit dans Henri VIII qu'un tyran poffédé du démon de la jaloufie ck tourmenté par le defir du changement, dans fa maitrefle qu'une imprudente, dans le peuple qu'un troupeau d'efclaves qui ne devoit pas tarder k fecouer le joug de fes maltres. Par une conféquence néceflaire, la févérité dés peines dans ces cas eft une preuve de la foiblefte des monarques ck de leur dureté , ou des vices de leur gouvernement; par-la on explique pourquoi le duc d'AIencon fous Charles VII, ck le duc de Nemours fous Louis XI, font traités li diftérem» Tome I. S  C 274 ] ment pour le même crime. Or , quel prince aimêroit plutót relTembler a 1'ombrageux & cruel prifonnier de Péronne, qu'au bon , qu'au jufte libératêur de la France ? Quel prince aflez peu fenfé préférera les cages, les feux, les fupplices atroces imaginés par 1'un , au renfermement, a fexil infligés par l'autre, aux êtres aflez malheureux pour ne pas chérir un prince univerfellement aimé ? ( 126) De ces courtes obfervations naiflent ( L'hiftoire de France contient une foule de procés criminels intentés contre des perfonnes du rang le plus diftingué; mais aucun ne fut fuivi avec plus d'appareil, jugé avec plus d'équité, que celui du duc d'Alencon fous Charles VII. Latrahifon de ceduc étoit claire, fes liaifons criminelles avec le roid'Angleterre étoient prouvées; il fut condamnéa mort & fes biens confifqués, l'exécution toutefois differée jufqu'au bon plaifir du roi, & cependant fes biens, excepté lë duché d'Alencon , reftitués a fa femme & a fes enfans. Le duc fut renfermé a Loches pour fa vie. Ce jugement honore également la mémoire du généreux Charles, & 1'ëquité de fon parlement, affez rare dans ce fiecle d'ignorance. II auroit dü plus fouvent être imité , & la France n'auroit pas vu depuis tant de barbaries judiciairement exécutées. Le duc de Nemours, par exemple, pouvoit être coupable du crime de lefe-majefté ; mais par quel inimaginable raffinement de cruauté placer fous 1'échafaud oü ce prince infortuné perdit Ia vie, fes malheureux enfans , afin que le fang ruiftelat fur leurs têtes ? La haine implacable de Louis XI, 1'acharnement qu'il mit dans ce procés ,,la vivacité^vec laquelle il le pourfuivoit, 1'attention qu'il eut a ne lui donner pour juges que fes créatures ennemies du duc, la promelfe de  [ ^75 1 deux principes généraux qui jeteront beaucoup de lumiere fur cette fection. 1. Peu ou point de crimes contre 1'état & le roi dans les bons gouvernemens. 2. Peines modérées contre les criminels de lefe-majellé. Moyens infaillibles de prévenir ceux a naïtre. Je defcends dans les détails. Crime de haute trahifon. Salus dominantium fuprema lex eft. Vouloir renverfer la forme du gouvernement établie dans une contrée, verlër le fang des chefs leur liyrer fes' dépouiljes, le partage abominable qui en fut fait, tout ne concouroit-il pas a prouver 1'iniquité de ce jugement ? Dans 1'affaire de Robert, comte d'Artois, Philippe fit éclater la même modération que Charles VII. Robert fut fimplement banni du royaume, & fes biens confifqués. Je recjrerte que le bon Henri IV n'ait pas pardonne & Biron: il parut dans tous les tems un bon Francois, il auroit été meilleur s'il eut été pardonné, & 'fans' doute il fe feroit emprefTe de laver fa faute. Le monarque d'ailleurs étoit maitre de le tenirdans une prifon éternelle. II crut peut-être cet exemple néceflaire dansun tems oii lestrahifon6 étoient fi communes. Le fameux connétable de Bourbon, déclaré criminel :1e lefe-maiefte par arrêt du 28 juillet iV-?7 , ne fut point condamné a mort; on lui óta fon nom de Bourbon, fes armes; on confifqua fes biens, &c, S ij  [ i76 ] de fa nation ou de fes concitoyens, fe concerter avec leurs ennemis, les introduire dans la patrie: voila les carafteres ordinaires de ce crime focial qui varie en raifon des gouvernemens. Ainfi tout homme qui a le bonheur de naïtre républicain , contrafte 1'obligation de foutenir les intéréts, la forme de cette adminiftration. Caülina , Spunus, Manlius étoient donc criminels; tk ce fier Brutus qui afiaffina fon pere pour ne pas careffer un tyran , ne fit qu'acquitter fon obligation civile. L'innovation eft un crime, fur-tout quand elle bouleverfe un état, quand elle arme le pere contre le fils, quand elle fait couler des flots de fang pour renverfer le tröne d'un monarque, ou la ftatue de la liberté, n'importe quel foit fon but. Ainfi ce fougueux Efpagnol qui, pour venger i'outrage fait k fa fille, ouvrit aux cruels Maures lesportes de fa patrie, tk joiguit les brandons de la vengeance k ceux de la haine religieufe; ainfi ces ligueurs acharnés , dont le fanatifme ali mentent le courroux contre le plus généreux des monarques; ainfi les Robert, comte dArtois, les connkabk dc Bourbon, les duc de Montmouih qui porterent les armes contre leur patrie, contre leur roi, furent des criminels de haute trahifon. Quelle eft la peine de ce crime ? Je n'en connois point d'autres que 1'excommunication civile,  [ 277 ] que Ia confifcation des biens ( 127 ) du coupable, que le bannilTement. Un criminel de haute trahifon viole le ferment qu'il a fait de foütenir fa patrie, il doit donc perdre les privileges qu'elle lui procuroit. II rentre dans la clalTe des ennemis ordinaires, il doit donc être traité comme eux. J'entends les Phalaris qui s'écrient: quoi, point de taureaux, point de buchers j point de roues! Non. Ces buchers , ces roues prouvent que vous craignez votre ennemi, mais non pas que vous foyez juftes. Je conviens qu'il doit y avoir différence dans la peine , lorfque le crime a des circonftances différentes. Ce brave prince de Condé qu i, mécontent de Mazarin, fe jetoit ouvertement dans les bras des Efpagnols qui venoient a la tête d'une armee faire trembler le miniftre Italien dans Gien , étoit fürement moins coupable que ce confpirateur fourbe qui, abufant de la confiance de fort fouverain , trama fourdement fa perte, & le poignarda en lui baifant la main; on ne fe défie pas d'un ennemi qu'on ne connoit point. Tout citoyen mécontent de la forme du gou- (127) La confifcation des biens eft, je crois, la feule peine qu'on puiffe infliger a un homme qui quitte le fervice de fa patrie pour un fervice étranger. Du moins c'eft ainfi qu'en a penfé le congrès en fe contentant d'ordonner la confifcation des biens des Torys. S iij  [ z78 J vernemerit fous Icquel il eft né , a le droit de Ie quitter, d'abjurer fa patrie. Si, comme Coriolan , de Romain devenu Volfque, il vient porter le feu & la flamme dans fon ancienne patrie , ce n'eft qu'en ennemi qu'il doit ê(re traité, puifque fon abjuration 1'a fait rayerde la lifte des citoyens. Si couvrantfonjnécontentenmt du myftere, ii refte dans la patrie en cherchant cependant a la bouleverfer, sUabufe des moyens qu'elle lui fournit, paree qu'elle lé regarde encore comme un de fes enfans; ce n'eft pas un ennemi, c'eft un traitre , un perfide, un tóche,qui perd par fa fourberie' non-feulement le privilege de citoyen , mais même le droit d'être traité en ennemi ordinaire. Une prifon éternelle, jointe a de rudes travaux, doit être fon fupplice. Ces.réfiexions prouvent que ,pour apprécier exaótement le crime de haute trahifon, il faut en pefer bien fidélement toutes les circonftances: d n'eft fouvent que le produit. des circonftances, ou des manoeuvres d'un mimftre qui s'identifie aYec la majefté du tröne pourécrafer fes ennemis. (128) J'en ai trop écrit fur ce fujet, (128) La haute trahifon eft un crime'dont les fouverams fe font fouvent fervis pour Perdre des lujets qu ils haï(foient, dont ils avoient juré la perte dont ils avoient aliéné 1'efprit par des dégoüts, des  [ 179 ] paree que je ne ferai jamais fuivi. Ce n'eft pas la raifon qui fait les grands criminels, c'eft 1'événement. Dans ces tems de troubles oül'on voit éclorre difgraces réfléchies & méditées. Parcourez 1'hiftoire des perfonnages accufes de ce crime , vous verrez que fouvent il n'exifta point, que fouvent les rois .y forcerent 'leurs fujets. Voyez chez les anciens Phiftoire de Démétrius, fils de Philippe roi de Macédoine , accufé & condamne d'entretenir des liaifons perfides avec les Romains. Lifez 1'hiftoire moderne, & vous ferez étonne de voir deux fils pourfuivis par leurs propres peres fous le prétexte de ce crime , jugés a.leur follicitation , condamnés a mort fuivant leur vreu. Qui ne fait 1'hiftoire de 1'infortuné don Carlos, victime de la jaloufie de 1'ombrageux Philippe II, de la perfidie d'un cardinal quifouilla fon regne par plus d'une atrocité ? Qui ne fait la trifte fin du Czarowitz, fils de Pierre premier, qui pouvoit être fauvage , ennemi des innovations heureufes de fon pere , imbécille même 11 1'on veut, mais qui n'étoit pas criminel? Qui ne fait 'pas que le connétable de Bourbon aimant, adoranc fon roi, fa nation , ne prit jamais qu'a regret les armes confr'elle; qu'il ne quitta fa patrie que pour fe fouftraire a l'opprobre dont avoit juré de le couvrir 1'implacable duchefle d'Angoulême qui vouloit allumer 1'amour avec les flambeaux de la vengeance dans ce cceur noble qu'avoient fubjugué les charmes de la trop aimable ducheffe d'Alencon ? Le crime de Cinq-Mars paroit d'abord plus démontré, puifqu'il introduit dans le royaume des troupes étrangeres , puifqu'il entretenoit une correfpondance , faifoit des traités avec le roi d'Efpagne ? Mais 1'horreur qu'infpire le premier afpect d'un crime , diminue quand on réfléchit que la cour de France étoit alors enchainée fous le defpotifme d'un impérieux cardinal; que le but de ce traité étoit uniquement de lui S iv  C 180 ] les horribles faélions des Armagnac* &desBourgu.gnonS des Guelphes & des Gibehns,des Bleus & des Verds, des Rofes rouges & Manchesce n eft pas un code criminel tracé par 1'humanité' que les vainqueurs s'empreffent de fuivre ; on ne ** point alors, on tue tout ce qui n'a pas le figne , & e cnme de haute trahifon eft toujours au nadir oe Ia roue de fortune. Je fuis même prefque tenté d'effacer cet article , quand je vois Cóme de Medicis & Teil fi heureufement claffés parmi les criminels de lefemajefté. (129 ) fo P0UV0irs' ^ rendre aü monarque firiuS lnlrülent- Etcepomtne peut foufïrir de dif Jculte, pu,fqUe ce traité porte qu'il ne fera rien ftt mrinn V R-en "e prouve mieux comb''en la dénomi- Vit les feize mener a la potence fous prétexte de re beUion les magiftrats généreux qui ofoien au mSi u" mefUlrUtmi£ 16 parti du %'öme roi Une trahifon auffi frappante ouecell- 1X„ Portée, eft ceIIe du malliux^m ^3  1281 ] Si cependant les monarques aflez heureux pour vaincre les rebelles, font aflez juftes pour fuivre les regies de la juftice dans la condamnation de leurs ennemis, ils doivent fe dépouiller alors de leur autorité, & confier a leurs fujets le foin de punir leurs fujets, en obfervant (130) les for- royaume de Naples, vaincu par Charles, fon fortuné rival, dans la plaine du Lis. On connoiflbit alors fi peu le droit des gens & de 1'humanité , que ce jeune prince qui auroit dü être traité avec tous les égards que méritoit un prifonnier illuftre , fut regardé comme un rebelle & jugé comme tel. Les juges, difent les hiftoriens du tems, après avoir réfumé avec foin toutes les raifons tirées des loix & du droit public , déclarerent Conradin & fes complices criminels de lefe-majefté divine & humaine, & comme tels les condamnerent a mort. On fait la farce religieufe qui fuivit cette ab, furde condamnation, & qui précéda la mort de Conradin. Remarquez bien qu'on avoit découvert cent ans auparavant le code de Juftinien , cette lumiere des nations; qu'on 1'étudioit alors par toute 1'Italie, & que ce fut ce code qui fournit la preuve du crime de 1'infortuné prince. Le crapuleux Edgar, roi d'Angleterre, veut forcer une mere a lui livrer fa fille: cette femme défolée ufe de ftratagême, fubftitue une fervante a fa fille. Le roi furieux veut faire déclarerle pere & la mere coupables du crime de lefe-majefté ; & fes juges le prononcent! ( 130) Les cours de juftice ne peuvent être alors trop difficiles pour 1'admifilon de 1'accufation & des preuves, ni trop exactes pour bien caractérifer & diftinguerce délit; le crime de haute trahifon ne peut être fpécifié trop clairement, & 1'on ne doit point le confondre avec d'autres crimes contre 1'état. On a prétendu que Parrêt contre le malheureux  [ i8z ] malités ordinaires ck les regies de 1'équlté; ou s'üs interpofent leur pouvoir parmi celui des juges, ce ne doit jamais être que pour faire taire par un généreux pardon la févérké des loix. Machiavel écrivit autrement; mais il n'avoit que des Alexandre VI & des Borgia fous les yeux, .& je n'ai devant les miens que Louis XII & Henri IV. RÉGICIDE. Crime de monarchie. C'eft le defpote qui aiguife lui-méme le glaive dont il eft percé, foit en ferrant trop cruellement les chaines de fes efclaves, foit en éten- Lalli péchoit par ce cóté. 11 fut condamné a être décapité , comme duement atteint & convaincu d'avoir trahi les intéréts du roi , de 1'état, de la compagnie des Indes, d'abus d'autorité, vexations & exadtions. M de Volcaire ( Proces criminel du général Lalli) a obfervé que ces mots trahir les intéréts ne fignifient point une perfidie, une trahifon , un crime de lefe-majefté, en un mot,la vente de Pondichériaux Anglois, dont on 1'avoit accufé. .. 16 Abus d'autorité, ajoute M. de Voltaire, vexations , exaólions font auffi des termes vagues & équivoques , a la faveur defquels il n'y a point de préfidial qui ne püt condamner a mort un général d'armée. II faut une loi précife , des loix certaines... Le général Lalli pouvoit être dur; mais il n'ya point de loi en France qui dife que tout général qui fera un brutal aura la tête tranchée.  [ *8j ] dant le voile de l'ignorance, ou en empruntant le poignard toujours fanglant du fanatifme. Je pareours la lifte des rois malheureux, peut-être coupables, dont une main audacieufe termina les jours; & je vois ces meurtres s'opérer, ou darts des tems d'ignorance , ou dans le chaos terrible de fanarchie, ou lorfque 1'abominable doftrine du régicide fembloit être confacrée par des livres qu'on révéroit, & étoit prêchée par des fanatiques qu'on croyoit. Je tire le rideau fur ces funeftes tragédies qui tant de fois enfanglanterent les trönes des empereurs d'Occident; j'éloigne mes yeux de cette fuperbe Bizance, oü lê léopard qui y déchire les efclaves , leur apprend a fe jouer de fa vie en fe jouant de leurs jours. Je tourne mes regards fur ces contrées mieux policées, ou la balance paroit plus égale entre Ie peuple & fon fouverain : j'y vois avec effroi fe multiplier les régicides; j'y vois Charles premier monter fur un échafaud, Henri IV, 1b meilleur des rois, expirer fous le fer d'un vil aiTaffin; je vois par - tout nos annales fouillées des attentats de cette efpece. Qui les a produits ? Le fanatifme ■! oui, le fanatifme religieux , qui a armé tant de fcélérats en prêchant la doéf rine affreufe du régicide; c'eft lui qui imagina la confpiration des poudres, qui conduifit la carabiije  r 284 ] que les complices du duc d'Aveyra ( 131 ) tirere.it contre le roi de Portugal; c'eft lui qui, exaltant 1'imagination de Clément, de RnfernaJ Ravaillac, des Damien, des Koluski, dirigea leurs coups affreus fur les jours de monarques chéns & qui méritoient de 1'être.... Rois de Ia terre , s'écrie u„ philofophe, jugez maintenant entre le philofophe tranquille qui vous éclaire, & le fombre fanatique qui vous égorge, & profcrivéz, fi vous 1'ofez , le dogme facré de la tolérance ! Je ne vois que deux époques oü les monarques doivent trembler pour leurs jours: c'eft dans cet inftant fatal pour eux , oü le troupeau d'efclaves, las de languir dans les fers dont le poids leur eft infupportable, préfere a I'efclavage un glorieux trépas; ou lorfque 1'ignorance couvrant les yeux, le fanatifme de concert avec elle coi>duit a fon gré le couteau des Damien. Les Céfars ont péri viéhmes de Ia première caufe, & I'on fait affez que le pays oü Malagrida exiftoit, n'étoit pas le centre de la philofophie. ( 1 ? 1 ) On travaille, dit-on, en Portugal a la révifion de ce fameux procés. Si les auteurs de cet attentat parviennent a fe juftifier, il y a beaucoup a parier qu'ils devront leur innocence a la haine générale contre le marquis de Pombal.  [ i8f ] Que les rois faffent donc des heureux, que les peuples fouffrent que le flambeau dès fciences les éclaire, ck les trönes ne feront plus couverts du fang des chefs de la nation. Quel citoyen ne fera pas le gardien de fon monarque, quand il verfera fur lui la coupe du bonheur? Et pourra-t-il naïtre un Clément, lorfque la douce philofophie répandra fes rayons par-tout ? Je m'occupe moins ici des fupplices des réglcides, que des moyens de prévenir ce forfait affreux. Et qu'itnporte qu'on les falTe périr dans des lupplices affreux ck qui révoltent 1'humanité ? Des cendres de Chdtel il nalt toujours un Ravaillac : c'efl: dans le repaire horrible qui a vomi ces bêtes féroces qu'il faut pénétrer; c'efl; la qu'un miniftre philofophe a opéré ce prodige. Je ne le décrirai pas.... Je vois des jurifconfultes s'inquiéter fur la maniere de faire périr un régicide, ck ne pas trouver des fupplices aflez cruels Des fupplices, il n'en eft point pour ces monftres; Clément recut tranquillement la mort. Des fupplices! Augufte pardonnant a Cinna, Henri IV a Chatel, voila pour le régicide un chatiment plus dur & bien plus capable de corriger que les tenailles, la poix fondue, ckc. On n'entendra pas fans doute ce chapitre a Ifpahan ou a Conftantinople , ni dans les.  I iSó ] . contrées oü les favoris érigent en régicide 1'attemte qu'un f„jet offenfé donne l leur vie ou k leur honneur. (132) Libelles diffamatoires. C'eft faas doute un crime de lefe-majefté que derépandredans le public des écrits oü 1'on outrage la perfonne des fouverains. Punir les faifeurs dehbelles eft un ade de juftice ; leur pardonner eft un aéte d'hérpïfme. Mais qu'il en eft peu qui reflemblenta Julien le philofophe, a Henri IV k ce duc d'Orléans fi calomnié, fi grand cependant, qu. pla.fantoit même furies violentes Phihppiques qu'un obfcur verfificateurpnhlioit contre hn,a ce Charles XII qui aimoit (133)3 mé- Jff'tUl ff.0itqüe,le ^ d« Guifes füt bien pu.ffant pou faire condamner aux fupplices réfervés pour-fes afiaffins des rois, Poltrot quftua le duc d Lruiie au liege d'Orléans en 1563. Remarquez que Poltrot étoit proteftant & dans le feTsnSTr al01'Se'1 p"erreo"Verteavec Ie* Guiles , & quc Poltrot nomma pour fes complices famiral de Coügny & M. de la Rochefoucault 0i|?) Vcni difoit-il a Pamtafladeur de France malahcamus dc rege. Son rival n'en agilfoit pas auffi noblement. Un Ruflé publia un volunie concre la puit d, CZar KerreP"»fer: le hvrefu déclare hbelle par les juges, & on condamna l'auteur è manger Ion propre ouvrage. La fentence fut exécutée pubhquement & a Ia lettre: l'auteur fut obligé dWafer tous les feu.llets les uns après les autres, tun dofé  [ iS7 ] dire de lui-même avec fes bons amis! C'eft qu'il eft bien peu de rois qui favent s'élever au-deflus du vulgaire, qui ne cachent pas fous une écorce brillante toutes les foibleftes des ames ordinaires. La vengeance eft au-deflous de la divinité; elle n'eft un plaifir que pour 1'homme : ck que de rois font hommes! Si un monarque législateur vouloit s'honorer aux yeux de 1'univers, il raieroit du nombre des crimes de lefe-majefté celui des libelles ; on n'en fait point contre les bons princes, ou du moins 1'amour de leurs fujets les venge bien promptement en couvrant d'opprobre le malheureux qui ole les déchirer; les Tibere, les Henri VIII, les Louis XI ont feuls droit de punir les fatyriques, paree que la vérité des tableaux peut leur nuire. Philippe V fe promenoit dans Séville fans garde, un courtifan le lui fit remarquer. Chaque Efpagnol, dit-il, n'eft-il pas mon gardien? Sous un pareil prince il n'y a ni que le chirurgien jugea n'être point dangereufe. Si le livre étoit bon , cette fentence finguliere prouvoit feulement que le defpotifme du prince aimoit quelquefois a s'égayer :s'il étoit mauvais, 1'oubli dans lequel il feroit tombé, étoit un chatiment bien plus naturel. II eft fi facile a un fouverain de qualifier de libelle ce qui n'en a pas 1'ombre ; il eft fi facile de punir, que la peine en pareil cas le dégradé plutót que de dégrader la victime.  [ 288 ] faryriques ni prifon fecrete. ( 134 ) Je ne prétends pas ranger dans la claffe de ces tbelles plus méprifables que dangereux, des écrits molens tels que ceux qu'enfanterent pendant la menftrueufe ligue le fougueux Bouchet, Guignard & cent autres. Ils infpiroient la fédition, ils rallumo«rit un feu mal éteint;ils étoient dangereux , f taIIoit ,es réPrimer Pl«s que. les punir. On condamna Guignard a la potence; c'étoit trop honorer ce féditieux : il falloit le chatier du mépris, Ie reduire aufilence, a 1'obfcurité, comme Bouchet. Le dédain -d'une ame généreufe eft uncoup ' de foudre pour ces harpies qui ne cherchent qu'a diftiller leur poifon inutile. Encore une fois, monarques qui briguez 1'adoration , le refpeft de vos fujets, effacez ces longues énumérations de crimes Les écrits, fuivantM.de Montefquieu contiennent quelque chofe de plus permanent que ^ Paroles : mais lorfqu'ils ne préparent pas un crime de efe-majefte, és ne font point une matiere du crime de efe-majefe. Augufte &Tibere y attacheren? PS la peine de ce crime; Augufte a Poccafion de eer ain3 tErfÏÏ °T/ h°mmeS & des femmes illuft Tibeie, a caufe de ceux qu'il crut faits contre lui. Rien dru?fofS 3 r1 ' 13 libe"é Romaine" Cremutïus Co- anöIS C%^ dMS fes annal" ü avoit appe le Caffius le dernier des Romains Les èrrilï fetynques font tolérés dans les démi! rt es .Dan" e monarchies „niesdéfend; mais on en fait plutót un li jet de -pohce qu'un crime. de  [ i89 ] de lefe-ïnajefté qui fouillent vos codes, de peines prononcées pour les libelles & les écrits clandeftins; écrivez a la place ces paroles remarquables qu'on attribue a Théodofe, mais qui me paroiffent trop belles pour FafTaffin de Faufte : « Si c'efl légéreté, méprifons; fi c'eft folie ; » ayons-en pitié ; fi c'eft deflein de nuire , par» dorinons. » En effet il n'y a que le defpotifme qui ait prononcé des peines capitales contre les auteurs de libelles & les poëtes. Ces hommes qui renverfent la liberté , craignent des efprits qui peuvent rappeller 1'efprit de la liberté. C'eft pourquoi les décemvirs a Rome, & Sylla après eux, voulurent que, les efprits fatyriques fuffent punis de mort. Mais les princes vraiment grands diront toujours comme Céfar : «Je fais vaincre & mourir, tk ne fais point » punir. » Les bons gouvernemens , en regardant avec indifférence ces fortes d'écrits , doivent porter la même tolérance dans les difcuffions ou littéraires ou religieufes, tk ne pas traiter de crime d'état tout ce qui s'écarte de l'opinion du prince. Ainfi jamais un fouverain ne doit prendre parti dans les querelles littéraires, ni vouloir ramener par 1'autórité les efprits au fyftême qu'il adopte j Tome I. T  [ 19° ] Quand un parlement célebre rendit un arrêt en faveur d'Ariftote contre les Ramiftes, il ne fit que fervir la paffion de quelques particuliers fans arréter fa révolution qm fe préparoit dans nos connoiffances ; c'étoit un léger nuage qui vouloit s'oppofer aux rayons de la vérité. On ne regne point par les édits ck les arréts ( 13 5 ) fur les confciences ni fur les efprits. La carrière de la littérature & des opinions doit être libre; les monarques peuvent être fpeéïateurs, mais jamais juges des combats. II faut laiffer cette ombre d'autorité au public qui fe confole par-la de fon efclavage. Chacun a ce métier Peut perdre impunément de 1'encre & du papier. C'eft cependant par la févérité des peines que Ie créateur de la Ruffie prétendoit affermir la révolution qu'il vouloit opérer dans les efprits. Les changemens qu'il faifoit dans les mceurs, dans les coutumes de fon pays, avoient aigri contre lui tous fes fujets. On lui faifoit un crime de Ia (ij?) Le parlement de Paris n'eft pas le feul qua ait voulu fixer le gofit en littérature. Un arrêt de la chambre étoilée d'Angleterre condamna J'avocat Prinom a avoir les oreïlles coupées au pilori, & en une amende de mille livres pour avoir écrit en 16?; ua livre contre la comédie que Charles premier aimoit beaucoup.  [ 2QÏ 1 civilifation qu'il introduifoit, tk chaque inftant voyoit éclorre un effaim de fanatiques qui, fe revoltant contre fes innovations, attentoient a 1'ordre qu'il avoit établi, 8c fouvent a fes jours. Le czar étoit alors terrible dans fes vengeances. Mais devoit-il 1'être ? La clémence d'Augufte n'auroitelle pas touché 1'ame fimple de 1'agrefie Mofcovite ? Falloit-il verfer tant de fang pour faire fleurir les arts ? Falloit-il qu'il le verfat lui-méme, qu'il dépofat le fceptre pour prendre la hache du bourreau ? Le fupplice ne faifoit-il pas une moindre iinpreffion fur 1'efprit du fpeélateur, lorfque le czar ne paroifloit qu'auouvir fa vengeance en maintenant fa conftitution nouvelle ? Les révoltes renaiffoient a chaque inftant. La caufe en étoit fimple. Rlvolu, féduion, Nous Favons déja dit : c'eft. fous les mauvais gouvernemens qu'on éprouve le plus fouvent ces commotions terribles qui ébranlent les trónes & font couter la vie a une foule de citoyens. L'état eft alors femblable a cesvolcans redoutables, oü les élémens enchainés paroiffent- dans des éruptions violentes menacer la deftruéfion de 1'univers entier. Tout y feroit tranquille , fans un ferment pernicieux qui, fourdement agitant les efprits , met enfin tout en eftervefcence tk fait éclater T ij  [ 191 ] Forage ; ce levain eft toujoufs le réfultat d'un mécontentement général de la nation, occafionné par la tyrannie ou les défauts du gouvernement. Qu'on parcoure en effet 1'hiftoire de tous les peuples & fur-tout de ce peuple libre, prefque toujours agité par des tempêtes comme 1'océan qui Fentoure ; & Fon verra que la mifere, les impöts exceffifs, les vexations des feigneurs envers leurs vaflaux , les concuffions des miniftres tk le fanatifme d'une religion mal entendue ( 13 6 ) ont occafionné ces fréquentes révoltes, ces guerres fanglantes qui ont tant de fois bouleverfé cette isle. Encore une fois, que le peuple foit heureux , qu'on lui donne une bonne éducation, tk il n'y (i;6) C'eft en partie a ce fanatifme religieux que Londres doit 1'inconcevable fedition qui 1'a défolée dans le mois de juin 1780. On avoit adouci le fort des catholiques par un bill, les presbytériens croient y voir le fignal de la rentree du papifme,ils s'aflemblent, des fcélérats fe joignent a eux, des harangues féditieufes échauffent les efprits: de la des incendies , & tous les excès auxquels peut fe porter une populace' effrénée. Oü étoit la caufe de cet orage ? Le vulgaire ne la voit que dans les difcours du lord Cordon ; dc le philofophe^ qui remonte plus loin, la trouve dans la mauvaife éducation qu'on donne au peuple Anglois. On lui fait fucer avec le lait la ;haine du papifme & des Francois. II doit donc être intolérant & féroce; & dans fa fureur, le peuple eft un lion qui ,furieux de vojr fon fang couler, fe dechire lui-même & fes petits. Joignez a cela le moment de crife oü eft l'Angleterre, <§; vous aurez le nceud de cet événement.  [ 293 ] aura point de révolte; le fouffle du bonheur fait périr le germe de la fédition. Voila le fecret des miniftres habiles. Depuis cjue les cabinets de toutes les cours de 1'Europe s'éclairent a la lumiere de la raifon qui perfectionne toutes nos connoillances , les miniftres ont appercu que les rois ne gagnoient rien a être tyrans, que leur autorité diminuoit 6c s'ébranloit en raifon de la trop grande étendue qu'on vouloit lui donner. Ils ont donc rapproché le monarque des fujets. Ils ont confolidé la bale du tróne en la reflerrant. Depuis que les fujets , inftruits par les malheurs de leurs aieux, par les fcenes terribles des guerres civiles, adoucis par 1'efprit de philofophie qui fe répand infenliblement par-tout, favent mieux apprécier les avantages de la paix, ils facririent fans murmurer une partie de leurs droits, pour jouir avec plus de fécurité de l'autre partie. Cet heureux accord fait difparoitre les caufes qui fomentoient les troubles dans les tems d'ignorance; &c il eft a préfumer que leurs veftiges s'effaceront, li 1'on s'attache a provigner par-tout les doux fruits de 1'humanité, 6c a étendre la fphere des fciences. L'époque fortunée de ce calme général eft cependant éloignée; la mifere qui ronge certaines contrées, le droit féodal qui en convertit d'auT iij  t m 1 trés en landes & en déferts, l'inquifttien qui ailleurs deffeche les ames, le defpotifme qui les dhU muitje; voila le levain qui nous menace de quelques révolutions. Que les chefs des nations, deftinés I Féprouver, fe gardent de croire qu'ils appaiferont ces révoltes par du fang tk des buchers. Ce font de trop foibles digües contre ces torrens; qu'ils cherchent la caufe, qu'ils la détruifent; ( 137 ) qü'ils ménagent les fupplices, ils fauveront des crimes a 1'univers, & des remords a eux-mêmes : car dans prefque toutes les révoltes il y a a parier dix contre un que leur origine eft dans le vice de 1'adminiftration. Si cependant les fupplices font crus néceflaires pour fuivre une proportion exacte entre le délit & la peine, i! faut bien diftinguer les caufes de fédition ; fans cette diftincf ion que ne fait pas le defpote, on s'égare au point de punir le moindre féditieux (i?7) En reprenant la note précédente, je diral que lAnpleterre fetrompe, f. elle croit avoir arraché ie germe des feditions, en faifant pendre quelquesfactieux. Ce n'eft qu'un palliatif pour le moment: qu'il le preiente une nouvelle occafion, & la fédition fe rehouvellera, paree que le levain fubfifte toujours. Ür ce tóvain ne peut être détruit qu'en changeant féducation, les idees fur la religion, qu'en adouciiTant les ntffiuts , qu en rendant le peuple heureux ; car un peuple qui eft malheureux & qui fe croit libre, ne craint point de s'enfevelir dans fes ruines, pourvü que les BöïeUfS de fa chüte pérüTent avec lui.  t *95 ] fcomme Je barbare Pugatfchew. II s'éleva en Irlande en 1766-dans Ia province de Munfter une révolte. Les rebelles étoient des malheureux qui, chafles de leurs maifons par des feigneurs qui avoient la manie d'avoir de grands édifices, de vaftes domaines, opprimés par les collecteurs des impöts, par les décimateurs, accablés par la mifere, furent forcés de voler pour pouvoir fubfifter. Ces levellers ou applanifieurs, qui dans le commencement fe bornoient a ce métier, furent bientöt joints par des fcélérats qui affaflinerent. On punit , & la punition n'arrêta que foiblement le mal. Le vrai moyen d'éteindre la rebellion, étoit d'offrir Ie pardon ck un afyle a ces malheureux. Un auteur ( Candid, Enquiry , London , Flexnty 1766 ) calcula que le malheureux cultivateur qui gagnoit i peine cent quatre fchellings , étoit obligé d'en donner a fon feigneur quatrevingt-quinze , cinq pour la dixme, deux pour la taille, ck qu'il lui en reftoit deux pour vivre : quand le payfan eft réduit a cet état de défefpoir, il eft forcé d'abandonner la culture des terres ck de voler. Ce n'étoit point encore par des fupplices qu'il falloit punir ces marchands d'Irlande, qui fe révolterent paree qu'on révoquoit les bills d'im-  [ 2Q6- ] porration des marchandifes d'Irlande en Angleterre, ni ces ouvriers de manufaétures angloifes qui forcerent le parlement a profcrire les draps francois. C'étoit le cri de la néceffité , & non de la révolte, & ce cri légitime tout. La perfpedive de la mifere commune alarmoit; & a moins de nous aflïmiler au mouton qu'on égorge & qui n'a pas la force de gémir, on ne peut priver le peuple du droit de faire entendre fes plaintes. Trop de févérité feroit alors une dangereufe faute en politique. Qu'on fe rappelle encore 1'hiftoire de la révolte caufée par 1'emprifonnement du célebre Wilkes , & cette émeute des bleds arrivée en France en 1774. Elle fut heureufement calmée par la modération. On ne cherche qu'a tempérer d'abord, qua intimider enfuite, qua faire un exemple effrayant. Deux des plus mutins furent pendus a une potence de plus de cinquante pieds, & cet exemple fut fuffifant. Quatre degrés principaux ferviront donc a mefurer la peine de rebellion. I. Sa caufe. Le murmure d'un peuple affamé dont le befoin ditte les cris, mérite plus d'être afioupi que puni. (138) Une émeute occahonnée ,( ijg ) Dans une de ces villes oü le luxe introduit neceflairenjent Ia fureur des fpectacles , une jeunelfe ettrénee cabalant pour une piece, en deraande plufieurs  [ *97 ] par la vexation d'un magiflxat qui abufe de for» pouvoir pour bleffer la vie ou la liberté des citoyens , eft prefqu'un devoir. 2. Le nombre des coupables. Les peines doivent diminuer en raifon du nombre. 3. Laqualité. Si c'eft une ville qui fe révolte, la privation de fes privileges, de fes honneurs, Paffujettiflement a une autre ville, font des peines fuffifantes. 4. Les fuites de la fédition. C'eft la principale mefure du délit & de la peine. Avant de finir 1'examen de cette efpece de crimes, il eft néceflaire de dire deux mots fur un délit qui y a quelque rapport. Je parle de la révélation de confeffion pour les crimes publics. Cet article ne regarde que les pays qui admettent la confeflion auriculaire. Eft-il permis de la révéler, lorfqu'il s'agit d'un crime horrible ou qui peut devenir dangereux pour la fociété ? II y a ici une diftin&ion a faire. Je n'emprunterai pas les lumieres de Peritas ou des Con- fois la repréfentation ; le magiftrat s'y oppofe & fixe une autre piece. Le parterre excite le tumulte; le magiftrat dont 1'autorité eft compromife, qui fe trouve infulté, ordonne aux foldats de tirer furies mutins; il y a un carnage affreux. L'oppofition du parterre étoitelle une fédition ? Non, fans doute, malgré les couleurs dont le magiftrat voulut pallier fon atrocité.  E 298 ] flrtncts tTJngers, je parle politiquement de cet ufage religieux. Ce feroit fans doute détruire la bonne foi, la connance du penitent au confeffeur, ck renverfer cette coutume , que de forcer les prêtres a révéler les crimes qui font commis , ck dont ils ont entendu 1'aveu. Quelle elle la femme qui avoueroit fes foibleffes , li elle n'étoit pas füre du fecret ? Mais il n'en eft pas de même des forfaits qui ne font point exécutés; un confeffeur ne doit point balancer a les révéler. On prétend que Ravaillac confia fon fecret a d'Aubigny fous le fecret de confeflion; qu'il eüt été révélé , le meilleur des rois n'eüt pas été aflafliné dans un moment oü il préparoit un bonheur durable a la France. Je fais que le concile, de Latran défend cette révélation fous peine d'anathême; mais le concile a-t-il pu faire une loi fi dangereufe, fi anti-fociale , ck cette loi peut-elle obliger les citoyens ? Je regarde comme complices en quelque facon du crime, tous ceux qui en ayant connoiflance pourroient le révéler ck ne le font pas. Ldcheté. Tous les gouvernemens font des machines immenfes, dont 1'art entretient 1'enfemble par mille re'florts faétices, Sc fouvent en forcant la nature.  [ 199 ] Rongés au-dedans par la vue de l'intérêt particulier qui en prépare lentement la diflolution , attaqués au-dehors par la jaloufie, 1'ambition, l'intérêt des fociétés étrangeres qui cherchent a s'engloutm les unes dans les autres, ils s'ébranleroient ck s'écrouleroient, fi les législateurs n'avoient pas oppofé a ce doublé vice le rempart d'une vertu qu'ils ont créée, du patriotifme qui n'eft que 1'orgueil national d'un cóté, ck fur le revers la haine ou le mépris du refte du genre humain érigé en vertu. De la le courage ou cette vertu male ck guerriere qui dans Ie danger des lieux qui nous ont vu naïtre, fait braver avec intrépidité la mort même a leurs défenfeurs. La lacheté eft le vice oppofé au courage. C'eft un crime politique, tandis que ï'héroïfme guerrier eft peut - être un crime dans la nature. Les républiques qui font réduites a la malheureufe néceflité de le rechercher, de le punir, touchent a leur déclin ou au defpotifme, ce qui eft équivalent. Dans les beaux jours de Sparte ck de Rome on ne fe doutoit pas de fon exiftence; alors le foldat échauffé par le titre glorieux de citoyen qu'il portoit , ne voyant dans fa patrie que fa mere, dans fes ennemis que fes ennemis perfonnels, n'ayant point d'autre maitre que la gloire , combattant pour ia femme, fes enfans, fes foyers, aftrontoit les  f 300 1 dangers avec ce fier mépris de foi-même, qui caractérife le vrai courage, fe multiplioit dans les combats, étonnoit 1'univers par fes viétoires 6c paroifloit redoutable jufques dans fes défaites. Un pareil foldat devoit être vainqueur ou ino urir. Les laches, ces infectes qui dévorent nos armées, n'étoient pas nés alors. Je jette les yeux fur nos conftitutions Européennes , 6c je vois que par leur nature elles excluent le courage en éteignant le patriotifme. Je vois ces effaims nombreux de machines armées que les princes trainent avec appareil aux combats; je plains ces viétimes dont le fang acheté a vil prix doit rougir leurs triomphes inhumains ; courageufes , elles doivent être doublement récompenfées; laches , elles ne méritent pas d'être punies. Ce langage paroitra nouveau. Militaires qui frémiflez, écoutez 6c jugez. Le foldat Européen n'eft qu'un objet de commerce ; fon fang acheté, marchandé , revendu, circule a un prix courant, comme celui de ce Negre que la cupidité enleve fur les bords du Sénégal pour raffiner nos fucres a Saint-Domingue. On arrache a fes foyers ce payfan, cet ouvrier. On lui paie, on lui efcroque le plus fouvent le prix de fa liberté; revêtu du fan benito militaire, on le transforme en efclave pour garder des efclaves, écarter 6c tuer les loups  L" 301 ] qui rodent autour du bercail; il tue des hommes comme le Negre plante des cannes de fucre,; il fait donc la guerre comme il feroit fon métier , il eft payé comme faifant un métier. Entrainé dans les combats, il ne fait pas pour quels intéréts il va fe battre; le plus clair eft qu'il n'en a aucun. L'événement lui eft fort indifférent. Vainqueur, il continue d'être efclave; vaincu, fon maitre change , Sc non fon fort. Et Fon voudroit que le foldat dont on a extorqué la liberté, dont on avilit 1'orgueil, dont on a dégradé 1'ame , que ce foldat tout - a - fait défintérefTé dans les querelles du prince qui le facrifie, fut courageux, c'eft-a-dire, facrifiat pour eux avec un noble dédain fes facultés Sc fa vie; Fon voudroit que, pret a recevoir le coup de la mort, il ne Févitat pas par fa fuite. La conftitution cjui défigure 1'homme Sc le métamorphofe en efclave, voudroit que fous fa verge de fer il devint héros le jour d'un combat. Si elle méconnoit les bornes de la nature quand elle la dégradé, la nature ne reconnoit plus aucune voix quand on 1'invoque. Les automates armés ne font toujours que des automates: auffi ne pouvant revivifier ce moteur puifïant, 1'honneur qui produit le courage, les princes cherchent a fuppléer a la qualité de bons foldats par le nombre de leurs  [ 302 ] efclaves, par une nouvelle méthode de faire k guerre, oü le vainqueur n'eft pas celui qui s'eft battu le plus bravement, mais celui dont le canon a mieux joué , caufé plus de ravages & détruit un plus grand nombre de ces machines guerroyantes; nouvelle raifon pour autorifer & légitimer la lacheté. Avant 1'invention de ces armes fatales qu'a vomies Penfer, le courage décidoit ordinairement du fort des batailles ; aujourd'hui c'eft prefque toujours le canon. La bravoure eft nulle, a moins qu'elle ne confifte a attendre intrépidement la volée qui va emporter des files entieres d'un régiment. Or , a moins de punir un homme qui calcule, je ne vois pas pourquoi fon puniroit 1'homme prudent qui prévoit le boulet & fan 1'éviter. Mais quand même il y auroit de la juftice a punir les Therfites, ils ne pulmleroient pas moins , paree qu'ils font le produit de la forme de nos gouvernemfens. Dans les monarchies le peuple eft nul • il n'y a donc point de patriotifme, donc peu de courage, peu de héros & beaucoup de laches. A la vérité il eft une idéé qui peut adoucir ces terribles vérités; les récompenfes, les honneurs prodiguésau glacial égoïfme peuvent 1'échauiTer, 1'éiever au-deffus de lui-même, lui faire opérer des prodiges inftantanés. C'eft a 1'efpoir de fon bien-  [ 3°3 1 être futur, & non a 1'amour de la patrie, qu'on doit ces éclairs de courage. Voila la baguette magique qui perpétue le courage dans nos armées, qui 1'y enchalne malgré notre vicieufe conftitution. Point d'officier diftingué qui n'ait toujours en perfpeétive le baton de maréchal, point de mince officier , point de foldat, qui ne cherche a s'élever aux poftes fupérieurs : cette image puiftante entretient dans leur cceur le feu de 1'ardeur martiale. Heureux les gouvernemens qui avec ce talifman illufoire trouvent encore des héros dans une pépiniere d'efclaves qui avec deux aunes de ruban ou une croix d'émail 8c en faifant retentir les noms de patrie 8c de vertu , auxquels ni les proteéfeurs ni les candidats même ne croient, peuvent créer des Bayards 8c des Duguefclin l C'eft le dernier, le plus foible des refforts, puifqu'il eft le fruit de l'iIlufion , puifqu'au fonds ce n'eft qu'un hochet avec lequel les chefs amufent de grands enfans, puifque , facrifice 8c récompenfe, tout ici eft enté fur l'égoïfme, le poifon des bons gouvernemens; mais encore vaut - il mieux que la, nullité de I'efclavage. Récompenfez donc le courage, vous le devez pour vous-même , vous le devez pour ce foldat qui a la folie de croire fa vie bien payée par une éguillette. Mais ne puniffez pas la lacheté dans lui \ elle ne peut étre  i 304 ] «n crime; ne Ia puniiTez que par la dégradation, le mépris public,dans 1'officier qui dés fon enfanceimbu du préjugé de 1'honneur, doit facrifier fans celle k cette idole pour le bien de 1'état, •pour le fien même. S'il ne veut pas lui bruler de 1'encens, il jouit au moins de la liberté que n'a pas le foldat, de quitter ce métier fanguinaire, oiUes titres pour les premiers emplois font les titres du malheur du genre humain. Le courage lui en ouvre les portes, la lacheté les lui ferme. ( 139) Mais lorfque la loi punit ce crime, elle doit -obferver deux points importans, d'abord de bien caraérérifer le crime de lacheté , afin que les juges en la fuivant k la lettre, ne commettent point d'atrocité ( 140 ); enfuite elle doit attacher k ce ( 139/ IIy a une foule d'idées dans ce feul petit paragraphequi ne font que jetées, & que j'aurois delire d approfondir; mais fi je voulois m'étendre, ie ne ferois pas un plan raccourci, mais un plan noyé dans des volumes: je fuis forcé d'être concis (140 ? ,? ?,efa"C pas définir ,a Acheté auffi vaguement qu elle 1 eft dans un article de 1'ordonnance de la manne angloife:, fervit aux juges de prétexte pour alfaffiner l amiral Byrrg, & fut cité méme contre 1'intelhgent Keppel. Toute pefonne, dit cet article, aui ne fera pas les derniers efforts pour détruirèvénnemi, foit par lacheté, mauvaife volonté ou néeligence qui quittcra le combat, cejfera le feu, fera pum de mon. II eft clair que cette loi eft abfurde & doit avoir des fuites cruelles, par cela méme qu'elle délit  [ 3°5 ] délit bien cara&érifé le peine qui dérive de la na-' ture de la chofe même, & pi éférer en conféqtience 1'infamie aux peines corporelles. ( 141 ) Difertion. Cet autre fléau qui défole nos armées , ne füt point connu chez les Grecs ni les Romains; 1'amour de la patrie y enchainoit les foldats a leurs enfeignes; le patriotifme n'eft, prefqu'aujourd'hui qu'un mot, ubi bene, ibi patria. Voila la dévife de 1'homme qui loue fa valeur a cinq fois par jour; voila la clef de ces émigrations fi eft trop vague, trop équivoque , & qu'elle favorife l'opinion arbitraire d'un juge. Une circonftance peut forcer un capitaine a celïér fon feu , a quitter le combat; la perfpedive d'une perte alfurée, Tefpoir de fauver des hommes précieux a fa patrie, peuvent étre desmotifs raifonnables de quitter le champ de bataille; & d'ailleurs la méchanceté armée du pouvoir fe fervira toujours avec avantage de ces expreffions obfcures, faire totisfeS effortspour détrnire ï'ennemi. Car comment iurer qu'un amiral aitfait ou n'aitpas fait tous fes eiforts ? En prononcant cet article bizarre , il falloit que la loi donnar une méthode pour reeonnoitre ce medium veritatis, & c'eft ce qu'elle n'a pas fait. Cette loi fi cruellecft celle de prefque tous les peuples guerriers & bai'bares. Ainfi les anciens Tartares condamnoient a mort les généraux qui n'avoient pas battu 1'ennemi. ( 141 ) Solon condamnott les laches k ne point en. trer dans 1'enoeinte privilégiée fa forum, a ne jamais porter ni couronne ni guirlande, a n'être admin en aucun endroit d'affeniblcc Idemnelle. Tome I, y  '1306 ] fréquentes des foldats Francois chez Fétranger , de Fétranger chez nous. (142) On a, pour prévenir ce mal, effayé tous les remedes, la févérité de la difcipline , la mort, le déshonneur : tout paroit avoir été aflez inutile, & tout doit 1'être a un certain point. Le foldat eft un mercenaire; peu lui importe la couleur de fon uniforme , peu lui importe qui il doit fabrer ou fufiller; celui qui paie le plus & qui gêne le moins, voila fon maitre. La défertioti eft un délit d'autant moins puniflable, que le pafte auquel il donne atteinte eft prefque toujours le fruit de manoeuvres odieufes, d'une féduftion évidente, ou du hafard, que ce pafte dans bien des pays, comme en Angleterre, eft nul par fa nature & Fextenfion forcée qu'on lui donne. En effet, c'eft un véritable contrat de fervitude. La nouvelle ( 143 ) peine infligée en France aux déferteurs, paroit ( 142 ) La défertion eft fréquente dans les trotipes Allemandes & Francoifes, elle ne 1'eft point en Pruïïè & en Angleterre: c'eft qu'ici les derniers font mariés , c'eft qu'en Pruffe la plupart des foldats font cultivateurs, font attachés a leur pays. En France ils ne tiennent a rien qu'a leur uniforme ,& on change d'uniforme avec tant de facilité! (iaj) Arrêt du confeil d'état du 16 janvier 1775, qui commue la peine de mort contre les déferteurs a travailler comme forqats aux chemins publics: il a aboli les corvées & a ordonné que les malheureux condamnés aux galeres y fuppléeroient.  I 3°7 ] plus efficace que la peine de mort. LTiumiliation , J'infamie qui couvrent le coupable, 1'appareil lugubre rendent terrible la cérémonie de & profcription. Dégradé, avili, dépouillé de fes habits militaires aux yeux de fes camarades, revêtu de haillons, chargé de fers, il eft promené dans cet équipage \ la vue de tout le régiment; ■on répete plufieurs fois cette cérémonie, & Ie coupable va enfuite aux galeres. L'impreftion de ce fpeélacle fur les patiens eft fi forte que par pitié 1'on enivre quelquefois le malheureux. Législateurs , quelle découverte! II y a donc encore , malgré les inftitutions qui développent 1'égoïfine, de 1'honneur dans les cceurs, de la pudeur fur le front des foldats. Voila les reftorts qu'il faut employer pout-les porter au bien. Humiliez le coupable; mais ne 1'aiTaffinez pas. Port darmes. II y a long-tems que les philofophes déclament contre 1'ufage abfurde fuivi dans prefque toute 1'Europe , de paroitre avec des armes au fein de Ia patrie, de fes arnis, au milieu même de la paix. Une loi qui interdiroit abfolument le port d'armes , feroit dangereufe; n'étant fuivie que par les citoyens paifibles, elle laineroit le fer dans la main du fcélérat accoutümé a violer les V ij  [ 3o8 ] conventions les plus facrées; elle muItipEcrok les affaflinats en livrant le citoyen fans défenfe aux attaques du fcélérat armé; d'un autre.cöté, que d'inconvéniens n'entraine pas la permiflion donnée indiftinftement a tous les citoyens, de porter les armes dans tous les tems, dans tous les lieux ! II faut prendre un jufte milieu; les profcrire entiérement, feroit favorifer les fcélérats ; les permettre indiftinétement, c'eft multiplier les duels. Comme la füreté des citoyens n'eft jamais expofée que dans les voyages, fur les chemins , ce feroit expofer cette füreté, que de ne pas permettre le port d'armes a tous ceux qui voyagent; mais ces citoyens arrivés dans 1'enceinte des villes , peuvent fe repofer tranquillement fur tant de bras qui veillent a leur défenfe. Ils doivent donc alors dépofer leurs armes. Ainfi le port d'armes permis fur les routes deviendra un délit dans le fein des villes. La confifcation des armes , une amende proportionnée aux circonftances feront fuffifantes pour punir cette abfurdité plus gênante que faftueufe. Pirateries. Les ravages inouis que les flibuftiers & les pirates caufoierft dans les deux mers, firent porter contre eux des loix trop rigoureufes en An-  [ 3°9 3 gleterre ck en Efpagne. Un pirate étoit pendu auffi - tót qu'il étoit pris. Dans la fuite on rait un peu plus de ceVémonie dans leur condamnation. On la fit précéder d'une information ck d'une procédure réguliere. La poftérité n'appprendra qu'avec étonnement, que des femmes même prenoient parti parmi ces pirates & commettoient avec eux des cruautés révoltantes. Ainfi Marie Réad ck Anne Bonny fe rendirent célebres par leurs pirateries. On a remarqué que tous ces pirates alloient gaiement a la mort. Marie Réad difoit a fes juges, que la potence n'étoit pas ce qu'elle avoit appréhendé, que les grands cceurs ne devoient pas craindre la mort. Son image eft donc infuffifante pour arrêter les coupables, il faut donc avoir re-cours a d'autres fupplices. On frémit d'horreur en lifant 1'hiftoire des atrocités de ces barbares, on rougit de porter le nom d'hommes quand on le partage avec des monftres qui-, non contens de s'abreuver du fang de leurs femblables, jouifloient avec volupté des douleurs qu'ils leur faifoient éprouver. Et fi 1'on put defirer de voir reflufciter 1'infernal taureau de Phalaris, c'eft pour y enfevelir tout vivans, ces deftruéteurs du genre humain. Mais non, ils périflbient encore trop tót. Profitons de leurs lecons , n'abrégeons pas leurs fupplices, éloignons V üj  I 31° ] le terme de leurs fouffiances & multiplions-en la durée; que chaque inftant de leur vie leur pefe comme un fardeau accablant; qu'ils defirent la mort , qu'ils ne pui/Tent Ia trouver. On ne voit plus aujourd'hui de ces pirates ; la mer Méditerranée feule eft infeftée par des corfaires a qui un fatal efprit de religion met les armes a la main, & qui regardent comme dévoués a leur chaïne tous ceux qui n'ont pas comme eux le prépuce coupé. II eft inconcevable que les puilTances Européennes, intéreflees a Ia deftru&ion de cet ennemi commun, le tolerent tranquillement. Comptent - elles donc fur le fecours de ces autres marins religieux qui n'ont hérité de leurs prédécefleurs que les biens immenfes qu'on leur a donnés dans des tems d'ignorance qui bornent leurs exploits & leurs vceux a quelques parades de caravane tk a une vie épicurienne ? Efpionnage. L'efpionnage eft le crime d'un ennemi qui abufe de 1'hofpitalité qu'on lui donne dans un état , pour en découvrir les fecrets tk pour les communiquer aux puiffances qui le foudoyent. L'efpion dans les camps fait précifément le même métier«JJ eft une autre efpece d'elpions gagés patIe tribunal de la police dans les grandes villes  C 3" 1 pour être a 1'affüt des délits & des criminels. La jurifprudence univerfelle de toutes les nations de 1'Europe couvre d'ignominie les malheureux qui vivent de trahifons. On devroit s'être arrêté a ce point que marquoit 1'équité; on 1'» franchi, & 1'on eft convenu tacitement de pendre les efpions découverts. Qu'en eft-il réfulté ? Que les efpions ont été plus rares, plus fecrets & plus chers. Toutes les puiflances ont a préfent pour leurs intéréts un befoin prouvé d'efpions ; toutes en entretiennent a grands frais dans toutes les cours amies ou ennemies, & toutes regardent comme criminel ce befoin politique. Comment concilier cette contradidion ? Et ce qu'il y a d'étrange, ce qui prouve bien que les puiflances fe jouent des peuples, c'eft que 1'efpion des particuliers eft récompenfé, & trahit fon ami, fon höte avec impunité, avec fécurité, avec fruit, tandis que 1'efpion des princes eft pendu ! Si 1'on pouvoit efpérer pouvoir réformer Ie droit des gens dans ce fiecle qui n'y croit plus, je dirois aux fouverains : L'efpionnage eft un des moyens de faire la guerre avec avantage , un moven de découvrir les defleins fecrets des nations ou ennemies ou alliées. Comment ne feroit-il pas licite, lorfque les ambafladeurs, quoique revêtus d'un plus augufte nom, n'ont pas dans le fait un autre but, V iv  [ ] un autre intérêt? C'eft un ftratagéme que chaque puilTance peut employer pour découvrir les forces & les projets de fa rivale; ftratagême auffi légitime que toute furprife militaire; ftratagême d'autant plus légitime, que les miniftres prévenus peuvent embraffer, connoitre d'un coup - d'ceil tout ce qui exifte autour d'eux, armer la défiance contre la fraude, oppofer la trahifon a la trahifon, la rufe k la rufe. Dolus an virtus, quis in hop requirat > A-t-on pendu les braves Efpagnols qui, traveftis en marchands, furprirent Amiens ? Envoie-t-on k la potence les corfaires qui changent de pavillon pour fe faifir plus ft}rement de leur proie? D'ailleurs, fi 1'on ne pend pas Je foldat, pourquoi pendroit - on 1'efpion ? L'un a trempé fes mains dans le fang de vos concitoyens, l'autre lui a marqué Pendroit oü il pourroit les égorger • s'il falloit prononcer lequel eft le plus coupable, fuivant la raifon & non fuivant le préjugé recu, y auroit-il k balancer? Je les regarde comme complices, tk alors ils doivent éprouver le même fort, lorfque le malheur les fait tomber entre les mains de leurs ennemis. Mais l'un, dit-on , attaque ouvertement, l'autre fe couvre du manteau de 1'impofture; il marche fourdement, il abufe de la confiance, il fe joue de la bonne foi,,,. Les fouverains peuvent-ils  C 313 ] citer la bonne foi ? Ah! li 1'on écoutoit fes oracles, fi on les refpecto.it, fi les rois eüx-mêmes y étoient afTujettis, auroit-on vu s'opérer de nos jours 1'incroyable partage des dépouilles des Polonois , oü la force des copartageans légitima leur ufurpation ? auroit-on vu tant de guerres fanglantes embraffer les deux mondes fans aucune déclaration de guerre ? Si la bonne foi étoit refpedtée, li 1'on pendoit tous ceux qui y donnent atteinte, que feroit devenu 1'affaffin de 1'envoyé Jumonville en 1755, ces forbans qui dans le fein de la paix pillerent une nation alliée, 1'amiral qui fans aucune agreffion, fans aucun préliminaire de guerre, s'empara fur un foupcon, de deux frégates d'une puiffance voifine ? &c. 8cc. Que de potences élevées $ fi 1'on y condamnoit les ennemis qui ont agi de mauvaife foi! Les vertus des puiflances font comme leurs traités, des hochets dont elles s'amufent pendant quelque tems , qu'on finit par brifer lorfqu'ils déplaifent. II eft clair par le fait que le droit des gens n'eft qu'une chimère, que la force eft le meilleur titre, que' la bonne foi n'eft refpeéfable qu'autant qu'elle ne nuit point a la force; il eft clair Sc avoué tacitement par tous les cabinets, que toutes les voies, excepté celles de 1'afTaffinat, du tomahawk , des atrocités, font permifes pour parve-  [ 3H 3 »ir a ce but oü 1'on tend. Voila en quatre mots le droit des gens de 1'Europe; je ne 1'excufe pas , je ne dis pas qu'il foit bon, je ne cherche point a le réformer entiérement : mes cris joints a ceux de tous les philofophes feroient impuiflans, je le fais; mais au moins j'obferverai a ces puif* fances, qu'il eft de ce droit des gens, tout injufte qu'il eft, qu'il ëft de. leur intérêt, qu'il eft enfin de 1'équité, de ne pas pendre les efpions. Si teut eft permis dans la guerre, i'efpionnage eft un des moyens les plus innocens; il 1'eft plus a coup fur que le moufquet tk le canon, ck il feroit a defirer qu'on ne fit la guerre que par efpions ck dans les cabinets. Comment donc traiter ces efpions ? En ennemis; faifir leurs papiers, leurs éffets, les renfermer dans une prifon jufqu'a ce qu'ils foient ran^onnés, échangés. Plus j'y réfléchis, moins je concois que jufqu'a préfent on ait été fi atroce envers eux : c'eft une fuite de la jufiice expéditive des militaires, qui prouve que les princes n'ont jamais été économes du fang qu'ils appellent vulgaire. Embauchement d'hommes. II eft évidemment démontré par les contrats de vente publique qui fe font entre certains fouverains du fang de leurs fujets refpectifs, que  C 3i5 ] ee fang a un prix, que c'eft une véritable marchandife dont 1'exploitation eft défendue, a moins qu'elle ne fok pour le compte tk au profit du pere du peuple. L'embauchement des fujets d'un monarque par un foudoyé d'un autre monarque, n'eft donc qu'une exportation d'un objet prohibé, qu'une fimple contrebande, & conféquemment ne doit être affujctti qu'aux peines inthquées contre les contrebandiers. Un homme qu'on embauche en Aüemagne, n'eft qu'un ballot de hine qu'on exporte d'Angleterre. Pour punir 1'embaucheur, il fuffit donc de connoitre le prix courant du bétail qu'on appelle foldat. Le prix connu, il faut condamner le coupable a payer Ie doublé tk le triple de la valeur du tort qu'il a fait J tk s'il eft dans rimpoflibilitédefatisfaire,il doit payer alors lui-, même de fa perfonne, c'eft-a-dire, être jeté en prifon ouaffublé d'une uniforme : voila la peine qu'indique le développement fimple de Ia nature du crime. Faujfe monnoie. C'eft un crime de haute trahifon au deuxieme chef dans certaines contrées, paree que c'eft un vol qui tombe fur tous les citoyens ; la mort eft le fupplice ordinaire des faux monnoyeurs. Nous fupprimerons cette peine trop difproportionnée au délit II vaut mieux faire travailler un faux mon-  Boyeura la monro e clu roi, que de le faire périr dans une cuve d'eau bouillante. ( Prix de la juftice & deChumanitè. ) C'eft le cri unanime de toutes les perfonnes fenfibles ck éclairées: c'eft Ia mifere qui engage ordinairement les hommes a fabriquer dans 1'obfcurité leur fauffe monnoie , raifon pour que les loix adouciftent leur nouvelle févérité. ( 144 ) Le croira-t-on, on n'y a pas encore fongé, méme dans les gouvernemens oü 1'on affiche plus de refpeft pour la dignité , 1'exiftence du citoyen. Contrebande. La contrebande eft un délit qui offenfe les loix du commerce d'un état. Un fouverain, foit pour protéger fes manufaftures, foit pour ne pas introduire le luxe dans fes états , prohibe Timportation des marchandifes étrangeres; Pm- (14+) En Angleterre la peine de ce délit pour le lexe eft le feu. L'homme également coupable n'eft qu etrangle. Cette étrange différence a cependant été adoucie par 1 ufage, tant la loi étoit atroce; on pend 1'infortunée avant I execution , mais on ne lui donne que dix mimi tes pour mourir; ce court intervalle paffé, on la livre aux fiammes. M. Linguet, dans fes Jnnales, s'eft élevé avec beaucoup de chaleur contre ce fupplice trop barbare. Nous ne repeterons point ces raifonnemens qui doivent frapper 1'efprit de quiconque réfléchira furladifproportion de ce tourment infernal 5 au crime qu'il veut punir.  [ 3^7] térêt fait franchir cette barrière au citoyen avide de lucre; s'il eft découvert, il eft puni cruellement. On ne fe contente pas dans certains gouvernemens de confifquer les objets de contrebande, on note d'infamie le contrebandier, on 1'envoie aux galeres , quelquefois même on le punit par la mort. La rigueur des loix en pareil cas eft un figne infaillible de la préfence du defpotifme , de 1'influence des traitans fur les loix. La contrebande n'eft qu'un délit pécuniaire ; c'eft donc une peine pécuniaire qu'il faut infliger au coupable. Confifquez fa marchandife de contrebande, impofez-lui une amende'proportionnée a la grandeur du dommage; mais gardez - vous d'attenter a fon honneur ou a fa vie. Noter d'infamie les. contrebandiers, c'eft renverfer toutes les notions fur 1'honneur, c'eft prodiguer en vain la marqué aviliflante de 1'opprobre public. La contrebande , dit M. Beccaria, naït des loix même qui la défendent, paree que 1'avantage qu'il y a a fe fouftraire aux droits, croit en raifon de ce que ces droits augmentent. On peut blefier l'intérêt focial en introduifant des Malines en Angleterre , ou en exportant des laines; mais le public qui ne voit dans cette aélion qu'un tort fait au prince, ne privé pas le coupable de fon eftime, 6k c'eft l'opinion publique qui fixe 1'jnfamie.  C 3«8 ] II eft inconcevable que dans un pays 0u p0ft •refpedreles droits de 1'humanité, comme en Angleterre, Ia contrebande des laines foit punie paf Ja mort. L'ignorance feule ou la tyrannie peut avoir difté cette loi de fang, fi difproportionnée au deht.L'on ne met pas de diftinöion pour la peine entre le contrebandier & Paffaflin. Que deviendra donc Ia différence entre les crimes, la regie de proportion qui doit établir un rapport entre la grandeur du délit & du chatiment ? (,45) Fraude. FaUtede connoïtre les vrais principes qui doi- fJ« ) Charles VI eft le premier en France qui ait condamne un coupable aux galeres. Quand cette con. damnation eft a vie, elle emporte riiortcivïïe ; on nm que furie dos du coupable ces trois lettres GAL Les fraudeurs & contre bandiers font condamnés aux ndnde Tl'I^^^^ converiion d a- k font ' f 3 prif£nt üétlh & ™^és; ils font neme admis a payer l'amende après le uge ment de Ia converiion, Depuisles déclarations de 744 •ir ' u'^ auX gaIericns fur les Ports, la pernnlfion detabhr boudque de leur métier. Cette peine a beu pnncipalement pour les crimes d'ufure, de faux La marqué eft une peine très-ufitée en France, quoi. que 1 endroit ou on Pappliqué la rende a peu prcs ïnu. tile. On condamne a étre marqués de la fleur de lis les coupables dans les cas de fouet & de la flétrilfure pour autre crime que le vol. Dans les états du pape on marqué les cnminels de deux clefs en fautoir, Jknt les armes du pape. ' ^ulLunz  t 3!9 1 vent diriger la législation pénale , que d'atrocités n'ont pas commifes les législateurs ! Ne mefurant les crimes qu'en raifon de leurs volontés ck de leurs caprices , les defpotes en ont trouvé partout. Et telle a été dans tous les tems 1'hiftoire de ces juifs , de ces lombards, de ces traitans auxquels on a abandonné la perception des impöts. Ils ont peint par-tout les fraudes des citoyens fous les plus noires couleurs ,'les ont fait regarder comme des crimes d'état, & ont arraché des princes des loix fanglantes pour les réprimer. Ramenons-les aux vrais principes. Le fouverain ou 1'état a droit d'exiger des impóts de fes fujets, de les afleoir fur les productions de la terre ou fur la confommation; il a droit de les percevoir par la voie de la régie ou de les affermer. Se fouftraire au paiement de ces impóts, c'eft faire un vol a 1'état. Mais doit-on punir ce vol par la condamnation aux galeres, par les peines corporelles ou infamantes, par la mort même ? Non fans doute, c'eft renverler le rapport invariable qu'il doit y avoir entre le délit ck la peine. Le vol n'eft que d'une fomme d'argent, c'eft a la reftitution de cette fomme qu'on doit condamner le coupable; mais cette fimple condamnation ne fuffit pas pour réprimer 1'efprit de fraude qui croit toujours en raifon dire&e du gain  [ 3io ] qu'3y a i faire, & en raifon inverfe de la léeêreté de la peine. Etendez donc plus lom la condamnation; quelareftitutionfoit du doublé, du tnple, du quadruple ! Point de confifcation, paree que le prix de l'objet confifqué excede fouvent hen au-dela le dommage fait aux traitans; point d amende invariable, paree que c'eft foumettre a a meme peine, des fraudes très-différentes dans leur objet & dans leurs conféquences. N'eft-il pas abfurde d'affujettir a la même amende de cent écus ,■& le malheureux détaillant de vin ou d'eaude-vie qui aura fait pour trois ou quatre livres de fraude, & le marchand en gros qui aura fait une fraude bien plus confidérable ? (146) Ufure. Les théologiens & les jurifconfultes ont beaucoup écrit pour favoir fi Yuüue ou le prêt k ( Hó) Pour punir la fraude en Europe, onTonHa que les marchand.fes, quelquefois même'lés vaiffeaux ou vo.tures. En Afie on ne fait ni Pun ni l'autre En Turquie on ne leve qu'un feul droit d'entrée, apres quoi tout le pays eft ouvert aux marchandifes Jes declarations fauffes n'emportent ni confifcation n augmentation de droit. Ia fraude dans 1'Indoftan n'eft point punie par la confifcation, maïs par le doublé du droit Au Japon le crime de fraude eft capital, c'eft qu'on ades raifons pour dcfendre toute communication aveö les etrangers. Efprü des loi.v, liy. XIII, chap. 2. ïntétêt  [ S« ] intérêt étoit licite fuivant les loix divines & humaines; les uns ont dit oui, les autres non. La né-> ceffité d'état eft pour les premiers : fi 1'ufure eft un, mal, il eft nécefiaire; le guérir en en fupprimant la» fource , feroit une mal-adrefle, ce feroit ouvrir lai porte a une infinité de défordres. Les manoeuvres odieufes des ufuriers, la mifere a laquelle ils ont réduit dans tous les tems les families les plus riches , leur fafte infolent, 1'efprit d'agiotage qu'ils répandent par-tout, tout s'éleve contre ces infames fang-fues qui trafiquent du befoin d'autrui; tout s'éleve pour demander leur réforme, ck cette ré^ forme ne fera faite qu'en établiflant par-tout des monts de piété ou des caifles de prêts publics. La le taux de l'intérêt étant modique ck invariablement fixé, le malheureux prefle par le befoin ne fera plus expofé a être.jugulé par la cupidité opulente ; le pauvre y trouvera une reffource affurée contre la mifere, le commercant contre les pertes fecretes, tous les citoyens dans leurs maU heurs, II en réfultera même pour 1'état des avantages bien précieux, fi 1'on fait appliquer aux hö-> pitaux, a Fentretien des atteliers publics, des prir» foiis, les profits immenfes qui découleront de cet établiffement falutaire. Alors plus d'ufuriers partij culiers, défceuvrés, infatiables , corrompus 65 fripons: ils feront par cette inftitution rendus a h Tome I, X  , [ 3" ] patrie qu'üs déshonoroient, forcés d'être utiles pour être honorés, de travailler pour fubfifter. Si malgré des défenfes féveres, ce métier infame, quand il n'a pas pour but le bien des pauvres, trouvoit encore des contrebandiers fecrets, les amendes confidérables feront fuffifantes pour réprimer leur cupidité; mais dans les pays oü la caiiTe du prét public eft impraticable, ou il faut tolérer ces vantours , alors il faudra les flétrir de la marqué d'ignominie pour empêcher la manie de 1'agiotage de gangrener les bons citoyens. On ne peut trop alors multiplier les ceintures dorées , les diftinérions particulieres, 1'expérience qui foutient tant de monts de piété dans 1'Italie, & fur-tout ceux de Rome & de Vérone. Les écrits que la raifon a diftés dans tous les fiecles pour favorifer * & propager ces inftitutions, les avantages étonnans que procurera a la France Fétabliffement d'une caiffe de prêt public, tant de fois élevé, tant de fois détruit, & qui relevé de fes ruines , préfage aujourd'hui de plus longs jours, nous difpenfent d'étendre cet article; mais s'il vaut mieux prévenir la naiffance du crime que de le punir, avec quel emprefiement ne doit-on pas accueillir un plan qui diminue la lifte effrayante des délits fecrets, en procurant le bien public! ( 147 ) (147J Ces vérités font mifes dans le plus grand  [ 3*3 ] Suïcide. Le fuicide eft un de ces crimes politiques qu'il eft ridicule de punir. La vengeance de la fociété ne tombant que fur un cadavre, c'eft avilir fon arme facrée que de la prodiguer ainfi. II eft un terme oü la juftice humaine doit s'arrêter : c'eft la mort. Elle n'a point de pouvoir fur un cadavre, c'eft fe battre contre une ombre. Cet appareil de trainer le corps fur la claie, n'eft qu'une parade inutile, peu capable d'effrayer ceux qui, déteftant la lumiere, fe dévouent a un trépas volontaire. L'infamie dont on flétrit la mémoire du coupable, ne rejaillit que fur fa familie,& 1'on punit les enfans d'avoir perdu leur pere. Le droit canonique a encore introduit le fatal ufage de confifquer les biens du fuicide , & par ce cruel ftratagême de réduire les héritiers innocens a la mendicité, en les couvrant d'opprobre. Que le fuicide foit un crime dans la nature, je laifle aux moraliftes a décider cette queftjon : il en eft un politiquement parlant, mais il eft a 1'abri de tous chatimens, il doit être prévenu & jamais puni. ( 148 ) jour dans 1'ouvrage de M. de Saint-Lucien, intitulé: Moyens de::tirpe,r l'ufure, Paris, 1778- Le plan de l'auteur a fervi de modele au lombard qui exiftea préfent a Paris, & dont les bons citoyens delirent 1'exécution a toutes les villes (148 ; Le fuicide, fuivant ie jurifconfulte Lebrun, eft X ij  C 3m ] Duel. Le duel fut inconnu parmi les anciens, qui cependant n étoient pas moins braves que nous. De faulTes idees fur 1'honneur lui ont donné naiffance parmi les nations modernes. L'honneur , cet être fantaftique, qui ne devroit être que le prix des aftions utiles £ la patrie ou k Fhumanité , a été proftituéil'inrame affaflin de fon concitoyen & de fon ami. On a cru l'honneur flétri par "une infülte, & pour la laver on a plongé Ie glaive dans le fein de Fagreffeur. Cette maniere de jV/znocenter étoit bien digne du peuple qui imagina les épreuves du feu & de 1'huile bouillante pour découvrir un coupable. On ne répéter? point ici les fublimes déclamations du citoyen de Geneve contre cette terrible manie qui dévafte nos contrées. Cette douce philofophie qui les a diftées, s eft déja iépandue dans les camps, &a guéri les eft fujet a une plus grande peine que 1'hqmicide, paree que le premier tue fon corps & fon ame. L'églife refufe la fépulture aux fuicides, on leurfaiimt autrefois ngoureufement leur procés. En lifant Uuftpire on trouve une fociété qui a aflez connu le droit de la liberté naturelle, pour permettre a un homme de fe tuer quand il en avoit befoin. A Alarlel'ie'.ce!"i(ïui vouloit fe tuer lé préfentoit au fénat dedai oit fes rairoris.&onlui en accordoicla permifiion, loriqu elles paroilfoient valables.  [ 3*5 1 militaires qui raifonnent. Mais le voile du préjugé ne difparoït qu'infenfiblement, tk il s'écoulera encore des fiecles , avant que le faux point d'honneur cefTe de déshonorer notre nation. Mais que le législateur fe garde bien de vouloir précipiter cette révolution que la lumiere feule de la raifon peut lentement opérer. Ici le public eft plus fort que le législateur; c'eft lui dont l'opinion autorife les duels; c'eft fon feul fufFrage "qui peut les détruire: c'eft donc a réformer les idéés de ce public prevenu que le législateur doit s'attacher. Ces édits cruels ou burfaux , loin d'anéantir le mal, en étendront les progrès. II n'y "eut jamais plus de duels que lorfque Louis XIV leur attacha la peine de mort. On aima mieux fe dévouer au trépas qua 1'ignominie. Que les loix cefTent donc de lutter contre ce fléau, le fruit de l'opinion publique ! Qu'on cefTe d'armer la main du bourreau contre les duelliftes ! C'eft une faute politique. Changez les idéés, éloignez les occafions de duel, tk il y en aura moins. Pourquoi ne pas profcrire le port d'armes en tems de paix? Les Romains , les Grecs paroiffoient-ils armés dans leurs places pu-> bliques, dans les temples ? Si 1'on en croit un philofophe, le moment oü k funefte mode du duel doit finir n'eft pas éloigné. Cet abominable point d'honneur , dit-il, fupX 1»  [ izë ] pofe une efpece de courage: comme nos ames ainfi que nos forces phyfiques vont toujours en fe degradant, il eft probable que cette folie ne tardera pas a difparoitre. Si mes conjeétures font vraies, ajoutert-il, notre inertie opérera une réforme oü ont échoué les loix, la raifon & la vertu. ( 149 ) Philof. dt la nature, tome IV. Cajlr ation. On chateoit autrefois ceux qui chatroient les autres , comme on le voit par 1'hiftoire d'Abailard. C'eft-a-dire, que pour réparer le dommage fait a la fociété, on le doubloit, on le triploit. Ce calcul étoit celui des loix des Vifigoths, fuivi par les cours de juftice d'alors. II eft des pays oü les loix ordonnent la caftration. II faut les abolir, il n'eft point de crime qui puifte donner le droit d'être abfurde ou atroce. >A moins qu'une fource ne foit entiérement empoifcmnée, je ne vois pas pourquoi on la tariroit: alors c'eft plus une affaire de médécine que de législation. ( 149 ) Ou peut juger de la vérité de cette prédiction par la révolution qui fe fait dans la maniere de fe battre en duel. On ne fe bat plus qu'aux piftolets , combat incertain qui laiffé plus d'efpoir aux deux extravagans que la force du préjugé & la manie del'habitude portent a cette folie.  [ 3*7 ] Le fanatifme a quelquefois produit des eunu~. ques, comme Origene tbc Combabus: il faut plaindre de pareils foux , & les renfermer. Le défef» poir arme les Américains du couteau qui les dé■livre de leur fatale virilité. Les punir de ne pas créer des malheureux, feroit une doublé cruauté : loulagez le poids de leurs chaines, & ils ne s'öteront pas la douce faculté d'être peres. La jaloufie crée tbi multiplie les eunuques a Conflantii-jople , la mufico-manie dans 1'Italie; c'efl: une branche de ce commerce infame que tous les hommes font de leurs femblables avec plus ou moins de pudeur. Qui ne rougit pas de voir cette abominable mode régner a la honte des mceurs tbc de la religion dans le pays même qui en eft le centre ? II eft inconcevable qu'elle fubfifte encore : la poftérité ne voudra pas croire que dans Rome la décence ait défendu aux femmes de chanter dans des oratorio, tbc que cette même décence ait permis de leur fubftituer des eunuques. Jetons ici des fleurs fur la tombe du pape philofophe qui a voulu extirpet cet ufage féroce. Si tous les fouverains s'emprefTent de fimiter, on verra fans doute difparoitre ces avortons dont la nullité ne peut jamais aux yeux du fage êtrp compenfée par une jolie voix. Je né dis point de punir ici les peres qui livrent leurs enfans a cette infernale bouX iv  E 3** ] cnerie. Cóupez Ie mal i fa racine, défendez aux Caftrats de chanter dans les oratorio, fur les théatres, dans les maifons; laifTez les femmes jóüfer par-tout: on ne fera plus de caftrats, puifque leur voix nefera plus un objet de commerce. La véritable jurifprudence, dit M. de Voltaire, eft d empêcher les délits, & non de les punir. Corvees, rebeüion. 0 Je paffe a un autre genre de délits publics moins dangereux, aux rebéllions des fujets envers les divers repréfentans des princes. Pour réparer les chemins publics, il a paru convenable de furcharger le peuple de ce fardeau dont une fage législation s'empreflera toujours de le délivrer. La peine ordinaire, a laquelle on affujettit en France les corvéables qui ne fe rendent pas a 1'ordre qui leur a été donné, eft dans certains endroits la prifon , dans d'autres une amende qui fe répartit ordinairement a Ia fin fur tous les corvéables , comme la taille: la première peine me paroit trop dure, Ia feconde inefficace. ï. Le malheureux payfan n'eft que par une fictïon de Ia tyrannie affujetti aux corvées; & ft 1'humanité n'a pas préfidé a 1'origine de ce droit odieux, elle doit au moins veiller a ce que cet abus ne s'étende pas trop loin.  t 3*9 ] A i'. Mettez en prifon le corvéable qui s'eft rendu trop tard a 1'ouvrage, ou qui n'y a point été : vousluiótezlemoyende fubfifter pendant quelques jours, & de fournir i la fubfiftance de fa familie ; tk vous puniffez les enfans par la faim, . en puniffant le pere par 1'horreur de la prifon. 3. La multiplicité des ordonnances de garnifon, que les bureaux d'intendance font tous les jours obligés de décerner contre les réfraétaires, prouve 1'inefficacité de Tarnende , qui d'ailleurs eft mjufte, étant prefque toujours répartie fur 1'innocent & le coupable. Je pencherois a fubftituer a ces deux peines une autre qui me paroit dériver de la nature de la chofe; c'eft-a-dire, que je condamnerois le corvéable réfraclaire a une addition d'ouvrage dont fon voifin obéiffant feroit d'autant déchargé. En effet, ce corvéable qui refufe de travailler, greve d'autant fes co-travailleurs; il rompt par-la 1'égahté que la loi met entre eux dans Facquit des charges publiques. Pour réparer cette inégalité tk reffufciter 1'équilibre, il fuffit donc de le charger de travail en proportion de ce qu'il a refufé de t faire. La connoiffance de cette efpece de délit, qui n'eft au fond qu'une police , doit appartenir aux infpecteurs des ponts tk chauflees plus a portée d'en apprécier le degfé. Les intendans, trop éloi.  [ 33o J gnés des lieux , ne peuvent jamals remédier aflez promptement au mal. ( Voyez 1'article Corvée dans XEncyclopédie. II eft de la main du profond Boulanger.) Rebellion aux officiers de juftice. Cette efpece de délit efl rare aujourd'hui. La fubordination difficile a établir autrefois, paree que la multiplicité des feigneurs & la confufion des jurifdidions afluroient 1'impunité aux coupables, s'étend depuis le premier degré de Péchelle jufqu'aux derniers; & les tribunaux ont rarement la peine de déployer les armes de la juftice pour appuyer fon autorité. Les forces militaires , qui occupent le lein des villes même au milieu de la paix, obligent le citoyen turbulent a refpeéfer fes oracles. A-t-il 1'audace de s'y fouftraire, des peines pécuniaires, un tems limité de prifon, &c. fuffifent pour le ramener a fon devoir. Silence de Paccufé. Le ftlence de Paccufé eft une efpece de rebellion a Ia loi, de refus de reconnoitre le pouvoir d'interroger qu'a le magiftrat. En Angleterre les accufés qui refufoient autrefois de répondre , étoient punis par la peine forte & dure. Telle étoit' cette peine : on couchoit le prifonnier a terre , on lui faifoit un trou fous Ia tête, on lui mettoit  [ 331 ] fur le ventre un fardeau énorme de pierres ck de fer; il vivoit de pain ck d'eau. Le jour qu'on lui donnoit du pain, il n'avoit point d'eau, & vice ver/a. II étoit condamné a expier ainfi fon filence. On ne confifquoit point les biens du prifonnier qui mouroit ainfi. Cette loi rigoureufe a été adoucie; le filence de 1'accufé fait preuve contre lui. V. 12. Geor. 3. 20. 1. Comme dans le plan que nous propofons, la confeffion d'un accufé ne peut avoir de force contre lui qu'autant qu'elle eft appuyée de preuves évidentes de fon crime, fon filence ne peut avoir plus d'effet. Dans la nature, le filence ck 1'aveu d'un accufé devroient être au même degré, c'efta-dire, a zéro. Au furplus , avant de tirer induction du filence d'un accufé, le juge doit le prévenir, afin que la loi ne paroifle pas lui tendre un piege. D une efpece de délits impunis. II eft très-problable que, fi quelque fouverain copie mon plan pour réformer la législation criminelle des états qu'il gouverne , il raiera cet article. Qu'importe ? Le philofophe facrifie tout a 1'amour de la vérité. J'ai lu prefque tous les énormes in-folio com-  [ 33* ] pofés fur les crimes , j'ai bien vu le détail des déEts que pouvoit commettre le peuple; je n'ai jamais découvert le moindre paragraphe fur ces atteintes multipliées que les fouverains donnent fi •lefiement au contrat focial, ck fur les chatimens qu'elles méritcnt. Les jurifconfultes fe font probablement épargné la peine de faire un chapitre mutile. Ils ont prudemment fermé les yeux, paree qu'il eft quelquefois dangereux de les avoir trop ouverts. Ce danger n'exifte plus en France. Nos rois d'Europe ne reflemblent pas a nos très-minces roitelets de Sparte, qu'un Ephore pouvoit contenir avec fa baguette. S'il en exiftoit un, s'il avoit Faudace de dire , par exemple, au grand Frédéric, qu'il n"étoit pas trop honnête de s'emparer de la plus belle contrée de la Pologne , paree qu'elle étoit a fa bienféance, de gêner Ie commerce de Dantzig paree qu'il contrarioit fon plan, de charger fon peuple d'impóts arbitraires, 6k de Fabandonner a la griffe du traitant Ephraïm 1'Ephore pourroit avoir raifon; mais Frédéric pourroit auffi, s'il n'étoit pas philofophe, lui démontrer qu'on a tort d'avoir raifon avec le lion: ck il faut avouer d'ailleurs qu'il a bien expié ces torts qu'on lui reproche, en rendant heureux fes nouveaux fujets. Le fyftême politique, fuivi dans toutes les cours  £ 333 1 de PEurope, fait croire que Ia morale du peuple n'eft pas celle des rois. On laifte aux philofophes la chimère du contrat focial, on laifte les hommes fe bercer de 1'idée qu'ils ont fait les monarques; mais ces monarques cherchent a embrouiller , autant qu'ils peuvent, cette origine, & par provifion ils fecouent très-réellement le joug de ces loix, fous lequel ils confeftent pour la forme être aftujettis comme les autres. Avouons - le, tous les rois de 1'Europe font defpotes, puii'qu'aucun n'eft fujet aux loix , puifque leur voix fi terrible pour leurs fujets fe tait en leur préfence. Heureufement pour les peuples , ce font des defpotes humains & éclairés. II n'y a que les républiques, oü les chefs foient obligés de courber leur tête fous les loix, paree que de ce haut rang ils defcendent dans la clafie des citoyens. Si les rois font ex lege, il n'y a point de crimes , point de chatimens pour eux : car qui oferoit fe charger de cette dangereufe fonftion ? Dans les tems d'ignorance, des prêtres ont pu tonfurer un foible empereur, fouetter Pimbécille Henri II. Dans des tems de trouble une nation fougueufe a pu faire trancher la tête au fouverain qu'elle fuppofoit criminel; (150) mais ces tems (150) II n'exifte pas dans les annales de l'£uropê7 Tome I, M  C 3H ] ne font plus , tk je ne les regrette pas. Mieux vaut une monarchie illimitée, qu'une anarchie fi funefte. dhiftoire plus frappante que'celle d'un monarque accufé par fon peuple, & condamne judiciairement a mort, pour avoir,dit-on,exercé un pouvoir tyrannique. A ces traits on reconnoit aifénient 1'infortuné Charles premier, roid'Angleterre, ( *) prince dont le caraofere offroit un mélange de vertus & de vices, plus imprudent que criminel, & dont le malheur fut d avoir monte fur le tröne dans un tems orageux ou les exemples de plufieurs regnes favorifoient le gouvernement arbitraire qu'il voulut étendre;ou le doublé fanatifme religieux & politique, échauffant toutes les têtes, poufloit avec violence le génie nationalvers le point oppofé, versla liberté. L'univers a jugé Grom. wel & fa faction. Ce fut un fcélérat heureux. Charles premier ne mérita jamais le fort affreux qu'il fubit Tel etoitle crime dont on J'accufoit. La nation, difoit 1'hypocnte Cromwel, lui ayant confié un' pouvoir limité, dans la vue de parvenir a un gouvernement abfolu ! il a traitreufement & méchamment fait la guerre au parlement qui repréfentoit fon peuple : pour cette raifon il etoit accufé en qualité de tyran, de traitre, d'ennemi de la nation. La défenfe de Charles fut noble, elle fut fimple. II déclara que , ne reconnoiffant point 1'autonte de la cour,ilne pouvoit fe foumettrea fa jurifdichon. II ajouta qu'ayant traité depuis peu avec les deux chambres, & terminé prefque tous les articles il s'etoit attendu a fe voir rétabli dans fa dignité, fon pouvoir & fa liberté ; qu'il ne voyoit dans 1'affemblée aucune apparence de chambre haute, partie eflentielle a la conftitution; qu'il étoit informé que les ( *) N. B. Edouard, roi d'Angleterre, fut aufli détrone en vertu d'une fentence du parlement, fubjugué alors par fa femme & fon amant.  [ 335 ] Je pourrois faire ici la lifte de tous les crimes royaux qui ont enfanglanté prefque tous les trönes de 1'univers, je pourrois citer la Saint-Bar- comnuines même ,dont onemployok 1'autorité, avoient été fubjuguées pai une force illégitime; que pour lui il etoit leur roi héréditaire, & par le droit de fa naiffance; que toute 1'autorité de 1'état libre même & réunie n'avoit pas le droit de lui faire fon procés ; qu'en admettant les principes de 1'égalité, la cour ne pouvoit s'attribuer aucun pouvoir défigné du peuple, a moins qu'elle n'eut commencé par obtenir le confentement de chaque particulier; qu'il reconnoifToit volontiers qu'il y avoit un dépot facré & inviolable, confié a fes foins , la liberté de fon peuple ; qu'il fe garderoit bien de le trahir en reconnoilfant un pouvoir fondé fur la violence & 1'ufurpation ; qu'ayantpris les armes & expofé fouvent fa vie pour la défenfe de la liberté publique, de la conftitution & des loix fondamentales du royaume, il étoit prêt dans cette derniere & folemnelle fcene a fcellerde fon fang ces droits précieux; que ceux qui s'arrogeoient la qualité de fes juges, étoient nés fes fujets, nés fujets de ces loix qui avoient determiné que le roi ne p'ouvoit mal faire; mais qu'il n'avoit pas befoin pour refuge de cette maxime générale , qui met a couvert tout monarque Anglois, lans en excepter le moins digne; qu'il étoit en état de juftifier les mefures & les démarches auxquelles il s'étoitengagé; que lorfqu'il y feroit invité dans une autre forme, il prouveroit clairement a tout 1'univers & a eux fes prétendus juges, 1'intégrité de fa conduite, la juftice de fes armes defenfives auxquelles, malgré lui , on 1'avoit forcé de recourir; que pour conferver au refte 1'uniformité de fa conduite , il abandonnoitl'apologie de fon innocence, dans la crainte qu'en ratifiant une autorité qui n'étoit pas mieux fondée que celle des pirates, il ne s'attirat le jufte reproche d'avoir trahi Ia conftitution, au lieu de fe faire applaudir comme fon martyr.  [ 33* J thelemi, h Dragonade, la révocation de fédit de Nantes, le taurrau de Phalaris, les büchersdu Mexique, 1'mquifiriön, le prefgang, les lettres de cachet, &c. ^ Mais quand j'aurois rempli des volumes de 1'hiftoire de ces crimes de lefe - humaniïé , de lefe-fociété, quand j'aurois fait un tableau de peines relatives, quand j'aurois fpécifié les différens cas de haute trahifon fociale; quel bien en reviendroit-il a la fociété ? Je ferois un livre inutde; le peuple ne m'entendroit pas , les rois cruels ou ignorans ne m'entendroient que trop. Je les abandonne donc au feul législateur, au feul bourreau qu'ils ne peuvent expulfer, a leur confcience. On lit cependant, mais avec étonnement, dans 1'Hiftoire phüofophiqÜe des établiflemens des Européens, une fable fur 1'affujettifiement des rois de Ceylan aux loix de leur royaume. Ces A la lecture de cette apologie ,qui nefent pas toute frJr % MaCffe d'Unr0i forcé «epiaiclerdevant fes fujets? Mais la grande raifon qui regit 1'univers, dont les ro1S ont fi fouvent ufé ou abufé contre leurs peuples; cette raifon qui n'étoit plus dans fes mains, la force dcc.dafon fort, ilfallut que Cromwel föc bien fur de fes complices pour laifier parle* une tête courennee; les facheux fes prédéceffeurs affaffinoient les rois fourciemenr ou fur lechamp de bataille ; il ofa plus, i' ie lerv.t pubhquement du Couteau de la loi & 1« voile memè de la religion fut employé a couvrtr c niaire, peine pecuniaire; principe évident même pour un monophtalme, Péculati Le péculat ou vol de' deniers publics étoit autrefois puni par Ia mortainfi möurut Enguerrand de Marigny, Aujourd'hui ee font les ciréonf» tij  [ 340 1 tances qui déterminent le genre de punition. Mais U eft bien plus rare de voir un riche concuffionnaire pourfuivi, qu'un fimple voleur. Dans tous les états, c'eft la feble du baudet puni griévement pour avoir tondu un pré la largeur de fa langue. S'il eft des voleurs qui doivent être condamnés a la reftitution, notés d'infamie, piongés dans I'efclavage, ce font les concuffionnaires. La confifcation de leurs biens eft une juftice k un eertam degré, & toujours un exemple falutaire. (151) II eft une punition ufitée a la Chine contre les concuffionnaires ou les péculataires, qui me paroit très-fage. On les condamne k nourrir un rW^V1' dG Montefquieu approuvela conduite de ces defpotes qu,, pour punir les concuffionnaires, confifquent leurs biens. Par-la on confole le peuple & la confifcation tient lieu d'un impót. Dans les états modéres c.;eft autre chofe. Les confitations Lndroien la propnete des biens incertaine ; elles dépouilieroient des enfans mnocens; elles détruiroient une familie lorfqu ,1 ne s'agiroit que de punir un coupable. ' Ma.s faut-il-donc que les enfans & la familie du coupable s ennchilfent aux dépens du public ? Que le prmee la.fle a fa familie les biens du coupable, den de plus jufte ; mais il peut confifquer tout ce qui eft injiiftement acquis. Quant aux confifcations des biens d un accufé pour autre crime, elles font juftes jufqu'a uncerta.n point. Comme les procés fe font aux dépens du roi, il eft naturel qu'il s'en dédommage fur les biens du coupable ; mais il n'eft pas jufte de dépouiller entierement des enfans affez malheureux déja dans l'o. pimon publique qui les flétrit.  [ 34! ] certain nombre de vieillards , a donner annuellement de certaines fommes aux hópitaux. Ainfi les crimes font utiles a la Chine, & les confifcations ne tournent pas, comme dans les monarchies , au profit de plus heureux déprédateurs. On ne peut parler de péculat fans fe rappeller le trifte fort du philofophe Bacon, qui étant chancelier d'Angleterre, fut accufé de ce crime. Etoitil coupable ? Manet in incertum. Ce qu'il y a de plus problable, c'eft qu'il fut facrifié par le roi Jacques a fon favori Bugkingham. Prévarication de juges. En parcourant tous les codes criminels fur ce crime, on voit d'un cöté le filence le plus profond , de l'autre les peines les plus cruelles, portées contre les juges prévaricateurs; ( 153) & ( 1 s} ) Les peines ont varié chez tous les peuples, & particuliérement chez les Romains, pour le péculat ou la corruption des juges. Cambife fit écorcher un juge infidele, & couvrit de fa peau le fiege bü il fe plaqoit, & oü il forca fon fils de monter. Les loix des douze tables punitToient de mort les juges qui fe laiffoient corrompre pour de 1'argent; ils furent enfuite foumis aux mêmes peines que les meurtriers par les loix Coméliennes, quand ils avoient prévariqué dans les affaires criminelles. La loi Julienne adoucit ces peines. Les empereurs Honorius & Théodofe renouvellerent la peine de mort. Juftinien condamna les juges qui avoient prévariqué Y iij  r 341 ] Ce qui paroit étrange, c'eft que le defpotifme 3 fouvent fait dans ce genre des aéles de juftice. Les fupplices effroyables qu'on y a infligés aux juges corrompus , font apparemment neceffaires dans ces états, oü les hommes ne s'élecTxifent que par de violentes commotions. L'infamie, 1'interdiétion, les peines pécuniaires, employees dans les gouvernemens modérés, paroiffent des refforts bien plus limples, bien plus efficaces pourarrêter Ja corruption des juges. C'eft un crime qui doit être plus ordinaire dans ces états, oü les charges font vénales & inamovibles, oü les princes vendent h. des particuliers le droit de vendre en détail la juftice. Heureux les peuples dont les magiftrats ne tiennent leur titre que de 1'eftime du peuple qui les élit, & qui font forcés, pour devenir juges, d'être honnêtes & vermeux ! ( 154) en matiere criminelle,al'exil, & ordpnna la confifca. tiqn de leurs biens. Ert Angleterre , les juges prévaricateurs font decla* rés exleges, c'eft-a.-dire déchus de tous leurs droits de citoyen ; leurs- biens font confifqués, leurs maifpns démolies, leurs prés labourés. ( ) I' exifte en Angleterre une loi obtenue par ]a chambre des communes fous le regne de Henri IV, par laquelle il eft porté qu'aucun juge convaincu d'a» voir prévariqué dans fes fonctions ne pourroit être exCufé fur J'allégatian juffificative d'un ordre & même d'une menace du roi, quand il auroit rifqué fa vie, M, Hume, Bij}, des Plantasenets,  C 343 ] Le roi de Prune vient de donner dans fes états un exemple frappant de juftice contre des juges qui par iniquité ou par ignorance avoient condamné un malheureux payfan; il les a dégradés. ( * ) " Les juges n'ont qu'a favoir, dit-il dans la fentence , digne d'être tranfmife a la poftérité la plus reculée, que le payfan le plus pauvre , le mendiant eft un homme auffi bien que fa majefté elle-même, ck que tout le monde doit obtenir droit ,"puifqu'aux yeux de la juftice tous les hommes font égaux, foit qu'un prince porte plainre contre un payfan , ou que le payfan fe plaigne du prince ; ck dans de pareils cas on n'a qu'a luivre le bon droit, fans acception de perfonnes. C'eft a cette regie que les colleges de juftice doivent fe conformer dans toutes les provinces; ck s'ils n'adminiftrent la juftice fans s'écarter du droit chemin ck fans acception de perfonnes ou de rang, mais qu'ils foulent aux pieds 1'équité naturelle, ils auront affaire a fa majefté elle-mcme. Car un tribunal qui commet des injuftices, eft plus cl angereux qu'une bande de voleurs. L'on peut fe mettre en défenfe contre ceux-ci, 4mais perfonne ne fauroit fe garder de coquins qui em- (*) Voyez la fentence rendue par le roi de Pruffe, le n décembre < 1779, contre trois confeillers de la juftice, camérale, en faveur du meünier Arnold. Y iv  [ 344 ] ploient Ie manteau de Ia juftice pour lacher la bride a leurs mauvaifes paftions; ils font plus méchans que les brigands les plus infames qui foient au monde, tk ils méritent une doublé punition. „ Ces principes admirables méritent d'être adoptés par tous les législateurs; tous doivent s'emprefler, comme le héros du Nord, a prévenir par une inftitution de cenfeurs les prévarications de ces juges qui décident defpotiquement & au gré de leurs caprices, de la fortune tk de la vie de leurs femblables. II faut 1'avouer, malgré 1'inamovibilité & Ia vénalité des charges prefqu'univerfelles, les crimes de prévarications de juges font rares en France. Ce phénomene n'eft dü qua la lumiere des fciences , qui brille dans les tribunaux; mais la corruption femble s'être refugiée dans les cceurs de ceux qu'emploient les magiftrats a Féclairciflement des différens procés. II eft inconcevable combien ces foudoyés obfcurs du palais commettent d'iniquités a Fiftfu de leurs" maitres , dont la délicatefle s'offenferoit fans doute de leurs excès. Leur infatiable cupidité ne connoit point de bornes, tk les malheureux plaideurs ne parviennent a fe faire juger & fouvent a fe faire condamner, qu'après avoir épuifé tout  [ 345 1 leur Tang en faveur de ces fangfues, reptiles d'autant plus dangereux qu'ils favent, felon Frédéric , fe cacher adroitement fous le manteau de la juftice , ck faire autorifer leurs conculfions de fon fceau. II eft tems que ces abus foient démafqués , que le législateur les anéantifte, ck pulvérife cette nuée d'infeétes qui rempliflent les avenues du temple de Thémis, & obfcurciflent fa gloire. Tous les citoyens forcés a errer dans fes détours le demandent, ck je ne fais que répéter leurs vceux. II eft d'autres officiers fubalernes , néceflaires dans les tribunaux. Ce n'eft pas leur profcription qu'on defire, mais que la loi s'attache a prévenir leurs malverfations dans 1'exercice de leurs fonélions. Elles me paroiflent fufceptibles de la peine d'interdiclion de leurs charges, ck de peines pécuniaires proportionnées a leurs concuffions. Le principe eft général, je n'entre point dans les détails de 1'application. En général on doit les punir avec d'autant plus de févérité que les coupables ont plus de moyens de s'écarter de leur devoir, de fe procurer 1'impunité , d'étouffer les cris du malheureux qu'ils oppriment. Commis. II eft fur-tout un corps redoutable dans prefque  I 34<5 1 tous les pays, dont les membres fubalternes s'ifc Iant, ne font occupés qu'i lutter contre les vrais citoyens. Je parle des commis de traitans : ils Peuvent impunément porter des coups a Pinnocence; & 1'innocence invoque prefque toujours en vam Ia loi ordinaire, paree que ce corps a fu fe procurer des loix, des tribunaux particuliers, ou 1'humanité, la liberté font bien peu refpectées. Je ne décrirai point les abus qui en réfultent, uneplume plus éloquente que lamienne a rempii ce devoir. F.k Théorie de Timpót. Je me bornera. a obferver qu'on ne les préviendra, qu'on ne les extirpera , qu'en attaquant leur racine, qu'en detruifantce code, ces tribunaux privés, & en affujettiffant les fermiers & leurs commis au code pénal qui dirige tous les citoyens. Je terminerai ce tableau des crimes publics par une obfervation contre la fuppojition des délits en général, & fur la maniere de punir les complices. Suppofition de crimes publics. Le crime de fuppofition de crimes publics comme de vol & d'affaffinat, ne doit être puni qu'en proportion des circonftances qui I'aggravent ou le diminuent, & du dommage, foit public, foit privé, qu'il peut occauonner. Lors de 1'affaire de Damiens en I7J7, un garde du roi  r 347 1 fuppofa avoir vu deux chevaux Andalous attachés a la grille du chateau de Verfailles, que monterent deux cavaliers qui difparurent fur-le-champ. II prétendoit que c'étoient deux affaflins qui vouloient ócer la vie au roi; on fit d'incroyables recherches pour découvrir ces prétendus afifaffins, ck 1'on ne découvrit rien. On donna cependant huit cents livres de rente au garde. Le fuccès de cette impofture 1'engagea k jouer la même fcene a Lunéville, & il eut encore une récompenfe. II fut découvert la troifieme fois. On le trouva étendu dans le chateau de Verfailles, percé de coups de poignard : il déclara qu'ils lui avoient été donnés par deux hommes dont un étoit prêtre, qui avoient voulu aflaftiner le roi. Toujours la même fcene, toujours le même perfonnage, cela parut fufpeér.; on examina le garde; fon habit étoit percé, fon corps avoit deux bleffures, la chemife n'en avoit point; on le décrete, ck il convient qu'il n'avoit joué ces fcenes que pour avoir de 1'argent. Le premier tribunal le condamna k être rompu, le parlement mitigea 1'arrêt ck le condamna a être pendu. Je ne vois pas la raifon d'un fi rigoureux jugement; ce crime n'olfenfoit perfonne , n'avoit Coüté la vie a perfonne. C'étoit le ftratagême d'un homme qui vouloit faire fa fortune. II fal-  C 348 ] löit donc le priver des bienfaits que lui avoient procuré fes fauffes délations : il auroit été fuffifamment puni. Complices, Les complices doivent-ils recevoir le méme chatiment que les auteurs du crime ? Pour réfoudre ce problême, il faut favoir ce qu'on entend par complices. II n'y afans doute qu'un bourreau , comme Kirk ou JefTerys, qui auroit pu regarder comme complice d'un forfait énorme, 1'Anglois comparant qui déroboit fon roi malheureux a la rage de fes ennemis. II n'y a qu'un barbare ou qu'un ignorant, qui pourroit envelopper dans la condamnation d'un criminel 1'innocent que le hafard auroit rendu témoin du crime, ou que la violence auroit forcé d'en étre 1'inftrument; & d falloit être auffi crue! que ce cardinal qui gouverna la France avec une verge de fer, auffi vil que les commiffaires foudoyés , pour traiter de complice de lefe-majefté 1'infortuné qui n'étoit coupable que de n'avoir pas déféré fon imprudent ajrni. Le complice eft celui qui fciemment & de bon gré participe direftement ou indireftement, par confeil ou dans le fait même, a Fexécuüoh d'un cnme. Pour mefurer la peine a inffiger au com-  [ 349 1 plice, le juge doit apprécier d'abord fon intention, enfuite dans quelle proportion il a contribué au crime ck au dommage qui en a réfulté. La peine doit être en proportion du tort partiel, provenant de fa participation au crime; avec ce principe il eft prefqu'impoflible de s'égarer , ck il eft aifé de réfoudre d'un trait de plume les in-folio de problêmes propofés a cette occafion par les jurifconfultes, fans tomber dans leurs nombreufes contrariétés. Ainfi le fupérieur qui ordonne le. crime , mérite une punition plus grande que celui qui 1'exécute. Ainfi celui qui enfeigne des maximes pernicieufes, mérite un chatiment moindre que celui qui les pratique; ainfi celui qui n'ell qu'inftruit du projet du crime, ne doit jamais en être regardé comme le complice, ckc. ckc. Fin du Tome premier.  £ R RA TA. *ZTp H' H?ne^dIa ™tc , Paratilles, üL Para. £ J; nou 20 ï\ ,°nfneteS »r 3meS honnêt^ geur,/^bénin voyeur. P q\ / ' V°ya' venir K. pour ^ *g£ g»^ pour le pré. tant de Bonntau lifel Phabïtant de Bontar/ i> ï ^' £ 2, pour faire difparoitre 1'arbitre, jrV hfez a la chaine. P. 1 98 , noft, 0, 0•>-» /. 11, a nostres-mincesroitpÏPt-o nn, < ' '< * ces roitelets. 6tS•3 ces tes-mia.  THÉORIE DES LOIX CRIMINELLES. Par J.P. Brissot de Warviiie. O great dejign ! if executed wdl With patiënt care & Wisdom temper'd^eat. Thomson's, Winter; TOME SECOND. ^ UTRECHT.   THÉORIE DES LOIX CRIMINELLES«—=^-. sgg. TABLEAU DES CRIMES RELIGIEUX & des peines qui doivent être injtigêis. PRINCIPE GÉNÉRAL. Tolérance uiüverfelle, rcligieufe. Trois especes de crimes. i o. Crimes fur la foi ou le dogme ou les opinions. ."P ERSÉCUTION politique Perfécuteur renfermé, lié, pour les opinions, atrocitc. banni, amendé. Perfécution religieufe , int* piété. 2°. Contre la difcipline. in. Inférieure. .. . . ~) Blafphême fimple. . . i Juremens ' Peines religieufes fècrete* Péchés. ...... J Tome II, A  L » ] 1°. Contre la propriété'. Vols de biens d'égiife, de va- Vols ordinaires, peines ordifes, incendies d'églifes,&c- naires. Suite de la troisieme section. Crimes contre la religion. Si nous avons placé cette efpece de crimes dans Ia derniere feórion , contre 1'antique coutume, fi nous avons dérogé a la vieille méthode des criminaliftes, c'eft que nous fommes perfuadés que c'eft I'efpece de crime la moins importante, la moins préjudiciable a 1'ordre focial. Si les fiecles paffes Crimes. Sacrilege caché, comme fimonie, concubinage de prêtres, fédu&ion de pénitentes. 2°. Blafphême médité , public, violation volontaire des cérémonies extérieures, facrileges évidens. Refus de. facremens, de fépulture de la part d'un prêtre. Rapt d'une religieufe par un prêtre. Injures dites a un prêtre. Peines. Dieu feul vengeur. Réparation publique, aumóne envers les pauvres. Contraint par faifie de fes biens, par fufpenfion de fes fonctions. Crime ordinaire, peine du rapt par un laïc. Voyez les crimes contre l'honneur.  [ 3 ] euflent été bien pénétrés de cette maxime fenféé ; on n'auroit pas vu dans tous les pays des citoyens armés contre des citoyens faire couler des fiots de fang en criant tous a 1'héréfie: il faut encore répéter ici, pour prévenir les inculpations fauffes dont les gens a parti ne manqueront pas de m'accabier , que je ne parle des crimes religieust qu'en tant quds bief ent V ordre focial. Je profite de la terrible lecon qu'a recue le profond auteur du livre de l'Efprit,o£ je ne veux pas être réduit au trifte fort du naturalifte francois, d'être obügé d'aflbiblir Fénergie de mes opinions trop véridiques. Je répéterai a,mes leéteurs ce que difoit l'auteur du Traité des délits ck des peines: « Ce feroit une erreur que d'attri» buer des principes cóntraires a la loi naturelle » ou révélée a l'auteur qüi ne traite que des con» ventions fociales ck de leurs conféquences. » Je parle ici pour toutes les religions poliriquement vues. Elles fe reflemblent toutes a peu prés dans leur hiftoire ek dans leur fyftême. Dans prefque toutes en effet il y a des myfteres, des dogmes de difcipline , des loix de propriété ck des droits eccléfiaftiques. Dans toutes il y adonc ce qu'on appelle , \i crime contre la foi, 2. contre la difcipline , 3. contre les droits des eccléfiaftiques. j. Crimes contre la foi ou hirêfie* On peut définir 1'héréfie, dit M. de Voltaire i A ij  t 4 ] opinion différente du dogme recu dans un pays. H refulte de cette définition que fi Ie luthéranifine eft héréfie a Rome, Ia créance catholigue eft héréfie a Londres & 4 Conftantinoplé. Si le fameux Omar n eft qu\in hérétique k Ifpahan, Ali 1'eft k Conftantinoplé : d'oü Fon peut conclure que pour chaque peuple ,1 n'y a CJll>Line religion ^ ^ ? & £ fienne , & que les autres font des héréfics. Solos populus nam credit liabcndos ' Ejje dcos quos ipfc colit. De cette vérité politique que réfulte ^t-il > Que tous les peuples doivent tolérerla diverfité des opm.ons religieufes; qu'une nation ne peut pas être perféeutée par une autre fous prétexte d héréfie, fans s'expofer au même traitement Si Calvin faifoit brÜIer Servet aGeneve, c'*oit par repréfadles des cruautés que 1'on exercoit contre fes partnans. Ces repréfaiUes étoient atroees, mais elles étoient fondées dans le droit des gens d'alors Lebien-étre général des hommes nous rameue donc k une tolérance univerfelle d'opinions: qu'on eenve, CJU'on difpute ^ ^ ^ ? ^ fehtife ; mais plus de cachots , plus de gibets, plus d auto-da-fé. Les efprits ne s'éclairent point, a-t-on dit, avec la flamme des büchers , & il ne peut pas y avoir de cnme k ne pas croire ce qu'on ne concoit pas. Le grand intérêt d'un monarque tk d'une  république eft d'avoir de fideles citoyens, de braves foldats : or , pour avoir une opinion différente de fon roi ou de fa nation, en doit-on moins pofieder ces qualités ? Dioclétien avoit-il dans fes armées de meilleurs foldats que les chrétiens ? Les proteftans n'étoient-ils pas en France fous Louis XIV des fujets foumis, des manufaéhiriers induftrieux , des commercans habiles, des foldats valeureux ? L'Angleterre , depuis que la philofophie a éclairé les efprits, depuis 1'expulfion de ces jéfuites qui fomentoient le trouble par - tout- a-telle a fe plaindre des catholiques qu'elle toléroit dans fon fein ? On les tourmentoit & ils payoient exa&ement le doublé de taxe; on les avilifToit , & ils ne fe plaignoient pas; on les dégradoit &: on leur ótoit le titre de citoyen , & ils fervoient la patrie avec plus de courage, plus de patriotifme que les autres fujets. Cette difparité dans le fort des citoyens n'exifte plus; la nation d'une voix unanime a effacé cette tache (155) qui ternilToit ( 195 ) Le ferment exigé a cette occafion des Jnonconformiftes, a elfuyé une vive critique de la part de l'auteur des annales du dix-huitieme fiecle, dont 1'efprit ulcéré paroit accoutumé a voir tout en noir. C'étoit une fuite de fes opinions contre la tolérance, peut-étre raifonnables a quelqu'égard. Voyez fes Annales, tome II, p. 114., tome IV, n°. 27. _ J'avois écrit cet article avant la terrible fédition arriyée a Londres dans le iwois de juin dernier, & dont la A nj  in fa gloire; elle a déchiré ces loix fanguinaires tk que le fanatifme avoit diétées dans des tems malheureux & ignorans. Puiffe cet exemple avoir des imitateurs par-tout! Puiffent tous les hommes devenus freres, ne former plus qu'une même familie , abjurer ces fatales difcuflions caufées paria diverfité cl'opinions & concourir malgré elles a Ia paix générale ! Je ne retracerai point ici, pour les perfuader a embrafTer cette tolérance, 1'hiftoire des barbaries que nous olfrent les guerres religieufes. Je ne retracerai point les combats fcandaleux des Athanafiens & des Ariens, des Donatiftes tk des Auguftins, & des croifades abominables prêchées contre des gens qui étoient aflez malheureux pour porter un turban & non pas un chapeau, & pour fe faire circoncire pour leur commodité. Je ne retracerai point le tableau des guerres des Vaudois, des Albigeois, des Luthériens, des Calviniftes, des Armémens , des Trinitaires , la Dragonade (156), ham- du papifme paroit avoir été la première cauf» -Te «e gardera, bien de l>fFaeer, paree qu'il eft a r 0ue £ vreu de h partie faine de la nation eft pour Ia tok rance poLtrque & religieufe des catholiques vl qül fera W , j'ofe:1e prédire, malgré les burleWs S fonnemens dy lord Gordon & de fes fréneti^ues ^tl" ( 15Ó) Le projet le plus fou fut celui que coneufc Louvo.s avec le pere Lachaife de convertiravec K Kgimcns de dragons, deux niilaons de tfrWfojTg  [ 7 ] les perfécutions de la Chine, du Japon , les querelles fanglantes des feftateurs d'Omar & d'Ali , de Foé ck de Laokium.Non,je ne veux pas répéter ces horreurs qui fahflent 1'hiftoire de toutes les religions depuis leur berceau jufqu'au tems oü 1'humanité ck la raifon ont pu faire entendre leurs voix pacifiques. Que verroit - on dans ces tableaux ? Toujours la répatition des mêmes barbaries; des 1'atrocité la plus grande fut celle qu'on exerca contre les relaps, & ceux qui perfiltoient dans la religion de leurs peres. Tous les chatimens furent employés pour faire de ces calviniftes autant de parjures. On démolit leurs temples , on interdit toute alfemblée fous peine de mort; on leur óta le port d'armes, on les forqa , le piftolet fur la gorge, d'aller a la melfe ; & ce qu'il y eut de plus atroce , c'eft qu'on enlevoit les enfans a leur pere pour les inltruire dans la religion , c'eft qu'on les forcoit de payer leur penfion. Kien ne témoigne mieux 1'incertitude des jéfuites directeurs que les contradictions dans les opérations du gouvernement", un arrét banniffoit les hérétiques du royaume, un autre arrêt les forqoit de refter. Un miflionnaire leur préfentoit d'une main de 1'argent pour les faire convertir, un dragon leur montroit de l'autre fon glaive. Les miniftres furent fur-tout maltraités. Audoycr & Hornet, deux fameux prédicans, furent ro.ués. Les Cevennes virent couler des flots de fang fur les échafauds. Ce qu'il y eut de bizarre dans cette affaire , c'eft que le duc de Noailles, chargé du gouvernement des états de Languedoc , écrivoit a la cour que 1'édit qui révoquoit celui de Mantes étoit trop doux, & qu'il alloit faire une infinité de relaps. Ce gouverneur trop próné par fon apologifte M. Millot, s'imaginoit qu'avec uneépée cn perfuadoit les cceurs. A iv  m villes brülées,des pays dévaftés, des millions d'hommes aiTaffinés, des femmes violées, des buchers ailumés, des Te Deum , des cantiques de joie chantés dans des ruiffeauxde fang en 1'honneur d'un Dieu de paix. Ah, détournons les yeux de ce fpeÖaele dégoutant! Oublions que nos peres ont été des forcenés, féduits par des monftres , egaréspar un faux1 zele ; & n'écoutons plus aujoud'hui que la raifon, L'héréfie ne peut étre un crime focial, car tous les hommes feroient refpeftivement hérétiques tk puniffables. Le trouble dans 1'ordre focial eft la feule mefure du crime : or quel trouble apporte l'héréfie ou la diverfité d'opinioos ? Qu'impörtoit a Ia France d'avoir deux millions d'hommes qui n^loient point a la meffe, fi ces deux millions d'hommes payoient bien les impöts, faifoient fieurir le commerce & avoient de bonnes mceurs ? Qu importe k l'Angleterre d'avoir des presbytériens, des épifcopaux, des quakers, des hernutes, des juifs, des catholiques , fi tous ces différensfee' taires contribuenta Ia gloire de la nation & a étendre fa puilTance? Les nouveaux Etats - Unis en font-ils moins heureux, moins puiffans, pour raffembler dans leur fein des hommes de toutes les rehgions ? Eh! mes amis, mes freres, fervons tous Ia patrie, airaons-nous, & que chacun adore le ciel  [9] comme il Pentendra. L'impie n'eft pas, difoit un philofophe, celui qui n'ira pas a la mefle , mais celui qui fera banqueroute , qui trahira fon ami. J'aimerois mieux cent fois un athée bon citoyen qu'un fcélérat priant Dieu. Concluons enfin; car fi 1'on écrivoit toutce que le cceur di&e fur cette matiere, on ne finiroit pas; ëc difons que 1'intolérantifme politique eft une abfurdité politique, que Pihtolérantifme religieux eft une impieté, qu'enfin il eft contraire a 1'ordre & a la divinité méme de pourfuivre ceux qu'on appelle hérétiques, tant qu'ils ne troublent point 1'ordre focial. Montefquieu me foumit ma demiere preuve. « Dans les chofes qui peuvent blefler la » divinité , il faut diftinguer: la oü il n'y a point » d'aflions publiques, il n'y a point de matiere de » crime; tout s'y pafte entre 1'homme & Dieu » qui fait la mefure & le tems de fes vengeances. » 'Le mal eft venude cette idéé qu'il faut venger » la divinité. Mais il faut faire honorer la divinité » 6k ne la venger jamais.En effet, fi 1'on fe condui» foit par cette demiere idéé , quelle feroit la fin » des fupplices ? Si les loix des hommes ont a » venger un Etre infini, elles fe régleront fur fon » infinité, & non pas fur les foible'res, fur les » ignorances, fur les caprices de la nature hu» maine. »  [ io ] Magie. Parlerons-nous de ces prétendus crimes de magie , de fortilege ? Les annales des fiecles paffes n'ont-elles donc a nous fournir que des horreurs commifes fous le voile facré de la religion, des loix barbares follicitées par elle pour la deftruftion des gens éclairés ou des imbécilles qu'on intituloit nécromanciens ? Tout le monde fait 1'hiftoire des diables de Loudun, de Gaufrédi, de Grandier , de la Chaudron. Depuis Grégoire le Grand, qui le premier livra judiciairement les forciers aux Hammes, on a brülé en Europe plus de cent mille lorciers. Plus on en brüloit, plus il en renaiffbit : c'eft 1'effet de la perfécution. Les Bodius , les Delno écrivoient contre les magiciens; les pariemens les condamnoient au feu, ck dans ce tiffü d'atrocités il n'y avoit d'extraordinaire que 1'ignorance des juges ck 1'imbécillité de ces forciers. On auroit dü, a dit un fage ( Voltaire ) difcuter cette affaire aux petites maifons ck on 1'examinoit dans les cachots. Enfin on a ceffé de brüler les forciers, ck ils ont difparu de la terre. II eft donc prefqu'inutile de dire qu'il faut profcrire la loi de ficarüs (i 11) contre les nécromanciens, 1'ordonnance ( 157 ) ba loi Camelia de Jïcariis porte peine de mort contre les nécromanciens. L'ordonnance de Charles VIII de 1490, porte qu'ils foient pourfuivis & ren-  C « ] de Charles VIU. qui les condamne a mort. Montefquieu n'avoit fait que la moitié du chemin ( 15 8 ) quand il difoit qu'il falloit être trés - circonfpeél dans la pourfuite du crime de magie. Le fermés. L'articlc 39 de 1'ordonnance de 1^79 ordonne punition corporelle , même contre les faifeurs d'almanachs. (i$8) Maxime importante, dit M. de Montefquieu: il faut être très-circonfpect dans la pourfuite de la magie & de 1'héréfie. L'accufation de ces deux crimes peut extrêmement choquer la liberté, & être la fource d'urje infinité de tyrannies, fi le législateur ne fait la borner; car comme elle ne porte pas diredement fur lek actions d'un citoyen , mais plutót fur 1'idée qu'on s'eft faite de fon caraétere, elle devient dangereufe a proportion de 1'ignorance du peuple; & pour lors un citoyen eft toujours en danger, paree que lameilleure conduite, la morale la plus pure, la pratique de tous les- devoirs, ne font pas des garans contre les foupcons de ces crimes. L'hiftoire de France & celle de toutes les nations chrétiennes offrent mille exemples de ces accufations: on pourroit en citer une infinité tant pour 1'héréfie que pour la magie. L'empereur Théodofe Lafcaris attribuoit fa maladie ala magie. Ceux qui en étoient accufés, n'avoientd'autre reffource que dé manier un fer chaud fans fe brüler. II auroit été bon chez les Grecs d'être magicien pour fe juftifier de la magie. Tel étoit 1'excès de leur idiotifme , qu'au crime du monde le plus incertain ils joignoient les preuves les plus incertaines. Une loi des empereurs Gratiën & Valentinien pourfuivoit comme facrileges ceux qui mettoient en queftion le jugement du prince & doutoient du mérite de ceux qu'il avoit choifis pour quelqu'emploi. Quel gouvernement que celui ou des miniftres croyoient la divinité outragée, quand on doutoit de leur mérite!  C « ] crime eft une chimère, les imbecilles font ceux qui y croient, les criminels font ceux qm fonr bruler les forciers. En profcrivant les accufations d'héréfie & de magie, je n'entends pas tolérer les faftions, ni méme Ie fimple trouble civil qu'un fcandale rehgieux peut quelquefois apporter a 1'ordre. Quand il y a une religion dominante dans une contree, les autres partis doivent la refpecïer , & elle leur doit Ie même retour. Mais fi quelque citoyen ofe outrager publiquement la croyance différente d'un autre citoyen, s'il viole les cérémonies dans le temp!» même oü elles fe font, alors il mérite 'd'être puni; ilaviolé Ie pafte d'amitié , de tolérantifme; il a violé lafyle de la paix. Juifs ,fi Ie chrétien ne peut porter un ceil curieux ou indifcret dans vos fynagogues, refpeftez k votre tour fon éghfe, refpeftez fon culte. La tolérance d'opinion eft une convention amicale dicïée par la raifon , & la raifon dit d'en punir les infrafteurs. Quant auxfacbions, on ne doit pas les craindre fous un gouvernement tolérant & modéré ; jamais feéte n'a changé le gouvernement que quand le défefpoirlui a fournides armes. Mahomet dót fa grandeur k Ia perfécutipn. Non pas cependant que je veuille renouveller ici, pour punir ce: fcandales, ces affreux auto-da-fé  [ n ] qui déshonorent encore 1'Efpagne: non pas que je dife d'ailumer les büchers pour chatier 1'imprudence d'un jeune homme qui, emporté par une ïmagination fougueufe ou une ardeur pour ce qu'il croit la vérité , aura blefTé les idees fur la religion dominante. A Dieuneplaife que ma plume ferve jamais a tracer de pareilles horreurs! Je ne croirois pas tout mon fang fuffifant pour expier un jugement auffi barbare. Mais une injon&ion de la part dumagiftrat civil d'être plus circonfpecf., la privation de la liberté pendant quelques mois , une amende pécuniaire applicable au parti offenfé; voila les moyens plus que fuffifans que la raifon fuggere , que ne fuivit pas malheureufement ce prélat pêut-être eRimable d'ailleurs , qui clans un délire religieux envifagcant un écart de jeunelTe comme le crime d'une impiété raifonnée , fit trainer au fupplice un jeune homme pour une chanfon libre chantée dans un cabaret. Que ne lifoitil le bon Salvten? ( i 59 ) II auroit été plus circonf- f199) Tout le monde connoit le fameux proces des malheureux jeunes gens d'Abbeville. Les juges doivent toujours étre circonfpecls dans la pourfuite des héretiques. Salvien, Ie bon prêtre Salvien difoitrle Juge fouverain de 1'univers fait feul, comment ils feront punis de leurs erreurs au jour du jugement. Cependant il les fupporte patiemment, paree qu'il voit que s'ils font dans 1'erreur, ils errentpar un motif de piété. Salv. de Guft. liv. I, p. 1 co. Auguftin cenoit le même langage aux Manichéens.  [ 14] peér. dans la pourfuite de ce crime imaginaire, Mais tel eft 1'anti-focial efprit des fectes dominantes dans toutes les contrées, qu'elles croient leur tröne ébranlé s'il n'eft pas fans cefte entouré de gibets & de feux. Ainfi un prédicant calvinifte qui vient prëcher fecrétement fes ouailles dans certains états, eft puni de mort s'il eft découvert; & ceux qui lui ont donné a fouper & a coucher font envoyés aux galeres perpétuelles. Dans d'autres pays un jéfuite qui vient prêcher eft pendu. Et c'eft au nom du même Dieu que cette atrocité fe commet! Tirons le rideau fur ces exécutions qui déshonorent les fiecles pafies , oublions les affreux fupplices des Dubourg, des Servet, des Gentilis ; des Antoine, des Morin , &c. Laiffons les miniftres de chaque religion prêcher fecrétement fes partifans. Que dans 1'enceinte d'une méme ville le juif, le catholique, le proteftant, le turc chantent les louanges de 1'Être fupreme. Qu'ils vivent en paix , & tout législateur leur laiflera la permiffion de fe damner réciproquement. ( 160) Dans les gouvernemens même oü il y a une religion dominante, on doit tolérer les prédications ( i que de les condamner a une peine pécuniaire. Pie vouloit tirer de 1'argent, c'étoit la fon but. La déclaration de 1266 qui détermihe les peines méritéesparles blalphémateurs n'eft point exécutée. Elle étoit trop rigoureufe; on n auroit plus vu que des hommes fans levres^i'on coupoit exafte- nient  [ '7] ment les levres a tous ceux qui blafphement. L'inquifition peut punir rigoureufement ce crime, elle s'y enrichit; mais dans tout état policé , lorfque le blafphême ne trouble pas notoirement 1'ordre , on doit en laiffer le chatiment a Dieu. Tel eft le principe qui doit conftamment guider le juge dans 1'examen des infraótions faites a la difcipline inférieure & extérieure des religions. Crimes contre la discipline intérieur e. i. Blafphême fimple. Souvenons-nous du principe que nous avons pofé pour les peines. Pour que la peine des facrileges fimples , dit Montefquieu, foit tirée de la nature de la chofe , elle doit confifler dans la privation de tous les avantages que donne la religion , Pexpulfion hors des temples, la privation de la fociété myftique des fideles pour un tems ou pour toujours, la fuite de leur préfence , ckc. Cependant i! faut être extrêmement circonfpect a étendre a 1'extérieur ces peines religieufes. Si elles n'influoient pas fur Fexiftence civile du coupable , fi pour être excommunié un homme n'en étoit pas moins honoré, refpefté , je laiflerois les prêtres de toutes les religions feuls juges, feuls Tome II. J3  [ is ] maitres de cliftnbuer ces peines. Mais il n'en eft pas ainfi: quoi qu'on falie, la religion & les mceurs ne feront toujours clans 1'efprit du peuple qu'un feul tiffu , & la première maitrifera toujours fon opinion. Le payfan qui verra excommunier fon voifin avec les exécrations qui accompagnent cette cérémonie lugubre, le verra par la fuite avec une efpece de répugnance & d'averfion. II aura de la peine a s'imaginer qu'un prédefiiné a la damnation puifie être un honnête homme. Je ne voudrois donc point admettreentiérement ces peines canoniques avec leur extenfion. Qu'un curé ne donne pas 1'abfolution, qu'il priVe des avantages fpirituels un blafphémateur, ces peines font fecretes : ce font les feüles qui doivent être permifes. Quant aux blafphêmes ou juremens, ilsne doivent pas être punis corporellement. üaidzpoL des Uims , le goddam des Anglois, le cuerpo de dios des Efpagnols ne font que des termes vagues qu'une forte d'inftincV'fait prononcer au peuple. 2. Sacrikge cachê. Un crime cacbi qui bleffc la divinité, s'il ne trouble point 1'ordre de 1'état, ne doit point être puni, paree qu'il n'efi pas un crime. Si malgré ce principe le magifirat recherche le facrilege caché , il porte une inquifition fur un genre d'aóf ions oü  L 19 J elle n'eft point néceffaire. II detruit la liberté cles citoyens en armant contre eux le zele cles confeiences timides & celui des confeiences bardies. Le crime de fimonie, par exemple, fe trame toujours dan: Fobfcurité: il ne fera donc point pourfuivi, & ia vengeance en fera réfervée a 1'Etre fuprême. (161) « 3. Concubinage des prêtres. La cohabitation des prétres avec des femmes , criminelle en France , eft vertueufe au-dela de la Tamife. Chez les catholiques le concubinage des prêtres ne doit être puni que par des peines canoniques. Ce n'eft point un crime focial: bien au contraire; un prêtre, en violant le vceu qu'il a fait, concourt a la population de 1'état, & conféquemment a fon bonheur. Ce n'eft qu'un délit religieux, puniftable par les feules peines religieufes fecretes. 4. Rapt de religieufe par un prêtre. L'inftitution des couvens, regardée comme di- (161 ^ Le crime de fimonie eft regardé comme un parjure en Angleterre, & le coupable paie deux fois la valeur du revenu actuel du benefice. L'amende ordinaire de ceux qui vendent l'ordinatiori , eft de quarante liv. & la loi les rend inhabiies pendant fept ans a polféder des bénences. Cette peine eft équitable; mais pour découvrir des fimoniaques,la loi autorife les trahifons & la fauifeté. Et voila 1'abus. B ij  [ 20 1 vinéchez nous , n'eft qu'une abfurdité fuivant les autres peuples. La , fi 1'on confulte les idéés de la faine politique , les couvens font dans un état des goutres qui abforbent des citoyens utiles. A partir de ce principe, le rapt d'une religieufe eft un afte de civifine; & loin de mériter la corde, le raviffeur devroit avoir, comme chez tes Romains, une couronne de feuilles de chêne. La législation dans les pays catholiques ne fuivra pas ces principes. Cependant, fi elle ne récompenfe pas le rapt d'une religieufe, elle ne doit pas le punir. La violation du vceu de virginité n'eft qu'un crime religieux & non focial. Un prétre qui commet un doublé crime religieux en enlevant une religieufe , n'en commet qu'un focial; & s'il doit étre puni par la fociété , ce n'eft que comme fimple ravifteur. V. 1'article du rapt. Crimes contre la discipline extérieure. I. Refus de facremem, blafphême médité, violation de ceremonies extérieures, profanntion de chofes facrées. Ces crimes font commis contre une religion , ou parades gens qui en font profeffion, ou par des étrangers.  [ »7 ] Dans Ie premier cas on doit Ie fervir des peines canoniques que nous avons indiquées. Dans le fecond nous renvoyons a ce que nous avons dit ci-deffus. jf Ceft un grand crime en Angleterre de jouer , de danier, de chanter les jours de dimanche. C'efta-dire qu'on s'y voue au plus profond ennui pour honorer la divinité. II n'eft pas jufqu'aux papiers publics qui ne foient fufpendus ce ;our-Ia. Les confeflions des criminels exécutés a mort débutent toujours par cet article de la violation des dimanches. Cette auftérité née du puritanifme , méritoit bien d'être confervée par ce peuple fingulier, qui au milieu de 1'Europe policée fe piqué encore d'être fauvage , & qui laifte appercevoir a fétranger obfervateur un refte de ferment de fanatifme. Dans tous les pays on doit obferver les fêtes cle religion ;le befoin peut les faire violer, le mépris ne doit jamais les violer impunément; mais des correftions de police , des amendes, la privation des avantages religieux feront les feuls chatimens. 2. Refus de facrcmcns. C'eft un crime bizarre né dans ces tems de querelles théologiques, oü des fanatiques qu'on appelloit moliniftes ou janféniftes, s'anathématifoient réciproquement. Les uns ne vouloient pas B üj  Ili] accorder les avantages fpirituels a ceux qu'ils foupCOnnoient n'être pas de leur parti. Le parlement de Paris fut obligé d'interv^enir pour pacifier ces débats. II prit un fage temperament, ce fut de faifir le tempörel des mutins. Nous félicitons les autres nations de ne pas éprouver ces convulfions de frénéfie pieufe , dpnt Ia vraie religion a gémi. Le refus de fépulture de la part d'un prêtre eft un délit civil que le législateur doit s'attacher a réprimer, paree que c'eft un aöe de defpotifme théocratique , dont il faut arracher jufqu'a la derniere racme; tant qu'un citoyen n'eft pas légalement féparé du corps religieux ou il a été admis, i£droit de réclamer fes privileges. Ainfi le déifte, Ie maténalifte fecrets, qui n'ont point été juridiquement excommuniés par 1'églife , ne peuvent être privés de la fépulture ecciéfiafrique. Que dira donc la poflérité lorfqu'elle apprendra que dans le fiecle dc Louis XIV on a , fous le prétexte d'une excommumcation qui n'a jamais été prononcée par les canons, refufé les honneurs de 1'inhumation au génie qui avoit créé la comédie & immortalifé fon ingrate patrie , lorfqu'on faura qu'un roi qui a pouffé bien plns loin que tous fes prédécefTeurs les bornes de la monarchie, eut recours a üne plaifanterie pour fauver 1'outrage fait aux manes de Mo-  [ *3 ] liere ? (ióY) Que dira lapoftérité, lorfqu'elle apprendra que les ennemis du grand homme qui a porté le fiecle fuivant bien au-deffus de tous les autres , qui a étendu 1'empire de'la raifon & de 1'humanité d'un pole a l'autre, s'acharnant jufques fiir fes ceudres , ont voulu les déshonorer en lui refufant les honneurs funebres; lorfqu'on faura que, pour ne pas les irriter, des ami,s furent forcés d'enlever furtivement fes reftes précieux, & d'efcamoter pour ainfi dire cinq pieds de terre a celui qui avoit éclairé 1'univers; lorfqu'on faura que le fanatifme. .. Je m'arréte. Grand homme ! fi tu daignes jeter un coup - d'ceil fur ce miférafele globe, dont tu as difijpe quelques brouillards, ne vois que les expiations , les larmes finceres que les vrais philofophes , les amis de 1'humanité ont verfées fur ta tombe, & ne laifte échapper qu'un fourire de pitié fur ces êtres vils qui veulent te déchirer après ta mort. Le tombeau du génie eft dans le cceur de fes admirateurs. C'eft la que ton éloge eft gravé en caraéteres ineffacables: que t'importe oü repofent les reftes de ce corps que tu animas ? ( 162) L'archevèque de Paris ne voulant pas permettre qu'on enterrat Molière en terre fainte,Louis XIV fui demanda jufqu'ou s'étendoit cette terre fainte ? L'archevèque lui répondit, jufqu'a vingt pieds. Lh bien, lui dit monarque , qu'on creufe une 'folfe de treute pieds. B iv  [ 14 } Tu vivras toujours dans tes ouvrages , 8c tes ouvrages auront toujours des admirateurs. ( 163 ) 4. On mettoit dans les fiecles d'ignorance au rang des crimes de lefe-majefié les injures dites a un prêtre , les outrages commis en fa perfonne. Dans prefque toutes les religions les prêtres ont enfeigné que ces aétes étoient autant de facrileges qui bleffoient même la divinité. Au royaume de Siam on punit par le feu un malheureux qui bat un Talapoin ou qui le voie. Si les prêtres aux yeux de la divinité font plus que des hommes ordinaires, s'ils font fes repréfentans , fi véritablement on la blefle en les offenfant, laiffons-lui le foin de venger les outrages de fes miniftres, & ne vengeons dans 1'affront fait a un prêtre que Finjure du fimple citoyen. 3. Crimes contre les droits des églifes. Les droits des églifes étoient autrefois immenfes. (165 ') Par une finguliere contradiction, tandis qu'on refufoit d'enterrer Voltaire , fous le prétexte de fon impiété , le muphti défendoit a Conftantinople fes livres comme catholiques, & confequemment dangereux. C'eft le plus bel éloge de M. de Voltaire que les defpotes inrerdifent la lecture de fes ouvrages. Les enfans des ténebres n'aiment pas la lumiere. Ce qui a mis le comble a la gloire de ce ^rand homme , c'eft que fon éloge a été fait par l'un des, plus dignes monarques que la terre ait produit.  [ ] Sans cefTe occupés a arracher des fouverains des privileges , des exemptions , les eccléfiaftiques étoient parvenus a fe rendre redoutables aux rois ck aux peuples. Violoit-on un de leUrs droits ? il y avoit aufïi-töt une fédition religieufe. Les temples étoient fermés, le miniftere refufoit d'ouvrir la bouche , on crioit a 1'anathême , le peuple murmuroit; & cédant trop facilement au murmure, le foible monarque encourageoit 1'audace impunie de fes rivaux. Toute atteinte portée a leurs privileges étoit un facrilege; un attentat a leur perfonne , un crime de lefe-majefté divine; un vol dans une églife , un forfait irrémifiible. Ils pouvoient être criminels impunément, ck on ne fétoit jamais médiocrement envers eux. ( 164 ) Telle eft 1'hiftoire des entreprifes de tous les prêtres depuis le Brame antique jufqu'au catholique; c'eft par-tout même efprit de corps, mêmes immunités , même joug théocratique. Mais aujourd'hui qu'on a apprécié dans la balance de la raifon la validité de ces titres, que dans ce creufet incorruptible ont paru comme des fcories les droits ufurpés de clergie, d'afyle, les noms de facrileges, de lefe-majefté divine ; aujourd'hui que les prêtres ne font que de fimples citoyens ( 164. ï On n'admetioit point pour la violence commife contre un prêtre le privilege de clergie.  [ 16 ] dans les états proteftans, & peut-étre moins que citoyens dans les autres états, oü ils font célibataires, on doit regarder les ufurpations de leurs biens, les vols de leurs effets, comme des vols ordinaires, fujets aux loix ordinaires. Le fétiche d'un Marabou, le manteau d'un Derviche n'ont point de rapport a la divinité : il n'y a donc point de crime de lefemajefté divine dans le vol de ces effets. J'aurois pü faire un trés-long chapitre fur les différentes profanations des facremens recus par les différentes branches du chriftianifme : j'aurois pu m'étendre fur les peines canoniques, dont on peut lire le mortel détail dans ces gloftes volumineufes des Ifidor, des Gratiën, d'Yves de Chartrcs, dont les noms font a peine connus : j'aurois pu faire une excurfion fur Pabus fi fréquent des cenfures , des excommunications; mais toutce fcientifique farrago ne feroit ici qu'un horsd'ceuvre. Tout ce qu'on peut dire dans un code criminel fur Ia religion, fe réduit a deux mots. Dans tout pays la religion, envifagée politiquement, eft fubordonnée a 1'état civil, & n'eft, comme Pa dit un célebre écrivain , qu'une affaire de police : elle ne peut donc créer ni des loix, ni cles délits particuliers; je regrette méme d'avoir fait un article fi long fur cette partie. II révoltera peut-être certains enthoufiaftes toujours prêts a fonner Ie  [ 17 J tocfin lorfqu'on peint les abus qui ont dans les lïecles panes fait gémir ro re augufte religion, qui la croient attaquée dans fes fondemens lorfqu'on attaque les ufurpations de fes miniftres. Méprife dangereufe, erreur funefte, qui a caüfé bien des malheurs au genre humairï, mais que le clergé de nos jours cherche a faire oublier. Je ne dirai plus qu'un mot a ces enthoufiaftes, & je le prends dans S. Auguftin. II doit diriger leur conduite. Servum autem Domini non oporta litïgare, fed mitem effe ad om nes, docilem, patientem, in modejiia corripientem dïverfa fentientcs. Je paffe au détail des crimes particuliers.  [ 18 ] TABLEAU des crimes contre la fantê des citoyens. Crimes. Peines. Violences légeres , comme foufflets , coups de canne , dont les fuites font peu dangereufes. Violences plus graves,dont Jes fuites entrainent une maladie, perte de quelque membre, mettent obftacle a I'exercice d'état. Violences mortelles ou meurtre, homicide fimple. Frojeté & non exécuté. . Empoifonnement. . . La loi du talion mife en vigueur. Le coupable remis aux mams de l'oucragé qui peutufer de repréfailles. i°. Réparations pécuniaires pour dédommagcr leblelfé, proportionnées au préjudice qu'il recoit. z". Le coupable remis a 1'outragé qui pourra le punir publ'quement par quelques coups de baton ou autre chatiment plus humiliant que cruel. 3°. Prifon & travail forcé, mais limité. Silence pour l'intérêt de Dieu , efclavage & travail perpétuel pour 1'état, peines pécuniaires pour la familie du mort. Prifon limitée. Ajoutez aux peines de 1'homicide, & condamnez les empoifonneurs a un travail plus dur, plus dangereux, plus dégoutant.  119 ] Crimes. Parricide Infanticide commis par mifere. Par la crainte du déshonneur. Homicide commis par ignorance par un chirurgien. Commis par un animal. . Involontaire Commis pour la défenfe. Permis dans certaines contrées comme d'un pere envers fa fille qu'il trouve en flagrant délit. Peines. Flétri par une marqué fur le front, expofé pendant un mois a la vue du peuple a des p:ines corporelles, enterré enfuite a jamais dans desminesavecdes chaines. Nul lorfqu'il y aura inftitution d'höpitaux d'enfans trouvés. Inftitution de maifon fecrete d'accouchement pour les filles enceintes. Peines pécuniaires envers la familie, interdiction d'état. Nulle peine pour 1'animal. Le maitre condamné en des dédommagemens. Idem. Nul crime, nulle peine, aucun befoin de rémiffion. Peines de l'homicide fimple. Le remord doublera le fupplice de la vie.  ii .-30] Par une finguliere contrariété qui aait de nos inftitutions civiles, la füreté des citoyens n'eft expofée que dans le? campagnes défertes & les endroits bien peuplés. Les villes deftinées a protéger Ia füreté du citoyen fourmillent en proportion de leur population, de bandits & de fcélérats qui fous le mafque de 1'incognito cherchent a fe dérober au fupplice qui les attend. Prévenir ces délits, procurer le repos & la tranquillité des citoyens, eft en France Fobjet fpécial du tribunal de la police qui, envifagé fous ce rapport, eft un chef- d'ceuvre de législation que Madrid , Londres (165) & toutes les grandes villes oü les vols font une efpece d'impóts, devroient s'emprefter d'imiter pour détruire ces bandits dont elles font infeétées. L'ceil vigilant du magiftrat embrafte la vafte étendue de Paris; a fes regards fe joint un eflaim d'efpions diftribués dans tous les quartiers. II voit tout, il fait tout; c'eft FArgus de la fable , c'eft le centre oü aboutüTent tous les rayons, oü la plus légere fecouiTe fe fait reflentir. Tranquille a Fombre de la loi, le citoyen repofe avec fécurité, & le jour éclaire impunément plus (16$) On a propofé un pareil établiffement ;mais les Anglois craignent de payer trop cher la fécurité qu'il leur procureroit, c'efU-dire, par le facrifice de leur liberté.  [ 31 ] d'attentats ailleurs que la nuit n'en cache ici fous fon voile ténébreux. Violences. La violence eft 1'abus de la force,. C'eft un crime qui lefe le citoyen offenfé dans fa perfonne; il mérite donc une peine corporelle, fi 1'on ne veut pas s'écarter du principe que nous avons pofé , de faire dériver les peines de la nature des crimes. Rien de plus dangereux pour la fociété , que d'intervertir cet ordre ck de fixer des peines pécuniaires pour des délits corporels. II n'y a plus de liberté, dit M. Beccaria, toutes les fois que les loix permettent que dans quelques circonftances 1'homme cefle d'être une perfonne & de-r vient une chofe. Cette loi eft Is fecret magique qui change les citoyens en awtant de bêtes de fomme; c'eft elle qui dans la main du fort eft la chaine dont il lie les aétions des imprudens ck des foibles. II ne faut donc point admettre de diftin&ion pour la punition des violences; a raifon de la différence des perfonnes, il faut que le législateur prenne pour devife ce vers : Plebs patriciufvefuat, nullo difcrimine habeto. Si 1'on pouvoit a prix d'argent faire des violences , le riche ne mettrpit point de bornes a fon  [3* ] ilifolence ; Ie fardeau de la législation criminelle tomberoit fur le feul pauVre. Qu'on fe rappelle le trait de ce Romain qui fe plaifoit a donrer des foufflets , en payant le prix fixé par la loi. C'étoit donc un ïnconvénient terrible de la législation des Francs & des Germains de mettre a prix d'argent les violences, & de mefurer le dédommagement pécuniaire uniquement fur la grandeur dé la plaie. ( 166 ) U y a différentes efpeces de violences, elles font plus ou moins graves, plus ou moins nuifibles a la fociété ; il doit donc y avoir différentes efpeces de peines corporelles. Entrer dans un détail exacT, feroit une entreprife auffi faffidieufé qu'inutile. II fuffit que le juge fuive ce grand principe de législatiort, de proportionner le plus qu'il eft poffible, la gravité de la peine au tort que fait le délit a 1'outragé. Dans les violences qui outragent un citoyen fans le blefifer griévement, fans nuire a fa fanté, on pourroit admettre une efpece de talion. Si un ci'oyen donne ou un foufflet ou des coups de eanne, ou commet telle autre aétion qui foit (166^ A ÏSeucnatel en Suiflê, on conferve encore ce tant clans la pumtion des violences. Le roi de Suede v^ent d'abolir en partie cetarif des pumoonspécuniaires, enraciné fur-touc dans Jc nord, au  C 33 ] au fond plus infultante que dangereufe, il faut publiquement le foumettre a la même peine, le livrer au citoyen qu'il a outragé , ck permettre a ce dernier de fe venger ou de pardonner. N'étendons pas ce talion trop loin ck n'imitons pas ce peuple barbare qui demandoit une once de chair pour une once de chair. Ce calcul eft auffi ridicule qu'atroce. Lorfqu'un citoyen accablé par la force eft excédé de coups ou blefte dangereufement, il feroit abfurde de réduire 1'agrefleur au même état. Si ce talion eft dans la nature, il eft contre l'intérêt focial; la fociété auroit deux membres inutiles au lieu d'un. Le coupable mérite deux efpeces de peines, mais il faut qu'elles foient utiles. II faut le condamner a une peine pécuniaire pour dédommager celui qu'il a blefte des frais de fa guérifon; il faut enfuite le priver de fa liberté , 1'occuper dans une maifon de force, ou ailleurs, a des travaux publics. Le terrne de fon chatiment fera proportionné a Ia gravité du délit, comme la grandeur de la peine pécuniaire, a la grandeur du dommage, ck ce dommage fe calcule par les circonftances. ( 167 ) (167) Quoique la différence durangdoive mettre de la différence dans la peine, cependant il ne faut pas, a raifon d'une infériorité réelle ou conventionnelle, anéantir les droits de 1'homme. Oh lit dans un certain Tome II. G  [34] Parmi les loix des Juifs, on en remarque une bien jufte. Si un maïtre creve un ceil ou arrache une dent a fon efclave, celui-ci eft libre. Ex ode , XXI. 16. 27. II faudroit étendre 'cette loi aux Negres, tk leurs maitres refpeóteroient bien plus 1'humanité dans leurs perfonnes. Je ne me laflerai point de répéter que ne pouvant entrer dans des détails ennuyeux, c'eft aux juges feuls a apprécier par la gravité des circonftances la grandeur du crime t ainfi des excès commis par un commiflaire dans fes fonétions, par des foldats recrutans, par un geolier envers fes prifonniers, méritent une peihe plus grande que des excès ordinaires : ainfi des excès , des effractions commis par des prifonniers pour s'échapper feroient prefqu'excufables j fi des délits pouvoient 1'être. Je fixe quelques degrés de 1'échelle des crimes tk des peines : c'eft au juge a partir de ces dönnées pour connoitre la latitude des autres délits. Lorlqu'il s'éleve quelque rixe & que la fcene eft enfanglantée, les juges condamnent celui qui a blefte, a payer les frais de la maladie du pacode pénal: celui qui frappe Ton efclave, criminis reus crit,fi moriatur in manibus; mais s'il furvit un jour ou deux , il 11' y a point de crime, quiapecunia illius ent. II y a dans cette décifion une inconféquence & ime inhumanité.  [ 35 ] tient; ce qui n'eft pas toujours jufte, puifque celui-ci peut avoir été 1'agrefTeur. Mais on examine d'ailleurs fi la blefture eft mortelle ou ne 1'eft pas. Paree que les médecins font divifés fur les fignes d'une blefture mortelle, les jurifconfultes ont fixé un tems, les uns de neuf jours, les autres de quarante; fi dans ce délai le blefte meurt, ils jugent que la blefture étoit mortelle ck que 1'accufé eft homicide : s'il vit un jour après ce délai, elle ne 1'étoit pas. L'abfurdité de cette décifion faute aux yeux. Un de mes compatriotes, médecin éclairé, que j'aurai encore occafion de citer dans une thefe foutenue en I778, défendoit avec raifon cette opinion, d primarla vulmrum conditiom ipforummet hthalitas apvd judices repetenda, C'eft, fuivant lui, 1'état de la blefture au moment qui fuit le combat, qui doit décider le chirurgien ck le juge, paree que des circonftances particulieres produites , foit par la faifon, foit par la maladie, foit par la mal-adrefle du chirurgien , peuvent rendre mortelle une blefture qui ne 1'étoit pas. Les fignes de cette première font trés - difficiles a reconnoïtre, 6k voila pourquoi M. Doublet recommande aux experts de ne point prononcer lorfque la vérité ne leur proit pas plus claire que le jour. A pronuntiando igitur abftintat Me C ij  [ 3* ] cui verkas non affulget meridiand luce clarior. Indépendamment de ces raifons, je crois que dans les fuites de ces rixes il faut plutöt confidérer Pintention de 1'accufé que le coup malheureux qu'il a porté. II eft rare qu'un des deux combattans ait un objet déterminé d'öter la vie a fon adverfaire. C'eft fon injure qu'il veut venger. Peut-être demande-t-il du fang. Mais cette vengeance méme eft bornée; & s'il en paffe les limites, c'eft plutöt le hafard qu'il en faut accufer, que fon intention : dans ce cas, il eft clair qu'il ne doit pas étre puni auffi rigoureufement que 1'affaffin. Lorfque de fages régiemens auront détruit prefqu'entiérement la mendicité, caufe ordinaire des vols, lorfque les voleurs ne feront plus forcés par la rigueur imprudente des loix a maflacrer les citoyens qu'ils arrêtent, pour diminuer le nombre des témoins de leurs crimes, alors il y aura peu d'aflaffinats. L'intérêt perfonnel eft le mobile de toutes les aftions humaines; & lorfqu'il n'y en aura plus a fortir de la fphere tracée par les loix, croit-on que beaucoup de citoyens s'en écartent? C'eft 1'indigence défefpérée qui crée tant d'affaffins. II eft rare que des motifs de vengeance perfonnelle arment des citoyens les uns contre ks autres , fur - tout quand les tribunaux font  I 37] prompts a venger les affronts faits a fes membres, tk a accueillir indiftindement toutes les plaintes. La guerre n'eft point notre état naturel, malgré les fophifmes du philofophe de Mamelsbury. Ce n'eft toujours qu'avec une répugnance naturelle que 1'homme verfe ,1e fang de 1'homme. Interrogez les Mandrin, les Cartouche , ils vous diront qu'ils ont frémi en égorgeant leur première victime. L'ceil fe familiarife enfuite avec le fang, i 1 on croit que 1'innocent eft aflez patiënt pour fupporter les tourmens, pourquoi le coupable qui n'a que ce moyen de fauver fa vie , le fera-t-fl moins? Pour ne pas faire perir un malheureux innocent, on fait p.re que de ui faire fouffrir la mort. Analyfe raifonikc dc lajagejfc, c. 3. J Ces différens morceaux que nous venons de citer, concennent ce qu'on peut oppofer de plus folide a 1 ulage de la torture.  [ io5 ] C'eft avec cette demiere preuve qu'on efface a jamais ces maximes de fang, prêchées avec un fang-froid étonnant par les criminaliftes ( zoo ) Francois , qui fur ce point, comme fur mille autres , n'ont pas voulu contredire la doftrine de leurs prédécefleurs. Etrange aveuglement qui a perpétué Ferreur dans les tribunaux, qui a multiplié ces formes de fupplices fi variés de queftion provifoire , ordinaire ck extraordinaire , qui a fait verfer tant de fang a des innocens & tant de larmes aux juges imprudens! II y a un troifieme parti ( 201 ) de jurifcon- ( 200 ) La fection de Jouffe fur Ia torture , tomel, p. 689, eft tout-a-fait étrange, & décele bien le jurifconfulte qui fait citer, mais qui ne fait pas raifonner ; il cite mille autorités pour & confre la queftion, & finit par fe décider pour elle. M. Muyart de Vouglans, celui-la même qui traita M. Beccaria d'hérétique & d'imbécille , penfe de méme que Jouffe a cet égard. Qui a lu un criminalifte Francois, les a lu tous. II femble que leurs ouvrages fortent du même moule. Qui croiroit que le raifonnement fuivant eft d'une des lumieres du barreau , du chancelier Dagueffeau ! Ou la preuve du crime eft complete, ou elle ne 1'eft pas; au premier cas, il n'eft pas douteux qu'on doive prononcer la peine portée par les ordonnances; mais dans le fecond cas, il eft auffi certain qu'on ne peut ordonner que la queftion, ou un plus amplement informé. (201) Que le régicide foit le plus grand crime dans les monarchies , que pour le prince on déroge aux loix ordinaires , j'y foufcris; mais dans un code deftiné pour toutes les nations, il faut écarterces exceptions: la torture eft une peine , on ne doit jamais in-  [ 106 ] fuites mitigés, qui, en rejetant la torture pour les cas ordinaires, 1'admettent pour les crimes extraordinaires, tels que le régicide ; M. cle Voltaire penche même pour ce fentiment. J'oferois croire , dit-il, qu'il n'a été qu'un feul cas oü la torture parut néceffaire : c'efl: 1'aflaflinat d'Henri IV, 1'ami de votre république, 1'ami de 1'Europe, celui du genre humain. Le crime de fa mort perdoit la France, expofoit nos provinces, troubloit vingt états. L'intérêt de la terre étoit de connoitre les complices de Ravaillac. II ajoute : mais le fupplice d'être tiré a quatre chevaux après avoir recu du plomb fondu dans fes membres fanglans, étoit affez long pour lui donner le tems de révéler fes aflbciés, s'il en avoit eu. Nous ne nous étendrons pas davantage fur fliger de peines que lorfque la preuve du crime eft complete. Le fort d'un accufé ne doit pas fe décider en raifon de 1'efpece du crime dont on 1'accufe, mais en raifon des preuves. Un innocent, pour être accufé de régicide, n'en eft pas moins innocent; jamais un intérêt général ne peut excufer une injuftice. L'intérêt de 1'état, dit-on, exige qu'on découvre les complices d'un forfait qui peut le troub!er,& la torture eft le feul moyen de les découvrir; employez-les contre le coupable, lorfqu'il eft convaincu; mettez a ia torture les Damien, les Ravaillac : leur crime étoit prouvé. Mais fi le fait n'eft pas conftaté , mais s'il n'y a que des indices qui rendent fufpect 1'accufé, ne i'expofez pas aux horreurs de la torture.  C ] 1'ufage cle la queftion, que la raifon & Phunlanité s'accordent a condamner. Tant de philofophes ont écrit avec une éloquence fi énergique contre cette barbarie plus digne de Cannibales que de peuples civilifés, qu'il fuffit de renvoyer les incrédules a les lire.Voyez la feéfion 16 du Traité des délits & des peines , page 8l. Soit donc que la confeffion de 1'accufé foit forcée ou volontaire, jamais elle ne doit fervir de bafe a fa condamnation. En fuivant cette méthode , on fauvera peut-être quelques coupables, mais on ne verfera le fang d'aucun innocent. S'il importe , dit Hernecius, aux fociétés que les délits ne foient pas impunis , il importe bien plus encore que cles innocens ne foient pas facrifiés par des fupplices cruels, & qu'on ne faffe pas des exemples en Ia perfonne de ceux qui ne font expofés a 1'animadverfion publique que paree qu'on admet contr'eux les horreurs de la calomnie. QUESTION III. Confeffion appuyée de preuves. Si 1'on eft trop cruel en condamnant un homme fur fon fimple aveu, il feroit abfurde de ne pas avoir égard a cet aveu, lorfqu'il fe joint a d'autres preuves. Alors c'eft une forte probabilité qui  [ io8 ] peut leur ajouter quelque poids. Mais pour que cette confeffion opere cet effet, il faut qu'elle foit précife, non provoquée, qu'elle n'ait pas été faite par erreur ou par crainte, que 1'accufé foit dans fon bon fens; il faut que le corps du délit foit bien conftaté ; il faut enfin que les dépofitions claires & invariables de plufieurs témoins fourniffent une lumiere qui frappe néceffairement les yeux du juge. S E C T I O N II. Preuve tejlimoniale. De toutes les preuves il n'en eft point qui paroifte plus füre ni plus équitable que 1'affirmation de plufieurs témoins. Cependant elle entraine des inconvéniens comme les autres, & plus d'une fois on a vu fur les échafauds couler le fang d'accufés innocens, que la vengeance armee de la calomnie y avoit fait monter. Plus d'une fois on a vu le puiffant acharné contre le plus foible qu'il vouloit écrafer, arracher au poids de 1'or de fauffes dépofitions & triompher par 1'art trop connu de nos jours, de la fubornation. Plus d'une fois enfin Terreur des fens & la précipitation du jugement ont öté la vie a des infortunés contre lefquels le hafard avoit réuni les prélomptions les plus frappantes.  L io9 ] C'eft pour parer a ces triftes inconvénieas , dont les annales de toutes les nations n'offrent que trop d'exemples, qu'il faut, autant qu'il eft poflible, fixer des principes a la lueur defquels on puifle diftinguer aifément les témoignages faux ou erronés, des témoignages vrais ck certains. Pour écarter la confuflon de cette matiere , on examinera donc i. a quels fignes on peut reconnoitre les témoins véridiques ; 2. quels témoins peuvent être recus; 3. en quel nombre ils doivent être pour que leurs dépofitions puiflent fervir de bafe a une condamnation. J. 1. Caracitre du témoin véridlque. Pour s'appuyer fur le témoignage des hommes, pour pouvoir prononcer d'après lui, il faut être certain 1. que ces témoins ne veulent point en impofer; 2. qu'ils n'ont pas été trompés eux-mêmes. Ainfi la foi due au témoin doit être mefurée d'abord fur l'intérêt qu'il a de dire ou de ne pas dire la vérité , enfuite fur fa capacité ck toutes les circonftances de fon organifation. La preuve de la véridicité du téjnoin ne peut s'obtenir que par une connoiflance approfondie de fon caraétere. II faut donc que le juge foit bien verfé dans la première de toutes les fciences, dans  [ «O ] la morale , qu'a la lueur de fon flambeau il defcende dans le cceur des témoins, qu'il y démêle les différentes paffions qui 1'agitent, qu'il découvre les rapports qu'ils peuvent avoir avec 1'accufé, la nature du mobile qui les dirige; il faut que , remontant a des tems antérieurs, il parcoure le cercle de la vie de fes témoins, qu'il cherche a éclairer le préfent par le pafTé. Je fais que cet examen eft délicat, que quelqu'adroit que foit le juge criminel, le fcélérat familiarifé avec la fourberie faura échapper a la pénétration de fes regards. Je fais que , tant qu'un homme eft couvert de la frêle enveloppe de l'humanité, quelque véridique qu'il ait été dans tout le cours de fa vie, il eft probable qu'il n'en impofe point fur le fait qu'il rapporte. Si cependant, examen fait de tous les témoignages , les mêmes probabilités les caraétérifent, alors on a la certitude morale ; & un jugement fondé fur cette efpece de certitude, quoique la vérité le défavoue quelquefois, eft marqué au coin de 1'équité humaine qui . comme toutes les autres vertus, porte toujours 1'empreinte de notre fragilité. Si je pouvois m'affurer, a dit un écrivain (voyez article Certitude de 1'Encyclopédie) qu'un témoin a bien vu ck qu'il voulüt me dire vrai, fon té-  [ III1 moignage pour moi deviendroit infaillible; ce n'eft qu'a proportion des degrés de cette derniere aflurance, que croit ma perfuafion. Elle ne s'élevera jamais jufqu'a une pleine démonftration , tant que le témoignage fera unique, & que je conlidérerai le témoignage en particulier, paree que, quelque connoiftance que j'aie du cceur humain , je ne le connoitrai jamais aflez parfaitement pour en deviner les divers caprices & tous les refforts myftérieux qui le font mouvoir; mais ce que je cherche en vain dans un témoignage, je le trouve dans le concours de plufieurs témoignages. Je puis, en conféquence des loix que fuivent les efprits, aflurer que la feule vérité a pu réunir tant de perfonnes dont les efprits font fi divers Sc les paflions fi oppofées. C'eft donc dans la connoiftance du caraéf ere de chaque témoin, qu'on pourra trouver la preuve de la véridicité: il doit étre cru, s'il n'a point d'intérét a tromper. C'eft dans le rapprochement de ces divers témoignages, qu'on pourra, s'ils font femblables, ou s'ils peuvent former une chaïne, un fyftême de faits fuivis, trouver la vérité du fait que 1'on cherche.  [ rxi ] Qualité des témoins. Je pencherois a croire , a dit le philofophe de Ferney ( Prix de la juftice & de fkumanité, page 100 ) que tout homme, quel qu'il foit, peut être recu a témoignage. L'imbécillité, la parenté, la domefticité, Finfamie même n'empêchent pas qu'on ait pu bien voir & bien entendre : c'eft aux juges a pefer la valeur du témoignage & des reproches qu'on doit lui oppofer. Les dépofitions d'un parent, d'un aflbcié, d'un domeftique, d'un enfant, ne doivent décider de rien; mais elles peuvent être entcndues, paree qu'elles peuvent donner des lumieres. Ce fentiment qui paroitra nouveau aux modernes jurifconfultes qui ne jurent que par les ordonnances & par le droit romain, nous fervira de texte , paree qu'il eft 1'expreflion du droit naturel & de la raifon. Tout homme qui a pu voir le fait qu'on veut conftater , doit être entendu. Voila le principe gêné" ral; qu'il foit impubere ou noté par la juftice, qu'il foit noble ou roturier, prince ou bourreau, il n'en a pas moins vu. II peut donc éclairer le juge , ck c'eft fe refufer fi la lumiere, que de rejeter fa dépofttion. Qu'en Fadmettant on ait égard a la flétriiTure ignominieufe  C «3 ] ignominieufe dont il a été marqué, a KnÉutiie a laquelle il eft voué : qu'on ait égard a la foibleffe dage d'un enfant dont les organes trop cjebiles encore, ou le jugement trop informe n'ont pu C 202 ) faifir la vérité. Que dans la dépofition d'un ennemi contre fon ennemi on mette a 1'écart les traits qui peuvent être envenimés ou groflis par la vengeance tk la partialité; la raifon ellemême tk Péquité diétent cette méthode judicieufe. Mais pourquoi, comme les jurifconfultes, enfler ici la lifte des témoins fufpecfs ? Pourquoi dans cette lifte mettre les accufés aéluellement dans les prifons ? Socrate étoit-il moins Socrate, moins digne de foi, lorfque la calomnie infernale l'eut plongé dans les cachots d'Athenes ? Un décret peut - il ( 202 ) II elf incroyable qu'on ait voulu fixer un age commun oü les enfans peuvent être criminels, peuvent porter témoignage. Les loix angloifes regardent les enfans de quinze ans comme autïï coupables que des hommes. Fixer 1'age pour le crime ou pour la validité d'un témoignage eft une abfurdité. II eft des enfans qui avaitt douze ans ont aflez d'intelligence pour diftinguer le bien du mal. II en eft d'autres qui a vingt ans ignorent cette différence. Pour fixer le prix du pain, on prenrL-un terme moyen dans les différens prix des bleds. Cette opération eft néceffaire; mais je ne vois pas la néceftité d'un tarif d'intelligence en raifon de 1'age. II faut laifler aux juges le foin d'en apprécier la valeur. Tome II. H  [ H4 1 par provifion priver un homme de fes privileges' f Pourquoi ne pas recevoir dans les pays catholiques les témoignages des juifs & des hérétiques ? Pour ne pas croire a Ia melTe , en ont - ils Un fens de moins , en ont-ils moins de probité & d'honneur ? La bonne-foi eft indépendante de toutes les religions, & un Turc doit être admis a dépofer 'i Paris comme un Francois a Conftantinople. Les canoniftes mettent dans la clafie des témoins fufpeéls les excommuniés. On a heureüfement oublié cette décifion avec les queretles des papes & leurs vieilles prétentions. Mais ce qu'on ne concevra jamais, c'eft que les criminaliftes ötent la faculté de porter témoignage en juftice aux mendians, aux pauvres, aux prifonniers. Mais fi le crime a été commis -dans les prifons, s'il n'a été commis qu'en préfence de ces malheureux que la dureté du gouvernement force a mendier leur fubfiftance; mais fi la juftification d'un accufé ne peut fortir que de la bouche de ces mendians, étoufferez-vous leurs cris & laifterez-vous périr 1'innocent fur la dépofition de deux témoins fubornés, mais non encore flétris ? S'il eft dans la fociété des êtres que la cruauté raffinée des hommes ait cherché a avilir, a anéan-  f "5 ] tir même* s'il eut été pofïible, ce font les efclaves. Les Romains les regarclant comme nuls , comme indignes d'exifter, ne leur permirent jamais de pouvoir élever la voix contre un citoyen Romain. C'étoit peut-être un bien dans ces tems heureux de la république Romaine , oü la politique devoit imprimer dans tous les éceurs une haute idéé de la fupériorité du nom Romain. (203) Mais cet avilificment des efclaves eft contre le droit naturel, & il eft inconcevable qu'un monarque chrétien , que Louis XIV ait dans fon ordonnnance de 168 5 défendu de tirer aucune préfomption, ni conjecbure, ni adminicule de preuves , de la dépofition d'un Negre. Quoi ! paree que de pauvres Africains ont le malheur d'être nés avec une couleur noire & de la laine fur la tête , au lieu d'être blancs ck d'avoir des cheveux , paree que 1'avarice européenne fes achete (20;) ARome les efclaves ne pouvoient dépofer contre leur maitre. On ne croyoit pas qu'ils eüffent une exiftence civile. Augufte établit que les efclaves de ceux qui auroient confpiré contre lui, feroient vendus au public afin qu'ils puffent dépofer contre leur maitre. On ne doit rien né«liger de ce qui mene a la découverte d'un grand crime. Ainfi dans un étatoü il y a des efclaves , il eft naturel qu'ils puiffent être indicateurs; mais ils ne fauroient être témoins. Montef. quieu. On ne trouve pas beaucoup de philofophie dans cette derniere décifion,,. H ü  [ n<5] comme des meubles, 'pour les tranfplanter dans un autre climat & les martyrifer pour nos «plaifirs, ils feront moins hommes, moins bien organifés , moins probes, moins dignés de foi que les Européens ? S'il falloit rejeter le témoignage de quelqu'un, je récuferois plutöt celui de ces cruels Efpagnols qui ont fait couler des fleuves de fang. dans le nouveau monde, de ces avares Hollandois qui mutilent, efiropient leurs Negres pour la moindre fantaifie. Entre 1'opulent Romain qui faifoit jeter fes efclaves dans fes étangs pour la nourriture de fes poiffons, & ces efclaves, je n'aurois jamais balancé. Le Romain n'étoit qu'un monftre, & les efclaves étoient des hommes, coupables fans doute, mais de n'avoir pas fait fervir leur maitre même de proie a la voracité de fes lamproies. Ne profcrivons donc point le témoignage des êtres que Pindigence force a nous fervir, ou a qui la différence de climat donne une couleur différente. Olivatres ou non, blancs ou plombés , efclaves ou libres , roturiers ou nobles, tous les hommes peuvent fervir de témoins, paree que tous peuvent voir ou entendre , paree qu'entre la couleur & la fincérité il n'y a aucune analogie , paree qu'on n'eft pas néceffairement Cartouche ou faux témoin , pour être né fous la zone torride plutöt que fous la zone tempérée.  [ "7 ] Tous les hommes peuvent dépofer, mais leurs dépofitions doivent avoir différens degrés d'importance en raifon des circonftances. Ainfi le témoin qu'on foupconnera d'inimitié ou de partialité, dont la probité a été fufpectée dans d'autres occafions, dont l'honneur eft flétri, fera fans doute moins cru que 1'honnête citoyen qui jouit dans la fociété d'une bonne réputation. Rendons aux femmes la juftice qu'on leur a pendant fi long-tems refufée. Que la foiblefte de leur nervure, que la délicateffe de leur organifation, que mille autres raifons empêchent leur efprit de s'élever dans les fciences a ce haut degré oü eft parvenu le génie tranfcendant des hommes, eftce une raifon pour clafter leur témoignage audeftbus du notre ? Sont-elles donc moins vraies, moins finceres, paree qu'elles font plus délicates , plus légeres, plus fenfibles que nous ? Non , la probité n'eft pas comme le génie; dans 1'organifation , un menteur eft auffi bien organifé qu'un Voltaire. S'il eft quelques êtres dont on ne doive point admettre les dépofitions, ce font fans doute celles des freres contre leurs freres, des peres contre leurs enfans, d'une femme contre fon mari. Quelque grand que foit le devoir focial, il cede & doit toujours céder au lien de la nature. Exiger H iij  [ II» ] Ia dépofition de ces perfonnes, feroit une arren cité; & s'il fe trouvoit un tyran aiTez barbare pour I'ordonner, le faux & le parjure deviertdróiérït des vertus nécelTaires. ( 104 ) C'eft par une fuite du grand refpeft qu'on portoitau droit romain, qu'ön a dans quelques codes défendu d'avoir égard aux dépofitions des ferviteurs & domeftiques. Faire une loi générale fur cet article étoit une abfurdité. II vaut mieux laifter a la prudence du juge le foin d'eftimer la valeur des dépofitions en raifon des circonftances. C'eft a lui de voir fi le domeftique a intérêt d'altérer la vérité pour ou contre fon maitre ; c'eft a lui de combiner toutes les circonftances tk d'en tirer la lumiere : mais il eft impoffible de pofer une loi générale. Je ne connois que quatre caufes qui peuvent faire rejeter des dépofitions. 1. Défeéf uofité d'organes. Un aveugle ne peut pas dépofer de faits qui ne peuvent être faifis que par la vue. 2. Ab- ( 2°4 ) Jamais les enfans ne peuvent fervir de témoins contre leurs peres. Onde, dit Murena, ftper aventura accade fatto die daquefti e non da altri teftificarfi debba conviene, piu tofto rimaner impumto cheper tali mezzi cafiigaco aprirjï jlrada a pu, blico male. Fu male detto Tiberio, allora che volendo inquirero contra Libone Drufo , commando che Qffrancati fojfero ifuoi fcrvi per valerfene di teftimoni. Muren. Dor. de giud.  [ H9 ] ience de la raifon. Un furieux, un homifie ivre, iont incapables par - la de porter témoignage. 3. Raifon de parenté. Ainfi la jpi naturelle défend de recevoir le témoignage d'uH pere contre fon enfant. 4. Parenté avec 1'accufateur. L'impuberté ne peut pas être une raifon décifive non plus que la liaifon avec le particulier accufé. Ces circonftances influent fans doute fur la valeur de la dépofition , mais ne la détruifent pas. Une bonne loi qui parut en Angleterre, fut celle qui' défendit d'admettre le témoignage d'un Anglois contre un Ecoflbis, & vice verja. Cette loi étoit jufte. L'antipathie des deux nations étoit pouflee a un tel point qu'elle faifoit violer les loix même les plus facrées. On ne portera pas le même jugement fur une loi du même gouvernement , qui öta aux bourreaux & aux chirurgiens la faculté de dépofer. Encore une fois, on ne devient pas faux témoin pour manier le fcalpel ou la corde. De tous les exemples'que nous avons cités, des différentes manieres d'eftimer le témoignage, que nous avons données, il rélulte 1. que la vraie mefure de la croyance qu'on doit a un témoin n'eft que 1'intérêt qu'il a de dire ou non ia vérité ; & cet intérêt, le juge feul peut 1'apprécier; 2, qu'on ne doit rejeter les dépofitions que de H iy  [ 120 ] ceux qui peuvent avoir intérêt d'affoiblir la vérité; 3. qu'on ne doit récufer que les parens de 1'accufateur & jamais^eux de 1'accufé. $• 3- Nombre des témoins. Le nombre des témoins fuffifant pour faire condamner un homme, eft f.xé a deux dans tous les gouvernemens. C'eft U feule preuve qui ait un caraftcre légal, & qui portc IWpreinte de la certitude. Les loix , dit M. dc Montefquieu, qui font périr un homme fur la dépofition d'un feul témoin, font fatales a la liberté. La raifon en exige deux, paree qu'un homme qui affirme & un accufé qui nie font un partage; & il faut un tiers pour le vuider. Voila la raifon de la nature; les jurifconfultes en donnent une autre tirée de la connoiftance du cceur humain, c'eft qu'un feul homme peut être féduit, fuborné, prévenu, égaré par 1'illufion de fes fens; cependant deux hommes également prévenus fe trompent fi fouvent, & croient avoir,vu ce qu'ils n'ont point vu, furtout quand les efprits font échauffés, quand un enthoufiafme de faétion ou de religion fafcine les yeuxJl eft d'ailleurs auffi facile aux hommes opu-  [ m ] lens de fuborner deux, quatre , fix témoins, qu'un feul. Les mceurs font aujourd'hui fi corrompues, que le puiflant fuborneur n'eft embarrafle que dans le choix des inftrumens de fon crime. Que d'exemples frappans d'erreurs même commifes par deux témoins, & qui ont coüté la vie a bien des malheureux ! Ne frémit-on pas quand on lit 1'hiftoire des Sirven , de la Pivardiere, de le Brun St de tant d'autres ? Quel eft le citoyen qui ne doit pas appréhender de voir renouveller fur lui ces fcenes affreufes ! Cependant, comme les crimes demeureroient impunis fi 1'on introduifoit dans les tribunaux ce pyrrhonifme oü jettent les erreurs de nos fens & les vices du cceur humain, il faut s'en rapporter au témoignage défintérefle, conftant & uniforme de deux témoins non fufpeéts, dépofant du même fait, fur-taaut lorfque le corps du délit eft conftaté. On penfe bien que le nombre des témoins fuffifant doit varier en raifon de leur qualité & des faits dont ils dépofent, du crime dont on accufé un citoyen , de la peine. Si 1'on accufoit a Conftantinople un particulier d'avoir une religion défendue, il ne faudroit pas s'en rapporter au témoignage de deux imans ou de deux particuliers. Ceux - ci font trop ignorans, ceux - la trop inté-  [ I" } reftes a trouver des vicrimes. Plus le crime eft important, plus il faut de témoins pour óter la vie a un citoyen; il faudroit plus de preuves que pour lui öter fa liberté : il en faut moins pour le condamner a une peine pécuniaire. Les criminaliftes penfent au contraire, qu'un témoin eft d'autant plus croyable que le crime dont il dépofe eft plus atroce. Ils fe fondent fur cette loi barbare, in atrociffimis kviores conjecium fufficïunt. Le nombre des témoins eft donc en raifon des circonftances. ( 205 ) II en eft du nombre comme de la qualité des témoins. On peut fixer des principes généraux; mais il eft mille cas oü il laut y déroger, & c'eft a Ia prudence des juges qu'il faut laiffer ce foin. Fatïnacius prétend que deux témoins fufpeérs équivalent a un témoin digrte de foi; c'eft-a-dire, que deux fources impures éqtövalent a une fource pure, deux malades a un homme en fanté; c'eft dire une abfurdité. Le même auteur prétend que, fi de deux (209) Les crimes qui font caches , quoiqu'atroces , ne peuvent être punis. La focicte ne porte point un ceil curieux fur les actions fecretes des citoyens. C'étoit une mauvaife loi que celle de 1'empereur Juftinien, qui porcoit que les accufés du crime contre nature feroient punis fur la depofition d'un enfant. C'étoit ouvrir uneporteibien large a la calomnie. Montefo>yeu.  C 1*3 I témoins il y en a un de iufpect, 8c l'autre qui foit a 1'abri de tout foupcon, alors la qualité de ce dernier fupplée a 1'inhabilité de l'autre, Sc il fe fait une compenfation entr'eux. Avec ces compenfations Sc ces calculs proportionels on fait monter Calas fur 1'échafaud. Rien n'eft plus ridicule encore une fois, qne de pofer des principes généraux fur cette matiere. Les criminaliftes qui ont voulu tracer une méthode aux juges, fe font égarés. Ils ont fpécifié quelques cas 8c ils en ont laifte des milliers- dans 1'oubli. Ils n'ont pas même foulevé le coin du rideau qui nous cache la vérité. Ils ont voulu donner des regies pour concilier des témoins contraires, 8c ces regies font fujettes a des exceptions infinies, 8c elles font fouvent erronées. J'en cite ici quelques exemples. Par exemple, Farinacius pofe ce cas : fi de deux témoins, Fun dépofe que le défunt a été tué d'un coup d'épée, 8c que Fautre déclare que c'eft d'un coup de poignard, il faut toujours condamner, paree qu'il eft toujours vrai de dire que 1'homicide a été commis par le fer. Si un troifieme dépofoit qu'il a été commis avec une fourchette , on pourroit encore concilier cela, paree que le crime a été commis par le fer. Autre principe. Pour 1'eftimation de la preuve teftimoniale, il faut confidérer le nombre des  [ il4 ] témoins Iorfqu'il y en a qui font contraires de part & d'autre, tk préférer le plus grand au plus petit. Jamais le nombre ne doit décider alors. Si dix témoins dépofent que j'ai tué un homme, que douze dépofent que je ne 1'ai pas tué, que j'étois ailleurs au moment même de 1'homicide, on me croira innocent, tk j'aurai' payé chérement douze faux témoins. De plufieurs témoins dépofant contradiétoirement;, il y en a fürement, ou qui font dans 1'erreur, ouqui dépofent a faux. Or, peuton reconnoitre au nombre 1'évidence? Six peuvent fe tromper comme quatre, fix peuvent être fubornés comme quatre: quel parti prendre alors ? Aucun : dire comme les Romains , non liquu. Juhus Clarus dit que dans une contrariété de témoins les riches doivent être préférés aux pauvres. Regie abfurde & dangereufe; abfurde, paree que, pour n'avoir pas cent mille écus de rente comme un financier parvenu, on n'en eft pas moins honnête homme; abfurde, paree que Ia mauvaife foi tk la corruption fuivent d'auffi prés le faire des richelTes que la médiocrité ou 1'indigence; dangereufe, paree qu'elle rend les hommes opulens maltres de la vie des malheureux. Le même auteur prétend que les témoins qui dépofent les chofes les plus conformes au droit commun & a ce qui arrivé le plus ordinairement, doivent être préférés aux autres.  E «5 1 Quel rapport peut-il donc y avoir entre les rêveries de Tribonien tk un fait qui arrivé dixfept fiecles après lui ?' L'impofture en fera-t-elle inoins impofture pour être conforme au droit commun, & un crime ceflera-t-il d'exifter paree qu'il fera contraire a ce qui arrivé ordinairement ? Autre regie. Les témoins d'un age mur doivent être préférés aux jeunes. La vérité n'eft-elle pas au contraire 1'apanage de la jeuneffe trop franche pour diffimuler long-tems, trop novice pour combiner tk foutenir avec audace un roman, pour faire perdre la vie a fon femblable ? Ventas ex ore infantium ? Autre. Les témoins éclairés doivent être préférés aux ignorans. Principe encore faux. Un homme éclairé peut être un fcélérat, un faux témoin. En général, & 1'on a prouvé ce fait, fi les mceurs font corrompues, c'eft parmi'les gens riches. Le peuple attaché a la religion a encore une certaine horreur pour les faux témoignages. II n'a pas d'ailleurs , comme l'homme du monde, aflez de réflexion & d'efprit pour foutenir un menfonge. On doit juger par les exemples rapportés cideflus , combien toutes les maximes pofées par les jurifconfultes pour 1'eflimation de la preuve teftimoniale, font faufles tk erronées. Elles ont coüté & coüteront la vie a une infinité de mal-  [ ix6 j heureux; il vaut donc mieux n'en point pofer, de peur d'induire les juges en erreur. Qu'un juge ait du bon fens & de l'humanité, il n'a pas befoin d'autres lumieres pour juger fes femblables. (206) Je ne la regarde pas moins comme la preuve la plus ffire, malgré 1'impoiTibilité de fixer des* principes invariables fur fes effets ; je n'ignore point toutes les objeétions qu'on a faites contre fa valeur intrinfeque; je n'ignore point que la dépofition de témoins malheureufement égare trop fouvent les juges qui la fuivent avec trop de confiance. ^ Un écrivain qui dans des obfervations fur la civilifation a voulu décrier toutes les preuves em~ ployées, ajoute encore a ces dernieres paroles qué-'nous avons empruntées de lui : tant de gens ont entendu ce qui n'a jamais été dit, ont vu ce qui ne s'eft jamais fait, que la dépofition de deux _ (206Ï Si 1 on vous faic un procés dont dépend votre vie qu on mette d'un cóté la comnilation des Bartole, des Cujas, &c. que de l'autre on vous préfente des juges peu favans, mais qu'ils foient des vieillards exempts des pailions qui cc-rrompent le cceur, au-defTus du befoin qui I avilit, &c. Dites-moi par qui vous choifirez d'être mge ou par cette foule de babiilards orgueiileux auflï mtereiles qu rnintelligibles, ou par vingt ignorans rel! peétables ? Prix de la juftice Remarquez que MM. Servant & Letrofne penchent aufh vers cette opinion.  [ li? ] témoins qui déclarent avoir vu ou avoir entendu, devroit peut-être avoir moins de force aux yeux d'un juge, qu'un concours de contradiclions , de menfonges, dans lefquels s'embarraffe un accufé, ckc. L'hiftoire qu'il rapporte d'un bticheron qu'on accufa d'un afTaflinat qu'il n'avoit pas commis, condamné d'abord fur la dépofition de deux témoins qui avoient vu, paroit au premier coupd'ceil rendre fufpecte la validité cle la preuve' teltimoniale; mais ne jugeons pas li précipitamment. D'abord pour un innocent condamné furdefaulTes dépofitions, j'en nommerai vingt condamnés fur la preuve d'indices morales ck plryfiques, que cet écrivain veut lui préférer. L'hiftoire du pofiillon, qu'il rapporte enfuite , a été bien plus d'une fois répétée. D'ailleurs, quand je recommande la preuve par témoins, ( 207 ) j'entends parler de dépofi- (207) Un particulier attaqué a rriinii.it dans un grand chemin, frappé d'un coup de fufil, déclare en ïnourant qu'il croit que fon alTaffin étoit un homme qu'il défigna, paree qu'il avoit cru reconnoitre la voix de cet homme qui lui avoit demandé qui il étoit, pour mieux ajufter fon coup. Sur cette déclaration , le particulier eft arrêté: une fille entendue comme témoin , déclare avoir'reconnu la même voix. Sur cette dépofition on condamne 1'accufe a mort, & préliminairement k la queftion. II s'y préfente avec fermeté. Son juge, en letutoyant, lui demande le nom de fes complices. II répond qu'il n'en a point, puifqu'il eft innocent. On  [ n8 1 tions claires, pofitives, défintérelTées , répétées a la confrontaüon, dégagées de toute équivoque, de tout louche : or, les dépofitions des deux le traine au fupplice; fur 1'échafaud il protefte cle nouveau de fon innocence, & meurt avec tranquillité. Croiroit-on bien que ce rapporteur revenant en tromphe de cette expédition, fe félicitoit d'avoir condamné ce malheureux a mort ? II intituloit preuve complete la reunion de deux faits qui n'avoient pas même la fauffe apparence des indices; car d'abord peut-on regarder comme une preuve la declaration d'un mourant ? Cet mfortune, au milieu des ombres de la nuit, au fein de 1'effroi que devoit lui caufer la queftion terrible qu'un inconnu lui faifoit, étoit-i! alïez maitre de fes organes pour reconnoitre fürement la voix du queftionneur ? Son efprit n'etoit-il pas préoccupé contre celui qu'il foupconnoit? Enfin 1'affaflin, pourfe mettre en füreté luimême , ne pouvoit-il contrefaire fa voix ? En fuppofant que ces prefomptions duffent être comptées pour quelque chofe, ne devoient-elles pas dans la balance être emportees par la preuve morale que nréfentoit la conduite ferme de 1'accufé ? conduite qui avoit tous les caraéteres de 1'innocence. Si cette preuve morale n'étoit pas fuffifante pour le faire déclarer innocent, au moins elle I'etoit pour faire ordonner un plus amplement mforme. La plupart des juges qui avoient foufenta cet etrange jugement étoient de cet avis, après lui avoir vu foutenir la queftion fans effet. Mais une fauffe honte les empêcha de revenir fur leurs pas: comme fi 1'on fe déshonoroit en rétradant une injuftice caufec par une erreur. Ceux d'entr'eux qui exiftent encore & qui me liront, frémiront peut-être; mais fi le mot glacant du faroucbe Mahomet, // eff donc des remords, nefait aucune imprelfion fur eux, ilfaut ravoucr, 1'afyle de la füreté n'eft plus qu'au fein des forêts, & le fufil bandé de ra(falïin doit moins effrayer que fair riant d'un magiftrat ignorant & préfomptueux. témoins  1129 ] témoins qui accufoient le bucheron avoient-elles tous ces caraéleres ? Non fans doute, elles étoient éqüivoques, incertaines , malgré 1'air d'aiTürance qui fes difloit. C'eft aux juges a fuppléer aux défautsydes dépofitions, a les pefer, a les éclaircir. Un particulier dépofe avoir vu un homme en affaffiner un autre au clair de la lune; & le foir qu'il dénomma, il n'y avoit point de lune. Un autre prétendoit avoir été témoin fur une hau-^ teur, d'un vol commis dans les environs. Le juge fe tranfporte fur les lieux, & voit fimpoffibilité phyfique de la chofe. Voila la marche que doivent fuivre les juges pour éclaircir les dépofitions. Mais quand une fois elles ont palTé au creufet d'un long examen, elles font valides, & Pon peut aifeoir fur elles la condamnation d'un accufé. Telle elf la foiblelTe de nos loix & de notre efprit: peutêtre, malgré toutes ces précautions, finnocent fübira-t-i! quelquefois le fort d'un coupable.Mais doiton rejeter 1'inoculation, paree que fur cent inoculés la combinaifon de quelques circonflanees malheureufes en peut faire périr un, & vaut-;i mieux lailTer le fléau de la petife vérole exercer fes ravages, enlever deux malades fur dix ? Vc Ja pourtant ce que propofent les carctrlaféurs qui pféferent la preuve morale a la preuve nar témoins. Obfervez en outre, qu'en fuppofant dans notre Tome II. I  i 130 ] fyfiême les juges égarés par une preuve teftimomale, au moins les conféquences n'en feront pas fi füneftes que dans l'opinion de nos adverfaires. Enfin les loix angloifes, qui méritent d'être fuivies fur cet article comme fur bien d'autres , malgré les déclamations de quelques écrivains, ne regardent comme preuve légale que la preuve par témoins, & en demandent au moins deux pour affeoir une condamnation. Toute autre preuve eft rejetée, fans qu'on voie dans ce pays plus de criminels échapper a la peine. C'eft 1'efprit républicain qui a difté cette difpofition fage : le defpotifme caché de fes monarques a voulu quelquefois s'en écarter. Ainfi 1'on a arrêté que, fi un homme préfumé coupable de ce qu'on appelle crime de haute trahifon, avoit trouvé le moyen d'écarter les témoins, de forte qu'il füt impoffible de le faire condamner, on pourroit porter contre lui un bill particulier Satteinder, c'eft-a-dire, faire une loi finguliere fur fa perfonne. On y procédé comme pour les autres bills. II eft propofé dans les deux chambres. Mais dans cette reffource même du defpotifme on a ménagé les droits dü citoyen : car 1'accufé peut faire parler fes avocats contre le bill.  S E C T I O N IJL Preuve littérale. Cette preuve eft celle qui eft fondée fur 1'examen ou infpeétion d'un écrit prétendu figrré de la main d'un accufé, qui tend a prouver direeïement un crime. Les jurifconfultes penfent que, pour que cette preuve foit valide, il faut 1. que 1'écrit conftate Ie crime, 2. qu'il foit reconnu par 1'accufé. Ces écrits font, ou imprimés, ou fimplement fecrets. Dans le premier cas, il n'eft prefque pas poflible de reconnoitre le véritable auteur d'un livre : fon nom mis a la tête ne peut fervir de preuve. Les pirates affamés , qui fouillent la littérature, ont tant de fois volé le nom des auteurs célebres pour donner la vogue a leurs infames produétions, qu'on ne peut jamais condamner un homme fur le feul prétexte que fon nom paroit a la tête d'un ouvrage. Rouffeau avoit donc raifon fur la forme, quand il s'éleva contre 1 arrêt qui condamna le livre d'Emile. ( 208 ) , ^n°V Pr d0it fe fouven!r 1«e 'es partifans du duc de Unie fe fervirent d'une fmguliere rufe pour perdre le prince de Conde chef du parti proteftant. On laifTa counr dans le public des médailles qui le repréfertoient avec la couronne & le titre de roi; & quand on I ij  [ n% ] Lorfqu'il s'agit d'un écrit fecret, ou cet écrit eft une lettre d'un ami a un ami, oü il développe un projet criminel; ou c'eft un écrit fait pour l'auteur Isi-méme renfermé dans fon cabinet. Dans le premier cas, jamais de pareilles lettres ne peuvent former de preuves : malheur a la nation oü 1'on oferoit violer la confiance publique & abufer d'une effufion de cceur faite dans une lettre ! Le defpotifme feroit a fon comble, les délations fe multiplieroient; il n'y auroit pas moins de fcélérats, mais il y auroit plus de tartufes, moins de bonne - foi. ( 209 ) Lorfqu'on arrêta le jéfuite Guignard, on faifit dans fon cabinet quantité d'écrits féditieux. Guignard n'étoit point coupable jufques la ; mais ce faétieux avoit prêché par - tout la rebellion, il avoit joint la pratique a la théorie, aux maximes pernicieufes l'exemple plus pernicieux encore : il méritoit d'être puni. lui fit fon procés, elles furent produites comme des preuves de felonie. D'oü 1'on peut conclure que, foit dans les tribunaux, foit dans 1'hiftoire, il faut fe défier de ces monumens. ( 209) Ainfi il faut regarder comme une des plus grandes atteintes données a la conftitution angloife, 1'ordre donné par les miniftres d'arrêter, lors' de la derniere fédition arrivée a Londres, les lettres de lord Gordon. Sur le prétexte qu'ils n'avoient pas de preuves completes contre lui , falloit-il s'en procurer en yiolant ainfi un dépót mis fous la garde de la foi pu. blique ? 1  C m ] II eft des pays oü 1'on condamne des hommes , paree que dans Pombre du cabinet ils ont développé des principes nouveaux ou fabriqué des écrits oü 1'on renverfe les préjugés, oü les miniftres, les rois même lont outragés. On leur öte la liberté, ck quelquefois la vie : pourquoi donc punir, tandis que le crime n'exifte pas } Le crime eft une acfion préjudiciable aux intéréts de la fociété : il n'y a point de mal, puifque le fait eft fecret ck n'eft pas connu$ prévenez, mais ne puniflez pas le crime a naitre. II n'eft qu'un cas oü un écrit puifle faire preuve : c'eft lorfqu'il s'agit d'une lettre outrageante, écrite par un particulier a un autre particulier, oü ce dernier eft infulté , calomnié : il eft convaincu , s'il avoue fa fignature ; mais s'il ne 1'avoue pas, quel parti prendre? Avoir recours a la preuve équivoque ck toujours incertaine de la comparaifon d'écritures. Mais il y a tant de contradiétion entre les experts, leurs principes font ft variables , leur art fi conjeétural, fi chimérique! On a vu huit experts déclarer qu'une écriture n'étoit pas de la main de 1'accufé qui la reconnut pour être de lui. La trop célebre affaire des billets argués de faux d'un feigneur de France avec fa parente n'a-t-elle pas encore découvert 1'impuiffance des experts en écriture; & malgré leurs I iij  C 134 ] décifions, le probléme qui afi Iong-tems occupé la France & fon premier tribunnal , n'eft- il pas toujours a reToudre? On pourroit citer mille autres exemples. Les rédacleurs de 1'ordonnance de 1670 n'ofe rent pas mférer un article quiportoit que fur la feule dépofition des experts il ne pourroit jamais intervenir condamnation de peine afflicrive ou irdamante. Ils craignirent de multiplier & enhardir les feuffaues, ils^nultiplierent les triftes bévues des juges, qui depuis s'en font fouvent rapportés » cette ridicule preuve de Ia comparaifon d'écritures. S E C T I O N IV. Preuve par experts. La preuve par experts s'empioie pour conftater un délit dont il refte des veftiges. Cette preuve setabUt par Finfpeélion & Fexamen qui fe fait ^s lieux, des perfonnes ou des acles, comme dans le cas d'une effraénon, d'un meurtre. On chotfit ordinairement les experts parmi les ménens & chirurgiens. II faut que Ieur rapport fok feit, 1. immédiatement après ]e délit commis, Paree qu autrement les tracés s'alterent & fe perdent; 2. que les rapports foient faits a Ia charge commealadéchargedeFaccuféS3.quecesrap.  [ '35 1 ports faflent mention, dans le cas de blefiure ou d'homicide, du nombre, de la quantité de blefiures, de leur profondeur , largeur, cle 1'inftrument avec lequel le mal a été fait; en un mot, il faut qu'ils contiennent toutes les circonftances qui peuvent fervir a la preuve du fait. En fuivant encore toutes ces précautions, que d'erreurs ne commettent pas les experts! On en a vu tant d'exemples qu'il eft imprudent de regarder un procés-verbal comme une preuve infaillible du corps du délit. Un fervice eftentiel a rendre a la fociété , s'il étoit poflible, feroit de donner une lifte certaine des crimes (210) dont il eft facile ou impoffible (210 ) II eft beaucoup de crimes dont après la mort il eft très-difficile d'acquérir des preuves. Telle eft celle occalionnée par Ie poifon. Un jeune médecin, M. Doublet de Chartres, plein d'ardeur pour la recherche de la vérité de fon art, a prouvé dans une thefe foutenue dansles écoles de Paris le 4 décembre 1777, que Ja certitude phyfique du poifon étoit diflicilement acquife après la mort. Ce n'eft qu'en tremblant que, cette thefe a la main, 1'on parcourt Jes faftes terribles de Thémis, & qu'on voit tant de fang verfe fur la prefomption de cette certitude qui n'exiftoit pas. Je faifis cette occalïon pour rendre hommage aux connoiffances de ce médecin, mon compatriote, qui contre 1'ufage de la très-falubre faculté , m'a paru beaucoup pyrrhonien dans fon art. Sa thefe a pour titre : an poft morton veneni certitudo difficile comparanda ? i Quidquid allaboraverunt medici inftatuenda venenoriimattione,pauca detexcrunt. Difficilis eft intri- I iv  I 13* 3 d'acquérir la preuve phyfique, & de fixer enfuite une regie invariable, avec Iaquelle les experts puffent difcerner les lueurs trompeufes de 1'apparence des rayons de la vérité. Mais peut-on efpérer de parvenir a ce point, lorfqu'on voit les plus célebres médecins & chirurgiens ( 211 ) annoncer eata Morum poft mortem cognitio. II prouve 1'incertitudedes lignes du poifon Par 1'analogie de leurs efle:s avec certains alimens, certains remedes qui fuivant les circonftances & les tcmpéramens , fe tournent en poi.ons, par 1'analogie des fymptomesdes poifons toit cauftiques , foit narcotiques , foit fpécifiquqs , avec les fymptomes de plufieurs maladies. Veut-on fouiller dans ies vifceres pour y découvrir le poifon ? Les dif fccplrcs augmentent. II en eft, telsque les poifons narcotiques , qui ne laiffent après eux aucun veftige il en eft üamres qui en laiffent; mais ils font fi peu fèmWaofesdans plufieurs individus qui en auroient pris ilsprodmfent des effets fi différens, qu'ils font difficiles a caraétenfer & a faifir. Suppofez dix hommes empoiJonnes de meme : l'un aura une inflammation, les poutfons de 1 autre feront feuls affectés , dans un autre ce ie; a a veftie ; enfin tous les effets produits par le poifon Je fpnt par la plupart des maladies inflammatoires. D ou ,1 refulte qu'il eft trés-difficile d'acquérir apres la mort la certitude phvfique du poifon f.21x) les médecins & chirurgiens qui font charges de conftater un crime, devroient fuivre les principes que leur tracé M. Louis dans fa comultation fur la fameufe artairede Monbailly. a Conftater un delit, & porter un jugement eerfain lur ta nature, c'eft une fonction d'autant plus délicate que les circonftances peuvent Ie rendre plus difficile. Un fait en «eneral que les apparences font trompeufes, ^ qu on ne peut étre tro? en garde fur les motifs de  I 137 ] que les fignes capables de dèterminer les dicijions fe prifentent trïs-fouvent fous un afpeclIllufoire, lorfque les falies de médecine légale fourmillent de decilion, puifque les fignes capables de la dèterminer fe préfentent très-fouvent fous un afpecl illufoire. Si, fuivant le vceu des ordonnances dictees par la raifon , il faut des preuves plus claires que le jour pour affurer qu'un homme a commis un crime capital, ceux au favoir defquels on s'en rapporte pour certifier la nature du délit ne doivent pas prononcer affirmativement fur des fignes moins évidens. En lifant un autre mémoire de M. Louis fur une queftion relative a la jurifprudence ,&publié en 1763 , on voit combien il eft difficile de dèterminer les fignes de la mort, de diftinguer fon genre , le fuicide de 1'homicide. La malheureufe affaire de Calas occafionna ce mémoire. L'auteur le compofa , dit-il, pour empêcher que dans une autre occaüon, par un fatal enchainement de circonftances, la mort d'un homme trouvé pendu ne püt être imputée a ceux que le hafard auroit fait rencontrer dans les lieux oü le délit fe feroit commis a leur infu. C'eft dans cette vue patriotique qu'il aftigne avec foin les fignes de 1'étranglement volontaire ou de celui qui eft forcé. Le rapprochement de 1'inftrument avec la partie du cou , la diffection de ce cou,l'examen de 1'intérieur du cadavre feront connoitre au chirurgien rapporteur les marqués qui diftinguent le fuicide de 1'affaffinat. C'eft ce rapport, ditil , qui contafte la nature du délit, & il y a des circonftances dont les fuites peuvent être fi terribles qu'on ne peut trop apporter de circonfpection dans cé premier jugement, qui devient fouvent la regie unique de 1'application des loix vengereffes des crimes... L'examen des lieux, de la pofition du corps, de la nature des moyens, fervira quelquefois a diriger le chirurgien dans fon jugement particulier, dont la regie effentielle, commune a toute efpece de raifonnement, eft  " 1 I3H preuves trop claires de 1'impuiiTance de fes docteurs bien propres a redoubler le pyrrhonifme du philofophe ? Rappellerai-je encore les noms a jamais fameux de Calas & de Monbailly ? Oui, meffieurs, ne celTons pas de les redire, puifque 1'ignorance ne celTe de produire tous les jours une foule de charlatans préfomptueux, qui ne jurent que par 1'évidence, métamorphofent un homicide en fuicide, qui prennent pour les réfultats du poifon le réfultat d'un jeu de la nature; en un mot, qui voyant mal, interprétant mal, conduifent avec quelques mots grecs un innocent a lechafaud. CelTons donc , celTons d'être barbares , ofons douter; & appréciant la preuve par experts a fa jufte valeur , ne la regardons au moins dans tous les cas douteux , & c'eft le plus grand nombre, que comme une probabilité, mais jamais comme une preuve. Croyons que nous avons très-peu de ne pas conclure affirmativement d'après les chofes Junplement poffibles, & de ne pas établir fur des témoignages équivoques des points de faits dont 1'impoflibihte feroit démontrée a un homme plus éclairé ou plus attentif. Tous les chirurgiens, tous les juges appelles pour un rapport, devroient avoir ce mémoire dans la main & gravé dans 1'efprit: ils ne commettroientpas fi fouvent des erreurs dont les conféquences font fi funeftes aux citoyens.  i '39 ] de preuves fuffifantes pour conftater la caufe de la mort; croyons qu'il n'en eft point pour aflurer 1'identité d'un cadavre déterré long-tems après fa mort, avec une perfonnne qui a difparu. (212) ( 2rlz) 0n a vu cependant des juges condamner un accule fur une fimple identité imaginaire; & comme ce Faitfe rencontre fouvent, ie difcours fuivant pourra leur fervir de lecon.4Jn Anglois appellé Azam,accufé d avoir affafline & enterré dans une grotte un de fes ennemis qui avoit difparu , a qui 1'on n'objecïoit que cette preuve de 1'identité, tint a fes juges un difcours tres-ienfe qui, fuivant 1'ordinaire , ne fut point écouté. U ma paru frappant, je 1'ai traduit. ( « Clark ( nom de cet ennemi; a difparu , donc il a ete tue , difent mes accufateurs.. . Mais. milord , cette confequence eft-elle jufte ? Des conclufions de cette efpece font-elles infaillibles ? Le doute qui réfulte de circonftances pareilles eft trop bien fondé, trop évident , pour avoir befoin d'être éclairci. Cependant perniettez-moi de rappeller un feul exemple trés-récent Au mois de juillet 17^7, Guillaume Thompfon s'échappa en plein jour de ce chateau, malgré la vigilancedes gardes & la doublé chaine dont il étoit charge. En vain on fit fur-le-champ les plus exaétes recherches; en vain on publia un grand nombre d'avertiiiemens; onn'en a jamais entendu parler. Si Thompion a pu vaincre tant d'obftacles & dérober fa fuite atoiw les yeux,a plus forte raifon Clark , dont rien n empechoit 1'evafion ,a-t-ilpu difparoitre a jamais. Cependant fur quel fondement commenceroit-on des pourlu.tes contre ceux qui ont été vus les derniers avec Ihompfon ? Permettez encore, milord , que je falTe quelques obiervations fur les offemens qui ont été découverts : ondit,& peut-être eft-ce déja plus qu'on ne fauroit prouver, que c'eft la tête d'un homme. II eft poflible  E 140 ] S E C T I O N V, Indices , préfomptions, &c. Nous voila parvenus a 1'examen de cette preuve fi trompeufe, fi fatale k la plupart des accufés, que les jurifconfultes ont claffée fous le nom dVa- k la vérité que cela foit; mais y a-t-il un figne certain auquel on puiffe reconnoitre le fexe de ce fquélette' tt voyez milord , fi avant de décider que les offemens trouves font ceux d'un homme, & en particulier de Ciark, d n eft pas effentiel d'employer quelques moyens pour s affurer de la poflibilité d'en diftinguer le fexe Le lieu 01. ils ont été dépofés, mérite encore plus' dattention qu'on n'y en porte ordinairement; car de tous lesendroits, perfonne n'en auroit pu citer un oü il auroit ete plus aflüré de trouver des ofiemens hu, mams qu'un hermitage, fi ce n'eft un cimetiere. On lait qu au tems pafie les hermitages étoient non-feulement des retraites facrées, mais encore des lieux d'enterremcnt, & fon n'en a jamais ou prefque jamais fait mentionfans apprendre que chaque celluie contenoit ou avoit contcnu de ces reftes de l'humanité, mutil^s ou entiers. Jene veux point apprendre a votre feigneune, mais lui rappeller que c'étoit la réfidence d'hermites ou d anachoretes qui efpéroient y trouver pour leurs depouilles mortelles, après leur décès,le repos dont ils avoient joui pendant leur vie. . Je fens très-bien, milord, que tout cela eft connu a yotre feigneurie & a plufieurs membres de la cour mieux qu'a moi; mais il paroit effentiel a ma défenfe que ceux qui n'ont pas fait du tout attention a des chofes de cette nature , & qui font intéreffés a mes interrogatoires , en foient inftruits. Souffrez donc, milord, que je rapporte quelques-unes des preuves nombreufes pour lefquelles on peut étre convaincu que ces  [ Mi 1 dices, de prefomptions, ckc. En parcourant cette matiere, les doute s femblent croltre a chaque pas: incertitude fur la nature des indices; incertitude fur le nombre, la qualité qu'ils doivent avoir pour conftituer une pre uve; incertitude enfin fur le de- cellules fervoient de fépulture aux morts, & qu'on y a trouvé des o(Temens humains comme dans celle en queftion , de peur qu'un événement très-fimple neleur paroifle extraordinaire & ne nourriiTe plus long-tems leur prévention. „ Après avoir fait connoitre cinq ou fix de ces exemples d'oflemens trouvés dans des hermitages, & obfervé que les lieux confacrés aujourd'hui aux fépultures, ne datent que depuis quelques fiecles , Azam continue ainfi : " Une autre circonftance paroit fur-tout demander 1'attention de votre feigneurie & des juges qui compofent ce tribunal; favoir, qu"il n'y a peutétre pas d'exemple qu'on ait trouvé plus d'un cadavre dans une de ces cellules; & dans celle dont ils'agit, on n'en a trouvé qu'un non plus : ce qui eft conforme a cette particularité connue dans toute l'Angleterre. Ce n'eft donc pas la découverte d'un fquéletre, mais celle de deux, qui eüt été rare & qui auroit dü infpirer des foupqons. Par conféquent, milord, on peut regarder comme impoffible le deflein de prouver que les offemens que 1'on m'oppofe font ceux de Clark , fur-tout lorfqu'il eft quelquefois d'une difficuké extréme de conftater la perfonne même des vivans , comme on Ta vu dans Perkin "Warbeck , Lambert Simnel en Angleterre, & dans donSébaftien chez fétranger (en Portugal). J'efpere encore qu'on fera attention ici, oü les Gentlemen croient avec réferve , penfent avec raifon & décident avec humanité, a 1'importance d'afligner la perfonnalité a ces os, dont la connoiftance ne peut étre réfervée qu'a celui qui voit tout & qui fait tout. „  [ 142 ] gré de force que peut avoir cette preuve. Ramaffez outes les opinions, comparez tous les criminaWtes : vous ne verrez dans les uns que des diftmcW interminables; dans les autres, qu'une vananon défefpérante; dans les derniers, qu'un ton affirmatif & conféquemment ignorant. A la place de leurs doftes atrocités qui devroient étre aneanties, qu'on me permette de fubftituer un pa%e qui vaut feul toutes les diflértations des ' CnmitfteS ^ C6t ardde :ce ^ "'eft pasétonnant. Mais ce qui 1'eft infinnnent, c'eft qu'il a ete ecrit dans un fiecle ignorant & par Charlemagne. Nullus quemauam ann juftum judicium damnet, nullumfufpicionis arbitrio judicet. Non enim qui accufatur, fed qui convlncltur, reus eft peftmum, namque & periculofum eft quemqLm ^ fufpiaone damnare. In ambiguis Dei judicia refervetur fententia. Quod certè agnofcunt, Juo; quodnefciunt, divino refervetur judicio. Cap Car. Mag. 1. j, t l86, v' Ce paftage plein de fentences admirables devroit étre gravé fur un tableau toujours expolé aux yeux des juges. En le méditant ils apprendrenent 1'art fi difficile d adopter un fage pyrrhonifme; ils apprendroient k ne pas regarder les indices comme une preuve fuffifante pour confta-  C 143 3 ter un crime & condamner un accufé; ils ne feroient pas fi emprefles a multiplier les exemples frappans d'iniquité qu'a fait commettre a leurs prédéceffeurs cette preuve erronée. Effrayés, d'un cöté, par la lifte nombreufe des martyrs de la précipitation des juges, & déterminés d'ailleurs a n'écouter que le langage de 1'évidence, ils feroient moins fanguinaireSen étant plus circonfpects. Alors du fang verféficruellementfurleséchafauds dans des fiecles paffes, fortiroit un rayon cle lumiere qui éclaireroit tous les tribunaux. Tout fe réunit pour condamner a jamais cette preuve trop fufpeéte des indices, la loi naturelle, la raifon, l expérience fur-tout. Combien de viéhmes innocentes ont en effet fuccombé fous un amas fatal de circonftances aflemblées par le hafard, que la prévention n'appella d'abord que préfomptions, pour les ériger enfuite en preuves concluantes 1(213) (213) Pendant la nuit une femme eft maltraitée par fon époux; elle crie au meurtre, a 1'afTaflinat, & fes plaintes font entendues dans le voifinage. Le trouble & 1'agitation du mari, du fang répandu, le four qui fume encore, ia femme qu'on cherche en vain 1 Que d'indices ! Ce n'eft pas tout, le mari appliqué a la queftion avoue qu'il a fait mourir fa femme. On le condamne a mort. II alloit être exécuté, fa femme fe re". préfente. Elle avoit difparu avec fon amant Charondas, liv. IX, n°. 1. Jean Proufte,qui demeuroit a Paris dans la maifon  [ 144 ] Outre ces exemples fi répétés d'erreurs tuneftes aux accufés, oü la lueur foible des indices a précipité les juges , mille raiions ne s'élevent - elles d'un boulanger, eft trouvé affafliné. Le boulanger fur une multitude de faux indices, eft réputé l'auteur de fa mort; il fubit la queftion ordinaire & extraordinaire. Peu de tems après, les vrais meurtriers font pris & avouent leur forfait. Un homme qui avoit projeté de fe défaire de fon ennemi , va chercher fecrétement chez le curé fa foutane & fon collet. Ainfi déguifé , il court exécuteri'affallinat, remet aufli-tót 1'habit facerdotal oü il Ta pris & denonce 1'eccléfiaftique , en afiurant qu'il 1'a vu commettre le crime. On fait une vifite, la foutane fe trouve enfanglantee, & 1'on condamne le curé. Qui ne connoit pas la fameufe caufe de la dame de la Pivardiere, rapportée par M. DaguefTeau, tome IV celui de Lebrun, de Langlade,de Monbailly, de Galas ? Pouvoit-on condamner Monbailly fur un rapport equivoque de médecin, fur des débats entre lui & fa mere, fur des traces de mort qui défignoient bien la mort, mais non pas un coupable ? N'eft-ce pas fe jouer de la vie des hommes que de la leur öter fur de fi legeres préfomptions ? Cette condamnation fut 1'effet de la prevention. Pour s'en garantir, les juges devroient bien approfondir ce fuperbe morceau de Daguefteau. « Souvent, difoit-il, une première imprefüon peut decider de la vie & de la mort. Un amas fa tal de circonftances qu'on diroit que la fortune a raiTemblees expres pour faire périr un malheureux, une foule de témoins muets & par-la plus redoutables, dépofent contre 1'innocence ; le juge fe prévient, 1'indignation s'allume, & fon zele même le féduit; moins juge qu'accufateur, il ne voit que ce qui fert a condamner; & il facrifie aux raifonnemens humains celui qu'il auroit fauvé, s'il n'avoit admis que les preuves pas  C 145 ] pas pour faire profcrire la preuve équivoque qu'on en tire , d'abord qu'eft-ce qu'un indice ? Combien y en a-t-il ? A quel nombre fe doivent-ils monter pöur former une preuve ? Sur quoi font-ils fondés, &c. &c ? On multiplieroit les queftions a I'infini, & pas une n'eft encore véritablement réfolue. Adoptera-t-on la définition erronée des indices donnée par tous les jurifconfulr.es ? Ils appellent indices tous les faits particuliers qui marquent de la loi. Un événement imprévufait quelquefois éclater dans la fuite 1'innocence accablée fous le poids des conjertures, & dément les indices trompeurs dont la fauflé lumiere avoit ébloui 1'efprit du magiftrat. La vérité fort du nuage de la vraifemblance, mais elle en fort trop tard; le fang de 1'innocent demande vengeance contre la prévention de fon juge , & le magiftrat eft réduit a pleurer toute fa vie un malheur que fon repentir ne peut réparer. „ Jouffe donne cet exemple d'indices qui réunis forment une preuve complete. Une femme eft trouvée niorte dans le lit de fon mari qui a paffe la nuit avec elle: fi le mari dans cette circonftance prend la fuite , qu'il y ait eu auparavant des menaces de;fa part, qu'avec cela il foit dans 1'ufage de maltraiter fa femme, & que la voix publique 1'accufe de ce meurtre, alors on peut regarder le mari comme auteur de ce meurtre. Quoi I fi ce n'eft pas un meurtre, fi cette femme eft morte fubitement, oufi un étranger a caufé cet affaffinat, qu'importe la fuite ou les menaces du mari ? II a raifon de fuir paree qu'il ya des indices contre lui, & que des indices fuffifent en France pour faire condamner un homme. Tome II. K  1145 j qu'une chofe a été faite, & par Ie möyen deC quels on peut parvenir a la connoiftance cle la chofe qu'on veut découvrir. Les indices marquent qu'une chofe a été faite, comme le fyftême de Ptolomée marqué le vrai cours de 1'univers célefte. Un crime n'eft qu'un hieroglyphe. Pour avoir trouvé une clef problable, eft-on certain d'avoir trouvé la véritable ? Ainfi un faifceau d'indices marcjue qu'une chofe a pu être faite, mais non pas qu'elle a été infailliblement faite. Ainfi pa r le canal de ces indices on parvient quelquefois a faifir la vérité , mais on ne la faifit pas toujours infailliblement. On eft toujours plus prés de la vraifemblance que de la vérité, & la vraifemblance n'eft point une démonftration judiciaire. Un indice ne pourroit prouver qu'autant qu'il auroit une liailon intime & néceffaire avec le fait principal. On connoit les caufes par les effets , mais c'eft lorfque ces effets ne peuvent découler que de la caufe a laquellc on les attribue. Lors donc qu'il eft poflible que plufieurs caufes différentes aient produit un effet, n'eft-il pas déraifonnable alors d'affirmer infailliblement 1'origine de cet effet ? Que Newton ait deviné le profond fyftême de l'attraétion, le fage dit : cette hypothefe eft vraifemblable; Fenthoufiafte ou 1'ignorant s'écrient que les vrais criminaliftes re£  [ H7 1 femblent a ce demier. Mais au moins fon opinion eft indifférente au bien ou au mal , paree qu'elle ne fait point verfer de fang, paree que , hors Pancienne capitale de Punivers, on ne condamne point un homme a périr pour ne pas croire au mouvement des aftres en raifon du quarré inverfe de leur diftance. La preuve qu'on tire des indices, eft encore plu-; conjecturale : car il y a moins de rapport entre une épée qui m'appartient & un homme qu'on trouve affaffiné , qu'entre le mouvement régulier des aftres & une loi calculée, dont les conditions cadrent dans une précilion étonnante avec le mouvement de 1'univers. Un indice n'eft donc qu'un .fait dont la caufe eft incertaine, dont le vrai rapport eft incertain. Affemblez dix indices, vous n'aurez donc que dix effets dont la caufe fera incertaine : & dix incertitudes peuvent - elles donner la certitude ? Les ténebres produiroient donc alors la lumiere. Voila pourtant oü aboutit tout le raifonnement de ceux qui lé fondent fur les indices. Nous avons dix circonftances qui marquënt que 1'accufé a pu commettre ce crime : donc il Pa commis, donc il doit être condamné. Tout révolte dans ce paralogifme. L'addition eft compofée de fraftions chiinériques, le réfultat en eft faux, la conclufion en eft barbare, K ij  [ i48 ] Ce qu'il y a de bien plus étrange encore, c'eft que ni la valeur ni le nombre ne font fixes & invariables; on procédé dans ce calcul d'oü dépend la vie des hommes, fans avoir abfolument aucune donnée. Avons-nous en effet une table oü Fon ait apprécié les valeurs réelles des indices , foit hulples, foit combinés? A-t-on fixé le degré, le nombre oü ces indices accumulés fe convertiffent en preuves réelles, & d'incertitudes deviennent,par une bizarre métamorphofe , une certitude ? Non , une pareille table n'eft & ne fera toujours, malgré la prétention des criminaliftes, qu'une chimère. Ces indices varient en effet en raifon des circonftances, & ces variations produifent des millions inépuifables de combinaifons. On n'adoptera donc point les divifions chiinériques des indices : on n'adoptera pas les indices indubltabks, paree qu'il n'en exifte pas ; les indices violens, paree qu'ils font violemment trompeurs; les indices légers ck équivoques, paree qu'ils doivent être rejetés. Quant aux témoins muets, ce font des efpeces d'indices; ils font d'autant plus a craindre qu'ils font muets, ck qu'ils trompent plus facilement. On n'adoptera pas la diflin&ion des différentes efpeces de préfomptions incertaines , comme les indices dont on les tire, mais plus dangereufes y  I 1491 paree qu'on les érige en principes. (214) Les Romains ont eu, comme les modernes , la fureur de croire aux préfomptions : ainfi ils diftinguoient une préfbmption nicejfaire qui mene infailliblement a la vérité; ( c'efl: une chimère, quoique confacrée par la loi cYAntiqucz ) une préfomption qui conduita la vraifemblance & qui oblige 1'accufé de faire preuve contraire. Et s'il ne le peut, il fera donc criminel, paree qu'il ne fera pas heureux ? Enfin ils diftinguent une préfomption humaine ou arbitraire; c'eft le nom générique de toutes les préfomptions. Les criminaliftes prétendent que les indices font fondés ou fur des principes, ou fur des fignes naturels, ou fur des principes humains. Les principes ne font pas encore fixés, la certitude des (214.) On n'eft pas préfumé, difent les criminaliftes, mentir a Partiele de la murt. On a vu des criminels impofteurs foutenir leur röle jufques fur 1'echafaud. L'hiftoire en fournit cent exemples. Le blefte qui meurt dans les quarante jours, eft préfumé mort de fa blefture ; principe que la médecine défavoue ; fait dont il eft impoffible de découvrir la certitude, paree que la mort d'un homme peut avoir mille caufes différentes. Comme M. Joude a donné une méthode d'eftimer les préfomptions , j'aurois pu le fuivre pas a pas, & montrer fes erreurs ; 'mais je crois avoir fuffifiirnment fait voir la foiblefle de cette preuve. II cite 1'autorité de Cujas pour 1'appuyer. II n'eft point d'autorité qui puifle juftifier une abfurdité dangererSjfc Kiij  C 15° ] fignes naturels n'eft pas encore prcuvée. « S'il » eft prouvé, dit Jouffe, qu'une fille a du lait » dans fes mamelles, c'eft une préfomption vio» lente qu'elle a eu commerce avec un homme, » paree qu'on tient par les regies de la méde» cine, que cela n'arrive jamais autrement. » Malheur eüfement pour cette affertion , jamais la médecine n'a certifié cette prétendue regie. On a vu des vierges avoir du lait -, 1'hiftoire en contient des preuves. Je renvoie M. Jouffe a Venete ck a mille autres médecins. « ' Le trouble & 1'émotion d'un accufé font des » fignes probables que cet accufé a commis le » crime qu'on lui impute. » Pauvre Langiade, avec ces indices on t'a martyrifé ! Tu étois paie ! Quel prodige ! Et on t'a cru voleur! « Des marqués de violence aux parties na» turelles font des fignes pvoblables que cette » femme a été violée. » Et fi la nature 1'a conftituée étroite ! L'amour ne peut-il pas opérer un effet qu'on attribue toujours mal-a-propos a la violence ? Les indices fondés fur cles principes humains font encore plus incertains- On fuppofe que les hommes agiffent toujours par Ie même intérêt, vont toujours^ar la même voie. On les prend pour des machines dont les rouages font les mê-  C tft ) mes ck ont les mêmes mouvement. En effleurant quelques-uns de ces indices, on le convaincra encore de la futilité de la preuve qu'on en tire. On croit que la déclaration d'un accufé fert d'indice conlidérable contre le tiers, ck fuffit pour le mettre a la queftion. Eh quói! les paffions , Terreur ne fuivent-elles pas l'homme dan les cachots , fur Téchafaud ? L'inimitié , la haine , Ie defir de la vengeance, que la mort étêirtt a pein e, ne peuvent-ils pas diéler de pareilles déclarations ? Et doit-on martyrifer un citoyen qui a le malheur d'être connu par un fcélérat, fur fa fimple dépofition? Cette opinion fait horreur. L'inimitié, les menaces peuvent faire foupconner, mais ne peuvent jamais conduire a découvrir. fuga ruim facit, dit Cicéron. Cela peut être dans quelcjues cas; mais comment diftinguer ces cas ? La juftice refpeéle fi peu la liberté, qu'un innocent même doit fiiir pour parer aux fuites funeftes. « Le bruit public qu'une telle perfonne a com» mis tel crime , fuffit pour faire une preuve com» plete. » Mille perfonnes ne dépoferent-elles pas que le diacre Paris faifoit des miracles; qu'elles les avoient vus ? Ce fut fur la voix publique que Calas fut condamné. La prévention, la haine , le fanatifme , Ia cabale agitent le public; il juge, & 1'innocent périt. K iv  [ I>2 ] On a donné pour principe conftant cet axiome : Cuifcdusprodtfl, isficiffe pmfumitur. Cela peut étre quelgüefois; mais qui peut diftinguer les cas ? Un fils fera-t-il réputé coupable du meurtre de fon pere, dont un de fes amis s'eft fouillé ? « La mauvaife réputation d'un accufé forme y> un indice contre lui. » On peut être libertin fans être aflaffin. *< Le menfonge forme un indice. » L'innocence fe fert quelquefois par timidité de cette arme dangereufe. s « De même le filence de 1'accufé. » Scipion accufé ne répond pas : étoit-il ccupable ? « Si quelqu'un eft trouvé affaffiné a Ia porte » d'une perfonne, on préfumé que cette per» fonne en eft l'auteur. » Quelle abfurdité ! Et n'eft-ce pas exhorter les affaffins a jeter adroitement la préfomption du crime fur leurs ennemis ? C'eft ainfi qu'un jurifconfulte Francois a tracé un immenfe tableau des différentes efpeces d'indices, que je regarde comme inutile & infuffifant : car ces indices varient en raifon des circonftances, & ces variations font infinies. A quoi fert donc de préfenter une céntaine de ces combinaifons? C'eft 1'hiftoire d'un homme qui, pour peindre Paris, décriroit deux ou trois rues de Ia Cité. Je n'examinerai pas davantage le degré de  [ W 1 leur certitude, paree que je n'y crois pas , paree que jamais des preuves invraifemblables ne peuvent faire condamner un homme a des peines capitaies, paree que, lorfqu'elles fuffifent a faire prononcer quelques peines légeres , alors 1'eftime de Ia preuve dépend de la prudence des juges: c'efl a eux a eflimer la force & la valeur des indices. Ils dépendent, dit-on, de leur rapport avec le fait principal. La proximité ou Féloignement augmentent ou diminuent le degré de cerfffude ; mais comment dèterminer ce degré de haifon ? II faudroit qu'il y eüt dans 1'ordre moral une chaine de loix invariables, en vertu defquelles les hommes agiffent néceffairement; il faudroit que jamais on ne püfVompre cette chaine, il faudroit qu'elle fut parfaitement connue des hommes. Mais quand on ignore fi une pareillé chaine exifte, quand on ne connoit que cles effets détachés, quand 1'art de les rapprocher, de monter de ces effets a la caufe , quand cette échelle importante eft parfaitement ignorée, de 1'aveu même des jurifconfultes les plus décififs ,(215) quand enfin on a feulement (219) Sur la maniere d'eftimer les indices, Jouffe avoue lui-meme qu'il eft trés - difficile de dèterminer quels doivent être le nombre & la qualité des indices qui peuvent fervir a former une preuve, foit complete, foit confidérable ; que cette eftimation dépend entiérement de la prudence des juges. Cependant il finit par pofer  [ 154 1 Iajtrifte certitude qu'un fait peut avoir dix caufes différentes, peut - on jamais courir après cette fcience conjeéfurale & chercher au travers de ce pays de chimères la vérité qui fe cache toujours? Peut-on faire 1'effai cruel de fon T> ffême incertain fur la vie d'un malheureux & jouer fa réputation & fes jours aux dés ? Juges, laiffez donc les foupcons a leur place, tk ne les métamorphofez jamais en preuves. Le pays des conjeétures, dit M. Cochin, eft entrecoupé cle mille routes obfcurés dans lefcjuelles on fe perd & on s'égare fansceffe. L'un eft touché d'une circonftance a laquelle l'autre fe trouve infenlible. Souvent ces circonftances fe combattent les unes les autres ;PUne paroit favorifer un parti, l'autre femble lui être contraire. On s epuife en raifonnemens pour les faire valoir, & tout le fruit de ces recherches hafardées eft d'avoir enveloppé Ia vérité de tant de nuages, qu'elle devient inacceftible a Ia juftice quelques principes qui, dit-il, peuvent fixer 1'incertitude. Un indice grave va ut, dit il, un peu moins au'une femi-preuve. Mais qu'eft - ce qu'une femi - preuve ? & quelle eft fa valeur ? Si les indices font violens & indubitables, ils fuffifent pour prononcer Ia condamnation. Principe faux. Pour condamner a Ia queftion , il n'eft pas néceiTaire que les indices forment une preuve complete. Prin. cipe cruel.  [ «tf 1 On a calcnlé combicn il falloit d'indices pour former une preuve. Plufieurs indices légers font, dit-on, un indice gravé; deux indices graves forment un indice violent; plufieurs indices graves forment un indice indubitable. Dans ce fyftême on regarde les indices comme des unités ou des fraftions d'unités qui, additionnées enfemble, forment des dixain.es, des centaines. Ce qu'il y a de plus certain, c'eft que ces indices équivalent fouvent a zé"0, & qu'il eft impoffible de fixer la valeur cle ceux qui pourroient équivaloir a cles unités, paree qu'une feule circonftance peut en diminuer ou en augmenter procligieufement le degré. L'accord des indices ne prouve pas qu'un homme eft coupable : de même qu'il feroit poflible que le hafard, par un jet heureux, produisït un poëme, il eft poflible qu'il amaffe contre un citoyen' innocent mille indices qui le conftit'uent coupable. II y avoit une chaine de döuze indices très-liés enfemble contre Langlade , & il étoit innocent. Ramenons donc les indices a leur jufte valeur : dénués de 1'appui de la preuve teftimoniale, ils ne peuvent être le fondement d'aucunc condamnation même légere.  C i5«] Je finirai cet article par un paffage excellent du grand homme que nous regretterons longtems. « Une chofe, dit-il, eft vraie ou fauffe , vous « êtes certain ou incertain: 1'incertitude étant pref» que toujours le partage de l'homme, vous vous » détermineriez très-rarement, fi vous attendiez » une démonftration. » £fai fur les probabilités en Juftice, par M. de Voltaire. Cependant il faut prendre un parti, il ne faut pas le prendre au hafard. II eft donc néceffaire a notre nature foible, aveugle, toujours fujette a 1'errenr, d'étudier les probabilités avec autant de foin que nous apprenons l'arithmétique & la géométrie. Cette étude des probabilités eft la fcience des juges. Dans le civil, tout ce qui n'eft pas foumis a une loi clairement énoncée, eft foumis au calcul des probabilités. Dans le criminel, tout ce qui n'eft pas prouvé évidemment, y eft foumis de même; mais avec une différence effentielle, qui eft celle de la vie & de la mort. S'il s'agit d'expliquer un teftament équivoque , une claufe ambigue d'un contrat de mariage, il faut abfolument que vous décidiez, & alors la plus grande probabilité vous conduit. II ne s'agit que dargent.  t M7] Mais il n'en eft pas de même quand il s'agit d'öter la vie Sc l'honneur a un citoyen : alors la plus grande probabilité ne fuffit pas. Pourquoi? C'eft que, fi un champ eft contefté entre deux parties, il eft évidemment néceffaire pour l'intérêt public Sc pour la juftice particuliere , que 1'une des deux parties poffede le champ. Mais quand un homme eft accufé d'un délit, il n'eft pas évidemment néceffaire qu'il foit hvré au bourreau fur la grande probabilité; il eft très-poflible qu'il vive fans troubler Pharmonie de 1'état. II fe peut que vingt apparences contre lui foient balancées par une feule en fa faveur : c'eft la le cas Sc le feul cas de la doctrine du probabilifme. En un mot, quand il y auroit cent a parier contre un qu'un homme eft coupable , il ne doit pas pour cela être condamné, paree qu'un peut gagner contre cent. J'ai parcouru toutes les efpeces de preuves. Je ne parle pas des preuves anciennes, admifes par les tribunaux, telles que la preuve de Peau, du fer chaud , paree que je ne ferois qu'érudit, Sc il faut être utile; je ne parle pas de Paffirmation perfonnelle de Paccufateur, (216) admife dans les (216) Un exemple prouvera combien il eft ridicule de condamner un homme fur le ferment de fon adverfaire.  tribunaux cle quelques nations, comme preuve fuffifante. Entre deux hommes , dont 1 un afiirme 8c l'autre nie, tout jugement doit être fufpendu , fur-tout en matiere cnminelle, 8c le non liquu eft le feul avis que le bon fens dicTe aux magiftrats. La ciifcuffion des preuves légales, que nous venons cle faire , doit prouver combien il y regne d'incertitucie. La confeffion volontaire cle 1'acculé paroit étre 1'effet du déhre qui attente a la première loi cle la nature; la confeffion forcée n'eft que le cri parjure du tourment. Nos fens font ff foibles, fe prêtent fi fouvent a 1'rllufion , 1'efprit eft fi facile a fe préoccuper, a convertir des apparences en réalités, l'intérêt, ce mobile puiffant, a tant de fois enfanfé 1'impofture dans la bouche des témoins, que la certitude ne paroit pas être toujours le caraclere de la preuve teftimoniale. Un ftnglois avoit été condamné a payer cinq livres fterling envers un particulier,fur la terre dtiquel il avoit été trouvé avec un fufil. II dit au juge : vous m'avez traite fuivant la loi, je n'ai point a me plaindre ; mais je me rends délateur de mon adverfaire, & j'aftirme par ferment que lorfqu'il m'a arrêté, il a proféré au moins cinquante juremens: en conféquence le coupable né genulhomme fut, fuivant 1'appréciation de la loi, a raifon de cinq fch. par jurement, condamné a payer le doublé de ce qu'il en avoit coüté a fon adverfaire , qui fe trouva dtdommagé par-la.  i 159 3 La preuve par experts n'eft fondée que fur un art dont on cherche encore les principes. Les indices !... Quel législateur ofera tracer leur théorie, marquer leurs différentes valeurs , parcourir leurs combinaifons infinies, fixer le nombre néceffaire pour conftituer une preuve, calculer toutes les qualités morales, toutes les variétés que doivent mettre entr'elles les différences de tems, de lieux, de caraéteres, d'organifations , de mille autres circonftances ? Quel législateur , en un mot, plongeantdans ce chaos d'incertitudes, pourra jamais en tirer la lumiere ? Nous ne lefpérons point. Quand on joindroit a la fageffe d'un Lycurgue, a la philofophie de Locke, les connoiffances immenfes d'un Montefquieu , la pénétration d'un Voltaire, le vafte coup-d'ceil d'un Leibnitz , on n'en fentiroit que plus fortement 1'impoftibilité de tracer un docometre univerfel. II n'eft pas même poflible de fixer une mefure générale pour un peuple dont le climat, le caraétere, la fituation , le gouvernement feroient donnés : quoiqu'il y eut alors plus de degrés connus, le nombre de ceux qui refteroient a découvrir, a marquer , feroit fi immenfe qu'il furpafferoit les forces de 1'efprit humain. Renoncons donc a la chimère d'une mefure générale des probabilités réfultant des différentes preuves légales. Les jurifconfukes ont tenté de la réalifer.  [ ito] Ce font des enfans qui ramaffent quelques coquilles fur le tord de la mer, ck fe bercent du ridicule efpoir de les raffembler toutes. Si leur prétention n'étoit qu'abfurde , on fe borneroit a fourire de pitié ; mais ne doit-on pas frémir en penfant aux atrocités qu'elle a fait commettre ? Si tant d'innocens ont été les viclimes de la fatalité des hafards , qui avoit féduit leurs juges ignorans, c'eft que ces juges croyoient malheureufement aux faux calculs indiqués dans les livres de jurifprudence \ c'eft que pofant mal, additionnant mal, concluant mal, ils verfoient tranquillement le fang, en fe repofant fur la fcience fauffe de leurs doéteurs. Ici la théorie doit renoncer a éclairer la pratique; ck la pratique d'un cas, en éclairant la pratique d'un autre cas, ne doit pas même être regardée comme un guide toujours infaillible. Car fi la fcience des livres a été funefte, la fcience des cas, mal - a - propos érigée , traitée, régularifée en fcience cYanalcgie, a caufé plus d'une erreur, Cependant c'eft le fanai le plus fur. en jurifprudence comme en médecine. Or, cette fcience eft celle des juges, 6k ne peut jamais être celle du législateur. II faut donc abandonner entiérement aux premiers la faculté d'apprécier les preuves phyfiques ck morales , dont la valeur augmente ou diminue fuivant les différens cas» Je  [ I6i ] Je fais qu'en adoptant cette méthode , je choqne le fentiment de tous les philofophes modernes, & particuliérement celui de l'auteur du Traité des délits & des peines. II ne veut pas lailTer aux juges la liberté d'interpréter les loix : Per laJleffa. ragione , dit-d, che non fono legislatori. (217) II transforme le magiftrat en efclave forcé de s'aftreindre a la loi fans ofer Tinterroger , forcé d'eftimer les preuves par la mefure fixée par la loi, de la fuivre méme quand elle fembleroit ordonner une barbarie. II craignoit fans doute qu'en accordant aux juges un pouvoir trop étendu, ils ne fuffent tentés d'en abufer; que la juftice retombée dans Ia confufion dont on veut la tirer, livrée au defpotifme aveugle , ne teignit encore les échafauds du fang innocent. Diffipons ces vaines terreurs. Sans doute, fi 1'on accordoit aux juges le pouvoir indéfini de condamner les accufés au gré de leur opinion ou de leur caprice, on verroit peut-être fe renouveller ces fcenes d'iniquités qui ont déshonoré tant de fois les tribunaux. A ( 217, Pour avoir Ia faculté d'apprécier une preuve , on n'a pas le titre, le pouvoir de législateur. 11 eft bien étonnant que M. Beccaria recommande fans ceffe aux juses de ne pas s'écarter de la loi pour eftimer la preuve , lorfque pas un feul code n'a donné le tarif des preuves, lorfque lui-mêmen'a ofé entreprendre ce pénible travail. Tome II. L  116-2 ] Dieu ne plaife que nous formions jamais un projet fi funefte ! Libres de fuivre leurs opinions^ quand il s'agit d'abfoudre, les juges auront les mains liécs par des entraves rigoureufes pour condamner. Dans ce dernier cas, la loi leur tracé un petit nombre de principes qu'ils devront fuivre a la lettre: s'en écarteront-ils , leur crime ne fera pas impuni. Découverts par 1'ceil vigilant des cenfeurs annuels que créeront les tribunaux, une dégradation honteufe fera le prix de leur prévarication ou de leur ignorance; defcendus méme du fiege de la juftice, quand ils voudroient fe cacher dans la foule des autres citoyens, ils pourront être pourfuivis, accufés, condamnés a expier leurs concuffions ou leurs cruautés. Ainfi, d'un cöté 1'amovibilité des magiftratures tk la rigueur de la cenfure , de l'autre le principe irréfragable de la loi, garantiront la tête de 1'innocent qui d'ailleurs aura d'autant moins a craïndre de fuccomber, que les preuves cle fon procés feront difcutées, appréciées par deux tribunaux différens tk dans quatre examens approfondis. (218) Ce feroit fans contredit un prodige bien furprenant de voir vingt-quatre juges dans deux fieges différens s'accorder a voir mal, a prendre 1'er- (218) Voyez la fection de la procédure criminelle.  L «fi T reur pour la réalité, a fe prévenir cle même : il faudroit plaindre alors la foiblefle de l'humanité ; mais ce ne feroit pas une raifon pour décrier la loi. Remarquez enfin que notre code n'étant point fanguinaire, quand lés juges auroient le malheur de condamner un innocent, au moins il pourroit étre réparé : avantage qui ne fe trouve point dans le fyftême oppofé & qui rend le pouvoir des juges, quoiqu'arbitraire, moins dangereux. II nous refle donc a tracer le tableau des réfultats des différentes preuves légales; tableau qui, doit diriger le magiftrat, autant qu'il eft poflible s dans 1'art d'apprécier les preuves. Tableau des preuves légales. I. Confeffion de Vaccufé. T. La confeflion volontaire de 1'accufé ne peut fervir de preuve complete. Non audiatur perire volens. 2. La confeflion forcée ou la queftion eft en même tems atrocité & abfurdité. 3. Si 1'on interroge 1'accufé , que ce foit dans la vue u ïiquement d'éclaircir les dépofitions des témoins en comparant les aveux refpectifs, L ij  [ 164 ] 4- La dépofition d'un accufé, qui fera certaine, précife, qui n'aura point été faite par erreur ou par crainte, (*)qui viendra a 1'appui des dépofitions de témoins ou de fortes préfomptions, pourra fervir de probabilité très-forte. 4. Mais en général, 1'accufé doit être plutöt interrogé a décharge qu'a charge. II. Preuvi tejlimoniale. Pour condamner un accufé a quelque peine capitale ou flétriffante a jamais , il faut avoir une preuve complete. La preuve compl&te eft le témoignage défintérefTé, uniforme & conftant au moins de deux témoins non fufpects. Les juges ne pourront jamais dimiuuer ce nombre, mais ils devront 1'augmenter dans certains. (*) Dans la principauté de Neuchatel en Suiffe, quand une procédure criminelle eft inftruite, on fait fortir des prifons celui qui en eft l'objet, on le conduit hors des purces de la ville, on lui öte fes fers, & la , en plein air, fous les yeux du tribunal qui doit le juger & du public, on lui lit fa procedure d'un bout a Vautre, en le (ommant de répéter les aveux qu'il a.faits dans les prifons, & de déclarer qu'ils n'ont point été obtenus par la furprife.ni arrachés par la crainte ou la violence, mais uniquement par la force de la vérité ; après quoi on lui remet fes fers & on le reconduit en prifon. Cette formalité prefcrite par les loix, & qu'on nomme !e libe/e, fert auffi a édifier le public fur la maniere dont on a procédé.  11* ] cas: i. en raifon de la qualité des témoins; i. de 1'importance cle Paffaire ; 3. de la nature des dépofitions ; 4. de Ia grandeur de la peine. Toute perfonne pourra être entendue, excepté celles a qui la nature ferme la bouche. Mais les juges auront égard aux circonftances pour apprécier la valeur des dépofitions. III. Preuve laterale. Jamais Ia preuve littérale , prétendue émanée de Paccufé , foit qu'elle foit fecrete ou imprimée , ne peut fervir de preuve complete. Le rapport d'experts en écriture ne peut étre confidéré comme preuve fondamentale, jufqu'a ce que cet art ait trouvé des principes. I V. Preuve par experts, comme médecins & chirurgiens. Elle fera confultée pour conftater 1'exiftence du crime. II eft peu de cas oü elle foit füre, beaucoup oü elle eft douteufe, plus encore oü elle eft nulle. Auparavant de lui attacher le fceau de la certitude, il faut attendre 1. que la médecine ait prouvé qu'elle a des principes aveclefquels L iij  [ I6-6 ] elle diftingué les caufes de tous les effets donnés; 2. que jamais ces principes ne trompent. V. Indices , préfomptions, probabilités. 1. Les indices tirés de la fortune, des mceurs , de la conduite d'un accufé peuvent prouver pour lui, tk jamais contre lui. Ainfi un honnête citoyen pourra faire eritendre pour lui la voix de fes bonnes aétions, & on ne conclura jamais qu'un jeune homme eft un voleur & un affaffin, paree qu'il a mené une vie déréglée. 2. Une chaine feule d'indices> violens ou légers n'eft pas une preuve complete. 3. Ou le nombre des*probabilités eft en faveur de 1'accufé, & il faut 1'abfoudre. 4. Ou il eft égal de part tk d'autre, &il faut 1'abfoudre. f • Ou il eft contre lui, & il faut prononcer le non liquet, ou un plus amplement informé , limité ou illimité, fuivant la force des préfomptions & fuivant les circonftances. 6. Tous les effets font liés néceffairement a des caufes. Toutes les fois qu'un voile épais couvrira les anneaux de la chaine qui He ces effets a ces caufes, abftenons-nous cle prononcer, N'y  [ I6> ] eüt-il qu'un feul chainon fur cent, de caché, ii ne faudroit pas encore juger, paree que le défaut de cette unité rend !a preuve incomplete, fur-tout quand il s'agit de décider du fort d'un homme. 7. Mais fi la fomme des probabilités eft telle qu'il n'eft pas poflible qu'il ne foit coupable , fi 1'on joint a cette impoflibilité 1'appui d'une dépofition non fufpefte, défintéreflee , conftante , la confeflion non recherchée de 1'accufé, alors on peut fe flatter d'avoir une preuve complete , autant qu'il eft poflible k la nature humaine. 8. Les juges auront feuls la faculté d'apprécier la valeur relative des indices & des préfomptions. II n'eft pas poflible de fixer leur valeur intrinfeque, ou plutöt ils n'en ont point cle cette efpece. L iv  [ i68 ] • i CHAPITRE IV. Procédure criminelle. Célêritè dans tInformation, lenteur dans U jugement. Oest en fuivant ces deux principes qui me ferviront ici de texte , qu'on parviendra a fermer un plan de procédure , oü l'intérêt de la fociété ne fera point bleiTé , oü la liberté du citoyen accufé fera refpeclée. La procédure criminelle ne doit pas étre expéditive. La fimplicité ne convient qu'aux tribunaux militaires ou au defpotifme • dans les uns, il faut que la juftice foit prompte, ft on ne veut pas qu'elle foit nulle; un defpote abfolu , s'il en exifte , n'a pas befoin d'examen ou de preuves, on devient criminel quand il le veut. (219) _ (219) Dans les gouvernemens defpotiques la juf. tice fe rend d une maniere expéditive; point de procedures, point d'avocats ni de procureurs. Les parties fe rendent devant le cadi ou le mandarin , qui font donner cinquante ou cent coups de baftonnade a celui qui leur paroit coupable. Si cette maniere de rendre la juftice a quelques avantages, comme font prétendu plufieurs écrivains , elle a peut-être bien des inconvéniens: la partialité,  [ itf9 ] Si vous examinez , dit Montefquieu , ( Efprit des loix, torn. I, liv. VI, chap. II ) les formalités de la juftice, par rapport a la peine qu'a 1'ignorance, l'intérêt préfident fouvent a ces jugemens. La un coquin intelligent a tout 1'avantage fur 1'innocent timide & borné. Cependant a la Chine, comme en Perfe, les mandarins ne peuvent point faire exécuter un homme a mort fans 1'approbation £e 1'empereur, qu'il ne peut don-'er qu'après avoir examiné& confiritié la fentence trois fois. C'eft, dit M, Paw, qu'on ne peut difpofer d'un meuble fans 1'aveu de fon maitre. Cette raifon n'eft qu'iTfténieufe fans être vraie. Le Chinois n'eft pas plus meuble que 1'habitant du Mancanares ou de la Seine. _ En confidérant cette différence de procédure fous différe is points de vue, on donneroit peut-être encore la préférence a celle des états nommés domeftiques. Car fi la fimplification doit être la bafe de la bonne législation , les Perfans font donc plus avancés que nous, puifque leur procédure eft infiniment plus funplifiée que la nótre. Pour intenter un procés , on préfente une requête au juge. Le fait y eft expofé . ie juge écrit en marge qu'on amene la partie, 1'affaire eft jugée en une ou deux féances. Chardin, tome VI. Les droits de Ia juftice font peu confidérables, paree qu'il n'y a pas d'écriture dans le procés, & que 1'on obtient fentence a la première comparution. La juftice ne condamne jamais aux dépens; on ne les demande pas non plus, paree qu'il ne doit y en avoir que de très-petits, fuivant 1'ordonnance. La juftice criminelle s'exerce par les mains du magiftrat politique ou laïc qui juge felon le droit naturel & le droit des gens. La procédure va aufli vice au criminel qu'au civil,  [17° ] un citoyen a fe faire rendre fon bien, ou a obtenir fatisfaélion de quelqu'outrage, vous en trouverez fans doute trop ; fi vous les regardez dans le rapport qu'elles ont avec la liberté tk la füreté des citoyens , vous en trouverez fouvent trop peu, tk vous verrez que les peines, les dépenfes, les longueurs, les dangers même de la juftice font le prix que chaque citoyen donne pour la liberté. 0 Dans les états modérés, oü la tête du moindre citoyen eft confidérable, on ne lui öte fon homneur & fes biens qu'après un long examen. Le principe de Montefquieu eft bien celui de l'humanité ; mais par une étrange fatalité, il arrivé dans prefque toutes les monarchies, que la lenteur de la procédure criminelle tourne contre 1'accufé même, au lieu de le favorifer. On y commence par öter la liberté a cet accufé, on le renferme dans une prifon , Sc tandis qu'il y traine des jours douloureux , on examine lentement fon procés, on 1'épuife en interrogats, en confrontations, on 1'avilit avant même de le trouver coupable ; Sc en le trainant cruellement tk a plufieurs reprifes fur tous les tout eft fini en une ou deux féances. Toute condamnation portant peine de mort, doit être prononcée par !e roi.  [ 17^1 degrés de Péchelle qui doit le conduire a la mort, on le force enfin a envier le fort de Pefclave du defpotifme, qui n'a pas le tems de boire goutte a goutte toute Pamertume de fon fupplice. II eft quelques états oü Pon a fenti vivement cet abus , oü provifionnellement on rend a 1'accufé fa liberté , & oü on ne lui öte pas le droit de fe défendre. C'eft dans de pareils gouvernemens qu'il faut recommander Ia lenteur dans la procédure; elle favorife 1'accufé , tout y doit rendre a fa décharge dans PinftrucTion du procés jufqu'a ce qu'il foit trouvé coupable. Vakant , dit Cicéron , omniet ad falutem innocentium , ad opem innocentium , ad auxilinm calamitoforum ; in periculum vero & perniciem repudientur. II faut donc mettre de la lenteur dans le jugement, paree que c'eft la partie de la procédure criminelle qui intérefte 1'accufé; elle décide de fon fort. Le juge criminel a deux intéréts bien oppofés a pefer dans la balance de la juftice : ici c'eft 1'intérét de la fociété, la c'eft celui de 1'accufé; Pun le prefle d'être équitable , de venger le crime; l'autre réclame l'humanité. Comme dépofitaire du glaive de la juftice , il remplira dignement fon miniftere en conftatant promptement Ie crime, en recherchant le criminel, en aflurant toutes les preuves qui peuvent Péclaircir fur la nature du  t r7i J crime, tk fur le nom du coupable ; comme frere , comme citoyen du malheureux accufé , il refpectera l'humanité, s'il refpeéte la liberté, s'il porte dans 1'examendes preuves 1'attention la plus fcrupuleufe, s'il écarté de lui le bandeau de la prévention, fi jugeant lentement & fans précipitation , ,1 lailTe a la main du tems le foin de refro.dir cette indignation qu'excite la vue du crime, & de tempérer la paffion qu'infpire le zele a venger la fociété outragée. Mettons donc de la célérité dans 1'information , de la lenteur dans les jugemens, tk alors les intéréts fi contraires de la fociété tk de 1'accufé feront conciliés. (220) (220) On fera peut-étre étonné cle me voir fuivre Tn>VT C°ntr3ire > CeIui de l^eur dü Tra té des dehts& des peines. Dans une fection furlapronn. titude des chatimens, il recommande aux juees une grande eelente dans le chatiment du coupable Cette prompntude elf avantageufe au criminel en ce qu'on uiepargne les cruels tourmens de fincertitude & les longueurs de la pnfon. Quant au public, il fau fa « fuivre promptement le crime par le chatiment fi fon veut que dans fefprit groffier du vulgaire la pein" ture edmfante des avantages d'une acfion crimiS reveille aulfi-tót l'idée d'un fupplice inévitable. Le Z tardement de la punition ne produit d'autre effet que de rendre moms etro.te 1'union de ces deux idees II faut fe rappeller ce principe que trop de malheureufes expenences ont prouvé, c'eft que Ia précipuat.on dans les jugemens a fait périr une infinitéd'innocens Cette ju ft>ce expéditive eft celle du defpotifme abfolu.Et combien de baftonnades prodiguées mal-a-  [ '73 ] La procédure cnminelle a trois branches différentes : i°. il faut y conftater le crime; 2.0. il faut chercher le coupable ; 3». enfin il faut le juger. Section première. Conftater le crime. Plainte. Le premier acte de la procédure criminelle eft propos ! Combien d'innocens expofés au pal ou au knout ! Eftimez aflez la vie & la liberté des hommes, pour ne pas y donner des atteintes fi légérement. II eft facile d'adoucir les tourmens d'un accufé qui attendla decifion de fon fort; mais il a été impoffible de rappeller a la lumiere les Calas & le Monbailly. S'il étoit poflible de raffembler en vingt-quatre heures les preuves convaincantes d'un crime , on hateroit la condamnation, le moment de 1'exécution, afin de profiter du moment oü 1'efprit du public encore échauffé par 1'indignation, recevra plus facilement l'empreinte du cachet de l'exemple; mais 1'accord de cette célérité avec la vérité me paroit une chimère, & j'aime mieux diminuer 1'effët de 1'impreffion que de m'expofer a facrifier la vie d'un innocent. II eft aifé d'ailleurs, cn fuivant le fyftême que je propofe, d'alléger les peines des accufés, en réformant les abus qui regnent dans les prifons , en ötant la liberté au coupable fans 1'enchainer. Je ne pretends pas cependant, en recommandant la lenteur dans la procédure . autorifer 1'indolence criminelle des magiftrats qui, infenfibles aux Jannes des malheureux qui gémiffént dans les cachots, prodiguent dans les plaifirs un tems qu'ils doivent a 1'examen des procés criminels. M. Beccaria s'éleve avec raifon contre cet abus. Si nous fommes indifférens fur quelqu'autre article, au moins nul de nous n'aura 3 fe reprocher que ce foit par inhumanité.  * E 774'] 1» plainte-, elle peut étre formée par le citoyen offenfé , ou par le miniftere public; c'eft la nature du crime qui détermine le droit du plaignant. Dans les républiques, tout citoyen (iii) doit avoir la faculté d'en accufer un autre qui a commis un crime public; dans les monarchies, c'eft a des mandataires , ou du fouverain , ou de la nation , qu'eft confié le foin de la vengeance publique. Quant aux crimes qui attaquent, ou les intéréts ou la vie du citoyen , chaque citoyen peut former fa plainte, elle doit étre accueillie par le tribunal criminel. Nous n'impoferons point aux plaignans la loi de fe porter partie civile dans un ( 221 ) 'A Rome tout citoyen pouvoit en accufer un autre, quand méme le crime n'auroit regardé que ia république & ne 1'auroit point intereffé. Cette liberté d accufation doit être introduite dans les républiques; mais il en ,eft autrement dans les monarchies, oü' un feul homme eft chargé de pourvoir a la füreté de tous les autres. Seul jufticier de fon royaume, ilnomme des officiers pour veiller fur 1'exécution des loix &a la vengeance des crimes publics. Le citoven n'a droit de fe plaindre que des crimes particuliers qui 1 ïntereffent; ilpeuta la vérité être accufateur & dénonciateur dans les autres crimes. Je ne vois pas cependant 1'inconvénient qu'il y auroit a laifTer a tous les citoyens le droit d'accufer pu. bliquement les criminels que le miniftere pubiic refufe fouvent de pourfuivre ; fauf, dans les cas oü les accufateur fuccomberoient, ales condamner.  [ I7Ï ] terme fixé ; cette formalité bizarre, née du fein de la jurifprudence canonique, n'a d'autre effet que de priver le citoyen pauvre de la réparation pécuniaire & civile qui lui eft due, ou de dérober le faux accufateur a la peine qu'il mérite, fi fon accufation eft fauffe. Le plaignant reftera partie néceffaire dans le procés jufqu'au jugement quUe terminera; fi le crime eft prouvé, on lui adjugera les dommages & intéréts, (222) on lui rendra les effets volés : s'il fuccombe , il fera fujet a la même peine que 1'accufé auroit fubie s'il eut été convaincu; il fera condamné en des dommages & intéréts, &c. C'eft peut-être Ie feul cas oü la loi du talion foit jufte. (222) C'eft une bonne loi que celle qui, pour diminuer le nombre des délations, a affujetti les accufateurs & délateurs a la condamnation de dommages & intéréts & de peine même, dans le cas oü leur accufation feroit mal fondée ou calomnieufe. Ord. de 1670 tome III, art. 7. C'étoit vouloir abfolument trouver des criminels que de déroger a cette loi, comme on le fit en France par 1'édit de 1716 , portant établiffement d'une chambre de juftice pour la recherche des officiers qui avoient malverfé dans la finance. Chez les Romains même, 1'accufateur étoit fujet aux mêmes peines que 1'accufé', lorfque fon accufation n'étoit point prouvée. Si cui crimen objiciatur, preecedere debet in crimen fubfcriptio qua res ad id inventa, ne facile quis profdiat adaccufationem, cum fciat inultam fibi accufationem nonfuturam. L. VII,ff. de accuf.  [ 17*] "Neque enim lex aquior ulla Quam necis artifices arte perire fua. Ovkl Cependant il eft des perfonnes dans la fociété, dont en certains cas on doit rejeter la plainte ou la délation. Ainfi jamais une époufe ne pourra déférer fon mari criminel a la juftice , ni le fils fon pere. S'il exiftoit une loi qui ordonnat,ou accueillït ces délations, il faudroit la rayer .du code pénal, car elle révolte la nature. Que feroit donc alors le mariage ? Que deviendroient les rapports qui uniflent les membres d'une méme familie ? Que deviendroit 1'afyle domeftique, fi refpeélé parmi tous les peuples ? II eft des gouvernemens aflez mal conftitués pour admettre des accufations fecretes ; tout état oü la füreté du délateur eft plus refpedée que celle du citoyen, eft a coup fur gouverné par un defpote & habité par des hypocrites ou des efclaves. Je ne connols point de délit dont la nature puifle autorifer les délations & les peines fecretes; il n'y a que des tyrans qui érigeant en crimes des aflions indifférentes, qui créant des mots horribles pour qualifier des aétes de liberté , foient forcés d'avoir recours au fecret pour dérober au public leurs injuftices. L'accufateur qui ne veut pas fe nommer eft un tèche Sc un fourbe; ce n'eft  t t77 3 ïi'eft.pas celui qu'il aecufe cju'on doit punir, c'eft lui-même. Si le bien de la fociété exige, comme on Paffure» qu'il y ait dans les grandes villes cles délateurs fecrets, des efpiorts payés , quelle iJee devons-nous p vendre d'une conftitution oü Pon emploie pour remede a des maux incertains les poifons les plus corrofifs ? On craint fur la route les voleurs, on s'en défie , on les prévient; mais au moins on n'y craint pas des efpions. II faut donc troubler éternellement la tranquillité dit citoyen, pour la tranquillité fociale. Quel miférable reflort ! Procès-verbaux. Le premier pas qu'un juge ait a faire , lorf-' ( 225 ) Que d'innocens ont fait périr les délateurs >t Rome, lorfqu'ils furent accueillis par les empereurs! II n'en exiifoic point tlans les beaux jours de la république. Accifiatores efifie in avitate utile eji, ut métu con~ tineatur audacid ; innocens fi uccufatus fit, abfolvi poteft; nocens, nifi accufiatus fuerit, condemnari non potefl: utilius efit autem abfolvi innocentern quam noccntium caufiam ducere. dc. pro Rofic. Amer. - Dans 1'aucien droit canonique, le faux dénoncia-. teur d'un prêtre prétendu criminel n'étoit point puni; les papes trafiquoient alors cles bénéfices & des graces , conféquemment favorifoient les dénonciateurs. Le defpotifme feul peut favorifer les délations. Tibere appelloit les délateurs $ les protecteurs des loix; Jic deiatoi es genus liominum publico exitio repertwn , &pcenis quidem nuiujuam fiatis coercitum per prroit les témoins qu'il voudroit faiie entendre pour fa défenfe. Par 1'or.dcmnance de Cremieu., le chancelier Duprat interverr.it cet ordre qui lui paroiffoit trop favorable a 1'accufé. Cette innovation ponfirmée par 1'ordonnance de Villers-C'otere:s a régléles difpofitions de 1'ordonnance de f6.70 fur cet objet fans réciar.iationde ia part des magifrrats ii 1'examen defquels cette ordonnance fut foumilè avant fa publication. N ij  [ IJ* ] fiens. La balance eft alors égale entre Paccufateur tk 1'accufé : or cette égalité n'eft-elle pas rompue, lorfque, comme dans certains pays, on rejette le tems de la juflification de 1'accufé jufqu'après Pinftruétïon entiere du procés? On craint, dit-on, que les preuves ne difparoiflent en géminant ces deux procédures. Mais ce retard ne peut-il pas faire difparoitre auffi les preuves, les témoins de 1'accufé ? (235) (23-O II eft bien fingulier qu'en effet on ne permette a 1 accufé de propofer fes defenfes, & de préfenter les preuves de fon innocence, qu'après que le proces eft entierement examine. Pourquoi donc rendre le fort de 1 accufé pire que celui de fon accufateur? N eft-il pas deja affez malheureux de languir dansles fers, fans lui óter les moyens de fe juftifier» Ses témoins ne peuvent-ils pas difparoitre, mourirles preuves ecrites être égarées, altérées pendant le' tems qu on inftruit fon procés? Dans Pintervalle de cette inftruction, la prevention ne fe fortifiera-t-elle pas dans le cceur de fes juges qui ne voient que les preuves de fon crime fournies par fes adverfaires * Dans les proces c.vils on laifte au défendeur la liberté d'inftruire les juges en méme tems que le demandeur: pourquo. dans les proces criminels ne pas fuivre la même marche? Q.u, pourroit empêcher le juge qui entend les témoins produits par 1'accufateur , d'entendre ceux produits par 1'accufé? En un mot, il doit v avoir egahte entre les deux adverfaires, leur fort doit donc etre pareil. On approuvera donc la procédure d'Angleterre qui admet 1 accufé a la preuve de fes faits juftificatifs en meme tems que 1 accufateur: ainfi , fi un accufé foutient quau moment oü on 1'accufe d'avoir commis le crime  C i97] Avocat pour F accufé. N'eft-ce pas encore une injuftice que d'óter a cet accufé la liberté de fe défendre par la bouche d'un avocat ? II femble que pour la rédaétion des loix criminelles on ait pris le contre-pied des loix civiles. Dans ces dernieres, lorfqu'il y aura preuve par enquête a faire , on peut, on doit les faire en même tems : chaque partie peut avoir fon défenfeur. Le tribunal criminel lui eft fermé; ck ce dans un lieu, il étoit dans un autre , s'il accufé fon adverfaire d'avoir fuborné des témoins , d'avoir falfifié une piece, s'il prétend que le corps du délit n'eft point conftant , s'il accufé la procédure de nullité, on doit avoir égard a fes moyens, les écouter fans aucun delai. L'auteur du Traité des délits & des peines & celui des obfervations furce traité font tous deux d'avis que toutes les fois que les preuves font parfaices , c'eft-adire qu'elles exclurontla poftïbilité de 1'innocence de 1'accufé, il eft inutile de lui accorder du tems & des moyens dont il ne peut faire ufage , & qui retarderoient infructueufement le moment de 1'exécution, &c. Comme il eft très-poftibie de fe tromper^an jugeant qu'une preuve eft parfaite , c'eft-a-dire qu'elle exclut la poflibilité de 1'innocence de 1'accufé, je croisqu'on ne peut jamais priver ce dernier de la faculté de pouvoir fe juftifier. Sans cela, ce feroit ouvrir une porte bien dangereufe a 1'iniquité ; car le juge corrompu qui voudroit trouver un coupable, ne verroit jamais que comme une chimère 1'innocence de 1'accufé. Et conv bien de fang pourroit coüter un pareil afpedt, s'il étoit autorifé par la loi 1 N iij  [ i98 ] qu'il y a de fingulier, dans l'un il s'agit d'une affaire très-Iégere, clans l'autre il eft queftion de la vie & cle la liberté. II y a plus : on défend aux citoyens cle plaider leur caufe eux-mêmes, lorfqu'il s'agit d'intérêts civils. La loi fuppofe alors qu'ils ne font pas capables d'éclaircir leur affaire & de la développer. Elle veut qu'ils en chargent des procureurs ou des avocats; & lorfqu'il s'agit de leur liberté, de leur vie, cette loi leur refufe le fecours d'un avocat, les force a s'expliquer par leur propre bouche. Quelle cruclle contradidion! Je fens bien que , pour répondre fur cles faits pcrfonnels, un accufé' n'a pas befoin d'avocats, qu'il peut répondre Iuijnême. Encore combien de fois n'a-t-on pas vu des juges faire tombcr par leurs queftions captieufes des accufés dans un piege ! Dans faffaire du fieur Beaumarchais, s'il neut pas été éclairé, combien de fois il auroit fourni des armes contre lui! Mais il favoit diftinguer. En Anffeterre , 1'accufé peut avoir un avocat auqueleft interdite toute difcuffion du feit; il ne peut que débattre 1'application de la loi': les moyens les plus ridicules, les plus impertinens y font admis. C'eft poulfer trop loin 1'indulgence qu'on doit aux accufés, c'eft favorifer évident-  [ l99 ] ment les coupables, & 1'on ne doit pas eflimer aflez leur vie pour la fauver aux dépens de la raifon. ( 236 ) S E C T I O N III. Jugement. On réfléchit davantage avec Ie tems : la paflion qui peut naitre du zele a venger la fociété ou-* tiagée, fe calme, ck 1'on délibere e.nfuite avec indifférence. Murcna , Dov. de GuiJ. Précipiter le fupplice d'un accufé, c'efl pour un tyran marquer le delir violent de fe défaire d'un ennemi qu'on craint, c'efl pour un juge fe {2^6} Un homme avoit été accufé de rrigamiê 5 déelaré coupable par les jurés , il alloit être condamné a la peine prononcée par la loi controles bigames: fon avocat foutint que cette loi contre ceux qui avoient époufe deux femmes, étoit fans effet contre ceux qui en avoient cpoufé trois , on fit droit fur cette obfervation, & 1'accufé fut renvoyé abfous. En fe foumettant fervilement a la lettre de la loi , n'étoit-ce pas" juger qu'on n'eft plus criminel dés qu'on 1'eft plufieurs fois,ou au moins dés que la loi n'a pas prévu lecas donné ? La reine de Portugal a, parun édit du mois d'octo. bre 1778 , ordonné que dans tous les procés crimine/s militaires il fera permis aux accufés de prendre des avocats. Pourquoi n'a-t-on pas étendu cette fage loj aux procés bien plus dangereux , inftruits par 1'inqui. lition, puifqüelley fubfifte encore? N iv  [ 200 ] préparer fouvent des remords éternels. Magiftrat* dom la funebre hiftoire des Calas & des Monbailly ternira toujours la mémoire , reparoiffez ici & atteftez a vos fucceffeurs combien, fi vous avez été juftes , votre précipitation vous a fait verfer de larmes! Non, je ne connois point de fupplice plus cruel pour une ame fenfible & équitable, que cette idéé défefpérante : j'ai fait périr im innocent. C'eft un vautour impitoyable , qui ronge le cceur de Prométhée; c'eft un fantóme hideux , qui pourfuit le coupable Macbah tk tranf forme pour lui le vin qu'il boit, dans le fang qu'il a injuftement répandu. Le coup cle la mort ne fe fait fentir qu'une fois; mais le déchirement perpétuel du remords, qui femble cloué a 1'ame, prolonge fon fupplice pendant des fiecles. Magif! trats, ne foyez donc plus fi prompts a juger tk a condamner ! La chaleur de 1'imagination , 1'entêtement pour une opinion qu'on croit jufte, la haine de l'homme , qu'on prend pour 1'amour de la vérité , tout peut faire illufion dans le premier moment; laiftez donc le calme de la nuit remplacer 1'agitation du jour; réfléchiflez , méditez : ,1 n'y aura point de tems perdu, fi vous fauvez un innocent que vous étiez fur Ie point de condamner. Trainer de difcuflions en difcuffions le fort d'un  C 101 ] malheureux, c'eft vouloir fouvent affurer 1'impunité a un crime. Ne vouloir donner qu'un coupd'ceil a 1'examen d'une affaire criminelle, c'efl regarder la vie de fon femblable comme un hochetExaminer deux fois ck en différens tems les preuves , les dépofitions, comparer le jugement du public ck le fien , mettre de 1'intervalle entre ces deux jugemens, en mettre un autre entre le jugement ck 1'exécution de la fentence , c'eft agir en juge qui ne veut pas prodiguer légérement la vie des hommes, qui connoït tout a la fois la foiblefte de Ia raifon ck la loi de l'humanité. En prolongeant ces intervalles, nous imitons la plupart des fages législateurs. (137) ( 237 ) II eft bon que 1'on mette de 1'activité dans la procédure pour conftater Ie délit & quel en eft l'auteur; il eft bon auffi de mettre de la lenteur pour prononcer & exécuter le jugement. Voila pourquoi Solon voulut que 1'aréopage revit le jugement d'un citoyen condamné par le peuple, afin que s'ilcroyoit 1'accufé injuftement abfous, il 1'acCulat de nouveau devant le peuple , & que s'il le croyoit injuftement condamné, il arrêtat 1'exécution & lui fit rejuger 1'affaire. En 175? le parlement d'Angleterre ordonna que les affaftins, a la différence des fimples voleurs, feroient executés dés le lendemain du jugement prononcé. II y eut fous 1'empire de Tibere un décret du fénat qui vouloit qu'on différat de dix jours 1'exécution des coupables qui avoient été condamnés a mort. Théodofe porta ce terme a trente jours.  [ 101 ] Exècutïon. Lorfque Ia fentence aura été connrmée paria cour fouveraine crimmelle , lorfque toutes les formantés que nous avons prefcrites auront été ferupuleufement fuivies, alors il faut fe hater de livrer Ie coupable au bras implacable de la juftice févere;ii faut, fans Heffer ( 148 ) l'humanité, don- C'eft dans les républiques fur-tout qu'on a mis de tó ent la vi r ? ^ PTrPUve combien ils «fpec- ant queique fondem.em< E1]e f > t eepen ne fe croyo.t point fuffifamment autorifée a mettre nn (17, ? confentement même " ^ Ies tit es dn ,", P°Int.de PayS °" ïon refPefte Pi«s SSS? ^ en Ansl««« dans ce moment c fé'le mo fl ,H °U JUrés 0nt Prononce » dé que h nSr0^nt dCgUik^ "P^ndfes droits S ' ?n fuPP1,ce-Les shérifs ne font point d« 2Ttn,nVS°frmS eUX deS conftable* bourgeois Le patiënt lié fans contrainte, même paria corde quido.ttermm^r fes jours, eft aflis fur une charrette t nduede np,rII peut obtenir la permiflion de £ ! v« dun carroffe; il traverfe lentement la rue d'ox ford qut eft une des plu. longue* ft des plus argesde'  i 203 3 «er a 1'appareil du fupplice 1 eclat le plus effrayanti ralTembler fur la tête du coupable tout ce qui peut Londres, il n'a d'autre garde qu'un petit nombre de conftables & quelques officiers de shérifs a cheval: un filence plus refpeétueux que lugubre regne dans la populace immenfe qui remplit toutes les avenues. Arrivé au terme, celui qui eft venu en carrofte le quitte, & monte dans la charrette qui s'eft arrêtée fous la traverfe qui forme la potence. L'exécuteur qui juftjues la eft reité éloigné, s'approche; il dénoue la corde, 1'attache a la traverfe après 1'avoir ajuftée au col du patiënt. Celui-ci converfe avec le miniftre qui lui rappelle fon crime, éc la néceiïité de 1'expier; après un certain tems, l'exécuteur lui couvre la tête d'un bonnet, il le rabat fur le vifage jufqu'au menton. Au fignal que fait le premier shérif, il touche le cheval, & la charrette avancant, 1'office du bourreau fe' trouve rempli d'une maniere imperceptible ; il ne fe précipite point fur le patiënt pour lui arracher la vie, & le vifage de celui-ci dérobé aux regards ne paroit point difforme par des convulfions. Après une heure de fufpenfion, 1'on détache le corps, on le rend aux parensfhors les cas d'aftaffmat, oü il eft livré aux écoles d'anatomie poury être diftequé , & ceux des vols fur les grands chemins. Les coupables de ces derniers crimes font fufpendus fur les routes qu'ils ont fouillées , dans des cages de fer oü ils reftent jufqu'a une entiere diftblution ). Ce n'eft plus un coupable, c'eft un citoyen qui rentre dans tous les droits que lui avoit fait perdre fon crime ; fa mémoire n'eft pas flétrie dans l'opinion publique ; fa veuve & fes enfans n'en trouvent pas moins des partis proportionnés a leur état & aleur opulence. On ne rougit pointde fon nom. Le frere du docteur Dodd a fuccédé a fon benefice fur la préfentation du lord Chefterfield. Anti. de Linguet.  [ io4 ] augmenter dans 1'ame des fpeétateurs 1'horreur du crime & la crainte du chatiment. Son déshonneur doit être public & con%né dans les papiers pnbhcs. ( 239) Dégradé de la qualité de citoyen , defcendu dans le rang de ces animaux féroces quon force, en les enchaïnant, k fervir a nos befoins, il portera par-tout la marqué de 1'ignominie, le remord dévorant; familiarifé même avec Ia peine, il en fera naitre encore la fenfation douloureufe dans 1'ame de ceux que fon fort inftruira. Ceux qui feront condamnés a des peines corporelles, feront, fans aucun délai, fans aucune forte de capitulation, ( 240) punis par la main lJr?9) Ans'oisontl'excelkm ufage de publier les fentences rendueS contre les criminels, & d'en faire ment.on dans les papiers publics. II y a méme k prefent un journal deftiné fimplement a rendre compte des trials. II paroit tous les mois. (240) Lorfque les juges ont prononcé la peine, elle do,t etre infligee exactement. Les voyageurs pari lentd une fingulierc coutume établie a Achem, qui doit etreprofcnte. Les criminels ont la faculté de capituler avec 1 executeur. Celui-ci demande au coupable combien il yeut donner pour étre chatié proprement, pour avoir le nez ou le poing coupé d'un feul coup, pour que la baftonnade n'effleure que la peau. Ces capitulations font au tant d'attentats a la vindide publique & a 1 interét des particuliers. Car ou la capitulation a heu , & alors la peine n'eft pas complete ; ou elle eft rejetee, & l'exécuteur pour fe venger fait endurer au coupable un fupplice plus étendu que la loi ne 1 a voulu.  [ 205 ] aviliflante du bourreau. Le philofophe qui remonte a la fource des préjugés, gémit peut-étre en fecret de Pinfamie convenue , attachée a cè nom odieux, qu'on ofe prononcer. Je n'entre point dans cette difcuflion. Si c'eft un préjugé, il eft favorable aux mceurs; & il en eft fi peu cle cette efpece, qu'on doit conferver précieufement ceux qui nous reftent. Le criminel auroit encore une efpece de confolation d'être frappé de la main d'un citoyen honbré. En effet, fi le métier de bourreau eft regardé comme infamant en France , fi le moindre roturier le voit avec horreur, nous ne devöns cette opinion qu'au préjugé d'honneur qui eft la bafe des mceurs de notre nation. Le 'brave eft celui qui défait fon adverfaire a armes égales. Le fiche eft celui qui 1'afiaflme par fourberie ou autrement. S'il eft permis de verfer le fang de fon femblable, c'eft en rendant le péril égal. En partant de ce principe, on devoit dédaigner l'homme utile , qui étoit chargé de mettre a mort les méchans qui avoient troublé 1'ordre de la fociété : dans toutes les monarchies on flétrira donc du fceau de Popprobre les bourreaux. ( 241 ) (341) Ils font fi infames en France qu'on ne fe donne pas méme la peine de fuivre pour eux les regies de 1'equité. Ainfi, par arrêt du 1S novembre 1 ,-91* Js  [ 206* ] Jé ne .puls finir cet article de la procédure criminelle, fansparler des frais immenfes qu'elle occafionné par-tout. ÜAmi dc la concorde en a efquiffé le tableau; mais qu'il eft au - deffous de la vérité ! On imaginé bien que cet abus doit étre profcrit clans le code que nous propofons. La juftice criminelle n'a pas befoin cle 1'état ruineux cle tant de miniftres fubalternes, dont la voracité inCToyable augmente ici en raifon de 1'importance des affaires & de 1'intérét que Faccufateur ou 1'accufé ont a triompher. Ainfi la procédure fera firnplifiée, épurée; plus de ces énormes groffes qui décuplent 1'embarras & 1'ennui, plus de cafuels fecrets pour les greffiers, plus d'extraits, plus de vacations, &c. Je n'ai pas relevé tous les abus qui fe rencontrent dans les différentes procédures criminelles , ufitées en Europe. La lifte en eft immenfe, & doit Pêtre, puifque par-tout, depuis une longue fuite de fiecles, on ne fait qu'accumuler ordonnances fur ordonnances, fans avoir jamais examiné, vifité, réparé les fondemens du code pénal. bourreau qui avoit été forcé par le ligueur Buljid'è. trangler leprefident B*iffi»n, fut condamné a mort, « 1Y1. Jouffe s'ecrie qu'il le méritoit bien. Lorfqu'il n'y a point de bourreau public, on donne quelquefo!s la grace a un criminel pour en fervir.  C *f?7 ] J'ai entrevu les plus confidérables, je les ai expofés; & en les mettant a 1'écart, je les ai rem-> placés par une procédure fimple , qui concilie en même tems les droits du citoyen accufé & l'intérêt focial. J'en donne ici le plan abrégé. PLAN DE LA PROCÉDURE CRIMINELLE. Section première. Conflater le crime. Plainte. Article premier. Tout citoyen outragê pourra rendre plainte du délit privé, commis envers lui. II fera obligé de fe porter pour accufateur. II. Tout citoyen pourra déférer au miniftere public un crime public; mais nul que le miniftere public ne pourra fe porter accufateur. Le dénonciateur fera obligé de figner fa délation. III. La plainte fera confignée par écrit & dans un ftyle clair, afin d'éviter les variations & de fixer fans retour l'objet de 1'accufation. Elle fera (ignée cle la partie plaignante & du juge. IV. Dans toute efpece de plainte on fixera I. 1'efpece du crime; 2. le lieu ou il a été commis; 3. la perfonne qui 1'a commis; 4. les dommages qu'on réclame.  [ 208 ] V. Toute plainte fera communiquée au miniftere pubic. VI. On ne recevra point d'accufation fecrete : c'eft I'ouvrage de la tyrannie; ck ce code eft pour des hommes Iibres. VII. Quoique tout citoyen foit obligé de déférer le crime public a la juftice, cependant elle ne doit pas écouter la délation quand elle outrage, la nature. On ne recevra donc point la dénonciation d'une époufe contre fon époux, d'un fils contre fon pere. S e c t i o n II. Procés - verbaux. Article premier. Les juges feuls pourront conftater le crime, s'il en exifte des veftiges. II faudra qu'ils foient au moins au nombre de fix : un feul homme pourroit fe tromper. II. Cette vifite fera faite en piéfence de faccufateur & du miniftere public, qui pourront faire leurs obfervations. III. Les juges fe feront aflifter d'experts qu'ils nommeront. Pour conftater un homicide, ils prendront des chirurgiens & un médecin. Pour conftater une effraétion, on prendra un ferrurier, ckc. IV. Le procés - verbal qui fera drefle, con- tiendra  t ] tiendra exaétement toutes les circonftances, le détail de 1'opération. Les experts s'interdiront tous raifonnemens. V. Ce procés-verbal fera figné par les juges, le miniftere public, les experts, 1'accufateur. VI. On confervera foigneufement dans le greffe les monumens du crime, ft on en trouve, comme inftrumens, épée, &c. Citation. Article premier. L'accufateur ou le miniftere public: feront citer par un huiflier le coupable indiqué par la plainte, a comparoir dans vingt-quatre heures au tribunal criminel. II. La citation contiendra en termes clairs le détail de la plainte, la copie du procés-verbal, la date du jour auquel 1'audience eft fixée. E mprifonntment. Article premier. La liberté des citoyens doit étre refpeétée : nul n'en doit être privé, a moins qu'il n'y ait une conviétion prefqu'eiltiere de crime. II. Si le crime n'eft pas capital & ne mérite pas de peine a perpétuité, ou de peine corpo* relle , on n'Ötera point la liberté a l'accufé. III. S'il mérite peine corporelle, les juges, en Toms lh O  [ 1IO ] ordonnant que 1'accufé fera cité, pourront ordonner qu'il foit arrêté, afin qu'il ne puilTe échapper au chatiment. IV. On renfermera fimplement 1'accufé dans un heu fain , bien aéré, oü on lui fournira les befoins néceftaires. Point de droit de geole, d'entrée & autres vexations. V. On recommandera aux geoliers de ne point traiter durement les prifonniers. Le malheur doit toujours être refpeété; tk jufqu'a la conviftion, 1'accufé n'eft que malheureux. VI. Si 1'accufé eft bien famé & domicilie, il fera élargi en donnant caution de fe repréfenter. Section III. Conftater quel eft le criminel.) Aud'unce publique. Article premier. Au jour fixé 1'accufé fera conduit libre entiérement, a cöté cependant des miniftres fubalternes de la juftice devant le tribunal criminel. II pourra fe faire accompagner de fes parens, de fes amis, d'un avocat. II. II pourra récufer la moitié de fes juges en donnant les motifs de fa récufation. L'accufateur tk le miniftere public comparoitront auffi.  C in ] III. Le greffier lira la procédure faite par les juges , la plainte tk le procés-verbal. IV. Les juges interrogeront 1'accufé. Point de ferment; c'eft une coutume anti-naturelle. Point de queftions captieufes; c'eft un ftratagême abominable. Point de dureté; 1'accufé eft homme tk 1 egal de fes juges. Point de fellette, il n'eft pas encore convaincu. Tout accufé qui refufera de répondre, fera fuppofé convenir de la vérité des faits. Mais ce filence ne vaudra pas plus que 1'aveu. V. L'accufateur produira enfuite les témoins ; 1'accufé pourra les récufer en donnant de juftes motifs de récufation. Les juges y feront droit furle-champ. VI. Les juges entendront enfuite Ia dépofition des témoins non récufés, A chaque phrafe on demandera a 1'aceufé s'il cortvient de la vérité .des faits. L'accufé pourra faire des obfervations, interpeller le témoin. Tout fera configné par écrit par le greffier. Vil. L'accufé produira de même les témoins des faits juftificatifs qu'il pofera. L'accufateur ck le miniftere public pourront récufer ceux qu'ils jugeront a propos. Ils pourront auffi leur faire des obfervations, des interpellations. VIII. On repréfentera a l'accufé les effets , infO ij  [ 212 ] f ramens, &c. trouvés & fervant d'indices pour le crime, & on lui fera différens interrogats relatifs. IX. Lorfque la difcuffion des faits fera terminée , l'accufé pourra faire plaider fa caufe par un avocat. L'avocat ne pourra difcuter que des moyens de droit. Section IV. Jugement. Article premier. Le préfident fera un difcours oü il réfumera .les objets de Paccufation, combinera les preuves réfultant des dépofitions , foit a charge, foit a décharge, préfentera aux autres juges le point de queftion a juger. II. Le préfident ira aux opinions. Chaque juge fe bornera a dire s'il croit l'accufé coupable ou non. Le préfident recueillera enfuite les voix. S'il y a unanimité de voix, il prononcera que l'accufé eft déclaré coupable, & que la loi, pour réparation de fon crime , ordonne tel chatiment. III. Pour condamner un homme a I'efclavage & travail perpétuel, pour infliger une peine infamante , il faudra une unité de voix. Pour lui infliger une peine corporelle ou pécuniaire, il ne faudra que moitié de voix. Pour le déclarer innocent, il faudra le méme nombre.  [*I3 ] IV. Après le jugement, fi l'accufé eft condamné a une peine corporelle ou d'efclavage , il fera conduit en prifon. V. Huit jours après, les juges s'afTembleront de nouveau ck difcuteront encore le procés. L'accufé pourra faire de nouvelles obfervations, de nouveaux mémoires. VI. Le jugement qui fera rendu, fera définitif. VII. Tout jugement qui entrainera peine de travail perpétuel ou corporel, ou fimplement infamante, fera porté pour être confirmé dans le tribunal criminel fouverain. VIII. On produira devant ce tribunal toutes les pieces du procés. Elles feront communiquées au miniftere public. IX. L'accufé paroitra devant ces nouveaux juges , pourra encore faire plaider fa caufe, donner des mémoires. X. La cour fouveraine fera obligée de confirmer par deux fois le premier jugement. II faudra qu'il y ait unanimité de voix pour une peine de travail perpétuelle ou fiétriflante. XI. Le jugement définitif fera irrévocable. XII. Si cependant entre 1'exécution du jugement ck le jugement même l'accufé recouvroit de nouvelles pieces juftificatives , il pourroit, par O üj  [ 214 1 un mémoire, les repréfenter a fes juges; tk ils feront obligés d'y faire droit. XIII. La fentence fera toujours rendue publiquement. XIV. II fera dreiTé un tarif des frais de la procédure criminelle. Ceux du miniftere public feront dans tous les cas a la charge du fouverain. Ceux de l'accufateur feront pris, s'il réuffit, fur les biens du coupable, s'il en a, ou fur le domaine du prince, s'il n'en a pas. Mais tous les acfes de cette procédure feront fimples tk en petit nombre. Plus de grofies , de vacations éternelles, d'extraits, ckc. ckc.  [2I5 ] CHAPITRE V. Des tribunaux criminels. Nee Jt/pplex turha timehit Judicis ora fui, fed erunt fub judice tuti. Ovid. I L feroit intéreflant fans doute d'examiner 1'origine des tribunaux civils & criminels, de fuivre leur hifloire chez tous les peuples, de comparer les effets de leurs différentes conftitutions. Ce feroit le moyen le plus für de s'inftruire dans quelle forme de tribunaux la fociété peut trouver plus d'avantages. Cette carrière eft trop immenfe; je ne la parcourrai point. Je bornerai mes recherches a la nature de la puilTance judiciaire , a la maniere différente dont elle s'exerce dans les différentes contrées de 1'Europe, aux abus qui caraóférifent les magiftratures perpétuelles, enfin a la méthode de fimplifier cette partie du code pénal, qui n'en eft pas la moins eflentielle. On pourra tirer des conféquences pour les tribunaux civils, du nouveau régime que je propofe. Je les défavoue par avance. Je n'examine ici les tribunaux , qu'en tant qu'ils s'arrogent le droit de connoitre des crimes. Je ne particularife point mon examen. J'indique Fabus ; mais je n'indique point O iv  [ *I6* ] la conrrée qu'il dévafte, ni les égoïftes qui le fecondent. Parcere perfonis, dicere devitiis. Voila ma devife. Origine du pouvoir judiciaire. Toute fociété, quel'qu'en foit le gouvernement , a pour bafe néceffaire trois principes admis par tous les politiques, & qui ont donné naiffance a trois différens pouvoirs. Pour y maintenir 1'ordre, il faut diéter des loix & les changer fuivant les circonftances, de la le pouvoir légifi latif; il faut veiller a leur exécution fi 1'on ne veut pas qu'elles deviennent nulles , de la Ie pouvoir exécutif. Le pouvoir cle juger eft celui d'apphquer les loix a certains cas, de punir les infraclions portées a ces loix. C'eft de ce dernier pouvoir dont il eft ici queftion; c'eft de la fage diftribution de ces trois pouvoirs , que découle le bonheur des nations. Malheur a celles oü ils font réunis dans une feule main ! Les loix en font déteftables , 1'exécution barbare; les hommes n'y font rien , le defpote y eft tout. Le peuple vraiment heureux, vraiment libre, eft celui qui, retenant le pouvoir législatif, confie aux mains d'un feul la force pour Ie faire exécuter, qui, juge unique des caufes publiques, n'érige des tribunaux particuliers que pour les caufes privées des  [ ^7 1 citoyens , qui choifit les juges & peut les deftituer. La, les magiftrats font rarement corrupteurs ( ils ne font pas aflez riches pour corrompre ); plus rarement encore corrompus., paree que leur corruption n'y eft point impunie, paree que le moindre citoyen a le droit de déférer le coupable dépouillé de fa dignité , a la vengeance publique. Tel étoit le gouvernement de Rome dans 1'heureux tems oü fes armes vicTorieufes affujettifioient 1'univers a fes loix; & cette ville fi puiflante ne dut le fceptre du monde qua la jufte combinaifon de ces trois pouvoirs. Pouvoir judiciaire exercé dijfféremment dans les différens gouvernemens. Pour réfoudre le problême important que nous avons propofé, pour favoir a qui appartient le droit de juger, il faut confulter la nature du gouvernement de chaque pays. Pour la divifion des gouvernemens, nous le répétons ici, nous ne copierons pas le célebre Montefquieu qui pofa des limites chimériques entre la monarchie & le defpotifme. II n'y a que deux efpeces de gouvernemens : celui oü les peuples jouiffent de la liberté politique ck civile , ck celui oü ils n'ont que cette derniere a un degré plus ou moins confidérable. Quelque violent que foit un defpote,  [ «8 ] fa foible main ne peut pas écrafer enherement Ia liberté civile de tous fes fujets : s'il la frappe dans quelques individus, elle échappe a fes coups impuifFans dans le plus grand nombre; tk forcé pour fa füreté propre d'introduire 1'ordre dans toutes les claffes de fes fujets, il a, comme les monarques, des juges tk des tribunaux. ( 242 ) ( 242 ) On a tant médit du gouvernement oriental, qu'on ne doit point (e laffer de prouver que 1'adminiftration y eft la même que dans une monarchie ; que la juftice s'y rend, & fouvent mieux que dans les gouvernemens Européens Voyez , par exemple, le détail de toutes les fonétions du cotoual ou lieutenant de police & criminel dans 1'Inde : ce magiftrat ne pourroit-il pas être propofé comme un modele aux nötres ? Hiftoire de l'lndoujfan, par M. Dow. Celui-la, dit la loi, eft digne de cette place, qui au courage joint Ia fcience de tenir les rénes de 1'adminiftration, qui a la marche fouple, fine & intelligente de la couleuvre, qui ne fonge qu'a faire du bien tandis que tout Ie monde veille, & Fait la ronde la nuit tandis que les autres repofent dans le fommeil. II faut que le cotoual faffe difparoitre les méchans des places publiques, qu'il tienne regiftre des maifons, des chemins, &c. qu'il forme des quartiers, qu'il mette a la tête des foibles habitans un homme d'efprit, & prenne un regiftre de ce qui vient, de ce qui ya, &c. qu'il charge de la fonction d'examinateur un étranger habitué dans 1'endroit, qui foit ami de tou,t le monde. Avant tout, qu'il abolifle la violence & ne fouffre pas que perfonne de force defcende dans la maifon d'autrui, qu'il traduife les voleurs aux yeux du public, &c.  [ 219 J II n'efl pas de nation qui puiiTe exifler fans ces inftitutions : il n'en eft aucune oü le crime ne loit puni par une loi recue, oü 1'innocent ne trouve un afyle afturé contre fon opprefleur. Nous ne donnerons point le tableau des tribunaux de tous les différens royaumes : il feroit Pour que 1'on tourne agréablement la roue des événemens du monde, qu'il falfe contracter des mariages & empêche la femme d'aller a cheval. Qu'il faffe enforte que le bufle,lc cheval & le chameau aient la nourriture dont i!s auront befoin. Qu'il ne faffe pas mourirau gibet celui qui n'a rien fait qui le mérite. Qu'il chaffe les joueurs des jeux de hafard, ceux qui vendent des liqueurs, qui tiennent cabaret, les hypocrites , ou leur fadé changer de vie. Qu'il place dans des lieux féparés du refte des hommes les bouchers, les chaffeurs, ceux qui lavent les morts ou qui ótent les immondices ; qu'il empéche les hommes de fe méler avec ces cceurs de pierres noires intérieurement. On oppofera fans doute a ces ordres de la loi, les injuftices que commettent tous les jours les cotouals., les cadis. Que prouveroit cette alfertion ? Un Indien qui auroit vu 1'innocent Langlade la rame a la main, 1'innocent Calas trainé fur Péchafaud , en auroit-il pu conclure que nous n'avons ni tribunaux, ni juftice ; que nos juges font des tigres ? Non , fans doute , la loi eft a peu prés la méme par-tout; mais par-tout il y a des juges ignorans, iniques, inhumains; mais par-tout on voit avec un microfcope les défauts des adminiftrations voifines; on ferme les yeux fur ceux de la législation fous laquelle on vit. Voila la clef des perpétuelles déclamations des écrivains contre le gouvernement aftatique.  [ 220 ] ennuyeux pour nos leéreurs, fans leur procurer aucune utilité. II nous fuffira cle dire qu'd n'eft point d'état oü cette partie de radininiftration judiciairene fourmille dabus, oü le grand nombre des tribunaux n'effraie & par leur multiplicité & par 1 etendue de leur pouvoir. II femble que ce ne foit pas pour juger cles coupables qu'on crée des juges, mais que 1'on cherche des criminels pour fournir les tribunaux d'affaires. L'Ailemagne offre fur-tout cette inconcevable fécondité de tribunaux qui fe croifent fans ceffe, qui luttent les uns contre les autres , fans diminuer par ces combats le nombre des crimes. (243) Le pouvoir de juger rélide en différentes mains, fuivant la nature des gouvernemens. Dans les ariP tocraties & les démocraties mixtes le pouvoir de juger eft partagé. Chaque clafté a fes juges : ainfi les patriciens a Rome étoient jugés par le fénat, les plebéiens par le peuple ou fes tribuns. Les républiques de Venife & de Gênes ont ( 243) II exifte a Naples une foule de tribunaux inutiles. Tel le tribunal mixte qui a pour objet de prononcer furies immunités, les afyles; & c'eft le pape qui nomme une partie des juges ! On y voit encore un tribunal de fanté, chargé de veillera ce que Ia pefte ne s'introduife pas dans cet état. Comme fi un tribunal unique de police ne devoit pas embraflér cet objet comme tant d'autres qui en dépendent!  [ 211 ] a peu prés fuivi la même marche. C'étoit un abus. II y a rarement des criminels quand les juges font intéreffés a n'en point trouver. Le fénat vouloit abfoudre les Coriolan, les Applus ; le peuple excufoit les Gracque, les Saturninus. Pour obvier a cet inconvénient qui hata la ruine de Rome , il falloit affujettir les fénateurs a être jugés par le peuple, le peuple par le fénat : la balance auroit été égale, le crime auroit été puni dans -tous les ordres; fe coupable n'ayant point de liaifon avec fon juge, étant même fon rival, n'auroit pu le corrompre ; car il n'y a point de prévarication ou d'impunité la oü la loi févere éleve un mur de féparation entre le peuple & l'accufé. II eft une efpece de monarchie qui fe rapproche par fa conftitution de 1'efprit républicain : tel le gouvernement d'Angleterre. Le pouvoir exécutif eft clans la main du roi. Le peuple , ou du moins fes repréfentans, font législateurs, & chaque ordre a fes juges particuliers. Jamais un lord ne peut être jugé que par cles lords. Ce privilege eft dans 1'état aéfuel un des plus fermes remparts que la liberté puifle élever contre 1'autorité arbitraire. Le peuple ne reconnoit auffi d'autres juges que fes pairs fous le nom de jurés. L'unanimité de leur fuftrage & mille autres formaïités qu'exige ia loi  [ »m ] pour le jugement d'un coupable, prouvent fuffifamment qu'on fait clans ce pays apprécier la vie d'un citoyen. Dans d'autres monarchies on a fait fuccéder a cet établiffement li précieux de jurés, des juges arbitraires, des commilTaires révocables au caprice du monarque, du parlement, amovibles, puis inamovibles. On a multiplié les tribunaux , on a fait des charges un objet de commerce : Ie peuple n'a plus connu fes droits, le chef a trop étendu les fiens. De la réfulte un délabrement dans la machine de 1'état, qui de la monarchie tempérée le conduit a pas lents au defpotifme abfolu. Pour détruire ces abus funeftes a l'humanité, remontons aux vrais principes, confultons la nature des gouvernemens; elle nous éclairera fur 1'éle élion des juges. Dans la pure démocratie Ie peuple eft tout; c'eft donc a lui a choilir fes juges. Dans les états oü la démocratie fe combine avec 1'ariftocratie, le pouvoir du juge ne doit appartenir entiércment ni a 1'une ni a l'autre claffe. Si les nobles 1'ufurpent, la nation tombe fous un defpotifme plus effréné que celui d'un feul; & tel fera le fort cles Vénitiens, paree que Ie pouvoir de juger ne réfide que dans la main dangereufe des nobles.  [ 223 ] II eft des républiques dont la trop grande étendue, le commerce immenfe empéchent les membres de donner leur attentioh a la chofe publique. Ils en confient la garde a des repréfentans choifis par eux. La nomination des juges peut être abandonnée a leur choix. Plus éclairés que le peuple , ils écouteroient moins que lur la prévention. Dans les monarchies oü le chef n'eft que 1'homme de la nation, il faut 1'empêcher de porter la main fur le glaive de la juftice, réfervé au peuple ou a fes jurés. S'il Fufurpe , c'en eft fait de la liberté de la nation; la démocratie monarchique n'eft plus qu'une monarchie fans pouvoirs intermédiaires, & cette monarchie eft bien voifine du defpotifme. Le monarque, dont les volontés ne peuvent être arrêtées par 1'obftacle cle corps intermédiair res , qui eft au-deflus de tout, excepté de la loi, doit confier le pouvoir judiciaire a des ma^iftrats qu'd commet; car jamais le prince ne peut être juge lui - même. S'il en étoit autrement, difoit M. de Montefquieu, la conftitution feroit détruite, les pouvoirs fubalternes dépendans anéantis. On verroit cefler toutes les formalités des jugemens ; la crainte s'empareroit de tous les efprits, on verroit la paleur fur tous les vifage<:. Plus de confiance, plus d'honneur, plus d'amour, plus cle lu-  C 224 ]i reté, plus de monarchie. Quelques empereurs Romains eurent la fureur de juger. Nuls regnes n etonnerent plus 1'univers par leurs injuflices. On pourroit nous citer Louis IX. Mais pour un fi bon roi, que de Claudes ou de Louis XI! (244) (24.4) M. dc Montefquieu croyoit que les princes ne devoient pas fe méler de juger! AI. Linguet ( Difcours preliminaire de la Theorie des loix, p. 92) penfe le contraire. « Quand, dit-il, il confie fon glaive a d'autres mains, il faut que ce foit pour fe foulager & non pour s'en deffaifir ; il fait une atfion très-fage, quand il préfide en perfonne aux jugemens. II eft trés'. louable de prendre cette précamion le plus qu'il peut, comme un fermier 1'eft de fuivre fes domeftiques dans' les champs, & de voir par fes yeux comme ils labourent. „ II me paroit poftible de concilier ces deux fentimens. II eft évident que Frédéric vérifiant les jugemens de fes tribunaux, puniffant les injuftices oü 1'ignorance des juges, a droit a 1'eftime de 1'univers, & qu'il fait alors un bel ufage de la prérogative qu'a faütbrfti royale de veiller a 1'exécution des loix. Mais quand un prince ne s'en fert que pour commettre des injuftices , que pour écrafer le citoyen intrépide qui s'oppofé a fon defpotifme; quand imbude Ces idees de propriétéuniverfelle , ion vifir, 1'inftrument de fes volontés ,nomme des commiflions pour trouver 1'innocent coupable, fe meta leur tête > & leur donne le iignal des atrocités, alors n'a-t-on pas raifon de penfer avec Montefquieu, que le glaive de la juftice eft terrible dans les mains des monarques ? En effet, on leur déguife la vérité, ou i!s ne veulent ou ils ne peuvent pa's la voir, alors ils frappent au hafard. Or, qu'on confulte la lifte des rois de tous les pays du monde , on trouvera bien plus Mais  [ "5 ] Mais ces magiflrats doivent-ils être amovibles ou permanens ? Doit-on vendre ou fimplement conférer le droit de juger ? En commencant la difcuflion d'un problême fi délicat, je dois obferver que je n'ai été guidé que par 1'amour de la vérité , que je ne fuis d'aucun parti , que je n'ai deflein [d'attaquer aucun corps, aucun ordre , aucune compagnie, que je refpe&e toutes celles que mon prince a établies ; mais dans un nouveau code criminel j'ai düpeindre le meilleur desmondes poflibles, & conféquemment mettre de cöté tout ce qui exifte. Je fais que cette déclaration n'arrêtera pas les perfécutions & les cris; mais fiifiurn & tenacem propofui virurn , &c. detyrans que de peres de la patrie, bien plus d'imo. rans que de princes éclairés , bien plus de vicieux' de voluptueus, de violens, que de vertueux Trajan.' II en relulte donc que, pour diminuer le nombre des calamites du genre humain, il vaut mieux pour les peu pies que le pouvoir judiciaire foit confié entre les mains des magiftrats. Jene refufe pas cependant aux monarques le droit de veiller fur les tribunaux ; qu'ils 1'exercent s'ils font eclaires; ils ne doivent avoir les mains liées , fuivant Ie vceu du Regent, que pour faire le mal M. de Montefquieu oublie d'obferver que dans tous tes pays du nord les princes étoient autrefois les oremiers juft.c.ers de leut royaume ; régime fuivi Par les francs. Ami, les rois de Pologne parcouroient léuïs pmv.nces en jugeant. On a inftitué depuis Etienne Bauon difcrens tribunaux; mais ils font limités a ce? tains tcins & a certaines affaires. Tornt II. p  [ 1x6 ] Pefpêiuué des magijlratures profcrite. Dans tous les bons gouvernemens, on a vu que les juges ne devoient jamais être perpétuels; & en fixant a un tems limité la durée de la magiftrature , on a prévenu- mille inconvéniens qui ne fe font fentir que trop fortement dans les états oü elle eft perpétuelle & héréditaire. (245) Athenes, Rome, ( 246 ) Carthage , ( 247 ) la ( 24? ) Rien de plus beau, s'il étoit vrai, que le portrait qu'a fair un auteur ancien du tribunal de 1'areopage. Reinarquez que c'étoit a Athenes le tribunal criminel, & que ion autorité etoit bornée a certains tems. Les juges dé Paréopage n'étoient point occupés de la maniere dont ils puniroient les crimes, mais uniquemenc du ioin d'en infpirer 1'horreur. Ils fe croyoient fur-tout mftitués pour le maintien des bonnes mceurs leur attention particuliere fe tournoit principalement fur les jeunes gens, Sic. Leurs foins étoient proportionnes aux qualités & aux moyens de chaque familie ; les moins riches étoient appliqués a 1'agriculture & au commerce, fur ce principe que la parelfe produit 1'indigence , & 1 indigence les plus grands crimes Peu contens d'avoir établi des loix utiles, ils avoient la plus grande attention a les faire obferver. ( 246 ) Les Romains ne connoiflbient point de juges mamovibles. Pour éviter la corruption dans la magiftrature , Cenfores, difent les loix , bini funto, rnagif. tratum quinquennium habmto, rdiqui madlbatus anniti funto. De legibus, 1. 111. Cicéron donne dans le même endroit le véritable efpntde cette loi. Itaque, dit-il, oportct eum qui paret  [ 127 ] France ( 248 ) clans les premiers tems, l'Angleterre aujourd'hui, & mille autres gouvernemens ont fuivi cette lage méthode. Jperare fi aliquo tcmpore imperaturum , g? illum qui imperat cogitare brevi tempore fibi eJJ'c parendum De legibüs , 1. 111. ■ Qu'il donne une belle définition du magiftrat.' Ut enim magifiratihus leges ita populo prtfiunt magifitratus, vereque dici poteji magifiratum legem ejfie hquentem Jcgem autem mutam magifiratum. Delegibus, J. 111. A Rome , le prétcur formoit une lifte ou un tableau de ceux qu'il choififfoit pour faire la fondion de juges pendant 1'annee de fa magiftrature ; on prenoit le nomEre fuffifmt pour chaque affaire. Cela fe pratique a peu pres de même en Angleterre ; & ce qui étoit très-favorable a la liberté , c'eft que le préteur prenoit les juges du confentement des parties. ( 247 ) Annibal a Carthage fixa Ie tems de la magiftrature a quatre ans. ( 24S ) Autrefois en France les grands juges en petit nombre, étoient de fimples commiffaires revocaties adnutum. Les pariemens fe tenoient par termes en vertu de lettres-parentes pour chaque terme; les mtervalles etoient'remrlis par les grands jours & par les alfiles que les grands juges alloient tenir dans les provinces. Les bailliages & fenéchauffées avoient alors dans la perfonne du baillif ou fénéchal, & enfuite dans celle de fon lieutenant ,un juee unique qui dans les aftaires les plus épineufes fe choififlbit des affeffeurs parmi les avocats. Ce magiftrat réuniffoit dans le fiege pnncipal de chaque bailliage les fonétions aujourd'hui partagees dans chaque ville entre le bailliage, le préfidiai , la prévöté, la chambre des monnoies, 1'élection, le greniera fel, lapolice, les eaux & forêts.Les traites & les appels de fes jugemens fe portoient au tribunal unique qu'eut alors la nation, a la cour du parlement, p y  C «8 ] La puilTance de juger ne doit donc pas être donnée a un fénat permanent, mais exercée toura-tour par les. différens membres de la fociété , élus par le peuple, ou choifis par le monarque. Ce tribunal ne doit fubfifter que pendant un tems limité par la loi. De cette facon, dit M. de Montefquieu, la puiffance de juger fi terrible parmi les hommes, n'étant attachée ni a un certain état, ni a une certaine profeffion, devient pour ainfi dire invifible & nulle. On n'a point continuellement des juges devant les yeux, & 1'on craint la magiftrature, & non les magiftrats. Efprit des loix, liv. II. On pourroit employer bien d'autres raifonnemens pour prouver la néceffité de profcrire la perpétuité, 1'hérédité des magiftratures. Je me borne a ce feul fait écrit en lettres de fang dans le regiftre de beaucoup de tribunaux; c'eft que les corps affe&ent un certain efprit qui ne fe concilie pas toujours avec l'intérêt focial. Je fuis éloigné d'en calomnier aucun; mais en parcourant les hiftoires de tous les peuples, je vois que cet efprit de corps a produit d'étranges révolutions par-tout oii il a pu fe développer. Je vois que 1'ignorance ou l'intérêt de quelques membres ont entrainé fouvent des compagnies entieres au-dela des hornes, au détriment des particuliers dont  [ "9 ] l'honneur ck Ia vie étoient confies a leurs mains. Cet efprit eft une fuite néceffaire de la perpétuité des magiftratures. Achille y eft fur laligne de Therfite. Ses fautes deviennent les hennes. II faut qu'il le juftifie, s'il ne veut fubir 1'oftracilme fecret du corps; ck le public devient la viétime de ce concert forcé. Or, il n'y a point d'efprit de corps la oü 1'affociation n'eft qu'inftantanée , la oü les pouvoirs finiffent avec le jugement. L'homme qui m'a jugé hier, peut être jugé par moi demain. Son intérêt perfonnel le porte donc a être humain , indulgent, éclairé. II eft des inconvéniens clans toutes les inftitutions humaines. L'amovibilité des juges n'empêche pas la partialité, les concuflions , leurs iniquités. On peut au moins prévenir une partie de ces abus. On pourroit nommer cles infpecfeurs pour veiller fur la conduite des magiftrats qui, chargés de recevoir les plaintes du peuple , cle punir les coupables, feroient refpecter la loi a. leurs dépofitaires qui feroient tentés d'abufer de leur puiffance momentanée : tels étoient les miffi dominici de Charlemagne; tels font les vifiteurs en Efpagne. A Rome , un conful qui faifoit trembler 1'univers a 1'afpeft de fes faifceaux , trembloit lui-même au cri d'un fimple citoyen , loriqu'il P üj  [ 230 ] defcendoit dc la chaine curule. ( 149 ) Si l'accufé d'ailleurs a le droit de choifir luiméme fes juges, alors il n'aura point a redouter 1'mjufte prévention ni i'aveug!e partialité. Etendons par-tout & fur toutes les dalles des citoyens. cet ufage diété par la loi naturelle, adopte par les Romains, (250) confacré par ks Anglois, ( 249 ) Le roi de Pruik affujettit tous fes colleges de judicature a des vifites annuelles. (2,-0 ) Nos ancétres n'ont pas voulu , difoit Cicéron pro Clucntw, qu'un homme dont les parties ne feroient pas conventies, put étre juge, non-feukment de la réputation d'un citoyen, mais méme dans la momdre affaire.pécuniaire : telle elf la procédure adoptee par les états unis de 1'Amérique pour juaer ks proces. Les parties doivent choifir leurs juges. Si elles ne font pasd'accord , le congrès nomme plufieurs perfonnes chokes dans chacun des états unis. De la lifte de ces perfonnes ,chaque partie peut en effacer un , jufqu'a ce que k nombre foit réduit a treize. De ce nombre il n'en eft tiré pas moins de fept ni plus de neuf noms en préfence du congrès. Les perfonnes dont les noms font fortis, font commiftaires ou juges, apres avoir prêcé chacuneÉ ferment d'entendre & décider duement & en honneur i'objet en queftion, fuivant fon meilleur jugement, fans faveur, acception ni efpoirde recompenk. Le jugement eft définitif. Art. IX du traité de confederation figné en congres le 4 octobre 1776. Tandis qu'un état républicain mettoit en vigueur ces loix dicties par k bon fens , un prince Allémand s'empreffoit de les effacer de fes états par xme ordonnance rendue en 1778. Le prince de Heffe Darmftad fubltituoic aux bourguemeftres, aux jujes  [ 23I 3 comme un cles plus fermes remparts de la liberté & de la vie des citoyens. Dans d'autres monarchies, l'accufé a bien la faculté cle récufer les juges dont il fufpecTe les fuffrages; mais cpdimporte ce droit chimérique, lorfque le magiftrat confhtué , par une abfurdité fans exemple , juge dans fa propre caufe, a Ie pouvoir de s'y fouftraire ? On refpecToit avec tant de religion chez nos peres la liberté des hommes, oncraignoit tant de la violer, quenon-feulement les accufés avoient le droit de choifir leurs juges, mais que ces mémes juges ne pouvoient être pris que parmi leurs pairs; ufage confervé long-fems parmi les Francs , tranfinis par les Saxons aux Anglois qui ne fe laffent point de le fuivre. (251) éligibles, des bourguemeftres béréditaires. La différence de ces deux conduites vient de la différence des gouvernemens: l'un ne tend qu'a favorifer la liberté de rhomme & 1'humanite, l'autre ne tend qu'au defpotifme. La première loi eft rendue dans une république , la feconde par un fouverain qui a befoin d'are,cnt. ( 2$ 1 ) L'auteur des obfervations fur le Traité des délits & des peines, ne veut pas admettre entiérement la loi qui prefcriroit que chaque individu fut jugé par fes pairs. Le mépris, dit-il, avec lequel l'homme puiffant regarde l'homme foible , ne peut être affecté que par des monftres qu'il faut détruire; de forte qu'il fuftit d'établir que tout ce qui eft au-deflus le foit par fes paii s, paree que relativement a cette claffe il pourroit exifter dans les juges ordinaires le fouvenir de quelqu'intérêt parti- P iv  [ 232 ] La queftion de la perpétuité des magiftratures ainfi décidée , il refte a réfoudre l'autre problême & a dèterminer le titre des magiftrats. Acheterontils le droit de juger leurs femblables ? ou n'auront-ils ce droit que par un fimple mandat du prince, ou par le choix des citoyens. Quoique culier qui auroit été gêné par 1'autorité de l'accufé, & que ce motif nuiroit a leur équité. Mais d'abord ce mépris avec lequel l'homme puiffant regarde l'homme foible, n'eft que trop réel, & les monf. tres qui 1'affichent ne font pas rares. En transformant la fonction de rendre la juftice en charge particuliere, on a fait de ces juges de petits defpotes qui pour une médiocre finance fe font cru les maitres de leurs femblables; la vénalité a engendré 1'inamovibüité, & de cette demiere a réfulté le mépris que le juge ne témoigne que trop dnrement pour l'accufé. La vénalité a detruit leliën qui uniflbit le magiftrat au fimple citoyen ; au lieu qu'en Angleterre un juré n'eft magiftrat qu'accidenteilement, & ne peut être un monftre jmpunément. Ainfi par la nature méme de la chofe, des magiftrats perpétuels ne doivent jeter qu'un regard de dureté ou de mépris fur 1'infortuné dont le fort eft entre leurs mains; & dans le fait, 1'expérience a réalifé cette funefte confequence. Mais d'ailleurs pourquoi toutes les clafles des citoyens au-deflus des magiftrats auroient-elles feules le droit de choifir leurs juges, d'être jugés par leurs pairs? Pourquoi la loi n'étendroit-elle pas Ia méme faveur aux clafles inférieures ? Les citoyens qui les rempliflent font-ils moins précieux a 1'état ? ont-ils moins de droit a ce que la loi les protégé? Pourquoi tous les privileges feroient-ils pour les riches, tandis que le fardeau donton voudroit foulager ceux-ci, retomberoit fur le peuple feul ?  [ 2-33 ] la vénalité cles charges foit peut-étre un bien clans une monarchie, en arrêtant les pas rapides qu'elle fait vers le defpotifme, ( 2 5 2 ) on la profcrira cependant, paree qu'il eft trop abfurde de vendre a un homme le droit de maitrifer, de faire mourir un autre homme. Vénalité des magijlratures profcrite. La vie d'un être intelligent n'eft point un effet de commerce. Toutes les nchefïes de 1'univers n'étant pas capables cle la payer, il eft contre le bon fens de trafiquer le droit cle 1'öter. L'öfer ! Eh, le peut-on fans avoir approfondi la nature du crime, le degré de certitude des preuves , fans avoir cles principes, une longue expérience ? L'or donnet-il tout cela? Jurifconfulte éclairé, avocat, (253) (Mz) Ona crie contre la vénalité des charges dans les monarchies. On a peut-étre eu tort fous un certain rapporr. C'eft en effet une efpece de reftitution du pouvoir de juger, que les rois dans leurs befoins ont faite au peuple pour fon argent. Le magiftrat qui achete fon pouvoir eft moins efclave du roi que le magiftrat commis qui ne tient fon autorité que de la faveur , qui la perd fouvent s'il ne facrifie pas fon honneur aux caprices de fon protecleur. _(2(;3 ) II paroitra inconcevable que ce projet de faire monter les avocats au rang des juges , projet qui eft li naturel, n'ai t encore été exécuté que dans une feule contrie. Et dans quelle contrée! Dans cette Efpagne que 1'on calomnie tous les jours fur bien des  C 234 ] qui as long-tems bianchi dans Pétude des loix, monte fur le fiege de la mort, interroge le coupable , prononce fa fentence , tu le peux, tu le dois! C'efl: a tes mains feules qu'on doit confier le glaive de la loi : je 1-y vois briller avec fécurité. Je ne crains pas que la calomnie armé de 1'impofture, ou Pinfame foif de Por le faflent tomber fur ma tête innocente. Mais que n'ai-je point a redouter, lorfqu'il repofe dans les mains impures d'un homme a qui Por feul, & non la fcience, donne le droit de me juger, d'un homme que la préfomption aveugle, que Pignorance plus terrible encore que la partialité , couvre de fes ombres épaifles, qui, peut-être fortant des bras d'une johe femme, viendra figner légérement mon arrêt de mort ? Ce petit-maitre faura-t-il que fes premiers enfans font les infortunés, lui qui regarde les malheureux comme fes efclaves, les procés comme fon domaine ? Entendra-t-il leurs gémifle- articles, paree qu'on lui fait de juftes reproches fur quelques-uns. La les avocats, après un certain tems d'exercice , y obtiennent la charge de magiftrat. Ainfi ce n'eft qu'après avoir mérité le titre de defenfeurs de leurs concitoyens qu'ils obtiennent celui de leurs peres. Pourquoi n'étend-on pas cet ufage par-tout? Je n'oublierai jamais la vanité ridicule d'un confeiller de province , qui fe feroit cru dégradé fi 1'on avoit fait affeoir « fes cótés Cochin ou le Normand. Je fais qu'il en eft beaucoup qui penfent mieux fur 1'ordre des avocats.  [ 235 ] mens, lui qui n'a d'yeux , d'oreilles, de fens, que pour fon plaifir. Non ! toi feul, ö mon pair, 6 toi que j'aurai choifi pour mon juge, tu fauras apprécier mes douleurs! Toi feul te tranfportant en idéé dans le cachot qui m'enfevelit, tu me verras prefTer cent fois de mes mams ma tête brülante, & tu te hateras de mettre un terme a mon infortune, paree que tu peux un jour en fentir le poids! Commijfaires. Si la vénalité des charges, fi la permanence des magiftratures enfantent des iniquités dans les tribunaux , combien plus de fang ont verfé ces commilfaires nommés dans des cas extraordinaire? par les fouverains pour punir des coupables diftingués, ou plutöt pour fatjsfaire juridiquement leur vengeance ! Pücn de plus dangereux pour la hberté & la vie des citoyens que ces juges par interim , auxquels on confie imprudemment le glaive de la loi. Voués entiérement a la panïon de celui qui les nomme, ces efclaves violent toutes les loix de 1 equité pour trouver des criminels. Jen attelre ici les manes Enguzrrand de Mirigny, des Templiers fi injuftement immolés, de CinqMars, de Grandier & de ces martyrs de la liberté angloife, dont 1'infame Jefferys fit couler  [ 3$amende au capteu Je  t *39 1 d'un tribunal oü fur le plus léger foupcon un juge pnve un citoyen de la liberté; oü ce citoyen n'a pas la faculté cle fe défendre ; oü fous le mafque de Pamiüé, de la bonne-foi, on extorque de lui les aveux les plus importans; oü 1'on fe joue impunément de la religion du_ ferment; oü Iels délations des ames les plus viles, des ames proftituées a la bafleffe, au menfonge, font accueillies & crues; oü 1'on ne fuit dans la procédure, que les principes affreux de l'inquifition, dans le jugement , que le caprice de ce tribunal; enfin qui paroit né dans le fein du defpotifme, (256) ou du moins qui y conduit; qui feroit bien plus terrible encore, fi les juges qui y préfident, n'en modéroient pas la rigueur ? Si la füreté de la fociété exigeoit 1'établiiTement d'un pareil tribunal , il faudroit renoncer a fon titre de citoyen ck fuir dans les forêts. Car quel eft 1'homme le plus honnéte, qui ne puifle être la victime d'un . délateur payé a vingt fois ? Quel homme ne frémira pas, quand il faura que dans des tribunaux recus chez certaines nations, ( 257 ) les juges ne ( 2$ 6 ) J'aurai peut-étre ici Pair de me contredire : mais qu'on compare le doublé rapport fous lequel j'ai envifagé ce tribunal, & 1'on verra difparoitre la con-. tradiction. (257) On contigit, 1'ordonnance rendueparla répa-  [ 2-40 ] fuivent que leur confcience, c'eft - a - dire, leur fantaifie, dans la condamnation de ceux qu'ils1 imaginent coupables ? Inquijition. Et tel eft 1'untque code de l'inquifition, de ce tribunal de fang,'qui ne fut imaginé que par le fanatifme, qui ne fe conferve dans quelques pays, encore tout couverts de ténebres,que parlacrainte & 1'imbéciïlité. Aujourd'hui que la philofophie, éclairant d'un même jour tous les hommes \ leur a appris a fe regarder comme freres, peut - on concevoir comment il a pu exifter un tribunal qui s'élevoit fur un monceau de corps morts , fur des büchers, des échafauds; comment des hommes ont pu engager d'autres hommes a punir des gens qui ne penfoient pas comme eux, a les exterminer avec leurs femmes & leurs enfans ; com, ment des fouverains fourds a l'humanité , aveugles fur leurs intéréts politiques,( 158 ) font devenus les bourreaux de leurs propres fujets ? A la voix blique de Gênes, qu! défendoit au Rouverne111e.it de Code, di condemnare in avenire fo/amente ex in. formata confcientia pafonc alcane'in pena afflittiva. 1'otra ben Ji fur cureflare cd mearecrare 1c ptrjont che ShManna fofpette, falvo di rendernepoi a noi conto Joüiatamente. ( 2 $ 8 ) Ce fut pour avoir voulu établir l'inquifition enHoll'ande , que Philippe Ilperdit cette province. cle  C Mi ] de quelques moines ? Ce fut un mal épidémique dans le quinzieme fiecle, un des fléaux de 1'Europe. L'Efpagne , la France, le Languedoc , 1'Allemagne furent remplis d'inquifiteurs, de cachots, de büchers. Le fameux Torquemada fe vantoit d'avoir fait rötir lui feul fix mille juifs, & parvint a caufe de fes beaux exploits au cardinalat. Quand un génie mal-faifant, né pour la deftruéfion du genre humain , auroit imaginé le plan odieux de l'inquifition, quand un Néron auroit diéfé fes loix, quand un Phalaris auroit préfidé aux tourmens qu'on y éprouve, on n'auroit pas encore la moitié des barbaries atroces imaginées par les moines. Le citoyen le mieux famé, tk dont la réputation eft intacte, peut étre arrété tk enfermé a l'inquifition fur la délation d'un miférable qui vit de 1'infame métier de 1'efpionnage. Les familitrs commencent par piller la maifon de celui qu'ils arrétent, volent fon or, fes bijoux , lui font figner un inventaire inexaét d'effets qu'on ne rend jamais, même aux innocens, puis le trainent avec un éclat fcandaleux dans les prifons. Les cachots en font horribles. On rafe la tête de l'accufé, on le laifte languir pendant cinq a fix aaois, jufqu'a ce qu'enfin le trés - benin grandinquifiteur fait paroitre le malheureux devant lui, tk a la bonté de lui demander ce qu'il eft venu Tome II. O  [ 242 ] faire en prifon. Eft - il donc permis d'outrager k ce point le malheureux qu'on opprime ? I! lui demande enfuite s'il n'eft point de familie juive, & lui fait répéter fon cathéchifme. S'il ne peut tirer d'aveu, ou on le condamne a la queftion, ou on le laifte languir en prifon jufqu'a ce qu'il ait rappellé dans fa mémoire le fait pour lequel il eft enchaïné. Cette farce barbare a ordinairement plufieurs repréfentations. II n'eft point de queftions fi captieufes, qu'on ne faffe au patiënt pour lui faire découvrir des chofes qu'il n'a pas faites. Les monftres attachés a l'inquifition font fi ignorans , qu'ils traitent fouvent d'hérétiques des auteurs qui exiftoient même avant le chriftianifme. On a vu un grand-inquifiteur condamner un homme au feu pour avoir lu Yhêrétiqut CatuLU. Ces inquifiteurs ont une finguliere coutume , & qui prouve combien ils craignent que le jour n'éclaire leurs cruautés. Lorfqu'ils font forcés de relacher un innocent, ils lui font jurer fur la croix de ne jamais dire a perfonne ce qui fe paffe dans la fainte inquifition, de ne jamais publier ni décrire Ia maniere dont on y vit, encore moins pourquoi il a été renfermé. Ils font aflez ftupides pour croire qu'un pareil ferment, extorqué par la force, peut obliger celui qui le prête. Graces au ciel, on connoit aujourd'hui leurs manoeuvres  [ H3 ] ódieufes , leurs cruautés réfléchies, leurs loix fanguinaires , leur hypocrifie. On connoït toutes ces horreurs, ck 1'on ne concoit pas comment il eft encore cles états qui n'ont pas vomi ces monftres hors cle leur fein , ou comment la terre ne les a pas engloutis pour le falut du genre humain. Quel philofophe ( 259 ) ne frémira pas a cette idéé ? Que le hafard tranfporte en Efpagne un de ces hommes courageux nés pour éclairer 1'univers ik diffiper les préjugés. Tourmenté pendant bien des années dans d'affreux cachots, il finiroit par figurer avec un fan benito dans un auto-da-fé. O Dieu !.. Béni foit le monarque Francois, qui a extirpé ce tribunal odieux ! Béni foit celui qui arrachera jufqu'a fes moindres branches, jufqu'a fa derniere racine! (260) Et tel eft le titre qu'on doit (2?9 ) Par philofophe, je fuis éloigné de défigner 1'étre auquel le vulgaire attribue ce titre. Le vrai philofophe elf. celui qui fait le bien , & qui dans fes opinions ne fuit que le flambeau de Ia vérité. II nous manque un bon livre fur la vraie philofophie, je traiterai un jour ce fujet intéretfant. ( 260 ) Ce qui révolte en lifant 1'hiftoire des fiecles paffes, c'eft qu'on fe foit fervi du nom de la religion pour faire périr les plus grands hommes. Ainfi le vindicatif Maurice fe fervit habilement de la ridicule querelle des Arminiens & des Gomariftes, pour immoler afa haine 1'intrépide Barneweldt. On voit dans YHijioire de France un trait finguf'er qui prouvera combien on fe jouoit alors de la religion. Q ^  [ M4 ] donner aux officialités, efpece de tribunaux eccléfiaftiques tolérés encore dans les pays catholiques. Officia/hés. Les fiecles paffes ont accordé une étendue exorbitante aux privileges des officiaux, ont laiffé croitre avec une foumiffion bien funefte leur juriftMion ufurpée. Que les chefs de 1'ordre hiétarchique aient une autorité fpirituelle fur les prêtres , qu'ils répriment les abus fpirituels, oü ils peuvent tomber comme prêtres; mais ne les laif■fons jamais étendre leur pouvoir plus loin. Si un prêtre trouble 1'ordre de la fociété, c'eft a la fociété ou a fes magiftrats qu'appartient la connoiftance de fon crime. En vain réclamera-t-il le privilege de clergie fi puiffant autrefois. II a forfait comme citoyen , il doit être puni. (261) Po- Bettufac fous Charles Vlayantété accufé du crime de péculat dont on ne put le convaincre, las de voir trainer la procédure , fut confeillé par fes ennemis de faire renvoyer fon affaire a une officialité, en déclarant qu'il avoit erré fur ia foi, II fut fur fon aveu convaincu d'herefic, & condamné a être brülé vif. . ( 261 ) Le grand-duc de Tofcane a , par une déclalation du mois de novembre 1779 , réduit les officialites n connoitre des délits purement eccléfiaftiques, c'eft.a-dire de ceux 011 il s'agit di mera contraventione al/a difciplina ecclefaftica. Mais pour les autres dehts, il en a attribué la connoiftance aux juges laïques Voyez 1'art. II, Clia trattendofi didditti.  [ M5 1 fons une bonne fois une barrière infurmontable entre les deux puiflances: que 1'autorité fpirituelle connoifle des matieres de la foi, des opinions contre fes dogmes, contre fa morale; mais qu'elle n'étende jamais une main audacieufe fur le citoyen. Si les fouverains ne doivent point toucher a 1'encenfoir, les miniftres de la religion ne doivent pas profaner lé fceptre. Si ces principes euflent été toujours fuivis , on n'auroit pas vu des débats fi fcandaleux entre les princes & les papes. On n'auroit pas vu des papes fouffler le feu de la fédition dans le cceur des fujets contre leurs maitres, ni des empereurs perfécuter des papes. ( 162 ) En parcourant la lifte des tribunaux anglois, j'ai vu avec furprife que les tribunaux des archevéques y avoient confervé une bien plus grande extenfion que nos oflicialités même. C'eft une bigarrure qu'on rencontre quelquefois dans la conftitution angloife. (z6z~) Louis XIV fentoit vivement ces abus, lorfque par fon édit de ió9<; il fixa les limites de la jurifdidtion ecclefiaftique. Par Part. 4,il leur attribua la connoiftance des caufes concernant les facremens ,les vceux de religion, 1'office divin , la difcipline eccléfiaftique& autres purement fpirituelles. Encore laifla-t-il aux particuliers léfés dans les caufes de cette efpece la faculté d'en donner la connoiftance a leurs juges temporels, au parlement,par 1'appel comme d'abus. L'art. 38 porte que les procés criminels a faire aux eccléfiaftiques accufés de ce qu'on appelle cas privi- Q Sj  [ 245 ] Quels troubles n'a pas. caufes en France, en Angleterre, dans toute 1'Europe , 1'ignorance des vrais principes canoniques ? (263) Qu'on fe rappe 11e 1'hiftoire desdémêlés de 1'orgueilleux Bèchet légiés, feront inftruits par le juge féculier conjointement avec 1'official. On entend par délit privilégié une forte de délit grave qui ,outre les peines canoniques , mérite encore des peines affliétives , & tel que le juge d'églife ne puilïe les prononcer : le délit commun eft celui qui mmjurum non egreditur eccleJiaJHoe vindiüct. 11 ne faut pas que 1'official ait droit d'inftruire avec le juge laïque, le délit privilégié, paree que pour la pourfuite d'un crime il ne faut pas deux tribunaux, paree qu'une doublé inftrucfion eft inutile & difpendieufe, paree qu'enfin la contrariété qui fe rencontre dans les opinions des juges, mukiplie les difficultcs pour terminer les procés. U eft bien fingulier que 1 'édit de 1699 exige cette doublé procédure pour les crimes les plus grands des eccléfiaftiques , tandis que pour le fimple crime de faux faunage les officiers du grenier a fel doivent feuls pourfuivreles eccléfiaftiques qui en font accufés. La raifon de cette différence eft fimple: le clergé a foüicité le premier édit,Ia ferme a dicté la feconde ordonnance. ( 263 ) Saint Paul fut le premier qui prétendic que les fideles ne devoient pas être juges par cles païens. C'eft fur ce principe que les papes ont foutenu que les eccléfiaftiques ne devoient pas être jugés par des Iaïques. C'eft fur ce principe que Nicolas premier avoic écrit aux Bulgares: « vous ne devez point juger les prétres ou les clercs, vous autres laïques, ni examiner leur vie; vous devez laiffer tout au jugement des évêques.,, C'eft fur ce principe que roule la bien extravagante bulle Dc clericis Idicos.  [ »47 3 avec le trop bon Henri, cle Philippe le Bel avec Boniface, &c. On n'imagine pas toutes les rufes dont les eccléfiaftiques fe fervirent alors pour étendre leur jurifdiéfion fur tous les laiques: les veuves , les' orphelins, les lépreux, les pélerins y furent affujettis. Le ferment appofé a la plupart des contrats ck la connexité avec les matieres criminelles étoient pour eux un prétexte plaufible pour connoitre prefque de tout. ( 264) Quoique M. de Montefquieu femble defirer qu'on conferve ck qu'on rende au clergé le pouvoir ck la jurifcliétion dontil jouiftoit jadis, pour fervir de contre-pied au monarque, cependant il eft a fouhaiter pour le bien des peuples ck le progrès cles connoiffances humaines, qu'on öte entiérement aux eccléfiaftiques le pouvoir de juger. ( 264) A 1'occafion du facrement de mariage, ils prenoient connoilfance de la dot, du douaire, de l'adultere , de 1'état des enfans. Tous les teftamens , tous les procés fur les fucceffions de ceux qui motiroient ab intejiat, étoient de leur compétence. Ils jugeoient encore de 1'ufure, du concubinage. Enfin , il fuffifoit qu'il y eut matiere a pêché dans une difcuflion, pour qu'ils s'en arrogeaffent la connoilfance : or il n'y avoit point de procés lans pêché. On a fupprimé une partie de ces abus; mais on n'a pas encore ofé toucher au tronc , & c'eft ce tronc dont ilfaut même extirper les racines. Q iv  [ 14» ] L'exemple des archevêques d'Upfal en Suede , cles archevêques de Cantorbéry en Angleterre , doit inftruire les rois. II n'y a point cle philofophes , quand les eccléfiaftiques font juges : le livre de PEfprit des loix n'eüt pas paru, fi Torquemada eut exifté. Jurifdiciion des moines & des peres. Nous nous garderons bien de donner aux peres & aux moines 1'autorité tyrannique que les Romains , les rois & le clergé leur ont accordée. Nul n'a le droit légalement fur la vie cle fon femblable : la fociété feule a par -fiéfion ce privilege. Dans la nature & dans toute fociété oü il ne faut pas être barbare pour étre bon citoyen, Manlius Torquatns auroit expié fon atroce infanticide. Les horreurs que les moines ont commifes clans tous les tems contre ceux de leur ordre qu'ils déteftoient par efprit d'état, les abominarjons 11 long-teins enfevelies, mais que 1'ceil inqüiet de l'humanité a fu décpuvrir, nous difent de leur arracher le glaive du chatiment, & cle leur lier les mains. Juflices feigneariaïes. Les juftices fèigneüriales font un refte cle Panarchie féodale , qu'il faut encore éteindre. Char-  [ M9 ] lemagne & fes fucceffeurs, qui croyoient acheter le ciel en comblant les monafteres de leurs bien? faits, y interdirent a tous officiers royaux I'exercice de leurs fonctions. Les monafteres, les prélats eurent donc des avocats, des vidames qui furent juges de leurs ferfs. Cette matiere, dit ie profond Loyfeau, eft un labyrmthe inextricable : qu'on 1'approfondiffe tant que 1'on voudra; fera bien habüe qui, parmi ces grandes variétés de tems & de lieux & parmi tant d'abfurdités, pourra choifir une réfolution alTurée & raifonnable : on ne peut raifonner qu'a travers champs des régiemens de ces juftices. C'eft un nceud qu'il eft plus facile de couper que de dénouer. Peut-étre viendra-t-il une bonne infpiration a fa majefté y de délivrer enfin fon peuple de cette oppreffion. ( 265 ) (26<; ) Loyfeau , dans fon Traite'des jurifdiétipns , fait un éloquent tableau des abus des juftices feigneuriales, dont il demande 1'anéantiiTement. « Ce n'eft point foulagement au peuple, dit-il, de rendre la juftice fur le lieu. Car les frais font plus grands en ces petites mangeries de village qu'aux amples juftices des villes ,poury avoir un mechant appointement de caufe. II faut fouler le juge, le greffier & les procureurs de la caufe en belle taverne qui eft le lieu d'bonneur oü les actes font compofés , oü bien fouvent les caufes font jugées a 1'avantage de celui qui paie 1'écot. .. C'eft la ruine d'un village que d'y avoir juftice; car cela apprend a plaider aux pavfans óc les détourne de  [ mo ] Les rois ont cru diminuer I'inconvénient néceffaire de ces juftices feigneuriales trop multipliées, en foumettant leur jugement aux juges royaux, en établiffant par-tout des bailliages & des préfidiaux; (266) c'étoit doubler Ie mal au leur travail.. „ L'abus que Loyfeau peignoit de fon tems ayec des couleurs fi énergiques, exifte encore aujourd'hui. Le procureur de village, comme celui des villes, a toujours confervé la même inclinadon bénigne. ( 266) i". Les feigneurs n'ont point de titres pour conferver ce droit; ils ne le tiennent que de 1'ufurpation, ou d'une libéralité imprudente. 2°. Le Franqois n'eft plus le ferf, le fujet de tel ou tel feigneur. II 1'eft de fon roi; c'eft donc aux officiers feuls qu'il a commis qu'il peut être foumis. }"■'. D'ailleurs la rnultiplicité de tous ces petits tribunaux nuit a la promptitude des jugemens, en multipliant les degrés : du juge feigneurial on va au bailliage royal, du bailliage au parlement; deux degrés fuffiroient. 4°. Les juges feigneuriaux font ordinairement fort ignorans, les affaires mal traitées, mal jugées ; ce font des payfansqui défendent, qui jugent des payfans. 5°. S'il eft intéreffant de ne pas confierle jugement de fes droits civils a des juges feigneuriaux, ils doivent encore moins juger des affaires criminelles. 6°. La multiplicité de ces juges produit des conflits , des procés fur la compétence. _ 7°. Pour ne pas perdre de 1'argent, les feigneurs aiment mieux laiffer languir les affaires criminelles, évader les prifonniers, que de les faire juger. Tous ces motifs doivent faire fupprimer les juftices feigneuriales: c'eft a cette fuppreftion que tendoit 1'édit de 1771, qui laiffoit aux feigneurs la liberté de renvoyer les procés criminels aux juges royaux ; on feroit parvenu in-  [ M» 1 lieu de le guérir : le bonheur des peuples exige que les juftices feigneuriales foient entiérement anéanties; ck mille motifs s'élevent pour en prouver la néceffité. Ramenons donc tous les tribunaux a cette unité, comme dans l'Angleterre, fi defirable en France oii elle n'exifte point, quoiqu'un avocat-général diftingué par fes talens ait cru 1'y trouver. ( 2.67 ) Si elle exiftoit cette unité , y verroit-on des grands-confeils dont 1'autorité eft fi bornée, des chambres des comptes ck tant d'autres tribunaux affeétés a une feule efpece de matiere, qui ne font occupés qu'a militer contre le parlement ? Si dans les matieres civiles l'intérêt des citoyens exige cette unité de cours, exige la fuppreffion du dédale tortueux des jurifdiétions, a combien plus forte raifon doiton le defirer pour les affaires criminelles, ( %6% ) dont 1'expédition eft fi longue, ft embrouillée, fenfibleraent a dépouiller les feigneurs de leurs juftices. (267) Voyez le Eequifitoire de M. Séguier contre un arrêt de la chambre des Comptes de 1768. ( 268 ) Cette maniere de calculer ne vaudroit rien dans certains pays de l'Allemagne , oü les élecleurs ,qui ont droit de vie & de mort fur leurs fujets, ne peuvent juger de certaines caufes civiles qu'a la charge de 1'appel. Un fief dans cet étrange pays eft plus eftimé que la vie d'un homme.  [ 15* ] tandis que les malheureux gémiffent dans les cachots ! L'intérêt de l'accufé , celui même de l'accufateur demandent cette fimplification que la faine politique doit introduire dans tous les bons gouvernemens. Car plus un gouvernement fe corrompt, plus il multiplie fes tribunaux. Lorfqu'une monarchie avance vers le defpotifme, elle fait des crimes nouveaux , elle érige des tribunaux, & augmente les punitions. Dans le berceau de la fociété, fes loix, fa procédure, fes tribunaux, tout eft fimple. Jefez , pour vous en convaincre, les yeux fur les loix pénales des Francs, lors de leur établiffement dans les Gaules, fur la fameufe révolution qu'elles éprouverent lors de la promulgation des capitulaires; confidérez la fimpücité qu'elles confervoient encore a 1'inftitution des pariemens tk cles tribunaux inamovibles: a cette époque vous voyez naitre une multitude de loix, d'arréts , d'ordonnances, qui fe fuccedent & fe combattent mutuellement; vous voyez des tribunaux érigés par-tout, ck par-tout des procureurs , fergens, ckc. pulluier; vous voyez leurs brigandages révolter les peuples, leurs cris parvenir aux oreilles d'un grand monarque, une révolution s'opérer en 1670 clans le code criminel. Mais cette révolution ne fut qu'ébauchée : les magiftrats chargés de la rédaéïion de ce code étoient  E 153 1 trop zéiés adorateurs du droit romain, trop entichés des préjugés de leur état; ils avoient la tête trop peu philol'ophique pour tracer un code utile a la France, & qui cadrat parfaitement avec fon climat, fon gout, les mceurs de fes habitans. Avec des principes gothiques, un architeéte du quinzieme fiecle ne pouvoit ériger qu'un monument gothique. Recourons aux vrais principes, & nous ne rifquerons pas de nous égarer en recYifiant le plan cle Pédifice de nos loix criminelles. Peu de tribunaux & beaucoup de juges. Voila le principe le plus fur fur cette matiere. Que dans chaque ville il y ait un tribunal criminel, qu'on y juge tous les crimes qui fe commettent dans fon reffort, que ce reffort ne foit jamais trop étendu; s'il avoit un arrondiffement trop vafte, il y auroit plus de crimes impunis ou même inconnus; les forfaits fe déroberoient plus aifément aux regards éloignés de la juftice. Mais qu'il n'y ait qu'un feul tribunal dont 1'autorité s'étende fur toutes les matieres; que jamais ces jugemens ne foient en dernier reffort. II n'y a jamais trop de célérité dans 1'information d'un crime , dans fa pourfuite ; il doit toujours y avoir beaucoup de lenteur dans fon chatiment. Que les appels de ce tribunal foient portés a une cour fouverajne placée dans la ca-  [ i?4 ] pitale cle la province ; que la on y pefe de nouveau dans la balance cle la juftice les preuves, les préfomptions; qu'on examine les motifs du premier jugement, & que par un arrêt irrévocable l'accufé foit abfous ou condamné. L'échelle des tribunaux ne fera donc compofée que de deux degrés; car les triftes fcenes qui ont couté la vie aux le Brun , aux Langlade , feroient encore renouvellées, fi tout tribunal pouvoit juger en dernier reflort. S'il y avoit plus de deux degrés, accufés , accufateurs , malheureux & coupables, tous feroient forcés d'errer pendant un trop long intervalle dans le dédale incertain de la juftice. II ne doit y avoir dans chacjue province qu'un tronc, & de ce tronc unique ( 169 ) partent une infinité cle ramifications qui ne fe nuiront point, paree qu'elles ne fe croiferont pas, paree que leur reflort fera fixé. (2.70) Mais de combien de juges (269) Tous les tribunaux devant fortir du même . tronc, tous devant. aboutir au même point, tendre au même but, il s'enfuit que tous les juges peuvent inftruire le procés d'un coupable ou conftater les ddits ; mais qu'un feul doit punir le coupable, qui eft le juge du lieu ou s'eft commis le crime. II y auroit trop d'impunité pour les crimes, fi ce dernier avoit feul le droit d'informer , d'arrêter le coupable. C'eft pour effrayerles citoyens qui feroient tentés de 1'imiter, c'eft pour raflurer le citoyen craintif, que 1'exécution du coupable doit toujours être faite dans le lieu du délit. C270) Par-la on évitera encore un autre abus ré-  C M1 ] un tribunal fera-t-il compofé ? Peu font jugés par peu, difoit Machiavel. Le cruel! II fe plaignoit de voir> trop peu de gibets, de voir trop peu de fang couler fur les échafauds. Moi je dirois s beaucoup d'innocens font condamnés par peu. Ne confions donc jamais la vie de nos femblables aux mains de peu de juges. La partialité, 1'injuftice , fe gliflent plus aifément dans les tribunaux. Un cadi eft bien plus facilement féduit, corrompu, qu'un parlement. Admirons ici le code de l'Angleterre ; il faut que ce tribunal foit compofé de douze jurés pour condamner a mort un homme. II faut que ces jurés ou prud'hommes poffedent au moins deux cents livres de revenu en fonds vol tant. I! eft dans certains états des cours fouveraines dont le reflort s'étend a plus de cent lieues; enfoete que pour y obtenir la juftice , on eft obligé de fe ruiner en voyayes. Les cours fouveraines dans notre fyftême n'étant pas éloignées du tribunal inférieur, les frais ne feront pas fi confidérables, Nous fommes d'accord ici avec les meilleurs écrivains. Voyez ce qu'a écrit M. de Montefquieu fur ce fujet. " Les tribunaux ne fauroient, dit M. Linguet, être en trop petit nombre, paree que c'eft le choc de plufieurs autorités qui caufe les troubles dans les états, comme c'eft le conflit de plufieurs vents qui occafionné les tempêtes.,, Difc. prei. de la Théorie des loix, p. 9g. Les tribunaux ne fauroient étre trop a portée des lieux qui exigent leurs fecours, paree que les débats qui concernent la propriété ne fauroient être trop rapidement terminés.  de terre , paree qu'étant a leur aife, ils fe pre"teront moins a la féduétion. II faut enfin que leur jugement foit unanime pour la condamnation ou pour 1'abfolution de l'accufé. Ces fages difpofitions ont été fuivies pr/r la république de Penfylvanie dans fon code, a la rédaétion duquel la raifon & l'humanité ont également préfidé, & dont nous Étvons copié quelques vues dans le plan des tribunaux dont nous préfentons l'efquiffe. (271) ( 271 ) Forme de la magiftrature fuivant le code de Penfylvanie. Seci. 22. II y aura une cour fuprême de judicature. Ils auront des appoinremens fixés. Leur commiffion fera pour fept ans feulement, & pourra être renouvellée après ce terme. Cependant raffemblée générale pourra les priver de leur office en tout tems! Seci. 24. Les^ procés civils & criminels fe décideront par les jurés, ainfi qu'il s'eft toujours pratiqué; & 1'on recommande au pouvoir législatif d'employer 1'autorité des loix pour empêcher que la fubornation ou la partialjté n'aient part au choix & a la nomination des jurés. Seci. 2?. ïous les trois mois on tiendra des cours criminelles & civiles dans la ville de Philadelphie & dans chaque comté ; & le pouvoir législatif pourra établir telles autres cours qu'elle jugera utiles ou néceffaires au bien de 1'état. Tous les tribunaux feront ouverts, & la juftice s'y adminiftrera fans partialité, fans influence de corruption , & fans délais inutiles; tous les officiers de ces différentes cours recevront des appointemens modiques , mais proportionnés a leurs fervices; & s'il arrivoit qu'aucun defdits officiers recüt directement ou indirecfement plus que la loi ne lui accorde, PLAN  I «57 ] PLAN DES TRIBUNAUX DE JUS TI C E CRIMINELLE. Article premier. Tous les tribunaux ordinaires & extraordinaire? feront fupprimés. La connoilfance de tous les crimes, fans diilinénon i! fera déclaré incapable d'exercer aucun empioi dans cet état. Sec?. 26. Tous les procè? criminels feront commencés au nom & par 1'ailtorice des hommes libres de la république de Penfylvanie, & toutes les accufations de la même efpece feront termiiiées par ces mots : « contre la paix & dignité de ladite république. „ A 1'avenir cet érat dans toute action juridique fera appellé la république de Penfylvanie. Seil. 20. Les juges de paix feront choifis par les hommes libres de la ville & des différens comtés; c'eft-a-dire que deux perfonnes fcforir. éluës dans chaque quartier, ville ou diltrict, ainii qu'il y fera pourvu par la loi; les noms de ces deux perfonnes feront préfentés au préfident & au confeil qui donnera a 1'une d'ellesune commiflion pour fept ans, toujoursfujette a être révoquée par la chambre des repréfentans , pour caufe de malverfation. Ladite commiffiön pourra ctré renouvellée a 1'expiration des fept ans. Un juge de paix ne pourra être membre de Paifemblee générale qu'au préalable il n'ait donné fa démilfion. 11 ne lui fera pas permis, dans 1'exercice de fon empioi, de reeevoir aucune rétribution, ni autre la] ;ire ou emolunient, que ceux qui pourront dans la fuite lui être ac;ordéspar la loi, comme une compenfation des dépenfes que pourront occafionner les Voyages qu'il fera obligé de faire pour fuivre les cours de judicature. Seèl. 30. Les shérifs & les coroners ( officiers char- Tome Ui K  cle matieres ni cle perfonnes, appartiendra a un feul tribunal criminel. II. On érigera un tribunal criminel dans chaque ville ou endroit confidérable, dont 1'arrondifiement fera au plus de dix lieues. III. Quant aux autres vrilles, bourgs, villages , &c. il y aura deux officiers de juftice chargés d'mftruire la cour criminelle des délits qui fe pafferont fous fes yeux. Ils feront a la nomination de cette cour, & biennaires. IV. Chaque tribunal fera compofé de vingtquatre juges : les deux tiers auront en France au moins fix mille livres de rente, & dans les autres états autant, en proportion de la cherté des denrées, du taux cle l'intérêt, cle la richefle nationale. L'autre tiers fera compofé d'avocats du fiege fuivant 1'ordre de leur ancienneté. V. Outre ces vingt-quatre juges, il y aura dans chaque cour un procureur, un avocat du roi ou de 1'état. ( 272 ) gés de la commilïioii qui revient a la defcente des juges ) feront choilis annuellement par les hommes libres de chaque comté; c'eft-a-dire , que 1'on préfentera deux perfonnes pour chacun de ces emplois, une defquelles fera agreee par le préfident & le confeil. Perfonne ne pourra exercer l'of5ce de shérif pendant plus de trois ans confécutifs, & ne pourra être élu de nouveau que quatre ans après ledit terme. C 272 ) II n'y a point en Pologne de miniftere chargé  C 2T9 1 VI; Ges juges, procureur & avocat, ne feront élus que pour fept ans : ils ne pourront être contmués, mais réélus après un intervalle auffi fep, tenaire. VIL Ils feront élus par le peuple clans les démocraties; & fi les monarques veulent éloipner des tribunaux la brigue & la corruption , ilslailferont k leurs fujets dans chaque ville le choix des juges. On procédera a cette élefiion comme a celle des maires & échevins. La lifte des élus fera envoyée a la cour fouveraine, qui la confirrnera. VIII. Ces juges feront choifis dans tous les états, dans toutes les conditions. II fera inutile, pour y étre admis , d'avoir payé 400 livres a une univerfité pour n'y rien favoir; paree que, pour juger d'un fait, il n'eft pas befoin d'avoir appns dans Juftinien , que la loi naturelle eft le droit commun des animaux & des hommes. IX. Cependant il y aura dans chaque tribunal un préfident inftruit dans le droit naturel, dans les loix, dans les mceurs de fon pays, qui, après avoir recueilli les iuffrages des juges fur le fait , de pour.u.vre la vengeance d'un crime, lorfbue les parties ne la pourfuivent pas. Auffi les crimes y font-ils plus cemmuns, & le payfan y. eft fouvent oppriméfans pouvoir mvoquer 1'appui de la juftice. R ij  [ i6o ] prononcera fur le droit tk Papplication de la loi. X. Ce préfident ne fera recu qu'après avoir prouvé un cours compétent d'études, tk fubi un examen fur les loix a la cour fouveraine. XI. Les juges ne pourront recevoir aucun préfent des parties, fous peine d'interdiaion ou de peine infamante. ( 273 ) XII. Tous les officiers de ees cours recevront des appointemens modiques fur les fonds publics, mais proportionnés a leurs fervices. Ils pourront être exempts de capitation & autres impöts pendant la durée de leur empioi. XIII. Le criminel fera tenu de choifir douze juges avant 1'inffruélion de fon procés. XIV. Pour le condamner a quelque peine qui emporte privation perpétuelle de Ia liberté ou de l'honneur, il faudra que les voix foient unanimes; pour 1'abfoudre, la pluralité fuffira. XV. On établira dans chaque capitale de pro- (273 ) C'efl: une excellente loi que celle qui empèche les officiers de judicature & les juges de rien recevoir des malheureux qui plaident. On a tant d'inclination a favorifer celui qui répand 1'or! Lecode de Penfylvanie porte, ferft. 37 :« Lalégislature de cet état pourvoira a ce que 1'exercice des offices publics ne fourniffe point de profits cafuels. „ Eifeétivement ces profits cafuels engagent a multiplier les procés, & les procés muitiplientles malheu. reux.  [ 261 ] vince une cour fouveraine cnminelle, a laquelle on portera les appels des tribunaux inférieurs. Ils y feront jugés en dernier reffort. Le nombre des juges fera le méme; les deux tiers auront au moins chacun douze mille livres de rente, l'autre tiers pris dans 1'ordre des avocats. Leur miffion fera bornée a fept ans , leur élecbion faite de même que celle des juges inférieurs. Pour les élire, chaque ville ou bourg enverra dans la capitale des députés repréfentans. Leurs émolumens feront pareillement médiocres. Point de préfens, ckc. XVI. Chaque cour fouveraine enverra deux fois 1'année un membre pour infpeéler les tribunaux inférieurs, tk il fera fon rapport a fa cour des abus qui pourroient fe commettre. II tiendra plufieurs audiences, tk fera tenu de recevoir toutes les requêtes. La cour fouveraine elle-même fera fujette a pareille infpeéhon, ck les infpeéteurs feront nommés par le prince. XVII. Lorfqu'il fera évident que 1'ignorance , la prévention ou d'autres paffions auront diéfé aux juges un jugement capital, lorfque l'accufé aura recouvré de nouvelles pieces juftificatives , il pourra ou ia familie préfenter a la nouvelle cour criminelle une requête tendante a revifion de procés , oü feront caractérifés tous les griefs qu'on reproche au premier jugement, a laquelle feront an- R ii,  [ 1*1 ] nexées toutes les pieces. Les juges qui auront rendu la première fentence, pourront être pris a partie , condamnés en des dommages & intéréts, même deftirués, s'ils font trouvés coupables; & cette peine ne pourra être réputée comminatoire. (274) C274) Pour prévenir les abus fi fréquens dansles cours de juftice, & occafionnés par la nonchalance la legerete , lmattention, Piniquité des juges . Ie roi de Pruflea imaginé une foule de moyens qu'il a développés dans une excellente inftruction publiée Ie 28 déceni bre 1779. On y remarque entr'autres difpofitions , article premier , que de tems en tems il fera fait des vifitations de juft.ee dans tous les colleges de juftice afin que chacun puifle porter fes plaintes. Art. 3 , qU° les juges & avocats qui feront convaincus de contravenpon pourront etre condamnés a la privation de leurs fonchons, & même a des peines plus graves, comme les travaux aux fortifications. Mafs j'ai fur-tout adnftré une difpofition fage bien propre a prévenir une foule de procés. Frédéric or donne qu'avant de commencer un procés, les parties ieront tenues de comparoitre feules devant le préfi dent qui leur nommera un confeiller députe, pour en tendre d'elles-mémes leur affaire , qui les enr-age a s'a'rranger & a (e réconcilier, qui dans le cas de refus d une partie en dreffera un procés - verbal pour fervir dans e proces. Le college de juftice fupérieur fur 1 appel eft obhgc de fuivre la même nnrche II eft encore ordonné par cette inftruction que tous les acres de procedure foient fairs en langde intellieibie pour tout le monde. Tout le monde fait le iu'-e ment que cet illuftre prince a rendu 1'année demiere contre quelques confeillers de la juftice camérale,qui par negligence ou irtiqufté avoient condamné Ie méunier Arnold. L'ordonnance qui a été publiée a ce fujet, ne ref-  [ i ] titres de Ia fociété fur 1'homme , Indlgnement altérés depuis tant de fiecles, & j'ai effacé la longue hfte des fupplices ufités dans toute 1'Europe. L'hornble tableau que j'en ai préfenté, fecouera peutétre la léthargie', & fürement humihera 1'orgueil des Européens qui ofent fe mettre au-deftus des fauvages, tandis qu'ils auroient pu défier en atrocités les barbares de la Tauride. Defcendant enfuite dans le détail des crimes publics, je me fuis arrêté d'abord a ceux qu'on appelle moraux. C'eft un fruit des paftions de lWividu, qui dans leur effervelcence bleflent lordre focial. Pour en apprécier 1'intenfité, j'ai examiné la nature des mceurs. Elles m'ont paru varier en raifon des climats & des gouvernemens. Leur bonté n'4tant que relative, la griéveté des atteintcs qu'on leur donne eft aufti relative : d'oii j'ai conclu que chez certains peuples ( & ils font en pent nombre ) elles doivent être févérement punies ; que chez d'autres on ne doit point s'y arrêter. Or , prefque tous les gouvernemens de 1'Europe font parvenus a ce point de maturité, que le choc des délits moraux eft prelqu'infenfible dans Ie mouvement général. Les peines y paroifient donc inutiles. La force coërcitiye, que tous les fouverains ont en main, cette force qui a banni la trifte anar-  [ i6S ] chie pour Ia remplacer par un defpotifme modéré, force qui difpenfe un peuple d'avoir des mceurs, pourvu qu'il obéiffe aux loix pofitives, cette force m'a femblé avoir anéanti jufques dans leur fource les crimes que dans les tems de troubles on appelloit crimes d'état, de haute trahifon , de lefe-majefté, de lefe-patrie, ckc. Ces crimes ne feront point a crainclre tant que 1'ordre focial repofera fur la force , tant que la force paroitra n'emprunter fon reflort que de 1'ordre. Infliger des peines cruellés pour ces crimes, fi jamais ils reparoiflbient, fera donc une atrocité inutile. C'eft une claffe de délits qu'un fouverain ne doit jamais avoir a punir, paree qu'il doit prévenir tous ces orages par une fage adminiftration. Le tableau que j'ai offert des crimes religieux, paroitra encore plus court que ies précédens, ck les peines en font auffi plus modérées. C'eft entrer dans 1'efprit de la véritable religion ck de fes miniftres , que d'adopter ce caraclere de douceur. On fera peut-étre furpris, en confidérant Ie triple tableau des crimes publics, de les trouver en fi petit nombre, ck de les voir punis fans verfer de fang: c'eft que, dans la vérité, 1'on ne rend pas les hommes vertueux par des lupplices cruels, mais par de bonnes loix.  C 1*9 ] C'efl: encore par de bonnes loix fur la propriété & fur la fubfiflance de tous les membres de la fociété , qu'on préviendra les crimes particuliers. Ici le fecret eft fort fimple. La mifere conduit au vol, le vol a Paflaflinat: extirpez la mifere, tk plus de délits particuliers. Si malgré ' ce remede il reparoit encore des criminels , c'eft qu'il en eft en politique comme en phyfique : avec tout 1'art poflible on ne peut pas falubrifier entiérement Pair; mais les infeéf es vénéneux qui peuvent le corrompre , doivent être plus corrigés que punis, confervés, tk non détruits. Après avoir banni 1'atrocité des peines , il falloit réformer la méthode d'eftimer les preuves judiciaires; celles qu'on admet paroiflent ou violer le vceu de la nature, comme la confeflion de l'accufé , ou marquées au coin du doute, comme les indices tk les préfomptions. On n'a reconnu pour bafe de la certitude, que celles qui conduifoient a exclure moralement la poflibilité de 1'innocence de l'accufé. Cette certitude n'eft appuyée ni fur des calculs , ni fur des autorités. Comme tous les juges ne font pas des Euler, tk comme la raifon eft un peu plus füre que le fafte ou la parefte des citations , on a rejeté, tk la méthode algébrique, tk 1'arme trop fouvent dangereufe des autorités.  [ 2-70 ] La fimplification qui caraétérife le tableau des crimes & 1'art d'eftimer les preuves, fe retrouve encore dans notre plan de procédure criminelle; partie que la vilecupidité a fi baftement obfcurcie par-tout. Nous la réduifons aux adres néceffaires pour conftater le crime tk le criminel. Enfin on la retrouve dans la réduéïion que nous avons faite des tribunaux criminels. Ce n'eft qu'après avoir démontré Pabus de leur multiplicité , que nous avons propofé cette opération, dont plufieurs états, oü la réforme eft déja en vigueur, retirent un grand avantage. ■Tel eft 1'enfemble du plan que j'offre a la fociété. La bonté en fera conteftée : je ne Pignore pas, tk j'ai déja lu dans le profond Helvetius mon arrét de condamnation. Dans tout pays policé , dit-il, ( (Euvres complete* d'Helvetius, tome V, page 3 ) tk foumis a certaines loix, k certaines moeurs, k certains Préjugés, un bon plan de législation prefque toujours incompatible avec une infinité d'intéréts perfonnels, d'abus établis tk de plans déja adoptés, paroitra donc toujours ridicule. Cet arrêt ne m'a pas découragé en entreprenant cet ouvarge. Qu'importe qu'il foit dénigré par la partie du public qui ne raifonne point ou qui ne raifonne que d'après fon intérêt, ft les  [ 17\ ] hommes impartiaux, patriotes, ck ce qui eft mieux encore, amis de l'humanité y trouvent des vérités neuves, des vérités utiles en législation ? S'il eft certain qu'en toute efpece de fcience un écrivain doit chercher ck dire la vérité , c'eft fur-tout dans la morale politique. Cette fcience n'a pour but que le rétabliftement ck 1'accroifleraent du bonheur des peuples; ck quand on a devant les yeux unbut fi noble , fi facré, doit-on craindre les critiques , les perfécutions ? Car je ne me le difiïmule point, j'aurai contre moi, 6k ceux dont j'ai contredit les opinions , & ceux dont les intéréts font contraires a l'intérêt public. Or ces derniers fur-tout ne font pas peu dangereux ; mais j'aurai fait mon devoir, ck cette confcience de foi-même eft fi confolante! Je ne leur répondrai donc qu'en m'occupant encore plus profondément de l'objet important que j'ai traité , qu'en me rendant utile a ma patrie , ck fur - tout aux malheureux fur lefquels tombe principalement le fardeau pefant des loix. C'eft a eux , c'eft a leur défenfe que je confacre ma plume. Heureux fi parmi les innocens que le hafard confond dans la foule des fcélérats , ma foible voix peut en arracher quelques-uns a 1'opprobre de 1'échafaud! Fin du Tome II.  Ë K R ATA. Page 6, ligne 18, Armenicns, lifez Arminiens. P. 7, note j $6 , /. 21,chargé du gouvernement des états de languedoc, lifez chargé du gouvernement du Languedoc. P..59, /. 24, les Alpalaches, lifez les Apalaches. P.g<;, note ig?, Li, Rabineo , lifez Rabener. P. 109 , /. 22 , il eft probable , lifez il n'eft que probable. P. 118 , /70fe 204, t. 7, inquirero , lifez inquirere. P. 147 f- 6 , en raifon du quarré inverfe , /gfèa en raifon inverfe du quarré. P. 173 , note 220, (. 25 au fi nous fommes indifférens, ///es fi nous penfons differemment. ƒ>. 183 ,7.8 , pourquoi donc arrêteroit.on, lifez pourquoi donc arrêteroit-on l'accufé? P. 205 , /•4 5 qu'on ofe prononcer, lifez qu'on n'ofe prononeer. P. 208 , l 2 , miniftere pubic, fi/fc* miniftere public. P. 221, /. 15, entre le peuple & 1'accufe, entre lejuge & l'accufé.