T" Partk. Religion. 57 deur & la véritable gloire'i, que dans 1'abaifTement & .1'humilité. Le vrai bonheur confifte a favoir concentrer fes defirs, fes penfées dans la fource fouveraine de tous les biens; de vivre pour Dieu feul, de s'enflammer de fon amour, de fe repofer dans la foi, ainii que dans l'efpérance. X. Le penchant de Vhomme vers le mal. Le penchant de 1'homme le porté au mal; Lorfque Ia Religion l'atiamlonne, 11 fe met au rang cm vil animal, S'il fe Hvre aux vices qui 1'environnent. L'expÉrience journaliere ne prosve que trop le penchant de 1'homme vers le mal. 11 faut que la Religion, la vertu, la raifon foient fans cefle aux prifes avec la nature. Si malheureufement les paffions font les plus fortes; fi pour les fuivre , l'on oublie tout principe d'honneur, de prcbité, alors Fnomme fe livre fans referve, eft emporté par le torrent des vices, fans diitinction, niexception, & au point que le vil animal eft plus eftimabie & préférable ; paree qull C v  5§ Le petit Salomon. écoute du moins la voix de celui qui lui fait du bien, qu'il le fuit, lui obéit: au beu que 1'homme plongé dans 1'abime des vices, devient fans loi, fans foi, fans religion ; n'eft fenfible a nen ; peut tout ofer, n'écoute la voix, ni les confeils de perfonne. X I. L'on condamne les imperfeclions, cela doit faire juger des vices, Chacun brame les imperfections; A plus forte raifon jtigez des vices Suivez , fouvenez-vous de ces Iecons . Un jour vous reconnoitrez leurs fervices. > De tous les biens qui nous flattent par leurs promeffes, la perfection eft le plus précieux, paree qu'elle eft comme legage du bonheur. L'on fent un charme fecret i lorfque nous croyons avoir atteint a la perfection Differens attributsla compofent; fcavoir, les germes que nous apportons en naiffant, 1'éducation, la tempérance, la fociété, nos réflexions. C'eft un malheur lorfque nous la formons de quahtés étrangeres, ou de celles que le caprice du fort, de la fortune  F" Partle. RELIGION. 5 hous donne ou nous enleve. La raifon triomphe aifément de ces erreurs gro,fieres , ce triomphe n'eft que pour 1'homme raifonnable. Nous fommes nés intelligens, nóu* fommes deftines k vivre en fociété ; nous ne pofledons point la perfection, ft la vente ne regne point fur nos jugemens.öc 1'équité fur nos aftions. _ Les Théologiens, la Religion ont iugé que laperfeaion de 1 homme dépendoit du rapport de fes facultes aux intentions du Createur; il eft parfait , quand fa facon de penfer & d'agir le conduit par le chemin le plus courtSc le plus sur, vers la fin quii fe propofe, c'eft-a-dire, vers later licité. X I I. La parefe & fa danger'S. L'enmü, l'engourdiffement, la pareffe, Sont pour nous des ennemis dangereux; Les éviter , c'eft pmdence & fageffe , L'on fe procure auffi des jours heureux, L'exp-Érience journaliere nous prouve que la pareffe eft un defaut difficile a furmonter, qu'elle a preique toujours 1'ennui pour compagnon,  €o Le pftit Salomon. &qualorSl eft rare que l'on puiffe les vaincre l'un-& Vautr* Füllie Fennui foirtrès hch£TC?U°T? S£ bfn *mm» des faeultes intelhgentes, fpirituelles & corporelles pour s'ennuyer eonftal ment, de meme qu'il eft rare cue 1 homme d'efprit n'éprouve auSm / 'YexP«-ience morde nous apprend également que la pareffe eft laPP*« de tous les viees, parce que Fennui force 1'homme ft &S& de eet état d'en gourdnTement & léthargique • mais pour 1'ordinaire, il le dirige & | porté vers le mal le plus prochf & Ie fjjg£ tt J * f* Pareffe Jouvent avo ! ter plus de talens que le travail & ruimte n'en font éclore. XIII. Dans tout la véritéejlune, U faut ta chereker. Arm! dans *ii Ia vénté n'eft qu W , C eft en va,n que l'on cherche a s'abufer; Voulez-vous jouir d'une vraie fortune, Cherchez & travaillez p0Ur Ia trouver. Dans toutes les chofes poffibles, il ny a toujours qu'une feule vérite!  I"° Pauk. Religion. 6i L'étude la plus belle, la plus digne de 1'homme, eft non-feulement de la chercher; il doit auffi la fuivre & ne jamais s'en écarter. Malbranche, dans fon livre fur la recherche de la vérité, dit que pour la trouver, il faut porter 1'incertitude jufqu'a douter fi i &c 2 font 4. Ce n'eft pas encore affez de dire la vérité , il faut la faire aimer par fon exemple & par le pouvoir, lorfqu'il eft en nous. Pryfatis, mere de Cyrus le jeune, difoit qu'avec les Princes &les Grands , il falloit fe fervir de paroles de foie, quand' l'on avoit quelques remontrances a leur faire, fans néanmoins déguifer & altérer la vérité ; pourquoi n'en uferoit-on pas de même dans la fociété ? a eet égard tous les hommes font princes. Le ferment, la vérité des hommes devroient être pour eux, ce que le ferment du ftyx étoit pour les dieux. Beaucoup de perfonnes atteftent 1'honneur a tout propos, même pour des chofes indifférentes. N'eft-on pas bien prés de fe jouer de ce mot, quand on le profere auffi légérement? Les grands hommes ne doivent paroïtre & n'être  «5i Le petit Salomon. vus qu'en grand, & la vérité n'a befoin que d'elle - même pour fe faire refpecter. - La vérité! c'eft la feule bonne amie desRois, des Princes lorfqu'ils veulentl'écouter,. quand ils ont le bonheur qu'elle parvienne jufqu'a eux. Souvent ils prennënt le change fur fon compte , ne la regardant que comme un moniteur importun qu'il faut écarter ou pimir ; cependant il faut 1'aimer, quand même elle diroit des chofes dures; elle eft comme ces remedes amers qui déplaifent au goüt, mais qui rendent la fanté. Quand on parle , il faut toujours dire la vérité; cependant toutes vérités ne font pas bonnes a dire ; fouvent il eft fage, même néceffaire de fcavoir fe taire , paree que l'on n'eft pas obligé de dire tout ce que Ton penfe : il en réfulte qu'une perfonne fincere ne dit que ce qu'elle penfe; le politique, que ce qu'il veut; 1'homme fourbe & faux, ce qu'il ne penfe pas. II femble que la vérité n'eft efficacement enfeignée que par 1'exemple des égaux; cependant il eft très-important que les rnaïtres du monde le  T" Partie. Religion. 6j foient , rien n'eft plus difficile. La gloire, cette grande erreur de tous les fiecles ; ce preftige qui étonne , trouble & domine la raifon ; ce fantöme, tantöt chargé de palmes ou de deuil; tour a tour Tob] et d'idolatrïe ou de vénératiön , d'enthoufiafme ou d'horreur : eet être, en un mot, dont tout le monde parle, eft connu par peu de fages. La véritable gloire enfin ne peut fe trouver que dans la recherche & fous les aufpices de Ia vérité ; car les hommes célebres ne font pas les grands hommes, & la célébrité n'eft pas la gloire; fi 1'emportement des paffions impétueufes qui la promettent, s'empare de ces ames impétueufes que ïa fortune enyvre, en les rendant vains , injuftes , imprudens &C impitoyahles \ mais fi la gloire marche a 1'aide du flambeau de la vérité, alors elle eft confolante, refpectable, auffi pure quefa fource; elle devient un modele, un bienfait public & le bonheur de 1'humanité. L'on peut obfcurcir la vérité penvdant quelque temps, mais l'on ne peut -1'étotiffer; elle reparoit au moment  68 Le petit Salomon. principes de la première loi que 1'Auteur de la nature a gravée dans le cceur de tous les hommes; ce font ceux de 1'honneur, de la juftice, de Ia vertu , de 1'honnêteté naturelle: ces principes effentiels pour 1'ordre cc la paix des fociétés, font-ils aujourd hm facrés & refpeöés? Ouels progrès afFreux les nouvèaüx fyllêmes ne font-ils pas dans toutes les parties de lEurope? II femble que 1'impiété ioitarn vée au moment d'un triomphe, d une révolution générale , & qu'elle a dit dans fa penfée , je vais changer les temps & les loix. Oh! fiede trop orgueilleux de tes laufles lumieres! deffus tous les autres tu te glorifies du titre de philofophe! Quelle époque fatale va-tu faire dans 1 hiftoire de 1'efprit 81 des moeurs des nations ? L'on ne peut te refufer les progres de tes connoiifances; mais la foible & fuperbe raifon ne pourrat-elle pas s'arrêter au point, aux ventables hornes de la fagelfe & de la religion ? Après avoir réformé quelques anciennes erreurs, 'falloit-il par des remedes deftructeurs, attaquer la venté même ? II nV aura done  T" Partie. Religion. 69 plus de fuperftitions , paree qu'il n'y aura plus de religion? plus de faux héroïfmes, paree qu'il n'y aura plvs d'honneur ? plus de préjugés , paree qu'il n'y aura plus de principes ? plus d'hypocrifie, paree qu'il n'y aura pli s de vertus? plus d'amitié , de charré ni de bienfaits , paree que 1'égoïfme eft préférable a tout ? Efprits téméraires & dénaturés, voye? les ravages de vos affreux fyftêmes, & fremiffez de vos odieux fuccès. Révolution plus funefte que les héréfies qui ont changé autour de nous la face de plufieurs états! Elles y ont du moins laiffé fubfifter un culte de moeurs, des ames juftes 8c bienfaifantes ; bientöt nos fuccefleurs ne connoitront plus aucuns de ces fentimens admirables & refpeaables. Le feu facré de 1'honneur, de la foi, de la vérité, de la vertu, de la religion, des coeurs fenfibles & compatiflans, n'eft point encore éteint dans le cceur des Francois; fi 1'exemple du tróne , des grands , des chefs de 1'Eglife vient a fon fecours, & le protégé. v L'honnêteté eft auffi fupérieure a la  70 Le petit Salomon. politeffe, que 1'ame 1'eft a 1'efprit; 1'honnêteté n'eft autre chofe que la probité portee jufqu'a la délicateffe des fentimens de juftice & de religion; elle eft donc effentiellement dans le coeur; elle n'a d'autre but, d'autre intérêt, que celui de. contenter, de fervir, d'obliger , non-feulement ceux avec qui nous vivons, mais aufti ceux avec qui nous avons des relations, foit de fociété, foit d'affaires ; elle nous rend auffi tres - prévenans , affables, exafts a notre parole, & fideles a nos engagemens. Une quantité de devoirs ne font fentis & remplis que par les ames déhcates; les ames communes s'en tiennent aux devoirs d'ufage & de bienféance; elles ne fentent jamais affez les devoirs nobles, doux, intéreffans de 1'amitié, de la reconnoiflance. La probité fouvent s'arrête au devoir de juftice , 1'honnêteté va beaucoup plus loin. L'homme honnête veille, eft attentif aux befoins de tous ceux qui 1'entourent, femmes, enfans, domeftiques , même les animaux ;' il porte Fattention jufqu'a raffembler chez lui les perfonnes qui fe voient  T" Partie. RELIGION. 71 avec plaiür; enfin, 1'honnêteté donne ce maintien aifé, afluré, néanmoins modefte, doux , pofé, poli, attentif, éloigné de toute affeéation, &C beaucoup plus occupé des 'autres que de lui-même. XVI. l'on ne ion defirer que "ce qui conduil. a la perfection. Ri'en n'eft plus vil & plus bas que 1'envie ; Vous defirez ? Tachez donc d'imiter Ceux qui par le travail, ou 1'indufirie, Ont trouvé le moyen de s'avancer. Que de vaines démarches l'on fait pour parvenir y pour fatisfaire 1'ambition & 1'intérêt! que d'amitiés infructueufes &c ftériles! que dehaines , que de jaloufies injuftes, que de préfomptions téméraires, que de laches foiblelfes, que de baffes flatteries, que d'écartsindécens,qued'efpérances ' vaines ! que de reflburces en nousmêmes, dont fouvent nous ne fcavons pas faire ufage! que d'occafions manquées, que de biens & de maux per« dus, que de bagatelles admirées, quelle ambition enfin fait le mobile de nos démarches! Nous laportons par- tout}  I ' Partie. RELIGION. 75' a Finfini nos offenfes, il eft en même temps le jufte par excellence. . Si Dieu n'étoit pas jufte, il ne nous auroit placé fur ce globe, qui nous paroït charmant Sc admïrable, que pour nous y livrer au défefpoir; il n'auroit embelli, fécondé la terre, que pour voir 1'homme fe flétrir de trifteffe au milieu de la verdure &C des fleurs, & languir fur Fimage d'une volupté qu'il ne gouteroit jamais. II n'auroit ordonné a ces globes brillans de parcourir leur carrière , qu'afin que les mortels mefurent par leurs révolutions la longueur de leurs fouffrances! Ne vaudroit-il pas mieux, loin de lui, enfoncer nos iriftes deftins dans la demeure la plus fombre ? Cette prifon nous feroit moins fouffrir que cette voute éclatante qui exhalte nos penfées , allume nos defirs, & nous entraine malgré nous vers la Divinité que nous regarderions comme notre tyran. Loin de nous pareils blafphêmes. Qui pourroit defirer d'être dans un monde chimérique, dont les plaifirs, s'il y en a, ne font qu'irriter nos peines, ne durent qu'un moment pour Tornt I, D  f" Partie. RELIGION. _ f£ notre de prendre les noms du SaintEfprit, de la Vierge 8c des Saints, pour faire des enfeignes, foit de cabarets, d'auberges 8c autres lieux; enfeignes oii fouvent il fe commet les plus affreux défordres, les plus grandes injuftices. II fautconvenir que l'on a raifon, qu'il feroit plus honnête, plus conforme au refpect que nous devons, de choifir plutöt des noms d'hommes, de provinces , de villes , d'animaux , d'ar- bres , &c &c Sec Être éternel 8e infini, fi la Religion a des cara&eres fi furprenans, fi admirables , ce font infailliblement ceux du Chriftianifme ; fi c'eft le Chriftianifme, il faut donc le reconnoitre pour divin, 8c y acquiefcer de cceur 8c d'efprit. C'eft a ce Chriftianifme que doit fe rapporter cette intell:gence qui réfide dans 1'homme, qui combine , qui calcule , qui s'étend plus loin que la terre, qui s'éleve plus haut que le firmament, qui fe rappelle tous les ages paffes , qui pénetre dans les fiecles a venir, qui enfin a 1'idée de ce qui doit durer toujours ; particulierement fi nous écoutons cette voix intérieure , qui E ij  P" Parde. Religion. ioi Quand le corps de 1'homme vertueux & chrétien eft affoibli par les fouffrances, fon efprit fe fortifie par la grace intérieure; le defir de devemr parfait lui fait trouver tant de courage, de confolation, même dansjes douleurs, qu'il feroit fiché d'être fans peines , fans tribulations : cependant ce n'eft pas la vertu leule de 1'homme chrétien qui agit fi puiffamment; fans le fecours de la grace, il auroit le malheur de fuccomber, paree qu'il n'eft pas dans 1'ordre de la nature de porter fa croix, de 1'aimer; de mortifier fon corps, de le réduire en fervitude; de fuir les honneurs, de foutenir avec plaifir les affronts, defeméprifer,& de fupporter d'être méprifé; de foutenir les pertes, les adverfités, fans jamais defirer la profpérité : de nous-mêmes nous ne fommes point capables de tous ces efforts; mais armes de la foi, foutenus par la grace, l'on fupportera les tribulations de la vie ; l'on arrivé au repos par le travail, & a la vicioire par le combat; en difant, Seigneur, donnez-moi la force pour réfifter, E üj  lu' Tank. Religion. ioj vertu. Une priere fervente, une forte entreprife, un grandprojet, une affaire importante, un voyage .pour s eloigner de 1'objet qui fait ïmprefiion; enfin, une prompte diyerfion , un changement fubit de penfée 8c d idee, peuvent garantir 6c préferver d une paffion. . ,x Chaque age a fes defirs \ juiqu a dix ans l'on courre après les poupees, les bombons; k vingt, .& meme plutot, le goüt des fexes fe fait fentir; k vingt-cinq l'on eft emporté par le tourbillon des plaifirs; aquarante, 1'ambition commence, & 1'avance la fuit de prés. Heureux ceux que la lageffe, la vertu garantiffent de bonne he^ure de tous ces dangers! _ Que mon être meure, s'écne 1 homme emporté par les paffions! Souhait abfurde, vain & impie! Blafphême de Förcueil! Exifter, c'eft le defir, le tranfport 6c le triomphe de notre ame. Exifter encore, exifter toujours, eft un voeu que notre cceur forme fans ceffe, par 1'infpiration fecrette de 1 ame qui fent qu'elle eft immortelle, 6c qui nous force de porter nos regards vers 1'éternité. . E iv  Ï04 Le petit Salomo n. XXX. Rien n'arrivé par hafard. Dans ce monde rien n'arrive fans caufes ; Bien des perfonnes donnent au hafard L'éve'nement de quantite' de chofes; Pour le Chrétien ; c'eft un coup de poignard. Ce que vulgairement l'on nomme hafard, n'eft autre chofe que le cours naturel & imprévu des chofes , des evénemens heureux ou malheureux. L homme raifonnable, pour peu qu'il ait de connoilfances , qu'il veuille parcourir d'un ceil attentif le tableau de 1'univers, pourra-t-il de bonne foi douter de 1'exiftence d'un Dieu créateur le plus habile, le plus parfait phyficien qu'il foit poffible d'imaginer. Smvez cette roue qui chaque année ramene les faifons k diftances égales & prefcrites depuis le commencement du monde ; remarquez leurs effets , leurs produftions variées k 1'infini. Que dans fix eens arpens de terre, l'on plante & feme des arbres , des' arbnfieaux, des graines de toute efpece dans un fol favorable , & dans des quarrés féparés, l'on verra que  T" Partle. RELIGION. 105 tous 8c chacun en particulier y recoivent les fucs nourriciers qui leur font analogues; les fruits ont leur goüt, 8c les fleurs leurs couleurs. Admirez, contemplez 1'équilibre jufte, le cours égal des aftres, qui parcourent leurs cercles avec tant d'exactitude que les Aftronomes peuvent, dix années d'avance, annoncer une éclipfe , 8c le retour de telle comete. Remarquez que ces globes, ces corps lumineux 8e innombrables parcourent plus ou moins vite leurs cercles fans fe heurter 8c fans aucun choc. Après avoir bien examiné ce tableau , eet ordre admirable, quelqu'un peut-il lincérement de bonne foi croire 8c fe perfuader que tout cela n'a été formé, difpofé, arrangé que par 1'effet du hafard; ne doit-il pas au contraire être certain de 1'exiftence d'un Dieu infiniment parfait, créateur & confervateur, Quoi! ce prétendu philofophe, eet orgueilleux phyficien peut croire 8c fe perfuader que tout ce qu'il voit n'eft que 1'effet du hafard 1 II n'y a plutöt qu'une baffe, une méprilable ïgnorance 3 ou bien une paffion vioE v  io6 Le petit Salomon. lente qm' puiffent Faveugler & le tromper ainfi; paree que fon intérêt Ie folhcite , joint a ce qu'il ne peut prouver, ni démontrer fa croyance, m fa perfuafion; & comment, avec tant de vanité , ces prétendus philofophes & beaux efprits peuvent-ils s afïïmiler au fort des animaux les Vils? Se dire, fe perfuader qu'ils auront le même fort, c'eft deffendre & degrader fmguliérement une exiftence auffi fiere, auffi orgueilleufe. Qu'il bnfe plutót fes chaines, fes habitudes cnminelles ; qu'il renonce a fon interetil reconnoitra fon créateur, fon Dieu; il croira que fon ame eft ventablement immortelle. II feroit bien fingulier que le plus petit ouvrage ne pouvant exifter fans iin ouvner, le monde eüt le privilege de ne devoir qu'a lui-même fon exiftence & fa beauté. Les grands railonneurs fe creufent des principes ablurdes, effroyables, quand ils n'écoutent que leurs fens & leurs pafiions. Après toutes les recherches des phyficiens & prétendus philolophes ; toutes leurs combinaifons Jeurs conjectures,&après des quan-  T" Portie. Religion. 107 tïtés de volumes, ils en diront beaucoup moins que Moife en a dit dans unePleule page ; telle eft la diference entre 1'homme qui ne parle que daprès lui-même, & 1'homme infpire.... L'Eternel fe rit du haut des cieux de tous ces fyftêmes infenfés qui ar: rangent le monde a leur grei TJ tantót lui donnent le hafard pour pere,& tantót le fuppofent eternel. L'on aime k fe perfuader que la matiere fe eouverne elle-meme, & quil n'y a pas d'autre divinité, paree que l'on ft-ait bien que la matiere eft abfolument inerte, ftupide , & que l'on n'a point k redouter fes effets. au lieu que la juftice d'un Dieu qut voit tout, qui Pefe «ut eft accablante pour un pecheur. Rien n elt plus beau que 1'hiftoire de la nature , quand elle eft liée k celle de la Refigioa Non efl qui plontat, que rigot , ftd out incrementum dat, Deus..... La nature n'eft rien fans Dieu; elle produit tout; elle vivifie tout par 1 ope■ration de Dieu; Ótez fon aaion, d n'y aura plus Mivité dans les elemens, plus de végétation dans les plantes, plus de reffort dans ks caufe*  iio Le petit Salomon. gion, l'on ne peut jenoncer a fa foibleffe , a ce pêché favorl ; l'on a de la religion, la médifance, même Ja caiomme nous échappent fouvent; 1 on a de la religion, mais les comniandemens de Dieu, de 1'Eglife font difficiles a accomplir; un Confefl'eur eft trop févere, exige trop d'un pécheur dans des habitudes criminelles; nous avons de la religion, mais nous lommes entourés de pauvres, & nous ne les fecourons point; enfin, dans 1 eipace d'une année, il y a trop de jeunes & de mortifications; l'on ajoute qu'ils ne font que de difcipline, l'on s en plaint, & l'on a de la religion : cependant faint Auguftin, dans fon drx-feptieme traité fur faint Jean, dit, que Moyfe & Elie ont jeüné pendant 4° jours, ainfi qlie Jefus-Chrift; que Moyfe repréfente la loi, Elie les Frophêtes, & notre Seigneur 1'Evangile ; que le grand &c le véritable jeune, c'eft de s'abftenir des péchés & des chofes illici-tes , que c'eft le jeune par excellènce. Dans le nouveau Teftament, l'on foit la plainte que les Juifs faifoient k Notre-Seigneur, de ee que fes Difciples ne jeünoient  tti Le petit Salomon; mains, k caufe de fa conftante vertu; Lon voit les efprits s'agiter, & cnercher tous les moyens de réformer i ï"o •» & réP"mer les malheurs, les affliftions que la Religion éprouve: ion ne peut qu'applaudir k ce zele, & former des vceux pour d'heureux iucces. Que peuvent les raifonnemens iages les vérités les plus authentiques? que peuvent les loix fans les moeurs que pourront enfin les efforts des Prelats & des Pafteurs , s'ils ne lont pas loutenus par 1'autorité > fi ceux qm polfedent une portion dé la puiffance publique, fi les miniftrps des rois & des loix ne foutiennent pas les nuniftres des moeurs , de cette belle rehgion, & fi les exemples de leur part ne viennent pas k 1'appui. Ah, «uelIe Religion! qu'elle eft commode aujourd'huii comment on larrange! L'Eglife auroit bien fait dordonner des mortifications , des pénitences; paree que sürement peu de perfonnes n'ont foin de s'en impoler; au contraire, l'on feroit fortaife den eire difpenfé; eft-ce avoir ia connoiflance de la véritable Religion ? L on eft certain de la négative,  F" Pauk. Religion. 113 quand elle eft auffi maltraitée : mais fi l'on veutla traiter en grand, comme elle doit être vue , l'on n'y mettra point ces tournures , ces ïnterpretations ingénieufes Sc puériles qu'y met la petite dévotion Se mal entendue. II ne faut donc pas s'arrêter a ces livres myftiques Se apochryphes , qui, fous prétexte de nourrir la piete, amufent 1'ame par des pratiques minutieufes, laiffent 1'efprit fans lumiere, le coeur fans componction. Le nouveau Teftament, les Pfeaumes de David, 1'Imitation, nous preferveront d'une fauffe créduhte. Le luxe qui corrompt nos moeurs , corrompt auffi nos difcours, nos écnts; il n'y a plus d'ame dans les entretiens, dans les livres , même dans les tableaux; l'on ne voit qu'une certaine élégance auffi légere que 1'efprit qui 1'a produit. L'on croit devoir &pouvoir öter du Chriftianifme ce qui déplait , ce qui gêne, comme l'on détache la garniture d'une robe, ou comme un vêtement que l'on quitte , paree qu'il nous ferre trop fort. Un auteur a dit que les petites dévotions étoient Sc refiembloient en general a  ii4 Le petit Salomon. des pierres pour öter les taches, qui ne les otent qu'en apparence , pour le moment, ou que pour les élargir oc agrandir. ° ; L'on ne doit effentiellement & véritablement chercher, puiier- la Religion que dans 1'Ecriture fainte & la tradjtion; c'eft la fource facrée de la divine fageffe ; l'on y trouve tout ce que nous devons croire, tout ce que nous devons pratiquer. Ce faint &: precieux dépot de toute vérité, également sur & fidele pour les vertus renferme auffi tout ce qui concerne le culte de la Religion , la difcipline des moeurs & la maniere de bien vivre. Nous y apprendrons k refpeöer les fubhmes myfteres, les devoirs de la piete, de 1'honnêteté, de la juftice de 1'humanité , de la charité ; nous' nous y inftruirons de ce que nous devons a Dieu , k 1'Eglife, k la patrie, a nos concitoyens & k tous les hommes. Nous reconnoiirons auffi qu'il n y a point de loix qui établiffent plus parfaitement les droits des peuples ovihfés & des fociétés , que les loix de Ia véritable Religion. Auffi perlonne n'a prefque jamais attaqué les  ïitS Le petit Salomon. la traiter dans le grand, n'en ont point , ou plutöt defirent qu'elle n'exifte pas. XXXII. 'Religion enfanti, Religion au moment de la mort. Tant que nous jouiffons de la fanté , Tout nous rit, tout n'eft que délice & charme j Mais , au moment 011 il faut tout quitter, ' Que nous allons voir couper notre trame , Alors le noir fiambeau qui nous éclaire , Percant notre bandeau, nous fait juger De nos erreurs & de notre mifere. Lorsque l'on eft convaincu par les principes certains & par un raifonnement fage qu'il y a néceffairement un Dieu, conféquemment une Religion, que la feule & la véritable eft celle que nous profeffbns , l'on ne fe laifte point éblouir par des fophifmes ; ft malheureufement on pêche , l'on eft affuré que l'on fait mal; l'on reconnoit particuliérement fes erreurs, on les confeffe pendant fa vie, & quand nous voyons approcher notre fin. L'air ne s'appercoit pas, quoique  r" Partle. Religion. ia? & meurt dans Fefpace d'un jour. Ceux qui ne connoiffent & ne pratiquent pas les vertus, ne peuvent imaginer , ni juger de la confiance , ni de la tranquilüté de ceux, qui, au moment de la mort, ne font retenus par aucune attaché au monde ; Fhomme terreftre ne connoit point la liberté de l'homme intérieur. C eit une vidoire complette de la grace quand il triomphe de luj-meme; il eft en même temps vainqueur &. maitre du monde , paree que fa raifon elt foumife aux décrets de 1'Etre fupreme, & fes fens a fa raifon. En général les hommes denrent naturellement le bien, fe le propofent dans leurs paroles, dans leurs aftions; fouvent ils font trompés par les apparences; c'eft un artifice de la nature, elle attire, elle engage ,elle féduit &c n'a d'autre fin qu'elle-même. Heureux cependantle jour qui diffiperales tenebres oü nous fommes piongés, brifera nos chaines nous raffemblera autour du tröne, & fous les yeux du pere , du créateur univerfel! cela doit faire la joie,l'efpérance & le devoir du fage. Si par cette réflexion l'homme de bien F iv  iio Le petit Saiomon. tMn,qU'il Ieve fo" front! Sa g fteffe outrageroit fon créateur ! Qu il fe rejouiffe au contraire dans le ~toy™t tomber la barrière qui selevoit entre l'homme & l'im- 2ortalue,entrelenéant,lapouffie"e point de quelques maux quinous feront payes par une {é]id , f _ enjouiffantde la vie, l'on do sfe le -oyen de vivre & mounr en paix, Que 1'efoérance ferve donc a entretenir „Ttre joie; que la vertu, la Religion foient notre fcience , elles feules peuvent prou-ver que nous avons du bon fins ce 1'état d'une ame unie a Dieu d'une maniere intime, dont la vie fe paffe dans la priere, dans la méditation; il femble qu'elle jouiffe de la vue continuelle de Dieu ou des chofes divines ; c'eft par conféquent une vie fimple, libre , pénétrante , certaine, qui procédé de 1'amour de Dieu feul, 8c qui n'afpire qu'après la béatitude éternelle , paree que 1'ame doit alors être affranchie de péchés , d'affections déréglées , des foins inutiles & inquiétans. La vie contemplative 8c véritable n'eft pas celle des myftiques prétendus illuminés, qui tient k 1'illufion 8c au fanatifme; dont les extafes reffemblent plutöt aux folies des amans infenfés, qu'aux pieux raviffemens de 1'amour divin; enfin, 1'indifférence univerfelle, l'anéantiffement de toute forte de fouhaits 8c de défirs, font 1'effence de la véritable vie contemplative ; ce font fes marqués diftinüives. H $  'tji Le Petit Salomon. L I V. La véritable dévotion. Jïon, Ia véritable dévotion N'eft point trifte, farouche & ombrageufè/ Sans grimaces , fans aftectation , Elle prie, n'eft point minutieufe. L A fimplicité, la pureté font les alles dont l'homme doit fe fervir pour s'élever de la terre. La fimplicité doit être dans les intentions , & la pureté dans les actions ; la première cherche Dieu, la feconde le trouve & le goüte. Sitöt que nous fommes libres de toutes affections déréglées, la vertu n'eft plus ennuyeufe ni pénible , par Ja raifon que nous ne croyons & ne jugeons bien des objets qui font hors de nous, que d'après ce que nous fommes au-dedans. La véritable dévotion ne con fitte point dans un air négligé ni trop affecté , non plus que dans la couleur des vêtemens; ce n'eft pas la que git la modeftie, il fuffit que Pon ait de la décence dans fes habits, dans fon maintien, pour être comme il £?8Yj|nt j l'on. ne fajt point de cas.  T" Partie. RELIGION. lf$ de la piété qui s'affiehe; il eft rare que la lingularité puiffe s'allier avec la véritable dévotion. Que notre cceur foit k' Dieu , que toutes nos actions fe rapportent a lui; la médifance , la calomnie feront bannies de nos entretiens; nous pardonnerons k nos ennemis, & nous auróns de la charité pour ceux qui font dans le befoin, voila les points principaux. Toute perfonne vraiment pieufe," eft patiënte, douce, humble ; ne foupconne point le mal, ne fe fiche point, cacheles défauts du prochain, quand elle ne peut les excufer. La véritable dévotion fi'eft point trifte , paree que la tranquillité, la fécurité de 1'ame ne peuvent quecontribuer a la gaieté. Les faux dévots , au contraire, ont de 1'humeur, fi l'on n'eft pas de leur avis; ils ont un zele inquiet, impérieux , perfécutant ou incjifcret; fouvent ils font fanatiques, minutieux , fuperftitieux ou ignorans. Enfin , quiconque n'a point de rancune dans le coeur, de hauteur ' dans 1'efprit, de fingularité dans les les actions, 8c qui obferve les Cqmmandemens de Dieu, de fon Eglife, H üj  fellah Wn\hnS fc* 7ÊS t PraitlCuhere ' & dans la fineer te de fon ame, peilt fe croire jeelkment dans la voie du falut ce I^oT"Dleu en w4 t Seig"fr eft douï & léger iouf ce^qaMe connoiffent & lf porïeï Atrguitm , paree- qil'aIors • ferez „en qui puifTe % vous agirez a fon égard comme un £ls enver? pere qu'il chérTt So ' ventonfak] aJHen Ie bien, quand on n'a n/< a7 guidequ'une dé^"^^ L V. MJl-iUvec h Cieldesaccommodemens? Non, non: avec le Gel, quo^n en tóe, Je ne vo.s d'autres accommodemens Que de cro;re dans D;eu f danj ftn £ . Et dobferver tous leurs Commandemens. Les rois, les grands de la terre Oue ^ n°tre ad^^tion. Vc'uel emprelfement pour les nré- vemri quel zdepourWer C  T Portie. Religion. 175 ©rdres! quelle chaleur, quelle vivacité pour en obtenir des graces ! Pendant que Dieu, dont la mam eleve les trönes, les renverfé a Ion gré, eft peut-être 1'objet k qui nous rendons le moins d'hommages. Les uns fecouent fon joug avec audace ; les autres le portent avec dégout. N en eft-ii pas d'affez impies pour femer des doutes fur 1'exiftence de celui par qui tout exifte; d'affez infenfes pour lui fubftituer une matiere aveugle; d'affez ftupides pour mettre k haiard k la place de 1'intelligence meme. Puifque Dieu feul eft tout piuflant, il n'eft donc rien de véritablement grand, de réel & permanent, que ce que l'on fait pour lui, pour fa gloire , ïour fon amour. Ce n'eft donc point par 1'éclat des aftions qu'il faut apprecier les hommes, mais par le motit, 1'obiet qui les déterminent & la ün qu'ils fe propofent. Les aftions^ les plus brillantes, didées par 1 ambition, ne font pas comparables a un verre d'eau oue la Charité donne. L incredule, s'il en eft véritablement, peut-il dire & foutenir, fans frémir, que es bons feront fans récompenle, öc les H iv  £j6 Le petit Salomo n. méchans fans punition ? II n'y a cependant pas a balancer; Ie tribunal de l'Eternel, le poids de fon fancluaire eft le même pour les rois & pour les fujets. La différence des conditions en met une grande dans les 'devoirs ; tous ces devoirs ont une regie commune, qui décide de leur mérite, 6c affigne a chacun fon prix. Cette loi inflexible, quoique pleine de mifèricorde, en introduifant dans 3e fandïuaire célefte ceux qui auront marché d'un pas ferme 8c conftant dans le chemin de la vertu, déclare un anathême éternel a ceux qui auront proftitué leur cceur a 1'idole de la créature. _ Puifque les hommes qui contreviennent aux loix civiles , font condamnés &punis par ces mêmes loix, pourquoi douter des laix céleftes 6c divines? pourquoi chercher a vouloir s'en affranchir, puifqu'elles font certaines 6c inévitables ? II eft donc fage, raifonnable 6c prudent de fcavoir fa religion , d'en remplir les devoirs, les obligations , 6c de fe livrer entiérement è la vertu. II faut ranimer k courage affoibli, prononcer ana-  F" Partie. R E L16 IO n. 177 thême contre tous les doutes, contre les partifans de Pirréligion décorée du beau nom de philoföphie, & contre les pencbans illicites , paree que la Religion donne tout , &l que tout, manque fans la Religion. L V I. Les dangers de thypocrljie', Rien de fi dangereux qu'un hypocrite ; Avec le mafque de la vérité , A le croire , a Ie fuivre, il nous invite, Et prefque toujours l'on y eft trompé. L'hypocrisie n'eft qu'un hommage faux que 1'onrend k la vertu pour mieux tromper les hommes. L'hypocrite a beau vouloir prendre la conduite, le ton de l'homme de bien, de la vertu, 1'apprêt fe fait toujours fentir, malgré le vernis qui le couvre ; il trompe rarement &C difficilement ceux qui fe donnentla peine de fuivre fes actions; plus difficilement encore, il infpire du goüt pour !a vertu, paree qu'il ne peut rendre aimable ce qu'il n'aime pas lui - même, & qu'il dement fans ceffe fa conduite par les exemples contraires, Pour bien perfuader les autres % H v  27S Le petit Salomon. il faut que le cceur foit d'accord avec nous-même 8t ce que nous difons. L'on peut conclure qu'il eft rare de voir un hypocrite devenir un homme de bien. L V I I. Les livres que l'on doit lire pour apprendre fa Religion. Evitez les leétufes inutiles ; Voulez-vous fcavoir la Religion? Lifez les Epitres , les Evangiles, L'ancien Teftament, 1'Imitation. Le premier de tous les livres, c'eft celui de 1'Evangile, comme étant le plus néceffaire, le plus facré. II eft jufte qu'un ouvrage qui fait le principe &c la bafe de la Religion , foit le fondement de nos leöures. Nous y apprendrons a connoïtre tout ce que l'on doit a la Divinité; quelles font la fageffe & la bonté du Médiateur en qui nous efpérons, & qui pacifie la terre avec les cieux. L'Evangile, quand on le médite avec le refpect ck la foi qu'on lui doit, paroit véritablement le langage de Dieu. L'on n'y trouve point remphafe qui caracférife les ré-  /"' Portie. RELIGION. 179 theurs , les argumens fyllogiftiques des philofophes : tout y eft fimple, a la portee des hommes, & tout y elt divin. , . , . Les Epïtres de faint Paul mfpirent 1'averfion pour les faux dodteurs, les faux dévots, qui, fous une apparence de piété, en gatent & ruinent 1 elpnt: ces mêmes Epïtres font très-néceffaires pour nous pénétrer de cette charité univerfelle qui embraffe tout, & qui, mieux que tous les rnaïtres du monde , nous rendbons parens, bons amis, bons citoyens. A 1'école de eet Apötre, 1 on apprendla profondeur, la fubbmite de notre Religion; la connoiffance fureminentede Jefus-Chrift, qui feroit univerfellement adoré, s'il étoit umverfellement connu. Un Ecrivain moderne & très-celebre, en parlant de 1'Evangile, s'ex- prime ainfi 1'Evangile, ce Livre divin, le feul néceffaire au Chrétien Si le plus utile de tous, a quiconque ne le feroit pas, n'a beloin que d'être médité pour porter dans 1'ame 1'amour de fon auteur , & la volonté d'accomplir fes préceptes. Jamais la vertu n'a parlé un fi deux langage; jamais la r H vj  i8o Le petit Salomön. plusprofonde fageffe ne s'efl exprimée avec tant d'énergie & de fimplicité; 1 on n'en quitte point la lecture que l'on ne fe fente meilleur qu'auparavant. Voyez, dit-il, les livres des Philofophes avec toute leur pompe : qu'ils font petits auprès de celui-la! Se peutil qu'un livre, a-la-fois fi fublime & fi fage, foit 1'ouvrage des hommes ? Se peut-il que celui dont il fait 1'hifloire ne foit qu'un homme lui-même ? Eftcé-la le ton d'un enthoufiafte, ou d'un ambitieux Secf aire ? Quelle douceur ! quelle pureté dans fes mceurs J quelle' grace touchante dans fes inflructions! quelle élévation dans fes maximes ï quelle profonde fageffe dans fes difcours ! quelle préfence d'efprit, quelle fineffe , quelle jufleffe dans fes réponfes! quel empire fur fes paffions ï. Oü efl l'homme , oïi efl le fage qui fcait agir, fouffrir & mourir fans foibleffe tk fans oftentation } Jefus-Chrifl avoit-il pu prendre chez les fiens cette morale pure, élevée dont lui feul a donné les lecons & 1'exemple ? Du fein du plus furieux fanatifme, la plus haute fageffe fe fit «ntendje 3 & la fimplicité des plus  r' Partie. Religion. iSi héroïques vertus honora le plus vil de tous les peuples. La mort de Jefus-Chrift expirant dans les tourmens, injurié , raillé , maudit de tout fon peuple, eft la plus horrible que l'on puifle craindre ; au milieu d'un fupplice affreux, il prie pour fes bourreaux acharnés. D'après cela , dirons-nous que 1'hiftoire de 1'Evangile eft inventée a plaifir? Ce n'eft pas ainfi que l'on invente. II feroit plus inconcevable que plufieurs hommes d'accord euffent fabriqué ce Livre, qu'il ne 1'eft qu'un feul ait fourni le fujet. Jamais des Auteurs juifs n'euflent trouvé, ni ce ton, ni cette morale , & 1'Evangile a des cara&eres de vérité li frappans, fi parfaitement inimitables, que 1'Auteur, en feroit plus étonnant que le Héros.... Voila ce qu'a (fit Jean-Jacques Rouffeau dans un chapitre de lés maximes & penfées. i Ganganelli, autrement Clément XIV,' en parlant des Peres de 1'Eglife, les définit ainfi. Le génie de Tertullien reffemble au fer qui brife ce qu'il y a de plus dur & qui ne plie point; celui de Saint Athanafe, au diamajit que Von  ï§2 Le petit Salomon. ne peut obfrurcir, ni amolir; celui de Saint Cyprien, a 1'acier qui coupe jufqu'au vif; celui de Saint Chryfoftóme, k Yor^, dont le prix répond k la beauté; celui de Saint Léon, k ces décorations qui marquent la grandeur ; celui de S. Jéröme, au bronze, qui ne craint ni les flecbes, ni les épées ; celui de Saint Ambroife, a 1'argent qui eft folide 8c luifant; celui de Saint Grégoire aun miroir oii chacun fe voit 8c fe reconnoït; celui de Saint Auguftin, k lui-même, comme unique dans fon genre , quoiqu'univerfel ; quant k Saint Bernard, il le compare a ces fleurs que la nature a veloutées, & qui répandent un parfum exquis. Le Pfeautier doit aufti nous être familier; eet ouvrage éclaire, échauffe, porte » la piété , furpaffe infiniment tous les Poëtes 8c tous les Auteurs. Les Livres faints ne doivent être lus qu'avec beaucoup de recueillement 8c de réferve, ni pas trop long-temps, paree que chaque article peut former le fujet d'une ample méditation. L'I'mitation eft un livre onctueux, inftructif; fouvent il faut en faire ufage, paree qu'il eft fertile ea confolations  I " Parite. Religion. 183 pour toutes les fituations 'de la vie. L'hiftoire efl une le&ure morte fi l'on n'en connoit pas les faits 6c les dates ; c'eft un Livre plein de vie, fi l'on y appercoit le jeu des paffions, les refforts de 1'ame, les mouvemens du cceur, particuliérement fi l'on y découvre un Dieu, qui, toujours maitre des événemens, les fait naïtre , les dirige, les détermine felon fa volonté 6c pour raccomplifTement de fes vues fublimes. Les Livres impies que fans ceffe l'on voit éclore, 1'avidité avec laquelle on les lit; la trop grande répugnance, ou l'ennui que l'on éprouve a apprendre 6c étudier .fa Religion dans fes véritables fources; la tiédeur dans la dévotion; 1'ufage des faints myfteres que l'on tourne fouvent en ridicule ; le mépris que l'on a pour les Prêtres, les loix de 1'Eglife violées ; la révélation que l'on veut révoquer en doute; les libertés que l'on prend fouvent dans les cercles contre les chofes qui méritent le plus notre vénération ; 1'éducation en général finguliérement négligée; enfin, 1'indifférence criminelle avec laquelle 1'ön entend les difcours des prétendus efr prits forts.  ï§4 Le petit Salomon; Peut-o'n, doit-on paffer fous filencë les intrigues, les cabales , les menées fourdes & fecrettes de leurs aflbeiés, de leurs partifans, de ceux qui leur. font attachés par 1'intérêt ou la vanité ? Ces laches Sectateurs, ces complaifans ferviles s'impofent 1'afFreufe obligation de ne point les quitte r, de les obféder jufqu'au trépas ; d'écarter, d'empêcher que les Miniftres de la Religion les approchent, pour s'affurer & publier qu'ils font morts dans leurs crimes & dans leurs erreurs; telle a été la fin de Dorat, Voltaire , Jean-Jacques Rouffeau , & bien d'autres. Les perfonnes qui tiennent une pa~ reille conduite peuvent - elles croire qu'elles rendront leurs Héros plus célebres & 'eurs écrits plus beaux, plus fcavans? Peuvent-elles auffi fe perfuader qu'elles accréditeront davantage leurs fyftêmes , leurs p incipes ? Peut-on enfin avec juftice & fans violer 1'ordre de la fociété, fermer la porte de quelqu'un, en interdire tout accès & s'oppofer k fa liberté dans un moment auffi effentiel, Si quand les forces nous abandonnent t  VB f" Parde. RELIGION. 185 qu'elles nous ötent Faöivité, la ferraeté néceffaires pour opérer notre volonté &c remplir nos defirs ? Quel aveuglement! quel tiffu d'erreurs! a quelles extrêmités effrénées les vices, les paffions emportent les hommes ! Tout cela montre & prouve clairement la profondeur des bleflures qu'éprouve préfentement la Religion &C la Juftice, des plaintes que l'on eft en droit de faire. L'on peut ajouter k ces traits que l'on voit régner, prefque genéralement,l'indolence pour la caufe, la défenfe de Dieu; que ce lache tyran fouvent même fe cache fous le mafque del'humanité, pour favoriferle tolérantifme, qui défapprouve jufqu'au plus jufte zèle, en cherchant k arreter èc voulant effuyer les larmes dans les, yeux de la vérité fouffrante. L V I I I. Sur les Myfieres. Diftinguez ce que l'on nomme Myffete ; D'avec ce que l'homme peut expliquer; Le premier eft ce qu'un Chrétien révére Et furpaffe toute capacité. PARCE que nous n'entendons, quq  iS6 Le petit Salomon. nous ne comprenons 8c ne pouvons expliquer un myftere, s'enfiiit-il qu'il ne puiffe, 8c qu'il ne doive pas exifter ? II y a Quarante a cinquante ans que le plus habile Phyficien ne pouvoit expliquer, ni rendre compte de la mallere fubtile , des effets du tonnerre, des vertus, des propriétés de 1'aimant, de beaucoup de phénomenes qui préfentement nous lont connus; plulieurs avoient effayé k fe promener dans la région des airs , 8c n'avoient pu réuffir. De ce aue l'homme n'entend pas un myftere, il faut en conclure que c'eft une humiliation pour fa vanité , ce qui prouve combien nos connoiflances font 8c feront toujours bornées. 11 n'y auroit plus de myfteres fi les hommes en avoient la connoilfance 8c 1'intelligence ; la foi ne feroit pour eux d'aucun mérite, elle deviendroit inutile; fans une révélation divine , l'homme ne peut les expliquer. Nous éprouvons, nous concevons cependant qu'a la faveur , 8c par le moyen des facultés de notre ame nous avons une penfée , que nous la rendons, nous 1'exprimons, ou 1'exé-  I" Partit. Religion. 1&7 cütons, après 1'avoir rédigée; que ces trois opérations émanent de la même faculté , de la même puiffance. Nous ne confidérons le myftere de 1'incarnation que matériellement, phyfiquement, & felon la génération ordinaire des hommes , qui nous eft .elle-même inconnue ; puifque cette opcration de la nature, quoique journaliere , eft une efpece de myftere pour les hommes, a plus forte raifon , nous ne pouvons entendre, encore moins expliquer comment une Vierge a pu concevoir par 1'opération du Saint - Efprit. Expliquerons - nous mieux la création d'Adam & Eve, celle du monde, fon équilibre admirable, 1'ordre divin qui le conferve; la réfurrection. du Lazare, celle de Notre-Seigneur? Puifque nous ne pouvons fcavoir ce qui s'eft pafte dans les fiecles les plus reculés, que par le fecours des Hiftoriens; nous devons également croire aux Hiftoriens du notre. Ces monumens précieux font 1'ancien Teftament, le nouveau, les prédidtions des Prophetes, les Pfeaumes de David ; enfin, les tradudtions des Apêtres ,  i88 Le petit Salomon. & les miracles qu'elles contiennent. Jéfus-Chrifi faifant la cêne avec fes Apötres, après avoir béni du pain , leur donna, difant, ceci eft mon corps., & défigna Judas qui devoit le livrer ; ilinflituale Sacrement de 1'Eüchariftie, leur dit, celui qui mangera mon corps & boira mon fang aura la vie éternelle; donna aux Apötres le pon voir de lier & délier, c'eft-a-dire, cPabfoudre. Ce même pouvoir efl donné aux Miniftres de la Religion, lorfqu'ils font ordonnés; dans la confécration, ils proferent les mêmes paroles que Jéfus-.Chrifl; c'eft le miracle du Sauveur & Rédempteur du monde , cui fe renouvelle a chaque facr fice qui lui eft offert en fa mémoire; c'eft le miracle par excellence de fa divine bonté; qui dit miracle, dit une chofe audeffus de 1'humanité, qui émane d'un Etre_ qui peut tout, & qui furpaffe infiniment toutes nos facultés intelligentes. La mer qui fe fépare devant Moïfe ; le foleil qui fufpend fa courfe a la demande, au défir de deux hommes; 1'eau changée en vin aux noces de Cana; la multiplication des pains; ces  p" Parite. Religion. 189 éVénemens ne font-ils pas miraculeux? ne font-ils pas fuffifans pour nous prouver Sc nous perfuader de 1 exiltence réelle des myfteres. Que nos regards, fans aucune partialrte, ni prevention, contemplent, examinent 1'univers, le monde entier; ne feronsnous pas infpirés, avertis inteneurement de 1'exiftence réelle d'un createur quipeut tout 8c infïniment parfait? Ne ferons-nous pas forcés de reconnoitre que 1'exiftence du monde , ainli que la notre, font un miracle continuel ? . .'. . Les myfteres furpaffent donc ïntiniment toutes les intelligences humaines; il faut les regarder avec relpeci, Sc comme autant de voiles qui nous cachentdes fecrets impénétrables, qu'il eft néceffaire que nous ignonons , & qui temperent a nos yeux 1 eclat de la Majefté divine, particulierement dans le Sacrement de 1'Euchanltie ; ce ne fera donc que dans une autre vie que l'on pourra la fuppotler , Sc iouir de fa vue ; il faut donc crouv* que le corps de Jéfus-Chnft eft H Jourriture de 1'ame , & que fa parole eft la lumiere.  190 Le petit Salomo», II y a cent ans, que li, fans avoir entendu parler des effets furprenans de 1'électricité, des vertus de 1'aimant, de la force, de la célérité, de 1'élévation d'un ballon, Fon eüt tout-acoup foumis aux yeux du public, les expériences d'aujourd'hui , n'auroiton pas regardé cela comme furnaturel, eomme mirsculeux? II ne faut pas chercher a approfondir avec curiofité le myftere de 1'Euchariftie; il vaut mieux fbumettre fes fens k la foi , paree que ceux qui veulent fcruter, fonder la Majefté divine , fe trouvent accablés par le poids de fa gloire, 6c que Dieu peut faire infïniment plus que l'homme ne peut comprendre.L'onne défend point une pieufe recherche de la vérité , quand elle efl accompagnée d'une docilité toujours prête a fe laiffer inftruire, 8c d'un fidele attachement a la Religion. Heureufe la fimplicité qui laiffe le fentier des queflions épineufes, pour marcher dans la voie droite 8c füre de 1'Evangile 6c des commandemens de Dieu. Si nous n'entendons pas, fi nous ne pouvons comprendre une  F" Partie. R.E LIGiON, 191 infinité de chofes fouroifes a nos yeux, & nos fens; comment concevrons-nous eelles qui font beaucoup au-delfus de jios vues ? Soumettons-nous a Dieu, affujettiffbns notre efprit a la foi, nous en recevrons les lumieres qui nous font utiles & néeelfaires , paree que Dieu éclaire les ames fimples, pures, & qu'il refufe, cache les graces aux curieux &c aux fuperbes. Toutes nos recherches doivent donc fe foumettre d'abord a la foi, fans la précéder, ni chercher k la détruire. Dans 1'Euchariftie , c'eft 1'amour de la part de Dieu, & la foi de la part de l'homme qui décident & qui operent. L'Être éternel eft d'une puiffance infinie, fait dans le ciel & fur la terre des chofes auffi incompréhenfibles qu'elles font grandes , & perfonne ne peut pénétrer la profondeur de fes rnerveilles. Si les oeuvres du Créateur étoient a la portée de 1'intelligence Jmmaine , elles cefferoient d'être merveilleufes, &c ne pourroient être appellées ineffables.  i$x Le petit Salomon, L I X. Les fuperftitions. Ne croyez point aux fuperftitions, Cela montre nn efprit petit & foible ; L'on ne peut avoir de bonnes raifons, Pour croire qu'un jour change notre étoile. C'est une puérilité, une abfur* dité, quand l'on donne du merveilleux a des chofes qui font dans 1'ordre de la nature & de la phyfique. Les jours, la vue, la rencontre de quelques animaux ne peuvent influer fur les événemens de notre vie; toute* les fauffes idéés, relatives a ces chofes, viennent de ce que l'on n'eft pas inf' truit, ou des préjugés, des contes de bonnes que l'on a entendu dans 1'en-fance. II faut, contre les fuperftitions, pron oneer le même anathême que contre 1'impiété ou la fauffe piété , & contre les faux Philoiophes; foyons leurs ennemis irréconciliables , abandonnons , fuyons-les , &c défirons qu'ils fe détruifent mutuellement, afin que la faine raifon puiffe être délivrée de leurs funeftes délires. JJivine piété, Religion véritable, fille*  f7' Parite. RELIGrOK. filles du CieP. Nous ne demandons point comme les enfans du tonnerre t que vous écrafiez les ennemis de votre gloire! Paroiffez a leurs yeux, monrrez-vous telles que yous êtes, telles que vous paroiffez aux ames véritablement Chrétiennes! afin que vos ennemis , en vous voyant, rougiffent de vous avoir outragées , & qu'ils cprouvent les regrets falutaires de vous avoir abandonnées. Au moral comme au phyfique, les ténebres font proches de la lumiere, % les poifons proches des meilleurs fpécifiques. Les hommes , malgré la perverfité de leurs coeurs , fouvent' n'ofent paroitre impunément vicieux;. pour fe voiler & fe cacher en quelque forte, ils s'efforcent de donner, aux vices même, une apparence de vertu ; voila le germe de la fauffe confcience, de la fauffe modeftie, du faux honneur, de la fauffe probité, enfin, de 1'hypocrifie. La Religion , toute fainte qu'elle eft, n'eft pas k 1'abri de ces perfides imkations; k fa fuite, l'on a vu marcher les fuperftitions qui, fous pré* texte d'étendre , rglever la piété, ea Tornt I, l  194 Le petit Salomon. ruinerent l'efprit , ne travaillerent qu'a la rendre ridicule , & a la faire méprifer. Tels font les effets de la Religion mal entendue, fuperftitieufe, ou d'hypocrifie , paree qu'elle prend les ténebres pour la lumiere , qu'elle craint qu'on ne la féduife quand on veut 1'éclairer , qu'elle s'imagine faire un oeuvre agréable a Dieu , en perfécutant un innocent, ou en jugeant mal de fon prochain. II efl auffi certains ufages , certains préjugés, que des perfonnes , victimes d'une imagination exaltée ou d'une ignorance groffiere, ajoutent a la croyance commune , que la faine & véritable Religion réprouve abfolument. Les apparitions, les vifions, les forcelleries ne font auffi que 1'effet d'un cerveau troublé; lorfque l'on va a la fource avec la raifon & le flambeau de la vérité, l'on découvre, foit 1'ignorance, foit des manoeuvres, des rufes, ou le fanatifme de ceux qui fe donnent pour magiciens ou gens ïnfpirés. Ce qu'il y a de facheux, & qui doit nous humilier , c'eft que dans toutes les différentes claffes des hommes, 1'ontrouve des fuperftitions f  I I P' Partie. RELIGION. 19^ des préjugés ; chacun paie un tribut a la fbibleffe; celui même qui paroït affez téméraire pour tout braver, & douter de tout, eft fujet k des petiteffes qui dégradent fa force, fes lumieres , fa raifon. LX. Malheurs & fuites des plaifirs honteux. Que vous êtes communs, plaifirs honteux ! Vous de'truifez les facultés de 1'ame; Ufant nos corps, vous les rendez hideux, Et fouvent vous les conduifez au blame. ^ Il ne faut pas croire que les libertins ft ont rien k fouffrir, que leurs peines font légeres, que tout eft plaiilr pour eux; c'eft ce que l'on ne trouvera pas , même chez ceux qui font environnés de délices, qui vivent au gré de leurs penchans, & qui femblent avoir tout a fouhait; c'eft 1'affaire du moment, cela fe difïïpera comme la fumée; dans le fein même des plaifirs, ils éprouvent des amertumes, des ennuis , des dégoüts , des inquiétudes. L'aveuglement, 1'ivreffe des plaifirs illicites empêchent de fentir la honte, le repentir du crime; comme des animaii* * ij  r*96 Le petit Salomön. ftupides , l'on s'expofe a donner la mort a 1'ame, a toutes les facultés de 1'efprit, & a la deftruclïon du corps. Quand on abien envie de connoïtre la vérité, que l'on défire d'avoir la raifon pour guide ; il ne faut qu'écouter la voix qui nous rappelle a nous-mêmes, k nos devoirs ; 8c qui nous fait fentir 1'amour de la vertu ; il faut auffi pour cela que le défir foit fincere , 1'intention droite, que décidément l'on veuille abjurer fes erreurs de bonne foi, 8c ce n'eft qu'avec le repentir que l'on peut réparer fes •crimes. Si les dons, les faveurs de la nature font faits pour les hommes; un cceur pur & jufte, eft 1'offrande qu'ils doivent k 1'Être éternel, & qu'il leur demande; pour y parvenir, il faut d'abord fe faire un devoir de répandre chaque jour quelque aumöne dans le fein des pauvres, pour réparer le tort qu'on leur a fait en donnant pour des plaifirs honteux 6c k des fuperfluités, ce qui leur étoit dü. Renoncer aux fociétés qui nous éloignent du bien , de nos devoirs, pour former de nouvelles liaifons avouées par 1'honneur  T" Partie. RELIGION. 197 ïa clécence 8c la Religion. L'on peut aifément fe féparer de fes compagnons de débauche fans les brufquer, en leur parlant honnêtement d'un plan que l'on fe fait, que l'on veut fuivre; l'on ne les entretient que de regrets fur le paffe, du temps que l'on a perdu, des réfolutions que l'on prend pour un état, & pour 1'avenir; bientót ils s'éloignent, ne reviennent plus , ou s'ils reparoiffent, c'eft une preuve qu'ils ont auffi envie de cbanger; alors, av lieu de les éviter, on les recoit avS plus de plaifir qu'auparavant ; c'ell ainfi que l'on exécute une bonne 6c forte réfolution. L X I. Ce que c'eji que les paffions. Tout ce que l'on appelle paffion, C'eft 1'imagination échauffée ; Faites une prompte diverfion , Bientót fa chaleur fera tempérée. Les paffions modérées font, pour les hommes, ce que le foleil eft pour les plantes ; de même que le foleil trop ardent defféche les plantes, que des rayons plus doux n'auroient fait I iij  T9$ Le pétit Salomon. que vivifier; de même auffi les paffions trop violentes, trop ardentes , defféchent, pour ainfi dire, 1'ame qui s'y abandonne , au lieu de ne donner qu'une chaleur honnête, convenable & raifonnable. II n'y a que les grands moyens, les fortes oppofitions & 1'adverfité quiagiffent efficacement contre les paffions ; la raifon, plus encore la Religion, les immolent, pour n'en pas devenir la victime. II ne faut jamais fe décourager dans la tentation ; c'eft une épreuve néceffaire pour nous apprendre k nous défier de nous-même, & qui nous affure un mérite, quand on a le bonheur de la combattre. Nous fommes dans un temps oü les paffions font fi fréquentes, fi violentes, ou ft peu repnmées , que , fous le beau nom de liberté, 1'efprit d'indépendance fembleroit vouloir brifer le joug de toute retenue, même de 1'autorité. Tous les principes de vertu déplaifent a ces hommes intéreffés k les méconnoïtre par le déréglement de i'eur cceur, & k confondre 1'affreux libertinage avec la refpeftabie caufe de la bberté vertueufe. n  F' Portie. Religion. 199 Sparte, Athénes, Rome, ces fages républiques oü la liberté étoit fi chere, obfervoient la difcipline la plus^ rigide pour tout ce qui intéreffoit 1'ordre & la décence des moeurs ; ils avoient établi des magiftrats pour veiller particuliérement fur cette partie d'adminiftration. Eft-ü croyable & poffible que dans une nation chrétienne , &c que fous le fpécieux prétexte de ne point gêner ni troubler la liberté des citoyens, l'on tolere, comme des amuiemens innocens , les plus honteux défordres & les écrits les plus licencieux ? paree que les loix, dit - on , «ie peuvent s'étendre & régner fur les moeurs privées; elles ne pourront auffi régner fur les moeurs publiques, paree que les loix ne peuvent commander a la vertu; il s'enfuivra donc qu'elles ne pourront commander a la décence l Non : la liberté ne fut jamais la _licence. L'homme en général, & moins encore le Francois, n'aime pas la gêne ni les chaines; mais il lui faut un frein, & c'eft celui des loix! O licence! ö anarchie des moeurs, des paffions; plus déplorable , plus con-, I iv  2.60 Le petit Salomon. iraire aux intéréts de 1'humanité, que se feroit un joug rigoureux J L X I I. La Difcorde. «her ami! fuyez & défiez-vous D'un caraérere nai pour la difcorde; De la paix des autres , toujours jaloux , II ne jouit que .dans 1'affreux défordre. Les poëtes peignent la difcorde avec des yeux havres, le vifage pdle les levres livides, la bouche teinte de lang, èWerfant des larmes; les dents d'airain, couvertes de rouille & de verd-de-gris; une humeur pefèilente lm decoulant de la langue, coëffée avec des ferpens, k demi-couverte dune robe dechirée; agitant d'une main tremblante une torche teinte de lang, & tenant de 1'autre des couleuvres ou un poignard. La difcorde, a 1 afpefl du calme qui 1'offenfe, fait fiffler fes ferpens, s'excite k la vengeance ; fa bouche eft remplie d'un poifon odieux, & de longs traits de teu lm fortent par les yeux. Que .peut-on dire de plus ? que pourroinjn  7"* Portie. Religion. ioi ajouter k ce portrait, pour le rendre plu» reflemblant &c plus odieux r L X I I I. La GourmoTidife. l'homme fcAre ne mange que pour vivre. Et le gourmand ne vit que pour manger; i'exempie ia premier eft bon a fuivre, l'autre fera bien * la charité, & ia juftice a toutes fes actions. Avec fes fecours , l'on ne pourra jamais «tre inquiet de la perfonne facrée de «os rois, paree que leur amour, dans •le cceur des Francois, eft plutot un befoin qu une loi; paree qu'ils font naturellement fenfibles aux bontés de leur maitre ; qu'ils fe regardent payés & fatisfaits, par un de fes regards, de tous les famfices qu'ils ont pu lui tore. L homme prudent ne doit point fe me er des affaires d'adminiftration dont ftn eft pas chargé; cependant il fenfr /T Prendre k Parti ' 13 dé' jenle, & encore moins encourager les mechans, les coquins & 1'injuftke, par des ftattenes, par une indulgencé mal vue mal placée. L'on ne doit pas no-n plus dire d'un juge reconnu  ï" Parüe. RELIGION. 2.0 Ignorans, libertins , ou idoütres!.., Vous feuls doutez de la Divinité ? Je ne vois qu'une chimère a combattre, Lorfque j'attaque 1'incrédulité. En effët, il n'y a qu'un ignorant; un ïmbécille ou le libertin outré, qui, faifant fon idole de 1'objet qui 1'enforcelle , & qui, fe livrant en aveugle k fes paffions, peut dans les mornens d'ivreffe paroitre incrédule. Les Ifraélites, les Patriarches, les  I " Partie. RELIGION. 107 Prophêtes , Tanden Teftament, les Pfeaumes de David, les écrits des Apötres; toutes ces faintes hiftoires écrites en différens temps , a des diftances confidérables ; tous ces hiftoriens fe feroient donc trompés ? Auroient-ils eu le projet de nous induire dans. Terreur, pouvoient- ils Tavoir? &c voit-on enfin de leur part un intérêta tromper leurs defcendans? II faudroit donc jetter au feu tous les hiftoriens des fiécles paffes , ne croire a aucune des vérités qu'ils nous ont tranfmifes, révoquer en doute ce qu'ils ont dit, tout ce qu'ils ont écrit; peutêtre encore , ces faux incrédules du fiécle voudroient-ils paroitre douter de ce qu'ils voient préfentement, pour mieux accréditer leurs vains fyftêmes, & favorifer plus avantageufement leurs paffions effrénées, ou du moins leur ignorance abfurde , qui raifonnablement ne peut être fuppofée. L'incrédulité cependant doit alarmer fans furprendre ; elle a été prédite.dans les livres faints; de plus, Tefprif eft capable de tous les écarts, lorfque le coeur eft corrompu; par le defir que Ton a qu'il n'y ait point  ao8 Lë petit Salomon. de Dieu.pour punir les crimes, l'on conclut qu'il n'exifie point: dix'it im-, pius in eorde fuo , non efl Deus. Le déifme conduit infenfiblement a 1'athéifme ; l'on n'a plus de bouffole, fitöt que l'on n'a plus de Religion; elle feule eft le point d'appui fur lequel l'on peut & l'on doit raifonnablement fe fonder 6c fe confier. Malgré les malheureufes fuites &c les affreufes conféquences de la nouvelle philofophie, il ne faut pas les exciter en les irritant davantage, la foi eft un don de Dieu. L'on ramene plus facilement les incrédules par la douceur que par la févérité ; en général, il n'y a que les demi-fcavans & les demi-efprits qui s'affichent par obfi.ination, vanité, plus fouvent par un intérêt particuber. Je f$ai puiffent garder le même fecret. La Tournelle criminelle ne condamneroit sürement pas in globo les cent coupables & criminels ; elle affigneroit k chacun'le genre de punition, d'après 1'examen exact des informations & dépofitions. Les uns feroient condamnés a être tirés, écartelés par quatre chevaux ; les uns briilés en vie , les autre roués , d'autres pendus, d'autres enfermés pour toute leur vie, 8cc &c &c Cependant le jugement fur les cent & une propofitions eft in globo ; K üj  2a.2 Le petit Salomon. comment peut-il fe faire qu'elles foient toutes fufceptibles de la même cenfure & reprobation ? II femble qu'elles ne peuvent pas être toutes •également & refpectivement faulfes, captieufes , mal fonnantes , fcandaleufes , pernicieufes, téméraires, féditieufes , impies , blafphêmatoires , erronées, hérétiques , &c. &c. &c. Imaginez-vous & croirez-vous facilement que toute 1'Univerfité de Paris réunie puilfe faire cent propofitions parfaitement égales , & également bonnes , ou également vicieufes &z condamnables ? Le refpect , la confiance , la croyance tk. la foumiffion que nous devons au faint - Siege, feroient, je crois, plus généralement, plus univerfellement regus & fuivis, fi l'on eüt expliqué, fi l'on eut rendu raifon de la cenfure, de la condamnation de chaque propofition, & expliqué le vice de chacune en particulier; cela n'auroit point laiffé de doutes, par conféquent point de fujet de difputes, ni lieu de croire a un jugement partial, & tout le monde auroit été inftruit de ce qu'il devoit croire ; car  ï" Portie. Re-ligion. m.J bien des perfonnes penfent que Clément XI ne donna cette bulle que par des égards , par des vues de condefcendance , & qu'il n'en prévoyoit pas les fuites funeftes. En banniffant toute partialké, en excluant tout efprit de parti, d'intrigue , d'intérêt, de vanité ,. particuliérement les fanatiques qui ne fe conduifent qu'a la faveur d'un zele mal vu, mal.entendu; paree que pour 1'ordinaire ils ne font pas inftruits ? ou n'ont pas d'expérience; je croirai que quand un Molinifte & un Janfénifte auront la Foi, 1'Efpérance, la Charité , avec les vertus morales; quand ils rempliront & accompliront les commandemens que Jefus-Chrift recommande au chapitre premier de faint Mare, verfets 30 & 31; d'aimer, le Seigneur notre Dieu de tout notre cceur, de toute notre ame, de tout notre efprit & de toutes nos forees , & d'aimer notre prochain comme nous-mêmes; je croirai, dis-je, qu'è ces conditions, l'on peut être indiftinftement Molinifte ou Janfénifte; que même l'on peut defirer d'être 1'un ou 1'autre; qu'avec de pareils K iy  214 Le petit Salomo». fentimens, une conduite auffi {§h% dans hm & 1'autre parti, l'on doit efperer la beatitude : qu'enfin tout le monde fe trouveroit* Sc refteroit d accord, ce que l'on doit defirer pour le bien de la Religion , le bien commun,-&-celm de chacun en particulier. ■ r L X V I I I. les nfpecls humains j h mal qu'ils caufent. Que de maux caufent les refpefls humains! L'on n'ofe montrer une autre conduite , On le voudroit, & les -fforts lont vains ; Foibles ! que votre raifon eft perite! Peut-on rougir ? doit-on être Mmihe de remplir fes devoirs ? trouvet-on de la répugnance a fe faire payer de ce qui nous eft du ? N'efl-on pas bien^aile d'acquitter fes dettes? par ïa même raifon, devons-nous rougir d'être honnête homme , Sc de rendre 3l Dieu ce que nous lui devons ? En faifons-nous autant, quand nous rendons au roi ? aghTons-nous de même tnvers les hommes? La politique d'état Sc par état doit  ai6 Le petit Salomon, L X I X. De la Providence. He jouez jamais des jeux de hafard Avec la redoutable Providence ; Vous en feriez la dupe tót ou tard , Sur cela croyez-en l'expérience. La Providence s'entend & fe dit de Dieu, qui conduit toutes chofes avec une fageffe fuprême; par conféquent la Providence embraflë 1'univers; la détruire , feroit détruire la Divinité même, fi cela étoit poffible. Rien ne va donc k 1'aventure, & n'arrive par hafard, ni même au gré de la fortune. La conduite, les opérations de la Providence font un fecret qu'il efl: diffichWe furprendre, & plus encore de le forcer, ou croire que l'on pourra la foumettre k fon gré; dans un doute pareil, qui peut ofer jouer avec elle ?  I"' Partie. RELIGION. 235 L X X I V. Les fecours que nous recevons de la Religion. Lorfque 1'homme tombe & a des foibleffes , La Religion donne les fecours ; Nos paffions ne feront point maitrefTes, Si chaque fois nous y avons recours. Jesus-Christ dit a fes Apötres: tout ce que vous lierez fur la terre, fera lié dans le Ciel, & tout ce que vous délierez fur la terre, fera délié dans le ciel ; c'eft exprimer clairement 1'obligation de confeftèr fes fautes aux miniftres prépofés pour délier. II eft impoftïble de pardonner k quelqu'un une faute, une offenfe inconnue; il faut donc fe déclarer coupable pour obtenir fon pardon ; Sc lorfque le Miniftre des autels a délié nos fautes, Sc que nous fommes véritablement réconciliés, le corps Sc le fang de Jefus-Chrift deviennent la nourriture de notre ame , de même que fa parole en eft la lumiere. Plufieurs courent en différens endroits pour voir les reliques des Saints; ils écoutent avec avidité le  T" Partie. RELIGION. 2}7 ferveur Sc d'amour pour la vert,u C'eft par ce Sacrement que la grace intérieure fe répand dans 1'am», que fes forces font réparées, Sc qu'elle recouvre fa beauté perdue par le pécbé. Si les faints myfteres n'étoient céiébrés que dans un feul endroit du monde, Sc par un feul prêtre, avec quel empreffement penfez-vous qu'on iroit oii feroit ce prêtre, pour le voir céiébrer ? Rendons gvaces a Jefus-Chrift, qui vent bien, dans findigence de notre exil, nous nournr de fon corps, de fon fang précieux; qui daigne lui-même nous ihviter a la participation des faints myfteres , en nous difant : venez a moi, vous tous qui gémiffez fous le poids des peines qui vous accablent, Sc je vous foulagerai. C'eft par ce Sacrement divin que les vices font corrigés, les paffions réprimées, les tentations vaincues, ou affoiblies; c'eft par lui cue la grace fe communiqué, que les vertus recoivent 1'accroiffement, que la foi fe fortifie , que l'efpérance s'a'lermit Sc que la charité s'établit dans 1'amè, O myftere ineffable! ö fubli«ne dignité  ■ 138 Le petit Saiomon. des prêtres! Ils jouiflent d'une pré- | rogative que les Anges même n'ont pas regue. II eft vrai que les prêtres nefont que les miniftres de Dieu, qu'ils fe fervent de fa parole, qu'ils n'agiffênt que par fon ordre & felon ï'inftitution de Jefus-Chrift qui eft le principal auteur des myfteres, & qui y opere invifiblement, paree que tout lui eft foumis. Si l'homme fait tout ce qui dépend de lui, s'il eft touché d'un repentir fincere , toutes les fois qu'il s'approche des facremens pour oblenir fa grace (j'en jure par moi-même) dit le Seigneur, je ne me fouviendrai plus de fes péchés ; je les lui pardonnerai tous, paree que je ne veux point que le pécheur meure , mais qu'il changë , & qu'il vive, Ce qui fouvent nous éloigne des facremens, c'eft le defir inquiet d'une ferveur fenfible, ou le tourment que l'on fe fait de la confeffion. Alors il faut fe laifler conduire par des avis éclairés; ils diminueront les mquiétudés, les fcrupules qui retardent, arrêtent les opérations de la grace, & qui affoibhflent dans 1'ame les mouvemens de piete. li  F" Partie. Re lig ion. 239 II faut .cependant fe contenter, ufer de ces fecours, & marcher a la faveur des lumieres de la Foi , jufqu'a ce que le jour pur de 1'éternité comnience a luire & que les ombres des figures foient diffipées. Sans cela nous ne pouvonsSeigneur, bien vivre; puifque votre parole eft la lumiere de 1'ame, & votre facrement eft le pain de vie. II faut faire tout ce qui dépend de nous & avec 1'application, les difpofitions dont nous fommes capables; que ce ne foit point par coutume ni contrainte , mais fincérement, avec religion, refpett & amour, afin d'être véritablement purifié , fanftifié & recevoir une nouvelle grace pour la réformation de nos moeurs. II n'y a point de nations qui voient fes Dieux s'approcher aufli prés pour les confcler, élever leurs coeurs vers le ciel, & donner chaque jour des marqués de leur amour. Eft-il un peuple aufli diftingué que les Chrétiens ? Quelle eft fous le ciel la créature auffi chérie qu'une ame fidelle chez qui le Sauveur vient pour la nourrir de la fubftance fpiiituelle?  240 Le petit Salomon. Enfin, la Religion eft 1'ame du bonheur , paree qu'elle nous apprend les vérités les plus fublimes, qu'elle fait a 1'ame une douce violence qui bannit tous fes doutes & fes inquiétudes. L X X V. L'on ne peut tout prévoir. De Salomon il faut la lumiere, La fageffe , autant de fagacité , Pour prévoir pendant notre carrière , Ce qui pourroit, ou doit nous arriver : Tout n'étant qu'écueil, foibleffe 8c mifere , Sur nous il faut donc fans ceffe villier. E n effet, cette vie n'eft qu'un tiffu d'événemens heureux ou malheureux; Ie monde eft plein d'ennemis & de piéges; une affliction , une tentation font a peine finies que d'autres leur fuccédent ; fouvent l'on eft encore aux prifes avec un premier ennemi, qu'il en furvient un fecond & beaucoup d'autres que l'on n'attendoit pas. Comment peut-on aimer, s'attacher aune vie remplie d'amertumes, fujette a tant de difgraces & de miferes? Comment peut-on 1'appeller vie, puifqu'elle occafionne tant de pertes, & donne  I " Partie. Religion, 241 donne la morr a un nombre d'êtres infuus ? Cependant on 1'aime, l'on y cherche fa félicité, même en fe plaignant & difant que le monde n'eft qu'illufion & vanité ; l'on a de la peine k la quitter, paree que les faux defirs nous dominent. D'un cöté, la vertu nous paroït aimable; d'un autre coté, mille objets féduaeurs nous en detournent. Nos defirs, nos yeux, nos affeaions fans ceffe nous trompent, nous en dégoütent. II faut donc que notre ame, par préférence & par excellence k tout, fe repofe & mette ia confiance dans le Seigneur; fa force & fon foutien dans la vertu ; fon defir, fon efpoir dans la grace. II faut auffi que notre ame pardeffus tout ie repofe dans fon Rédempteur, en lui adreffant cette priere. Faites que je vous préfére k la fanté, a la beauté, k la gloire, aux honneurs, k la puiffance, aux dignités, a la fcience vaine, k 1'efprit, aux richeffes, aux talents; mes devoirs , aux divertiffemens, aux plaifirs; la réputation , . aux louanges, aux douceurs, aux confolat.ions des'créafures, aux efpérances des chofes périf- Tomé I. l  242 Le petit Salomon. fables & aux faufletés du monde. Enfin, fakes que je ibis le digne héritier des vertus de mes peres ; puifqu'il faut que tout finiffe, que les rois, comme les autres humains , vont fe perdre dans 1'abime dutombeau' tenez mes jours dans vos mains , & conduifez-les k une fin heureufe; paree que 1'ontrouve en vous feul, Seigneur, infiniment plus de bonté qu'en tout ce qui peut exifter dans le monde. Ayez ces penfées, formez ces defirs Sc faites aufli cette priere. Seigneur, daignez être vous-même le tuteur de mes jeunes années Sc de toute ma vie; préfervez-moi des piéges que l'on pourra tendre a ma droiture, k ma candeur, k ma foi, a mes m'ceurs, k mon amour pour la juftice : confervez dans mon ame cette première ferveur de fentimens d'honneur, de vertus, de religion, d'humanité, de charité : ne fouftrez pas que rien puifle jamais ébranler cette volonté ferme qui fait mon unique efpérance, qui peut feule réprimer tout ce qui peut altérer mes fentimens, mes réfolutions pour le bien. Sage Sc divine Providence , dont. 1'ceil embrafle, dpnt la  F" Partie. Religion. 243 rnain conduit, dont le fouffle anlme, echauffe toute la nature ; daigne me foutenir dans le chemin qui conduit a 1'éternité. SONNET DE DESBARREAUX. VXrand Dieu, te* jugemens font remplis d'équité : Toujours tu prends plaifir i nous être propice ; Mais j'ai tant fait de mal, que jamais ta bonté Ne me'pardonnera, fans bleffer ta juftice. Om', mon Dieu, la grandeur de mon impiété Ne laifle a ton pouvoir que Ie choix du fupplice : Ton ïntérêt s'oppofe a ma félicité, Et ta clémence même attend que je périfle. •Contente ton defir, puifqu'il t'eft glorieux : Offenfe-toi des pleurs qui coulent de mes yeux ; Tonne , frappe, il eft temps 5 rends-moi guerre pour guerre! J'adore, en périffant, la raifon qui t'aigrit: Mais defius quel endroit tombera ton tonnerre, Qui ne foit tout couvert du fang de Jefus-Chrift ? Fm de la première Partie. Lij.   LE PETIT SALOMON O u LE VÉRITABLE AMI. SECONDE PARTIE. MORALE. i. LOIX que la Morale prefcrlt. La Morale nous marqué les limites, Entre ce qui eft honnête 8c vicieux ; A chacun de nous ,' elles font prefcrites , Et fnivies par l'homme vertueux. L.A Morale eft quelquefois le tyran de Tefpnt , ou 1'efclave du cceur. Les Moraliftes font fouvent comme les Chimiftes, qui préparent des remedes pour les autres, & s'en fervent ra.Y L üj  2.4Ó Le petit Salomon. rement. L'on auroit tort de croire que tout auroit été dicté, & que l'on ne puilfe plus rien dire fur la Morale. La nature inépuifable & toujours variée a 1'infini, fans cefTe jette des nuances différentes 6c nouvelles dans les actions , les goüts 6c les paffions des hommes. La Morale doit donc fuivre 6c imiter la nature dans les préceptes qu'elle leur oppofe. L'on peut dire qu'aujourd'hui il eft difficile de reconnoitre les véritables préceptes, tant ils font 'défigurés par une trifte dégradation : car ce n'eft plus par foibleffe que l'on eft vicieux, on veut 1'être par fyftême; les erreurs font des principes , & les vices deviennent les moeurs. La Morale a des branches fi nombreufes, li étendues , que les empires, les cours, les villes, les fociétés, les families ne fe foutiennent que par fon heureufe influence , & par la vertu qu'elle a de nous montrer d'une facon claire &précife, ce que nous devons k Dieu, k nous-même & aux autres. Dans le nombre des obligations que la Morale nous recommande, aux* quelles, par notre nature, comme par  IP Parüe. M ORALE. 147 notre dépendance, nous fommes affujettis ; la charité qui ne fubfifte réellement que dans la vraie Religion, nous rend elle feule bons parens, bons amis, bons citoyens & bons fujets. La fageffe des anciens, ni les prétendues lumieres de nos foi-difans philofophes , n'ont point ce principe célefte, qui donne aux ames chrétiennes Tavantage ineftimable de mériter un bonheur éternel. Les grands préceptes généraux de la Morale font a-peu-près les mêmes chez toutes les nations, paree qu'ils font empreints dans nos coeurs ; que la même main qui tracé 1'image de fa toute -puiffance dans les cieux en caracteres de feu, grave dans nos ames nos principaux devoirs. La Morale évangélique eft particuliérement celle qui convient a l'homme , paree qu'elle lui apprend a. foutenir fa foibleffe & a connoïtre fa grandeur; qu'elle riunit le ciel & la terre dont nous fommes fortis, comme portion du limon & de 1'image de la Divinité , pour nous préfenter fans ceffe le tableau vivant de nos devoirs U de nos deftinées. La Morale des L iv  2,4$ Le petit Salomon. Payens ne produit que de Forgueil, & celle des Chrétiensvla plus parfaite humilité. I I. Les fervices du Lêgijlateur & du Moralifte. Le Le'giflateur fans ceffe détru Les plantes qui peuvent être nuifibles Et Ie Moralifte nous enrichit De celles falutaires & utiles. • Quel bonheur pour un peuple! 1 quand, a 1'ombre de la paix, Fagriculture, les arts, les fciences, le commerce, encouragés par tous les moyens imaginables & fages, écartent la noifere , 1'oifiveté, & ouvrent la plus vafte carrière aux talens de toute efpece ; lorfque les chefs, les miniftres de 1'état chériffent également tous les ordres 6c les membres qui le compofent, afin qu'aucun ne puiffe gémir fous le poids de 1'indigence 6c de la mifere ; quand une parfaite équité préüde k 1'obfervation de tous les traités,, a Texécution de toutes les loix, a la répartition égale de tous les impöts, 6c au choix éclairé des  IV Partje. M ORALE. 249 perfonnes qui doivent occuper les charges publiques. Alors les puiffances voifmes font intéreffées, même forcées de veiller a fa confervation, font prêtes a s'armer pour fa défenfe. Si les vertus viennent au fecours pour faire 1'enfemble de ce plan} de ce tableau ; il celfera de faire le beau idéal de la politique; l'on dira de plus, que les degrés de reffemblance avec ce modele feront pour tous les états en général, la véritable mefure de leur félicité, même la pierre philofophale„ I I I. Les Loix, la Morale, leurs effets. Pendant que les Loix punüTent les crimes, La Morale nous difpofe aux vertus ; En féviffant, les premières répriment, L'autre, avec douceur, montre les abns. Quel charme pour un Souverain, quand il peut voir régner au tour de lui, non-feulement fes loix, mais auffi 1'innocence des aftions & la pureté des goüts! Quand ces mêmes loix entretiennent dans les families le calme de la paix , avec la délicateffe, la L v  25°. Le petit Salomon, dignité des fentimens ; quand elles ont foin d'étouffer ou flétrir 1'audacieux talent de la féduction ; quand elles font honorer, refpecfer les fermens mutuels, que la licence & la dépravation du cceur ont prefqu'entierement décriés & étouffés de nos jours ; quand ces mêmes loix qui permettent d'ingénieux délaffemens, que la fageffe humaine avoue , que la politique rend peut-être néceffaires; quand ces loix, dis-je, épurent ces délaffemens, bannilfent de tous les théatres des gaietés licencieufes, capables d'alarmer la délicateffe & d'avilir la raifon. De ces fpeöacles malheureux s'élévent des vapeurs qui fe dépqfent imperceptiblement dans les efprits, dans les coeurs, & qui corrompent bientót la maffe totale des mceurs publiques ; quel bonheur , quand les loix profcrivent ces écrits, 1'école du crime, du fcandale & de 1'irréligion! L'Auteur de la nature, attentif a nous pourvoir de tous les goüts utiles a notre confervation, nous a imprimé, relativement aux autres hommes, deux defirs différens, celui d'en être  II' Partie. MORAlE. ifï craint, & celui d'en être aimé. Avant que les loix civiles fuffent établies, il étoit peut-être plus important, plus agréable d'être craint, que d'être aimé, paree que contre des hommes que 1'ambition & Tintérêt pouvoient armer, la crainte pouvoit être une barrière plus puiffante que ne 1 auroit été , foit 1'amitié, foit la reconnoiffance. Quant aux Souverains qui font dans eet état, les uns par rapport aux autres, fouvent il leur efl; moins important d'en être aimé, que d'en être craint & refpefté. II n'en efl: pas de même des particuliers ; les loix veillent k la confervation de leur perfonne, de leur honneur, de leurs biens; il leur eft peu néceffaire d'être craints & trèsfatisfaifant, fouvent mêmeutile d'être aimés. L vj  z^i Le petit Salomon. I V. Combat de la Nature & des Loix. Toujours Ia Nature femble être aux prifes Avec les devoirs qu'impofe la Loij Vo/ant deux ennemis qui fe de'truifent, Sans la vertu , l'on douteroit du choix. La nature eft artificieufe, attire, engage, féduit, & n'a point d'autre ün qu'elle-même. La vertu, la Religion , la grace ne tendent point de pieges, n'ufent point d'artifice. Examinons quelles font les différences qui fe trouvent entre la nature & la grace. La nature ne veut point être opprimée , vaincue; hait la dépendance, & n'aime point a fe voir affu-jettie. La grace eft foumife, fe plaït a être dominéé, aime plutöt dépendre que de commander. La nature ne iravaille que pour fon intérêt, confidere ce qu'elle peut gagner avec les autres. La grace ne cherche point ce qui lui eft utile ou commode, mais ce qui peut fervir a plufieurs. La nature aime k recevoir des honneurs, des refpects; craint Ia confufion, le' mepns, aime 1'oifiveté, le repos du  IV Partie. MoRA-Lï. 253 corps; fait fon occupation des biens tempcrels, fe réjouit d'un gain; une perte 1'afflige, une petite injure 1'aigrit. La grace eft fidelle a reconnoitre Dieu, 1'auteur de toute gloire, tout hqnneur ; fouffre patiemment pour lui les humiliadöns, ne peut demeurer oifive , & fe fait un plaifir d\i tra,vail, ne le craint point, ni les peines; élle porte fes vues vers les biens éternels , n'a pas d'attache a ceux du temps, ne fe trouble point des pertes qu'elle éprouve , ni ne s'affeöe des paroles dures & offenfantes. La nature avide, recoit plus volontiers qu'elle ne donne, aime les biens en général, a du penchant pour les créatures; aime ce qui flatte les fens , fe plait dans les confolations extérieures ; agit pour fon profit, fon utilité; ne fait rien gratuitement; en retour de fes bienfaits , attend quelque chofe d'égal ou meilleur, des louanges ou des faveurs, veut enfin qu'on lui tienne compte de tout. La grace eft bienfaifante , cherche le bien commun, fuit la fingularité, fe contente de peu, croit qu'il eft plus heureux de donner que de recevoir;  z<;4 Lé petit Salomon. évite le monde, cherche fa confolation dans Dieu feul, n'a d'autre plaifir que de s'élever au-deflus des chofes vifibles, ne defire rien de temporel, mais un bonheur éternel ; elle aime jufqu'a fes ennemis , ne tire point vanité du grand nombre de fes amis; confidère peu fa nobleffe, a moins qu'elle ne foit diftinguée par la vertu ; fe déclare pour le pauvre, plutöt que pour le riche ; eft plus touchée d'un innocent aftligé, qu'elle ne plaint un grand abattu; applaudit aux amis de la vérité, jamais aux menteurs. Elle fupporte 1'indigence des chofes inutiles, rapporte tout a 1'Être fuprême de qui tout vient ; ne préfume de rien avec orgueil, ne préfére point fon opinion a celle des autres; foumet fes fentimens, fes lumieres a la fageffe même ; n'eft point curieufe de ce qui fe paffe , paree que tout n'eft qu'une reproduction du paffé, qu'il n'y a rien de nouveau, ni rien de durable fur la terre. 11 s'enfuit que plus la nature eft domptée, affoiblie ; plus la grace influe avec abondance, &c que la nature livre les mêmes combats aux loix  II' Partie. morale. 15? eiviles , qu'aux loix divines , paree qu'elle veut toujours --être indépendante > ne fuivre qiie fon penchant öz fes goüts. Votre grace , Seigneur, eft donc néceffaire pour commencer le bien, le continuer & 1'achever. Sans elle, les arts, les richefles, la beauté, la force, 1'efprit, 1'éloquence ne font rien, puifque les dons de la nature font communs aux bons & aux méchans; mais la grace eft le don des Elus, la lumiere que nous devons defirer & fuivre, paree qu'elle ne peut nous tromper, & qu'elle nous conduira sürement k la vie qui ne peut finir. V. Les Vertus morales, ou cardinales. Tachez de vivre dans 1'intimité Avec la juftice & la tempérance; Ayez autant de foin , d'aftivité Pour plaire ala force & a la prudence. La prudence nous enfeigne k bien régler nos moeurs &c notre vie , k ' veiller k nos difcours, a diriger nos actions fuivant la faine raifon : c'eft  256 Le petit Salomon. cette fage prévoyance qui, éclairant l'homme fur tout ce qui s'eft paffé, fe paffe adtuellement, lui dicte les moy ens les plus convenables pour le fuccès de fes projets, de fes entreprifes, 6c lui fait éviter les écueils oh il pourroit échouer ; enfin , c'eft 1'art de bien fe déterminer 6c de bien choifir. La tempérance chrétienne détache notre cceur des biens temporels^, nous en fait ufer avec modération , uniquement pour fatisfaire a la néceffité, aux befoins de la vie 6c a 1'utilité, aux befoins du prochain. La force exifte dans le courage a foutenir les affauts, a réfifter, fupporter les revers, 6c entreprendre de grandes chofes : c'eft une nobleffe de fentimens qui fert a élever notre ame au-deflus des craintes vulgaires; lui fait braver dans le befoin le danger, la douleur 6c 1'adverfité. S'il faut beaucoup de force pour foutenir 1'adverfité, il en faut auffi pour foutenir la grande fortune, 6c bien davantage pour pardonner a quelqu'un dont on a recu un affront fanglant. La force chrétienne nous fait tout furmonter, tout fouffrir, plutot que de rien faire contre  IV Partie. MoRALÉ. 257 notre devoir, & contre 1'amour que nous devons a Dieu. La juftice eft une vertu qui nous fait rendre a Dieu, a. nous-même, k tous les hommes, ce qui leur eft du a- chacun en particulier : être jufte de cette maniere, c'eft être véritablement vertueux k tous égards. II y a beau coup de vertus morales* qui cependant fe réduifent k quatre principales que l'on ncmme cardinales, qui font Ja prudence, la tempérance , la foïSé &C la juftice. Originairement le mot de vertu fignifioit force , courage , vigueur. La vertu morale eft upe fidélité conftante, une difpofition ferme & permanente k remplir les devoirs que la raifon, 1'état & la Religion nous diöent & nous enjoignent; une connoiffance, un difcernement jufte des maximes que nous devons fuivre dans le cours de la vie, Voila ce qui doit être le principal objet de la fageffe humaine. Enfin, les vertus cardinales fervent de bafe , de mobile k toutes les autres. SaintAmbroife,livre 5%nos6z&é3, dit que le pauvre n'eft point avare; que ceux dans 1'affliction ne font pas  Le petit Salomon. orgueilleux, mais humbles & pacifiques; que le jufte rend & paie a chacun ce qui lui eft du; que ceux qui lont compatiffans donnent avec plaifir n'emploient ni le pouvoir ni la force pour öter & enlever aux autres ce qui leur appartient. V I. > Vertus naturelles, vertus ie rêflexion, La vertu ne doit point tirer naiffanee Ce la plus heureufe rêflexion j Les réflexions font la récomptnfe, Quand la vertu donne le premier ton. L'A confiance qu'infpirent les vertus de tempérament, vaut-elle 1'admiration que méritent les vertus acquifes ? Celles-ci font plus glorieufes, les autres font plus commodes & plus faciles. Métrodote , Philofophe Epicurien, difoit que la nature logeoit le plaifir au même endroit d'oü elle venoit de duffer la douleur. Ne pouvoit-on pas en dire autantde la vertu & du vice ? Ees vertus qui ne conduifent pas aux honneurs, k la fortune, a la célébrité, font ordinairement les  II' Pauk. Morale. 159 plus négligées; cependant elles ne font pas les moins effentielles, ni les moins fatisfaifantes. Caton , par fa vertu, fut la gloire de Rome ; Céfar, par fes talens, en efit été 1'appui,; Si l'on peut décider entre Caton & lui, Caton fut un héros, & Céfar un grand homme.' Quelqu'un qui loueroit un homme vertueux de ce qu'il n'a pas été injufte, feroit injure a fa gloire, paree que l'homme vraiment vertueux eft toujours beaucoupau-deffus des louanges, des richeffes, des honneurs, de la gloire même. Le véritable fage montre dans toutes les occafions une noble franchife, oppofe une droiture inflexible aux artifices de Fintrigue; un amour de la vérité, qu'il ne peut trahir ni par 1'adulation, ni par un timide füence ; une ame ferme & inébranlable dans fes principes; eft fupérieur aux difgraces & aux faveurs de ia cour, aux applaudiffemens St aux murmures des peuples. L'amour & le devoir s'accordent rarement, Tour a tour feulement, ils régnent dans une ame. L'amour forme un engagement, Mais le devoir éteint la flame.  a6o Le petit Salomon. Fille de la vertu , tranquillité charmante , Tu n'exclus point des cceurs 1'aimable volupté! Les doux plaifirs font la félicité; Mais c'eft toi qui f;ait Ia rendre conftante. Rien n'eft plus aimable que la vertu, mais il faut la connoïtre & en jouir pour fcavoir Fapprécier ; quand on veut s'y attacher, elle prend d'abord les formes les plus aftligeantes , les plus effrayantes Sc ne fe montre telle qu'elle eft qu'a ceux qui la recherchent avec empreflement, fincérité Sc fans fe rebuter. Se plaire a bien faire, eft le prix d'avoir déja bien fait; ce prix ne s'obtient qu'après 1'avoir mérité. V I 1. La Juftice* Vous ne pouvez , au beau nom de Juftice, Donner de fauffe interpre'tation ; C'eft Ia fage & fsavante proteftrice Du bon droit & de la faine raifon. Quelquefois la juftice dort d'un fommeil trop profond ; fouvent elle reffemble a certaines jolies femmes qui fe laiffent féduire par les grands, par 1'argent, ou les préfens. II faut  IF Partie. MORA J F. 161 convenir que les premières mains duns lefquelles elle paffe , font avides, adroites, ou ignorantes; ce qui 1'ayilit, la dégrade & la défïgure au point qu'il eft difficile de la^ reconnoitre. Ces ames vénales ne peuvent lui rendre que des hommages infpirés par le befoin preffant, lorfqü'elle mérite les plus défintéreffés, les plus diftingués. . II feroit donc a fouhaiter que tous ceux a qui l'on fe confie dans_ une première inftance,euffent du moins fho*» nête néceffaire. La juftice eft un dépot de confiance, une portion facrée de 1'autorité des Rois, des Souverains. Un honnête homme, un Magiftrat, ne peut ni ne doit violer fes promeffes, fon ferment , pour quelque caufe, raifon , circonftance Sc perfonne que ce puiffe être. Nous fommes nés pour la juftice , Sc le droit n'eft pas établi fur 1'idée des hommes, mais fur la nature: c'eft la définition de Ciceron, dans fon premier livre des loix, n° 28. Antigo ne connoiffoit parfaitement cette vérité. Un particulier difant en fa préfence que tout étoit également jufte Sc honnête pour les Rois; oui, ajouta-t-  z6z Le petit Salomon. il, pour des Rois forbans; mais pour nous, ce qui efl honnête, ce qui eft jufte, doit feul nous paroïtre tel. La juftice, l'amour du bien & de la patrie, ne pourront fe trouver dans un cceur étouffé par les paffions. Quels reftes pourront donc trouver des citoyens dans des coeurs qui feroient partagés, foit par l'avarice, les femmes, le luxe & la vanité? II faut que 1'ame d'un Juge équitable foit forte Sc fcache s'élever audeffus des injuftes foupcons Sc des vaines rumeurs, qu'il ne foit ému ni par les bénédidtions, ni par.les malédictions , quand il s'agit du bien réel Sc de la vérité. Avec confiance il doit fe dire a lui-même : je veux que rien n'influe fur ma conduite, fur mes jugemens; Dieu, le Roi, font la regie "de mes devoirs : je ne cherche point a plaire aux hommes, mais feulement a leur être utile ; pour leur bien, je confens de facrifier mon temps Sc mon travail. La beauté des moeurs, cette fleur fi précieufe a 1'humanité , n'eft autre chofe que la beauté de 1'ame marquée par toutes les actions de fa vie. Rien  IV Partie. Morale, 263. n'eft plus agréable, plus heureux, plus fatisfaifant que le rapport & la réunion de tovites les qualités qui carac» térifent l'homme vertueux ; elles le guident dans les pas épineux de fon état, elles répandent le bopheur fur les perfonnes qui 1'environnent, en aflurant le fien en même-temps. Quel malheur au contraire quand on immole a un intérêt quelconque, 1'ami» tié, la juftice & les fentimens les plus honnêtes ! VIII. Le rtgne des Rois, Voblijfanct des Sujets, Les peuples font gouvernés p»r les Rois, Et leur doivent toute 1'obéifTance; Mais les Rois doivent régner par les Loix, Autrement ils excédent leur puiffance. Il feroit diffieile de trouver un royaume & des états oii cette maxime foit plus heureufement, plus fcrupuleufement obfervée qu'en France; bontheur dont chacun doit fe féliciter& maintenir la durée. Les Rois ne peuvent régner véritablement que par le foutien & 1'appui des lok; les peuples ne peuvent aufli  i($4 Le petit Salomon. jouir,êtreaffurés de leurs poffeffions, que par 1'exécutlon de ces mêmes loix, & qu'autant qu'elles font fervies par des Jugej intégres & éclairés. Un Prince tel que Trajan vivra éternellement parmi les honnêtes gens ; fon fouvenir leur fera toujours chef. Cet Empereur donnant a un Capitaine le cimeterre qu'il portoit, le tira du fourreau, le tenant levé, lui paria dans ces termes : recois cette épée pour fervir a ma défenfe, fi mon regne eft équitable; mais s'il ne 1'eft pas , qu'elle ferve pour en ufer contre moi; car il eft moins permis a celui qui commande, qu'a tout autre, de manquer k fon devoir. L'on ne peut fe laffer d'admirer un Prince qui ne veut vivre que pour faire régner la vertu, la juftice dans tous les cceurs, & qui veut qu'on le regarde comme un monftre, s'il étoit affez malheureux pour avoir un autre deffein. Les Peres du peuple travaillent a leur bonheur en travaillant a celui du peuple même ; les tyrans font leur malheur en faifant des fujets infortunés. L'on a vu des peuples nom- breux  II' Partie. MORALE. 265 ra breux obferver la plus parfaite juf1 tice. Les Ethiopiens 1'obfervoient avec I tant d'exacfitude, qu'ils laiffoient une 1 grande partie de leurs effets au milieu 1 des rues , n'avoient point de portcs a leurs maifons ; les Celtes en faifoient autant, 6c rien ne fe trouvoit dérangé. Quelle honte pour une nation qui fe piqué de tant de fcience 6c de délicatelfe, de voir que ceux que nous regardons comme des ignorans, des barbares, nous donnent des lecons de probité, de vertus ! Que ces exemples fervent donc a répandre dans les fociétés eet efprit de droiture , de' franchife 6c de zèle vraiment digne des plus grandes ames. Les Princes doivent régner, gouverner leurs peuples par les loix 6c la liberté. Loix! c'eft un grand mot. Sans mceurs, fans principes, fans vertus, les loix font ordinairement fans force 6c fans vie ; elles ne reffemblent plus qu'a des toiies d'araignées, dans lefquelles les petits infedes font pris, mais les gros paffent a travers. II faut encore que les Princes foient éclairés, afin de choifir des Miniftres capables, Tome I, |yj  2.(56 Le petit Salomon. Satibarzanes, favori d'Artaxercès Longuemain , lui demandoit un emploi pour un homme incapable de le remplir. Artaxercès ayant appris que eet homme avoit promis trente mille dorigues a Satibarzanes, fe fit apportef pareille fomme : prends eet argent, dit-il a fon favori; carpour te 1'avoir donné, je n'en ierai pas plus pauvre; mais fi je t'accordois la grace que tu demandes, j'en ferois moins jufte. Les jours des Souverains & des grands font autant de feuillets de leur hiftoire. Ils font a plaindre, paree que fouvent ils ne voient point les fervices qu'ils ont a récompenfer, ni les malverfations qu'ils doivent punir : on leur exagere les profpérités de 1'un , ou bien on leur diffimule les malheurs de 1'autre ; rarement enfin la vérité pénetre dans/ < leurs palais. Rois ennemis de la paix, toujours armés, toujours appellans fur vos peuples les malheurs & la mort, fcachez qu'il n'eft de vrais Conquérans que ceux qui font cefler la guerre, qui ne prennent qu'en pleurant le glaive des mains de la néceffité & le dépofent: 4veg joie. £e font de véritables Rois  II' Partie. M orale. 267 iquand ils en ufent ainfi; leur tröne Ijs'éleve jufqu'aux cieux. Comme les iiautres mortels , ils ne doivent jamais [jperdrede vue leur dernier jour, & le $ peuple les attend au bord du tombeau cpour les abfoudre , ou pour les cons damner. De fon cöté le Tout-Puiffant, Idu haut de fon tröne, ne voit rien de jplus augufte fur la terre qu'une ame 1 jufte,honnête,compatiffante & douée I de toutes les vertus deftinées k chaque I place, k chaque état. U faut dire auxSujets, que les premières loix Sont d'aimer la patrie, & d'obéir aux Rois. I X. Pour bien commander, il faut fcavoir obéir. Quand vous aurez connu 1'obéiflance , ■ . C'eft alors que vous fcaurez commander } L'on ne peut bien juger d'une diftance, Qu'autant que l'on y a fouvent pafte. Entre obéir & commander la diftance eft grande. II y en a plus quï obéiffent par crainte que par zèle, attachement, amitié ; aux premiers tout leur devient inutile & pénible; M 11  I i6S Le petit Salomon. ils font toujours prêts a murmurer; jamais ils n'auront 1'efprit tranquille , a moins qu'ils ne fe foumettent de tout leur cceur, dans 1'efpoir d'une récompenfe éternelle, ou temporelle, ou pour l'amour de leur devoir. S'il eft dur de quitter, de renoncer aux chofes auxquelles nous fommes accoutumés , ou que nous defirons, il eft plus dur encore de combattre fa propre volonté, Convenons qu'il en coüte de fe laiffer conduire par la volonté d'un autre & de n'agir jamais d'après fes propres fentimens : cependant 1'indépendance eft fouvent la fource d'une infinité d'égaremens du cceur , de 1'efprit, même dans la fortune. X. JPifference entre les plaifirs innocens fi» les plaifirs illicites, Vous êtes rares , plaifijrs innocens f Combien vous méritez de préférence! Tous les autres font fuivis d'accidens , Et par malheur font pencher la balance. Le plaifir en général eft un mouvement, une ütuation de 1'ame qui pa-  II' Parüe. M O R A L E. 26*9' rolt indéfiniffable; car telle chofe eft un plaifir pour 1'un , un ennui , un tourment pour 1'autre. Le plaifir que l'on achete n'eft que 1'ombre du plaifir. II eft humiliant depenfer que l'on s'ennuieroit, fi l'on n'avoit rien a donner k fes caprices, fes fantaifies, fon plaifir; cette efpece de plaifir n'en eft pas un. Les plaifirs que l'on ne doit point k 1'intérêt, font . les vcritables , paree que le cceur ne compte pas ceux qu'il donne, &c que 1'intérêt les calcule. La jeuneffe doit fans ceffe être en garde contre fes inclinations, fon penchant, le choix & la borne des plaifirs. Souvent l'on voit des vieillards de vingt ans fouffrir, gémir fous le poidsdes infirmités, qu'ils payent encore plus cher que les faux plaifirs qui les ont réduits au plus cruel état, puifqu'ils ne font déja plus, lorfque leurs contemporains commencent k naïtre. Ceux qui malheureufement abufent de leurs forces naiffantes, font comme les arbres élevés dans les ferres chaudes, qui donnent des fruits précoces, n'étant encore qu'arbriffeaux , & qui meurent d'épuifement avant d'être arbres; lorfque ceux des jardins M iij  J7° Le petit Salomon. «e des champs, foumis a 1'ordre des laiions, obeiffent aux loix de la nature en donnant des fruits dans les temps qu elle prefcrit. Les plaifirs bruyans font le vain Si iteriïe bonheur des perfonnes défceuvrees & qui ne fentent rien ; elles eroient^ qu'étourdir fa vie, c'eft en Tomr véritablement. Qu'une main faTorahle brife les fers d'un malheuriUX' !C dé5ivre des horreurs du cachot, de 1'air épais & corrompu quile iuftoque; que cette même main le conduife fur le fommet d'une montagne ou regne un air fain Sc pur, Sc d ob l'on découvre de tous les cótés dagreables Sc charmans payfao-es • le cceur de eet infortuné fera tranfpo'rté de joie paree qu'il refpire, fe fent ioulage de 1'état, du fardeau qui 1'oppreffort, Sc que fon être fe renouvelle. Tels font les tranfports d'une ame qm, degagée des liens honteux, des vains plaifirs qui 1'aveugloient, 1'excedoient& des viles paffions qui 1'enchantoient; fon ame s'éleve dans la haute région de la rêflexion, de la radon Sc de la vertu, fe reconnoit  II' Partie. MORAlË. Vjt clans fon air natal , il y refpire des efpérances immortelles. Quel malheur qu'une mauvaife conduite! C'eft ce qui perd fouvent l'homme bien nê J D'écueil en écuefl il fe précipite , Heureux quand il n'eft pas deshonoré. L'on peut diftinguer trois fortes dé conduites, la bonne, la fage & 1'mtelbgente. Les moeurs bien régUes donnent la première ; 1'ordre &c 1'éconrmie procurent la feconde; la troifieme tient k la fineffe, al'adrefte, au ca'cul & quelquefois k fintrigue ; mais il ne faut pas que 1'effronterie, la bafieffe foient de la partie. L'homme fage &raifonnable n'aimê que les plaifirs honnêtes, paree que le choix de fes plaifirs eft éclairé par fa raifon; il fcaitles choifir, il les reffent avec tranfport; il y en a qu'il n'admet qu'avec réferve, & rejette les autres avec horreur. Les plaifirs des hommes vicieux, corrompus, expirent au moment même ; ils ne laifient que des regrets de leur mémoire , fouvent les douleurs , la punition les foit de pres ; mais ceux de l'homme prudent &c fage durent longM iv  272- Le petit Salomon temps après leur fenfation & le fouvemr en eft auffi agréable que le fentiment. X I. • Vêgoïfme , fes fuïtes. Nous fommes au fie'cle de 1'égoïfme, II faut convenir qu'il efl au plus fort; C'eft par la fau'te des moeurs & dufchifme, Si du pere, 1'enfant attend Ia mort. Ceux qui s'aiment ne s'occupent que d'eux-mêmes, ontle cceur embarraffe de mille defirs; ils font emprefies, cuneux, inquiets, toujours avides -de^ ce qui les flatte. L'amour de foimeme n'eft content que quand tous fes befoins, fes defirs font fatisfaits, lans soccuper d'aucune autre perfonne ; c'eft alors que l'on peut dire le proverbe, que quiconque n'eft bon que pour foi n'eft pas digne de vivre. *. L'fg?lïme a pris naiffance dans la diffolution des moeurs Sedans le luxe , qui lont accrédité d'une facon fi afireufe, que Pon voit des enfans s'ennuyer de la vie de pere , mere , & deiirer leur mort fans en rougir Ce malheur peut auffi venir de la mau-  ii' Partie. Mor ale. %jj vaife éducation de la jeuneffe que l'on négligé de plus en plus relativement è la religion. Si les peres & meres étoient plus attentifs fur eet article, ils s'épargneroient beaucoup de regrets & de fujets de plaintes. Saint Paul, au chap. 3 de fonépitre a Timotée, prédit qu'il y aura des hommes qui s'aimeront eux-mêmes , qui feront avares, fiers , fuperbes , blafphémateurs, défobéiffans a leurs peres & meres, ingrats, impies, fans affedtion , fans foi , calomniateurs , intempérafls, inhumains, fans amour pour le bien , traitres, légers, enflés d'orgueil & plus amateurs de voluptés , que de Dieu ; il avertit de fuir ces fortes de perfonnes. D'après cette énumération, il en refte peu pour la fociété des gens de bien, ou les fentimens & la conduite changeront, ou la fin du monde approche, comme 1'annonce faint Paul. L'on remarque qu'il y a beaucoup de riches qui font avares ; que les avares faftueux font plus égoïftes, plus durs , plus intéreffés, plus méprifables que les avares obfeurs; qu'ils ont moins de fentimens, moins d'huM v  274. Le petit Salomon manité, de probité, font fouvent plus injuftes; que les riches faftueux ont peu de génie , & fe donnent par conféquent beaucoup de petits ridicules. Aujourd'hui 1'intérêt perfonnel prend la place de 1'intérêt filial, de 1'amitié & de ce que l'on doit, tant a fes égaux qu'au public, La licence, l'avarice, la prodigalité , le défordre, le luxe , 1'infidélité dans fes devoirs & dans le commerce , femblent fe difputer le pas. Enfin , tous les vices deftructeurs du bon ordre^de la vertu, de la religion; vices qui fë tiennent, ou fe fuivent, fe font répandus partout. Tous les principes de la faine Morale font détournés, arrangés fur les^ paffions, & prefque totalement anéantis. La licence eft fi grande, le renverfement fi général, la révolution fi monftrueufe , que la fageffe paffe préfentement pour folie, la raifon pour radotage, la vertu pour duperie. Loin de rougir du libertinage, l'on en fait trophée; il eft niême recu dans la bonne compagnie. La méchanceté répete, exagere les défauts, l'on ne i-efpecf e plus les amis abfens: queüe  IV Partie. MóRALË. fffi chimère , dit-on! ne faut-il pas égayer la fociété ? Pourquoi toutes ces licences malheureufes prennent-elles vin fi grand fuccès ? Ce n'eft que pour mieux accréditer 1'égoïfme. Quand de pareilles licences s'introduifent dans un pays, une ville, une nation, les femmes ne font jamais les dernieres , elles vont plus loin que les hommes , k raifon de leur vivacité; leur dérangement eft auffi plus prompt, plus long & quelquefois plus opiniatre aux raifons qu'on leur oppofe ; elles répondent par des épigrammes, des bons mots; leurs plaifanteries deviennent des traits féduifans , invincibles ; enfin des argumens auxquels l'on n'a pas la force de répondre. X I I. Ce que ton doit aux pauvres, Que 1'état du pauvre vous attendriffe! Sans 1'infortune il feroit votre égal; Ah ! prenez donc garde 'qu'il ne périfle Par le travail, le befoin , ou le mal. Si les Rois, les grands font fans pltié pour leurs Sujets, c'eft qu'ils ne croientpas être hommes; fi les riches font M vj  2.76 Le petit Salomon. durs envers les pauvres, c'eft qu'ils ne craignent pas de le devenir; fi la nobleffe a du mépris pour le peuple, c'eft • qu'elle fcait qu'elle ne deviendra pas roturiere ; fi les Turcs font généralement humains, hofpitaliers, c'eft que par leur gouvernement arbitraire , la fortune de chacun devient auffi arbitraire ; qu'ils ne regardent pas 1'abaiffenient &lamifere comme un état qui puiffe toujours leur être étran^er. Quoique dans 1'ordre de la&nature, la pitié foit & doive être le premier fentiment du cceur hnmain, les différentes impreffions qu'elle excite ont leurs degrés de force, leurs modifications qui dépendent du caradfere de chacun. 11 y a des perfonnes qui ne font émues que par des ■ cris, des pleurs, & qui ne fcavent point plaindre un cceur ferré de détrefle; qui, voyant une contenance abattue/un vifage plombé, ou 1'ceil éteint, qui n'a plus la force de pleurer, ne peuvent eux-mêmes verfer de larmes ; les maux de 1'ame ne font rien pour eux : ne font-ils pas jugés fi la leur ne fent rien ? L'on ne doit attendre d'eux que rigueur inflexible, endurciffement &  IV Farm. M O R A L E. 177 cruauté ; ils feront peut-être jnftes, intégres, s'il eft poftible de 1'être , quand on n'eft pas charitable &C miféricordieux. Les hommes ne feroient que des monftres, fi 1'Auteur de la nature ne leur eüt pas donné les fentimens de pitié, fecondés paria raifon; c'eft de la commifération qu'émanent les vertus fociales ; car la clémence, la générofité , 1'humanité, la charité, ne font autre chofe que la pitié mife en aftion' en faveur des foibles, des coupables & des miférables en général. XIII. Modejlic néceffaire aux deux fexes. Quand vous vous habillez foyez modefte , De vos gens ne bleffez point la pudeur j La décence veut que l'on fe refpefle, En refpeftant auffi le ferviteur. U N des enfans de Noé fut maudit pour avoir manqué de modeftie , de refpeft a fon pere. Sainte pudeur , 1'ornement des moeurs, 1'honneur des corps, la gloire des ames! Pudeur augufte, quelle majefté vous imprimez fur le front de ceux qui vous révé-  278 Le petit Salomon. rent & vous obfervent! II faut un pacle avec fes yeux pour qu'aucun regard ne puilfe profaner nos penfées; nous devons veiller avec le même foin fur nous, afin de ne pas Heffer la modefiie, la pudeur de ceux qui nous fervent; ce font nos freres en Dieu; comme nous , ils font a fon image, nous leur devons 1'exemple ; en nous refpedtant, nous les refpedlons aufli. Enfin, fi la modefiie n'étoit pas d'obligation, le fecond enfant de Noé n'auroit pas éprouvé une funefie malédiction. X I V. Combhn fon doit craindre & fe dêfier des perfonnes fans foi, fans loi, ni religion. Ceux fans foi, fans loi, fans religion, Exigent toute notre défiance ; Car ils n'attendent que 1'occafion Pour nous tromper, oh faire violence. L'on doit ajouter foi a ce qu'un honnête homme affirme ; il faut fe méfier de ceux connus pour rrtanquer a leur parole, ou pour menteurs; c'efl chofe recue dans le monde, & l'on a bien raifon.  II' Partie. M O R a L e. 179 Le Roi Jean difoit que quand bien même la foi, l'affurance des promeffes feroient bannies du monde, elles devoient toujours demeurer dans le cceur, dans la bouche des Rois. La foi, ce nceud facré , ce Hen précieux N'eft plus qu'un beau fantóme , & qu'un nor» fpécieux. L'on ne peut donc pas fe fier, ni raifonnablementcompterfurdes monflres qui n'ont rien de facré. X V. La fubordlnatlon. La fubordination néceffaire Pour maintenir tous les corps d'un état,' L'eft encore plus envers pere & mere ; Pour les enfans, c'eft un devoir exact. Ferdinand , pere d'Alphonfe, étaat proche de la mort, pria le fils ainé qu'il laiflbit héritier de fa couronne, de fouffrir que Jean fon frere cadet, eüt le Pvoyaume de Caftille pour fon partage. Mon pere, répondit Alphonfe, la gloire de vous obéir me fera toujours plus chere que mon droit d'aineffe ; fi vous jugez que mon frere  igo Le petit Salomon. remplifle mieux votre place que moi," je confens que vous lui donniez tous vos Royaumes ; je fuivrai vos ordres comme ceux de Dieu même. Ces paroles attendrirent fi fort le coeur de Ferdinand , qu'il mourut en verfant des larmes de tendrelfe fur ce fils vertueux. La fubordination eft néceffaire k tous les états, k tous les corps, particuliérement dans le militaire pour maintenir la vigueur des armées & la füreté des peuples. Que deviendroient en effet , les peuples &c les armées elles-mêmes, fi la difcipline févere & inflexible ne contenoit pas cette multitude innoinbrable qui porte dans fes mains le repos ou le bouleverfement des nations, des citoyens & des peuples oii fe trouve le théatre de la guerre ? Cependant les Généraux d'armée, les Officiers fupérieurs doivent traiter avec humanité le malheureux Soldat, & punir fans commifération les fautes , les trahifons commifes contre 1'Etat. L'on doit auffi être trèsattentif a connoïtre la pauvre nobleffe, afin de répandre les bienfaits fur les guerriers iafortunés.  IV Partie. M O R A L E. 2.81 XVI. Sciences nécejfaires a l'homme. Trois fciences paroiffent nécefljires Pour faire une fage éducation ; Sa religion", fes biens, fes affaires, Ce qu'il faut pour fa confervation. Un trés-ancien Auteur a dit que trois chofes étoient néceffaires a l'homme ; la première, de bien fcavoir fa religion; la feconde, une connoiffance raifonnable des affaires pour défendre fa fortune, fes poffeffions; la troifieme, d'étudier fon tempérament pour diftinguer,choifir les alimens qui lui font analogues, falutaires, afin d'év.iter les nuifibles, & les remedes qui réuffiffent quand on eft malade. Chacun fcait, connoit 1'obligation indiipenfable d'avoir une Religion, &Z c'eft fuffifimmentprouvé. II faut qu'un homme. fage acquiere les connoiffances néceffaires pour veiller, conduire, adminiftrer & défendre fa fortune. Nous. devons auffi faire une étude de notre tempérament, de ce qui lui convient; k eet égard les animaux nous donnent des lec~ons, même pour les remedes  i§a Le petit Salomon. quand ils font incommodés; le chien a recours au chiendent, la cigogne fe donne des remedes avec fon bec. Apprenons donc a connoïtre les remedes qui nous réuffiffent dans le befoin. XVII. ' Du refpeci que Von doit a Vinnocence. Abufer Si lïc'uire I'innocence, Tant vers Dieu, qu'envers le droit des gens, Me paroit une abominable offenfe , Et la fource de fes égaremens. L'heureuse innocence qui liége dans les jeunes coeurs, fe répand fur tous les objets fans exception; la vertu les dore des rayons purs de fa lumiere bienfaifante ; elle ne connoït point 1'ennui; 1'objet de fes defirs n'eft point liijet a vieillir. Soutenue par 1'aimable candeur, chaque jour lui montre de plus prés la perfection & le bonheur. Laches déferteurs de la vertu! Pouvez-vous , comment ofez-vous attenter & former le projet de détruire ce que le ciel chérit ff tendrement! Un mets fans affaifonnement, fans fel & infipide, peut-il mfpirer de 1'en.vie & piquer notre goüt ? Un être  IV Partie. Moralï, 283 prefqu'inanimé peut-il répondre d'une facon fenfible k nos defirs ? Les chofes inconnues peuvent-elles faire une fecouffe , une émotion , une fenfation relative & fatisfaifante ? A ces trois queftions la négative en général fe préfente d'elle-même. Les perfonnes d'un age avancé font bien dangereufes pour la jeuneffe & l'innoceijce. La furprendre , la fuborner , la féduire ; c'eft manquer a foi-même , k fes amis, k la fociété, a Dieu même, & devenir la fource , le principe de tous les égaremens, des malheurs &: de laperte d'un jeune cceur. XVIII. Les Ivinemens contraires , fouvent de~ viennent favorables. Les événemens triftes , malheureux Tournent très-fouvent a notre avantage ; Si nous penfons qu'on ne peut être heureux Qu'après avoir fini notre efclavage. Il n'eft perfonne qui n'ait fes affliöions , fes peines ; les Rois , les grands & les riches n'en font point affranchis: les moins malheureux font ceux qui, par vertu, par religion peu-  %%4 Le pettt Salomon. vent fouffrir ou fupporter les événemens triftes & malheureux. N'eft - ce pas une mifere , un efclavage d'être toujours occupé de fes befoins, des néceffités de la nature? Car, manger, boire, veiller, dormir, fe repofer, travailler font des miferes capables d'affiiger l'homme vertueux qui voudroit en être dégagé. En attendant il faut qu'il fouffre fans fe laiffer abattre par le défefpoir; au contraire, il faut fe foutenir par une foimfiffion conftante, fouffrir les maux qui. nous arrivent , fe fortifïer contre ceux qui peuvent furvenir, paree que 1'étérevient après 1'hiver, le jour après la nuit, le calme après 1'orage. II faut être ferme & conftant dans le bien, fe foutenir avec une force d'efprit toujours égale; la confolation vient fouvent lorfqu'on s'y attend le moins. II ne faut pas s'inquiéter fur un avenir incertain; c'eft vouloir doubler fes peines : a chaque jour fuffit fon mal ; il n'y a pas de raifon de s'affliger ou de fe réjouir de ce qui n'arrivera peut - être jamais. NotreSeigneur difoit a fes Difciples : Je ne vous envoie pas dans le monde pour  IV Vartlt. Morale. 2.8? goüter des plaifirs, mais pour foutenir de grands combats; non pour jouir des honneurs, mais pour foutenir des humiliations; non pour vivre dans 1'oifiveté, mais pour fupporter de grands travaux, X I X. 'jlveuglement & pronts de la vieillejfei Le vieUlard , fécond en vaines penfées t Malgré le cri de la faine raifon , Se plait a greffer de jeunes idees Sur les triftes reftes d'un ancien tronc. Quel excès de folie! De même qué les ombres s'allongent k mefure que le foleil s'abaifle, de même nos defirs croiflent & s'étendent fans ceffe fur ie foir de notre vie. La jeunelfe eft le temps de 1'action, la vieillelfe celui de la rêflexion. L'homme eft aufli changeant que ces infectes dont nous admironsles métamorphofes; au matin de fa vie il rampe, bientót il effaie fes forces; il voltige, il vole a ion midi; le foir glacé , engourdi, il fe traine dans les coins obfcurs, s'y cache öc g'y affoupit; il paffe la foirée de fa viq £ fe eonter 1'hiftoire de fes jours,  r%6 Le petit Salomon. Deux chofes font a defirer, 1'eftime & la paix. La première s'accorde k la reputation d'être fage, la fageffe donne lafeconde. Si la folie nous enléve 1'une & 1'autre, qui pourra nous dédommager & nous confoler ? II n'y a que ces heureux dons unis k la juftice, qui peuvent nous procurer des jours fereins qui font le vrai bonheur. La vieilleffe en général n'eft qu'une efpéce de léthargie , de fommeil; le temps oii toutes les facultés font épuifées & prêtes k s'éteindre , & 1'humihant fimulacre de 1'exiftence humaine. . Cette deftruöion & la mort même n'ont aucun droit, aucun pouvoirfur une ame qui, fous le voile du temps, habite d'avancele féjour de 1'éternel: ear mourir, pour mieux dire, finir lorfque l'on marche toujours d'un pas égal & ferme dans le chemin des vertus. & de la Religion; lorfque la lumiere qui nous enyironne eft encore toute yive, lorfque le préfent garantit 1'avemr ; ce n'eft pas mourir en effet, c'eft fe cacher dans fa gloire. , Souvent un preffentiment fecret eclaire, avertit le jufte, mais ne le  IV Partie. morale. l%f trouble point ; quand eet avertiffement defcend au fond du coeur, il fe refufe a 1'efpoir de vivre, fait fon facrifice fur la derniere erreur de la vie, 6c tranquille il s'avance vers la béatitude. Quand on a été digne de vivre, l'on s'eft rendu digne de mourir 6i de remporter le doublé prix de la récompenfe qui nous eft promife 6c les juftes regrets des amis vertueux. X X. La folitude ntffmie que ceux qui ne connoijfent pas les hommes. Non, jamais Ia folitude n'effraie Que ceux & qui le monde eft inconnu; Mais fi quelqu'un en doute , qu'il effaie, Bientót fon doute fera réfolu. Le don précieux de la folitude eft nn bien, un bonheur qui ne s'acquiert pas tout de fuite; fouvent il ne vient qu'avec Fage ; i'on peut y arriver plutot en s'accoutumant par degrés au travail, en fe faifant des occupations quand on en manque, ou des réflexions fur le vuide des fociétés. La ledture des bons livres eft auffi un fur moyen pour s'accoutumer a la folitude, par-  a.88 Le petit Salomon. ticuliérement les vérités évangéliques, paree que jamais l'on ne peut s'ennuyer quand on s'entretient avec 1'Etre iuprême; la converfation avec lui remet 1'ame a fa place; elle s'expofe, au contraire, k un état violent quand elle s'en diftrait. L'on eft bien afluré d'aimer la folitude , de fe garantir de Fennui fi l'on joint aux précédents exercices le goüt, 1'amufement des belles-lettres: c'eft un parterre oii l'on n'a que des tfleurs a cueillir ou a femer. Cet état paroït bien préférable k celui d'un ChartreuX', d'un Trapifte; car pourquoi quitter tout - a - fait le monde quand on peut 1'édifier? H'fera toujours pervers fi toutes les perfonnes de bien 1'abandonnent. Avec des livres , une plume, fes penfées, 1'accompliflement de fes devoirs fpirituels Sc corporels, l'on fe trouve bien par - tout oii l'on eft ; 1'efprit, le coeur offrent k l'homme des afyles heureux Sc tranquilles , quand il fcait les choifir Sc s'y retirer. L'homme vit prefque toujours dans un pays ennemi en vivant avec luipifme ? parücuüéreoient dans la jeuneffe ?  Hc Partie. .Morale. 289' neffe : un fang qui bouillonne , une imagination qui s'égare, des defirs qui fe combattent, des paffions qui s'allument, forment une guerre inteftine dont les fiiites peuvent être funeftes. Dans ces occafions fi l'on n'eft pas affez fort quand on eft feul , il faut faire prompte diverfionen recherchant quelques perfonnes fages qui puiffent nous diffiper, ou nous donner de bons confeils. Le fage fe fait une. folitude a lui•même dans fon intérieur & dans fon cceur ; rien ne trouble fa tranquiliité quand il eft bien avec Dieu, & qu'il n'attend que les graces du ciel. Lorfque ce maitre & la raifon nous parient, quel fublime entretien ! qu'il eft faint & fatisfaifant! Cc plaifir inexprimable s'approche de l'homme a mefure qu'il s'éloigne du monde &C du tumulte. Quand on prend le parti de la folitude, il faut fe dire a foimême la réponfe de ce fage folitaire : Je vis ici pour le ciel & pour moi. Je plains ceux qui ne tronvent pas Ie temps De s'entretenir d'eux avec eux-mêmes ! Peut-on ne jamais faifir un irritant, Pour fon repos , ou pour ce que l'on aime. Terne I. £j  $90 Le petit Salomon. XXI. La réputation, fes avantages. l'on ne connoit point alTez 1'avantage d'une très-bonne re'putation; Soyez sur que du véritable fage c'eft une heureufe & faine portion. Il y a peu de perfonnes qui n'ayent plufieurs réputations; dans ce nombre fouvent la véritable , la méritée ne s'y trouve point; tout cela varie fuivant les fociétés, les facons de voir des différentes perfonnes avec lefquelles l'on fe trouve, & qui connoiffent plus ou moins bien les hommes , ou qui font plus plus ou moins en état de bien juger. Pour avoir une bonne réputation méritée, il faut être eftimable relativement k fon état ; on 1'eft effedtivement quand on y joint les qualités effentielles avec 1'agrément. Le plus fur moyen de réufïïr n'eft donc pas d'être infïniment aimable; car plus on 1'eft, plus Ie röle eft difficile k foutenir dans les différentes claffes du monde & des fociétés. Louer avec excès des aöions firn-  II' Partie. M O tl A LE. £éi pies, orclinaires & honnêtes, c'eft le ftyle des ames ordinaires; les grandes ne fe lailfent pas furprendre fi facilement : de même que d'attacher une grande importance a de petits torts, c'eft répandre de la malignité, de 1'envie fur la chofe , ou c'eft la preuve d'un défaut de jufteffe dans le difcernement. L'homme fans principes eft médiocrement frappé de 1'injüftice, le vertueux s'en indigne & la réprouve. C'eft au defir général de réputation, d'honneurs, de diftinófion, de préférence , que nous devons ce qu'il y a de méilleur ou de plus mauvais parmi les hommes ; les vertus , les vices, les fciences, les erreurs fouvent dépendent de ce defir ou non defir: cependant le bon, 1'effentiel, le néceffaire ne peuvent être équivoques; ceux qui fe cachent prouvent tot ou tard , qu'ils avoient raifon. Ce Rornain qui vouloit que fa maifon fut ouverte de tous cötés pour que l'on piU voir tout ce qui fe paffoit , fera toujours très-eftimable. On le feroit bien davantage fi chacun mettoit une lucarne a fon coeur. De mettre du myftere aux actions innocentes, c'eft N ij  391 Le petit Salomon. annoncer une difpofition prochaine a 1'hipocrifie cu pour le vice. Toutesfbis que nos adtions feront pures & droites, qu'elles feront fans affedtation, a coup fur notre réputation obtiendra ie droit qu'elle mérite, V V T T A 4 J i. II ne faut pas craindre la vertu, mais la dejirer. Cher ami! la vertu n'eft effrayante Que pour ceux qui ne la connoiflënt pas; Car, des qu'on 1'aime , elle eft toujours riante Pendant notre vie, & prés du trépas, Ceux qui veulent jetter des ridicules fur la vertu, s'en donnent eux-, mêmes, & fouvent fe rendent méprifables. La vertu a le bonheur de fe fuffire è elle-même; elle fcait fe paffer d'admirateurs, de partifans, de protedteurs; le manque d'appui, d'approbation ne peut lui nuire; elle fe conferve également pure&parfaite dans fonelfence.Qu'elle foit a la mode, qu'elle n'y foit plus, glle demeure conftamment vertu. En vain les héros que l'on vante , Ont fubjugué tout 1'univers ; La fortune la plus brillante  ƒ/-' Pank. Morale. 293 Eft fujette a mille revers. .Les ncheffes font périffiibles , Et les plaifirs tres-pen durablei. La guerre fitccéde a la paix ; Êiltvrè" d'honneur & de gloire , L'on fe laffe de la viftoire , La vertu ne périt jamais ! Pour s'affurer de ce tréfor il faut que la probité foit inaltérable au milieu des dangers de la Cour 5 qu'elle foit incorruptible au milieu de la contagion des nouvelles facons 4e penter; que la foi, la Religion fofent inébranlables au milieu des ravages de 1'incrédulité; que 1'exemple des plus grands, des plus illuftres qui courbent la tête devant 1'idole de la fauffe complaifance , de 1'ambition plus déplorable encore; que tout cela ne vous affoibliffe jamais: au contraire, foutenez avec plus de force la dignité des vertus. Aiors vous ferez eftimable & refpeÖable par les vertus civiles, metales & chrétiennes. II ne faut pas cependant que les hommes vertueux s'éloignent de 1'adminiftration puhlique, paree que les malheureux deviendroient laproie des ambitieux qui cherchent toujours a N iij  2-94 Le petit Salomon semparer de 1'autonté. L'on éff att- efl effentiel ement vertueux; mais quiconque a de la préfomption efl bien pres de faire une chüte; de voir le neant qm nous environne , efl un moyen fur de repoufler l'amour propre , paree que les grandeurs ont leurs m.ages, leurs éclairs, leurs tourbillons, comme les violentes tempêtes. Sans Ia vertu-,.,... Point de Hois, de Souveraini, de Prélats, Point de Miniftres , point de Magiffrats • Point de Héros, & point de femme honnête J Point de Maitre en süreté pour fa tête. XXIII. Refpecterfa femme pour qu'elle fi refpecti elle-mime. Ayez foin de refpeéter votre femme, Afin qu'elle fSache fe refpefter; Csr fouvent elle ne devient infame Cjue paree qu'un mari s'eft oublié. . Dans k jeuneffe les impreffïons font vives promptes, faciles; un mari ne peut donc trop veiller a fes pronos & a ia conduite dans 1'intimité particuliere. Si les entretiens, les aöions font  IV Partie. Mo ral e. 295 trop libres, fi la retenue n'eft pas honnête , la jeune perfonne fe dérangera, a moins qu'elle ne foit douée d'une vertu finguliere. Malgré les précautions fages & refpecïueufes, l'on remarque que les honnêtes femmes , felon Brantofme, font plus aimables, plus attentïves , plus complaifantes pour leurs maris, que ne le font les virtuofes, les triples honefta: il fembleroit que la vertu de ces dernieres ne trouveroit pas en elle-même fa récompenfe ; elles font en effet, plus exigeantes, & femblent demander un tribut continuel de reconnoiffance Sc d'attentions de la part du mari. XXIV. Effets de la cruaute. Le jeune homme qui, fur lesanimaux, Exerce quelque cruanti marquée ; A fes parens, amis , foumis , égaux , Préfage un cceur dur, 1'ame forcenée. C'est dans 1'enfance que l'on cqnnoit véritablement le germe des inclinations, des goüts, des paffions que nous apportons en naiffant. La bonne éducation perfectionne ce qu'il y a N iv  296 Le petit Salomon. d'heureux en nous, & reflifie le mauvais. Dans 1'age de rêflexion & de raifon, l'on met le mafque pour paroitre comme tout le monde ; c'eft i ouvrage de l'amour propre , de la vamte du defir. de plajre: cependant le fond du germe fubfifte toujours; sü eft cruel, barbare, inhumain, il peut dans l'occcficn, porter l'homme a tuer ion frere , fo;i ami : ces fortes dexemples ne font malheureufement que trop connus. L'on ploïe facilement un arbriffeau, s d eft arbre il ne fe prête plus k la volonte , d caffe au beu de flechir: par confequent lorfqu'un enfant, un jeune homme de fens froid & avec reflexion cxerce quelque cruauté fur un animal domeftique 011 fur ceux qui ne font point de mal, excepté ceux deftme.s k etre vittimes du plaifir des hommes , il eft effentiel de le punir feyerement,. afin de prévenir les accidens tnftes & funeftes de l%é plus avance. 1 L'on aura peine a croire que ceux qui renferment un germe auffi malheureux , puiffent jamais aimer véritablement leurs pareus, leurs amis,  IV Partie. M ORALE. 297 &c qu'ils foient fufceptibles du fentiment de reconnoiffance : l'on peut auffi douter que leur cceur foit bon, humain , compatiffant & charitable; l'on doit plutöt s'attendre k toutes les difpofitions contraires. De cruelles indices doivent donc être punies févérement , paree que l'on peut préfumer que s'ils avoient plus de force & de hardieffe , ils exer'ceroient fur leurs égaux les mêmes violences que fur les animaux fans défenfe. XXV. Le defir des richeffes , fes inconvéniensl La grande cupidité des richeiTes, Pour bien du monde, n'a que trop d'attraits ; Ce defir nous expofe a des baffeffes, Et fait que nous ne jouiffons jamais. La cupidité des richeffes fouvent nous fait tout facriner ; _honneury repos, amitié , quelquefois aufli ne font point refpeöés. Le moindre obftacle, la plus légere oppofitionaffligent ce trifte defir ; fouvent l'on fe refufe 1'agréable, 1'utile, l'honnête , même le néceffaire, & l'on fe rend digne du N %  29S Le petit Salomon, mépris des belles ames. N'eft-il pa* cent fois plus doux,pkis fatisfaifant, plus heureux d'étendre au loin fes fervjces , de répandre des bienfaits, d avoir un arrondiftement de fociété qui nous eftime, des amis, & non des protégés; de montrer avec eux une égalité, fans exiger des devoirs, pour que le plaifir & 1'arnitié ne pal-Oiffent mouvoir que par un feul & même rcffort. II ne faut avoir de domtftiques que le nombre convenable & néceffaire pour être bien fervi: comme leur ton, leur maintien, même leurs geftes fe modélent fur ceux de leurs maitres , il faut que les exemples qu'on leur donne, n'annoncent pas nos ridicules. L'abondance ne doit point faire commettre les excès; le néceffaire a ia mefure naturelle, nous ne pouvons pas mettre deux habits a la fois ; par cette même raifon, le defir d'une fortune fans borne devient fuperflue, & s'oppofe a la véritable jouiffance. Le luxe , la magnificence femblent toujours annoncer la "vanité de ceux qui font pareil étalage. Par-tout oü l'on voit régner l'abon-  JV Partie. M ORALE. I99 dance,la bonne adminiftration, fans léfinerie ; la fubordination , 1'obeiffance, fans un dur efclavage; 1'abondance , fans profufion , l'on peut conclure que c'eft la maifon d un & de plufieurs heureux, & en meme temps d'un fage. En général, les grandes follicitudes annoncent un avare ; ce n'eft pas toujours dans 1'opulence qu'il faut placer le véritable bonheur de la vie, non plus que dans les grandeurs. 11 n'eft point d'état ou Ion ne puiffe fe faire un tiffu de fentimens agréables, en ie procurant une fuite d'occupations vertueufes & utiles qui puiffent exercer nos facubés , nos puiffances fans les fatiguer. Pour operer ce bonheur, il ne faut qu'une fortune honnête & proportionnelle aux befoins , aux agrémeris reels. Quand on ne defire point de biens au-dela de notre portée , de notre état, c'eft le moyen de fe faire «il rempart contre les chagrins & les ïnquietudes; du moment que le cceur paffera cette ligne marquée par la nature, par la faine raifon , la torN vj  3oo Le petït Salomon. par les fpeftres bnllans & menteurs. XXVI. Sur la liberté. Pour enfeveür dans !e fond d'un cloitre Ses jours, fa fortune, fa liberté'; Ne faut-il pas renoncer a fon êt're > Et peut-on plaire a la Divinité ? Tout le monde convient que le premier, le plus grand & le plus bel attnbut que le Créateur ait donné k 1 homme, c'eft la liberté. N'eft-ce pas en quelque maniere, méprifer ce magmfique don , que d'en faire le facnfice & y renoncer pour toute la vie; eekparoitrépugnef è l'homme, \V femb e que l'on dife k la Divil ;asebeSet°n Un jqur je preflbis mon fupérieur de femmaire, homme d'un mérite ventable,demedirece qu'ilpenfoit de la vocation des perfonnes abfolument clourees; ft me répondit, que, pour renoncer ainfi au monde , a fa tout bete; l'on ne peut mieixprou-  II' Partie, MORAIE. 3 o I ver combien les bonnes & véritables vocations font rares. Un général d'armée qui, pendant plufieurs campagnes , n'auroit point vu 1'ennemi, pourroit-on le couronner de gloire, & dire que c'eft un grand ^ homme, un brave militaire? De même la vertu qui ne peut être attaquée, paree qu'elle eft entourée de murs infurmontables, & Qu'elle neft expofée a aucune féduftion ; pourra-t-on dire que c'eft une vertu a toute épreuve ? Peut-on auffi croire qu'elle mérite autant que celle qui, dans le monde , trouve fouvent k combattre. Dans le monde, l'on peut vivre dans la retraite, dans la piété; l'on donne en même-temps de bons exemples; ce qui devient plus néceffaire que jamais : car ne peut-on pas regarder les parloirs comme les rendezvous des paroles inutiles, des hnes médifances, des rapports minutieux, des nouvelles, des intrigues particulieres , des jaloufies du cloïtre, & Ie délaffement des pieufes & trop ennuyeufes prifons. La tranquillité eft fille de la regie, c'eft par elle que  jo% Le petit Salomon. 1'homme fe renferme dans fa fphere I & dans Pobligation de fes devoirs ; I la véritable vocation ne defire, ne cherche point de diftractions, a moins qu'elle n'y foit forcée par des occupations & des ufages que l'on ne peut changer. Bien des meres ne peuvent donner 1'éducation a leurs filles, foit faute de capacité, foit qu'elles ne veulent pas en prendre la peine, ou par raifon d'état & de fituation. II eft donc néceffaire qu'il y ait dans chaque province plufieurs maifons & communautés; ne pourroit-on pas mettre celles qui exiftent, a 1'inftar des filles de Sainte-Genevieve & autres dans ce genre? L'on n'y fait point de voeux pour la vie , ce ne font point de triftes prifons ; les perfonnes qui au roient une véritable vocation pour la retraite , la priere , .la continence, trouveroient également des afyles tranquilles , affurés; 1'éducation & la vertu de la jeuneffe feroient de même fans danger.  IV Partie. MóRALE. 305 XXVII. Prudence nécejjaire devant les Domeftiques. Gardez-vous bien , devant les Domefliques , De parler contre la Religion ; C'eft s'expofer au vol, a leurs critiques, Bannir la süreté de fa maifon. L'univers n'eft pour Epicure & Spinofa qu'un affemblage informe des ouvrages d'une caufe aveugle ; mais pour les hommes pénétrés de la Religion , pour les hommes fages , prudens 6c vertueux ; eet univers eft un temple augufte habité par un Dieu bienfaifant, qui veut bien leur faire connoïtre une partie de fes deffeins; faire éclater k leurs yeux les merveilles de fa fageffe dans toutes chofes, en leur donnant 1'agréable , 1'utile, le néceffaire ; en ajoutant aux biens dont il les comble, l'efpérance & la promeffe d'une félicité auffi durable que luimême. II ne faut donc pas occafionner aucun doute fur ces heureux avantages; au contraire , Ton doit fortifier les foibles, pour qu'ils rempliffent leurs devoirs avec-exactitude 6c probité.  304 Le petit Salomon. Sans religion enfin, point d'homme vertueux, point de süreté dans les promeffes, dans les engagemens; point d'exattitude dans les devoirs de tous les états, point de fidélité dans le commerce, póint de süreté pour la vie, pour la fortune Sc 1'honneur des citoyens. XXVIII. Les devoirs de chaque état. Pour le bien , le bon ordr-e, il faut aimer Le rang & I'état oü le fort nous place ; L'un & 1'autre , par leur connexité , Veulent des devoirs que rien ne rempiace. Quoique la Religion foit la même. pour tout le monde ; malgré cela, chaque état, chaque profeffion, chaque métier, chaque dignité, a fes obligations, fes devoirs particuliers , qui ne peuvent être remplacés par d'autres bonnes qualités étrangeres a la chofe. Les rois , les fouverains , les grands font obligés de maintenir leur royaume, leurs états dans une paix utile , fouvent néceffaire : de même qu'üs doivent défendre les droits, les  Il' Partie. MORALE. 305 propriétés de leurs fujets ; de maintenir 6c faire vivre les loix dans leur vigueur 6c intégrité ; de choifir, ne garder que les miniftres capables, 6c d'une probité reconnue ; de donner enfin 1'exemple , paree qu'ils font toujours les modeles fur lefquels'l'on fe conforme. Les Prélats doivent n'ordonner que des eccléfiaftiques capables d'inltruire les peuples, 6c les conduire dans la voie du falut. Les curés 6c les vicaires font obligés de veiller avec un foin trés-particulier aux ames qui leur ont été confiées, 6c dont ils font refponfables envers Dieu. Les miniftres doivent travailler k acquérir les connoiffances néceffaires pour remplir fidélement la portion de gouvernement qui leur a été confiée. Les intendans font obligés de veiller avec le plus grand foin a ce que les impöts foient également répartis; empêcher que 1'innocent ne foit opprimé, 6c délivrer la fociété des mauvais fujets. Les Magiftrats doivent d'abord s'inftruire des loix, coutumes 6c ordonnances, afin de n'expofer perfonne k  30Ó" Le petit Salomon. perdre fa fortune, fon l.onneur, oü la vie : il s'enfuit qu'il doit être jufte qu'il ne doit fe laiffer iéduire par au' cuneconfidération, égards puiffance, interets, ou parentée. Les militaires doivent être fïdeles k leur Roi, fervir leur patrie, fans jamais trahir ni i un , ni 1'autre. Les maitres ne doivent exiger que des chofes juftes & railonnables de leurs domeftiques, & rien au-deffus de leur force ; l'on doit les traiter aIeC^doiICClir & bonté' Ia fervitude eft affez dure & pénible peur eux; d faut les faire foigner qua..d ils font malades , paree qu'ils font nos freres : les domeftiques, a leur tour, doivent fidélité, foumiffon, obéiffance, fans murmurer. Le marchand doit vendre a un prix raiionnable, au jufte poids, ou mefure de 1'endroit; ne point abufer de la bonne foi, de la fimplicité de perfonne. Le fermier ne doit pas laiffer ufurper & anticiper fur les terres de fon maitre; ni négliger , ou laiffer perdre les droits qui lui font dus : ainfi des autres hommes , états 6c profeftions.  IV Partie. MORALE. 307 S'il eft beau de partager avec fon fouverain la puiffance abfolue ; s'il eft heureux d'être placé k la fource des honneurs, des graces, & même d'y puifer a fon gre; quel écueil en même temps pour le défintéreffement, la fageffe &c la modération dans le pouvoir! Combien d'hommes arrivent vertueux a ces magnifiques places, & y ont vu échoir leurs principes & leur gloire. II faut, au contraire, que plus l'on a de crédit & de puiffance ; plus il faut qu'une noble &Z belle ame trouve au-deffous d'elie d'avilir fa gloire, par 1'orgueil, ou 1'intérêt. Eft-ce un bien, un grand bonheur," un avantage perfonnel, d'être éievé a des places, a des dignités qui nous tirent de nous-mêmes & qui nous mettent fouvent malgré nous dans le centre de 1'agitation & du tumulte ? Plus les talens, les vertus fe cachent bl s'humilient, plus la voix de la renommée prend foin de les faire connoïtre , de les publier; c'eft ce qui dédommage !e mérite des traits que lui portent fouvent 1'envie , la calomnie.  308 Le petit Salomon. La Providence a fi bien arrangé tout, qu'elle ne compenfe le bieri & le mal, que pour ne pas livrer Phomme de mérite au découragement ou a 1'orgueil; elle a foin de le mettre dans une balance qui 1'éleve,Tabaiffe aiternativement. Nous ferions trop fiers fi nous n'avions que des pröneurs ; trop humiliés fi l'on ne rencontrcit que des détracleurs. Heureufes font les ames fortes qui ne fe laiflent abattre, amolir par aucun contre-temps ! Le jufte dont parle Horace, fait envie quand on en lit la defcription; mais celui de 1'Evangile eft le feul que nous devons imker. Toujours au même degré de bonheur, il ne voit fon repos troublé , ni par les revers, ni par les calomnies , paree que fon exiftence eft intimément unie, divifée vers les chofes immortelles. Enfin, la volonté de Dieu, fa fageffe , fa bonté , font des titres qui nous obhgei.r & exigent de nous une parfaite exa&itude dans nos devoirs.  II' Partie. M O R A L E. 309 XXIX. Vhonnête homme. L'on a bientót dit : c'eft un honnête homme!... Scavez-vous ce qu'il faut pour le former? Je ne dis pas qu'il taille aller a Rome, Soit pour le chercher, ou pour le trouver. Dl O GE NE appelloit les honnêtes gens les images de Dieu. Antifthenes difoit , l'on doit faire plus de cas d'un honnête homme, que d'un parent , paree que les Hens de la vertu font plus forts que ceux du lang. La vie fe paffe a lutter contre foimême quand on veut fe gouverner avec fageffe; car il y a deux hommes en nous, le terreftre & le fpirituel; ils font fans ceffe aux prifes & ne peuvent s'accorder qu'avec une raifon éclairée par la religion, par un coeur droit qui fert de pilote & de gouvernail. L'homme eft donc un objet digne d'admiration ou de pitié , felon la maniere dont il agit & fe comporle. L'on nefiniroit pas fi l'on vouloit détailier fes inconféquences , fes contradicfions avec luimême. Son ame, fon efprit, fa raifon, fa volonté, femblables aux quatre élé-  jio Le petit Salomon. mens, quoique n'ayant rien en euxmêmes de matériel, lè combattent fans ceffe; il en réfulte des tempêtes, des volcans qui défigurent 1'image du Créateur; car plus l'on examine l'homme, plus on reconnoït qu'il ne peut avoir en lui-même autant de grandeur & de majefté, fans être 1'émanation d'une intelligence fuprême. Quand il enchaine fes paffions , qu'il ne leur accorde qu'une liberté raifonnable & chrétienne, il mérite les hommages que l'on doit a l'homme vertueux ; dès-lors il s'annonce pour être véritablement le maïtre des animaux. Les différens états & fituations qui fe préfentent, quand notre raifon peut fe décider , font autant de moyens pour arriyer a la perfection; mais il faut les bien choifir, autrement nous devenons indignes de la fociété, paree que nous troublons 1'armonie qui doit exifter entre les créatures raifonnables. L'homme prefque toujours féduit par des objets ienfibles, fe trompe fouvent fur fa vocation : voila d'oii naït le choc de tant de paffions diverfes qui le mettent mal avec lui-même, qui  IV Partk. Morale. 311 troublent les families, agitent les empires & obfcurciffent les vertus, ReconnoifTons d'abord 1'Auteur de la nature, nous conclueröns enfuite , avec toute certitude , que l'honnête homme felon 1'Evangile & l'honnête homme felon Dieu, 1'eft auffi trésexa&ement felon le monde ; ce qui n'eft & ne peut fe trouver auffi parfaiternent dans toute autre religion. X X X. Le véritable ami, fes confeils. Le confeil d'un ami fcavant & fage El un tréfor bien rare & précieux; II eft utile en tout temps, a tout ige , C'eft pour l'homme , le beau préfent des Dieux. L' a m 1 t 1 é fouvent eft trompeufe, inconftante, fragile , peu fincere. II faut choifir , prendre pour ami celui que nous croyons qui ne nous quittera point, lorfque tous les autres nous auront abandonné, &c qui ne vous laiflera pas périr fans fecours. Cependant il ne faut point former fon unique appui fur l'homme ; ce n'eft qu'un rofeau, qifune herbe qui féche; fa gloire, qu'une fleur qui fe flétrit j fii'on ne chercbe en lui que du  3ii Le petit Salomon. foulagement, du pront, l'on trouvera qu'il y a plus a perdre qu'a gagner; fi vous ne cherchez que vous, vous ne trouverez aufli que vous, & ce fera votre perte. Ces réflexions nous rappellent néceflairement vers le Créateur ; il ne faut donc pas exiger que l'on nous aime uniquement, paree que ce droit n'appartient qu'a Dieu feid, qui n'a point d'e'gal; mais les hommes peuvent cempter fur ce commerce, prefque religieux, d'attentions, d'égards , de foins, de fervices, qui préviennent le defir, devinent le befoin, donnent un prix touchant aux plus petites chofes. L'homme eft fait pour goüter, fentir eet échange perpétuelde goüts , de penfées, de volontés, qui paroiffent animer deux amis du même efprit. La véritable amitié, malgré les occupatiens, la vigilance a fes intéréts , fcait fi bien partager fon ame, qu'elle recueille & rapporte fouvent fes idees a 1'objet qu'elle aime; de facon que le cceur, immobile dans fon choix, fe fixe auprès de lui, quoique très-éloigné, de facon qu'on le retrouve également  II' Partie. Morale. 315 I lement dans la crainte comme dans 1 l'efpérance; de prés comme de loin , I toujours confident Sc confolateur, il I rend tout ce qu'il recoit Sc ce qu'il I doit. L'art d'aimer Sc de plaire ne doit donc pas être frivole dans fes mouvemens, méprifable dans fes motifs, criminel dans fon objet. Quandnous recevons ou donnons des confeils , nous devons defirer que Ton dife de la perfonne qui parle , 011 de celle qui écoute, ces mêmes paroles du fage Job: 1'oreille qui m'écoute eft fatisfaite de moi; 1'oeil qui me voit me rend un témoignage flatteur ; ceux qui me confultent, attendent avec filence mon fentiment pour le fuivre. Cette maxime ne peut être que le fruit de 1'étude de la vertu, de la fageffe; avec cette fcience, l'on a de la douceur dans les moeurs, de 1'affabilité dans les entretiens, de la lumiere dans les confeils, de 1'attachement pour fes amis , le defir de plaire Sc d'être aimé. Tome I. Q  314 LE petit Salomon. XXXI. 11 ne faut prendre aucun parti dans les vives affeclions de Vame, ou du cceur. Si votre ame eft vivement affectée , Gardez-vous bien de prendre aucun partii Quand elle fera calme & repofée , Alors vous écouterez fon avis. Les Athéniens, au premier bruit de la mort d'Alexandre , vouloient rompre 1'alliance qu'ils avoient faite avec les Macédoniens ; mais le prudent Phocion leur dit ; Meffieurs , cette nouvelle eft véritable aujourd'hui, elle le fera encore demain ; ne vous hatez pas , délibérez k loifir, & donnez ordre k toutes vos affaires avant que de vous déclarer. II faut examiner, pefer, comparer & calculer les événemens de fens froid,d'après la faine raifon & la vérité; ces deux flambeaux font fürs; k la faveur de leur lumiere, l'on eft moralement certain que l'on ne pourra s'égarer. Dans lés affaires critiques , l'on ne doit jamais prendre confeil que de ceux qui font capables &c en-  He Partie. MORALE. 315 Itiérement défmtérefles ; autrement ll^on eft trompé pour foi , pour fes I affaires, ou l'on devient, fanslevoujjloir, fans s'en appercevoir, un homme ide partis. C'eft une belle chofe que d'aimer la i vérité;c'eft un grand bonheur delaconInoitre telle qu'elle eft. Les illufions en I prennent tellement 1'apparence, qu'on | y eft fouvent trompé; quand on veut I la voir fans aucun nuage, il faut ou1 blier tout ce que l'on fcait, s'inftruire 1 comme fi l'on ne fcavoit rien, & conI fulter ceux qui font fans prévention. C'eft de nos affeftions bien plus que de nos befoins que naiffent les troubles de notre vie. Nos defirs ont toujours beaucoup d'étendue, notre force eft prefque nulle; l'homme, par fes vceux, tient a mille chofes, par lui-même il ne tient a rien, & prefque pas a la vie dans certaines circonftances ; plus il augmente fes attachemens, plus il multiplie fes peines. L'homme ne peut bien voir que dans 1'image qui lui réfléchit le paffe ; tant qu'il eft dans la chaleur ou dans 1'accablement de 1'adtion, il ne peut juger fainement des autres, ni de luiO ij  5iö Le petit Salomon. même. Les préjugés, les paffions , la violence de la fecouffe qui fe fait en lui, aveuglent fa raifon ; mais quand il eft de fens froid, qu'il revient fur ce qui s'eft paffe, il fe trouve plus défintéreffé, moins prévenu; alors il écoute la vérité , la raifon, 1'évidence le frappe ; il peut alors prononcer, fe décider fans partialité, tant pour lui que pour les autres, XXXII. Refpe&ei la vieillejfe, plaignei lef difformités. Loin d'en lire, refpeétez la vieilleffe; Plaignez auffi toutes difformités ; Car 1'une nous pourfuit avec viteffe , Les autres ne font que trop affligés. Rire de la trifte deftinée qui nous attend tous, vers laquelle nous marchons k chaque heure, chaque minute, avec la viteffe du vol de 1'irondelle ; fe moquer des difformités desautres,dont ils n'ont pas été maitres & dont ils ne peuvent s'affranchir, c'eft montrer peu de raifon, de rêflexion & peu de fond dans 1'efprit, puifque l'on ne trouve rien de mieux a dire, ni d'autre amu?,  IV Partie. M o ral e. 3^7 fement. Rendons plutót grace au Createur , k la faveur que la nature nous a faite, k ceux qui ont pns foin de notre enfance, de notre jeunefle ; refpec; tons aufli la vieilleffe, demandons-lui des confeils, fuivons-les, paree que fonexpérience dolt nous etre un sur- garant de leur fageffe 6c de leur ut!- lité. xxxiu. Van doit ricompenfer fes Domeftiques- De vos gens n'oubliez jamais les foins; lis fupportent vos humetirs, vos caprices, Ils y font forcés par mille befoins ; 11 faut donc récompenfer lettfs fervices. Conservons ceux que nous avons, dranger eft un défagrement ; fouvent l'on change des défauts pour des vices, en outre l'on s'expofe a des dangers. Les domeftiques n ayant pas eu d'éducation,raifonnablement il ne faut pas leur demander ni exiger d eux plus qu'ils ne peuvent; vous aurea beaufecouer un fac, vous nen ferez pasfortir plus d'argent,ou de grain qu'il n'y en eft entre; quant _a-peuprès l'on a ce qui convtent, ft tant s y  318 Le petit Salomon. tenir, par la raifon qu'il n'y a perfonne dé parfait. U ne fuffit pas de payer exaflement les gages de fes domeftiques, l'on doit leur épargner les travaux, les peines mutiles; ne point les gêner fans befoin , ni caufe légitime; en prendre foin quand ils font malades; les fecounr quand ils font dans 1'embarras ; placer leurs enfans quand on le peut, leurs parens s'ils font bons fujets. Je crqis auffi que par préférence on leur doit des fentimens d'humanité , de bienfaifance, de charité. Suivant la Religion, ils font nos freres ; ce n'eft que par 1'effet de la Providence, par un jeu de Ia naiffance & de la fortunerqu'ils nous fervent & que nous ne les fervons pas. L'ancien & le nouveau Teftament nous engagent a récompenfer nos domeftiques, k leur laiffer de quoi fubfifter après nous 6c élever leurs enfans.  U' Pariu. Morale. 319 xxxiv. Les goüts, tufage qu'on en doit faire. Les goftts ne préfagent lien de funefte, Le choix, les excès en font tout le mal; Ce que 1'un aime, 1'autre le détefte , C'eft ce qui concourt au bien général. Il eft difficile d'appercevoir le jufte degré, des'arrêter a la ligne precite quffé^relVfegeconvenable&iyodere de chaque gofit d'avec 1'excès. L'on fe propofe,l'on ne veut meme quufer ave? fageffe pour fatisfaire feulement le befoin.; cette fatisfadion fouvent irrite au lieu d'appaiier, ce qui tatt que 1'abus eft prefque toujours immediatementa cöté de 1'mage que Ion s'eft propofé. S'en tïent-cm^OTnablemenU fatisfaire la feim & la fojf ? Ce feroit un grand bonheur pour 1 h t manité; les excès de 1'un & de 1 autre ne feroient pas périr tant de monde. Scavoir ufer , fans jamais abufer , Quelle bonne, fage & belle maxime! Rarement on voit l'homme s'arrêter, A la ligne que la prudence imprime. Faut-il dans la fociété abufer des • O ïv  Jio Le petit Salomon. tontes, de 1'attachement, de 1'amitié que 1 on a pour nous ? Faut-il oublier les; fervices que l'on nous a rendus? Fareils abus font bien prés de 1'ingratmide nous les condamnons : de nrene faut -il abufer des dons, des bienfaits de la nature ? XXXV. Dijfirence entre t'amour-prcpre & fa vanité. L'amour-propre me paroit néceffaire Pour exciter notre émulation; la vanité , par un effet contraü», Nous expofe a l'humiliation. Par amour-propre, II faut entendre le defir de bien faire, paree qu'il excite notre émulation. Ceux qui fe croient eclairés & fages, n'ont prefque jamais affez d'humilité pour recevoir des confeils, ou fe laiffer conduire par les autres : cependant il yaut mieux etre humble avec de 1'efprit & des lumieres, que d'être fcavant avec une vaine complaifance & a notre défavantage. Souvent il eft heureux d'avoir moms de talens que d'en avoir d'affez  ïl' Partie. M O R A. L E. 3 21 grands pour nous inlpirer de 1'orgueil. - Pour juger du mérite dequelqu'un, il ne faut pas examiner s'il a des vues très-étendues; s'il a beaucoup d'acquis dans les fciences, Ou s'il eft élevé a un haut rang; obfervez plutöt s'il eft humble, s'il fe conduit bien , s'il eft doux 8c bienfaifant, s'il eft fenfible au mépris des autres, 8c fi la privation des honneurs ne 1'afflige point. L'on dit que l'amour-propre de 1'imbécille le perd, que celui de l'homme médiocre 1'égare, que celui d'un homme d'efprit le contient, 8c que celui de l'homme fupérieur 1'éclaire. Celui qui fcait régler 8c commander k fon amour-propre, veut être eftimé ce qu'il vaut 8c joidr des fuccès qu'il mérite; celui dont la vanité eft fans retentie, veut furprendre 1'opinion 8c arracher les fuffrages ; ce dernier obtient fouvent plus de faveur que le premier n'obtientde juftice. Par amourpropre , l'on paroit timide , de même que l'on eft auffi préfomptueux; le premier plait quelquefois, le fecond choque toujours; un vice naturel ne fait qu'un vice, un vice feint en fait deux, O v  322 Le petit Salomon. XXXVI. Lts pertes peuvent fe réparer, exceptê celle des amis. a chaque inftant nous perdons des amis, ( Cela ne peut s'attribuer au caprice ) l'infortune nous laiffe des débris; Mais dans le premier tout eft facrifke. Le même fiecle nous voit naitre & mourir , Fexception en eft fi rare qu'dle mérite la remarque particuliere. Comparons la vie de l'homme a unautel entouré de viöimes, le temps eft le grand facrificateur. Demandez a ceux dont le tour approche, qui voient tomberles premières victimes, s'ils font fort fenfibles & touchés de leur mort; ils répondront que leur tour approche , que le coup qu'ils vont recevoir les occupe, les effraie , & ne laiffe point de temps, ni de place a leur douleur. Ce devroit être la rêflexion de chaque Chrétien, pour fe préparer, fe foumettre au moment marqué par la Providence: cette même rêflexion ferviroit également a nous confoler de la perte de nos proches ,  IV Partie. M ORALE. 313 de nos amis, qui prefque jamais ne peuvent être remplacés. II n'en eft pas de même de la fortune , qui par les fecours des parens , des amis, les proteftions, 1'induftne , les talens, peut être réparée , & fouvent devient plus confidérable qu'elle n'étoit avant les pertes &c les malheurs. Quand l'on fait dépendre ^lon repos, fon plaifir, fon bonheur d'une perfonne avec laquelle on trouve quelque conformité d'humeur , de goüts, d'inclinations, fouvent l'on eft dans 1'inquiétude, dans la peine. Au contraire , fi fon met fa reffource dans la vérité, toujours ftable & véritable , la mort ou 1'éloignement d'un ami nous afiligera peu. Mort de pere, ou mere fera toujours faignante; L'on remplace un ami, du bien , ou une amante ; Mais un vertueux pere eft un don précieux , Qu'on ne tient qu'une fois de la faveur des Dieux. II fembleroit que toutes les chofes jnatérielles &C fpirituelles n'ont & ne peuvent avoir qu'une certaine durée ; quele chagrin, la douïeur, l'affliaion tirent a leur fin, de même que les véntables fentimens: cependant il eft doux O vj,  3*4 Le petit Salomon. de s arrêter fur le fouvenir & 1'inwe des perfonnes que nousaimions; c'eft une mamere de vivre encore avec elles & de prolonger du moins par 1'illufion cette duree fi courte de la vie humaine, qm 1 eft bien davantage pour les fentimens de reconnoiffance & d'amitié . Les longues & vives affliöions aujourdhui font rares, paree que les ventables le font auffi. Les fujets de tnfteffe ne font cependant que trop repetes, mais ils n'ont pas un objet une perfpeöive de défefpoir : d'ailleurs, l'on adminiftre des fecours fi prompts & fi ingénieux, que la diffipation, la confolation ne tardent pas j. fuccéder, c'eft au point que Fon ieroit tenté de n'avoir plus de compaffion pour les affligés. L'on voit des malheurs, des pertes qui font frémir • i on redoute de voir les perfonnes • Ion arnve, on les trouve au milieu d un cercle,parlant, mangeant & buvant a peu de chofe prés, comme k 1 ordinaire. II faut croire que la Providence eft devenue plus prompte & plus fecourable qu'elle n'étoit autreiow, puifque l'on n'a pas le temps de  II' Partie. Morale. 3 if Le Ciel nous donne des amis pour concourir a notre bonheur; il les reprend pour nous avertir de nous prépal er a la vie future ; il nous afflige pour alfurer notre félicité; les peines qu'il nous envoie fervent a nous préferver de peines plus terribles ; enfin, la mort de nos proches, de nos amis , nous réveille de notre affoupiffement, humilie notre orgueil, nous remplit d'une crainte falutaire &c force nos penfées k fe diriger & k fuiyre la vertu, paree que l'homme a été formé pour un bonheur infini; mais le bonheur n'efl fait que pour une grande ame dans fes defirs & dans fes vues; tout ce qui eft vil & petit nous rapproche du mal &c de la peine, en nous éloignant de la vertu. Apprenons donc dn fort apefer les faveurs; Soyons compatiffans par nos propres malheurs, Penfons , préparons-nous aux malheurs & aiw peines ; II faut a fes amis diflimuler les fiennes, L'on ne mérite point le nom de vertueux, Si l'o» ufe du droit de faire un malheut«ux.  3*6 L.e petit Salomon. XXXVII. Le moyen sur pour fe faire aimer. Si l'on veut fe divinifer fur terre , Rien n'eft plus rare , rien n'eft plus aife'; Ufez , pour ceux que le malheur atterre, De pouvoir, crédit & de charité. Il efl certain qu'une perfonne riche & généreufe peut s'immortalifer dès ce monde; il ne faut pour cela ne point laiffer defirer & prévenir les befoins des malheureux, quand on les connoit, paree que qui donne promptement, donne deux fois, &c qu'il y a des moyens d'engager l'homme le plus hér , le plus délicat a recevoir fans peine ni répugnance. L'aumóne n'eft pas un acte de générofité, c'eft un devoir de religion , la Morale même 1'exige. Donner k propos, avec difcernement , grandeur &c délicateffe ; s'impofer une privation, faire quelques facrifices pour donner davantage & fans que l'amour-propre s'en fouvienne ; réparer les torts de la fortune en faifant fortir le mérite de 1'obfcurité ; deviner les befoins d'un honnête homme malheureux, kb donner  IV Partie^ MORALE. 327 avec une forte de refpect; prévenir les defirs d'un ami,redoublerd'égards, de ménagemens a mefure que l'on redouble les bienfaits : voila le cbemin ,, la conduite d'un coeur véritablement généreux, paree que la générofité eft la vertu des belles, des grandes ames 5 la grande ame , par elle - même, eft toujours ce qu'elle eft, a caufe que fes vues,'fes intentions font élevées, dif— tinguées comme elle. II faut diftinguer 1'humanité bienfaifante d'avec le fimple mot d'humar nité. Les Philofophes modernes fubftituent finement ce beau mot k celui de cbarité, paree que 1'humanité fimple n'eft qu'une vertu païenne , que la charité au contraire eft une vertu chrétienne. II femble que la philofophie adtuelle ne veuille plus de tout ce qui tient au Chriftianifme, c'eft démontrer aux yeux de la raifon qu'elle n'aime que ce qui eft vicieux. Les anciens Philofophes deliroient connoïtre le vrai Dieu par les révélations; les nouveaux rejettent celles que l'on ne peut méconnoïtre , ils fe trahiffent eux-mêmes; s'ils avoient 1'efprit droit,. le cceur pur; s'ils étoient humains,  318 Le petit Salomon. comme ils le prétendent, ils recevroient avec refpect & confiance une Religion qui ordonne expreffément l'amour du prochain, qui promet une récompenfe éternelle a ceux qui auront fecouru leurs freres, & qui ont été fïdeles a. leur Dieu, a leur Roi, k leur Patrie. Cependant tous ces grands Ecrivains modernes emploient dans tous leurs écrits les beaux mots de légillation, de patriqtifme & d'humanité; il eft aifé de voir qu'ils fe jouent du public crédule, qu'intérieurement ils ne font point patriotes & humains, paree que la bouche parle ordinairement de 1'abondance du cceur, & les actions viennent a 1'appui. II y a des bontés froides & parelfeufes qui ne fe refufent a rien, ce ne font pas les plus méritoires. II faut donc chercher le befoin , le prévenir s'il étoit poftible; connoïtre & voir par foi-même les détails de 1'infortune, foulager des families malheureufes; encourager les talens, recommander le mérite obfeur; procurer des travaux, particuliérement k ceux qui font habdes & ignorés j folliciter  IV Partie. Morale. 319 les perfonnes puilfantes pour arrêter les injuftices & les malheurs; être ferme envers les grands , humain pour les inférieurs, les infortunés; punir févérement les fautes contre les loix & 1'état; pardonner facilement celles commifes contre nousmême; ménager avec une économie févere la fortune de 1'état, ou celle qui nous feroit conhee; être bienfaifant & charitable pour les pauvres citoyens , agriculteurs & malheureux de toute efpece & condition : après cela , lailfez dire les méchans qui montrent leur fortune, cachent leur cceur, & foyons affuré que s'il eft un exemple de bonheur fur la terre, il fe trouvera dans ces perfonnes, c'efta-dire dans l'homme de bien véritable. XXXVIII. Des jugemens par comparaifon. Nous jugeons fouvent par comparaifon ; Qui pourroit cléfapprouver eet ufage? Quand 1'efprit manque de combinaifon, Ce parti alors doit paroitre fage. Il faut diftinguer les trois opérations de 1'efprit qui font très-diffé-  33° Le petit Salc-iMON. rentes , quand il entend, comprend, &: qu'il juge. II eft pofiible d'apprendre a juger; les études peuvent faciliter rentendement ; mais l'on n'apprend point a fentir, d'ordinaire ce fentiment eft inné. Les petits efprits font fujets a douter, a fe méfier de tout ; les efprits juftes &C éclairés fe déterminent facilement, Sc jugent bien. Pour juger par comparaifon , il faut prendre garde aux méprifes , & ne pas confonJre les bonnes qualités avec les imperfections , & diftinguer les vices d'avec les défauts : fouvent'~ l'on ne met pas de diffé'rence entre les vices du cceur & ceux de 1'efprit. L'homme brufque paffe pour être dur, l'homme dur pour cruel; quelquefois auffi l'on prend le vice pour la vertu, la vertu pour le vice. L'on appelle le fafte générofité , 1'économie avarice , 1'imprudence franchife, la franchife méchanceté , 1'humeur fenfibilité , 1'infenfibilité courage. Que de vues ! que d'élévation dans une perfonne véritablement honnête ! que de lumiere dans fes connoiffances, dans fes jugemens! que de süreté dans  II' Partie. morale. 3 3 t fon commerce! quelle délicateffe dans fon amitié! quel zele dans fa reconnoiffance ! quelle modération dans fes reffentimens ! quel défintéreffement dans fes démarches! quelle nobleffe dans fes procédés! quelle exacfitude dans fes devoirs ! quelle équité dans .fes décifions! L'on conviendra qu'une ame douée de toutes ces qualités, prendra difficilement le change dans Jesjugemens qu'elle portera, foit pair comparaifon, ou autrement. Juger l'homme d'après fes actions , C'eft le voir, le juger en homme fage ; Si vous y joignez les comparaifons , Tout devient profit , ou défavantagèV XXXIX. Douceur dans les avis & les reproches. Dans nos avis , comme dans nos reproches , Parions & reprenons avec douceur; C'eft le moyen de dompter les féroces, C'eft auftï celui de gagner le cceur. Les repréfentations, avertiffemens, reproches & confeils, doivent fe mefurer fur les perfonnes , leur état, leur naiffance & 1'importance de la chofe; il faut que la politelfe prenne  '33i Le petit Salomon. une tournure différente; elle doit être refpectueufe envers les grands, les perfonnes en dignité , fans qu'elle perde rien de 1'aifance, de la liberté; le grand ufage du monde fait connoïtre les limites de cette efpece de familiarité.: l'on peut donner des avis, des confeils, gronder vivement & férieufement, fans néanmoins franchir les limites, & fans jamais bleffer. II faut auffi connoïtre la mefure jufte de la fenflbilité , de l'amourpropre, pour feulement les effleurer, & que la franchife foit affez flatteufe pour que l'on puiffe entendre la vérité. Avec nos égaux, nos inférieurs, quoique la route foit ordinaire, cependant il ne faut pas perdre de vue la différence des caracteres; tel moyen qui réuffiroit a 1'un , ne peut fervir k 1'autre : en général la douceur, en intéreffant & flattant l'amour-propre, affure prefque toujours le fuccès; néanmoins il eft quelquefois néceffaire de donner quelques petits ridicules, pour égratigner légérement ce même amour-propre. - Avec une politeffe aimable & naturelle, une fageffe douce bc tolérante,  IV Partie. morale. 33f un ton bienfaifant, ou d'amitié, l'on réuffira dans les repréfentations , avertiffemens &c confeils. La douceur, la fenfibilité font les heureux préfages des grandes vertus, paree qu'elles font ordinairement accompagnées de Pindulgence, de 1'humanité, de la piété. La douceur eft donc d'un grand prix quand elle eft vertu, elle a peu de mérite quand c'eft indolence, X LP Sur l'exemple des Grands, Lorfque le feu prentl au premier étage , L'incendie gagoe vite au fecond; Dans 1'inftant le défaftre, le ravage, Détruifent totalement la maifon : C'eft, ener ami, la véritable emblême Des exemples que nous donnent les grands% Leur fageffe , ou criminel ftratagême, Gagoe tous ies états & tous les rangs. Quand le Ciel donne aux princes,1 aux grands d'un royaume, une ame fenfible & tendre avec les fentimens d'une véritable religion, les fcandales qui la détruifent, la défolent, feroient effacés par leur foi, par leur culte ; ^ quand ils paroiffent aux cérémonies  II' Partie. Morale. 335 cette fidé'ité délicate qui doit marqu?r tous les momens de notre vie. Leurs exemples feront revivre , affermiront les loix, les préceptes évangéliques; il feroit néceffaire que les grands donnaffent autant de bons exemples qu'ils recoivent d'hom-mages. En effet, quel trifte & affreux privilege! fi l'on cfoit tout enfreindre, en ötant au crime, toute fahonte; au vice, tout fon fcandale ; au défordre, fon obfcurité; a la Religion, fon bandeau facré , & de précipiter toute une nation dans des malheurs irréparables, en 1'accoutumant a donner & attacher des ridicules au refpeót des loix & des faintes pratiques. II n'y a point de peuple auffi doux, auffi liant, & qui fe plie avec autant de facilité, que celui de la nation francoife ; l'on peut en conclure que fitót que les grands feront pieux , vertueux, qu'ils s'occuperont de leur bonheur, l'on verra bientót un changement général. La première réfiftance coütera beaucoup, le changement paroitra dur, même impoffible. Les laches commencerontpar des acfes  344 Le petit Salomon. pla1fances, les petits fervices ferviront de monnoie, qui, faute de groffes pieces, feront cependant le total d'une groffe fomme. Un Roi de Pologne pret a nommer un Eleöorat, dit : Je vais faire cent mecontens & un ingrat. Le bon mot pouvoit être véritable, paree qu'il y a beaucoup d'ingrats. Ne pourroït-on pas auffi reprocher que fouvent l'on oblige mal, ou que l'on efl trop exigeant ? C'eft afTez le défaut des grands & des perfonnes en place; ils auroient moins de fujets de plaintes fi, pour leurs bienfaits, ils n'exigeoient rien contre la Religion, 1'honneur, 1'honneteté , la juftice. Paree que vous m'avez fait Elecleur, feut- 3 que je me déshonore, que j'oublie mes devoirs, que je facrifie mes fujets, que je les mette fous une fervitude contraire a fes droits ? Que j'immole ce qui m'efl cher, & que j'oublie Véquité ? L'homme généreux , bienfaifant ne ie plaint point de 1'ingratitude de ceux qu'il oblige, il fe contente de les plaindre. La reconnoiffance ne doitelle pas être égale pour celui qui  3 II' Tank. Morale. 34^ donne & celui qui recoit ? N'eft-ce pas nous obliger que de nous fournir 1'occafion de faire du bien ? Lorfque l'on efl forcé de cboifir entre fon bienfaiteur &l fon ami, 1'auftere vertu décide peufr-être en faveur de la reconnoiffance , mais le cceur vole a fon ami. II ne faut pas donner goutte a goutte, ni trop s'affujétir a des aumónes réglées , crainte de n'avoir plus rien pour ceux dont le befoin eft extreme. La Religion eft trop grande pour apprf^uver les petites ames qui obligent avec hauteur, & qui font fentir 1'importance de leur fervice. II faut paroitre auffi humble que celui qui reco it. L'infipide plaifir d'amaffer des écus peut-il fe comparer a la fatiffaction de faire des heureux , au bonheur de mériter & obtenir une récompenfe éternelle ? II y a trois fortes d'ingratitude; celle de nepas fentir le bienfait, celle d'en perdre le fouvenir , & celle de prétendre de s'en être acquitté; cette derniere eft encore plus vile que les deux autres. Trois chofes fixent la nature d'un bienfait, le fentiment qui P v  346 Le petit Salomon. 1'accompagne , 1'a-propos tk la maniere. L'on prife le fervice d'après fon importance, cela paroit jufte ; il n'en eft pas de même relativement au bienfaiteur. L'homme riche qui prête deux cents louis d'or, fait beaucoup moins qu'un, peu riche, qui n'en prête que dix. En général l'homme eft fi intéreffé , fi avare qu'il regarde les fervices d'argent comme les plus grands de tous. Quoi qu'il en foit, rien ne doit faire oublier les bienfaits, ni diminuer 1'obligation du fentiment de reconnoiffance , pas même le regrêt ou les reproches. L'on peut tout foup^onner, tout attendre & craindre de quelqu'un incapable de reconnoiffance. Cicéron a d'it que tous les vices étoient dans le coeur des ingrats. Peut-être que 1'ingratitude feroit plus rare fi les bienfaits intéreffés étoient moins communs. L'on aime ce qui nous fait du bien, ce fentiment eft naturel; fouvent 1'ingratitude n'eft pas dans le cceur de l'homme, mais 1'intérêt; il en réfulteroit qu'il y a bien moins d'obligés ingrats que de bienfaiteurs intérefles.Quandl'on vend fes dons, il eft permis de marchander  11' Partie. Morale. 347 fur le prix ; & quand l'on feint de donner, l'on vend ce que l'on veut avoir; alórs c'eft ufer de fraude. Ce font donc les bienfaits gratuits qui lont d'un prix ineftimable, & qui mentent une reconnoiffance fans bornes. Le cceur enfin ne recoit de loix que de lui-même, & fiat fon mouvement naturel; en voulant 1'enchainer on le dégage; pour mieux 1'enchainer il faut le laiffer libre. Rien n'eft plus rare de voir quelqu'un oublier véritablement fon bienfaiteur ; au contraire , il en parle toujours avec plaifir, il n'y penfe qu'avec attendnffement. S'il trouve occafion de lui montrer par quelque fervice inattendu, qu'il fe reffouvient de ceux de fon bienfaiteur , avec quel contentement intérieur n'y fatisfait-il pas? Avec quelle douce joie il fe fait connoïtre ! avec quel tranfport il lui dit , mon tour eft venu! Voila bien la voix, 1 exprelfion de la nature. Jamais un vrar bienfait n'a pu faire un ingrat. Néanmoins l'on dit fouvent que la cnnnoiflance des hommes éteint, atfoiblit 1' humanité, les bienfaits , qu'elle empêche de s'occuper du bonheur de  372. Le petit Salomon. L V. Uambltion , les tourmens qtüelle caufe. Lorfque votre foif paroït fatisfaite , Ne croyez pas en être plus heureux ; Les defirs fe fuccédent, fe repetent, Afin de tourraenter 1'ambitieux. L'on grava jadis en lettres d'or au temple de Delphes, ces trois importantes maximes du fage Chilon... ■Connois-toi toi-même; ne defire rien de trop ; fuis les proces & les dettes: il croyoit que 1'obfervation de ces trois préceptes pourroit procurer une vie heureufe. _ Bien des perfonnes croient auffi ajouter a leur grandeur ce qu'ils ajoutent a leur fafte, & penfent, par lui, augmenter leur mérite ; en effet, il feroit commode d'avoir du mérite a prix d'argent. Les petits font par oftentation, ce que les grands fe croient obligés de faire par état: c'eft une chimère que les prétendues obligations d'état en ce genre; elles ont ruiné plus de families, que la libéralité des Rois n'en a pu enrichir; c'eft de-la que      L E PETIT SALOMON O U LE VÉRITABLE AMI.   L E PETIT SALOMON O U LE VÉRITABLE AMI. OVVRAGE conttnant des lecons de morahy de vertu c'eft" au college que Bourdaloue, BofTuet Racme, Boileau, &c &c &c  T" Partie. Religion. i fi ont été élevés , ainfi que tous nos grands orateurs & poëtes renommés ; 1'éducation publique peut donc fuffire &c produire Ie développement général des grands hommes, des grands talens. II faut convenir que l'on peut avoir des inquiétudes pour les moeurs dans les colleges; eet inconvénient eft affurément d'une grande imporfance. Les moeurs dans 1'éducation particuliere font-elles bien moins fans danger? & peut-on les croire, les fuppofer trés a couvert? il ne faut pas 1'imaginer; en outre les qualités morales ne peuvent y germer. Peut-on favoir pofitivement ce qu'il faut le plus redouter pour un enfant élevé chez fes parens, ou du falon, ou de Fantichambre, ou de la chambre des Bonnes & de celles des Femmesde-chambre ? Les formes gauches, rudes & groffieres des colleges, font fufceptibles d'être très-promptement policées, corrigées, adoucies , quand le defir de plaire & d'être comme tout le monde s'empare d'un jeune homme, &bientötles petits préjugés^eh outre peu dangereux, de fon éducation momentanée , font oubliés en peu de  i4 Le petit Salomon; temps: au lieu que ceux de 1'éducatiöri particuliere rarement s'effacent; & malheur a celui qui entre dans le monde , fans fcavoir ce que le monde n'apprend jamais , & fans être muni contre fes faux & déteftables principes. < Si les peres & meres veulent être aimés , refpeöés par leurs enfans , il ne faut pas qu'ils les élevent chez eux; ils font d'abord de petits auditeurs , de petits obfervateurs ; enfuite de fideles imitateurs de leurs foibleffes, de leurs défauts ; ils apprennent a les connoïtre, & n'ont pas* d'autres modeles , ce qui fait qu'ils font bornés , & qu'ils ne fe connoiffent pas euxmêmes. Un enfant ne s'en rapporte prefque jamais a ce que lui dit un maitre fur fes défauts ; ce n'eft que par fes camarades qu'il peut en être fructueufement inftruit & corrigé. C'eft dans les colleges, dans les clafles que l'on acquiert la grande fcience de fe connoïtre & de connoïtre les autres : l'on y juge, l'on y eft jugé, & la juftice a eet égard eft - ordinairement süre ; l'on y apprend tous fes défavantages, paree que l'on ne laiffe point ignorer les difformités, la lai-  T" Partle. Re lig ion. if deur, le peu d'efprit, la maiadreffe , 1'air gauche, les défagrémens perfonnels ; tous les défauts enfin y font foumis a la cenfure ; les vices y font contraints a fe déclarer la guerre; la vanité n'eft point foufferte; 1'ingratitude y fait horreur; 1'avarice y eft vexée, les tracafferies abhorrées , le menfonge méprifé , l'affe&ation raillée , 1'humeur repouffée , 1'ofFenfe rendue; 1'efprit & les talen s y font préconifés; l'on fe quere.lle, mais l'on s'y foutient. mutuellement ; l'on s'y défend , l'on s'y fert, &c l'on s'y oblige Le choc des défauts, 1'ac- cord des qualités, le contrafte ou le rapport des fentimens, dévoïJe, étend cV perfectionne les idéés. Les claffes font de petites républiques; ce n'eft que dans leur fein que les carafteres vertueux, courageux ,généreux,peuvent véritablement fe former. Enfin,. fi 1'éducation publique ne parvient pas a agrandir un efprit, un fujet naturellement médiocre, elle hate &C augmente infiniment les progrès d'un efprit qui promet, & d'un caraftere qui s'annonce. En général les hommes ne doivent  h6 Le petit Salomor. point fe mêler de 1'éducation des demoifelles, ni les dames de celle des garcons. II feroit k defirer que pafTé I'age de quinze k feize ans, les demoifelles retournaffent avec leurs meres; que les meres fuffent alfez raifonnables, & vouluffent bien prendre la peine de les former, tant pour Ie monde, que pour conduire une maifon & pour en faire les honneurs, afin d'éviter k un mari le défagrément de précepteur, de gouverneur; ce qui fouvent occafionne d'abord les petites plaifanteries , les ridicules ; viennent après les brouilles légeres, les refroidiffemens; cela finit par des difputes férieufes, & quelquefois des ruptures facheufes & totales. II y a dans 1'éducation de i'enfance & de la jeunelfe des ufages, des préjugés dont il feroit difficile de donner des raifons fatisfaifantes. Pourquoi ne J5as habituer des enfans k fe fervir également des deux mains ? Un jour 1'enfant mangeroit avec la droite,le lendemain avec la gauche, dans tout il fe ferviroit alternativement des deux. Cela rendroitles deux cötés également adroits, également ferviables, utiles  F' Partie. RELIGION. U & particuliérement cl'égale force; ce qui arriveroit infailliblement, fi, pendant la jeuneffe, de même que pendant la vie , l'on obfervoit de fe coucheralternativement furies deuxcötes. II en réfulteroit donc qu'ayant des forces également diftribuées dans tout le corps, les liqueurs le feroient auffi & mieux en équilibre ; que 1'homme en feroit plus fort, plus vigoureux, & qu'il jouiroit d'une meilleure fante. L'on obferve facilement que fitöt que l'on a le plus petit mal a la main droite, öu que l'on a été faigné , l'on ne peut plus rien faire, que l'on auroit prefque befoin que l'on nous fafle manger; qu'un militaire eft toujours expofé k perdre le bras droit, paree qu'il fert k fa défenfe, & qu'il le met toujours en aftlon, quoique 1'autre fouvent lui feroit plus favorable; s'il a le malheur de le perdre , il ne peut plus écrire. Si l'on apprenoit k éenre des deux mains, les fignatures feroient bien plus süres, plus authentiques, plus dimciles k imiter, de même que les lettres dans lefquelles l'on pourroit écrire des deux mains une demi-page de 1'une, une demie de 1'autre, quand  i8 Le petit Salomon. ij feroit queftion d'une affaire effentielle : voici les avantages que j'y trouve, fans appercevoir de raifons qui piuffent les combattre. Pourquoi fe fait-on un plaifir, une habitude, d'élever, d'accoutumer les jeunes gens a agacer & attaquer le iexe ? C'eft avec raifon que l'on éleve les demoifelles a la vertu, qu'on les mumt, qu'on les fortifie contre les attaques. D'oii vient cette inégalité dans 1'éducation des deux fexes? Pourquoi ne pas former les jeunes gens d une facon plus retenue, plus réfervee; en les apprenant a être doux, honnetes, polis, attentifs, complaiians, refpeftueux dans leur maintien, &_tres-réfervés dans les propos, ce qui ne fe voit prefque plus aujourd hui. Comment! il faut que le fexe le combatte lm-même, qu'il combatte ion penchant naturel & celui de 1 homme? C'eft deux contre un; la partie n'eft pas égale, la loi ne 1'eft plus auffi : c'eft donc une injuftice & un faux préjugé dans 1'éducation.  I ' Partie. religion. 19 I I". Entree de la Jeunejjè dans le monde. Jeuneffe ! tu foupires après ta liberté! Tu defires un etat, foit militaire ou charge ! Tu crois que dans le monde eft la félicité ! Que tout y eft bonheur, plaifir & avantage! Le monde efl plein de phantömes, d'illufions, nous trompe a chaquepas que nous y faifons; nous n'y trouvons prefque jamais ce qu'il fembloit nous promettre , paree qu'il eft rare qu'il tienne parole ; l'on efpere toujours agrandir fa liberté , c'eft une erreur. L'on veut un état, une charge; l'on contradte un engagement ; les affaires, les occupations, les enfans viennent k la fuite ; il faut remplir fes obligations, des devoirs importans; la probité, la juftice 1'exigent, & nous y obligent : d'encore en encore l'on fe trouve efclave fans le prévoir & fans que l'on s'en doute. L'on peut donc en conclure que la jeuneffe, a tous égards, eft le temps de la vie le plus heureux; malgré la gêne, la fubordination & le travail de notre  io Le petit Salomon: éducation, c'eft ce que l'on ne peut: periuader aux jeunes gens. L'éducation de 1'enfance n'eft que la preparation a celle de la jeuneffe ' cettefeconde eft plus intéreffante, plus effentielle & Went plus négfee , Pflne un jeune homme a-t-il finffes' etudes , bien ou mal faites , que , fans lui cionner de guides pour le conduire dans le monde, fans prendre de précautions pour le garantir contre les dangers, on le laiffe maïtre abfQlu de fes demarches. Sans expérience, fans confeils, lui feul fait le choix de fes amis, de fes focietes ; il ne réferve plus aucun temps pour le travail; les jours ne fuffilent point a fa diffipation, les nuits font e fupplement. Doit-il entrer dans le militaire, on le place dans un corps enattendant la guerre; eet intervallè s ecoule par conlequent dans 1'oifivete ou le libertinage. Eft-il deftiné pour la magiftrature ? des le9ons fuperfieielles de droit peu fuivies, quelques thefes arrangees par un ami, un étranger, loutenues avec un apparat, & de legers examens, font les épreuvesdont ,on le contente pour lui donner la fa-  ï" Partie. RELIGION. %f culté de décider de 1'honneur, de la fortune, de la liberté, de la vie même des citoyens. L'impatience des parens ne leur donne pas ieulement le temps d'attendre que le nombre des années donne au moins plus de conüftance au caractere, plus d'expérience 6c de jugement a 1'efprit, l'on a grand foin d'avancer Fépoque fagement fixée par les régiemens. Les préliminaires pour 1'état eccléfiaftique, fouvent ne font pas mieux foutenus 6c fuivis. Avant d'avoir un rang, un état, avant d'entrer dans la fociété , n'eft-il pas néceffaire d'apprendre tout ce qui les concerne? Un jeune homme ne devroit donc point paroïtre dans le monde avant dix-huit ans, non fur fa parole, ni fur fa bonne foi, mais fous la conduite , foit paternelle, foit de quelqu'un de sur qui la repréfente, 6c dont il dépendroit au moins jufqu'a vingt ans. Puifque l'on eft fi preffé de donner un état a fes enfans, qui fouvent font jncapables, il feroit du ;ïnoins a fouhaiter, 6c même néceffaire, que toute efpece de graces, foit charges, régi-  ii Le petit Salomon. mens, bénéfices, furvivances, lettres de difpenfe d'age , ne fuffent jamals accordés avant vingt-deux ans, & qu'a cette époque, ce fut pour les talens & le mérite prouvés, non par quelques fuccès légers & paffagers, mais par une conduite conftamment foutenue. Toutes les graces, les faveurs précoces & non méritées font 1'écueil & la perte de la jeuneffe, qui, quand elle fe voit arrivée a tout ce qui peut fatisfaire fon intérêt, fa vanité , ne met plus de frein a fes goüts, a fes paffions, & refte fans honte dans fes égaremens , fon ignorance , & fon incapacité. Rccherchez dès votte tendre jeuneffe La bonne compagnie , fes plaifirs ; Si ce goüt vous fuit jufqu'a la vieilleffe, II vous fauvera bien des repentirs. II y a tout a gagner avec les perfonnes vertueufes & fages. Dans la bonne compagnie l'on s'amufe, l'on goüte également les plaifirs analogues a tous les ages; ce font ceux qui ne nous expofe'nt point au repentir, k la douleur. ;  V" Partie. Religion. %y lïi. Vertus, capacitè & qualités nêcejfaires a ceux qui fe chargent de C Éducation de la Jeuneffe. Vertus , capacité , fans nulle ambition , Doivent fe réunir pour former ïa Jeuneffe % II faut en inflruifant, fuir 1'adulation , Peu de préférence, des égards fans foibleffe.' La bonne éducation fortïfie le pen« chant au bien, affoiblit celui vers le mal; fon objet principal efl de rendre les hommes meilleurs & vertueux. Pour y parvenir, il faut les conduire a la raifon par la raifon démontrée ; on les rendra raifonnables en écartant d'eux Terreur & la vanité préfomptueufe; en les éclairant, en les difpofant a réfléchir; en leur infpirant par degré le goüt du travail, des occupations folides; c'eft le vuide de 1'efprit , la privation des lumieres qui font adopter, accueillir les miferes, les préjugés, les bagatelles, qu'une tête bien meublée ne manqueroit pas de rejetter 6c de mé-. prifer.  24 Le petit Salomon. Pour opérer ce grand & magnïfiqne ouvrage ; pour rendre Phomme digne de fon créateur, & capable de fervir fa patrie, il faut chercher & être affez heureux pour trouver, foit maïtres, inftituteurs, précepteurs ou gouverneurs qui foient eux-mêmes perfuadés des obligations qu'ils contra dient, des vérités qu'ils vont &c doivent enfeigner. II faut donc qu'un maïtre quelconque agiffe, fe comporte comme un bon pere de familie fage & éclairé, qui ne veut pas faire de fes enfans des efclaves , des hypocrites, des imbécilles , des hommes manqués ; mais des fujets qui lcachent rendre k Dieu ce qui lui eft dü , k la Religion ce qui lui appartient, a la Société ce qui lui conyient; & le premier de tous les devoirs eft d'apprendre a aimer le Seigneur, & k ne rien faire qui puifte lui déplaire. II faut faire voir k fes éleves les écueils des paffions, des plaifirs défendus, par des expreffions vigoureufes, par des exemples frappans ; leur perfuader que fans 1'oifiveté , la plupart des plaifirs auxqueis on fe livre  T" Partle. Religion. 2,5 livre n'auroient aucuns attraits ; que dans le défoeuvrement l'on s'en fait la plus brillante idéé , de même que par les rêves qui nous repréfentent mille chimères agréables. Quand un jeune homme eft bien perfuadé que ce n'eft que par zele, attachement & pour fon bien qu'on lui parle raifon, & non par humeur, il écoute, & les avis ont un heureux effet. Ayez foin de procurer de 1'argent a vos éleves, pour qu'ils apprennent de vous a n'être point avares, & pour qu'ils foient en état de fecourir les malheureux. II faut fuivre 1'ufage qu'ils en feront; fi l'on appercoit de la léiine, ou de la prodigalité, alors il faut diminuer ce qui leur aura été accordé. L'efprit d'équité défole les jeunes gens qui réfiftent a la fageffe, paree qu'ils fentent malgré eux que Ton a raifon, qu'ils n'ont rien k repliquer. II faut que des jeunes gens aiment k aller chez pere & mere; qu'ils s'y plaifent, qu'ils y trouvent plus qu'ailleurs les douceurs, les agrémens de Jeur age. La jeuneffe, après avoir acquis des connoiffances, quand elle eft parvenue Tornt I. B  26 Le Petit Salomon, a 1'ufage de raifon, diftingue parfaitement fi le maitre 1'a bien ou mal inftr'uit & avec défintéreffement, fi les peres & meres lesont convenablement récompenfés; s'ils n'ont véritablement mérité qu'un fimple falaire comme de vils mercenaires; alors ils perdent les fentimens d'eflime, d'affeöion, de confidératión & de reconnoiffance dont ils pouvoient s'affurer pour eux & leur familie ; ils forcent donc, pour ainfi dire, leurs éleves k les oublier, &c fouvent a les méprifer. Maitres & maitreffes, repréfentezvous donc des enfans nés avec des germes plus ou moins abondansfoit pour le bien foit pour le mal, dont les idéés, les fenfations, les fentimens, fans forme & fans confiftance, ne peuvent fe montrer qu'imperceptiblement, & que par des lueurs fugitives. Si, dans ces premiers momens de foiblelfe , Pihterêt, la cupidité & 1'adulation vous dirigent, vous en ferez bientót maïtres ; non-feulement vous corromprez leur vie, ce fera autant d'efclaves que vous abandonnerez aux paffions, & leur ame fe trouvera difpofée k recevoir le germe de toutes les erreurs poffibles.  ƒ' Pame. Religion. 2,7 Que doit-on craindre pour 1'éducation d'un enfant illuftre ou très-riche ' c'eft que la vérité timide ne faffe qu'appercevoir les grandeurs, les ri« cheffes dont 1'enfant eft entouré, fans ofer 1'approcher , ni montrer avec fermeté fes lumieres; alors, molle & complaifante , elle bégaie en tremblant,n'a pas la force de parler, Sc moins encore de répéter ; bientót l'on oublie fon devoir, le defir de plaire ne laiffe prefque rien a 1'autorité de l'inftrudion, paree que l'on voit fon maitre, fon bienfaiteur, fon protecteur -dans fon éleve ; c'eft ainfi que l'on immole les vertus, la fcience & Ja gloire de toute fa vie. L'éducation d'un Grand femble exciter le cri intérieur qui avertit de fon pouvoir ; il femble auffi que la nature, de concert avec la fortune , le condamnent a être amolli par 1'excès de 1'indulgence ; l'on craint de le perdre, fi Ton écoute trop la néceffité de Tinftruire ; voila comine des égards faux & mal entendus amortiffent , anéantiffent le prix du moment & Tintérêt de Tavenir fi néceffaire a Tenfant. Quelle force ou quelle fageffe pourra B ij  2.8 Le petit Salomon. donc fauver un jeune éleve, li les rnaïtres, fuivant le fyftême malheureux d'aujourd'hui, réduifent tout en principes, prefque toujours faux , même la religion ? II n'y aura donc que Dieu qui pourra 1'éclairer, s'il daigne le regarder d'un oeil de pitié ; le fecourir d'une bienfaifance particuliere , en agrandiffant fon ame , en Félevant a la hauteur des devoirs auxquels il le deftine, en lui infpirant des fentimens immortels & analogues & la Religion qu'il doit pratiquer? II en réfulte qu'il faut néceffairement que les rnaïtres que l'on choifit aient les qualités fuivantes: i°. 1'ambition &C 1'intérêt ne doivent point entrer dans leurs vues , ni influer fur la conduite de leurs éleves, paree que plus le dépot eft précieux, plus les peres & meres doivent être difficiles dans le choix des rnaïtres, quoique dans tous les états & conditions ila foient également chers a la Religion 1 a FHumanité, a FEtat; z°. il faut avoir de la patience, de la douceur; ne ja-| mais punir par humeur, dans la colere, ni mal-a-propos, paree que fur cela les enfans ont un dilcernement plus  T" Partie. religion. ï$ grand qu'on ne penfe; 30. la pre-, miere, la plus effentielle de toutes les fciences, c'eft la religion, la vertu; ce font les pierres fondamentales de 1'édifice; 40. il faut étudier les enfans ; les uns demandent, exigent d'être conduits avec plus Ou moins de févérité; les uns par raifon, les timides par beaucoup de douceur. Le grand talent des rnaïtres confifte donc a bien connoïtre la fource d'ou dé* rivent les fautes, afin d'humilier, ft c'eft orgueil; d'encourager, ft c'eft pareffe; de mortifier, fi c'eft mollefle; de réprimer, fi c'eft pétulance; 50. l'on fait naïtre le defir de mentir, de trom-, per, quand on montre de la méfiance.1 Le ton doux $c d'amitié flatte, engage a bien faire ; fouvent 1'air févere bleffe & irrite. L'efpionage accoutume les jeunes gens a être hypocrites 6c faux amis. II faut étouffer 1'ambition, exciter 1'émulation; fans cela, l'on ne fait que des hommes vains, ou imbéciles. II faut enfin que des rnaïtres fages, éclairés, faififfent tous les goüts & penchans de leurs éleves, afin de fcavoir reftifier les caprices , calmer B iij  30 Le petit Salomon. quand ik font brufques; flatter en quelque facon les penchans, pour tmeux en découvrir la faulfeté & affennir devant eux tous les pas glifians , il feut, avee autant de douceur que d'adrefle, tenir la main aux crime, & les condmre k la vertu par un fentier de fleurs. I V. Ceux qui prétendent tout favoir. Nous n'avons pas befoin de précepteut Ce propos vain & fuffifant m'étonne. Senez-vous venus a cette hanteur , Sans livres , fans le fecours de perfonne? Quelqu'un difoit froidement dans un cercle : nous n'avons pas befoin que 1 on nous donne des maximes , des preceptes; k quoi bon tous ces Jivres de gens qui s'érigent en inflituteurs, pour nous prefcrire des lecons de religion & de morale > Ce neit que pour gagner de 1'argent, ou pour la vanité d'être auteur. Ce propos fut accrédité par quelques  T" Partie. Religion %i{ perfonnes dont 1'état fuppofoit de 1'érudition, 6c cette perfonne redigeoit alors un ouyrage de ia laeon fur 1'éducation même. II feroit k fouhaiter que tous les hommes n'euffent pas befoin de maximes, de préceptes; qu'ils fuilent tous également inftrmts de la religion, de la morale, des principes de probité, des devoirs de leur etat. Cependant, dans le total des hommes, que de claffes ont befoin de pareils fecours Sc lumieres ! car depuis Salomon, perfonne n'a eu le don de toutes les fciences, de toutes les connoiffances. 11 en réfulte qu'au plus fcavant des hommes il relte bien des chofes a apprendre, même dans le nombre des fciences qui lui font eifentielles 6c néceiTaires; ce qui prouye que ceux qui croient tout fcavoir ont encore beaucoup plus de chemin k faire qu'ils n'en ont fait, 6c que ceux qui font modeftes, fouvent font plus Icavans. B iv  32. Le petit Salomon. y. Les avantages de la bonne Éducation. La très-bonne éducation influe Sur le bonheur général des enfans ; c'eft toujours a elle qu'on attribue Le refpeft , 1'obéirTance aux^ parens. La bonne éducation fortifïe le penchant au bien & afFoiblit celui vers le Jnal. Son objet principal eft de rendre les hommes meilleurs & vertueux. Pour y parvenir, il faut les conduire* a la raifon par la raifon démontrée. On les rendra raifonnables, en écariant d'eux 1'erreur & la vanité préfoniptueufe; en les éclairant & difpofant k réfléchir; en leur infpirant par degré le goüt du travail & des occupations folides. C'eft le vuide de 1'efprit, la privation des lumieres, qui font adopter, accueillir les miferes, les préjugés, les bagatelles qu'une tête bien meublée ne manqueroit pas de rejeter ócdeméprifer. Pour parvenir a la très-bonne éducation, il faut d'abord fcavoir & être perfuadé de 1'exiftence d'un Dien infimment. grand & fuprême; que fon'  T! Portie. RELIGION: 3$ 'exlftence eft abfolument néceffaire &C éternelle; qu'il eft auffi bon que jufte ; que c'eft de lui qu'émane la création des efprits, comme de leur premier principe; que tout refpire en lui , comme dans fon centre; que tout retourne k lui, comme a fa fin; qu'il nous éclaire, nous conduit & nous conferve par fes lumieres, fa fageffe 6c bontés infinies. Ces premières connoiffances apprennent k diftinguer la loi naturelle , la loi écrite, la loi de grace, chacune dans leur rang & felon leur mérite. L'éducation n'eft qu'un vernis, lorfqu'elle n'eft pas appuyée fur la religion. II y a dans la vie des occafions oiila probité n'eft pas fuffifante , ni même affez forte pour réfifter k certaines tentations, oü 1'ame fe dégraderoit & pourroit fuccomber, ft elle n'étoit pas foutenue , garantie par la ferme efpérance de 1'immortalité. A II faut que 1'homme , pour etre heureux & fage, voie Dieu dès fon enfance, comme le principe & la fin; de toutes choles : il faut que la raifo» èc la loi lui difent en même-teraps , - B v.  54 Le petit Salomon que c'eft defcendre au trifte rang des' betes que de n'avoir ni culte ni loi, 11 taut donc qu'un jeune homme fache & loit perfuadé que la vérité étant une, il ne peut y avoir qu'une feule religion; & que fi 1'autorité des vérités qui nous font démontrées ne déterminoit pas la croyance, chacun auroit Ion fyfteme & fon opinion. _ Le Chriftianifme eft ennemi des pra* tiques minutieufes & des fuperftitions. Souvent l'on négligé ce qui eft de precepte, pour fuivre ce qui n'eft que de confeil. Le Catéchifme fuffit pour apprendre les vérités révélées; néanmoins il faut autre chofe que 1'alphabet de la Religion pour trouver des lumieres vives, pures, approuvées & sures, afin de garantir des nuages de ia philofophie moderne & des ténebres de la corruption. L'on doit commencer par I'ancien Teftament, pour fcavoir la loi fous laquelle vivoient nos premiers peres, pour fe convaincre des vérités que les Prophetes ont annoncées fans aucun mteret. Lire la loi que Jefus - Chrift nous a donnée lui-même dans le nouveau Teftament i Hyre diyin7qui con~  T" panie. Religion. 35 tient la religion la plus pure & la plus iuue;?lusonle ht,p uson y Sécoivre des chófes admirables fatisfaifantes & confolantes pour lhumanité; c'eft donc dans ce feul lryre ou l'on doit puifer la religion_, paree qu'il contient la véritable.Dans les Pfeaumes de David, que de beautés. On les parcourt rapidement par 1 habitude & fans attention : cependant 1 on y voit qu'il propbétife exaöement tout ce qui eft arrivé k Jefus-Chnft la malédiaion des Juifs, qui fait la preuve la plus convaincante que Ïefus-Chrift eft le véritable Meffie, puifqu'ils font errans, fans patne, lans biens-fonds, fans patnmoine ; c'eft en même-temps 1'accomphflement despropbéties. Lorfque l'on voudra s'exciter, fe foutenir dans une mete tendre & fervente , il faut Ure llmitation denotre Seigneur. Ce ne font pas la des volumes nombreux ni confidérables, cependant ils renferment toute la religion. B vj ,  S6 Le petit Salomo»: V i. *>> l'Emploidu umps dans la jeunefc. £"» Ma jeuneffe eft pour ,esfc;ences> Pendant tout ce- temps ü faut s'y ]ïvre „. 'V q»i fint „"ent r^Lce. Heureux quand la raifon pen| Nous avons dans nos différente* ficultes une infinité de germes Dr| ceux que le défaut de cuCe S aeTarts li W 1 / , l6S faire écIori-e; plus die en deyeloppe p]us e]Ie no££J™ de SrV3tlfS C°ntre ,es P^on & derffourees pour 1'agréinent de* lolhtrT7mr dela P^onde renouve Ier & favorifer ™f 2^ vaille&deruennte4Ul *" Vous débutez heureufemênt dans Ia earnere de la vie; vous pa^z™a «enceeparletravail, devote nature ^pofe a t0u/les  T" Partie. RELIGION. cöntinuez, &c vous jouirez en hbertë decette tache importante, particuliement s'il n'y a point de vertus dont votre ame ne foit empreinte. Puiique notre vie eft li courte, il faut en prolonger 1'efpace par de belles adions qui nous faffent vivre dans la mémoire des hommes vertueux , & lervent d'exemples a ceux qui ne le font pas encore. L'article important eft de s occuper; quiconque s'ennuie eft deja mort, puifque l'on ne vit qu'autant que l'on agit. La molleffe, compagne de 1 opulence , enivre , diftrait 1'efprit , au point de le rendre incapable de toute application. L'homme qui loge la fortune, rarement cherche la vérite; il prend la flatterie pour elle; il s'en trouve mieux, paree que cela lui devient plus commode , plus facilei Que lui importe de mériter 1'eftime, puifqu'a peu de frais & fans peine il obtient une confidération > Pourquoi raifonneroit-il fur le bonheur, dès qu'il peut acheter le plaifir? Les fciences font pour lui ce qu'eft la livrée; il paie des gens qui la portent. 11 ne faut pas non plus que le mal-aue,.  38 Le petit Salomo»; 1 ambition le defir de gagner cor^ duifent la plume d'un homme d'efpritIon sapper?oit que 1'indigence de fa maifon paffe dans fes idéés; il n'écrit plus pour fixer ce qu'il penfe, mais aux moyens d'écrire beaucoup. Ce « eitplus un philofophe, un hiftorien, un poete , un auteur, c'eft un artifan a la journee. Travailler k éclairer fon efprit, h former fon coeur , k connoïtre les ventes utiles, k fe faire des principes surs felon la Religion, k régler fa conduite , ne doit pas s'appeller un travail, mais un befoin de première neceffite ; c'eft connoïtre, exciter & jouir de la dignité de fon être; c'eft le^mettre k profit, tant pour foimeme, que pour les autres. . Celui qui ne travaille que par vamte, ou pour un vil intérêt, veut moins apprendre ce qu'il ignore que montrer avec défavantage ce qu'il feit. Aujourd'hui quand l'on a 1'épiderme des fciences , l'on fe croit favant; fi cela continue, l'on ne manquera pas de retomber infenfiblement dans 1 ignorance du dixieme fiecle. La icience eft comme'la lune, qui, après  T" Partle. R E L r G I O N. s'être montrée toute entiere, ne fait plus voir qu'une moitié d'elle-même ? & finit par fe cacher. L'étude efl: 1'élément de 1'efprit. Jamais vous ne lerez a charge aux autres ni a vous-même, dit Séneque , fi vous aimez a étudier. L'on n'imagine pas combien il y a de mauvais quarts d'heures dans le courant de la vie dont le travail nous garantit. L'on n'eft heureux qu'en fcachant engourdir fes maux par une diverfion avec les peines, les chagrins, les douleurs, qui font 1'héritage le plus sur de nos premiers peres. Le temps eft un des précieux dons que Dieu nous ait faits; 1'homme le diflipe avec une profafion étonnante; c'eft un bien au pillage ; chacun en enleve une partie ; il s'échappe avec tant de vïtefle, qu'a peine a-t-on dit, qu'il s'enfuit, qu'il eft déja pafte. 11 faut être avare du temps, ne céder aucun de nos momens fans en rece. voir la valeur, ne laifler échapper les heures qu'avec fruit & regret; de même que Ton amaffe de 1'or, ne fouffrons pas que nos jours s'écoulent fazas avoir grofli le tréior des vertus^-  4ö Le petit Salomon; V I I. La Religion, bafe de VÉducatlon: Si d'être fage vons avez envie, Prenez foin de votre éducation; Pour aflurer le bonheur de Ia vie , Ayez pour bafe Ia Religion. L>e toutes les connoiffances que 1 homme puiffe acquérir, la plus néceffaire, la plus importante, c'eft celle de la Religion; elle eft effentiellement liée k la bonne éducation, dont elle eft 1'ame & la bafe ; de cette union depend le bonheur de chaque individu, la süreté des poffeftions, la tranquitlité des fociétés. En vain, fans la Religion, l'on prétend fe parer du beau nom d'honnête homme & de bon citoyen; pour mériter ce doublé titre, il faut connoïtre & fcavoir ce que l'on doit k Dien, aux hommes & k foi-même, paree que de l'exaftitude de chaque citoyen k rempür fes devoirs indifpenfables, réfultent tous les avantages deffrables & la profpérité des états de chaque perfonne en particulier. Touf le monde connoït les paroles.  I"' Portie. RELIGION. 41 livaiites .! FïUi, audite me; umorem Domini docebo vos. Pendant que la fortune ne preche de toutes parts que 1'amour des ricneffes,queles plaifirs fontentendre leurvokleduifantepournousprendre dans leurs flets, que la gloire nous öfFre tous les honneurs du monde pour nous enivrer d'un vain encens , que tanï d'objets embellis par la nature nous préfentent tous les charmes de ee monde , Sc nous invitent a nous y attacher , la Religion nous ordonne nous conjure de nous occuper Je Dien: Filü, oudite me ; umorem Domme docebo vos. C'eft donc la Religion eUemême qui, fille du oei Sc mere des vertus,qn'eA defcendue fur la terre quepourétablirunfaintconcertentre Elel Sc 1'homme ; pour y donner un fpedacle mille fois plus touchant: que toutes les beautés que l'on peut appercevoirScdécouvrir dans ce vafte UtaW^-effet'n?ftdefCeï due des Cieux que pour fo,itemr Sc confoler 1'humanite ; elle porte Ie monde P-fent enfin pourquoi douter des myfteres ? Tout ce qu'il y a de plus grand fur la terre eft fragile & paffager; les plaifirs, les charmes du monde font faux & trompeurs; fes efpérances, fes penlees font vaines & frivoles; l'on ne peut y trouver de joie, de p£x véritable. L on ne peut trouver la tranquillite, la liberté de 1'ame, que dans labnegation de foi-même ; la gran-  64 Le petit Salomon. qu'on la croit éteinte, comme le feu que l'on a cru étouffé fous les cendres, &c qui rend une flamme vive au moment que l'on ne s'y attend pas. II faut convenir que dans la doctrine catholique, ily a des obfcurités; pmfque, felon faint Paul, la foi eft la certitude des chofes qui ne paroiffent point : argumentum rerum non apparentium. r Faut-il quitter un pays oü il y a quelques nuages, pour aller & paffer dans un lieu de ténébres &d'horreur> L on trouve des points d'appui fohdes, en fuivant la Religion chrétienne ; ceux qui s'en écartent , ne marchent qu'au hafard fur des ruines cc des précipices. X I V. De la prhemion & des prijugés. Soit pour 1'ige miïr, 0u d'adolefcence, Je vous avertis fur chaque danger; Dans tout temps , gardez vous par préférence, Des pre'ventions & du préjugé. L'e,xtérieur & 1'inftant fouvent produifent les goüts, la confiance, les antipathies, les préjugés, la prévention. Un autre inftant, un autre coup-  ƒ*" Portie. Religion. 65 d'ceil les font difparoïtre. L'airfroid, 1'air haut s'annoncent également; fou: vent l'on s'y méprend; c'eft un malheur pour ceux qui l'ont; fouvent il feroit prefque plus avantageux d'être contrefait, paree que i'un & 1'autre furprennent toujours & repouffent, pour ainfi dire , ceux qui veulent ,'s'approcher; il n'y a que 1'intimité qui puiffe détruire la première impreffion mais, dans le monde, a-t-on le temps de s'étudier ? L'on juge tfiir 1'extérieur, & fouvent l'on veut être jugé de même. L'homme froid ne fe livre a la fociété qu'avec une grande réferve; il gagne k fe faire connoïtre, c'eft un mur de glacé qu'il faut brifer, après l'on s'en trouve bien de part & d'autre , paree que le cceur a de plus ce qu'il exhale de moins ; c'eft le feu . porté de la circonférence au centre, au lieu d'être porté du centre a la circonférence. L'on ne lcauroit prendre trop de précautions pour fe garantir de la prévention & du préjugé; ces funeftes Dandeaux caufent des maux infinis. La prévention empêche de faire le bien a ceux qui le méritent, & même de le  66 Le Petit Salomo». faire paffer k ceux a qui il appartient; La prevention & le préjugé occafionnent & fomentent des inimitiés, des haines ; excitent & portent fouvent k des acres de vengeance contre des perionnes très-mnocentes; paree qu'on les croit coupables, on leur fait dutort dans leur honneur Sedans leur forfune _ Vous remarquerez que le faux préjuge eft prefque toujours infpiré , iuggere par des perfonnes intéreffées a gagner votre confiance. La prévention nous empêche de voir & connoïtre la vérité. Celui qui fe tient en garde contre la prévention, démele promptement la fauffeté des rapports & des mauvais propos, paree qu il n'y croit pas. Le véritable chrétien doit veiller attentivement pour netre point furpris, ne point donner dans les egaremens d'un jueement precipite ou téméraire. II faut obferver que ce qui, dans un temps, eft véritable, ceife quelquefois de 1'être dans un autre ; ce n elt plus qu'une opinion que l'on encenfe par habitude Les préjugés font comme les villes de guerre dont les gouverneurs ioutiennent trois aflauts'  I "! Partie. Religion. 6y èc fé font prendre fur la brêche._ II faut être un grand homme ou bien un grand fou pour entreprendre de détruire des préjugés. Si le premier qui attaque un préjugé n'a pas en fa faveur des préventions plus accréditées que le préjugé même , il y fuccombe ; fon entreprife n'en yient que plus dangereufe pour celui qui lui fuccede. Le pro jet de détruire un préjugé eft une entreprife bien délicate*; a la fermeté néceffaire , il faut ioindre la prudence la plus éclairée, la mieux vue; fans cela 1'erreur que 1'on veut abattre, ébranle la vente même. La prévention eft fi funefte, que fouvent il faut mille recommandations pour détruire fes effets, & pour engager 1'homme en place a faire du bien k celui qui le mérite. X V. Honnêutc , vertus , Rdigion nêcefaireé aux deux fexes. Honnêteté , vertu , Religion , Conviennent également aux deux fexes ; Chacune exige , fans exception , Notre culte , la raifon fait le refle. II ne faut point perdre de vue les  72 Le petit Salomon. fans faire attention que fouvent nous pouvons nous donner, nous procurer le bonheur que nous envions , & que nous allons mendier chez les autres. Souvent auffi l'on craint de fe ruiner par trop de générofité, fans penfer que 1'argent ne devient une richelfe réeüe, qu'en fortant de nos mains pour fervir a un ufage fage & bienfaifant. L'on brigue avec ardeur 1'eftime des hommes, fans réfléchir que leur eftime feule n'eft qu'une vanité chimérique, fi celle de 1'Être éternel & fuprême n'en eft pas Fobjef. X V 1 I. La mifèricorde de Dieu furpajje nos offenfes. Quoique Ia miféricorc'e de Dieu Surpsffe beaucoup Ia plus grande oftenfe ; Nous devons en tout temps & en tout Iieu . Veiller, prier , implorer fa qlémence. Quoique Dieu foit infiniment bon & miféricordieux, s'enfuit-il que l'on doive 1'offenfer? Quoiqu'il nous ait créés fans nous, il ne nous fauvera pas fans nous , c'eft une vérité claire ; enfin, quoique fa mifèricorde furpaffe a  74 Le petit Salomon, ne point renaïtre ; dans un monde quï ne renferme rien de réel, oü 1'exiftence n'eft qu'une ombre qui paffe. Malgré 1'incrédule qui veut détruire tous les êtres , ne croyons pas au ravage affreux de tant de créatures li nobles &t fi belles ; rien ne périt dans 1'immenfe & fuperbe féjour de 1'univers : ce feroit détröner Dieu, 1'anéantir lui-même, que d'en faire le Dieu du néant. Un Créateur qui produit Sc conferve tout, eft le feul véritable & bienfaifant. Son plaifir elf de répandre le bonheur; il aime k multiplier les hommes, pour multiplier les heureux ; paree que le cri de notre cceur, de notre ame, nous dit , nous alfure que nous fommes immortels. Soit que nous vivions heureux ou malheureux , Dieu ne nous a fait nairre que pour payer, récompenfer nos vertus & notre vie. Le fage fait fon plan, dirige fa prévoyance; porte fes regards, fes defirs vers 1'éternité ; ne demande rien aux hommes, non plus qu'a la fortune; il fe repofe de tout fur un Dieu bon , jufte U miféricordieux.  V" Parde. Re LIG ION. 71* XVIII. Vhonnête homme felon Dieu, Vhonnête homme felon le monde. Lorfqu'on eft honnête homme felon Dieu, On 1'eft certainement felon les hommes ; Très-fouvent le fecond peut avoir lieu Sans la foumiffion a tous les dogmes. L'honnète homme felon Dieu,3 1'eft néceffairement felon le monde ; en cela notre Religion differe des autres , oü l'on trouve, a la vérité, d'honnêtes gens dans le commerce focial &c ordinaire entre tous les hommes; mais ils ne le font pas felon 1'intention de Dieu. L'on dit fouvent aujourd'hui qu'il importe peu de quelle Religion l'on foit, de quelle maniere l'on honore Dieu, pourvu qu'on 1'honore, & que l'on ait pu paroilfe avoir de la probité. Préfentement on veut tirer vanité des lumieres nouvelles que l'on croit avoir; le titre de fiecle éclairé ajoute a notre orgueil; nous nous flattons d'avoir banni les fuperltitions, le fanatifme, les préjugés, 1'hypocrifie ; nous finiffons par attaquer la Religion même, les bons, Dij  7tation ; fouvent épuifé par les faux plaifirs, ou languiflant clans la pauvrete. Ce n'eft donc que clans le féjour heureux & éternel que commencera cette paix folide & inaltérable, bien affermie au-dedans, au dehors & de tous cötés : c'eft la que finiront les combats de 1'efprit qui defire & veut arnver a ce féjour, & que le penchant pour les chofes temporelles precipite vers la terre. Eternelle vénte venez a notre fecours pour nous aider a furmonter tant de malheuren* obftacles.  P" PartU. Religion. §t' Oii devons-nous chercher une idee iufte de la véritable grandeur & du bonheur ? Eft-ce fur la terre oii nous n'appercevons que des fantömes brillans; ces efpeces d'étoiles errantes, ces météores dont la lueur pafTagere nous trompe &c s'évanouit ? Sur ce globe tout eft vil, chancelant, le jouet du temps , la vidtime de 1'oubli. L'homme, ainfi que l'infedte, participent au néant dont il eft tiré : les monarques même ne font que d'illuftres efclaves foumis a une main invifible J qui les place pour un temps fur nos têtes, en fait quelquefois les inftrumens de fa colere ou de fa bonté ; les brife après, pour les plonger dans la même pouftiere que le dernier de leurs fujets. L'Être vraiment, uniquement & effentiellement grand, eft le Tout-puiffant; il fe joue des fouverains, exerce fur les divinités de la terre un empire fans bornes, & chaffe devant lui tous les Rois de la terre dans 1'abïme de 1'éternité, en donnant une récompenfe éternelle aux ames vertueufes» D y  8a Le petit Salomon; X X t Les reproches de notre ame font sxrs. Si vous craignez un jugement obfcur, Interrogez votre cceur & votre ame ; Ne doutez plus , leur avis fera sur, Si ni i'un ni 1'autre ne vous condamne. Lorsque l'on a le coeur droit & le deur du bien véritable, l'on peut 1'interroger; 1'ame venant auffi-töt a fon fecours, rendra une réponfe certaine fur les actions paifées , ainfi que fur la conduite que nous devons fuivre' dans les pofitions embarraffantes. De quelque cöté que l'homme chrétien &c vertueux jette les yeux, foit fur Dieu , fut lui - même , fur fes proches , fur fes amis 6c fes ennemis; il n'appercoit & ne découvre que des motifs d'une joie fecrette , paree qu'il fe conforme en tout aux intentions de fon Créateur; il mérite par conféquent 1'attachement de ceux qui le connoilfent & 1'environnent. II feroit J'objet de 1'eftime, de l'affecfion particuliere de toutes les intelligences, li toutes pouvoient pénétrer le fecret  r Portie. Religion. 8$ de fon ame. Son cceur exempt de crainte & de haine, n'exifte que pour de belles adions : la fatisfaftion jointe * la perfedion intérieure, forment le fecret de fon ame ; fmvant 1 expreffion de Salomon, tous les jours font pour lui une fête contmuede, & le plus grand bien dont jouitfe 1'homme parfaitement yertueux; enhn le moment fatal qui défefpere, effraie les autres hommes , n'eft pour lm qu'un palfage aune vie plus heureufe. XXII. Les obus & le vulde du monde. Le grand monde eft un lourbülon brillant Qui nous emporte , au Hen de nous condu.rej II ne peut diftraire qu'en fatigant, Sans remplir le cceur de ce qu'il defire. Le berger , le patre qui conduit fes troupèaux dans de bons paturaees , ne les entend point fe plamdre; ils paiffent & font fatisfaits; cette paix, cette fatisfadion font refufées a leur maitre; un mecontentement général èc continuel pourhut, tourmente 1'homme. Le monarque , le berger fe plaignent également de  §4 Le petit SaloSion; leur fort y & du tröne k la chaumiere: les foupirs fe répondent. Cependant ia diltance qui fépare leurs deftinées eit immenfe, puifque 1'un connoït k peme fes poffeffions, que 1'autre n'a quune cabanne. Ce dernier doit-il croire que 1'Eternel a étéplus libéral pour les troupeaux que pour lui? iNon : le mecontentement de fon coeur n eft que le mouvement, le fentiment de Ion immortalité ; c'eft le cri, le defir de 1 ame qui ne foupire qu'après a Jjet' qm man<ïue * fon bonheur II eit donc arreté que 1'homme noblement tourmenté par la grandeur de ion ame, aura les mêmes foupirs fur le trone, que fous le chaume; que les degouts doivent lui révéler fa nob efte , & que fa mifere 1'avertit ,«juil eft né pour être heureux. Abus! malgré vos pïéges , vos poifons, Ie monde plait tant que nous lui plaifonsj On ne le trouve injufte, on ne 1'e'vite Que quand il eft le premier qui nous .quitte, Heureux ceux qui , dans urie retraite une folitude paiiible entendent le Seigneur, & reeoivent de lui des paroles de confolation; heureux  T" Partie. RelïGïON. c?£ ceux qui fe refufent aux embarras, aux bruits confus du monde ; heureufes, dis - je , les oreilles qui font moins attentives aux difcours , aux propos extérieurs, qu'au paifibie langage de la vérité qui nous inftruit dans les réflexions 8c entretiens avec nous-même. Le Seigneur dit: je fuis votre falut, votre paix , votre vie; ne vous féparez point de moi , je vous ferai jouir d'un paifibie repos. XXIII. Von ne doit point juger fon prochain, Qui peut dire je ne manquerai pas ? Notre raifon fouvent eft en déroute ; l'on ne doit point compter tous les faux pas d'un voyageur qui finit bien fa route. Le moment oii l'on finit fes études , 1'inftant oü l'on entre dans le monde, fouvent décident du fort des jeunes gens ; a^ors tout avorte ou tout vient a bien. Combien n'en a-t-on pas vu remporter tous les prix ? L'on prenoit plaifir a les citer avec diftinction & juftice ; ils ont difparu, font tombés dans le néant. Ou leur efprit avoit fait de trop grands efforts, 6c ne  86 Le petit Salomon. pouvoit plus rien produire ; ou bier! ils ont été emportés par les paffions: comme un fruit précoce qui charme par fes couleurs, par fa nouveauté, qui fe flétrit au moment qu'on 1'admire , & que l'on fe difpofe k le cueillir. Que de peines avant que le cceur, Pefprit & les inclinations arrivent k leurs perfettions ! Ordinairement ce font nos fautes qui nous éclairent fur celles des autres; elles follicitent par conféquent notre indulgence en leur faveur. Puifque fouvent nos foupcons fur les fentimens intérieurs des autres hommes, ne viennent que duparallele fecret que nous faifons d'eux avec le fond fecret de notre ame; ce feroit donc nous condamner, que de ne pas leur pardonner; l'on doit même remercier le ciel de cette réflexion, quand on a le bonheur de la faire,  rc Portie. Religion, 87 XXIV. Heureux t homme qui croir que les vertus font innèes. II faut regarder comme très-heureux Tous ceux qui croient aux ames bien nées, Que 1'homme par nature eft vertueux , Et que les loix n'ont pas été données. Pour la fatisfaaion, le bonheur de fhumanité , l'on trouve encore des pays, des hommes héritiers des vertus de nos premiers peres, qui, comme ces patriarches refpeaables , voient dans leurs femblables la même vérité , la même franchife 6c juftice qui les conduit 6c les éclaire; leur fait paffer des jours tranquilles, heureux , paree qu'ils comptent fur les fentimens réciproques 8c la foi des traités. II feroit a défirer que ces pays , ces hommes fortunés puffent fe rapprocher de nous, 6c mettre fous nos yeux des exemples auffi intéreffans que néceffaires- Imaginez le génie, avec fes produaions les plusbrillantes ; la politique, avec fes plus illuftres revolutions; la viaoire elle - même , •avec tous fes triomphes , fes plus  38 Le petit Salomon? beaux trophées; tout cela vient tomber aux pieds de la vertu ; telle eft la décifion de 1'arbitre fuprême du mérite des hommes. Mdior ejl qui dominatur animo fuo expugnatore urbium. II n'eft réiérvé'de porter les autres a toutes les vertus, qu'a celui qui le premier donne 1'exemple, fait ce ce qu'il demande Sc exige d'eux; qui mqntre 1'obéiffance Sc Phumilite ; qui joint la fimplicité a la prudence, la douceur a la févérité, la religion a une charité tendre & compatiffante ; qui fcait a propos prier & réprimer, encourager Sc inftruire , exciter la ferveur, & faire pafler dans les enfans 1'efprit de juftice, de vertu dont leur pere étoit animé. Vertu ! dont le merveilleux pouvoir tapiffe de fleurs 1'aride féjour de la terre, reconcilie 1'homme avec la vie ; répand les charmes de la variété fur 1'ennuyeufe uniformité de nos jours Sc du cercle fatigant de la nature ; forme une ligne droite dont nous puiftions parcourir 1'étendue, la longueur avec plaifir.  T" Pank. Religion. 89 XXV. Le Chrétkn efl hutnble dans la profpérité, patiënt dans fadverjité. Vous verrez 1'homme vertueux & fage Toujours humble dans la profpérlté: Dès-lors il unit le doublé avantage D'être patiënt dans 1'adverfité. Caton difoit que le monde donnoit le prix , non-feulement aux étoffes, mais encore aux vertus. Socrate nommoit la bonne renommée , le parfum de la vertu. Démétrius, apprenant que les Athéniens avoient renverfé les ftatues qu'ils lui avoient dreflees : qu'importe, dit-il, ils n'ont peut-être pas renverfé ma vertu a qui ils les avoient élevées. L'on demandoit un jour a Socrate , quelle vertu convenoit mieux aux jeunes gens ; c'eft, dit-il, de ne point faire de téméraires entreprifes. Quelle étrange manie de vouloir mettre au rang des fages, ceux qui s'efforcent d'attaquer la morale , les livres chrétiens, 8c qui ofent fe lancer dans des précipices, pour y entrainer les autres avec eux! Croit-on que l'on  90 Le petit Salomon. panera pour philofophe fage, pour écrivain du premier ordre, quand on voudra fonder indifcrétement les profondeurs de la Divinité. Ce font ces inconféquences qui ont produit cette quantite de mauvais livres , dont 1'homme vertueux gémit, avec d'autant plus de raifon, que les paffions ont pris la plume pour éternifer les vices & les erreurs. Malheureufement 1'homme de lui-même n'eft que trop corrompu, il n'eft pas nécefiaire d'en augmenter la dofe. Les" vertus de 1'homme renferment fouvent quelque alliage qui en rabaifl'e le titre : de même nos plaifirs les plus purs n'atteignent jamais au bonheur parfait; ce ne font que des confolations pour nous aider a fupporter & a fouffrir nos maux avec plus de force. L'on peut auffi dire qu'il n'y a point de vrais malheurs pour ceux qui croient leur ame immortelle, paree que 1'homme fur la terre eft comme un roi dans le bas age, qui attend fon empire avec fa majorité. La vertu a des ftatteurs, a des en-» nemis; 1'éloge en eft facile, la pratique en eft penible : il ne faut pas fe  T" Partie. RELIGION. 91 bomer a de vaines paroles, c'eft par les aöions qu'il faut la louer. Les Anges font tombés, comment les enfans de la terre pourroient-ils ne pas trembler, & fe croire en süreté? La vertu ne fe donne point gratuitement k la pareffe ; elle fe vend, fe livre au courage. II faut des peines, des travaux, des efforts continuels pour 1'obtenir &C la conferver. XXVI. Le premier des hommes ejl le meilleuT d'entreux. Scavez-vous quel eft le meiHeur des hommes ? Ami! c'eft toujours le meilleur d'entr'eux , Et celui qui , dans le fiecle oü nous fommes , Peutfecourir beaucoup de malheureux. Le plus jufte des hommes ne peut s'affurer qu'il ne reffemblera jamais au plus méchant; le plus méchant ne dok pas défefpérer d'atteindre a la perfection des plus juftes. II eft des écueils, des précipices ou les unS tombent; pendant que les autres les évitent, prennent le véritable & droit chemin : les mêmes tribulations, les mêmes fcandales convertiffent quel-  9i Le petit Salomotv. quefois les plus fcélérats , & font chanceler le plus grand faint. Dans le temps de la perfécution des Martyrs, l'on en a vu de très-généreux fucccmber a la violence des tourmens, & leurs bourreaux fe fubftituer a leurs places. L'on a vu des villes infidelles fe convertir a la Foi, & des provinces très-chrétiennes embraffer FHéréfie. Di eu nous a donné ces exemples ; il a permis cés événemens pour nous tenir dans 1'humiliation , la dépendance, & nous apprendre a ne point ïnfulter k nos freres , k ne jamais défefpérer de leur falut; a craindre pour le notre, a ne point tirer vanité du bien que nous faifons, le redoubler avec plus de zele; k nous précautionner contre les chütes, a iecourir ceux qui tombent, & avoir de la charité pour tous. Les meilleurs hommes font ceux dont les jours, les mois, les années, font marqués & mefurés au compas de la vertu; fans elle. Font meurt jeune, après un fiecle d'exiftence; avec elle l'on a vécu longtemps en peu de jours; 1'homme n'a donc point vécu pendant les années, Itériles en bonnes oeuvres.  T" Partie. RELIGION. 9^ XXVII. Km richeffes font fouvent les ennemies de la. vertu. Tous les coeurs vicieux & corrompns, Que 1'opulence conduit a 1'outrage , Ne font aucune eftime des vertus; Regrettent le crime interdit par 1'age, Notre lïecle, dit-on , eft le lïecle du goüt, de 1'efprit, des connoilfances & des lumieres. Le favoir, l'efprit , le courage ont toujours eu leurs admirateurs ; mais il ne faut pas que 1'iiimable, la douce Sc modefte vertu refte fans honneur , qu'elle foit abandonnée , méprifée, même outragée. Puifque nous avons tant de lumieres , apprenons donc a difcerner combien l'on doit méprifer les hommes qui abufent de leurs talens, de leur fortune, de leur place,de leur fupériorité pour détourner les coeurs de la vertu, pour les corrompre. C'eft un bonheur pour un grand, lorfque le fouvenir de fa débauche, de fa erapule , n'eft pour lui qu'un fujet de repentir , de fupplice, Sc gu'étant impuilfant pour le vice, il  94 Le petit Salomon. prêche , recommande la vertu , la défend & la foutient par fes bienfaits: c'eft auffi un grand malheur, s il le croit homme de bien a force de donner des noms décens a fes vices, & s'il n'en rougit plus. Que 1'homme riche demande, interroge pour favoir quel eft le vrai tréfor? L'or lui dira : ce n'eft pas moi, mon éclat te trompe; fi j'enrichis la terre, je luis pauvre pour toi; ton tréfor n'eft point dans les mines de I'ïnde ; chcrche-le dans ton fein : il eft dans cette ame fi riche, fi fublime ; dans cette ame immortelle, émanée des cieux, & qui doit'y retourner. Apprends donc, riche, a refpefter la vertu, & tache d'en faire ton amie; car l'on ne trouve point la paix dans 1'opulence; plus l'on eft riche, plus le defir s'irrite, & croit avec les moyens de s'enrichir. Quel eft 1'homme qm fcait s'arrêter quand la paffion le ' pouffe? Le pavivre ne fouffre que de fes befoins; le riche eft doublement malheureux; il fouffre a la fois de fes befoins qui fe multiplient, & de fes deftrs qui s'étendent au milieu de 1'abondance. L'opulence eft donc un far-  T" Partie. Religion. 95 dsau pénible •, il étouflfe ou embarraffe le bonheur. Le néceffaire eft le terme du vrai plaifïr, 1'homme ne jouit plus fitöt qu'il le paffe. 4 Les libertins donnent des ridicules a la vertu, font ce qu'ils peuvent pour 1'affoiblir, la détruire , tant que leur intérêt ou leurs paffions le demandent, 1'exigent ; fitöt que leur avantage, leur vanité, leur amourpropre peuvent en fouffrir, & qu'ils y font pour leur compte , alors ils font 1'impoffible pour 1'accréditer, &C convaincre de fa néceffité. Les vieillards, les hommes ufés & blafés font toujours enclins a penfer avantageufement d'eux-mêmes ; ce n'eft pas qu'ils foient devenus plus éclairés, plus fages, plus honnêtes ni plus attentifs a éviter le vice, mais paree que les facultés pour le vice les ont abandonnés. Cependant ils fe croient vertueux, paree qu'ils n'ont plus les défauts des jeunes gens; ils prennent 1'impoffibilité pour vidtoire; ils triomphent n'ayant plus d'ennemis a combattre. Ce qui doit furprendre autant &t davantage, ce font ceux qui, après une jeuneffe fenfée, raifonnable,  y6 Le petit Salomon. même fans r.eproches, femblent avoir attendu la vieilleffe pour donner dans des écarts & faire des folies; c'eft le fpectacle le plus digne de pitié. II y a j des fautes qui paroiffent naturellement attachées a chaque age de la vie; ■ en les plaignant, eHes méritent, pour ainfi dire , une tolérance; mais des vices hors de faifon, font une pro- I duction monftrueufe que l'on ne peut épargner , &c qui ne mérite aucune grace. Quoique dans 1'age d'innocence, nous ne fommes cependant pas entiérement irréprochables ; c'eft le temps ou les vices commencent k naïtre; ils grandiffent, fe fortifient avec nous; fouvent ils devancent les années &c fe développent plus rapidement que 1'homme. Nous defirons bien lafagefle; malheureufement nous aimons de préférence ce qu'elle défapprouve, ce qu'elle rejette, ce qu'elle choifit; ce qu'elle exige nous le remettons k un autre temps. Souvent nous voulons, nous effayons a combattre nos vices, mais rarement la victoire eft complette.  F" Partie. RELIGION. 97 XXVIII. 'II faut éviter les difputes de Religion. Ne difputez point de Religion, Le fjavant n'en doit parler qu'avec crainte Quoiqu'avec une bonne intention, Elle pourroit éprouver quelqu'atteinte. Il ne faut jamais parler de Dieu qu'avec crainte & refpea ; il eft prudent d'éviter des difputes, des querelles , qui, loin d'opérer le bien , pourroient porter des atteintes funeftes dans le coeur de ceux avec qui l'on difpute , ou de ceux qui les écoutent; je dis plus, fouvent notre créance reffent elle-même quelque légere altération, par les fophifmes que l'on emploie pour répondre, ou pour attaquer notre Religion, & ce n'eft que par les difputes, les querelles en ce genre, que le fanatifme a fait de fi grands, de fi malheureux proerès. II faut donc laïffer aux miniftres des autels le foin d'inftruire, felon les lieux, le befoin &c les perfonnes._ A plus f'orte raifon, l'on ne doit point fe permettre de paroles contre la Religion ou contre les moeurs ; ceux Tome I, ^  $8 Le petit Salomon. même qui paroiffent y applaudir , vous méprifent intérieurement, vous regardent comme un ferviteur infidele qui fe moque du maïtre dont il mange le pain, &c dont il porte la iivrée. L'on doit craindre, éviter les intngues, les artifkes des faux zélateurs , & ne pas être furpris quand le vice a recours a de laches & faulfes reffources; elles font dignes des méchans, & de la caufe qu'ils s'efforcent de défendre; car, pour défendre une chofe, une fin vertueufe, l'on ne peut, l'on ne doit jamais employer des moyens coupables, ni recourir aux enfers pour venger les cieux. Malheur aux faux zélés , quelqu'en foit le motif & le fuccès ; jamais l'on ne doit défendre la Religion que par la vertu. L'admirable, le magnifique & furprenant tableau du monde & de la nature, prouve fuffifamment qu'il y a un Dieu; s'il y a un Dieu, il doit neceffairement y avoir un culte,une religion ; s'il y a une religion, elle doit être fublime , auffi ancienne que le monde. Les autres Religions reprochent k Ia  yoö Le petit Salomon. nous crie fans ceffe, que nous fommes nés pour de grandes chofes, & fi nous confultons nos defirs qui nous font fentir a chaque inftant qu'il n'y a rien dans ce monde qui puifte remplir notre cceur. XXIX. Moycns de combattre les pajjlons, l'homme peut combattre fa paffion Quand il veut employer toute fa force; C'ePc par une prompte diverfion Qu'il détruira eet animal féroce. Il faut veiller, fe mettre en défenfe dés le premier moment de la tentation, paree qu'il eft plus facile de repouffer, de combattre 1'ennemi lorfqu'il eft hors de la maifon, de la place, que quand il s'en eft emparé. II n'eft point étonnant que quelqu'un foit fervent dans la piété , lorfqu'il n'y trouve rien de pénible, ni grande réfiftance, ni grandes difficukés; mais s'il conferve le courage, la patience dans le combat, dans 1'adverfité, il prouve alors fa force & le defir qu'il a de fe fortifier davantage, de fe perjfeftionner dans la vertu,  loi Le petit Salomon. Ia prudence, la patience pour fouffrir, de la conftance pour perfévérer. Les paffions affiégent fans ceffe 1 homme vertueux; k chaque moment il eft pret k fuccomber; combattre & vaincre , c'eft le fort de 1'homme courageux; fuccomber & fouffrir, voila celui du lache & du criminel. La vertu tourmente long-temps ceux •qui 1'abandonnent; fes charmes qui font les délices de 1'ame pure, font le premier fupplice du méchant , qui les aime encore , quoiqu'il n'en jouiffe plus ; il conferve quelquefois des bienféances ;' mais la bienféance eft prefque toujours la marqué du vice, puifqu'elle eft inutile oü regne la vertu. L'on peut croire , il eft même trèsvraiiemblable que les paffions tirent leur origine d'une très-grande fenffbihté; que 1'imagination tes augmente, les fortifie , les détermine vers un objet; que ce font les erreurs de notre imagination qui les transforment en vice ,^quand on n'y prend pas garde; que l'on n'a pas les lumieres fuffifantes pour s'en garantir, & que l'on n'eft pas ferme dans la Religion &c la  io8 Le petit Salomon. fecondes, plus de révolutions dans les ■altres : destenebres prendront la place de la lumiere, & 1'univers deviendra lui-meme fon propre tombeau. II arnveroit au monde, fi Dieu venoit 4 retirer fa mam, ce qui arrivé 4 nos corps, quand il en arrête le mouvement ; ds tombent en poudre, ils fe diffipent en We, & l'on ne fcak pas meme s'ds ont exifté. Vois , admire ce globe immenfe , Reconnois Ie Dieu qui 1'a fait; Ses feux répandent 1'abondance', Chaque rayon eft un bienfait; Au fein des plus profonds abïmes , II produit ces divers métaux, Triftes auteurs de tous les crimes ; Mais qui, fagement répandus Sur les befoins de Ia patrie, Forment les liens étendus' Du commerce & de 1'induftrie, Satisfont a tous les defirs, Et, comme des fources fécondes ' Vont ranimer dans les deux monde»  T" Partïe. RELIGION, 109 XXXI. 'Comparaifon indecente de la Religion. J'entends comparer la Religion A ce que l'on nomme tête a poupée', Paree que chacun la coëffe , dit-on , Selon fon befoin , felon fon idée. Cette comparaifon, quoique trèsindécente , n'eft que trop commune & trop accréditée; cependant la Religion eft invariable dans fes principes, & ne peut changer a volonté, fuivant les lieux, le temps & les circonftances, pour fe prêter aux déréglemens des hommes; exceptez les chofes de difcicipline, comme certains jeunes, abftinences & autres régiemens, dont les permiffions de 1'Eglife peuvent difpenfer. Voit-on bien du monde s'impofer des mortifications, des jeunes, des abftinences ? Rien n'eft plus rare j excepté quelques perfbnnes d'une religion exemplaire , &C d'une vertu peu commune. L'on a, dit-on, de la religion, mais l'on ne peut pardonner, oubiier une légere offenfe; l'on a de la reli-  F" Partie. RELIGION. 111 pas comme ceux de faint Jean. Ces citations doivent fuffire pour prouver que le jeune eft reconnu dans l'ancien 8c le nouveau Teftament, qu'il n'eft point de difcipline, mais plutöt d'inftitution divine , puifqu'il a exifté dans 1'ancienne 8c dans la nouvelle loi. Préfentement les mceurs,les principes facrés éprouvent la plus trifte dégradation; fi l'on ceffe d'être vicieux par foibleffe, on le devient par raifonnement, par fyftême 8e par air. La dépravation eft fi grande , que les erreurs deviennent des principes, 8c que les vices prennent la place des vertus. Quel bonheur pour une ame qui peut échapper aux illufions , aux atteintes funeftes de fes contemporains , 8e conferver au milieu des ruines de fon fiecle , Ia fage obfervation des anciennes 8c refpeótables moeurs fondées fur des principes certains 8c invariables ! Quel bonheur lï chacun de nous, au contraire, pouvoit reffembler a eet homme remarquable 8c diftingué, qui, dans la décadence d'un grand empire, fut furnommé le dernier des Ro-  T" Partie. RELIGION. 115 divines fonftions de Jefus-Chrift, qu'il n'ait auffi-töt troublé , autant qu'il Fa pu, la tranquillité des peuples, refufé Fobéiffance due aux Souverains , &C jetté par-tout la confufion &C le défordre ; par la raifon qu'il y a une liaifon intime entre les droits de la Majefté divine, & ceux des fouverains de la terre. j Traiter la Religion en grand, c'eft la voir , la fuivre telle que ^ le Rédempteur du monde Fa donnée; c'eft accomplir fes préceptes , fes commandemens, ceux de 1'Eglife ; c'eft pratiquer les vertus cbrétiennes 8c morales; ;.'.;ft écarter tout culte mihutieux , 'faux, hypoerite &C fuperftitieux. Ce n'eft plus la traiter en grand, que de vouloir & d'exiger d'elle qu'elle foit foumife, fubordonnée a nos caprices , a nos goüts , a nos penchans, a nos paffions & a tout ce qui favorife le déréglement, la depravation de nos mofeurs &C de notre cceur. Cependant cette vérité, ce beau mot refpecfable, aujourd'hui fert k détruire & k anéantir la Religion ; 8c prefque tous ceux qui difent qu'il faut  T" Parite. RELIGION. n-f nous enfeutions par-tout 1'influence: par cette comparaifon il eft aifé d'avoir 1'idée de la divinité, qui, quoiqu'elle foit invifible, nous avertit a tout moment de fa préfence 8c de fon action. L'homme ne feroit point furpris par la mort, s'il penlbit que le dernier moment s'approche de nous a chaque feconde, que le temps n'eft prefque rien; que le paffe, le préfent, 1'avenir fe touchent tellement , que l'on n'a pas le loifir de les diftinguer; qu'a peine une année eft commencée, que l'on fe trouve a la fin, que l'on ne peut écrire un mot, faire une virgule, fans qu'il y ait un point de retranché dans notre vie. II eft donc efientiel, prudent Se fage d'employer ces mornens, ces inftans a notre fa-ut, en faifant le bien autant qu'il eft en nous, en donnant k 1'amour du prochain, ce que nous devons; a la véritable gloire , ce qui lui convient; a la piété, tout ce que nous pouvons. L'on ne penfe pas que les rois,les grands, les riches, les hommes célebres 8c nous-mêmes devons péfir; que les arts utiles, ces loix, ces monumens de prudence 8c de fageftbj ces  n8 Le petit Salomon. noms confacrés a 1'hiftoire , que tout finira ; & qu'au milieu de tant de ruines, il ne reftera qu'un feul titre, le titre de Chrétien; un feul mérite, le mérite de la foi; que c'eft le feul titre, le feul mérite qui puiffent nous éternifer. La mort que l'on craint tant, eft cependant le moment le plus glorieux, quand on a rempli fa tache avec fidélité, felon les loix que la Religion prefcrit: lorfqu'elle eft prévue & bien vue, elle n'offre k l'homme rien que de grand, de confolant; mais l'on n'en juge que par 1'horreur du tombeau; c'eft-a-dire, que par tout ce qui n'a rapport qu'avec le corps. Aux yeux du véritable Chrétien, la mort paroit une feconde création beaucoup plus admirable que la première ; pour la voir ainfi, il faut y penfer, s'occuper de fon falut dans la jeuneffe &C dans la fanté. , Dans la jeuneffe , dans la fante , nous nous promettons des plaifirs agréables & continuels ; des jours fereins, au milieu même des tourmens, des malheurs qui nous environnent, & un bonheur calme fur  I'" Pdriu. Religion. 119 une mer orageufe. Un univers enchanteur occupe notre jeuneffe, fes brillantes couleurs charment nos yeux, notre imagination; nous ne voyons que des tableaux rians, des perfpectives amufantes& variées, une chaïne de plaifirs ; nous doublons le bandeau pour mieux dérober a la raifon la vue des cieux, de 1'avenir & de la vérité; nous perdons par degrés cette précieufe lumiere pour nous précipiter dans les ténébres. Cruelles illufions, richeffes imaginaires que devenez-vous ? De eet empire fi vafte, fi brillant, ou notre ame faifoit la fouveraine; qu'eft-ce qui nous refte au moment de la maladie , aux approches de la vieillefle ? Ce n'eft plus qu'une foible exiftence , un édifice qui menace, qui va tomber en ruines. Tant que nous fommes jeunes, pleins de vigueur , nous nous repofons tranquillement fur le préfent, fans aucune inquiétude de 1'avenir, & nous nous croyons plus fages que nos peres; a trente ans, l'on foupconne que l'on pouvoit fe tromper & agir en infenfé ; k quarante ans , l'on fe détermine quelquefois k ré-  ïio Le petit Salomon. former fon plan. Heureux lorfqu'a cinquante l'on fe reproche des délais honteux, que l'on a affez de temps, & que le projet de deyenir fage deyient enfin un parti décidé. XXXIIL Sur le pardon des offenfes. Si, du deur de 1'horrible vengeance, Votre coeur par hafard eft agité , Invoquez la douceur & la clémence, Et penfez qu'il eft beau de pardonner. La vengeance, loin d'effaeer 1'iniiire , en grave le fouvenir par le remord qui la fuit. Le plus sur moyen d'oublier une offenfe, c'eft de la pardonner le plutot poffible ; fe venger, c'eft defcendre jufqu'a 1'offenfeur; lui pardonner, c'eft le laiffer bien loin derrière foi. Dans le premier mouvement ,4'on prend quelquefois le en de 1'orgueil pour le cri de 1'honneur, dont il emprunte la voix. La demivengeance eft aufii dangereufe quune demi-confidence. Prefque toujours fefprit de vengeance eft injufte, öz porte fur un faux principe , ou fur une caufe que l'on ne fe donne pas la peine  £" Pank. Religion" ni» •peine d'éclaircir. C'eft un bonheur quand la vertu n'eft point compromife, & que 1'efprit de vengeance; n'eft pas enfant du crime. Nous reconnoitrons que Dieu né demande rien d'impoffible, mais feulement notre perfection, ft nous penfons & nous fouvenons de ce que David fit pour Saül & Abfalon; de la priere de faint Etienne pour ceux qui le lapidoient; que faint Paul defiroit 1'anathême, dans la place de ceux qui le perfécutoient ; enfin , de ce que Jefus-Chrift a fait & enfeigné, quand il difoit: mon pere, pardonnez-leur. Jefus-Chrift, au chapitre 6, verfet 3 dit : aimez vos ennemis, faites-leur du bien, prêtez fans en rien efpérer,' & votre récompenfe fera grande, vous ferez les enfans du Très-Haut, qui fait du bien aux ingrats & aux mé-i - chans. Socrate ne pouvoit regarder de mauvais oeil les médifans, paree qu'ils lui donnoient d'utiles lecons; ni les calomniateurs , paree que ce n'étoit pas de lui qu'ils parloient. Si le mal que l'on dit de moi, difoit ceSage, eft véritable , il fervira pour me cor- Tome I. F  «$8, Le petit Salomon. riger; s'il n'eft pas fondé fur la vé- • rité, ce n'eft pas moi que l'on attaque. Ses ennemis, loin d'exciter fa baine, n'excitoient que fa compalfion; il les plaignoit de ce qu'ils fe donnoient tant de peines pour combattre des phantómes, des chimères j ou bien il les regardoit comme des infenfés. L'empereur Frédéric III pratiquoit cette rare vertu ; ayant appris que quelques perfonnes 1'avoient blame en préfence de fes courtifans, dit a ceux qui lui en avoient fait le rapport : ne fcavez - vous pas que les prinees font comme un blanc fur une butte, que la foudre frappe les tours les plus élevées, & qu'elle paife fur les cabannes fans les endommager ? Par conféquent il me femble que tout va bien, quand on ne fait point d'autre mal que de paroles. Adrien, après être parvenu a 1 empire , dit k un de fes ennemis, qu'il yencontra par hafard: maintenant que je fuis Empereur, vous n'avez plus rien a craindre de moi. Louis XII fit a-peu - prés la même réponfe k certains courtifans qui vouloient le porter a fe ven-  I'" Partie. Religion. 125 ger de ceux qui lui avoient fait de la peine, lorfqu'il étoit Duc d'Orléans. Ce n'eft pas au Roi de France , dit ce Prince généreux, a venger les injures faites au Duc d'Orléans. Un cceur vraiment généreux triomphe des outrages, par la gloire de fes actions, & non par le mouvement de fa colere; c'eft la plus noble, la plus rare de toutes les vengeances. Ne nous emportons point contre les hommes, dit la Bruyere, en voyant leur dureté, leur ingratitude, leur injuftice , leur fierté , 1'amour d'euxmêmes , & Foubli des autres ; ils font ainfi faits , c'eft leur nature: il faut vouloir fouffrir qu'une pierre jettée en Fair retombe a terre , & que les Hammes du feus'élevent dansles nues. Quelqu'un ayant donné un coup de pied a Socrate, dit a ceux qui s'étonnoient de fa tranquillité: quoi! ft un ane m'avoit donné un coup de pied, ne faudroit-il pas me facher & 1'appeller au combat ? Heureux le fage qui fe tire de la mêlée, & qui tache d'adoucir les plus furieux; il s'épargne bien des troubles , des inquiétudes , des chagrins, des chofes humiliantes. F ij '  ii4 Le petit Salomon. L'on ne fe fache point contre le feit qui nous brüle par notre imprudence, ou par hafard; l'on ne s'irrite pas contre une pierre qui nous bleffe ou nous fait tomber, faute de regarder devant nous, & l'on ne leur en demande pas vengeance ; car ceux qui marquent leur indignation contre des chofes inanimées qui leur font mal, font rire , ou paroiffent infenfés : a voir la chofe de prés, & telle qu'elle efl:, ceux qui veulent fe venger, ne le paroiffent pas moins. XXXIV. La mort ncjl redoutable que pour V'mcrédule & le pécheur. Indépendamment de tous nos malheurs, La mort nous fait les plus vives frayeurs ; •Mais je penfe qu'elle n'eft redoutable Que pour 1'incrédule & pour le coupabïe. 'Aussitot que notre ceil s'ouvre, il appercoit déja la mort derrière lui; a mefure que l'homme croit, il s'approche du terme de la vie. La mere qui berce fon enfant, voit a chaque inltant 1'incertitude de le conferver, &c qu'il court vers le tombeau. Notre  T" Partk. RELIGION. 1x5 naiffance n'eft donc que le commencement de la mort, & comme des ctoupes enflammées , paffe la gloire du monde. L'homme eft donc aujourd'hui, demain il difparoit; a peine nos yeux ont ceffé de le voir, qu'il s'efface de notre fouvenir. N'être occupé que du préfent, fans prévoir fa fin , eft un oubli, un aveuglement qui n'eft point pardonnable. Lorfque la confcience eft bien pure, 1'onne craint pas beaucoup la mort; au lieu de s'en effrayer, il yaut donc mieux prendre des précautions pour éviter le pêché , & envoyer devant nous nos bonnes ceuvres, ^fans compter fur les fecours & les foins de ceux qui refteront après nous , paree que bientöt ils nous oublieront, Le fage , le chrétien, profite du temps préfent, paree qu'il voit que nous n'avons pas un jour d'affuré. La crainte de ia mort eft le feul mal qu'elle faffe éprouver; car la mort eft comme le point mathématiquè qui ne peut être appercu. Perfonne n'eft content de fon fort, & chacun craint de le voir finir. Ceux qui difent qu'ils craignent la mort, paree F üi  'i?^5 Le petit Salomon. qu'ils craignent la douleur des fouffrances, ne doivent avoir que la peur d'être malades. Ceux qui la redoutent, paree qu'ils font inquiets de 1'étermté , feroient mieux de s'occuper de eet article effentiel. Les ames véritablement pieufes regardent la mort comme le paffage du mal au bien, & les prétendus forts, comme le paffage du mouvement aii repos. Le vulgaire fouvent ne s'appercoit qu'il vit qu'au moment aue fon exiftence va ceffer. Nous regardons la mort des juftes comme un malheur, lorfqu'ils vont jouir de la vie, de la paix véritable! Ah ! quelle erreur ! D'après 1'augufre Religion , la mort d'un jufte eft appellée le jour de fa naiffance; fa mort eft la vie , fa mort eft 1'immortalité.Il faut faire fon poffible pour qu'elle ne nous furprenne point ; car fouvent nous croyons n'être encore que dans notre berceau , qu'elle ouvre notre tombeau , & qu'elle nous y fait defcendre au moment même que nous formons des prqjets. Notre exiftence eft 1'éclair qui fort du nuage pour y rentrer; l'on pourroit dire que l'homme naït  m Li petit Saiomon. c eft que Notre-Seigneur a choif, pour les ferviteurs, fes amis, des perfonnes qui noffroient rien que de pauvre, oe bas, de méprifable aux yeux du monde ; tefc étoient les Apötres. II a^que 1'Etre fuprême qui puifTe connoïtre, apprécier chacun en particulier, & lui feul fcait nos difpolitions,nos intentions, & oii peuvent tendre nos vues, nos difoofitions; nos recherches k eet égard Vont preique toujours imuiies. Notre-Seigneur difoit : ma paix en avec ceux qui font doux & humbles de cceur. Ceux que la vanité dirige ne veulen t paroitre que fous des dehors hrillans, fafhieux; ils croiroient dégenerer s'ils defcendoient par hafard parmi les malheureux qui font leurs freres ; ils méprifent 1'orphelin & lindigent, apeine veulent-ils reconnoitre leurs égaux. Sainte Religion! venez a leur fecours , diffipez le preftige qm les aveugle; placez-les aux pieds de ceux qu'ils ne peuvent envilager; affurez-les que leurs cendres ieront mêlées avec celles des plus mepnfables, & qu'elles refteront dans -un eternel oubli.  F' PanU. Religion. 153 X L V L Vovarice ejl un vice méprifable. L'avarice , dans un age avancé, Senïble indiquer que c'eft 1'inftinö de 1'a.me; Qui nous dirige vers 1'éternité; Cette paffion eft toujours infame. L'avarice, 1'intérêt font deux idoles très-proches parentes, qui re~ coivent le culte fecret de bien du monde, & que c'nacun défavoue tellement, que d'en faire le reproche, c'eft infulter la perfonne. Jufqu'& quand régnerez-vous fur tant de mortels? Malheur a celui qui n'a pas foin d'étouffer ce monftre au moment de fa naiffance ; car fi-töt qu'on le voit triompher dans une ame , l'on doit tout craindre pour 1'honneur, 1'amitié, la juftice, L'on imaginera difficilement que les paffions qui rendent 1'ame efclave fur la terre, puiffent indiquer qu'elle ■doit être 1'héritiere des cieux, & que ce qui nous porte a douter de 1'immortalité , eft ce qui la démontre. Pour s'en éclaircir & s'en convaincre, il faut d'abord citer 1'ambition au G v,  le petit Salomon. tnbunal de la raifon ; la honte qu'elle inlpire, fes extravagances, fes dégoüts, les defagremens, fon infatiable aviaite, les pnvations atteflent tous une ame immortelle. Que dit l'avarice? Que richelfe & iagefie font la même chofe, paree que toute fon occupation, toute fa gloire lont de travailler lans ceffe pour amaffer un tréfor; c'eft un inftinft naturel & toujours agiffant qui 1'engage & le pouffe; mais la raifon en meme-temps doit guider eet inftinct, & Iui montrer oh eft le tréfor que nous devons chercher : li la raifon eft muette & manque de s'acquitter de ce devoir ; ou fi nou.s refufons de prendre fa lumiere pour guide, nous nous egarons. Alors 1'aveugle induftrie secartant de la route qui 1'auroit conduite vers un tréfor plus précieux \ que 1 or, fatigue les jours, les veilles, " les heures, les momens de la vieilleffe a amaffer du bien, des provifions pour ia terre, comme fi l'on devoit y féjourner pendant 1'éternité. Tu ne defireras point.' c'eft le précepte de la fageffe; cette défenfe ne porte que fur les biens de ce monde,  T" Pattk. Religion, 15? & non fur les biens éternels. JefusChrift dit lui-même que l'on ne peut fervir deux rnaïtres, que notre tréfor eft ou eft notre cceur; que l'on ceffe de fervir Dieu, fitöt que l'on fert le dieu des richeffes. II feroit a defirer que l'on eüt le droit de réduire le revenu d'un avare a ce qu'il depenfe réellement. L'avare faftueux eft beaucoup plus égoïfte, plus dur, plus intéreffé ; plus infenfible pour les malheureux , plus méprifable que l'avare obfcur; il a moins de fentimens que lui; il eft moins jufte & a moins de probité. Souvent l'avare eft homme d'efprit; le faftueux, au contraire, eft petit & ridicule. X L V I I. La colere nous affïmile aux animaux féroces. Jamais 1'emportemerit & la colere Ne prouvent la bonne éducation ; A nous en corriger foyons féveres, Nous ferons dignes d'admiratión. La colere eft une paffion mixte, excitée par la do :leur que l'on reffent de Vrnjure que l'on a recue & de 1* G vj  iun ou de i autre. e Menées fourdes , cabales , intri- fab emotfnt' " Plliffant & redoutable moteur, agiront enfemble. Un ennemi plus redoutable , plus dan gereux encore, c'eft le mot de Rel gion ou, f, vous 1'aimez mieux t fanatifme. L'un & 1'autre fonT d s Wnesqui portent des coups en «veugles , qui malheureufemenr ne font que trop certains. L on doit être bien effrayé, quand Ion penfe que, pour & cLrfune ^e l'on peut en trouïer  F" Partie. RëLIGION. 119 cent qui feront prêtes a coinmettre les crimes les plus affreux; cependant c'eft le calcul qu'un homme fage doit faire , quöiqu'il foit très-humiliant pour 1'humanité. Ce font ces malheurs qu'il faut néceffairenient prévoir pour n'être point expofé ni furpris. Heureufement que la France ne craint point eet horrible fléau, paree que le projet du tolérantifme 11e peut ni ne doit pas venir dans 1'idée du Roi très-chrétien. L'on dira peut-être que le tolérantifme a lieu dans la Hollande, qu'il n'en réfulte rién de facheux. Ce qui convient a un peuple, a une contrée, k une petite république de commerce, ne conviendroit point k d'autres peuples qui embraffent toutes les parties de gouvernement, d'adminiftration, dont les moeurs & les ufages ont toujours été différens; non plus qu'a des royaumes, a des états fort étendus. La Hollande eft circonferite dans un petit cercle, ne s'occupe que de fon commerce , & s'embarrafle fort peu du 'refte ; pourvu que chacun ïtrottve de la bonne foi, dela sureté>  2.30 Le peut Salomon. de la folidité dans ceux avec lefquels elle négocie & commerce. L X X I I. Les fuicides, les duels. Le Créateur, ainfi que Ia nature, Abhorrent les fuicides , les duels ; Nosperes leur épargnoient cette injure, Ils étoient plus fages & moins cruels. Vous vous ennuyez de la vie,1 paree qu'elle vous devient k charge ! Pour la trouver ainfi, vous calculez les peines & fes maux! La fomme du mal yous paroït plus forte que celle du bien, & c'eft ce qui vous détermine k la quitter! Avez-vous avant rempli les obligations que vous impofe le Créateur? Êtes-vous bien sur que votre tache eft finie felon fes mtentions? que vous avez employé utilement le temps, & pratiqué les vertus? votre réponfe eft-elle prête, sure, digne d'être entendue & re cue par la Divinité ? vos maux accidentels lqnt-ils la preuve qu'il n'y a aucun men dans 1'univers ? Si vous comptez pour rien la vie paftive, c'eft que fvous oiibhez la vie active & moraïe  F" Partie. RELIGION. 131 de Phomme dont nous fommes comptables a la Divinité; vous ne penfez pas auffi qu'elle n'eft un mal que pour le méchant, 6c un bien pour l'homme vertueux. Mais non: ce ne font pas ces réflexions , ces calculs qui portent a cette barbare folie. Si l'on y prend garde , Ton remarquera que ce font des ames foibles , puiillanimes, fans courage ; qu'elles ont voulu s'élever beaucoup au-deffus de leur fphere, de leurs forces naturelles , de leur état, óu de leur fortune ; que les proportions phyfiques 6c raifonnables n'ont pu foutenir Tentreprife; qu'enfin la machine n'a pu réfifter a la force du mal, des adverfités, ou dela vanité; paree que ce n'étoit véritablement qu'une machine abandonnée des forces naturelles, de la Religion 6c de la Divinité : car s'il reftoit au fond de leur cceur, le plus petit fouvenir 6c fentiment de vertu, ils apprendroient a aimer la vie chaque fois qu'ils feroient tentés de la quitter, *8c s'ils defiroient de faire une bonne oeuvre avant que de la quitter; c'eft ce qui manque précifément au* Anglois.  ^32- Le petit Salomo*,-. L'on eft maitre de difpofer de fa fortime , mais on he le peut de fon exiftence, fans fe dégrader, fans inüilter la Religion & la Divinité ; 1 une & 1'autre veulent que l'on fupporte avec foumiffion, 'patience & courage les adverfités. La raifon fupporte les difgraces, les malheurs; la Kehgion, le courage les combattent; Ia patience les furmonte : l'on ne peut nen dire d'un fol. L X X I I I. Sur les doutes d'un Purgatoire. L'on dit que dans le nouveau Teftament II n'eft pas mention de Purgatoire; Que 1'incrovant, le prétendu fcavant, Doutent de la peine fatisfadtoire. Quand un malade , a Partiele de Ia mort, confeffe fes péchés avec une douleur, un repentir fincere &'véritable, qu'il en efl abfous, nous devons croire k la validité du facrement , & penfer qu'il fera fauvé. Suppofé que le nouveau Teftament ne parle point du Purgatoire, il faut du mojns convenir que dans plufieurs chapitres du nouveau Teftament, il  T" Partie. RëLIGIÖTK. 2.33 «ft dit que rien d'impur ne pourra entrer dans le róyaume des Cieux; que dans plufteurs chapitres, la ^penitence eft recommandée; que fouvent l'on y trouve le dénombrement des vices qui nous priveront de la vue de Keu, ft l'on ne fe corrige, bz fi l'on ne fait pas pénitence. ^ Celui qui meurt auffi-tot apres avoir été abfous &C adminiftré , n'a pas eu le temps de faire pénitence ; 'il doit donc y avoir un Üeü d'expiation & de pénitence pour ceux qui n'ont pas eu le temps de le faire. L'on nomme ce lieu Purgatoire, paree que nous y devons finir de nous punfier, puifque rien d'impur ne doit entrer dans le royaume des Cieux. Nous fcavons que tous les juftes attendoient dans les Limbes la réiurreaion du Sauveur &c Rédempteur du monde ; qu'ils y étoient privés de la vue de Dieu, & que cette privation eft la plus grande peine. II eft donc évident qu'il y a un lieu deftiné, ré^fervé k ceux qui n'ont pas eu le temps de faire pénitence, & qui n'ont pas entiérement fatisfait a la juftice divine.  HA Le petit Salomon. La decouverte de nos prétendus fcavans ne peut etre d'aucune valeur, ni leur fervir. Qui de nous peut fe flatter gue dans ces derniers momens ou notre machine fe détruit en détail par les fouffrances, & qu'elle eft prefque fans action, qui peut, dis-iefperer qu il aura affez de forc >£ prefence d'efprit pour former un regret, un repentir falutaire & fuffifant pour eftacer tous fes péchés?Qui de nous a la certitude de ne pa? finir par un accident imprévu, par une nn a^-?lexie' °» dans Ie tranf- port d une £evre maligne ? L'expénence journaliere nous prouve mie ces malheurs ne font crue trop communs , & meritent la plus grande attention. L homme chrétien^ de deux partis doit toujours choifir & prendre le plus fage le plus sur; par la raiion quun bonheur éternel ne doit pas etre foumis & expofé a aucun  23Ó Le petit SalomoM. récit de leurs vertus, de leurs actions ; admïrent la magnificence des éghfes, baifent leurs os facrés enve-> loppés dans 1'or ou la foie. Sans aller li lom , l'on trouve Dieu tous les jours fur fes autels; il eft le Saint des Samts, le Créateur des homme-!, le Roi des Rois & des Anges. En general, les courfes n'ont d'autre objet que la curiofité , la diffipation; le fruit que l'on en retire pour la réformation des moeurs , eft peu fenfble, quand c'eft avec légéfeté & lans un defir fincere de changer de vie. Sauveur du monde! vous êtes réellement préfent dans votre Sacrement & tout entier fur vos Autels! Chaque fois que l'on vous recoit avec une ferveur digne de vous, l'on reeueille des fruits abondans pour le falut éternel. Une aélion fi fainte ne peut avöir pour motif la légéreté la curiofité; mais une foi véritable' une efpérance vive , une charité' imcere. Ceux qui defirent s'avancer dans Ja vertu, ne s'approchent prefque jamais de ce Sacrement admirable, lans un fenfible renouvellement de  334 Le petit Salomon. iaintes, ils donnoient 1'exemple, en adorant le Roi des Rois ; en réparant 1'outrage de 1'impie, par 1'cclat, le refpett, la majefté de leurs hommages. Ils feroient dilparoïtre les atV tentats des faux fages du fiecle, qui font parvenus , & ont ofé rëpandre des écrits, oü 1'incrédulité, 1'irréligion, s'enveloppent fous le mafque, fous les apparences impofantes de bien» faifance, d'humanité, de charité. Déplorable inconféquence de Ia raifon humaine! l'homme voit la vertu, 1'admire, & fe laiffe entrainer par le vice qu'il condamne ! L'incrédule pour mieux dire, le libertin, pronte de ce combat pour renverfer tous les principes ; du moins s'ils confervent le germe de la foi dans le fond du coeur, ;1 ne faudra point défefpérer de leur falut. II ne faut pas non plus défefpérer du falut de la France, tant que la Religion trouvera fur le tróne un défenfeur, un afyle alfuré dans le coeur & 1'ame de ceux qui la gouvernent ; qu'elle foit donc a jamais le gage alfuré de leur bonté, de leur juftice & de leur clémence! De leurs exemples naitra cette piété tendre^  336 Le petit Salomon. d'hypocrifie; les plus doux mettront de la décence dans leur conduite ; ceux qui font emportés par leurs paffions, penferont k faitver les dehors & les apparences, peu k peu leur coeur fe fera violence; infenfiblement ils arriveront au niveau des autres; ce fera par ces gradations imperceptibles que la bonne foi finira par décbirer &c détefter le bandeau de 1'hypocrifie : ces changemens enfin paroiffent d'autant plus faciles, que les Francois paffent aifément d'un goüt a un autre ; de même ils peuvent paffer du bien au mal. X LI. Sur la vocation, Le bonheur de l'homme eft la liberté; Sitót qu'une barbare loi 1'en privé, II ceffe en quelque facon d'exifter, Ne traine plus qu'une vie captive. Dl eu nous a donné le noble, le fuperbe, en même temps, le dangereux attribut de la liberté. Sans cette liberté, nous ferions des automates paffifs , incapables de mériter la louange, ou le blame. Le pouvoir de  II' Partie. M O R A LE. 337 de faire k fon gré fon bonheur, ou fon malheur , efl de l'effence de tout etre raifonnable, autrement la raifon, 1'action refleroient oifives & fans emploi. Demander 1'impuiffance d'être malheureux, feroit demander 1'impuiffance d'être heureux. Le Ciel veut notre bonheur, il nous 1'offre, nous invite a 1'accepter; il nous a créé fans nous, mais il ne peut nous fauver fans nous; l'homme feul eft donc 1'artifan de fes deftinées immortelles. Les peres & meres , quoique vertueux & fages, fouvent ne confultent que des vues d'intérêt dans les établiffemens, ou le choix de la vocation de leurs enfans : quoiqu'avec des intentions très-raifonnables, ils font également fujets a fe tromper, par la raifon que tout ce qui paroit fatisfaifant, n'eft pas utile; que ce qui paroit defirable, ne concourt pas au bonheur, & que tout ce qui peut être chéri de l'homme, n'eft pas agréabbj a Dieu. Nous ne nailfons point religieux, ni religieufes, les couvens n'exifioient pas autrefois; mais nous naiflons tous citoyens : le monde a befoin de fu« Tomé I. P  33S Le petit Salomon. jets qui concourent a fon harmonie ^ qui faffent fleurir les empires par leurs talens, par leurs trayaux, qui donnent des exemples par leurs bonnes moeurs; eet enfemble heureux arrivera rarement, ou difficilement, fi l'on gêne les vocations ; paree que perfonne ne fe trcuvera dans fa place, dans fon état véritable , & qu'il ne pcurra faire tout le bien dont il eüt été capable, s'il eüt été placé oü fa vocation 1'appelloit. Saint Antoine, qui vécut long-temps 'dans les déferts , n'avoit pas fait voeu d'y deméurer toujours; il les quitta pour venir combattre 1'Arianifme a Alexandrie, paree qu'il étoit perfuadé qu'il faut fervir la Religion, 1'état, par des actions , autant que par des prieres. La deftination de l'homme eft donc de travailler, car il n'y a qu'un pas de la vie fpéculative k la pareffe, & ce pas eft facile k franchir. L'on doit craindre de s'oppofer k la volonté de 1'Etre fuprême qui conduit fes ferviteurs comme il lui plait, & fouvent par des voies qui nous paroiffent fingulieres. Les arbres, les plantes que l'on met dans une terre  IV Partie. M O R A L E. 339 qui ne leur eft pas propre &c analogue , réuffiffent mal, ne portent que du mauvais fruit, ou point du tout. A eet égard les hommes devroient fuivre le flambeau de la nature ; le titre même de majefté ne dédommage pas de la liberté, quand on la perd en devenant Monarque. II paroit raifonnable d'établir fes enfans felon leur bien, leur état; de ne point gêner leur volonté, a moins qu'ils ne veuillent s'allier d'une facon difproportionnée , de même qu'avec des perfonnes vicieufes ou des diffipateurs. Le mariage eft la condition naturelle de tous les hommes, c'eft 1'exception a la régie lorfqu'on s'en difpenfe. Les circonftances décident prefque toujours du fort des hommes; ce qui fait que les uns choififfent le célibat, d'autres préferent le mariage, d'autres 1'état Religieux. Les uns étouffent leurs difpofitions aux fciences , en prenant 1'état militaire , les autres fe rendent recommandables par leur érudition, paree qu'ils menent une vie privée. En général les mariages font conyenables quand la naiffance, 1'état o£ Pij.  340 Le petit Salomon. la fortune paroiffent auffi convenir: c'eft oü fe bornent ordinairement les recherches , les demandes des perfonnes fages. Les mariages que l'on défapprouve, qui, cependant paroiffent plus dans 1'ordre naturel , font ceux que 1'inclination décide, & qui fembleroient promettre des jours heureux; mais il faut du courage ou de la fortune pour époufer une femme qui n'a que de 1'efprit, du mérite &c de la vertu. Les fous , plutót encore les libertins , époufent une fille publique, une actrice; ces mariages fcandaleux ne font que trop communs. Informez-vous des mceurs , plus que de la richefie , Si, dans Ie nceud d'hymen, vous cherchez le repos. Qu'a-t-il ? qu'a-t-elle ? Ah, cher ami, ce font deux mots , Qui jamais n'ont produit ni douceur, ni tendreffe !  II' Partie. Morale 341 X L I I. Difference entre la mauvaife compagnie des femmes & celle des hommes. La mauvaife compagnie des femmes Nuit bien moins a la réputation , Que celle de certains hommes infümes, Tares & dignes de confufion. Il faut diftinguer trois fociétés, celle du grand monde , celle dii fecond ordre & celle de la bourgeoifie. Dans la première , fouvent les riens, les petites chofes en font la bafe; la feconde eft mixte. Quand l'on a vécu dans ces deux premières , l'on ne peut s'accoutumer è latroifieme: il eft donc difficile de palfer de la grande a la petite , & plus encore de defcendre de la bonne a la mauvaife. Le grand état place néceffairement dans la bonne, la grande naiffance y conduit. L'on eft grande & bonne compagnie quand l'on fuit les ufages qui y font recus; que l'on a de la politeffe , de la nobleffe dans le ton, dans le maintien. La fociété du grand monde devroit donc être 1'école du goüt, des moeurs, de lTionnêteté ; paree que P iij  "341 Le petit Salomon. le bon ton n'eft autre chofe qu'une facilité noble Sc naturelle dans le propos, dans les expreffions; la convenance dans les égards, une maniere de parler qui ne confond point les états , les qualités, les titres, ni les perfonnes ; une juffeffe dans le tact qui nous avertit de ce que nous devons rendre a chacun, Sc de ce que les autres nous doivent. Si l'on confidere l'homme dans les infirmités , dans la folitude, dans la jeuneffe, Ia vieilleffe, fur fes difpolitions, fes talens pour les arts, pour les fciences; fur fon goüt pour 1'eftime , pour la louange , 1'amitié , la compagnie , l'on reconnoitra bientót qu'il eft né pour vivre en fociété; que des nceuds fecrets 1'attachent intiméjnent a ceux qui 1'environnent. Dans cette néceffité rien n'eft plus important que de fcavoir difcerner Sc connoïtre ceux qui peuvent être pernicieux ou utiles. Quand l'on appercoit une. mauvaife conduite , des efprits faux, un mauvais coeur, de la noirceur dans 1'ame, point de probité ni üdélité dans les promeffes , & des moeurs dilfolues, ces qualités funefles  Il' Partie. MoRALE. 341 k ceux qui les ont, le font aufli pour ceux qui les fréquenter*, & la raifon nous avertit de nous tenir en garde contre des ennemis qui nous menacent • cela ne diminue point les dangers auxquels l'on s'expofe dans la mauvaife compagnie des femmes. Lheureufe fociété fera toujours celle des perfonnes honnêtes, des arms; 1 agreable, celle ou 1'honneur & les gouts fympatifent. XL Ut %es ingrats ne doivent point ralentu les bienfaits. Qu'un ingtat n'arrête point vos bienfaits , Le bon doit-il fouffrir pour le coupable? Quelques mauvais arbres dans les forêts Peuvent-ils les rendre moins agréables. LA reconnoiffance eft une dette d'honneur exigible en tous temps; il faut entre égaux la payer en meme nature , ou par un équivalent; lorlque le perfonnel, les circonftances ou les facultés ne peuvent y concounr, l'on doit, dans les occafions, en temoknerun defir extréme; les loins, les égards, les attentions, les com0 P IV,  348 Le petit Salomon. fes femblables ; cela peut-être vrai pour ceux qui connoiflent imparfaitement les hommes , qui font vivement affe&és des vices attachés a 1'humanité, fans faire attention aux vertus qui j-achetent les vices Mais fi 1'ame s'accouiume aux plaifirs touchans de fecourir les malheureux, elle ne s'en privera point.... Le véritable moyen de paroitre bienfaifant & jufte, c'eft de 1'être de bonne foi. X L I V. Le véritable amour ne va jamais fans Veflime 6' 1'amitié. Non : l'amour, fans 1'eftime & 1'amitié, Ne peut pas être de longue durée; Ces deux bafes de toute intimité , Pour l'i.omme fage, font toujours facrées. Quand l'amour ne fe propofe qu'un bon motif, qu'il eft pur, fimple, dinge par les fages vues du bien, l'on ne devient point efclave de ce que l'on aime : fi c'eft au contraire, pour notre utilité , notre fatisfaöion, & par un penchant diffolu, alors l'on ne trouve point le repos que l'on cherche & que Ion efpere; l'on eft continuellement  H' Partie. M O R A L E. 349 inquiet; dans une infïnité d'occafions l'on découvre des défauts, & eet objet qui devoit faire notre bonheur, nous contrarie, nous rend malheureux. Le nom feul d'amour refte aujourd'hui; autrefois il étoit révéré, même facré ; préfentement on le prodigue aux paffions , a la débauche ; l'on croit que ce déréglement eft en effet un fentiment. Le véritable amour eft un penchant de la nature, réglé par la raifon, jiiftifie par la vertu ; c'eft le feul qui puiffe convenablement remplir les voeux de l'homme qui veut être heureux. Ceux qui ne connoiffent pas 1'amitié , ne peuvent connoïtre l'amour, puifque ce n'eft qu'un defir de plus. Un homme vertueux, une femme eftimable, font plus heureux par le bonheur dont ils jouiffent, que par leurs fermens; ils fe féparent volontiers du tourbillon de la fociété, pour être entiérement a eux ; cependant ils ne font point perdus pour elle , puifqu'ils fervent d'exemple. Heureux quand la raifon vient nous donner la main pour nous conduire a 1'autel, au fentiment & au bonheur véritable.  55° LE petit Salomon; X L V. La noble ambition , fes caracleres. L'on admire la noble ambition ; Mais celle qui peut dégrader notre ame, Tend au mépris s a Ia confufion ; II faut préférer l'honnête a 1'infime. L'ambition, 1'émulation font les enfans, ou les extraits de 1'envie, comme certains remedes font extraits de quelques poifons. Leurs effets, leur utilité nous cachent, nous ferment fouvent les yeux fur leur origine, leur principe, &C comment il faut en ufer. Dans quelque carrière que nous nous trouvions, pourquoi nous dire : regardez vos concurrens, plutöt que, regardez votre but ? A force de nous infpirer de 1'émulation, ne nous foumettons pas a 1'empire de 1'exemple , ou k celui de 1'orgueil; car alors l'on ne fait plus le bien pour l'amour du bien même; ce n'eft plus qu'un modele que l'on fuit, ou que l'on veut donner. Souvent l'on voit la baffe complaifance & la déplorable ambition courber les têtes les plus illuftres?  IV Partie. M ORALE. 3Ji les plus fleres, devant les idoles de la faveur. L'on fe rend méprifable, fi l'on n'eft pas inflexible, & quand l'on ne foutient point la dignité de la vertu : cependant il ne faut pas oublier que l'on fe doit a 1'état & k la patrie, ni qu'une morgue mal entendue nous faffe fuir les places & 1'adminiftration publique ; fi les hommes vertueux s'en éloignoient, quel feroit le fort des malheureux? Ils deviendroient la proie du premier ambitieus: qui fe feroit emparé de 1'autorité. Partager avec fon Souverain la puiffance abfolue, être placé k la fource des honneurs, des graces, pouvoir y puifer a fon gré 1 quel bonheur pour les ames vertueufes, ainfi que pour les malheureufes , quand les bienfaits font difpenfés avec connoiffance & fageffe ! mais quel écueil pour k défintéreffement &; la modération. Combien d'hommes arrivent vertueux k ces dangereufes places, y ont vu écheoir leurs principes & leur gloire > L'on dit que 1'ambition eft la pafnon des grands hommes; ce proverbe eft juftifié, quand elle excite le defir >le  352. Le petit Salomon. pi'cjet de rendre fes talens utiles a 1'Etat; de fe dilïinguer par fes vertus, fa juftice , de fe faire un nom fous leurs aufpices, cc de devenir célebre par des aöions éclatantes, dignes en même temps d'admiration. X L V I. Le véritable Philofophe. l'on eft digne du nom de Philofophe, Quand on eft jufte, éclairé , vertueux; Mais , par une. funefte cataftrophe, Nos prétendus fages font dangereux. Il y a toujours eu parmi les hommes des difputes &c des erreurs; c'eft un grand bonheur quand, au milieu de tant de nuages , de contradictions & d! bpinions , l'on a une lumiere süre pour prendre le véritable &c droit chemin. La Religion, malgré tous les efforts de 1'incrédulité, ne s'éteindra jamais. L'on peut la comparer au firmament , qui quelquefois nous paroit obfcur, & qui n'en eft pas moins radieux. Les fens, les paffions font des vapeurs qui s'élevent du fein de notre corruption, & qui dérobent a notre vue les clartés celeftes. L'homme fage,  II' Partie. MORALE. 353 vertueux, qui réfiéchit fans s'étonner ni s'alarmer, attend le retour du beau temps; les brouillards , qui fe font élevés jufqu'a pïéfenl, fe font diffipés; il faut efpérer que ceux de nos prétendus Philofophes auront le même fort. Dans chaque fiecle il a paru des hommes finguliers , qui tantöt avec les armes , tantöt avec le fanatifme , ont femblé devoir anéantir le Chriftianifme ; ils ont difparu comme ces tempêtes , qui ne fervent qu'a faire paroitre le ciel plus ferein, plus agréable. Ceux qui n'ont point de principes fe laiffent éblouir par des fophifmes , regardent des raifonnemens, des objections rhiférables, comme fans réplique ; paree qu'ils ne fcavent rien, &c qu'ils ne font pas fermes dans leur Religion, dans laquelle cependant tout eft lié, tout eft combiné; car, pour peu qu'on laiffe échapper & que l'on abandonne une vérité, l'on ne trouve plus que des abimes , des ténebres. L'homme, au lieu de conclure, a la vue des merveilles qu'il voit, des biens dont il jouit, que Dieu doit surement lui en donner de plus grands,  354 Le petit Salomon. de plus admirables après cette vie; juge , croit au contraire que la Divinité , quoique toute-puiffante qu'elle efl:, ne peut aller plus loin, 6c que ce monde efl néceffairement le nee plus ultra de fa fageffe 6V de fonpouvoir. A la vérité , tout paroit une énigme fans la Religion, fans la Foi; il n'y a qu'elles qui puiffent nous rendre compte de 1'immenfité des cieux, dont 1'incrédule ne peut deviner 1'ufage; non plus que des miferes que nous fouffrons, dont nos Philofophes prétendus ne peuvent trouver la caufe, ainfi que des defirs toujours renaiffans qui nous agitent, dont 1'impétuofité efl difficile a calmer. Les vrais Philofophes n'aiment point la vie tumultueufe; ils banniffent du coeur de l'homme, pour le rendre heureux, la cupidité des grandes richeffes 6c de 1'ambition; ils font d'accord en cela avec les vrais Chrétiens, qui font humbles 6c défintéreffés. Comment les Philofophes modernes ofent-ils dire que les Chrétiens n'ont que des vues très-bornées ? Une ame qui s'étend jufqu'a 1'éternité , qui s'éleve au-deffus de Funivers pour arri-  II' Partie. MoiULE, 35$ ver a Dieu, une ame abiblument fpirituelle , peiU-elle être retrécie dans fes idees ? Quand on fera le parallele de la Religion avec la Philofopfne de nos jours, l'on découvrira clairement que 1'une étend a 1'inflni les facultes de 1'efprit, & que 1'autre les refferre dans un cercle très-étroit: ce monde eft pour le Philofophe le nee plus ultra, & pour le Chrétien ce monde n'eft qu'un atome , un rien; 1'un en fait fon bonheur & fa fin , fes vues font donc très-bornées ; 1'autre ne la regarde que comme une figure momentanee , fur laquelle il ne donne qu'un coup d'ceil en paffant; 1'un adore Dieu , paree qu'il eft fon tout; 1'autre ne le regarde que comme une fidtion, une yapeur qui va bientót fe diffiper. X L V I I. Les defirs font naturels d Ühotnmti, Les defirs dans l'homme font légitimes ; Ce n'eft que le choix, 1'abus, ou 1'excès, Qui, pour l'oÜinaire , font tous les crimes ; Raifon! couduis-nous avec fuccès. Pour ne point fe laiffer tromper par les defirs, il faut d'abord réfifte*  356 Le petit Salomon. èceux de la chair, modérer ceux de 1'efprit, & les foumeftre tous a la vcIcnté fuprême ; fi quelques defirs nous preffent, examinons s'ils ne blefieront point la gloire de Dieu , & les yeux du prochain; fi nous n'avons que des vues honnêtes , nous ferons toujours contens , quelque fuccès qi?: puiffe en réfulter; mais fi nous ne cherchons que nous-mêmes , nous éprouverons des peines, des inqui udes ; il nous foumettons nos defirs k ia Providence, neus ferons agréables a Dieu , redoutables aux méch;;::.ts , li refpectés par les ames vertueufes. L'indigence éprouve quelquefois des plaifirs , même dans la privation de ce qu'elle defire. L'on jouit dès que l'on efpere, & l'on ne jouit pas toujours de ce que l'on pofiède ; il vaut mieux diriger fes defirs vers les objets faciles , que de pofleder de grands biens dans 1'inacfion du cceur pour les defirs.  II' Partie. morale. 357 X L V I I I. Uhomme fourbe , inhumain & vicieux. L'homme fourbe, inhumain & vicieux, De 1'humanité n'eft qu'un fimulacre, A la belle ame il paroit odieux, C'eft 1'emblême du crime & du maflacre. En vain de pareils hommes veiüent faire paroitre fur leur front 1'air bon, doux 6c tranquille; ert vain ils veulent tromper, par un calme apparent; fi l'on perce le voile fombre dont leur coeur pre nd foin de s'envelopper, on les verra honteux d'eux-mêmes , 6z fe méprifer en fecret. L'habitude du vice peut quelquefois affoiblir 1'horreur du crime; mais elle n'étouffe jamais touta-fait la voix, le cri des remords. Un préjugé malheureux affranchit fouvent les hommes, même les grands, des loix d'une exacte équité , ainfi que des devoirs 6c obligations que l'on fe doit réciproquement dans 1'ordre de la fociété : cependant la fourberie, 1'inhumanité , l'kfiuftice , ne font qu'une fauffe monnoie qui décelent la mifere réelle de ceux qui lui donnent un cours & en font ufage; ces fortes  35S Le petit Salomon. de viees font donc odieux. Souvent l'on aremarqué que lesbrigands même ne maintenoient leur affociation que par leur exactitude k être juftes entre eux. L'homme vertueux porte ordinairement 1'empreinte des vertus fur fon vifage ; il en eft ainfi du fourbe ? du fcélérat. X L I X. Vamitiê , fes qualités, Amitié! tréfor rare, ineftimable ! Toujours veillante , attentive au befoin ; Lorfqu'elle tend une main fecourable , Sa délicateffe fuit le témoiru Les plaifirs forment les liaifons; ï'ambition produit les intrigues; les goüts ou 1'intérêt arrangent des fociétés ; la vertu affbrtit, relferre les noeuds de 1'amitié ; l'amour finit promptement, 1'amitié feule peut être durable; les defirs difparoiffent prefque toujours auffi-tót que les graces ; mais 1'amitié marche d'un pas égal a coté de la vertu. L'eftime eft le prix qu'exige la vertu, &c que l'on ne peut lui refufer fans injuftice, & 1'amitié eft la faveur qu'on lui accorde ; alors  II' Partie. MORALE. 359 celui qui dit, un tel efl mon ami, fait fon éloge & celui de fon ami; c'eft comme s'il difoit, un tel & moi fommes vertueux, nos caraóteres fe conviennent, & nous fommes connus. Dans la profpérité un ami fert de préfervatif contre 1'ivreffe; dans 1'adverfité , c'eft le tréfor qui doit en arrêter 1'effet. Au milieu de ce que l'on appelle revers & adverfités, l'on ne manque de rien s'il nous refle un ami; l'on a de plus fa vertu perfonnelle, & des exemples qui la foutiennent. Un ami quelquefois eft un bien, que le fort ne nous montre que pour nous porter un coup plus fenfible; mais a l'homme vertueux & chrétien, la perte d'un ami ne fait que préparer k la mort & en adoucir 1'image. Saint Auguftin dit' que 1'amitié a quelque chofe de fatisfaifant, que quiconque n'en connoit pas les douceurs doit s'exelure de la fociété. Le Sauveur du monde 1'a canonifé par fon attachement particulier pour Saint Jean, par fes larmes a la mort du Lazare ; l'on voit que les plus grands Saints l'ont cultivée avec une religieufe attention„  360 Lr petit Salomon. Jéfus-Chrift nous ordonne d'aimer notre prochain comme nous-mêmes ; 1'amitié peut donc être regardée d'inftitution divine ; dès-lors c'eft un fentiment divin, ce qui fait efpérer que nous le retrouverons dans la célefte Patrie; cette idéé, cette croyance doivent faire d'autant plus de plaifir , qu'elles fervent a adoucir la douleur , 1'amèrtume, le regret des amis que nous avons perdus : c'étoit la confolation des Patriarches; ce fut celle de David après la mort de 1'enfant d'Urie: nous quitterons donc auffi dés amis pour aller rejoindre ceux qui neus ont précédés. AmitiéJ fruit délicieux que le ciel a permis a la terre de produire pour y faire le charme de la vie. Quand la félicité daigne defcendre fur la terre & vifiter les humains , elle cherche &c ne trouve que le fein d'un ami oii elle puiffe repofer; elle fe plak avec deux coeurs unis, appuyés 1'un fur 1'autre & vivant enfemble dans une douce paix. La joie , le plaifir de 1'amitié ne font point paffagers : il ne faut pas fe méprendre , il n'y a que 1'amitié ver- tueufe  II' Partie. M ORALE. 561 tueufe qui foit la véritable , il en coüte pour 1'acquérir 6c la conferver. Pour le malheur de 1'hiimanité, 6c par 1'inconféquence qui 1'accompagne, combien en voit-on fe garantir des preftiges, de 1'éclat des places 6c des richelfes, qui, confervant 1'ame pure Sc fenfible, ne méconnoilfent jamais 1'amitié ! ofe-t-elle, hélas ! habiter la maifon des grands ? Sur ce chapitre ne perdez jamais de vue 1'exemple paternel ; il faut au hafard préférer cette maxime. Soit une vérité, foit une erreur, Je crois avoir un ami bien fincere; Ah! Ci par hafard c'eft une chimère, C'eft du moins la chimère d'un bon cceur. En effet, celui qui n'a jamais fenti ie charme d'une amitié fincere, branche , délintéreffée , ignore tout le bonheur qu'un homme peut reffentir, 6c recevoir d'un autre homme. Les femmes aiment plus vivement, plusdélicatement; font aufli plus attentives , plus complaifantes, paree que les hommes font plus difïipés au-dehors. L'intérêt, 1'abus marchent fouvent aux cötés de 1'amitié; plus elle. Tome I. Q  562 Le petit Salomon. eft vive, moins l'on doit exiger, particuliérement fi la fanté peut en fouffrir; il faut donc aimer fes amis pour eux-mêmes, ce qui n'eft pas ordi-, ïiaire. L. 'La violence des paffions, les foibleffes de 1'humanité ; il faut, tant qu'il eji poffible, fauver les apparences. l'homme eft fujet a des égaremens , Soit par foibleffe , ou par extravagance ; II eft toujours a plaindre également, Heureux ! quand il fcait fauver 1'apparence. L'homme fans paffions eft prefque un être imaginaire. Les idees qui flattent nos penchans font néceffairement des impreffions plus vives fur notre ame, que celles qui les contrarient; ce premier mouvement fe fait en notre cceur, d'abord involontairement, fans prefque nous en appercevoir. Pour s'en garantir, il fau droit y faire attention, & prévoir jufqu'oii nous ferons emportés. Mais l'homme, une fois préocupé de ce qu'il defire, ou qui lui fait plaifir, ne le voit plus que (du cöté qui favorife fon goüt; il lui  H' Partie. Morale. 36 } en coüteroit pour fe détromper: aufiitöt les diftraclions, les oublis volontaires , 1'ignorance affectée de tout ce qui auroit la force de le ramener a la vérité , s'empareni de lui: voila le bandeau mis. Les fauffes opinions naiffent des paffions & du befoin que nous avons de nous accorder avecnous-même. Le libertin ne voit dans fes honteux plaifirs que la conféquence & les fuites d'un penchant naturel a l'homme,dont on ne peut lui faire un crime. L'ambitieux regarde le defir de s'élever, comme le mouvement ordinaire des grandes ames , comme le feu néceffaire a faire germer les talens rares , pour 1'illuftration des peuples & 1'aggrandiffement des états. Le luxe qui confond toutes les conditions , qui corrompt les moeurs, qui répand un éclat trompeur fur les empires , eft prefque toujours le funefte avantcoureur de leur décadence, paree qu'il paroit a fes partifans, le moyen d'y faire circuler promptement les richeffes & de conduire les arts k leur perfeftion: voila quelle fut Terreur, des Romains»  364 Le petit Salomon. Si chaque paffion en particulier peut obfcurcir la vérité qui lui eft oppofée, quelle force ne doivent pas avoir toutes les paffions réunies contre une Religion inexorable, qui ne fait aucune exception ni grace ? Le malheur de 1'humanité, c'eft d'avoir des paffions , des foibleffes, des égaremens: la fageffe, 1'exemple, la décence publique , veulent qu'on les cache ; &C fous le beau nom de liberté , il ne faut pas que 1'efprit d'indépendance femble vouloir brifer le joug de toute autorité, de la décence, du bon ordre & de 1'exemple. Sparte , Athênes & Rome , oii la liberté étoit chere & refpeclée, obfervoient une difcipline la plus rigide fur tout ce qui pouvoit intérelfer 1'ordre &C la décence des moeurs. Dans le Royaume trés - chrétien , fous le prétexte de ne point troubler la liberté des citoyens, l'on tolere fouvent les plus affreux défordres Sc les écrits les plus licentieux. Paree que les Loix ne peuvent, dit-on , régner fur les moeurs privées , s'enfuit-il qu'elles ne pourront régner fur les publiques ? Paree qu'elles ne peuvent commander  W Partie. Morale. 365 k la vertu , elles ne pourront commander k la décence ? La liberté jamais ne bit la licence. Quoique 1 homme ne veuille point de chaines, il hu faut un frein, & c'eft celui des Loix, Mais que peuvent-elles fans les moeurs &la décence? Lapparence eft pour nous une fource d'erreurs; Dieu feul approfondit le fecret de nos cceurs. L I. La véritable Nobleffe. La véritakle nobleffe n'exifte Que dans 1'heureufe union des vertus; Sans cela je ne crois pas au mérite, Et n'appercois que de faux attributs. Duc, homme dequalité,homme de condition, gentilhcmme, homme annobli, qu'eft-ce que tous ces divers degrés de nobleffe, d'élévation, de diltintHon? Ne diroit-onpas que les hommes ont craint d'être égaux, qu'ils n'ont feu mettre d'autre différence entr eux que celle de quelques années de décoration & de quelques charges de plus ou de moins dans leurs families. Le vrai mérite fait feul la diftinc- Q ")  366 Le petit Salomon tion. Ceux qui s'occupent de leurs devoirs de ceux de la fociété, des interets dè la patrie, du foin de fecounr les malheureux, les opprimés, fontyentablementdegrandsSeigneurs & tres-diftingués. a F°nJaur riere ; demandez-lui qu'il vous rende compte des fonges de fes premières années , ils font auffi étranges, aufli loin de lui que s'il ne les eüt jamais  374 le petit Salomon; eu. Le jour préfent eft pour lui comme 1'oifeau qui fe débat dans nos mains pour s'envoler. Sa fin arrivé pour ne terminer, fi vous voulez , que la vie la plus longue, la plus fortunée en apparence, & il ne refte plus a fes regards inquiets que 1'afpeft de l'éternité..... A qui doit-elle appartenir? a qui doit-elle apporter la confolation & le bonheur ? Ambitieux infatigable & infatiable , interroge ta vie, ta confcience 3 elles te répondront. * L V I. 'Les honneurs , les richeffes ne doivent point changer le cceur. Que fortune , faveur & dignité Ne changent jamais votre caractere ; l'on doit a fes amis 1'intimité , Du fecours, quand leur état le requerre. Les perfonnes hautes & fieres ont rarement de 1'élévation ^ de la politeffe; les hommes grofliers ordinaiTement font bas , fujets a faire des impertinences; s'en offenfer feroit une petiteffe. Ceux qui mettent leur gloire dans leur naiffance, leur for-«  IP Partie. MORALE. 375: tune, leur élévation, nedonnentpas une grande idee d'une ame, d'un coeur véritablement diftingué. Ceux qui parviennent aux places, qui participent aux faveurs; s'ils oublient leurs amis, méconnoiffent leurs parens, ils s'oublient, fe méconnoiffent eux-mêmes. II ne faut pas qu'ils faflent une chüte , paree qu'a leur tour ils feroient oubliés. Si les procédés de 1'oftentation, de la hauteur & du mépris, font vains & petits; ceux des égards, des bons procédés & de 1'honnêteté font nobles & fimples ; car l'homme faftueux eft prefque toujours médiocre. L V I I. Le Roi fans Sujets* L'homme fans paffions eft un problême ; C'eft imaginer un Roi fans Sujets , Autant a charge aux autres qu'a lui-même,'. Qui ne forme ni defirs, ni projets. L'homme fage ne peut ni ne doit pas condamner les goüts, ni les defirs ; fans befoins il ne peut y avoir de defirs; fans defirs il n'eft point de jouiffance, & fans jouiftance il n'y auroit ni bonheur, ni fatisfaction. Les  376 Le petit Salomon. befoins de la faim & de la foif, quand ils font preflans, nous en fourniflent la preuve, de même que le grand froid & le grand chaud; mais ce qui prouve aufli la foibleffe humaine , c'eft le malheureux afcendant que les delirs ont fouvent fur notre raifon, paree que l'on prend leur violence pour la certitude d'un befoin, d'un projet, d'un fuccès raifonnable. Si les defirs nous aveuglent ainfi, il ne faut pas être furpris fi l'homme expirant fe flatte encore de vivre. Un homme fans goüts, fans paffions femble donner 1'idée du bonheur, du repos véritable ; effettivement c'en feroit un pour eet individu qui paroit fimplement idéal, a moins que de fuppoferun imbécille ; antrement n'ayant en lui aucuns fens a combattre, ce feroit alors ce Roi fans fujets; iln'éprouveroit aucune privation, aucune contradiction; fes adf ions feroient pèu méritoires , n'exciteroient aucune envie, ni regrets. L'homme fe préfente fous tant d'afpecls différens, il réunit tant de contrariétés, qu'il doit paroitre une créature toute célefte, ou bien un être  II' Partie. MORALE. 377 tout animal. Par fon ame il tient a Dieu de la facon la plus glorieufe & la plus intime; fouvent par fon corps, par fa ftupidité, il femble participer au néant de la maniere la plus humiliante. Dans 1'un, c'eft un jour qui réjouit par fa pureté; dans 1'autre, une nuit effrayante par fes ténébres. II en réfulte que 1'homme de Lucréce, n'eft point celui de Defcartes ; ni l'homme de Spinofa, celui de Pafcal; que li l'on veut nous définir d'après nos qualités, nos imperfections , il faut interroger la Religion pour fcavoir au jufte ce que nous fommes ; paree que le chriftianifme étant a 1'abri de tous les écueils, & tenant toujours un jufte milieu, nous montre l'homme fur terre &c dans Ie fein de la Divinité, comme dans un doublé centre d'ou nous fommes tous fortis, & oh nous devons tous retourner: finalement, lorfque les chofes fenfibles nous dominent, nous devenonsle trifte jouetdetoutce qui nous environne; au contraire, fi les chofes fpirituelles nous gouvernent, nous devenons les rois de nous-même , de nos fens, de nos goüts, de nos paflions,  ?78 petit Salomon. f & la raifon brille dans toute fa clarte, fa gloire Sc fon avantage. L'on peut donc conclure que 1 homme environné de tous les fens , doit être comme un Roi entoure de les eardes; fi fa fentinebe fe laiffe furprendre &forcer; fi elle n'eflpas attentive a repouffer les vices qui veulent ufurper la fouveraineté, & fe rendre maitres de la place; alors 1 homme éprouve dans lui-même la plus cruelle anarchie. Peut-on imaginer que quelqu'un qui n'a befoin de rien, puiffe aimer quelque chofe? Peut-on auffi croire que celui qui n'aime rien, puiüe être heureux? L V 1 I I. tintent & les circonftances fontfouvem des victimes. l'on volt fouvent que les grands^ font viftimes De la circonflance, ou de 1'intérêt; Que, pour réuffir , l'on emploie le crime , Et qu'on ne le punit prefque jamais. Les grands, tant qu'ils vivent, font encenfés, refpeclés , apres leur mort quelquefois on les loue ; c eft la derniere des flatteries ou leur rang  II' Partie. MORALE. 379 les a condamnés; ce qui prouve combien Télévation & les richeffes font fatales a la vérité ! Mais cette louange qui rampe a leur fuite, dernier effort de 1'adulation expirante, s'éteint ellemême avec le flambeau qui vient d'éclairer leurs funérailles. Quel bonheur pour la Religion & 1'humanité, fi l'on pouvoit ramaffer & affembler tous les efprits de juftice, de bienfaifance, de paix & de vérité, pour les placer aux pieds de tous les trönes, des grands & des riches; afin de compofer &c affurer le bonheur du monde, qui doit être 1'héritage facré de toutes les nations! II ne faudroit pour cela qu'envifager le néant des grandeurs humaines, toujours prouvé, mais toujours méconnu. Que l'on confidere le tableau du monde ; l'on voit que les trónes, le palais des grands, la maifon des Créfus, font les théatres de toutes les paffions, la honte des plaifirs, & que tout y finit d'une facon brillante, en même temps malheureufe. Le véritable Chrétien, au contraire , paffe & finit fes jours dans une efpece d'obfcurité ; le temps & la vanité ne font rien pour lui , mais I'éternité 1'attend & lui refte.  3S0 Le petit Salomon. L I X. Sur les plaifirs innocens. Qu'ils font rares les plaifirs innocens! Combien ils méritent de préférence! Tous les autres font fuivis d'accidens, Et par malheur font pencher la balance, Il ne faut point dilfimuïer la principale caufe des malheurs de l'homme ; fatale paffion ! que le monde infenfé appelle volupté, fi tu parois douce, que tes fuites en même temps lont cruelles ! Combien de grandes ames ont été, font Ö£ feront dégradées par les paffions honteufes! Ils ont vu périr leur gloii-e avec la vertu. Si, par un malheur plus-grand, la paffion s'empare de ceux qui ont, par état, le plus d'influence fur le fort & les mceurs des autres hommes ; alors plus les fcandales tombe nt de haut, plus les bleffures font profondes , plus les ravages qu'ils font font terribles! funeftes plaifirs! déplorables fources des calamités publiques, fources de tous les défordres ! O Davicl! ö Salomon! trop ilhütres exemples de ces défordres!  IV Partie. Morale. 381 II faut craindre, éviter, bannir ces faux & perfides adulateurs qui foufflent dans nos coeurs des feux coupables; foit pour autorifer leurs foibleffes par un grand exemple, foit pour fe mettre en faveur, par de laches complaifances; foit pour nous diftraire des affaires de notre état, afin d'avoir plus de puiffance & de crédit. Ces laches & bas complaifans ne craignent point de facrifier a leurs vils intéréts la gloire & 1'ame de leur maïtre, ou des grands qu'ils s'efforcent de féduire. Le fage fcait honorer fes maitres, fes fupérieurs , fans encenfer leurs paffions ; il ne fcait point autorifer, annoblir leurs foibleffes par la baffeffe de fes hommages. C'eft ainfi que Tintrigue criminelle pourfuit fouvent les princes & les grands, même jufqu'aux avants-coureurs & au milieu des ombres de la mort, en formant une barrière au tour de leur lit de douleur, pour empêcher qu'au dernier moment, la vérité ne parvienne jufqu'a eux. D'après ce tableau, quels font donc les plaifirs que nous devon» choifir & préférer, & quelle doit être notre précaution contre les faux adu\ateur s & les laches complaifans ?  381 Le petit Salomon. L X. Bienfaits qui ne datent que du moment. Les bienfaits ne datent que du moment; Rarement l'on met en ligne de compte , Ceux que l'on a recus précédemment; De 1'humanité cela fait la bonte. L'occaston fe préfente d'obliger, récompenfer, gratifier, ou procurer le plus léger bienfait; peut-être meme d'avoir égard a un petit fervice audela de 1'ordinaire; fi vous oubbez, ou manquez cette occafion , foyez certain que l'on fe plaindra, paree que l'on a déja oublié cent égards, attentions & bienfaits qui ont précede ce moment. A chaque inftant vous reconnoitrez 1'injüfiice des hommes a ce fujet; les uns par oubli, faute de rêflexion, & les autres par un intérêt qui ne connoit point de bornes, paree que jamais l'on n'eft fatisfait.  II' Partie. MORALE. 385; L X L "Avantages de Cunion & des families; nombrcufes. L'union des ménages, des families , Fait leur richeffe, bonheur & foutien ; Plus les progénitures font fertiles, Plus les enfans fe portent vers le bien. _ L'expérience nous prouve combien l'union eft forte & puiffante, qu'elle eft féconde en reffburces &c moyens ; que plufieurs petites fortunes réunies en font une effentielle, comme plufieurs petits ruiffeaux Jont une riviere ; que plus il y a dvenfans dans une familie , plus il s'y trouve de talens , d'états différens, par conféquent plus de reffburces; que chacun d'eux n'ayant la perfpective que d'une très-modique fortune., quelquefois même d'aucun bien; 1'intérêt les porte vers les fciences, les talens & 1'induftrie; qu'ils fe foutiennent tous mutuellement ; qu'ils finiffent par fe rendre utiles a. 1'état, & par être heureux.  384 Le petit Salomon. L X I I. La Concorde. Si vous recherchez, aimez la Concorde , Vous ferez jufte pour tous vos égaux, Soumis aux puiffances, pour le bon ordre , Doux aux inférieurs, aux animaux. L'on ne voit dans 1'efclavage que foibleffe , ennui, défefpoir; dans Findépendance , qu'aveuglement, ferocité, même pour les animaux , qui fouvent occafionnent des querelles. Le defir de 1'indépendance devient fouvent 1'ennemi de la liberté, &C conduit quelquefois a 1'efclavage. Qui ne cherche qu'a être fimplement libre, a déja le germe des vertus; qui veut fe rendre indépendant eft déja vicieux. L'on ne peut méconnoitre la néceffité d'une fubordination dans tous les états; elle fait toute la vigueur des armées , comme les Loix font la fureté des peuples, oii en leroi Si l'on examinoit fcrupuleufement la conduite de bien du monde, ne trouveroit - on pas un grand nombre de perfonnes qui ne penfent point a cette belle &fublime maxime.... Ne faites jamais aux autres ce que vous ne voulez pas que l'on vous faffe.  II' Partie. MORALï, 303 La févérité paroit ( le di mi t des moyens que les Souvcnuus , les Grands doivent employer. La clémence eft la plus puiffante des arnu-s. Les Rois cruels & foibfes croyent cimenter leur empire dans le fang qu'ils font couler; mais une tête abattue fouvent en reproduit mille. Quelle fut la fin des exécutions fanglantes d'Alexandre de Pherée, du taureau d'airain de Phalaris , finon de les précipiter eux-mêmes dans les bras de la mort: Tant que 1'Empereur Augufte fut cruel,il eut des conjurés a combattre; il fit grace k Cinna, eet acte de clémence anéantit aufli-tót, & pour toujours, le germe des conjurations dans tout fon empire. L'on dit que la fortune, les honneurs changent fouvent le coeur Sc les moeurs des hommes ; la décifion ne feroit-elle point plus jufte, en difant qu'ils font démafqués. Peu de perfonnes font affez mal-adroites póur laiffer paroitre leurs défauts, foit dans 1'état de la médiocrité, ou quand l'on n'eft pas encore arrivé au but ou 1'embition nous appelle; l'on attend que l'on ait' acquis le droit de ne plus fe contraindre.  394 Le petit Salomo». L X V I I. Les ejfets de 1'imagination, Commander a 1'imagination, C'eft la fcience rare & admirable; Elle aide a notre confervation, Nous fait choifir Ie bon.le préférable. Le Telfort de 1'imagination augmente le plaifir , le réalife , quoique fouvent ce ne foit qu'une chimère; elle nous caufe de même des peines fenfibles, le tout en raifon du tableau, de Ia force & de la vivacité des couleurs avec lefquelles elle nous reprefente 1'objet; elle nous fait aimer paifionnément ce qui fouvent n'eft point aimable , & haïr ce qui plait a bien d'autres; elle nous égare a tout moment fi nous 1'écoutons , fi nous la fuivons aveuglément: il faut donc des le premier moment 1'arrêter dans les ieux, fes erreurs & trompenes, pour s'en rendre maitre & lui commander. Que de perfonnes fe perfuadent qu'ellesvivrontautantoupaspluslongtemps que leurs peres, autres parents; qu'elles doivent mourir de telle ou telle maladie; qui fe frappent auilitot  II' Partie. MORALE. 395 d'une épidémie régnante & locale, dont effectivement elles périffent,parce que 1'imagination leur a tourné le fang. Rien plus commun que ces fortes d'événemens , même dans des perfonnes raifonnables. L'hiltoire des vampirs en' Allemagne, eft un exemple frappant du reffort , du pouvoir & des effets de 1'imagination;elle eft toujours véhémente dans fes expreflions & opérations, dés que l'on ceffe de lui commander &c qu'on lui céde. L X V I I I. Les noirceurs, la faujfeté, font infantes. Jamais les noirceurs & la fauffeté' Ne font les attributs d'une grande ame ; Tromper quelqu'un, c'eft une lacheté; Nuire a fa fortune , eft un trait infame. Jouer les fentimens de 1'intérêt, de 1'amitié, de la bienfaifance , c'eft le röle ordinaire de la cour & des grands. Se fervir de ce menfonge pour nuire , empêcher 1'avancement, le mariage ou la fortune de quelqu'un, eft le comble de la noirceur , de 1'atrocité. Quelqu'un vous déplait, vous a manqué, eft même votre ennemi, outre que  396 Le petit Salomon. la vengeance n'eft pas permife , l'on ne peut employer des armes , des moyens plus" laches, plus dangereux & plus importeurs que ceux cachés fous le voile trompeur de 1'amitié, de la bienveillance , de 1'intérêt pour fe défaire & perdre fon ennemi. Bien des perfonnes pourront obferver & dire qu'il femble que j'aie le projet de former un prêtre , un religieux plutót qu'un homme pour le monde....! Quand on prend du galon l'on ne peut trop en prendre.... Ce proverbe, quoique vulgaire & trivial, fait ma réponfe ; par la raifon contraire , & qu'en fait de religion , de vertus, on en laiffe toujours beaucoup plus que l'on en prend.  397 Scène entre ThÈrese & riccoboni. T IJ i. R E S E. 33 o N voyage Mais li la vérité a pour vous des appas, Faut-il vous tranfporter bien loin de ce rivage? Pourquoi, dans ce féjour, ne Ia cherchez-vous pas ? RiCCOBONI. Oü voulez-vous que je la trouve? Le monde en ces lieux la réprouve; L'efprit n'eft plus qu'un faux brillant, La beauté, qu'un faux étalage ; Les careffes , qu'un faux langage ; Fauffe gloire , fauffe grandeur, Loge par-tout Ie faux honneur; Par-tout l'on voit la fauffe nobleffe.; fauffe apparence , fnux dehors , Faux airs , fauffe délicateffe ; Fauxbruits, faux avis , faux rapports. Le cceur eft faux chez Amarante, Vefta nous montre un faux maintien,' Life eft une fauffe ignorante , Clindor un faux homme de bien, Plus de douceur que de beauté Me femble au fexe néceffaire ; Plus d'éclat que de vérité Dans un Auteur ne me plait guere. P